Changement de décor

Le faisceau d’une lampe torche dans l’obscurité. Puis un deuxième. Le premier éclaire le visage de la deuxième.

Lui – Ah, c’est toi ! Tu m’as fait peur…

Elle – Alors ?

Lui – Ça y est, tout est dans le camion.

Elle – Ça s’est bien passé ?

Lui – La routine.

Elle dirige le faisceau vers le public.

Elle – Donc, il n’y avait personne…

Lui – Avec le vacarme qu’a fait le clébard quand je suis arrivé… S’il y avait quelqu’un dans la maison, il se serait déjà réveillé.

Elle – Ou alors, c’est qu’il est mort.

Lui – Ne parle pas de malheur. Tu imagines un peu ? Tu rentres dans une baraque la nuit pour la cambrioler, et tu tombes sur un macchabée…

Elle – Avec la poisse que j’ai en ce moment, ça ne m’étonnerait qu’à moitié.

Lui – Ouais… J’ai vu ça dans un film, une fois. Je ne sais plus comment ça s’appelait…

Elle – Tu me raconteras ça une autre fois. Et, le clébard… Ça va ?

Lui – Merci de t’inquiéter de savoir si je ne me suis pas fait mordre…

Elle – Tu t’es fait mordre ?

Lui – Il a déchiré mon pantalon. J’ai dû l’assommer…

Elle – S’il n’y a personne, on peut allumer, non ?

Lui – Vassy, les maisons tout autour sont inoccupées. C’est surtout des résidences secondaires. Sans parler de ceux qui ont déjà déménagé.

Elle – À cause des cambriolages, sûrement.

Lui – Si ça continue, il n’y aura plus que des maisons vides à cambrioler dans la région.

Elle actionne un interrupteur et la lumière se fait. Les vêtements de l’homme sont en lambeaux.

Elle – Ah oui, il t’a bien arrangé. Pauvre bête… Tu ne lui as pas fait trop mal, au moins ?

Lui – Pourquoi ? Tu veux faire un signalement à la SPA ?

Ils jettent un regard circulaire sur les lieux.

Elle – Tu as fait le grand nettoyage, dis donc. Il n’y a plus rien.

Lui – Tout est rentré dans le camion.

Elle – Des choses intéressantes ?

Lui – Des meubles surtout. Des bibelots. Plutôt de mauvais goût.

Elle – Je vois…

Lui – Genre nouveau riche.

Elle – Il vaut mieux être un nouveau riche qu’un nouveau pauvre.

Lui – En revanche, il y avait un coffre-fort.

Elle – Non ?

Lui – J’en suis venu à bout.

Elle – Combien ?

Lui – Tout est dans le camion. Je n’ai pas compté.

Elle – On verra ça tout à l’heure. On ne va pas traîner ici. Tu as regardé dans les autres pièces ?

Lui – J’ai tout vidé. Tu es venue avec Momo ?

Elle – J’ai piqué un roupillon dans la voiture en venant, je ne sais même pas où on est. (Elle regarde à nouveau autour d’elle) C’est fou ce qu’une maison vide peut ressembler à une autre.

Lui – Oui…

Elle – Tu es sûr que c’est la bonne maison ?

Lui – Tu as vu la croix, en bas, sur la façade. Momo a fait le repérage dans le coin la semaine dernière.

Elle – Ouais… Le genre de croix qui veut dire objets de valeurs, pas d’alarme, effraction facile…

Lui – Il ne s’était pas trompé. Sauf pour le chien. Il devait dormir quand il est passé.

Elle – C’est bizarre. Cette maison me dit vaguement quelque chose…

Lui – Des gens que tu connais, peut-être…

Elle – Peut-être…

Elle ramasse quelque chose par terre.

Lui – Qu’est-ce que c’est ?

Elle – Une quittance EDF.

Lui – Ça a dû tomber d’un tiroir.

Elle – Elle est à mon nom…

Lui – Non…?

Elle – Je me disais bien aussi…

Lui – Tu veux dire que…

Elle – On est chez moi ! Je rêve… Vous avez cambriolé chez moi !

Lui – Comment je pouvais savoir, moi ! Il y avait la croix sur le mur. Tu n’as pas dit à Momo où tu habitais ?

Elle – Non… Et toi ?

Lui – Ça ne m’est pas venu à l’idée…

Elle – Oh putain… Il y avait une chance sur mille…

Silence.

Lui – Bon… Ben le déménagement sera plus vite fait…

Elle – Je n’avais pas l’intention de déménager.

Lui – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Elle – Que veux-tu qu’on fasse ? On n’a plus qu’à remettre les meubles en place. Tu sais, les meubles et les bibelots de mauvais goût. Genre nouveau riche…

Lui – OK…

Elle – Et puis tu vas me rendre mon fric. J’aurai peut-être assez pour me payer un nouveau coffre-fort avec. Maintenant que t’as percé le mien…

Lui – Tu n’as rien à regretter de ce côté-là. C’était de la camelote. J’en suis venu à bout en cinq minutes…

Elle – C’est dingue. J’espère que le chien s’en sortira, au moins…

Lui – Tu te préoccupes encore de ce putain de clébard ?

Elle – C’est le mien ! C’est mon chien que tu as assommé !

Lui – Ah oui, c’est vrai, excuse-moi… Bon, ça va, il s’en remettra.

Elle – Oui… Il était allongé devant sa niche quand je suis passée. Je me demandais pourquoi il n’avait pas aboyé quand il m’a vue.

Lui – Il a reconnu sa maîtresse, forcément.

Elle – Ouais… Et moi, je n’ai même pas reconnu ma propre baraque…

Lui – Et après on va dire que les bêtes sont moins intelligentes que nous.

Elle – Bon, alors au boulot. Parce qu’on n’a pas fini, hein…

Lui – Sinon, on déclare le cambriolage, et tu te fais rembourser par l’assurance.

Elle – Tu crois ?

Lui – On se débarrasse de tout ce bazar, si on arrive à le refourguer à quelqu’un. Et tu en profites pour changer la déco…

Elle – Ouais… Et puis ça évitera un changement de décor au metteur en scène.

Lui – On sort par la cour ou par le jardin ?

Ils sortent.

Noir.

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