Mémoires

Il est assis à une table, un calepin devant lui. Il a lair de réfléchir. Elle arrive.

Elle – Ça va ? Tu as l’air bizarre…

Lui – Je réfléchissais.

Elle – Ah… Ça doit être pour ça… (Un temps) Et tu réfléchissais à quoi ?

Lui – Je me demandais si… je n’allais pas écrire mes mémoires.

Elle – Pardon ?

Lui – Mes mémoires…

Elle – Tes mémoires ?

Lui – Ben oui, mes mémoires. L’histoire de ma vie, quoi.

Elle – Tu ne te sens pas bien ?

Lui – Si, ça va très bien, pourquoi ?

Elle – Je ne sais pas… comme tu parles d’écrire tes mémoires.

Lui – Je n’ai pas dit que je voulais écrire mon testament, j’ai dit que je voulais écrire mes mémoires.

Elle – D’accord…

Lui – On peut avoir envie d’écrire ses mémoires sans être à l’article de la mort. Son testament aussi, d’ailleurs.

Elle – Oui, enfin… Tu es encore jeune, pour écrire tes mémoires, non ?

Lui – Quand veux-tu que je les écrive, mes mémoires ? Quand je serai mort ? Ou quand je serai Alzheimer ?

Elle – Tu as l’impression d’avoir des problèmes de mémoire ?

Lui – Je n’ai pas dit que j’avais des problèmes de mémoire ! J’ai dit que je voulais écrire mes mémoires !

Elle – Comme tu me parles d’Alzheimer…

Lui – Ce que je dis, c’est que pour écrire ses mémoires, encore faut-il en avoir, de la mémoire.

Elle – En tout cas, il faut avoir des souvenirs intéressants à raconter.

Lui – Et tu crois que je n’en ai pas ?

Elle – Admettons… Et… tu crois que ça peut intéresser quelqu’un ?

Lui – Merci de tes encouragements…

Elle – Enfin, je veux dire, tu n’es pas le Général De Gaulle, non plus. Tu n’as pas sauvé la France.

Lui – D’accord, je n’ai pas sauvé la France, mais il m’est quand même arrivé quelques trucs.

Elle – Ah oui ? Quand ça ?

Lui – Je ne sais pas… Avant de te rencontrer, peut-être.

Elle – D’accord.

Lui – Après, ça dépend comment c’est raconté, évidemment. Même si ce ne sont que des anecdotes, si c’est bien raconté…

Un temps.

Elle – Et… tu vas parler de moi ?

Lui – Je ne sais pas… Pas forcément.

Elle – Tu vas écrire tes mémoires, et tu ne vas pas parler de moi ?

Lui – Mais si, sûrement, je vais parler de toi.

Elle – Donc tu vas parler de moi.

Lui – Oui.

Elle – Et qu’est-ce que tu vas raconter sur moi ?

Lui – Ça je ne sais pas encore.

Elle – Oui, et bien moi, j’aimerais bien savoir, figure-toi.

Lui – Je n’ai même pas encore commencé à écrire, et tu veux déjà me censurer ?

Elle – C’est ma vie, non ? Et si ce que tu dis de moi, ça ne me convient pas ?

Lui – Dans ce cas, tu n’as qu’à les écrire aussi, tes mémoires ! Comme ça les gens pourront comparer, et ils se feront une opinion par eux-mêmes.

Elle – Quoi ? Parce que tu ne me crois pas capable d’écrire mes mémoires, peut-être ?

Lui – Je n’ai pas dit ça.

Elle – Mais c’est ce que tu insinues. Et ce que tu insinues aussi, c’est que ma vie n’est pas aussi intéressante que la tienne.

Lui – Ta vie ? Mais on vit ensemble depuis des années !

Elle – Oui, mais ce que tu dis, c’est que ce qui t’est arrivé de plus intéressant, c’était avant de me connaître.

Lui – Ouais, peut-être bien.

Elle – Moi aussi, il m’est arrivé des trucs intéressants avant de te rencontrer, tu sais ?

Lui – Ah oui ? Et quoi, par exemple ?

Elle – Là, tout de suite, je ne saurais pas te dire quoi, mais je suis sûre qu’en y repensant…

Lui – C’est ça, oui…

Elle – C’est toi qui veux écrire tes mémoires, tu as eu le temps d’y penser, pas moi.

Lui – Eh ben vas-y… Penses-y. Et si ça te revient, tu me le diras. Moi en attendant, je vais écrire mes mémoires ailleurs, puisqu’ici, il n’y a pas moyen de se concentrer.

Il se lève.

Elle – Se concentrer. Mon pauvre ami… (Elle regarde la feuille quil a laissée sur la table et lit.) « Mémoires d’un tueur à gages »… Qu’est-ce que ça veut dire…

Lui – C’est le titre.

Elle – Mais tu n’es pas un tueur à gages.

Lui – Ben si.

Elle – Pendant toutes ces années qu’on a vécu ensemble, tu étais un tueur à gages ?

Lui – Ben oui.

Elle – Je croyais que tu étais plombier.

Lui – C’était une couverture…

Elle – Et il y a encore beaucoup de choses, comme ça, que tu ne m’as pas dites ?

Lui – Tu n’auras qu’à lire mes mémoires…

Elle – C’est ça… Et toi les miennes !

Il sort. Elle sassied à sa place, sort une feuille et un stylo et commence à réfléchir.

Elle – Alors, par où je vais commencer… Ah oui, tiens, ce n’est pas mal, ça. « Mémoires d’une call-girl »...

Elle se met à écrire.

Noir