È finita la commedia

Deux personnages arrivent. Le deuxième porte une valise.

Un – Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?

Deux – Ça va… On ne va pas en faire un drame, non plus…

Un – Mais vous plaisantez, mon vieux ! C’est une tragédie !

Deux – Je dirais plutôt qu’on nage en plein mélodrame.

Un – En tout cas, on se croirait dans une mauvaise pièce de théâtre.

Deux – Oui. Au début, ça ressemblait à un vaudeville.

Un – Et après quelques quiproquos…

Deux – Ça a viré au film d’horreur.

Un – Je peux vous dire un mot en aparté ?

Deux – Je vous promets de ne pas le répéter à la cantonade.

Un – Si ça continue, on va droit dans le décor.

Deux – C’est un scénario possible, hélas.

Un – Vous avez vu la scène de crime ?

Deux – Pour moi, ça ressemble beaucoup à une mise en scène.

Un – Arrêtez un peu votre cinéma.

Deux – Le suspect joue la comédie, c’est évident.

Un – C’est vrai qu’il nous a fait un numéro d’acteur…

Deux – Oui… Il nous a fait sa grande scène du deux.

Un – Quel comédien !

Deux – C’est un drôle de personnage, en effet.

Un – Quant à la victime, elle avait tout d’une jeune première.

Deux – Je dirais même d’une ingénue.

Un – En tout cas, elle se prenait pour une vedette.

Deux – Au moins, sa mort lui aura permis de connaître les feux de la rampe.

Un – Oui… Même si apparemment, le drame s’est joué à huis clos.

Deux – Aucun spectateur, donc aucun témoin.

Un – Le noir total.

Deux – Elle rêvait de brûler les planches…

Un – Et c’est entre quatre planches qu’elle fera sa sortie.

Deux – Enfin, vous devriez être content. Vous qui rêviez de vous retrouver sous les projecteurs. Avec cette affaire rocambolesque.

Un – Il faudra quand même qu’on répète un peu, pour la déclaration à la presse.

Deux – Pour une fois, essayez de ne pas être trop théâtral.

Un – Habituellement, c’est plutôt vous qui cabotinez.

Deux – Vous êtes un comique, vous.

Un – Et vous un Tartuffe.

Deux – C’est ce que vous vouliez, non  ? Avoir votre nom en haut de l’affiche ?

Un – Rassurez-vous, je vous laisse le premier rôle.

Deux – Je n’en ferai rien. Je sais que vous adorez être sur le devant de la scène.

Un – Comment s’appelle l’auteur du crime, déjà ? J’ai un trou de mémoire.

Deux – Ne comptez pas sur moi pour vous souffler votre texte.

Un – Bien sûr… Vous avez toujours rêvé de me voler la vedette.

Deux – Si on mettait sur pause ? Je ferai bien un petit entracte, pas vous ?

Un – De toute façon, le dénouement est proche.

Deux – À moins d’un coup de théâtre.

Un – Je crois qu’il est temps pour nous de quitter la scène.

Deux – Oui, le rideau va bientôt tomber.

Un – Et je crains qu’on fasse encore un four.

Deux – Essayons au moins de ne pas rater notre sortie.

Un – Vous n’espériez pas un rappel, tout de même ?

Deux – On sort par la cour ou par le jardin ?

Un – C’est un choix cornélien…

Deux – Essayons la sortie des artistes, ce sera plus discret.

Un – Moi aussi, je déteste me donner en spectacle.

En sortant, le deuxième jette un regard vers une spectatrice.

Deux – Eh ben… Il y a du monde au balcon.

L’autre regarde à son tour.

Un – Je dirais même qu’on affiche complet.

Deux – Finalement, je crois qu’on va faire un tabac.

Un – Pour des amateurs, on se débrouille comme des professionnels.

Deux – Ne vous la jouez pas trop tout de même.

Un – Et vous arrêtez de faire le clown.

Deux – Quel cirque…

Un – Vous ne voulez vraiment pas faire un dernier tour de piste  ?

Deux – Non, vous avez raison  : mieux vaut ne pas lasser notre public…

Un – Concentrons-nous sur l’essentiel, mais n’oublions pas l’accessoire…

Deux – Car l’accessoire est l’essence même du théâtre.

Le deuxième saisit la valise.

Deux – È finita la commedia.

Ils sortent.

Noir

Des valises sous les yeux