Ils sont debout l’un à côté de l’autre face au public, lui un peu en avant, elle légèrement en retrait. Ils affichent un sourire crispé et une mine de circonstance. Il se racle la gorge et sort un papier de sa poche, auquel il jettera un regard de temps.
Lui – Chers amis, chers collègues… Nous sommes ici rassemblés pour célébrer la mémoire de Jean-Claude, qui hélas nous a brusquement quittés il y a quelques jours. Pour nous tous, Jean-Claude était bien plus qu’un collègue, c’était un ami, je dirais même plus, presque un membre de la famille… Jean-Claude était un homme…
Elle essaie discrètement d’attirer son attention en toussant, et devant l’incompréhension de l’autre, elle lui glisse quelque chose à l’oreille.
Lui – Pardonnez-moi d’avoir écorché le prénom de notre cher défunt. L’émotion sans doute… Jean-Jacques était un homme… discret, mais apprécié de tous. Tout au long de sa carrière au Service de la Voirie. (Elle lui lance à nouveau un regard embarrassé et toussote, il jette un regard à son papier et se reprend.) Tout au long de sa carrière au Service du Cadastre, j’ajouterai au service de ses concitoyens et donc au service de la France, Jean-Paul ne s’est jamais fait remarquer pour un mauvais comportement, un geste d’humeur ou un mot plus haut que l’autre. Non, Jean-Paul n’était pas homme à se mettre en avant. Toujours prêt à la cantine, à céder sa place dans la file à quelqu’un de plus pressé que lui. Toujours disposé à remplacer un collègue en arrêt maladie. Toujours volontaire pour prendre ses congés d’été au mois de janvier pour permettre aux autres de partir au soleil en famille. Oui, plus qu’un homme discret, on peut dire que Jean-Jacques, de son vivant déjà, avait choisi de s’effacer. Mais c’était pour mieux laisser à ceux qu’il aimait la possibilité de s’épanouir. Oui, Jean-Charles, vu le peu de place que tu occupais en ce bas monde, on peut vraiment dire que ta disparition laisse un grand vide derrière toi. À la veille de la retraite, tu t’en vas comme tu as vécu. Sans vouloir déranger. Au moins tu seras mort paisiblement. C’est le cœur qui a lâché, sans doute parce que tu l’avais trop grand… (Elle lui glisse à nouveau un mot à l’oreille.) Le cœur… et aussi me dit-on le tramway qui t’a renversé juste au sortir de chez toi. Ce tram qui devait te conduire ici pour ce qui aurait dû être ton dernier jour de travail, et qui finalement t’aura conduit directement au terminus. Tu pars malgré tout entouré de l’amour des tiens, de celui de ta fidèle épouse surtout… (Elle lui fait un signe, et il se reprend.) Cette épouse dont hélas tu avais divorcé il y a de cela bien des années… Le plus dur, dit-on, c’est pour ceux qui restent. Fort heureusement, tu ne laisses derrière toi aucune veuve et aucun enfant. Mais ta famille te pleure malgré tout, Jean-Philippe. Car ta famille, c’était nous… Merci à vous tous d’avoir été présents pour honorer une dernière fois la mémoire de notre regretté Jean-Bernard. Paix à son âme. Et qu’il profite enfin après ce dernier voyage, lui qui n’en avait fait aucun de son vivant, de cette éternelle retraite bien méritée. Et qui celle-là ne coûtera rien à sa caisse de retraite. Adieu Jean-Christophe, tes collègues ne t’oublieront jamais….
Moment de transition pendant que l’assistance est supposée se disperser. Ils restent donc seuls.
Lui (rangeant son papier) – Oh putain, quel calvaire. Qui est-ce qui m’a rédigé ce torchon ? C’est vous ?
Elle – C’est votre premier adjoint. En effet, il n’avait pas l’air très intime avec le défunt.
Lui – Moi non plus… Vous le connaissiez, vous, ce type ?
Elle – Non, pas personnellement. C’était quelqu’un de très discret.
Lui – Vous êtes sûre qu’il est mort, au moins ?
Elle – Oh oui, je crois quand même… Je vais vérifier.
Noir.