Deux personnages sont assis à une table de bistrot, chacun devant un ballon de rouge.
Un – Allez, à la tienne !
Deux – Santé !
Ils prennent une gorgée. Le premier fait la grimace. L’autre a l’air d’apprécier.
Un – Il est vraiment dégueulasse, non ?
Deux – Oui, mais pour moi il a le goût de la liberté.
Un – Pourquoi ? Tu sors de prison ?
Deux – Presque. J’ai mes beaux-parents chez moi pour les vacances. J’ai réussi à m’échapper une heure.
Un – Ah merde.
Deux – J’ai dit que j’allais faire vérifier le niveau d’huile sur la bagnole.
Un – Tu n’as pas une voiture électrique ?
Deux – Si… Tu vois un peu où j’en suis rendu…
Un – Ah ouais…
Deux – Ils ne sont là que depuis deux jours et je ne les supporte déjà plus. Surtout mon beau-père…
Silence.
Un – Tu veux que je t’en débarrasse ?
Deux – Tu veux les prendre chez toi, c’est ça ? Si ma femme est d’accord, je te les refile tout de suite. Je suis prêt à payer, tu sais. J’irais jusqu’au double du tarif en chambre d’hôtes. Parce que ce n’est pas un cadeau, je t’assure.
Un – Non, je voulais dire… les faire disparaître.
Deux – Comment ça, disparaître ? Tu es prestidigitateur ? Malheureusement, quand un prestidigitateur fait disparaître quelqu’un, il finit toujours par réapparaître au bout de quelques minutes. Ça me servirait à quoi ? Et puis tu n’es pas magicien, si ?
Un – Non, bien sûr… Non, moi, ce que je te propose, c’est de les faire disparaître… définitivement.
L’autre reste un instant interdit.
Deux – Très drôle.
Un – Je ne plaisante pas.
Deux – Définitivement…?
Un – Je connais un type qui peut s’en occuper, si tu veux.
Deux – Tu déconnes ?
Un – Pas du tout.
Deux – Un tueur à gages, tu veux dire ?
Un – Il ferait juste ça pour rendre service. Pas gratuitement non plus, évidemment.
Deux – Tu connais des tueurs à gages, toi ?
Un – Non, je ne connais pas… des tueurs à gages. Mais j’en connais un.
Deux – Eh bien moi, je n’en connais aucun, tu vois. Où est-ce que tu l’as connu, ce type ?
Un – En prison.
Deux – En prison ?
Un – On a partagé la même cellule pendant trois ans.
Deux – Tu as fait de la prison, toi ?
Un – Ben ouais.
Deux – Et pour quoi ?
Un – Pourquoi ?
Deux – Pour quel motif on t’a mis en prison ? Qu’est-ce que tu avais fait ?
Un – Tentative de meurtre.
Deux – Tentative ?
Un – J’ai raté mon coup. Je n’étais pas très doué. Mais lui c’est un pro, je t’assure. Il en a déjà refroidi plus d’un, je te le garantis.
Deux – Tu me fais marcher là…
Un – Pas du tout.
Deux – Tu es sérieux ?
Un – Très sérieux.
L’autre digère cette information.
Deux – C’est dingue, ça. À part dans les films, je ne savais pas que ça existait, les tueurs à gages. Alors tu passes commande, comme ça, comme pour une pizza, et…
Un – Oui. Ça s’appelle un contrat.
L’autre réfléchit à nouveau.
Deux – Un contrat… Et ça coûterait combien ? Non mais c’est juste par curiosité, hein ?
Un – Ça dépend…
Deux – Ça dépend de quoi ?
Un – Déjà, c’est pour un seul ou pour les deux ? Comme tu dis que c’est surtout ton beau-père qui…
Deux – Je ne sais pas. Ça ferait combien par personne ?
Un – Il faudrait que je lui demande… Dans les 8500 euros, peut-être.
Deux – Ah oui, c’est assez précis, quand même.
Un – Pour les deux, il te ferait sûrement un prix.
Deux – Combien ?
Un – Pour un couple… dans les quinze mille.
Deux – On parle en TTC, j’imagine.
Un – Si tu n’as pas besoin de facture, tu le paieras en liquide, c’est plus simple.
Deux (pensif) – D’accord…
Un – Tu veux que je lui en parle ?
Deux – Mais non, pas du tout… J’ai dit d’accord comme j’aurais dit… je vois. Je ne suis pas d’accord, évidemment. (Un temps) Même s’il faut reconnaître que c’est assez tentant…
Un – Ouais.
Deux – Et puis c’est risqué, non ? Je veux dire… le crime parfait, ça n’existe pas.
Un – Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Deux – Je ne sais pas… C’est ce qu’on dit.
Un – Par définition, les crimes parfaits ne sont pas classés comme des crimes. Ça passe pour des accidents, des morts naturelles, des suicides… Donc un crime parfait, on ne peut pas savoir si ça existe. C’est pour ça qu’on dit que ça n’existe pas.
Deux – Je vois… Pour ne pas susciter des vocations.
Un – Si ça se trouve, sur cent personnes qui meurent, il y en a dix qui ont été victimes d’un crime parfait, et on ne le sait pas.
Deux – Tu crois ?
Un – En tout cas, des gens qui avaient commis des crimes parfaits, j’en ai connu pas mal.
Deux – Ah oui ? Et où est-ce que tu les as rencontrés ?
Un – En prison.
Deux – S’ils avaient commis des crimes parfaits, qu’est-ce qu’ils foutaient en prison ?
Un – Non, mais ils étaient en prison pour autre chose.
Deux – Ouais… Ce n’est pas très rassurant tout ça. Je crois que je vais réfléchir encore un peu. Et puis quinze mille euros, c’est une somme quand même…
Un temps.
Un – Et ils comptent venir en vacances chez toi tous les ans, tes beaux-parents ?
Deux – Ouais… c’est bien pour ça que je ne te dis pas non tout de suite…
Un – Comme tu veux.
Deux – D’un autre côté, je n’ai pas envie de finir en taule, comme toi.
Un temps.
Un – Sinon, il y a l’enlèvement.
Deux – Un enlèvement ?
Un – C’est moins définitif, mais… si tu te fais pincer, la peine est moins lourde. Et puis l’avantage, c’est que tu peux demander une rançon.
Deux – Une rançon ?
Un – Et avec la rançon, tu peux payer le commanditaire de l’enlèvement. Ça ne te coûte rien. Si tu te débrouilles bien, tu peux même gagner un peu d’argent.
Deux – Une rançon… À qui on pourrait bien demander une rançon ?
Un – Ça je ne sais pas…
Deux – Qui pourrait bien payer une rançon pour faire libérer mon beau-père ? Ma belle-mère peut-être, et encore ce n’est pas sûr. D’ailleurs, elle n’a pas d’argent.
Un – Ils n’ont pas d’autres enfants ?
Deux – Si, il y a mon beau-frère. Et ma belle-sœur. Ils arrivent la semaine prochaine.
Un – Ils passent aussi les vacances chez toi ?
Deux – Ouais, malheureusement.
Un – Ah merde…
Deux – Comme tu dis.
Un temps.
Un – Ne me dis pas que tu veux t’en débarrasser aussi.
Deux – Ça dépend. Pour quatre, ton pote, il me ferait une grosse ristourne ?
Un – Après, il ne faut pas que ce soit trop voyant, non plus. Il y a encore beaucoup de gens dont tu voudrais te débarrasser, comme ça ?
Deux – Mes parents non plus, je ne les supporte pas… Sans parler de mes deux sœurs et de leurs connards de maris.
Un – Ils viennent passer les vacances chez toi, eux aussi ?
Deux – Ah non ! Eux non. Je ne les ai pas invités. Mais ils me cassent les couilles quand même. Et puis quand les vacances seront terminées, il y a mon patron…
Un – Après, mon pote, c’est juste un tueur à gages. Son truc, ce n’est pas les meurtres de masse, comme aux États-Unis.
Deux – Tu as raison, de toute façon, tant qu’il en restera un pour me casser les burnes… Non, je ne vais pas mettre le doigt dans cet engrenage, je n’en finirais plus. Et puis je n’ai pas les moyens…
L’autre se lève.
Un – Dans ce cas, je vais y aller.
Deux – Oui, moi aussi. J’ai du monde qui m’attend à la maison…
Un – Bon ben… Bonnes vacances alors.
Deux – Merci…
Un – Et si tu changes d’avis, tu as mon numéro.
Deux – OK… Tu passes les vacances avec qui, toi ?
Un – Juste avec ma femme.
Deux – Ne me dis pas que les autres…
Un – Si je te le disais… ce ne serait plus le crime parfait.
Il s’en va. L’autre reste un instant pensif, et s’en va à son tour.
Noir