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Épluches

J’ai décroché le bac de justesse, après une scolarité secondaire en dents de scie. En primaire, je n’avais guère de mérite à briller. Même si la plupart vivaient dans des maisons plus confortables et plus salubres que la mienne, mes camarades de classe étaient issus de milieux encore plus défavorisés que moi. Le terme de leurs études était généralement le certif. De toute ma classe, nous ne fûmes que deux à aller en sixième : moi, fils d’immigré espagnol, et le fils de la directrice, d’origine vietnamienne. Lui au collège public, et moi dans une école privée. Paradoxalement, c’était nous, les enfants de l’immigration, qui prenions l’ascenseur social, tandis que les Français de souche se contentaient de l’escalier, en espérant que ce ne soit pas celui qui descend à la cave. Souvent, la difficulté à sortir de sa condition ne tient pas au handicap culturel dont souffriraient les enfants issus d’un milieu modeste, mais au manque d’ambition que leurs parents ont pour eux. Tu seras un ouvrier, mon fils, comme ton père. Ou bien tu seras coiffeuse, comme ta mère. Un vrai métier, tout de suite, et tu commences à ramener de l’argent à la maison. Le reste, ce n’est pas pour nous.

Ceux qui n’allaient pas en sixième allaient apprendre un métier à Épluches, un établissement professionnel situé au milieu des champs de patates, entre Chaponval et Pontoise. Quand mes résultats scolaires étaient vraiment trop désastreux, mon père m’encourageait à sa façon : si tu te fais renvoyer de Saint Martin, je te mets à Épluches. Épluches patates. Ce n’était pas un plan B, c’était une menace de mort sociale. Mon père était un bûcheron espagnol devenu chef d’entreprise. J’aurais préféré mourir que de devenir ouvrier, comme mes petits camarades pourtant bien français. Et pour mon père, cela aurait définitivement fait de moi un raté.

Je dois dire d’ailleurs qu’au cours de ma scolarité, je n’ai jamais souffert d’aucune forme de racisme, comme c’était encore le cas à l’époque pour les « Ritals ». Je n’ai même connaissance d’aucune véritable insulte de ce genre pour qualifier les Espagnols en France. Bien au contraire, pour tous mes instituteurs, j’étais l’exemple à suivre. Regardez, bande de cancres, il s’appelle Martinez et c’est le premier de la classe ! En fait, j’ai toujours été le chouchou. Et mes camarades gaulois ne m’en tenaient même pas rigueur. En entrant en sixième, bien sûr, avec les rejetons de la petite ou grande bourgeoisie locale et les héritiers de l’élite parisienne, il m’a fallu changer de braquet. Au début j’y perdais un peu mon latin. Et puis peu à peu j’ai remonté la pente, après justement avoir abandonné le latin au profit de l’économie. Dommage, j’aimais bien le latin. Ce changement d’orientation me fut néanmoins salutaire. Je brillais en français, et en sciences économiques. De nouveau, je caracolais en tête du peloton, loin devant ces enfants de la haute société que leurs parents destinaient à Sciences Po et à l’ENA. Devant l’héritier de la famille Rothschild que j’avais pour camarade, et qui étrangement ne semblait pas très familier avec le calcul et l’économie. Mais à quoi bon savoir compter quand on n’a pas à compter ?

À l’approche du sommet, le bac, je commençais cependant à fatiguer un peu. J’avais la tête ailleurs. Sept ans de ma vie enfermé comme un animal d’une espèce protégée, dans cette réserve naturelle de trente-cinq hectares qui me servait de prison dorée. Et comme toutes les prisons, bien sûr, celle-là n’était pas mixte. Bref, je voyais mon niveau baisser, mais je restais confiant. Même un élève moyen, après une scolarité dans une école aussi élitiste, ne pouvait que décrocher la mention qui lui épargnerait la honteuse épreuve de rattrapage. Les bonnes notes que j’avais déjà engrangées au bac de français me confortaient dans cette illusion. Je misais tout sur le gros coefficient de l’économie où j’avais encore de beaux restes, et j’oubliais toutes les autres matières.

J’aurais dû me méfier. Le jour de la toute première épreuve du bac, le dessin, je prends le train à la gare de Pontoise après m’être levé aux aurores pour être à huit heures dans un improbable lycée de banlieue afin de composer le chef d’œuvre destiné à me rapporter quelques points de bonus. Pas de chance, le train dans lequel je monte est un direct pour Paris. Je me retrouve à la Gare Saint-Lazare. Le temps de trouver un autre train pour revenir en arrière, l’épreuve a déjà commencé depuis plus d’une heure. On m’accepte malgré tout dans la salle. Il me reste encore une heure pour dessiner les quelques fruits disposés devant nous sur une table. Je me souviens alors que je ne sais absolument pas dessiner, ayant à tort considéré pendant toutes ces années les cours d’arts plastiques comme un prolongement de la récréation. Je rends ma copie au bout d’une demi-heure. Tant pis pour le bonus. Je n’ai pas besoin de ces quelques misérables points pour obtenir la mention qui m’est due.

 

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Saint Martin

Depuis la sixième jusqu’à la terminale, j’ai fait toutes mes études à Pontoise, dans une école catholique modestement baptisée Saint Martin de France. Il faut dire que cet établissement, dont l’organisation est calquée sur celle des célèbres collèges anglais, est fréquenté depuis environ un siècle par les rejetons de la plus haute bourgeoisie française, ce qui en fait une école très élitiste. Pas forcément pour ce qui est du niveau scolaire de ses élèves, mais en tout cas du point de vue de leur origine sociale. Je ne suis pas Rothschild, vous connaissez tous cette expression. Et bien moi, un Rothschild, j’en avais un dans ma classe. Un vrai. Pas franchement désagréable, d’ailleurs. Pas vraiment bon élève non plus. Plutôt discret. On croit souvent que les riches nous méprisent. C’est faux. Ce sont les nouveaux riches qui nous prennent de haut. Ceux qui n’ont pas assez d’argent, et pas depuis assez longtemps, pour avoir oublié d’où ils viennent, qui savent qu’au moindre faux pas ils pourraient bien y retourner, et qui en conséquence tiennent à se distinguer de ceux qui sont toujours dans une relative indigence. Les vrais riches, eux, ne méprisent pas les pauvres. Ils les ignorent, tout simplement, n’en connaissant pas le mode d’emploi, sauf à les faire travailler dans l’usine de papa.

Le samedi midi, à l’heure où on nous libérait pour une permission de courte durée, et où je me précipitais vers la gare de Pontoise pour prendre mon train de banlieue, le chauffeur de mon fortuné camarade, une casquette sur la tête, l’attendait en Rolls à la sortie de l’école pour le ramener à Paris. Je rentrais chez moi, dans ce rez-de-chaussée de trois pièces où nous nous entassions à six, les quatre enfants dans la même chambre, chauffés l’hiver par un poêle à bois, sans eau chaude au robinet, sans salle de bains, et avec les toilettes dans la cour. Il rentrait chez lui, je ne sais où, dans un hôtel particulier du seizième arrondissement ou dans un manoir à la campagne. Nous étions dans la même classe, mais nous n’appartenions pas à la même classe. Nous ne vivions pas dans le même monde. En dehors de cette école et de son vaste parc, nos chemins ne se seraient jamais croisés.

Les internes venaient de Paris, ou parfois même de l’étranger. Au mieux, ils ne connaissaient de Pontoise que la gare, où ils prenaient le train qui les ramenait pour le week-end dans les beaux quartiers de Paris. Si j’étais là, avec quelques autres privilégiés de la région, c’était seulement parce que nos parents aussi, en se serrant un peu la ceinture, avaient les moyens de payer pour le moins la demi-pension dans cette école prestigieuse. Mais je n’aurais jamais osé non plus inviter chez moi ces petits bourgeois qui, sans faire partie du Gotha, vivaient néanmoins dans de confortables demeures en accord avec leur statut social de fils de notables. Si en classe je faisais jeu égal avec tous, passé le portail de l’école je redevenais un prolétaire. Mon père m’avait inscrit dans cet établissement, ainsi que mon frère, afin que nous puissions suivre une scolarité très encadrée, qu’il n’aurait pas été lui-même en capacité de superviser, étant pour ainsi dire analphabète. J’aurais dû lui être reconnaissant de me donner la chance de bénéficier de la même éducation que cette élite. Je lui en voulais de la honte que j’éprouvais à ne pas en faire partie. J’étais un passager clandestin sur un paquebot de luxe. Vu comme un nanti par les élèves du lycée public que je croisais aussi à la gare, je me considérais moi-même comme un paria dans l’établissement très chic que j’étais contraint de fréquenter.

Encore aujourd’hui, dans une réception mondaine, j’ai le sentiment que ma vraie place est aux côtés du personnel chargé de passer les petits fours depuis la cuisine, plutôt qu’avec les invités de marque qui s’empiffrent au salon. Je resterai toute ma vie un usurpateur. Je m’appelle Martinez. On m’appelait Martin. Saint Martin est connu pour avoir donné la moitié de son manteau à un pauvre. Après sept ans d’initiation à la charité chrétienne à Saint Martin de France, je ne sais pas ce que mes camarades les plus fortunés ont fait de leur trench-coat Burberry.

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Poussières d’étoiles

Faire que ma première demeure ne soit pas la dernière. Ce fut mon premier rêve. Et c’est sans doute de là que me vient cette passion pour la conquête spatiale et ma profonde aversion pour toute forme de religion. « Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière » dit la Genèse. Alors efforçons-nous au moins de mordre à la fin une autre poussière que celle qui nous a vu naître. Une poussière d’étoiles, si possible. Après une vie dans la boue, que le berceau de l’Humanité ne soit pas aussi son tombeau.

Je suis né dans le lit de mes parents, à l’endroit même où j’avais été conçu. Accoucher à domicile, sans anesthésie bien sûr et avec pour seule assistance le médecin de famille et parfois une voisine, ce n’était pas à l’époque un retour aux sources réservé à quelques bourgeoises en quête de sens à donner à leur pauvre existence. C’était tout simplement la dure réalité de beaucoup de femmes du peuple. Les bourgeoises, elles, accouchaient déjà à l’hôpital. Il est toujours navrant de voir certaines femmes, et certains hommes, considérer comme un acte de liberté le fait de revenir aux servitudes d’antan, mais volontairement cette fois. Désirer la soumission, à la tradition, à la Nature, à un dieu ou à un homme, est-ce vraiment la liberté ?

Je suis né par le siège. En d’autres termes, je suis arrivé au monde en lui montrant mes fesses. Autant dire que pour ma mère, ce ne fut pas la façon la plus facile et la moins douloureuse d’accoucher, encore moins presque seule, chez elle, sans même le soutien d’un mari trop occupé à gagner l’argent du ménage, ou préférant tout simplement s’épargner le spectacle d’une telle boucherie. Oui, les plus infortunées des femmes accouchaient alors dans leur lit. Au besoin, elles avortaient aussi dans leurs propres toilettes. Les faiseuses d’ange ne sortaient pas de la Faculté de Médecine, les toilettes étaient souvent au fond du jardin, et elles ne sentaient pas la rose. J’aurais pu ne pas être le petit dernier. C’est là où il a fini, sans même avoir vu le jour. Je me suis juré de ne pas finir dans ce trou.

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Racines

Je suis né à Auvers-sur-Oise, au milieu des années cinquante, et dès mon plus jeune âge, je me suis juré de tout faire pour ne pas y passer ma vie, et surtout pour ne pas y mourir. Car on peut facilement mourir d’ennui, à Auvers. Ce n’est pas pour rien si Van Gogh, qui en avait déjà vu d’autres, s’y est donné la mort après avoir peint son dernier tableau, intitulé Racines. C’est comme ça, à part les pissenlits peut-être, on prend difficilement racines dans ce village qui impressionna tant les impressionnistes, mais on s’y suicide beaucoup. Mon propre cousin, qui avait à peu près mon âge, s’y est pendu avant d’avoir atteint la quarantaine. Et un ami d’enfance s’y est tiré une balle dans la tête, à la veille de ses quinze ans.

Auvers est ce qu’on appelle un village-rue, s’étirant sur plus de six kilomètres, coincé entre d’un côté les méandres de l’Oise qui déborde presque chaque hiver, et de l’autre une petite falaise qui menace en permanence de s’effondrer, avec au milieu la route nationale et la voie de chemin de fer. Un bled tellement long qu’il se paie le luxe d’avoir non seulement une gare mais aussi une halte ferroviaire, posées à chacune de ses extrémités, et aussi deux écoles. J’ai vécu les douze premières années de ma vie dans une masure au bord de la route, à deux kilomètres environ de la halte et de l’école de Chaponval et à quatre kilomètres du centre du village, qui n’est donc pas situé en son milieu mais à l’un de ses confins.

Auvers est un trait sur la carte. Sa circonférence n’est nulle part, et son centre presque hors les murs. Deux fois par jour, car à l’époque il n’y avait pas de cantine, je faisais à pied l’aller-retour entre chez moi et l’école. Huit kilomètres quotidiennement. Entre deux prisons, pendant le transfert, j’échafaudais mes premiers plans d’évasion, sans avoir encore les moyens de les mettre à exécution. À quatorze ans, alors que je commençais ma scolarité au collège dans la ville d’à côté, nous déménagions pour nous installer juste en face de cette école que je venais de quitter pour toujours. Une autre prison m’attendait pour de nombreuses années, bien mieux gardée. Et un autre trajet, encore plus long que le précédent.

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Échecs aux Rois

Check to the kings –  Jaque Mate –  Xeque-Mate

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

8 comédiens
Certains rôles sont indifféremment masculins ou féminins
6H/2F, 5H/3F, 4H/4F, 3H/5F, 2H/6F

La politique s’apparente souvent à une partie d’échecs, excluant toute notion de morale. Que l’on joue avec les blancs ou avec les noirs, il s’agit toujours pour un camp de vaincre l’autre afin qu’il ne reste plus qu’un seul roi. Un jeu absurde, puisqu’avec la défaite de l’adversaire, c’est aussi la partie qui se termine. Et que le seul avenir possible ne saurait être qu’une éventuelle revanche. Tel est le sujet de cette comédie grinçante où roi et reine, et ceux qui intriguent pour les remplacer, n’hésitent pas à sacrifier les pions pour gagner la partie. Une illustration tragi-comique des extravagances auxquelles peuvent s’abandonner ceux qui succombent au virus de la politique…


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Fantasme

Un homme et femme somnolent côte à côte dans ce qui sʼavérera être des fauteuils dʼavion. Lʼhomme sort progressivement de son sommeil. Il sʼétire un peu, bâille, et regarde machinalement autour de lui, avant de marquer sa surprise. Il regarde avec plus dʼattention, et son étonnement se transforme en désarroi. Il regarde par le hublot, ce qui ne le rassure pas du tout. Il fixe son regard sur la passagère assoupie à côté de lui, et qui ronfle. Il ne sait visiblement pas quoi faire. Il pousse discrètement du coude la femme, qui sort elle aussi peu à peu de son sommeil. En ouvrant les yeux, elle sʼaperçoit que son voisin la fixe avec insistance, ce qui bien sûr la met mal à lʼaise.

Homme – Ça va ?

Femme – Euh… oui.

Homme – Vous dormez ?

Femme – Oui… Enfin, jʼessaye…

Homme – Donc vous ne dormez plus, on est bien dʼaccord.

Femme – Mais pourquoi vous me demandez ça ?

Homme – Parce que moi, je me demande si je suis en train de rêver. Enfin ce serait plutôt un cauchemar. Donc si vous vous ne dormez pas, cʼest que moi non plus…

Femme – Quʼest-ce qui vous arrive ?

Homme – Ce qui mʼarrive ? Regardez autour de vous…

Lʼautre, pas très réveillée, regarde autour dʼelle.

Femme – Quoi ? Quʼest-ce qui se passe ?

Homme – Ce qui se passe ? Quand je me suis assoupi, cet avion était plein. Pas un seul siège de vide. Je me réveille, et il nʼy a plus que nous…

Elle regarde à nouveau.

Femme – Vous avez raison.

Homme – Je ne comprends pas…

Femme – On a dû dormir plus longtemps quʼon ne pensait… On est peut-être arrivé à destination. Comme on dormait, on a oublié de descendre. Et les hôtesses nʼont pas osé nous réveiller.

Homme – Oui, cʼest ce que jʼai dʼabord pensé, mais regardez un peu par le hublot.

Elle regarde.

Femme (incrédule) – Non…

Homme – On est toujours en vol !

Femme – Vous croyez que lʼavion aurait pu repartir vers une autre destination, sans que personne ne pense à nous réveiller ?

Homme – Repartir ? À vide ?

Femme – Cʼest vrai, ça ne tient pas debout…

Homme – Non, cʼest bien ça qui mʼinquiète.

Femme – Remarquez, ça arrive que des avions volent sans passager. Quand un avion tombe en panne, par exemple, on en envoie un autre pour aller chercher les passagers en rade.

Homme – On ne parle pas dʼune rame de métro, avec deux passagers qui oublient de descendre au terminus. On est dans un avion, tout de même. Pour le moins, ils passent un coup de balai avant de repartir, non ? Ils nous auraient vus.

Femme – Cʼest vrai… Tout ça est très bizarre… Alors quʼest-ce quʼon fait ?

Homme – Je vais aller voir.

Femme – Où ça ?

Homme – Si je trouve une hôtesse ! Pour lui demander…

Il se lève. Lʼautre est de plus en plus inquiète.

Femme – Vous allez me laisser toute seule ?

Homme – Il faut bien que jʼaille voir sʼil y a quelquʼun derrière le rideau…

Femme – Le rideau ?

Homme – Le rideau qui sépare la cabine, des toilettes et du cockpit !

Femme – Ah, oui… Bon, je vous attends…

Homme – Oui, ça je ne suis pas trop inquiet là-dessus… Encore que…

Femme – Quoi ?

Homme – Plus de trois cents passagers ont déjà disparu.

Femme – Merci ça me rassure beaucoup…

Homme – Jʼy vais.

Il sʼéloigne vers le rideau du fond, le soulève, et disparaît derrière. Lʼautre est de plus en plus angoissée. Elle regarde autour dʼelle, paniquée. Elle sort un cachet de son sac et lʼavale. Puis elle en reprend un deuxième. Lʼhomme revient.

Femme – Alors, quʼest-ce quʼelle a dit ?

Homme – Qui ça ?

Femme – Lʼhôtesse.

Homme – Il nʼy a personne.

Femme – Personne ? Comment ça personne ? Il y a forcément une hôtesse.

Homme – Il nʼy a pas dʼhôtesse et pas de steward non plus. Personne.

Moment de stupeur.

Femme – Si lʼavion voyage à vide, ils nʼont pas besoin de lʼéquipage complet. Il nʼy a peut-être à bord que le pilote et le copilote.

Homme – Oui, cʼest ce que je me suis dit aussi…

Femme – Et…?

Homme – La porte de la cabine de pilotage était entrouverte. Jʼai frappé et comme personne ne répondait, je suis entré…

Femme – Et alors…?

Homme – Vous voulez vraiment savoir ?

Femme – Si cʼest ce à quoi je pense, je finirai tôt ou tard par mʼen apercevoir.

Homme – Il nʼy a personne dans la cabine de pilotage non plus.

Autre moment de stupeur.

Femme – Vous avez raison, ça doit être un cauchemar… On va se réveiller et…

Homme – Je me suis déjà pincé trois fois…

Femme – Ce nʼest pas une blague au moins ?

Homme – Un blague ?

Femme – Une caméra cachée, quelque chose dans le genre…

Homme – Si cʼest une caméra cachée, elle est vraiment très bien cachée. Et lʼéquipage aussi. Vous savez, il nʼy a pas beaucoup dʼendroit où se planquer dans un avion.

Femme – Oh mon Dieu, mais alors… on est entrés dans la quatrième dimension ?

Homme – Jʼaimerais pouvoir vous rassurer, mais malheureusement… je nʼai vraiment aucune idée de ce qui nous arrive… Ou alors on est mort.

Femme – Pardon ?

Homme – Lʼavion sʼest crashé pendant quʼon dormait, et on est déjà dans lʼau-delà.

Femme – Dʼaccord… Donc vous nʼavez rien trouvé dʼautre pour me rassurer que de me dire quʼon est peut-être déjà morts…

Homme – Je suis tout aussi inquiet que vous, vous savez.

Femme – Dʼun autre côté, cʼest vrai. Si on est déjà mort, on ne risque plus de mourir.

Homme – Vous croyez que quand on est mort, on se retrouve seul dans un avion sans pilote et sans destination connue ? Et la seule chose dont on soit sûr cʼest quʼon va se crasher quand on aura brûlé tout le kérosène…

Femme – Dans ce cas, ça ressemblerait beaucoup à la vie, non ?

Homme – Et puis on nʼest pas complètement seuls, puisqu’on est deux.

Femme – Mais quʼest-ce qui a bien pu se passer ? Ils nʼont pas pu tous sauter en parachute.

Homme – Et pourquoi ils auraient fait ça ?

Femme – Vous êtes vraiment sûr quʼil nʼy a personne.

Homme – Allez voir si vous voulez, mais on nʼescamote pas trois cents passagers et tout un équipage comme ça.

Femme – Alors quʼest-ce quʼon fait ?

Homme – Que voulez-vous quʼon fasse ? Vous savez piloter un Airbus, vous ?

Femme – Jʼai déjà du mal avec ma Twingo.

Homme – À part attendre quʼon soit à court de kérosène…

Femme – Combien de temps on peut tenir, à votre avis ?

Homme – On est déjà partis depuis pas mal de temps. Et ce nʼest pas un long courrier. Je dirais une heure maximum.

Silence pesant.

Femme – Je ne sais pas comment vous dire ça mais…

Homme – Oui ?

Femme – Non, vraiment, cʼest un peu embarrassant…

Homme – Allez-y toujours, si vous pensez à la même chose que moi…

Femme – Ça me donne envie de…

Homme – Moi aussi… (Moment dʼembarras) Mais quand vous dites… Vous voulez dire avec moi, éventuellement ?

Femme – Je nʼai pas tellement le choix, non…? Et puis jʼai toujours rêvé de faire ça avec un inconnu dans les toilettes dʼun avion.

Homme – Remarquez, les toilettes… ça ne sʼimpose pas forcément. On est les seuls dans cet avion.

Femme – Oui, mais moi, dans mon rêve, ça se passe dans les toilettes dʼun avion.

Homme – Votre rêve ? Parce que vous pensez quʼon est en train de rêver ?

Femme – Vous je ne sais pas, mais moi… Cʼest vrai que je fais ce rêve très souvent.

Homme – Dans le doute… Cʼest le moment ou jamais de le réaliser, non ?

Femme – Alors on y va ?

Homme – Allons-y.

Ils se lève tous les deux.

Femme – Vous allez voir quʼon va se réveiller…

Homme – Pourquoi vous dites ça ?

Femme – Dans mon rêve, quand jʼarrive devant la porte des toilettes, elle est fermée… Et cʼest à ce moment-là que je me réveille.

Homme – Il nʼy a plus quʼà espérer que cette fois, elle soit ouverte.

Femme – Vous avez vérifié ?

Homme – Quoi ?

Femme – Tout à lʼheure, vous êtes allé voir sʼil y avait quelquʼun de lʼautre côté du rideau. Vous avez vérifié les toilettes ?

Homme – Non… Vous pensez que cʼest là où pourraient se cacher les trois cents passagers et lʼensemble de lʼéquipage ?

Femme – Je ne sais plus quoi penser… Mais avouez que si les toilettes étaient fermées de lʼintérieur… ce ne serait pas très rassurant.

Homme – Sauf si cʼest le pilote…

Femme – Et peut-être une hôtesse avec lui…

Homme – On nʼa pas le choix, il faut aller voir…

Ils disparaissent derrière le rideau du fond.

Noir

Lumière.

Même situation quʼau début. Lʼhomme se réveille, il est un peu déboussolé, mais ne cède pas à la panique. Elle se réveille à son tour.

Femme – Ça va ?

Homme – Oui.

Femme – Je crois quʼon sʼest endormis devant la télé. Quʼest-ce quʼon regardait, déjà ?

Homme – Je ne sais plus… Un film. Ça se passait dans un avion.

Femme – Jʼai fait un drôle de rêve.

Homme – Oui, moi aussi.

Femme – Cʼétait à la fois très angoissant et…

Homme – Et…?

Femme – On ferait mieux dʼaller se coucher, non ?

Homme – Tu me raconteras ton rêve ?

Femme – Oui…

Ils sortent.

Noir

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Uchronie

Un homme et une femme sont assis côte à côte. Il regarde distraitement son portable. Elle lit un livre avec un air très concentré. Elle tourne la dernière page, et met le livre de côté, songeuse. Elle reste un instant perdue dans ses pensées.

Femme – Tu savais ? Christophe Colomb nʼa jamais su quʼil avait découvert lʼAmérique ?

Homme – Comment ça…?

Femme – Jusquʼà la date de sa mort, quatorze ans après avoir posé le pied en Amérique, et après quatre voyages là-bas, il nʼavait toujours pas compris quʼil sʼagissait un nouveau continent. Il croyait avoir seulement découvert une nouvelle route maritime pour aller aux Indes…

Homme – Ah oui…

Silence.

Femme – Cʼest dingue, si on y pense…

Homme – Penser à quoi ?

Femme – À quoi ressemblerait le monde aujourdʼhui si Christophe Colomb nʼavait pas découvert lʼAmérique…

Homme – Quoi ?

Femme – Imagine… La reine dʼEspagne refuse de financer cette expédition hasardeuse, comme ont refusé avant elle le roi du Portugal et celui dʼAngleterre.

Homme – Oui…

Femme – Ou alors il fait naufrage, tout simplement.

Homme – Et donc…?

Femme – Donc il ne découvre pas lʼAmérique ! Et on continue à sʼignorer comme ça jusquʼà aujourdʼhui, les Amérindiens dʼun côté de lʼAtlantique et les Européens de lʼautre.

Homme – Euh… ouais.

Femme – Non mais tu vois un peu les conséquences ?

Homme – Quelles conséquences ?

Femme – Je ne sais pas moi… Pas de Coca dans le frigo, pas de séries américaines à la télé, pas de Mac Do au coin de la rue…

Homme – Ah oui…

Femme – Et de lʼautre côté, pareil. Les civilisations précolombiennes continuent de prospérer. Lʼîle de Manhattan est couverte de pyramides à la place de gratte-ciels.

Homme – Les pyramides, ce nʼest pas plutôt au Mexique ?

Femme – Oui, bon… de tipis, si tu préfères.

Homme – Non, mais si Colomb nʼavait pas découvert lʼAmérique en 1492, quelquʼun dʼautre lʼaurait fait un peu plus tard, non ?

Femme – Beaucoup plus tard, peut-être. En attendant, les Indiens dʼAmérique accèdent à la modernité. Ils se mettent à construire des bateaux, eux aussi et… ce nʼest pas fini…

Homme – Quoi ?

Femme – Cʼest eux qui traversent lʼAtlantique et qui découvrent lʼEurope. Cʼest eux qui nous colonisent. Ils déciment une bonne partie de la population et ils parquent les autres dans des réserves…

Homme – Ah ouais…

Femme – Le Président de la République est aztèque, le premier ministre est inca et ses ministres mayas. La langue officielle de la France est le Quechua.

Homme – Dis donc, tu en connais un rayon.

Femme – Je viens de lire un bouquin là-dessus… Tu imagines la situation dans laquelle on serait ?

Homme – Jʼessaie…

Moment de réflexion intense.

Femme – Et cʼest la même chose pour les Africains…

Homme – Les Africains ?

Femme – Imagine quʼils se soient développés un peu plus vite que nous. Pas dʼesclavage. Ou alors cʼest nous les esclaves. Cʼest eux qui viennent nous coloniser. Le Président est black. La moitié de ses ministres maghrébins. Pareil pour les flics. Cʼest nous qui habitons dans des HLM en banlieue, et cʼest eux qui nous demandent nos papiers à tous les coins de rues sous prétexte quʼon a le teint blafard.

Elle a lʼair passablement exaltée. Il la regarde un peu inquiet.

Homme – Tu es sûre que ça va…

Elle semble revenir à la réalité, et désireuse de se reprendre.

Femme – Tu as raison, je ne sais pas ce qui mʼa pris.

Homme – On va plutôt remettre la télé…

Femme – Oui, ce sera mieux.

Il la rassure dʼun sourire. Il prend une télécommande, la pointe vers la salle et appuie sur un bouton.

Noir

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L’effondré

Une femme est là. Un homme arrive.

Femme – Bonjour, comment ça va ?

Homme – Vous voulez vraiment savoir comment ça va ?

Femme – Oui, bien sûr… Enfin, non, je disais ça par politesse, mais… Pourquoi, quʼest-ce qui ne va pas ?

Homme – Quʼest-ce qui ne va pas ? Les jeux sont faits, chère Madame. Rien ne va plus. Le processus de lʼeffondrement global est déjà enclenché.

Femme – Lʼeffondrement ? Lʼeffondrement de quoi ?

Homme – Notre propre effondrement ! Lʼeffondrement de notre civilisation ! Si on peut appeler ça une civilisation…

Femme – Ah oui… Notre civilisation… Vous mʼavez fait peur. Jʼai cru que vous parliez de votre toit. Ou du mien.

Homme – Mais cʼest exactement ça ! La maison brûle, et le toit va nous tomber sur la tête.

Femme – Dʼaccord… Mais à part ça, ça va ?

Homme – Vous trouvez que tout va bien, vous ?

Femme – Jʼai toujours mes problèmes dʼallergie, mais bon… Ce nʼest pas la fin du monde.

Homme – Eh bien si, justement. Cʼest la fin du monde !

Femme – Vous avez des problèmes dʼallergie, vous aussi ?

Homme – Oui. Je suis allergique à cette société, qui creuse sa tombe avec ses propres dents, en engloutissant jour après jour toutes les ressources de la planète.

Femme – Bien sûr…

Homme – Vous avez entendu parler de la déforestation ?

Femme – La déflorestation ? Quʼest-ce que vous voulez…? Il faut bien se faire déflorer un jour. Moi, quand ça mʼest arrivé, jʼavais quinze ans. Cʼétait avec un ami de ma mère et… Mais enfin pourquoi vous me parlez de ça ?

Homme – Les forêts ! Je vous parle des forêts. Ou ce quʼil en reste. La déforestation ! Vous êtes au courant, tout de même ?

Femme – Oui, enfin… Vite fait…

Homme – Chaque seconde qui passe, la forêt amazonienne perd en surface lʼéquivalent dʼun terrain de football.

Femme – Ah oui… Ça fait beaucoup de terrains de foot.

Homme – Soixante par minute. Trois mille six cents par heure. 31 536 000 par an.

Femme – Eh ben… On nʼa pas fini de voir du foot à la télé. Moi, cʼest pour ça que jʼai résilié mon abonnement à Canal Plus. Il nʼy a que du foot. Vous aimez le foot, vous ?

Homme – Je déteste le foot.

Femme – Enfin, lʼAmazonie, cʼest loin. Et puis les Brésiliens, le foot, cʼest leur grande passion, non ?

Homme – LʼAmazonie, chère Madame, cʼest le poumon de notre planète. Quand la forêt amazonienne tousse, cʼest le monde entier qui sʼenrhume.

Femme – Mes poumons, à moi, ils sont allergiques aux pollens dʼarbres. Alors sʼil pouvait y en avoir un peu moins sur Terre, des arbres, je respirerais sûrement déjà mieux. Jʼai demandé à ma voisine dʼélaguer un peu ses platanes, mais elle ne veut rien savoir. Que voulez vous que je fasse ? Si cʼétait une chienne qui aboyait trop fort, je pourrais toujours lui lancer une boulette de viande à lʼarsenic. Mais un arbre… Quʼest-ce quʼon peut bien faire contre un arbre ? Je ne peux pas lʼempoisonner. Je veux dire lʼarbre, pas ma voisine. Encore que… Je pourrais lui offrir une pomme empoisonnée… Jʼai un pommier, dans mon jardin.

Homme – Et le réchauffement climatique, vous en avez entendu parler ?

Femme – Cʼest vrai que depuis quelques années, on a de très belles arrière-saisons. Lʼan passé, je nʼai remis le chauffage en marche quʼau mois dʼoctobre. Au prix où est le fioul, ça fait quand même des économies…

Homme – Et le travail des enfants ?

Femme – Ah oui, alors ça, le travail des enfants, cʼest un vrai problème. Moi, ça me révolte. Jʼai sept petits-enfants, et malheureusement, je ne suis pas sûre quʼils en trouvent, du travail, quand ils auront fini leurs études.

Homme – Et le bien-être animal ?

Femme – Les gens qui abandonnent leur chat sur une aire dʼautoroute au moment des vacances, on devrait les castrer. Bon, moi jʼai fait castrer le mien, mais ça sʼest fait à la clinique vétérinaire. Vous nʼavez pas idée de ce que ça coûte, ces petites bêtes-là. Dʼailleurs, jʼai pris une mutuelle…

Homme – Je vous parle des abattoirs, Madame !

Femme – Les abattoirs… Vous avez raison… Jʼai vu un reportage là-dessus à la télé la semaine dernière. Quand on voit ces pauvres gens qui travaillent à la chaîne là-dedans toute la journée. Couverts de sang. Pour un salaire de misère. Franchement, je les plains. Enfin, si on veut manger un bon steak de temps en temps… Moi je dis que les abattoirs, cʼest comme les hôpitaux. On devrait considérer ça comme un service public. Ces gens-là ne sont pas assez payés. On ne trouve plus personne pour travailler dans les abattoirs… Avec le chômage quʼil y a en France. Vous travailleriez dans un abattoir, vous, même si cʼétait bien payé ?

Homme – Ce que je suis en train de vous expliquer, chère Madame, cʼest que nous allons tous mourir…

Femme – Et je suis bien dʼaccord avec vous ! Cʼest ce que je dis toujours à ma mère, dʼailleurs. Elle a quatre-vingt douze ans, ma mère. On va tous mourir, alors bon. Que ça soit de ça ou dʼautre chose. Ce nʼest pas la peine de se priver. Non parce que ma mère, si on lui interdit son paquet de cigarillos tous les jours, et son petit verre de rhum après chaque repas. Je crois que ça, ça lʼachèverait. Vous fumez vous ?

Homme – Non.

Femme – Vous avez bien raison. Vous ne buvez pas non plus, je suppose.

Homme – Non plus.

Femme – Dans sa maison de retraite, on lʼappelle Fidel.

Homme – Fidèle ?

Femme – Comme Fidel Castro ! À cause des cigares et du rhum. Peut-être un peu à cause de la barbe, aussi… Vous avez une mère, vous ?

Homme – Non.

Femme – Tout le monde a une mère, non ?

Homme – La mienne est morte la semaine dernière, dʼun virus informatique.

Femme – Un virus informatique ?

Homme – Un virus qui a muté depuis un ordinateur australien pour sʼadapter à lʼautruche, et puis qui sʼest transmis à lʼhomme. Surtout ceux qui avaient déjà tendance à faire lʼautruche.

Femme – Je vois. Alors cʼest pour ça que… Je voyais bien que ça nʼavait pas lʼair dʼaller.

Homme – Je suis effondré.

Femme – Désolée, vraiment. Si je peux faire quelque chose pour vous… Mais pour lʼinstant, je vais devoir vous abandonner. Il faut que jʼaille nourrir mon chat. Parce que lui aussi, sʼil nʼa pas son petit steak haché tous les jours. Alors bonne journée !

Homme – Bonne journée à vous, chère Madame.

Noir

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Contrechamp

La scène est vide à l’exception dʼun tableau dont on ne voit que le dos, appuyé contre le mur du fond. Le premier gendarme est là, examinant ses notes. Le deuxième gendarme arrive. Les deux gendarmes peuvent indifféremment être des hommes ou des femmes.

Gendarme 2 – Drôle de temps, pour un mois de juillet, non ?

Gendarme 1 (la tête ailleurs) – Oui… Un temps à se suicider…

Lʼautre lui lance un regard étonné.

Gendarme 2 – On est en plein jour et on a lʼimpression quʼil fait nuit…

Gendarme 1 – Un peu comme dans cette ténébreuse affaire. Tout a lʼair simple, mais rien nʼest clair.

Gendarme 2 – Bon, alors, quʼest-ce qui sʼest passé, ici ?

Gendarme 1 – Un suicide, apparemment. Un malheureux qui se serait tiré une balle dans le cœur.

Gendarme 2 – Et donc il est mort.

Gendarme 1 – Oui… mais pas sur le coup.

Gendarme 2 – Tiens donc…

Gendarme 1 – Il nʼétait que blessé. Il a eu le temps de regagner la mansarde quʼil louait dans cette auberge, et il nʼest mort que le lendemain. Cʼest-à-dire aujourdʼhui.

Gendarme 2 – Vous avez pu recueillir son témoignage ?

Gendarme 1 – Je lui ai posé quelques questions, mais il était déjà plus ou moins inconscient. Ou alors il nʼavait pas envie de se confier à un gendarme.

Gendarme 2 – Vous auriez dû vous faire passer pour un prêtre, et le recevoir en confession avant de lui accorder lʼextrême-onction. Je plaisante… Vous avez quand même réussi à en tirer quelque chose ?

Gendarme 1 – Je lui ai demandé sʼil avait essayé de se suicider. Il mʼa répondu…  « je le crois ».

Gendarme 2 – Je le crois ?

Gendarme 1 – Je le crois.

Gendarme 2 – Cʼest tout ?

Gendarme 1 – Non, il a ajouté : « nʼaccusez personne dʼautre ».

Gendarme 2 – Cʼest étrange, en effet. Mais bon. Il a confirmé quʼil sʼagissait dʼun suicide.

Gendarme 1 – Oui.

Gendarme 2 – Dans ce cas… on nʼa plus rien à faire ici.

Gendarme 1 – Je suppose que non.

Gendarme 2 – Vous nʼavez pas lʼair convaincu. Si ce pauvre type a dit quʼil sʼétait suicidé, nous nʼavons pas de raison de mettre sa parole en doute.

Gendarme 1 – Non, bien sûr.

Gendarme 2 – Pourquoi aurait-il dit quʼil sʼétait suicidé si ce nʼétait pas le cas.

Gendarme 1 – Pour protéger quelquʼun, peut-être…

Gendarme 2 – Vous voulez dire… son assassin ?

Gendarme 1 – Je ne sais pas. Mais je me méfie des apparences.

Gendarme 2 – Là il ne sʼagit pas de simples apparences, mais dʼun aveu… Lʼaveu de la victime. Ou du coupable, si vous préférez. Il est tout de même très rare quʼun suicidé soit en mesure de confirmer quʼil est bien lʼauteur de son propre meurtre.

Gendarme 1 – Oui, vous avez sans doute raison.

Gendarme 2 – On a retrouvé lʼarme du crime ? Enfin, je veux dire lʼarme qui aurait servi à…

Gendarme 1 – Non. Il sʼagirait dʼun revolver, quʼil aurait volé à quelquʼun. Une arme assez rudimentaire.

Gendarme 2 – Pas étonnant quʼil se soit raté.

Gendarme 1 – Cʼest curieux… Vous savez quelles ont été ses dernières paroles ?

Gendarme 2 – Décidément, il était plutôt bavard, pour un suicidé… Et donc, quʼest-ce quʼil a dit ?

Gendarme 1 – « Encore raté ».

Gendarme 2 – Encore raté ?

Gendarme 1 – Cʼest ce quʼil a dit à son frère, venu de Paris pour lʼaccompagner dans ses derniers instants. Jʼimagine quʼil voulait dire que dans sa vie, il avait vraiment tout raté. Même son suicide.

Gendarme 2 – Et vous dites quʼil est rentré à sa chambre après ce coup de feu. Alors où est-ce quʼil a eu lieu, ce présumé suicide ?

Gendarme 1 – Dans un champ.

Gendarme 2 – Un champ ?

Gendarme 1 – Un champ de blé, oui.

Gendarme 2 – Et vous pensez que ce détail pourrait avoir son importance ?

Gendarme 1 – Quel détail ?

Gendarme 2 – Vous avez dʼabord dit un champ. Puis vous avez précisé un champ de blé.

Gendarme 1 – Ah oui… Euh, non… Jʼai dit ça comme ça.

Gendarme 2 – Dʼailleurs, comment savez-vous quʼil sʼagit dʼun champ de blé, et pas dʼun champ de patates, par exemple.

Gendarme 1 – Vous allez voir…

Il retourne la toile, dont on ne voyait jusque là que le dos. Il sʼagit du Champ de blé aux corbeaux, dernier tableau de Vincent Van Gogh. Au choix du metteur en scène, le premier gendarme peut se contenter de montrer le tableau au deuxième, sans que le public puisse voir le côté peint de la toile.

Gendarme 2 – Quʼest-ce que cʼest que cette horreur ?

Gendarme 1 – Son dernier tableau.

Gendarme 2 – Alors ce vagabond peignait des tableaux ?

Gendarme 1 – Oui… Il était connu comme peintre.

Gendarme 2 – Cʼétait pas un peintre connu ?

Gendarme 1 – Non. Je veux dire quʼil était connu pour être peintre. Cʼétait son métier. Mais je ne pense pas que cʼétait un peintre connu. Sinon il nʼaurait pas fini ses jours dans une telle misère.

Lʼautre examine le tableau.

Gendarme 2 – Vous avez raison, il sʼagit bien dʼun champ de blé. Vous avez noté dʼautres indices sur ce tableau qui pourraient nous aider dans notre enquête ?

Gendarme 1 – Quel genre dʼindices pourrait-on voir sur un tableau ?

Gendarme 2 – Je ne sais pas… Il aurait pu peindre son meurtrier. Tandis quʼil arrivait vers lui depuis lʼautre bout du champ.

Gendarme 1 – Visiblement, il nʼa pas eu le temps.

Gendarme 2 – Pourtant, il a eu le temps de peindre les corbeaux.

Gendarme 1 – Il faudrait pouvoir interroger les corbeaux, alors. Ils ont sûrement tout vu.

Gendarme 2 – Il y a eu une autopsie ?

Gendarme 1 – Cʼest son médecin qui a examiné le corps.

Gendarme 2 – Son médecin ? Je vois… Une autopsie à la bonne franquette, en quelque sorte. Et que dit ce légiste amateur ?

Gendarme 1 – Dʼaprès lui, cʼest bien le cœur qui a été visé, mais la balle a été déviée par une côte, et elle a terminé sa course dans l’abdomen. 

Gendarme 2 – Un tir à bout portant ?

Gendarme 1 – Cʼest un médecin homéopathe, vous savez. Pas un expert en balistique. On ne peut rien conclure de définitif à partir de ses déclarations…

Gendarme 2 – Une affaire assez ténébreuse, en effet. Aussi ténébreuse que le ciel quʼil a représenté sur ce tableau juste avant de recevoir cette balle.

Gendarme 1 – À vrai dire, on nʼest même pas sûr que ce soit vraiment dans ce champ de blé que le drame a eu lieu.

Gendarme 2 – Aucun témoin direct, donc.

Gendarme 1 – À part les corbeaux ? Non, pas de témoins. Seulement des rumeurs.

Gendarme 2 – Quelle genre de rumeurs ?

Gendarme 1 – Au sujet de deux garnements. Deux frères. Des fils de bonne famille qui passent leurs vacances ici. Ils auraient pris ce type comme souffre-douleur, et ils auraient pu le tuer accidentellement, en voulant récupérer l’arme qu’il leur avait volée.

Gendarme 2 – Mais lui, il a affirmé sʼêtre suicidé. Pourquoi aurait-il cherché à innocenter ses bourreaux ?

Gendarme 1 – Je ne sais pas… Par charité chrétienne, peut-être.

Gendarme 2 – Ouais…

Gendarme 1 – Alors quʼest-ce quʼon fait ?

Gendarme 2 – Si je résume, on a un clochard qui meurt dʼune balle dans la poitrine deux jours après lʼavoir reçue, on ne sait pas exactement où et quand. Et on ne sait pas non plus par qui et avec quelle arme cette balle a été tirée. Il pourrait donc sʼagir dʼun suicide, mais aussi dʼun meurtre ou dʼun accident.

Gendarme 1 – Oui, cʼest à peu près ça.

Lʼautre réfléchit une seconde en examinant le tableau.

Gendarme 2 – Le type qui a peint ça était quand même sacrément dépressif, non ?

Gendarme 1 – Cʼest sûr.

Gendarme 2 – Pourquoi ne pas valider lʼhypothèse du suicide, qui semble arranger tout le monde ?

Gendarme 1 – Et puis un artiste maudit qui se suicide, cʼest romantique. Ça aidera peut-être à construire sa légende.

Gendarme 2 – Croyez-moi, dans une semaine, tout le monde aura oublié jusquʼau nom de ce vagabond. Il sʼappelait comment, dʼailleurs.

Lʼautre regarde sur un papier.

Gendarme 1 – Van Gogh.

Gendarme 2 – Van Gogh ?

Gendarme 1 – Vincent Van Gogh. Il était hollandais.

Gendarme 2 – Ce qui est sûr, cʼest quʼon ne verra jamais ses tableaux dans un musée.

Gendarme 1 – Allez savoir…

Gendarme 2 – Vous accrocheriez ça au dessus du buffet dans votre salle à manger, vous ?

Gendarme 1 – Non.

Gendarme 2 – Alors allons-y. On a assez perdu de temps comme ça.

Noir

Contrechamp Lire la suite »

Kushim

Un homme préhistorique arrive. Il est sommairement vêtu dʼune peau de bête et tient une hache en silex à la main. Il sʼassied sur un rocher pour se reposer jusquʼà somnoler un peu. Dans un flash de lumière, une femme apparaît, portant une combinaison futuriste, et un pistolet laser à la ceinture. Lʼhomme préhistorique, évidemment surpris et sur la défensive, se lève en brandissant sa hache.

Femme – Ne vous inquiétez pas mon brave, je ne vous veux aucun mal.

Homme – Qui es-tu, étrangère ? Que viens-tu faire ici ?

Femme – Je suis une voyageuse du temps. Oui, je sais, vous ne comprenez pas trop ce que ça veut dire, cʼest normal.

Homme – Une voyageuse ?

Femme – Du temps, oui. Comment vous expliquer ça…? Je viens du futur, si vous préférez.

Homme – Le futur ? Quʼest-ce que cʼest que ça ? Cʼest loin ? Au-delà des montagnes ?

Femme – Évidemment… Comment un homme préhistorique pourrait bien appréhender la notion de futur ? Ce qui vous caractérise justement, cʼest que vous nʼêtes pas encore entré dans l’histoire.

Homme – Lʼhistoire ? Quelle histoire ?

Femme (pour elle-même)Eh ben… Ce nʼest pas gagné… (À lʼautre) Le futur, mon brave ! Demain, par exemple, cʼest le futur, vous comprenez ? Je vis dans le futur et… je suis venue vous faire une petite visite. Pour voir un peu comment ça se passait pour vous à lʼâge de pierre.

Homme – Je ne connais aucun Pierre. Comment voulez-vous que je sache quel âge il a ?

Femme – Non, lʼÂge de Pierre… Je voulais dire la préhistoire. Parce que justement, vous ne nous avez laissé aucun récit de ce que vous avez vécu. Puisque vous ne connaissez pas encore lʼécriture.

Homme – Cʼest quoi lʼécriture ?

Femme – Lʼécriture, cʼest… Cʼest un peu comme les dessins que vous faites sur les murs de vos cavernes. Sauf que ça ne représente rien. Mais ça veut quand même dire quelque chose.

Homme – Des dessins qui ne représentent rien ? Quʼest-ce que ça pourrait bien vouloir dire ?

Femme – Eh bien ça veut dire… la même chose que quand on parle.

Homme – Si cʼest la même chose que quand on parle, à quoi ça sert ?

Femme – Pour quʼon se souvienne de vous ! Quand vous ne pourrez plus parler. Je veux dire quand vous serez mort…

Homme – Je me souviens très bien des gens qui sont morts… Ceux que jʼai connus en tout cas. Les autres…

Femme – Vous savez quoi ? On va laisser tomber lʼécriture, parce que là, on ne va jamais sʼen sortir. Donc, avant de me matérialiser devant vous, je vivais dans le futur. Et le futur, cʼest… demain, si vous préférez.

Homme – Demain ?

Femme – Oui, enfin, demain… Plusieurs demains, quand même, hein ? Disons, quelques millions, vous voyez ?

Homme – Non.

Femme – Bon… Prenons le problème autrement. Avant de vous servir de cette hache en pierre, vous faisiez comment, pour chasser ?

Homme – Je ne sais pas.

Femme – Eh bien vous chassiez à mains nues, jʼimagine. Et avant de maîtriser le feu, vous la mangiez comment, votre viande ?

Homme – Je ne sais pas.

Femme – Vous la mangiez crue ! Ça cʼest le passé. Quand vous étiez un singe. Le présent, cʼest maintenant. Vous vous servez dʼarmes en pierre et vous faites cuire la viande. Demain, vous remplacerez la hache en pierre par un fusil de chasse, et le feu par un four électrique. Ça cʼest le futur. Vous voyez ce que je veux dire ?

Homme – Non.

Femme – Le futur, cʼest le progrès. Et quand vous aurez beaucoup, mais alors beaucoup progressé (Se désignant elle-même) vous ressemblerez à ça.

Homme – Et ça, cʼest le progrès ?

Femme – Bah… Oui, quand même ! Ça ne vous saute pas aux yeux ?

Homme – Non.

Femme – Donc, comme je vous disais, nous ne savons pas grand chose de vous, ni dʼaucun de vos contemporains de la préhistoire, dʼailleurs. Le nom dʼaucun dʼentre vous nʼest passé à la postérité. Vous vous appelez comment ?

Homme – Kevin.

Femme – Ah oui… En tout cas, le nom dʼaucun Kevin nʼest resté gravé dans les mémoires pendant la préhistoire. Et vous savez pourquoi ?

Homme – Non.

Femme – Parce quʼaucun de ces noms nʼa jamais été écrit pendant cette très longue période. Vous savez quel est le premier nom dʼhomme à avoir été gravé au sens propre dans la mémoire de lʼhumanité ?

Homme – Non.

Femme – Kushim. En fait, on ne sait même pas si cʼétait un homme ou une femme. En revanche, on sait quel était son métier.

Homme – Cʼétait quoi ?

Femme – Comptable. Kushim a laissé son nom sur une tablette en terre cuite retrouvée en Mésopotamie. Une tablette datant du quatrième millénaire avant Jésus-Christ.

Homme – Jésus-Christ ?

Femme – Bon, je vous raconterai ça un autre jour… Mais vous voyez, la première célébrité de lʼhistoire nʼétait ni un roi, ni un guerrier, ni un poète, mais un comptable. Il nʼa pas signé une grande saga ou un livre saint mais une facture pour une livraison de céréales.

Homme – Cʼest quoi une facture ?

Femme – Eh oui… (Pour elle-même ou pour le public) Pas évident dʼavoir une conversation avec quelquʼun qui nʼa pas du tout les mêmes références que vous… Quʼest-ce que vous faites dans la vie, mon brave ?

Homme – Je suis chasseur-cueilleur.

Femme – Bien sûr.

Homme – Et toi ?

Femme – Moi ? Je suis chercheuse. Spécialisée dans la préhistoire. Maintenant que nous pouvons voyager dans le temps, je peux enquêter directement sur le terrain. Alors si vous le permettez, je vais vous poser quelques questions. Cʼest pour ma thèse.

Homme – Dʼaccord.

Femme – Tout dʼabord quelques questions concernant votre état civil. Alors… Nom, Kevin. Date de naissance, je vais laisser en blanc. Profession, chasseur-cueilleur. Marié ?

Homme – Marié ?

Femme – Est-ce quʼil y a… une Madame Kevin ? (Lʼautre nʼa pas lʼair de comprendre.) Est-ce que vous avez une femme ?

Homme – Jʼen avais deux, mais un ours mʼen a bouffé une la semaine dernière, et lʼautre est partie avec un chasseur qui ramenait plus de gibier que moi à la caverne. Jʼen ai assommé deux autres que jʼai trouvé perdues dans la forêt et je les ai ramenées à la maison. Elles ont lʼair de se plaire…

Femme – Je vais cocher veuf, séparé… et en union libre. Alors, venons-en à votre mode de vie. Comment ça se passe, vos journées, mon brave ?

Homme – Le matin, je me lève avec le soleil, et je vais me baigner dans la rivière. Après je pars à la chasse avec les copains. En rentrant on fait des grillades. Une petite sieste après manger avec mes deux femmes. Lʼaprès-midi on retourne un peu à la pêche. Et le soir on se raconte des histoires autour du feu…

Femme – Eh ben… Ça ressemble aux vacances idéales, dites-moi. Ça me donnerait presque envie de rester. (On entend comme une petite alerte sonore, et elle consulte lʼécran de son portable avant de revenir à son interlocuteur.) Malheureusement, ma vie à moi est un peu plus compliquée. Il va falloir que je vous quitte, mais je reviendrai, cʼest promis.

Homme – Dʼaccord… Et si vous voulez être ma troisième femme…

Femme – Je vais y réfléchir… Mais maintenant, pour ne pas risquer de modifier le cours de lʼhistoire, je vais vous exposer avec ce pistolet à un rayonnement qui vous fera complètement oublier cette conversation. Rassurez-vous, ce nʼest pas dangereux et cʼest absolument indolore.

Elle sort son pistolet, et lʼautre le regarde avec curiosité. Dʼun geste brusque, il parvient à sʼen emparer et le braque sur sa propriétaire.

Homme – Cʼest une nouvelle arme pour la chasse ?

Femme – Non, pas exactement. Mais attention, il faut savoir sʼen servir quand même. Donnez-moi ça…

Lʼhomme préhistorique appuie sur la gâchette et un flash lumineux sort du canon, paralysant la femme un moment, avant quʼelle ne se remette à nouveau en mouvement. Elle semble complètement désorientée.

Femme – Bonjour… Mais quʼest-ce que je fais là ? Et dʼabord, qui êtes-vous ?

Homme – Je mʼappelle Kevin. Et vous ?

Femme – Je ne me souviens de rien… Même pas de mon nom… Vous savez comment je mʼappelle ?

Homme – On va tʼappeler Kushim.

Femme – Kushim ?

Homme – Bienvenue dans la préhistoire, Kushim.

Femme – Cʼest quoi la préhistoire ?

Homme – Ben… la préhistoire, cʼest maintenant.

Femme – Bon… Et vous faites quoi dans la vie, Kevin ?

Homme – Je suis chasseur-cueilleur. Je pêche un peu, aussi. Et toi, quʼest-ce que tu sais faire, exactement ?

Femme – Rien… Ah si, je sais compter, je crois. Et écrire aussi.

Homme – Quʼest-ce que tu veux compter ?

Femme – Je ne sais pas… Je pourrais compter les animaux que vous ramenez de la chasse, et les poissons que vous rapportez de la pêche.

Homme – À quoi ça sert ?

Femme – Je ne sais pas. En tout cas, cʼest tout ce que je sais faire.

Homme – Bon, je vais en parler aux autres. Viens avec moi.

Femme – Je vous suis…

Homme – Si tu ne sers à rien, au pire on pourra toujours te bouffer.

Femme – On a toujours besoin dʼun bon comptable, vous savez. Vous allez voir, ça va vous changer la vie.

Homme – Tu crois ?

Femme – Jʼen suis sûre. Vous verrez, je vais vous faire entrer dans lʼhistoire.

Homme – Lʼhistoire ? Jʼespère que ce nʼest pas une arnaque…

Noir

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