Le patron est derrière le bar. Elle arrive. C’est la même femme que dans la première scène.
Patron – Vous êtes revenue me demander en mariage ?
Elle – Ça ne fait pas encore dix ans…
Patron – Cinq.
Elle – Et vous vous souvenez encore de moi ?
Patron – Je vous l’ai dit, j’ai mes têtes… La vôtre est de celles qu’on n’oublie pas facilement. Toujours pas de calva ?
Elle – Je n’en aurai plus besoin. Enfin j’espère…
Patron – Tant mieux.
Elle – Vous vous rappelez ? Vous m’aviez lu mon horoscope…
Patron – « Vous donnerez votre cœur à un inconnu ». (Montrant le journal) C’est encore dans le journal d’aujourd’hui.
Elle – Ils reprennent souvent les mêmes formules.
Patron – Cette fois, c’est bien à la rubrique amour.
Elle – Ils ne se sont pas trompés. J’ai rendez-vous avec lui.
Patron – Ici ?
Elle – Dans cinq minutes.
Un temps.
Patron – Vous avez rencontré un inconnu sur un site de rencontre ?
Elle – C’est mon ex-mari. On a divorcé il y a quelques années.
Patron – Ah oui… Donc, ce n’est pas tout à fait un inconnu…
Elle – On a vécu ensemble pendant dix ans. J’avais l’impression de vivre avec un étranger. C’est moi que je ne connaissais pas. C’est moi qui n’allais pas bien.
Patron – Pourquoi maintenant ?
Elle – Il a subi une transplantation cardiaque il y a un an.
Patron – Alors vous vous êtes dit qu’avec un cœur tout neuf…
Elle – Quand il a appris qu’il était malade, il ne m’a rien dit. Ça n’allait déjà plus entre nous. Il ne voulait pas que je reste avec lui par pitié, j’imagine.
Patron – Et vous l’avez quitté…
Elle – Il m’a raconté qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre…
Patron – Mais ce n’était pas vrai…
Elle – Il avait une chance sur deux d’y rester. Il ne voulait pas faire de moi une veuve éplorée…
Patron – Il a préféré faire de vous une joyeuse divorcée… Et donc, il a survécu…
Elle – Je travaille à l’hôpital… J’ai appris par hasard qu’il avait subi une transplantation. C’est moi qui l’ai appelé… Je lui ai demandé s’il voulait qu’on se revoit.
Patron – Dans l’espoir que son cœur tout neuf se remette à battre pour vous… Attention… dans votre jargon, on pourrait appeler ça de l’acharnement thérapeutique !
Elle – Vous pensez qu’on ne peut pas aimer deux fois la même personne ?
Patron – En tout cas, on peut épouser deux fois le même homme, et on peut divorcer deux fois d’avec la même femme.
Elle – Ce n’est plus tout à fait le même homme. Vous l’avez dit, il a un cœur tout neuf…
Patron – Tout neuf, pas tout à fait… Celui ou celle à qui il a appartenu était peut-être déjà très malheureux en amour.
Elle – Finalement, vous êtes encore plus pessimiste que moi.
Patron – Je suis jaloux, c’est tout. Je vous l’ai dit, vous êtes de celles qu’on n’oublie pas…
Elle – J’espère que lui non plus ne m’aura pas oubliée… (Au bord des larmes) Et qu’il m’aura pardonnée…
Il pose sa main sur la sienne pour la réconforter.
Lui – Ayez confiance en vous.
Elle tourne son regard vers la vitrine du café, côté public.
Elle – Le voilà… J’ai le cœur qui bat…
Patron – Aussi fort que quand vous l’avez rencontré ?
Elle – Beaucoup plus fort…
Patron – Espérons que le sien ne lâchera pas maintenant, ce serait trop bête…
Elle – Finalement, je le prendrais bien, ce petit calva.
Il lui sert un verre, qu’elle boit cul sec.
Patron – Ça va aller.
Elle – Merci.
Elle lui presse la main une dernière fois, et s’éloigne vers le public pour aller à la rencontre de son ex-mari.