Un homme dans le lit, le regard dans le vague. Une femme arrive, dans une tenue assez stricte, un cartable à la main.
Femme – Bonjour Monsieur. Désolée, je suis un peu en retard. Un petit contretemps.
Homme – On se connaît ?
Femme – Pardon, j’oubliais. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Je suis Maître Colombin, votre notaire.
Homme – Maître Colombin ?
Femme – Ce nom vous évoque quelque chose ?
Homme – Laissez-moi réfléchir… Colombin, colombien, Colombine, columbarium… Colombin… Non, décidément, la première l’idée qui me vient à l’esprit, c’est que je suis vraiment dans la merde.
La femme ouvre son cartable et en sort quelques papiers.
Femme – À ce propos, justement. Comme convenu, j’ai préparé les documents que vous m’avez demandés.
Homme – Ah oui…?
Femme – Je parle de votre testament, vous vous souvenez ?
Homme – Non.
Femme – De toute façon, c’est toujours une bonne chose de mettre ses affaires en règle. Au cas où…
Homme – Oui, un curé m’a dit ça aussi il n’y a pas très longtemps.
Femme – Personne n’est éternel, n’est-ce pas ? Moi-même, en venant ici, j’ai eu un petit accrochage avec ma voiture. Un chauffard. Ç’aurait pu être beaucoup plus grave. C’est d’ailleurs la raison de mon retard.
Homme – C’est donc pour ça que le notaire arrive après le curé. Ça m’étonnait aussi…
Femme – Le temps de signer le constat… Cet imbécile ne voulait pas reconnaître qu’il était en tort. C’était un curé, justement… Comme quoi un curé peut aussi être de mauvaise foi….
Homme – Un curé qui bizarrement, ressemblait aussi beaucoup à ma femme, j’imagine.
Femme – Mais je ne voudrais pas vous retenir trop longtemps. Et quant à moi, tout ça m’a mis très en retard… (Elle lui tend une liasse de feuilles et un stylo.) Voilà, si vous voulez bien parapher et signer. Bien entendu, vous n’êtes pas obligé de tout lire.
L’homme hésite un peu avant de prendre le document et le stylo.
Homme – Bon, j’imagine que je n’ai pas le choix. J’ai l’impression de signer mon arrêt de mort…
Il essaie de signer mais s’interrompt après quelques essais infructueux.
Femme – Un problème.
Homme – Votre stylo ne marche pas.
Femme – Faites-voir… (Elle se penche sur le document.) Ah, non… C’est juste que… j’avais oublié de vous prévenir. C’est de l’encre invisible.
Homme – De l’encre invisible ?
Femme – Du jus de citron, si vous préférez.
Homme – D’accord…
Femme – Allez-y, signez. (Pendant qu’il paraphe et qu’il signe) Vous comprenez, les notaires ne sont pas toujours les bienvenus dans les Unités de Soins Palliatifs.
Homme – Comme c’est étrange.
Femme – Pourtant, on y fait même venir des clowns, m’a-t-on dit. Dans l’espoir d’abréger les souffrances de certains patients en les faisant mourir de rire. Personnellement, je trouve qu’il n’y a rien de plus triste qu’un clown, pas vous ?
Homme – Un notaire, peut-être…
Femme – Le cirque en général. C’est d’un sinistre. J’ai toujours trouvé que ça puait la mort. Sans oublier les fêtes foraines, évidemment.
Homme – Vous me parliez de jus de citron, je crois…
Femme – Que voulez-vous ? Il y a toujours des gens plus méfiants que les autres. Certains proches se demandent si on ne va pas faire signer n’importe quoi à leur parent sur son lit de mort, pour le délester de ses économies et les priver de leur héritage.
Homme – Donc si vous en croisez un en sortant, vous pourrez lui montrer ce testament et lui dire : vous voyez, il n’a rien signé.
Femme – Exactement.
Homme – Et une fois rentré à votre étude, vous passez le document sous une bougie pour caraméliser le citron. Je faisais ça, moi aussi, quand j’étais gosse.
Femme – On a tous été gosses, pas vrai ?
Homme – Mais il n’y a que les notaires pour avoir gardé leur âme d’enfant…
Femme – Il va falloir que je vous laisse. J’ai d’autres mourants à voir avant ce soir.
Homme – Simple curiosité… Il dit quoi, ce testament, en gros ?
Femme – Vous léguez tous vos biens à une fondation, dont le but est d’établir un contact avec les civilisations extraterrestres.
Homme – Si ça peut au moins me permettre de renouer le contact avec ma femme.