Éloge funèbre

Deux personnages sont assis à une table, la mine sombre. Silence.

Un – Et voilà. Encore un de parti.

Deux – Il va nous manquer.

Un – Ce sont les meilleurs qui s’en vont les premiers.

Deux – Oui… (Un temps) Encore que dans son cas, je ne sais pas si on peut vraiment dire qu’il faisait partie des meilleurs…

Un – C’est vrai, mais bon… Un collègue, ça reste un collègue. On fait un métier tellement difficile.

Deux – Et si mal reconnu.

Un – Et puis c’était un garçon attachant, malgré tout.

Deux – Oui.

Un – Je n’ai pas très bien compris. Il est mort comment, exactement ?

Deux – Accident professionnel.

Un – Un accident ?

Deux – Il a avalé par mégarde le poison qu’il destinait à une de ses victimes.

Un – Ah merde… Quel genre de poison ?

Deux – Tu ne vas pas le croire mais d’après ce qu’on m’a dit… du poison pour les fourmis.

Un – Les fourmis ?

Deux – Ouais…

Un temps.

Un – Non, décidément, ce n’était pas le meilleur.

Deux – On peut même dire qu’il ternissait l’image de professionnalisme qu’on souhaiterait voir associée à notre métier.

Un – Oui, il était temps qu’il arrête.

Deux – Combien de fois je lui ai dit de changer d’orientation. Il n’était pas fait pour ça, c’était évident.

Un – Tu n’as pas idée des conneries qu’il a pu faire.

Deux – On m’a raconté qu’un jour, alors qu’il devait assassiner le mari d’une bonne femme, il a empoisonné son amant.

Un – Comment ça s’est terminé ?

Deux – Du coup, on a accusé le cocu d’avoir tué son rival, et on l’a foutu en taule.

Un – Dans un sens, il a quand même réussi à la débarrasser de son mari.

Deux – Oui… mais son amant, lui, il était mort.

Un – Ce type était une honte pour notre métier.

Deux – Je ne sais pas, moi. Il devrait quand même y avoir une petite formation.

Un – Validé par un diplôme.

Deux – Et un Conseil de l’Ordre, pour exclure les moutons noirs.

Un – Enfin, il ne fera plus de mal à personne.

Deux – Non.

Un temps.

Un – C’est vrai qu’il était gentil.

Deux – Gentil, mais con.

Un – Oui…

Ils vident leurs verres.

Noir