Extrême-onction

Un homme est assis dans son lit. Il regarde dans le vide. Arrive une femme, habillée en prêtre.

Femme – Bonjour mon fils.

Homme (à peine surpris) – Bonjour papa…

Femme – Je suis l’aumônier de cet hôpital.

Homme – Bonjour mon père.

Femme – Je suis venue dès que vous m’avez appelée.

Homme – Vous êtes vraiment sûr que c’est moi qui vous ai appelé ?

Femme – Quelqu’un m’a dit de venir vous voir. Il avait un léger accent roumain.

Homme – Ah oui… C’est mon chirurgien…

Femme – J’ai cru comprendre que c’était assez urgent… Mais si vous pensez que vous n’êtes pas prêt, je peux repasser un peu plus tard.

Homme – Non, non, je vous en prie. Et puis comme ça, ce sera fait. Au cas où. Enfin, je ne sais pas combien de temps c’est valable…

Femme – Valable ?

Homme – Je veux dire une extrême-onction. Si on ne meurt pas tout de suite, c’est valable combien de temps, après ? Dans les trois mois, j’imagine. Comme un certificat médical.

Femme – J’avoue que… On ne m’avait encore jamais posé la question. Et comme le cas ne s’est encore jamais présenté pour moi…

Homme – Vous voulez dire qu’aucune de vos ouailles n’a jamais survécu après avoir reçu votre viatique ?

Femme – C’est-à-dire que… En effet…

Homme – Et vous êtes vraiment sûr que je suis catholique ?

Femme – Ma foi… Je vous avoue que je n’ai jamais pensé à exiger un certificat de baptême dans ce genre de circonstances. Je vois mal un mourant mentir sur sa religion pour obtenir une extrême-onction in extremis. Vous n’êtes pas sûr d’être catholique, mon fils ?

Homme – Je ne me souviens pas non plus d’être juif ou musulman. Et comme je ne suis pas circoncis. Vous êtes sûr que je ne suis pas circoncis ?

Femme – Mon Dieu…

Homme – Excusez-moi, je vous embarrasse avec toutes mes questions. Mais vous savez, je n’ai pas trop l’habitude. C’est ma première extrême-onction…

Femme – Oui, je m’en doute… Souhaitez-vous au moins vous confesser, mon fils ?

Homme – Je ne sais pas, c’est… C’est obligatoire ?

Femme – Disons que c’est vivement conseillé. Pour le salut de votre âme.

Homme – Bon… Après tout, qu’est-ce que je risque ?

Femme – Je vous écoute, mon fils.

L’homme réfléchit, puis la regarde comme s’il la découvrait.

Homme – Je dois vous avouer que…

Femme – Oui ?

Homme – C’est un peu embarrassant.

Femme – Et pourquoi cela, mon fils ?

Homme – Vous ressemblez tellement à ma femme.

Femme – Je vois…

Homme – Vous comprendrez que pour un homme marié, avoir l’impression que son confesseur ressemble à sa femme…

Femme – Rassurez-vous, mon fils. Même si j’étais votre femme, je serais liée par le secret de la confession…

Homme – Bon… Mais, je ne sais pas très bien par où commencer…

Femme – Vous n’avez qu’à commencer par la fin.

Homme – C’est très difficile de se confesser quand on a perdu la mémoire, vous savez…

Femme – Est-ce qu’au moins vous vous sentez coupable, mon fils ? Ce serait un début…

Homme – Je ne sais pas… Est-ce qu’on est encore coupable quand on a perdu jusqu’au souvenir de ses fautes ?

Femme – Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?

Homme – Je ne me souviens même pas où j’ai garé ma voiture.

Femme – Puisque vous n’êtes pas en mesure de confesser vos péchés, je vous donne malgré tout l’absolution. Au bénéfice du doute…

Homme – Merci de me faire confiance, mon père. J’essaierai de ne pas vous décevoir.

Femme – Mais n’oubliez pas de régulariser votre situation dès que vous le pourrez.

Homme – C’est promis. Juré craché sur vos tombes.

Elle le bénit d’un signe de croix.

Femme – Au nom du père, de la mère et du fils.

Homme – Amen.