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Mauvaise adresse

Un personnage (homme ou femme) arrive, ouvre sa boîte à lettres et constate sans surprise mais avec une certaine tristesse qu’elle est vide. Un autre personnage (homme ou femme) arrive, ouvre également sa boîte et, après un mouvement de surprise, en sort un paquet de lettres.

Un – On dirait que vous avez du courrier, aujourd’hui…

Deux – Oui, je ne comprends pas… D’habitude, à part de la pub… Voyons voir…

Son visage s’assombrit.

Un – Pas de mauvaises nouvelles, j’espère…

Deux – Pas de nouvelles du tout… C’est le courrier de mes voisins de palier… Le facteur s’est encore trompé…

Un – Ah…

Deux – Je vais les remettre dans leur boîte aux lettres.

Un – Oui…

Deux – Alors vous non plus…

Un – Non, pas de courrier aujourd’hui…

L’autre s’apprête à remettre le courrier dans une autre boîte mais laisse tomber la pile par terre.

Deux – Zut !

Un – Attendez, je vais vous aider.

Les deux personnages se baissent pour ramasser les enveloppes et en profitent pour les examiner.

Deux – Tiens, je ne savais pas qu’il était abonné à Plongée Magazine…

Un – C’est vrai qu’on est assez loin de la mer…

Deux – Il doit faire de la plongée sous-marine en piscine.

Un – Ou dans sa baignoire…

Deux – Il y a aussi une lettre à entête des Pompiers de Paris.

Un – Il est peut-être pompier volontaire.

Deux – Ou alors, c’est pour l’inviter au bal…

Rires. Embarras.

Deux – C’est un peu indiscret, ce qu’on fait, non ?

Un – Oui, un peu… Quoi d’autre ?

Les deux personnages se mettent à examiner les enveloppes.

Un – Une carte postale.

Deux – Ça vient d’où ?

Un – Les Baléares. Ibiza.

Deux – Qu’est-ce que ça dit ?

Un – Quand même…

Deux – Ça ne compte pas, c’est une carte postale ! Même le facteur a pu la lire…

Un – Un petit coucou des Baléares où nous passons une semaine de vacances. Les paysages sont magnifiques et le beau temps au rendez-vous. À très bientôt. Bises. Maurice et Jacques.

Deux – C’est d’un banal…

Un – Les gens ne savent plus écrire.

Deux – Mais tout de même.

Un – Quoi ?

Deux – C’est signé Maurice et Jacques.

Une – Des camarades de plongée ?

Deux – Ou des amis pompiers…

Les deux personnages se replongent dans l’examen du courrier.

Deux – Tiens, une lettre dont l’adresse est écrite à l’encre rose…

Un – Ah oui…

Deux – Je me demande qui ça peut bien être…

Un – Il est marié, non ?

Deux – Séparé, je crois.

Un – Il n’y a pas l’adresse du destinataire, au dos ?

L’autre retourne la lettre.

Deux – Gérard…

Un – Pourquoi un Gérard lui écrirait-il à l’encre rose ?

Deux – Ça expliquerait que sa femme l’ait quitté.

Un – Comment savoir ?

Deux – J’ai ma petite idée…

Il ouvre l’enveloppe.

Un – Non ?

Deux – Désolé, je n’ai pas pu résister. Une pulsion, comme disent les serial killers.

Un – Bon ben maintenant, autant la lire.

Deux – Bonjour Alain. Excuse-moi de t’écrire avec un stylo rose, mais c’est tout ce que j’avais sous la main. D’autant que c’est pour t’annoncer une bien triste nouvelle. Tante Adèle est morte hier…

Un – Un faire-part de décès à l’encre rose… Comment on aurait pu se douter aussi.

Deux – C’est d’un décevant, ce courrier. Je me demande si cela vaut le coup de continuer.

Un – Vous avez raison. Ce type est d’un banal.

Deux – Complètement transparent.

Un – C’est bien simple, je le croiserais dans l’escalier, je ne suis même pas sûr que je le reconnaitrais.

Deux – On va remettre tout ça dans sa boîte.

Il remet le courrier dans la boîte de son destinataire, et regarde sa montre.

Deux – Ouh la… Déjà ! Je vais rater mon feuilleton, moi.

Un – Ah vous le regardez aussi ?

Deux – Heureusement qu’il y a la télé pour nous changer un peu les idées…

Ils sortent.

Noir.

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Colis piégé

Un facteur (homme ou femme) arrive avec un paquet et croise un locataire (homme ou femme) qui arrive aussi.

Facteur – Ah justement, j’avais un paquet pour vous.

Locataire – Merci.

Le facteur lui donne le paquet.

Facteur – Une petite signature…

Locataire – Bien sûr…

Encombré, le locataire rend le paquet au facteur afin de signer le reçu qu’il lui tend.

Locataire – Excusez-moi, je vous rends ça une seconde.

Le locataire signe le reçu et sourit.

Locataire – J’espère que ce n’est pas un colis piégé…

Le facteur répond sur le même ton de la plaisanterie.

Facteur – Ah, ah, ah ! C’est vrai qu’on entend comme un tic tac, là dedans.

Locataire – Ah, ah, ah ! On voit tellement de choses, maintenant ! (Cessant de rire brusquement) C’est vrai ?

Le facteur, pris au mot, colle son oreille contre le paquet.

Facteur – Vous allez rire mais… Oui, on dirait…

Le locataire semble soudain inquiet. Il colle à son tour son oreille sur le paquet.

Locataire – Mais oui… Je l’entends aussi… Vous pensez que ça pourrait…

Le facteur change également de ton.

Facteur – Vous connaissez des gens qui auraient des raisons de vous en vouloir à ce point ?

Locataire – Je ne sais pas… À part ma belle-mère… Mais on a tous des ennemis, non ?

Facteur – Tout de même.

Le locataire hésite.

Locataire – Du coup, je ne suis pas sûr de vouloir le prendre…

Facteur – Alors qu’est-ce que j’en fais ?

Locataire – Vous n’avez qu’à le ramener à la Poste.

Facteur – C’est que je n’ai pas fini ma tournée, moi… Et si ça me pète à la gueule en cours de route ? Et puis maintenant, vous avez signé le reçu…

Il tend le paquet à l’autre qui refuse de le prendre.

Locataire – Et si on appelait la police ?

Facteur – La police ?

Locataire – Comme quand on trouve un paquet suspect dans un hall de gare ou dans un train.

Facteur – Vous voulez dire… une brigade de démineurs ?

Locataire – Eux, ils sauront quoi faire…

Facteur – Et si la bombe explosait avant qu’ils arrivent ?

Locataire – Je ne sais pas moi… On n’a qu’à jeter le paquet dans la rue…

Facteur – Et si des passants étaient blessés ? Des enfants, peut-être… C’est l’heure de la sortie de l’école… On ne peut pas faire ça !

Locataire – Vous avez raison… Il ne reste plus qu’à nous préparer à mourir dans la dignité, avec la seule consolation que notre sacrifice aura permis de sauver quelques vies innocentes…

Facteur – Notre sacrifice ? Qu’est-ce que vous proposez, au juste ?

Locataire – Il faut agir, et vite !

Il prend le paquet des mains du facteur, le jette contre le sol, et le piétine violemment.

Facteur – Non mais ça ne va pas ?

Locataire – Ça n’a pas explosé…

Facteur – Non…

Ils se penchent tous les deux pour examiner le paquet.

Facteur – Ah, oui… C’était bien une pendule… Mais je ne vois pas de bombe…

Locataire – Non, c’est bizarre…

Facteur – Mais j’y pense, c’est qui l’envoyeur ?

Locataire – L’envoyeur ?

Facteur – En principe, c’est marqué sur l’accusé de réception !

Locataire – Ah oui…

Le facteur regarde le reçu.

Facteur – Ça vient de Suisse… C’est curieux…

Locataire – Oui, c’est sûrement le pays au monde qui compte le moins de terroristes…

Facteur – Madame Mansard… Vous connaissez ?

Locataire – C’est ma belle-mère.

Le facteur fouille dans les décombres du paquet.

Facteur – Regardez… Il y a une lettre de revendication…

Il tend la feuille à l’autre qui la lit.

Locataire – Bon anniversaire mon chéri… C’est pour l’anniversaire de son fils (ou sa fille).

Facteur – Son fils (ou sa fille) ?

Locataire – Mon mari (ou ma femme) !

Facteur – Une pendule… C’est un drôle de cadeau, pour un anniversaire, non ?

Locataire – Mon beau-père est horloger.

Facteur – Et ça ne vous a pas mis la puce à l’oreille ? Je veux dire quand vous avez entendu le tic tac…

Ils contemplent tous les deux les restes défoncés du paquet.

Facteur – C’est votre mari (ou votre femme) qui va être content(e)… Ça va lui faire quel âge, au fait ?

Locataire – On dirait que ça sent quand même un peu la poudre, non ?

Facteur – Je dirais plutôt le chocolat…

Locataire – Ah, oui, regardez, il y avait aussi des chocolats avec. (Il prend la boîte défoncée, et la tend au facteur) Vous en voulez un ?

Facteur – Et si ils étaient empoisonnés ?

Ils échangent un regard perplexe.

Noir.

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Diabolique

Un personnage (homme ou femme) entre en portant un carton visiblement très lourd. Un autre personnage arrive à son tour.

Un – Ça a l’air lourd… Vous déménagez ?

Deux – Ça se voit tant que ça ?

Il pose le carton sur un autre carton déjà là.

Un – Je vous donnerais bien un coup de main, mais avec mon dos…

Deux – Merci quand même…

Il s’assied sur les cartons pour souffler un moment. L’autre sort un paquet de cigarettes.

Un – Vous en voulez une ?

Deux – Merci, je suis déjà au bord de l’apoplexie…

L’autre range son paquet.

Un – Vous avez raison, moi aussi je ferais mieux d’arrêter… Je vais prendre un Cachou plutôt.

Il sort une boîte de Cachous

Un – Vous en voulez un ?

L’autre fait signe que non.

Deux – Merci, non. J’ai déjà très soif.

Un – J’ai tout essayé, même l’acupuncture, mais je n’arrive pas à décrocher complètement.

Deux – Hun, hun…

Un – C’est curieux, je ne vous ai jamais vu dans l’immeuble… et on fait connaissance justement le jour où vous déménagez…

Deux – Vous trouvez qu’on a fait connaissance ?

L’autre se contente de le regarder en souriant, tout en mâchonnant son Cachou.

Un – Et où est-ce que vous allez, comme ça, avec vos cartons ?

Deux – Je m’installe dans le 19ème.

Un – Le 19ème arrondissement ?

Deux – Euh, oui… Pas le 19ème siècle.

Un – Ça va vous changer.

Deux – Oui… Remarquez, le 19ème, ça ne doit pas être si différent que ça du 20ème.

Un – Mais nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir…

Deux – Je vous dirais bien que vous allez me manquer, mais comme on ne s’était jamais croisé jusqu’ici. Vous habitez cet immeuble depuis longtemps ?

Un – Ah, non, mais je n’habite pas ici.

Deux – Ah oui… Ça explique sûrement pourquoi on ne se croisait pas plus souvent…

Un – J’ai mon cabinet au troisième.

Deux – Je vois. Le dentiste.

Un – Euh, non… Moi c’est juste en face. L’exorciste.

Deux – L’exorciste…?

Un – Évidemment, ce n’est pas marqué sur la porte.

Deux – Bien sûr.

Un – Je consulte surtout le soir. Ou même la nuit, c’est plus discret.

Deux – C’est sûrement pour ça qu’on ne s’est jamais rencontré…

Un – Les gens qui viennent me voir n’ont pas toujours envie qu’on les reconnaisse…

Deux – Je ne suis pas sûr non plus que j’aimerais croiser vos patients dans l’escalier après la tombée de la nuit…

Un – Vous n’y croyez pas.

Deux – Ça se voit tant que ça ?

Un – Je ne vous en veux pas, mais vous avez tort.

Deux – Peut-être, oui… Et ça marche ?

Un – Regardez autour de vous… Et surtout au dessus… Je veux dire ceux qui nous gouvernent. Vous ne croyez pas que le marché est immense ?

Deux – Oui, remarquez, ce n’est pas faux. Dommage que vous ne pouviez pas me citer le nom de quelques-uns de vos clients.

Un – En tout cas, ceux qui ne sont pas encore venus me voir, vous n’aurez pas de mal à les reconnaître. Prenez qui vous savez. Celui dont le nom rappelle l’autre pays du fromage. Si le candidat avait pris soin de se faire désenvoûter à temps, nous aurions peut-être aujourd’hui un président normal.

Deux – Peut-être, oui… Mais vous, avec tout ça, vous n’avez pas réussi à arrêter de fumer ?

Un – Je n’ai pas encore trouvé la formule magique qui me libérerait des puissances maléfiques de la nicotine.

Deux – Marlboro, sors de ce corps !

Un temps.

Un – Et vous déménagez pourquoi, si je peux me permettre ?

Deux – Eh bien… Pour me rapprocher de mon travail, d’abord.

Un – En déménageant du 19ème au 20ème arrondissement ?

Deux – Et aussi… Comment dire ? Parce que je sentais comme une présence diabolique dans l’appartement que j’occupe au dernier étage de cet immeuble.

Un – Vraiment ? Vous auriez dû m’en parler avant…

Deux – Malheureusement, je ne vous connaissais pas encore.

Un – Et par présence diabolique, qu’est-ce que vous entendez, exactement ?

Deux – J’entends principalement… ma femme (ou mon mari).

Un – Je vois… J’ai beaucoup de cas comme le vôtre…

Deux – Bon, ce n’est pas tout ça, mais il va falloir que je m’y remette. Puisque vous ne voulez pas m’aider…

Un – Je pourrais toujours essayer de désenvoûter votre conjoint.

Deux – Vous pourriez faire ça ?

Un – C’est à quel étage ?

Deux – Huitième.

Un – Vous avez descendu ces cartons du huitième étage, sans ascenseur ?

Deux – Et j’en ai encore beaucoup plus à descendre…

Un – Ah, oui… Huitième sans ascenseur… C’est vraiment diabolique…

Deux – Oui…

Un – Désolé, mais je crois que là… Je ne peux rien pour vous…

Il passe son chemin, et l’autre reste là avec ses cartons, un peu déstabilisé. Il se décide à repartir quand un autre personnage (joué par celui qui vient de partir) portant un masque de carnaval (au choix) arrive. Il fait mine de chercher quelque chose, comme un nom sur une boîte aux lettres ou une plaque professionnelle.

Trois – Excusez-moi, l’exorciste, c’est à quel étage ?

Deux – Troisième. En face du dentiste.

Trois – Évidemment, il n’y a pas de plaque en bas.

Deux – Ni sur la porte.

Trois – Merci…

Il sort. L’autre reste là, assis sur son carton.

Deux – Je crois qu’il était temps que je déménage, moi…

Noir.

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Lettre morte

Un personnage (homme ou femme) arrive, pour relever son courrier dans sa boîte à lettres. Il ouvre la boîte, sort quelques enveloppes et les examine rapidement.

Locataire – Facture, impôts, appel à cotisation, facture…

Un autre personnage (homme ou femme) arrive à son tour, en facteur. Il examine les boîtes à lettres sans trouver ce qu’il cherche.

Facteur – Excusez-moi… Monsieur Martin, ça vous dit quelque chose ?

Locataire – Oui…

Facteur – Je ne vois pas son nom sur la boîte. C’est à quel étage ?

Locataire – Septième. Mais il est mort la semaine dernière.

Facteur – Ah merde… Alors en somme… Il a déménagé.

Locataire – On peut dire ça comme ça, oui…

Facteur – Non, parce que j’ai un recommandé pour lui…

Locataire – Ah, ouais… C’est ballot…

Facteur – Alors qu’est-ce que je fais ?

Locataire – Je ne sais pas…

Facteur – Il n’a pas laissé une adresse ?

Locataire – Il est mort, je vous dis.

Facteur – Ah ouais… Mais qui est-ce qui va le signer, mon recommandé ?

Locataire – Ça…

Facteur – Donc il ne va pas revenir…

Locataire – C’est peu probable.

Facteur – Ça ne m’arrange pas.

Locataire – Il y a toujours des emmerdeurs, vous savez… Mais je ne suis pas sûr qu’il soit mort simplement pour vous compliquer la vie…

Facteur – Mmm… Alors je ne sais pas moi… Et vous ne pourriez pas signer à sa place ?

Locataire – Pourquoi je ferais ça ?

Facteur – Entre voisins… On peut se rendre de petit services… Ça m’éviterait de revenir.

Locataire – Revenir ? Pourquoi faire ?

Facteur – Pour lui remettre ce recommandé !

Locataire – Mais puisque je vous dis qu’il est mort ! Mort, vous comprenez ? Et il y a au moins un avantage à être mort, c’est qu’on devient totalement et définitivement inaccessible aux recommandés en tous genres !

Facteur – Je comprends.

Locataire – Vous pouvez toujours lui laisser un avis de passage !

Facteur – Vous croyez ?

Locataire – D’ailleurs, c’est quoi, ce recommandé ? Avis d’imposition ? Avis d’expulsion ? Avis de radiation ?

Le facteur jette un regard à l’enveloppe.

Facteur – Ça vient de la Française des Jeux.

Locataire – La Française des Jeux ?

Facteur – Ça ne peut pas être une mauvaise nouvelle.

Locataire – Vous croyez vraiment que quand on est mort, on peut encore faire la différence entre une bonne et une mauvaise nouvelle ?

Facteur – Évidemment… Mais quand même…

Le locataire prend le recommandé de la main du facteur.

Locataire – Faites voir… Ah oui, la Française des Jeux, dites donc…

Facteur – Vous savez si il jouait au loto ?

Locataire – Je ne sais pas… Je le connaissais très peu… On se croisait de temps en temps… Il avait un chien…

Facteur – Et qu’est-ce qu’il est devenu ?

Locataire – Il est mort, je vous dis.

Facteur – Le chien aussi, il est mort ?

Locataire – Non, pas le chien, lui !

Facteur – Et le chien, qu’est-ce qu’il est devenu ?

Locataire – Le chien ? Je ne sais pas…

Facteur – C’est triste, un chien qui se retrouve tout seul dans la vie, comme ça… Je ne comprends pas tous ces gens qui prennent un animal et qui l’abandonnent. Prendre un animal, c’est une responsabilité. Les gens ne se rendent pas compte…

Locataire – Vous croyez qu’il a gagné le gros lot ?

Facteur – Si c’est le cas, il ne faudrait pas qu’il tarde à se manifester. Parce qu’il y a une date butoir. Si on ne vient pas chercher son chèque avant, on perd tout et la somme est remise en jeu…

Locataire – C’est vrai que ce serait dommage…

Facteur – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Locataire – On ?

Facteur – Comme vous dites, ce serait dommage…

Locataire – Ok. Je vais signer.

Facteur – Ça m’évitera de repasser.

Le locataire signe le reçu que lui tend le facteur, ouvre fébrilement l’enveloppe et lit.

Facteur – Alors ?

Locataire – C’est un solde de tous comptes…

Facteur – Ce n’est pas un chèque ?

Locataire – Il travaillait à la Française des Jeux. C’est juste un avis de fin de contrat.

Facteur – Alors en plus, il a perdu son travail… C’est quand même malheureux. Parce que pour retrouver du travail en ce moment, ce n’est pas évident.

Locataire – Surtout quand on est mort.

Facteur – Et avec la crise, en plus. Les délocalisations, tout ça.

Locataire – Je sais ce que c’est, je suis au chômage moi aussi.

Facteur – Ah oui, ce n’est pas de veine… Et évidemment, ce n’est jamais les gens comme vous qui gagnent au loto, hein ? Ceux qui en auraient vraiment besoin.

Locataire – Non…

Facteur – J’ai lu un article hier dans le journal : Il gagne 60 millions au loto et il continue à vivre exactement comme avant… Je vais vous dire, moi : il y a des gens, ils ne méritent pas de gagner !

Locataire – C’est clair…

Facteur – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais il faut que je continue ma tournée.

Il s’apprête à partir. Le locataire brandit la lettre.

Locataire – Qu’est-ce que je fais de ça, moi ?

Facteur – Ça c’est vous qui voyez… Moi du moment que vous avez signé le reçu.

Le facteur s’apprête à s’en aller

Facteur – Mais si j’étais vous, je leur écrirais.

Locataire – À qui ?

Facteur – À la Française des Jeux ! Puisqu’un poste vient de se libérer…

Le facteur s’en va. Le locataire regarde à nouveau le recommandé, perplexe.

Noir.

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Les encombrants

La scène est vide à l’exception d’une grande poubelle à roulettes au couvercle jaune. Une femme arrive en tirant une autre poubelle du même type mais au couvercle vert. Habillée avec élégance et juchée sur des talons hauts, elle tente de conserver un semblant de dignité dans cet exercice dégradant qu’est en temps de crise, pour une bobo divorcée qui n’a plus les moyens de se payer une bonne même défiscalisée, celui de sortir elle-même la poubelle. Son portable sonne, et elle répond.

Femme 1 – Allo, oui ? Ah, bonsoir Jacques ! Non, non, vous ne me dérangez pas. J’étais en train de ranger quelques papiers et je m’apprêtais à prendre un bain… Ce soir à dix-neuf heures trente ? Ah, oui, c’est absolument parfait ! Mais vous êtes sûr que… Votre dernière patiente ? Très bien ! Dans ce cas, nous aurons peut-être le temps de prendre un verre après, histoire de faire un peu connaissance ? Ah oui, ou de dîner si vous préférez… Je connais un très bon japonais du côté de… Ah, vous détestez les sushis… Non, non, pas du tout… J’aime beaucoup la choucroute aussi… Parfait, alors à tout à l’heure… Non, non, j’ai bien l’adresse de votre cabinet… Ah, il y a un code à partir de 19 heures… Attendez, je prends de quoi noter… Je suis dans la salle de bain, et je n’ai rien sur moi… Je veux dire pour écrire…

Elle sort un crayon mais, se rendant compte qu’elle n’a pas de papier, ouvre le couvercle de la poubelle jaune. La trouvant vide, elle laisse le couvercle ouvert et ouvre le couvercle de sa propre poubelle dont elle sort au hasard un paquet de céréale basses calories.

Femme 1 – Voilà, je vous écoute… Ouh, là, en effet, c’est compliqué… (Essayant de plaisanter) Vous ne pouviez pas choisir 1515, 14-18 ou 39-45, comme tout le monde ? Ah, c’est la date de décès de votre belle-mère… Oui, vous avez raison, pour un cambrioleur, évidemment, c’est plus difficile à deviner… Mais vous pouvez me redire ça moins vite ? Juste une seconde, je m’installe un peu plus confortablement…

Elle se contorsionne pour essayer de noter d’une main sur le carton tout en tenant le téléphone de l’autre, avant de prendre le parti de poser le carton sur le bord de la poubelle jaune dont elle a laissé le couvercle ouvert. Le carton tombe par terre et en essayant de le rattraper, elle laisse tomber son portable au fond de la poubelle vide.

Femme 1 – Oh, non, ce n’est pas vrai… (Elle parle en direction du fond de la poubelle) Allo ? Jacques ? Vous m’entendez ? (Elle se penche vers le fond de la poubelle pour tenter de récupérer le téléphone) Allo ? Je vous entends très mal…

Elle finit par basculer complètement dans la poubelle. Seules ses jambes dépassent, qu’elle agite en poussant des cris étouffés. Un homme arrive, un portable à la main.

Homme – Allo ? Allo ? Vous m’entendez ?

Sa femme arrive derrière lui.

Femme 2 – Jacques ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Jacques range immédiatement son portable. Craignant probablement d’être surprise dans cette position embarrassante, la prisonnière de la poubelle rentre ses jambes et se calme également aussitôt.

Homme – Eh bien, je… Je venais chercher la poubelle pour la remonter… Le coiffeur n’a pas pu te prendre, finalement ?

Femme 2 (sèchement) – Si. J’en sors.

Homme – Ah, très bien…

Femme 2 – Tu n’as pas oublié que ce soir, je vais au pot de départ de mon chef de service ?

Homme – Non, non, rassure-toi… J’en profiterai pour faire ma comptabilité en retard au cabinet.

La femme aperçoit la boîte de céréales par terre.

Femme 2 – Les gens sont d’une saleté… (Elle ramasse l’emballage et le remet dans la poubelle) Et j’ai l’impression que les derniers arrivés sont les pires… À propos, tu as fait connaissance avec la nouvelle voisine ?

Homme – Quelle voisine ?

Femme 2 – Ne me dis pas que tu ne l’as pas remarquée… Celle avec la forte poitrine…

Homme – Ah, celle-là…

Femme 2 – Tu vois que tu t’en souviens.

Homme – C’est vrai que c’est plutôt une belle femme.

Femme 2 – Moi, je la trouve plutôt vulgaire, mais bon…

Homme – Vulgaire ?

Femme 2 – Elle est divorcée, je crois…

Homme – Elle t’a dit ça ?

Femme 2 – Une femme qui sort elle-même la poubelle vit forcément seule… Et comme elle est trop âgée pour être encore célibataire, j’en conclus qu’elle est divorcée… ou veuve.

Homme – Elle n’est pas si vieille que ça…

Femme 2 – Elle doit avoir à peu près mon âge.

Homme – Ah, oui ? Ça ne se voit pas…

Femme 2 – Quand elle sort la poubelle le matin en peignoir avant de s’être maquillée, ça se voit, crois-moi… Mais dis donc, on dirait vraiment qu’elle t’a fait forte impression…

Homme – C’est toi qui m’en as parlé ! (Un temps) Et puis elle a téléphoné au cabinet aujourd’hui pour un détartrage…

Femme 2 – Un détartrage… Quand ça ?

Homme – Ce soir.

Femme 2 – Ah, d’accord… Il faut croire que c’était une urgence. Elle devait être sacrément entartrée…

Homme – Elle a peut-être un rendez-vous important…

Femme 2 – C’est ça, oui… Enfin… Tant que tu ne la ramènes pas à la maison… Parce que là, je te préviens, je suis capable de tout…

Homme – La ramener à la maison… Qu’est-ce que tu vas chercher…?

Ils commencent à s’éloigner.

Femme 2 – Eh bien tu ne remontes pas la poubelle  ?

Homme – Si, si… (Il prend la poubelle à roulettes par la poignée et suit sa femme)Mais quand tu dis capable de tout… Pas à tuer quand même ?

On entend la sonnerie d’un téléphone en provenance de la poubelle.

Noir.

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Lettre d’insulte

Une femme arrive, ouvre une boîte à lettres et constate, déçue, qu’elle est vide. Un homme arrive.

Homme – Pas de courrier aujourd’hui ?

Femme – Il y a quelques années, il m’arrivait encore de recevoir un faire-part de temps en temps. Et puis peu à peu, plus rien. J’ai l’impression d’être la seule survivante de ma génération.

Homme – Si je meurs avant vous, je vous promets de vous envoyer un faire-part.

Femme – C’est gentil… Je descends quand même tous les matins voir si j’ai du courrier. Ça me fait un peu d’exercice…

L’homme ouvre sa boîte qui déborde de lettres.

Homme – Je vous donnerais bien un peu du mien, mais ce sont principalement des lettres d’insultes.

Femme – D’insultes ? Ah oui… C’est vrai que votre femme vous a quitté…

Homme – Je crois qu’elle n’a pas trop supporté que je change de métier. Mais ce n’est pas elle qui m’envoie toutes ces lettres, vous savez.

Femme – Vous n’êtes plus professeur de français ?

Homme – J’ai démissionné il y a quelques mois. Maintenant je travaille dans une boucherie chevaline.

Femme – Ça doit vous changer.

Homme – C’est plus salissant.

Femme – Ah oui, c’est quand même une sacrée reconversion.

Homme – Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu envie de travailler dans la viande. Certains rêvent de devenir pompiers, moi je rêvais de devenir boucher.

Femme – Il faut de tout pour faire un monde, pas vrai ?

Homme – Mes parents étaient agrégés de philo tous les deux. Autant vous dire qu’ils n’étaient pas très favorables à ce projet. Je crois qu’ils auraient encore préféré si je leur avais dit que j’étais homosexuel et que je voulais devenir comédien. Alors j’ai d’abord fait des études de lettres, pour leur faire plaisir, et j’ai épousé une agrégée de latin. Mais finalement, c’est la passion qui a été la plus forte. J’ai pris des cours du soir, j’ai passé mon CAP, accessoirement j’ai divorcé, et me voilà enfin boucher !

Femme – La boucherie, c’est un beau métier. Mais pourquoi les chevaux ?

Homme – Je crois que les bœufs et les veaux, ça m’aurait trop rappelé mon ancien boulot de prof…

Femme – Je comprends… Avec tout ce qu’on voit maintenant… Mais toutes ces lettres d’insultes ? J’imagine que ce ne sont pas les chevaux qui vous écrivent pour se plaindre…

Homme – Ah, ça ? En fait, ça n’a rien à voir avec ma nouvelle profession. Ce sont mes anciens élèves qui continuent à m’écrire. J’ai arrêté en juin, et ils ne savent pas encore que j’ai démissionné.

Femme – Et vous allez lire tout ça ?

Homme – Pensez-vous ! Si encore c’était bien rédigé. Mais le vocabulaire est pauvre, la syntaxe déplorable et c’est bourré de fautes d’orthographe. Tenez, j’en ouvre une au hasard…

Il ouvre une enveloppe et lit.

Homme – Nique ta mère, bouffon d’enculé d’ta race, je t’attrape, j’te crève… Des veaux, je vous dis…

Femme – Vous savez quoi ? Ils ne vous méritaient pas…

Homme – Je vais mettre ça directement au recyclage.

Femme – Dans ce cas, donnez-les moi. Ça m’occupera.

Homme – Si vous y tenez… (Il lui tend le tas de lettres qu’elle saisit) Mais je vous aurais prévenue…

Femme – Si j’en vois une qui est plus intéressante que les autres d’un point de vue littéraire, je vous la mettrais de côté.

Homme – Parfait ! Et moi je vous mets un petit steak de cheval de côté pour midi ! C’est excellent pour la santé, vous verrez. Le cheval, c’est beaucoup moins gras que le bœuf, et c’est plein de fer.

Femme – De fer ? Pas de fer à cheval, j’espère.

Homme – Ah, n’oubliez pas qu’un fer à cheval, ça porte chance ! Allez, bonne journée à vous ! La viande, ça n’attend pas ! Comme disait Boris Vian : Faut que ça saigne !

Femme – Merci, bonne journée à vous !

Il s’en va. Elle regarde le paquet de lettres.

Femme – Voyons voir ça…

Elle repart elle aussi en lisant la première lettre qu’elle vient de décacheter.

Noir.

Avis de Passage

Lettre d’insulte Lire la suite »

Code d’accès

Une femme arrive dans le hall, le traverse et, perplexe, se place devant le digicode de la porte donnant accès à l’escalier. Un homme arrive à son tour et se dirige vers la même porte pour composer le code.

Femme – Excusez-moi… Je peux entrer avec vous… Je n’ai pas le code…

Homme – Euh… Oui… Enfin… Vous voulez dire que vous n’avez pas le code ?

Femme – Oui… C’est ce que je viens de vous dire, non ?

Homme – C’est à dire que… En principe, on doit avoir le code pour rentrer dans cet immeuble. C’est justement ça le principe…

Femme – Le principe ?

Homme – Ceux qui ont le code ont le droit d’entrer, les autres non. À quoi ça sert d’avoir un code, sinon ?

Femme – Ah, d’accord…

Homme – Ben ouais…

Femme – Donc vous ne voulez pas me laisser entrer ?

Homme – Ben non…

Femme – Vous me prenez pour une voleuse, c’est ça ?

Homme – Je ne sais pas, moi… Si vous habitiez dans cet immeuble, pourquoi est-ce que vous n’auriez pas le code ?

Femme – Pourquoi ? Le code pourrait avoir changé sans que j’en sois avertie.

Homme – Le code n’a pas changé depuis vingt ans.

Femme – Je pourrais l’avoir oublié !

Homme – C’est le genre de code qu’on n’oublie pas, croyez-moi. Beaucoup de personnes âgées habitent dans cet immeuble, alors on a choisi quelque chose de facile à mémoriser. Même un Alzheimer en stade terminal oublierait sa date de naissance avant d’oublier le code de cet immeuble…

Femme – 1515 ? 14-18 ? 16-64 ?

Homme – 16-64 ?

Femme – 16-64, ça ne vous dit rien ?

Homme – Donc, vous n’habitez pas dans cet immeuble…

Femme – Et votre date de naissance, vous vous en souvenez ?

Homme – Puisque vous n’habitez pas ici, qui venez-vous voir ?

Femme – Mais enfin, ça ne vous regarde pas ! Vous êtes de la police ?

Homme – Non. Mais c’est mon immeuble.

Femme – Cet immeuble vous appartient ?

Homme – J’en suis copropriétaire. Je veille sur la sécurité des gens qui l’habitent. Et sur l’intégrité de leurs biens.

Femme – Je vois… Vous êtes une sorte de milicien, en somme. Méfiez-vous. À la libération, certains pourraient avoir envie de vous tondre.

Homme – Dites-moi seulement ce que vous venez faire ici.

Femme – Je viens pour assassiner quelqu’un, ça vous va ?

Homme – À quel étage ?

Femme – Parce que ça change quelque chose ?

Homme – C’est juste pour vérifier que vous n’êtes pas encore en train de mentir.

Femme – La petite vieille du cinquième.

Homme – Au cinquième, c’est un couple d’homos et une fille mère.

Femme – Une fille mère ? Mais vous vivez à quelle époque ? À la fin du 19ème ?

Homme – Oui, bon, ça va… Je voulais dire une mère célibataire…

Femme – Une mère célibataire… Aujourd’hui, on dit une famille monoparentale, figurez-vous !

Homme – En tout cas, on ne dit pas la petite vieille du cinquième ! Donc vous mentez !

Femme – Évidemment, que je mens. Si j’étais venue pour assassiner quelqu’un, vous croyez vraiment que je vous préciserais l’étage ?

Homme – Ça ne me dit toujours pas ce que vous venez faire ici.

Femme – Au départ, je n’étais pas venue pour tuer quelqu’un, c’est vrai. Mais je dois avouer qu’après vous avoir rencontré, ça me donne des envies de meurtre…

Homme – Très bien, ironisez tant que vous voudrez. Mais tant que je ne saurai pas ce que vous venez faire ici, pas question de vous laisser entrer.

Femme – Ok… Je viens voir quelqu’un, ça vous va ?

Homme – Ah oui ? Et qui ça ?

Femme – Le dentiste.

Homme – Vous avez mal aux dents ?

Femme – C’est plus compliqué que ça…

Homme – Quel dentiste, d’abord ? Il y en a au moins trois ou quatre, dans l’immeuble.

Femme – Je ne connais pas son nom. Je veux dire son vrai nom.

Homme – C’est commode…

Femme – Non, justement, ce n’est pas commode. C’est quelqu’un que j’ai rencontré sur le net. Je connais seulement son pseudo.

Homme – Un pseudo ?

Femme – Il m’a donné rendez-vous chez lui, mais il a oublié de me donner le code.

Homme – Il vous donne rendez-vous chez lui, mais il ne vous donne pas le code…

Femme – Il a oublié, je vous dis !

Homme – Hun, hun… Vous n’avez qu’à lui téléphoner.

Femme – Je n’ai pas son numéro.

Homme – Ah, il ne vous a pas donné son numéro non plus. Apparemment, c’est quelqu’un qui tient beaucoup à préserver son intimité… Vous êtes vraiment sûre qu’il vous a invitée à venir chez lui ? Je veux dire, il ne vous a pas donné le code…

Femme – Il m’a donné l’adresse, il m’a dit qu’il habitait au troisième et qu’il était dentiste. Je pense que s’il ne voulait pas me voir…

Homme – Dentiste ? Au troisième… Donc c’est l’adresse de son cabinet. Pas de chez lui.

Femme – Et alors ?

Homme – Cela explique le fait qu’il ait oublié de vous donner le code.

Femme – Et pourquoi ça ?

Homme – Parce que dans la journée, il n’y a pas de code.

Femme – Donc il y a bien un dentiste au troisième.

Homme – Oui.

Femme – Alors vous voyez bien que je ne mens pas.

Homme – En même temps, c’est indiqué sur la plaque.

Femme – Quelle plaque ?

Homme – La plaque qui se trouve dehors à l’entrée de cet immeuble.

Femme – D’accord… Donc, vous ne voulez toujours pas me laisser entrer ?

Homme – Ça dépend… C’est quoi, votre pseudo, à vous ?

Femme – Pardon ?

Homme – Vous avez dit que vous ne connaissez ce dentiste que sous son pseudo. J’imagine qu’il ne vous connaît vous aussi que sous un nom de code.

Femme – Et pourquoi est-ce que je vous donnerais mon numéro de code ? C’est très personnel, non ? Plus que le code d’accès à un immeuble, en tout cas…

Homme – Disons que c’est donnant donnant.

Femme – Alex343.

Homme – Alex343 ?

Femme – Quoi ? Ça ne vous plaît pas non plus ?

Homme – Si, si… Alex343, c’est un très joli nom. (Changeant de ton) Pour une bien jolie personne… Ça donne envie de connaître les 342 autres Alex.

Femme – Vous me draguez, maintenant ? Vous ne manquez pas d’air ?

Homme – Nous sommes partis sur un mauvais pied, mais permettez-moi de me présentez : Domi459.

Femme – Domi459 ? Alors c’est vous ?

Homme – J’espère que vous n’êtes pas trop déçue…

Femme – Non, non, mais… Je ne vous imaginais pas comme ça…

Homme – Excusez-moi pour le code, mais comme en journée, il n’y en a pas…

Femme – Bien sûr.

Homme – Et puis on ne sait jamais à qui on a à faire.

Femme – Vous avez raison. On n’est jamais trop prudent.

Homme – Vous avez trouvé facilement ?

Femme – Oui, oui… Jusqu’à ce que j’arrive devant cette porte en tout cas…

Il lui montre la porte.

Homme – Mais allez-y, je vous en prie…

Femme – Euh…

Homme – Ah oui, c’est vrai… Vous n’avez pas le code… Attendez, je passe devant vous… 39-45, c’est facile à se rappeler…

Femme – Oui, c’est pratique…

Homme – Mais au fait, j’ai oublié de me présenter… Comme vous ne me connaissez que sous mon pseudo…

Femme – Votre nom est inscrit sur la plaque à l’entrée de l’immeuble.

Homme – Ah oui, c’est vrai ! Et vous, votre vrai nom, c’est quoi ?

Femme – Si vous permettez, j’attendrai de vous connaître un peu mieux avant de vous donner le code d’accès…

Ils sortent.

Noir.

Avis de Passage

Code d’accès Lire la suite »

Une ombre de la rue

Un personnage (homme ou femme) est là. Un autre arrive. Ne remarquant pas le premier, il se croit seul.

Invisible – Bonjour, je suis l’homme qu’on ne voit pas.

Inaudible – Mais… qui m’appelle ?

Invisible – Je vous rassure, vous n’entendez pas des voix, comme Jeanne d’Arc. Mais je vous disais justement que… J’espère que vous n’êtes pas sourd, au moins ?

Inaudible – Non, non, je vous entends très bien. Mais où êtes-vous ?

Invisible (au public) – C’est le drame de ma vie, je suis complètement transparent.

Inaudible – Et vous vous m’entendez ?

Transparent (au public) – Je le vois très bien bouger les lèvres, mais je n’entends pas du tout ce qu’il me dit…

Inaudible – C’est l’histoire de ma vie, je ne suis pas muet, mais personne ne m’entend. Même pas les sourds.

Transparent – Comment savoir s’il a bien compris ma question, je n’entends pas sa réponse.

Inaudible – Je ne peux pas le voir, et je n’arrive pas à me faire entendre. Ça ne va pas être évident d’avoir une conversation suivie…

Un troisième personnage arrive.

Inodore (s’adressant à celui qu’il voit) – Vous parlez tout seul ?

Inaudible – Ce n’est même pas la peine que je lui réponde…

Invisible – Non, pas du tout, je parlais à ce Monsieur que vous voyez là.

Inodore – C’est curieux, je vous vois ici, et c’est par là que je vous entends !

Invisible – Ah non, mais lui, vous ne risquez pas de l’entendre. C’est l’homme inaudible.

Inodore (un peu perdu) – Ah oui… Et vous ?

Invisible – Je suis l’homme invisible.

Inodore – Je vois… Comme au cinéma, vous voulez dire ?

Invisible – Oui… Sauf que moi, je suis vraiment transparent. Et pour un comédien, croyez-moi, ce n’est pas forcément un avantage.

Inodore – Ça alors… Lui je le distingue parfaitement, mais je n’entends pas ce qu’il me dit, alors que vous…

Invisible – Moi, au moins… même invisible, je reste parfaitement compréhensible.

Inodore – Grâce à Dieu moi aussi.

Invisible – Alors je crois qu’on va bien s’entendre.

Inodore – Pourtant en général, les gens disent qu’ils ne peuvent pas me sentir.

Transparent hume un peu l’air dans sa direction.

Inaudible – C’est pourtant vrai. C’est quand les gens ne sentent absolument rien qu’on le remarque.

Inodore – Vous disiez ?

Invisible – Rien. Mais je pensais qu’être inodore, c’est quand même moins gênant que d’être invisible, comme moi, ou inaudible, comme ce pauvre homme.

Inodore renifle dans sa direction, visiblement incommodé.

Inodore – Pas d’odeur… Dans certains cas, ça peut même être un avantage pour les autres, croyez-moi.

Inaudible (incommodé aussi) – Ah oui, lui on ne le voit pas, mais on sent bien sa présence, c’est sûr….

Invisible – C’est étrange…

Inodore – Quoi donc ?

Invisible – Nous ne sommes que trois, n’est-ce pas ?

Inaudible – Il me semble, non ?

Invisible – Et pourtant… Je sens comme une présence, pas vous ?

Inodore – À part vous, je ne sens rien…

Inaudible – Une présence spirituelle, vous voulez dire ?

Silence.

Invisible – À moins que ce soit lui…

Inaudible – Lui ?

Inodore – Celui qui, en plus d’être invisible, inaudible et inodore…

Inaudible – Est aussi intouchable et complètement insipide.

Inodore – Dieu ? Enfin ça n’a pas de sens…

Inaudible – En tout cas, ça n’a de sens pour aucun des cinq que nous connaissons.

Invisible – À moins qu’il n’émette sur une autre fréquence…

Inaudible – Ah oui… Si Dieu existe, on peut dire que c’est quelqu’un d’excessivement discret…

Un temps.

Inodore – Je me demande même si à un tel niveau de discrétion, on peut encore parler d’exister.

Inaudible – Mouais…

Les deux autres tournent le regard vers lui. Il a l’air étonné.

Inaudible – Quoi, qu’est-ce que j’ai ?

Noir

Brèves de Trottoirs

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Un bon coup de balai

Maria est en train de passer un coup de balai. Edouard arrive en costume trois pièces.

Edouard – Ah Maria… Je voulais vous dire un mot, justement…

Maria arrête de balayer.

Maria – Oui, Monsieur ?

Edouard – Il y a combien d’années que vous balayez pour nous, Maria ?

Maria – Je ne sais pas, Monsieur. Je n’ai pas compté. Vous n’êtes pas content de mon travail ?

Edouard – Si, si, Maria, au contraire. Je tenais d’ailleurs à vous féliciter. Vous connaissez la devise de notre banque ?

Maria – Il faut savoir balayer devant sa porte ?

Edouard – Bien Maria, exactement ! Grâce à vous, la devanture du Crédit Solidaire est toujours impeccable. Et la devanture d’une banque, c’est sa vitrine, n’est-ce pas ? Si la vitrine d’une banque n’est pas impeccablement tenue, les clients pourraient se dire que…

Maria – Le banquier n’est sûrement pas très net non plus…

Edouard – Voilà ! Vous avez tout compris, Maria.

Maria – Je peux continuer mon travail, Monsieur ?

Edouard – Pas tout à fait, Maria…

Maria – Bon…

Edouard s’éclaircit la gorge.

Edouard – Comme vous le savez, ma chère Maria… Ma très chère Maria… Je dirais même ma trop chère Maria… C’est la crise.

Maria – Ah oui, Monsieur ?

Edouard – La crise, Maria ! Même si vous ne lisez pas la presse économique tous les jours, vous en avez entendu parler, tout de même ? Mais oui, suis-je bête ! Vous êtes bien espagnole, Maria, n’est-ce pas ?

Maria – Portugaise, Monsieur…

Edouard – Mais c’est encore mieux ! Enfin, je veux dire encore pire… Le Portugal est le pays le plus endetté de la zone euros ! Ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant ?

Maria – Non, Monsieur…

Edouard – Bref, c’est la récession, et le monde de la finance, bien entendu, est le premier affecté par la baisse générale des valeurs…

Maria – Les valeurs…

Edouard – Je parle des valeurs boursières, évidemment, mais soyez-en persuadée, Maria, de la dépression économique à la dépression tout court, il n’y a souvent qu’un pas. Quand la bourse est à la baisse, le moral l’est aussi. Et quand le moral est dans les chaussettes, la crise morale n’est pas loin non plus.

Maria – Oui, Monsieur…

Edouard – Vous-même Maria, ne me dites pas que vous n’êtes pas un peu déprimée ?

Maria – Ça va, Monsieur, je ne me plains pas…

Edouard – Excusez-moi, Maria, mais quand on vous voit, comme ça, avec votre balai… On n’a pas l’impression que vous respirez la joie de vivre, je vous assure !

Maria – Je suis peut-être un peu fatiguée, en ce moment… À force de balayer devant votre porte…

Edouard – Tout cela pour vous dire, Maria, que notre banque, évidemment, n’est pas non plus épargnée par la tourmente… et que nous devons faire nous aussi des économies. Vous comprenez cela, n’est-ce pas ?

Maria – Oui, Monsieur…

Edouard – Pour votre bien, Maria, le Crédit Solidaire a donc dû prendre des mesures drastiques et néanmoins douloureuses afin de préserver votre emploi. Emploi dont la pérennité, je peux vous le dire maintenant, était gravement menacée.

Maria – Merci Monsieur…

Edouard – J’ai donc le plaisir de vous annoncer, Maria, que vous n’êtes pas licenciée.

Maria – Je travaille au noir, Monsieur.

Edouard – Quoi qu’il en soit, vous pourrez continuer à balayer devant notre porte jusqu’à nouvel ordre. Et qui sait ? Un jour peut-être, je vous laisserai balayer aussi le bureau du Directeur.

Maria – Merci, Monsieur…

Edouard – Évidemment, le Crédit Solidaire attend de vous que vous fassiez aussi un petit effort pour nous aider à préserver l’emploi dans ce pays. Car sans emploi, pas de pouvoir d’achat, sans achat pas de confiance, et sans confiance, pas d’emploi. C’est le cercle vicieux de la stagflation, vous me suivez ?

Maria – J’essaie, Monsieur…

Edouard – Tout cela vous dépasse, bien sûr, ma pauvre Maria, mais vous pouvez me faire confiance… Je vais d’ailleurs essayer d’être plus clair… En contrepartie de la préservation de votre emploi, le Crédit Solidaire vous propose une baisse de rémunération de trente pour cent. J’imagine que cette proposition vous semble raisonnable, n’est-ce pas ?

Maria – Trente pour cent ?

Edouard – Un petit tiers, si vous préférez.

Maria – Un tiers en moins ?

Edouard – Ben oui, pas en plus, hein ? Vous savez que par les temps qui courent, même les emplois de balayeurs ne courent pas les rues, Maria. Bientôt pour balayer dans une banque, même au black, il faudra au moins bac plus trois ! Plus éventuellement un bon coup de piston et une promotion canapé… Vous avez le bac, vous, Maria ?

Maria – Non Monsieur…

Edouard – J’imagine que vous n’avez pas davantage de relations haut placées ?

Maria – Non, Monsieur…

Edouard – Et pour la promotion canapé, ma chère Maria, sans vouloir vous vexer, je ne suis pas sûr non plus que tous les atouts soient vraiment de votre côté… Que voulez-vous, c’est comme ça… C’est la grande loterie de la vie… Et même le Crédit Solidaire n’y pourra rien changer… Certains naissent en Suisse avec un nom à rallonge et un physique avantageux, et d’autres… Bref, vous conviendrez donc que notre proposition est plus que généreuse… Qu’en pensez-vous ?

Maria – Ce que j’en pense, Monsieur ?

Edouard – Oui Maria… Ce n’est pas absolument nécessaire que vous en pensiez quelque chose, mais je vous écoute néanmoins. Nous sommes toujours en démocratie, quand même…

Maria semble en effet réfléchir.

Maria – Ce que j’en pense…

Edouard – Vous devez bien en penser quelque chose…

Maria – Mais je pense bien que j’en pense quelque chose, Monsieur… (Maria lève son balai pour le frapper). Voilà ce que j’en pense, Monsieur !

Edouard – Maria ? Mais vous êtes devenue folle ?

Elle le poursuit avec son balai jusque dans les coulisses.

Edouard – Mais enfin, Maria, calmez-vous ! Et puis ce n’est qu’une proposition ! Nous sommes pour le dialogue social, nous aussi…

On entend les cris d’Edouard depuis les coulisses.

Edouard – Aïe… Ouille… Vingt pour cent ?

Maria – Vous voulez encore tâter de mon balai ?

Edouard – Dix pour cent ?

Maria – Dix pour cent d’augmentation ?

Edouard – C’est à dire que…

Ils reviennent tous les deux sur scène. Maria tient Edouard en respect avec son balai, prête à frapper à nouveau.

Edouard – Très bien Maria… Il faut savoir terminer une négociation, et j’ai bien compris que votre proposition justement n’était pas négociable… Marché conclu… Le Crédit Solidaire vous augmente de dix pour cent…

Maria – Très bien, Monsieur.

Edouard – Mais dites-moi, Maria, vous êtes dure en affaire… Nous savons aussi apprécier chez nos employés les qualités qui sont les leurs… Et on peut dire que vous ne manquez pas de caractère…

Maria – Merci, Monsieur…

Edouard – Ça vous dirait un petit stage de formation, entièrement payé, bien sûr, pour intégrer notre service de recouvrement ? Comme je vous le disais, c’est la crise, et les mauvais payeurs sont de plus en plus nombreux…

Maria – Encore un coup de balai, Monsieur ?

Il s’éloigne prudemment.

Edouard – N’en parlons plus, Maria. Je vous laisse travailler…

Maria – Merci, Monsieur.

Noir.

Brèves de Trottoirs

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Le pari de Pascal

Un personnage arrive, un peu désorienté. Il jette un regard vers le plan qu’il tient à la main. Il aperçoit alors quelque chose par terre et, intrigué, le ramasse. C’est un billet de banque, qu’il examine avec curiosité. Un autre personnage arrive. Celui qui a trouvé le billet interpelle l’autre.

Un – Excusez-moi, vous n’auriez pas…?

Deux (l’interrompant) – Désolé, mais je n’ai pas de monnaie.

Un – Ah, non, mais je ne fais pas la manche… Au contraire… Je voulais vous demander si vous n’aviez pas perdu un billet, par hasard ?

L’autre, un peu surpris, s’arrête et se radoucit quelque peu.

Deux – Un billet ? Ça dépend… C’est un billet de combien ?

Le premier jette un regard au billet.

Un – Cinq cents.

Deux – Ah oui, quand même… Attendez, je regarde… (Il fait mine de fouiller ses poches). Je… Oui, peut-être… Un billet de cinq cents euros, vous disiez ?

L’autre examine le billet.

Un – Oui, cinq cents… Ah non, dites donc…

Deux – Ce n’est pas un billet de cinq cents ?

Un – Si, mais c’est un billet de cinq cents francs !

Deux – Des francs ? Vous voulez dire… des anciens francs ?

Un – Ah non, des nouveaux… Enfin… Les francs d’avant, quoi… Les anciens francs, ça n’existe plus, non ?

Un – Les nouveaux francs non plus, ça n’existe plus… Faites voir…

L’autre lui tend le billet.

Deux – Ah oui, cinq cents francs… Un Pascal, comme on disait à l’époque… Ça faisait un moment que je n’en avais pas vu… Quand ils étaient en circulation, je n’en voyais déjà pas souvent…

Un – Pascal… C’était un philosophe, non ?

Deux – Un mathématicien, je crois…

Un – Ah oui ! Le pari de Pascal !

Deux – Cinq cent francs…

Un – Ça fait combien en euros ?

Deux – Ah peu près cent euros, non ? Quelque chose comme ça…

Un – Donc, ce n’est pas à vous… Vous croyez qu’on peut encore les échanger ?

Deux – À la Banque de France, vous voulez dire ? Ah, je ne crois pas, non… (Il lui rend le billet). Je ne suis même pas sûr que ça existe encore, la Banque de France.

Un – Vous croyez ?

Deux – Maintenant, avec l’Europe.

Un – Quand même, la Banque de France…

Un troisième personnage arrive, semblant chercher quelque chose. Les deux autres le regardent, intrigués.

Un – Vous cherchez quelque chose ?

Trois – Oui, j’ai… Je crois que j’ai perdu cent euros, dites donc…

Deux – Cent euros ?

Un – Et vous n’en êtes pas sûr ? Il me semble que moi, si je perdais cent euros…

Trois – C’est à dire que… Je suis allé au distributeur, ça je le sais… J’ai retiré cent euros, comme dab… Mais je ne les retrouve pas… Ils sont peut-être tombés de ma poche… Vous ne les auriez pas trouvés, par hasard ?

Un – Cent euros ? Non…

Trois – Ou alors, j’ai oublié de les prendre…

Deux – Comment ça, oublié ?

Trois – Avant, c’était ma carte bancaire que j’oubliais dans le distributeur. Je prenais l’argent, et j’oubliais la carte… Maintenant, je fais bien attention à reprendre ma carte… Mais parfois, j’oublie de prendre les billets…

Un – Dans ce cas, la machine les ravale, non ?

Trois – Oui… À moins que quelqu’un les ait pris avant…

Deux – Ou que le vent les ait emportés.

Un – C’est vrai qu’il y a du vent, aujourd’hui.

Deux – Les feuilles mortes se ramassent à la pelle…

Le premier montre le billet qu’il a trouvé.

Un – Les billets de banque aussi…

Trois – Vous avez trouvé mes cent euros ?

Un – Voilà ce que je viens de ramasser par terre.

Il lui tend le billet de cinq cents francs.

Trois – Un billet de cinq cents francs…

Deux – Ça ne peut pas être le vôtre.

Trois – C’est quand même curieux, remarquez…

Un – Quoi ?

Trois – Cinq cent francs… ça fait à peu près cent euros, non ?

Deux – Mais enfin… comment votre billet de cent euros aurait-il pu se transformer en un billet de cinq cent francs ?

Trois – Ouais… Surtout que moi, c’était deux billets de cinquante euros.

Un – Comment vous le savez ? Vous n’êtes même pas sûr de ne pas les avoir oubliés dans le distributeur ?

Trois – Vous avez raison… Mais les billets de cent euros, c’est plutôt rare, non ?

Deux – De nos jours, moins que les billets de cinq cents francs.

Un – Par quel miracle deux billets de cinquante euros pourraient-il se convertir en un billet de cinq cents francs ?

Deux – Personnellement, je ne crois pas aux miracles… Et puis transformer deux billets de cinquante euros en un billet de cinq cents francs même plus échangeable, tu parles d’un miracle…

Trois – Surtout qu’en réalité, cent euros, ça fait 655 francs et 96 centimes… En arrondissant un peu… Du coup je perds plus de 155 francs dans l’opération…

Un – Ah oui, on est loin de la multiplication des pains, c’est clair…

Ils restent un instant perplexes.

Deux – Ou alors, ça vient du DAB…

Trois – Comment ça ?

Deux – Vous dites que vous n’avez pas regardé les billets. Vous n’êtes même pas sûr de les avoir pris.

Trois – Et alors ?

Deux – C’est peut-être le distributeur qui vous a refourgué un billet de cinq cent francs au lieu de deux de cinquante euros.

Trois – Vous croyez ? Mais c’est du vol !

Deux – Il est peut-être détraqué.

Un – Mais enfin s’il n’a pas pris les billets, le DAB les a avalés.

Trois – Allez savoir… Il y a peut-être des DAB qui n’avalent pas…

Deux – Surtout quand on essaie de leur faire avaler des billets qui n’ont même plus cours.

Trois – Mais vous dites que c’est le distributeur qui me l’a refilé, ce billet de cinq cents balles ! Alors la banque me refile un billet périmé, et après le DAB ne veut pas le ravaler ?

Deux – C’est vrai que c’est un peu dur à avaler…

Un – Peut-être qu’il l’a avalé, et qu’il l’a recraché.

Trois – En tout cas, j’ai l’impression désagréable que dans cette histoire, c’est moi qui me suis fait baisé.

Deux – C’est un peu l’impression qu’on a tous en sortant de sa banque, non ?

Trois – Un DAB qui se met à redistribuer des francs… Ça n’a pas de sens, non ?

Un – Je ne sais pas moi… Vous voyez une autre explication, vous ?

Nouveau silence perplexe.

Un – Ils ne seraient pas repassés au franc sans nous le dire, quand même ?

Deux – C’est vrai que ça fait un moment que je n’ai pas écouté les informations…

Trois – Tout de même… Revenir au franc… On a beau être un peu distrait… On ne parle pas d’avoir raté le passage à l’heure d’été, là…

Deux – J’ai bien une autre hypothèse, mais ça fout un peu les jetons…

Un – Dites toujours…

Deux – Et si on avait fait un bond dans le passé…

Trois – Un bond ?

Un – Vous voulez dire… comme dans un film de science fiction ? On aurait été projetés en arrière dans le temps… avant le passage à l’euro.

Trois – Vous plaisantez ? Et puis franchement, un voyage dans le temps… Si c’est juste pour revenir à l’époque du franc… Tu parles d’un film…

Deux – Je n’ai pas dit que c’était un bon film… C’est peut-être juste un mauvais cauchemar…

Un – C’est simple, on n’a qu’à regarder l’argent qu’on a dans nos poches…

Trois – Moi, je n’ai rien… J’allais au distributeur, justement…

Deux – Je suis parti sans mon portefeuille… Je viens de descendre la poubelle…

Un – J’ai un peu de monnaie dans ma poche…

Il fouille sa poche et en sort une pièce.

Un – Ah voilà… Une pièce de un euro…

Trois – Ouf…

Deux – Faites voir ?

Il l’examine.

Deux – C’est une pièce de dix francs…

Un – Non ?

Le troisième examine la pièce à son tour.

Trois – Ah oui, dites donc… C’est vrai que ça ressemble beaucoup à une pièce d’un euro… mais c’est bien une pièce de dix francs.

Deux – Je crois que là, il se passe vraiment quelque chose de pas ordinaire…

Un – Ne nous affolons pas… On me l’a peut-être refourguée à la boulangerie par erreur, cette pièce de dix francs… Ça arrive…

Deux – Tout de même… Ça commence à ressembler à un faisceau de présomptions, comme on dit dans les séries policières…

Arrive un quatrième personnage.

Quatre – Excusez-moi de vous déranger, je sais que ça va vous paraître curieux comme question, mais vous n’auriez pas trouvé un billet de cinq cent francs par hasard ?

Les trois autres le regardent avec suspicion.

Un – À moi de vous poser une question… En quelle année sommes nous ?

Quatre – Mais… on est toujours en 2015, il me semble… Jusqu’au 31 décembre en tout cas…

Deux – Alors comme ça, en 2015, vous vous baladez dans la rue avec un billet de cinq cent francs ? Non mais vous vous rendez compte ?

Un – C’est vrai, on était morts d’inquiétude, nous !

Trois – On a cru un instant qu’on avait fait un grand bond en arrière. Comme dans ce film, là… Retour vers le Passé…

Quatre – Ce n’est pas Retour vers le Futur, le film ?

Deux – Oui, bon, ce n’est pas le problème.

Quatre – Excusez-moi, je… Je ne pensais pas vous…

Deux – Non mais c’est un monde, tout de même…

Un – Tenez, le voilà votre billet de cinq cents balles !

Trois – Mais qu’est-ce que vous allez foutre avec ça ?

Quatre – Eh bien… Je me rendais présentement chez un numismate…

Trois – Un numismate ?

Quatre – Les… Les pièces et les billets de collection, vous voyez…

Un – Je vois…

Quatre – J’ai retrouvé ce billet chez moi, dans un bouquin qui appartenait à mon grand-père.

Deux – Le genre de grand-père à se servir de billets de banque comme marque pages…

Un – Remarquez, c’est vrai que c’est moins salissant que les sardines à l’huile.

Quatre – Donc j’ai regardé sur internet ce que ça pouvait valoir aujourd’hui.

Deux – Combien ?

Quatre – Cent euros ! Vous vous rendez compte ? À l’époque où c’était encore échangeable, ça n’en valait que soixante seize…

Trois – Ah oui, c’est… C’était un petit malin, votre pépé, finalement.

Un – Oui, c’est ce qui s’appelle un pari sur l’avenir… Avec ce Pascal, votre grand-père vous aura fait gagner dans les vingt-quatre euros.

Quatre – Ça fait combien, vingt-quatre euros, en francs ?

Trois – Environ 157 francs et 43 centimes…

Quatre – Ouah… Bon ben… Merci, en tout cas… Heureusement qu’il y a encore des gens honnêtes comme vous…

Les trois qui restent regardent le quatrième partir.

Trois – Ça ne me dit pas où sont passés mes cent euros, tout ça…

Les deux autres le regardent.

Noir.

Brèves de Trottoirs

Le pari de Pascal Lire la suite »