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Après nous le déluge

Surviving Mankind –  Después de nosotros el diluvio –  Depois de nós, o diluvio!

Une tragicomédie écologique de Jean-Pierre Martinez

2 hommes et 2 femmes

Sur une Terre devenue inhabitable en raison du réchauffement climatique, une humanité à l’agonie vit ses dernières heures. Deux hommes et deux femmes s’apprêtent à s’élancer dans un vaisseau spatial vers la planète inconnue qui pourrait leur servir d’ultime refuge. La mission de ces quatre « élus » : donner à l’humanité une chance de se perpétuer après avoir causé sa propre perte par sa folie autodestructrice. Mais une telle humanité mérite-t-elle vraiment d’être sauvée ? Tous ne sont pas d’accord…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.

 


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Bien qu’encore inédite à la scène, cette pièce a déjà fait l’objet d’une thèse de master par une étudiante du Département de Langue et Littérature Française de l’Université Hacettepe d’Ankara en Turquie. Le texte intégral de cette thèse intitulée “Analyse écocritique de l’œuvre de Jean-Pierre Martinez APRÈS NOUS LE DÉLUGE” est consultable en ligne sur le site de l’université :

Lien vers des extraits de ce travail universitaire sur La Comédiathèque

Lien vers le texte intégral de cette thèse sur le site de l’université Hacettepe


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Après nous le déluge

Une tragi-comédie écologique

ACTE 1

Le poste de commandement d’un vaisseau spatial baptisé « L’Arche » (le nom peut figurer sur un élément du décor ou sur les combinaisons des membres de l’équipage). Debout devant une table de commande électronique futuriste équipée d’un écran, Virginie s’affaire à de mystérieuses manipulations (réglages, contrôles, mesures…). Paul arrive.

Paul – Que dit la météo ?

Virginie – Les vents sont toujours très violents à la surface de l’océan. Ce serait suicidaire de décoller maintenant.

Paul – Je vois… Mais la température ne cesse de monter. L’eau est entrée en ébullition juste au-dessus de nos têtes. Si nous attendons trop longtemps, notre système de réfrigération ne tiendra pas le coup.

Virginie – Il fait déjà une chaleur à crever… Autre chose ?

Paul – J’ai repéré une fuite dans le silo de lancement. Le béton est fracturé sur plus de dix mètres, et l’eau est en train de s’engouffrer par la brèche. Si la paroi cède d’un coup, on finira comme des homards plongés dans une marmite d’eau bouillante.

Virginie – Une accalmie est prévue dans cinq ou six heures. Il faut tenir jusque-là, on n’a pas le choix…

Paul – OK. Je vais surveiller cette fissure en attendant.

Virginie – Malheureusement, il n’y a rien d’autre à faire pour l’instant… (Elle se détourne de ses instruments et se lève de son siège.) Comment est-ce qu’on a pu en arriver là…?

Paul – Je ne sais pas.

Virginie – Je n’attendais pas vraiment une réponse.

Paul – Je sais…

Virginie – Tu crois qu’on est les derniers ? À part nos deux coéquipiers, bien sûr…

Paul – D’après les images fournies hier par les derniers satellites encore opérationnels, il ne reste plus aucune terre émergée à la surface du globe.

Virginie – Alors ça y est… La Terre n’est plus qu’un unique océan…

Paul – La température de l’air atteint plusieurs centaines de degrés. Même ceux qui ont réussi à embarquer sur un bateau ne peuvent pas survivre très longtemps dans de telles conditions.

Virginie – Quelques sous-marins nucléaires, peut-être, pendant un mois ou deux…

Paul – Mais contrairement à nous, ils ne peuvent pas espérer décoller vers une autre planète pour fuir cet enfer.

Virginie – La Terre était un paradis. Cet enfer, c’est nous qui l’avons créé.

Paul – Plus un morceau de glace… Plus une goutte d’eau douce… Plus un bout de terre où poser les pieds… Et cette température qui n’arrête pas de monter. Le processus est enclenché. Cette fois il est irréversible…

Virginie – C’est avant qu’il aurait fallu arrêter cette machine infernale.

Paul – Oui… mais maintenant, il est trop tard. Il faut penser à l’avenir…

Virginie – L’avenir ?

Paul – Qu’on le veuille ou non, c’est la fin de notre monde. La seule chose qu’on peut encore espérer, c’est sauver notre peau.

Virginie – On a provoqué l’extinction de tous les animaux qui vivaient sur cette planète. À présent c’est notre tour. Nous sommes les derniers spécimens d’une espèce en voie de disparition. Et si nous mourons sans descendance, l’humanité mourra avec nous.

Paul – « L’Arche »… Au moins, ils auront gardé le sens de l’humour jusqu’au bout…

Virginie – J’ai l’impression d’être un de ces animaux que Noé avait embarqués avec lui sur son bateau, enfermés dans des cages…

Paul – Reste à savoir si on arrivera à se reproduire en captivité…

Virginie – Et surtout si on trouvera une nouvelle terre d’accueil pour y refonder un embryon de civilisation. Tu y crois vraiment, toi ?

Ève arrive.

Ève – On n’a pas le choix. Il faut y croire. Y214 est la seule planète susceptible de nous accueillir, à une distance qu’on puisse atteindre avec ce vaisseau. Si on arrive à le faire décoller, évidemment…

Virginie – Un nouvel ouragan passe juste au-dessus de nous. On aura une fenêtre de tir dans quelques heures.

Ève – Deux hommes et deux femmes pour sauver l’humanité…

Virginie – On se croirait dans un programme de télé-réalité.

Ève – C’est curieux, on a été tirés au sort parmi des milliers de candidats… Pourquoi je n’ai pas l’impression que c’est une chance de faire partie des quatre finalistes ?

Paul – Tu penses que « L’Arche » peut nous conduire là-bas ?

Ève – Comment savoir ? C’est une première. Cette fusée est un prototype. Elle est propulsée par des réacteurs utilisant une technologie entièrement nouvelle, supposée nous faire voyager à la vitesse de la lumière.

Virginie – Mais cette technologie révolutionnaire n’a pas pu être testée auparavant en conditions réelles.

Paul – On n’a jamais envoyé un vaisseau aussi loin avec des passagers à bord. Les vols habités avaient été abandonnés depuis des années.

Ève – Pas assez rentables.

Virginie – Et puis il reste cette incertitude au sujet d’une hibernation aussi prolongée. Est-ce que notre organisme y résistera ? Les expériences qu’on a tentées portaient sur un ou deux mois au maximum. Là on parle de plus de dix mille ans.

Ève – Oui, sur le papier, c’est possible. Mais je ne suis même pas sûre d’avoir envie que ça marche.

Paul – Eh bien moi, oui… C’est notre seule chance de survie. Même si elle est mince, je n’ai pas l’intention de la laisser passer.

Ève – Ouais…

Paul – Virginie ?

Virginie – C’est tout ce qui nous reste. Autant s’accrocher à cet espoir. Sinon on n’a plus qu’à se laisser mourir.

Ève – Je me demande si ce ne serait pas mieux. En tout cas ce serait plus simple.

Paul – Je t’en prie, Ève, reprends-toi. On va avoir besoin de tout le monde pour mener cette arche à bon port.

Virginie – Et puis c’est pour ça qu’on nous a choisis, non ? On a une mission !

Ève – Sauver l’humanité…

Alban arrive.

Alban – Mais est-ce que l’humanité mérite d’être sauvée ?

Paul – Ouh là… Excuse-moi, Alban, mais moi je veux juste sauver ma peau. Alors les débats philosophiques…

Alban – Si l’humanité s’était un peu plus préoccupée de philosophie que de profit, on n’en serait pas là… C’est par égoïsme et par cupidité que l’homme a scié la branche sur laquelle il était assis.

Ève – Et pour finir qu’il a abattu l’arbre entier, et toute la forêt avec, pour en faire de la pâte à papier.

Alban – En gardant bonne conscience au prétexte que ce papier serait recyclé.

Paul – D’accord, mais quand on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ? Si on n’a pas décollé avant ce soir, on sera tous morts. Pourquoi ne pas tenter notre chance ailleurs ?

Alban – Parce que tu crois vraiment que c’est une chance ? Une chance pour qui, d’abord ? Pas pour la planète qu’on envisage de coloniser, en tout cas.

Paul – Une chance pour nous quatre. Notre dernière chance. Et on n’a pas de temps à perdre en bavardages inutiles.

Ève – Pour l’instant, malheureusement… à part attendre que le vent tombe. Il n’y a rien d’autre qu’on puisse faire dans l’immédiat…

Silence.

Paul – Très bien, alors allons-y ! Bavardons un peu… Histoire de faire connaissance… Il n’y a plus aucun être humain sur cette terre à part nous, alors on a plutôt intérêt à s’entendre, non ? (Un temps) À propos, Alban et Ève, Paul et Virginie… C’est des noms de codes, c’est ça ? Au point où on en est, on pourrait s’appeler par nos vrais noms, vous ne croyez pas ? Bon, moi je m’appelle vraiment Paul, mais vous ? C’est quoi vos vrais noms ?

Un temps.

Virginie – Je m’appelle vraiment Virginie.

Les deux autres restent muets.

Paul – Non ? Alors ça aussi ce serait un hasard ? Bon, je prends ça pour un signe, alors… Alban et Ève, Paul et Virginie… Moi ça me va. (Avec un regard appuyé vers Virginie) Je suis volontaire pour repeupler cette nouvelle planète.

Alban – Eh ben… Elle est bien barrée, la planète…

Paul lui lance un regard incendiaire.

Paul – Woh, woh… Doucement quand même. J’ai le sens de l’humour, mais jusqu’à un certain point.

Il s’avance menaçant, et l’autre lui fait front.

Alban – Jusqu’au point où ce sont les autres qui commencent à faire de l’humour ? En fait, il n’y a que tes propres blagues de merde qui te font rire, c’est ça ?

Virginie s’interpose.

Virginie – Oh, les chatons, on se calme un peu sur la testostérone, d’accord ! Même si on arrive jusqu’à cette planète et qu’elle est habitable, ce ne sera pas l’île de la tentation. On aura assez à faire comme ça pour essayer de survivre jour après jour dans un monde totalement inconnu.

Ève – Je rejoins Virginie là-dessus. Sur Terre, tout paraissait simple parce que des milliers de générations nous avaient transmis leur expérience, pour distinguer les plantes comestibles des plantes toxiques, les animaux inoffensifs des animaux dangereux, les régions hospitalières des zones inhabitables…

Virginie – On devra tout réapprendre. Le danger sera partout. Chaque pas que nous ferons sera un saut dans l’inconnu. Et comme on n’est que quatre, on n’aura pas droit à l’erreur.

Ève – On nous a sélectionnés pour nos compétences en médecine, en aéronautique, en astrophysique, en biologie… Mais dans un monde totalement nouveau et peut-être hostile ?

Paul – On sait des choses. On ne part pas de rien. On n’est pas des hommes préhistoriques.

Ève – Nos connaissances sont purement théoriques. À quoi ça nous servira de savoir comment fonctionne une voiture, un ordinateur ou un téléphone quand on ne disposera plus d’une industrie pour les produire ?

Virginie – Il faudra repartir à zéro. Réapprendre à construire une hutte, à chasser avec un arc, à faire du feu avec deux silex, à s’éclairer avec une torche…

Alban – Et les hommes préhistoriques en savaient beaucoup plus que nous là-dessus.

Ève – Au bout de deux ou trois générations, nos beaux souvenirs du monde d’avant, totalement inutiles, deviendront des récits fabuleux que nos descendants finiront par oublier.

Alban – Ou qu’ils se mettront à déformer et à embellir pour en faire une nouvelle Bible.

Virginie – Alban et Ève, c’est vrai que c’est tentant…

Un temps.

Paul – Très bien, alors on jouera les Robinson. Tous les gosses en rêvent, non ?

Ève – Oui… mais l’île de Robinson, elle était sur Terre.

Paul – Au moins, je ne serai pas obligé de me taper Vendredi. Si l’idée c’est de perpétuer l’espèce… Deux hommes, deux femmes, ça fait au moins deux possibilités, non ?

C’est cette fois à Ève qu’il lance un regard appuyé.

Ève – Si tu ne changes pas un peu de disque, je crois surtout que tu es condamné à te pelucher pour le restant de tes jours. Parce que question méthode de drague, il faudrait penser à une mise à jour immédiate.

Paul – D’accord, alors on parle de quoi ?

Virginie – Si on ramène l’histoire de la Terre à 24 heures, l’Homme est né à minuit moins deux. Et pendant ces deux minutes, il a réussi à rendre sa planète inhabitable. Ça mérite quand même qu’on s’arrête un instant là-dessus, non ?

Paul – Un jour ou l’autre, la Terre serait devenue invivable. À terme en tout cas, c’est une certitude, en raison de l’explosion programmée du soleil.

Alban – Oui, mais dans des milliards d’années. L’Homme serait mort de vieillesse. Là, il s’agit d’un suicide collectif. Homo sapiens avait à peine 300.000 ans. Les dinosaures ont dominé la Terre pendant près de 165 millions d’années !

Ève – Et ce n’est pas eux qui ont causé leur propre perte, en détruisant consciencieusement la planète.

Virginie – Et puis en quelques milliards d’années, on aurait eu le temps de se préparer. D’organiser le déménagement. Là, c’est le radeau de la Méduse.

Ève – Et on en est déjà à se bouffer le nez…

Virginie – C’est vraiment sûr à cent pour cent, pour Y214 ?

Ève – Cent pour cent, non. Sur le papier, c’est une planète jumelle de la Terre. Presqu’exactement les mêmes caractéristiques.

Virginie – En théorie… Mais personne n’est jamais allé voir.

Alban – Et puis même si ce vaisseau fonctionne parfaitement bien, le voyage vers cet éventuel refuge sera très long et très incertain.

Ève – On risquera à tout moment une collision avec un astéroïde.

Paul – Rien n’est sûr tant qu’on ne sera pas là-bas, évidemment, mais a priori, tous les clignotants sont au vert, non ?

Un temps.

Alban – Et si cette planète habitable était déjà habitée ?

Virginie – Habitée ?

Ève – Par des êtres doués d’intelligence.

Paul – Si c’est le cas, il s’agit probablement d’une civilisation primitive. On n’a observé aucun signe d’une vie évoluée. Ondes radio, satellites artificiels, mégalopoles émettrices de lumière ou de chaleur…

Alban – C’est peut-être des écolos…

Paul – Ou des sauvages.

Alban – Des sauvages ?

Ève – Quand on voit ce que les Espagnols ont fait des Incas en débarquant en Amérique… Oui, il y a peut-être une perspective de salut. Mais à quel prix ? Je suis d’accord avec Alban, il faut poser la question : l’espèce humaine mérite-elle d’être sauvée ?

Alban – Ce serait rendre un service au monde que d’empêcher qu’elle le soit.

Les trois autres lui lancent un regard inquiet.

Paul – Qu’est-ce que tu veux dire, concrètement ?

Alban – L’humanité, aujourd’hui, c’est comme une plante qui va mourir. Juste avant la fin, pour perpétuer l’espèce, elle projette son pollen dans l’espace, dans l’espoir de coloniser une autre terre après avoir épuisé la sienne.

Paul – Si on se met à faire des métaphores, maintenant…

Alban – Mais cette plante est toxique, et nous en sommes les mauvaises graines.

Virginie – Qu’est-ce que tu proposes, au juste ?

Alban – D’empêcher cette pollinisation maléfique. L’avenir de l’humanité est entre nos mains. Nous avons le pouvoir d’y mettre un terme. Et nous nous grandirions en décidant sciemment de faire ce choix.

Silence de mort.

Paul – Ils en ont sélectionnés quatre, et il a fallu qu’on tombe sur un illuminé ! (Paul cherche du regard le soutien d’Alban et d’Ève.) Et vous, qu’est-ce que vous pensez ? Vous êtes d’accord pour un suicide collectif ?

Ève – Le suicide collectif… il a déjà eu lieu, non ?

Paul – D’accord, donc ils sont au moins deux dans la secte. Et toi, Virginie ?

Virginie – Évidemment. On ne peut pas dire que le bilan de l’humanité plaide beaucoup en sa faveur. Mais accepter de mourir sans rien tenter… c’est peut-être un peu radical, non ?

Ève – L’humanité, c’est comme une colonie de termites. Quand elle s’installe quelque part, c’est pour bouffer la charpente et partir ailleurs quand la maison est prête à s’écrouler.

Paul – Bon, alors en clair, parce que moi je ne fais pas dans la métaphore, l’humanité, moi je m’en fous. Ce que je veux, c’est sauver ma peau.

Alban – Ce n’est pas si simple. En sauvant ta peau, tu risques aussi de sauver l’humanité.

Paul – Bon… alors qu’est-ce qu’on fait ? On vote ? On se suicide ou on essaie de survivre ? (Levant la main) Je suis pour tenter ma chance. Qui d’autre ?

Virginie lève la main.

Virginie – Je suis pour la vie. Coûte que coûte. Et puis oui, j’ai peur de mourir.

Paul – Ève ?

Ève – Franchement, vu les chances de réussite de cette mission, je me demande si ça vaut le coup. Pourquoi ne pas accepter notre destin, et mourir avec les autres ? Que nos dépouilles, au moins, reposent sur notre planète d’origine… auprès des nôtres.

Alban – C’est aussi mon avis. Que le berceau de l’humanité soit aussi son cercueil.

Paul – D’accord. Deux voix contre deux… On est bien avancés… Mais après tout, si vous voulez absolument mourir, libre à vous. Vous n’avez qu’à rester ici. Le sas de sortie est juste là.

Virginie – Le vaisseau sera beaucoup plus difficile à manœuvrer à deux. Cela réduira encore nos chances de survie. Sans parler de celle de l’humanité, évidemment…

Alban – Ce dont il est question, ce n’est pas de sauver quatre vies ou d’en sauver deux. C’est de mettre un terme définitif à l’histoire de l’humanité.

Paul – Attends, Alban, il y a quand même un détail qui m’échappe… On a été tirés au sort parmi un panel de scientifiques pour donner une chance à l’humanité de survivre. Si tu voulais mourir avec les autres, pourquoi t’être porté volontaire ?

Alban – Précisément pour ça. Pour empêcher que ce cancer n’envoie ses métastases dans tout l’univers.

Paul – Donc, en fait, tu as menti. Tu es un traître. Un infiltré. Une taupe du camp de la défaite. Et c’est toi qui nous donnes des leçons de morale ?

Alban – J’assume ce mensonge. Qui veut la fin, veut les moyens.

Paul – Très bien… (Avec un air de défi) Mais est-ce que tu es sûr d’avoir les moyens ?

Ils s’apprêtent à nouveau à s’affronter, et Virginie s’interpose encore.

Virginie – On ne va pas se battre… Mais je rejoins Paul sur un point. Et si nous, on veut vivre ? Vous allez décider pour nous ? Qu’est-ce que vous allez faire ? Nous tuer ?

Paul – Le connaissant un peu, j’imagine qu’il pense plutôt à un truc plus tordu. Comme un sabotage, par exemple. Et si la fissure dans le silo, c’était lui ?

Ève – Quelle fissure ?

Paul – On n’était que quatre, et il a fallu qu’on tombe sur un putain de terroriste.

Virginie – C’est comme ça que tu veux sauver le monde, Alban ? En devenant un criminel ?

Alban – Je préférerais vous convaincre… Mais sinon je saurai prendre mes responsabilités, et je m’arrangerai avec ma conscience.

Virginie – Et toi, Ève ?

Ève – Non, je ne déciderai que pour moi. Je ne me prends pas pour Dieu. Que ceux qui veulent vivre soient libres de le faire. À eux de juger si cela en vaut la peine…

Virginie se rapproche de ses instruments de bord.

Paul – Du nouveau ?

Virginie – Les prévisions météo ont un peu évolué. Le vent commence déjà à fléchir. Il y aura une légère accalmie dans trois heures.

Paul – C’est maintenant ou jamais. Il y a une fenêtre de tir, et ce sera la dernière. On a juste le temps de se préparer au lancement. Et tous ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi.

Paul défie Alban du regard. Alban et Ève sortent sans que l’on sache si c’est pour préparer le départ ou pour signifier leur opposition. Paul et Virginie échangent un regard préoccupé.

Paul – Je n’ai pas confiance en eux…

Virginie – Ève ne fera rien contre nous, mais lui…

Paul – Tu crois qu’il irait jusqu’à saboter l’Arche ?

Virginie – C’est un idéaliste. Il est capable de tout.

Paul – Dans ce cas, on n’a pas le choix.

Virginie – Comment ça ?

Paul – C’est eux ou nous.

Virginie – Non, il n’en est pas question.

Paul – Je te rappelle qu’on a une mission.

Virginie – Mais nous n’avons plus de comptes à rendre à personne. Sauf à nous-mêmes.

Paul – On a une responsabilité morale. On s’est engagés à sauver l’humanité. C’est pour ça qu’on nous a permis de vivre, alors que tous les autres sont déjà morts.

Virginie – Une responsabilité morale ? Fais-moi rire. Tout à l’heure, tu disais que tu voulais seulement sauver ta peau…

Paul – Moi peut-être, mais toi ? Tu es une idéaliste, toi aussi. À quoi est-ce tu es prête pour donner à l’humanité une chance de s’en sortir ?

Virginie – Pas à tuer, en tout cas.

Paul – Je peux m’en charger. Je veux bien faire le sale boulot, j’ai l’habitude…

Virginie – Mais si je te laisse faire, je serai complice.

Virginie jette un regard à ses instruments.

Paul – Un problème ?

Virginie – Un court-circuit dans la salle des propulseurs… Impossible de lancer la mise à feu du réacteur numéro trois.

Paul – On aura besoin de toute la gomme pour échapper à l’attraction terrestre… C’est réparable ?

Virginie – Peut-être, mais il faut faire vite, sinon on va rater la fenêtre de tir.

Paul – Et si c’était lui ?

Virginie – Ça peut aussi être un simple incident technique…

Paul – On n’est pas obligés de les tuer. On peut se contenter… de les neutraliser.

Virginie – Les neutraliser ?

Paul – Un bon somnifère, et on les met direct au congélo avec un peu d’avance. Au moins ils nous foutront la paix pendant quelques milliers d’années.

Virginie – Et ce somnifère, comment tu leur fais ingurgiter ? De force ?

Paul – Il reste une bouteille de mauvais champagne dans le frigo. On pourrait la boire pour sceller notre grande réconciliation… Pour célébrer notre départ… ou notre suicide collectif ?

Virginie semble hésiter.

Virginie – D’accord… Mais occupe-toi d’abord du court-circuit.

Paul – Je vais voir ce que je peux faire…

Il sort. Virginie s’affaire aux commandes. Ève revient.

Ève – Je viens de croiser Paul. Je suis au courant pour la panne.

Virginie – Et bien entendu, tu n’y es pour rien.

Ève – Je t’ai déjà répondu là-dessus. Je ne ferai rien pour faire capoter la mission. Mais si un accident nous empêche de partir, ça résoudra définitivement tous nos problèmes…

Virginie – Et Alban ?

Ève – Quoi ?

Virginie – Tu crois qu’il serait capable de saboter le vaisseau ?

Ève – Je ne sais pas… mais je peux le comprendre.

Virginie – En effet, je te trouve très… compréhensive à son égard. Attention Ève. On a une mission. Nos sentiments ne doivent pas interférer dans nos décisions.

Ève – Tu es jalouse ?

Virginie – Non. Mais il va falloir choisir ton camp. Tu es avec nous ou contre nous ?

Alban revient.

Alban – Alors on en est là ?

Virginie – C’est un peu toi qui l’as voulu, non ?

Alban – Je n’en fais pas une affaire personnelle, si c’est ça que tu veux dire.

Ils se défient du regard.

Ève – Une affaire personnelle ? Ça veut dire quoi ? Vous vous connaissiez avant d’embarquer sur ce vaisseau ?

Silence embarrassé.

Virginie – Je te pose la question une seule fois, Alban, et je ne mettrai pas en doute ta réponse. C’est toi qui as provoqué ce court-circuit ?

Alban – Non.

Virginie – D’accord. Ça me suffit.

Alban – Ça ne veut pas dire que je ne m’opposerai pas à ce départ, d’une façon ou d’une autre.

Ève semble mal à l’aise.

Ève – Je vais donner un coup de main à Paul, ça ira plus vite.

Elle sort.

Virginie – Tu savais que je serais du voyage ?

Alban – Non. Pas avec certitude. Mais on n’était déjà plus très nombreux, et c’était une sérieuse possibilité. J’ai vu ton nom sur la short list. D’un point de vue scientifique, tu avais toutes les qualités requises. Et tu étais très proche des militaires qui nous gouvernaient à l’époque…

Virginie – Ne me dis pas que c’est pour te venger de moi que tu as fait tout ça. Et que pour le seul plaisir de causer ma perte, tu serais prêt à sacrifier l’humanité toute entière.

Alban – Je t’ai aimée, c’est vrai. Passionnément. Et tu n’as pas changé.

Virginie – Merci.

Alban – Ce n’était pas un compliment. Ton ego est toujours… surdimensionné.

Virginie – Chez les hommes, on appelle ça l’ambition, je crois. Et c’est considéré comme une qualité.

Alban – Tu as raison. D’ailleurs, c’est curieux.

Virginie – Quoi ?

Alban – Tous ces préjugés que la société nous imposait. Le sexisme, entre autres. Tout ça n’a plus aucun sens maintenant que la société a totalement disparu.

Virginie – Malheureusement, tant qu’il restera un macho, on n’en aura pas fini avec le machisme.

Alban – Tu as raison. Le ver est dans le fruit. Il finira toujours par le bouffer de l’intérieur. C’est dans nos gènes.

Virginie – Alors tu penses que l’homme est fondamentalement mauvais ?

Alban – Il l’a prouvé, non ?

Virginie – Certains hommes, peut-être. Pas tous.

Alban – Hitler, Pol Pot, Donald Trump…

Virginie – Mozart, Picasso, Bob Dylan…

Alban – Dans certaines conditions, n’importe quel homme est capable du pire.

Virginie – Ou du meilleur… Si Hitler avait réussi son examen d’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne… la face du monde en aurait peut-être été changée.

Alban – Mais les hommes auraient quand même fini par faire de la Terre un gigantesque camp d’extermination.

Virginie – Je te plains, Alban. Comment peut-on se haïr à ce point ?

Alban se rapproche d’elle.

Alban – Si tu m’avais aimé, j’aurais peut-être fini par m’aimer un peu moi aussi.

Virginie – Donc c’est de ma faute, en réalité… La fin du monde, tout ça… C’est à cause de moi, en fait.

Alban – Peut-être. Pas toi toute seule, évidemment, mais les gens comme toi.

Virginie – Les gens comme moi ?

Alban – Ceux qui pendant des siècles, en décidant de vivre dans l’insouciance, ont conduit cette planète à sa perte.

Virginie – D’accord. Alors toi tu es un pur, si je comprends bien. Tu as vécu dans le souci permanent, c’est vrai. Mais Alban, est-ce que la vie mérite d’être vécue sans un peu d’insouciance ? Est-ce que tu auras été heureux, au moins ? Seul dans ta tour d’ivoire. Je ne parle pas d’être heureux toute sa vie, je parle de ces petits bonheurs qui de temps en temps font que la vie reste supportable. Est-ce qu’une fois au moins dans ta vie tu as été heureux, Alban ?

Alban – Je ne sais pas… Pendant les quelques mois que j’ai passés avec toi, peut-être.

Virginie s’approche de lui.

Virginie – Je t’ai aimé, moi aussi. Peut-être encore plus que tu ne m’as aimée toi-même. Mais entre nous, ça ne pouvait pas marcher.

Alban – Pourquoi ?

Virginie – Pour ça précisément. Ce qui nous sépare encore aujourd’hui. J’ai besoin de croire en quelque chose. Contre toute évidence. J’ai besoin de légèreté. Et toi… tu n’échapperas jamais à la gravité. (Ils sont sur le point de s’embrasser, mais elle se reprend.) Si tu m’aidais plutôt à faire décoller cette fusée ?

Il semble hésiter.

Alban – Désolé, mais non… Je ne participerai pas à ça.

Virginie – Alors je te demande solennellement de ne rien faire pour l’empêcher.

Il sort sans répondre, croisant Paul qui revient. Ils échangent un regard méfiant.

Paul – Ça y est, c’est réparé. Heureusement, ce n’était pas si grave. Pour cette fois…

Virginie – Alban m’a juré qu’il n’y était pour rien.

Paul – Il ment peut-être.

Virginie – Je ne crois pas.

Paul – Comment tu peux en être sûre ?

Virginie – J’ai mes raisons…

Paul – Il en pince pour toi, c’est ça ?

Virginie – Ne te mêle pas de ça. Où en est la voie d’eau dans le silo ?

Paul – Ça ne s’arrange pas, mais ça peut tenir encore deux ou trois heures.

Virginie – Tu as l’air soucieux. Quelque chose d’autre nous empêche de partir, qui ne soit pas lié à la fusée elle-même ?

Paul – Aucun animal marin n’a résisté à la température. Ils sont tous morts, et leurs cadavres flottent à la surface. Sur une épaisseur de plusieurs dizaines de mètres par endroit. Sans parler des divers décombres charriés par l’océan suite à l’immersion de toutes les terres habitées. Bus, voitures, containers, troncs d’arbres, animaux, êtres humains… Il faudra traverser ce mur de déchets et de chairs en décomposition pour arriver à la surface.

Virginie – La structure de la fusée n’y résistera pas. Qu’est-ce que tu proposes ?

Paul – Juste avant le lancement, j’enverrai un missile pour essayer de faire un trou dans ce mur qui nous sépare de la surface.

Virginie – On a des missiles ?

Paul – Je te rappelle que ce programme a été lancé par l’armée.

Virginie – Mais… pourquoi des missiles ?

Paul – Au cas où les habitants de la planète que nous coloniserons ne soient pas aussi accueillants qu’on peut l’espérer.

Virginie – Je vois… Je ne savais pas. Et les deux autres, ils sont au courant ?

Paul – J’étais le seul à le savoir. Jusqu’à maintenant.

Virginie – Alors mieux vaut qu’ils continuent de l’ignorer…

Paul – Oui, c’est aussi mon avis.

Virginie – Tu sembles savoir beaucoup de choses que nous ignorons… Qui t’a dit tout ça ? Pourtant, tu es un civil, comme nous. (Paul ne répond rien et semble un peu embarrassé.) Tu n’es pas un civil ?

Paul – Je faisais partie de l’armée, avec le grade de colonel. Depuis la mort accidentelle du général qui devait nous accompagner dans cette mission, et qui devait piloter cet engin, c’est moi qui représente le gouvernement militaire sur ce vaisseau.

Virginie – Le gouvernement… Il est où, aujourd’hui, ce gouvernement mondial ? Quelques généraux gâteux désignés pour nous conduire jusqu’au bord du précipice, mais en rang par deux, en marchant au pas et en fermant sa gueule…

Paul – Il y avait quand même quelques résistants. Je n’ai pas connaissance que tu en faisais partie.

Virginie – Comment le sais-tu ?

Paul – J’étais bien placé pour le savoir…

Virginie – Je vois… Tu faisais partie de la police politique, c’est ça ? En somme, toi aussi tu es un infiltré.

Paul – Tout ça c’est de la littérature. Aujourd’hui, c’est moi qui suis là, que vous le vouliez ou non.

Virginie – Oui… À la place de ce général… Qu’est-ce qui lui est arrivé, au fait, à ce pauvre homme ? Ce n’est pas toi qui aurais précipité sa fin, par hasard, pour prendre sa place à bord de cette Arche de Noé ?

Paul – Tout ça n’a plus aucun sens, de toute façon.

Un temps.

Virginie – Est-ce qu’au moins vous êtes sûr de savoir lancer un missile, Colonel ?

Paul – Je n’ai jamais servi dans des unités de combat. Mais ça ne doit pas être si compliqué que ça.

Virginie – Donc, ce n’est pas pour tes compétences scientifiques que tu es là. En fait, tu es le seul de nous quatre à n’avoir aucune compétence particulière.

Paul – Je suis très doué en bricolage, et j’ai des couilles. Le mari idéal, quoi. Et puis vous l’avez dit vous-mêmes, pour arriver à survivre et à se reproduire en milieu hostile, ce sera tout aussi utile qu’un doctorat en astrophysique.

Paul s’affaire à son poste de commande.

Virginie – Tu crois que ça peut marcher ton missile, pour nous dégager un passage vers les étoiles à travers le cimetière qui est au-dessus de nos têtes ?

Paul – On verra bien. Tu as une autre idée ?

Virginie – Non.

Paul – Alors vas-y, fais décoller cette putain de fusée !

Virginie (ironique) – À vos ordres, Colonel… Je commence la check list. Ensuite on pourra lancer le compte à rebours. Je vais rejoindre le poste de pilotage supérieur. Tu peux demander à Ève de me remplacer ? Il faut aussi surveiller la météo… et le niveau d’eau dans le silo.

Paul – Tu crois qu’on peut lui faire confiance ?

Virginie – J’en prends la responsabilité.

Paul – Je lui dis de venir.

Il sort. Virginie s’affaire un instant devant ses instruments. Ève revient.

Virginie – Merci. On va avoir besoin de toi pour faire décoller cet engin. Je suis biologiste, moi, pas pilote de fusée. Je n’ai même pas mon permis voiture.

Ève – La bonne nouvelle, c’est que là où on va, tu ne risques plus d’en avoir besoin. À supposer qu’on réussisse un jour à reconstruire une voiture et une route, il n’y aura aucun flic pour te verbaliser.

Virginie – Il faut bien que la fin du monde ait quelques avantages…

Ève – Un problème ?

Virginie – Devant Paul, j’ai fait mine de savoir de quoi je parlais, en prononçant les mots de check list et de compte à rebours, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire pour faire décoller cette fusée. Tu le sais, toi ?

Ève – J’ai reçu une formation de quelques heures à peine, comme toi. En catastrophe, juste avant que le centre spatial ne soit englouti sous les eaux. Mais bon… j’ai pu sauver le manuel de bord.

Elle sort de sa poche un livret.

Virginie – Si on a le mode d’emploi, alors… On est sauvés. Et l’humanité avec nous. J’espère que c’est plus simple qu’une notice de meubles à monter en kit…

Elle s’asseyent l’une à côté de l’autre et commencent à manœuvrer leurs instruments tout en jetant de temps à autre un regard sur la notice.

Ève – Je crois que j’ai compris l’idée générale. Ça n’a pas l’air si compliqué que ça finalement.

Virginie – Oui, c’est ce que me disait Paul au sujet de…

Ève – De ?

Virginie – Je ne sais plus… Bon, alors je te fais confiance… Je peux te laisser un instant ? Il faut que je monte.

Ève – Ils sont déjà deux dans le poste de pilotage supérieur. Tu crois qu’ils ont besoin de toi ?

Virginie – Non… Mais j’ai envie de pisser.

Ève – OK. Va pisser, et on sauvera le monde après. Je peux te poser une question, avant ?

Virginie – D’accord, mais vite fait… Je t’ai dit, ça urge.

Ève – Si Alban devait se mettre en couple avec moi, ça te dérangerait ?

Virginie – Si ça pouvait le convaincre de ne pas s’opposer à notre mission, je dirais même que je t’y encourage.

Ève – Mais ça ne te laisserait plus que Paul…

Virginie – Vu comme ça, c’est vrai que… Paul est crétin, d’accord. Et peut-être même un salopard. Mais au moins il est vivant.

Ève – Oui. C’est marrant. De n’être plus que quatre sur Terre, ça rend tout d’un coup très indulgent avec les défauts des uns et des autres.

Virginie – Bon, maintenant, il faut vraiment que je pisse.

Virginie sort. Alban revient.

Alban – Alors tu as changé de camp ?

Ève – Je ne suis pas en guerre, Alban. Je partage ton analyse. L’humanité ne mérite sans doute pas de vivre. Mais les hommes…

Alban – Quelle différence fais-tu entre les deux ?

Ève – Je déteste comme toi les pires crimes que l’humanité a pu engendrer. Mais je ne peux pas m’empêcher d’aimer certains hommes… Comme toi, par exemple.

Il semble un peu troublé.

Alban – Je ne suis pas un homme pour toi, crois-moi.

Ève – J’ai toujours aimé les causes désespérées…

Alban – Tu mérites mieux que moi, je t’assure.

Ève – Évidemment que je mérite mieux que toi ! Mais tu crois que j’ai le choix, maintenant ? C’est toi ou Paul…

Alban – Vu comme ça, évidemment.

Ève – C’est ton ex ?

Alban – Qui ?

Ève – Virginie ! Il n’y en a plus que deux sur Terre à part nous. À moins que tu ne préfères les hommes… Ce qui réduirait encore d’autant les chances de survie pour l’espèce humaine.

Alban – On a eu… une liaison.

Ève – Et ça n’a pas marché…

Alban – J’étais marié à l’époque, mais pas avec elle… Et puis elle me trouvait trop intransigeant.

Ève – Sans blague…

Alban – C’est elle qui a décidé de mettre fin à notre… aventure.

Ève – Une aventure ? Ça m’a toujours amusée, ce mot, pour parler d’une histoire d’amour. On imagine un couple, dans la jungle, en train de se frayer un chemin à la machette en essayant d’éviter toutes sortes de danger, pour trouver finalement un trésor enfoui dans une pyramide Inca.

Alban – Alors que le plus souvent, s’agissant d’un adultère, ça consiste seulement à louer une chambre par internet dans un hôtel sordide où on peut payer en liquide.

Ève se rapproche de lui.

Ève – Est-ce que l’amour est une aventure, je ne sais pas… Avec toi, sûrement.

Alban – Si notre histoire d’amour devait commencer sur cette planète inconnue, ça pourrait bien ressembler à ce que tu décris. Moi Tarzan, toi Jane. Mais je ne suis pas sûr d’avoir vraiment le profil pour jouer les Tarzan…

Ève – Donc tu envisages quand même la possibilité d’une aventure avec moi…

Alban – J’envisage surtout d’en finir avec tout ça. Mais si on devait s’en sortir malgré tout… Virginie et moi, c’est du passé. Comme tu dis, à quatre, ça ne laisse pas beaucoup de possibilités.

Ève – Ça me touche beaucoup, ce que tu dis là. C’est très romantique.

Alban – Je croyais que notre mission, c’était la reproduction.

Ève – Si c’est un devoir, alors… Mais ça ne fait rien, je prends…

Ève l’enlace. Virginie revient.

Virginie – J’espère que je n’interromps pas le début de quelque chose…

Ève se reprend.

Ève – La météo sera optimale dans deux heures exactement.

Virginie – Je vous conseille d’aller dormir un peu. On aura besoin de tout le monde pour faire décoller cet engin.

Alban – Vous préférez nous savoir en train de dormir, c’est ça ?

Virginie – Je m’engage à ne pas en profiter. Pour vous tuer tous les deux, je veux dire…

Elle sort. Ève se rapproche à nouveau d’Alban.

Ève – C’est peut-être la dernière fois, Alban. La dernière nuit sur cette terre. La dernière occasion pour un homme et une femme de prouver que l’amour est plus fort que tout.

Alban – Pourquoi est-ce que j’ai envie de te croire ?

Ève – Eros et Thanatos, ces deux-là feront toujours bon ménage. La perspective de mourir, ça donne envie de baiser, c’est connu.

Alban – Il paraît même que certains pendus se mettent à bander en se balançant au bout de leur corde.

Ève – Tu sais parler aux femmes, toi. Et tu te demandes encore pourquoi Virginie t’a quitté ?

Elle le prend par la main, et ils sortent.

Noir.

 

Acte 2

 

Paul et Virginie sont installés à leurs postes et s’affairent à diverses manipulations.

Virginie – Pour moi, tous les paramètres sont OK.

Paul – Pour moi aussi. Et on ne peut plus attendre. La paroi du silo de lancement est sur le point de céder. L’eau monte de minute en minute. Elle atteint déjà le bas de la fusée. Il faut lancer le compte à rebours.

Virginie – On ne les réveille pas avant ?

Paul – Pour reprendre ces polémiques stériles ? On leur a proposé de quitter l’Arche. Maintenant, qu’ils le veuillent ou non, ils seront du voyage.

Virginie – D’accord. Je déclenche le protocole. (Elle procède à quelques manipulations.) C’est parti… Plus que dix minutes avant le départ.

Paul – Je lance le missile pour nous frayer un passage à travers ce tas de merde.

Virginie – Ce tas de merde, comme tu dis, il est aussi composé de ce qui reste de l’humanité toute entière.

Paul – Oui, c’est bien ce que je disais.

Virginie – Vas-y.

Paul s’affaire à son poste, sous le regard inquiet de Virginie.

Paul – C’est parti. Impact dans 75 secondes.

Virginie – OK.

Paul – Tu vas rire, mais je n’étais pas sûr de savoir comment lancer ce missile.

Virginie – Tu vas rire toi aussi, mais je ne suis pas complètement certaine de savoir comment faire décoller ce tas de ferraille…

Paul – Une minute avant l’impact. Il faut attendre…

Un temps.

Virginie – Comment on a pu en arriver là ?

Paul – Je crois que tu l’as déjà dit. Je t’ai répondu que je ne savais pas, et tu m’as rétorqué que ce n’était pas vraiment une question.

Virginie – Comment est-ce possible qu’on n’ait pas pu arrêter ça ? C’est ça la vraie question…

Paul – Il y a eu de multiples tentatives pourtant. À chaque fois qu’une étape de plus était franchie vers cette fin du monde annoncée.

Virginie – À chaque fois les mesures prises étaient insuffisantes. Des demi-mesures faites pour régler des problèmes qui s’étaient aggravés entre-temps.

Paul – Quand elles étaient vraiment appliquées. Tous les gouvernements de tous les pays du monde trichaient.

Virginie – En mettant en avant qu’ils avaient d’autres préoccupations plus urgentes.

Paul – Faire tourner l’économie.

Virginie – Nourrir la planète.

Paul – Ne pas trop contrarier les électeurs.

Virginie – Jusqu’au moment où on a supprimé les élections.

Paul – Je crois que le début de la fin, c’est quand Donald Trump est arrivé au pouvoir. Tu te souviens ?

Virginie – Je n’étais pas encore née… mais oui, j’ai entendu parler de ça.

Paul – À partir de ce moment-là, c’était vraiment foutu.

Virginie – Quand tous les cons qui votent choisissent comme roi le plus con d’entre eux, ça ne peut que tourner mal.

Paul – Après tout a été très vite. Cette guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan, qui a déclenché la Troisième Guerre Mondiale. Les intégrismes religieux. L’instauration des dictatures. Les génocides. La famine. L’accélération du réchauffement. La montée des eaux…

Virginie – Et puis après, c’était irréversible.

Paul – Je ne sais même plus exactement qui a été à l’origine de ce programme de la dernière chance qui va peut-être nous sauver la vie aujourd’hui.

Virginie – Je crois surtout que ce programme, tout le monde l’avait oublié. C’est sans doute pour ça que par miracle, on a pu le conduire à son terme.

Paul – Au départ, il s’agissait de reconstituer une nouvelle Arche de Noé. Et puis finalement, il n’y a plus que nous.

Virginie – Tout ça est tellement absurde. Quel immense gâchis. Est-ce que ça vaut encore le coup. Ça me donne envie de pleurer…

Paul semble ému lui aussi, pour la première fois, et il a un geste de réconfort pour Virginie.

Paul – Allez… Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Virginie (retenant ses larmes) – C’est fou comme ce genre de phrases à la con reprennent soudain tout leur sens dans certaines circonstances exceptionnelles…

Paul – J’en ai d’autres si tu veux…

Virginie – Comme quoi ?

Paul – C’est après la foire qu’on compte les bouses.

Virginie – Celle-là, il faudra que tu me l’expliques…

Paul – Ça veut dire que…

Virginie – Non mais pas maintenant. Là il faut qu’on sauve l’humanité.

Paul – OK.

Virginie se reprend.

Virginie – Merci… Finalement, tu es un philosophe, Paul. Il suffisait seulement d’attendre le bon moment pour que le monde entier s’en aperçoive.

On entend un grondement sourd.

Paul – L’impact a eu lieu. Qu’est-ce que ça donne ?

Virginie observe son écran.

Virginie – La couche de débris est légèrement plus mince à l’endroit de l’explosion. Mais elle est toujours là. J’espère que ça suffira.

Paul – Il faut décoller tout de suite, on n’a pas le choix.

Alban et Ève reviennent.

Virginie – Ah, voilà Alban et Ève… (Avec un sous entendu amusé) Alors ? Bien dormi ?

Alban – J’ai été réveillé par le grondement d’une explosion. Qu’est-ce que c’est ?

Virginie – Je ne sais pas…

Alban – Ne me prenez pas pour un con.

Paul – J’ai lancé un missile, pour nous ouvrir un chemin parmi les décombres qui flottent à la surface.

Ève – Un missile ?

Alban – Je ne savais pas que nous étions à bord d’un bâtiment de combat…

Paul – Les caravelles de Christophe Colomb aussi étaient équipées de canons.

Alban – Alors vous nous aviez aussi caché ça.

Virginie – Je n’étais pas au courant, je te le jure.

Alban – Je m’oppose à ce départ. Je refuse que l’inauguration possible d’une nouvelle humanité commence par le massacre des habitants de Y214. Car j’imagine que vous savez aussi que cette planète est habitée.

Silence embarrassé.

Virginie – Paul ? Qu’est-ce que tu sais encore, que tu ne nous aurais pas dit ?

Paul – Une planète habitable est forcément habitée. La nature a horreur du vide. On ne sait pas quel est le degré de développement de cette civilisation, mais oui. Il y a… quelque chose.

Ève – Ça change tout.

Paul – Pour moi, ça ne change rien.

Ève – Mais pour moi oui.

Alban – Il ne s’agit plus simplement de trouver un refuge pour l’humanité. Il s’agit d’aller coloniser un nouveau monde, en soumettant ou en exterminant les populations autochtones.

Paul – Et qu’est-ce que tu comptes faire pour empêcher ça ?

Alban – Je pourrais te tuer.

Paul – Mais tu ne le feras pas.

Alban semble hésiter.

Alban – Alors je te propose un deal.

Paul – Tiens donc…

Alban – Je ne m’opposerai pas à ce départ. Puisque c’est ce que vous souhaitez tous les trois, j’accepte de vous laisser partir. Et même de partir avec vous et de faire tout mon possible pour que ce voyage réussisse.

Paul – Mais…

Alban – J’exige que tous les missiles soient lancés avant notre départ.

Ève – Moi aussi. Si nous survivons, je refuse que ce soit au prix d’un nouveau massacre.

Virginie – Je suis d’accord. Nous ne pouvons pas reconstruire une civilisation sur les décombres de celle que nous aurions détruite pour prendre sa place.

Ève – On essayera de s’entendre avec cette population autochtone. Sinon, c’est nous qui périrons.

Paul semble hésiter.

Paul – D’accord.

Alban – Alors lance les maintenant.

Paul – OK. C’est parti pour le bouquet final. De toutes façons, il faut se frayer un passage à travers tous ces déchets. Et le premier tir n’a pas suffit.

Paul procède à diverses manipulations.

Ève – Quels déchets ?

Virginie – Je t’expliquerai…

Paul – Impact dans dix secondes. Je m’améliore…

Silence de mort. On entend quelques grondements lointains.

Virginie – Alors ?

Paul – Je crois que maintenant, la voie est libre.

Virginie – Parfait… Départ dans quatre minutes et vingt-et-une secondes.

Alban – Ce n’est pas tout.

Paul – Quoi encore ?

Alban – Que nous survivions tous, ça ne me pose pas de problème.

Paul – Merci de ta générosité.

Alban – Pourvu que l’humanité disparaisse avec nous.

Paul – Tiens donc… Et qu’est-ce que tu proposes ?

Alban sort une fiole qu’il tend à Paul.

Alban – La stérilisation chimique définitive.

Paul – C’est une blague ?

Alban – Je suis médecin, vous le savez. On avait mis au point ce produit pour limiter les naissances en Inde. C’est absolument indolore et c’est efficace à cent pour cent.

Virginie – Ce n’est pas drôle, Alban.

Alban – Ce n’est pas une plaisanterie.

Ève – Tu vas trop loin.

Alban – J’ai toujours pensé que l’humanité ne méritait pas d’exister. Aujourd’hui, sa survie est entre mes mains. Je ne laisserai pas échapper cette occasion unique d’en terminer avec le genre humain.

Paul – Et tu n’as rien trouvé de mieux ?

Alban – Je ne me satisferai pas d’une promesse. Je suis médecin, je peux procéder à ma propre stérilisation et à celle de Paul.

Paul – Alors comme ça, tu veux me castrer ? Tu te prends pour un vétérinaire, et tu me prends pour un clebs ?

Virginie – Je crois qu’il se prend pour Dieu. Ça a toujours été ça, son problème.

Alban – J’ai seulement parlé de stérilisation… Tu resteras un homme, rassure-toi.

Paul – Monsieur est trop bon…

Ève – Tu es devenu fou, Alban. Comment peux-tu proposer une horreur pareille ?

Virginie – Non, Alban, nous n’accepterons pas de vivre pour être les derniers des Mohicans. Si ça doit arriver, ça arrivera. Mais ça ne peut pas être un choix. En tout cas, ce n’est pas le mien. Oui, l’humanité est capable du meilleur comme du pire. Cela s’appelle la liberté. Et on n’a rien trouvé de mieux que la liberté pour que la vie mérite d’être vécue. Qu’est-ce que tu voudrais ? Qu’on soit seulement guidés par nos instincts, comme des animaux ? Qu’on soit tous parfaits, comme seuls des robots peuvent l’être ? Oui, l’humanité, si elle survit, reproduira sans doute les mêmes erreurs. Les mêmes monstruosités.

Alban – Même Auschwitz ?

Ève – Peut-être Auschwitz. Peut-être pas. Ça s’appelle le libre arbitre. Et c’est le propre de l’homme.

Alban – D’accord, on avait le choix de faire de cette terre un paradis ou un enfer. Et qu’a-t-on fait ?

Paul sort un pistolet d’allure futuriste.

Paul – Maintenant ça suffit.

Virginie – Où as-tu trouvé cette arme ?

Paul – Tu veux mourir, je vais exaucer tes vœux. Mais tu ne nous empêcheras pas de vivre.

Alban – Tu es sûr de savoir te servir de ça ? Attention, tu pourrais te blesser…

Virginie – Il ne plaisante pas, Alban. Il sait se servir d’une arme, et il s’est déjà servi de celle-ci pour éliminer ceux qui se sont mis en travers de sa route. Il était membre de la police militaire.

Alban – Un flic, j’aurais dû m’en douter…

Paul met Alban en joue.

Ève – Ne tire pas ! Il est fou, mais il ne mérite pas de mourir. Et si je comprends bien, tu ne vaux pas mieux que lui.

Virginie – Tu vas le tuer, et après, qu’est-ce que tu feras ? Tu vas nous tuer aussi ?

Ève – Quand tu seras le dernier représentant de l’espèce humaine dans l’univers, et qu’il n’y aura plus personne pour te contredire, tu crois que tu seras plus avancé ?

Virginie – On ne peut pas se passer de lui, Paul. On ne peut se passer de personne. Deux couples, c’est le minimum pour espérer sauver l’espèce humaine.

Ève – Et tout simplement pour survivre dans un environnement très difficile. Tu trouves qu’on est trop nombreux comme ça ?

Virginie – Je te rappelle qu’il est médecin. Tu pourrais bien regretter de l’avoir tué le jour où tu seras blessé ou malade.

Paul semble hésiter.

Paul – Tu as de la chance d’avoir ton fan club… Attachez-le.

Virginie s’approche pour l’attacher.

Virginie – Désolée, tu ne nous laisses pas le choix.

Paul – En tout cas il faut faire vite maintenant. Où en est le compte à rebours ?

Profitant d’un instant d’inattention, Alban se jette sur Paul et après une brève lutte, parvient à lui arracher son pistolet, avec lequel il le met en joue.

Alban – Arrête tout de suite le protocole de départ. On ne va nulle part.

Virginie manipule quelques boutons.

Virginie – Procédure interrompue.

Alban pointe son arme vers Paul.

Ève – Ne tire pas !

Alban – Donne-moi une bonne raison de ne pas tirer !

Ève – Je suis enceinte.

Alban, qui fixait Paul, se tourne vers Ève.

Alban – De lui ?

Ève – Mais non, pas de lui ! Tu m’imagines baiser avec cet abruti ?

Paul – Merci…

Alban – De moi ?

Ève – On vient à peine de faire l’amour ensemble. Comment je pourrais affirmer être enceinte de toi ? Tu es sûr que tu es vraiment médecin ?

Paul – Tiens donc… Il voulait me stériliser, et il a déjà engrossé la moitié de l’équipage…

Alban – Alors tu es enceinte de qui ?

Ève – De mon mari, tout simplement. Il devait partir avec moi. Il est mort il y a un trois semaines. C’est toi qui as pris sa place…

Paul – Mais quand tu dis qu’il l’a remplacé, tu veux dire…?

Ève – Toi tu la fermes, ou sinon, je te jure que c’est moi qui vais te tuer.

Paul ne prend pas cette menace à la légère. Alban est déstabilisé.

Paul – Depuis quand est-ce que tu le sais ?

Ève – Un mois. Vu les circonstances, je ne pensais pas nécessaires de vous en informer.

Virginie – C’est un signe, Alban. Est-ce que tu vas condamner cet enfant, ou lui donner une chance de vivre ? Tu es médecin…

Alban hésite avant de baisser son arme.

Alban – D’accord, je vais coopérer… De toute façon, on n’a que très peu de chances de survie, même en conjuguant nos efforts.

Virginie – Je relance le protocole.

Ève – Je vais au poste de pilotage supérieur.

Alban – Je t’accompagne.

Ils sortent. Les deux autres se mettent au travail pour préparer le décollage.

Paul – Donc Alban et Ève sont en couple. Ça devait arriver.

Virginie – Oui. Mais Ève est déjà en cloque, et ce n’est pas Alban le père. Ce n’est pas très catholique, tout ça…

Paul – Jésus non plus n’était pas le fils de son père.

Virginie – Et dire que ces gens-là nous auront fait la morale jusqu’au bout…

Paul – En tout cas maintenant, on n’a plus le choix… Je veux dire, nous deux…

Virginie – C’est la pire déclaration que j’ai jamais entendue.

Paul – Paul et Virginie, on était fait pour se rencontrer, non ?

Virginie – Mais si je me souviens bien, Paul et Virginie, ça ne se termine pas très bien…

Paul – Ah oui ? Remarque, au point où on en est…

Virginie – Tu as raison… Une histoire qui commence aussi mal que la nôtre, est-ce que ça peut vraiment se terminer encore plus mal ?

Noir.

 

Acte 3

 

Paul, Virginie, Alban et Ève sont à leurs postes, concentrés sur les préparatifs du décollage.

Paul – Cette fois, on y est. C’est le moment de vérité.

Ève – Trente secondes avant le décollage.

Effets spéciaux sonores et lumineux pour marquer la mise à feu.

Virginie – Les quatre réacteurs sont allumés.

Paul – Tous les voyants sont au vert.

Ève – C’est parti.

Alban – La fusée est sortie du silo.

Virginie – On accélère.

Ève – On est à moins de cent mètres de la surface.

Virginie – On va traverser la couche de décombres qui flottent encore au-dessus de nous. Ça va secouer un peu…

Nouvelles perturbations.

Paul – On a franchi l’obstacle. On est dans l’atmosphère terrestre !

Virginie – J’espère que la structure n’a pas trop souffert, et que la carlingue n’est pas endommagée.

Alban – Tous les paramètres sont OK. Nous prenons de l’altitude.

Ève – Nous sommes à cinq mille pieds.

Virginie – Nous quittons l’atmosphère de la Terre.

Moment d’émotion, ils échangent un regard à la fois soulagé et grave.

Alban – Regardez bien cette planète s’éloigner. Cette Terre dont nous avons fait un gigantesque cimetière, c’est la dernière fois que vous la voyez.

Ève – Et nos enfants ne la verront jamais plus.

Virginie – Pas avant des centaines de générations en tout cas, avant que les hommes, s’ils parviennent à survivre, soient en mesure de reconstruire un engin de ce type.

Paul – Il faudra pour ça rebâtir une civilisation. Une industrie.

Ève – En veillant à ce que cette révolution industrielle ne nous conduise pas au bord du même précipice.

Paul – Nous avons quitté la zone d’attraction terrestre. Je branche la gravité artificielle.

Virginie – La Terre est déjà loin. Nous allons contourner la Lune.

Ève – Le sort de l’humanité est entre nos mains.

Alban – Pour le meilleur ou pour le pire. À nous de choisir.

Même Paul semble ému. Il se rapproche pour lui tendre la main.

Paul – Sans rancune, Docteur.

Alban accepte de lui serrer la main.

Alban – Vous pouvez compter sur moi.

Ève – On n’a pas le choix, il va falloir s’entendre.

Paul – J’ai conscience de la responsabilité qui est la nôtre. Moi aussi, j’ai perdu toute ma famille. Mes amis.

Alban – Il faudra qu’on écrive tout ça dans un livre, pour les générations futures. Pour éviter qu’elles ne reproduisent les mêmes erreurs.

Virginie – Mais est-ce qu’elles nous croiront ?

Ève – En fait, tout ça, tout ce qui nous arrive, c’était déjà écrit dans la Bible. Le déluge, l’Arche de Noé…

Virginie – On a pris ça pour des contes à dormir debout…

Ève – Même sans croire en Dieu, on aurait dû comprendre la portée symbolique de ce livre qui nous vient de la nuit des temps.

Alban – Comment faire pour que notre message à nous parvienne intact jusqu’à ceux qui nous succéderont. Dans des milliers voire des millions d’années…

Paul – Je ne sais pas.

Virginie revient à son poste de commandement.

Virginie – J’ai branché le pilotage automatique.

Paul – J’ai réussi à sauver une bouteille de champagne russe.

Virginie lui lance un regard réprobateur.

Virginie – Tu crois vraiment qu’il y a lieu de fêter ça ?

Paul – Tu as raison, on le débouchera en arrivant.

Ève – Maintenant il va falloir rejoindre les caissons d’hibernation. Pour économiser nos réserves en oxygène. On en aura besoin à l’arrivée.

Alban – Si on se réveille un jour. Parce que beaucoup de choses peuvent arriver pendant un voyage de quelques milliers d’années, dans un vaisseau qui va à la vitesse de la lumière.

Virginie – Et si nous nous réveillons, reste à savoir si ce sera au paradis ou en enfer…

Ève – En attendant, c’est l’ordinateur de bord qui gérera tous les problèmes qui pourraient survenir, et qui prendra les décisions à notre place.

Alban – Espérons que lui, au moins, ne se trompera pas.

Virginie – Alors c’est le moment de se dire au revoir.

Ève – Ou adieu…

Ils se serrent l’un l’autre dans les bras.

Alban – Bonne chance.

Ève – Et à la grâce de Dieu.

Alban – Je ne crois pas en Dieu. Mais j’espère que lui croit en nous.

Virginie – On ne va pas tarder à le savoir.

Alban – Alors rendez-vous… dans seize mille ans. Peut-être…

Noir.

 

Acte 4

 

Alban et Ève se réveillent lentement de leur sommeil.

Ève – Alban ?

Alban – Ève ?

Ève – Tout va bien ?

Alban – Il me semble.

Ève – En tout cas, on est toujours en vie.

Alban – Oui… Enfin, je crois…

Ève – C’est curieux. Je me sens en pleine forme.

Alban – Moi aussi. Je ne me suis jamais senti aussi bien.

Ève – Peut-être que ça n’a pas marché…

Alban – Quoi ?

Ève – L’hibernation. On a dormi combien de temps ?

Alban – Je ne sais pas… J’ai l’impression d’avoir dormi une heure.

Ève regarde un cadran.

Ève – On a dormi exactement… seize mille deux cent quatorze ans sept mois trois semaines deux jours et une heure.

Alban – Ah oui quand même…

Ève – C’est ce qui s’appelle une grasse matinée.

Alban – Je ne te demande pas quel jour on est.

Ève – Sur Terre, on serait vendredi.

Alban – Mais tout ça… ça ne veut plus rien dire du tout.

Ève – Notre planète d’origine est à des milliers d’années lumière, et toute vie a probablement disparu de sa surface.

Alban – On est déjà arrivés à destination ?

Ève – Pas tout à fait. L’ordinateur de bord devait nous réveiller à l’approche de ce nouveau système solaire, 24 heures avant d’entrer dans l’atmosphère de Y214.

Alban – Et les deux autres ?

Ève – Ils dorment encore, apparemment.

Alban – Ce serait le bon moment pour s’en débarrasser. (Elle lui lance un regard réprobateur.) Je plaisante.

Ève – On va attendre encore un peu. La cryogénisation, c’est un processus très délicat. Mieux vaut ne pas brusquer les choses.

Alban – Et ton enfant ? Il bouge encore, lui aussi.

Ève – Ce n’était qu’un embryon quand on a congelé sa mère il y a seize mille ans. Il ne va pas bouger avant un certain temps.

Alban – La plus longue gestation de l’histoire de l’humanité… Comment est-ce qu’on l’appellera ?

Ève – Pas Caïn, en tout cas. Mais il faut encore lui trouver une terre d’accueil.

Alban – Y214… On devra lui trouver un nom aussi, à notre planète…

Ève – Tout de même… C’est un moment extraordinaire. Pour la première fois, des hommes vont entrer en contact avec une forme de vie totalement inconnue.

Alban – C’est excitant, c’est vrai. Et ça fait peur aussi…

Ève – J’ai l’impression d’être Christophe Colomb quelques heures avant de débarquer en Amérique.

Alban – L’Amérique, c’était quand même la même planète.

Ève – Est-ce que nous on va pouvoir s’adapter ?

Alban – Et est-ce que cette planète et ses éventuels habitants vont pouvoir s’adapter à nous ? Ne serait ce qu’aux virus qu’on transporte inévitablement avec nous.

Ève – On ne va pas tarder à le savoir.

Alban – Ç’aurait pu être un moment merveilleux. Mais il a fallu que l’Homme mette fin à l’humanité pour en arriver là.

Ève – On s’approche de la première planète de ce système solaire. Apparemment, elle est totalement inhabitable. Trop loin de son étoile.

Alban – Tout confirme que Y214 est bien habitable. L’atmosphère et la pesanteur sont très similaires à celles de la Terre. Une pesanteur légèrement moindre. Mais c’est infime.

Ève – Comment perdre quelques kilos sans effort… Il suffit de changer de planète.

Alban a un geste tendre envers elle.

Alban – Tu es très bien comme ça. Seize mille ans, et pas une ride…

Ève – Merci…

Ils s’embrassent.

Alban – Il faudrait peut-être les réveiller.

Ève – Vas-y… Je vais superviser la navigation. On se rapproche de notre destination finale… Si l’ordinateur ne nous a pas perdus en route. Le système de localisation est en panne pour l’instant…

Alban s’approche du caisson où repose Virginie.

Alban – J’ai l’impression d’aller réveiller la Belle au Bois Dormant.

Ève – Je t’interdis de l’embrasser…

Il se penche sur le caisson.

Alban – Non…

Ève – Quoi ?

Alban – Il n’y a personne dans le caisson.

Ève – Ce n’est pas possible…

Ève s’approche du caisson où est supposé reposer Paul.

Ève – Personne non plus…

Alban – Ils seraient déjà réveillés ?

Ève – Ils sont peut-être là-haut…

Alban – Je vais aller voir.

Ève – Ne me laisse pas seule trop longtemps, parce que c’est vraiment flippant. Tu ne veux pas que je vienne avec toi ?

Alban – Il faut que quelqu’un reste aux commandes.

Il sort. Ève s’affaire aux commandes. Elle semble surprise, puis inquiète. Elle manipule divers instruments de bord.

Ève – Et merde…

Alban revient au bout d’un instant, la mine défaite.

Ève – Alors ?

Alban – Oui, ils sont là-haut…

Ève – Mais…?

Alban – Ils sont morts.

Ève – Morts ? Dis-moi que tu n’y es pour rien.

Alban – Je n’y suis pour rien.

Un temps.

Ève – Mais morts comment ? Depuis combien de temps ?

Alban – Je ne sais pas exactement. Visiblement depuis très longtemps. Je te passe les détails…

Ève – Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Alban – Je ne sais pas. Quelque chose n’a pas dû fonctionner dans leur hibernation. Le processus a été interrompu accidentellement. Ils se sont sans doute réveillés alors que le vaisseau était à mi-distance.

Ève – Impossible de revenir en arrière, et un délai beaucoup trop long pour parvenir à destination vivants.

Alban – Ils ont survécu pendant quelques temps, quelques mois, quelques années, et puis ils sont morts.

Ève – Ils n’ont pas pu se remettre en hibernation. Ils sont morts de vieillesse.

Alban – C’est dingue… Ils auraient pu nous réveiller… Nous tuer… Il ne restait que deux caissons en état de marche.

Ève – Ils auraient pu nous sacrifier pour s’en sortir à notre place.

Alban – Ils ne l’ont pas fait. Ils nous ont laissés dormir pendant seize mille ans.

Ève – Tu vois. Les hommes sont parfois capables du meilleur.

Alban – Oui… Ou alors c’est elle qui l’en a empêché.

Ève – On ne saura jamais ce qui s’est passé exactement.

Alban – J’espère au moins qu’on trouvera une terre où les ensevelir.

Un temps.

Ève – Alors maintenant, nous sommes vraiment seuls dans l’univers… Seuls avec cet enfant que je porte dans mon ventre.

Alban – Heureusement qu’il n’est pas de moi. Si on en fait un autre et qu’on compte sur eux pour perpétuer l’espèce, au moins ce ne sera que la moitié d’un inceste.

Ève – Au point où on en est, on n’est plus à ça près.

Alban – Et puis la Bible n’était pas si regardante là-dessus… Pour perpétuer l’espèce, les enfants d’Adam et Ève ont bien dû se marier ensemble, non ?

Ève continue de regarder ses instruments.

Ève – Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

Alban – Quoi ?

Ève – On n’est pas où on devrait être.

Alban – On est où, alors ?

Ève – Les instruments de mesure et de navigation ne fonctionnent plus. On n’a presque plus d’électricité. Impossible de savoir où on est.

Alban – Et encore moins où on va…

Ève – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Alban – Il n’y a plus qu’à attendre. Le pilotage automatique fonctionne encore. On verra bien où il nous conduit.

Ève – Espérons que ce sera à bon port…

Noir

 

Acte 5

 

Alban et Ève sont installés chacun à leur poste de commande. Ils sont concentrés sur leurs tâches et ils ont l’air soucieux.

Ève – Nous venons d’entrer dans l’atmosphère de cette planète inconnue. Et nous sommes sous l’emprise de son attraction.

Alban – Même si la plupart de nos instruments sont pour l’instant hors d’état de fonctionner, la procédure automatique d’atterrissage semble se dérouler normalement.

Ève – J’ai réussi à remettre en état un des panneaux solaires. Les batteries commencent à charger. On ne devrait pas tarder à recevoir des informations.

Alban – Il serait temps, parce que le sol se rapproche très rapidement.

Ève – Si nous atterrissons sur un astre mort, ce sera la fin. Nous n’avons plus de carburant, il sera impossible de repartir ailleurs. Cette planète sera notre refuge ou notre tombeau.

Alban – Espérons qu’il s’agit bien de Y214…

Ève – Ce serait un miracle que l’ordinateur de bord ait trouvé une autre planète habitable.

Alban – Nous ne sommes plus qu’à 10.000 mètres de la surface. On commence à distinguer quelque chose à l’œil nu.

Ève – Ça ressemble à un grand océan, avec quelques terres émergées.

Alban – Reste à savoir si cet océan est bien constitué d’eau, si cette atmosphère est respirable, et si ces terres sont habitables

Ève – Habitables par des êtres humains comme nous, tu veux dire. Cette planète peut très bien être habitée par une forme de vie qui aurait su s’y adapter, mais être totalement invivable pour des organismes comme les nôtres.

Alban – On distingue quelques taches de couleur. Du vert, principalement.

Ève – De la végétation ?

Alban – Peut-être. S’il y a de la végétation, il y a peut-être aussi des animaux.

Ève – Voire même une forme de vie intelligente.

Alban – Par intelligente, tu veux dire une espèce comme la nôtre, capable de détruire sa propre planète d’origine en l’espace de quelques siècles ?

Ève – Disons une espèce raisonnable, alors.

Alban – On commence à distinguer les détails.

Ève – Oui, c’est bien ça. Un immense océan, parsemé d’îles, avec une végétation luxuriante.

Alban – On ne voit pas de traces de civilisation…

Ève regarde un écran.

Ève – Ça y est, les batterie sont suffisamment chargées. L’ordinateur de bord commence à envoyer des informations.

Alban – Et alors ?

Ève – C’est incroyable à quel point cette planète ressemble à la Terre.

Alban regarde l’écran par dessus l’épaule d’Ève.

Alban – Elle a exactement les mêmes caractéristiques.

Ève – Oui… On dirait qu’elle matche à 99%. C’est incroyable…

Alban – Il y a un problème ?

Ève – Si on veut…

Alban – Quoi ?

Ève – L’ordinateur a pu enfin nous localiser.

Alban – Et ?

Ève – Nous ne sommes pas où nous devrions être.

Alban – On n’est pas sur Y214 ?

Ève – Pendant notre sommeil, l’ordinateur de bord a dû juger que la planète que nous visions n’était finalement pas habitable. Et il a décidé de changer le plan de vol.

Alban – Ou alors c’est eux…

Ève – Eux ?

Alban – Paul, Virginie… Ils se sont rendus compte que ce voyage nous conduisait à la mort, et ils ont changé de route.

Ève – Dans ce cas, ils ont décidé de rebrousser chemin.

Alban – Rebrousser chemin ?

Ève – Ce système, c’est notre système solaire. La planète que nous avons dépassée tout à l’heure, c’est Neptune. Et notre destination, c’est la Terre.

Alban – La Terre ?

Ève – Nous allons atterrir dans quelques minutes. Après un périple de seize mille ans dans la galaxie.

Alban – Tout ça pour ça… Alors finalement, nous revenons pour mourir sur cette terre qui nous a vus naître…

Ève – Pas sûr…

Alban – Quoi ?

Ève – D’après les informations que je reçois, pendant ces seize mille ans, la planète est redevenue habitable.

Alban – La Terre n’est plus seulement un vaste océan. On distingue clairement un chapelet d’îles.

Ève – Les calottes glaciaires se sont un peu reconstituées aux pôles.

Alban – Quelle est la température au sol ?

Ève – Encore dans les 80 degrés à l’équateur, mais tempérée ailleurs… Une vingtaine de degrés sur l’île où l’ordinateur a décidé de nous poser.

Alban – L’océan n’est plus en ébullition.

Ève – La planète est habitable. Partiellement, en tout cas…

Alban – Habitable… mais plus habitée.

Ève – Non… Apparemment, il n’y a plus personne… Aucune trace de vie humaine…

Alban – Quelques animaux, peut-être.

Ève – Des poissons, probablement. Certaines espèces qui auraient survécu à des profondeurs extrêmes. Et qui redeviendraient peu à peu amphibies.

Alban et Ève regardent ensemble vers un hublot imaginaire situé côté spectateurs.

Alban – Il faudra tout recommencer à zéro.

Ève – En essayant de ne pas refaire les mêmes erreurs…

Alban – J’aperçois l’endroit où nous allons nous poser. On voit même un palmier.

Ève – Tu es sûr que ce n’est pas un pommier ?

On entend un grondement, et un signal d’alerte clignote.

Alban – C’est quoi, ça ?

Ève – Le pilotage automatique ne répond plus. Je vais passer en manuel.

Alban – On va essayer de se poser en douceur.

Ils s’affairent tous les deux à leurs postes de commande. On entend un nouveau grondement et un nouveau signal d’alerte.

Ève – Qu’est-ce qui se passe encore ?

Alban – Les commandes manuelles ne répondent plus non plus.

Ève – L’Arche est devenue incontrôlable. Sa trajectoire est modifiée. Si on ne s’éjecte pas maintenant, on va se retrouver au beau milieu de l’océan…

Alban – La navette ne résistera pas à l’impact.

Ève – Au mieux on sera naufragés au milieu de cet océan, sans moyens de regagner une côte.

Alban – Qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Il faut s’éjecter. Finir la descente en parachute.

Alban – Alors adieu les derniers vestiges de la civilisation d’avant. On arrivera sur Terre dans le plus simple appareil.

Ève – Presqu’en tenue d’Ève et d’Adam.

Ils se lèvent pour endosser leurs parachutes, et s’approchent au devant de la scène, comme si c’était de ce côté qu’ils allaient sauter. Ils se donnent la main.

Alban – Bienvenue au Jardin d’Eden. Prête à réinventer l’humanité avec moi ?

Ève – Si on s’en sort, à nous de décider si nous ferons à nouveau de cette terre un enfer ou un paradis.

Ils font encore un pas en avant et se figent.

Alban – Go ?

Ève – Go !

Noir

Fin

  

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.
Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Avignon – Août 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-271-4

Ouvrage téléchargeable gratuitement

 

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À cœurs ouverts

Open Hearts – A corazón abiertoCorações abertos

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

Jusqu’à 24 personnages (hommes et femmes)
Dans un bistrot situé en face d’un hôpital, et tenu par un drôle de patron, se croisent les destins d’hommes et de femmes à la recherche d’un cœur à prendre. Pour une transplantation, ou plus si affinité…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

À cœurs ouverts

Scène 1

Un bistrot. Le patron est derrière son bar, en train d’essuyer des verres. Une femme arrive, ne respirant pas la joie de vivre. Sans un regard vers lui, elle vient s’installer au comptoir. Le patron l’observe un instant du coin de l’œil.

Patron – Madame… Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

Elle – Vous avez de l’arsenic ?

Patron – C’est pour emporter ou pour consommer sur place ?

Elle – J’hésite encore…

Patron – Prenez un café en attendant. Avec un petit calva, ça vous remontera. Le calva c’est pour moi.

Elle – Un calva ? À cette heure-ci ?

Patron – Sachez que le calva est connu depuis l’Antiquité pour ses vertus antidépressives. J’en prescris tous les jours à mes clients, et personne ne s’est encore suicidé jusqu’à maintenant.

Elle – C’est gentil, mais je me contenterai du café. Je travaille à l’hôpital, juste en face.

Il lui prépare son café.

Patron – Aide-soignante… Ça ne doit pas être marrant tous les jours…

Elle – Chirurgien.

Patron – Ah… Pardon Docteur…

Elle – C’est un peu mieux payé, mais ce n’est pas forcément plus marrant.

Patron – Je vois ça…

Elle – Et encore, je ne vous parle que de mon boulot. Heureusement que je bosse jour et nuit. Ne pas avoir de vie privée, ça n’a pas que des inconvénients, vous savez… quand on a une vie de merde…

Il lui tend un journal.

Patron – Jetez un coup d’œil à votre horoscope, il prévoit peut-être une amélioration passagère.

Elle jette un regard au journal.

Elle (lisant) – « Vous donnerez votre cœur à un inconnu »…

Elle repose le journal sur le comptoir.

Patron – C’est une bonne nouvelle, non ?

Elle – Ça dépend.

Patron – Il ne faut pas donner son cœur à n’importe qui, c’est sûr.

Elle – Et surtout, il vaut mieux le donner de son vivant.

Patron – Je ne suis pas sûr de vous suivre…

Elle – « Vous donnerez votre cœur à un inconnu »… Regardez, ce n’est pas à la rubrique amour, c’est à la rubrique santé…

Patron – Ça doit être une erreur…

Elle – J’ai un patient qui attend une transplantation cardiaque. Il nous manque juste un donneur en bonne santé. Mais mort de préférence.

Patron – Ah oui…

Elle – On ne peut rien faire d’autre que d’attendre… Il faudra que quelqu’un meurt pour qu’un autre vive.

Patron – C’est le destin…

Elle – Un accident est si vite arrivé. Après tout ce sera peut-être moi. Puisque c’est dans mon horoscope.

Il pose le café devant elle.

Patron – Décidément, vous êtes de nature optimiste…

Elle – Je n’ai pas eu d’enfant, ce serait ma dernière chance de donner la vie…

Patron – Vous êtes vraiment sûre que vous ne voulez pas ce calva ?

Elle – Jamais pendant le service… Si un donneur se présente et que je dois opérer dans une heure…

Patron – Si c’est vous le donneur, il n’y aura plus personne pour faire cette opération.

Elle – En matière de transplantations cardiaques, ce sont les donneurs qui manquent, pas les chirurgiens. Ce genre d’opérations, ça reste exceptionnel. J’en connais qui seraient prêts à tuer pour réaliser leur première transplantation.

Patron – Bon, alors c’est moi qui vais le boire ce calva, et je vous offre le café.

Elle – Vous êtes un drôle de cafetier. Ce n’est pas comme ça que vous allez faire des affaires.

Le patron se sert un calva et le boit cul sec.

Patron – Il y a longtemps que j’ai renoncé à l’idée de faire fortune. Et puis je n’offre pas le café à tout le monde, vous savez…

Elle – Pourquoi moi ? On ne peut pas dire que je sois d’un commerce agréable…

Patron – Je me suis toujours méfié des gens trop aimables. J’ai mes têtes, c’est tout. Il y en a qui me reviennent et d’autres pas.

Elle – En somme, j’ai de la chance, alors…

Patron – Remarquez, on ne se connaît pas… C’est peut-être moi, votre bel inconnu…

Elle – Allez savoir… Bon, il faut que je file…

Patron – Encore une vie à sauver ?

Elle – Non, mais je suis garée sur une place « handicapé ».

Patron – Avec votre caducée sur le pare-brise, vous pouvez vous garer n’importe où sans avoir d’amende, non ? Rien que pour ça, j’aurais aimé faire médecine.

Elle – Merci pour le café…

Patron – Faites bien attention en traversant la rue.

Elle – On vient à peine de se rencontrer, et vous êtes déjà une mère pour moi. Si je suis encore célibataire dans dix ans, faites-moi penser à vous épouser.

Patron – Hélas… qui aurait envie d’épouser sa mère ? (Elle sort) C’est le drame de ma vie…

Noir

Scène 2

Le patron est derrière son comptoir. Il lit le journal. Un homme et une femme arrivent. Ils s’asseyent à une table.

Elle – Je te préviens, je n’ai pas beaucoup de temps… Je reprends mon service dans une heure. Et mon patron n’attend qu’une occasion pour me virer…

Lui – Merci de me sacrifier ta pause déjeuner.

Elle – Non, mais je ne te sacrifie rien… (Regardant la carte) Je vais manger quelque chose. Pas toi ?

Lui – Si, si, bien sûr, je veux dire… Merci d’avoir accepté de déjeuner avec moi.

Elle repose la carte. Un temps.

Elle – Donc, tu avais quelque chose à me dire…

Lui – Oui…

Silence embarrassé.

Elle – Je t’écoute…

Le patron lance un regard intrigué vers eux.

Lui – Je ne sais pas trop comment te dire ça…

Elle – Comme on n’a pas trop le temps, je vais t’aider un peu… Tu veux sortir avec moi, c’est ça ?

Lui (pris de court) – Oui, enfin…

Le patron arrive, interrompant cette scène un peu pathétique.

Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?

Elle – Une salade niçoise… sans anchois et sans thon.

Lui (pour plaisanter) – Un jambon beurre… sans beurre. (La femme ne rit pas et le patron lui lance un regard glacial.) Non, je déconne. Un jambon beurre, s’il vous plaît.

Patron – Une niçoise et un Paris-beurre. C’est parti.

Le patron repart.

Elle – Tu manges de la viande ?

Lui – Euh… oui. Enfin, non.

Elle – Mais tu manges du jambon…

Lui – Oui, mais… Du jambon, ce n’est pas vraiment de la viande, si ?

Elle – Tu as vu la dernière enquête de L214 sur l’élevage des cochons en cages ?

Lui – Non.

Elle – Je pense que si tu l’avais vue, tu ne mangerais plus de jambon…

Lui – Excuse-moi, je… Je ne savais pas…

Elle – C’est ce que disaient les Allemands après la guerre au sujet des camps.

Lui – Qu’est-ce qu’ils disaient ?

Elle – Je ne savais pas…

Lui – D’accord… donc… tu es végétarienne.

Elle – Vegan.

Lui – OK…

Elle – Tu ne connais pas la différence, c’est ça ?

Lui – Non.

Elle – Je ne mange aucun produit d’origine animale. Je ne porte pas de cuir, non plus. Pas de fourrure, évidemment.

Lui – De ce temps-là…

Elle – Pardon ?

Lui – Non, je veux dire… Moi non plus, je ne porte pas de fourrure. C’est déjà un début, non ?

Elle – Écoute, je vais être franche avec toi, je ne pourrai jamais sortir avec un type qui bouffe du jambon. Mais on peut être amis, si tu veux… On n’est pas sectaires, non plus.

Lui – C’est si grave que ça ? Je veux dire… C’est juste une tranche de jambon.

Elle – Tu sais dans quelles conditions il a été élevé, ce cochon ? Comment il a vécu ? Dans quelles conditions il a été abattu ?

Lui – Non.

Elle – Tu as déjà visité un élevage de porcs ?

Lui – Non.

Elle – Tu as déjà visité un abattoir ?

Lui – Non… et toi

Elle – Moi non plus, mais j’ai vu beaucoup de vidéos là-dessus.

Lui – OK… Non, mais… je n’y tiens pas plus que ça, moi, au jambon… Enfin, je veux dire… à la viande en général.

Elle – Donc, tu pourrais devenir vegan, juste pour sortir avec moi ?

Lui – Pourquoi pas ? Bien sûr ! Absolument…

Elle – Et si j’étais musulmane ou juive, que je te demandais de ne plus manger de porc et de te convertir à ma religion, tu le ferais ?

Lui – Tu es musulmane ?

Elle – C’est juste une supposition. Alors ?

Lui – Je ne sais pas… Peut-être… Je suis catholique, mais… C’est comme pour la viande, je n’y tiens pas plus que ça…

Elle – Tu es vachement influençable, en fait.

Lui – Ou alors… je tiens vachement à sortir avec toi.

Elle – Ouais… mais ce ne serait pas par conviction.

Lui – Que je sortirais avec toi ?

Elle – Que tu arrêterais la viande ! Ce serait juste pour sortir avec moi.

Lui – Oui, enfin…

Elle – Et dès que je t’aurais largué, tu te remettrais à bouffer de la viande.

Lui – On ne sort pas encore ensemble, et tu envisages déjà de me larguer ?

Un temps.

Elle – C’est quoi ta pire expérience alimentaire ?

Lui – Pardon ?

Elle – Le pire repas de ta vie, si tu préfères.

Lui (plaisantant) – J’espère que ça ne va pas être celui-ci… (Elle reste à nouveau de marbre) Non, je… Je ne sais pas…

Elle – Eh bien moi, je peux te le dire.

Lui – OK.

Éventuellement musique mélodramatique pendant le récit de cet épisode traumatique.

Elle – Je devais avoir une dizaine d’années. On était invités avec mes parents chez des amis à eux. Un médecin et sa femme. Ce n’était pas vraiment des amis, en fait. C’était juste nos nouveaux voisins. Ma mère les avaient invités une première fois pour leur souhaiter la bienvenue dans le quartier, et ils nous rendaient l’invitation. Mes parents sont des gens très simples. Ça devait les flatter d’être invités à dîner chez un chirurgien. Ils s’attendaient sans doute à ce que ces grands bourgeois mettent les petits plats dans les grands. Donc on prend l’apéro, on bavarde un peu et on se met à table. C’est vrai que la vaisselle était en porcelaine, et la nappe d’une blancheur immaculée. Il y avait tellement de couverts sur la table qu’on se demandait lequel prendre pour commencer. Arrive le plat principal, après une salade verte, et qu’est-ce que le chirurgien met sur la table ?

La musique s’arrête brusquement.

Lui – Tu me fais peur…

Elle – Un cœur !

Blanc.

Lui – Un cœur  humain ?

Elle – Non quand même… Enfin je ne crois pas. Un cœur de bœuf, j’imagine.

Lui – Un cœur de bœuf… Je ne savais même pas que ça se mangeait… Le mou, à la rigueur… Pour les chats… C’est du poumon, je crois… Mais un cœur !

Elle – Et ces deux sadiques ont encore le culot de nous demander si on aimait ça.

Lui – Et alors ?

Elle – Mes parents sont des gens extrêmement polis… Alors invités chez un docteur, tu penses bien… Donc ma mère de répondre poliment : mais bien sûr, vous pensez bien. On n’en a jamais mangé, mais bon. Il faut bien une première fois, pas vrai ?

Lui – Oh putain…

Elle – Et mon père qui en remet une couche : Ah oui, du cœur de bœuf, c’est original, ça change un peu. C’est vrai, on n’y pense jamais, on devrait en faire plus souvent, hein chérie ? Moi, je suis prise d’un haut-le-cœur, évidemment. Je dis que je n’aime pas ça. Ma mère insiste : tant qu’on n’a pas goûté, on ne peut pas dire qu’on aime pas ça ! Et le docteur de nous faire la leçon : vous savez que chez les peuples primitifs, les guerriers mangeaient le cœur de leurs ennemis pour s’approprier leur force ? Et la femme du docteur d’en rajouter : en tout cas, c’est très bon pour la santé, le cœur de bœuf. C’est plein de protéines. Et ne dit-on pas « fort comme un bœuf »… Et me voilà avec un énorme morceau de cœur dans mon assiette.

Lui – Il n’y avait rien d’autre à bouffer ?

Elle – De la salade verte.

Lui – Du cœur avec de la salade…

Elle – Ce n’est pas facile à couper non plus, je peux te le dire. Genre une semelle en caoutchouc, tu vois ? Tu en as déjà mangé ?

Lui – Une semelle en caoutchouc…?

Elle – Et tout le monde de mastiquer son cœur de bœuf avant de se forcer à l’avaler. Le tout en parlant de la pluie et du beau temps, pour faire comme si tout ça était parfaitement normal.

Lui – Et c’est bon ? Enfin, je veux dire… Quel goût ça a ?

Elle – Aucun. Ça a la consistance d’un chewing-gum. Depuis, je n’ai plus jamais mâché de chewing-gum. Et surtout, du jour au lendemain, je suis devenue vegan. Avant même que le mot existe. Je me demande même si ce n’est pas moi qui ai inventé le concept…

Lui – Ah oui… Il y a de quoi être traumatisée pour toujours…

Elle – Attends… et si c’est toi qui avais raison…?

Lui – Pardon ?

Elle – Maintenant, je me demande si c’était vraiment un cœur de bœuf.

Lui – Non ?

Elle – Ben c’était un chirurgien, tu vois… Quand ils transplantent un nouveau cœur à un patient, on ne sait pas trop ce qu’ils font de l’ancien. J’imagine qu’il n’y a pas beaucoup de malades qui demandent à le récupérer pour le garder en souvenir dans un bocal.

Lui – Tu crois qu’il y a des chirurgiens cannibales ?

Le patron revient avec le sandwich et la salade.

Patron – Et voilà. Un Paris-beurre et une niçoise sans anchois ni thon. J’ai mis du maquereau à la place. (La fille lui lance un regard assassin, et il poursuit pince-sans-rire.) Je plaisante. Bon appétit.

L’homme regarde son sandwich, avant de le repousser.

Lui – Non, c’est toi qui as raison. Ce ne serait pas honnête de ma part.

Elle – Quoi

Lui – D’arrêter la viande juste pour sortir avec toi. Il faut que j’y crois.

Elle – C’est sûr…

Lui – Le problème, c’est que d’arrêter la viande, c’est comme d’arrêter la clope. Quand on est accro…

Elle – Donc tu renonces à…

Lui – Je sais ce que j’ai à faire.

Elle – Là c’est toi qui me fais peur.

Lui – Je vais aller à la boucherie juste en face. Je vais acheter un cœur de bœuf, et je vais le bouffer tout entier. Après, je pense que je serai définitivement dégoûté de la viande. Comme toi.

Elle – Tu ferais ça pour moi ? Tu boufferais un cœur de bovin ?

Lui – À ton avis ?

Il se lève. Surprise, elle se lève aussi.

Elle – Mais… tu y vas maintenant ?

Lui – Si je réfléchis trop, je risque de ne pas y arriver.

Elle – Et… tu as une recette ?

Lui – Je vais le bouffer cru. Je suis un guerrier, non ?

Elle – Bon…

Lui – Allez, souhaite-moi bonne chance.

Il l’enlace et, jouant sur l’effet de surprise, il l’embrasse longuement et fougueusement sur la bouche. Il sort. Elle le regarde partir, interloquée. Le patron, qui a tout vu, revient.

Patron – Ça ne lui a pas plu, le Paris-beurre ?

Elle – Il a décidé de devenir vegan.

Patron – En tout cas, il a l’air vraiment motivé…

Elle – Oui…

Noir

Scène 3

Le patron passe un coup de chiffon sur son comptoir. Un couple arrive et s’assied à une table.

Lui – Tu es sûre que c’est une bonne idée ?

Elle – Quoi ?

Lui – De prendre un dernier verre ensemble.

Elle – On a été mariés pendant dix ans. On ne va pas se quitter comme ça, dans le bureau d’un juge. Ce serait trop triste.

Lui – Oui…

Le patron arrive.

Patron – Et pour ces messieurs-dames ?

Elle – Qu’est-ce que tu prends ?

Lui – Je ne sais… (Ironique) Champagne ?

Elle – Pourquoi pas…?

Lui – Alors deux coupes, s’il vous plaît.

Patron – Désolé, je n’ai que de la blanquette de Limoux. Pour les kirs. Vous savez, ici, on est en face d’un hôpital, on n’a pas souvent l’occasion de faire péter la Veuve Clicquot.

Lui – Bon… Alors un café.

Elle – Moi aussi.

Patron – Et deux expressos.

Le patron s’éloigne.

Elle – Alors ça y est… Cette fois, c’est vraiment fini ?

Lui – C’est ce qu’on voulait, non ?

Elle – Bien sûr. Ça n’empêche pas…

Lui – Tu ne regrettes pas ?

Elle – Un divorce, c’est toujours un échec. Je regrette que ça n’ait pas marché.

Lui – Moi aussi…

Un temps.

Elle – En même temps, c’est toi qui m’as trompée.

Lui – Oui…

Elle – Excuse-moi, je ne voulais pas revenir là-dessus… On est divorcés, tu n’as plus de comptes à me rendre.

Lui – Non… (Un temps) Et toi, tu ne m’as jamais trompé ? Tu peux me le dire, maintenant.

Elle – Non.

Lui – Un simple dérapage sans lendemain ?

Elle – Non.

Lui – Un petit baiser furtif, un soir, après quelques verres de trop ?

Elle – Non.

Lui – Non, bien sûr… Tu es tellement parfaite…

Elle – Je crois comprendre que dans ta bouche, ce n’est pas un compliment…

Le patron rapporte les deux cafés.

Patron – Et voilà…

Elle – Merci.

Le patron repart.

Lui – Je peux te demander quelque chose ? Maintenant que c’est fini, de toute façon…

Elle – Encore ?

Lui – Pour l’instant, tu n’as rien avoué…

Elle – Si c’est un interrogatoire, alors… Vas-y, je t’écoute…

Lui – Est-ce qu’au moins une fois, pendant toutes ces années qu’on a passées ensemble, tu m’as menti ?

Elle – Menti ?

Lui – Même par omission. Quelque chose d’important que tu m’aurais caché. Quelque chose dont tu ne serais pas fière, évidemment. Sinon, ça n’a aucun intérêt…

Elle – Pourquoi tu me demandes ça, maintenant ?

Lui – Je ne sais pas… Savoir que finalement, tu n’étais pas si parfaite… Ça m’aiderait à faire mon deuil.

Elle – Je ne suis pas morte tout de même.

Lui – Je veux dire le deuil de notre relation. De notre amour, si je peux me permettre.

Elle – Tu peux.

Lui – Alors

Elle – Si ça peut t’aider…

Lui – Je t’écoute.

Elle – Ce n’est pas si facile…

Lui – Ne me dis pas que tu as l’embarras du choix.

Elle – Non, justement. Je réfléchis…

Lui – J’ai tout mon temps.

Elle – Tu te souviens de notre première voiture ?

Lui – Oui.

Elle – Un matin, on l’a retrouvée dans la rue avec une aile complètement enfoncée.

Lui – Oui.

Elle – Évidemment, personne n’avait laissé de mot pour le constat.

Lui – Non.

Elle – C’était moi. J’avais embouti le pilier du portail en sortant en marche arrière. La voiture était neuve, je n’ai pas osé te le dire. J’avais tellement honte. J’ai garé la voiture dans la rue, et je n’ai rien dit.

Lui – Je sais.

Elle – Tu sais ?

Lui – Il y avait la trace de la peinture sur le pilier du portail. Elle doit y être encore.

Elle – Et tu n’as rien dit ?

Lui – Tu avais l’air d’y tenir tellement à ce mensonge… Qu’est-ce que ça aurait changé ?

Elle – Rien, probablement. Mais pourquoi n’avoir rien dit ?

Lui – Tu bousilles notre voiture toute neuve. Tu mens de façon totalement pathétique. Je ne suis pas flic. Qu’est-ce que j’aurais pu dire ?

Elle – Je ne sais pas. Tu aurais pu… marquer un point.

Lui – Ce n’est pas comme ça que je voyais notre couple. C’était tellement enfantin, ce mensonge. Presqu’attendrissant. Je me suis dit que ça devait être important pour toi. J’ai préféré te laisser ta dignité…

Elle – Merci… c’est gentil.

Lui – Oui… (Un temps) Et toi, tu te fous de moi.

Elle – Pas du tout. C’est vrai, je t’assure.

Lui – Quand tu m’as demandé si je t’avais déjà trompé, j’ai été honnête avec toi. J’aurais pu nier. On serait peut-être encore mariés. À toi de jouer le jeu, maintenant. Il y a forcément autre chose… Quelque chose de plus grave…

Silence.

Elle – D’accord… Tu te souviens quand tu étais parti trois jours à Toulouse pour un congrès.

Lui – Oui.

Elle – Je t’avais dit que j’irai à l’hôpital pour un examen de routine.

Lui – Ah oui… je me souviens.

Elle – C’était pour une IVG.

Lui – Une IVG…

Elle – Un avortement, si tu préfères…

Lui – On avait décidé d’avoir un enfant… Tu avais arrêté la pilule…

Elle – Oui…

Lui – Je ne comprends pas.

Elle – Moi non plus…

Lui – Et alors

Elle – Je ne sais pas… J’ai eu peur.

Lui – Peur ?

Elle – Peur de ne pas y arriver. Peur que tu me quittes… Entre nous, je n’avais pas tout à fait tort.

Lui – Ne renverse pas les rôles… Si on avait eu cet enfant, les choses auraient peut-être été différentes.

Elle – Peut-être…

Un temps.

Lui – Comment tu as pu nous faire ça ?

Elle – Merci de ne pas avoir dit me faire ça… Ça ne s’explique pas. Je ne me suis pas sentie capable. Capable d’assumer ça.

Lui – Ça

Elle – Donner la vie. Devenir mère.

Lui – Tu aurais pu m’en parler. Partager ça avec moi.

Elle – Je n’ai jamais osé te le dire… J’avais trop honte…

Lui – Comme pour la voiture.

Elle – Je suis vraiment désolée. J’ai eu peur…

Lui – Je te faisais peur à ce point ? Même pour la voiture…

Elle – C’est de moi dont j’avais peur. (Un temps) Tu crois vraiment que les choses auraient pu être différentes ?

Lui – Les choses sont toujours comme elles sont. Ça ne sert à rien de les imaginer autrement après coup. Il faut croire que nous deux, ce n’était pas possible.

Silence.

Elle – Je crois qu’on ferait mieux d’y aller.

Lui – Oui…

Ils se lèvent pour partir.

Elle – Tu la revois toujours ?

Lui – Qui

Elle – Celle avec qui tu m’as trompée.

Lui – Ah, celle-là…

Elle – Tu ne m’as jamais dit qui c’était. Tu peux me le dire, maintenant. Je la connais ?

Lui – À quoi ça servirait…?

Un temps.

Elle – Tu ne m’as jamais trompée.

Lui – Non…

Elle – Alors pourquoi

Lui – C’était plus facile comme ça.

Elle – Tu veux dire plus facile pour moi.

Lui – Plus facile pour nous deux… Je crois qu’on ferait mieux d’y aller, maintenant… 

Elle – Allons-y.

Ils partent.

Noir

Scène 4

Le patron ramasse des verres sur le comptoir et les plonge dans un évier qu’on ne voit pas. Un homme et une femme arrivent. L’homme jette un regard suspicieux et un peu dégoûté vers le bar. Ils s’asseyent à une table.

Lui – C’est vraiment crado. Je me demande pourquoi je continue à venir ici.

Elle – C’est le seul bistrot en face de l’hôpital…

Lui – Quand tu vois les normes d’hygiène qu’on nous impose dans notre boulot… Un patient attrape une maladie nosocomiale dans ton service, même un rhume, il te fait un procès. Ensuite il vient prendre son petit ballon de rouge ici dans un verre à peine rincé entre deux clients, dont l’un a peut-être une hépatite et l’autre le virus Ebola.

Elle – Ouais…

Lui – Tu as vu ça ? La vaisselle sale baigne dans l’évier du matin au soir. Je ne te raconte pas le bouillon de culture… À la fin de la journée, tu as partagé tes microbes avec la moitié de la ville. Maladies nosocomiales, tu parles. Et une maladie que t’attrape dans un bistrot, comment ça s’appelle ?

Elle – Une cirrhose du foie

Le patron s’approche.

Patron – Et pour ces messieurs-dames, qu’est-ce que ce sera ?

Lui – Je ne sais pas… Un jus de tomate.

Elle – Un café.

Le patron s’éloigne.

Lui – Je ne sais pas pourquoi je prends du jus de tomate, j’ai horreur de ça.

Elle – On ne sait plus quoi prendre, à force.

Lui – Les sodas, c’est tellement sucré. J’aurais dû prendre un jus de fruits.

Elle – Il est encore temps…

Lui – Je ne sais pas… Tu as vu la gueule du patron ? Il n’a pas l’air aimable.

Elle – Tu veux que j’y aille ?

Lui – Trop tard, il vient de déboucher la bouteille. C’est tout moi, ça. Je vais devoir m’enfiler un jus de tomate alors que j’ai horreur de ça. En plus, la tomate, ça me donne des brûlures d’estomac. Pas toi ?

Elle – Non.

Lui – Tant pis, je ne le boirai pas…

Elle (pour changer de sujet) – Qu’est-ce que tu fais cet été ?

Lui – Je ne sais pas encore… J’irai sans doute passer une semaine ou deux chez mes parents, comme tous les ans.

Elle – Tu es très lié avec tes parents, alors.

Lui – Pas spécialement. Ils sont chiants, mais ils ont une villa avec piscine près d’Antibes.

Elle – Quand on est chiants, si on veut encore voir ses enfants après qu’ils ont quitté la maison, il faut investir dans une piscine. Tu devrais y penser pour les tiens, le moment venu…

Lui – Ouais… Sauf si je n’ai pas envie de les voir trop souvent.

Elle – Et à part ça, ça va ?

Lui – Oui, enfin… ma femme a encore invité les voisins à dîner.

Elle – Et alors ?

Lui – Ce n’est pas qu’ils ne sont pas sympas, mais… ils sont un peu chiants, eux-aussi…

Elle – Pourquoi elle les a invités ?

Lui – On vient d’arriver dans le quartier. Ils ont eu la gentillesse de nous inviter chez eux pour faire connaissance. Du coup on s’est sentis obligés de leur rendre l’invitation. Je crains que ça devienne une habitude, tu vois ?

Elle – Je vois très bien.

Lui – Maintenant qu’on a mis le doigt dans l’engrenage…

Elle – J’ai peut-être une solution.

Lui – Une solution

Elle – Pour être sûr qu’ils ne reviendront jamais bouffer chez toi.

Lui – Comment ça ?

Elle – Il m’est arrivé la même chose il y a quelques années, quand j’ai acheté la maison.

Lui – Et alors ?

Elle – Les voisins nous invitent. Des enseignants, tu vois. Abonnés à Télérama, meublés par la CAMIF. De gauche, évidemment. Écolos tendance végétariens mais qui mangent quand même de la viande de temps en temps si elle est bio.

Lui – Je vois très bien. Gentils, mais totalement assommants. Et comment tu as fait pour t’en défaire ?

Elle – Quand on leur a rendu l’invitation, je leur ai servi un plat un peu spécial.

Lui – Spécial

Elle – Un cœur.

Lui – Un cœur ? Comment ça un cœur ?

Elle – Un cœur de bœuf. Direct. Juste avec une salade.

Lui – Un cœur de bœuf ? Je ne savais même pas que ça se mangeait… Où est-ce que tu as trouvé ça ?

Elle – À la boucherie du coin.

Lui – Je ne savais pas que ça se vendait.

Elle – Ah non, mais il ne me l’a pas vendu. Il me l’a donné.

Lui – Non ? Et ils en ont bouffé ?

Elle – Ce sont des gens polis, tu comprends. Je t’ai dit, des enseignants, tu vois. Alors tolérance, respect de la différence, ils n’ont pas osé moufter, tu penses bien. Genre je respecte les coutumes de chacun, même si elles sont différentes des miennes, et je fais un effort pour partager quelque chose avec eux, même si ce n’est pas exactement mes valeurs. Ils se sont pincés le nez, et ils ont tout bouffé.

Lui – Et après ?

Elle – On ne les a jamais revus.

Lui – Jamais ?

Elle – On se croise de temps en temps, évidemment, on est voisins. Mais ils n’ont plus osé nous réinviter, de peur qu’on leur rende l’invitation, et qu’on leur serve un truc encore pire que la dernière fois… On les a totalement traumatisés, je te dis.

Lui – C’est dingue…

Elle – Ah, non, tu aurais dû voir leurs têtes quand j’ai posé ça sur la table… J’aurais dû prendre une photo. D’ailleurs je crois que je l’ai fait…

Lui – Merde… Mais du coup, tu as dû en bouffer aussi.

Elle – Il faut savoir ce qu’on veut, mon vieux. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Mais après, tu es tranquille pour le restant de ta vie.

Lui – D’accord… Ouais, je ne sais pas trop… Je vais en parler à ma femme…

Elle – Surtout pas, malheureux !

Lui – Pourquoi ça ?

Elle – Elle ne serait pas d’accord, évidemment !

Lui – Oui… Il y a des chances.

Elle – Non, tu lui fais la surprise. Tu lui dis, ce soir, c’est moi qui cuisine, chérie.

Lui – Ah oui, rien que ça, ça va la surprendre, c’est sûr…

Elle se lève.

Elle – Bon allez, il faut que je te laisse.

Lui – OK.

Elle – Tu me raconteras ta soirée, promis ?

Lui – Attends, il ne m’a même pas encore servi mon jus de tomate…

Elle – Tu verras, ça marche à tous les coups. Si tu ne veux plus jamais les avoir à dîner sans te fâcher avec eux, c’est la seule solution, je t’assure… Il y a une boucherie juste en face.

Lui – Merci du conseil ! Tu as raison, je vais faire ça…

Elle – Quand on peut aider…

Elle sort.

Noir

Scène 5

Le patron attend derrière son comptoir, désœuvré. Un homme et une femme arrivent.

Elle – Salut Marcel.

Le patron répond d’un hochement de tête. Ils s’asseyent à une table. Le patron arrive pour prendre la commande.

Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?

Elle – Comme d’habitude.

Patron – Et vous ?

Lui – Pareil.

Patron – Pareil que la petite dame ou pareil que d’habitude ?

Lui – Pardon ?

Patron – Je ne sais pas ce que vous prenez d’habitude, moi !

Lui – Je viens pourtant tous les matins, comme elle.

Patron – C’est comme ça. Il y a des têtes dont je me souviens, et d’autres que je préfère oublier…

Lui – Disons pareil qu’elle, alors.

Patron – Et deux cafés…

Le patron s’éloigne.

Lui – Toujours aussi aimable…

Elle – Il faut savoir le prendre.

Lui – Quel con.

Elle – Tu sais comment il s’appelle, ce con ?

Lui – Non.

Elle – Marcel.

Lui – Vous avez l’air très intimes… ce con de Marcel et toi.

Elle – Je viens tous les jours prendre un café avant d’aller bosser…

Lui – Moi aussi… Mais moi, il fait mine de ne pas me connaître.

Elle – Tu es jaloux ?

Lui – C’est peut-être lui qui est jaloux… Tu le connais si bien que ça ?

Elle – On ne s’est jamais vraiment parlé.

Lui – Comment tu sais qu’il s’appelle Marcel

Elle – Je ne sais pas… Tout le monde le sait… En tout cas, tout le monde l’appelle Marcel, et il ne s’est jamais plaint.

Un temps.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Lui – Qu’est-ce que tu as envie de faire ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – Il fait beau… On ne va pas aller s’enfermer dans une salle de ciné. On se balade un peu ?

Elle – Comme tu veux.

Lui – Cache ta joie… Il y a quelque chose qui te préoccupe ?

Elle – Non… Pas spécialement.

Lui – Je ne sais pas moi… Quelque chose dont tu voudrais me parler.

Un temps.

Elle – OK… S’il m’arrive quelque chose un jour, je veux donner mes organes.

Il reste un instant interloqué.

Lui – À qui

Elle – Je ne sais pas ! Pour quelqu’un qui en aurait besoin.

Lui – Besoin…?

Elle – Tu le fais exprès ou quoi ? Une transplantation !

Lui – Ah oui… Très bien…

Elle – J’ai ma carte de donneur sur moi, mais au cas où…

Lui – D’accord.

Elle – Il faut bien que je le dise à quelqu’un. Parce que quand on n’est plus en état de parler…

Lui – OK.

Elle – Et si je suis en état de mort cérébrale, je ne veux surtout pas qu’on me maintienne en vie artificiellement.

Lui – Pas de problème… Mais tu sais, on n’est pas encore mariés. Je ne suis même pas sûr que j’aurais mon mot à dire. Ce serait sûrement à tes parents de prendre la décision.

Elle – Ils sont morts.

Lui – Ah oui, c’est vrai… À tes frères et sœurs, alors.

Elle – Je suis fâchée avec toute ma famille.

Lui – Bon… On n’a plus qu’à se marier, alors. Pour que je puisse disposer moi-même de tous tes organes.

Elle – C’est une demande en mariage ? Parce que ce serait sans doute la plus originale de toute l’histoire des demandes en mariage.

Lui – Tu veux bien m’épouser ?

Elle – Oui… (Un temps) Et toi ?

Lui – Ben oui, puisque je viens de te demander ta main… Enfin, ta main, ton cœur, tes poumons, ton foie, et tout le reste…

Elle – Non, je veux dire, et toi, s’il t’arrivait quelque chose. Maintenant que je vais pouvoir disposer de tous tes organes, moi aussi.

Lui – Ah oui… Là on nage en plein romantisme…

Elle – Alors ?

Lui – Je ne sais pas… Je n’y ai pas vraiment réfléchi… Je ne donne déjà pas mon sang… sauf à quelques moustiques.

Elle – Tu as tort.

Lui – Si en mourant, je pouvais te léguer mon cœur pour te sauver la vie, je le ferai sûrement. Mais alors donner mon cœur à un inconnu… C’est vrai, tu peux toujours tomber sur un con. Les cons aussi ont des problèmes cardiaques. Moins que les autres, d’accord, mais ils en ont…

Le patron arrive.

Patron – Et deux cafés… (S’adressant à l’homme) Je peux encaisser tout de suite ?

L’homme sort quelques pièces qu’il pose sur la table. Le patron s’en saisit, et repart sans un mot.

Lui – Imagine que je meurs et que ce connard ait besoin d’une transplantation. Franchement, ça me ferait bien chier de lui donner mon cœur.

Elle – C’est un risque à courir.

Lui – Bon… Si ça te fait plaisir, je prendrai ma carte, moi aussi…

Elle – Oui, ça me fait plaisir. Et maintenant, j’ai envie d’aller me balader en forêt avec toi.

Lui – En forêt ?

Elle se lève.

Elle – On y va ?

Lui – Je peux boire mon café d’abord ?

Elle – D’accord, mais dépêche-toi.

Il s’apprête à avaler son café.

Noir

Scène 6

Le patron est derrière le comptoir. L’homme (ou la femme) arrive, la tête ailleurs.

Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?

L’autre – Je ne sais pas… Ce que vous voulez…

Patron – Ce que je veux ? Vous êtes sûr ?

L’autre – Au point où j’en suis… Qu’est-ce que je risque ? Surprenez-moi…

Patron – Alors je vous sers un Viandox. Vous avez le teint cireux, ça vous fera du bien.

Il lui prépare son Viandox.

L’autre – Un Viandox ? Ça existe encore ?

Patron – Je vous avoue que je n’en vends pas très souvent… et que je ne compte pas en recommander.

L’autre – À supposer qu’ils en fabriquent encore. Il n’a pas dépassé la date limite de péremption, au moins ?

Patron – Vous m’avez dit « ce que vous voulez », il faudrait savoir ! Alors vous le prenez ou pas, ce Viandox  !

L’autre – Si je peux vous aider à liquider votre stock.

Le patron lui sert son Viandox.

Patron – Ça n’a pas l’air d’aller bien fort…

L’autre – Non… Je cherche un cœur disponible.

Patron – On en est tous là, vous savez… À partir d’un certain âge… il y a plus de demande que d’offre.

L’autre – Vous ne croyez pas si bien dire.

Patron – Vous êtes veuf ?

L’autre – C’est ma femme qui le sera bientôt… si je ne trouve pas rapidement quelqu’un pour me donner son cœur.

Patron – Je ne suis pas sûr de vous suivre…

L’autre – Je sors de l’hôpital. J’attends une greffe. Pour l’instant, il n’y a pas de donneur.

Patron – Un donneur ? Ah oui…

L’autre – Évidemment, on ne donne pas son cœur comme on donne son sang. Il faut que le donneur soit mort, et que toutes les conditions soient réunies.

Patron – Je vois…

L’autre – Que le donneur soit encore jeune, donc qu’il soit plutôt mort dans un accident. Que le cœur soit en bon état. Que la famille soit d’accord.

Il s’apprête à boire.

Patron – Vous êtes sûr que vous voulez boire ça ?

L’autre – Il faut bien mourir de quelque chose…

Il goûte son Viandox, et fait la grimace.

Patron – Alors ?

L’autre – Ah oui, il vaut mieux avoir le cœur bien accroché… Vous n’en avez jamais bu ?

Patron – J’attendais de voir l’effet que ça faisait sur un cobaye.

L’autre – Si je suis encore vivant demain matin, je viendrai vous le dire.

Patron – Si j’avais su, je vous aurais servi autre chose. Vous auriez dû me le dire, maintenant je vais m’inquiéter.

L’autre – Je me demande si ce ne serait pas plus simple comme ça. Je vois déjà ma photo à la page faits divers : désespéré de ne pas trouver un cœur compatible avec le sien, il met fin à ses jours en avalant un Viandox périmé depuis… (regardant l’étiquette de la bouteille vide) 1984 !

Patron – Ah oui, quand même… Remarquez, on est sur un grand millésime… Allez, il ne faut pas désespérer. Un accident est si vite arrivé.

L’autre – Un accident ?

Patron – Pour votre donneur ! La rue en face est très dangereuse. Avec tous ces poids lourds. Il y a un projet de rond point, mais bon… Presque tous les mois, un piéton se fait renverser sur le passage clouté. Et comme l’hôpital est juste en face…

L’autre – Merci… Ça m’a remonté le moral de discuter un peu avec vous…

Patron – C’est la vie… La roue tourne… Le malheur des uns…

L’autre – Je crois que je ne vais pas le finir, ce Viandox, finalement. Je vous dois combien ?

Patron – C’est pour moi. Vous voulez autre chose ? Pour faire passer le goût du Viandox. Un bloody mary ? C’est très reconstituant aussi. Ou alors un Fernet-Branca ?

L’autre – C’est très tentant mais… merci, ça ira.

Patron – Bon, alors à une prochaine fois…

L’autre – Qui sait ?

Il se lève pour partir.

Patron – Faites attention en traversant la route.

L’autre – Merci pour le Viandox.

Il sort. L’autre prend la tasse et hume le fumet qui en sort. Il retrousse le nez avec un air dégoûté.

Patron – Ah oui, quand même…

On entend un bruit de freinage suivi d’un fracas de tôles froissées. Il lève la tête, et jette un regard vers le quatrième mur, figurant la vitrine du café donnant sur la rue.

Patron – Ah oui, quand même…

Noir

Scène 7

Le patron essuie des verres derrière le comptoir. Un couple arrive. Ils s’asseyent. Silence. Le patron arrive.

Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?

Elle (sur un ton sans appel) – Rien pour l’instant. On attend le troisième…

Patron – Bon…

Air étonné de l’homme. Le patron repart.

Lui – Je ne savais pas qu’on attendait quelqu’un…

Elle – Moi non plus.

Lui – Comment ça ? C’est qui ?

Elle – Je ne sais pas… Il n’a pas encore de nom…

Lui – Tu me fais marcher ?

Un temps.

Elle – Qu’est-ce que tu dirais si je te disais que je suis enceinte ?

Le temps pour lui d’assimiler la question.

Lui – Pour commencer, je te dirais… qu’il y a un problème de concordance des temps.

Elle – Pardon

Lui – Normalement, tu devrais dire « si je te disais que j’étais enceinte » et pas « si je te disais que je suis enceinte ». Après une conditionnelle à l’imparfait, on utilise l’imparfait.

Elle – Ah, d’accord…

Lui – Tu es enceinte ?

Elle – Je n’ai pas dit ça…

Lui – Donc c’est une conditionnelle.

Elle – Si tu le dis…

Lui – Tu n’es pas sûre ?

Elle – Tu veux voir un tampon ?

Lui – Quel tampon ?

Elle – À ton avis ? Le tampon de la mairie !

Lui – Tu ne devrais pas plaisanter avec ça.

Elle – Je ne plaisante pas. Je voulais juste en parler. Alors ?

Lui – Un enfant… ça commence toujours par se conjuguer au conditionnel, non ?

Elle – Il ne tient qu’à nous de transformer ce conditionnel en indicatif.

Lui – Tant que tu ne le conjugues pas à l’impératif…

Elle – Tu ne m’as pas répondu…

Lui – Quoi ?

Lui – Qu’est-ce que tu dirais si je te disais que… j’étais enceinte ?

Lui – Je ne sais pas, je te répondrais… génial !

Elle – Génial ?

Lui – Génial… Mais on est bien d’accord, tu n’es pas enceinte…

Le patron revient.

Patron – On attend toujours le troisième ?

Elle pose sa main sur son ventre.

Elle – Il est déjà là… On va pouvoir commander…

L’homme lui lance un regard interloqué.

Patron – Génial.

Noir

Scène 8

Le patron lit le journal derrière le comptoir. Deux hommes arrivent et s’asseyent à une table.

Un – Café ? (L’autre acquiesce) Marcel ! Deux cafés.

Deux – Il s’appelle Marcel ?

Un – Je ne sais pas… Tous les patrons de bistrot je les appelle Marcel. Comme ça je suis sûr de ne pas me tromper.

Deux – D’accord…

Un – C’est un patient à moi. Je lui ai retiré l’appendice il y a dix ans, les hémorroïdes il y a cinq ans, la thyroïde il y a trois ans, et un poumon l’année dernière.

Deux – Eh ben… Il peut te dire merci. Grâce à toi, il a perdu au moins trois kilos.

Le patron apporte les cafés.

Patron – Et voilà Docteur…

Deux – Au moins, il t’a reconnu.

Un – Je ne suis même pas sûr. Il appelle tous ses clients docteurs. Comme on est en face de l’hôpital… Au pire, s’ils ne sont pas médecins, ça les flatte (Ils remuent leur café en silence avant de le boire) Alors ça y est, on a un donneur ?

Deux – Il semblerait…

Un – Une femme qui s’est jetée sous les roues d’un camion, juste devant l’hôpital.

Deux – Jetée ?

Un – On ne sait pas très bien… C’était peut-être un accident… C’est la tête qui a tout pris. Mort cérébrale. Le reste est en parfait état. On attend la décision de la famille.

Deux – Très bien.

Un – Oui, sauf qu’on a deux patients qui attendent une greffe…

Deux – Ah, toi aussi ?

Un – Tu le sais très bien.

Deux – Je pensais que toi, c’était un foie…

Un – C’est un cœur.

Deux – Un cœur pour deux… Avec deux patients qui ont des dossiers très similaires. Ça ne va pas être facile de les départager.

Un – Alors comment on fait ? On tire à pile ou face ?

Deux – Chiche !

L’autre sort une pièce.

Un – Un seul de nos deux patients sera vivant dans un mois. Pile le tien, face le mien.

Il lance la pièce, la rattrape, et regarde dans sa paume. Avant de la ranger.

Deux – Mais ça ne marche pas comme ça, on le sait bien…

Un – Non. (Un temps) Ça fait combien de temps qu’on se connaît ?

Deux – Depuis la fac…

Un – En deuxième année, je crois.

Deux – Oui…

Un – On était amoureux de la même fille.

Deux – Une étudiante de première année.

Un – Qui est devenue ta femme.

Deux – Je ne sais pas ce qu’elle a bien me trouver… de plus qu’à toi.

Un – Tu avais fait courir le bruit à la fac que j’avais un micro pénis. Je crois même que tu avais fait circuler un montage photos…

Deux – Ah oui, c’est vrai. J’avais oublié ça.

Un – Je ne l’ai appris que très longtemps après.

Deux – Je ne pensais pas qu’elle avalerait un truc aussi énorme.

Un – On parle toujours de mon micro pénis ?

Deux – Tu crois vraiment que c’est pour ça qu’elle m’a choisi ?

Un – Ça a dû jouer… J’étais vraiment très amoureux d’elle, tu sais…

Deux – Un cœur pour deux… Il y en a forcément un qui reste sur le carreau.

Un – Cette fois-là, c’était moi.

Deux – Elle m’a quitté quelques années après. Tu ne l’as jamais revue ?

Un – Si… Une fois… Je venais de divorcer, moi aussi… On a dîné ensemble… Et puis rien…

Deux – Mais elle savait pour…?

Un – Je ne sais pas… Je n’ai pas osé lui demandé… Tu me vois, entre le café et l’addition, lui glisser à l’oreille que contrairement à ce que prétendait son ex, j’avais une bite de taille normale ?

Deux – Ouais…

Un – Je crois surtout que c’était trop tard… Je ne sais pas si la vengeance est un plat qui se mange froid, mais l’amour n’est pas un plat qui se mange réchauffé.

Deux – Alors tu veux te venger ?

Un – Non, mais il me semble que tu me dois un cœur.

Deux – Tu as une lecture très personnelle du serment d’Hippocrate… Qu’est-ce qui te motive à ce point pour sauver ton patient ?

Un – Disons que j’ai noué avec lui une relation… très spéciale.

Deux – Mais tu sais bien que ça ne marche pas comme ça non plus.

Un – Ah non ?

Deux – Tu me demandes de condamner mon patient par avance ?

Un – Tu l’as dit. Un cœur pour deux… Il y en a forcément un qui reste sur le carreau.

Deux – Ça ne tient pas qu’à moi, tu le sais bien. C’est une décision collégiale.

Un – Mais tu pourrais charger un peu le dossier de ton patient, pour que celui du mien apparaisse plus convainquant.

Deux – Et si je refuse ?

Un – Je pourrais faire courir une rumeur, moi aussi. Mais je ne suis pas sûr que celle-là sera fausse.

Deux – Par exemple ?

Un – Les infirmières ne restent jamais longtemps dans ton service, on sait tous les deux pourquoi. Et la fille qui vient de se faire écraser devant l’hôpital, volontairement ou pas, elle travaillait pour toi.

Deux – Je vais voir ce que je peux faire…

Il s’apprête à sortir un billet.

Un – Laisse, le café c’est pour moi.

Noir

Scène 9

Le patron somnole derrière son comptoir. Deux personnages (hommes ou femmes) arrivent et s’asseyent à une table.

Un – Lui aussi, il a l’air dans un coma profond…

Deux – Qu’est-ce qu’on fait ? On le réveille ?

Un – On va attendre qu’il se réveille tout seul.

Deux – Un miracle est toujours possible.

Silence.

Un – Et pour elle alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – Franchement… je ne sais pas quoi en penser.

Un – Il va bien falloir prendre une décision. Le médecin a dit qu’il fallait faire vite.

Deux – Oui.

Un – Évidemment, la logique voudrait qu’on dise oui.

Deux – La logique ? C’est notre sœur, quand même…

Un – Oui… Tu l’as déjà entendu évoquer ce sujet devant nous ?

Deux – Ça faisait des années qu’on ne se voyait plus… et même avant, ce n’était pas le genre de conversation qu’on avait ensemble.

Un – Donc c’est à nous de décider. Comme si c’était pour nous.

Deux – Tu veux dire… comme si on avait besoin d’une transplantation ?

Un – Comme si on était à sa place ! À la place du mort… Qu’est-ce que tu ferais toi ? Si tu pouvais décider de donner tes organes ou de les emporter avec toi dans ta tombe…

Deux – Évidemment, sur le principe… Quitte à mourir, si on peut sauver une vie…

Un – D’un autre côté…

Deux – Imaginer qu’on va lui ouvrir la poitrine et lui prendre son cœur pour le mettre dans la poitrine de quelqu’un d’autre…

Un – Quelqu’un qu’on ne connaît même pas.

Deux – Encore heureux… Il ne manquerait plus qu’on le connaisse. Tu préférerais le connaître, toi ?

Un – Je préférerais qu’elle ne soit pas morte.

Un temps.

Deux – D’ailleurs est-ce qu’on peut dire qu’elle est vraiment morte ?

Un – D’après les médecins, elle est en état de mort cérébrale.

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? Tu le sais, toi ?

Un – En gros, la maison est encore debout, le chauffage n’a pas encore été coupé, mais il n’y a plus personne dedans. Le propriétaire est parti, il a jeté la clef et il ne reviendra jamais.

Deux – D’accord.

Un – Donc il s’agit de récupérer la chaudière pour l’installer dans une autre maison où la chaudière est en panne, pour que le propriétaire puisse continuer à vivre dedans sans se les geler.

Deux – Ça y est, tu as fini avec tes métaphores de plombier ?

Un – Je t’explique…

Deux – Donc toi, tu es plutôt pour ?

Un – Toi aussi, non ? Tu savais bien qu’on finirait par en arriver là.

Deux – Oui…

Un – Allez, finissons en… (Lui tendant un papier) Il faut signer là.

Deux – Vas-y toi… Moi je ne pourrais pas…

Un – Non, mais il faut nos deux signatures.

Deux – Tu n’as qu’à imiter la mienne.

Un – Mais ce sera un faux…

Deux – De quoi tu as peur ? Que je te fasse un procès pour avoir imité ma signature ?

Un – Mais si tu es d’accord, pourquoi tu ne signes pas ?

Deux – Je suis d’accord, mais je ne pourrais pas signer, c’est tout. Tu peux comprendre ça, non ?(Se levant pour sortir) Pour une fois que je te demande quelque chose !

Un – Mais enfin… tu la détestais.

Deux – Justement… Si c’était un geste d’amour, encore… Ce serait plus facile pour moi. Mais là… je ne me sens pas de décider pour elle. (Le patron émerge de derrière son comptoir.) Tiens, il s’est réveillé, celui-là… Tu vois, on n’est jamais à l’abri d’un miracle !

Le personnage sort, laissant l’autre perplexe. Le patron arrive.

Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?

Noir

Scène 10

Le patron attend derrière son comptoir. Un homme genre mafieux ou dealer arrive et s’installe au bar.

Le patron – Qu’est-ce que ce sera ?

L’autre – Un déca. Allongé. Avec une goutte de lait, s’il vous plaît.

Le patron jette un regard au client, dont l’aspect ne cadre pas bien avec sa commande.

Le patron – Je vais voir ce que je peux faire…

Il lui prépare son café.

L’autre – C’est dangereux, cette rue. J’ai failli me faire écraser par un bus.

Le patron – Oui… Une femme s’est fait renverser hier…

L’autre – C’est grave ?

Le patron – Elle est morte… Enfin, c’est tout comme.

L’autre – Vous la connaissiez ?

Le patron – C’était une cliente… Elle sortait juste de chez moi, et d’après les analyses, elle avait trois grammes d’alcool dans le sang.

L’autre – Dans votre métier comme dans le mien, les clients, il vaut mieux pas trop s’attacher.

Le patron – Vous êtes nouveau dans le quartier ?

L’autre – Je suis de passage.

Le patron – On est tous de passage sur la Terre…

L’autre – J’ai peur que le mien se termine plus tôt que prévu.

Le patron – Si vous faites bien attention en traversant la route.

L’autre – Je sors de l’hôpital. J’attends une greffe de cœur…

Le patron – Ah vous aussi…

L’autre – Pardon ?

Le patron – Non rien, une histoire que j’ai entendue… J’espère que vous êtes tombé sur le bon chirurgien…

L’autre – Oui…

Le patron pose le café sur le comptoir.

Le patron – Tenez, votre déca-noisette.

L’autre – Ça marche, les affaires ?

Le patron – C’est calme. Et vous ?

L’autre – Moi aussi… C’est plutôt calme en ce moment…

Le patron – Vous êtes dans quelle branche ?

L’autre – Trafic de drogue. Héroïne, plutôt.

Le patron – Ah oui… Donc vous savez ce que c’est que de perdre un client.

L’autre – Heureusement que les dons d’organes sont anonymes, parce que je ne sais pas qui voudrait bien donner son cœur à un dealer.

Le patron – Ou à un buraliste.

L’autre – Vous avez raison. Finalement, on fait un peu le même métier, tous les deux…

Le patron – Mmm…

L’autre – Ils viennent de rentrer un donneur, à l’hôpital.

Le patron – C’est votre jour de chance, alors.

L’autre – Je ne sais pas… On est deux sur l’affaire.

Le patron – Ah…

L’autre – Vous me donneriez votre cœur, vous ? Si vous étiez mort, je veux dire… Et sachant ce que je fais.

Le patron – Pourquoi pas ? Entre dealers, si on ne se serre pas un peu les coudes.

L’autre – J’ai promis une valise de billets à mon chirurgien s’il me trouvait un palpitant tout neuf. Des billets usagers et en petites coupures. Vous croyez que ça peut aider ?

Le patron – Ça dépend du chirurgien, j’imagine.

L’autre – Celui-là a la réputation de sauter sur tout ce qui bouge.

Le patron – Je vois… Je vous remets un déca-noisette C’est ma tournée.

L’autre – Allez… On ne vit qu’une fois…

Le patron – Et si votre cœur lâche en sortant, ce ne sera pas à cause de ce que vous aurez bu ici…

Noir

Scène 11

Le patron est derrière le bar, le client (ou la cliente) arrive.

Patron – Monsieur, qu’est-ce que je vous sers ?

L’autre – Vous ne me reconnaissez pas ?

Patron – On voit tellement de monde… Qu’est-ce que je vous mets ?

L’autre – Pas un Viandox, en tout cas…

Patron – Non…? Je ne vous avais pas reconnu. Eh ben… On dirait que ce Viandox vous a fait du bien finalement. Vous paraissez vingt ans de moins.

L’autre – Oui… le Viandox. Et aussi le cœur tout neuf qu’on m’a transplanté il y a quelques mois.

Patron – Vous avez enfin trouvé un donneur ?

L’autre – Vous aviez raison, cette rue est vraiment très dangereuse…

Patron – Allez, c’est ma tournée. Qu’est-ce que je vous sers ?

L’autre – Une limonade…

Patron – Vous n’avez plus droit à l’alcool…

L’autre – Si… mais j’ai décidé d’y renoncer. Un sacrifice que je m’impose… pour remercier le destin.

Patron – Le destin ?

L’autre – Quelqu’un est mort pour que je puisse vivre. Je dois prendre soin de son cœur.

Patron – Mais vous ne savez même pas qui c’est…

L’autre – Non… et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. Mais après tout, c’était peut-être un musulman. Raison de plus pour ne plus boire d’alcool.

Patron – Alors vous ne mangez plus de jambon non plus ?

L’autre – Je suis devenu vegan, c’est encore plus simple. Et vous, comment ça va ?

Patron – Ma femme vient de me quitter.

L’autre – Elle est morte ? Ne me dites pas que c’est son cœur qui bat dans ma poitrine…

Patron – J’aurais préféré. Ça me coûterait moins cher. Veuf, vous êtes deux fois plus riche. Divorcé vous êtes deux fois plus pauvre.

L’autre – Ça fait quatre bonnes raisons de préférer le veuvage…

Patron – Il va falloir que je vende le café, pour lui donner sa part.

L’autre – Désolé…

Patron – Au fond, c’est mieux comme ça. Vendre de l’alcool et du tabac… Le tabac, il m’a déjà coûté un poumon.

L’autre – Alors qu’est-ce que vous allez faire ?

Patron – Je ne sais pas…

L’autre – Vous devriez faire du théâtre.

Patron – Du théâtre ?

L’autre – On ne vous a jamais dit que vous aviez une tête à faire du théâtre ?

Patron – Non… Remarquez, pour rester derrière un comptoir toute la journée, et donner la réplique à toutes sortes de clients, il faut déjà être un peu comédien…

L’autre – C’est vrai… Moi-même, je vais souvent au café pour écrire.

Patron – Qu’est-ce que vous écrivez ?

L’autre – Des pièces de théâtre.

Patron – J’en ai tellement entendu, des histoires. Il y aurait de quoi faire. Des comédies, des drames, des tragédies…

L’autre – Il faudra me raconter ça.

Un temps.

Patron – Il y a encore quelque chose qui vous tracasse ?

L’autre – On était deux à attendre une transplantation. Il n’y avait qu’un seul donneur disponible. J’ai appris que l’autre était mort quelques jours après mon opération…

Patron – Ah oui…

L’autre – Il paraît que j’avais un meilleur dossier.

Patron – Comme vous dites… C’est le destin.

L’autre – Oui… C’était peut-être un brave type.

Patron – Ou alors une crapule… Allez savoir…

L’autre se lève pour partir.

L’autre – Merci pour la limonade… Tenez, voici ma carte. Je cherche quelqu’un comme vous pour un petit rôle dans ma prochaine pièce. Un patron de bistrot. Ce sera vos débuts sur les planches…

Il part. Le patron regarde la carte. Noir

Scène 12

Le patron est derrière le bar. Elle arrive. C’est la même femme que dans la première scène.

Patron – Vous êtes revenue me demander en mariage ?

Elle – Ça ne fait pas encore dix ans…

Patron – Cinq.

Elle – Et vous vous souvenez encore de moi ?

Patron – Je vous l’ai dit, j’ai mes têtes… La vôtre est de celles qu’on n’oublie pas facilement. Toujours pas de calva ?

Elle – Je n’en aurai plus besoin. Enfin j’espère…

Patron – Tant mieux.

Elle – Vous vous rappelez ? Vous m’aviez lu mon horoscope…

Patron – « Vous donnerez votre cœur à un inconnu ». (Montrant le journal) C’est encore dans le journal d’aujourd’hui.

Elle – Ils reprennent souvent les mêmes formules.

Patron – Cette fois, c’est bien à la rubrique amour.

Elle – Ils ne se sont pas trompés. J’ai rendez-vous avec lui.

Patron – Ici ?

Elle – Dans cinq minutes.

Un temps.

Patron – Vous avez rencontré un inconnu sur un site de rencontre ?

Elle – C’est mon ex-mari. On a divorcé il y a quelques années.

Patron – Ah oui… Donc, ce n’est pas tout à fait un inconnu…

Elle – On a vécu ensemble pendant dix ans. J’avais l’impression de vivre avec un étranger. C’est moi que je ne connaissais pas. C’est moi qui n’allais pas bien.

Patron – Pourquoi maintenant ?

Elle – Il a subi une transplantation cardiaque il y a un an.

Patron – Alors vous vous êtes dit qu’avec un cœur tout neuf…

Elle – Quand il a appris qu’il était malade, il ne m’a rien dit. Ça n’allait déjà plus entre nous. Il ne voulait pas que je reste avec lui par pitié, j’imagine.

Patron – Et vous l’avez quitté…

Elle – Il m’a dit qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre…

Patron – Mais ce n’était pas vrai…

Elle – Il avait une chance sur deux d’y rester. Il ne voulait pas faire de moi une veuve éplorée…

Patron – Il a préféré faire de vous une joyeuse divorcée… Et donc, il a survécu…

Elle – Je travaille à l’hôpital… J’ai appris par hasard qu’il avait subi une transplantation. C’est moi qui l’ai appelé… Je lui ai demandé s’il voulait qu’on se revoit.

Patron – Dans l’espoir que son cœur tout neuf se remette à battre pour vous… Attention… dans votre jargon, on pourrait appeler ça de l’acharnement thérapeutique !

Elle – Vous pensez qu’on ne peut pas aimer deux fois la même personne ?

Patron – En tout cas, on peut épouser deux fois le même homme, et on peut divorcer deux fois d’avec la même femme.

Elle – Ce n’est plus tout à fait le même homme. Vous l’avez dit, il a un cœur tout neuf…

Patron – Tout neuf, pas tout à fait… Celui ou celle à qui il a appartenu était peut-être déjà très malheureux en amour.

Elle – Finalement, vous êtes encore plus pessimiste que moi.

Patron – Je suis jaloux, c’est tout. Je vous l’ai dit, vous êtes de celles qu’on n’oublie pas…

Elle – J’espère que lui non plus ne m’aura pas oubliée… (Au bord des larmes) Et qu’il m’aura pardonnée…

Il pose sa main sur la sienne pour la réconforter.

Lui – Ayez confiance en vous.

Elle tourne son regard vers la vitrine du café, côté public.

Elle – Le voilà… J’ai le cœur qui bat…

Patron – Aussi fort que quand vous l’avez rencontré ?

Elle – Beaucoup plus fort…

Patron – Espérons que le sien ne lâchera pas maintenant, ce serait trop bête…

Elle – Finalement, je le prendrai bien, ce petit calva.

Il lui sert un verre, qu’elle boit cul sec.

Patron – Ça va aller.

Elle – Merci.

Elle lui presse la main une dernière fois, et s’éloigne vers le public pour aller à la rencontre de son ex-mari.

Noir

Fin

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Juillet 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-268-4

Ouvrage téléchargeable gratuitement

 

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La maison de nos rêves

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

1H/1F ou 2H/2F ou 3H/3F ou 4H/4F ou 5H/5F

Un couple vient d’acheter la maison de ses rêves, à un prix étonnamment bas. Qu’a-t-il bien pu se passer dans cette maison pour qu’elle n’ait pas trouvé preneur avant ? Les précédents propriétaires y sont morts dans des circonstances aussi dramatiques que mystérieuses… Un conte à rebours philosophique sur le destin tragicomique de l’humanité en général, et du couple en particulier.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

La maison de nos rêves

Conte à rebours

ACTE 5

Elle et lui sont assis dans un jardin.

Lui – Cette maison est absolument parfaite.

Elle – Oui. C’est vraiment le paradis.

Lui – Et ce jardin…

Elle – C’est le jardin d’Eden.

Un temps.

Lui – Le jardin d’Eden, c’est le paradis ?

Elle – Comment ça ?

Lui – Le paradis, c’est quand on est mort, non ?

Elle – Le jardin d’Eden, c’est le paradis terrestre. Le paradis perdu. Juste avant qu’Adam bouffe toutes les pommes, qu’Ève abatte le pommier pour en faire du bois de chauffage, et que leur fils fracasse le crâne de son frère avec les rondins.

Il la regarde un peu étonné.

Lui – Il faudra que je relise la Bible, maintenant que j’ai un peu le temps.

Elle – En tout cas, c’est la maison de nos rêves.

Lui – Oui. Exactement ce que nous voulions.

Elle – Tous les commerces sont à côté.

Lui – Sans parler des écoles.

Elle – Dommage que nous n’ayons pas d’enfants.

Lui – Ça leur évitera de s’entretuer.

Elle – Enfin, si on la revend un jour… à un couple qui a des enfants…

Lui – Et puis la maison est tellement impeccable.

Elle – Tout a été refait de la cave au grenier.

Lui – Des enfants, ils saloperaient tout.

Elle – Elle est comme neuve.

Lui – Oui, entièrement rénovée. Et à ce prix-là, tu te rends compte.

Elle – C’est vrai qu’on ne l’a pas payée cher.

Lui – Pour une maison comme ça.

Elle – Aussi belle, et aussi bien placée.

Lui – Les peintures sont encore fraîches.

Elle – C’est tellement blanc… C’en est presque suspect.

Lui – Suspect ?

Elle – Comme si on avait voulu effacer toute trace de…

Lui – De quoi ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Toute trace de vie ?

Elle – Toute trace de sang…?

Ils échangent un regard inquiet.

Lui (pour se rassurer) – J’aime beaucoup cette maison.

Elle – On s’y sent tellement bien.

Lui – J’ai toujours rêvé d’avoir une maison comme ça.

Elle – Et aujourd’hui, ce rêve est devenu une réalité.

Silence. Nouvelle inquiétude.

Lui – Tu n’as pas entendu quelque chose.

Elle – Si…

Lui – Qu’est-ce que c’est ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Ou alors on a rêvé.

Elle – Je vais voir.

Elle se lève, et revient un instant après.

Lui – Qu’est-ce que c’était ?

Elle – La boîte aux lettres.

Lui – Un courrier ?

Elle – Un prospectus.

Lui – On se demande à quoi ça sert de mettre un « Stop pub » sur sa porte.

Elle – C’est pour la « Fête des voisins ».

Lui – Les voisins font une fête ?

Elle – La « Fête des voisins » ! C’est une fois par an, au printemps. On sort des tables dans la rue, chacun apporte à boire et à manger…

Lui – Ah oui… La fête des voisins… Donc, ils nous mettent un mot pour nous prévenir qu’ils vont faire un peu de bruit.

Elle – Ils nous mettent un mot pour nous inviter !

Lui – Nous inviter ? Nous ? Mais on ne les connaît pas, ces voisins-là !

Elle – Maintenant qu’on habite ici, c’est nos voisins. On est supposés faire connaissance.

Lui – Je vois… La fête des voisins… Tu crois qu’il faut y aller.

Elle – Ce n’est pas une obligation… mais ce serait peut-être mieux. Qu’est-ce que tu en penses ?

Lui – Je ne sais pas…

Elle – Si on veut commencer à s’intégrer un peu dans le quartier.

Lui – C’est vrai, on ne connaît personne.

Elle – Même les anciens propriétaires, on ne les a jamais rencontrés.

Lui – Il faut dire qu’on ne sort pas souvent.

Elle – Non… On devrait peut-être…

Silence.

Lui – À propos de voisins, tu sais quoi ?

Elle – Quoi ?

Lui – Je me demande si la voisine n’est pas morte.

Elle – Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Lui – Je ne sais pas… (Un temps) L’odeur, déjà…

Elle – L’odeur ?

Lui – Tu ne sens rien ?

Elle – Non.

Lui – Même sans avoir un sens de l’odorat très aiguisé… Il y a quelque chose de pourri dans le coin, je t’assure.

Elle – Ah bon ?

Lui – Et ça ne date pas d’hier. Ça sent de plus en plus fort…

Elle – Mais quand tu dis quelque chose de pourri… tu veux dire un cadavre ?

Lui – Je ne sais pas… je n’ai jamais eu l’occasion de renifler un cadavre. Et toi ?

Elle – Non. Enfin, si, mais… pas un cadavre qui sentait à ce point-là.

Lui – Comme une odeur de rat crevé, si tu préfères.

Elle – C’est peut-être un rat crevé.

Lui – Des rats ? Dans le quartier ? Ça m’étonnerait… C’est un quartier plutôt bourgeois.

Elle – Un sanglier, alors…? Ou une biche… J’ai mangé du gibier faisandé, un jour, dans un grand restaurant. Je pense qu’un cadavre, ça doit avoir un peu ce goût-là.

Lui – Une biche faisandée ?

Elle – Je ne sais pas… Le goût, peut-être… Mais alors l’odeur…

Lui – Ça a l’air de venir de la maison d’à côté. Ou du jardin.

Elle – Comment une biche aurait pu arriver dans le jardin de la voisine ?

Lui – Surtout une biche morte. On a beau habiter un quartier bourgeois, il n’y a plus trop de chasses à courre, dans le coin.

Elle – Et à part l’odeur, qu’est-ce qui te fait penser que la voisine pourrait bien être décédée.

Lui – On ne la voit jamais… Les volets sont fermés…

Elle – Elle est peut-être partie en vacances.

Lui – Depuis plus de trois mois ?

Elle – Pourquoi pas ?

Lui – À cet âge-là, on part en croisière pour une semaine. Dix jours tout au plus.

Elle – Comment tu sais quel âge a la voisine ? Puisqu’on ne l’a jamais vue. D’ailleurs, comment tu sais que c’est une femme ?

Lui – Je ne sais pas. J’imaginais une vieille dame. La maison n’est pas en très bon état. Et les femmes vivent souvent plus longtemps que leurs maris. Donc, j’en ai déduit que…

Elle – Je vois…

Lui – Observation, déduction…

Elle – Elle a dû partir pour un très long voyage. Ou alors, elle est chez ses enfants.

Lui – Pendant trois mois ? Qui supporterait d’avoir sa mère chez lui pendant trois mois ?

Elle – Bon, admettons… La voisine est morte… Chez elle… Et tu serais le seul à t’en être aperçu ?

Lui – J’ai toujours eu l’odorat très fin…

Elle – Sa famille se serait inquiétée de sa disparition…

Lui – Sa famille ?

Elle – Ses enfants.

Lui – Et si elle n’a pas d’enfants ?

Elle – Tout le monde a des enfants !

Lui – Nous on n’en a pas…

Elle – Son mari, alors.

Lui – Tu viens de dire qu’elle était sûrement veuve…

Un temps.

Elle – Bon… Alors qu’est-ce qu’on fait ? Il faudrait prévenir la police…

Lui – La police ?

Elle – On ne va pas la laisser là comme ça, en attendant que…

Lui – Qu’elle commence à se décomposer ?

Elle – Combien de temps un corps peut-il rester comme ça avant de commencer à sentir ?

Lui – Je me demande si c’est une bonne idée que ce soit nous qui prévenions la police.

Elle – Pourquoi ça ?

Lui – On pourrait nous soupçonner.

Elle – Nous soupçonner ? De quoi ?

Lui – De l’avoir assassinée !

Elle – Parce que tu crois qu’elle a été assassinée ?

Lui – Je n’en sais rien… Ça arrive…

Elle – Et pourquoi on nous soupçonnerait ?

Lui – Ça fait à peine trois mois qu’on a emménagé ici, la voisine meurt juste au même moment, et c’est nous qui prévenons la police…

Elle – Tu as raison, on pourrait avoir des ennuis… Mais pourquoi on l’aurait tuée, la voisine ?

Lui – On a toujours de bonnes raisons de vouloir se débarrasser de ses voisins, non ?

Elle – Quelles raisons ?

Lui – Pour racheter la maison, par exemple.

Elle – Oui, enfin…

Lui – Surtout si on l’a achetée en viager.

Elle – Ne me dis pas que tu as acheté la maison de la voisine en viager, et que c’est toi qui l’a tuée.

Lui – Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher !

Elle – Tu me rassures…

Lui – Ceci dit, ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée.

Elle – De tuer la voisine ?

Lui – De racheter la maison.

Elle – Pour quoi faire ?

Lui – Pour ne plus avoir de voisine !

Elle – Tu recommences à m’inquiéter…

Lui – Plus de voisins, plus de fête des voisins.

Elle – Oui, évidemment…

Lui – En tout cas, si elle est morte, la maison va sûrement être mise en vente.

Silence.

Elle – Je crois que je commence à la sentir un peu, cette odeur…

Lui – Une odeur de pourri ?

Elle – Oui, il me semble…

Un temps.

Lui – Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir, au moins ?

Elle – Quoi ?

Lui – Que tu sens une odeur de cadavre.

On sonne.

Lui – Qu’est-ce que c’est encore ? On attend quelqu’un ?

Elle – Non.

Lui – J’espère que ce n’est pas une autre invitation.

Elle – On ne connaît personne… Une invitation pour quoi ?

Lui – La « Fête de la Musique » ?

Elle – C’est vrai que c’est dans pas trop longtemps aussi.

Lui – Ils pourraient grouper.

Elle – La fête de la musique entre voisins…

Lui – Je vais aller voir…

Il sort. Elle hume l’air pour essayer de sentir quelque chose.

Elle – Je n’aurais pas fait un bon chien policier. (Il revient) Qu’est-ce que c’était ?

Lui – La voisine.

Elle – Celle qui est morte ?

Lui – L’autre voisine.

Elle – Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Lui – Elle voulait savoir si par hasard, ce n’était pas chez nous que ça sentait le cadavre.

Elle – Elle a dit le cadavre ?

Lui – Je crois qu’elle voulait plutôt parler d’un animal mort. Un chat par exemple. Le sien a disparu il y a déjà quelques semaines.

Elle – Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Lui – Je lui ai dit que je ne sentais rien…

Elle – Tu as bien fait.

Lui – Il vaut mieux ne pas s’occuper de ce qui ne nous regarde pas.

Elle – Pour vivre heureux, vivons cachés…

Lui – On est heureux ?

Elle – Qu’est-ce que tu en penses ?

Silence.

Lui – C’est curieux… Elle m’a raconté une drôle d’histoire…

Elle – Qui ?

Lui – La voisine !

Elle – Quelle histoire ?

Lui – Je ne sais pas si tu as envie d’entendre ça maintenant.

Elle – Tu en as trop dit ou pas assez…

Lui – Tu te souviens de ce que nous a dit l’agent immobilier quand on a acheté la maison ?

Elle – Quoi ?

Lui – Que la maison était en vente parce que les propriétaires étaient morts.

Elle – Oui… C’est sûrement pour ça qu’on ne les a jamais rencontrés.

Lui – Ce qu’il a omis de nous préciser, c’est comment ils étaient morts…

Elle – C’est vrai, ça. C’est curieux qu’ils soient morts tous les deux, en même temps.

Lui – Oui…

Elle – Comment ils sont morts ?

Lui – Elle lui a fendu le crâne d’un coup de hache…

Elle – Ah oui… Et où ça ?

Lui – Ici, dans le jardin.

Elle – Non ? Et après ?

Lui – Après, elle s’est jetée du deuxième étage dans la cour.

Elle – La cour ? Tu veux dire le jardin ? Notre jardin…?

Silence.

Lui – Je ne comprenais pas pourquoi cette maison était en vente depuis si longtemps.

Elle – Et qu’elle n’ait pas trouvé preneur, même à un prix aussi bas.

Lui – C’est vrai qu’on a fait une bonne affaire.

Elle – Tu crois ?

Lui – Je ne sais pas…

Elle – C’est sans doute pour ça qu’ils ont refait toutes les peintures.

Lui – Pour effacer toutes les traces de sang…

Un temps.

Elle – Tu es sûr que c’est dans la maison d’à côté, que ça sent la mort ?

Lui – Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle – Ça vient peut-être d’ici.

Lui – Non mais ce n’est pas possible. Quand la police est venue et qu’ils ont découvert le drame, ils ont enlevé les corps, quand même.

Elle – Il y a parfois des phénomènes étranges, dans les maisons où des drames comme ça se sont produits…

Lui – C’est vrai que la première fois qu’on a visité la maison, j’avais déjà senti quelque chose.

Elle – Et tu ne m’as rien dit ?

Lui – La maison était tellement bon marché…

Elle – Je comprends pourquoi, maintenant.

Lui – Oui, moi aussi…

Silence.

Elle – Tiens, on dirait que la voisine est rentrée de vacances…

Lui – Tu crois ?

Elle – Les volets sont ouverts…

Lui – Au moins, elle, elle n’est pas morte.

Elle – Non… Pas encore…

Lui – Donc ce n’est pas de chez elle que vient cette odeur.

Elle – Ou alors c’est le chat…

Lui – On va dire que c’est le chat.

Elle – Oui, c’est sûrement le chat.

Silence.

Lui – Alors qu’est-ce qu’on fait ? On y va ou pas ?

Elle – Où ça ?

Lui – À la fête des voisins !

Elle – Je ne sais pas si c’est une bonne idée.

Lui – Tu as raison.

Elle – Je les vois déjà nous regarder par en dessous en parlant à voix basse.

Lui – « C’est eux ».

Elle – « Ceux qui habitent dans la maison où a eu lieu ce massacre ».

Lui – Oui… En se demandant quand ce sera notre tour.

Elle – Notre tour ?

Lui – De nous massacrer.

Elle – Tu crois qu’on pourrait en arriver là ?

Lui – On s’emmerde tellement.

Elle – On a une hache ?

Silence. Il hume à nouveau l’air.

Lui – Et si c’était nous…

Elle – Nous ?

Lui – Qui sentions le pourri.

Ils se regardent, perplexes.

Noir

ACTE 4

 Il arrive en premier, et jette un regard autour de lui. Elle le rejoint.

Lui – Alors, Commissaire, qu’est-ce que vous en pensez ?

Elle – Je pense qu’ils sont morts tous les deux.

Lui – Oui… C’est ce que je me suis dit aussi, quand j’ai vu que sa tête à lui était séparée du corps et qu’elle avait roulé à plus de deux mètres du tronc…

Elle – Et que sa tête à elle avait éclaté sur le carrelage de la cour comme une vieille pastèque trop mûre.

Lui – Mais ce que je voulais savoir, Commissaire, c’est ce que vous pensez de cette affaire…

Elle – Je ne pense rien, mon vieux. J’observe, et je déduis, c’est tout. Comme Sherlock Holmes ou l’inspecteur Columbo. Un bon policier ne pense pas. Il observe, et il tire des conclusions de ses observations.

Il lui lance un regard perplexe, et continue d’examiner les lieux.

Lui – Je me demande ce qui a bien pu se passer ici, pour qu’un couple sans histoire en arrive à se massacrer comme ça avec un tel entrain.

Elle – Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il s’agit d’un meurtre ?

Lui – Elle tenait encore à la main la hache qui a servi à le décapiter.

Elle – Ne vous fiez pas aux apparences, Inspecteur, ça vous jouera des tours. D’ailleurs, vous avez omis de noter qu’avant de décapiter son mari, elle avait abattu un pommier dans le jardin. Probablement avec la même hache.

Lui – C’est vrai, je n’avais pas fait attention à ça. Et puis je n’y connais rien en arbre.

Elle – Moi non plus.

Lui – Alors comment savez-vous que c’est un pommier ?

Elle – Parce que j’ai vu des pommes accrochées aux branches.

Lui – Je n’avais pas remarqué ça non plus…

Elle – Si j’avais vu des poires, j’en aurais déduit que c’était un poirier. Des cerises, un cerisier. Observation, déduction. N’oubliez jamais ça, Inspecteur.

Lui – J’y penserai, Commissaire.

Elle – Qu’est-ce qu’on sait de ce… couple sans histoire, comme vous dites ?

Il regarde sur un petit calepin.

Lui – Lui, il était auteur de théâtre… Elle, comédienne…

Elle – Un auteur connu ?

Lui – Une de ses pièces a rencontré un certain succès il y a quelques années.

Elle – Ah oui ? Laquelle ?

LuiUn rêve de maison

Elle – Jamais entendu parler. La dernière fois que je suis allée au théâtre, c’était pour voir La cage aux folles.

Lui – Ça ne vous a pas plu…

Elle – Si, si. Justement. J’ai préféré rester sur une bonne impression. Et elle ?

Lui – Des seconds rôles, principalement… De moins en moins, d’ailleurs. Apparemment, il lui manquait quelques cachets pour valider son intermittence cette année.

Elle – Ça pourrait constituer un motif de suicide. Mais pas un mobile de meurtre. Pas de casier ?

Lui – Une obscure affaire de plagiat. Un vol à l’étalage. Une fraude aux allocations familiales. Rien de grave…

Elle – Ils avaient des enfants ?

Lui – Non. C’est pour ça que je parlais de fraude aux allocations familiales.

Elle – Je vois… Un vol à l’étalage, vous disiez ?

Lui – Oui.

Elle – Lui ou elle ?

Lui – Elle.

Elle – Du parfum ? Du maquillage ? De la lingerie ? C’est généralement ce que volent les femmes dans les magasins…

Il regarde sur un petit calepin.

Lui – Une hache.

Elle – Une hache ? Il pourrait donc y avoir préméditation…

Lui – Si c’est bien avec cette hache qu’elle a décapité son mari.

Elle – Pourquoi aurait-elle volé une hache si elle en avait déjà une ?

Lui – Je ne sais pas… Certaines femmes volent pour le plaisir de voler…

Elle – Une hache ?

Lui – C’est vrai qu’une hache… c’est plutôt rare.

Elle – Une hachette, à la rigueur. Ce serait plus féminin… Ou un couteau à pain. Une lime à ongles, éventuellement.

Lui – Pour couper un arbre ?

Elle – C’est un petit arbre, Inspecteur. Vous n’aviez pas remarqué ça non plus ?

Lui – Et pour… le plagiat, Commissaire, qu’est-ce que vous en pensez ?

Elle – Vous ne savez pas ce que ça veut dire, c’est ça ?

Lui – Disons que… je ne suis pas très sûr.

Elle – Un plagiat, c’est un vol.

Lui – Comme de voler une hache dans un magasin de bricolage ?

Elle – Oui. Sauf que le magasin de bricolage, c’est le cerveau d’un auteur, et que ce sont ses idées que le plagiaire lui vole.

Lui – Je vois… Un peu comme un vampire qui suce le sang de ses victimes… Elle lui a peut-être fendu le crâne pour fouiller son cerveau et lui voler ce qu’il y avait dedans…

Elle – Pourquoi se serait-elle jetée par la fenêtre après ?

Lui – Qu’est-ce qu’un comédien pourrait bien voler à un auteur ?

Elle – Ses répliques, probablement. C’est un travers assez habituel chez les comédiens. Ils finissent par se croire l’auteur du texte qu’ils interprètent.

Lui – Vraiment ?

Elle – J’ai connu un tragédien qui avait fini par se convaincre qu’il était l’auteur de toutes les pièces de Racine.

Lui – Il a fini à l’asile, j’imagine.

Elle – Il a fini à l’Académie Française.

Lui – L’Académie Française…?

Elle – C’est l’équivalent du Conseil Constitutionnel, mais pour les gens de lettres. Une sorte de maison de retraite, si vous préférez. Mais au lieu de jouer au Scrabble, ils décident des mots qui peuvent être acceptés au Scrabble.

Lui – Et c’est grave, Commissaire ?

Elle – Quoi donc ?

Lui – Le plagiat !

Elle – Nous sommes tous des faussaires, mon vieux. Nous ne faisons que répéter les phrases toutes faites qu’on nous a apprises à l’école. En les déformant au passage. Si on jetait en prison tous ceux qui ne sont pas vraiment les auteurs des conneries qu’ils profèrent à longueur de journée, il n’y aurait plus grand monde en liberté, croyez-moi.

Lui – Même si, comme disait Michel Audiard, « un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ».

Elle – C’est de Jacques Audiberti.

Lui – Connais pas…

Elle – « Un con qui marche vaut mieux que dix intellectuels assis ». Il arrivait aussi à Michel Audiard de plagier ses confrères. Même si en l’occurrence, je ne suis pas sûre de savoir lequel a plagié l’autre.

Lui – En somme… on n’a rien inventé.

Elle – La vie est un combat de chaque instant contre la médiocrité, qui consiste à plagier les autres, avant de se plagier soi-même…

Lui – C’est tellement intelligent, ce que vous dites… Je ne suis pas sûr de tout comprendre…

Elle – La véritable intelligence, Inspecteur, c’est de savoir fermer sa gueule. Peu de gens en sont capables. Moi-même, je me surprends parfois à faire des phrases… qui ne sont pas de moi.

Lui – Et ça, c’est de vous, Commissaire ?

Elle – Malheureusement non. Ramassez un morceau de cette pastèque et mettez-le dans un sac isotherme. On l’enverra au labo pour analyse.

Lui – Bien, Commissaire.

Elle – Et n’oubliez pas de mettre des gants…

Lui – Pour ne pas contaminer l’échantillon.

Elle – Oui… Et surtout pour ne pas vous salir les mains…

Lui – Et ne pas salir la maison.

Elle – Ce serait dommage. C’est tellement propre, ici.

Lui – À ce qu’il paraît, ils faisaient refaire les peintures tous les ans.

Elle – Après chaque crime, probablement.

Lui – Vous croyez qu’il y en a eu plusieurs ?

Elle – Je vous l’ai dit, je ne crois rien.

Il sort. Elle jette un regard autour d’elle, avant de humer l’air. Puis elle se met à quatre pattes et renifle un peu partout comme un chien policier. Il revient et la regarde, un peu interloqué.

Lui – Vous êtes sur une piste, Commissaire ?

Elle se relève.

Elle – Croyez-en mon flair, Inspecteur, ça sent la mort, dans cette maison.

Lui – Il y a deux cadavres juste à côté, c’est normal, non ?

Elle – Ce que je voulais dire, c’est que ça sent le pourri. La chair en décomposition, si vous préférez. Or ce couple est mort il y a très peu de temps.

Lui – Comment le savez-vous ?

Elle – La cervelle de madame était encore fumante quand nous sommes arrivés.

Lui – C’est vrai qu’il ne fait pas très chaud, ici. Mais sans vouloir vous contredire, Commissaire, pour la fumée, je crois qu’il s’agissait plutôt d’une cigarette mal éteinte. J’ai retrouvé le mégot consumé dans un coin de la cour.

Elle – Eh bien raison de plus. Quand la dernière cigarette fume encore, c’est que le condamné n’est pas mort depuis très longtemps. (Elle renifle à nouveau.) Cette affaire sent le pourri, je vous dis…

Lui – Et quelles conclusions tirez-vous de ces observations, Commissaire ?

Elle – Il y a au moins trois conclusions possibles.

Lui – Je vous écoute.

Elle – Soit les victimes sentaient déjà le pourri de leur vivant.

Lui – Oui…

Elle – Soit cette odeur provient d’autres cadavres plus faisandés qu’on n’aurait pas encore découverts. Des cadavres enterrés dans la cave, par exemple.

Lui – Combien de temps un homme peut-il rester en terre avant de pourrir ?

Elle – Ma foi, s’il n’est pas déjà pourri avant de mourir…

Lui – Alors ça non plus, ce n’est pas de vous…

Elle – Non.

Lui – C’est de qui, patron ?

Elle – Shakespeare. Dans Hamlet. À supposer que ce soit bien lui qui ait écrit ses pièces, évidemment.

Lui – Vous pensez que Shakespeare était un plagiaire, lui aussi ?

Elle – Allez savoir…

Lui – Et quelle est votre troisième hypothèse, Commissaire ?

Elle – Et si c’était nous qui sentions le pourri…?

Lui – Je n’aurais jamais pensé à ça…

Elle – C’est pour ça que je suis commissaire et vous seulement inspecteur.

Lui – Bien sûr, Commissaire.

Elle – J’ai beaucoup réfléchi sur la nature humaine. Et j’en suis arrivée à certaines conclusions, que je consignerai peut-être dans un livre lorsque je serai à la retraite, afin d’en faire profiter les générations futures.

Lui – Vraiment ? Et quel genre de livres, Commissaire ? Un roman policier ?

Elle – Plutôt… une sorte de Bible.

Lui – Je vois… Une bible de série policière…

Elle – Enfin, Inspecteur ! Une Bible ! Un nouveau Nouveau Testament, en quelque sorte.

Lui – Ah, d’accord…

Lui – Vous voulez connaître en avant-première quelques-unes de mes réflexions ?

Lui – Pourquoi pas…?

Après un bref silence, pour ménager l’effet dramatique.

Elle – Vous savez combien d’êtres humains ont vécu et sont morts sur cette terre avant nous, Inspecteur ?

Lui – Non.

Elle – Environ cent milliards. Pour un être vivant sur cette planète, il y en a plus de dix dans nos cimetières et ailleurs.

Lui – Ah oui. Ça fait du monde.

Elle – Et ça ne va pas s’arranger, croyez-moi.

Lui – Ah bon ?

Elle – Vous verrez. En vieillissant, on finit par connaître plus de morts que de vivants.

Lui – C’est vrai…

Elle – Et il arrivera un jour où sur cette terre, il n’y aura plus que des morts.

Lui – La fin du monde, vous voulez dire ?

Elle – La fin de l’humanité, en tout cas. Au rythme où on va, c’est sans doute pour bientôt. La Terre ne sera plus alors qu’une maison vide, hantée par tous les morts qui l’ont occupée successivement depuis l’aube de l’humanité.

Lui – C’est beau ce que vous dites, Commissaire.

Elle – Ce n’est pas de moi, hélas.

Lui – C’est de qui, alors ?

Elle – De l’auteur de cette pièce, j’imagine. À moins que ce ne soit qu’un vulgaire plagiaire, lui aussi.

Lui – Et pour ce double meurtre, qu’est-ce qu’on fait ?

Elle – Il nous faudra remonter le fil de ces événements funestes, depuis ce dernier meurtre, jusqu’à la première victime de cette tueuse en série.

Lui – Vous pensez que nous avons affaire à une tueuse en série ?

Elle – La Mort ! C’est elle qui est responsable de tous ces décès ! Il n’y a pas de mort naturelle, Inspecteur. Toute mort est un homicide. C’est la Mort qui a assassiné tous ces gens.

Lui – Mais quand vous dites remonter le fil des événements, vous voulez dire…?

Elle – Le premier meurtre ! La première affaire criminelle.

Lui – Quelle affaire ?

Elle – Caïn et Abel, évidemment.

Lui – Je n’ai pas entendu parler de cette affaire. Caïn et Abdel, vous dites ?

Elle – Vous n’avez jamais lu la Bible ? Ou Victor Hugo ? « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », ça ne vous dit rien ?

Lui – Non. Une caméra cachée dans une tombe ?

Elle – C’est Dieu qui, le premier, a inventé la vidéosurveillance, Inspecteur. Nous autres policiers, nous ne sommes que ses modestes serviteurs.

Silence.

Lui – Alors vous croyez que la Terre pourrait disparaître un jour ?

Elle – La Terre, c’est comme une maison. On l’achète à quelqu’un en arrivant, on la revend à quelqu’un d’autre en partant, en espérant faire une petite plus-value au passage. On a l’impression qu’elle a toujours été là, cette maison, et qu’elle y sera toujours. Pourtant, quelqu’un l’a construite un jour, et quelqu’un finira par la détruire.

Lui – Je commence à la sentir, moi aussi.

Elle – Quoi ?

Lui – Cette odeur de mort.

Elle – Cette odeur, mon vieux, c’est celle de la vie d’avant soi. Les cent milliards d’humains qui nous ont précédés. La Terre est un charnier, une fosse commune, un gigantesque cimetière sous la lune.

Lui – J’imagine que ce n’est toujours pas de vous…

Elle – Allez savoir… Il m’arrive aussi d’improviser. Vous avez vu La nuit des morts-vivants ?

Lui – Ces cadavres qui sortent de leurs tombes et vont faire un tour en ville pour bouffer de la chair fraîche ?

Elle – Cent milliards, vous imaginez ? Sans compter les animaux sauvages, qu’on aura bientôt tous exterminés, et les animaux domestiques, qu’on élève dans des cages et qu’on massacre à la chaîne pour les bouffer le dimanche après la messe autour d’un barbecue entre amis.

Lui – C’est vrai que c’est sympa, un petit barbecue…

Elle – Imaginez qu’une nuit, ils reviennent tous pour nous bouffer, tous ces poulets, tous ces cochons, tous ces veaux qu’on a massacrés dans nos abattoirs ?

Lui – Ah oui, ça fout les jetons…

Elle – Sans parler des légumes !

Lui – Les légumes ? Vous voulez dire les frites ?

Elle – Imaginez ! La nuit des morts-vivants, mais avec des patates, des carottes et des navets, qui sortent de terre la nuit pour venir nous bouffer ? Imaginez, Inspecteur !

Lui – J’essaie, Commissaire. J’essaie… Et qu’est-ce qu’on fait de ces deux-là ?

Elle – Qu’est-ce que vous pensez de la maison ?

Lui – Elle est pas mal.

Elle – Pas mal ?

Lui – Non, c’est vrai qu’elle est absolument parfaite.

Elle – J’en cherche une dans le quartier, justement. Mais avec le salaire de misère qu’on nous verse tous les mois… Même si je gagne trois fois plus que vous.

Lui – Aucuns travaux à prévoir. Près de tous les commerces. Avec une école pas très loin.

Elle – Maintenant, la maison va sûrement être mise en vente.

Lui – Maintenant ?

Elle – Maintenant que les propriétaires sont morts.

Lui – Vous pourriez vivre dans une maison où se sont déroulés des événements aussi dramatiques ?

Elle – Pas vous ?

Lui – Je crois que je ferais des cauchemars…

Elle – Alors vous pensez que la maison sera vendue moins cher ?

Lui – Je pense que cette maison est invendable…

Elle – C’est aussi mon avis.

Lui – Dans le quartier, ça restera la maison où a eu lieu le massacre. La maison du crime.

Elle – Vous connaissez ce tableau de Paul Cézanne, La maison du Pendu ?

Lui – Qui ?

Elle – On ne sait même pas si quelqu’un s’est jamais pendu dans cette baraque. Peut-être que tout simplement, elle appartenait autrefois à un Breton qui s’appelait Pen’Du.

Lui – Ah oui, un Breton…

Elle – Mais vous imaginez le boulot pour un agent immobilier. Qui pourrait bien vouloir acheter la maison d’un pendu ? Et encore, là on en a fait un tableau célèbre. Mais pour une maison du pendu peinte par Cézanne, combien de maisons où quelqu’un s’est pendu sans que personne ne le sache.

Lui – Il faut bien se pendre quelque part.

Elle – Autre part, mais pas chez moi. Ça risquerait de dévaloriser la maison. D’où l’expression.

Lui – Quelle expression ?

Elle – Allez vous faire pendre ailleurs !

Lui – Ah oui…

Elle – Et si on la rachetait, cette maison.

Lui – On ?

Elle – Pour une bouchée de pain. Vous et moi. Vous devez bien avoir quelques économies ?

Lui – C’est sûr qu’on pourrait l’avoir pour pas cher. Mais vous disiez qu’elle serait invendable.

Elle – On la rachète pour presque rien, on attend que ça se tasse un peu, on refait les peintures, et on la revend avec une grosse plus-value.

Lui – Et en attendant, qui l’habitera ?

Elle – Vous et moi !

Lui – Vous et moi ?

Elle – Je ne vous plaît pas, Inspecteur ?

Lui – Si, si, bien sûr, c’est juste que…

Elle – Quoi ?

Lui – Non, non, rien… (Un temps) Et moi, je vous plais, Commissaire ?

Elle lui lance un regard étonné.

Elle – Non mais je plaisantais, mon vieux.

Lui – Bien sûr, Commissaire.

Elle – Vous et moi, on se connaît déjà trop bien. On finirait par s’ennuyer.

Lui – Peut-être même qu’on commencerait par là.

Elle – Et croyez en mon expérience, c’est pour échapper à l’ennui que pas mal de couples en arrivent à se massacrer à domicile.

Lui – Vous pensez qu’elle lui a fendu le crâne et qu’elle s’est défenestrée juste après seulement pour pimenter un peu leur vie de couple ?

Elle – Vous êtes marié, Inspecteur ?

Lui – Non.

Elle – Alors vous ne pouvez pas comprendre.

Noir

ACTE 3

Il est là, assis, immobile. Elle arrive de l’extérieur, un imperméable sur le dos et une hache à la main.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Elle retire son imperméable.

Lui – Tu as passé une bonne journée ?

Elle – Ça va.

Lui – Bon. (Silence, pendant lequel elle affûte sa hache avec une pierre) Tu as quelque chose à me dire ?

Elle – Qu’est-ce qu’on pourrait se dire de plus ? Qu’on n’ait pas déjà dit… On ne ferait que se répéter, non ?

Lui – Bien… Et… si je peux me permettre quand même… Qu’est-ce que tu fais avec cette hache ?

Elle – Ah… Ça c’est une question que tu ne m’as encore jamais posée…

Lui – Sans doute parce que c’est la première fois que tu reviens à la maison avec une hache…

Elle – Voilà… C’est la première fois… J’ai décidé de te surprendre, vieille branche…

Lui – C’est aussi la première fois que tu m’appelles vieille branche… Et alors ?

Elle – Je vais abattre l’arbre qu’il y a au fond du jardin.

Lui – Avec une hache ?

Elle – Ben oui ! Pas avec une lime à ongles.

Lui – Et qu’est-ce qu’il t’a fait, cet arbre ?

Elle – Il est pourri.

Lui – Pourri ?

Elle – Pourri de l’intérieur. Au moindre coup de vent, il risque de nous tomber dessus.

Lui – On est rarement en dessous.

Elle – On pourrait avoir envie de faire un barbecue.

Lui – On ne fait jamais de barbecues. Et je ne sais même pas où il est, cet arbre.

Elle – Ça ne m’étonne pas. Tu ne sors plus de la maison. Même pour aller dans le jardin.

Lui – Je ne savais pas qu’on avait une hache.

Elle – On n’en avait pas.

Lui – Alors tu as acheté une hache…

Elle – Je ne l’ai pas achetée, je l’ai volée.

Lui – C’est plutôt encombrant… Comment peut-on voler une hache ?

Elle – On ne peut pas. Le vigile m’a rattrapée à la sortie. Finalement, j’ai dû la payer.

Lui – On a tout de même les moyens d’acheter une hache. Pourquoi tu ne voulais pas la payer ?

Elle – Pour qu’il n’y ait pas de facture, évidemment !

Lui – Et ça sert à quoi, d’acheter une hache sans facture ?

Elle – Pas de facture, pas de trace ! Si tu achetais un revolver pour tuer quelqu’un, tu préférerais qu’il n’y ait pas de facture, non ?

Lui – Oui, j’imagine… Enfin j’essaie. Je n’ai encore jamais acheté de revolver. Et je n’ai encore jamais tué personne. Jusqu’à aujourd’hui…

Elle – Tu as raison. Acheter un revolver, ça peut éveiller les soupçons. Plus que d’acheter une hache, en tout cas. Même avec une facture…

Lui – Donc, tu as conscience qu’il s’agit d’un acte grave, pour ne pas dire répréhensible…

Elle – J’en ai conscience, rassure-toi.

Lui– À la rigueur, je peux comprendre qu’on abatte un arbre sur un coup de sang. Un platane, par exemple. Parce qu’il s’est jeté sous vos roues juste au moment où vous passiez tranquillement en voiture, complètement bourré. Mais là, comme ça, de sang froid. Avec une hache que tu t’es procurée exprès pour ça… C’est une exécution ! Un meurtre avec préméditation. Je te préviens, je ne me rendrai pas complice d’un tel crime.

Elle – Rassure-toi, tu ne participeras pas à ce massacre. (Plus bas) Pas en tant que complice, en tout cas…

Lui – Pourquoi maintenant ?

Elle – Il est pourri, je te dis.

Lui – Depuis quand ?

Elle – Je ne sais pas… C’est venu petit à petit. Quand le ver est dans le fruit… il finit parfois par attaquer l’arbre.

Lui – Je ne savais même pas qu’on avait un arbre dans le jardin. C’est quoi, comme arbre ?

Elle – Un pommier.

Lui – On a un arbre fruitier dans le jardin ?

Elle – Il est déjà à moitié mort. Il ne donne plus de pommes depuis longtemps.

Lui – Ce n’est pas une raison pour s’en débarrasser comme ça.

Elle – Cet arbre m’a beaucoup déçu. J’avais fondé de grands espoirs sur lui.

Lui – Tu dis qu’il est à moitié mort. C’est qu’il est encore à moitié vivant.

Elle – C’est trop tard. Je préfère abréger son agonie.

Lui – Il pourrait encore donner quelques pommes.

Elle – C’est bien ce que je lui reproche.

Lui – Pardon ?

Elle – Toute sa vie, cet arbre n’a donné que des pommes. Et s’il vivotait encore pendant dix ou vingt ans, il ne donnerait encore et toujours que des pommes.

Lui – Les pommiers donnent des pommes. Tu t’attendais à quoi ?

Elle – À ce qu’il me surprenne.

Lui – Et donc, tu préfères l’abattre.

Elle – À quoi bon ? Cet arbre est devenu tellement prévisible. Et ce qui est prévisible est tellement déprimant.

Lui – Et qu’est-ce que tu vas faire du tronc ?

Elle – Du tronc ? La même chose que de la tête, j’imagine. Je débiterai tout ça en morceaux, je le mettrai dans des sacs en plastique, et je jetterai les tronçons peu à peu dans la poubelle devant chez nous. Un peu chaque jour, pour que les éboueurs ne s’aperçoivent de rien.

Lui – Qu’ils s’aperçoivent de quoi ?

Elle – On n’est pas supposés jeter de vieilles branches à la poubelle. Même en petits morceaux.

Lui – Raison de plus pour ne pas l’abattre, ce pommier.

Elle – Assez bavardé. Plus vite ce sera fait…

Elle fait un pas pour sortir. Il se lève et lui fait face.

Lui – Et si moi, je n’étais pas d’accord ?

Elle – Ah oui ? Et qu’est-ce que tu ferais ?

Lui – Je pourrais t’en empêcher.

Elle – M’en empêcher ? Toi ?

Lui – Parfaitement. Et toi, si je voulais t’en empêcher, qu’est-ce que tu ferais ?

Elle – Je ne sais pas… (Elle brandit sa hache) Je pourrais te fracasser le crâne avec cette hache, par exemple. Histoire de voir s’il y a vraiment un cerveau à l’intérieur.

Un temps.

Lui – Alors tu m’en veux encore d’avoir signé le scénario de cette pièce à ta place…

Elle – Ça s’appelle un plagiat, non ?

Lui – C’était mieux comme ça, je te l’ai dit cent fois. J’étais déjà un peu connu en tant qu’auteur. Ça rassurait le producteur.

Elle – Ça te rassurait surtout toi. Signer enfin quelque chose d’intéressant…

Lui – La pièce a fait un four.

Elle – Certaines pièces ont une deuxième chance. Ruy Blas a reçu un très mauvais accueil lors de la première. C’est devenu un classique, et on en a même fait un film avec Montand et De Funès : La folie des grandeurs.

LuiLa folie des grandeurs… Tu devrais te faire soigner, en effet. Tu te prends pour Victor Hugo, maintenant ?

Elle – Pourquoi pas ? Ruy Blas raconte aussi l’histoire d’un imposteur. Même si le héros, lui, ne manque pas de grandeur.

LuiLa Maison de nos rêves ? Tu comptais vraiment passer à la postérité avec ça ?

Elle – Ça ne t’a pas empêché de signer le manuscrit !

Lui – D’ailleurs, je me demande si tu ne t’es pas un peu inspiré de La folie des grandeurs pour écrire ce navet.

Elle – C’est toi qui me traites de plagiaire, maintenant ! C’est le monde à l’envers !

Elle avance vers lui avec sa hache, menaçante. Il recule prudemment d’un pas.

Lui – N’oublie pas qu’une facture a été émise, finalement. Et la direction du magasin a sûrement fait un signalement à la police. Tu es déjà fichée pour vol à l’étalage.

Elle – Et toi pour plagiat. Parce que ce n’est pas la première fois que tu t’appropries un texte qui n’est pas de ta main.

Elle lève sa hache.

Lui – La police viendra. Tu ne pourras jamais faire passer ça pour un crime passionnel. Tu prendras perpète.

Elle – C’est en me mariant avec toi que j’ai pris perpète… (Elle baisse sa hache, semblant se résigner) Mais tu as raison… ce serait trop risqué. Ça n’en vaut pas la peine…

Lui – Allez, pose cette hache, tu vas finir par blesser quelqu’un.

Elle – Je me demande pourquoi on est venus s’enterrer ici…

Lui – Oui, moi aussi…

Elle – Je ne sais pas pourquoi, il m’a toujours semblé qu’il y avait quelque chose qui clochait avec cette baraque.

Lui – Quoi ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – Comme une malédiction.

Elle – Et si on déménageait ?

Lui – Avec quel argent ? Malheureusement, ce n’est pas avec ton chef d’œuvre qu’on va payer le crédit de la maison. Ni avec tes cachets de comédienne, d’ailleurs.

Elle brandit à nouveau la hache, menaçante.

Elle – C’est un reproche ?

Lui – Tu n’oserais pas faire ça. Ça ressemblerait trop à une mauvaise pièce de boulevard.

Elle – Une femme qui découpe son mari à la hache ?

Lui – À un film d’horreur de série Z, si tu préfères.

Elle – D’un autre côté…

Lui – Quoi ?

Elle – Il y a des nanars qui se vendent très bien…

Lui – Par exemple ?

ElleMeurtre à la tronçonneuse.

Lui – Là c’est juste une hache, et c’est juste une femme qui tue son mari.

Elle – Quand on n’a pas un gros budget…

Lui – Désolé, je n’y crois pas.

Elle – Pense au premier meurtre de l’histoire de l’humanité.

Lui – Caïn et Abel ?

Elle – Un type qui étrangle son frère, à mains nues. C’est tout. L’enquête, c’est juste une caméra de vidéosurveillance installée par Dieu dans la tombe du coupable. Et le bouquin est encore un best-seller aujourd’hui.

Lui – Oui, mais ça ne s’était jamais fait avant. Aujourd’hui, même en matière de meurtre, ce n’est pas si facile de surprendre.

Elle – Tu as raison, c’est vraiment déprimant. Ça me donne envie de me suicider. Bon, je vais commencer par me faire le pommier, ça me détendra…

Elle prend sa hache et s’apprête à sortir.

Lui – Je mets la table… et je vais réfléchir à un autre scénario

Elle – Tu ne veux pas me donner un coup de main, plutôt ?

Lui – Pour quoi faire ?

Elle – Pour abattre ce putain de pommier ! Si on ne veut pas qu’il tombe sur la clôture du voisin, il faudrait que tu pousses de l’autre côté pendant que je coupe le tronc.

Lui – OK, mais fais gaffe quand même. Un accident est si vite arrivé…

Elle – Surtout quand on se sert d’une hache pour la première fois de sa vie…

Ils sortent. Un temps.

Voix off – Coupez ! Ce n’est pas le texte que j’ai écrit, bordel !

Noir

ACTE 2

Elle est là. Il arrive.

Lui – J’ai fait un drôle de rêve… Enfin, c’était plutôt un cauchemar.

Elle – Quoi ?

Lui – J’ai rêvé que tu me quittais…

Elle semble embarrassée.

Elle – Tu connais ton texte ?

Lui – Pas toi ?

Elle – Si, si, enfin… je crois.

Lui – On le répète une dernière fois ?

Elle – OK…

Lui – Il paraît que l’auteur est un psychopathe. Si on change un seul mot à son texte, il serait capable de nous tuer.

Elle – Et comme c’est aussi lui le réalisateur.

Lui – C’est ça le problème avec le cinéma d’auteur…

Elle – On y va ?

Lui – Je ressors, pour faire mon entrée.

Elle – Moi aussi…

Ils sortent tous les deux. Il revient après un instant, et s’assied. Elle arrive, avec une hache.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Elle retire son imperméable.

Lui – Tu as passé une bonne journée ?

Elle – Ça va.

Lui – Bon. (Silence, pendant lequel elle affûte sa hache avec une pierre) Tu as quelque chose à me dire ?

Elle – Qu’est-ce qu’on pourrait se dire de plus ? Qu’on n’ait pas déjà dit… On ne ferait que se répéter, non ?

Lui – Bien… Et… si je peux me permettre quand même… Qu’est-ce que tu fais avec cette hache ?

Elle – Ah… Ça c’est une question que tu ne m’as encore jamais posée…

Lui – Sans doute parce que c’est la première fois que tu reviens à la maison avec une hache…

Elle – Voilà… C’est la première fois… J’ai décidé de te surprendre, vieille branche…

Lui – C’est aussi la première fois que tu m’appelles vieille branche… Et alors ?

Elle – Je vais abattre l’arbre qu’il y a au fond du jardin.

Lui – Avec une hache ?

Elle – Ben oui ! Pas avec un couteau à pain.

Il s’arrête, perturbé.

Lui – Pas avec un couteau à pain ?

Elle – Ce n’est pas ce que je dois dire ?

Lui – Si. Si, si. Mais cette réplique… C’est très con, non ?

Elle – Oui, enfin…

Lui – Et si on demandait à l’auteur de la changer ? Je ne sais pas moi, on pourrait dire… Pas avec une lime à ongles, ce serait plus drôle, non ?

Elle – Tu trouves…?

Lui – Il me semble, oui.

Elle – Tu l’as dit toi-même, l’auteur a horreur qu’on change un seul mot à son texte. Je crois qu’aujourd’hui, il est d’une humeur massacrante… Et comme il y a une hache sur le plateau…

Lui – Tu as raison, on a encore besoin de ces cachets pour boucler notre intermittence cette année… Ce n’est pas le moment de se faire virer. On y retourne ?

Elle – OK.

Il se reconcentre un moment et reprend.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Elle – Je voulais te dire quelque chose.

Lui (surpris) – Ouais…

Elle – Ce n’est pas facile.

Lui – Quoi ?

Elle – Je te quitte.

Lui – Ce n’est pas dans le texte, ça ?

Elle – Non, pas ça.

Lui – On avait dit qu’on ne changeait pas le texte.

Elle – On vient de me proposer un rôle. Le rôle de ma vie…

Lui – On ?

Elle – L’auteur. Enfin, le réalisateur.

Lui – Comment ça un rôle ?

Elle – Il vient de me demander ma main.

Lui – Ta main ?

Elle – Oui, enfin, ma main… et le reste. Il me demande d’être sa femme, si tu préfères.

Lui – Il ne manque pas de culot, celui-là… Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Elle – Oui.

Lui – Alors c’est aussi simple que ça… Il te demande ta main, et tu dis oui ?

Elle – Tu ne m’as jamais demandé ma main.

Lui – Un type que tu connais à peine ?

Elle – Je le connais un peu mieux que ça…

Lui – Ah d’accord… (Un temps) Tu veux qu’on se marie, c’est ça ?

Elle – Je suis désolée. Nous deux, c’est fini.

Lui – Je ne comprends pas…

Elle – Il n’y a rien à comprendre.

Lui – Tu me quittes… alors qu’on vient d’emménager dans une nouvelle maison ?

Elle – Je te la laisse, cette maison.

Lui – Tu veux dire que tu me laisses continuer à payer le crédit tout seul…

Elle – Tu ne voulais pas d’enfant. Cette maison, elle était déjà trop grande pour nous deux.

Lui – J’aurais pu changer d’avis. Tu veux un enfant ?

Elle – C’est trop tard.

Lui – Pourquoi ?

Elle – Je suis déjà enceinte… C’est pour ça que je ne pouvais pas attendre plus longtemps pour te le dire.

Lui – Que tu es enceinte ?

Elle – Que je te quitte !

Lui – Et s’il était de moi.

Elle – Il n’est pas de toi.

Lui – Comment tu peux en être certaine ?

Elle – On n’a pas fait l’amour depuis six mois.

Lui – Tant que ça ? Tu es sûre ?

Elle – Assez pour que je sois sûre que ce bébé n’est pas de toi.

Silence, le temps pour lui d’encaisser le coup.

Lui – Très bien…

Elle – Je suis vraiment désolée…

Lui – OK…

Elle – Ça va aller ? Je veux dire… pour tourner cette scène ?

Lui – Ça ira… On est des professionnels, non ? The show must go on…

Elle – Je crois qu’il nous attend…

Lui – Ne t’inquiète pas… On va le tourner ce… film d’auteur.

Elle – Je suis contente que tu le prennes comme ça.

Lui – Et compte sur moi pour respecter le texte à la lettre…

Voix off – Si tout le monde est prêt on va la tourner. Silence sur le plateau.

Silence.

Noir

ACTE 1

Il est là. Elle arrive.

Lui – Ça y est, il est parti ?

Elle – Il repasse dans une heure, le temps qu’on se fasse une meilleure idée.

Lui – Et qu’on se décide à faire une offre… ou pas.

Ils jettent un regard autour d’eux.

Elle – Alors, qu’est-ce que tu en penses ?

Lui– J’hallucine.

Elle – Toi aussi…

Lui – C’est vrai qu’elle est absolument parfaite.

Elle – Il y a même un jardin.

Lui – Un jardin ou une cour ?

Elle – Une cour assez grande pour qu’il y ait un arbre.

Lui – Ah oui ?

Elle – J’ai beau chercher, je ne vois rien qui cloche.

Lui – Et comparée à tout ce qu’on a vu jusque-là.

Elle – Souvent plus cher…

Lui – Beaucoup plus cher.

Elle – Il doit y avoir une erreur sur le prix, ce n’est pas possible.

Lui – Ils ont oublié un zéro à la fin.

Elle – Ou alors ils sont très pressés.

Lui – C’est qui, les proprios ?

Elle – L’agent immobilier m’a dit qu’ils étaient morts.

Lui – Alors ils ne sont pas pressés.

Elle – Les héritiers le sont peut-être.

Lui – Il a dit que c’était en vente depuis plusieurs années.

Elle – Comment ça peut être en aussi bon état.

Lui – On dirait que le ménage vient d’être fait.

Elle – Je ne comprends pas.

Lui – Tu crois qu’il y a un lézard quelque part ?

Elle – J’ai beau regarder, je ne vois pas.

Lui – Le quartier a l’air très calme aussi. Et très bourgeois.

Elle – Le charme de l’ancien avec tout le confort moderne.

Lui – Rénovation totale.

Elle – Aucuns travaux à prévoir.

Lui – On se met à parler comme l’agent immobilier.

Elle – C’est dingue… On a l’impression que cette maison n’a jamais été habitée.

Lui – Tous ces murs d’un blanc immaculé.

Elle – C’est tellement propre… C’en est presque flippant.

Lui – Oui… C’est curieux…

Elle – Quoi ?

Lui – Non, rien, c’est idiot.

Elle – Vas-y… On s’apprête à s’endetter pour un demi-siècle. On passera peut-être le restant de notre vie dans cette maison… Si tu as quelque chose à dire, c’est maintenant.

Lui – Je ne sais pas… J’ai une impression bizarre.

Elle – Une impression ?

Lui – Tu ne sens pas quelque chose ?

Elle – Non… Je ne sens rien…

Lui – Comme une odeur de…

Elle – Une odeur de quoi ?

Lui – Je ne sais pas. Une odeur… de corps.

Elle – Une odeur corporelle, tu veux dire… comme dans le bus aux heures de pointe ?

Lui – Oui, quelque chose comme ça… Sauf que les passagers seraient déjà descendus.

Elle – C’est peut-être l’agent immobilier… Il n’avait pas l’air très net.

Lui – De là à ce que ça sente partout dans la maison alors qu’il est parti il y a un quart d’heure.

Elle – Ou alors c’est nous…

Lui – Nous ?

Elle – On a passé toute la matinée à courir. Même avec un bon déodorant.

Lui – Non, je t’assure… Ce n’est pas ce genre d’odeur.

Elle – Je ne sens rien… Tu es sûr ?

Lui – Il me semble…

Elle – Quel genre d’odeur ?

Lui – Je ne sais pas… Comme… l’odeur de tous ceux qui nous ont précédés.

Elle – Qui nous ont précédés ici ? Dans cette maison ?

Lui – Les propriétaires passent, les maisons restent.

Elle – De là à laisser leur odeur…

Lui – Je serais curieux de savoir à combien de personnes a déjà appartenu cette maison.

Elle – Le notaire pourra nous le dire, non ?

Lui – Tu crois ?

Elle – Ou alors on peut aller au cadastre. Remonter jusqu’au premier propriétaire. Celui qui a fait construire cette maison. Celui qui l’a habitée en premier.

Lui – Quand elle était encore vierge de toute occupation. De tout souvenir…

Elle – Quand elle n’était qu’un terrain à bâtir.

Lui – Un permis de construire.

Elle – Un projet de construction.

Lui – Un plan.

Elle – Une simple idée.

Lui – Un désir.

Elle – Quand cette maison n’était qu’un rêve de maison.

Lui – Finalement, si on remonte assez loin, il n’y a pas d’autre réalité que les rêves.

Elle – Il faudra qu’on essaie d’expliquer ça à notre banquier.

Lui – Tu as raison. Parce que pour emprunter une somme pareille…

Elle – Quand on est intermittent.

Lui – Et qu’on est même pas sûrs d’avoir tous ses cachets pour le rester.

Silence.

Elle – Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Je crois qu’il faut se décider, parce qu’à ce prix là, elle ne va pas rester longtemps sur le marché.

Elle – C’est vrai que ce n’est pas cher pour une aussi belle maison, mais est-ce qu’on a vraiment les moyens ?

Lui – Avec un crédit sur cinquante ans, ça réduira le montant à payer tous les mois.

Elle – Il faudra quand même qu’on arrête les sorties pour payer les mensualités.

Lui – Ou qu’on trouve des sources de revenus complémentaires.

Elle – Tu as des idées ?

Lui – La maison est grande. On pourrait louer une chambre à des touristes de passage, des hommes d’affaires en déplacement, des couples illégitimes…

Elle – C’est ça… Pourquoi pas ouvrir une maison close à l’étage et une salle de jeux clandestins au sous-sol ?

Lui – Ou alors, on la loue pour des tournages.

Elle – Des tournages ?

Lui – Des tournages de films.

Elle – Ah oui ?

Lui – J’ai un ami qui fait ça. Ça peut se louer très cher, il paraît, si la maison est

intéressante et correspond exactement à ce que recherche le réalisateur.

Elle – Quel genre de films on pourrait bien tourner dans cette maison ?

Lui – Je ne sais pas… Des films pornos ?

Elle – Tu imagines, si nos amis reconnaissent la maison.

Lui – S’ils reconnaissent la maison, c’est qu’ils regardent des films pornos… Il y a peu de chances pour qu’ils nous en parlent…

Elle – Oui, évidemment.

Lui – Tu préfères des films d’horreur ?

Elle – Il y a d’autres genres de films, non ? Des comédies romantiques…

Lui – Quand on pense à tout ce qui a pu se passer dans cette maison depuis qu’elle existe.

Elle – Oui… Elle a dû servir de décor à toutes sortes de scènes de la vie conjugale.

Lui – Des films en tout genre…

Elle – Pas des films d’horreur, j’espère.

Lui – Surtout des scènes de ménage, sans doute.

Elle – On essaiera de ne pas trop en rajouter…

Lui – Une maison vide, entre un déménagement et un emménagement, c’est comme le plateau nu d’un théâtre. Ou un plateau de cinéma entre deux tournages.

Elle – Les comédiens viennent de partir, en emportant leur décor.

Lui – D’autres vont arriver en apportant leurs propres accessoires et leur propre histoire.

Elle – Ceux qui arrivent ne savent rien de la pièce qui vient de se terminer.

Lui – Et ils ne savent encore pas grand-chose de la pièce qu’ils s’apprêtent à jouer.

Elle – Tragédie ou comédie ? Ou tragi-comédie…

Lui – Entre deux représentations, il ne reste qu’un plateau vide. Mais il flotte dans l’air l’odeur de tous ceux qui se sont succédés sur la scène.

Elle – Cette odeur de vie, et de mort, c’est l’odeur du théâtre.

Un temps.

Lui – Alors, on la prend ?

Elle – C’est la maison de nos rêves, non ?

Lui – Oui.

Elle – Ça me donne une idée.

Lui – Une idée de maison ?

Elle – Une idée de pièce…

Lui – Une pièce de théâtre ? Et ça s’appellerait comment ?

ElleLa maison de nos rêves

Lui – Si la pièce est un succès, elle nous permettra peut-être de rembourser la maison.

Ils se prennent par la main et regardent avec bonheur autour puis devant eux.

Noir

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Avignon – Juin 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-265-3

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Comme un téléfilm de Noël… en pire

Just like a Christmas movieComo una película de NavidadComo um filme de Natal

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

9 à 11 comédiens

9 : 5H/4F ou 4H/5F
10 : 6H/4F ou 5H/5F ou 4H/6F

11 : 7H/4F ou 6H/5F ou 5H/6F ou 4H/7F

Kimberley a hérité de sa grand-mère la recette secrète de ses fameux cookies. À la veille de Noël, avec sa meilleure amie Jennifer, Kimberley s’apprête à ouvrir un salon de thé au pied de l’immeuble où habitait Mamy Yoyo. Un projet qui lui tient à cœur, dans lequel elle a investi toutes ses économies. Mais un promoteur sans scrupule est prêt à tout pour racheter sa boutique, afin de raser le bâtiment pour construire à la place une résidence de luxe. Kimberley parviendra-t-elle à surmonter ces épreuves, et à trouver enfin l’amour ? Un vrai scénario de téléfilm de Noël… en pire.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Comme un téléfilm de Noël… en pire !

Le pire scénario de Jean-Pierre Martinez

Les 11 personnages 

Kimberley : l’héroïne
Jennifer : la bonne copine
Cindy : la rivale garce
Kevin : le fiancé officiel
Brian : l’improbable soupirant
Georges: le père bienveillant
Samantha : la mère abusive
William : le facteur
Podevin : le (ou la) promoteur
Ramirez : l’inspecteur (ou l’inspectrice)
Sanchez : l’enquêteur (ou l’enquêtrice)

Les rôles de Sanchez et de Georges peuvent être interprétés par un même comédien.
Les rôles du promoteur et des deux policiers sont indifféremment masculins ou féminins.

Un salon de thé, façon bonbonnière, avec pour l’heure une seule table et trois chaises. Dans un coin, un sapin décoré. On entend une musique de Noël plutôt kitch. Cette comédie étant un pastiche des téléfilms de fin d’année dans ce qu’ils ont de plus caricatural, tout dans le décor et les costumes évoque un univers de romance populaire. Les comédiens pourront surjouer, surtout lorsqu’il s’agit de débiter les phrases toutes faites constituant l’essentiel des dialogues de ce genre de nanars. Kimberley entre, monte sur un tabouret, et parachève la décoration du sapin en fixant une énorme étoile à son sommet. Jennifer arrive. La musique s’arrête.

Jennifer – Alors ça y est ? C’est le grand jour !

Kimberley – Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit…

Jennifer – Moi non plus.

Kimberley – Le trac avant la première, comme moi…

Jennifer – Oui… et aussi le type avec qui j’ai passé la nuit.

Kimberley – Ah oui…

Jennifer – Un Italien que j’ai rencontré hier soir…

Kimberley – Tu vas le revoir ?

Jennifer – C’est un livreur de pizzas… Il suffit de téléphoner… Je te passerai le numéro, si tu veux… Je t’assure que pour le prix d’une quatre fromages… tu n’es pas déçue.

Kimberley – D’accord…

Jennifer aperçoit le sapin.

Jennifer – Oh mon Dieu, il est vraiment magnifique !

Kimberley – Dommage que Mamy Yoyo ne puisse pas le voir cette année.

Jennifer – Un an déjà que ta grand-mère nous a quittées. J’ai l’impression que c’était hier…

Kimberley – Et pourtant, c’était il y a exactement 365 jours.

Jennifer – C’est dingue… alors tu as compté les jours.

Kimberley – Oui, enfin… Un an, quoi…

Jennifer – Le 25 décembre…

Kimberley – Dans la nuit du 24 au 25 en tout cas. On l’a trouvée là au petit matin, toute bleue, affalée au pied du sapin.

Jennifer – Au milieu des paquets déposés pendant la nuit par le Père Noël… Tu parles d’un cadeau… On n’a jamais vraiment su ce qu’il s’était passé…

Kimberley (montrant l’étoile en haut de l’arbre) – Elle serrait encore dans sa main l’étoile qu’on a l’habitude de fixer en haut du sapin…

Jennifer – Et il y avait un tabouret renversé à ses pieds.

Kimberley – Elle aura glissé, en voulant raccrocher cette étoile tombée du ciel.

Jennifer – Ou alors… elle voulait se pendre au fil de la guirlande électrique, et le sapin n’aura pas résisté à son poids. Noël, c’est tellement déprimant.

Kimberley – Et puis sur la fin, elle pesait quand même dans les deux cents kilos…

Jennifer – Et dire qu’à vingt ans, elle avait été Miss Picardie.

Kimberley – Miss Pas-de-Calais. Miss Picardie, c’était moi.

Jennifer – J’espère que tu ne finiras pas comme elle…

Kimberley – Obèse, tu veux dire ?

Jennifer – Ou pendue… Quoi qu’il en soit, au lieu de cette comète, c’est elle qui s’est écrasée par terre. Heureusement qu’il n’y avait personne en dessous…

Kimberley – Tu ne peux pas savoir ce que je m’en veux…

Jennifer – Mais enfin, tu n’y es pour rien !

Kimberley – Si j’avais mieux accroché cette putain d’étoile…

Jennifer – Je suis sûre qu’aujourd’hui Mamy Yoyo est remontée au ciel, et qu’elle nous regarde de là-haut.

Kimberley – Je ne sais pas si elle approuverait mes projets…

Jennifer – J’en suis certaine. Elle adorait nous régaler tous de ses fameux cookies.

Kimberley – Ils sont tellement bons.

Jennifer – Et tellement nourrissants…

Kimberley – C’est vrai… Depuis qu’elle est morte, je n’ai pas seulement perdu une grand-mère… J’ai aussi perdu cinq kilos…

Jennifer – Ouvrir ce salon de thé, ce sera l’occasion de faire connaître les cookies de Yolande dans toute la ville. Et pourquoi pas dans tout le pays !

Kimberley – Mais j’y pense… Je cherchais encore un nom pour notre établissement… Et pourquoi pas tout simplement : « Les cookies de Mamy Yoyo » ?

Jennifer – Quelle merveilleuse idée ! Ce sera une façon de rendre hommage à ta grand-mère, qui t’a légué avant de mourir la recette secrète de ses célèbres biscuits.

Kimberley – Heureusement, elle m’a aussi légué ce petit appartement en rez-de-chaussée, dans un quartier qui devient très à la mode.

Jennifer – Un logement insalubre dont nous allons faire le salon de thé le plus chic de tout Beauconville.

Kimberley – J’espère qu’on va y arriver… Parce que j’ai investi toutes mes économies pour refaire la déco.

Jennifer – La vie, c’est comme le Père Noël, Kimberley ! Ou la petite souris. Il suffit d’y croire pour qu’elle nous apporte des cadeaux et de l’argent.

Kimberley – Tu as raison ! J’ai juste besoin d’un peu d’encouragement de temps en temps, quand j’ai un petit coup de pompe…

Jennifer – Bien sûr ! Tu ne peux pas te contenter de siffler du whisky en cachette…

Kimberley – Parfois, j’aimerais pouvoir compter un peu plus sur le soutien de Kevin. On est fiancés, tout de même…

Jennifer – Il ne faut pas trop lui en vouloir. Il a son travail lui aussi. Mais je suis là pour t’aider, Kimberley.

Kimberley – Je sais… Depuis la maternelle, tu as toujours été ma meilleure amie. Sans toi, je n’aurais jamais eu la force de me lancer dans une telle aventure.

Jennifer – Je ne te remercierai jamais assez de m’avoir donné l’occasion de rebondir, Kimberley. La vie n’a pas été facile pour moi, depuis que je suis sortie de prison… Et si tu n’avais pas eu la gentillesse de payer ma caution, je serais encore derrière les barreaux…

Kimberley – Tu me rembourseras petit à petit avec tes premiers salaires.

Jennifer – Tu vas réussir, j’en suis sûre. Tu as toujours tout réussi, dans ta vie ! Tandis que moi…

Kimberley – Oui… Mais pour y arriver, il faut que je puisse racheter la boutique d’à côté, pour nous agrandir un peu. Ici, c’est beaucoup trop petit…

Jennifer – Le magasin de fleurs ! Il est au bord de la faillite ! La fleuriste a accepté de te le revendre à bon prix, et tu viens de signer le compromis.

Kimberley – Oui… mais je n’ai pas encore la réponse de la banque pour le crédit…

Jennifer – Je suis sûre que ça va aller. On va faire un tabac !

Kimberley – Un tabac…? Je pensais plutôt à un salon de thé…

Jennifer – Un tabac ! Un méga succès, si tu préfères…

Kimberley – Ah oui… Je me disais aussi… Un bureau de tabac… En tout cas, pour l’instant, les clients ne se bousculent pas.

Jennifer – On est supposées ouvrir à huit heures, et il n’est que huit heures moins cinq. Ne sois pas aussi inquiète !

Kimberley – Tu as raison, il faut que je me calme. Je n’ai pas dormi de la nuit, mais au moins, je n’ai pas perdu mon temps. Les cookies sont encore chauds. J’en ai fait plus de mille !

Jennifer – Mille ?

Kimberley – Tu crois que c’est trop ?

Jennifer – Si on a dix clients dans la journée et qu’ils en prennent cent chacun…

Kimberley – Ou alors cent clients, et qu’ils en prennent dix…

Jennifer – Ou alors cinquante clients et qu’ils en prennent… Combien ils doivent en prendre dans ce cas-là ?

Kimberley – Attends, je sors ma calculette, parce que tu sais, moi, les chiffres…

On entend le tintement de la clochette fixée à la porte d’entrée pour signaler l’arrivée d’un client.

Jennifer – Ah… Voilà ton premier client !

Entre Brian, homme jeune au physique avantageux, mais portant des vêtements visiblement trop grands pour lui.

Kimberley – Oh mon Dieu ! Et rien n’est encore prêt…

Jennifer – Allons, calme-toi. Il suffit de lui servir une tasse de café… et de lui demander s’il accepte les cookies.

Kimberley – Notre premier client ! Il faut tout faire pour le satisfaire…

Jennifer (émoustillée) – Tout ? Vraiment ?

Kimberley – Je n’ai même pas eu le temps de me coiffer.

Jennifer – Tu veux que je m’en occupe ?

Kimberley – Non… C’est à moi de le faire.

Elle fait un effort sur elle-même pour se calmer, met un peu d’ordre dans ses cheveux, bombe la poitrine, et s’avance vers Brian.

Brian – Bonjour.

Kimberley – Bienvenue dans notre modeste salon de thé… appelé à devenir dans les années qui viennent une chaîne internationale franchisée, sous le nom de… « Les cookies de Yoyo ».

Brian (pris de court) – Merci… Je… Je peux avoir un café ?

Kimberley – Bien sûr. Souhaitez-vous quelque chose pour accompagner votre café ?

Brian – Non, merci, ça ira… Je suis un peu pressé…

Kimberley – Vous n’allez pas partir sans goûter les cookies de Yolande…

Brian – Vous vous appelez Yolande ?

Kimberley – Non… Yolande est décédée, hélas.

Brian – J’espère que ce n’est pas après avoir consommé un de ces fameux cookies…

Kimberley – C’était ma grand-mère… Elle s’est pendue au sapin… Je veux dire… C’était un accident. Enfin, je crois…

Brian – Je suis vraiment désolé…

Kimberley – Ne vous excusez pas, vous n’y êtes pour rien… Tant que la police n’aura pas prouvé le contraire, en tout cas… Alors ?

Brian – Pardon ?

Kimberley – Vous avez une préférence, pour les cookies ? Nous avons plus de trente parfums différents… (Sur le ton de la confidence) Mais rassurez-vous, ils contiennent tous du chocolat…

Brian – C’est-à-dire que…

Kimberley – Très bien. Cadeau de la maison. Vous ne paierez que le café…

Brian – Vraiment ?

Kimberley – Nous venons d’ouvrir, vous êtes mon premier client. (Se redressant pour mettre son généreux décolleté en avant) Considérez ça comme une offre de lancement…

Brian – Dans ce cas… Je vous laisse choisir le parfum… Puisqu’ils sont tous au chocolat…

Kimberley sourit et s’éloigne pour préparer la commande.

Kimberley – Alors, j’étais comment ?

Jennifer – Très sobre…

Kimberley – OK, j’en ai fait un peu trop…

Jennifer – On peut attendre un peu avant de dévoiler notre stratégie à l’international. Pour l’instant on n’a qu’une seule table…

Kimberley – Tu le connais, ce type ?

Jennifer – Non…

Kimberley – Sa tête me dit vaguement quelque chose… C’est le corps qu’il y a en dessous qui ne me dit rien…

Jennifer – C’est vrai qu’il est habillé comme un sac… En tout cas, ce n’est pas quelqu’un de Beauconville. Je l’aurais remarqué…

Kimberley – Ah oui ?

Jennifer – Il est quand même pas mal fait de sa personne.

Kimberley – Oui…

Jennifer – Tu n’as pas remarqué ?

Kimberley – Je te rappelle que je suis fiancée…

Jennifer – Ça n’empêche pas d’avoir des yeux ! Ce n’est pas parce qu’on a déjà un gâteau sec à la maison, qu’on ne peut pas s’émerveiller devant la vitrine d’une pâtisserie…

Kimberley – Vas-y toi… Ça te changera des livreurs de pizza…

Jennifer – Oui… mais visiblement, ce n’est pas moi qui l’intéresse…

Kimberley – Je me demande ce qu’il peut bien faire ici.

Jennifer – Tu n’as qu’à lui demander.

Kimberley – Enfin, Jennifer… Ce serait indiscret.

Kimberley sert Brian.

Brian – Merci…

Kimberley – Celui-là est au gingembre. D’après ma grand-mère, c’est aphrodisiaque. Vous m’en direz des nouvelles… Bonne dégustation…

Kimberley revient vers Jennifer.

Jennifer – Bonne dégustation…?

Kimberley – En tout cas, il a l’air de les apprécier. Mamy avait raison quand elle disait que le gingembre, c’est aphrodisiaque. Regarde, il a l’air beaucoup plus souriant qu’en arrivant…

Brian lance un regard vers Kimberley avec un large sourire.

Jennifer – Oui… C’est limite s’il ne bave pas en te regardant… Tu es vraiment sûre de savoir ce que veut dire le mot « aphrodisiaque ».

Kimberley – Comme un gros pétard ? Qui redonne le sourire…

Jennifer – Un gros pétard ? Tu veux dire un joint ?

Kimberley – Oui, aussi…

Jennifer – Je crois que tu confonds aphrodisiaque avec euphorisant.

Kimberley – Ah oui ? (Regardant sa montre) Oh mon Dieu, il faut que je rappelle la banque… Je te laisse t’occuper de lui. Sois aimable, mais essaie de garder une certaine distance, si tu vois ce que je veux dire…

Elle sort. Jennifer s’approche de Brian.

Jennifer – Alors comme ça… vous acceptez les cookies.

Brian – Ma mère m’a toujours dit de refuser les petites gâteries de la part d’une inconnue. Mais la serveuse est tellement charmante.

Jennifer – Kimberley est la patronne de cet établissement.

Brian – Et apparemment, elle ne manque pas d’ambition.

Jennifer – Ici c’est trop petit. Il va falloir qu’on s’étende.

Brian – À l’international, donc…

Jennifer – On va commencer par le local d’à côté. Ça nous permettra déjà de mettre une ou deux tables de plus.

Brian – Méfiez-vous. Hitler a commencé par envahir la Pologne, et regardez où ça nous a menés…

Jennifer – C’est un projet qui nous tient à cœur. Pour elle comme pour moi, ce sera un nouveau départ.

Brian – Un nouveau départ, vraiment…?

Jennifer – Je sors de taule.

Brian – Tiens donc… Pourtant à vous voir, comme ça… On vous donnerait le bon Dieu sans confession…

Jennifer – Je me suis mariée très jeune, et je n’ai pas choisi la bonne personne.

Brian – Ça arrive, malheureusement.

Jennifer – Il m’a raconté qu’il était commercial. Quand je me suis aperçue que c’était de l’héroïne qu’il commercialisait, c’était déjà trop tard.

Brian – Vous étiez déjà accro…

Jennifer – Surtout, j’étais déjà en cloque. La police a perquisitionné chez nous. Ils ont trouvé de la drogue dans un pot de lait maternisé.

Brian – Mais c’est affreux…

Jennifer – Je suis en liberté conditionnelle. J’ai un bracelet électronique. Vous voulez le voir ?

Elle lui montre le bracelet qu’elle porte à la cheville.

Brian – Je vous conseille de ne pas montrer ça à n’importe qui… Moi j’ai plutôt l’habitude des bars louches. Mais ça pourrait effrayer la clientèle d’un salon de thé…

Kimberley revient.

Kimberley – Tout va bien ?

Brian – Oui, oui… Je bavardais avec…

Jennifer – Jennifer. Et vous, c’est quoi votre petit nom ?

Brian – Brian.

Jennifer – Et qu’est-ce qui vous amène dans le coin, Brian ?

Kimberley la fusille du regard.

Brian – Un rendez-vous de travail. Je suis architecte.

Jennifer – Architecte ?

Brian – Je conçois des maisons, des immeubles, des bureaux…

Jennifer – En tout cas, vous aussi vous avez l’air de voir grand… surtout pour la taille de vos vêtements.

Kimberley (pour changer de sujet) – Et alors, ces cookies ? Ça vous a plu ?

Brian – Excellent, vraiment. Mais je crains qu’après en avoir mangé quelques-uns, je ne puisse plus m’en passer. C’est une drogue dure, non ? (Il lance un regard embarrassé à Jennifer.) Je veux dire… Je crains que ce ne soit très addictif…

Jennifer (aguicheuse) – Je vous laisse. J’ai à faire à la cuisine… Alors à bientôt ! Puisque vous ne pouvez déjà plus vous passer de nous…

Jennifer sort.

Kimberley – Elle voulait dire de nos cookies, bien sûr.

Brian – C’est vrai que c’est une personne très attachante.

Kimberley – Vous voulez dire un peu collante, j’imagine.

Brian (regardant sa montre) – Il faut vraiment que je file… Mais je vous promets qu’on se reverra.

Kimberley – Avec plaisir.

Il se lève pour partir.

Brian – En fait, j’ai habité dans le coin pendant quelques années. Il y a très longtemps.

Kimberley – À Beauconville ?

Brian – Oui… À Beauconville. Et vous ?

Kimberley – J’y suis née.

Brian – Qui sait… Nous nous sommes peut-être déjà rencontrés…

Kimberley – En tout cas, je n’en ai pas le souvenir. Et donc vous…

Brian – Après le lycée, je suis allé tenter ma chance ailleurs.

Kimberley – Remarquez, je comprends. Vous savez ce qu’on dit des habitants de Beauconville…

Brian – Non…

Kimberley – Beauconvillois, beaux et cons à la fois !

Brian – Il faut croire que je n’étais ni assez beau ni assez con pour faire mon trou dans un trou pareil.

Kimberley – Bon… Alors à bientôt !

Brian – Je reviendrai goûter à ces délicieux biscuits aphrodisiaques.

Brian lui fait un petit signe d’adieu. Kimberley lui répond d’un sourire poli. Il part. Samantha, la mère de Kimberley, arrive. Elle est vêtue dans le style BCBG, et tout dans son attitude respire le snobisme.

Samantha – Eh ben… Ça ne se bouscule pas, on dirait, pour un jour d’inauguration…

Elles s’embrassent plutôt froidement.

Kimberley – Bonjour maman. Papa n’est pas avec toi ?

Samantha – Il est en train de garer la Mercedes. Il faut dire que dans le quartier, pour trouver une place… Il faudra prévoir un service de voiturier.

Kimberley – C’est un salon de thé, maman ! Pas un restaurant étoilé…

Samantha – C’est qui, ce beau jeune homme si mal habillé qui vient de sortir d’ici ?

Kimberley – Mon premier client.

Samantha – Ma pauvre chérie… Une femme du monde comme toi, encore célibataire, ne devrait pas avoir de clients… Seulement des prétendants. Tu es vraiment sûre de vouloir tenir un saloon ?

Kimberley – Un salon de thé, maman ! Pas un saloon… Et pourquoi pas ?

Samantha – Je suis baronne. J’ai hérité ce titre de mon père. Et c’est à toi que je le léguerai un jour.

Kimberley – Et alors ?

Samantha – Une baronne ne peut pas être serveuse, même dans un salon de thé ! Lorsqu’une baronne prend le thé, c’est elle qui se fait servir !

Kimberley – Grand-père était peut-être baron, mais Yolande, ta mère, était domestique, je te le rappelle. Avant d’épouser Papy…

Samantha – Épouser sa bonne… Je préfère ne pas parler de cette mésalliance…

Kimberley – Ne dis pas de mal de Yolande, s’il te plaît… J’aimais beaucoup ma grand-mère.

Samantha – Je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir infligé ce prénom…

Kimberley – Samantha ? C’est très joli.

Samantha – Pour une roturière, peut-être, mais la Baronne Samantha de Casteljarnac, tu avoueras…

Kimberley – Toi aussi, tu as épousé un roturier, je te signale.

Samantha – Au moins ce n’était pas mon domestique…

Kimberley – C’était ton garagiste !

Samantha – Oui… Mais lui, il avait de l’argent !

Kimberley – Et il payait pour les réparations de la Déesse…

Samantha – Quand tu dis les réparations de la déesse, tu parles bien de la voiture que j’avais à l’époque ?

Kimberley – C’est vrai qu’il payait aussi pour tes opérations de chirurgie esthétique…

Samantha – Que veux-tu…? Il fallait bien redorer le blason de la famille. Pour t’offrir une éducation convenable et te permettre de faire des études décentes. Tout ça pour qu’aujourd’hui…

Georges, son père, arrive. Il est habillé de façon beaucoup plus ordinaire, et son attitude générale rappelle ses origines populaires.

Georges – Bonjour Kimberley !

Samantha – En tout cas, si toi non plus tu n’aimes pas ton prénom, sache que c’est ton père qui l’a choisi…

Kimberley – Bonjour papa.

Kimberley et son père s’embrassent de façon beaucoup plus chaleureuse.

Georges – Chapeau, c’est magnifique. Bravo pour la déco. On ne reconnaît plus du tout l’appartement de Mamy Yoyo.

Samantha – Heureusement, c’était un taudis…

Kimberley (à son père) – Merci. Jennifer m’a beaucoup aidée.

Georges – Alors, comment se présente le bébé ?

Samantha – Le bébé ? Quelle horreur ! Ne me dis pas que je vais être grand-mère ! Pas à mon âge…

Georges – Mais non ! Le bébé… Je parlais de cette première journée ! De l’inauguration de ce salon de thé. Comment ça se passe ?

Kimberley – Pour l’instant, tu sais, on est plutôt en phase de test.

Samantha – Oui, avec une seule table… Il vaut mieux ne pas avoir deux clients à la fois…

Kimberley – On fait aussi la vente à emporter.

Georges – Je suis sûr que tu vas faire un malheur, avec les cookies de Mamy Yoyo. Moi aussi, je les adorais…

Samantha – Pour l’instant, elle fait déjà le malheur de sa mère… Tu ferais mieux de te trouver un mari.

Georges – Je te rappelle qu’elle a déjà un fiancé…

Kimberley – Maman, on est au vingt-et-unième siècle !

Samantha – Oui, et c’est bien dommage. De mon temps, les femmes du monde n’avaient pas besoin de travailler. Et apparemment, ce n’est pas ton expert-comptable qui va pouvoir t’entretenir. D’ailleurs, je me demande si ce n’est pas ton argent qui l’intéresse…

Kimberley – Mon argent ?

Samantha – Disons ton héritage, alors.

Kimberley – Oui, pas ma dot en tout cas.

Georges – Que veux-tu ? Les temps changent, Samantha. Il faut bien vivre avec son époque. Je trouve ça très bien que notre fille crée sa propre entreprise. Tu ne voudrais pas qu’elle soit obligée d’épouser un garagiste, comme toi… ou de se marier avec son patron, comme ta mère.

Samantha – Bon, de toute façon, on passait juste en coup de vent.

Georges – Enfin, Samantha, nous n’allons pas repartir sans avoir goûté aux cookies de Yoyo. Ou plutôt aux cookies de Kimberley, car je suis sûr que tu as ajouté ta touche personnelle, n’est-ce pas ?

Kimberley lui répond par un sourire complice.

Samantha – Bon, d’accord, mais alors vite fait.

Kimberley leur présente un plateau.

Georges – Merci ma chérie… Ils ont vraiment l’air très appétissants… Celui-ci est à quoi ?

Kimberley – Au gingembre. D’après Mamy, c’est aphrodisiaque. Ou tchécoslovaque, je ne sais plus. Moi tu sais, les mots compliqués…

Georges lui lance un regard surpris, mais prend un cookie en souriant. Samantha décline la proposition.

Samantha – Pas pour moi, merci. C’est vrai qu’ils sont très bons, mais pas pour la ligne. J’essaie de faire un peu attention… Et Georges, n’exagère pas toi non plus… Si tu ne veux pas devenir aussi énorme que ta défunte belle-mère.

Georges, qui s’apprêtait à en prendre un deuxième, se ravise. Richard, homme d’allure prospère, arrive.

Richard – Messieurs-dames…

Samantha – On va te laisser. Sinon ton deuxième client ne pourra pas s’asseoir…

Georges – Au revoir ma chérie.

Il lui glisse un billet dans la main.

Kimberley – Enfin, papa… C’est offert par la maison…

Georges – Pas question. Les affaires sont les affaires.

Samantha – Alors, tu viens, Georges ?

Georges – J’arrive…

Samantha et Georges sortent.

Kimberley – Bonjour. Je vous en prie, installez-vous ici, c’est notre meilleure table…

Richard regarde autour de lui, surpris de constater qu’il n’y en a pas d’autres.

Richard – Merci, mais… je ne suis pas venu pour consommer. Je voulais m’entretenir un instant avec vous.

Kimberley – M’entretenir ? Comme c’est joliment dit… Vous êtes journaliste, c’est ça ? Vous voulez faire un article sur l’ouverture de ce nouveau salon de thé ? Je serai ravie de répondre à tous vos désirs…

Richard – Vraiment ?

Kimberley – Je veux dire à toutes vos questions…

Richard – Je ne suis pas journaliste, je travaille dans l’immobilier.

Kimberley – D’accord… C’est au sujet du compromis que j’ai signé pour l’achat du local d’à côté. Je viens d’avoir ma banque au téléphone. Hélas, je n’ai pas encore de réponse définitive pour le prêt…

Richard – Je suis promoteur… Je suis venu vous proposer une affaire…

Kimberley – Je vous écoute…

Richard – Il y a quelques années, j’ai commencé à racheter tous les appartements de cet immeuble. Seule votre grand-mère a toujours refusé de me vendre le sien.

Kimberley – Et… pourquoi vouloir acheter tous ces appartements ? Plutôt vétustes, il faut bien le dire…

Richard – Je suis promoteur, je vous l’ai dit. J’ai un projet immobilier.

Kimberley – Un projet ?

Richard – Construire un autre immeuble à cet endroit. Beaucoup plus haut, bien sûr. Et beaucoup plus beau. Des appartements de standing.

Kimberley – Ce qui suppose de détruire celui-ci.

Richard – Cela va de soi.

Kimberley – Ça ne m’étonne pas que ma grand-mère ait refusé.

Richard – Mais votre grand-mère n’est plus là. Et je suis venu vous proposer de vous racheter cet appartement.

Kimberley – Il n’en est pas question.

Richard – Je tiens beaucoup à ce projet. Je peux vous offrir un bon prix. Supérieur à celui du marché.

Kimberley – Comme vous le voyez, j’ai moi aussi des projets pour ce lieu, que j’ai hérité de ma grand-mère. Et je viens de signer un compromis pour racheter le local d’à côté.

Richard – Je suis également prêt à vous dédommager si vous renoncez à racheter ce magasin de fleurs.

Kimberley – Cindy n’a pas voulu vous vendre son magasin non plus ?

Richard – Son affaire est en faillite. Je pensais qu’elle ne ferait pas de difficultés.

Kimberley – Vous attendiez qu’elle mette la clef sous la porte pour lui racheter son local contre une bouchée de pain.

Richard – Quoi qu’il en soit, j’ai appris trop tard qu’elle avait signé un compromis avec vous…

Kimberley – Et quel projet avez-vous pour ces deux locaux en rez-de-chaussée ?

Richard – Vous comprenez bien que pour un immeuble de standing, et vu le prix auquel nous escomptons louer ces espaces commerciaux, une grande chaîne nationale serait plus appropriée qu’un simple salon de thé à l’ancienne.

Kimberley – Une grande chaîne nationale ?

Richard – Starfucks est intéressé.

Kimberley – Starfucks ? Plutôt me passer sur le corps.

Richard – Ne me tentez pas.

Kimberley – Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Richard – En l’état, votre projet n’est pas viable. En acceptant mon offre, vous pourriez faire vous aussi une belle opération.

Kimberley – Je tiens beaucoup à ce salon de thé.

Richard – Si vous rêvez à ce point de tenir un café, je pourrais intercéder en votre faveur auprès de la direction de Starfucks. Je suis sûr qu’ils examineraient favorablement votre candidature pour la gérance de leur établissement à Beauconville.

Kimberley – Vraiment ?

Richard – Avec votre enthousiasme… et votre physique, je suis sûr que vous feriez très bien l’affaire. Évidemment, vous ne pourriez pas garder votre personnel… Ni vos cookies maison.

Kimberley – Jamais !

Richard – Réfléchissez. Pour vous, c’est une proposition inespérée.

Kimberley – C’est tout réfléchi.

Richard – Vous pourriez regretter un jour de ne pas avoir accepté mon offre.

Kimberley – C’est une menace ?

Richard – C’est un conseil d’ami.

Kimberley – Maintenant, je vous prie de sortir. Je vous préviens, je peux être capable de violence, et je suis ceinture jaune de judo.

Richard – Je vous laisse ma carte. Au cas où vous changeriez d’avis…

Il pose la carte sur la table et sort. Kimberley semble très perturbée. Arrive Kevin, bel homme à l’élégance austère.

Kevin – Tout va bien, ma chérie ? J’ai l’impression que tu viens de voir le diable.

Kimberley – Tu n’es pas loin de la vérité…

Kevin – Ta mère est passée ?

Kimberley – Pire…

Kevin – Pire ?

Kimberley – Un promoteur immobilier. Il veut racheter l’immeuble pour le raser, et construire des appartements de luxe à la place.

Kevin – Non ?

Kimberley – Il projette même d’ouvrir un Starfucks au rez-de-chaussée.

Kevin – Génial ! (Voyant à la tête de Kimberley que ce n’est pas la réponse qu’elle attendait) Enfin, je veux dire… Et qu’est-ce que tu lui as dit ?

Kimberley – Que je n’étais pas à vendre !

Kevin – Bien sûr, ma chérie… Enfin, tout dépend du prix…

Kimberley – Il s’est montré très insistant… Il m’a presque menacée.

Kevin – Ça ne m’étonne pas que cet emplacement attire les convoitises des promoteurs. Le quartier est en pleine rénovation.

Kimberley – C’est bien pour ça que je crois à notre projet.

Kevin (sceptique) – Les cookies de Yoyo…

Kimberley – Je sais que tu n’as jamais cru à mon idée, mais cette fois je te demande de me faire confiance, Kevin. Si tu m’aimes…

Kevin – Mais bien sûr que je t’aime ! On va se marier, non ?

Il la serre un instant dans ses bras pour la réconforter.

Kimberley – J’ai besoin que tu crois en moi, tu comprends ?

Kevin – Je crois en toi, Kimberley, mais on peut tout de même examiner calmement cette offre. Il t’a proposé combien, exactement ?

Kimberley – Je ne sais pas, je ne lui ai pas demandé. De toute façon, il est hors de question que j’accepte. Ce n’est pas une question d’argent. Comme dit papa, l’argent, il n’y a pas que ça dans la vie…

Kevin – Ça, c’est plus facile à dire pour quelqu’un comme ton père. Avec son garage, il est plein aux as. S’il pouvait nous donner un peu d’argent pour nous aider à nous installer…

Kimberley – Papa ne serait pas contre, j’en suis sûre. C’est ma mère qui ne veut pas que je me lance dans les affaires…

Kevin – Les affaires… À propos, la banque t’a donné une réponse, pour ton prêt ?

Kimberley – Non, pas encore.

Kevin – Sans ce prêt, ton projet n’est pas viable, tu le sais.

Kimberley – Tu parles comme un expert-comptable.

Kevin – Mais enfin, Kimberley… je suis expert-comptable !

Kimberley – Aujourd’hui, j’ai besoin du soutien de l’homme qui m’aime. Pas de l’avis de l’expert-comptable.

Kevin – C’est par mes conseils que je te soutiens, ma chérie. Et mon conseil, c’est de ne pas rater la proposition en or que vient de te faire ce promoteur. Ce serait une occasion pour nous de rebondir !

Kimberley – C’est en ouvrant ce salon de thé que je compte rebondir, Kevin.

Kevin – En le revendant, nous aurions assez d’argent pour que je puisse ouvrir mon propre cabinet d’expertise comptable.

Kimberley – Et moi ? Qu’est-ce que je deviens, dans tout ça ?

Kevin – Tu pourrais travailler pour moi ! Je veux dire, avec moi…

Kimberley – Pas question. Ce que j’aime, moi, c’est le contact avec les gens. Pas les chiffres. Et puis renoncer à ce projet, ce serait licencier ma meilleure amie.

Kevin – Jennifer ? Elle trouvera un autre job !

Kimberley – Pas avec son casier judiciaire, je t’assure…

Kevin – Quoi ? Jennifer a un casier judiciaire ?

Kimberley – En tout cas, elle a un bracelet de cheville. Et il n’a pas l’air de venir de chez le bijoutier du coin.

Kevin – Tu ne m’avais jamais parlé de ça ! Alors tu comptes ouvrir un coffee shop avec une repris de justice ?

Kimberley – Il n’y a pas que Jennifer… J’ai fait une promesse à ma grand-mère, il y a six mois.

Kevin – Ta grand-mère est morte il y a un an.

Kimberley – On peut aussi faire des promesses aux gens qui sont déjà morts.

Kevin – Des promesses qu’il est beaucoup plus facile de ne pas tenir…

Kimberley – Je lui ai juré que je ferai connaître ses merveilleux cookies dans le monde entier.

Kevin – Rien que ça…

Kimberley – Starfucks aussi a commencé avec une seule boutique.

Kevin – Tu es vraiment sûre de ça ?

Kimberley – Non… mais c’est tout ce qui m’est venu à l’esprit.

Kevin soupire.

Kevin – D’accord… On va essayer de trouver une solution. Ensemble… Mais là il faut que je retourne travailler. Parce que pour l’instant, j’ai encore un patron… Promets- moi tout de même de réfléchir à cette proposition…

Kevin sort, laissant Kimberley songeuse et déprimée. Brian revient.

Brian – Kimberley…?

Elle sursaute en l’apercevant.

Kimberley – Vous m’avez fait peur…

Brian – Si vous ouvrez un commerce, il faudra vous habituer à ce que des inconnus franchissent le seuil de cette porte de temps en temps.

Kimberley – Vous avez raison, c’est idiot.

Brian – D’ailleurs, nous ne sommes pas tout à fait des inconnus.

Kimberley – C’est vrai, vous êtes déjà passé tout à l’heure.

Brian – Nous nous connaissons depuis bien plus longtemps que ça.

Kimberley – Vraiment ?

Brian – Vous ne vous souvenez pas de moi ?

Kimberley – Je devrais…?

Brian – Je vous l’ai dit, j’ai habité cette ville il y a quelques années. Nous étions au collège ensemble !

Kimberley – Excusez-moi… On a sûrement beaucoup changé tous les deux…

Brian – Pas vous, je vous assure… Vous étiez déjà ravissante à l’époque, et vous êtes toujours aussi jolie…

Kimberley – Désolée, je ne me souviens pas de vous…

Brian – Ça ne m’étonne pas. À l’époque, je mesurais un mètre trente et j’avais un certain embonpoint.

Kimberley – Ah oui…? Mais quand vous dites un certain embonpoint…

Brian – On me surnommait Bouboule.

Kimberley (se souvenant tout à coup) – Bouboule !

Kevin – Je préférerais que ça ne s’ébruite pas trop… J’ai mis des années à me débarrasser de ce surnom ridicule…

Kimberley – C’est incroyable… En même temps… on n’était pas vraiment amis, si ?

Kevin – Je n’aurais jamais osé vous adresser la parole au collège. Nous deux, c’était plutôt… la Belle et la Bête.

Kimberley – Vous exagérez.

Kevin – En tout cas, ça m’a fait plaisir de vous revoir. Histoire de rompre le charme.

Kimberley – Rompre le charme ? Je serais presque déçue…

Kevin – Je me suis mal exprimé. Je veux dire… maintenant que j’ai enfin osé vous adresser la parole… je me sens… comme délivré d’un sortilège.

Kimberley – Tant mieux…

Kevin – Je vais devoir vous laisser. Mais je crois que nous aurons bientôt l’occasion de nous revoir.

Kimberley – Pourquoi pas ? Avec plaisir…

Brian s’en va. Cindy arrive. Elle est habillée de façon outrageusement sexy, et peut porter une perruque assez voyante, par exemple rousse.

Cindy – Salut !

Kimberley – Ah, bonjour Cindy.

Cindy – Alors comment ça se passe, cette première journée ?

Kimberley – C’est calme… Enfin pour ce qui est des clients… parce que pour le reste…

Cindy – Il faut le temps de te faire connaître. Mais je suis sûre que ça va marcher.

Kimberley – Tu crois ?

Cindy – On est amies depuis la maternelle, et tu as toujours tout réussi. Sauf tes études, c’est vrai… On te surnommait « la Reine du Lycée ».

Kimberley – La Reine du Lycée…? Je ne savais pas…

Cindy – Ah si… Il y avait même eu un vote à bulletin secret. Je m’en souviens encore, je n’avais pas recueilli une seule voix sur 437 votants…

Kimberley – Tu n’avais même pas voté pour toi ?

Cindy – Seuls les garçons avaient le droit de vote, évidemment. C’était eux qui avaient organisé ce plébiscite.

Kimberley – Je suis vraiment désolée…

Cindy – Et puis ensuite, tu as été élue Miss Pas-de-Calais.

Kimberley – Miss Picardie. Miss Pas-de-Calais, c’était ma grand-mère.

Cindy – Tu aurais même pu faire une carrière de mannequin.

Kimberley – Tu vois… Finalement, je n’aurais pas tout réussi.

Cindy – Pour moi, rien n’a changé, malheureusement… J’ai ouvert mon magasin de fleurs il y a trois ans, et aujourd’hui, je dois mettre la clef sous la porte… Si tu ne m’avais pas proposé de le racheter…

Kimberley – Ça n’a pas toujours été facile pour moi non plus, tu sais. Etre la plus belle fille du lycée, c’est un boulot à plein temps. Du coup, j’ai raté mon bac trois années de suite…

Cindy – Tu avais tous les garçons à tes pieds ! Aujourd’hui encore, d’ailleurs. Enfin ceux qui ne sont pas encore mariés…

Kimberley – À propos, tu te souviens de Bouboule ?

Cindy – Bouboule…?

Kimberley – Un petit gros avec des lunettes. On était dans la même classe au collège. Figure-toi qu’il vient de sortir d’ici !

Cindy – Et alors ? Tu comptais me le présenter ?

Kimberley – Si tu le voyais maintenant, je t’assure que tu ne serais pas contre… Là on peut vraiment dire que le crapaud s’est transformé en prince charmant.

Cindy – J’ai du mal à le croire. Dans le règne animal, il arrive que des chenilles se transforment en papillons. Mais chez les humains, à part dans les contes de fées, c’est généralement l’inverse.

Kimberley – C’est vrai. Malgré les progrès de la cosmétologie, les princesses finissent avec une peau d’âne… et les princes avec une taille de citrouille.

Cindy – Ou l’inverse… Donc, tu as revu Bouboule…

Kimberley – Oui… Figure-toi qu’il est devenu architecte…

Cindy – Fantastique…

Kimberley – Hélas, j’ai eu une visite beaucoup moins sympathique.

Cindy – Ah oui ?

Kimberley – Richard Podevin… Un promoteur…

Cindy – Richard Podevin ? Encore un nom prédestiné. Et qu’est-ce qu’il venait faire à Beauconville ?

Kimberley – Il a racheté presque tout l’immeuble et il veut le raser pour construire à la place une résidence de luxe.

Cindy – Non ?

Kimberley – Grâce à Dieu, ma grand-mère a préféré me léguer cet appartement plutôt que de lui vendre.

Cindy – Donc il aurait voulu me racheter mon magasin de fleurs aussi ?

Kimberley – Heureusement que je venais de signer le compromis…

Cindy – Oui, comme tu dis… Heureusement… J’imagine qu’il propose un bon prix ?

Kimberley – Plus que le prix du marché, d’après lui. Mais l’argent, il n’y a pas que ça dans la vie, non ?

Cindy – Non… Enfin… surtout si on en a déjà suffisamment…

Kimberley – C’est ce que me disait Kevin… Je crois que vous vous entendriez bien, tous les deux…

Cindy – C’est aussi mon avis. Malheureusement, là encore, tu es passée avant moi… Tu sais que j’étais très amoureuse de lui, au collège…

Kimberley semble un peu embarrassée.

Kimberley (pour changer de sujet) – Tu veux un cookie ?

Cindy – Les fameux cookies dont ta grand-mère t’a légué le secret… en plus de son appartement.

Kimberley – Je vais te chercher ça… Ils sortent à peine du four… C’est un délice, tu verras.

Kimberley sort.

Cindy – Toi aussi, je te mettrais bien la tête dans le four, salope. Si tu pouvais t’étrangler, avec tes cookies…

À peine Kimberley est-elle sortie que Richard revient sur la pointe des pieds, avec des airs de conspirateur.

Richard – Je vous ai aperçue à travers la vitrine… (Lui tendant une carte de visite) Richard Podevin… Je suis promoteur immobilier…

Cindy – Ah oui… Monsieur Podevin… Mon amie Kimberley m’a parlé de vous… En bien, d’ailleurs…

Richard – Je suis prêt à vous racheter votre boutique. Et j’offre un prix bien supérieur au sien.

Cindy – C’est très tentant, bien sûr… Malheureusement, c’est trop tard. Je viens de signer le compromis…

Richard – Je sais… Mais si ce salon de thé venait à fermer, cela vous libérerait de votre engagement, n’est-ce pas ?

Cindy – Qu’est-ce qui vous fait penser que ce salon de thé pourrait fermer ?

Richard – Disons… une intuition. Vous pourriez peut-être m’aider à faire en sorte que cette intuition devienne une réalité ?

Cindy – Vous aider à couler le salon de thé de Kimberley ? Mais je vous l’ai dit, c’est une amie…

Richard – Je vous offre le double de ce qu’elle vous propose pour votre boutique de merde qui est au bord de la faillite.

Cindy – En même temps… Je la connais depuis la maternelle et depuis la maternelle j’ai envie de la tuer… Qu’est-ce que je dois faire ?

Richard – Il faudrait qu’on puisse en discuter tranquillement…

Cindy – Quand ?

Richard – Tout de suite, si vous voulez. Mais pas ici…

Cindy – Je retourne à ma boutique. Vous n’avez qu’à m’y rejoindre…

Richard – Très bien… Je file avant qu’elle ne revienne… Je préfère autant ne pas la croiser. Nous ne nous sommes pas quittés en très bons termes…

Richard sort, Kimberley revient avec des cookies.

Kimberley – Et voilà !

Cindy – Merci, mais je vais plutôt les emporter… Il faut absolument que je file. J’ai un rendez-vous… pour un boulot.

Kimberley – Un boulot ?

Cindy – Puisque je vends mon magasin, il faut bien que je trouve un nouveau travail.

Elle part en emportant les cookies. Kimberley est un peu déstabilisée. Elle ramasse quelque chose par terre, qui s’avère être une touffe de cheveux.

Kimberley – Elle perd ses cheveux, c’est dingue..

William arrive, en facteur.

William – Bonjour Kimberley. C’est le facteur !

Il lui tend quelques lettres.

Kimberley – Bonjour William. Alors, voyons ça… (Regardant le courrier) Facture, facture, facture…

William – Désolé… Je préférerais vous apporter des chèques…

Kimberley – C’est gentil. Ah, il y a aussi une lettre… 

William – Une bonne nouvelle, j’espère.

Kimberley ouvre la lettre et tandis qu’elle lit son sourire se fige.

Kimberley – « Vous finirez comme votre grand-mère »…

William – Quelqu’un qui vous souhaite bonne chance, sans doute… Pour le lancement de votre salon de thé…

Kimberley – Ce n’est pas signé et c’est écrit avec des lettres découpées dans un journal…

William – Je connaissais bien votre grand-mère. C’est moi qui lui apportais son courrier tous les jours. (Nostalgique) Et elle ne manquait jamais de m’offrir à chaque fois un café, avec un de ses célèbres cookies.

Kimberley – Et bien maintenant, c’est moi qui vous inviterai à tremper votre biscuit tous les matins.

Elle lui sert un café et un cookie.

William – Ah non, mais je ne disais pas ça pour ça… Enfin, si mais… Maintenant que c’est un salon de thé, je tiens à payer.

Il laisse un billet sur la table, et croque dans le biscuit.

Kimberley – Alors ?

William – Ils sont toujours aussi bons… Je suis sûr que votre grand-mère aurait été très heureuse que vous preniez la relève.

Kimberley – Merci… Elle me parlait souvent de vous… Elle vous appelait Willy…

William – C’était une bonne amie… Sa disparition m’a fait beaucoup de peine… (Pour cacher son trouble) Il va falloir que j’y aille. Ma tournée…

Kimberley – Votre tournée… Comme les artistes ! Allez, votre public vous réclame. Revenez quand vous voulez…

William – Je reviendrai demain ! C’est moi qui vous apporte le courrier…

Kimberley – Bien sûr ! Je suis bête…

William (ailleurs) – Oui…

Kimberley – Oui ?

William – Non, je veux dire… Allez, à demain Kimberley…

Kimberley – Attendez ! Vous oubliez votre monnaie !

William – C’est pour me faire pardonner de ne vous avoir apporté que des factures.

Kimberley – Et une lettre anonyme… Merci quand même !

William s’en va. Brian arrive.

Kimberley – Déjà de retour ?

Brian – Je vous l’ai dit. Vos cookies sont vraiment addictifs. Je préfère ne pas savoir ce que vous mettez dedans.

Kimberley – Tout est bio, vous savez…

Brian – Dans ce cas…

Kimberley – Vous en voulez encore quelques-uns ?

Brian – Ils sont peut-être bio, mais ils ne sont pas vraiment allégés en matières grasses… Je vous rappelle qu’on m’appelait Bouboule…

Kimberley – Bouboule… C’est incroyable ce que vous avez changé. Je ne vous aurais pas reconnu.

Brian – Je pèse toujours le même poids… mais j’ai pris soixante centimètres. Du coup, les kilos se voient moins. À l’époque, je n’avais aucune chance avec les filles…

Kimberley – C’est vrai que vous n’étiez pas très…

Brian – Sexy ? Alors vous pensez que si c’était à refaire, aujourd’hui j’aurais mes chances ?

Kimberley – Si je n’étais pas déjà fiancée peut-être… Je parlais de vous tout à l’heure avec Cindy. Vous vous souvenez de Cindy ?

Brian – Cindy… Ah, oui, je me souviens… Une rousse, non ? Qui perdait ses cheveux…

Kimberley – Il lui en reste encore quelques-uns, heureusement… Elle tient la boutique de fleurs juste à côté… Malheureusement, les affaires ne marchent pas très bien pour elle…

Brian – Oui, ça ne m’étonne pas.

Kimberley – Et pourquoi ça ?

Brian – Déjà au collège, on la surnommait…

Kimberley – Oui ?

Brian – Euh… Non, ça ne me revient plus, là… Et puis aujourd’hui, plus personne n’offre des fleurs, non ?

Kimberley – En tout cas, mon fiancé ne m’en offre jamais… Mais qu’est-ce qui vous amène dans le coin, Bouboule ? Je veux dire Brian…

Brian – Je suis architecte, je vous l’ai dit. On m’a sollicité pour faire les plans du nouvel immeuble qui remplacera bientôt celui-ci.

Le sourire de Kimberley se fige.

Kimberley – Vous travaillez pour ce salopard qui veut m’expulser de chez moi et détruire l’immeuble où ma grand-mère a passé toute sa vie ?

Brian – Mais enfin… Je n’y suis pour rien… Faire des plans, c’est mon métier !

Kimberley – Pourquoi ne pas m’avoir dit la première fois que vous veniez pour raser ma boutique ?

Brian – Parce que je l’ignorais ! C’est lors de ce rendez-vous avec mon client que…

Kimberley – Sortez d’ici immédiatement !

Brian – Bon… Mais on se reverra forcément…

Il sort.

Kimberley – Bouboule… J’aurais dû me méfier… Le fourbe…

Jennifer revient.

Jennifer – Ce n’est pas notre premier client qui vient de sortir d’ici ? Le beau Brian. Qu’est-ce que tu lui as dit pour qu’il s’enfuit comme ça ? Ou qu’est-ce que tu lui as fait…

Kimberley – Bouboule, tu te rappelles ?

Jennifer – Bouboule ?

Kimberley – Le petit gros qui était avec nous au collège.

Jennifer – Ah oui… Bouboule… On se moquait tous de lui…

Kimberley – Eh bien Bouboule est devenu Brian.

Jennifer – Comment c’est possible ?

Kimberley – En suivant un régime, probablement… Et tu sais pourquoi il est revenu ?

Jennifer – Pour te sauter ?

Kimberley – Pour faire sauter l’immeuble !

Jennifer – Non ? Pour se venger des brimades qu’on lui a fait subir à l’époque ?

Kimberley – Va savoir…

Jennifer – Bouboule… Terroriste… C’est dingue… Et tu as prévenu la police ?

Kimberley – Terroriste ? Mais non… Il travaille pour ce promoteur qui veut raser l’immeuble pour construire une résidence de luxe à la place !

Jennifer – Ah d’accord… Bouboule… Ah les boules… Et qu’est-ce que tu vas faire ?

Kimberley – À propos de quoi ?

Jennifer – Je ne sais pas… En général…

Kimberley – Tout de suite, là, j’aurais juste envie de me pendre au sapin avec la guirlande électrique… Comme ma grand-mère…

Jennifer – Ne fais pas ça… Ça leur ferait trop plaisir.

Kimberley – Oui, ce n’est pas faux…

Jennifer – Pour l’instant, on va aller se vider quelques verres dans un bar pour oublier tous nos soucis…

Kimberley – Tu as raison. Moi aussi, je m’enfilerais bien quelque chose de raide.

Jennifer – On peut aussi acheter quelques bouteilles et se faire livrer une pizza à la maison, si tu veux…

Kimberley – Quatre fromages ?

Elles échangent un sourire, et sortent en éteignant la lumière.

Noir

Richard et Cindy arrivent, en s’éclairant avec une lampe torche.

Cindy – Vous êtes sûr qu’on ne risque rien ?

Richard – Ne vous inquiétez pas. J’ai des amis dans la police, et des relations à la mairie.

Cindy – Vous connaissez personnellement Monsieur le Maire ?

Richard – Pour obtenir ce permis de démolir, je lui ai fait construire une piscine à l’œil pour sa maison de campagne. Ça crée des liens, croyez-moi. Et puis après tout, on n’a fracturé aucune porte pour entrer ici. Il n’y a même pas effraction…

Cindy – Je ne savais pas qu’il y avait une porte de communication dans la cave entre ma boutique et celle de Kimberley…

Richard – Personne ne la connaît. Elle était cachée derrière une armoire. C’est en regardant les plans de l’immeuble que j’ai appris son existence. La cuisine, c’est par là. Suivez-moi…

Cindy – Si on nous surprenait, on nous prendrait pour des cambrioleurs.

Richard – Mais on ne va rien voler ! Au contraire…

Cindy – Vous croyez que ça va marcher ?

Richard – Faites moi confiance. (Brandissant un sachet) Un peu de cette résine de cannabis dans le chocolat qui sert à confectionner ces cookies, et nous en ferons de délicieux space cakes…

Cindy – Et on ne va pas nous soupçonner ?

Richard – La serveuse de ce coffee shop a déjà été condamnée pour trafic de drogue. Je pense que les flics commenceront par regarder de ce côté-là…

Cindy – Vous êtes vraiment diabolique.

Richard – Je suis promoteur immobilier… Et un promoteur immobilier ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît.

Cindy – Comme les cons, vous voulez dire ?

Richard – Il ne faut jamais sous-estimer ni les cons ni les promoteurs. Regardez Donald Trump : c’était le plus con des promoteurs, et il a fini par être élu président des États Unis.

Cindy – Je vous suis…

Ils sortent vers la cuisine avec des mines de conspirateurs.

Noir

Assise à la table, Kimberley fait les comptes, tandis que Jennifer met un peu d’ordre.

Kimberley – C’est incroyable ! Le salon de thé ne désemplit pas depuis trois jours. Et les ventes à emporter ont explosé !

Jennifer – Je savais que ça allait marcher, mais à ce point-là… Ce matin, une heure avant l’ouverture, il y avait déjà la queue devant la boutique…

Kimberley – Et beaucoup de lycéens aussi. Je ne pensais pas qu’on toucherait ce genre de clientèle.

Jennifer – Non, moi non plus… Je craignais un peu qu’on fasse surtout dans le troisième âge.

Kimberley – Je demanderai à Kevin de faire les comptes. Mais ça devrait rassurer la banque. Si avec ça ils ne m’accordent pas mon crédit…

Jennifer – Tu as parlé à Kevin de cette lettre anonyme ?

Kimberley – Pas encore. Je n’ai pas voulu l’inquiéter avec ça. Il a tellement de travail en ce moment…

Jennifer – Il ne t’aide pas beaucoup, quand même.

Kimberley – Il s’occupe des comptes, c’est déjà ça. Sans lui je n’aurais jamais réussi à constituer ce dossier de prêt pour la banque.

William, le facteur, arrive. Il porte un jean et une chemise à fleurs, façon vieux baba des années 70.

William – Salut les filles ! Aujourd’hui pas de factures, ni de lettres anonymes, c’est promis. Rien que des chèques et une lettre d’amour.

Kimberley et Cindy cachent mal leur surprise.

Kimberley – Bonjour William… Mais qu’est-ce qui vous est arrivé ?

William – Les factures, je les ai brûlées. Et les chèques, je les ai signés moi-même. (Brandissant une lettre) Pour la lettre d’amour, je ne suis pas certain. Mais croyez-en mon expérience… En tant que facteur, j’ai le flair pour ces choses-là…

Jennifer – Vous êtes sûr que ça va ?

William – Super ! Je ne sais pas ce que j’ai, mais depuis que j’ai dégusté vos cookies au chocolat, je vois tout en rose.

Jennifer – Mais quand vous dites en rose… c’est une façon de parler, j’imagine ?

William – Ils sont encore meilleurs que ceux de Yolande.

Jennifer – Et apparemment, ils ont vraiment un effet antidépresseur.

Kimberley – C’est ce que je voulais dire par aphrodisiaque…

William – Vous pourrez m’en mettre une douzaine à emporter ?

Kimberley – Bien sûr. Jennifer, tu peux t’en occuper ?

Jennifer – J’y vais tout de suite…

Jennifer sort. Kimberley ouvre la lettre.

William – Alors ? Cette lettre d’amour…

Kimberley (lisant) – C’est signé Bouboule…

William – Au moins ce n’est pas une lettre anonyme. Et qu’est-ce qu’il dit, Bouboule ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr…

Kimberley – Il s’excuse et il m’invite à dîner…

William – Eh ben vous voyez ! C’était bien une lettre d’amour ! Vous allez accepter ?

Elle froisse la lettre.

Kimberley – Certainement pas !

William prend un cookie sur la table et le mange.

William – Vous mettrez celui-là sur mon compte. Je ne peux plus m’en passer. Chaque fois que j’en mange un, je repense à Yoyo… Et quand je pense à Yolande…

Kimberley semble surprise de cette familiarité.

Kimberley – Yoyo ? Vous étiez à ce point familier avec ma grand-mère ?

William (avec un air entendu) – À vrai dire… je ne faisais pas que lui apporter son courrier.

Kimberley – Ah oui…?

William – Yolande a fait un beau mariage. Mais le baron avait trente ans de plus qu’elle. Et quand il l’a épousée, il était déjà très diminué.

Kimberley – Et alors ?

William – Votre grand-mère était encore une jeune femme. Elle avait des besoins, vous savez…

Kimberley – Euh… non. Et à vrai dire, je préférerais ne pas savoir. On parle de ma grand-mère, là.

William – Ça ne vous a pas étonnée qu’ils puissent avoir un enfant ensemble.

Kimberley – Un enfant ?

William – Votre mère !

Jennifer revient avec un petit sac qu’elle tend à William.

Jennifer – Voilà votre dose quotidienne, William. Je vous avais prévenu, ça peut être addictif…

William – Merci. Il faut que je continue ma tournée. En espérant que soit bientôt ma tournée d’adieux.

Jennifer – Vous allez nous quitter ?

William – Je prends ma retraite… Mais avant, je voudrais mettre quelques petites choses en ordre dans ma vie. Je vous en parlerai plus tard…

William s’en va.

Jennifer – Il avait l’air un peu bizarre, non ?

Kimberley – Oui… Il m’a presque dit qu’il était l’amant de ma grand-mère.

Jennifer – Le facteur ! L’amant de Tata Yoyo ?

Kimberley – Tu veux dire de Mamy Yoyo ?

Jennifer – Bien sûr… Remarque pour les frères et sœurs de ta mère, ce serait Tata Yoyo.

Kimberley – Oui… Heureusement, ma mère est fille unique.

Jennifer – Je crois que je commence à dire un peu n’importe quoi.

Kimberley – Moi aussi… Tu les trouves comment ces cookies au chocolat ?

Elles croquent chacune dans un cookie.

Jennifer – Je ne sais pas, ceux-là ont un petit arrière goût de… Tu as changé la recette ?

Kimberley – Non… Un arrière-goût de quoi ?

L’inspecteur Ramirez et son adjoint Sanchez arrivent, et jettent un regard inquisiteur autour d’eux, sans même dire bonjour. Kimberley et Jennifer échangent un regard étonné.

Jennifer – C’est curieux… j’ai l’impression de les avoir déjà vus quelque part ces deux-là ?

Kimberley – Ne me dis pas qu’eux aussi, ils étaient au collège avec nous…

Jennifer – Va savoir… C’est une petite ville…

Kimberley – Beauconvillois, beaux et cons à la fois.

Jennifer – Ces deux là ont l’air surtout très cons.

Kimberley – Messieurs ? C’est pour emporter sur place ou pour consommer ?

Les deux hommes ne répondent pas tout de suite et continuent d’explorer les lieux.

Jennifer – Vous voulez voir la carte ?

Ramirez (montrant sa carte) – Je préfère vous montrer la mienne… Inspecteur Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez.

Jennifer – Ça y est, je me souviens où je les ai vus… On jouait bien aux gendarmes et aux voleurs, mais ce n’était pas à l’école…

Kimberley – La police ?

Jennifer – Je vous assure que j’ai respecté à la lettre mon contrôle judiciaire, Inspecteur…

Sanchez – On s’occupera de vous plus tard.

Kimberley – Dans ce cas… que puis-je faire pour vous, messieurs ?

Ramirez – On nous a signalé qu’il se passait des choses étranges dans le quartier, depuis que vous avez ouvert ce coffee shop.

Kimberley – C’est un salon de thé, inspecteur, pas un coffee shop.

Jennifer – Quelles choses étranges ?

Sanchez – Certains habitants de Beauconville ont un comportement bizarre.

Kimberley – Beaucoup de gens font des choses bizarres, vous savez. Sans que pour autant la police débarque pour enquêter. Moi-même, hier soir, j’ai commandé une pizza quatre fromages, et ça s’est fini en…

Jennifer (la coupant) – Bon, Kimberley, ce n’est pas le sujet… Je ne crois que ces messieurs soient là pour ça non plus.

Kimberley – Mais quand vous dites bizarre…?

Jennifer – Vous pourriez nous donner un exemple ?

Ramirez – Par exemple… le curé de la paroisse s’est mis à chanter une chanson paillarde en pleine homélie.

Kimberley – Tiens donc… Quelle chanson ?

Sanchez – Le curé de Camaret… Vous voulez que je vous rappelle les paroles ?

Jennifer – Je crois que je m’en souviens vaguement. (Fredonnant) Le curé de Camaret…

Kimberley – Ça me rappelle une chanson que me chantait ma grand-mère…

Ramirez – Après quoi, au moment de la communion, il a distribué des cookies au chocolat à ses ouailles au lieu des hosties habituelles.

Kimberley – Vraiment ?

Ramirez – Des cookies qu’il avait achetés dans votre boutique, et dont il avait fait lui-même une consommation abusive.

Sanchez – Pour ne pas parler d’overdose…

Kimberley – Monsieur le curé est un de nos meilleurs clients, en effet.

Jennifer – Vous savez ce que c’est, depuis qu’ils n’ont plus le droit aux enfants de chœur… ils se rattrapent sur le péché de gourmandise.

Kimberley – Des chansons paillardes pendant la messe et des cookies à la place des hosties… C’est peut-être un blasphème, mais ce n’est pas un délit réprimé par la loi.

Sanchez – Juste après l’office, on a coffré une dizaine de ces drôles de paroissiens qui se baignaient nus dans le bassin juste en face de l’église.

Ramirez – Et ça c’est un trouble à l’ordre public.

Kimberley – C’est étrange, bien sûr. Mais qu’avons-nous à voir dans cette histoire ?

Sanchez – Après enquête, toutes les personnes qui ont été prises dans ce vent de folie ont un point commun.

Ramirez – Elles ont toutes le jour même consommé vos cookies au chocolat.

Jennifer – Et comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion, inspecteur Colombo ?

Ramirez – Ramirez. Inspecteur Ramirez.

Sanchez – Nous avons reçu une lettre anonyme.

Kimberley – Ah vous aussi…

Ramirez – Nous allons donc devoir saisir la marchandise pour analyse. Où se trouve la cuisine ?

Kimberley – C’est par là…

Ramirez – Sanchez, vous pouvez y aller.

Sanchez – Bien chef…

Sanchez sort.

Kimberley – Je ne comprends pas, Inspecteur… Pour fabriquer ces cookies, j’utilise la recette que m’a transmise ma grand-mère.

Ramirez – Et vous pouvez affirmer que cette recette ne comporte pas de cannabis dans ses ingrédients ?

Kimberley – Vous pensez vraiment que ma grand-mère mettait de la drogue dans ses cookies ?

Ramirez – Votre grand-mère, je ne sais pas… Ce que je sais, c’est que cette jeune femme a déjà été condamnée pour trafic de stupéfiants.

Jennifer – Je vous jure, inspecteur… Kimberley, je t’assure que…

Kimberley – Je te crois, Cindy.

Sanchez revient avec les cookies dans un carton. Il mâche quelque chose.

Ramirez – On va analyser ça, et on verra bien. (Sanchez croque dans un cookie.) Et arrêtez de manger ces pièces à conviction, Sanchez !

Sanchez – Pardon, chef, je n’arrive pas à m’en empêcher.

Kimberley – Attendez, Inspecteur… Moi aussi, j’ai reçu une lettre anonyme.

Ramirez – Tiens donc…

Sanchez – Montrez-moi ça.

Kimberley lui tend la lettre qu’elle a reçue et il l’examine.

Sanchez – Ce n’est pas signé, chef.

Jennifer – Évidemment, puisque c’est une lettre anonyme.

Sanchez – Ah, d’accord…

Ramirez lui prend la lettre des mains.

Ramirez (lisant) – « Vous finirez comme votre grand-mère »…

Kimberley – C’est une menace de mort, non ?

Sanchez – Ça dépend de quoi est morte votre grand-mère, parce que si elle est morte de vieillesse, par exemple. Ou d’une crise cardiaque. Ou d’un accident de la route. Ou d’un accident domestique…

Ramirez lui lance un regard exaspéré, et il s’arrête.

Ramirez – Votre grand-mère est morte assassinée ?

Kimberley – Je ne sais pas… C’est à vous de me le dire.

Ramirez – Tata Yoyo…

Kimberley – Mamy Yoyo. Mais je préfère que vous l’appeliez Yolande.

Ramirez – Tata Yolande… Oui je me souviens… On avait ouvert une enquête à l’époque… On avait envisagé la piste de l’assassinat, mais comme on n’avait constaté aucune effraction…

Sanchez – On avait conclu à un suicide.

Ramirez (à Sanchez) – Faites voir la lettre anonyme qu’on a reçue au commissariat pour nous informer de cette affaire de space cakes…

Sanchez (lui tendant la lettre) – Tenez chef.

Ramirez compare les deux lettres anonymes.

Ramirez – C’est la même police.

Sanchez – Comment ça, la même police ? Parce qu’il y en a plusieurs, chef ?

Ramirez – La même police d’imprimerie ! Les mêmes caractères.

Jennifer – Les lettres doivent avoir été découpées dans la même revue…

Ramirez – On va examiner tout ça… et on vous tiendra au courant. En attendant, je vous demanderais de ne pas quitter la ville.

Kimberley – Je peux continuer à vendre mes cookies en attendant ?

Sanchez – Qu’est-ce que vous en pensez, chef ?

Ramirez – Après tout… tant que le labo n’aura pas prouvé que ce sont des space cakes, ces cookies bénéficient de la présomption d’innocence…

Sanchez – Évitez d’en vendre aux mineurs, quand même…

Jennifer – C’était notre clientèle la plus fidèle, mais bon…

Ramirez et Sanchez sortent.

Kimberley – Il ne manquait plus que ça… Tu es sûre que tu n’as rien à voir avec ça ?

Jennifer – Pourquoi j’aurais fait une chose pareille ?

Kimberley – Si c’était pour booster les ventes, c’est réussi. Mais maintenant on risque une fermeture administrative. Et même la prison…

Jennifer – Je te jure sur la tête de ta grand-mère que je n’y suis pour rien.

Kimberley – Ma grand-mère est morte !

Jennifer – C’est vrai… Dans des circonstances plutôt mystérieuses, d’ailleurs…

Kimberley – On n’a plus qu’à attendre les résultats de l’enquête. Ni toi ni moi n’avons mis de drogue dans ces cookies.

Jennifer – Et tu es la seule à avoir les clefs d’ici.

Kimberley – Je ne vois pas comment ces analyses pourraient nous accuser.

Jennifer croque dans un des biscuits.

Jennifer – Mais c’est vrai que ceux-là ont un drôle de goût…

William revient.

Kimberley – William ? Vous avez encore du courrier pour moi ?

William – Non…

Jennifer – Alors vous aussi, vous êtes déjà accro à nos cookies…

William – Ce n’est pas non plus la raison de ma visite.

Kimberley – Alors qu’est-ce qui se passe ?

William – C’est à propos de Yolande. Je ne vous ai pas tout dit…

Kimberley – Ce n’est pas vraiment le moment, vous savez…

William – J’étais l’amant de votre grand-mère… quand elle était jeune.

Kimberley – Écoutez, William… Je comprends très bien que ma grand-mère ait pu être une femme avant de devenir Mamy Yoyo, mais je vous l’ai dit, je ne suis pas sûre de vouloir connaître les détails de sa vie amoureuse… Ni le nom de ses amants.

William – J’ai de bonne raisons de penser que je suis le père de votre mère.

Kimberley – Le père de ma mère ? Vous voulez dire que je serais votre petite-fille ?

Jennifer – Et donc que vous seriez son grand-père.

William – Oui, en effet, c’est ce que je voulais dire.

Kimberley accuse le coup.

Jennifer – Je vous laisse en famille…

Elle sort.

Kimberley – Mais enfin… si c’est vrai, pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ?

William – Lorsque j’ai connu Yolande, elle n’était pas encore mariée. Mais moi, je l’étais…

Kimberley – Et elle est tombée enceinte de vous.

William – Je n’ai pas eu le courage de quitter ma femme. Yolande voulait garder l’enfant. Elle a accepté d’épouser le baron, chez qui elle était déjà employée comme domestique.

Kimberley – Il savait qu’elle était enceinte lorsqu’il lui a demandé sa main ?

William – Oui. Elle ne lui a rien caché. Mais il l’aimait. Et elle avait de l’affection pour lui. Il a accepté de donner son nom à l’enfant qu’elle portait.

Kimberley – Et après ?

William – Après… le temps a passé… Yolande était mariée. Je n’ai pas voulu la compromettre.

Kimberley – Mais à la mort de mon grand-père, vous auriez pu…

William – Votre mère était tellement fière d’être la descendante d’un baron de Casteljarnac. Je n’ai pas eu le cœur de lui dire qu’elle était la fille du facteur…

Kimberley – C’est vrai que ça pourrait lui faire un choc…

William – Vous êtes quand même ma petite fille. Je n’aurais jamais pensé pouvoir vous le dire un jour. Je ne sais pas pourquoi je le fais aujourd’hui…

Kimberley – Ça doit être sous l’effet de ces space cakes…

Samantha revient et salue le facteur.

Samantha – Monsieur…

William (embarrassé) – Bonjour Samantha… Je vous laisse…

Il sort. Samantha a l’air bizarre elle aussi. Sa tenue est beaucoup plus décontractée que la première fois.

Samantha – Il m’a l’air bien familier, ce facteur… Comment sait-il que je m’appelle Samantha ?

Kimberley – Va savoir… C’est peut-être lui qui t’a choisi ce prénom à la con…

Samantha – Je l’ai toujours détesté…

Kimberley – Le facteur ?

Samantha – Mon prénom ! Mais pourquoi tu dis que c’est le facteur qui aurait choisi mon prénom ?

Kimberley – Laisse tomber… Ça va ? Tu as l’air bizarre…

Samantha – Je ne sais pas. Depuis que j’ai regoûté à ces cookies…

Kimberley – Oh non, pas toi…

Samantha – Je n’ai pas toujours été une bonne mère, je sais…

Kimberley – Je ne t’en veux pas, rassure-toi. Et là, je n’ai pas trop le temps…

Samantha – D’ailleurs, je n’ai pas été une bonne fille, non plus.

Kimberley – Ah oui…

Samantha – Je voulais que tu saches que malgré tout, j’aimais beaucoup ta grand-mère.

Kimberley – Ta mère donc… C’est tellement difficile à dire ?

Samantha – C’est vrai que j’avais un peu honte d’elle. Pour tout le monde, c’était la bonne du baron. Qu’elle avait épousé malgré son grand âge pour capter son héritage.

Kimberley – Tu parles… Il était ruiné, le baron. Dis plutôt qu’il avait épousé sa bonne pour ne plus avoir à la payer…

Samantha – En tout cas, elle a toujours été très gentille avec moi.

Kimberley – Et…?

Samantha – Aujourd’hui, je regrette de ne pas lui avoir assez dit que je l’aimais…

Kimberley – Ce n’est pas ce que tu disais il y a encore quelque temps…

Samantha – Je ne sais pas, ça doit ces cookies. Ma petite madeleine à moi…

Kimberley – Madeleine ? C’est qui encore, celle-là ?

Samantha – Au départ, c’est pour moi qu’elle avait inventé cette recette de cookies, tu sais ? Je n’en avais pas goûté depuis si longtemps…

Kimberley soupire.

Kimberley – Moi aussi, j’aimais beaucoup Mamy Yoyo… À chaque fois que je mange un de ces cookies, c’est comme si j’entrais en communion secrète avec elle. Comme une hostie à la messe, tu vois…

Samantha – Ah oui, quand même…

Kimberley – Je sens sa présence un peu partout dans cette boutique. Un jour, j’ai même cru l’apercevoir à la cave…

Samantha – Là ça devient carrément flippant…

Kimberley – À propos, tu sais comment elle est morte, la grand-mère ?

Samantha – On n’a jamais su. Mais j’ai toujours pensé que sa disparition n’était peut-être pas un accident.

Kimberley – Tiens donc…

Samantha – Juste avant son décès, un promoteur était venu la voir. Il voulait racheter tous les appartements de cet immeuble, et ta grand-mère ne voulait pas lui vendre le sien…

Kimberley – La police sort d’ici, justement.

Samantha – La police ? Qu’est-ce qu’ils voulaient ?

Kimberley – Ça, c’est une autre histoire… Il faut me laisser maintenant, j’ai beaucoup de problèmes à régler.

Samantha – Tu sais que tu peux compter sur moi, ma chérie. Je suis ta mère après tout.

Kimberley – Ah oui ? Tu es sûre de ça, au moins ?

Samantha – Mais enfin, Kimberley…

Kimberley – Je te rappelle, c’est promis…

Kimberley pousse sa mère dehors. Kimberley soupire. Mais son soulagement est de courte durée. Kevin revient.

Kevin – Je viens de croiser ta mère. Ce n’est pas souvent qu’elle vient te voir. Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Kimberley – Je te raconterai ça une autre fois…

Kevin – Ça tombe bien, parce que je n’ai pas trop le temps… Tu as réfléchi à la proposition de ce promoteur ?

Kimberley – Il m’envoie des menaces de mort, et tu voudrais que je cède à ce chantage ?

Kevin – Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Kimberley – J’ai reçu une lettre anonyme.

Kevin – Si c’est une lettre anonyme, comment tu sais que c’est lui qui l’a envoyée ?

Kimberley – Ma mère le soupçonne aussi d’avoir assassiné ma grand-mère.

Kevin – Je croyais que ta grand-mère était morte accidentellement en tombant d’un tabouret alors qu’elle essayait de se pendre…

Kimberley – Qui est-ce qui t’a raconté ça ?

Kevin – Mais enfin, Kimberley, c’est toi !

Kimberley – Ah oui, peut-être… Eh ben je me trompais, figure-toi. Tout le monde peut se tromper, non ?

Kevin – Mais alors elle serait morte comment ?

Kimberley – Je penche pour un assassinat déguisé en suicide accidentel.

Kevin – Ah oui… C’est tout de suite plus crédible…

Kevin prend machinalement un cookie, croque dedans et fait la moue.

Kimberley – Tu ne les aimes pas ?

Kevin – Il y a un cheveu dedans. Et quand je dis un, il faudrait dire plusieurs… Tu devrais faire attention…

Kimberley – Moi ? Mais je ne perds pas mes cheveux !

Ramirez et Sanchez reviennent.

Ramirez – Nous venons d’avoir les résultats du labo.

Kevin – Le labo ? (À Kimberley) Tu es malade, ma chérie ? Ce n’est pas grave, au moins… (Plus inquiet) Ne me dis pas que tu es enceinte…?

Ramirez – Désolé, nous ne faisons pas les tests de grossesse.

Sanchez – Vous trouvez qu’on a des têtes de gynécologues ?

Kevin – Vous auriez plutôt des têtes d’assassins… Alors qui êtes-vous ?

Kimberley – Ces messieurs sont de la police.

Kevin – La police ?

Ramirez – Inspecteur Ramirez. Nous enquêtons sur une affaire de stupéfiants.

Kevin – Et alors ?

Sanchez – Le labo est formel : les produits analysés contiennent, en plus du chocolat, une très forte dose de résine de cannabis.

Ramirez – En d’autres termes, les cookies de Tata Yoyo sont des space cakes.

Kevin – Tata Yoyo ?

Kimberley – Mais ce n’est pas possible. Il doit y avoir une explication !

Ramirez – En attendant que notre enquête soit bouclée, cet établissement sera très prochainement fermé. Nous attendons la décision du juge…

Kimberley – Fermer notre salon de thé qui vient à peine d’ouvrir ? Mais ce serait la faillite assurée…

Ramirez – Bien entendu, vous serez mise en examen pour trafic de stupéfiants.

Kevin – Mais enfin, Kimberley, dis-moi que c’est une plaisanterie…

Ramirez – Est-ce que j’ai l’air de plaisanter, cher monsieur ?

Sanchez – Malheureusement pour vous, nous ne sommes pas en Hollande. Les coffee shops ne sont pas encore légaux dans notre pays. C’est votre employée qui vous fournissait la drogue ?

Kimberley – Jennifer ?

Ramirez – Elle a déjà été condamnée dans une affaire de stups, et elle a un casier.

Kimberley – Mais puisque je vous dis que nous n’y sommes pour rien !

Sanchez – Dans ce cas, comment expliquez-vous la présence de drogue dans ces biscuits, que vous fabriquez vous-mêmes ?

Kimberley – Ça doit être un coup monté, pour obtenir la fermeture de mon établissement. Cherchez à qui profite le crime…

Sanchez – À propos de crime, nous allons rouvrir l’enquête sur la mort de votre grand-mère…

Kimberley – Pourquoi maintenant ?

Ramirez – Cette lettre anonyme que vous avez reçue insinue bien qu’elle a été assassinée, n’est-ce pas ?

Kimberley – Vous ne m’accusez pas d’avoir tué ma grand-mère, tout de même !

Sanchez – Comme vous dites, chère madame, cherchez à qui profite le crime. C’est bien vous qui avez hérité de la victime, non ?

Kimberley – Vous feriez bien de regarder aussi du côté de ce promoteur qui veut racheter l’immeuble. Ma grand-mère avait refusé de lui vendre son logement…

Ramirez – On n’y manquera pas. En attendant, tenez-vous à la disposition de la police…

Ramirez et Sanchez sortent.

Kevin – Alors te voilà impliquée dans une affaire de stupéfiants… Et dire qu’on prévoyait de se marier… Tu veux que ce soit l’aumônier de la prison qui célèbre notre union ?

Kimberley – Merci de ton soutien, ça fait plaisir.

Kevin – D’accord, j’ai toujours pensé qu’ouvrir ce salon de thé, ce n’était pas une bonne idée. Hélas, les faits me donnent raison. Maintenant, je crois que le plus simple serait que tu vendes, non ?

Kimberley – Vendre ? Au type qui a peut-être assassiné ma grand-mère ?

Kevin – Ne nous emballons pas. Ce type est peut-être un escroc, mais ce n’est pas forcément un assassin.

Kimberley – C’est un promoteur !

Kevin – Il y a aussi des promoteurs honnêtes…

Kimberley – Ah oui ? Qui par exemple ?

Kevin – Il n’y a pas de noms qui me viennent à l’esprit, là, mais ça doit bien exister.

Kimberley – Je te laisse réfléchir. J’ai des trucs à faire, tu m’excuses ?

Kevin – Kimberley, attends ! On peut parler, tout de même…

Kimberley sort. Cindy arrive.

Cindy – Bonjour, tu te souviens de moi ?

Kevin – Madeleine ?

Cindy – Cindy.

Kevin – Cindy…

Cindy – On était dans la même classe au collège. On est même sortis ensemble pendant quelque temps, tu te rappelles ?

Kevin – Non…

Cindy – C’est un peu vexant, mais bon… Je suis quand même fière d’être sortie pendant quelques heures avec le tombeur du lycée… Même si j’avais dû te faire boire avant pour en arriver là…

Kevin – Ah oui ?

Cindy – Bon, c’était avant que tu deviennes un bourreau des cœurs… Tu avais onze ans. Tu étais couvert de boutons. Forcément, tu avais moins le choix. Et c’était bien avant que tu rencontres Kimberley.

Kevin – Excuse-moi, je… Cindy… Ah oui, peut-être…

Cindy – Laisse tomber, ça devient embarrassant… J’ai appris les ennuis de Kimberley… Comment va-t-elle ?

Kevin – Mal… Elle s’est mise dans une situation très délicate.

Cindy – Mais quand tu dis délicate…?

Kevin – Elle risque la prison.

Cindy – Ah merde… Et son salon de thé ?

Kevin – Je lui ai conseillé de vendre. Pendant qu’il en est encore temps…

Cindy – Tu as raison… D’ailleurs, moi aussi je préférerais vendre ma boutique à ce promoteur plutôt qu’à Kimberley. Il me propose le double ! Malheureusement, j’ai signé un compromis. Alors c’est trop tard, non ?

Kevin – Sauf si c’est Kimberley qui renonce d’elle-même à honorer son engagement d’achat.

Cindy se rapproche de Kevin.

Cindy – C’est drôle, j’ai eu la même idée…

Kevin (troublé) – Les grands esprits se rencontrent.

Cindy – Oui… On pourrait faire de grandes choses ensemble… si tu n’étais pas amoureux de Kimberley.

Elle l’enlace.

Kevin – C’était une erreur d’aiguillage, je m’en rends compte maintenant…

Cindy – Alors laisse-moi te remettre dans le droit chemin. J’ai des projets pour nous deux. Tu ne vas pas rester comptable toute ta vie…

Kevin – Quels genres de projets ?

Cindy – Richard m’a proposé la direction du Starfucks qui s’installera au pied de cet immeuble…

Kevin – Je crois qu’on est faits pour s’entendre.

Jennifer arrive, entend la fin de la conversation, et les voient échanger un baiser. Kevin et Cindy sortent. Kimberley revient.

Kimberley – C’était qui ?

Jennifer (embarrassée) – Cindy. Elle a dit qu’elle repasserait…

Kimberley – C’est gentil d’être venue prendre de mes nouvelles. C’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses vraies amies.

Jennifer – Oui…

Kimberley ramasse à nouveau une touffe de cheveux par terre.

Kimberley – Elle perd vraiment beaucoup ses cheveux.

Jennifer – En tout cas, elle ne perd pas le nord.

Kimberley – Depuis tout ce temps, c’est à se demander comment elle en a encore quelques-uns sur la tête…

Brian arrive, avec un bouquet de fleurs.

Brian – Bonjour.

Kimberley ­– Qu’est-ce que c’est que ça ?

Brian – Ben vous voyez, des fleurs… Je les ai achetées juste à côté…

Kimberley – C’est une couronne que vous auriez dû m’apporter. En hommage à ce salon de thé qui va bientôt fermer ses portes. Grâce à vous…

Jennifer – Pour être remplacé par un Starfucks Café…

Silence embarrassé.

Brian – Vous avez reçu ma lettre ?

Kimberley – Laquelle ? Celle que vous avez signée, ou la lettre anonyme ?

Brian – Vous avez reçu une lettre anonyme ?

Kimberley – Je croyais vous avoir dit de ne plus jamais revenir.

Brian – J’ai appris ce qui vous arrive.

Kimberley – Ça arrange bien vos affaires, non ? Et celles de votre patron…

Brian – Je suis vraiment désolé. Il est évident que vous êtes victime d’une manipulation. Mais qui aurait bien pu faire ça, et pourquoi ?

Kimberley – Quelqu’un qui a intérêt à ce que cette boutique ferme au plus vite, par exemple…

Jennifer – Quelqu’un comme Richard Podevin, votre patron…?

Brian – Monsieur Podevin n’est pas mon patron. C’est juste un client. Un client important, mais seulement un client…

Kimberley – Ce que je ne comprends pas, c’est comment il a pu accéder à ma cuisine sans forcer la porte…

Brian – Je crois que j’ai mon idée…

Kimberley – Désolée, je n’ai pas le temps de jouer aux devinettes..

Le portable de Kimberley sonne et elle répond.

Kimberley – Oui ? Ah oui, j’attendais votre appel. Alors ? Refusé ? Comment ça, refusé ? Pour quelle raison ? Mes comptes sont dans le rouge ? Mais vous m’aviez dit que… Attendez ! Il a raccroché…

Jennifer – C’était qui ?

Kimberley – Le Crédit Solidaire… Mon crédit est refusé. Je ne comprends pas, pourtant on a fait un très bon chiffre d’affaires ces derniers jours…

Jennifer – Grâce aux space cakes…

Brian – Il y a d’autres banques, non ?

Kimberley – C’est la seule qui a bien voulu examiner notre dossier…

Brian – Je vois.

Kimberley – Du coup, je ne suis pas en mesure d’honorer le compromis que j’ai signé. Richard va pouvoir acheter la boutique de Cindy… Et comme mon salon de thé est sur le point d’être fermé sur ordre de justice.

Jennifer – C’est la fin…

Brian – Il ne faut pas désespérer. On va se battre. Je vais vous aider.

Kimberley – Bouboule va nous aider. Je me sens tout de suite plus rassurée…

Brian – Je peux voir les comptes de votre salon de thé ?

Jennifer – Vous êtes architecte ! Pas expert-comptable…

Brian – Je suis aussi chef d’entreprise. Je sais lire un bilan.

Kimberley et Jennifer échangent un regard dubitatif.

Noir

Brian finit d’examiner les comptes, en présence de Kimberley et de Jennifer.

Kimberley – Alors ?

Brian – Vos comptes ont été falsifiés.

Jennifer – Falsifiés ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Brian – Ça veut dire que votre comptable a minimisé les actifs et surestimé le passif. De sorte que votre bilan apparaît en déficit, alors qu’il est en léger excédent.

Kimberley – Habituellement, quand on trafique son bilan, c’est plutôt dans l’autre sens, non ?

Brian – En effet. C’est bien ce qui m’étonne.

Jennifer – Bon… Et alors ?

Brian – La bonne nouvelle, c’est que votre situation financière n’est pas si catastrophique.

Kimberley – Et la mauvaise ?

Brian – C’est qu’il est trop tard pour obtenir une nouvelle autorisation de la banque pour votre crédit, avant la date butoir du compromis pour l’achat de la boutique d’à côté…

Jennifer – Mais enfin… qui a bien pu faire ça ?

Brian – Qui s’occupe de vos comptes ?

Kimberley – C’est Kevin. Mon fiancé.

Brian – Bien entendu, il pourrait aussi s’agir d’une grossière erreur de sa part. S’il n’y connaît rien en comptabilité. Qu’est-ce qu’il fait comme métier votre… fiancé ?

Jennifer – Il est expert-comptable.

Brian – Dans ce cas, il est impossible qu’il ait fait ça par erreur.

Kimberley – C’est aussi lui qui a préparé le dossier pour la banque.

Jennifer – Il aurait présenté intentionnellement des comptes dans le rouge au Crédit Solidaire.

Brian – Ça y ressemble beaucoup…

Jennifer – Mais pourquoi ?

Brian – S’il avait voulu que votre prêt soit refusé, il ne s’y serait pas pris autrement…

Kimberley – Kevin a toujours essayé de me dissuader d’ouvrir ce salon de thé. Il voulait que je vende à ce promoteur, et qu’on utilise l’argent pour ouvrir son propre cabinet d’expert-comptable.

Brian – De là à vous trahir comme ça…

Kimberley – Qu’est-ce qui a bien pu le pousser à faire ça ?

Jennifer – Ou qui…?

Kimberley – Tu sais quelque chose ?

Jennifer – Je l’ai vu embrasser Cindy. Et j’ai entendu qu’ils trafiquaient quelque chose contre toi dans ton dos.

Kimberley – Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Jennifer – Je n’ai pas osé ! C’est ton fiancé…

Kimberley encaisse le coup.

Kimberley – Plus maintenant, je t’assure…

Brian – Tant mieux… Je veux dire… Heureusement qu’on s’est aperçus de ça…

Kimberley – Oui…

Brian – Il faut prévenir la police.

Jennifer – Quand on parle du loup…

Sanchez et Ramirez reviennent.

Brian – Ah, vous tombez bien, inspecteur.

Ramirez – Merci pour vos encouragements. C’est une formule de bienvenue que nous entendons hélas trop rarement dans notre métier.

Kimberley – Le juge a pris sa décision ? Vous venez apposer les scellés sur la porte de cet établissement ?

Ramirez – Rassurez-vous, nous venons de boucler notre enquête, et les nouvelles sont plutôt bonnes. Pour vous en tout cas…

Sanchez – On a retrouvé plusieurs cheveux dans la pâte des cookies…

Ramirez – On pourrait même dire une grosse touffe.

Sanchez – Et cette grosse touffe appartient à une certaine Cindy.

Brian – Cindy ? La fleuriste d’à côté ?

Kimberley – C’est vrai qu’elle perd beaucoup ses cheveux, non ?

Sanchez – On a aussi retrouvé ses empreintes un peu partout dans la cuisine de votre salon de thé.

Ramirez – Du travail d’amateur…

Kimberley – Et alors ?

Ramirez – Cela prouve qu’en effet, vous avez été victime d’un coup monté.

Sanchez – D’ailleurs, après quelques coups de bottin sur la tête, cette Cindy a fait des aveux spontanés et complets.

Kimberley – Alors on ne ferme plus le salon de thé ?

Ramirez – Non. Vous êtes mises totalement hors de cause.

Jennifer – Et Cindy ?

Sanchez – Elle est en garde à vue. Et elle s’arrache les cheveux. C’est impressionnant, vous pouvez me croire…

Ramirez – Elle prétend avoir agi sur l’ordre du promoteur qui veut raser cet immeuble. Mais lui, il a bien pris la peine de ne laisser aucune trace…

Brian – Et il est plus résistant aux coups de bottin…

Ramirez – Disons plutôt qu’il a trop de relations haut placées pour qu’on puisse utiliser ce genre de méthodes avec lui.

Brian – C’est bien dommage. Enfin, au moins votre salon de thé va pouvoir rester ouvert !

Kimberley – Malheureusement, si je n’obtiens pas ce crédit pour m’agrandir, ça ne servira à rien. Cette boutique est beaucoup trop petite.

Brian – Les comptes de Madame ont été trafiqués par son expert-comptable… Du coup, son crédit a été refusé.

Ramirez – Vous pouvez toujours porter plainte, évidemment, mais ça prendra des mois, voire des années…

Kimberley – Je ne vois vraiment pas comment je vais m’en sortir.

Jennifer – On a beaucoup vendu ces jours-ci, mais il est évident que les ventes vont chuter si on en revient à la recette traditionnelle…

Ramirez – Je vous conseille pourtant de laisser tomber les space cakes…

Le portable de Sanchez sonne et il répond.

Sanchez – Oui ? OK, on arrive tout de suite… (Il range son portable) Il faut qu’on y aille, chef. Un braquage au Crédit Solidaire.

Kimberley – Le Crédit Solidaire ? C’est ma banque !

Ramirez – Et ça se trouve où ?

Kimberley – Juste en face.

Jennifer – J’espère au moins que vous n’allez pas nous mettre ce braquage sur le dos… Vous êtes témoins, on n’a pas bougé d’ici.

Ramirez – Veuillez nous excuser… Le devoir nous appelle… Protéger et servir, telle est notre devise…

Sanchez – Messieurs-dames…

Ramirez – Passez devant, Sanchez… Il me semble avoir entendu des coups de feu…

Ramirez et Sanchez s’en vont.

Brian – Je suis vraiment désolé… Si je pouvais, je vous prêterais moi-même l’argent dont vous avez besoin. Malheureusement, mes comptes à moi sont vraiment dans le rouge… J’ai lancé mon cabinet d’architecte il y a six mois… et je ne vais pas tarder à perdre un gros client. Tiens, le voilà, justement…

Richard revient.

Richard – Je suis très heureux de savoir que vous avez été innocentée dans cette affaire de drogue, chère Madame.

Kimberley – Une affaire que vous avez montée de toutes pièces pour m’obliger à fermer boutique.

Richard – Malheureusement, comme vous le savez, pour la banque il est trop tard. Le délai est dépassé. Et le compromis que vous aviez signé avec Cindy est caduc.

Kimberley – Ça vous arrange bien…

Richard – Je rachète le local d’à côté. Et je suis toujours acquéreur du vôtre… Vous feriez mieux de me le céder pendant que je suis encore disposé à vous en donner un bon prix. Soyez raisonnable…

Kimberley – Si vous permettez, je vais réfléchir encore un peu…

William revient.

William – J’ai appris vos difficultés. Je vous apporte mes économies. Ce n’est pas grand chose mais si ça peut aider…

Il pose un sac contenant des billets sur la table. Jennifer regarde à l’intérieur.

Jennifer – Il y a combien là-dedans ?

William – Vingt trois mille euros. J’ai vidé mon Livret A.

Kimberley – Mais vous êtes fou !

William – Je suis ton grand-père, après tout.

Samantha arrive, suivie de Georges. Samantha entend la dernière phrase.

Samantha – Ton grand-père ? Le facteur ? C’est une plaisanterie…

Kimberley – Je crains que non…

Samantha – Mais alors… qui est ta mère ?

Kimberley – Maman… Tu es bien placée pour savoir qui est ma mère, non ?

William – Je ne pensais pas te l’apprendre comme ça mais… je suis ton père, Samantha.

Samantha – Vous ? L’amant de ma mère ? Et vous seriez mon père ?

Georges – Et moi qui pensais avoir épousé la fille d’un baron de Casteljarnac.

Samantha – Oh, toi, ça va… Tout ça ne te regarde pas !

Georges – Eh, doucement, la baronne ! Ça ne me regarde pas ? Pendant vingt-cinq ans, c’est toi qui as décidé de tout. Parce que soi-disant tu avais du sang bleu. Même si tu n’étais que la fille de la bonne. Et j’apprends maintenant que tu es aussi la fille du facteur.

Samantha – Et alors ? Qu’est-ce que tu vas faire, gros malin ?

Georges – Ce que je vais faire ? Je vais commencer par aider ma fille en lui donnant l’argent dont elle a besoin ! Alors que tu m’interdisais de le faire jusque là. Mais dis-moi… c’est bien ma fille, au moins ?

Samantha – Enfin, Georges, bien sûr que c’est ta fille !

Richard – Quel touchant tableau de famille…

Georges sort son carnet de chèques.

Georges – Combien il te faut pour garder ton salon de thé, ma chérie ?

Samantha – Ne mets pas trop de zéros quand même, Georges…

Kimberley – Merci Papa, mais…

Richard – Mais tout cet argent ne lui servira à rien. C’est trop tard. Je viens d’acheter le local d’à côté. Et sans cette perspective d’agrandissement, ce projet de salon de thé n’a aucun avenir.

Georges s’approche de Richard, menaçant.

Georges – Qu’est-ce qu’il veut, lui, avec sa tronche de maquereau et ses yeux de poisson mort ?

Georges recule prudemment.

Kimberley – Laisse tomber, papa, ça ne servirait à rien.

Georges – Et puis d’abord, c’est qui ?

Kimberley – Un salaud, je t’expliquerai… Mais pour cette fois, il a gagné. Et il faut savoir reconnaître sa défaite.

Richard sort un contrat.

Richard – Il vous suffit de signer là…

Kimberley – J’ai l’impression de vendre mon âme au diable.

Elle signe.

Richard – Il ne me manquait plus que cette signature pour obtenir le permis de démolir cet immeuble…

Georges – Méfiez-vous quand même… Si vous touchez à un cheveu de ma fille, c’est moi qui vous démolirai. Avec ou sans permis…

Noir

Kimberley entre avec un carton contenant quelques objets personnels. Jennifer arrive avec un autre carton.

Kimberley – Eh voilà, c’est fini… Ce soir, cet immeuble ne sera plus qu’un tas de ruines…

Jennifer – C’est dingue… Jamais je n’aurais pu imaginer ça…

Kimberley – C’est toute ma jeunesse qui s’apprête à partir en poussière. Tous les jours, en sortant de l’école, avant de rentrer chez moi, j’allais prendre mon goûter chez Mamy Yoyo. Pour rien au monde je n’aurais manqué cette occasion de savourer ses fameux cookies…

Jennifer – Oui, moi aussi… J’étais très attachée à cet immeuble. Mes parents habitaient au troisième. Et le soir, après le goûter, je dealais un peu de shit dans le hall…

Kimberley – C’était le bon temps…

Jennifer – Et comment ils vont faire ?

Kimberley – Comment ils vont faire quoi ?

Jennifer – Pour le détruire !

Kimberley – Ils ont posé des charges de dynamite un peu partout sur la structure du bâtiment. Il n’y a plus qu’à actionner le détonateur. Mais ne t’inquiète pas, ils attendront qu’on soit parties pour appuyer sur le bouton.

Jennifer – Je me sens tout de suite plus rassurée…

Kimberley – Ce salaud m’a donné l’autorisation de venir récupérer quelques affaires avant de tout faire sauter.

Jennifer – Mieux vaut ne pas traîner ici… Ça sent le sapin, non ?

Kimberley – C’est l’arbre de Noël… Noël, ça sent toujours un peu la mort.

Jennifer – Qu’est-ce qu’on en fait, de ce putain de sapin ?

Kimberley – Je n’ai pas eu le cœur de retirer les décorations. On va le laisser là. En souvenir de Mamy Yoyo.

Jennifer – Il sera enseveli sous les décombres, comme tous les espoirs que nous avions placés dans ce projet…

Kimberley – C’est beau ce que tu dis. Ça me donne envie de pleurer…

Jennifer – Mamy Yoyo… Elle va se retourner dans sa tombe en entendant son immeuble s’effondrer…

Kimberley – C’est vrai… Même si elle n’est plus là, on sent tellement sa présence un peu partout ici. Chaque fois que je descends à la cave, je sens une sorte de courant d’air. Je ne sais pas d’où ça vient. Parfois j’imagine que c’est le fantôme de ma grand-mère.

Jennifer – Tu vas finir par me foutre les jetons… Je viens juste de remonter de la cave…

Kimberley – Je suis vraiment désolée de t’avoir entraînée dans cette histoire…

Jennifer – C’est moi… Je sais que ce projet comptait beaucoup pour toi.

Kimberley – Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant…?

Jennifer – Je ne sais pas… Je vais peut-être me remettre à dealer un peu…

Kimberley – Tu ne vas pas faire ça ?

Jennifer – Je plaisante, rassure-toi… Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ?

Kimberley – Papa m’a proposé de travailler avec lui au garage…

Jennifer – Je ne te vois pas faire les vidanges des clients. Tu ne sais même pas changer une roue…

Kimberley – Je travaillerai à la comptabilité. Moi qui avais tout fait pour éviter ça…

Jennifer – Au moins tu ne travailleras pas pour Kevin…

Kimberley – Qu’il aille au diable.

Jennifer – Et Brian ?

Kimberley – Je ne l’ai pas revu…

Jennifer – C’est dommage… Tu aurais pu lui donner des conseils pour renouveler sa garde-robe…

Kimberley – Tu as raison… Perdre quarante kilos, c’est bien, mais si c’est pour garder les mêmes vêtements…

Jennifer – Bon… Il faut partir, maintenant. Tu viens ?

Kimberley – Vas-y toi. Je reste encore une seconde. Pour dire un dernier adieu à Mamy Yoyo..

Jennifer – Si tu revois son fantôme, tu le salueras de ma part… Bonne chance Kimberley.

Kimberley – Toi aussi, Jennifer.

Jennifer s’en va. Kimberley regarde le sapin. Brian arrive. Il porte cette fois des vêtements à sa taille et bien coupés, qui le mettent beaucoup plus à son avantage.

Brian – Bonjour Kimberley… Je vous ai vue entrer… Mais qu’est-ce que vous faites encore ici ?

Kimberley – Les assassins reviennent toujours sur les lieux de leur crime…

Brian – Vous avez assassiné quelqu’un ?

Kimberley – Non… Je disais ça pour vous…

Brian – Ah, d’accord… Je n’avais pas compris…

Kimberley – Eh oui… Les Beauconvillois, beaux et cons à la fois… Mais à ce propos, je vous trouve quelque chose de changé…

Brian – Je me suis enfin décidé à faire le deuil de mes kilos perdus, et j’ai racheté des vêtements à ma taille. Mais il ne faut pas rester ici, vous savez…

Kimberley – C’est vous qui allez appuyer sur le détonateur ?

Brian – J’ai dénoncé le contrat que j’avais avec Podevin. Je ne travaille plus pour lui. Ça ne va pas arranger mes finances, mais au moins je serai en accord avec ma conscience…

Kimberley – Hélas, ça ne changera plus grand chose… Au moins, Yoyo ne verra pas cet immeuble s’effondrer.

Brian – J’aurais tout donné pour pouvoir éviter ça, croyez-moi.

Kimberley – Je vous crois.

Brian – Il faut partir, maintenant.

Elle se baisse et ramasse l’étoile tombée au pied du sapin.

Kimberley – Juste un instant, s’il vous plaît… L’étoile est encore tombée. C’est purement symbolique, mais je vais la remettre une dernière fois en haut du sapin. Comme un dernier défi…

Kimberley saisit l’étoile, et la regarde avec curiosité.

Brian – Qu’est-ce que c’est ?

Kimberley – Un mot griffonné derrière l’étoile… Je n’avais jamais remarqué. C’est l’écriture de ma grand-mère…

Brian – Un mot d’adieu ? Alors qu’elle était en train de vivre ses derniers instants ? C’est écrit quoi ?

Kimberley – Richard m’a tuée…

Brian – Richard ? Vous voulez dire…

Kimberley – C’est ce qui est écrit.

Brian – Je savais qu’il était prêt à tout pour mettre la main sur cet immeuble… mais je ne pensais pas qu’il aurait pu aller aussi loin.

Kimberley – Richard… Mais alors… ça change tout.

Brian – S’il est condamné pour assassinat, il ira en prison. La vente sera annulée. Et tout redevient possible !

Kimberley – Vous croyez ?

Brian – J’en suis sûr, Kimberley. Il est encore temps de suspendre la destruction de cet immeuble. Allons voir la police…

Kimberley – Merci Brian. Et pardon d’avoir été si injuste avec vous.

Ils s’étreignent un court instant.

Brian – Il n’y a pas de temps à perdre… Après nous aurons toute la vie devant nous…

Richard arrive, semblant surgir de nulle part.

Richard – Pas si vite !

Kimberley – Mais enfin… Par où êtes-vous entré ?

Brian – Il est entré comme les rats, par la cave…

Kimberley – Je sais que c’est vous qui avez tué ma grand-mère ! Vous n’échapperez pas à la justice !

Richard sort un pistolet.

Richard – Pas si vous emportez ce secret dans la tombe. Comme votre grand-mère. L’immeuble est miné. Je n’ai plus qu’à déclencher le détonateur.

Brian – Mais vous êtes fou !

Richard – Buvez ça…

Brian – Du poison ?

Richard – Juste un puissant narcoleptique.

Kimberley – Je vous en prie, restez correct ! Ou est-ce que je confonds encore avec aphrodisiaque…

Richard – On retrouvera vos cadavres dans les décombres… Et on croira à un accident. Après tout, vous n’avez absolument pas le droit d’être ici.

Kimberley – C’est vous qui m’y avez autorisée !

Brian – C’était pour vous piéger, Kimberley… Et je suis tombé dans le piège, moi aussi.

Kimberley – Vous êtes revenu pour me sauver… et maintenant vous allez mourir à cause de moi.

Richard – Assez bavardé… Buvez, je vous dis ! (À Brian) Vous d’abord.

Richard tend une fiole à Brian. Brian fait mine de la prendre mais, au ralenti, comme dans un mauvais film, il fait un mouvement pour saisir le pistolet. Un coup part. Brian s’effondre, toujours au ralenti. Retour au rythme normal.

Kimberley – Oh mon Dieu… Vous l’avez tué !

Richard – Peu importe, puisqu’il allait mourir de toute façon. Vous aussi, d’ailleurs. Buvez !

Retour au ralenti. Kimberley prend la fiole et s’apprête à boire. Surgit alors le fantôme de Yolande (silhouette énorme couverte d’un drap blanc ou d’une nappe de mauvais goût). Le fantôme sera interprété par un des comédiens (ou comédiennes) restés en coulisse.

Fantôme (voix d’outre-tombe au débit ralenti) – Tu croyais échapper à la justice des hommes, Podevin, mais tu n’échapperas pas à celle de Dieu !

Pétrifié, Richard lâche son arme. Retour à un rythme normal. Le fantôme saisit l’arme et la lance à Kimberley, qui l’attrape au vol.

Kimberley – Merci Mamy Yoyo ! Tu peux y aller maintenant, je maîtrise la situation…

Le fantôme s’en va avec un rire en écho semblant lui aussi venir de l’au-delà.

Richard – Vous avez vu ce que j’ai vu ?

Kimberley – Ça doit être l’effet de vos space cakes.

Richard – Sauf que moi, je n’en ai pas mangé…

Kimberley – Peu importe. Maintenant, vous allez rejoindre Mamy Yoyo dans l’au-delà, et je suis sûre qu’elle va bien s’occuper de vous…

Richard – Ne tirez pas, je suis sûr qu’on peut encore s’arranger.

Kimberley – Allez brûler pour l’éternité dans les flammes de l’enfer.

Elle le vise avec son arme.

Richard – Vous êtes vraiment sûre que vous ne voulez pas diriger ce Starfucks ?

Kimberley – Vous avez assassiné ma grand-mère, et vous avez tué l’homme que j’aimais. Vous allez mourir…

Richard – Réfléchissez ! Si vous me tuez, c’est vous qui irez en prison.

Kimberley – Ne vous inquiétez pas pour moi, je plaiderai la légitime défense et le crime passionnel.

Richard – Attendez, la légitime défense ou le crime passionnel ? Parce que ce n’est pas pareil.

Kimberley – N’essayez pas de m’embrouiller. Ce n’est pas parce que je confonds aphrodisiaque et narcoleptique qu’il faut me prendre pour plus conne que j’en ai l’air. Si vous avez une prière à faire, c’est maintenant.

Sanchez et Ramirez arrivent, armes à la main.

Ramirez – Ne tirez pas ! Et que personne ne bouge.

Sanchez désarme Kimberley et s’approche de Richard.

Sanchez – Au nom de la loi, je vous arrête.

Richard – Mais enfin… pour quel motif ? Cette femme est en train de me menacer avec une arme !

Ramirez – Laissez tomber. Cette fois vos relations ne vous protégeront plus, Podevin. Nous avons des preuves.

Richard – Des preuves ? De quoi ?

Ramirez – La lettre de menace que vous avez envoyée à Mademoiselle et celle que vous avez adressée à la police pour dénoncer son prétendu trafic ont été écrites avec des caractères découpés dans une même revue.

Sanchez – Le Bulletin Municipal de Beauconville… C’est sans doute en allant graisser la patte à Monsieur le Maire pour l’obtention de vos permis de construire qu’il vous a gratifié d’un exemplaire en guise de remerciement.

Ramirez – Quoi qu’il en soit, nous avons retrouvé dans la corbeille de votre bureau un numéro de cette revue. Les caractères qui ont servi à la rédaction de ces deux lettres étaient découpés aux ciseaux.

Richard – Je suis peut-être un corbeau, mais on n’envoie pas les gens en prison pour si peu. Sinon, la moitié de la France serait déjà derrière les barreaux…

Ramirez – Il s’agit tout de même d’une menace de mort. Je pense que cela suffira au juge pour vous mettre en examen.

Richard – Je propose qu’on reparle de tout ça dehors… Cet immeuble est miné, et j’ai actionné un compte à rebours qui prendra fin dans quelques minutes…

Sanchez – Rassurez-vous, on a débranché le détonateur… Enfin je crois…

Kimberley (tendant l’étoile) – Ce n’est pas tout, Inspecteur, j’ai ici la preuve que c’est lui qui a tué ma grand-mère !

Ramirez (lisant l’inscription) – « Richard m’a tuée »…

Sanchez – Ça a déjà été fait, patron, non ?

Ramirez – Au moins, là, il n’y a pas de faute d’orthographe. Passez lui les menottes, Sanchez.

Richard – Je me plaindrai à Monsieur le Préfet. Vous entendrez parler de moi !

Sanchez passe les menottes à Richard.

Kimberley – Hélas, il a aussi tué Brian… Tout est de ma faute, je ne me le pardonnerai jamais.

Mais Brian relève la tête.

Brian – Je ne suis que blessé, Kimberley, rassurez-vous.

Kimberley – Oh mon Dieu, il est vivant ! Il faut le soigner.

Sanchez examine Brian.

Sanchez – J’ai mon brevet de secourisme, ne vous inquiétez pas. Ce n’est qu’une blessure superficielle. La balle n’a fait que l’effleurer. Avec un petit pansement et un peu de sparadrap, tout ira bien.

Ramirez – Vous savez comment sont les hommes… Une égratignure et ils tombent dans les pommes.

Mais grâce à un habile truquage, une énorme tache de sang imbibe la chemise de Brian.

Kimberley – Il perd beaucoup de sang quand même, non ?

Brian – Je me sens partir, Kimberley… Mais je ne veux pas que vous vous sentiez coupable…

Kimberley – Vous avez risqué votre vie pour moi. Vous n’allez pas mourir maintenant…

Brian – J’ai entendu ce que vous disiez tout à l’heure à propos de moi, alors que vous me pensiez mort…

Kimberley – C’est vrai, je l’avoue… Je vous aime…

Brian – Et je vous aime aussi.

Ils s’embrassent, sous le regard attendri de tous les autres.

Cindy – Alors tout est bien qui finit bien.

Brian pisse toujours le sang.

Ramirez – On va tout de même appeler le SAMU…

Il s’éloigne un instant pour téléphoner.

Brian – Si je m’en sors malgré tout, Kimberley, j’ai une question à vous poser.

Kimberley – Je vous promets d’y répondre. Sauf s’il s’agit de la recette secrète des cookies de Mamy Yoyo.

Brian – Voulez-vous m’épouser, Kimberley ?

Kimberley – Oui, Bouboule.

Ramirez revient.

Ramirez – C’est pour ces moments-là, Sanchez, que je ne regrette pas d’avoir choisi ce métier.

Sanchez (la larme à l’œil) – Moi aussi, Chef…

Ramirez – Un vrai téléfilm de Noël…

Sanchez – En pire…

Brian – J’essaierai de tenir le coup jusqu’à l’arrivée des secours, Kimberley.

Kimberley – Je vous en supplie… Je ne pourrais pas vivre sans vous.

Brian – Au lieu de détruire cet immeuble insalubre, je participerai à sa rénovation, et je referai gratuitement la déco de merde de votre salon de thé.

Sanchez – C’est vrai que c’est émouvant, Chef.

Ramirez (troublé) – Vous avez un mouchoir ?

Sanchez lui tend un mouchoir sale. Ramirez regarde le mouchoir, fait la moue, lance un regard réprobateur à Sanchez, mais se mouche quand même. Brian se tourne vers Ramirez et Sanchez.

Brian – Je ne connais plus personne à Beauconville. Accepteriez-vous d’être mes témoins ?

Ramirez – Ce serait un honneur pour nous deux.

Sanchez – Vous connaissez notre devise : protéger et servir.

Kimberley – Si on m’avait dit qu’un jour je me marierais avec Bouboule…

Ramirez – Vous êtes sûr d’avoir débranché le détonateur, Sanchez ?

Sanchez – Moi, chef ? Mais pas du tout ! C’est vous qui deviez vous en charger…

Ramirez – Moi ? Mais je n’ai jamais dit ça ! C’est vous qui…

Sanchez – Je me demande si cette comédie ne va pas se terminer en drame, finalement…

On entend une sirène de SAMU.

Ramirez – Au moins le SAMU ne viendra pas pour rien…

Un grondement sourd se fait entendre, allant s’amplifiant, comme le bruit d’un immeuble qui s’effondre.

Noir

Fin

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et plus de soixante-dix comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.

Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.

 

Pièces de théâtre du même auteur

 Alban et Ève, Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau,

Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bistrot du Hasard,

Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Comme un poisson dans l’air,

Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou,

Coup de foudre à Casteljarnac, Crash Zone, Crise et châtiment,

De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits,

Des valises sous les yeux, Dessous de table, Diagnostic réservé,

Du pastaga dans le Champagne, Elle et lui, monologue interactif,

Erreur des pompes funèbres en votre faveur, Eurostar, Flagrant délire,

Gay friendly, Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages,

L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits,

Il était une fois dans le web, Le Joker, Mélimélodrames, Ménage à trois,

Même pas mort, Minute papillon ! Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne,

Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho,

Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France,

Le Plus beau village de France, Plagiat, Préhistoires grotesques, Primeurs,

Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes,

Un boulevard sans issue, Un bref instant d’éternité,

Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias,

Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13,

Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur son site :

www.comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Mars 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-262-2

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Comme un téléfilm de Noël… en pire Lire la suite »

Running on empty

A comedy by Jean-Pierre Martinez

English translation by Anne-Christine Gasc

A journalist visits a playwright on the down and out for an interview that could launch his comeback. But in the world of theatre, appearances can be deceiving…


This text is available to read for free. However, an authorization is required from the author prior to any public performance, whether by professional or amateur companies. To get in touch with Jean-Pierre Martinez and ask an authorization to represent one of his works : CONTACT FORM


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English translation by Anne-Christine Gasc

A journalist visits a playwright on the down and out for an interview that could launch his comeback. But in the world of theatre, appearances can be deceiving…

Characters

Author

Visitor

© La Comédi@thèque

A messy living room. A man (or a woman) dozes in an armchair. The phone rings, partially waking him. He answers the phone, still half asleep.

Author (unfriendly) – Hello? (Without listening) You better not be calling to tell me the meeting is cancelled! (Waking a little) Building Society? (More pleasant) Oh sorry, no it’s because I’m expecting a journalist for an interview you see, and… Yes, a small overdraft, I know, it’s on my statement… Large? Let’s call it medium then… potayto, potahto… Don’t worry about it, it’s being taken care of… I received an advance for my next play and the cheque’s in the mail, and… Yes, a play. Do you like the theatre?… No, of course that’s not the question… Listen, you’re breaking up… Oh, there’s someone at the door, it must be the journalist… Of course, I’ll call you right back… Oh dear, now I can’t hear you at all, I’m afraid… I’m hanging up now…

The author hangs up and sighs. He is waking up slowly, still a little dozy, and gets out of the chair. His demeanour and his clothes are unkempt. The doorbell actually rings. He hesitates a little. Looks in a mirror, adjusts his clothes and runs a comb through his hair. The doorbell rings again.

Author – Yes, all right, I’m coming

He goes to the door and returns followed by a woman (or a man) that is younger, dressed more fashionably, and generally fitter and much better looking than him.

Visitor – Thank you for having me, Mr Tellerman.

Author – Letterman.

A little taken aback by the mess.

Visitor – Pardon?

Author – Not Tellerman. Letterman. Charles Letterman. That’s my name. How do you not even know that?

Visitor – Of course, I’m sorry. A pen name, naturally?

Author – No, why?

Visitor – Oh, I… Letterman for a writer… Never mind, let’s just say it was fate, then.

Author – I don’t need a pen name… If I want a best seller, I’ll just call my book “Late Night with”…

Visitor – Right… (Looking at the author with concern) I didn’t wake you, did I?

Author – Wake me? Of course not! What makes you say that?

Visitor – Er, I don’t know, I…

Author – Actually, what time is it?

Visitor – I’m sorry, I don’t have a watch.

Author – Well, that would explain your tardiness.

Visitor – Tardiness? But… you don’t even know what time it is…

Author – Typical journalist… always have to have the last word. So, are we going to do this interview or not? I haven’t got all day, unlike some.

Visitor (muttering to herself) – If you say so…

Author – Pardon?

Visitor – Nothing, I was just saying… Yes, let’s start! That’s what we’re here for, right?

Author – Actually, you’re very lucky. I never give interviews.

Visitor – Do you get asked often?

Author – Not as often as they used to, it’s true… but back when they used to ask me, I would refuse them all.

Visitor – Yeah, right…

Author – Are you implying that it’s easy to play hard to get when no one is after you?

Visitor – Not at all… I mean, yes but… That’s not what I was trying to…

Author – What were you “trying to”, then?

Visitor – No, nothing…

Author – Yes, you did! You said: that’s not what I was trying to… So that means you were “trying to” something!

Visitor – I misspoke, that’s all.

Author – A journalist who misspeaks… This is going well.

Visitor – I apologise.

Author – Then why did you ask me that question?

Visitor – What question?

Author – You asked me if I did a lot of interviews.

Visitor – I don’t know… I’m here to ask questions… That’s how interviews work, isn’t it?

Author – Real questions, yes… Not asinine ones.

Visitor – I think you mean journalist questions.

Author – I hate journalists…

Visitor – Yes, famous people tend to hate journalists…

Author – I wonder why…

Visitor – Even though it’s often journalists that brings them fame in the first place.

Author – That depends on your point of view.

Visitor – From the point of view of a journalist.

Author – Famous people sell papers.

Visitor – Absolutely, the role of a newspaper is also to talk about famous people… so they don’t fall into oblivion…

Author – Did you come see me to talk about the entertainment industry or to ask questions about my work?

Visitor – Don’t worry, I’m getting there. (Looking around the room) May I sit down?

Author – Please…

Visitor – Thank you…

She sits. Awkward silence. He collects himself a little.

Author – I’m sorry, we started on the wrong foot.

Visitor – It’s quite all right…

Author – I’m not really used to being around people any more. I’ve become quite the anti-social ogre, I’m afraid…

Visitor – Please, there’s no need to apologise… It’s quite a normal reaction… After all I just turned up on your doorstep…

Author – What would you like?

Visitor – Thank you… I was hoping to get some answers.

Author – I meant something to drink.

Visitor – Oh yes, sorry… Er… I wouldn’t turn down a coffee.

Author – I’m out of coffee. Well, I have coffee but I don’t have a coffee maker anymore. It’s broken… Happened a while back, actually. For several months I managed by boiling water in a saucepan and making coffee filters out of tissues. But then I ran out of Kleenex and decided it was an opportunity to reduce my caffeine intake.

Visitor – That’s all right, no worries.

Author – I can make you a herbal if you like. Chamomile? But I’m out of sugar.

Visitor – Tempting, but no thank you… I’ll pass.

Author – Ok, well in that case… I’m all yours…

Visitor – Thank you. My first question is… do you write with a pen or on a computer?

The author is taken aback for a few seconds.

Author – I’m sorry… I didn’t quite get that. Which paper did you say you work for?

Visitor – Well… Actually… It’s not technically a paper. I mean, not a paper on paper, like The New Yorker.

AuthorThe New Yorker?

Visitor – It’s more like… a digital medium, as they say.

Author – I see… you mean a website…

Visitor – More like… a web magazine. Living Theatre.

Author – Living Theatre?

Visitor – That’s the name of the magazine. You don’t like it?

Author – It’s fine… It sounds like a magazine for OAPs… On the other hand, only retirees go to the theatre anymore…

Visitor – Whatever…

Author – Living Theatre… Unfortunately, very few people still manage to make a living from the theatre, you know…

Visitor – That’s why our website strives to highlight the work of contemporary playwrights. This interview would allow our readers to get to know you better. As a playwright anyway…

Author – I see. And… your first question is whether I write with a pen or on a computer?

Visitor – That’s right.

Author – I’m sure the answer is keeping your readers on the edge of their seats.

Visitor – So?

Author – So? So as you can probably guess from my age, when I started my career I used a pen. Printing had only just been invented a few years earlier, so computers wouldn’t be around for a while yet.

Visitor – Of course.

Author – I remember it well… It was a Mont Blanc fountain pen given to me by my godmother for my first communion. With a gold nib. I was very fond of it.

Visitor – I see. Like a sort of… transitional object.

Author – That’s it… A replacement for a mother if you prefer. You know, writing is a form of psychoanalysis.

Visitor – Of course…

Author – It’s just as useless but instead of spending money, there’s always the chance that you can earn some. In theory, anyway.

Visitor – I see…

Author – I know what you’re thinking… Given the state I’m in, you’re thinking my therapy sessions might not have been as successful as I’d hoped…

Visitor – No, not at all…

Author – Would you say I look fulfilled?

Visitor – Fulfilled isn’t the first word that comes to mind, but… So what happened next?

Author – Next, the fountain pen broke.

Visitor – Like the coffee maker.

Author – Exactly. And with the royalties from my first play I bought a typewriter, like the ones you see in old black and white films. Have you seen Sunset Boulevard?

Visitor – Yes, maybe, well… A long time ago, I think…

Author – Unfortunately I wasn’t able to find an ageing film star to support me in exchange for writing them a comeback script.

Visitor – I love it, it sounds like a novel… Do you still have the typewriter?

Author – It ended up broken, too.

Visitor – Shame…

Author – So I replaced it with one of the very first electric typewriters… It was a revolution at the time, you know? It had a small screen, like on a computer, with room for only a couple of lines. You could make a few changes before the machine typed the text. It meant you could save quite a bit of ink and paper. I used it for a few years, and then…

Visitor – The electric typewriter broke, and you got a Mac.

Author – No, it was me who was broken, so I hired someone to ghost for me.

Visitor – A ghost?

Author – He’s the one who used the computer. At first I would dictate a little, naturally, but then very quickly he started writing on his own.

Visitor – The computer?

Author – The ghost-writer!

Visitor – Oh?

Author – He was very gifted, you know.

Visitor – I see.

Author – You’ve heard Buffon’s quote: “style is the man himself”.

Visitor – Yes… no

Author – Well that ghost-writer was totally my style.

Visitor – Oh yes.

Author – He was Swedish.

Visitor – Who was?

Author – The ghost-writer!

Visitor – Oh right, sorry…

Author – You ask me a question and… I have the feeling you’re not that interested in my answers.

Visitor – Oh no, I am! Very much so, but… this ghost, do you still have it?

Author – Unfortunately not. That’s why I haven’t written anything for years…

Visitor – Maybe he went back to Sweden.

Author – No… He died.

Visitor – Blimey… I mean… It’s such a strange story.

Author – Yes, and I was very fond of him, too. But what can you do? He was starting to think he was a writer. I had to get rid of him.

Visitor – Get rid of him?

Author – A daily dose of arsenic in his chamomile. He died like Madame Bovary.

Visitor – I see…

Author – It’s just like Flaubert wrote: “Madame Bovary, c’est moi”. Well, a little part of me died with Antonio that day.

Visitor – Antonio?

Author – My Swedish ghost-writer! After he left us, I lost my style for good, never recovered.

Visitor –That’s when you stopped writing.

Author – Correct… I never finished my 124th play.

Visitor – I’m very sorry to hear this.

Author – I went through a very difficult phase. To try and recapture the inspiration from my early days I bought myself another Mont Blanc pen, with the last of my savings.

Visitor – But it wasn’t enough…

Author – I was on the verge of committing suicide… I didn’t even have enough money to buy cartridges.

Visitor – For your shotgun…

Author – For the fountain pen!

Visitor – Of course…

Author – I found an old syringe from when I was a heroin addict. I would draw blood every morning and fill the pen. A client had commissioned a comedy but blood-red ink is more conducive to writing noir fiction (Noticing the journalist’s astonishment) Shouldn’t you be taking notes?

Visitor – Yes, yes, I have everything here… (She pulls out a small recorder.) But maybe you want this off the record…

Author – So you actually believe all the bullshit I just told you?

The visitor realises the writer has been taking the piss.

Visitor – Of course not, it’s a joke, I knew that. Pretty funny, too… A Swedish ghost… I didn’t know you were a comedy writer.

Author – That must be why they sent a comedy journalist to interview me… Still no to chamomile?

Visitor – With or without arsenic?

The visitor starts a forced laugh, then stops.

Author (very serious) – Next question.

Visitor – Yes, I… I loved your last play. Have you written anything since then?

Author – Pardon?

Visitor – I mean… on your own, not with your Swedish ghost. (She laughs again at her own joke.) Just kidding.

But the author still isn’t laughing.

Author – I have written 123 plays.

Visitor – 123! That’s quite the number. And… what are they about?

Author (scandalised) – What are they about? You come here to talk about my work and you haven’t read my plays?

Visitor – Not all 123, obviously, but…

Author – And how many have you read, precisely?

Visitor – I’d say… One… The first one… Well, the first pages anyway. This assignment came very late… I am filling in for a journalist from Living Theatre who killed himself yesterday.

Author – How many pages?

Visitor – To be totally honest… I didn’t have the time to read beyond page 5.

Author – The text of the play starts on page 6.

Visitor – I really liked the title…

Author – Oh, you did, did you? (Ironically) And what was the title of my first play? I’m drawing a blank right now.

Visitor – I can’t remember either, but I remember I loved it.

Author – Can I see your credentials?

Visitor – Er… Yes… (She goes through the motion of looking through her bag) Actually… I wonder if…

Author – You’re not a journalist…

She hesitates a moment before answering.

Visitor – No.

Author – I see. You’ve come to burgle me, is that it? It’s very common, apparently. The burglar pretends to be from the gas company or whatnot, and they leave with the cash that was hidden under the mattress. It’s called theft by deception, I believe.

Visitor – Deception?

Author – You’re right, that doesn’t fit… You aren’t clever enough to pull off deception. And you wouldn’t have chosen to impersonate a journalist anyway.

Visitor – Actually, I…

Author – Let’s see… You would have been more convincing as a pizza delivery guy.

Visitor – That’s true…

Author – Now, if you’ve come here looking for money… We can look together if you want?

Visitor – I’m an actress.

Author – If you came here looking for a role, you’re even more fucking stupid than I thought. And believe me, I had set the bar quite high.

Visitor – It’s the first time I play a journalist. And I didn’t have a lot of time to prepare for the role.

Author – Let’s not exclude the possibility that you are a mediocre actress just yet. So? Who is the director of this bad comedy?

Visitor – Your agent.

Author – My agent? I didn’t know I still had one…

Visitor – He thought an interview would be a good way to puff up your ego and get you back to the writing desk.

Author – He’s even more fucking stupid than I thought, too.

Visitor – Everyone knows you aren’t writing any more… He’s been waiting for your next manuscript for almost a year.

Author – What can I say? I have severe writer’s block. Do you know what that’s like? It’s like forgetting lines for an actor. You never know when it’s going to happen, or how you’re going to get yourself out of it.

Visitor – But a year… that’s a long time to forget your lines…

Author – You haven’t read the first of my 123 comedies, but you’re going to beg me to write a 124th?

Visitor – Personally, I couldn’t care less. But it sounds really important to your agent. Enough that he gave me a hundred pounds to set up this little comedy.

Author – A hundred pounds? I hadn’t realised I was worth that much to my agent.

A time.

Visitor – Right, so what do we do?

Author – What do you mean, what do we do?

Visitor – I am not a journalist. Now that the cat is out of the bag, I don’t think you’ll want to continue the interview.

Author – Why? Do you have any more riveting questions to ask about my work? I don’t know… How about… Whether I wear y-fronts or boxer shorts? Do I put the jam or the cream first? Marmite hater or Marmite lover? Do I bat for the other team?

Visitor – Right, I get the message, you don’t want to play along. So what do I tell him?

Author – Who?

Visitor – George, your agent!

Author – That’s your problem. Tell him whatever you want.

Visitor – It’s just that… He was going to give me another hundred pounds after the interview.

Author – I see… Half up front and half on delivery… so he actually thought you could deliver…

Visitor (showing him the recorder) – I was supposed to bring him the tape.

Author – Don’t tell me you actually want to go through this interview thing?

Visitor – We could share.

Author – Share? Share what?

Visitor – A hundred pounds each.

Author – Unbelievable. You’re really something else…

Visitor – No, I’m just hungry. And from what your agent told me, you’re not raking it in either. You’re not writing. Your plays aren’t being produced.

Author – Thank you for the subtle reminder.

The visitor gives the room a deprecating look.

Visitor – I don’t know… you could use the money to freshen up the paint…

Author – If you know a painter who’ll do that for a hundred pounds, even cash-in-hand, please give me his number.

Visitor – A hundred pounds will get you a few pots of paint and a roller.

Author – And who is going to use this roller? You?

Visitor – Why not? For a fee, obviously…

Author – Enough! Don’t you get it? You don’t have to be an optimist to write comedies, but you do have to believe that taking the piss out of assholes might just lead some of them to become better people.

Visitor – You’re just feeling sorry for yourself…

Author – You think?

Visitor – Come on… Writing plays isn’t the end of the world… there are worse jobs, don’t you think?

Author – Yes, probably…

Visitor – Probably? Do you know there are people who get up every morning to press themselves against strangers’ sweaty bodies in the tube for an hour, and work the till at Morrison’s, and all for minimum wage?

Author – And it’s to avoid such an ordeal that you chose a career in apartment theatre?

Visitor – I take what I’m offered… and my agent hasn’t given me any big roles yet.

Author – He must be as shit as mine. Who is it?

Visitor – Same as you.

Author – I see… (A time) You know what, maybe you’re right. Even with the IQ of a barnacle you’re better equipped than me to survive in this world.

Visitor – Thank you…

Author – I think therefore I am… Descartes is an idiot. What a load of crap. It’s obvious that in order to survive in this world of shit, the first thing to do is stop thinking.

Visitor – Yes…

Author – But here’s the rub… Not thinking is like quitting smoking. It’s a lot easier to do when you never started.

Visitor – Are you saying for that me? Because I don’t smoke…

Author – Actually, now that I think about it… I might have a small job for you.

Visitor – Oh? Why not, if it’s my range.

Author – No, let’s not look at it that way, it would reduce the realm of possibilities to barely nothing.

Visitor – So?

Author – Would you consider working as my ghost-writer?

Visitor – Pardon?

Author – For reasons I don’t understand, my agent is determined that I should write a new play. You could write it for me.

Visitor – But… I’m not a playwright.

Author – Just between us, you’re not an actress either.

Visitor – Well… that’s a matter of opinion… Ghost-writer… How much does it pay?

Visitor – That is directly related to the reputation of the author who signs the work.

Visitor – That doesn’t sound very attractive… You were never very well known… and according to your agent, no one remembers you anymore.

Author – And you said he paid you to lift my spirits…

Visitor – I’m just realistic, that’s all.

Author – So, are you interested or not?

The doorbell rings.

Visitor – If you’re expecting someone I should probably leave.

Author – I’m not expecting anyone.

He goes to open the door. The visitor starts to pack her recording device and put on her raincoat. The author returns with an open envelope in one hand and a piece of paper in the other.

Author – It was a courier.

Visitor – I’ll leave you to it…

Author (with authority) – Sit down!

Surprised, she sits without a word. The author examines the paper he is holding, confused.

Visitor – What it is? Your gas bill?

Author – Gas bill? They cut off the gas a long time ago… If they hadn’t I don’t know whether I’d still be here talking to you.

Visitor – So?

Author – It’s from my agent, a contract for an exclusive deal for my next play.

Visitor – A contract?

Author – He wants me to sign it and return it immediately. This is really strange. (He pulls a cheque from the envelope.) There’s even an advance…

Visitor – How much?

Author – Five hundred.

Visitor – Five hundred pounds! He’s not kidding.

Author – I don’t know… I’m not sure… Since your arrival it’s become difficult to tell who’s been led…

Visitor – Well, now that you received this advance you don’t have a choice anymore. You’re going to have to write this comedy.

Author – I can always return the cheque. I haven’t signed the contract. I imagine this fake interview was a ploy to convince me to go along with this scheme.

Visitor – You’re not going to sign it?

Author – I can’t write under duress… But this pile of unpaid bills over there demands that I take a little longer to think about it, because if I want to kill myself in a painless way I’m going to need the gas to be turned back on.

Visitor – And what about my two hundred pounds?

Author – Didn’t we agree to share them?

Visitor – But now that you’ve a working author again, getting commissions and everything… you don’t want to look cheap.

Author – Not so fast. I still have to find the subject of the comedy.

Visitor – Come on, for five hundred quid even I could write anything.

The author looks at the visitor.

Author – How about two hundred and fifty?

Visitor – What about two hundred and fifty?

Author – Half of five hundred! You haven’t rejected my offer yet either.

Visitor – What offer?

Author – To work as my ghost-writer.

Visitor – Oh, hold on, I was joking. I said I could write anything, but not a play. Certainly not a masterpiece.

Author – Write anything? But that’s exactly what I need you to do.

Visitor – Pardon?

Author – To be completely honest with you, the only thing I can write are masterpieces. Writing just anything, I don’t know how. That’s the problem, do you understand? (A time) Looking at your moronic face, I don’t think you do…

Visitor – Well, it’s just that…

Author – Ok… My agent paid me an advance to write a play but, alas, I have lost the inspiration needed to write a real one. With me so far?

Visitor – I think so.

Author – I could write anything and still earn this cheque, like any other playwright would do, but unfortunately, I am unable to write just anything.

Visitor – How so?

Author – Most likely some good old Judaeo-Christian guilt… And my agent knows it perfectly well. He’s Jewish.

Visitor – So?

Author – So for you, writing just anything is right up your street!

Visitor – You think?

Author – Take it from me… you’re a natural.

Visitor – But why not hire a ghost who can actually write?

Author – If I could get one for two hundred and fifty pounds I would have hired one a long time ago.

Visitor – Sure…

Author – Sure? That means you’ll do it?

Visitor – No… Sure means, yes I understand…

Author – So?

Visitor – So… I could really write just anything?

Author – What else could you write?

Visitor – But your agent, I mean our agent, he’ll be able to tell it’s a load of crap!

Author – My agent? My agent setup this absurd comedy to trick me into writing one after I told him I wasn’t going to. I see it as paying him back in kind.

Visitor – He’s more likely to see it as a kind of payback.

Author – See, you can even be funny when you try! So, what do you think?

Visitor – Maybe… What’s the worse that could happen?

Author – Getting egg on your face?

Visitor – I can live with that.

Author – Yes, I’m sure you’ve had plenty of practice.

Visitor – Ok… So when do you want me to start? Let me see… (She pulls out a day planner and starts flipping pages.) This week’s all booked up… Maybe if I can free some time… How about next Monday?

The author rips the diary out of her hands and quickly glances at it.

Author – There’s so many white pages in this diary you could use it to write the play. Ah, my bad… you have an eye doctor’s appointment in three months.

Visitor – They have a very long waiting list. (The author looks at her impatiently) Ok… so when do you want to start?

Author – No better time than the present, and since you’re already here…

The phone rings. The author doesn’t move.

Visitor – You’re not going to get that?

Author – It’s probably the bank, wanting to chat about my overdraft.

Visitor – I see… We must have the same bank.

Author – The Coop Building Society.

Visitor – The only thing they’re building is an increasing number of overdrafts.

We hear the voice of the person leaving a message.

Voice – Hello, this is Quentin Hustlewell-Swindlelots, president of the Critics Sphere Awards. It is my pleasure to let you know that our foundation has decided to award you this year’s lifetime achievement prize. Please call us back at your earliest convenience so we can work out the details of the ceremony.

The author listens to the message with visible astonishment.

Visitor – Do you think this is another joke from your agent?

Author – It’s not out of the question…

Visitor – What else could it be?

Author – Is it that far fetched to think I am actually the recipient of a lifetime achievement award?

Visitor – How should I know… I haven’t read any of your plays…

Author – It’s a shame you’re not really a journalist. You missed a scoop. You would have been the first to interview the latest Critics Sphere Awards winner.

Visitor – Sorry, never heard of them…

Author – You’ve never heard of them? But this award is to comedy writers what the Pulitzer prize is to journalists!

Visitor – Never heard of that either…

Author – Oh, that’s right, you’re not a journalist. Let’s see… it’s like a Bafta for an actor.

Visitor – Oh, you mean… like a literary Nobel Prize?

Author – Let’s not get carried away.

Visitor – Yeah, I didn’t think so…

Author – Let’s just say that, combined with the right cover this award could nicely boost the sales of my next play.

Visitor – Even if the play isn’t very good?

Author – Even with your lack of domain expertise, you couldn’t have failed to notice that the biggest literary successes are rarely masterpieces. Most of the time the books aren’t written by their authors, even much less read.

Visitor – Yeah… but usually, while the authors are morons, those who actually write the books are real authors.

Author – Well, in our case it’ll be the other way around.

Visitor – It’s not very ethical to do that to your agent.

Author – I don’t think you quite get the situation.

Visitor – What do you mean?

Author – This crook knew before I did that I was going to win the award, so he sent me a contract to sign immediately that would grant him exclusive rights to my next play. And for a paltry five hundred pounds! When he knew damn well that the kind of publicity the award would draw would turn me into a successful author. What were you saying about ethics again?

Visitor – I have to say, when it comes to ethics… I don’t have that much experience.

Author – And don’t get me started on this ridiculous interview scenario to convince me to get back to work.

Visitor – When you look at it that way…

Author – So, are you going to write the play or not?

The visitor thinks for a moment.

Visitor – All right… but I also want the two hundred pounds for the interview.

Author – I thought we agreed to share.

Visitor – You said so yourself: you’re now a successful author.

Author – All right. Get to work, then.

Visitor – I’ll have that chamomile now, I think…

Author – To be honest, I don’t recommend it… I keep it next to the arsenic… but if you want a writer’s tip, I can recommend something else. (He pulls a bottle of whiskey and puts it on the table) That right here is the magic potion that conjures up inspiration. Unfortunately, I built up a tolerance…

Visitor – Why not…

She pours herself a glass, downs it in one, and pulls a face. She looks at the label.

Visitor – Swedish whiskey? Are you trying to poison me too?

Author – Not before you’ve finished writing this play. (He hands her a pen.) You are now the official curator of my Mont Blanc pen. May the force be with you. There’s paper on the table. Sit down and write.

She sits.

Visitor – I’m not sure I can write a whole book, even writing just anything…

Author – It’s just a play! Fifty pages and we can fool anyone.

Visitor – Fifty pages?

Author – Think of it as sitting your A Levels and you’re writing a rather long essay…

She looks at him, embarrassed.

Visitor – A Levels…?

Author – You don’t have any A Levels. Of course you don’t.

Visitor – I could have gotten them, but I missed my train.

Author – Look at it like a very long letter then.

Visitor – I mostly write tweets…

Author – A play is all dialogue! You start a new line at the end of each sentence, and you skip a line every time. Half of what makes a play is what’s in between the lines… It’s mostly blank paper!

Visitor – That must be why they call you Letterman…

Author – There you go, we’ll write this play with four hands: I’ll give you the letters and you put them in the correct order.

Visitor – And you sign the whole thing.

Author – Do you think Michael Angelo painted all the pictures he signed? He had staff, too. He just added a few details at the end.

Visitor – Still, I’m not a writer.

Author – But everyone can be a writer! And a playwright even more so. It’s so easy they don’t even have degrees for it. It’s one of the few jobs, along with pizza delivery and psychoanalyst that you can’t get a degree in. Actually, I’m not sure about pizza delivery, you need to drive a moped.

Visitor – But it’s still a lot of work.

Author – You can write a play with a single cartridge. For a novel, you’d need four or five.

Visitor – Ok…

Author – It’s the world’s laziest job, take my word for it. Unless you count poets. Wankers write five lines of three words each on a page and lots of space around and they’re geniuses.

Visitor – Maybe I should be ghost-writing for a poet then.

Author – Good luck with that. There isn’t a universe where poets can afford to pay ghost-writers, even in instalments.

Visitor – All right… I’m not sure where to start though…

Author – The beginning is always the hardest, of course. Especially in comedy.

Visitor – Oh, we’re writing a comedy.

Author – Yes, a boulevard comedy. Or maybe just a high street comedy.

Visitor – Funny… I still can’t picture you as a comedy writer.

Author – It was a long time ago. Why do you think I need a ghost-writer now?

Visitor – I don’t know if I can be funny.

Author – I don’t expect you to be intentionally funny. We’re aiming for natural comedy…

Visitor – That’s not helping.

Author – Let’s see… Is there someone you’d like to kill?

Visitor – Kill?

Author – That’s the point of comedies! It’s illegal to kill your mother-in-law, so you write a play where you roast her.

Visitor – I’m not married. Do you have in-laws?

Author – Not any more, unfortunately. My wife left me. Some days I find myself almost missing my in-laws, that’s how depressed I am. How am I supposed to write a good comedy in these conditions?

Visitor – I don’t know… Let me think… Oh, right… I used to hate my sister.

Author – Good, that’s a start…

Visitor – Unfortunately she died… I’m guessing that as far as comedies go…

Author – It depends, some deaths can be hilarious. What did your sister die of?

Visitor – Cancer.

Author – I see. No… That’s not going to work, I’m afraid. It’s very difficult to joke about cancer. Especially when it affects a family member.

Visitor – Oh, really? Crap… That’s unfortunate…

Author – It’s one of those subjects that are incompatible with comedy. I’m not sure why. Maybe it’s the part about the long illness. On stage, the funniest deaths are always the quickest. If a man talks about his wife getting hit by a train on her way back from her pilates class, everyone’s laughing and he hasn’t even finished the story. If he talks about how she died of colon cancer after three years of chemo, no one’s laughing. Go figure.

Visitor – Ok…

Author – Having said that, if you want to give it a try…

The doorbell rings.

Visitor – You’re expecting someone else?

Author – It must be the courier guy. He said he’d come back for the signed contract. Can I have that pen?

He takes the contract.

Visitor (worried) – Are you sure?

Author – I don’t know why but I believe in you… (He signs the contract and hands her the pen.) If you feel an idea coming on while I talk to the courier guy, don’t wait for me, just start writing.

He leaves the room. The visitor’s mobile phone rings and she takes the call.

Visitor – Yes… No, I’m still with him… Yes, yes don’t worry, he just signed the contract… Listen, I can’t talk now… Ok, I’ll call you back…

She puts her phone away. The author returns.

Author – Right… So now we can’t turn back. I just sold your soul to the devil for five hundred pounds. Even in your wildest dreams you wouldn’t get such as good deal.

Visitor – There’s nothing to brag about… I thought you had a stronger moral fiber…

Author – You know, most authors only write so they can pay last year’s taxes with the advances they get for the books they’ll write next year. If authors are ever made to join Pay As You Earn, there’s going to be a whole lot less books written.

Visitor – I wouldn’t know, I’ve never earned enough to pay taxes.

Author – Lucky you… Taxes are a downward spiral, stay out of the system as long as you can. Where were we?

Visitor – Nowhere, I’m afraid.

Author – Yes, that’s what I feared.

Visitor – What if we wrote the story of a writer with severe writer’s block?

Author – I see… And then this bird knocks at his door, and she pretends to be a journalist…

Visitor – Why not?

Author – Theatre in theatre… I swore I would never fall that low…

Visitor – But you said we could write anything!

Author – I did… And how would it end?

Visitor – I don’t know… I’m not even sure where it goes after that…

Author – Have another glass…

He does as he says and pours her another whisky.

Visitor – I don’t know if…

Author – Bottoms up!

She downs the shot.

Visitor – I think I’ll take a quick nap. I’m sure ideas will come to me more easily while I’m asleep.

Author – Oi! I’m not paying you to sleep!

Visitor – You haven’t paid me anything yet… Actually, speaking of payment, a small advance might motivate me…

Author – Even if I wanted to, I doubt the Coop Building Society would agree to increase my overdraft… My god, you’re really no good as a ghost-writer! I told you to write anything and you can’t even do that!

Visitor – I have a reputation too, you know! I don’t want to become a laughing stock by publishing just anything…

Author – But no one will know your name! I will sign the book!

Visitor – That may be so, but I’ll know who really wrote it. There is such as thing as self respect, you know.

Author – Fine. No one is stopping you from writing a masterpiece.

Visitor – You don’t think I can? I’m not as stupid as you think I am.

Author – Go on then, surprise me…

Visitor – Yeah… But with all that whiskey you gave me, I’m getting peckish. Do you have anything to eat?

Author – I hired you to write, not to attend a cocktail party.

Visitor – You know what they say: hunger is poor counsellor.

The author finds a packet of biscuits and gives it to the visitor.

Author – Here, I have a few chocolate digestives left.

Visitor – Thank you. (She starts to eat one.) They’re a little soft.

Author – Would you like me to drop everything to go to the shops and buy fresh ones?

Visitor – No, they’ll do… (She stuffs a second biscuit in her mouth.) I have an idea!

Author (jumping) – You almost scared me…

Visitor – Boy loves girl, but their families hate each other.

Author – That’s Romeo and Juliet.

Visitor – Boy loves girl, but they both end up marrying other people.

AuthorWuthering Heights.

Visitor – I love that song.

Author – No, the book.

Visitor – It’s a book?

Author – Indeed.

Visitor – Boy loves girl but it’s really a man.

AuthorSome like it hot.

Visitor – Never heard of this play.

Author – It’s a film.

Visitor – Are you sure?

Author – Quite sure.

Visitor – A man loves another man but it’s really a girl.

AuthorVictor Victoria.

Visitor – A woman loves another woman but it’s really a man.

AuthorTootsie.

Visitor – Bloody hell… I didn’t think it would be so difficult to be a contemporary writer. Has everything already been written then…?

Author – Everything…

Visitor – All the good stories for sure…

Author – They stuffed their faces and now we’re left with the crumbs.

Visitor – Mother fuckers.

Author – Shakespeare, Chekov… They had it easy… Nothing had been written then. Good ideas were just lying around for the picking. Anyone who could read and write was miles ahead of everyone else and had a pretty good shot at posterity.

Visitor – That’s true. If there was room for another Shakespeare today we’d know about it.

Author – That’s why I’m not even attempting to write a masterpiece, and I’m only asking you to just write anything.

A time.

Visitor – I’ll take that whiskey in the end.

She drinks it thirstily straight from the bottle.

Author – Maybe you should slow down a little…

She sighs satisfactorily as she puts the bottle down.

Visitor – I got it!

Author – Really?

Visitor – Let’s see you link that one to Christopher Marlowe or George Bernard Shaw.

Author – I’m all ears.

Visitor – A couple are having a friend over for dinner whose husband just died in a plane crash. And while they’re consoling her, they find out they won the lottery.

Author – Excellent! Bravo…

Visitor – See, when I try.

Author – That’s my first play.

Visitor – Oh yes…

Author – The one you haven’t read.

Visitor – Great minds and all that…

Author – Indeed, had you been born before me you could have been the one to write it. It’s actually my most popular play…

Visitor – I must have read about it in Time Out.

Author – I stopped writing the day I started to plagiarise myself.

The enthusiasm dies down. A time.

Visitor – Any more chocolate digestives left?

Author – You scoffed them all!

Visitor – The paquet was already opened. I’d rather not know for how long, either. I hope I don’t get food poisoning.

Author – If you do, just call in sick. But you do realise that us authors don’t get sick leave… when we don’t work we don’t get paid. So for ghost-writers, imagine…

Visitor – Whatever. I’m still hungry.

Author – You’re obsessed with food, aren’t you?

Visitor – Only someone who has never really known hunger would say something like that.

Author – All right, I’ll go and see if I can find something in the fridge…

Visitor – One more thing…

Author – What now?

Visitor – I don’t like this word… ghost-writer.

Author – You don’t?

Visitor – I find it offensive.

Author – Offensive? For who?

Visitor – For me!

Author – So what do you want to be called? Stand-in writer? Famous actors have stand-ins for the scenes they don’t want to shoot. Authors could have stand-ins for the scenes they don’t want to write…

Visitor – I don’t know… How about… personal assistant?

Author – Personal assistant?

Visitor – When we’re out and about and you have to introduce me, you can’t very well say, and this is my ghost.

Author – I have to admit… I hadn’t considered the possibility of us going out together…

Visitor – In any case… I need a cover, don’t I?

Author – A cover?

Visitor – Speaking of cover… A ghost-writer who moonlights… that’s not very legit. I’d like to be able to claim benefits. I have to think of my future.

Author – But of course, and what about pension contributions while you’re at it?

Visitor – Fine… Let’s start with personal assistant.

Author – Right. And in lieu of pension contributions I’ll go and see if there’s a piece of cheddar in the fridge.

He is about to leave the room when the phone rings. The visitor picks up, to the author’s surprise.

Visitor – This is the office of Charles Letterman. How can I help you?

The author signals that he doesn’t want to take the call.

Visitor – Oh, I’m sorry, he can’t come to the phone at the moment… Why? Well… because he’s dead. Yes, pretty sure. The doctor was just here, and believe me, it’s not a pretty sight. Oh yes? No… Yes, yes of course, it’s good news, but… in that case it will have to be posthumously. Listen, I’m sorry but I have to go, the autopsy is about to start… And the same to you.

The author stands frozen, stunned.

Author – Who was it?

Visitor – John Frowner, president of Subsidised Starving Playwrights. Apparently, you’re being considered for an O.B.E. by the Ministry of Culture.

Author – And you told him I was dead?

Visitor – You didn’t want to talk to him… It’s the first thing that came to mind.

Author – I see…

Visitor – Oh come on, let’s get real. I’m not going to write this play, and neither are you.

Author – So?

Visitor – So if you’re dead, your agent won’t come and ask you to pay back the five hundred pounds he gave you for a play you haven’t written.

Author – But dead…? Isn’t that a little… extreme to avoid paying back five hundred pounds?

Visitor – It’s part of this plan I have…

Author – See, when you put your mind to it…

Visitor – Between your death, the award and now the O.B.E., you’ll be famous again!

Author – I know I asked you to surprise me, but you’ve exceeded all expectations…

Visitor – Thank you.

Author – It wasn’t meant as a compliment. There’s more than one way to surprise people.

Visitor – Do you have any family?

Author – Only my wife. And I’m not sure she considers me family anymore.

Visitor – So basically you’re alone. No wife, no family, no friends… This award and this medal, I could receive them in your name.

Author – But of course… I hire you as a ghost-writer, you can’t write a single line, and now you want to receive all the awards I won. Do you want my pin code too?

Visitor – Actually, that might be best. After all, you’re supposed to be dead.

Author – I could always come clean.

Visitor – Think about it. At the moment, you’ve got everything to gain by pretending to be dead.

Author – How do you figure?

Visitor – I bet that by tomorrow you’ll be all over the papers. Probably not the front pages, let’s be real. But all of a sudden, the New Yorker will remember who you are.

Author – Being able to read my own obituary in the papers… tempting.

Visitor – Everyone will say you were a great author. Your books will sell like hot cakes… maybe even until the end of the week.

Author – You think so?

Visitor – I may not be a journalist, but I’ll still get you in the papers!

Author – Right, so what do we do now?

Visitor – You play dead, and… I’ll take twenty per cent of your royalties.

Author – My agent only took ten!

Visitor – But with him you weren’t selling anything, and your plays were never produced.

Author – And to think I was getting used to the idea of retiring.

Visitor – Retiring?

Author – I had already started to remove everything from my life that upset me. I don’t write. I talk only when necessary. I don’t share my opinions with anyone and I am working on not having any opinions at all.

Visitor – Do you really think you could do that?

Author – Not have any opinions?

Visitor – Retire! Are you sure you can afford it?

Author – According to the Coop Building Society, it seems it’s debatable…

Visitor – What I’m offering is better than retirement, I am offering death!

Author – It’s tempting for sure, but… If it’s okay with you I think I’ll take a few minutes to think about it first.

The phone rings again. The author is about to answer out of habit. The visitor stops him.

Visitor – Are you crazy! You’re supposed to be dead, remember! (She picks up.) Hello? Yes. The Coop Building Society? No, I’m sorry, Mr Letterman has passed away. Yes. He took his own life. Yes, he killed himself… he drank a bottle of Drano… That’s right, the stuff to unclog toilets. A huge hole in his stomach. Caustic soda. Yes, he could be very caustic too. Maybe that’s why he chose to leave us in this manner… Why? Oh, who knows with artists… And as you’re well placed to know, he was deeply in debt. It was the only way to avoid bankruptcy. Yes, of course there are things more important than money, I’m glad to hear you say that… In any case, thank you for calling… That’s right. Good bye. Of course, I’ll pass on your condolences to his family.

The visitor hangs up. The author looks at her, stunned.

Author – It takes a while to get you started, but once you’re warm you’re unstoppable! So now I committed suicide.

Visitor – I thought it would be more romantic for a writer, better than cardiac arrest or colon cancer.

Author – More romantic? A bottle of drain cleaner?

Visitor – I improvised… that’s what came to mind.

Author – Improvised… From now on, please stick to the script!

Visitor – What script? You’re unable to write anything!

Author – Oh all right… There’s no need to be unpleasant… Ok, so I committed suicide… It’s true I was feeling a little down recently.

Visitor – See?

Author – So what do we do now? Do we organise my state funeral?

Visitor – An author’s death usually results in a 10% increase in sales, at least. For a suicide it can go up to 20%. (The phone rings again.) Sounds like we’re in business.

Author – For sure… this phone hasn’t rung that much in the past ten years… combined.

The Visitor picks up.

Visitor – This is the office of Mr Letterman. How can I help you? Yes, Madam, it is. I can confirm, your husband died this morning. Please accept my condolences, as well as those of the Coop Building Society. A bullet to the head, yes. Yes, if you saw him I’m not sure you would recognise him. Half the top of his head… It’s not a pretty sight, believe me…. Very well, I’ll let him know… I mean, yes, thank you… Good bye Madam. (She hangs up.) That was your wife.

Author – My wife? What did she want?

Visitor – Pay her respects, apparently.

Author – I haven’t seen her in years. Ironically, she used to complain I wasn’t showing her enough respect…

Visitor – The dead are always much more popular than the living. You’ll see, there’s only upsides to being dead.

Author – So now the story is that I shot myself in the head.

Visitor – I use every opportunity to improve.

The phone rings again.

Visitor – At this rate, we’re going to need a receptionist. (She picks up.) This is Mr Letterman’s beneficiary speaking, how can I help? Yes, that’s right, I hold the rights to all his plays. We were married a few months before his death. That makes me his only beneficiary… Yes… Yes… Yes… Yes, he just finished a play that will surprise you. I think it’s a masterpiece, if I say so myself. It hasn’t been seen by anyone yet, no. Yes… Yes… Yes… Of course. Where can I reach you? (She scribbles something on a piece of paper.) Very well, I’ll take a look at your file myself and give you my answer as quickly as I can. Yes, speak soon.

Author – So now we’re married…

Visitor – It’s easier that way.

Author – Easier…?

Visitor – To explain how I came to hold the rights to your plays.

Author – Of course.

Visitor – And as your widow, it stays in the family.

Author – If you say so… And can I ask who that was?

Visitor – A theatre in London, asking about producing your last play.

Author – A theatre? Which theatre?

Visitor – I was going to write it down but you interrupted me… Something to do with EastEnders…

Author – EastEnders?

Visitor – And also something to do with being young…

Author – The Young Vic?

Visitor – That’s the one!

Author – But they only put on plays by living playwrights!

Visitor – Your body’s still warm, surely that’s good enough?

Author – Right… So what are you planning to do?

Visitor – I’m going to let them stew a little. Let them think they’re not the only ones interested.

Author – You should have been my agent…

Visitor – We could even consider a retrospective of your entire body of work, what do you think?

Author – Why not… But when you say my last play, do you mean…

Visitor – The one you haven’t written yet.

Author – How does that work since I’m supposed to be dead?

Visitor – You heard, I told them you had a play no one had seen before.

Author – Yes… But I don’t have one…

Visitor – But since you’re not really dead, you can write it.

Author – But I told you I had writer’s block!

Visitor – But that was before!

Author – Before? Before what?

Visitor – Before you became a successful writer again.

Author – You mean a dead writer.

Visitor – Yes, that too… Now that you have your whole death ahead of you, you’ll have plenty of time to write this play. I’ll handle everything else.

Author – I’m sorry to ask you this but… I’m going to stay dead for how long? Approximately?

Visitor – For now, let’s say long enough for you to write this 124th play. Then we’ll see.

The Author appears to be a little overwhelmed by the situation.

Author – Ok… So… Well… I’ll get on it then…

Visitor – How about a cup of chamomile tea?

Author – I think I’ll stick with Swedish whiskey… (He takes the bottle and goes to leave the room.) You’re staying?

Visitor – Someone has to stay for the wake and answer the phone.

Author – Ok then…

The author leaves. The visitor makes herself at home, takes out her mobile phone and punches a number.

Visitor – George? It worked. I think he’ll write the 124th play… Yes, maybe we’ve overdone it with the Critics Sphere Awards and the O.B.E… He’s certainly going to be disappointed when he finds out he isn’t getting either… It’s for his own good… And you never know, if his new play really is good… Yes, of course, if he isn’t dead first… Speaking of which, I wanted to tell you. I had to improvise a little…

The author returns and she hides the phone.

Author – I’ve run out.

Visitor – I’m sorry?

Author – I’ve run out of ink. My pen is empty. And good luck finding a Mont Blanc replacement cartridge at this hour…

Visitor – What about the typewriter?

Author – The typewriter? It’s like me, it’s running on empty.

The visitor takes a biro from her pocket and hands it to the author.

Visitor – Use this for now.

The author appears disappointed to see his excuse hasn’t worked. He leaves. She picks up the phone.

Visitor – This is going to be harder than I thought… I can’t leave him out of my sight so I think a small raise would…

We hear a bang.

Visitor – Oh… Sounds like he found his cartridges… I’ll call you back. (She hangs up.) Looks like I’m going to have to write this play myself after all.

The author returns carrying a champagne bottle, the popped cork in his other hand.

Author – I’m also out of whiskey, but look what I found in the fridge. I was saving it for a special occasion. Getting a prize and a medal in the same day, surely that qualifies… Will you have some?

Visitor – Why not? But only if you promise to get back to work right after.

Author – Oh no worries there. Learning I was dead gave me a new lease of life.

Visitor – That’s great to hear… So you have an idea?

Author – It’s always best to start from real life situations. So fuck principles and let’s go with theatre in theatre. It’s the story of an author with severe writer’s block. One day, a journalist comes to see him…

Visitor – Yes, that rings a bell… And for the title?

Author – How about… “Running on empty”?

Visitor – Hasn’t it been used before?

Author – What now? We have to come up with a unique title as well…?

Visitor – All right, let’s go with “Running on empty”

Author – I’ll dictate, you type. It’ll go faster that way. (He places an old typewriter in front of the visitor.) Here, I found a new ribbon.

Visitor – I’m listening…

The author starts to dictate, very inspired, as if he was visualising the scene.

Author – A messy living room. A man (or a woman) dozes in an armchair. The phone rings, partially waking him. He answers the phone, still half asleep. Hello?

Black.

End.

The author

Born in 1955 in Auvers-sur-Oise (France), Jean-Pierre Martinez was first a drummer for several rock bands before becoming a semiologist in advertising. He then began a career writing television scripts before turning to theatre and writing plays. He has written close to a hundred scripts for television and almost as many plays, some of which have already become classics (Friday the 13th, Strip Poker). He is one of the most produced contemporary playwright in France and in other francophone countries. Several of his plays are also available in Spanish and English, and are regularly produced in the United States and Latin America.

Amateur and professional theatre groups looking for plays to perform can download Jean-Pierre Martinez’s plays for free from his website La Comediathèque (comediatheque.net). However, public productions are subject to SACD filing.

 

For those who want to read the texts or work from a traditional book format, a paper copy can be purchased from Amazon.

Other plays by the same author in English

 Casket for two

Critical but stable

Friday the 13th

Him and Her

Strip Poker

 

This text is protected under copyright laws.

Criminal copyright infringement will be investigated

and may result in a maximum penalty of up to 3 years in prison

and a EUR 300.000 fine.

Paris – March 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-259-2

https://comediatheque.net

Play available for free download

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El pueblo más cutre de España

Una comedia de Jean-Pierre Martinez

10 personajes

Fácil reparto por sexos ya que casi todos los personajes pueden ser masculinos o femeninos.

Algunos supervivientes de un poblacho moribundo, olvidado de Dios y rodeado por una autopista, deciden inventarse un evento para atraer a los curiosos. Pero no resulta fácil convertir al pueblo más cutre de España en un destino turístico de moda.

Originalmente escrita en francés bajo el titulo “Le pire village de France” esta comedia se puede fácilmente adaptar al contexto geográfico y cultural de cualquier país de representación, solo cambiando unas referencias en el texto, y por supuesto el título. El pueblo mas cutre de España o Argentina, Colombia, Guatemala, México… Todos tenemos en nuestro país unos poblachos que puedan competir para el poco honorífico título de “Pueblo más cutre” !


Aquellos textos los ofrece gratuitamente el autor para la lectura. Sin embargo cualquier representación pública, sea profesional o aficionada (incluso gratuita), debe ser autorizada por la Sociedad de Autores encargada de percibir los derechos del autor en el país de representación de la obra. 


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El pueblo más cutre de España 

PERSONAJES

Manolo (o Manuela): patrón(na) del bar

María: mujer del patrón

Charly (o Carla): maestro (o maestra)

Feliciano: cura del pueblo

Don Honorato (o Honorina): alcalde(sa) del pueblo

Juan Carlos (o Juana Carlota): tonto(a) del pueblo

Wendy: productora de televisión

Laura (o Laureano): periodista

Ramírez: comisario

Sánchez: inspector

 

ACTO 1

 

Bar de pueblo al que llaman “Bar Manolo”, en Villaburros de la Iglesia. Tras el mostrador, Manolo, el propietario, hombre básico, ojea la prensa local, mientras María, su mujer, algo más espabilada, seca los vasos con aire ausente. Entra Don Honorato, el Alcalde, un tipo de rancio abolengo. Viste con elegancia caduca.

Don Honorato – Buenos días Doña María. A sus pies…

Manolo, un tanto ceñudo, retira apenas los ojos del periódico. María parece salir de un ensueño. Se le ilumina levemente el rostro.

María – Señor alcalde… ¿Cómo está?

Don Honorato se sienta en una banqueta ante el mostrador.

Don Honorato – Regularcillo… Tengo una ligera cefalea desde esta mañana, sin conocer el motivo.

Manolo – No me extraña. Con lo que se metió anoche entre pecho y espalda… Eso se llama pillarse una buena melopea.

María le mira con gesto reprobatorio.

María (muy amable) – ¿Qué desea tomar, Don Honorato?

Don Honorato – Tomaré un Chinchón. Creo que me sentará bien.

Manolo – Sí… Conviene equilibrar lo malo con lo malo…

María le sirve. Don Honorato se lo agradece con una sonrisa.

Don Honorato – María, está usted hoy resplandeciente.

María – Me he cambiado ligeramente el color del pelo. Mi marido no se ha dado ni cuenta.

Don Honorato – Querida María. Su esposo no se merece una mujer como usted. De cualquier forma, está usted radiante.

María – Me gusta cambiar de vez en cuando.

Manolo la mira con sorna.

Manolo – Lo único que cambia en este maldito pueblo es el color del pelo de mi mujer. (Manolo deja el periódico sobre el mostrador). Antes, aunque no se hablara de nosotros, al menos aparecíamos en el mapa entre Villaburros de Arriba y Villaburros de Abajo. Ahora, ni siquiera se nos nombra.

Don Honorato – Tiene razón, querido Manolo. Así es. Somos los náufragos del éxodo rural. Nos ignoran en espera de borrarnos totalmente del mapa. Dentro de poco seremos como una isla desierta perdida en mitad del Pacífico, lejos de toda ruta marítima.

María – Así es Don Honorato… Somos náufragos en mitad de los campos de patatas…

Don Honorato – En espera de que, como consecuencia del calentamiento global, estas tierras a las que nos aferramos acaben inundadas.

Manolo – Si al menos tuviéramos playa…

Don Honorato bebe el Chinchón.

María – Es bien triste pero, ¿qué podríamos hacer, señor alcalde?

Don Honorato – ¿Señor Alcalde? No creo que siga siendo alcalde por mucho tiempo.

Manolo – ¡No será por miedo a no ser reelegido…! Nunca se ha presentado otro candidato a alcalde en Villaburros de la Iglesia. Dado el censo, si se vota a sí mismo ya tiene el veinte por ciento de probabilidades de ganar.

Don Honorato – Existe un problema añadido… Acabo de recibir una carta donde me anuncian que vamos a ser anexionados al pueblo más cercano.

Manolo – ¿A Villaburros de Abajo?

María – ¡Pero si está a más de veinte kilómetros!

Don Honorato – Veinte y dos a vuelo de pájaro y diez y nueve por carretera.

Manolo – Campo a través el camino es recto.

María – Esto es un páramo luego, la carretera no tiene más remedio que ser recta…

Manolo – Si al menos tuviéramos un cerro o un bosque…

Don Honorato – Tienes razón. Imagina que hubiera que dotar al pueblo de un blasón. No imagino qué podríamos poner.

Manolo – Está claro. Pondríamos una patata.

Don Honorato – No es momento de regodearse. Seguramente será mi último mandato.

Manolo – ¡Después de más de treinta años…!

María – ¿Cómo vamos a llamarle si ya no podemos referirnos a usted como Señor Alcalde?

Don Honorato – Por mi nombre y apellidos: Honorato de la Fuente y de San Telmo…

María – ¿Todo eso…?

Don Honorato – Pero a usted le permito que me llame por mi nombre: Honorato.

Manolo – Ya perdimos el wáter público y la cabina telefónica y, ahora, nos quieren dejar sin Ayuntamiento.

Don Honorato – Pues sí… Se acabó…

María – ¡Usted que tanto hizo por Villaburros de la Iglesia!

Manolo – Bueno… Tampoco es eso…

María – ¿Qué quieres decir?

Manolo – Pues sí, hizo unos cuantos chanchullos que acabaron por hundirnos… ¿No es así Don Honorato?

Don Honorato – ¿Chanchullos? No sé de qué me hablas…

Manolo – Pues digo que usted no ha hecho mucho por la comunidad. Seguramente por eso es por lo que nos quieren borrar del mapa.

María – Eres injusto, Manolo. La verdad es que pocas cosas se pueden hacer en Villaburros de la Iglesia.

Manolo – Sin embargo no podrá usted negar, Don Honorato, que se ha aprovechado de su estatus de alcalde.

Don Honorato – No sé a dónde quieres llegar, Manolo…

Manolo – Le estoy hablando de las subvenciones del Ministerio de cultura.

Don Honorato – Sí… Así fue.

Manolo – Para restaurar una posada de la que nadie ha oído nunca hablar y en la que se supone que Juana la Loca pasó una noche en 1538.

Don Honorato – Puedo enseñarte el libro donde se habla de ese hecho innegable.

Manolo – Un libro que ha escrito usted mismo, por cierto.

Don Honorato – O sea que ni siquiera tengo derecho a escribir un libro de historia.

Manolo – Una posada que, casualmente, le pertenece y que fue restaurada por completo con fondos del contribuyente y transformada en Casa Rural en cuyas habitaciones nunca ha dormido nadie, salvo la Loca esa…

Don Honorato – Querido Manolo, es lógico que, dada tu modesta formación, no seas consciente de los gastos que conlleva el ser propietario de un monumento histórico.

Manolo – ¡Juana la Loca! ¡Si al menos hubiera perdido la virginidad en esa cama!

María – Por favor, Manolo, no seas grosero.

Manolo – Eso sin hablar de la subvención para restaurar la iglesia del pueblo.

María – La iglesia de Villaburros de la Iglesia… Había que hacer honor al patronímico.

Manolo – Una iglesia en la que, casualmente, el párroco es primo suyo. ¡Menuda restauración se hizo a cargo de nuestros impuestos! Ni el Maraja de Kapurtala se lo hubiera montado así! ¡Incluso con yacusi en el patio!

Don Honorato – ¡Un yacusi! ¡Qué exagerado! Tan sólo un simple pilón…

Manolo – Si claro… Ahora dirá que se trata de una fosa séptica.

Don Honorato – Verdaderamente Manolo, no sé a dónde quiere llegar…

Manolo – Ni yo mismo lo sé. Pero lo que sí sé es que, con ese dinero se podría haber hecho algo importante para el pueblo.

Don Honorato – ¿Ah, si…? ¿Por ejemplo…?

Manolo – Por ejemplo: el haber instalado cámaras de vigilancia.

Don Honorato – ¿Para vigilar qué…? Como no sean los campos de patatas…

Manolo – ¡Se podría haber restaurado la escuela!

Entra Charly el maestro. Visiblemente gay.

María – Si antes le nombramos… Buenos días Charly, ¿qué tal?

Charly – El Bar Manolo hasta los topes, como de costumbre.

Manolo – Pues sí… Estamos al completo.

Charly – La nobleza y el proletariado. No falta más que el curita para estar al cien por cien.

Don Honorato – Lo más florido de Villaburros de la Iglesia.

Manolo – Tan sólo falta la Loca.

Charly – Por cierto, don Honorato, en breve se va a poner a prueba su sentido de la libertad.

Don Honorato – Aquí estoy para lo que haga falta.

Charly – ¿Sabe que se ha aprobado el matrimonio gay y que es a usted a quien le corresponderá realizar la ceremonia? No en mi caso, ya que, de momento, nadie ha pedido mi mano… Al menos no para ponerme un anillo en el dedo…

Don Honorato – No me compete. Villaburros de la Iglesia va a ser anexionado al pueblo más próximo.

Charly – ¡No es posible!

María – ¡Y eso es tan sólo el principio!

Don Honorato – ¡El principio del fin!

Manolo – Hitler empezó por invadir Polonia… Y así les fue. ¡Tenemos que reaccionar!

Charly – Tienes más razón que un santo.

Charly se sienta, visiblemente preocupado.

María – ¡A ti te pasa algo más! ¿Malas noticias?

Charly – ¡Van a cerrar la escuela!

María – ¿No me digas?

Manolo – Era de esperar… Hace mucho que no hay ni un alumno. Cuando no queden clientes, nosotros también tendremos que echar el cierre.

María – ¿Y los Certificados de Estudios?

Charly – Eso acabó el siglo pasado, mi querida María.

María – ¿O sea que también han eliminado el Certificado de Estudios? ¿A dónde vamos a llegar? ¿Te sirvo algo, Charly?

Charly – Un pipermint, como siempre.

María se lo sirve

María – ¿Habéis pensado en Juan Carlos? ¿Qué va a ser de él si el pueblo se queda vacío?

Charly – Eso…

María – Todavía no se ha pasado por aquí esta mañana. No sé dónde se habrá metido…

Manolo – Pues tú, Charly, lo tienes crudo. No va a ser tan sencillo encontrar un puesto de maestro en un colegio nacional.

Don Honorato – Parece ser que hay escasez de profesores…

Manolo – Puede ser, pero lo cierto es que estás fichado…

Charly – Tampoco es eso…

Manolo – No podrás negar que te acusaron de inmoral…

Charly – Sí, pero… no tiene nada que ver con los niños.

María – Sin embargo…

Charly – ¿A quién podría molestar que yo acudiera de vez en cuando a clase vestido de mujer?

María – Para los chicos debía ser chocante. Un día tenía un profesor y, al siguiente, una profesora.

Manolo – ¿Cómo te llamaban?

Charly – La señora Doubtfire.

Manolo – Seguramente por eso te mandaron a una escuela sin alumnos.

Entra Don Feliciano, el cura. A no ser por la cruz, discretamente colocada a su espalda, más bien parecería un viejo verde que un eclesiástico.

Charly – Buenos días Don Feliciano. Sólo faltaba usted para completar el cotarro.

Feliciano – Buenos días, hijos míos.

Manolo – ¿Hijos suyos? Con un cura como usted me pregunto si no habría que tomárselo al pie de la letra

María – ¡Manolo, por Dios…!

Manolo – Charly, esto es el mundo al revés. Tú deberías ser el cura ya que, en ese oficio, un hombre puede llevar faldas sin que la ley le condene por ello, mientras que a éste nunca le hemos visto con sotana.

Charly – Una pena don Feliciano, porque estoy seguro que le sentaría de maravilla.

María – ¿Qué le sirvo Padre?

Feliciano – Una copita de Jerez.

Don Honorato – Espero, Señor Cura, que al menos usted tenga algo bueno que contar.

Feliciano – Me gustaría que así fuera señor Alcalde, pero…

Manolo – No le pregunto si se ha muerto alguien porque, a falta de Juan Carlos, estamos aquí todos los supervivientes de este pueblo fantasma.

Feliciano – Mucho peor que eso… El Obispo quiere suprimir mi Parroquia…

María – ¿No me diga?

Feliciano – Pues sí. Dios está en suspensión de pagos… Parece ser que, también nosotros tenemos que reestructurarnos.

María – ¡Qué asco! Seguro que dentro de poco los chinos se apropiarán del Vaticano.

Feliciano – La verdad es que no viene nadie a misa en Villaburros de la Iglesia

Manolo – A pesar de su empeño en repoblar la parroquia.

María – Manolo, por favor… No tienes ningún respeto por la religión…

Manolo – Es que éste señor no multiplica el pan, sino los bastardos…

Don Honorato – Sin alcalde, sin maestro, sin iglesia… Tan sólo nos queda el Bar Manolo.

Manolo – Y, a saber por cuánto tiempo.

Charly – ¿No estarás pensando en cerrar?

María – A mí no me importaría vender… si encontráramos un comprador, claro.

Feliciano – Pues sólo nos faltaría eso… ¿Qué iba a hacer usted, hija mía, fuera de este café?

María – De momento me tomaría un buen descanso. Quizá no me crea, pero nunca he visto el mar.

Manolo – Antes llegaría aquí el mar tras el deshielo de los glaciares que el hecho de encontrar un comprador.

Charly – Un mirlo blanco, querrás decir

Manolo – Por supuesto. Seamos sensatos: ¿Quién podría interesarse por un barucho en un lugar como éste donde apenas quedan cuatro clientes?

Don Honorato – Los últimos agricultores consanguíneos y alcohólicos se largaron hace tiempo.

María – Sería cuestión de buscar la forma de atraer algunos turistas, al menos en temporada alta.

Charly – ¿No sé qué turistas podrían sentirse atraídos por un agujero como éste si no hay nada visitable en un radio de cien kilómetros a la redonda?

Don Honorato – Lo que no cabe duda que es que se trata de un lugar ideal para descansar.

Manolo – Sí… Para descansar en paz…

Feliciano – Campos de patatas hasta el infinito, algunos cuervos… Un buen tema para un cuadro de Van Gogh.

María – Si al menos Van Gogh hubiera venido a suicidarse aquí… Ese sí que hubiera sido un buen reclamo publicitario.

Manolo – Pues no es mala idea si un día se legaliza el suicidio asistido… Seguro que Villaburros de la Iglesia sería el lugar ideal para la Central.

Charly – Todos los depresivos de España vendrían a suicidarse en masa. Sería un buen reclamo para nuestra encantadora comunidad.

Feliciano – Hijos míos… Conservemos la fe. Seguro que Dios proveerá.

Manolo – Mientras tanto, les invito a una ronda para olvidar que el mundo entero, Dios incluido, nos ha abandonado en medio de un océano de patatas… Vamos, María, saca una de esas botellas que guardamos para momentos especiales.

Don Honorato saca su reloj de bolsillo.

Feliciano – Bien, pues no perdamos tiempo.

Don Honorato – ¡Es tardísimo!

Manolo – ¿A dónde van con tantas prisas?

María abre la puerta de un estante y lanza un grito al descubrir a Juan Carlos en el interior

María – ¡Por Dios Juan Carlos…! ¡Un día de estos me vas a provocar una crisis cardiaca!

Don Honorato – ¿Suele hacerlo con frecuencia?

María – Desde muy pequeño… Siempre con la manía de esconderse en los lugares más insólitos.

Manolo – Un día se escondió en la lavadora… Ahora no podría hacerlo porque ya está crecidito.

María – ¡Vamos…!¡Sal de ahí!

Juan Carlos sale de su escondite. Es el típico tonto de pueblo. Se supone que tiene unos 18 años (este papel también lo puede hacer un hombre mayor con pinta forzada de joven, lo que puede resultar más cómico).

Juan Carlos (a Manolo) – Hola, tito Manolo

Manolo responde con un gesto.

Charly – Hola, Juan Carlos

Don Honorato – No tiene arreglo tu primo…

Feliciano – Pero, ¿no era tu sobrino?

María – Es muy complicado. Ni yo misma me aclaro.

María saca la botella de vino y la coloca sobre el mostrador.

Charly – Eso explicaría su pequeño retraso mental.

Manolo – Como también soy su padrino, digamos que es mi ahijado.

María – Le llamamos Juan Carlos y ya está.

Feliciano – Felices los pobres de espíritu porque de ellos será el Reino de los Cielos.

Don Honorato – Es el último joven del pueblo.

Charly – Menuda herencia le han dejado.

Manolo – Podría ser un descendiente directo de Juana la Loca…

Feliciano – El año pasado le di su Primera Comunión… No vaya a ser que…

María – Su Fe de Bautismo será el único certificado que habrá recibo el pobre… Porque el de bachiller lo veo difícil.

Charly – Según un estudio sociológico realizado por el CSIC, los nacidos después del año 2000 tienen mayor predisposición al desarreglo genético.

Don Honorato – ¿Qué es lo que quieres ser de mayor, Juan Carlos?

Feliciano – Si también se marcha, no tendré a nadie en el coro.

Juan Carlos – Me gustaría ir a Madrid para presentarme a un concurso.

Don Honorato – ¿Qué tipo de concurso?

Charly – ¿Para bombero o para político?

Don Honorato – Quizá quiera ser cartero, como su padre.

Feliciano – ¿Su padre era cartero?

Manolo – O cura… Cualquiera sabe..

María – Nada de eso… Se le ha metido en la cabeza presentarse a un realitichou de esos.

Charly – ¿A cuál de ellos?

Manolo – A uno que busca grandes talentos.

Feliciano – ¿No me digas?

Don Honorato – Pero ¿qué tipo de talento puede tener este salvaje?

María – Es contorsionista… Al menos eso es lo que él dice…

Manolo – Lo cierto es que, un día los basureros le encontraron embutido en un contenedor amarillo. Casi le reciclan.

Juan Carlos se aleja un poco para jugar a los dardos. Por su patente falta de habilidad puede ser peligroso para los otros.

Don Honorato – Tengo que irme. Otro día brindaré con vosotros. Un asunto urgente me reclama en el Ayuntamiento.

Manolo – ¿Urgente?

Don Honorato – Tengo que dar respuesta a la carta.

Charly – Claro… La OPA contra Villaburros de la Iglesia a favor de Villaburros de arriba…

Feliciano – Le acompaño, Señor Alcalde. Yo también he de ir a rezar por mi parroquia.

Salen el alcalde y el cura. María ofrece un Jerez a Charly.

María – Una copita de Jerez?

También lo rechaza.

Charly – Muchas gracias. Además, apenas son las doce.

María – Pues pondré la botella a refrescar en espera de una gran ocasión.

Manolo mira hacia la entrada del café, visiblemente sorprendido.

Manolo – Posiblemente esa gran ocasión está entrando por la puerta.

Entran Wendy y Laura. Visten como madrileñas pijas, algo que contrasta, visiblemente, con la indumentaria de María. Wendy es una especie de star depresiva que se esconde tras enormes gafas oscuras. Laura es más elegante, aunque algo sobria y menos femenina. Se mostrará positiva y entusiasta. Wendy, pesimista y con instintos suicidas, mira a su alrededor.

Wendy – Esto parece un plató de “El ministerio del tiempo”

Laura – ¿Quieres sentarte aunque sea durante cinco minutos?

Wendy no contesta pero se deja caer en una silla.

Laura – Buenos días, señores… Perdonen que interrumpa su amena charla, pero me gustaría hacerles una pregunta…

María – ¿Si?

Laura – ¿Dónde estamos, exactamente?

Silencio.

Manolo – ¿Exactamente? Pues bien, señorita, están ustedes en Villaburros de la Iglesia.

Laura – ¿Villaburros de la Iglesia…?

Charly – Vamos, en medio de la nada…

Laura echa un vistazo a la pantalla de su Smartphone.

Laura – No lo encuentra mi GPS.

María – Se trata de un rincón tranquilo…

Laura – Ya veo… Pensé que estaríamos en… Bueno, creo que nos hemos perdido…

Charly – Aquí no viene nadie por su gusto…

Laura mira a su alrededor y se fija en Juan Carlos que sigue jugando a los dardos con una evidente falta de talento.

Manolo – ¿Quieren tomar algo?

Laura – Pues… Sí… ¿Por qué no? Wendy, ¿Tienes sed? (Wendy no responde) Dos coca-colas, por favor. Sin hielo.

María – Lo siento… Todavía no he conectado el congelador… La verdad es que, con este tiempo…

Manolo – La primavera no se ha adelantado este año.

Charly – El año pasado llegó, más o menos, sobre el 15 de agosto y luego pasamos directamente al otoño.

María les sirve dos cocas.

Manolo (esforzándose por ser amable) – ¿Están ustedes de vacaciones por la zona?

Laura – Bueno… Digamos que… se trata más bien de unos días de relax. (En un aparte) Mi amiga está muy estresada. Necesitábamos poner tierra de por medio…

Charly – En ese caso están en el lugar indicado: están en tierra de patatas.

María – Villaburros de la Iglesia es el lugar ideal para descansar.

Charly – Un lugar donde no se existen las tentaciones.

Laura – ¡Estupendo! ¿No te parece, Wendy?

Wendy – Mmm… El lugar ideal para acabar nuestros días…

María – Si, aquí tenemos unos cuantos pensionistas…

Wendy – Más bien me refería a sitio perfecto para poner fin a la vida…

Pasa un ángel.

María – ¿Tienen intención de quedarse por aquí?

Laura – Todavía no lo hemos decidido… pero, ¿por qué no? Aquí se respira una cierta serenidad… Algo parecido a lo que se siente dentro de una iglesia… Claro que, quizá de ahí el nombre del pueblo.

Wendy – Sí, de una Iglesia o de un cementerio.

Manolo – Tenemos una pequeña parroquia completamente renovada. Como si acabara de construirse…

Laura – La vida en Madrid es tan estresante… A veces nos preguntamos si no seríamos más felices en un pueblecito lejos de todo…

Wendy – Desde luego éste está lejos de todo… Ni siquiera figura en el GPS.

Wendy se echa a la boca unas cuantas pastillas que traga con la coca.

Laura – Ya sabes lo que dijo el médico… No es bueno tomar más de una partilla a la vez.

Wendy – Tienes razón… Me parece que voy a vomitar…

Charly – A mí me pasó lo mismo cuando llegué… Luego, uno se hace… Ya lo verá…

María, inquieta por la situación, le señala el w.c.

María – Por aquí, por favor…

Sale Wendy. Laura parece preocupada.

Laura – Debe ser por el cambio de aires…

Manolo – Desde luego el índice de contaminación es muy bajo.

Laura – Nuestros pulmones están acostumbrados al monóxido de carbono. Lleva su tiempo el adaptarse.

Laura estornuda.

Charly – Quizá son los pesticidas con que bombardean los campos de patatas… Cuando no se está acostumbrado…

Laura – ¿Pesticidas?

Charly – Me gustaría que vieran el espectáculo. Es fantástico. Uno de los escasos atractivos del lugar. Cuando los helicópteros empiezan a largar los pesticidas, con música de fondo, uno se creería en Apocalipsis Now…

Laura – Eso debe ser muy nocivo para la salud…

Charly – Dicen que no, pero… Quizá el problema de Juan Carlos venga de ahí… Además de la consanguinidad, evidentemente.

Manolo le lanza una mirada furibunda. Se escucha la vomitona de Wendy. Todos se quedan un tanto cortados.

Manolo – Si no es indiscreción, ¿puede decirme a qué se dedica en Madrid?

Laura – Soy periodista.

Manolo – ¿De verdad?

María – ¿Y piensa hacer un reportaje de la zona?

Laura – Estamos de vacaciones pero… Nunca se sabe… Si encuentro algo interesante… Mi intención, más bien, es la de escribir una novela.

Manolo – ¿Una novela? Eso está muy bien.

María – Nuestro alcalde también es escritor.

Laura – ¿No me diga?

Manolo – Bueno, más bien escribe libros de historia.

María – ¿Y su señora…? Quiero decir… su amiga… ¿también es periodista?

Laura – No exactamente… Es productora en una cadena independiente de televisión. (En tono confidencial) WC producciones… Es ella.

María – ¿WC?

Laura – No han oído hablar de Wendy Crawford? Son sus iniciales…

Manolo – Entonces ¿trabaja en la tele?

Laura – Seguro que han visto alguna vez su programa: “Caza talentos españoles”.

María – ¿Caza talentos? ¿Lo dice en serio? ¡Por supuesto que la conocemos!

Laura – Pues es ella la que produce el programa.

Juan Carlos – ¿Caza talentos?

Todos se quedan mirando a Juan Carlos, cuya presencia había pasado inadvertida hasta el momento. No dice nada más

Laura – El programa lleva diez años en antena. La presión es enorme. La pobre se ha pasado de rosca.

María – ¿De rosca? ¿Qué quiere decir con eso?

Manolo – ¿Que empina el codo más de lo conveniente?

Charly – Hace tiempo eso se conocía como depresión nerviosa.

Laura – Lo cierto es que la cadena ha decidido clausurar el programa. Si Wendy no quiere quedarse de patitas en la calle, debe proponerles algo más actual. Su último programa no funcionó…

Manolo – ¿En serio?

Laura – Eso sin hablar del accidente en el Mar Báltico… Supongo que han oído hablar de ello…

Manolo – Si… Es posible…

Laura – Se trataba de un nuevo concepto de programa… Conseguimos reunir en un submarino amarillo a un ramillete de celebridades de los años 70 con problemas de claustrofobia. La finalidad del show era hacerles superar sus angustias.

María – Creo haber leído algo sobre ese asunto en la peluquería.

Laura – Pues ocurrió que el capitán del submarino resultó ser un depresivo congénito que no supo cómo volver a la superficie.

María – Debió ser terrible… Esas cosas pueden ocurrir… Es la fatalidad.

Charly (con énfasis) – La grandeza del hombre libre es aceptar su destino sin creer en la fatalidad.

Laura – ¿Es usted maestro?

Charly – Sí. Maestro… Vamos, maestro sin alumnos.

Laura – En resumen. W.C. se fue a la mierda por lo tanto decidió poner tierra por medio para evitar que se le “atascara un bajante”.

De nuevo sonido de vómito.

Charly – Espero que tire de la cadena.

Laura – Quizá alejándose de Madrid consiga pensar en un nuevo tipo de programa. Pero, de momento, ha renunciado a todo. Debe empezar de cero.

Manolo – La comprendo… A nosotros también nos gustaría empezar de cero.

Charly – Pero como ya estamos a cero desde hace tiempo, lo que nos gustaría es largarnos de aquí.

Laura – Ahora tengo el proyecto de escribir un biopic.

Manolo – ¿Un biopic?

Laura – Una especie de biografía sobre W.C. Quiero contar su vida… La vida de una productora de televisión es impresionante. Por eso buscamos un lugar tranquilo donde descansar durante varios meses, lejos del follón de la Capital.

María – Pues este es el lugar ideal. Ni móvil ni internet. No hay cobertura.

Charly – A veces nos preguntamos si no vivimos dentro un agujero negro.

Laura – Tampoco estaría mal comprar una casita en el campo… Se trata, tan sólo, de comenzar a echar raíces.

María – Aquí la raíces son profundas… Tanto que luego no puedes marcharte.

Juan Carlos – ¿Quiere ver cómo me escondo en el frigorífico?

María (en tono de reproche) – Juan Carlos, por favor…

Silencio.

Laura – Desde luego este es un sitio especial… Nunca he visto nada tan…

Manolo – Auténtico.

Laura – No es la palabra que busco, pero…

Manolo – ¿Por qué no se quedan varios días en el pueblo… o quizá por más tiempo…?

Laura – ¿También alquilan habitaciones?

Manolo – Podríamos arreglarnos…

Manolo y María se miran con cierto asombro. Vuelve Wendy.

Laura – ¿Sabes una cosa, Wendy? Este señor propone alquilarnos una habitación aquí, en el Bar Manolo. ¿Qué te parece?

Wendy – Me dan ganas de vomitar otra vez.

María – Nunca se sabe, quizá incluso les pueda interesar comprar el café.

Laura – ¿El café está en venta? ¿Has oído eso, Wendy? Tendría su gracia.

Wendy – Al menos no nos molestarían los clientes.

Manolo – Ahora no hay mucho movimiento, pero los turistas llegarán pronto…

María – Dentro de poco estaremos en temporada alta…

Laura (asombrada) – ¿En el mes de marzo? ¿Por alguna razón especial…?

Manolo (sin saber qué contestar) – Es decir que… en primavera…

Charly – Los campos de patatas estarán en flor. Es muy romántico. Ya lo verán.

Laura – Las patatas… Es curioso… ¿Has oído eso Wendy?

Wendy – No sabía que las patatas dieran flores. Pero si quieres puedo regalarte un ramo para tu cumpleaños.

Charly – Incluso un perfume… ¿Por qué no? Aroma de Patata de Givenchy. Al menos sería original.

Laura – Siempre se habla de los tulipanes de Holanda, pero las patatas…

Charly – Las patatas de Villaburros de la Iglesia.

Laura – ¿Cuánto dura la temporada?

María – Depende de la variedad.

Manolo – De hecho, florecen durante todo el año.

Charly – Sobre todo las patatas transgénicas, especialidad del pueblo.

María – Se producen durante todo el año.

Juan Carlos se acerca.

Juan Carlos – También puedo meterme en el cubo de la basura… ¿Quieren verlo?

María – Vamos, Juan Carlos… Estás molestando a estas señoras… ¿Por qué no te entrenas por ahí? Precisamente acabo de sacar el cubo.

Manolo hace salir a Juan Carlos.

María – Perdónenle… Es un poco simple.

Manolo – Les aseguro que aquí estarían muy bien.

Laura – Wendy tiene razón. Esto parece un tanto muerto.

Charly – La verdad es que desde que hicieron la autopista…

María – También porque es la hora de la siesta.

Wendy – Pero si apenas es la una… ¿Se echan tan pronto la siesta por aquí?

María – Hace una hora, estábamos al completo.

Manolo – También podrían hacer venir a sus amigos de Madrid. Hay un local estupendo en la primera planta.

Laura – Tendría su gracia.

Wendy – ¿Tienen algo fuerte para echarse entre pecho y espalda?

María – ¿Se refiere a una especialidad de la zona?

Manolo – Nuestra especialidad es el aguardiente de patata.

Charly – Les aseguro que la primera vez es una experiencia única.

Manolo – Como el amor.

Charly – Y, como el amor, te deja ciego.

Wendy – Creo que me voy a dejar tentar.

Manolo le sirve.

Laura – No deberías mezclarlo con las pastillas.

Wendy – Hay que morir de algo…

Manolo – ¿Qué le parece?

Charly – La receta la inventó el monje que se tiró a Juana la Loca en una granja de por aquí en el siglo XVI.

Manolo – La primera ronda la paga la casa.

Wendy – Predomina el sabor a patata

Charly – Cae bien, cuando no te mata inmediatamente.

Manolo – Un producto natural.

Charly – Cien por cien bio… Bioquímico posiblemente.

María les sirve de nuevo.

María – Una segunda copa ofrecida por la Oficina de Turismo de Villaburros de la Iglesia.

Manolo – Con esto, seguro que no necesita más pastillas.

Wendy – Debe ser muy efectivo para suicidarse.

Manolo – Y, totalmente legal.

Charly – El mismo alcalde es el que destila el elixir en su cueva con un alambique clandestino.

María – Este divino brebaje lo bendice nuestro cura una vez por año. Un hombre santo, sin duda.

Vuelve Juan Carlos, medio atontado y cubierto de deshechos.

Juan Carlos – Tío, he sido incapaz de meterme en el cubo de la basura. Está a tope.

Manolo – Este chico cada vez es más tonto…

Wendy – Quizá quiere echar también un trago del elixir.

María – Ni soñarlo. Ya está bastante ido el pobre.

Manolo – Vamos, vete a jugar por ahí. ¿No ves que estamos charlando los mayores?

Juan Carlos (frustrado) – Me importa un bledo. Cualquier día de estos me largaré a Madrid.

Sale Juan Carlos.

María – Esta región es una maravilla.

Manolo (mirando fijamente a Laura) – Que no muestra todos sus encantos a la primera de cambio, como les ocurre a las mujeres hermosas.

María – Además, resulta muy interesante el contacto directo con los clientes.

Manolo (a María) – Mucho más sano para una depresiva que el quedarse rumiando su problema en un rincón.

Laura – Un tanto chocante pero… en el fondo podría ser divertido ¿No te parece? ¿No querías cambiar de vida? Pues ahora tienes la ocasión.

Wendy – Me refería más bien a una vida distinta, pero mejor.

Empieza a cundir un cierto aburrimiento.

María – Vengan conmigo. Les enseñaré el piso de arriba. Es muy coqueto.

Charly – Y muy práctico. No se necesita transporte alguno para acudir al trabajo. Tan sólo bajar unas escaleras. Mejor que la línea 6 del metro de Madrid.

María conduce a Wendy y Laura a la escalera que sube al primer piso.

María – Ustedes primero. ¡Faltaría más!

Manolo – Tengan cuidado. La escalera está un tanto desgastada

Salen

Manolo – Nos las ha enviado el cielo.

Charly – Parece un milagro.

Manolo – Además, estoy seguro de que son capaces de apreciar la magia del lugar

Charly – Quizá estén bajo el efecto del licor de patata. A mí también me produjo alucinaciones en cierto momento.

Manolo – Hay que hacer lo posible para que pasen aquí la noche.

Charly – Haz lo que puedas… Yo, mientras tanto, me voy a cambiar.

Manolo – Mejor será. Hay que causarles buena impresión.

Sale Charly. Vuelven Don Honorato y Don Feliciano.

Don Honorato – ¿Quiénes son esas dos encantadoras criaturas que he visto entrar en el café?

Feliciano – Por cierto, ¿dónde están?

Manolo – Vienen de Madrid. María les está enseñando el piso de arriba.

Don Honorato – ¿De Madrid?

Feliciano – ¿Y por qué visitan la planta alta?

Manolo – Si consiguiéramos que se instalaran aquí, Villaburros de la Iglesia se convertiría en lugar tan chic como Marbella.

Don Honorato – ¿Estás seguro?

Manolo – Mientras tanto, intento venderles el café.

Feliciano – Te estás haciendo el cuento de la Lechera.

Don Honorato – ¿Estás seguro que a esas señoritas les gustaría vivir aquí?

Manolo – La que trabaja en Reality Shows está un tanto deteriorada… Vamos… completamente deprimida. La otra más o menos, pero al revés.

Feliciano – ¿Qué quieres decir con “al revés”?

Manolo – Que está tan ida como la otra, pero todo le parece maravilloso. ¡Incluso Villaburros de la Iglesia! ¿No es formidable?

Feliciano – Lo que no comprendo es cómo han sido capaces de llegar hasta aquí.

Manolo – Dios nos las ha hecho llegar. Estoy seguro. Puede decirse que casi he recuperado la fe. Buscan un lugar tranquilo para recobrar la salud mental y escribir sus memorias.

Don Honorato – ¿Tranquilo? Pues… Sí… Imposible encontrar otro lugar igual… Pero ¿realmente piensas que…?

Entra en el café un individuo disfrazado con traje de zorro y máscara. Más tarde se sabrá que se trata de Juan Carlos.

Juan Carlos – ¡Arriba las manos! ¡Esto es un atraco!

Manolo – ¡Vaya! ¡Lo que nos faltaba!

Don Honorato – ¡Un atraco en estos momentos…!

Feliciano – Decididamente hoy están ocurriendo cosas muy raras en el pueblo.

Don Honorato – Y tú les has asegurado que se trataba de un lugar tranquilo…

Manolo – ¿Qué coño quiere este tipo? ¡Me va a fastidiar el negocio!

Juan Carlos – Vamos… La pasta… Y, rapidito…

Manolo – Enseguida, chaval. No te pongas nervioso.

Manolo rebusca tras el mostrador y saca un fusil para enfrentarse a la pistola.

Feliciano – ¡Empieza la batalla!

Juan Carlos – ¡Sin pasarse, que mi pistola es de juguete!

Manolo – ¡Ya lo sé, imbécil! Fui yo quien te la regaló por tu Primera Comunión junto al disfraz de zorro y el reloj sumergible.

Se quita la máscara de zorro y todos ven que se trata de Juan Carlos. Manolo guarda el fusil.

Don Honorato – ¡Eres un cretino!

Manolo – Las chavalas no tardarán en bajar. ¿Qué hacemos con éste?

Juan Carlos – Tan sólo quería algo de pasta para presentarme al concurso en Madrid.

Feliciano – ¿De qué concurso hablas?

Juan Carlos – De “Caza talentos”.

Feliciano – Quizá deberíamos llamar a la poli, ¿No os parece?

Don Honorato – Más bien al hospital psiquiátrico.

Manolo – No tenemos tiempo. Además no es cuestión de asustar a las chicas con la llegada de la pasma.

Manolo señala el congelador.

Manolo – Métete ahí.

Juan Carlos – ¿Ahí adentro?

Manolo – No eres contorsionista, pues demuéstralo.

Juan Carlos – Sí, pero…

Manolo – Seguro que la señora de la tele quedará muy impresionada al ver que cabes en un congelador.

Juan Carlos – ¿Estás seguro?

Manolo – ¿Quieres participar en el concurso o no?

Juan Carlos – Vale… Lo intento…

Feliciano – Al menos es un chico bastante obediente.

Don Honorato – Ahora comprendo el que sus padres consiguieran meterle en un contenedor amarillo.

Juan Carlos se mete en el congelador.

Manolo – No se preocupen. Está desenchufado. Tan sólo lo utilizamos en verano para guardar los polos.

María baja junto con Laura y Wendy. Manolo cierra a toda prisa la tapa de congelador.

Manolo – Señoras, les presento al Señor Alcalde que quiere darles personalmente la bienvenida a nuestro encantador pueblo.

Laura – Mucho gusto, Señor Alcalde…

Don Honorato – Puede llamarme Honorato, por favor.

Laura – Está bien…

Manolo – También quiero presentarles al Señor Cura, que…

Feliciano – Bendita sea, señora.

Manolo – Que… justamente pasaba por aquí… Bueno, ¿y qué les ha parecido ese nidito de amor.

Laura – Pues… Sí…

Wendy (dirigiéndose a María) – ¿Cómo dijo usted antes…?

María – Coqueto, dije coqueto.

Laura – Exactamente… Coqueto… ¿No te parece Wendy?

Wendy – Sí. Ese es exactamente el calificativo que le va.

Momento de incertidumbre.

Manolo – Evidentemente esto no tiene nada que ver con Madrid.

Laura – Además, si lo que busca es un nuevo concepto de Tele realidad… Seguro que una larga estancia en este lugar le hará conocer lo que es la España profunda.

Wendy – No lo dudo… Seguro que para encontrar algo más profundo habría que perforar un pozo…

María – Está previsto realizar algunos trabajos de renovación.

Laura – Lo pensamos, ¿verdad Wendy?

Wendy – Eso es… Vamos a pensarlo… Mientras tanto necesito encontrar un sitio donde dormir… Me caigo de sueño…

Laura – ¿Dónde está el hotel? Porque aquí… La verdad es que…

Wendy – Como bien dice María, se precisan unos cuantos arreglitos. Sin ir más lejos, un cuarto de baño.

Don Honorato – Por el momento no tenemos hotel alguno… pero sería para mí un gran placer el…

Feliciano – Para una o dos noches puedo ofrecerles hospitalidad en el presbiterio.

Laura – ¿En el presbiterio?… ¿Y eso qué es?

Feliciano – Soy el modesto pastor de este rebaño de pobres pecadores.

Laura – ¿Un pastor con un rebaño de pecadores?

Wendy – El señor trata de explicarte que es clérigo.

Laura – ¡Claro… El cura! ¡Podría haberlo dicho antes! Como no va vestido de…

Feliciano – Ya saben que el hábito no hace al monje

Laura – De cualquier forma es muy gentil por su parte… Me refiero dejarnos dormir en ese lugar… ¿No es fantástico?

Wendy – Sí. Será estupendo pasar la noche en un presbiterio, algo que una mujer debe hacer al menos una vez en su vida.

Feliciano – Se trata tan sólo de caridad cristiana.

Laura – Además, con un cura no hay nada que temer.

Manolo – Si usted lo dice…

Don Honorato – O sea, que ya está todo resuelto. Ya verán como no les decepciona el lugar.

Feliciano – ¿Quieren seguirme?

Laura y Wendy siguen a Don Feliciano. Al salir se cruzan con Charly que vuelve vestido de mujer. Laura no le reconoce. Wendy le mira con desconfianza.

Laura – Señora…

Charly (a Wendy) – Parece que estos aires le sientan de maravilla.

Wendy (a Laura) – ¿Estas segura que no nos llevan al hotel de Psicosis…?

Salen.

Manolo – ¡Una productora de televisión y una periodista! ¡Qué suerte!

Don Honorato – ¿De verdad piensas que esos mirlos blancos van a comprar un café como éste en un pueblo como Villaburros de la Iglesia?

María – No sería la primera vez que una emisora de televisión se hace con un local para ellos extravagante. Ocurrió para el “Gran Hermano”.

Charly – Incluso han llegado a comprar una carnicería.

Don Honorato – Eso sin contar con los que se instalan en el campo para recuperar sus raíces pueblerinas.

María – Sin ir más lejos creo que Ricardo Darín hace su propio aceite de oliva y que Brad Pitt tiene su propia bodega en California.

Charly – Tan sólo falta algún famoso que cultive patatas transgénicas.

María – Sería una noticia bomba.

Manolo – Tenéis razón. Por qué iban a comprar este barucho de mierda. Sin embargo, trabajan en prensa y en televisión. Podrían hablar de nuestro pueblo y hacerlo famoso.

Don Honorato – No veo lo que podría interesarles de aquí…

María – Habrá que buscar algo. Otros pueblos no tienen ningún encanto y, sin embargo, son conocidos.

Don Honorato – ¿No me digas?

Manolo – Por ejemplo, Belén o Alcalá de Henares.

Don Honorato – Alcalá de Henares es la cuna de Cervantes.

María – Y Belén la de Jesucristo.

Charly – Pero en Villaburros de la Iglesia no tenemos más que a Juan Carlos.

Manolo – Ahora lo que hace falta es encontrar la fórmula para que se hable de nosotros y que vengan visitantes.

María – Al menos volvería a figurar en los planos.

Charly – Y no tendrían que anexionarnos a Villaburros de Arriba.

Don Honorato – Seguiríamos con nuestro alcalde, nuestro maestro, nuestro cura…

María – Y recuperaríamos a nuestros clientes.

Manolo – Hay que pensar algo rápidamente.

María – Al menos de momento.

Charly – Se trata de convencerles que Villaburros de la Iglesia es más divertido que la visita al cementerio el día de Todos los Santos.

Don Honorato – Hay que crear ambiente.

Piensan.

Manolo – ¿Qué tal un happy hour?

Charly – ¡Pero si no hay un cliente en 20 kilómetros a la redonda!… ¿Quién iba a hacerse 40 kilómetros entre ida y vuelta para endilgarse una copa de alcohol de patata?

María – Bueno… Seguid pensando que yo me voy a comprar algunas cosillas… Si vamos a tener clientes habrá que darles cosas buenas… Y las tiendas no están ahí al lado.

María sale. Vuelve Don Feliciano.

Don Honorato – ¿Qué ha ocurrido?

Feliciano – Les he dejado en el jacuzzi…

Manolo – ¿Un jacuzzi? ¿No era una balsa de riego?

Feliciano – Pues parece que les ha gustado…

Don Honorato – De ahí a que les interese quedarse por aquí hay un abismo.

Manolo – Contamos con la posible difusión en los medios. Lo único que hay que hacer ahora es encontrar algo para que hablen de nosotros.

Feliciano – Podríamos organizar una rifa.

Manolo – ¿Y por qué no también una procesión?

Charly – ¿Y si ocurriera algo extraordinario?

Don Honorato – Sí, algo para que la prensa se hiciera eco de este lugar.

Charly – El puerto donde se hundió el Costa Concordia está a tope desde el naufragio. Casi un lugar de peregrinaje.

Manolo – Claro que es poco probable que un trasatlántico choque con nuestro pueblo.

Charly – También es difícil que caiga aquí un avión. Jamás han sobrevolado Villaburros de la Iglesia.

Feliciano – Salvo los aviones que lanzan pesticidas sobre los campos de patatas.

Charly – Tampoco habrá ningún piloto tan deprimido como para venir a estrellarse precisamente aquí.

Don Honorato – Hay que poner los pies sobre la tierra… Deberá ser algo menos grandioso pero insólito.

Feliciano – Un accidente…

Manolo – Incluso un crimen repugnante.

Feliciano – Tampoco se trata de matar a nadie y cortarlo en trocitos para atraer a los turistas.

Don Honorato – Acabamos de salir indemnes de un hold-up. Eso puede sugerir algo.

Charly – ¿Un chalado armado con una pistola de plástico y disfrazado de Zorro… No creo que fuera suficiente para acceder a la prensa nacional.

Se escuchan unos golpes.

Manolo – ¡Coño! ¡Olvidamos sacar a Juan Carlos del congelador!

Manolo abre la puerta del congelador y le ayuda a salir.

Juan Carlos – ¿Qué tal lo he hecho?

Manolo – Bien, muy bien…

Charly – Menos mal que el congelador estaba desenchufado.

Don Honorato – Pues sí…

Manolo – ¡Acaba de ocurrírseme algo!

Feliciano – Te temo…

Manolo – ¿Estáis pensando lo mismo que yo?

Charly – ¡Eso es! Un cadáver encontrado dentro de un congelador…

Don Honorato – ¡Sí..! ¡Un congelador! Además, para eso no hay que gastar mucho…

Feliciano – ¿Estáis seguros que un cadáver encontrado en el congelador de un bar de pueblo atraerá a los turistas?

Charly – Se trata tan sólo de inventar una historia sabrosa.

Manolo – ¡Estoy viendo los titulares en prensa!

Don Honorato – Dramático accidente en Villaburros de la Iglesia : un fan del concurso “Caza talentos” muere congelado mientras se entrenaba.

Manolo – Seguro que eso atraería también a la televisión.

Todos miran a Juan Carlos.

Juan Carlos – ¿Qué pasa conmigo?

Feliciano – ¿No estaréis pensando sacrificar a este pobre infeliz para hacer que venga la gente al nuestro pueblo…?

Manolo – No habría que matarle de verdad… Vamos, no del todo…

Feliciano – ¿Y cómo se mata no del todo?

Manolo – Juan Carlos, ¿quieres hacerte famoso?

Juan Carlos – ¿Cómo de famoso? ¿Quieres decir que saldría en la tele y todo eso?

Manolo – Claro… Incluso en los periódicos…

Juan Carlos – ¿Y qué tengo que hacer?

Don Honorato – Poca cosa…

Charly – Tan sólo morirte.

Juan Carlos – ¡Eso ni hablar! Yo quiero ser famoso estando vivo.

Manolo – ¿Prefieres eso o que llamemos a la policía para contarles que han intentado atracarnos armado con una pistola. Te pueden caer un porrón de años.

Juan Carlos – ¿Cuántos?

Manolo – No tengo ni idea, pero no se trata ahora de eso.

Don Honorato – Además, no estarás verdaderamente muerto.

Manolo – No pondremos el congelador a tope.

Juan Carlos parece dudar.

Juan Carlos – ¿Y me darás dinero para poder viajar a Madrid?

Manolo – Prometido. ¿Confías o no en tu padrino?

Juan Carlos – De acuerdo… Pero no acabo de comprender. ¿Durante cuánto tiempo estaré muerto?

Don Honorato – Estarás muerto al principio.

Manolo – Pero no luego.

Juan Carlos – ¿Cómo Jesucristo, señor cura?

Feliciano – En efecto… Como Jesús…

Charly – Todo saldrá bien. No te preocupes.

Don Honorato – Y, al final resucitarás, como Jesús.

Charly – Vamos a grabarlo y a colgarlo en YouTube. ¡Será estupendo!

Feliciano – Te harás famoso. La noticia se hará viral.

Manolo – ¡Juan Carlos, ha llegado el momento de mostrar tu auténtico talento!

Juan Carlos – Vale… De acuerdo…

Juan Carlos vuelve al congelador. Charly empieza a grabar con su teléfono móvil. Manolo conecta el congelador.

Feliciano – ¿De verdad vas a ponerlo en marcha?

Manolo No se preocupe. Lo dejaré al mínimo. Tan sólo sentirá una ligera hipotermia. Así será más creíble.

Don Honorato – Si no está congelado del todo no servirá para nada.

Manolo – Lo pondré en el dos.

Feliciano – ¿Y si le matamos? ¿Habéis pensado en esa posibilidad? Serás acusado de asesinato, Manolo. Al fin y al cabo se trata de tu congelador.

Don Honorato – No creo que vaya a morir. Eso sí, se cogerá un buen constipado.

Charly – Como mucho uno o dos dedos congelados. Igual que los alpinistas que conquistan el Himalaya. Cuando se pretende ser un héroe hay que hacer ciertos sacrificios.

Feliciano – Al fin y al cabo se trata tan sólo de permanecer encerrado en un congelador…

Charly – Entre nosotros… ¡para lo que le sirven los dedos! Total si tienen que cortarle dos o tres, todavía le quedarán bastantes con que sonarse los mocos.

Manolo – Tenemos el tiempo justo para hacer correr la noticia y que los medios hablen de nuestro pueblo.

Charly – Pero la policía se dará cuenta de que no está muerto.

Manolo – Eso es cierto… Puede ser el punto débil de nuestro plan.

Don Honorato – ¿La poli? Ya sabes cómo se las gastan… Les invitas a unos chatos y son capaces de decir que tu mujer es Miss España.

Manolo le lanza una mirada amenazante.

Manolo – No sé cómo tomarme eso…

Charly – Quiere decir que, en ayunas, la tomarían por Miss Mundo.

Manolo – Será mejor ponerle por encima unos cuantos cubitos de hielo.

Juan Carlos saca la cabeza del congelador.

Juan Carlos – ¿Estoy bien peinado?

Manolo – Muy bien. No te preocupes.

Juan Carlos – ¿Está bien mi camiseta?

Charlie sigue grabando.

Manolo – Vamos, métete de nuevo. María está a punto de llegar…

Juan Carlos – La verdad es que no hace mucho calor ahí dentro.

Manolo – Normal… Se trata de un congelador.

Juan Carlos – Y está muy oscuro…

Feliciano – Siempre me he preguntado si realmente se apaga la luz al cerrar la puerta del frigorífico.

Charly – Haría mejor en preguntarse si es cierto que hay una vida después de la muerte…

Don Honorato – En todo caso ahora tendríamos un testigo ocular… Eso si conseguimos descongelarlo.

Manolo – En último caso la periodista podría escribir un artículo sobre el tema…

Charly – Ya estoy escuchando a Matías Prats en el telediario diciendo: Seguramente ustedes se habrán preguntado muchas veces si la luz del congelador de apaga al cerrarlo, pues bien un valiente vecino de Villaburros de la Iglesia ha aceptado prestarse a una curiosa experiencia para dar respuesta definitiva a tan angustiosa duda…

Juan Carlos – ¿El telediario de las dos? Vale, me meto otra vez.

Feliciano – ¿Cuánto tiempo van a dejarle ahí?

Don Honorato – Será suficiente con una noche.

Manolo – María no debe saber nada de esto. Mañana lo descubrirá. Será mucho más creíble. Es muy mala actriz…

Don Honorato – No se inquiete, Don Feliciano. Puede salir de ahí cuando quiera, como bien puede verse.

Manolo – Pues sigamos adelante antes de que vuelva María. Tampoco creo que ninguno de vosotros seáis buenos actores.

Salen todos. Vuelve María con las compras. Las va guardando en su sitio.

María – Pondré los polos al frío antes de que se derritan… (Los introduce en el congelador sin ver a Juan Carlos) Lo enchufaré… Manolo se me ha adelantado… aunque está muy bajo… Voy a ponerlo al 10… (Cierra la puerta del congelador y coloca encima un saco de patatas) Mañana freiré las patatas. Ahora estoy muerta… (Se dirige a la salida, pero antes echa un vistazo al congelador) Siempre me he preguntado si se apagaba la luz del congelador al cerrar la puerta…

Apaga la luz y sale. Se escuchan golpes en el congelador.

Oscuro. Elipse de noche. Posible entreacto.

ACTO 2

 

Luz. Entra María bostezando y enciende las luces del bar, como hace todas las mañanas. Coge el saco de patatas que está sobre el congelador y empieza a pelarlas.

María – Siempre las dichosas patatas…

Entra Manolo

Manolo – Buenos días querida. ¿Qué tal has dormido?

María le mira incrédula.

María – ¿Estás enfermo?

Manolo – No… Tan sólo quiero saber si estás bien. ¿Pero qué haces?

María – Pelar patatas… ¿O es que no ves más?

Manolo – Sí… Claro…

María – Las pelaré, las cortaré y las meteré en el congelador. Aguantarán hasta el verano.

Manolo – ¿Quieres que te ayude? (María le mira con la mosca detrás de la oreja) Así podrás ocuparte en preparar el desayuno a las madrileñas…

Manolo se pone a pelar. María le mira, estupefacta.

María – ¿Seguro que estás bien?

Manolo – Por supuesto. ¿Por qué lo preguntas?

María – Pues porque es la primera vez que te veo pelar patatas.

Manolo (mirando hacia la puerta) – Hablando del rey de Roma…

Entran Laura y Wendy.

Manolo – Buenos días, señoritas. ¿Han dormido bien?

Laura – Yo, al menos, como un lirón.

Wendy no responde, pero no parece estar muy contenta.

Manolo – Ya se lo dije. Acabarán por echar raíces.

Wendy – Un té con limón, por favor.

Laura – Para mí lo mismo.

María – Enseguida…

María se dispone a preparar el te.

Laura – ¿Tienen cruasanes?

María – No, no tenemos… Pero si quieren les puedo freír unas patatas. Están recién cogidas.

Wendy – No gracias…

María – Dos tés con limón… pero sin limón… Porque no tenemos.

Laura – Siempre que el agua esté caliente…

Manolo – Por eso no sufra… De cualquier forma aquí hervimos siempre el agua, por si acaso…

María – Mientras hierve el agua voy a comprobar que el congelador esté funcionando bien para poder congelar las patatas.

Manolo sonríe con desgana.

Manolo – Siéntense, por favor. Enseguida les servimos.

Se sientan las dos mujeres.

Wendy – Tienes razón. No debemos quedarnos aquí por mucho tiempo… Es un lugar muy auténtico, pero… No parecen gente muy normal…

Laura – Cuando ayer se nos unió el cura en el yacusi parecía un tanto especial…

Wendy – Si al menos se hubiera puesto un taparrabos…

Manolo sigue pelando patatas.

Manolo – Me parece que el día va a ser sabroso.

Las mujeres siguen hablando.

Wendy – Y mira ese cortando patatas transexuales con ese cuchillo tan grande…

Laura – Querrás decir transgénicas.

Wendy – Me huelo que ya le ha rebañado el pescuezo a más de un viajero de paso. Creo que a este antro le llaman el Café Siniestro.

Laura (riéndose nerviosamente) – No sigas, que acabarás por meterme el miedo en el cuerpo.

Wendy – Me gustaría saber qué hacen con los cuerpos…

Laura – Quizá los llevan a sótano…

Wendy – O los meten en el congelador.

Reprimen una risa nerviosa.

Laura ¿Qué te parece si tomamos el té y nos largamos?

Laura se sobresalta al oír el grito que lanza María al abrir el congelador.

María – ¡Dios mío! ¡Qué horror!

Manolo (fingiendo sorpresa) – ¿Qué pasa?

María – ¡Hay un hombre en el congelador!

Manolo – ¡No puede ser!

Laura le lanza una mirada despavorida a Wendy.

Manolo (fingiendo mal la sorpresa) – ¿Un hombre? ¿Pero de quién se trata?

María – No lo sé… No he querido mirar… ¡Tan sólo he visto dos ojos que me miraban fijamente a través del hielo!

Entra Charly.

Charly – ¿Ocurre algo?

Manolo – ¡María acaba de encontrar un cadáver en el congelador!

Charly – ¿Un cadáver…? ¿Se trata de alguien conocido?

Manolo – Todavía no lo sabemos.

Charly graba con su teléfono.

Laura – ¡Aquí están todos locos! Nos vamos ahora mismo!

Wendy – ¡Espera un poco! Esto empieza a ponerse interesante!

María – ¡Hay que llamar a la policía!

Manolo – ¡Vaya historia!

Wendy – ¿Qué pasa con mi té?

Manolo – Ahora mismo… The tea must go on…

María descuelga el teléfono.

María – ¿Señor Comisario…? Tiene que venir enseguida. Hay un fiambre en el congelador… No, no se trata de un bebé, ¿acaso cree que le molestaría por tan poca cosa?

Manolo le sirve el té.

Manolo – ¿Con leche o sin leche?

María – Sí… En Villaburros de la Iglesia… ¿Qué dónde está? Pues, más o menos, en el kilómetro 22 entre Villaburros de arriba y Villaburros de abajo… Está bien… Les esperamos.

Manolo – ¿Qué te han dicho?

María – Que enseguida mandan dos especialistas de la policía científica…

Wendy – ¿La policía científica en Villarrubios de la Iglesia…? Desde luego esto se parece cada vez más a Corrupción en Miami.

Laura – De cualquier forma seguro que este poblacho de mierda va a hacerse famoso al menos en la televisión local.

Wendy – Como decía Andy Warhol: todos tenemos derecho a nuestro cuarto de hora de fama.

Entran Don Honorato y Don Feliciano.

Don Honorato – Buenos días… ¿Todo va bien?

Charly – Acaban de encontrar un cadáver en el congelador.

Feliciano – ¿Un cadáver? ¿Te refieres a un cadáver humano?

Charly – Sí, humano… No un cadáver de vaca en chuletones.

María abre de nuevo el congelador.

María – Miren… Hay una nota en la puerta… Por el interior…

Feliciano – ¿Una nota?

Manolo – ¡No es posible!

María – Bueno, más bien parece algo grabado en el hielo… Quizá unas palabras de despedida.

Don Honorato – ¿Entonces se trata de un suicidio?

Charly – Que yo sepa sería la primera vez que alguien se suicida encerrándose en un congelador.

Don Honorato – Creo que hubo un caso de suicidio en una sauna, pero ¿en un congelador?

Charly se acerca al congelador.

Charly – A lo mejor es para la policía… Con el nombre del asesino…

Don Honorato – Pudiera ser…

Manolo (a María) – Vamos… ¿Qué esperas para leerla?

María – Tiene un montón de faltas de ortografía.

Charly – Es curioso, pero no sé por qué me resulta familiar.

María – Está confuso… Sobre todo el principio…

Feliciano – Seguramente el maestro lo entenderá mejor… Está acostumbrado a todo tipo de letras.

Charly echa un vistazo al congelador.

Charly – La verdad es que se trata de una letra conocida.

Manolo – ¿Entonces?

Charly – Esperen un momento… Si… eso es… Manolo me ha matado… Eso es lo que dice. (Todos miran a Manolo, sorprendidos) Perdón… Estaba de coña.

María – ¡Vamos, Charly! ¡No es momento para bromas!

Todos se miran consternados

ACTO 3

 

Ruido de helicóptero.

Feliciano – ¿Qué es eso?

Entran Ramírez y Sánchez, los policías que más bien tienen pinta de bandoleros que de pertenecer al cuerpo de élite. Ramírez, el comisario, se parece, vagamente, a Columbo.

Manolo – ¡Ya está aquí la Policía Científica!

María – ¡Pues sí que se han dado prisa!

Charly – Son fuerzas especiales. Seguramente les lanzaron en paracaídas.

Ramírez – Comisario Ramírez e inspector Sánchez. Hemos venido en Helicóptero para llegar antes, pero nos ha costado Dios y ayuda encontrar este rincón perdido.

Sánchez – Como referencia hemos seguido una carretera que acaba en pleno campo de patatas.

Don Honorato – Sí, claro… Es la antigua carretera nacional. Hace unos años la degradaron a camino vecinal al construir la autopista.

Manolo – Y eso ha perjudicado enormemente al comercio en Villaburros de la Iglesia.

Ramírez – ¿El comercio? ¿Qué comercio?

Sánchez – Pensamos que no viviría nadie aquí.

Feliciano – Antes de la guerra hubo un ultramarinos… Al menos eso es lo que dicen.

Don Honorato – Ahora vamos una vez al mes a Carrefour y guardamos la comida en el congelador.

Ramírez – Hablando de congeladores… ¿Dónde está el congelador de la denuncia?

Sánchez – Where is the body? Como dicen nuestros colegas Americanos…

Manolo – Es por aquí… Pero mejor sería que antes tomaran algo…

María – Porque les prevengo que no es plato de gusto…

Ramírez – Pues quizá, pensándolo bien…

Don Honorato – El cuerpo está en el congelador… No se va a pasar…

Ramírez – En ese caso… Metámonos algo entre pecho y espalda. Aunque sólo sea para entonarnos antes de entrar al trapo. ¿No es así Sánchez?

Manolo – ¿Les apetece un traguito, señoras? Como no hay limón, le irá de maravilla al té.

Wendy – ¿Por qué no?

Laura – De perdidos al rio…

Manolo añade una dosis en cada una de las tazas y sale. Laura mira la taza.

Laura – ¿Te has dado cuenta? El té se ha vuelto transparente como el agua.

Wendy – Es verdad.

Laura – Es posible que sea tóxico.

Wendy – O bien que han olvidado añadir el té en el agua caliente.

Laura – Al menos han hervido el agua…

Intercambia una mirada inquieta.

Ramírez – No está mal…

Sánchez – Pues yo empiezo a verlo todo borroso… ¿Es normal?

Charly – No se preocupe… Suele ser pasajero…

Feliciano – Algún caso se ha dado de demencia permanente, pero muy rara vez.

Sánchez – O sea que se trata, más bien, de una droga dura.

Ramírez – Mientras sea legal…

Sánchez – Además es bueno para los bronquios.

Ramírez – ¿No será inflamable?

Charly – Conozco a un tragador de fuego que lo utilizaba en lugar de gasolina súper sin plomo porque resultaba más barato.

Don Honorato – Yo mismo añado un chorrito en mi cuatro por cuatro y no he visto que le perjudicara.

Ramírez – Nunca me he echado un trago de Diesel, pero creo que debe tener un gusto parecido.

Feliciano – Si bebiéramos un trago de desatascador después de tomar este brebaje seguramente tendríamos la impresión de tomar agua bendita.

Vacían los vasos.

Ramírez – Bueno… ¿Dónde está ese cadáver?

Manolo – Por aquí, señor Comisario…

Ramírez – Vaya usted, Sánchez. Ya sabe que no soporto ver un cadáver (A los demás) Si un día dejo este trabajo, será por esa razón.

Manolo abre la puerta del congelador. El maestro va grabando.

Sánchez – Pues sí… Está duro como una piedra. Venga a verlo, jefe.

Ramírez – No Sánchez… Me fio de lo que usted me diga.

Manolo, Don Honorato y Don Feliciano se acercan a mirar.

Feliciano – ¡En el nombre de Dios! ¡Está totalmente congelado…!

Ramírez – Parece usted sorprendido y, sin embargo, debe estar acostumbrado a ver cadavéres.

Manolo – No entiendo nada. Lo había puesto al mínimo…

Manolo, Honorato y Feliciano están realmente consternados

María – Fui yo la que, anoche, lo puso en el diez. Para congelar las patatas.

Sánchez – Jefe, quizá se trate de un negocio de bebés congelados.

Ramírez – ¿Un bebé?

Sánchez – No. Más bien parece un hombre de unos veinte años…

Ramírez – ¿Entonces?

Sánchez – Quizá ha sobrevivido comiendo lo que había en el congelador y cuando ya no había nada, se ha muerto de hambre.

Ramírez – Una pista interesante, Sánchez… Pero ¿qué es lo que había en ese congelador?

María – Nada. Estuvo apagado todo el invierno…

Ramírez – Ya comprendo…

Sánchez – Jefe… Creo que también ha intentado escribir algo en la tapa.

Ramírez – ¿De verdad…? Eso tengo que verlo…

Ramírez se acerca.

Ramírez – Vaya… Esto parece la cueva de Altamira… ¿Qué es lo que dice ahí?

Sánchez – A mí más bien me parecen jeroglíficos…

Ramírez – Saque una foto. La enviaremos a un egiptólogo para que analice este guirigay.

Sánchez – Pero ¿con qué intención?

Ramírez – Para mejor identificar la personalidad de la víctima.

Sánchez – Por lo general se investiga sobre la personalidad del asesino.

Ramírez – No me venga con rollos, Sánchez. ¿Acaso quiere enseñarme mi oficio?

Sánchez – Ni mucho menos, jefe. Enseguida tomo las fotos.

Ramírez – Pediremos al laboratorio que fijen la hora de la muerte con el carbono 14. Cuando lo sepamos se podrán efectuar hipótesis sobre la circunstancias del fallecimiento.

Manolo – ¿Acaso sospechan de nosotros, señor Comisario?

Ramírez – El cuerpo está en su local.

María – Pero nosotros llamamos a la policía.

Ramírez – No pueden imaginar cuántos asesinos llaman a la policía tras haber cometido el crimen…

Don Honorato – Según usted, señor comisario, cuánto tiempo hace que murió.

Ramírez – El problema con los congelados es que resulta difícil de apreciar. Este tipo puede estar aquí desde ayer o desde hace seis mil años.

Sánchez – Espero que tengan una buena coartada entre el jurásico y el cretácico.

María – Pues, como ya les he dicho, fue ayer noche cuando enchufamos el congelador…

Sánchez – ¿Qué hacemos, Jefe? ¿Le sacamos ya?

Ramírez – Déjalo ahí de momento… Hay que tener mucho cuidado con los congelados. Se puede romper la cadena del frío.

Sánchez – ¿Entonces, qué sugiere, patrón?

Ramírez – ¿Qué puñetas le ocurre, Sánchez?

Sánchez – No entiendo…

Ramírez – Hasta ahora siempre me ha llamado jefe. ¿Por qué ahora me llamas patrón? No me gusta que te tomes tantas familiaridades.

Sánchez – Perdón, Jefe. Tiene usted razón… Además no ha muerto a tiros.

Ramírez – Esto no es una novela de detectives. Nosotros representamos a la élite de la policía: la policía científica.

Sánchez se queda traspuesto.

Sánchez – Jefe… ¡Jefe!

Ramírez – Estoy meditando.

Sánchez – ¿Qué hacemos entonces, patrón?      

Ramírez – Echa un vistazo a este tugurio… (En un aparte) Y no dudes en montar un buen lío aunque no lo creas necesario. Eso impresiona siempre a los sospechosos.

Sánchez – Como usted diga, jefe.

Sánchez recorre el local removiéndolo todo y haciendo bastante ruido.

Ramírez (a María) – Entonces usted fue la última en ver vivo a la víctima?

María – Más bien fui la primera en verlo muerto.

Ramírez – Eso es, precisamente, lo que quería decirle. Entonces fue usted la que descubrió el cuerpo, lo que la convierte en el principal sospechoso.

Manolo – ¡Por favor, comisario!

Ramírez – Y usted mejor haría en cerrar el pico y abrirlo tan sólo cuando le pregunten. ¿De acuerdo?

Sánchez – Jefe, creo haber encontrado el arma del crimen.

Sale de detrás del mostrador con la pistola de plástico que Manolo le quitó a Juan Carlos.

Ramírez – Pero, si es de juguete. Está bien claro.

Sánchez – Por supuesto, Jefe… Además la víctima no ha muerto de un balazo.

Ramírez – Para eso habrá que esperar a la autopsia. Le pueden haber matado con esta pistola y luego ponerlo al fresco en el congelador.

Sánchez – Pero, si usted mismo ha dicho que se trata de una pistola de plástico…

Ramírez – No quieras confundirme, Sánchez… (Se queda como en trance) Acabo de tener un flash… Tengo la sensación de que este asunto es mucho más complicado de lo que parece.

Sánchez – A mí siempre me lo pareció.

Charly – No se fie de las apariencias, señor comisario. El alcohol de patata puede producir alucinaciones.

Sánchez sigue buscando.

Sánchez – También tenemos esto.

Saca el fusil de caza.

Ramírez – ¿Es suyo este fusil?

Manolo – Pues sí… ¿Acaso está prohibido cazar?

Ramírez – No, pero… Puede ser sospechoso… Quien roba un huevo, roba cientos. Quien mata un jabalí, es ya de por sí, un asesino… ¿Qué hay en el piso de arriba?

Manolo – Nuestra casa.

Ramírez – Vamos, Sánchez… Echemos un vistazo por ahí… (Mirando a las dos mujeres) Esto tiene toda la pinta de ser un burdel.

Sánchez – ¡Que nadie se mueva!

Ramírez – Usted, la madame, vaya delante.

María – Síganme, por favor.

Ramírez señala con un gesto a las dos mujeres.

Ramírez (a Sánchez) – Luego interrogaremos a estas dos putas.

Laura y Wendy intercambian una mirada interrogante. Los dos policías siguen a María. Salen. Manolo, Don Honorato y Charles están preocupados. Olvidan la presencia de las dos mujeres que, desde hace un rato, observan lo que ocurre sin abrir la boca.

Manolo – Sólo nos faltaba esto… Ahora, un muerto.

Don Honorato – ¡Yo no he hecho nada!

Manolo – ¡Pero, todos estábamos de acuerdo!

Charly – Más bien fue idea tuya, Manolo

Wendy y Laura se quedan de piedra.

Laura – ¿Entonces, ustedes estaban en el ajo?

Wendy – Todos son cómplices…

Laura – Cómplices de un crimen.

Se vuelven hacia ellas, pillados en falta

Don Honorato – No, señoras… No es lo que ustedes creen.

Charly – A veces las apariencias engañan.

Feliciano – Seguramente han entendido mal.

Don Honorato – Con toda seguridad se trata de un homicidio involuntario.

Manolo – Por no decir de un accidente de trabajo.

Laura – ¿Pero acaso no son ustedes los que metieron a ese tipo en el congelador?

Charly – Se trata de algo más complicado.

Manolo – Algo con lo que añadir un poco de ambiente.

Don Honorato – Para demostrarles que también ocurren cosas en Villaburros de la Iglesia.

Charly – Así tendrían un buen asunto para escribir sobre nosotros.

Feliciano – En resumen, para echarles una mano…

Don Honorato – Por desgracia, la cosa se ha puesto fea.

Laura – Esto es cosa de locos, ya te digo…

Manolo – No nos irán a denunciar a la policía ¿verdad?

Laura – Nos vamos, Wendy

Se levantan con la intención de salir. Entran los policías junto a María.

Ramírez – Nadie sale de aquí sin mi autorización.

Las mujeres se sientan.

Ramírez – ¿Qué le ha parecido?

Sánchez – No está mal… Muy coqueto.

Ramírez – ¡No le hablo de la decoración, pedazo de bestia! Le hablo de la investigación.

Sánchez – Ah… Sí… Pues lo que yo pienso… Francamente…

Ramírez – Ya veo… Tendré que ser yo quien encuentre la clave de este enigma, como siempre, fiándome de mi instinto.

Ramírez se vuelve hacia los otros y se da cuenta de que pasa algo.

Ramírez – Pues mi instinto me dice que todos estos salvajes ocultan algo. Confíe en mi experiencia Sánchez.

Sánchez – Tiene razón, Jefe. Yo diría más: tienen pinta de asesinos…

Feliciano – Vamos, señores, se lo ruego. Están hablando con un Ministro de la Iglesia.

Ramírez – No se deje impresionar, Sánchez. Un Ministro de la Iglesia es para la jerarquía católica lo que un recluta para la jerarquía militar.

Feliciano – De cualquier forma, comisario, por lo que a mí respecta, soy el primer Magistral de esta comuna.

Ramírez (a todos) – Bueno… Basta ya de tonterías. Si tienen algo que declarar este es el momento.

Manolo – Pues…

Don Honorato – Es decir, que…

Charly – Me parece a mí que…

Sánchez – Yo me inclino por el cura, Patrón. Tiene pinta de macarra…

Ramírez – Muy bien, puesto que nadie quiere largar por esa boquita, procedamos al reconocimiento del cuerpo. Eso les refrescará la memoria…

Levanta la tapa del congelador.

María – Deje que primero saque las patatas.

Ramírez (a Manolo) – Usted, venga aquí… ¿Conoce o no conoce a la víctima?

Manolo – No sé cómo voy a reconocer a la víctima si tiene la cara llena de hielo…

Sánchez – Tampoco vamos a esperar a que se descongele…

Ramírez se fija en las mujeres.

Ramírez – Está bien… Entonces vamos a proceder de otra forma… ¿Quiénes son estas dos fulanas?

Sánchez – Ya veo. Ustedes son proxenetas en sus ratos libres… Con eso se ayudan a llegar a fin de mes.

Manolo – Son turistas de paso, señor comisario.

Ramírez – ¿Turistas? ¿Piensan que soy idiota? Los últimos turistas que pasaron por aquí fueron los alemanes. Llevaban uniforme y se marcharon al cabo de una semana por puro aburrimiento.

Sánchez – Este asunto está cada vez más turbio, jefe.

María – Cierto es que antes de la llegada de estas dos mujeres este era un pueblo sin historia.

Charly – Incluso, podría decirse que sin geografía.

Laura – Tienen un morro que se lo pisan.

Ramírez – Vosotras, las putitas, muevan el culo y acérquense.

Laura se acerca, seguida de Wendy. Ramírez obliga a Laura a meter la cabeza en el congelador.

Ramírez – ¿Tampoco usted reconoce a la víctima?

Laura – ¡Qué horror!

Wendy también mira.

Sánchez – Debe tratarse de alguien de la zona, jefe. Tiene pinta de subnormal. Además nadie se mete en semejante sitio por casualidad.

Ramírez no deja de mirar a las mujeres.

Ramírez – O sea que turistas…

Manolo – Se lo aseguro, señor comisario. Vienen de Madrid. Una de ellas trabaja en un periódico y la otra para la tele.

Ramírez – Se puede ser puta y trabajar en la tele. ¿Qué opina usted Sánchez?

Sánchez – Yo me inclinaría más bien por un asunto de faldas.

Ramírez (a Honorato) – Era el amante de su mujer. Por eso le ha despachado.

Don Honorato – No estoy casado, Comisario.

Ramírez (a Manolo) – Entonces, ¿tú eres el cornudo?

Sánchez – Tiene toda la pinta.

Manolo – De eso nada… Bueno… En cierto modo… El cura es el amante de mi mujer.

Ramírez – Ya… (Mira a las mujeres) Y ustedes no habrán visto nada, como es natural… Para ser periodistas no son muy observadoras que se diga.

Laura – Pues si… Desde la ventana del piso de arriba me pareció ver a un hombre tipo el Zorro, entrar en el café.

Sánchez – ¿Zorro?

Ramírez – Pero ¿qué coño hacían ustedes ahí arriba?

Sánchez – Quizá se estaba tirando al patrón.

Wendy – Esta señora nos invitó a visitar el apartamento porque está en venta.

Ramírez – Entonces vieron entrar a ese Zorro en el Bar Manolo… (Irónicamente) Entonces quizá sea él el asesino, ¿no le parece, Sánchez? Mire a ver si a ese Don Diego de la Vega le tiene fichado nuestro servicio…

Sánchez – Está bien, Jefe… ¿Puede repetirme el nombre?

Ramírez suspira.

Laura – Me refería a un hombre enmascarado, señor comisario.

Wendy – También puede tratarse de un robo que acabó en tragedia.

Laura – Así siempre se puede recurrir a la legítima defensa.

Ramírez – ¿Acaso quieren hacer ustedes el interrogatorio?

Laura – Ni mucho menos señor comisario.

Wendy – Aunque estoy segura de que la cosa marcharía mucho mejor.

Ramírez – Veamos, Sánchez… Tienes que hacer una toma para el ADN.

Sánchez – Ahora mismo, jefe.

Ramírez – ¿Sabes para qué?

Sánchez – ¿Para saber quién es el padre del bebe que ha crecido dentro del congelador?

Ramírez – No, para saber quién es el Zorro entre todos ellos, imbécil… Llévatelos al ayuntamiento para interrogarlos… y manda las pruebas al laboratorio.

Sánchez – Vamos, síganme.

Las dos mujeres se disponen a seguirle.

Ramírez – No, ustedes no… Todavía tengo que hacerles algunas preguntitas…

Salen los demás.

Ramírez – Bueno, ahora que estamos solos, pueden contarme lo que realmente están haciendo en este rincón perdido. Es extraño que la prensa se presente antes que la policía en el lugar del crimen. Sobre todo en un lugar como éste…

Laura – Fue por pura casualidad, señor comisario. Se lo aseguro.

Ramírez – O sea que… Estaban en el lugar del crimen en el momento menos adecuado (A Wendy) ¿Y usted no tiene nada que decirme? Para ser productora de tele tiene poca imaginación. Para qué cadena trabaja usted?

Wendy – Normalmente para la sexta, pero a veces para la 3 o la 4…

Ramírez – Ya se sabe que en esas cadenas, no es precisamente imaginación lo que se pide a las mujeres.

Wendy – Ahora es usted quien peca de falta de imaginación, señor Comisario, si me permite decírselo.

Ramírez – Bueno… No va a decirme que ha venido aquí para un casting…

Laura – La verdad es que en este lugar hay una amplia galería de tipos. ¿Se ha fijado en la cara de salvajes que tienen todos?

Ramírez – La verdad… es que no le falta razón…

Wendy – Usted mismo, señor Comisario… ¿No le ha dicho nadie que tiene un físico muy televisivo?

Ramírez – ¿Usted cree?

Wendy – Pues sí… Quizá mejor para el cine que para la tele… Le daré mi tarjeta, si usted quiere.

Ramírez observa a las dos mujeres.

Ramírez – ¿Puedo preguntarles qué tipo de relación existe entre ustedes dos?

Wendy – ¿Relación?

Ramírez – Vamos… Creo que me entienden…

Laura – ¿Pero qué tiene eso que ver con lo que ha ocurrido aquí?

Ramírez – Nada… Simple curiosidad morbosa…

Entran Manolo, Don Honorato, Charly y Don Feliciano. Se les ve como embarazados.

Ramírez – Vamos, retírense, pero no abandonen la zona hasta nuevo aviso…

Wendy y Laura se apartan.

Don Honorato – Queremos hablar con usted, señor Comisario… En tanto que Primer Magistrado de esta comunidad…

Ramírez – Vamos… al grano…

Don Honorato – La situación nos supera… Hemos hablado entre nosotros y pensamos que, para ciertas cosas deberían saber…

Ramírez – ¿O sea…?

Manolo – Sabemos quién es la víctima.

Ramírez – ¿Qué pasa, que han recuperado la memoria de repente?

Feliciano – Se trata de su sobrino.

Don Honorato – Querrás decir, su primo.

Manolo – En resumidas cuentas… Mi ahijado…

Don Honorato – Desde hace años se entrenaba para el concurso “Caza talentos”.

Feliciano – Era contorsionista.

Manolo – Un día llegó a esconderse dentro de una maleta.

Ramírez – Por lo que ahora bien puede decirse que jugó a meterse en el congelador.

Charly – En efecto… Se trata de un accidente…

Ramírez – ¿Entonces fue usted quien lo metió en el congelador?

Manolo – Pues sí, señor Comisario.

Feliciano – Pero no es lo que parece…

Manolo – Pensé que el congelador estaba apagado.

Ramírez se muestra escéptico.

Ramírez – Si usted estuviera en mi lugar y le contaran una historia semejante ¿qué pensaría?

Vuelve Sánchez seguido de María.

Ramírez – De momento les llevaremos a comisaría en helicóptero y allí nos contarán lo ocurrido. Seguramente se les soltará la lengua con nuestros métodos infalibles.

Charly – No creo que quepamos todos en el helicóptero.

Don Honorato. Quizá deberían empezar a torturar al dueño de este café. Se trata de su congelador…

Feliciano – Y de su ahijado. Al fin y al cabo todo queda en la familia.

Manolo – No esperaba menos de usted, señor Cura.

Feliciano – Señor Comisario, permítame al menos darle al finado la última bendición.

Ramírez – De acuerdo, pero deprisita.

Don Honorato se acerca de Ramírez con aire conspirador.

Don Honorato – Mientras tanto podríamos arreglarnos para evitar complicaciones. ¡La justicia está tan cargada!

Ramírez – O sea que también puedo acusarle de intento de soborno a un funcionario.

Don Honorato – ¡No… Ni mucho menos señor Comisario, puesto que ambos estamos al servicio de España! Técnicamente no puede existir corrupción entre servidores de la Patria. Tan sólo le propongo un arreglito en pro del interés de la Nación.

Ramírez – Visto de ese modo.. ¿Cuánto?

Don Honorato – Digamos…

Don Feliciano abre la puerta del congelador y se persigna.

Feliciano – ¡Dios mío!

Ramírez – ¿Qué pasa ahora?

Feliciano – El cadáver… ¡Ha resucitado…!

Sánchez examina el cuerpo descongelado.

Sánchez – Tiene razón, jefe… Ha abierto un ojo…

Manolo – El hielo se ha derretido.

María – El congelador ha debido estropearse. Menos mal que no había congelado todas las patatas.

Ramírez – A pesar de todo, no parece muy fresco…

Charly – Ya lo dijo usted antes… Cuando se rompe la cadena del frío…

Juan Carlos sale del congelador, como Drácula de su ataúd.

Feliciano – ¡Señor Dios! (Se persigna) Como Jesucristo resucitado…

Charly – Perfecto para una publicidad Findus.

Juan Carlos – ¡La pasta, tío!

Sánchez – Eso ya no tiene nada que ver con la santidad.

María – ¿A qué dinero te refieres?

Manolo – Ya te lo explicaré, María.

Ramírez – Las explicaciones a la policía. ¡Menuda farsa!

Don Honorato – Lo sentimos, señor Comisario. Se trataba tan sólo de una estúpida apuesta.

Feliciano – Queríamos pasar el reportaje a la televisión.

Ramírez – ¿Él lo sabía?

Sánchez (a Juan Carlos) – ¿Quiere denunciarles?

Juan Carlos – Lo que quiero es salir en la tele.

Charly – Pero si ya ve que no le ha pasado nada, señor Comisario.

Sánchez – Parece un tanto perturbado. Podría tener secuelas.

María – Ese es su aspecto normal, señor Comisario.

Don Honorato – Yo más bien diría que está más espabilado de lo habitual.

Manolo – Un poco de alcohol de patata acabará de descongelarlo.

María sirve algunos vasos.

Charly – Yo lo utilizo como descongelador para el radiador de mi coche. Es muy práctico.

Manolo entrega la botella a Juan Carlos, que bebe directamente

Ramírez – Sánchez, marchémonos que aquí ya no hay nada que rascar. Sin cadáver no hay crimen que valga.

María – ¿Otro traguito, señor Comisario?

Ramírez – No lo voy a rechazar.

María sirve a Ramírez que lo traga de golpe.

Ramírez – Desde luego, esto resucita a un muerto.

En efecto, Juan Carlos vuelve a la vida. Da unos pasos dubitativos.

Feliciano – ¿No ven cómo anda? ¡Es un milagro!

Charly – ¿Un milagro? Quizá pueda homologarse.

Feliciano – Un caso de descongelación milagrosa? Tengo mis dudas…

Don Honorato – Sí señor… ¡Un milagro! Eso es lo que necesitamos.

Manolo – Como Jesucristo. Un tipo que parecía muerto y que resucita.

María – Podría funcionar…

Laura – La última vez que se hizo algo así, tuvo mucho éxito. De eso hace más de dos mil años, y sigue funcionando muy bien.

Wendy – Éste, más bien, ha resucitado de entre los filetes congelados, pero claro…

Don Honorato – Tiene usted razón… Es una señal del cielo. El golpe de gracia que esperábamos del Altísimo. Haremos de Villaburros de la Iglesia un lugar de peregrinaje…

María – ¿Qué le parece que hagamos, Padre?

Feliciano – Pero se trata de un falso milagro. Nadie mejor que nosotros para saberlo.

Manolo – De cualquier forma los verdaderos milagros no existen, ¿no es así?

Don Feliciano mira a Juan Carlos.

Feliciano – Es posible que tenga usted razón. Es Dios quien nos lo envía. Acaso no dijo Jesús: Felices los pobres de espíritu…

Don Honorato – Convertiremos a Juan Carlos en un Santo. San Juan Carlos. Haremos de este lugar un nuevo Lourdes.

Charly – Juan Carlos, claro… Es decir JC. Estaba predestinado…

Don Honorato – Estoy viendo los titulares en la guía parroquial: Victima de pesticidas y de un accidente de congelación, vuelve milagrosamente a la vida!

Feliciano – ¡Gloria a Dios que está en los cielos!

Manolo – Una nueva era se abre para Villaburros de la Iglesia!

Don Honorato – Amigos míos estamos viviendo un momento histórico.

Charly – El año Uno después de JC.

Feliciano – Sería importante erigirle un monumento. Los peregrinos necesitan su símbolo.

Charly – ¿San Juan Carlos saliendo de su congelador, como Jesucristo de su tumba? Podría funcionar…

Don Honorato – Sería importante el apoyo de la Prensa.

Manolo – ¡Pero si la tenemos aquí!

Feliciano – Dios bendito, al fin este pueblo tendrá una segunda vida.

Laura y Wendy miran a todos con asombro.

Laura – Este es un pueblo de subnormales… Están en pleno delirio sectario… Larguémonos antes de que se les ocurra cortarle el cuello a un pollo o realizar un sacrificio humano…

Wendy se lo piensa mejor.

Wendy – ¿Estás loca? No sé si te das cuenta de la importancia de este asunto. Deberías escribir un artículo.

Laura – ¿Estás segura?

Wendy – Confía en mí. En tres días esto será la cueva de Belén. Y somos las primeras en descubrirlo… Imagina el éxito de la noticia de haber habido un periodista allí en su momento.

Laura – Tienes razón… Esto es algo que tan sólo pasa una vez cada dos mil años… No podemos obviarlo.

Laura se acerca a Juan Carlos.

Laura – Buenos días, Juan Carlos… Creo que ya se te conoce como el Mesías de Villaburros de la iglesia. ¿Tienes pensado crear una nueva religión?

Juan Carlos – ¿Saldría por la tele?

Wendy – Naturalmente. Si lo hacemos bien podrías tener, incluso tu propio programa…

Suena el teléfono de Sánchez. Responde.

Sánchez – Inspector Sánchez al aparato ¿Quién llama? Afirmativo… De acuerdo, lo comento… (Cuelga) Jefe, tenemos el resultado de los ensayos de ADN.

Ramírez – Veamos… Ya sabemos quién es la víctima y conocemos a su padrino…

SánchezSí, pero gracias a la genética ahora sabemos quién es el padre.

María – ¿El padre de Juan Carlos ¿Y quién es?

Sánchez – Al parecer se trata del señor cura.

Todas las miradas se vuelven hacia Don Feliciano.

Feliciano – ¿Yo? No es posible… Debe tratarse de un error…

Ramírez – O de otro milagro…

Laura – Desde luego este es, sin duda, el pueblo más cutre de toda España.

Wendy – Ya está…

Laura – ¿A qué te refieres?

Wendy – He dado con un nuevo concepto de telerealidad.

Laura – ¿Bienvenidas al Presbiterio?

Wendy – No, ¡El pueblo más cutre de España! Todas las comunidades autónomas podrán concurrir. Como punto final se invitará a diversas personalidades a pasar un mes en el que se conocerá como el culo del mundo… ¿Qué te parece?

Laura – Podría funcionar mejor que el Gran Hermano.

Wendy – ¡Aleluya! Producciones WC también acaba de resucitar.

Laura – Perdona… Creo que es el momento de hacer otra entrevista en exclusiva…

Laura se acerca a Don Feliciano.

Laura – Se dice que usted es el padre del nuevo Mesías… ¿No le interesaría cobrar créditos?

Feliciano – ¿Cobrar?

Wendy – Hace treinta años que trabaja para la casa madre, es decir para el Vaticano.

Feliciano – Y como agradecimiento querían cerrar mi Parroquia…

Wendy – En tanto que padre del Mesías podría darse de alta como autónomo…

Laura – En cualquier caso necesitará una Agregada de Prensa.

Juan Carlos mira a Don Feliciano con aspecto de ido.

Juan Carlos – ¡Papá!

Wendy – Además necesitará un coach al lado mientras dure el programa.

Laura – ¿Está dispuesto a todo, señor Cura?

Feliciano – En cualquier caso, hermana, por usted yo sería capaz de colgar los hábitos ahora mismo…

Oscuro

Fin

 

 

El autor

Jean-Pierre Martinez es autor teatral y guionista francés de origen español. Nacido en 1955 en Auvers-sur-Oise, sube al escenario primero como baterista en diversos grupos de rock, antes de hacerse semiológo para la publicidad. Luego trabaja como guionista para la televisión, y vuelve al teatro como autor. Ha escrito mas de 60 guiones para distintas series de la televisión francesa, y 61 comedias para el teatro (13 y Martes, Strip Poker, Bar Manolo, Ella y El, Muertos de la Risa, Breves del Tiempo Perdido, El Joker…). Actualmente es uno de los autores contemporaneos mas representados en Francia, y varias de sus obras han sido ya traducidas en español y en inglés. Es licenciado en literatura española e inglesa (Sorbonne), en linguística (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), en economía (Institut d’Études Politique de Paris), en escritura de guiones (Conservatoire Européen d’Ecriture Audiovisuelle). Jean-Pierre Martinez ha escogido ofrecer todos los textos de sus obras para descargar gratuitamente en su web : comediatheque.net.

 

Comedias de Jean-Pierre Martinez traducidas en español:

 

Comedias para 2

El Joker

El Último Cartucho

EuroStar

Zona de Turbulencias

Comedias para 3

13 y Martes

Por Debajo de la Mesa

Comedias para 4

Cuatro Estrellas

Foto de Familia

Strip Poker

Un Ataúd para Dos

Comedias para 5 o 6

Crisis y Castigo

Pronóstico Reservado

Comedias para 7 a 10

Bar Manolo

Milagro en el Convento de Santa María-Juana

Comedias de sainetes (sketches)

Breves del Tiempo Perdido

Ella y El, Monólogo Interactivo

Muertos de la Risa

 

Este texto está protegido por las leyes

relativas al derecho de propiedad intelectual.

Toda copia es susceptible de una condena,

hasta de 300 000 euros y 3 años de prisión.

 

París – Marzo de 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-255-4

El pueblo más cutre de España Lire la suite »

Casket for two

A comedy by Jean-Pierre Martinez

English translation by Anne-Christine Gasc

When two candidates in a local by-election cremate their spouses on election day, conditions are rife for spoiled ballots and stray bullets. Especially when the funeral director’s newly hired temp has a mind of her own…

The dark humor on which this comedy is based is displayed by the title itself. Because the very principle of dark humor is to use situations typically associated with dramas as comedic devices. If, as it is said, “laughter is human nature,” the worst of tragedies can also serve as the foundation for a good comedy. Humor is the courtesy of despair…


This text is available to read for free.  However, an authorization is required from the author prior to any public performance, whether by professional or amateur companies. To get in touch with Jean-Pierre Martinez and ask an authorization to represent one of his works : CONTACT FORM 


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Jean-Pierre Martinez

A semiologist and a writer, Jean-Pierre Martinez has created a unique theatrical universe borrowing and blending elements from light comedy, black humour and the absurd. A powder-keg of a mix that is seducing an ever increasing audience. A script-writer for the French television series Avocats & Associés (France 2), he has written over a hundred television screenplays and seventy comedies for the theatre. He is one of the most frequently played contemporary playwrights in France and his plays have been translated in English, Spanish and Portuguese. Friday the 13th is his biggest play and has been performed in theatres all over the world, from Paris to Broadway and from Buenos Aires to Mexico. All his plays are published by La Comediathèque and are available online (http://comediatheque.net). Originally from Paris but in love with Provence, he spends the best part of the year in Avignon where he registered the Compagnie Libre Théâtre, of which he is a director along with Ruth Martinez.


Casket for two

Characters :

Edmund
Candice
Francis
Beatrix

PROLOGUE

(Optional) 

The reception area of a funeral parlour, identical to the bland, generic reception area of any company. The two female characters in this prologue are played by the same actors playing Candice and Beatrix in the play. They are both in mourning with black veils covering their faces – this will prevent the audience from recognising them later in the play. Care must also be taken to ensure that both characters dress and speak very differently from one another.

The first woman enters the room. She takes a handkerchief out of her bag, wipes a tear and blows her nose. Her mobile rings. She answers with a very posh accent.

Woman 1 – Yes…? Oh, it’s you… Yes, yes, I’m at the funeral home now. I hadn’t seen him for years but, you know. It’s still a shock. I wished to see him one last time…

The second woman enters, also in mourning, also wearing a veil over her face.

Woman 1 – I’m sorry, I’ll have to call you back. My sister just arrived. Thanks for calling…

Both women embrace coldly.

Woman 2 – Thanks for letting me know. I didn’t receive the death notice. Is he here?

Woman 1 – Yes.

Woman 2 – Have you seen him?

Woman 1 – Yes.

Woman 2 – It’s been at least ten years… Has he changed much?

Woman 1 – He’s dead.

Woman 2 – Yes… I’m not sure I want to see him, actually. I’ve never seen a dead person before. Maybe I should preserve the memory I have of him the last time we met. Full of life…

Woman 1 – Come on, dear. Do it for him. I’m sure he would have loved to see you one last time.

Woman 2 – If you say so.

She walks away without enthusiasm and exits stage left.

Her sister is left alone and wipes another tear.

The other woman returns shortly, a little confused.

Woman 1 – Are you ok…?

Woman 2 (embarrassed) – Did you say the first door to the right?

Woman 1 – Yes, why?

Woman 2 – It’s not him.

Woman 1 – You haven’t seen him for ten years. Of course he’s changed.

Woman 2 – He hasn’t changed gender has he? That’s a woman in that casket.

Woman 1 – Are you quite sure…?

Woman 2 – And she looks nothing like him… Didn’t you see her?

Woman 1 – I was so upset this morning. I dropped my contacts in the sink. Maybe it’s the door to the left. They have two viewing rooms… I’ll go check.

Woman 2 – It’s best if I go…

She exists stage left, leaving her sister even more distraught, and returns quickly.

Woman 1 – So…?

Woman 2 – It’s not him either.

Woman 1 – Are you sure?

Woman 2 – Not unless he managed to hide the fact that he was black… Let me see the obituary, maybe you got the wrong address. There’s so many funeral homes.

Woman 1 – Oh my God… It was already so upsetting to learn of his passing, and now we won’t even be able to attend his funeral…

She takes the obituary from her handbag and hands it to her sister.

Woman 2 (glancing at the obituary) – No, this is the right place, I don’t understand… (reading out loud) It is with great sadness that the family of… But that’s not his name!

Woman 1 – What are you talking about? Let me see…

She takes the obituary that her sister is handing her, squints at it to compensate for the absence of contact lenses.

Woman 1 – Oh, crap! That’s the neighbour’s name… We get their post about once a month. Ramirez, Martinez… it’s an easy mistake to make… I didn’t check.

Woman 2 (dismayed) – So he’s not dead…

The other woman looks at her sheepishly.

Woman 1 – I am so sorry…

Embarrassed silence.

Woman 1 – What do we do with the flowers?

Woman 2 – I don’t think we can return them…? Imagine if florists started giving people their money back after funerals… Why don’t we leave them here for the grave of your neighbour’s deceased.

Woman 1 – Especially since they don’t seem to miss him a whole lot… There’s no one to see him.

Woman 2 – That’s because you received the death notice.

Woman 1 – Oh bugger, of course. How am I going to tell them…?

Woman 2 – Ah, yes… It’s going to require diplomatic-grade thoughtfulness and consideration.  

Woman 1 – Oh well, silver linings and all that… he’s not dead! (sighing)… I had already reached the fourth stage of grief…

Woman 2 – Consider it a head start.

They make to leave.

Woman 1 – Oh my God …

Woman 2 – Are you going to see him?

Woman 1 – Who?

Woman 2 – Him!

Woman 1 – Why would I want to see him?

Woman 2 – I don’t know. You were so keen to say your final goodbyes, you could do it while he’s still alive…

Black.

Short interlude with funereal music.

ACT 1

 

The reception area of a funeral parlour, identical to the bland, generic reception area of any company. On the desk, a phone rings. Edmund, the owner, is dressed in a very conservative manner. He walks in, grumbling.

Edmund – Coming, coming… Why is everyone in such a hurry… We haven’t even started our sales yet… They’ll end up killing me, I tell you… (He answers the phone with a commercially fake politeness.) Birdseye Funeral Parlour, how can I help…? Yes, Mr. Mortarfield, we expect it this morning… That’s right, oak with gold handles and apple green lining… yes, from this year’s fall-winter collection… You know, the Elizabeth 2 is a classic model. Timeless. It’s not cheap, that’s true, but appearances were important to Mrs Mortarfield. Trust me, this model never disappoints. We’ve never had any complaints… We’ll see you Tuesday then, Mr Mortarfield… It’s a pleasure, Mr Mortarfield… I mean, er… Tuesday then… And once again, please accept our most sincere condolences… (He hangs up.) I must be getting tired… (The phone rings again.) Damnit… Birdseye Funeral Parlour, how can I help…? Oh, it’s you Yvonne… Did the doctor come by…? The flu, of course… It’s epidemic this winter… Very aggressive strain this year… The phone is ringing off the hook here… Thankfully I should be getting the new collection delivered this morning, so I’ll have some stock available, you never know… Oh, I didn’t mean for you… I am completely buried. No, it really isn’t a good time for you to fall ill… There’s too much for me to do on my own… No, the temp isn’t here yet. I don’t know what’s keeping her, she should have been here at 9:00. Not a great start… (glancing through the display window) Oh, someone’s coming, it’s probably her. Got to go. Take care of yourself. Love you too…

Candice enters the stage. She is a young woman dressed extremely inappropriately for the job she is coming to temp for (either sexy or grunge or goth, for example).

Candice – Hi! Sorry I’m late…

Edmund – Indeed… Alarm didn’t ring, on your first day?

Candice – Oh no! The alarm rang on time, and I got up and everything. But I fell asleep on the bus. The driver woke me at the end of the line. I had to take the bus all the way back in the other direction… (her mobile rings) Sorry… Hey Pam… No I just got to work… for Birdseye! Oh God, you don’t want to know… The one time I get up on time and everything… you’re not going to believe this, I fell asleep on the bus…

Edmund – Excuse me, we’re not done.

Candice – Look, I’ll call you back later when it’s more quiet, ok? (She puts her mobile away.) That was my BFF Pam.

Edmund – And you, what’s your name?

Candice – Candice.

Edmund – Candice?

Candice – Is there a problem?

Edmund – No, no… I mean… Candice, it sounds a little… You know what I mean…

Candice – No…

Edmund – Let’s say that in our profession we are used to names that are more discreet.

Candice – Like what?

Edmund – I don’t know… Like Nicola, Emma… Michelle even… or Carole. My wife is called Carole… Do you really think you can replace her…?

Candice – Replace her…?

Edmund – Do people call you Candice?

Candice – Well d’uh, it’s my name.

Edmund – And what’s with these shoes…?

Candice – These shoes are made for walking…

Edmund – I’m not so sure… Did they tell you your position would require talking to clients?

Candice – Well yeah… They told me I would be at reception.

Edmund – You need to understand that to work in our establishment, a more… sensible outfit would be more appropriate.

Candice – Oh…

Edmund – Have you had any training? Or previous experience in our industry?

Candice – I have a beautician diploma. And I worked in Tesco’s three months ago.

Edmund – Beautician… Yes, that could come in handy. Maybe.

Candice – Really…?

Edmund – Tesco’s… Do they have a funeral planning department?

Candice (surprised) – No… Fish counter.

Edmund – Well here at Birdseye we don’t do discounted products. Whatever next? Online shopping?

Candice – Sure, why not?

Edmund – Tesco’s and us, we are not in the same business, understood?

Candice – Understood…

The phone rings.

Edmund – This is a good time to show what you can do… Might as well throw you in the deep end because we sell them as fast as they come in at the moment. I won’t have time to give you any training. You should be able to manage answering the phone, right?

Candice – No problem… (She picks up the phone with confidence.) Birdseye Frozen Foods, how can I help…? I’m sorry Madam, but I’m afraid you have the wrong number… No problem, Madam… You’re welcome, Madam… Good bye Madam…

Candice, satisfied with her performance, turns towards Edmund who stares at her, petrified.

Candice – What’s wrong?

Edmund – Is this a joke? It’s a joke, isn’t it. Candid Camera. I knew it.

Candice – Huh? It was an old dear in tears who thought she was calling a funeral home…

Edmund – We ARE a funeral home!

Candice (distraught) – No…?

Edmund – The temp agency didn’t tell you?

Candice – They mentioned cold meat… And since your company is called Birdseye…

Edmund – This is a nightmare… (Regaining control of his emotions) Ok, unfortunately I don’t have a choice.

Candice – So here, this place, it’s… a store for the stiffs? But I’ve never done that before…

Edmund – Look, all you have to do is answer the phone and take messages. When someone comes in, call me. And most important of all, don’t take any initiative. Understood?

Candice – Understood.

Edmund – Right, now I have to go back to work on my local MP…

Candice – The local MP?

Edmund – Lakewell. The by-elections… You haven’t seen the posters on the cemetery wall? The polls open today! And since the incumbent MP isn’t running…

Candice – The incumbent MP?

Edmund – Yes… And you could say he’s hung up his shoes for good. I’m in the process of making him look more presentable over there in the back. And believe you me, that’s not an easy task…

Candice looks through the display window towards the posters.

Candice – Mrs Lakewell… On the posters she doesn’t look too bad…

Edmund – Not Mrs Lakewell, her husband! He’s the incumbent MP. His wife is running to save his seat in Parliament.

Candice – Oh, I see…

Edmund – Mr Lakewell’s funeral is later today. But I’m struggling to make him look presentable. His body was submerged in water for a long time, so obviously…

Candice (horrified) – Submerged?

Edmund – Actually, if you could take over and handle the finishing touches. Usually it’s my wife who takes care of that part but since she’s not here…

Candice – Well… I mean…

Edmund – Didn’t you just say you had a beautician’s diploma?

Candice – Yes, but no…

Edmund – I see… ok… Do you think you can manage the phone?

Candice – Yes, yes of course…

Edmund – In that case I’ll leave you to it… Oh, by the way, I’m expecting a delivery this morning. When the goods arrive, let me know immediately please…

Candice – The goods? (Horrified) You mean you’re expecting stiffs?

Edmund – Miss, take note that we don’t call our clients ‘stiffs’ but ‘our dearly departed’.

Candice – Sure…

Edmund – Furthermore, we don’t consider their arrival here a ‘delivery’ but a last visit they make to those who prepare them for their final voyage.

Candice – Okay…

Edmund – Just pretend you’re working in a travel agency. Our clients are booking a cruise, so to speak. Except the return ticket isn’t included.

Candice – I see… So what’s the delivery then?

Edmund – I’m expecting a casket delivery. The new collection. The catalogue is right there beside you!

Edmund leaves. Candice glances at the catalogue.

Candice – Fuck me… A cruise, indeed… (She calls someone on her mobile) Pam? You’re not going to believe this… Guess where those bastards at the Job Center sent me? I’m an undertaker! The things you do to earn a living, I tell you. Oh, for now it’s rather quiet. I’m at reception… (The phone on the desk starts to ring.) Sorry, I have to go… (She picks up the phone.) Birdseye Foo.. Birdseye Funeral Home, how can I help?… Yes… Yes… (taking down notes) The monthly special, absolutely … the Basic Pine model… 99 Pounds, VAT included… Very well, I’ll tell him Mrs Lakewell… You can count on me… Goodbye Mrs Lakewell.

She hangs up and gives a sigh of relief. Relief that is short lived as a man walks in and comes to the desk.

Candice – You’re here for the delivery…?

Francis – Er… No… Francis Martino. I have an appointment with Mr Birdseye. To select a model…

Candice (putting on a salesman smile) – I’ll call him… Please take a look at our catalogue while you are waiting… (She hands him the catalogue.) Is it for a gift?

Francis – It’s for my wife…

She looks at him while he glances at the catalogue without much interest.

Candice – I knew you didn’t look like a delivery man…

Francis – Yes…

Candice – I’m sorry, but… You look familiar, are you famous?

Francis – Yes, my picture is all over town.

Candice – You’re wanted by the police?

Francis – Not yet… For now I’m only a candidate in the elections… (pointing at the posters outside) That’s me on the posters…

Candice – Francis Martino! Mrs Lakewell’s opponent!

Francis – Well, the one running against her…

Candice – You’re the Tory, right?

Francis – No, that’s Mrs Lakewell’s party… I’m from the Center party. But you know what they say: the center is everywhere but our constituency is nowhere…

Candice – Wow… I didn’t think I’d get to meet celebrities in this job…

Francis – Everyone dies you know. Even celebrities.

Candice – So you lost your spouse too?

Francis – Yes, I did…

Candice – Snap!

Francis – Pardon?

Candice – With a death in the family right before the elections, Mrs Lakewell had an advantage. But this levels the playing field.

Francis – You think?

Candice – If Obama’s grandmother hadn’t died right before the elections, do you think he would have been the United States’ first black president?

Francis – Maybe not…

Candice – And if Hillary had lost something, anything, even her poodle, history would have taken a much different course…

Francis – Maybe…

Candice – Unfortunately for her, not only was she not bereaved in any way but her husband is a womanizer and people don’t side with those who get cheated on. It’s not fair but what can you do?

Francis – I see you’re a fine analyst of political systems… Er… Is Mr Birdseye here?

Candice – Yes, of course, I’ll call him right away. (She glances on her phone and reads the different labels.) Let’s see… cold storage… kitchen area… Thanatopraxy… I don’t know what that means but I’ll try that… (she dials the extension and waits until Edmund eventually picks up.) Bingo! Mr Birdseye? Francis Martino is here for you… (She hangs up.) He’ll only be a minute.

A slightly uncomfortable silence. Francis flips through the catalogue just to have something to do.

Francis – And what about you, have you made your choice?

Candice – That’s not very nice of you Mr Martino. I’m still very young to be choosing a casket…

Francis – I meant for the elections… Today’s vote. Have you voted yet?

Candice – Er… No, not yet…

Francis – Oh, so I still have a chance then… Are you familiar with our manifesto?

Candice – You have a manifesto? I thought you were from the Center Party?

Edmund enters.

Edmund – Hello Mr Martino. Please accept my condolences…

Francis changes his expression to one more suited to the circumstances.

Francis – Everything happens for a reason…? C’est la vie, isn’t it…?

Edmund – At least she had a good death.

Francis – You think…?

Edmund – She didn’t?

Francis – She was run over by a Southern Rail train…

Edmund – I’m sorry, I must be confusing with Mrs Mortarfield… She died in her sleep. She was 91 years old.

Francis – Ah, yes… My wife was a little younger than that…

Edmund realises that Candice is listening to their conversation with indiscrete curiosity.

Edmund – Would you get us a couple of coffees please, Candy…

Candice – Candice…

Edmund – Yes, whatever… You know how to make coffee…?

Candice – I can try…

Francis – Very strong for me, please.

Candice – Strong… Like the turnout today, am I right or am I right Mr Martino…?

Vague smile from Francis. Edmund is visibly exasperated.

Edmund – The coffee machine is over there…

Candice disappears.

Edmund – It’s so hard to find competent staff these days… And my wife is in bed with the flu. You know it’s very bad this year…

Francis – Yes, I know… it killed my wife…

Edmund – I thought she got run over by a train.

Francis – On her way to the pharmacy to get a flu jab…

Edmund – I always thought there was something fishy about this jab… And believe me, I know what I’m talking about… I even made my wife promise not to get it…

Francis – Mrs Birdseye is doing well?

Edmund – She’s a little bit under the weather but she’ll be up and about in a few days. It’s best to let nature take its course, isn’t it?

Francis – Unfortunately, my wife is a bit under the train.

Edmund – Have you made your choice, Mr Martino? As you can see from the catalogue, the new collection is absolutely gorgeous…

Francis (barely looking at the catalogue) – Hmm…

Edmund – It’s like I always say: the price of the casket represents the love we had for our dearly departed.

Francis – I was thinking something quite simple, actually…

Edmund – I see… Something elegant yet discreet… Did you have a particular model in mind?

Francis (pointing in the catalogue) – What about this one…

Edmund (not overjoyed) – Basic Pine. Our entry model. Currently on sale.

Francis – 99 Pounds including VAT, is that right?

Edmund – That is right, Mr Martino…

Francis – I figured, since we’re cremating her…

Edmund – You’re right. Pine will be fine. You’re in luck, I only have one left. It’s a very popular model… And for the options, we can offer…

Francis – The basic model.

Edmund – Basic Pine, no options. Of course. Did you want to have a look at anything else?

Francis – No, I’m good for now, thank you…

Edmund – Perfect. Thank you Mr Martino. I’ve got it written down.

Candice arrives with the coffee. She gives a cup to Francis and another one to Edmund.

Francis – Thank you Miss…

Candice (flirtatious) – Candice….

Francis empties his cup in a single gulp and makes a face. Edmund, curious, dips his lips carefully in his and glares at Candice.

Edmund (with an apologetic look at Francis) – A little too strong, maybe…

Francis – Ah yes, it’s…

Edmund – Strong enough to wake the dead…

Candice – Would you like a treat with your coffee, Mr MP?

Francis looks at her, tempted.

Edmund – I think Candice means to ask you if you’d like something to eat? We have cookies. My wife makes them.

Francis – If your wife is in charge of treats I think I’ll abstain…

Candice – An MP choosing abstinence on election day…

Edmund – I think Candice means abstention.

Francis – And I’m not MP yet…

Francis’ mobile phone rings. The ring tone sounds like an old fashioned alarm clock.

Francis – Excuse me… (taking the call) Yes…? So you have the advanced poll results? Yes… Yes… Yes… Oh… Very well, I’ll be right over… No, the ceremony isn’t until 11:00… That’s right, in an hour… But it will be a small, intimate gathering… I don’t want to exploit this terrible tragedy to gain the sympathy of the voters… Speaking of which, did you remember to call the press? Perfect, thank you… See you soon…

Edmund – So, how is the electoral campaign going? How are things looking so far?

As if by rote, Francis puts his mobile on the reception desk and pulls out two information leaflets from his pocket.

Francis – As you know, my wife was the one who wanted to run for this election. But because of this tragedy…

Edmund – Of course…

Candice – I’ve heard of ‘zombie voters’ when the dead cast votes, but I don’t think they ever elected one in Parliament…

Edmund – On the other hand, given how few MPs attend Parliament sessions I’m not sure we’d even notice…

Francis (handing the leaflets to Edmund and Candice) – Here, at least let me give you some information on our manifesto.

Edmund – Oh, you have a manifesto… I thought you said you were… Never mind…

Francis – Truth be told, I don’t have any political experience. But the Center Party is desperate for candidates…

Candice – For sure… It might be the only party with fewer members than candidates…

Edmund glares at her.

Francis – Anyway, they twisted my arm and I let them do it… Alright, I have to go… Something came up that I need to take care of.

Edmund – Nothing bad I hope?

Francis – I couldn’t find anyone else so I asked my cleaning lady’s daughter to be my running mate. But I’ve just been told she was arrested for solicitation…

Edmund – If the candidates can’t proposition their constituents on the open market, democracy is doomed.

Francis – I know, right…?

Candice – If you’re looking for a new running mate I could help you out…

Francis – Why not…? I promise to think about it…

Edmund – So we’ll see you later for the ceremony…

Francis – Perfect.

Francis leaves. Edmund looks reproachfully at Candice.

Edmund – What did I tell you?

Candice – What?

Edmund – You were supposed to just answer the phone!

Candice – I was just trying to be nice to the customers…

Edmund – The delivery man still hasn’t come?

Candice – No…

Edmund – At this rate we’ll soon run out of stock…

Candice – Speaking of phone, I forgot to tell you. You’re going to be proud of me, I made my first sale.

Edmund (worried) – I told you not to take any initiative…

Candice – Mrs Lakewell called. The MP’s widow. She chose the Basic Pine model.

Edmund – Basic Pine?

Candice – Yes, I know, it’s the cheapest but still… a sale’s a sale.

Edmund – But we only have one left and I just sold it to Mr Martino for his wife!

Mrs Lakewell arrives.

Beatrix – Mr Birdseye. I wanted to see you.

Edmund – Hello Mrs Lakewell… and please accept my sincere condolences for your husband. But I’m sure he’d approve of your decision.

Beatrix – For the casket you mean? You’re right, he was a man of the people, with very simple tastes…

Edmund – I meant for your candidacy! Running in his place in the elections…

Beatrix – Oh you know, I can’t really focus on politics at the moment. (She nonetheless has the presence of mind to hand Edmund and Candice two leaflets.) If my husband’s voters hadn’t insisted that I run to save his seat… But I came here to talk to you about the funeral arrangements…

Edmund – Let me guess… you changed your mind and you want a different model… After all, Basic Pine, for an MP, that’s a little…

Beatrix – No, no, not at all. Pine is fine. Especially since I have decided on a cremation.

Edmund – Oh, you too…

Beatrix – Pardon?

Edmund – No, I mean… It’s a choice that is proving increasingly popular… Did you want to look at our catalogue again?

Candice (in full salesman mode) – It’s our new collection. A quick glance can’t hurt…

Edmund (showing her the catalogue) – Let’s see… This Queen Victoria model for example… Mahogany…Thirty year warranty…

Beatrix looks at the catalogue without interest.

Beatrix – No thank you, really… And don’t get me wrong, but Queen Victoria, Elizabeth 2, Prince Albert… that’s not very democratic…

Candice – On the other hand, Basic Pine… that’s a bit Ikea, no?

Edmund – Of course, if you choose a model that’s a bit more expensive we would be willing to work on the price for you. Take your time and think about it.

Beatrix – Listen, I don’t have a lot of time, and I’ve already thought about it. Basic Pine is fine…

Edmund – Well, to be totally honest…

Beatrix – Is there a problem?

Edmund – I’m terribly sorry, Mrs Lakewell, but I’m afraid this model is temporarily out of stock.

Beatrix – But… this young lady here told me on the phone earlier that…

Edmund – But since then I sold the last one we had to Mr Martino…

Beatrix – Martino? My opponent!

Edmund – It’s a terrible misunderstanding and I beg you to please accept my deepest apologies… This young woman is new to the job and…

Beatrix – Out of the question!

Edmund – I can suggest another model… I’ll give you a good price… Like an airplane upgrade if you like…

Beatrix – You should make this offer to Mr Martino.

(Just then Martino comes back)

Francis – I think I left my mobile phone here. (He is surprised to see Beatrix.) Mrs Lakewell…

Edmund – You two know each other, I think…

Beatrix – A little… Mrs Martino ran against my husband in the last by-elections…

Edmund – Oh… We’re almost among family then…

Francis – I will take this opportunity to present my deepest condolences, Mrs Lakewell…

Edmund – Mr Martino is a gentleman. He will surely agree to let you have it.

Francis – Pardon?

Beatrix – It would seem, Mr Martino, that we aren’t just competing for a seat in Parliament…

Edmund – My assistant promised Mrs Lakewell that she could have the last Basic Pine casket that we had…

Candice (playfully) – Oh come on, it’s not that bad… It’s not like you politicos never make promises you can’t keep…

Francis – I’m sure we can find an arrangement… Can’t we, Mr Birdseye?

Edmund – But of course… I am actually waiting for the new collection to be delivered any time now…

The phone rings and Candice picks up.

Candice – Birdseye Froz… Birdseye Funeral Home, how can I help you? Please hold. (To Edmund) For you…

Edmund – Please excuse me for a minute… (taking the phone) Yes…? No…! Your delivery man has the flu? Is that a joke? When? This afternoon? But it’ll be too late! This isn’t over, you’ll hear from me soon enough…

He hangs up, appalled.

Francis – Right, let’s not spend the whole day on this… For Mrs Lakewell I am happy to choose another model… What can you offer?

Edmund – Well, I… I just heard that the delivery I was waiting for is being delayed by several hours…

Francis – So?

Edmund – That Basic Pine casket is the only casket we have in store…

Francis – The only casket? You mean that…

Edmund – I’m sorry but I don’t have any other casket available right now… Unless we put Mrs Mortarfield back in the freezer… But she’s already in the viewing room with her family…

Candice – Ah, yes, that’s would be a little uncouth…

Everyone is dismayed.

Beatrix – My husband’s funeral ceremony starts at 11:00!

Francis – My wife’s too.

Edmund (to himself, crushed) – A casket for two… whatever next…

Beatrix – You’re not seriously thinking of burying my husband and this man’s wife in the same casket?

Francis – That wouldn’t be good form.

Edmund – Maybe we can postpone one of the ceremonies until tomorrow morning…?

Candice – After all, they’re not in a rush…

Beatrix – But I am!

Francis – I can’t do tomorrow either… the press has already been called…

Beatrix – For my husband too… There’s no reason why I should let my opponent take center stage!

Edmund – Right, so what do we do?

Francis – My wife, does she really need a casket…?

Edmund – Pardon ?

Francis – I mean… the casket is only for the cremation. That only lasts a few minutes.

Candice – It’s true… None of that is very environmentally friendly… cutting down oak trees to just to make caskets that we then set fire to…

Francis – And don’t get me started on greenhouse gases.

Candice – Maybe we could do it India-style, on a pile of dead wood, next to the Thames.

Beatrix – Yes, I think the press would love it…

Black.

ACT 2

 

Francis and Beatrix wait together in the reception area with appropriately somber faces. Francis glances at his watch.

Francis – How much longer do you think this is going to take…?

Beatrix – I don’t know… I’m not too familiar…

Francis – I know it’s weird… but something reminds me of being in a maternity ward, waiting to find out whether it’s a boy or a girl… I don’t know why…

Beatrix (looks at hims, worried) – Yes, it is weird…

Francis – Do you know what you’ll do with it?

Beatrix – Pardon?

Francis – Your husband’s ashes… Where will you put them?

Beatrix – I haven’t died yet… decided… (a beat) It’s… How big is it?

Francis – I don’t know… I think I’ll keep it in a cabinet…

Beatrix – In the Cabinet…?

Francis – I mean a small cupboard…

Beatrix – Oh, right…

Francis – Yes… How fitting for an MP… To end up in a cabinet…

Beatrix – And you?

Francis – I don’t know, but I won’t keep it on the mantelpiece… it would be weird, wouldn’t it ?

Beatrix – Yes…

Francis – Maybe I’ll spread them in the garden… Is that allowed?

Beatrix – I think so… No one’s ever gone to prison for dispersing ashes in the garden…

Francis – Except Harold Shipman…

Beatrix – Hmm…             

Francis – On the other hand, knowing that your spouse is all over the turf between the trampoline and the BBQ… it’s a bit creepy don’t you think?

Beatrix – Yes, maybe…

Francis – It’s an important decision. You have to think carefully beforehand, because once it’s done…

Beatrix – For sure… Unless you have a Dyson…

Francis – Do we really have to take them with us?

Beatrix – I think so… Like in a maternity ward…

Just then, Edmund and Candice arrive each carrying an urn.

Edmund – Where are the labels? Which one is the MP?

Candice – Crap… The labels…

Edmund – What about them?

Candice – I forgot to put them on the urns…

Edmund – But I told you to… There was a post-it with their name on each urn! You only had to screw in the plates!

Candice – I am really sorry…

Edmund – Do you at least remember which one contains the MP?

Candice’s embarrassed silence tells all. But Edmund doesn’t have time to react. Francis and Beatrix turn towards them with the faces of two grieving spouses. Edmund barely hesitates then hands his urn to Beatrix, so Candice gives hers to Francis.

Edmund – We’ll give you a minute to reflect on your spouses’ lives… (he glares at Candice) I should incinerate you too…

Candice – If it wasn’t for me going to that cheap place to get the pine casket that you were missing…

Edmund – A flat pack casket, I didn’t even know there was such a thing…

Candice – At least they weren’t out of stock…

Edmund – Yeah, yeah, yeah, all right…

Candice – And now look at them… Birdseye or cheap flat pack… no one can tell the difference…

Edmund – You can say that again… There’s a 50/50 chance that Mrs Lakewell is currently mourning over Mrs Martino’s ashes.

Candice – And Mr Martino over those of Mr Lakewell…

Edmund – And the flat pack wasn’t easy to put together either…

Candice – Yes… From that point too it felt a lot like Ikea.

They leave. Francis and Beatrix each look at their urns, deep in their thoughts.

Francis – Ashes to ashes…

Beatrix – Dust to dust…

Francis – How did your husband die again?

Beatrix – He drowned…

Francis – He drowned?

Beatrix – It’s a fishy story. He must have fallen off his boat. They didn’t find his body for six weeks.

Francis – And he couldn’t swim…

Beatrix – He never said… But I never did see him swim when he was alive.

Francis – Most people don’t brag about not being able to swim…

A beat.

Beatrix – And your wife?

Francis – A road accident.

Beatrix – Ah, yes…

Francis – At a dangerous level crossing… Her car stalled on the tracks… She didn’t have time to drive away…

Beatrix – If I am elected I promise to fix this level crossing.

Francis – Thank you… And if I win, I promise to pass a law making swimming lessons mandatory for fishermen.

They remain quiet for a moment, contemplating the urns.

Francis – To think that they were opponents in the last elections. And now look at them. Each in their urn…

Beatrix – Yes…

Francis – Politics doesn’t become them…

Beatrix – No…

Francis – I hope we won’t end up the same way.

Beatrix – At least not any time soon…

Francis – Speaking of which, have you seen the last polls?

Beatrix – Yes….

Francis – It’s very close.

Beatrix – But I should still have the advantage… My husband can rest in peace…

Francis – Hmmm… During the last elections your friends were accused of ballot stuffing…

Edmund and Candice come back.

Edmund – Look at them, they’re becoming friends…

Candice – It’ll end up with a wedding, mark my words. (Edmund looks at her reproachfully.) What? They’re both widowed, aren’t they?

Francis and Beatrix spot them.

Beatrix – Right, we’ll leave you to it…

Edmund – Please take your time… you can stay as long as you want…

Candice – And you’ll always be welcome here…

Edmund looks at her reproachfully.

Francis – Can I drop you off somewhere? I have a mini van…

Beatrix – I don’t know if…

Francis –You’re right of course… I’m sorry… People will talk…

Candice walks over to Beatrix.

Candice – Let me help you… These things are a little heavy…

Beatrix – I’ll be fine, thanks.

Candice awkwardly tries to grab Beatrix’s urn, knocking over the one Francis is holding which falls to the ground. Part of the contents spill on the floor. Edmund is aghast.

Beatrix – Oh my God!

Edmund (devastated) – It’s a nightmare…

Candice – I’m so sorry… I’ll fix this right away…

Edmund – Don’t touch anything, I’ve got it…

Edmund disappears.

Candice – It’s never happened before, I promise…

Edmund returns wearing a novelty apron and carrying a broom and dust pan.

Edmund – I’ll take care of it.

Under the astounded looks of the other three he sweeps the ashes, pushes them on the dustpan and is about to pour them back into the urn. But he goes for the wrong urn.

Francis – Err, no, that’s her husband.

Edmund – My bad… (Edmund pours the ashes in the other urn). There, this little accident is now behind us.

Candice picks something up from the floor.

Candice – Oh look… What’s this?

Edmund (embarrassed) – Sometimes there are… parts… Lead fillings, for example…

Candice – Yeah, well… Whoever’s in that urn was full of lead alright. Looks like a bullet… Large caliber…

General dismay.

Edmund (looking more closely at the bullet) – Oh, yes…? Did your wife die in a hunting accident?

Francis – Er, no… I told you, a vaccine accident…

Candice – More like a suppository accident!

Edmund – Looks like lead-shot…

Candice – Whoa, Mr Martino… If it turns out you mistook your wife for a wild boar… that’s not going to help your election bid…

Francis takes the bullet from Candice and looks at it closely.

Francis (embarrassed) – I don’t understand, I really don’t…

Embarrassed silence.

Candice – Actually… Now would be a good time to tell you… I’m not entirely sure this is your wife’s ashes…

Francis – Excuse me?

Candice – I may have mixed up the labels…

Edmund – What she means is that this bullet could just as well come from the MP’s urn…

Francis glances at Beatrix, who looks destroyed

Francis – I see…

Beatrix – I can explain…

Francis (surprised) – Oh, can you now…?

Beatrix (to Edmund and Candice) – Could you give us a moment, please.

Edmund and Candice leave discreetly.

Francis – Do you have something to tell me?

Beatrix goes to grab the bullet from Francis.

Beatrix – Give me that!

Francis – Not so fast…

Beatrix falls apart.

Beatrix – Alright, I killed him…

Francis – You?

Beatrix – My husband didn’t drown.

Francis – But you made it look like an accident…

Beatrix – Yes…

Francis – Why?

Beatrix – So I wouldn’t get caught, why do you think?

Francis – No, I mean… why did you kill him?

Beatrix – Don’t tell me you didn’t know?

Francis – Didn’t know what?

Beatrix – My husband was having an affair.

Francis – And how would I know that?

Beatrix – Because he was having an affair with your wife! You really didn’t know?

Francis (distraught) – No, I didn’t…

Beatrix – I killed my husband with his hunting rifle. And then I made it look like a fishing accident…

Francis – Wow, that’s twisted…

Beatrix – It almost worked… If the body had remained at the bottom of the sea, like I had planned…

Francis – Unfortunately, the past always comes to the surface…

Beatrix – I thought that with a cremation it would be over once and for all… But of course the bullet didn’t burn.

Francis – Wasn’t there an autopsy?

Beatrix – Our family doctor signed the death certificate. He’s old. And near sighted. He didn’t look too closely.

Francis – I see… But this is a crime of passion, judges can be rather understanding. Are you sure you didn’t kill him to take his seat in Parliament?

Beatrix – The only reason I am running is to get parliamentary immunity, you never know, in case it turns out I do need it…

Francis – A sort of comprehensive insurance…

Beatrix – Are you going to go to the cops?

Francis – That depends on you. (Showing the bullet) No one else knows but me…

Beatrix moves close to him with a suggestive look on her face.

Beatrix – I am yours to do as you wish… I will be your plaything…

In doing so, Beatrix trips on the other urn whose contents partially spill on the floor.

Francis – You can start by dropping out of the elections…

Black

 

ACT 3

 

Edmund is busy at reception. Candice enters.

Candice – Hello, hello…!

Edmund – You’re improving… Only 30 minutes late… You didn’t fall asleep on the bus today?

Candice – Oh no, I did… But I woke up a couple of stops before the end of the line… You can’t do this without me, am I right?

Edmund – Hmmm…

Candice –So, Mr Birdseye? How’s business?

Edmund – Rather quiet this week. Last week we were buried.

Candice – Buried?

Edmund – Just a manner of speaking…

As she takes her coat off, she looks towards the election posters outside.

Candice – Oh, did you see that? In the end it’s the bloke from the Center Party who got elected.

Edmund – Yes… Mrs Lakewell pulled out of the election…

Candice – But she’s now working for him as a Parliamentary Assistant.

Edmund – Too bad for you. That position is now filled.

Candice – I told you it would end with a wedding.

Edmund – You’re very good at reading people…

Candice – Your wife is here?

Edmund – Next door.

Candice (disappointed) – So you don’t need me any more then.

Edmund – Well, I mean… She’s there but… My wife died following complications from the flu…

Candice – I’m so sorry… Please accept my condolences…

Edmund – Thank you.

Candice – When did it happen?

Edmund – Last night. I should have let her get the flu jab in the end…

Candice – At least, with you here she’ll get a beautiful funeral…

Edmund – Mmm… yeah…

Candice – You can show her how much you loved her. It’s like you always say : the price of the casket represents the love we had for our dearly departed…. Which model did you choose?

Edmund – Basic Pine…

Candice – Oh, right, it’s… Natural wood is a very warm material.

Edmund – Very easy to burn too. I chose to cremate her.

Candice – Of course.

Edmund – So naturally… I’m going to need to replace her… Permanently.

Candice – Replace her…?

Edmund – Here, in the shop.

Candice – Oh, of course… So I’m not a temp anymore…?

Edmund – I can give you a three month contract to start with. With my wife dead I also need someone to handle the thanatopraxy…

Candice – Thanatopraxy…

Edmund – My specialty is the larger jobs. Sometimes they’re more like puzzles… with missing pieces…

Candice – Like with Mrs Martino… You did such a great job with that one…

Edmund – You can say that again… When they brought her in, after the train ran over her car… She looked like a Bacon…

Candice – Like streaky bacon?

Edmund – Anyway… My wife used to do the detailed work… So now that she’s gone, if you’re interested…

Candice – I don’t know if I could…

Edmund – It’s not very complicated you know. It’s a little like being a beautician, but our clients never complain…

Candice – Why not…

Edmund – And there’s no such thing as a typical day at the office. As you saw yourself, there’s always something to challenge you…

Candice – And you get to meet celebrities…

Edmund – That’s the thing… Rich or poor, famous or not, everyone ends up in our capable hands…

Candice starts sweeping the floor.

Candice – And what are you planning to do about the bullet we found in the MP’s urn?

Edmund – What can we do… We’re not the police… And we are bound by the undertaker-client privilege… since our jobs require that we become intimate with families and their secrets…

Candice – Really?

Edmund – You have no idea what we find in the dearly departed’ pockets… Once I even found a winning scratch card.

Candice – His widow must have been happy…

Edmund – Oh, as you can imagine I didn’t tell her anything. It would have been out of place…

Candice – Of course…

Edmund – That’s how I got the espresso machine, actually… Speaking of which, do you want a coffee?

Candice – Why not…?

Edmund disappears briefly to go get the coffees.

Edmund (off) – Just last week I found a pair of scissors in Mrs Mortarfield’s ashes.

Candice – Was she assassinated too?

Edmund – Surgical scissors! She was just in hospital for an appendicitis… she died of complications…

Candice – Remind me to ask you for the name of the hospital… In case I have to be hospitalised.

Edmund returns with the coffee.

Candice – I wanted to thank you for giving me a chance. I won’t disappoint you, you know…

Edmund – I already got to sample your skill-set…

Candice notices something in the dust that she is sweeping.

Candice – What’s this…?

Edmund comes closer and looks at the object she is holding in his direction.

Edmund – A second bullet?

Candice (profoundly) – There was a second shooter involved in Mr Lakewell’s killing… It’s not a murder it’s an assassination!

Edmund – You spend too much time watching television, Candice… He was an MP, sure, but he wasn’t Kennedy. (Thinking) What if this bullet came from the other urn…

Candice – Well done, Detective… Do you think Mr Martino could have filled his bird with lead…

Edmund – Before he made her take the 5:23pm Southern Rail to Brighton…

Candice – In the face… in her car.

Edmund – Yes, it’s a possibility…

Candice – But why?

Edmund – Jealousy! You didn’t know his wife had slept all over town…?

Candice – No…

Edmund – Their marriage was a train-wreck.

Candice – Unless he killed his wife only so the electors would feel sorry for a widower… to get more votes.

Edmund – Go figure…

Candice – Well, in any case, he’s now got parliamentary immunity.

Edmund looks through the display window.

Edmund – Speaking of the devil…

Candice –… brings the devil to the door

Francis and Beatrix come in the store.

Candice – Looks like business is picking up.

Edmund – Mr Martino, Mrs Lakewell. What brings you here? Not another bereavement I hope?

Francis – No, no, thank goodness…

Edmund – Please let me take this opportunity to congratulate you on your election, Mr Martino.

Francis – Thank you, Edmund.

Candice (to Beatrix) – Not too disappointed?

Beatrix – I am his Parliamentary Assistant… That means that if anything were to happen to Mr Martino, his seat would become mine. I follow his every move, ready to step in.

Edmund – Like a sort of understudy…

Candice – Stay safe… Watch out for stray bullets… They come out of nowhere when you’re out fishing.

Edmund – Or when you’re safely stopped at a level crossing…

Beatrix looks at Francis suspiciously. He changes the subject.

Francis – No, this time it is us who come to present our condolences.

Edmund – Who died…?

Beatrix – Your wife!

Edmund – Oh, that’s right… I’m sorry, I am so distraught…

Francis – Yes, well, life goes on…

Beatrix – Speaking of which, we also came to share our good news.

Candice – You’re having a baby?

Beatrix – Not yet…

Francis – Beatrix and I are getting married.

Beatrix – We can now look to the future and over our shoulder at the same time.

We hear the sound of a kitchen oven’s timer going off.

Beatrix – You’ve got something in the oven? You should go check, it smells like it’s burning.

Edmund – Er, no, it’s… it’s my wife.

Francis – Your wife?

Edmund – Well, her ashes.

Beatrix – Oh, I see…

Edmund – Could you go check, Candice? I don’t think I can handle this right now…

Candice – Of course Mr Birdseye.

Francis – Right, I think we’ll let you go.

Beatrix – We just came for the wreath.

Edmund – A wreath? For your wedding?

Beatrix – For your wife’s funeral.

Francis – Make sure it says it’s from the MP.

Beatrix – And his Parliamentary Assistant.

Edmund – Of course.

Francis – I’ll let you choose… Just sent the invoice to my office.

Edmund – Thank you Mr MP. Thank you Mrs Parliamentary Assistant. Know that I am very moved by this respectful gesture during my very difficult time.

Beatrix – Good buy Mr Birdseye.

Francis (shaking his hand) – Edmund…

Francis and Beatrix leave.

Edmund – Right, that’s done…

Candice comes back.

Candice – They left?

Edmund – You were right… It ends with a wedding…

Candice looks through the front window.

Candice – They are such a great match… It was obvious from the start…

Edmund – Hmm… What about us? We make a good couple too, don’t we?

Candice – You think?

Edmund – And now that I am a widower…

Candice – Speaking of which, I found this in Mrs Birdseye’s ashes… (She shows a third bullet) I thought your wife died of the flu…

Edmund – I told you… the flu is devastating this year…

Black.

End.

 

The author

Born in 1955 in Auvers-sur-Oise (France), Jean-Pierre Martinez was first a drummer for several rock bands before becoming a semiologist in advertising. He then began a career writing television scripts before turning to theatre and writing plays. He has written close to a hundred scripts for television and almost as many plays, some of which have already become classics (Friday the 13th, Strip Poker). He is one of the most produced contemporary playwright in France and in other francophone countries. Several of his plays are also available in Spanish and English, and are regularly produced in the United States and Latin America.

Amateur and professional theatre groups looking for plays to perform can download Jean-Pierre Martinez’s plays for free from his website La Comediathèque (comediatheque.net). However, public productions are subject to SACD filing.

For those who want to read the texts or work from a traditional book format, a paper copy can be purchased from Amazon.

Other plays by the same author in English

Critical but stable

Friday the 13th

Him and Her

Strip Poker

 

This text is protected under copyright laws.

Criminal copyright infringement will be investigated

and may result in a maximum penalty of up to 3 years in prison

and a EUR 300.000 fine.

Paris – January 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-250-9

https://comediatheque.net

Play available for free download

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Amour propre et argent sale

The smell of money –  El olor del dinero – O cheiro do dinheiro 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes et 2 femmes

Frédéric, peintre désargenté, refuse par amour propre l’argent sale que lui laisse son père après sa disparition. Mais en refusant par fierté cet héritage que lui lègue un père qui l’a abandonné lorsqu’il avait cinq ans, il entre en conflit avec sa compagne et avec sa sœur, moins regardantes sur l’origine de cette fortune inespérée, qu’elles ont toutes deux de bonnes raisons de ne pas vouloir laisser filer. Qui est vraiment cet homme venu leur proposer dix millions en l’échange d’une simple signature, et quelle est l’origine exacte de ces fonds ? À chacun sa vérité…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Amour propre et argent sale
Personnages

 Frédéric
Delphine
Carlos
Vanessa

 SCÈNE 1

Le modeste atelier de peintre de Frédéric, qui sert aussi de salon, dans le loft qu’il habite avec sa compagne Delphine. Derrière son chevalet, Frédéric travaille à une toile, tout en écoutant de la musique. Delphine arrive depuis l’extérieur, un imper sur le dos et un cartable à la main.

Delphine – Salut !

Frédéric – Tu es déjà là ?

Delphine – Quel accueil… Si je te dérange, je peux repasser dans une heure.

Frédéric – Excuse-moi… Je n’ai pas vu le temps passer.

Frédéric arrête la musique, mais continue à peindre.

Delphine – Tu as bien de la chance… Moi, elle m’a paru interminable, cette journée… (Elle ôte son imper, pose son cartable, s’approche de lui et dépose un baiser sur ses lèvres.) Désolée de t’interrompre en plein travail… J’espère qu’un jour, tu pourras avoir ton propre atelier.

Frédéric – Celui-là me va très bien.

Delphine – Je veux dire un atelier à toi, qui ne serve pas en même temps de salle de séjour. Pour ne pas te déranger en rentrant du boulot.

Frédéric – Tu ne me déranges jamais, tu le sais bien.

Elle jette un regard au tableau.

Delphine – C’est une nouvelle toile ?

Frédéric – Oui…

Delphine – Encore un visage… Mystérieux, indéchiffrable…

Frédéric – On peut passer toute sa vie à essayer de percer le mystère d’un visage.

Delphine – Et toujours pas de modèle…

Frédéric – Tu veux que je fasse ton portrait ?

Delphine – Pour que tu me perces à jour, comme tu dis ? Tu serais déçu. Je n’ai rien à cacher…

Frédéric – On a tous quelque chose à cacher. Pour moi, tu resteras à jamais une femme très mystérieuse.

Delphine – Qu’est-ce qui t’étonne tellement, chez moi ?

Frédéric – Que tu aies choisi de vivre avec moi, pour commencer.

Delphine – Ça s’appelle l’amour, non ?

Frédéric – Alors c’est que l’amour est quelque chose de très mystérieux.

Delphine – C’est vrai… D’ailleurs, je me demande pourquoi toi, tu as choisi de vivre avec moi.

Frédéric – Oh, ça c’est très simple.

Delphine – Je t’écoute.

Il pose ses pinceaux, s’approche d’elle et l’enlace.

Frédéric – Mais parce que tu es fonctionnaire de l’Éducation Nationale ! Pour un artiste, c’est rassurant, le fonctionnariat.

Delphine (amusée) – Salaud…

Frédéric – Sans toi… aucune banque ne nous aurait consenti un crédit sur trente ans, pour l’acquisition de cet ancien garage qu’on appelle aujourd’hui un loft.

Delphine – En tout cas, moi je ne t’ai pas choisi pour ton romantisme…

Frédéric – Tu te trompes, je suis un grand romantique. Contraint de cacher sa sensibilité à fleur de peau derrière un apparent cynisme.

Delphine – Tu as raison, continue à peindre sans modèle. Je n’aimerais pas trop rentrer chez moi et trouver une fille à poil, vautrée sur mon canapé dans une pose lascive…

Frédéric – Tu veux poser pour moi ? Nue… Dans une pose lascive…

Delphine – Je n’aurais pas la patience. Et il faudrait remonter le chauffage…

Frédéric – Je ne suis pas sûr qu’on ait les moyens… Bon, je crois que je vais m’arrêter là.

Delphine – Je t’ai déconcentré.

Frédéric – J’adore quand tu me déconcentres… Ça s’est bien passé, ta rentrée ?

Delphine – Pré-rentrée… Aujourd’hui, c’était seulement les enseignants. Le grand jour, c’est lundi. On lâche les fauves…

Frédéric – On a interdit les animaux dans les cirques. On devrait interdire aussi les enfants dans les écoles.

Delphine – Mais je n’aurais plus de boulot. On ne mange déjà que des patates.

Frédéric – J’adore les patates. En tout cas, j’adore en manger avec toi.

Delphine – On va s’en sortir. Ils finiront bien par s’apercevoir que tu as du talent.

Frédéric – Je n’ai pas vendu une toile depuis des semaines.

Delphine – Avec ton site internet, ça t’avait ramené quelques visiteurs, pourtant.

Frédéric – Oui. Ils viennent, ils regardent, ils bavardent… À n’importe quelle heure. Je leur offre un café, mais c’est rare qu’ils sortent le carnet de chèques à la fin.

Delphine – Ton expo avait bien marché.

Frédéric – Une expo dans un restaurant… Tant que je ne serai pas dans une galerie digne de ce nom. À Paris de préférence…

Delphine – Mais tu refuses de les contacter, les galeries parisiennes !

Frédéric – À quoi ça servirait ? Personne ne me connaît. Et ils sont déjà tellement sollicités…

Delphine – Et ton mystérieux collectionneur russe ? Celui qui t’achetait un tableau tous les mois, pour se le faire livrer à Londres…

Frédéric – Je n’ai plus de nouvelles… Il est peut-être mort…

Delphine – Allez… Il y en aura d’autres…

Frédéric – Bien sûr… Je me suis occupé du dîner.

Delphine – Génial ! Qu’est-ce qu’on mange ?

Frédéric – Des patates.

Delphine – Super… Frites ? Purée ?

Frédéric – C’est une nouvelle recette. Je crois qu’on appelle ça… des pommes de terre en robe de chambre.

Delphine – Je vais passer la mienne, et je suis à toi dans un instant. Pour une soirée romantique…

Frédéric – Ça ne te dérange pas si je reste comme ça ? Je porte très mal la robe de chambre.

Delphine – Je vais en profiter pour prendre une douche.

Elle sort. Il considère son tableau avec un air insatisfait. On sonne. Il va ouvrir, et revient accompagné de Carlos.

Frédéric – Je vous en prie, entrez… Voilà mon atelier…

Carlos – Merci de me recevoir à l’improviste.

Frédéric – J’ai l’habitude… Mais il vaut mieux téléphoner avant. J’aurais pu ne pas être là…

Carlos – Je serai repassé… (Il jette un regard sur la toile.) C’est très… troublant, ce portrait. Mais c’est magnifique. C’est un visage d’homme ou de femme ?

Frédéric – Ça… Ça fait partie du mystère…

Carlos – La vérité ne s’offre jamais au premier regard, dans toute sa nudité…

Frédéric – Sinon, autant faire une photo.

Carlos – Le mystère, c’est ce qui fait tout le charme de la Joconde, n’est-ce pas ?

Frédéric – Pour la Joconde, au moins, on sait que c’est une femme… Mais vous avez raison. Je peins pour accéder à une certaine forme de vérité. En représentant la réalité autrement qu’elle apparaît à première vue. J’en parlais justement avec ma femme…

Carlos – Vous êtes donc marié…

Intrigué par le tour personnel que prend la conversation, Frédéric se contente de sourire.

Frédéric – Vous avez découvert mes toiles sur mon site internet ?

Carlos – Non…

Frédéric – Vous êtes galeriste ? Collectionneur ? Ou simplement amateur de peinture ?

Carlos – J’aime la peinture, c’est vrai… mais je ne suis rien de tout ça. Pour tout vous dire… je ne viens pas pour acheter une toile.

Frédéric – Maintenant que vous êtes là, vous pouvez toujours jeter un coup d’œil, ça n’engage à rien.

Carlos – Ce que j’ai à vous dire n’a rien à voir avec la peinture, hélas…

Frédéric – Je vous écoute…

Carlos – Je suis venu pour vous annoncer une mauvaise nouvelle.

Frédéric – Je me disais bien aussi… Mais allez-y, je vous en prie.

Carlos – Vous êtes déjà au courant, peut-être…

Frédéric – Non, non… Disons que… je ne suis pas habitué à ce que des inconnus viennent sonner chez moi à l’improviste pour m’annoncer des bonnes nouvelles.

Carlos – Derrière une mauvaise nouvelle, vous savez, il y a aussi souvent une contrepartie positive.

Frédéric – Vous commencez à m’inquiéter un peu… Vous n’êtes pas Témoin de Jéhovah, au moins ?

Carlos – Non, rassurez-vous.

Frédéric – Alors qui êtes-vous ? Et qu’est-ce que vous avez à me dire de si urgent ?

Carlos – Je suis… Enfin, j’étais l’avocat de votre père.

Frédéric – Mon père ?

Carlos – Charles. Charles Andreani. Vous êtes bien son fils ?

Frédéric – Oui… Il paraît.

Carlos – Eh bien… Votre père nous a quittés.

Frédéric – J’en suis désolé pour vous. Mais vous savez, ma mère, ma sœur et moi, il y a déjà pas mal d’années qu’il nous a quittés nous aussi.

Carlos – Je voulais dire que… Monsieur Andreani est décédé.

Frédéric – J’avais compris.

Carlos – Je sais que vous n’aviez plus de relations avec votre père depuis pas mal de temps, et je comprends que cette visite vous prenne un peu de court. J’aurais pu vous adresser un courrier, bien sûr. Mais je tenais à vous prévenir en personne.

Frédéric – Quand mon père a quitté la France, j’avais cinq ans. Ma mère est décédée il y a quelques années. Elle n’avait plus de nouvelles de lui depuis bien longtemps. Évidemment, il n’est pas venu à son enterrement non plus. Vous comprendrez que l’annonce de sa disparition ne me bouleverse pas plus que ça.

Carlos – Je comprends.

Frédéric – D’après ce que nous avait raconté ma mère, il était parti aux États-Unis dans l’espoir d’y faire fortune, en montant un restaurant là-bas… C’est tout ce que je sais…

Carlos – Il est mort au Mexique. C’est là qu’il était installé depuis des années.

Frédéric – Vous êtes Mexicain ?

Carlos – C’est un peu plus compliqué que ça.

Frédéric – Le contraire m’aurait étonné. Et qu’est-ce qu’il faisait au Mexique ?

Carlos – Il tenait… des restaurants, justement. Enfin, des bars plutôt…

Frédéric – Notre mère nous a dit que ses affaires aux États-Unis n’avaient pas aussi bien marché qu’il l’espérait.

Carlos – C’est pour ça qu’il est allé au Mexique.

Frédéric – Et c’est un avocat qu’il a choisi pour m’annoncer sa mort ? Pourquoi, il veut me faire un procès ?

Carlos – Je comprends votre amertume, croyez-moi.

Frédéric – Ça m’étonnerait.

Carlos – Mais au-delà de l’aspect affectif, il y a aussi l’aspect légal… et financier. C’est là où j’en arrive, la contrepartie positive…

Frédéric – C’est-à-dire ?

Carlos – Vous étiez son fils. C’est vous l’héritier.

Frédéric – L’héritier ?

Carlos – Avec votre sœur, évidemment.

Frédéric – Vous êtes allé voir Vanessa ?

Carlos – Oui.

Frédéric – Mais il laisse quoi, exactement ? Des bistrots, c’est ça ? J’aime bien la Corona, c’est vrai, mais je ne me vois pas trop en patron de bar au Mexique. Et je ne suis pas sûr que ma femme se verrait tenir la caisse, non plus.

Carlos – Votre père possédait des bars, c’est vrai. Mais dans les dernières années de sa vie, il s’était désengagé de cette activité, et il avait placé une bonne partie de sa fortune en Europe.

Frédéric – Vous avez bien dit… sa fortune ?

Carlos – Oui… Enfin, il n’était pas milliardaire non plus.

Frédéric – Mais on parle de combien, exactement ?

Carlos – Je ne peux pas vous le dire avec précision aujourd’hui, mais vous le saurez bientôt. Dans un premier temps, je voulais vous avertir du décès de votre père.

Frédéric – Vous êtes vraiment avocat ?

Carlos – J’étais surtout son homme de confiance… et son ami.

Frédéric – Son ami ?

Carlos – Disons que… je l’ai aidé plus d’une fois à sortir de situations un peu délicates.

Frédéric – Vous êtes avocat, alors quand vous dites « situations délicates », ça inclut aussi la prison ?

Carlos – Vous savez, on ne fait pas fortune sans prendre quelques risques. Surtout au Mexique. Ce qui veut dire parfois prendre quelques libertés avec la loi…

Frédéric – Je ne suis pas sûr de vouloir en savoir plus.

Carlos – C’est peut-être mieux, en effet.

Frédéric – Et je peux toujours refuser l’héritage.

Carlos – Je vous laisse réfléchir à tout ça, mais ce serait dommage.

Frédéric – C’est tout réfléchi. L’argent ne m’intéresse pas. Et surtout pas celui de mon père.

Carlos – Prenez le temps de faire votre deuil. Et parlez-en avec votre femme. Les femmes sont souvent de bon conseil. Surtout lorsqu’il s’agit d’argent…

Frédéric – Mon deuil est déjà fait depuis longtemps. Et j’imagine que les obsèques ont déjà eu lieu ?

Carlos – Il n’y a pas eu d’obsèques. On n’a pas retrouvé son corps.

Frédéric – Comment ça, on n’a pas retrouvé son corps ? Il est mort comment ?

Carlos – Il était dans un avion. Un petit avion qui s’est crashé en mer au large de Vera Cruz. On n’a retrouvé que les débris de la carlingue…

Frédéric – Décidément, mon père sera resté jusqu’au bout quelqu’un de très… insaisissable.

Delphine revient, en robe de chambre.

Delphine – Désolée de vous recevoir dans cette tenue, je ne savais pas que nous avions de la visite…

Carlos – C’est moi qui m’excuse, chère Madame… D’ailleurs, je partais…

Delphine – Ce n’est pas moi qui vous chasse, j’espère. Je peux retirer cette robe de chambre, vous savez. (Carlos lui lance un regard étonné.) Enfin, je veux dire… pour mettre une tenue plus décente à la place.

Carlos – Il est tard. Nous nous reverrons bientôt pour reparler de tout ça. À tête reposée. Madame, mes hommages.

Frédéric – Je n’ai même pas vos coordonnées…

Delphine fait un mouvement pour le raccompagner.

Carlos – C’est moi qui vous recontacterai. Ne vous dérangez pas, je connais le chemin.

Il sort.

Delphine – C’était qui, ce type ?

Frédéric – Un ami de mon père.

Delphine – Ton père ? Tu m’as dit que tu l’avais à peine connu. Je pensais qu’il était mort…

Frédéric – Oui, moi aussi…

Delphine – Et qu’est-ce qu’il voulait ?

Frédéric – M’annoncer que mon père était mort.

Delphine – Je suis vraiment désolée.

Frédéric – Au moins, maintenant, c’est officiel…

Delphine – Ça va ?

Frédéric – La dernière fois que je l’ai vu, j’étais encore un gamin.

Delphine – Mais tu te souviens de lui ?

Frédéric – Je ne sais plus très bien ce dont je me souviens… et ce que j’ai inventé. Tout ça se mélange un peu dans ma tête…

Delphine – Et donc tu lui en veux… Enfin… tu lui en voulais…

Frédéric – Je lui en ai voulu, bien sûr. Au début. Après je m’en suis voulu à moi-même…

Delphine – Pourquoi ?

Frédéric – Je me demandais si ce n’était pas à cause de moi qu’il était parti.

Delphine – C’est idiot… mais je comprends ça. C’est à ta mère qu’il aurait fallu demander…

Frédéric – Oui… Mais ce n’est pas le genre de sujets qu’il est facile d’aborder avec sa mère.

Delphine – Évidemment…

Frédéric – Et puis au bout d’un certain temps… je me suis fait une raison. J’avais presque réussi à l’oublier. Si je l’avais croisé dans la rue, je ne l’aurais sûrement pas reconnu.

Delphine – Et ce soir, un inconnu sonne à la porte pour t’annoncer sa disparition…

Frédéric – Ça me fait quand même bizarre de savoir qu’il est vraiment mort.

Delphine – Je ne sais pas quoi te dire…

Frédéric – Je n’ai pas dit que ça m’attristait particulièrement. Il nous a tous abandonnés il y a des années, et on n’a plus jamais eu aucune nouvelle.

Delphine – Alors pourquoi avoir pris la peine de te faire prévenir de son décès ?

Frédéric – Pour régler la succession, il paraît.

Delphine – Ah oui, c’est vrai… Il y a ça aussi… Et c’est un ami qu’il a chargé de régler sa succession ?

Frédéric – Ce type était aussi son avocat…

Delphine – Il n’a pas vraiment une tête d’avocat.

Frédéric – Oui, c’est ce que je me suis dit en le voyant.

Delphine – Il s’appelle comment ?

Frédéric – Je n’ai même pas pensé à lui demander. J’étais tellement surpris. Il est Mexicain.

Delphine – Mexicain ?

Frédéric – Oui, je sais, il n’a pas non plus une tête de Mexicain…

Delphine – En même temps, on n’est jamais allé là-bas. J’imagine que tous les Mexicains n’ont pas le teint basané, de grosses moustaches, et qu’ils ne se baladent pas tous avec un sombrero et une cartouchière en travers de la poitrine, façon Pancho Villa…

Frédéric – Sûrement pas les avocats, en tout cas… À ce qu’il m’a dit, mon père tenait des bars louches au Mexique.

Delphine – Il t’a dit ça comme ça ? Des bars louches ?

Frédéric – C’est ce que j’ai compris. De toute façon, je vais refuser l’héritage.

Delphine – Bon… Tu es sûr ?

Frédéric – Sûr de quoi ?

Delphine – Que tu veux refuser l’héritage.

Frédéric – Je ne veux pas de complications. Et surtout, je ne veux pas de cet argent.

Delphine – Beaucoup d’argent ?

Frédéric – Je ne sais pas… Il ne m’a pas dit.

Delphine – Et tu ne lui as pas demandé ?

Frédéric – Il venait de m’apprendre la mort de mon père…

Delphine – Excuse-moi, mais comme tu m’as dit que tu t’en foutais un peu… C’est idiot de ma part. Personne ne se fout vraiment à ce point de la mort de son père.

Frédéric – Pour l’héritage, il ne m’a pas dit combien. Mais d’après ce que je sais de mon père, il y a sûrement plus d’emmerdements à attendre que d’argent.

Delphine – Réfléchis quand même. Refuser l’héritage de son père, ce n’est pas seulement une histoire d’argent. Il y a tout une dimension symbolique, aussi…

Frédéric – Ah oui…? J’en parlerais bien à mon psychanalyste, mais je n’ai pas les moyens de m’en payer un.

Delphine – Justement… De l’argent, on n’en a pas trop.

Frédéric – On en a assez pour vivre.

Delphine – Si tu le dis.

Frédéric – Tant qu’on a de quoi acheter des patates…

Delphine – C’est toi qui décides… C’est ton père…

Frédéric – Voilà… C’est mon père…

Delphine – Et ta sœur ?

Frédéric – Il est passé la voir aussi.

Delphine – On ne va pas tarder à avoir de ses nouvelles, alors.

Frédéric – Sûrement pas ce soir. Elle doit être assez retournée par tout ça…

Delphine – Tu ne veux pas l’appeler ?

Frédéric – Pour lui dire quoi ?

Delphine – Je ne sais pas… Bon… Alors à table.

On sonne.

Frédéric – Moi qui pensais passer une soirée tranquille…

Delphine va ouvrir. Elle revient avec Vanessa, la sœur de Frédéric.

Vanessa – Alors, vous l’avez vu ?

Delphine – Il vient de partir. Tu aurais pu le croiser…

Vanessa (très excitée) – C’est dingue, cette histoire ! J’ai l’impression d’avoir vu le Père Noël, et je me pince pour être sûre de ne pas avoir rêvé.

Frédéric – Salut Vanessa. J’imagine qu’en fait de Père Noël, tu fais référence à cet avocat mexicain qui vient de nous annoncer la mort de notre père.

Vanessa – Ce n’est pas encore une de tes blagues, au moins…

Frédéric – Non, non, rassure-toi. Ce n’est pas une blague. Papa est bien mort…

Vanessa (se reprenant un peu) – C’est vrai… C’était notre père, tout de même…

Delphine – Tu veux boire quelque chose ? Un café ?

Vanessa – Merci, je suis déjà assez énervée comme ça…

Frédéric – Une tisane Nuit Tranquille ?

Vanessa – Bon, en même temps, tout le monde le croyait mort depuis longtemps. En somme, c’est juste une confirmation.

Delphine – Pas de tisane non plus…

Vanessa – Il paraît qu’il n’y a même pas eu d’enterrement. C’est incroyable…

Frédéric – Pourquoi ? Tu y serais allée ?

Vanessa – Pas toi ?

Frédéric – Je ne sais pas. C’est loin, le Mexique…

Vanessa – Bon… Il est mort, il est mort… Mais il t’a parlé de l’héritage ?

Frédéric – Tu sais, moi… L’argent…

Vanessa – Oui, enfin… On a beau ne pas s’intéresser à l’argent… Là on parle de 10 millions d’euros, quand même…

Delphine – Pardon ?

Vanessa – Ce n’est pas ce qu’il t’a dit ?

Frédéric – Il n’a pas été aussi précis. Et je n’ai pas demandé de détails…

Vanessa – Ça ferait dans les cinq millions chacun.

Frédéric – Ne t’emballe pas trop vite… Je crains que ce ne soit pas aussi simple…

Vanessa – Même s’il y a quelques formalités, et qu’il faut attendre un peu pour toucher les fonds…

Frédéric – Ce n’est pas à ça que je pensais…

Vanessa – Quoi d’autre ?

Frédéric – Il a parlé d’affaires plus ou moins légales. Au Mexique. Et crois-moi, pour qu’une activité soit considérée comme illégale au Mexique, on ne parle sûrement pas d’une simple fraude fiscale.

Vanessa – Il m’a affirmé que tout cet argent était parfaitement clean. Qu’il avait tout réinvesti dans l’immobilier à Paris…

Frédéric – Ça reste de l’argent sale. Ça ne te pose pas de problème ?

Vanessa – De l’argent, c’est de l’argent. Et l’argent n’a pas d’odeur.

Frédéric – Ah, d’accord… Si on se met à convoquer la sagesse populaire, alors…

Vanessa – Tu n’es pas de mon avis, Delphine ?

Delphine – Il s’agit de votre père… C’est à vous de décider ce que vous voulez faire de cet argent…

Vanessa – L’argent… Ça va, ça vient. Du moment que maintenant, c’est de l’argent propre…

Frédéric – Ça s’appelle du blanchiment…

Vanessa – L’argent, ça circule ! Qu’est-ce qui te dit qu’à un moment donné, l’argent que tu as dans la poche n’a pas servi à acheter de la drogue ?

Frédéric – Tu as raison… Le propre de l’argent, c’est d’être sale. Je crois même que Freud disait que c’était de la merde. C’est pour ça que j’évite d’en avoir dans ma poche.

Vanessa – C’est vrai, j’oubliais… Monsieur est un artiste… L’argent… Monsieur est au-dessus de tout ça…

Frédéric – Tout le monde ne peut pas vivre de la spéculation immobilière, comme ton cher mari…

Vanessa – Parce que l’art, ce n’est pas un marché, peut-être ? Enfin, pour les artistes qui arrivent à vendre leurs tableaux, bien sûr…

Delphine – On va peut-être se calmer un peu, là, non ?

Vanessa – Eh bien moi, figure-toi, je ne cracherai pas sur cinq millions. D’où qu’ils viennent… C’est notre père, après tout. On ne peut pas dire qu’il se soit beaucoup occupé de nous. On a bien droit à une petite compensation…

Frédéric – Notre père ? On ne sait rien de sa vie. Encore moins de ses affaires. Quant à son prétendu avocat mexicain…

Vanessa – Il ne vient pas pour nous demander de l’argent, il vient nous en donner !

Frédéric – Je te rappelle que quand on accepte un héritage, on prend l’actif et le passif. Dans son cas, je ne suis pas sûr que l’actif compense le passif. Dans tous les sens du terme…

Delphine – Vous pouvez toujours accepter sous bénéfice d’inventaire…

Vanessa – Elle a raison… Rien ne nous empêche de prendre l’avis d’un notaire.

Frédéric – Vous croyez vraiment qu’un petit notaire de banlieue sera capable de nous dire s’il faut accepter ou non l’héritage d’un mafioso mexicain ?

Delphine – Un mafioso… Tu ne crois pas que tu exagères un peu…?

Frédéric – Et ton mari, qu’est-ce qu’il en pense ?

Vanessa – Marc ? Je ne lui en ai pas encore parlé… J’attendais d’être sûre.

Frédéric – Sûre du montant de l’héritage ?

Vanessa – Sûre que je ne rêve pas !

Frédéric – Bon, eh bien merci de ta visite, Vanessa. C’est vrai que tu ne nous fais pas souvent l’honneur de venir nous voir…

Vanessa – Je pourrais te renvoyer le compliment. Ça fait combien de temps que tu n’as pas vu tes neveu et nièce ?

Delphine (pour détendre l’atmosphère) – Tu ne veux pas rester dîner avec nous ?

Frédéric – On a fait des patates… Ça te changera… Tu ne dois sûrement pas en manger souvent… Tu verras, c’est très bon… quand c’est bien préparé.

Vanessa (à Delphine) – C’est gentil, merci, mais je crois que je ne pourrais rien avaler. D’ailleurs, il faut que j’y aille. Marc va se demander où je suis passée. Et les enfants aussi. On reparle de tout ça demain, d’accord ?

Frédéric – C’est ça… Bonne nuit… Et fais de beaux rêves…

Vanessa – C’est dingue, cette histoire… Dix millions…

Vanessa sort.

Delphine (ironique) – Tu avais raison, elle a l’air complètement bouleversée par la mort de son père…

Frédéric – Je ne comprends pas… Elle, elle n’a même pas besoin d’argent… Son mari gagne plus en un mois que nous deux en deux ans.

Delphine – Son mari, oui…

Frédéric – Elle n’a même pas besoin de travailler !

Delphine – Justement… Elle a peut-être envie d’avoir de l’argent à elle. Pour moins dépendre de son mari.

Frédéric – Si j’avais cinq millions, je ne saurais même pas quoi en faire.

Delphine – Cinq millions, moi non plus. Mais si j’avais cinq mille euros, je saurais sûrement. Et pour le reste, on aurait le temps de réfléchir… Je suis sûre qu’on finirait par avoir des idées…

Frédéric – Ouais. Comme quoi ?

Delphine – Je ne sais pas… Solder le crédit de cet appartement, pour commencer. Pour éviter que la moitié de mon salaire soit confisqué tous les mois par la banque… Et qu’il nous reste quelque chose pour mettre du beurre sur les patates…

Frédéric – Méfie-toi, le beurre, ça fait grossir.

Delphine – J’ai perdu trois kilos depuis un an, et tu ne t’en es même pas rendu compte. Prends le temps de réfléchir, Frédéric. Cinq millions, ça changerait notre vie.

Frédéric – En mieux, tu es sûre ? (Ironique) Pour citer les grands proverbes, comme ma sœur, je te rappelle que « l’argent ne fait pas le bonheur »…

Delphine – Qu’est-ce qui te gêne, exactement, à l’idée d’avoir quelques millions ? Si tu essaies de vendre tes toiles, c’est bien pour avoir de l’argent.

Frédéric – Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ! De l’argent que j’aurais gagné par moi-même, oui. Mais je ne me vois pas vivre avec l’argent de cet homme que j’ai toujours détesté. J’ai le droit, non ? Et puis on n’a pas vraiment besoin d’argent.

Delphine – Parle pour toi…

Frédéric – Pardon ?

Delphine – Toi tu n’as pas besoin d’argent, c’est moi qui paie les factures !

Frédéric – D’accord… Nous y voilà…

Delphine – Si tu as une bonne raison de refuser cet argent, dis-le moi, Frédéric. S’il s’agit de quelque chose de grave, je comprendrai.

Frédéric – Je ne suis pas un enfant battu, si c’est ça que tu veux dire… Et je n’ai pas non plus subi d’abus sexuels… Mon père nous a abandonnés. Je ne veux rien qui vienne de lui, c’est tout. On est pas heureux, tous les deux ?

Delphine – Si…

Frédéric – Cet argent ne nous apportera rien de bon, crois-moi. Rien de ce qui vient de mon père ne pourra nous apporter quelque chose de bien.

Delphine – Je comprends que tout ça ne soit pas simple pour toi. Mais aujourd’hui, je te demande de penser un peu à moi.

Frédéric – À toi ?

Delphine – Toi tu as réalisé ton rêve, Frédéric. Tu es peintre.

Frédéric – Oui… Grâce à toi, je sais…

Delphine – Moi, si je n’avais plus à travailler…

Frédéric – Je pensais que tu aimais ton travail d’institutrice. Que tu te sentais utile…

Delphine – Je l’ai aimé… Mais je me sens de moins en moins utile. Enseigner en banlieue, tu sais, c’est devenu très difficile. Je ne dis pas que je ne sers à rien, mais je passerais bien le flambeau à quelqu’un d’autre. Pour faire enfin ce que j’ai envie de faire. En tout cas essayer…

Frédéric – Comme quoi ?

Delphine – Tu me crois incapable d’avoir des envies personnelles, c’est ça ?

Frédéric – Mais pas du tout ! Je te demande seulement ce que tu ferais si tu n’avais plus à travailler !

Delphine – Je ne sais pas… Je me mettrais peut-être à écrire…

Frédéric – Je ne savais pas que tu voulais écrire… Tu ne m’en as jamais parlé…

Delphine – Parce que jusqu’à maintenant, figure-toi, deux artistes, dans notre couple, c’était au moins un de trop…

Silence.

Frédéric – D’accord, je te promets d’y réfléchir…

Delphine – Merci…

Frédéric – Mais je ne te promets pas de changer d’avis…

Noir

 

SCÈNE 2

 

Frédéric est en train de peindre, mais cette fois sans musique. Le téléphone sonne. Il décroche à regret.

Frédéric – Oui…? Le Crédit Solidaire ? Ah, oui, d’accord… Si, si, nous avons bien un compte chez vous… Et un crédit sur trente ans, en effet… Je comprends… Enfin non, je ne comprends pas… Ça doit une erreur… Je sais, le Crédit Solidaire ne fait jamais d’erreur… Non, non, bien sûr… D’accord, je vais en parler à ma femme, c’est elle qui s’occupe de… Et elle vous rappelle, c’est ça… Merci… Joyeux Noël à vous aussi…

Il soupire, l’air inquiet, et se remet à peindre. On sonne. Il va ouvrir, visiblement contrarié, et revient avec Carlos, une mallette dans une main et un sac en papier dans l’autre.

Frédéric – Décidément, on se quitte plus…

Carlos – J’ai pris des chouquettes à la boulangerie d’en bas. Elles avaient l’air tellement bonnes. Je n’ai pas pu résister. (Lui tendant le paquet) Vous en voulez ?

Frédéric – Vous pensez vraiment pouvoir m’acheter avec des chouquettes ?

Carlos – Je ne suis pas là pour vous acheter, Frédéric. Je vous propose cinq millions, et il n’y a aucune contrepartie.

Frédéric prend le sac en papier et le pose sur la table à côté d’une cafetière.

Frédéric – Je suis supposé vous offrir un café en échange, j’imagine.

Carlos – En échange des cinq millions ? Je savais que Paris était une ville hors de prix, mais là… ce serait le café le plus cher que je n’ai jamais bu.

Frédéric – Bon, vous voulez un café, oui ou merde ?

Carlos – Ma foi, ce n’est pas de refus. C’est si gentiment proposé…

Frédéric lui sert un café. Ils s’asseyent, prennent chacun une chouquette, et la mangent.

Frédéric – Merci pour les chouquettes…

Carlos – Ça fait des années que je n’en avais pas mangées…

Frédéric – On ne fait pas de chouquettes, au Mexique ?

Carlos mange une chouquette.

Carlos – C’est ma madeleine de Proust à moi… Il y a des tas de souvenirs qui remontent à la surface…

Frédéric – Vous avez donc vécu en France… D’ailleurs vous parlez français mieux que moi. Qu’est-ce qui vous a amené au Mexique, vous aussi ?

Carlos – Je vous raconterai ma vie une autre fois… Pour l’instant, c’est de votre père dont il s’agit.

Frédéric – Je vous écoute…

Carlos – J’ai besoin de connaître votre décision. Votre sœur, comme vous le savez, a décidé d’accepter l’héritage.

Frédéric – Et si moi je refuse ?

Carlos – La totalité lui reviendra.

Frédéric – Et elle se fout de savoir d’où vient cet argent ?

Carlos – Je lui ai fourni toutes les garanties nécessaires. Ainsi qu’à son notaire. Tout est parfaitement en règle avec le fisc français.

Frédéric – Si vous le dites… Mais ce n’est pas le sens de ma question. Que cet argent soit aujourd’hui légal, c’est une chose. Mais d’où vient-il ? Moi j’ai besoin de le savoir…

Carlos – Votre sœur n’a pas autant de scrupules que vous.

Frédéric – Je préfère prendre ça pour un compliment…

Carlos – Et votre beau-frère non plus…

Frédéric – Il est marchand de biens… Et comme vous le savez, un marchand de biens, ce n’est pas forcément un modèle de moralité. D’où vient cet argent ?

Carlos – Je vous l’ai dit, votre père possédait des bars.

Frédéric – Ne vous moquez pas de moi. On ne gagne pas dix millions sur vingt ans en vendant de la tequila à des Mexicains.

Carlos – Je serai franc avec vous… Les bars que possédait votre père employaient aussi… des hôtesses.

Frédéric – Des hôtesses ? Voyez-vous ça… Mon père tenait donc des bordels, et je suis le fils d’un proxénète.

Carlos – C’est un point de vue.

Frédéric – Ce n’est pas le vôtre ?

Carlos – C’est un peu comme pour la peinture, vous savez. Les choses paraissent toujours très simples quand on les voit de loin. Quand on en est plus proche, on se rend compte qu’elles sont plus complexes.

Frédéric – Merci pour cette petite leçon de perspective… Mais vous m’avez dit que mon père était en délicatesse avec la justice. J’imagine qu’au Mexique, on n’inquiète pas les gens pour une simple affaire de proxénétisme. Est-ce que par hasard, mon père n’aurait pas vendu autre chose que des femmes et de l’alcool, dans ses lupanars ?

Carlos – Il lui arrivait en effet de fournir à certains clients des substances moins licites…

Frédéric – Donc il était aussi trafiquant de drogue.

Carlos – Je dirais plutôt détaillant. J’ai été honnête avec vous. Mais il est préférable que vous n’en sachiez pas plus.

Frédéric – Ah, parce qu’il y a autre chose ?

Carlos – Votre père n’était pas le salaud que vous pensez.

Frédéric – Vous venez me dire que c’était un proxénète et un dealer. Par simple curiosité, je pourrais savoir quelle est votre définition d’un salaud ?

Carlos – Ces bordels existaient déjà avant que Charles en prenne le contrôle. La prostitution est le plus vieux métier du monde. Et le trafic de drogue n’a pas non plus attendu votre père pour prospérer au Mexique. Il n’a rien inventé, vous savez…

Frédéric – Je réitère ma question : il y a-t-il autre chose que je devrais savoir ?

Carlos – Votre père a eu des ennuis avec la justice, c’est vrai. Il a fait de la prison. Et il était sur le point d’y retourner quand il est mort dans cet accident d’avion.

Frédéric – Pour quel motif ?

Carlos – On l’a accusé de meurtre. Compte tenu de ses antécédents, il risquait la perpétuité…

Frédéric – Une erreur judiciaire, je présume.

Carlos – Votre père n’a tué personne de sang froid, je vous le promets.

Frédéric – Ça me rassure, en effet. Donc, il avait le sang chaud ?

Carlos – Tout ce que vous devez savoir, c’est que Charles s’était désengagé de toutes ses affaires au Mexique, et qu’il avait réinvesti son capital dans des appartements de luxe à Paris et à Londres. Toutes ses affaires sont maintenant entièrement légales. J’ai fait ce qu’il fallait pour ça.

Frédéric – Mais ça reste de l’argent sale.

Carlos – Le propre et le sale, vous savez… Il ne faut pas juger les gens trop vite. Surtout pas ses parents. On croit les connaître mieux que personne, mais finalement (s’approchant du chevalet et désignant la toile) on ne connaît d’eux que le visage qu’ils nous présentent. La surface ridée d’un lac dont les profondeurs nous resteront à jamais inconnues…

Frédéric – Je ne sais rien de mon père… Je ne me souviens même plus de son visage…

Carlos – Raison de plus pour ne pas le condamner sur des apparences.

Frédéric – Mon seul luxe, c’est de pouvoir me regarder le matin dans la glace… Je ne veux pas y renoncer pour cinq millions d’euros.

Carlos – Personne ne peut vous contraindre à accepter cet héritage. Mais je pense que ce serait une erreur de votre part de le refuser. Une erreur que vous regretterez sans doute un jour ou l’autre…

Frédéric – C’est une menace ?

Carlos – C’est un conseil d’ami. Si vous refusez votre part, la totalité ira à votre sœur. Voilà tout.

Frédéric – Et vous lui avez raconté tout ça ?

Carlos – Elle m’a clairement dit qu’elle préférait ne pas savoir.

Frédéric – Je vois…

Carlos se lève pour partir.

Carlos – Je vous laisse encore réfléchir jusqu’à demain. Après, je dois repartir…

Frédéric – Comme vous voudrez, mais après ce que vous venez de me dire, vous pensez vraiment que je vais changer d’avis ?

Carlos admire à nouveau le tableau.

Carlos – C’est vraiment très beau, ce que vous peignez…

Frédéric – Merci…

Carlos – Et ce visage me rappelle vaguement celui de quelqu’un que j’ai très bien connu…

Frédéric – Ah oui…?

Carlos – Vous avez beaucoup de talent. Un artiste comme vous ne devrait se soucier que de son art. Je pense que c’est ce que votre père aurait voulu.

Frédéric – Il vous l’a dit ?

Carlos – Merci pour le café.

Carlos s’en va. Frédéric reste perplexe. Il examine le portrait, avant d’y apporter quelques retouches. Delphine arrive.

Frédéric – Alors, cette rentrée ?

Delphine – La routine… Quarante élèves par classe… dont il faut apprendre les prénoms… qui ne sont pas tous faciles à prononcer. Quelques têtes nouvelles parmi les enseignants… Des jeunes fraîchement diplômés qu’il faut veiller à ne pas décourager, alors que nous, on a du mal à continuer d’y croire.

Frédéric – Tu ne fais pas un métier facile, je sais… Mais si même toi tu n’y crois plus…

Delphine – J’y crois, Frédéric… Le jour où je n’y croirai vraiment plus, je ne pourrai pas continuer.

Frédéric – J’ai peur qu’un jour, ce soit en moi que tu ne crois plus…

Delphine – Ça n’arrivera jamais, rassure-toi.

Frédéric – Finalement, je suis comme tous ces gamins aux noms imprononçables. Moi aussi, j’ai besoin que quelqu’un croit en moi. Sans toi, j’aurais déjà baissé les bras…

Rapide étreinte.

Delphine – Et toi, ta journée ?

Frédéric – Rien de spécial…

Delphine – Bon…

Frédéric – Ah si… Le Crédit Solidaire a téléphoné.

Delphine – Je sais… Ils m’ont appelé sur mon portable…

Frédéric – Il y a un problème ?

Delphine – Ils n’ont pas pu prélever la mensualité de crédit ce mois-ci. On est à découvert…

Frédéric – Et on n’est que le 20 du mois…

Delphine – Oui… Le 20 décembre… Mais comme tu refuses obstinément de croire au Père Noël…

Frédéric – Si seulement je pouvais vendre une toile. Une seule…

Delphine – Je vais reprendre quelques cours particuliers.

Frédéric – Je pourrais en donner, moi aussi.

Delphine – Des cours de peinture ?

Frédéric – Ben oui, pas des cours de math…

Delphine – Et tu penses vraiment que tu trouverais des élèves ?

Frédéric – Je peux mettre des annonces à la boulangerie.

Delphine – Oui… Mais tu aurais moins de temps pour peindre…

Frédéric – Je me débrouillerai.

Un temps.

Delphine – J’ai croisé l’avocat, en arrivant.

Frédéric – Oui.

Delphine – Et ?

Frédéric – Rien. Il m’a apporté des chouquettes. Il en reste, tu en veux ? Elles sont très bonnes…

Delphine – Tu ne crois pas que ça pourrait résoudre tous nos problèmes ?

Frédéric – J’ai eu une discussion avec lui. Il m’a raconté comment mon père avait fait fortune.

Delphine – Comment ?

Frédéric – Son argent vient de la drogue et de la prostitution. Mon père a fait de la prison, et s’il n’était pas mort dans cet accident d’avion, il aurait pris perpète. Pour meurtre…

Delphine – D’accord…

Frédéric – Je sens qu’il y a un mais…

Delphine – Mais après tout, ce qui est fait, est fait. Imagine que tu as gagné au loto ! Si tu avais gagné au loto, tu prendrais l’argent ?

Frédéric – Bien sûr.

Delphine – Et alors ?

Frédéric – L’argent du loto ne vient pas de la drogue et de la prostitution.

Delphine – Pour la plupart des malheureux de ce pays, le loto est une drogue. L’argent du loto, il vient de tous les smicards qui laissent une partie de leur salaire chaque mois à la Française des Jeux en espérant faire fortune. Et qui se ruinent un peu plus chaque jour, en prenant cet argent pour jouer au lieu de remplir le frigo familial ou de payer la cantine de l’école ! Tu crois que c’est mieux ? C’est cet argent sale que quelques heureux gagnants empochent chaque semaine. Dans quel monde tu vis, Frédéric ?

Frédéric – Tu as l’air d’en connaître un rayon sur la Française des Jeux. Pourtant tu ne joues pas au loto…

Delphine – Qu’est-ce que tu en sais ?

Frédéric – Tu joues au loto ?

Delphine – Ça m’arrive.

Frédéric – Tu ne me l’as jamais dit.

Delphine – Eh bien tu vois, finalement, moi aussi j’ai ma part de mystère.

Frédéric – Je suis désolé.

Delphine – Désolé de quoi ?

Frédéric – Que ma femme en soit réduite à jouer au loto dans l’espoir de pouvoir payer le crédit de la maison.

Delphine – C’est sur toi que j’ai misé, Frédéric.

Frédéric – Et tu as perdu.

Delphine – Non. J’ai gagné. Je sais que tu as du talent.

Frédéric – Il reste à en convaincre les autres.

Delphine – On y arrivera. Mais pour ça il faut que tu puisses continuer à peindre. Pas que tu perdes ton temps à donner des cours de dessins à des ados ou des retraités.

Frédéric – Je ne peux pas faire ça.

Delphine – Quoi ?

Frédéric – Prendre cet argent.

Delphine – Où va aller cet argent si tu ne le prends pas ?

Frédéric – À ma sœur… Mais elle ne le prendra pas.

Delphine – Tu crois ?

Frédéric – Quand elle saura d’où vient vraiment ce fric, elle refusera l’héritage. Comme moi.

Delphine – Tu veux parier ?

Frédéric – Qu’est-ce que je pourrais bien avoir à te donner si je perds ce pari ?

Delphine – Je ne sais pas… Cinq millions ?

Noir

 

SCÈNE 3

 

Le même décor. Frédéric est avec Vanessa, plus excitée que jamais.

Vanessa – C’est dingue, cette histoire ! Papa, tenancier de bordels en Amérique latine ! On se croirait dans un film…

Frédéric – Oui… Un film noir…

Vanessa – C’est dingue, cette histoire…

Frédéric – Méfie-toi, Vanessa, tu répètes ça toutes les deux phrases.

Vanessa – Quoi ?

Frédéric (l’imitant) – C’est dingue, cette histoire !

Vanessa – Ah, tu trouves toi aussi. C’est bien ce que je disais…

Frédéric – Oui…

Vanessa – Tu avoueras que ce n’est quand même pas banal, ce qui nous arrive.

Frédéric – Ça n’a pas l’air de t’affecter plus que ça, de savoir que ton père était proxénète, et trafiquant de drogue.

Vanessa – Maman nous l’a toujours présenté comme un looser. Au moins, il a réussi.

Frédéric – Pardon ? Réussi à quoi ?

Vanessa – À amasser un pactole ! J’ai l’impression d’avoir gagné au loto !

Frédéric – Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi avec le loto…

Vanessa – Ça y ressemble beaucoup, non ? Cet argent qui nous tombe du ciel d’un seul coup.

Frédéric – On parle bien du décès de notre père, là ?

Vanessa – Oui, bon, on ne l’avait pas vu depuis des années. Et tu l’as à peine connu. On ne va pas pleurer, non plus…

Frédéric – Ne me dis pas que tu vas accepter cet héritage ?

Vanessa – Tu plaisantes ? Pourquoi je ne l’accepterais pas ?

Frédéric – C’est de l’argent de la drogue ! De la prostitution ! Du crime !

Vanessa – Carlos nous a dit que pour le crime, c’était une erreur…

Frédéric – Il n’empêche, c’est de l’argent sale !

Vanessa – C’était, peut-être. Maintenant, c’est de l’argent propre. Mais tu fais comme tu veux…

Frédéric – Je ne comprends pas. Tu n’as pas besoin d’argent, toi…

Vanessa – Qu’est-ce que tu en sais ?

Frédéric – Vous vivez dans une grosse maison bourgeoise, vous avez deux voitures, un appartement à la neige, une villa au bord de la mer…

Vanessa – C’est l’argent de Marc.

Frédéric – Vous êtes mariés, non ?

Vanessa – De l’argent, on n’en a jamais trop. Tout le monde n’est pas fait pour la vie de bohème, comme toi. Et Delphine, qu’est-ce qu’elle en pense ?

Frédéric – Laisse Delphine en dehors de ça… Et Marc, qu’est-ce qu’il dit ?

Vanessa – Lui, l’argent, tu sais… Il se fout de savoir d’où il vient. Du moment que tout est en règle…

Frédéric – Alors tu vas accepter cet héritage…

Vanessa – Et comment ! Plutôt deux fois qu’une…

Frédéric – Si tu fais ça, on ne se reverra plus jamais.

Vanessa – On ne se voyait déjà plus beaucoup… Fais ce que tu veux…

Frédéric – Très bien, alors sors d’ici… Et débrouille-toi avec ta conscience…

Vanessa – Si tu n’étais pas aussi aveuglé par ton orgueil, Frédéric, tu te rendrais compte qu’autour de toi, il y a aussi des gens qui souffrent.

Frédéric – Arrête, tu vas me faire pleurer…

Vanessa – Je ne veux pas faire d’argent sur ton dos, Frédéric. Alors je te fais le serment que si ta part d’héritage me revenait finalement, j’en ferais don à une association.

Frédéric – Sans blague ? Et laquelle, si je peux me permettre ?

Vanessa – Je ne sais pas… Pourquoi pas… une association contre les violences faites aux femmes ?…

Vanessa s’en va. Frédéric reste un instant interloqué. Delphine arrive.

Frédéric – Tu étais là ?

Vanessa – Oui, j’habite ici. Et je n’écoutais pas aux portes, si c’est ça que tu veux dire.

Frédéric – Ce n’est pas ce que j’ai dit. Donc, tu as entendu quand même…

Vanessa – Oui… Alors après avoir renié ton père, tu vas aussi renier ta sœur ?

Frédéric – Je ne la voyais pas comme ça. Et je suis déçu…

Vanessa – Oui, en effet… Je crois que tu la connais très mal, ta sœur.

Frédéric – Ah oui ?

Vanessa – Tu passes ton temps à peindre des visages, pour essayer de percer leur mystère, comme tu dis. Mais est-ce que tu regardes les visages de ceux qui t’entourent ?

Frédéric – Il me semble, oui…

Vanessa – Si tu le faisais, tu aurais remarqué les marques sur le visage de ta sœur…

Frédéric – Quelles marques ?

Vanessa – Laisse tomber, va…

Frédéric – Je ne veux pas être comme elle, c’est tout. C’est comme ça que tu nous vois, toi ?

Vanessa – Comment ?

Frédéric – Tu nous vois mener grand train avec l’argent d’un mafieux ?

Delphine – Que tu le veuilles ou non, ce mafieux, c’était ton père.

Frédéric – Ça je ne peux pas le changer, en effet, mais je ne suis pas obligé d’accepter son argent.

Delphine – Ce n’est plus son argent, il est mort ! C’est juste de l’argent. Si tu ne le prends pas, ta sœur prendra tout. Et si elle ne le prend pas, ça reviendra à quelqu’un d’autre. Et si personne n’en veut, ça reviendra à l’état. À l’état mexicain !

Frédéric – Il en a peut-être plus besoin que nous.

Delphine – Nous on a des traites à payer… Je n’ai pas le choix… Je vais demander à ma mère de m’avancer cet argent. Et elle, elle n’est pas multimillionnaire…

Frédéric – Tu te vois habiter un appartement qui a été acheté avec l’argent de la prostitution ? Non, mais… tu es institutrice ! Je pensais que ça supposait d’avoir une certaine morale…

Delphine – C’est toi qui me parles de morale ? Les rares toiles que tu vends, tu les vends à des bobos pour décorer leur salon ! Sans parler de ton mystérieux collectionneur russe… Tu sais d’où il vient, son argent, à celui-là ? Tu lui as demandé des garanties sur l’origine de sa fortune ? Un Russe, pourtant, tu devrais te méfier. La mafia, ça existe aussi en Russie, non ?

Frédéric – Peut-être, mais ce type n’est pas mon père.

Delphine – Que je sache, tu n’as pas créé les Restos du cœur, Frédéric… C’est ça être un artiste engagé ? Ce n’est pas un peu se prostituer, aussi ?

Frédéric – C’est ça traite moi de pute !

Delphine – Je travaille à ta place !

Frédéric – Donc, tu me traites de maquereau…

Delphine – Tu es un donneur de leçons, Frédéric. Mais tu n’es pas meilleur que les autres. Si tu prenais cet argent, je n’aurais plus besoin de travailler.

Frédéric – Je pensais que tu faisais ton métier par passion !

Delphine – Disons que j’ai assouvi ma passion, je passerais bien à autre chose. Et toi, tu n’aurais plus besoin de…

Frédéric – De peindre ?

Delphine – De courir après des clients !

Frédéric – OK, tu as raison, je vais le prendre cet argent. Mais il sera à moi, je te signale. Donc si nous changeons de train de vie, c’est toi qui vivras à mes crochets. Et on verra qui est la pute.

Delphine – Je ne te donnerai pas cette peine. Tu pourras te payer toutes les putes que tu veux. Je m’en vais.

Elle part. Laissant Frédéric totalement abattu.

Noir

 

SCÈNE 4

 

Frédéric est assoupi sur le canapé. On sonne. Il se réveille, et va ouvrir, plein d’espoir. Il revient déçu, avec Vanessa.

Vanessa – Excuse-moi, je te dérange ?

Frédéric – Je suis un peu étonné, c’est tout. Je croyais t’avoir dit que je ne voulais plus jamais te revoir…

Vanessa – Justement, je viens pour te demander pardon… Enfin… pour tenter une réconciliation. Delphine n’est pas là ?

Frédéric – Elle est partie…

Vanessa – Partie ? Tu veux dire…

Frédéric – Elle m’a quitté.

Vanessa – Je suis vraiment désolée… Ce n’est pas à cause de… Mais non, évidemment, on ne quitte pas un homme qui vient d’hériter de cinq millions.

Frédéric – Si tu le dis…

Vanessa – À moins bien sûr que cet imbécile ne refuse l’héritage.

Frédéric – C’est pour me traiter d’imbécile, que tu es revenue ? Il y a quelque chose qui a dû t’échapper dans le sens du mot réconciliation…

Vanessa – Ne t’inquiète pas, elle reviendra… Si elle avait dû te quitter, elle l’aurait déjà fait depuis longtemps. Enfin, je veux dire…

Frédéric – Oui, qu’est-ce que tu veux dire ?

Vanessa – Je veux dire que pour être resté avec toi jusque là, il fallait vraiment qu’elle t’aime.

Frédéric – Ça non plus, je ne sais pas trop comment je dois le prendre…

Vanessa – Fred. Tu n’as pas un sou. Et tu es chiant.

Frédéric – Bon, je pense que maintenant, on est assez réconciliés. Alors si tu n’as rien d’autre à me dire…

Vanessa – Excuse-moi. Je suis… un peu perturbée.

Frédéric – Qu’est-ce que tu voulais, exactement ?

Vanessa – Savoir si je peux dormir ici…

Frédéric – Pardon ?

Vanessa – Juste pour cette nuit.

Frédéric – Qu’est-ce qui se passe ?

Vanessa – Je me suis disputée avec Marc, moi aussi…

Frédéric – Décidément… Tu vois… L’argent ne fait pas le bonheur…

Vanessa – Alors, tu m’accordes le droit d’asile ?

Frédéric – OK… Mais pour cette nuit seulement…

Vanessa – Merci… (Un temps, ils semblent embarrassés.) Je boirais bien quelque chose de fort, pas toi ?

Frédéric – Tu as raison, noyons notre chagrin dans l’alcool.

Vanessa – Tu as de la tequila ?

Frédéric – Tu vas rire, mais oui.

Vanessa – Finissons la bouteille.

Frédéric – On ne risque pas de se saouler, il ne m’en reste qu’un fond. Ça fait tellement longtemps que la bouteille est là, je me demande si tout l’alcool ne s’est pas déjà évaporé.

Vanessa – Qu’est-ce qui pourrait bien rester dans une bouteille de tequila quand tout l’alcool s’est évaporé ?

Frédéric – Je n’en ai aucune idée… Buvons, on verra bien.

Il vide le reste de la bouteille dans deux verres.

Vanessa – Ah, mariés dans l’année.

Frédéric – On est déjà mariés.

Vanessa – Divorcés dans l’année, alors…

Frédéric – Merci, ça me remonte beaucoup le moral.

Ils trinquent.

Vanessa – Salud !

Frédéric – Salud…!

Ils vident leurs verres d’un trait.

Vanessa – Tu n’as rien d’autre ?

Frédéric – Si. De la vodka. Un fond de bouteille, aussi.

Il remplit à nouveau les verres. Ils triquent à nouveau.

Vanessa – Tu sais comment on dit « santé », en russe ?

Frédéric – Non, mais je pense qu’au bout de quelques verres, ça va me revenir. (Il remplit à nouveau les verres.) Celle-là est vide aussi. Il me reste un fond de whisky, je crois. Du raki. Et un cognac hors d’âge.

Vanessa – Elles sont là depuis combien de temps, ces bouteilles ?

Frédéric – Elles étaient déjà là quand on a acheté la maison…

Vanessa – Allez, on va tout finir. Tequila, vodka, whisky, raki, cognac…

Frédéric – Ce sera la cuite la plus internationale de l’histoire de la soulographie.

Vanessa – Ça me rappellera ma jeunesse. Quand je voulais picoler, je sifflais un peu de chaque bouteille, à la maison, pour que maman ne s’aperçoive de rien.

Frédéric – Moi non plus, je ne m’apercevais de rien.

Vanessa – Toi, tu ne t’aperçois jamais de rien, c’est ce qui te caractérise.

Frédéric – Ah oui ? Alors c’est comme ça que tu me vois ?

Vanessa – Moi, je ne préfère pas savoir comment tu me vois…

Frédéric – C’est peut-être toi qui as raison… Un peu d’hypocrisie, dans les relations sociales, ça ne peut pas nuire.

Vanessa – Surtout dans les relations familiales.

Frédéric – Je commence à avoir la tête qui tourne… Je n’ai pas l’habitude de boire comme ça.

Vanessa – Mais ça fait du bien, non ?

Frédéric – Oui…

Vanessa – Alors ne pensons pas à la gueule de bois qu’on va avoir demain matin… Ça nous gâcherait le plaisir…

Frédéric – Le nombre de trucs qu’on ne ferait pas dans la vie si on pensait aux conséquences.

Vanessa – Comme les enfants, par exemple.

Frédéric – C’est sûrement pour ça que je n’en ai jamais faits.

Vanessa – Oui… Mais toi, tu penses trop. C’est ça ton problème.

Frédéric – Toi tu ne penses pas assez. Ça fait une moyenne.

Vanessa – Ça fait combien de temps qu’on n’a pas pris une cuite ensemble ?

Frédéric – On n’a jamais pris de cuite ensemble.

Vanessa – C’est un tort. Ça aurait sans doute beaucoup facilité nos relations familiales. C’est très difficile de se fâcher avec quelqu’un qui t’a vu vomir sur tes genoux.

Frédéric – Essaie de me prévenir un peu à l’avance, quand même. Delphine tient beaucoup à son tapis. Un héritage de sa grand-mère…

Vanessa – En attendant, ressers-moi, va.

Frédéric – OK… Qu’est-ce qu’on boit ?

Vanessa – On a le choix, non ?

Il semble hésiter devant toutes ces bouteilles.

Frédéric – Je ne sais pas…

Vanessa – Quoi ?

Frédéric – Si on a vraiment le choix.

Vanessa – Peu importe le flacon, pourvu qu’on vomisse à la fin.

Frédéric – Non, je veux dire… le choix. Le destin, tu vois ?

Vanessa – Le destin ?

Frédéric – Est-ce qu’on est vraiment libre de ses choix, ou est-ce que tout est écrit d’avance.

Vanessa – Bon, tu me sers, oui ou merde ?

Il remplit les verres tout en poursuivant sa réflexion.

Frédéric – Si on pouvait revivre sa vie, en sachant ce qu’on sait. Est-ce qu’on revivrait exactement la même chose ?

Vanessa – Est-ce qu’on déciderait de revivre la même chose, tu veux dire ?

Frédéric – Imagine. Tu te réveilles un matin, et tu es revenue à l’âge de tes quinze ans. Comme si tout ce que tu avais vécu après n’était qu’un rêve. Et tu devrais tout recommencer.

Vanessa – Je commence déjà à avoir mal à la tête.

Frédéric – Est-ce qu’on voudrait faire d’autres choix ? Essayer un autre chemin ? Est-ce qu’on pourrait même ? Et surtout, est-ce que cette autre vie qu’on aurait choisie serait meilleure ou pire ?

Vanessa – Je ne sais pas…

Frédéric – Est-ce qu’en voulant faire l’inverse de nos erreurs, ce ne serait pas encore une erreur ?

Vanessa – Je dois vraiment répondre ?

Frédéric – Je dirais même plus, est-ce que dans la vie, on peut vraiment faire autre chose que des erreurs ?

Vanessa – Je crois que je vais aller vomir.

Frédéric – C’est la goutte de raki qui a fait déborder le vase… ou ce sont mes considérations philosophiques.

Vanessa – Je vais prendre une douche et je me couche.

Frédéric – Bon… Alors bonne nuit…

Vanessa sort. Frédéric se sert un autre verre. Delphine arrive. Il ne la voit pas tout de suite. Il a donc un mouvement de surprise en l’apercevant. Frédéric est passablement ivre.

Frédéric – Je ne t’avais pas entendu arriver.

Vanessa – Je viens juste prendre quelques affaires…

Frédéric – D’accord…

Vanessa – Tu as bu ?

Frédéric – Oui…

Vanessa – Tu ne bois jamais.

Frédéric – Il y a un début à tout, tu vois. Je voulais te prouver qu’on peut toujours changer. Surtout en pire…

Vanessa – Je suis désolée qu’on en soit arrivés là…

Frédéric – C’est moi… Excuse-moi. Je te demande pardon.

Vanessa – On se fait du mal. Pour rien. Alors qu’on a tout pour être heureux.

Frédéric – Sauf de l’argent, apparemment. Mais je ferais ce que tu voudras.

Vanessa – Je t’aime. C’est toi que je veux. Pas cet argent de malheur…

Ils sont sur le point de s’embrasser. Bruit de vomissement. Delphine aperçoit les verres.

Delphine – Tu n’étais pas seul ?

Frédéric – Si… Enfin, non…

Bruit de chasse d’eau. Puis de douche.

Delphine – Il y a quelqu’un dans la salle de bain ? Tu m’as vite remplacée, dis donc !

Frédéric – Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher… Et puis où est-ce que j’aurais bien pu trouver quelqu’un pour te remplacer aussi vite… Sauf en payant… Et tu le sais bien, je n’ai pas un rond…

Delphine – Là, tu ne vas pas t’en tirer avec une pirouette, parce que ce soir, je n’ai pas trop le sens de l’humour.

Frédéric – C’est ma sœur.

Delphine – Tu te fous de moi ! Il y a deux heures, vous étiez fâchés pour la vie, et elle revient chez toi pour prendre une douche ? Elle a une panne d’eau, c’est ça ?

Autre bruit de vomissement.

Frédéric – Apparemment, elle est surtout venue pour vomir… Elle s’est disputée avec Marc…

Delphine – Tiens donc… Et c’est chez nous qu’elle rapplique ?

Frédéric – J’aime bien quand tu es jalouse… Même si ça ne te va pas très bien au teint… Tu as un léger rictus au coin des lèvres. Il ne manque plus que la bave. On dirait que tu vas tuer quelqu’un.

Delphine – Je vais aller voir dans la salle de bain, et si ce n’est pas ta sœur, il est en effet possible que ça se termine en drame passionnel.

Frédéric – On enveloppera le corps dans le rideau de douche, et je t’aiderai à le faire disparaître…

Vanessa arrive.

Vanessa – Si c’est de moi dont vous parlez, je ne suis pas sûre d’accepter votre hospitalité, finalement…

Delphine – Bonsoir Vanessa… Non, non.. Rassure-toi… On parlait de la maîtresse de Frédéric.

Vanessa – D’accord…

Frédéric – Qui n’existe pas, je te rassure…

Delphine – Je t’avais pris pour ma remplaçante.

Vanessa – Excuse-moi d’avoir débarqué comme ça, sans prévenir. Je vais vous laisser.

Delphine – Non, non, tu peux rester. Tu ne vas pas retourner là-bas ce soir…

Frédéric – Et s’il débarque ici ? Je serais capable de vouloir lui casser la gueule. Et dans l’état où je suis, je n’aurais sûrement pas le dessus…

Vanessa – Il ne sait pas que je suis ici, rassurez-vous… Bon, je vais me coucher… Vous avez sans doute des tas de choses à vous dire…

Delphine – Bonne nuit Vanessa… Et fais attention au tapis, dans la chambre… J’y tiens beaucoup…

Vanessa sort.

Frédéric – Cet argent a déjà failli briser deux couples.

Delphine – Enfin, pour le sien, je ne pense pas que ce soit ça.

Frédéric – C’est quoi, alors ?

Delphine – Je ne sais pas…

Frédéric reste songeur un instant.

Frédéric – Quand il est mort, il était recherché pour meurtre…

Delphine – Excuse-moi. C’est toi qui as raison. Refuse cet héritage. Je reste avec toi. Pour ce que tu es. Pour cette intégrité.

Frédéric – Je ne sais plus où j’en suis… Tout ce que je connais de mon père, c’est son casier judiciaire… Et aujourd’hui, il me lègue assez d’argent pour ne plus avoir à travailler jusqu’à la fin de mes jours…

Delphine – Allons nous coucher… Demain, il fera jour… (Il titube, et elle lui donne le bras.) Tu veux que je te porte jusqu’au lit ?

Noir

 

SCÈNE 5

 

Delphine prend un café. Vanessa arrive.

Vanessa – Bonjour Delphine… Et encore merci de m’avoir accueillie.

Delphine – C’est normal. Tu as bien dormi…?

Vanessa – Non… mais ça n’a rien à voir avec la literie.

Delphine – Oui, j’ai vu les cadavres de bouteilles.

Vanessa – Ce n’est pas les seuls cadavres qui m’ont hantée cette nuit…

Delphine – Tu veux un café ?

Vanessa – Merci, oui.

Delphine lui sert une tasse de café. Elle boivent leur café dans un silence embarrassé.

Vanessa – Je sais que tu ne m’as jamais aimée.

Delphine (prise de court) – Pourquoi tu dis ça ?

Vanessa – Je n’ai pas dit que tu me détestes… Mais tu me considères comme une femme entretenue, non ? Une petite bourgeoise à l’esprit étriqué.

Delphine (essayant de plaisanter) – Tu oublies aussi… un peu réac sur les bords.

Vanessa – Tu avais raison… Moi non plus je ne m’aimais pas…

Delphine – Et maintenant ?

Vanessa – Maintenant, je ne sais plus où j’en suis.

Delphine – C’est un début…

Vanessa – Il ne faut pas me juger, tu sais… Cet argent, même si ça vous paraît étrange, j’en ai vraiment besoin…

Delphine – Je t’écoute… Tu peux me faire confiance…

Vanessa – Je ne m’entends plus avec Marc. Il a une maîtresse. Et la sienne, crois-moi, elle existe bien…

Delphine – Tu la connais ?

Vanessa – C’est son assistante, à l’agence immobilière. Elle a dix ans de moins que lui. Et surtout, elle a dix ans de moins que moi.

Delphine – Tu n’as qu’à le quitter…

Vanessa – Ce n’est pas si simple… Il ne voulait déjà pas divorcer, pour ne pas avoir à me laisser la moitié de nos biens, et me verser une pension alimentaire. Alors maintenant que je vais hériter…

Delphine – Il le sait ?

Vanessa – Il était là quand Carlos est passé, la dernière fois.

Delphine – Mais enfin, il ne peut pas refuser le divorce !

Vanessa – Je ne travaille pas. Je dépends complètement de lui. Et puis il y a les enfants… C’est un tordu, tu sais. Si tout ça se terminait devant un juge, je ne sais pas de quoi il serait capable, pour le seul plaisir de me séparer de mes enfants.

Delphine – C’est-à-dire ?

Vanessa – Il prétendra que je suis fragile, psychologiquement. Que j’ai déjà fait une tentative de suicide…

Delphine – C’est vrai ?

Vanessa – C’était un accident, je t’assure ! Je prends des calmants, c’est vrai. Ce jour-là, j’en ai pris deux que je n’aurais pas dû prendre ensemble. J’ai fait un malaise. Le SAMU est venu… Marc prendra prétexte de ça pour avoir la garde des enfants. Je ne le supporterai pas… Et là crois-moi, je ne me raterai pas…

Delphine – Je comprends… Mais tu ne peux pas continuer comme ça…

Vanessa – Cet argent me permettrait de partir. Quitte à lui en laisser une partie, pour qu’il me fiche la paix…

Delphine – Tu ne peux pas céder à ce chantage. C’est ignoble…

Vanessa – Je ne sais plus… Il me fait peur… Quand Carlos est venu, il a été très aimable avec lui, mais quand il est parti, il m’a dit qu’il voulait sa part, sinon…

Delphine – Sinon quoi ? (Vanessa serre un peu plus la robe de chambre contre elle.) C’est quoi, ces bleus que tu caches sous ta robe de chambre…

Vanessa – Ce n’est rien… Je suis tombée…

Delphine – Pas à moi, Vanessa…

Vanessa – Je sais, c’est difficile à croire… On pense que ça n’arrive que dans les milieux modestes… Tu te demandes comment je peux accepter ça…

Delphine – C’est à toi que je le demande.

Vanessa – Je n’ai jamais été habituée à décider de quoi que ce soit.

Delphine – Tu veux que Frédéric lui parle ? C’est ton frère, après tout…

Vanessa – Marc se vengerait sur moi… Sur les enfants, peut-être… Je t’en prie, n’en parle pas à Frédéric…

Delphine – Tu ne peux pas accepter ça, Vanessa. Il faut te faire aider…

On sonne. Delphine sort et revient avec Carlos.

Carlos – Bonjour Vanessa… Je ne pensais pas vous trouver là, mais ce n’est pas plus mal que je vous vois tous les deux, avec votre frère…

Delphine – Je vous laisse… Je vais prévenir Frédéric. Il est dans la douche…

Elle sort.

Carlos – Je regrette le choix de votre frère. Vous devriez le convaincre d’accepter.

Vanessa – Mon frère n’est pas quelqu’un de facile à convaincre…

Carlos – Oui, j’ai remarqué…

Vanessa – Je le comprends… Il a ses raisons… Mais moi je n’ai pas le choix.

Carlos – Pourquoi ?

Vanessa – Disons que… cet argent me permettrait de reconquérir mon indépendance. Si mon mari accepte de me laisser partir, évidemment.

Carlos – Votre mari ne vous rend pas heureuse ?

Vanessa – Je veux divorcer, depuis longtemps… Mais… j’ai peur.

Carlos – Peur ? Peur de quoi ?

Vanessa – Je préfère ne pas en parler…

Carlos se lève et, délicatement, désigne le bleu sur la joue de Vanessa, caché derrière une mèche des cheveux.

Carlos – Votre mari a déjà levé la main sur vous ?

Le silence de Vanessa résonne comme un aveu. Plus brusquement, Carlos écarte la robe de chambre pour dégager les épaules de Vanessa, et il aperçoit d’autres traces.

Carlos (glacial) – C’est lui qui vous a fait ça…?

Vanessa rajuste sa robe de chambre.

Vanessa – Je voudrais divorcer, mais il ne veut pas.

Carlos – Il ne veut pas…?

Vanessa – Maintenant qu’il sait que je vais toucher un gros héritage, il veut sa part.

Carlos – Vous n’avez pas fait de contrat de mariage ?

Vanessa – Non.

Carlos – Alors il n’a aucun droit sur votre héritage.

Vanessa – Je sais… Mais… ce n’est pas si simple.

Carlos – Ne vous inquiétez pas… Je vais lui expliquer…

Vanessa – Je ne pense pas que ça suffira, malheureusement.

Carlos – Ça suffira, croyez-moi. Je saurai trouver les bons arguments… et je peux être très persuasif.

Frédéric arrive, et semble étonné par la proximité physique de Carlos et de Vanessa. Il remarque aussi le trouble de sa sœur.

Carlos – Même si pour ce qui est de votre frère, je n’ai pas encore réussi à le convaincre…

Vanessa – Je vais finir de m’habiller…

Elle sort.

Carlos – Votre sœur est quelqu’un de très attachant.

Frédéric – C’est plutôt le mot collant qui me viendrait à l’esprit, mais… oui.

Carlos – C’est aussi quelqu’un de très fragile. Certains pourraient en abuser…

Frédéric – Que voulez-vous dire ?

Carlos hésite, mais change de sujet.

Carlos – Vous devriez accepter ma proposition.

Frédéric – « Votre » proposition ?

Carlos – Celle de votre père.

Frédéric – Mais il n’a pas volontairement décidé de me léguer cet argent, n’est-ce pas ? Je suis juste l’héritier en ligne directe…

Carlos – Il n’a pas eu le temps de rédiger un testament. Mais je sais qu’il aurait voulu que cet héritage vous revienne.

Frédéric – Et si tout simplement, je n’étais pas fait pour être riche…

Carlos – Personne n’est fait pour être riche. C’est tout l’intérêt de l’être…

Frédéric – J’aurais seulement besoin de cent mille euros pour régler mes problèmes de trésorerie.

Carlos – Désolé. Il ne s’agit pas d’un legs, mais d’un héritage. C’est tout ou rien.

Frédéric – Je ne sais pas.

Carlos – Je repasserai demain avec la procuration. Vous n’aurez qu’à signer, et je m’occuperai du reste. En attendant, je voulais vous remettre ça…

Il lui tend un gros cahier.

Frédéric – Qu’est-ce que c’est ?

Carlos – Son journal.

Frédéric – Son journal ? Vous voulez dire son journal intime ?

Carlos – Ou son journal de bord, comme vous préférez.

Frédéric – Je ne savais pas que les mafiosos tenaient un journal… Ça peut-être compromettant, non ?

Carlos – Je l’ai retrouvé dans ses papiers. Vous le lirez plus tard. J’espère que cela vous aidera à comprendre certaines choses…

Frédéric – Vous l’avez lu ?

Carlos – Je l’ai parcouru… Je préférais y jeter un coup d’œil avant de vous le confier.

Frédéric prend le cahier.

Frédéric – Merci. Vous voulez boire quelque chose ? Il me reste quelques fonds de bouteilles…

Carlos – Une autre fois… J’ai une affaire urgente à régler… (Il jette un dernier regard au tableau en cours.) J’aime beaucoup vos tableaux… Votre père en avait plusieurs, chez lui…

Frédéric – Pardon ?

Carlos – Il les faisait acheter par un galeriste de Londres. Il avait une très haute opinion de vous. Ne le décevez pas…

Il s’en va, laissant Frédéric abasourdi. Delphine revient.

Delphine – Ça va ?

Frédéric – C’est mon père qui faisait acheter ces toiles, à Londres, par mon presque unique client soi-disant russe.

Delphine – Tu es sûr ?

Frédéric – En fait c’est lui qui me permet de vivoter depuis toutes ces années. Sans lui je n’aurais jamais vendu une toile.

Delphine – C’est dingue, cette histoire… comme dirait ta sœur.

Frédéric – Je ne voulais pas de son argent, mais en réalité, je vivais déjà avec…

Delphine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Frédéric – Un peu plus ou un peu moins… C’est ma sœur qui a raison, l’argent c’est toujours sale.

Delphine – Tu acceptes l’héritage, finalement ?

Frédéric – On trouvera bien un moyen de faire un don à une association, comme disait ma sœur… Histoire de soulager notre conscience à peu de frais…

Noir

SCÈNE 6

 

Frédéric lit le journal de son père. Il semble ému. Delphine arrive.

Delphine – Déjà levé…?

Frédéric referme le journal.

Frédéric – Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

Delphine se sert un café.

Delphine – Je sais… Moi non plus…

Frédéric – Il fallait absolument que je lise ça.

Delphine – Tu veux m’en parler ?

Frédéric – C’est curieux… Je ne savais rien de mon géniteur, et maintenant qu’il est mort, j’en sais plus sur lui que n’importe quel enfant n’en saura jamais sur son père.

Delphine – J’espère que ça t’aidera à te réconcilier un peu avec lui.

Frédéric – J’aurais préféré le faire de son vivant, mais bon…

Delphine – Tu me raconteras ?

Frédéric – Bien sûr… Tu pourras même le lire. Un peu plus tard…

Delphine – D’accord.

Frédéric – Crois-moi, il y a de quoi écrire un roman.

Delphine – Tu vas le faire ?

Frédéric – Ça me touche de trop près, je ne pourrais pas. Et puis c’est toi l’écrivain, non ?

Delphine – Oui… Enfin, je n’ai encore rien écrit…

Frédéric – Je ne te crois pas.

Delphine – OK, j’ai quelques notes dans mes tiroirs. Et un début de roman…

Frédéric – J’ai hâte de lire ça…

Delphine – Et si tu étais déçu ?

Frédéric – Rien de ce qui vient de toi ne pourra jamais me décevoir.

Delphine – Maintenant, c’est moi qui vais avoir besoin que tu crois en moi.

Frédéric – Attention… J’ai dit que ça ne me décevrait pas, je n’ai pas dit que je trouverais ça forcément bon…

Delphine – Si c’est si mauvais que ça, tu me le diras ?

Frédéric – À ton avis ?

Delphine – Je crois que tu sauras me le faire comprendre.

Frédéric – Un jour, je te montrerai mon premier tableau.

Delphine – Tu l’as gardé ?

Frédéric – Je ne le montre à personne, tu penses bien. Mais quand je doute vraiment de moi, j’y jette un coup d’œil. Je me rends compte du chemin parcouru, et ça me remonte le moral. Pour un temps au moins, parce qu’après je pense au chemin qui reste à faire.

Delphine – Je serais curieuse de voir ça…

Frédéric – Tu verras. Ça te rendra plus indulgente avec ton premier roman. Tu crois vraiment que Léonard de Vinci a peint la Joconde du premier coup ? Le génie, ça n’existe pas. La vérité ou la perfection non plus. Le génie, c’est une détermination totale à persévérer dans l’erreur. Jusqu’à parvenir à se tromper d’une façon sublime.

Ils s’apprêtent à s’embrasser, mais la sonnette retentit. Delphine va ouvrir et revient avec Vanessa, plutôt apaisée et souriante, un sac en papier à la main.

Vanessa – Salut Fred. Bonjour Delphine. Tiens, je vous ai apporté des chouquettes.

Frédéric – Qu’est-ce qu’ils ont tous en ce moment avec ça ? Il y a une promo sur les chouquettes à la boulangerie du coin ?

Delphine – Tu veux un café ?

Vanessa – Oui, merci.

Frédéric – Ça a l’air d’aller mieux, toi ?

Vanessa – Je vais divorcer.

Frédéric – Dans ton cas, j’imagine que c’est une bonne nouvelle.

Vanessa – C’en est une.

Delphine – Vous êtes arrivés à un arrangement avec Marc ? À l’amiable…

Frédéric – Il ne t’a pas demandé de lui laisser la moitié de ton héritage, au moins ?

Vanessa – Non. Il ne m’a rien demandé du tout. Je ne sais pas pourquoi, maintenant il est très gentil avec moi.

Delphine – Et tu ne lui as rien promis en échange de son consentement pour le divorce ?

Vanessa – Rien… Même en ce qui concerne les enfants, il est d’accord pour me laisser la garde exclusive…

Frédéric – C’est ce que tu voulais, non ?

Vanessa – Bien sûr. C’est pour ça que je ne voulais pas divorcer, avant d’avoir la certitude de pouvoir les garder avec moi.

Frédéric – Tu crois qu’il aurait été capable de faire du mal aux enfants ?

Vanessa – Je ne sais pas…

Delphine – Et… tu as une idée de ce qui a pu le faire changer d’attitude aussi brusquement ?

Vanessa – Non… (Un temps) La dernière fois, il est revenu à la maison avec des traces de coups sur le visage. Je ne sais pas s’il y a un rapport…

Frédéric – Ah oui… Peut-être un peu quand même…

Vanessa – Tu sais qui a bien pu lui faire ça ?

Frédéric – En tout cas, ce n’est pas moi, je te le jure.

Vanessa a l’air mal à l’aise.

Delphine – Je vais finir de me préparer.

Delphine sort.

Frédéric – Tu as autre chose à me dire ?

Vanessa – Oui…

Frédéric – Je t’écoute.

Vanessa – Maman me parlait beaucoup, tu sais… Surtout vers la fin de sa vie… Elle me faisait des confidences parfois…

Frédéric – Plus qu’à moi, en tout cas… Et ?

Vanessa – Il y a une chose qu’elle ne t’a jamais dite… Enfin, je crois… Une chose que je voudrais que tu saches…

Frédéric – D’accord…

Vanessa – En réalité, si ton père est parti…

Frédéric – « Mon » père ? C’est aussi le tien, non ?

Vanessa – Justement… Si Charles est parti… c’est parce qu’elle l’avait trompé.

Frédéric – Pardon ?

Vanessa – En fait, je ne suis pas sa fille. C’est en l’apprenant que Charles a décidé de partir en Amérique.

Frédéric – C’est maman qui t’a dit ça ?

Vanessa – Oui.

Frédéric – OK… (Un temps) Et moi ?

Vanessa – Toi ?

Frédéric – Je suis le fils de qui ?

Vanessa – Tu es bien le fils de Charles, rassure-toi.

Frédéric – S’agissant d’un proxénète un peu narcotrafiquant, je ne suis pas sûr que ça me rassure, mais bon… Très bien…

Vanessa – Enfin, pour toi, elle n’a rien dit, en tout cas.

Frédéric – D’accord… Et toi, tu es la fille de qui ?

Vanessa – Du meilleur ami de Charles, qui était aussi son associé, je crois. Un certain Karl qui a disparu lui aussi peu de temps après ma naissance.

Frédéric – Pas dans des circonstances mystérieuses, j’espère…

Vanessa – Maman ne l’a jamais revu. Et moi non plus, évidemment…

Frédéric – Et ça expliquerait que Charles nous ait tous abandonnés ?

Vanessa – Il s’est senti trahi. Par sa femme. Par son ami. Il n’a pas pu le supporter. C’est pour ça qu’il est parti en Amérique.

Frédéric – Et c’est maintenant que tu me le dis ?

Vanessa – Ça me regardait surtout moi.

Frédéric – Alors pourquoi m’en parler aujourd’hui ?

Vanessa – Je vais accepter cet héritage… Tu envisages de le refuser… Ce serait aberrant que tout cet argent me revienne, plutôt qu’à toi, alors que moi je ne suis même pas sa fille…

Frédéric – Il t’a reconnu, non ? Tu portes son nom.

Vanessa – Quand il est allé me déclarer à la mairie, il ignorait encore que je n’étais pas sa fille.

Frédéric – Tu n’es pas responsable de tout ça, Vanessa. Tu es comme moi, tu as subi. Pour moi, tu seras toujours ma sœur… Pour le meilleur et surtout pour le pire…

Vanessa – Alors tu veux bien partager avec moi ?

Frédéric – Bien sûr… Je ne saurai déjà pas quoi faire de cinq millions, alors dix, tu penses bien.

Vanessa – Merci, Fred… Tu sais, je ne t’ai jamais détesté autant que j’en avais l’air.

Frédéric – C’est un aveu qui me touche beaucoup.

Vanessa – Je crois qu’en réalité, j’étais jalouse de toi.

Frédéric – De moi ? Je suis un artiste raté. Je vis aux crochets de ma femme. Et d’après elle, je suis un donneur de leçons…

Vanessa – Oui, c’est… Ce n’est pas faux non plus…

Frédéric – Et donc, tu es jalouse de quoi, au juste ?

Vanessa – De ton indépendance, j’imagine. Tu as choisi ta vie. Contre vents et marées. Tu as essayé de réaliser ton rêve… Tu n’as pas réussi…

Frédéric – Merci…

Vanessa – Mais au moins tu as essayé.

Frédéric – Ouais… Pas toi ?

Vanessa – Mon problème, à moi, c’est que je n’avais pas de rêve du tout… Alors je me suis contentée de me marier, avec quelqu’un qui s’occuperait bien de moi. Enfin, c’est ce que je pensais…

Frédéric – Alors toi non plus, tu penses qu’on n’a pas le choix…

Vanessa – Le choix…? La vie, c’est comme le scrabble. La règle est la même pour tous, et on te fait croire que chacun a la même chance de gagner. Mais quand tu tires des lettres de merde au début, et que ça continue en cours de route… Des w, des k, des y…

Frédéric – Tu en rajoutes quelques-unes, tu peux faire whisky.

Vanessa – C’est ce que j’ai fait… Whisky, Vodka, Raki… J’ai bu comme un trou. Pour essayer de combler le vide que j’avais en moi. Je n’ai pas réussi. Dès que j’aurais divorcé, j’irai à l’hôpital, pour me faire aider…

Étreinte fraternelle.

Frédéric – Je suis vraiment désolé. J’avais ça sous les yeux, et je n’ai rien vu…

Vanessa – Oui… Pour un peintre… c’est un comble. Ne rien voir…

Frédéric – Je m’en veux… J’étais ton grand frère, c’était à moi de te protéger.

Vanessa – Mon demi-grand-frère…

Frédéric préfère revenir à la plaisanterie.

Frédéric – Tu as raison… La bonne nouvelle, dans tout ça, c’est que… tu n’es que ma demi-sœur, finalement.

Vanessa – Et malgré ça, tous tes ennuis, c’est à cause de moi, tu vois…

Frédéric – Bizarrement, ça ne m’étonne pas…

Vanessa – Je t’ai aussi raconté ça pour que tu sois un peu plus indulgent avec ton père.

Frédéric – Oui… Après… tous les maris trompés ne partent pas en Amérique pour ouvrir des bordels…

Vanessa – Non… C’est le destin, comme tu dis. Il faut croire que ça aussi, c’était écrit d’avance…

Frédéric – Ouais…

Vanessa – Et toi ?

Frédéric – Quoi moi ?

Vanessa – Puisqu’on est à l’heure des confidences… Tu sais quelque chose que je devrais savoir ?

Frédéric – Pas encore…

Vanessa – Comment ça, pas encore ?

Frédéric – Carlos m’a remis… le journal de papa. Je n’ai pas encore fini de le lire.

Vanessa – Je pensais qu’il n’y avait que les jeunes filles un peu dépressives qui écrivaient un journal…

Frédéric – Il faut croire que ce vieux maquereau avait lui aussi sa part de féminité.

Frédéric lui tend le journal, et elle le feuillette.

Vanessa – Mais c’est écrit en espagnol…

Frédéric – Oui… C’est pour ça que ça me prend un peu de temps pour le lire… Heureusement que j’ai fait espagnol deuxième langue au lycée.

Vanessa – Moi, malheureusement, j’ai fait allemand… Il faudra que tu me racontes.

Frédéric – Les grands-parents, de son côté, étaient des réfugiés de la guerre civile. Ils devaient parler espagnol à la maison quand il était petit.

Vanessa – Il aura retrouvé sa langue maternelle au Mexique.

Frédéric – C’est sûrement pour ça que finalement, il a choisi ce pays plutôt que les États-Unis…

On sonne. Delphine arrive avec Carlos.

Carlos – Bonjour Vanessa, bonjour Frédéric…

Delphine – Asseyez-vous, je vous en prie.

Ils s’asseyent tous autour de la table.

Carlos – Voilà, tous les papiers sont là. Vous n’avez qu’à signer.

Vanessa – Très bien.

Carlos – Mais avant, il faut que je vous dise quelque chose.

Frédéric – Encore ? Décidément, vous savez ménager vos effets.

Delphine – Oui… Vous devriez écrire des pièces de théâtre…

Frédéric – Je vous écoute… Mais je crains le pire…

Carlos – Au Mexique, votre père avait pris sous sa protection une enfant. Une orpheline qui a maintenant cinq ans…

Frédéric – C’est l’âge que j’avais quand il m’a abandonné…

Vanessa – Ce serait donc… notre sœur adoptive ?

Carlos – Votre père n’a pas eu le temps, avant de mourir, d’adopter cette enfant en bonne et due forme…

Frédéric – Et ?

Carlos – Le projet de votre père était de la ramener en France, pour qu’elle puisse bénéficier d’une bonne éducation, et d’un meilleur avenir. Évidemment, maintenant…

Frédéric – Je crois que je commence à comprendre…

Vanessa – Vous dites que ce n’est pas sa fille naturelle.

Carlos – C’est l’enfant d’une prostituée qui travaillait dans l’un de ses établissements, et qui est décédée peu de temps après la naissance. Évidemment, on ne sait pas qui est le père…

Un temps.

Vanessa – Et notre héritage, c’est à la condition que nous nous occupions de cet enfant ?

Carlos – Ce n’est pas stipulé dans un testament, puisque Charles n’en avait pas fait. Mais il est évident que c’est sans aucun doute ce que votre père aurait souhaité…

Vanessa – Je ne sais pas quoi dire… Fred, qu’est-ce que tu en penses ?

Frédéric – Est-ce qu’on a vraiment le choix…?

Carlos – D’un strict point de vue légal, vous pouvez très bien accepter cet héritage, et ne pas vous préoccuper du devenir de cet enfant.

Delphine – Légalement, oui. Mais ce serait monstrueux…

Frédéric – Vous avez une photo ?

Carlos – Bien sûr.

Vanessa – Tu es conscient, Frédéric, que si nous regardons cette photo, ne serait-ce qu’une seconde, nous ne pourrons plus revenir en arrière…

Instant d’hésitation.

Frédéric – Donnez-moi cette photo.

Carlos lui tend la photo, et il la regarde, longuement. Avant de la passer à Vanessa.

Vanessa – Non, désolée… Je ne peux pas… Pas maintenant…

Delphine prend la photo, et la regarde. Elle échange avec Frédéric un regard lourd de sens.

Frédéric – Vous avez encore beaucoup de nouvelles comme ça ? Parce que sinon, autant tout nous dire d’un coup…

Carlos – Je crois que cette fois vous savez tout.

Frédéric – Ça m’étonnerait.

Carlos – Disons… tout ce que vous avez besoin de savoir.

Silence.

Vanessa – Moi j’ai déjà deux enfants… Je n’ai plus de mari… et je suis alcoolique.

Frédéric – Mais tu es multimillionnaire.

Carlos – C’est une décision importante. Si vous le souhaitez, je peux vous laisser quelque temps pour réfléchir.

Frédéric – Si on réfléchit, on dira non. Ma sœur a raison, je réfléchis trop.

Carlos – Donc c’est oui ?

Frédéric – Delphine ?

Delphine – On n’a pas eu d’enfant. Je ne sais pas vraiment pourquoi.

Frédéric – Avec mon histoire personnelle… Ça ne m’a pas encouragé à fonder une famille.

Delphine – Je n’ai pas insisté. Pour ne pas te perdre. Mais j’en avais envie…

Frédéric – Je sais…

Vanessa – Ce sera l’enfant que vous n’avez pas pu avoir ensemble…

Delphine – Merci, Vanessa. On n’y avait pas pensé…

Frédéric – En tout cas, ce sera un bon alibi pour accepter le pognon de son parrain. Pour offrir à cette enfant une vie heureuse. En tout cas une vie meilleure…

Delphine – Pour cette petite, ce sera une forme de réparation pour tout ce qu’elle a dû subir.

Vanessa – Et pour nous… ce sera une sorte de punition. (Les autres la regardent, étonnés.) Je veux dire, pour avoir accepté l’héritage d’un proxénète…

Frédéric – Je ne voulais pas prendre cet argent par orgueil. Mais finalement, amour propre, argent sale… L’amour non plus, ce n’est pas toujours très propre…

Carlos – Puisque tout le monde a l’air d’accord… J’ai aussi les papiers d’adoption pour l’enfant…

Delphine – Et cette enfant, elle est où ?

Carlos – Dans un orphelinat au Mexique.

Un temps.

Frédéric – Nous acceptons cet héritage. Et nous adoptons cet enfant…

Vanessa – Merci… Je vous aiderai à l’élever, c’est promis.

Delphine – Je suis sûre que tu feras une tante formidable…

Frédéric échange avec Delphine un regard dubitatif contredisant ces propos.

Carlos – Dans ce cas, vous n’avez plus qu’à signer.

Frédéric – Très bien.

Carlos – Vous ne voulez pas lire d’abord ?

Frédéric – Je ne sais vraiment pas pourquoi, mais je vous fais confiance.

Frédéric et Vanessa signent l’acceptation de l’héritage. Frédéric et Vanessa signent les documents d’adoption.

Carlos – Avec cette procuration, je ferai toutes les démarches à votre place. Vous serez avertis des transferts de titres de propriété et des virements.

Delphine – Et pour l’enfant ?

Carlos – Munis de ces papiers, vous pourrez aller la chercher en toute légalité. Dans quelques semaines…

Delphine – Nous irons dès que possible.

Carlos – Merci.

Vanessa – Tu as fait le bon choix, Frédéric.

Frédéric – Je ne pense pas que j’avais le choix. Mais c’était le bon choix quand même.

Carlos – Alors je vais vous laisser. En famille.

Delphine – Merci…

Carlos s’apprête à partir.

Vanessa – On se reverra ?

Carlos – Dieu seul le sait… Mais de loin, je continuerai à prendre de vos nouvelles… et à veiller sur vous.

Delphine et Vanessa s’éloignent un instant. Frédéric s’adresse à Carlos en aparté.

Frédéric – Et pour ma sœur ? C’est vous qui avez su convaincre son mari de la laisser partir ?

Carlos – Nous avons eu une petite conversation, en effet.

Frédéric – Vous êtes vraiment très persuasif, parce que jusqu’à maintenant, il ne voulait rien entendre…

Carlos – Je suis avocat, ne l’oubliez pas… Je lui ai rappelé quelques points de droit concernant la législation sur les héritages.

Frédéric – Ma sœur m’a dit qu’après votre… petite conversation, il avait le visage légèrement tuméfié. Quand vous dites quelques points de droit, ça inclut aussi quelques directs du droit pour souligner l’importance de vos propos, j’imagine.

Carlos – Je lui ai laissé le choix entre le divorce et le veuvage. En lui précisant que pour le veuvage, je parlais de celui de sa femme. Il a très bien compris.

Frédéric – Pourquoi faites-vous tout ça pour nous ?

Carlos – Je vous l’ai dit, votre père était un ami. J’ai l’habitude de régler ses affaires…

Frédéric – Et il était comment mon père ? Comme ami…

Carlos – Pas très démonstratif. Mais c’était quelqu’un sur qui on pouvait compter. Il aurait pu mourir pour vous…

Vanessa s’approche.

Vanessa – Je vais y aller aussi. Les enfants m’attendent. On s’est installés à l’hôtel, provisoirement. (À Carlos) Vous pouvez me déposer ?

Carlos – Bien sûr…

Carlos et Vanessa s’en vont.

Delphine – Tu crois qu’elle s’est déjà trouvé un nouveau protecteur ?

Frédéric – J’ai cru que tu allais dire souteneur… (Incrédule) Non…? Il pourrait être son père.

Delphine – Au point où on en est, rien pourrait plus m’étonner…

Frédéric – Qu’est-ce que tu veux dire ?

Delphine – C’est peut-être lui, l’ami de ton père… Son associé qui aurait couché avec sa femme.

Frédéric – Et qui serait le père de Vanessa ?

Delphine – C’était comment, le prénom de ce type qui aurait lui aussi mystérieusement disparu ?

Frédéric – Karl.

Delphine – Karl, Carlos… Avoue que c’est troublant.

Frédéric – Je crois qu’on commence à délirer, non ?

Delphine – Oui… Et puis aussi bien, c’est ta mère qui a inventé tout ça.

Frédéric – Tu crois…?

Delphine – Il faut bien dire que sur la fin, elle perdait sérieusement la tête, non ?

Frédéric – Et pourquoi elle aurait inventé ce… Karl ? Pourquoi elle aurait prétendu avoir trompé mon père ? Ça ne la mettait pas à son avantage, non ?

Delphine – Je ne sais pas… Peut-être pour justifier que votre père vous ai abandonnés. Pour vous aider à assumer ça. C’est dur d’accepter qu’un père vous abandonne sans raison. Là au moins, il avait une raison. Elle prenait la faute sur elle, en quelque sorte…

Frédéric – Ouais…

Delphine – Ou alors, elle était tout simplement folle.

Frédéric – Bon… Je ne sais pas si on peut dire que tout est bien qui finit bien.

Delphine – On va quand même toucher cinq millions…

Frédéric – Je vais pouvoir continuer à peindre.

Delphine – Et pour moi, ce sera ma dernière rentrée.

Frédéric – Ta prochaine, ce sera la rentrée littéraire…

Delphine – Et notre premier voyage de millionnaire, ce sera le Mexique.

Frédéric – Tu veux dire notre dernier voyage de couple sans enfant. Parce qu’après…

Delphine – Finalement, il avait un bon fond, ce Carlos.

Frédéric – Oui. Ce qui est sûr c’est qu’il avait une bonne droite.

Le téléphone sonne.

Vanessa – Allô, oui… Le Crédit Solidaire…? Ah, oui…

Frédéric – Passe-les moi… (Il prend le combiné.) Écoutez, cher Monsieur, je suis vraiment désolé, mais nous allons devoir changer de banque… C’est ça, oui… Nous allons prendre une banque plus en rapport avec l’importance de notre patrimoine… Bonjour chez vous. Et joyeux Noël…

Il pose le portable.

Vanessa – Ça te réussit, la paternité.

Frédéric – Je n’attendais que ça pour devenir tout à fait un homme…

Il jette un regard à son ordinateur qui vient d’émettre un son.

Frédéric – C’est cette galerie de Londres, dont je n’avais plus entendu parler depuis des mois…

Delphine – Et alors ?

Frédéric – Une nouvelle commande de mon client mystère.

Delphine – Ce ne serait donc pas ton père, finalement ?

Frédéric – Qui ce serait, alors ?

Delphine – Cet avocat mexicain…? Tu m’as dit qu’il appréciait beaucoup ta peinture…

Frédéric – Peut-être…

Delphine – Ou alors… c’est que ton père n’est pas vraiment mort.

Frédéric – Pardon…?

Delphine – Carlos a dit qu’on n’avait jamais retrouvé son corps. Pour un type recherché par la police, mourir est une bonne solution.

Frédéric – Avant de renaître, sous une fausse identité. Mais il resterait reconnaissable !

Delphine – Il y a aussi la chirurgie esthétique.

Frédéric – Et il aurait abandonné son enfant ?

Delphine – Ce ne serait pas la première fois qu’il change de vie en abandonnant tout derrière lui.

Frédéric – Et puis il ne l’abandonne pas vraiment, puisqu’il a réussi à nous la refourguer.

Delphine – Il ne peut pas l’emmener dans sa cavale, c’est tout, et il voulait assurer son avenir. Comme le nôtre, d’ailleurs…

Frédéric – Tu crois ?

Ils restent un instant perplexes.

Delphine – Et si c’était lui ?

Frédéric – Lui ?

Delphine – Carlos, ton père !

Frédéric – Mais enfin, je l’aurais reconnu !

Delphine – S’il s’est fait refaire le visage.

Frédéric – Tout de même…

Delphine – Tu ne l’as presque pas connu… Et puis Charles… Carlos… Carlos, c’est bien Charles en espagnol, non…

Frédéric – Alors d’après toi, Charles, Karl et Carlos, ce serait une seule et même personne…?

Delphine – C’est juste une hypothèse. On ne saura probablement jamais…

Silence.

Frédéric – Je ne sais pas si on le reverra un jour…

Delphine – C’est peu probable. C’est trop dangereux pour lui…

Frédéric regarde la photo de la petite Mexicaine.

Delphine – Tu crois que c’est vrai ce qu’il nous a raconté ?

Frédéric – Quoi ?

Delphine – Que c’est la fille d’une prostituée, née de père inconnu… C’est peut-être sa fille à lui… Il ressemblait à quoi, ton père ?

Frédéric – Je ne sais plus très bien.

Delphine – Tu n’as pas de photo ?

Frédéric – J’ai tout brûlé.

Delphine – On dirait qu’elle te ressemble un peu…

Frédéric – Tu crois ?

Delphine – C’est toi qui as raison. Percer le mystère d’un visage, c’est l’œuvre d’une vie.

Frédéric – Et encore, on n’est même pas sûr d’y arriver.

Delphine – Surtout quand les gens changent de visage volontairement…

Frédéric – J’ai l’impression qu’on n’en a pas fini avec ce roman familial…

Delphine – C’est vrai que ça ressemble beaucoup à un roman.

Frédéric – Mais est-ce qu’on peut encore appeler ça une famille.

Delphine – On va avoir une enfant tout de même…

Frédéric – Oui… Une enfant à qui nous donnerons pendant vingt ans tous les soins et l’amour dont elle a besoin, et qui nous reprochera pendant le restant de sa vie tout ce qu’on n’a pas fait pour elle. En nous rendant responsable de tout ce qui ne va pas dans sa vie…

Delphine – J’ai hâte de commencer.

Frédéric – Moi aussi…

Delphine – Je crois que j’ai une idée pour mon premier livre. Ce ne sera pas un roman, mais une pièce de théâtre. J’ai déjà le titre : Amour propre et argent sale…

Le portable de Frédéric sonne.

Frédéric – Oui ? Oui, c’est moi… Non, ce n’est pas moi qui… D’accord… Non, non, demain, à 15 heures, c’est très bien. Parfait… Alors à demain… Merci… (Il range son portable.) C’était la directrice de Tendances Contemporaines à Paris. Elle veut faire un accrochage de mes toiles dans sa galerie.

Delphine – Non ?

Frédéric – Je t’assure… J’espère que ce n’est pas une blague.

Delphine – Je ne crois pas, non.

Frédéric – Et si c’était Carlos ?

Delphine – Carlos ?

Frédéric – Enfin… Charles… Ou Karl… Il est peut-être allé les voir… Il leur a proposé de l’argent… Ou pire… Il les a menacés de mort…

Delphine – Ta confiance en toi m’étonnera toujours… Alors tu penses qu’une galerie ne peut accepter de présenter tes toiles que sous la menace ?

Frédéric – Désolé… C’est le manque d’habitude… Mais ils ont dit qu’ils connaissaient déjà mon travail… Il y a bien quelqu’un qui…

Delphine – C’est moi.

Frédéric – Toi ?

Delphine – Je suis allée les voir avec ton catalogue.

Frédéric – Et ils me prennent sur catalogue ?

Delphine – Ça les a intéressés. Ils sont venus ici, et je leur ai montré tes toiles. Un jour où tu n’étais pas là.

Frédéric – Pourquoi ne rien m’avoir dit ?

Delphine – Je ne voulais pas que tu sois déçu. Au cas où cela ne marcherait pas… Et puis de toute façon, tu n’y aurais pas cru.

Frédéric – Mais toi tu y croyais.

Delphine – J’ai toujours cru en toi.

Frédéric – Finalement, je suis comme Dieu, ou le Père Noël… J’ai besoin qu’on croit en moi pour continuer d’exister.

Delphine – Tout le monde a envie de croire au Père Noël, quand il vous apporte cinq millions d’euros dans sa hotte…

Ils s’embrassent. Elle regarde le tableau.

Delphine – Tu as fini ton portrait ?

Frédéric – Je crois…

Delphine – C’est magnifique… Ce sera la pièce maîtresse de ta première exposition à Paris.

Frédéric – Oui…

Delphine – Il ressemble un peu à Dieu, non ?

Frédéric – Je ne sais pas… Il ressemble à quoi, Dieu ?

Delphine – À l’image qu’on s’en fait, j’imagine.

Frédéric considère lui aussi le tableau.

Frédéric – Oui… À Dieu le Père… ou au Père Noël. Celui qu’on ne voit jamais mais qui vous apporte des cadeaux…

Delphine – On essaiera de faire quelque chose de propre avec toute cette saleté.

Frédéric – En espérant qu’on ait vraiment le choix.

Delphine – Alors espérons… Et si finalement il s’avère qu’on n’avait pas le choix… on aura toujours eu l’espérance.

Frédéric – Tu as raison… L’espoir fait vivre…

Delphine – Rassure-moi, tu ne vas pas te mettre à citer des proverbes à tout bout de champ, comme ta sœur ?

Frédéric – Ma demi-sœur… Enfin, je crois…

Noir

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD. Cette édition papier est destinée à tous ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel.

 

 

 

Du même auteur

Pièces de théâtre

 Alban et Ève, Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau, Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bistrot du Hasard, Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Comme un poisson dans l’air, Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou, Coup de foudre à Casteljarnac, Crash Zone, Crise et châtiment, De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Des valises sous les yeux, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le Champagne, Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur, L’Étoffe des merveilles (adaptation), Eurostar, Flagrant délire, Gay friendly, Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages, L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits, Il était une fois dans le web, Le Joker, Mélimélodrames, Ménage à trois, Même pas mort, Minute papillon, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne, Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho, Plagiat, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France, Le Plus beau village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs, Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes, Un boulevard sans issue, Un bref instant d’éternité, Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias, Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13, Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Essai

Écrire une comédie pour le théâtre

 

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur son site : www.comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Décembre 2018

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-246-2

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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È finita la commedia

Deux personnages arrivent. Le deuxième porte une valise.

Un – Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?

Deux – Ça va… On ne va pas en faire un drame, non plus…

Un – Mais vous plaisantez, mon vieux ! C’est une tragédie !

Deux – Je dirais plutôt qu’on nage en plein mélodrame.

Un – En tout cas, on se croirait dans une mauvaise pièce de théâtre.

Deux – Oui. Au début, ça ressemblait à un vaudeville.

Un – Et après quelques quiproquos…

Deux – Ça a viré au film d’horreur.

Un – Je peux vous dire un mot en aparté ?

Deux – Je vous promets de ne pas le répéter à la cantonade.

Un – Si ça continue, on va droit dans le décor.

Deux – C’est un scénario possible, hélas.

Un – Vous avez vu la scène de crime ?

Deux – Pour moi, ça ressemble beaucoup à une mise en scène.

Un – Arrêtez un peu votre cinéma.

Deux – Le suspect joue la comédie, c’est évident.

Un – C’est vrai qu’il nous a fait un numéro d’acteur…

Deux – Oui… Il nous a fait sa grande scène du deux.

Un – Quel comédien !

Deux – C’est un drôle de personnage, en effet.

Un – Quant à la victime, elle avait tout d’une jeune première.

Deux – Je dirais même d’une ingénue.

Un – En tout cas, elle se prenait pour une vedette.

Deux – Au moins, sa mort lui aura permis de connaître les feux de la rampe.

Un – Oui… Même si apparemment, le drame s’est joué à huis clos.

Deux – Aucun spectateur, donc aucun témoin.

Un – Le noir total.

Deux – Elle rêvait de brûler les planches…

Un – Et c’est entre quatre planches qu’elle fera sa sortie.

Deux – Enfin, vous devriez être content. Vous qui rêviez de vous retrouver sous les projecteurs. Avec cette affaire rocambolesque.

Un – Il faudra quand même qu’on répète un peu, pour la déclaration à la presse.

Deux – Pour une fois, essayez de ne pas être trop théâtral.

Un – Habituellement, c’est plutôt vous qui cabotinez.

Deux – Vous êtes un comique, vous.

Un – Et vous un Tartuffe.

Deux – C’est ce que vous vouliez, non  ? Avoir votre nom en haut de l’affiche ?

Un – Rassurez-vous, je vous laisse le premier rôle.

Deux – Je n’en ferai rien. Je sais que vous adorez être sur le devant de la scène.

Un – Comment s’appelle l’auteur du crime, déjà ? J’ai un trou de mémoire.

Deux – Ne comptez pas sur moi pour vous souffler votre texte.

Un – Bien sûr… Vous avez toujours rêvé de me voler la vedette.

Deux – Si on mettait sur pause ? Je ferai bien un petit entracte, pas vous ?

Un – De toute façon, le dénouement est proche.

Deux – À moins d’un coup de théâtre.

Un – Je crois qu’il est temps pour nous de quitter la scène.

Deux – Oui, le rideau va bientôt tomber.

Un – Et je crains qu’on fasse encore un four.

Deux – Essayons au moins de ne pas rater notre sortie.

Un – Vous n’espériez pas un rappel, tout de même ?

Deux – On sort par la cour ou par le jardin ?

Un – C’est un choix cornélien…

Deux – Essayons la sortie des artistes, ce sera plus discret.

Un – Moi aussi, je déteste me donner en spectacle.

En sortant, le deuxième jette un regard vers une spectatrice.

Deux – Eh ben… Il y a du monde au balcon.

L’autre regarde à son tour.

Un – Je dirais même qu’on affiche complet.

Deux – Finalement, je crois qu’on va faire un tabac.

Un – Pour des amateurs, on se débrouille comme des professionnels.

Deux – Ne vous la jouez pas trop tout de même.

Un – Et vous arrêtez de faire le clown.

Deux – Quel cirque…

Un – Vous ne voulez vraiment pas faire un dernier tour de piste  ?

Deux – Non, vous avez raison  : mieux vaut ne pas lasser notre public…

Un – Concentrons-nous sur l’essentiel, mais n’oublions pas l’accessoire…

Deux – Car l’accessoire est l’essence même du théâtre.

Le deuxième saisit la valise.

Deux – È finita la commedia.

Ils sortent.

Noir

Des valises sous les yeux

È finita la commedia Lire la suite »

Comme une porte de prison

Deux personnages. Le deuxième est en train de boucler une valise.

Un – Alors ça y est, c’est le grand jour ?

Deux – Oui… L’heure de la libération a sonné.

Un – Quarante ans…

Deux – Presque perpète.

Un – Ce n’est pas humain. Quel que soit son crime, personne ne mérite ça.

Deux – Et moi, en plus, je suis innocent.

Un – On dit tous ça…

Deux – Il te reste combien de temps à tirer, toi ?

Un – Vingt-cinq ans, sept mois et trois jours.

Deux – Tu n’as pas oublié les années bissextiles ?

Un – Je déteste les années bissextiles…

Deux – Maintenant, moi, je vais les aimer un peu plus.

Un – Et qu’est-ce que tu vas faire de ta liberté ?

Deux – Je ne sais pas trop. J’ai perdu l’habitude. Depuis le temps.

Un – Tu ne vas pas faire une connerie, au moins ?

Deux – Quelle connerie ?

Un – Le genre de conneries qui te ramènerait ici.

Deux – Non, rassure-toi.

Un – Tu ne nous oublieras pas  ?

Deux – Mais non, bien sûr.

Un – Pour ce qui est de venir nous rendre visite, je ne t’en demande pas tant.

Deux – Tu as raison. Ça nous ferait du mal à tous les deux.

Un – Tu vas me manquer.

Deux – Moi aussi… Même si j’aurais préféré qu’on se rencontre ailleurs.

Un – C’est à quelle heure exactement, la levée d’écrou  ?

Deux – À 17 heures.

Un – On vient te chercher, ou bien…

Deux – Non. Personne ne vient me chercher. Je prends mes petites affaires, et je pars en métro tout seul. Comme un grand.

Un – Tant qu’on a la santé…

Deux – Oui…

Un – Quarante ans, et tout ça tient dans cette vieille valoche. Tu te rends compte ?

Deux – Oui… Je suis arrivé ici sans aucun bagage. Et je repars avec la même petite valise.

Un – Tu es sûr que tu n’as rien oublié  ?

Deux – Je te laisse la machine à café…

Un – C’est gentil.

Deux – Moi, le café, maintenant, c’est au bistrot du coin que je le prendrai.

Un – Tu as de la chance…

Deux – Malheureusement, je le prendrai sûrement tout seul. Depuis le temps, tu penses bien. Je ne connais plus personne.

Un – Tu es sûr qu’il n’a pas fermé, le bistrot du coin  ?

Deux – Tu crois  ?

Un – Je ne sais pas… Ils ferment tous, les uns après les autres.

Deux – Quand j’étais gamin, ce café, c’était la maison des jeunes. On se retrouvait tous autour du babyfoot… Le patron n’avait pas son BAFA, mais quand on lui manquait de respect, il savait quand même distribuer quelques baffes.

Un – Si on n’avait pas fait autant de conneries quand on était jeunes, on n’aurait pas fini là…

Deux – C’est vrai… On serait devenus banquier ou avocat.

Un – Enfin, il est trop tard… Les jeux sont faits.

Deux – Et rien ne va plus.

Un – Le directeur n’a pas demandé à te voir ?

Deux – Pour quoi faire  ? Organiser un pot de départ ?

Un – Tu as raison. Mieux vaut se barrer sans dire au revoir.

Deux – C’est sûr… Pour ce qui est de le revoir, je préférerais éviter.

Un – Allez, je crois que cette fois, c’est l’heure.

Deux – Quand faut y aller, faut y aller.

Ils s’étreignent avec émotion.

Un – Bon ben alors… Profite bien de ta retraite, mon vieux !

Deux – Je vais essayer…

Le deuxième sort avec sa valise. Le premier reste là.

Un – Putain… Encore vingt-cinq ans à tirer.

Noir

Des valises sous les yeux

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