Départ

Vincent et Fred sont assis à une table et prennent un café.

Vincent – Génial… Et donc tu pars dans trois semaines ?

Fred – Le premier mai, oui. Le jour de la fête du travail, moi je me barre en vacances pour an. Ou plus, on verra bien…

Vincent – Ce ne sera pas tout à fait des vacances, si ?

Fred – Quand j’aurai besoin de fric, je travaillerai un peu comme cuistot ou comme serveur. C’est très facile, là-bas. Il y a du boulot pour tout le monde. Et les Français sont très appréciés. Surtout dans la restauration. Sans parler des gonzesses, évidemment…

Vincent – Le mythe du French lover… Petit veinard… Tu vas t’éclater.

Fred – Tu n’as qu’à venir avec moi.

Vincent – Je ne peux pas, malheureusement. Je commence mon année de stage en septembre dans une banque à Paris. Et si je ne veux pas me taper trois heures de transport par jour, il faut que je bosse cet été pour me payer une chambre de bonne.

Fred – Ah ouais.

Vincent – C’est nettement moins glamour.

Fred – C’est sûr…

Vincent – Tu en as parlé à Max ?

Fred – Ouais. Je l’ai vu hier.

Vincent – Ça va ?

Fred – Tu le connais… Avec Max, ça ne va jamais vraiment.

Vincent – Il passe son CAPES dans deux mois, il est un peu sur les nerfs.

Fred – On ne se voit presque plus.

Vincent – Il bosse beaucoup, je crois.

Fred – Ou alors il m’en veut. Je ne sais pas pourquoi.

Vincent – Je crois qu’il nous en veut à tous les deux d’avoir arrêté le groupe. Et maintenant, toi tu t’en vas. Alors Les Rebelles, c’est fini ?

Fred – C’était déjà fini, non ?

Vincent – Il faut se rendre à l’évidence, on ne serait jamais devenus des stars.

Fred – Pas des stars du rock, en tout cas…

Vincent – De toute façon, j’ai revendu ma batterie pour payer la caution de ma chambre de bonne.

Fred – Et moi ma guitare pour acheter mon billet d’avion.

Un temps.

Vincent – Les Rebelles, quel nom à la con. Je ne sais plus qui avait trouvé ça à l’époque.

Fred – C’est moi.

Vincent – Ah oui, c’est vrai…

Fred – Quand j’étais interne au lycée, dans ma boîte de curés, c’était une vraie prison. On ne pouvait franchir les grilles de l’école que le week-end. Et encore, si on n’était pas collés. Et évidemment, ce n’était pas mixte.

Max – Oh putain…

Fred – Tu imagines un peu ? À l’âge où on ne pensait qu’à se débarrasser de notre pucelage, toute la semaine entre mecs, de jour comme de nuit. Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas devenir homo.

Max – Et tu n’as pas essayé de t’évader ?

Fred – Un jour, j’ai organisé une grève pour protester contre nos conditions de détention. Tout le monde avait l’air partant. Mais au final, sur quatre cents élèves, on n’était que trois à refuser de rentrer en classe.

Vincent – Les Rebelles…

Fred – Il y avait un type dans ma classe qui se disait communiste. Le genre très bon élève, tu vois, mais très engagé politiquement. Je lui ai demandé pourquoi il refusait de participer à notre mouvement de protestation. Tu sais ce qu’il m’a répondu ?

Vincent – Non.

Fred – Il m’a dit : C’est une rébellion, pas une révolution…

Vincent – Ah ouais…

Fred – Je ne sais pas où il en est aujourd’hui avec sa révolution. Moi j’essaie de rester un rebelle.

Vincent – Et comment ça s’est terminé votre rébellion ?

Fred – J’espérais me faire virer, mais non. Même pas. On s’est fait coller pendant quatre week-ends de suite.

Vincent – Ah oui, je m’en souviens. On ne t’avait pas vu pendant un bon bout de temps.

Fred – Je me suis juré qu’après le bac, je ne laisserai plus personne m’enfermer quelque part. Et surtout pas dans un bureau…

Vincent – Ouais.

Fred – Ça ne te fait pas flipper, toi, la perpective de finir ta vie dans une banque ?

Vincent – Qu’est-ce que tu veux… Je ne suis pas aussi beau que toi, moi. Si je veux trouver des gonzesses, je ne peux pas compter que sur mon physique. Alors il faut que je me fasse un max de fric…

Fred – Je vais en profiter pendant que je suis encore jeune et beau, alors… Après… je miserai tout sur l’humour.

Silence.

Vincent – Tu viendras quand même en Normandie pour mon anniversaire ? C’est dans quinze jours.

Fred – Évidemment.

Silence.

Vincent – Tu es sûr que ça va ?

Fred – Nickel.

Vincent – C’est ce que tu voulais, non ? Partir d’ici. Découvrir le monde.

Fred – Ouais… Dans trois semaines, à moi l’Amérique ! Je vous enverrai des cartes postales, c’est promis.

Vincent – Et puis on se reverra.

Fred – Bien sûr…

Ils échangent un regard qui en dit long.

Noir