Je contribue rarement à la rubrique nécrologique, mais ces deux-là étaient (à leur insu) mes parents de théâtre. En tant qu’auteur, j’ai toujours modestement revendiqué « un air de famille » avec les Jaoui-Bacri. J’aimais leur cuisine et leur indépendance. J’admirais leur liberté et leur impertinence. Sans le savoir, puisque je ne les connaissais qu’à travers leurs comédies, ils m’ont presque tout appris sur l’écriture dramatique. Qu’être populaire ne veut pas dire être vulgaire. Que la comédie repose d’abord sur le drame. Que les personnages les plus attachants sont souvent ceux qui sont a priori les moins aimables. Et aussi qu’on doit devenir soi-même avant de se préoccuper du « goût des autres ». Que la quête de reconnaissance est légitime, mais qu’on ne doit pas en être esclave.
Je me reconnaissais dans ce personnage de misanthrope écorché qu’aimait à cultiver cet autre Jean-Pierre, et je lui enviais cette complicité avec la talentueuse et merveilleuse Agnès. Il formait avec elle un de ces couples légendaires, de ces couples qui continuent à s’aimer jusqu’après la séparation. Sans qu’on se demande jamais qui fut le conjoint de l’autre. Merci à vous deux pour cette magnifique leçon de vie et de théâtre. « Plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte » (Molière, Le Misanthrope). Cela vaut aussi pour un auteur à l’égard du public, dont il ne doit jamais flatter les instincts les plus bas. Comme Molière, vous ne flattiez personne. Et le public ne s’y trompait pas. Pardon, Jean-Pierre, pour cet hommage posthume, auquel il convient de mettre fin avant de tomber dans la flatterie.
Enfin, merci à l’auteur de cette photo, dont je n’ai pas réussi à retrouver le nom (si quelqu’un a cette information, je serai heureux de le créditer). « Comme une image » de ce couple mythique. Les yeux fermés, il s’abandonne en toute confiance à sa complice de toujours. Dans tout l’éclat de sa beauté, elle nous fait face du regard avec son regard tendre, malicieux et légèrement mélancolique. Tout en couvrant de son abondante chevelure le crâne depuis longtemps dégarni de son compagnon pour lui rendre un peu de sa jeunesse et de sa foi en la vie, malgré tout. Comme une image de l’amour…