Un bureau. Deux employés. On ne sait pas très bien ce qu’ils font, mais ils le font avec une application routinière. L’un d’eux ouvre le courrier.
Un – Tiens, une lettre anonyme…
Deux – Une lettre anonyme ?
Un – Je ne comprends pas… C’est la première fois que ça arrive…
Deux – Vous êtes sûr que c’est une lettre anonyme ?
Un – Elle n’est pas signée, et elle est écrite avec des lettres découpées dans un journal.
Il montre la lettre.
Deux – Ah oui, dites donc… Comme dans les films. Et qu’est-ce que ça dit ?
Un – Il y a un corbeau parmi vous…
Deux (regardant autour de lui) – Un corbeau ?
Un – Non mais ce n’est pas un vrai corbeau.
Deux – Ah non ?
Un – Un corbeau, c’est quelqu’un qui envoie des lettres anonymes.
Deux – Pour dire quoi ?
L’autre jette un nouveau regard à la lettre.
Un – Pour dire… qu’il y a un corbeau parmi nous.
Deux – Parmi nous, ou parmi vous ?
Un – Qu’est-ce que ça change ?
Deux – Parmi nous, ça veut dire que celui qui a écrit cette lettre se trouve parmi nous.
Un – Vous voulez dire… vous… ou moi ?
Deux – On n’est que deux, non ?
Un – Pourquoi l’un d’entre nous aurait-il écrit cette lettre ?
Deux – Je ne sais pas, moi. Pour se dénoncer…
Un – Se dénoncer ?
Deux – Vous avez raison, écrire une lettre anonyme pour se dénoncer…
Un – Ça ne tient pas debout.
Deux – Non…
Un – D’ailleurs, c’est écrit parmi vous.
Deux – Dans ce cas, ça veut dire que le corbeau qui a écrit cette lettre n’est pas le corbeau dont il parle. Mais qu’il écrit pour le dénoncer.
Un – Sans le nommer ?
Deux – C’est vrai que c’est bizarre…
Un – Un corbeau qui dénonce un autre corbeau.
Deux – Comme quoi il peut aussi y avoir des corbeaux parmi les corbeaux.
Un – Attendez, on dirait qu’il y a autre chose, dans l’enveloppe.
Deux – Qu’est-ce que c’est ?
Un – Un papillon…
Deux – Mort ?
Un – Évidemment, mort ! Dans une enveloppe… C’est un papillon mort. Desséché…
Un temps. Ils échangent un regard suspicieux.
Un – C’est vous, le corbeau ?
Deux – Lequel ?
Un – Celui qui a écrit cette lettre !
Deux – Comment le savez-vous ?
Un – J’ai ramené le journal du bureau chez moi, hier soir, pour le lire, et il y avait des lettres découpées à l’intérieur.
Deux – Vous ramenez le journal du bureau chez vous ?
Un – Et vous, vous le découpez !
Deux – D’accord…
Un – De toute façon, on le met au recyclage le lendemain, qu’est-ce que ça change ?
Deux – Rien…
Un – Mais enfin… pourquoi ?
Deux – Pourquoi quoi ?
Un – Cette lettre anonyme !
Deux – Je ne sais pas… On s’emmerde tellement, dans ce bureau…
Un – Oui, ce n’est pas faux…
Deux – En tout cas, il y a bien un corbeau parmi nous.
Un – Alors pourquoi avoir écrit « Il y a un corbeau parmi vous ».
Deux – Pour pas attirer l’attention. Comme on n’est que deux.
Un – Et pour le papillon ?
Deux – Je vous assure que je n’y suis pour rien… Je veux dire… Il est mort de mort naturelle…
Un – Si vous le dites…
Deux – Un papillon, ça ne vit qu’un jour ou deux, alors évidemment… Ce n’est pas difficile d’en trouver un qui soit mort de vieillesse.
Un – Personnellement, je n’ai jamais vu de cadavre de papillon…
Deux – Et quand bien même… Assassiner quelqu’un dont l’espérance de vie n’est de toute façon que d’un ou deux jours… Ce n’est pas vraiment un crime…
Un – Vous trouvez ?
L’autre le regarde avec un air perplexe. Ils reprennent leur tâche routinière.
Noir