Noël

Réveillon au Poste 

Christmas Eve at the police station –  Nochevieja en la comisaríaRéveillon na esquadra

Comédie de Jean-Pierre Martinez

6 à 10 comédiens :

Tous les rôles jouables indifféremment par des hommes ou des femmes

Le soir de Noël, deux inspecteurs sont de garde avec pour seule compagnie quelques naufragés du réveillon. C’est alors qu’un Ministre débarque pour rendre hommage au dévouement de la police. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Réveillon au Poste

Personnages :

Commissaire
Flic 1
Flic 2
Flic 3
Chef de cabinet
Collabo
Clodo
Mytho
Travelo
Parano

De 6 à 10 comédiens ou comédiennes

Tous les rôles peuvent être joués indifféremment par des hommes ou des femmes.
Les cinq derniers rôles peuvent être interprétés par une ou plusieurs personnes.

***

Un bureau glauque dans un commissariat sans âge. Dans un coin, un sapin de Noël pathétique supposé apporter une touche de gaîté dans cette ambiance de film noir ou de mauvaise série télé. Deux flics un peu débraillés, portant chacun une arme dans un holster, terminent une partie de poker sur le bureau de l’un d’eux. Le premier abat ses cartes avec un air confiant.

Flic 1 – Paire de dames.

Flic 2 – Paire de rois.

Flic 1 – Et merde…

Il enlève sa ceinture et la donne à l’autre.

Flic 1 – Je m’arrête là… Je ne vais quand même pas jouer mon pantalon…

Flic 2 – Tu as raison… Si le chef arrivait et te trouvait en calbute, ça pourrait prêter à confusion…

Ils rangent les cartes.

Flic 1 – Il est quelle heure ?

Flic 2 – Tu m’as déjà demandé ça il y a cinq minutes. Il était dix heures moins cinq.

Un temps.

Flic 1 – Et alors ? Il est quelle heure maintenant ?

Flic 2 (montrant son front) – Il n’y a pas marqué horloge parlante, là !

Flic 1 – Je t’ai donné ma montre, tu peux au moins me donner l’heure !

Flic 2 – Je l’ai gagnée honnêtement… Avec un brelan d’as…

Flic 1 – Honnêtement, ça reste à voir… Et puis à quoi ça te sert d’avoir une montre à chaque poignet ?

Agacé, l’autre retire une des montres de son poignet.

Flic 2 – Tu me fais pitié, va… (Il balance la montre) Tiens, la voilà ta toquante…

Mais le premier ne parvient pas à rattraper la montre qui tombe par terre. Il la ramasse et la porte à son oreille.

Flic 1 – Et voilà, maintenant elle ne marche plus.

Flic 2 – Heure du décès ?

Flic 1 (regardant la montre) – Dix heures.

Flic 2 – Et bien maintenant, tu sais l’heure qu’il est…

Un temps.

Flic 1 – C’est calme, non ?

Flic 2 – C’est toujours calme à cette période de l’année…

Flic 1 – La trêve des confiseurs, comme on dit.

Flic 2 – Même les serial killers respectent les traditions… Ils doivent être en train de découper la dinde…

Flic 1 – Pourquoi il a encore fallu que ça tombe sur nous cette année ?

Flic 2 – On a tiré ça à la courte paille avec les collègues. Mais tu as raison, c’est louche. Ça fait quand même trois années de suite qu’on est de garde le soir de Noël…

Flic 1 –Tu crois qu’ils ont triché ?

Flic 2 – L’année prochaine on fera ça au poker.

Flic 1 – Comment on fait pour tricher à la courte paille ?

Flic 2 – Console-toi en te disant qu’à l’heure qu’il est, tu pourrais être en train d’ouvrir des huîtres pour tes beaux parents.

Flic 1 – C’est vrai que je n’aime pas trop ça, les huîtres, moi.

Flic 2 – Personne n’aime les huîtres ! Et puis c’est très dangereux, une huître…

Flic 1 – On n’a jamais vu personne porter plainte parce qu’il s’était fait attaquer par une huître.

Flic 2 – D’après les statistiques du Ministère de l’Intérieur, beaucoup plus de policiers se blessent en ouvrant des huîtres qu’en nettoyant leur arme de service.

Flic 1 – Ah, ouais…?

Flic 2 – Le jour de Noël, on se fait chier partout… C’est pour ça que les gens sont condamnés à rester chez eux à ouvrir des huîtres au péril de leur vie. Alors qu’ils détestent ça, et leurs invités aussi.

Flic 1 – Tu as raison, on est plus peinard ici.

Flic 2 – De toute façon, on n’a pas le choix. On est de garde jusqu’à demain matin huit heures.

Flic 1 – Il faut bien que quelqu’un se dévoue pour veiller sur les honnêtes gens qui picolent en famille.

Flic 2 – On est des super héros, mon vieux, il faut assumer.

Flic 1 – Même si personne ne reconnaît la valeur de notre sacrifice.

Flic 2 – Les soldats, sur les théâtres d’opérations extérieures comme on dit, tous les ans à Noël ils ont droit à la visite du Président de la République, en hélicoptère, avec dans sa hotte du champagne, du foie gras et des strip teaseuses.

Flic 1 – Du foie gras, tu crois ?

Flic 2 – Nous, les soldats de l’intérieur, on n’a même pas droit à la visite du préfet et de sa femme avec une bouteille de mousseux.

Flic 1 – Pourtant, la nuit du réveillon, il y a sûrement plus de bagnoles qui brûlent ici qu’à Bagdad ou à Kaboul.

Flic 2 – On a beau être des flics, on est des êtres humains, quand même… Nous aussi, le soir du réveillon, on a le cafard.

Flic 1 – On en a même plein, des cafards. (Il retire sa chaussure et écrase quelque chose avec) On ne sait pas comment s’en débarrasser…

Un troisième flic arrive (une femme ou un homme style gay).

Flic 3 – Vous avez de la visite…

Flic 1 – De la visite ?

Flic 3 – Même les prisonniers ont droit à des visites, le soir du réveillon. Et je crois que cette année encore, vous allez avoir droit à votre petit colis de Noël…

Un homme entre à la suite du Flic 3. Il a une bouteille à la main.

Flic 1 – Oh putain non, pas lui…

Flic 2 – Ah, bonsoir Monsieur Dumortier, comment allez-vous ?

Collabo – Bonsoir, bonsoir… Je passe en coup de vent vous souhaiter un joyeux Noël. J’espère que je ne vous dérange pas ?

Flic 1 – Mais vous ne nous dérangez jamais, Monsieur Dumortier.

Flic 1 – Justement nous parlions de vous… (Moins fort) Enfin, nous parlions des cafards en général…

Flic 2 – Heureusement qu’il existe des citoyens vigilants comme pour vous pour assister la police dans sa noble mission.

Flic 3 – S’il y avait plus de gens comme Monsieur Dumortier, c’est sûr, la municipalité n’aurait même plus besoin d’investir dans la vidéosurveillance.

Flic 2 – Alors Monsieur Dumortier, qui venez-vous dénoncer aujourd’hui ? Un polygame présumé ? Un fraudeur aux allocations familiales ? Un orphelin sans papier ?

Collabo – Simple visite de courtoise. Je viens en voisin pour rendre hommage au dévouement des forces de l’ordre, dont vous êtes le bras armé.

Flic 1 – Mais je vois que vous n’êtes pas venu les mains vides…

Collabo – Je sais ce que c’est que de passer Noël tout seul loin de sa famille, la mienne ne veut plus me voir. Alors si je peux apporter un peu de réconfort aux soldats qui protègent notre pays contre les dangers qui le menacent de l’intérieur. Tenez, vous m’en direz des nouvelles…

Il pose sa bouteille sur un bureau.

Flic 1 – Ah mais dites-moi, c’est de la fabrication artisanale, on dirait. C’est écrit à la main, comme sur les pots de confiture Bonne Maman.

Flic 2 (lisant par dessus son épaule) – Alcool de châtaignes…

Flic 3 – Je ne savais pas qu’on pouvait faire de l’alcool avec des châtaignes…

Collabo – On peut faire de l’alcool avec tout, vous savez. Pendant la guerre, mon grand-père en faisait même avec des épluchures de pommes de terre et de vieilles semelles en cuir.

Flic 3 – Ah oui, 53 degrés, quand même… Ça ne doit pas être mal… Comme antiseptique, en tout cas.

Collabo – Pépé m’en a laissé quelques bouteilles en héritage avant d’être fusillé à la Libération. Quand celle-ci a été distillée, vous n’étiez même pas encore nés…

Flic 2 – Vous savez que c’est strictement interdit de fabriquer de l’alcool chez soi, Monsieur Dumortier. Nous pourrions vous mettre en garde à vue pour infraction à la législation sur les vins et spiritueux…

Dumortier semble inquiet.

Flic 3 – Mon collègue plaisante, évidemment…

Flic 1 – D’ailleurs, il y a prescription, n’est-ce pas ? Hélas, nous ne pourrons pas trinquer avec vous. Vous savez ce que c’est : jamais pendant le service !

Collabo – Vous la boirez à ma santé pour le Jour de l’An, alors. Si vous n’êtes pas de garde encore une fois… Allez, je me sauve… Vous devez avoir des tas de gens à mettre en prison…

Flic 3 – C’est vrai que les jours de réveillon, ici, c’est comme au théâtre. On affiche souvent complet. Je vous raccompagne, Monsieur Dumortier ?

Collabo – Je connais le chemin, mais bon…

Flic 2 – Vous êtes presque de la maison, pas vrai ?

Flic 1 – Et encore merci pour la bouteille !

Dumortier s’apprête à tourner les talons, mais se ravise.

Collabo – J’en profite quand même pour vous signaler que mon voisin de palier n’a pas encore acheté son éthylotest. Vous voulez le numéro de sa plaque d’immatriculation ?

Flic 2 – Nous sommes un peu débordés pendant cette période de fêtes. Et en sous-effectif. Mais revenez donc nous voir pour les étrennes…

Collabo – Je n’y manquerai pas. Et bonne soirée quand même…

L’homme s’en va, suivi du Flic 3.

Flic 1 – Et après, on va dire que les gens n’aiment pas la police…

Flic 2 – C’est vrai, on se plaint toujours d’être mal aimés, et pourtant… On ne peut pas s’empêcher de trouver ça un peu louche, d’aimer la police à ce point.

Flic 1 – On a bien fait de ne pas trinquer avec lui, il aurait été foutu de nous dénoncer aux bœufs-carottes pour avoir picolé pendant le service.

Il débouche la bouteille, pendant que l’autre sort deux verres, aussitôt remplis. Ils trinquent.

Flic 1 – Bon ben … Joyeux Noël, alors.

Flic 2 – C’est ça, joyeux Noël toi-même.

Ils vident leurs verres cul-sec.

Flic 1 – Ah oui, quand même…

Flic 2 – 53 degrés.

Flic 1 – Ça ramone.

Flic 2 – Faudra qu’on lui demande la composition exacte.

Flic 1 – Ouais, il n’y a pas que de la prune là dedans.

Flic 2 – Il a dit que c’était de la châtaigne…

Flic 1 – Mmm…

Flic 2 – Je me demande si le grand-père ne rajoutait pas un peu de Destop pour rehausser le goût du fruit.

Flic 1 – Tu te rends compte, cette liqueur est plus vieille que nous…

Flic 2 – Le pépé devait fabriquer ça dans sa cave pendant le couvre-feu avec ce qui lui tombait sous la main.

Flic 1 – Sa façon à lui de résister à l’occupant.

Flic 2 – Allez, ressers-nous une tournée, va. C’est toujours ça que les boches n’auront pas…

L’autre remplit à nouveau les deux verres, qu’ils vident encore cul sec.

Flic 1 – Je ne sais pas s’il y a du Destop là dedans, mais c’est vrai que ça débouche la tuyauterie.

Le Flic 3 revient. Les deux flics planquent la bouteille et les verres à la hâte. Le Flic 3 traîne derrière lui un clodo en état d’ébriété.

Flic 3 – On l’a trouvé en train de montrer ses fesses juste en face du commissariat.

Flic 1 – Comme si on n’avait pas vu assez d’horreurs comme ça pendant la guerre.

Clodo – Mort aux vaches !

Flic 2 – Mort aux vaches… Un peu désuet comme expression, mon brave, non ?

Flic 3 – C’est du Brassens…

Flic 2 – Ah… Dans ce cas, moi je dis respect…

Flic 1 – Brassens, c’est indémodable.

Flic 2 – Et puis quelqu’un qui déteste les flics à ce point ne peut pas être entièrement mauvais. Je propose qu’on l’amnistie. C’est Noël, quand même…

Flic 1 – Ouais… Et puis je ne sais pas s’il est complètement mauvais, mais ce qui est sûr c’est qu’il sent très mauvais…

Flic 3 – C’est vrai qu’à lui tout seul, c’est une arme de destruction massive. Si Saddam avait pu mettre la main sur ce type à l’époque de la guerre du Golfe, il aurait sûrement gagné contre la coalition…

Clodo – Insulte à agent ! Vous n’avez pas le droit de me relâcher ! Je connais mes droits !

Flic 1 – Encore un qui ne veut pas passer le réveillon à se les geler dehors.

Flic 2 (au Flic 3) – Allez, tachez de lui trouver une cellule individuelle… Je ne voudrais pas que les autres nous accusent d’avoir voulu les gazer…

Clodo – Merci Messeigneurs… Dieu vous le rendra…

Le Flic 3 s’apprête à emmener le clodo, mais le Flic 1 l’interpelle.

Flic 1 – Attendez une minute… Donnez-moi votre ceinture…

Clodo – Pourquoi faire ?

Flic 1 – Vous êtes en garde à vue, c’est le règlement.

Le clodo s’exécute à regret et donne sa ceinture au flic.

Clodo – Vous voulez aussi mes lacets ?

Flic 1 – Merci, ça ira.

Le Flic 3 l’emmène. Le Flic 1, qui n’a plus de ceinture, met celle du clodo.

Flic 1 – Au moins, j’ai récupéré une ceinture.

Il ressort la bouteille et les verres, et ils boivent à nouveau.    

Flic 1 – C’est marrant, j’ai un vieux souvenir qui me revient, je ne sais pas pourquoi…

Flic 2 – Ne te sens surtout pas obligé de me le raconter.

Flic 1 – Je devais avoir cinq ans… Mon père tenait un magasin de jouets… Au Bonheur des Enfants, ça s’appelait…

Flic 2 – Ouf… Je craignais que tu me racontes ton enfance malheureuse…

Flic 1 – Malheureusement, mon père était très avare.

Flic 2 – Ah…

Flic 1 – Le soir de Noël, ma mère m’avait fait cadeau d’un énorme ours en peluche qui trônait dans la vitrine du magasin…

Flic 2 – Quelque chose me dit que cette histoire va mal finir…

Flic 1 – Quand il a vu ça, mon père est devenu fou furieux. Il a foutu une trempe à ma mère, il m’a arraché la peluche des mains et il l’a remise dans la vitrine…

Flic 2 – Hun, hun…

Flic 1 – Je me demande si ce n’est pas pour ça que depuis, Noël, ça me fout le bourdon.

Flic 2 – Et ben tu vois, tu viens d’économiser dix ans de psychanalyse. Et moi je ne t’ai rien fait payer pour écouter tes conneries à part ce que je t’ai pris au poker…

Silence pesant. Le Flic 1 semble passablement déprimé.

Flic 2 – Je me demande si je ne devrais pas te confisquer cette ceinture aussi. Tu ne vas pas te pendre avec au porte-manteaux dès que j’aurai le dos tourné, dis ?

Le Flic 3 revient avec une prostituée de sexe ambigu (femme un peu hommasse ou homme travesti).

Flic 1 – C’est quoi ça ?

Flic 3 – Distribution variable, comme on dit au théâtre.

Flic 1 – Je ne vais jamais au théâtre, ça m’endort.

Flic 2 – Ça veut dire qu’on ne sait pas si elle en a ou pas.

Travelo – Vous voulez vérifier ?

Flic 1 – Dans le doute, on vous appellera Madame.

Travelo – Mademoiselle, je préfère.

Flic 1 – Et alors ? Qu’est-ce qui l’amène la demoiselle ?

Flic 3 – Elle faisait le tapin devant une synagogue.

Flic 1 – Vous ne respectez donc rien.

Flic 2 – Si ça se trouve, elle n’est même pas circoncis.

Travelo – Ben quoi ? Vous préférez que je racole à la sortie de la messe de minuit ?

Flic 3 – Qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut quand même pas la coffrer pour antisémitisme.

Travelo – Vous savez ce que Arletty a répondu quand on a voulu la tondre à la Libération pour avoir fricoté avec les frisés.

Flic 2 – J’aimerai assez que vous nous le rappeliez.

Flic 3 (répondant à sa place) – Mon cœur est français, mon cul est international.

Travelo – Et ben moi, mon cul, il est œcuménique.

Flic 1 – Pardon ?

Flic 2 – Laisse tomber, c’est sûrement un gros mot.

Flic 1 – Bon, et ben on la relâchera après la messe de minuit, alors.

Travelo – Et pour quel motif vous m’arrêtez ?

Flic 2 – Trouble à l’ordre biblique, ça vous va ?

Flic 1 – Allez, tu mets Mademoiselle dans la suite royale et tu veilles à ce qu’elle ne manque de rien.

Travelo – Vous le regretterez, je vous garantis. Vous ne savez pas à qui vous parlez. J’ai des relations, moi. Et pas seulement avec des ministres du culte.

Flic 2 – S’il vous arrive d’avoir des relations avec le Ministre de l’Intérieur, vous pourriez lui glisser sur l’oreiller qu’on est en sous effectif ?

Travelo – Bande d’enculés, va !

Flic 1 – C’est ça, joyeux Noël à vous aussi.

Le Flic 3 emmène la prostituée.

Flic 1 – C’est incroyable ce que les putes peuvent être vulgaires, de nos jours.

Flic 2 – C’est à croire que leurs parents ne leur ont rien appris.

Les deux flics continuent à boire.

Flic 1 – C’est curieux, mais il y a un autre truc qui me revient en mémoire, tout d’un coup…

L’autre, inquiet, regarde l’étiquette de la bouteille.

Flic 2 – Putain, mais c’est quoi ce tord-boyaux qu’il nous a refilé ? Un sérum de vérité ? Je me demande si tu ne ferais pas mieux d’arrêter d’en boire…

Flic 1 – C’était encore à Noël, mais cette fois, je devais avoir une dizaine d’années. Mon père venait de mourir, dans des circonstances assez obscures d’ailleurs…

Flic 2 – Oh non, c’est moi qui vais me pendre…

Flic 1 – Je croyais encore au Père Noël, et ma mère m’avait dit qu’il passerait vers minuit. Alors je l’ai attendu, pour le voir…

Flic 2 – Et évidemment tu ne l’as jamais vu.

Flic 1 – Si… Vers minuit, je me réveille. Je me lève pour voir ce que le Père Noël m’avait apporté, et ç’est là que je l’ai aperçu… dans le lit de ma mère.

Flic 2 – Et après tu te demandes pourquoi tu n’aimes pas les huîtres…

Flic 1 – Je suis allé me recoucher… Mais je crois que ce jour-là, si j’avais eu un flingue comme aujourd’hui, je l’aurais buté, le Père Noël. En fait, je crois que c’est pour en avoir un gros que je suis devenu flic.

Flic 2 – Un gros quoi ?

Flic 1 – Un gros pistolet ! Pour buter le Père Noël !

Flic 2 – Je crois que tu ferais mieux d’aller consulter, finalement. Même si ça doit te coûter la moitié de ta paye.

Le commissaire arrive. Les deux flics, un peu avachis, reprennent une position plus correcte, mais n’ont pas le temps de planquer la bouteille.

Flic 1 – Commissaire…

Commissaire – Je vois qu’on a commencé à célébrer la nativité.

Flic 2 – Un cadeau d’un de nos indicateurs, Commissaire.

Flic 1 – On n’a pas pu refuser de trinquer avec lui, ç’aurait été grossier…

Commissaire – Bien sûr… Et sinon, qu’est-ce qu’on a ?

Flic 1 – Oh, comme chaque année, vous savez… Quelques naufragés du réveillon… Un clodo, une pute, un exhibitionniste, un voyeur…

Commissaire – Il ne manque plus que le bœuf et l’âne, et vous aurez de quoi faire une crèche vivante.

Flic 2 – Oui… On attend les rois mages…

Commissaire – En attendant, vous n’avez qu’à mettre l’exhibitionniste et le voyeur dans la même cellule. Au moins ces deux-là passeront un joyeux Noël. Autre chose ?

Le Flic 3 arrive avec un autre individu.

Flic 3 – Je crois que ça, ça va vous intéresser, Commissaire… Monsieur est venu ici de son plein gré pour passer des aveux spontanés et se constituer prisonnier.

Commissaire – Allons bon… Vous savez que dans la police, on n’aime pas trop les aveux spontanés, ça gâche le métier. Déjà que le Ministère ne remplace plus qu’un policier sur deux… Alors mon brave, qu’est-ce qui vous amène ? Vous avez poignardé votre conjoint avec le couteau à découper parce que le gigot était trop cuit ? Ne rigolez pas, c’est arrivé l’année dernière.

Mytho – Non, pas exactement.

Commissaire – Simples coups et blessures, alors ? Il semblerait que pour certains, balancer des marrons à sa dinde avant de la fourrer, ce soit aussi une tradition de Noël…

Mytho – La raison de ma présence ici est beaucoup plus importante, Commissaire.

Commissaire – Je vous écoute…

Mytho – J’ai assassiné Pierre Bérégovoy.

Moment de stupeur.

Flic 3 – Je vous avais dit que ça risquait de vous intéresser…

Commissaire – Tant que vous y êtes, vous êtes sûr que vous n’avez pas assassiné Jaurès, aussi, comme ça on vous ferait le tarif récidiviste…

Mytho – J’étais sûr que vous ne me croiriez pas…

Flic 3 – En même temps, c’est vrai que c’est une histoire assez sombre, qui n’a jamais été vraiment élucidée.

Commissaire – Dites donc, Sherlock Holmes, si je n’arrive pas à résoudre cette énigme tout seul, je vous demanderai votre avis, d’accord ?

Flic 3 – Bien sûr, Commissaire…

Commissaire – Bon, alors voilà ce qu’on va faire. Ces messieurs vont vous donner un crayon et du papier, vous allez nous coucher vos aveux complets noir sur blanc, et on étudiera ça demain matin à tête reposée, d’accord ?

Mytho – Très bien. Merci de m’avoir prêté une oreille attentive, Commissaire…

Le Flic 1 donne au mythomane un bloc notes et un stylo.

Commissaire (au Flic 3) – Vous accompagnez Monsieur jusqu’à sa cellule ?

Mytho – Si ce n’est pas abuser, je peux avoir du café ? Ça risque d’être assez long…

Les autres lèvent les yeux au ciel.

Flic 3 – Combien de sucres ?

Le Flic 3 s’en va en emmenant le mythomane.

Commissaire – Je vous dis que tout à l’heure, on va voir débarquer l’assassin d’Henri IV…

Flic 2 – Pour lui, au moins, on est sûr qu’il y a prescription…

Commissaire – Encore un qui ne savait pas où réveillonner…

Flic 2 – C’est fou ce que la période des fêtes est cruelle pour les gens seuls.

Flic 1 – En même temps, on n’est pas les Restos du Cœur, non plus. Il ne s’agirait pas que trop de convives se pointent sans réservation, sinon on va devoir refuser du monde…

Commissaire – Bon, allez, ce n’est pas que je m’ennuie mais… j’ai une famille moi… Je vous laisse les clefs de la boutique ?

Flic 1 – Vous pouvez compter sur nous, Commissaire…

Commissaire – De toute façon, je reste joignable sur mon portable en cas d’urgence. Ah, au fait, j’oubliais… Il y a très peu de chance que ça tombe sur vous, mais bon…

Flic 1 – Oh, vous savez, ça fait trois années de suite que ça tombe sur nous alors…

Commissaire – Non, je voulais dire, euh… Comme vous le savez, cette année, le Ministre de l’Intérieur qui vient d’être nommé a décidé d’innover. Il visitera à l’improviste un commissariat choisi au hasard pour saluer le dévouement de la police.

Flic 1 – Tiens donc…

Commissaire – Le coup du ministre qui va saluer ses troupes le soir du réveillon. Un grand classique de la Défense Nationale que notre nouveau Ministre de l’Intérieur souhaite imiter en visitant lui-même le commissariat d’un quartier sensible.

Flic 2 – Mais nous serions très sensibles à cet honneur, Commissaire…

Commissaire – Bon, quoi qu’il en soit, gardez une tenue à peu près correcte, on ne sait jamais… Et ne forcez pas trop sur la bouteille.

Flic 2 – Allez Commissaire, vous allez bien trinquer avec nous avant de partir ! C’est Noël, quand même…

Commissaire – Bon, juste un verre alors…

Le Flic 1 remplit trois verres. Le commissaire regarde l’étiquette de la bouteille.

Commissaire – C’est quoi, ce truc ?

Flic 1 – Une spécialité régionale.

Commissaire – Quelle région ?

Flic 2 – La Seine Saint Denis, je crois. Vous allez voir, c’est le petit Jésus dans une culotte de velours.

Le commissaire boit et fait la grimace. Les deux autres se marrent.

Commissaire – Ah, oui, quand même…

Flic 1 – 53 degrés.

Commissaire – Je vous déconseille de fumer après avoir bu ça…

Ils reprennent tous une gorgée.

Flic 1 – C’est marrant, ça me rappelle quelque chose…

Commissaire (le coupant) – Bon, vous me raconterez ça une fois. Il faut vraiment que je file, là… Je suis déjà en retard…

Flic 2 – Et alors Commissaire ? Vous ne vous déguisez pas en Père Noël cette année pour nous apporter nos cadeaux au pied du sapin ?

Commissaire – Si vous avez été bien sages… Allez, bon courage pour cette nuit…

Flic 1 – Joyeux Noël, Commissaire !

Le commissaire s’en va, croisant le Flic 3 qui revient, poussant devant lui un individu à l’air passablement exalté.

Flic 1 – Qu’est-ce que c’est que ça, encore…

Flic 3 – Rien de grave, rassurez-vous. Mais il semblerait que la fin du monde soit pour le 31 décembre. Monsieur va tout vous expliquer.

Parano – Je vais essayer de faire bref, car le temps nous est compté. Je suis astronome amateur.

Flic 2 – Ça commence bien…

Parano – Depuis quelques semaines, j’ai repéré dans mon télescope un objet céleste qui s’approche de notre planète à la vitesse de la lumière.

Flic 2 – Hun, hun…

Parano – D’après mes calculs, il entrera en collision avec la terre très précisément le 31 décembre à minuit, à Fontenay-sous-Bois.

Flic 2 – Et en quoi ça concerne la police ?

Flic 1 – Des météorites qui tombent sur terre, il y en a souvent, non ?

Flic 3 – C’est là où ça se corse, si je peux me permettre. D’après Monsieur, cette météorite est grande comme deux départements français. La taille de la Corse, justement.

Parano – Et le plus curieux, c’est que cette météorite a exactement la forme de l’Ile de Beauté.

Flic 2 – Sans blague ?

Parano – Évidemment, le gouvernement et les médias sont au courant, mais ils ont préféré garder cette information secrète.

Flic 2 – On nous cache tout, c’est dingue…

Flic 1 – En même temps, la Corse, ce n’est pas si grand que ça… Et puis Fontenay-sous-Bois, entre nous… Ce n’est pas la fin du monde, quand même…

Parano – Vous plaisantez ! Une météorite de cette taille lancée à la vitesse de la lumière, dégagera en entrant en collision avec la Terre une énergie équivalente à plusieurs millions de bombes atomiques.

Flic 1 – Ah, oui, quand même…

Flic 2 – Dommage que ça ne tombe pas le 14 juillet, ça aurait fait un beau feu d’artifice…

Parano – Notre planète va littéralement fondre sous le choc, et puis ce sera l’hiver nucléaire pour quelques millions d’années. Nous allons tous être exterminés ! Comme les dinosaures. Au mieux, il ne restera plus que quelques cafards.

Flic 2 – Putain… On n’en sera même pas débarrassé.

Flic 1 – C’est vrai que c’est costaud, ces bestiaux-là. Nous on a tout essayé pour en venir à bout…

Flic 2 (au Flic 3) – Bon… Et pourquoi vous nous l’avez amené, Nostradamus, exactement ? Il veut porter plainte contre Dieu, ou quelque chose comme ça ?

Flic 3 – Tentative de suicide.

Flic 2 – Pardon ?

Flic 3 – Ce zouave-là s’est jeté dans la Seine depuis le Pont de l’Alma.

Flic 1 – Ça sert à quoi de se suicider à une semaine de la fin du monde ?

Flic 3 – Un dernier acte de liberté individuelle, j’imagine. Une façon de rester maître de son destin, malgré la certitude que nous avons tous de mourir tous un jour. Vous avez lu ce que Nietzsche a écrit au sujet du suicide ?

Flic 2 – Bon et alors ? On a encore le droit de se suicider, non ? Ce n’est pas un délit !

Flic 3 – Le problème, c’est qu’un bateau mouche passait juste en dessous quand Monsieur s’est jeté du pont, et il a atterri sur une touriste américaine. Un peu enrobée, heureusement. Pour lui, ça a amorti le choc. Mais l’Amerloque, elle, elle est dans un sale état. Alors évidemment, elle a porté plainte.

Flic 1 – C’est sûr qu’elle, elle a dû croire que c’était le ciel qui lui tombait sur la tête

Flic 2 – Ok, vous nous le mettez au frais jusqu’à demain, et on verra ça plus tard avec le commissaire.

Parano – C’est la fin du monde, je vous dis ! Dans une semaine exactement. C’est le moment d’expier vos péchés !

Le Flic 3 emmène l’illuminé.

Flic 2 – La Corse qui s’écrase sur Fontenay-sous-Bois… On ne nous l’avait encore jamais faite, celle-là…

Flic 1 – Remarque, ce que raconte ce type est tout à fait possible… C’est déjà arrivé, et ça arrivera sûrement encore, une météorite qui entre en collision avec la Terre. Alors pourquoi le 31 décembre, ce ne serait pas la fin du monde…

Flic 2 – Moi je te prédis un truc en tout cas : le 31 décembre ce sera la fin de l’année…

Flic 1 – Qu’est-ce que tu ferais, toi, si la fin du monde était dans une semaine.

Flic 2 – Je ne resterais pas ici à écouter tes conneries pour un salaire de misère, en tout cas… Tu vois, c’est ça finalement qui nous pourrit la vie…

Flic 1 – Quoi ?

Flic 2 – L’avenir ! Depuis qu’on est tout petit on nous apprend à renoncer à tous nos rêves pour assurer notre avenir. Finalement, c’est ce type qui a raison. On devrait tous vivre comme si la fin du monde était dans une semaine.

Flic 1 – Ouais… Enfin lui, ça l’a surtout conduit à se jeter d’un pont…

Flic 2 – Sur une Américaine ! Il aime peut-être les femmes rondes… Moi aussi, si je croyais que la fin du monde était pour bientôt, je me jetterais sûrement sur la première fille venue. Et à défaut, peut-être même sur toi…

Le Flic 1 le regarde avec un air inquiet, puis remplit à nouveau les verres.

Flic 1 – Pourquoi tu es devenu flic, toi ?

Flic 2 – Étant petit, quand je jouais aux cow-boys et aux indiens, je faisais indien. En grandissant, on m’a dit de penser à mon avenir… Alors j’ai fait cow-boy.

Flic 1 – Résultat, on n’a même jamais eu l’occasion de sortir notre flingue de son étui à part à l’entraînement.

Flic 2 – Heureusement, tu tires comme un pied ! Tu aurais pu blesser quelqu’un…

Flic 1 – Je tire mieux que toi.

Flic 2 – Tu me lances un défi ?

Flic 1 – Tu veux faire un carton sur les cafards, pour voir qui tire le mieux ? Tiens, j’en vois un sur le mur là-bas. Je te parie que d’ici, je lui mets une balle entre les deux yeux.

Le Flic 1 enlève le cran de sécurité de son arme et fait mine de viser.

Flic 2 – C’est qu’il le ferait, ce con. Allez, range ça, tu vas tuer quelqu’un, je te dis…

L’autre fait mine de tirer avant d’éclater de rire. Puis il range son arme dans son holster.

Flic 1 (levant son verre) – À la santé des cafards !

Flic 2 – Tu as raison. Après la fin du monde, il n’y a que sur eux qu’on pourra compter pour refonder la civilisation.

Ils boivent.

Flic 2 – Bon, je vais aux chiottes vider mon chargeur, moi. C’est vrai que ça débouche bien la tuyauterie, ce truc-là.

Le Flic 2 sort. Le Flic 1, passablement éméché, s’assoupit un peu sur sa chaise, s’avachissant progressivement, à tel point qu’il finit par tomber par terre. C’est alors qu’un type arrive déguisé en Père Noël avec une hotte. Il ne voit personne dans la pièce. Le Flic 1, à la fois bourré et somnolent, se relève de derrière son bureau dans un état second et l’aperçoit.

Père Noël (voix déformée par la fausse barbe) – Joyeux Noël !

Flic 1 – Oh, putain, le Père Noël ! (Il sort son arme) Depuis le temps que j’ai envie de me le faire, celui-là !

L’autre lève les mains, surpris.

Père Noël – Mais…

Flic 1 – Tu fermes ta gueule et tu ne bouges pas, d’accord ! Ah, tu fais moins le malin, maintenant, hein, le Père Noël ? Je ne sais pas ce qui me retient de…

Le coup part accidentellement.

Flic 1 – Merde, j’avais oublié de remettre le cran de sécurité…

Le Père Noël s’écroule par terre. Le Flic 2 revient alors des toilettes. Il aperçoit le Père Noël par terre.

Flic 2 – C’est quoi, ce bordel ?

Flic 1 – Je viens de buter le Père Noël…

Flic 2 – Ah, oui, là c’est la grosse bavure. Un 24 décembre au soir. Tu imagines tous les enfants que tu vas décevoir ?

Flic 1 – Le coup est parti tout seul…

Flic 2 – Ben tu n’auras qu’à dire ça aux bœufs-carottes. Homicide involontaire.

Flic 1 – Tu crois qu’il est mort ?

Le Flic 2 prend conscience que l’affaire est sérieuse.

Flic 2 – Tu lui as vraiment tiré dessus ? Mais c’est qui, ce type ?

Flic 1 – Je te jure que je n’en ai pas la moindre idée. Il a surgi comme ça tout d’un coup…

Flic 2 – Si seulement c’était le vrai Père Noël, on pourrait toujours espérer étouffer l’affaire.

Flic 1 – Tu crois ?

Flic 2 – Mais à ton âge tu sais quand même que le vrai père Noël n’existe pas. La dernière fois que tu as vu un Père Noël, c’était dans le lit de ta mère…

Flic 1 – Merde, alors qui ça peut être… Le commissaire ! Il a dit qu’il viendrait habillé en Père Noël pour nous apporter nos cadeaux ! Je pensais qu’il plaisantait…

L’autre se penche sur le corps.

Flic 2 – Et ben on va lui enlever sa capuche, sa barbe et ses moustaches, et on va savoir ça tout de suite…

Il s’apprête à le faire quand le commissaire revient, apparemment sous pression.

Commissaire – On en dans la merde, les enfants…

Flic 1 – À qui le dites vous…

Flic 2 – Un problème, Commissaire ?

Commissaire – Le Ministre ! On vient de nous annoncer son arrivée !

Flic 1 – Quel Ministre ?

Commissaire – Le Ministre de l’Intérieur ! Il a choisi notre commissariat pour sa petite visite de Noël !

Flic 2 – Non…?

Commissaire – Je vous avoue que j’aurais préféré réveillonner tranquillement chez moi, mais bon, on n’a pas le choix. Et puis si on arrive à faire bonne impression, c’est peut-être l’occasion d’obtenir les effectifs supplémentaires que nous demandons depuis des années.

Flic 1 – Vous pouvez compter sur nous, Commissaire !

Le commissaire aperçoit alors le Père Noël gisant par terre.

Commissaire – C’est quoi, ça ?

Flic 1 – C’est à dire que…

Flic 2 – Un coma éthylique, Commissaire… On l’a ramassé devant Les Galeries Lafayette alors qu’il était en train de montrer son zgeg à…

Commissaire – Je ne veux pas en savoir plus, je n’ai pas le temps. En tout cas, vous me virez ça d’ici tout de suite, d’accord !

Flic 1 – Ne vous inquiétez pas, Commissaire, on va le mettre tout de suite en cellule de dégrisement…

Commissaire – Et vous me rangez cette bouteille, bordel ! Le chef de cabinet est en train de garer la voiture ministérielle, mais il m’a dit que le ministre était déjà dans nos murs. Je m’attendais même à le trouver ici. Je vais voir ce qu’il fout ce con…

Le commissaire s’en va. Le regard des deux autres se tourne vers le Père Noël.

Flic 2 – Apparemment, ce n’est pas le commissaire non plus…

Flic 1 – Mais alors qui ça peut bien être ?

Flic 2 – L’urgence, c’est de planquer le corps avant que le Ministre débarque ici. Parce que le Père Noël victime de violences policières le soir du réveillon, je ne suis pas sûr que ça contribue à lui faire bonne impression…

Flic 1 – On n’a plus aucune cellule individuelle… On ne va pas le mettre avec les autres, ça ferait jaser…

Flic 2 – De toute façon, on n’a pas le temps. On va le planquer derrière le bureau en attendant. Tu as entendu le commissaire ? Le ministre va être là d’une minute à l’autre.

Les deux flics planquent le Père Noël à la hâte derrière le bureau. Le Chef de Cabinet du Ministre arrive.

Chef de Cabinet – Bonsoir Messieurs, et joyeux Noël à vous !

Flic 1 – Monsieur le Ministre…

Chef de Cabinet – Je ne suis que son Chef de Cabinet… Mais je pensais le trouver ici. J’étais en train d’essayer de garer la Twingo…

Flic 2 – La Twingo…

Chef de Cabinet – Qu’est-ce que vous voulez, c’est la présidence normale… Et le pire, c’est que je suis obligé de la conduire moi-même… C’est fou ce qu’on a du mal à se garer, dans votre quartier…

Flic 2 – Comme quoi, malgré la crise, les pauvres ont encore les moyens de s’acheter des voitures.

Chef de Cabinet – Et souvent plus luxueuses qu’une Twingo, croyez-moi… Bref, j’ai dû garer la mienne en double-file. Et avec cette neige…

Flic 1 – Ne vous inquiétez pas, si un collègue vous met une amende, on vous la fera sauter.

Chef de Cabinet – Ah, mais il n’en n’est pas question, vous plaisantez ! Comme vous le savez, nous sommes pour une république irréprochable !

Flic 2 – Bien sûr…

Chef de Cabinet – Je ne comprends pas… On devait se rejoindre ici. Lui est venu en traîneau…

Flic 1 – En traîneau ?

Chef de Cabinet – Évidemment, on n’a pas pu avoir de rennes, c’était trop cher. On les a remplacés par des chiens policiers… Alors vous ne l’avez pas vu ?

Flic 2 – Le traîneau ?

Chef de Cabinet – Le Ministre ! Vous n’auriez pas pu le rater, il est déguisé en Père Noël…

Flic 1 – En Père Noël !

Chef de Cabinet – C’est un peu potache, je sais, mais c’est un geste symbolique très fort. Une façon de montrer que pour le Ministre de l’Intérieur, tous les policiers sont ses enfants, et qu’il saura vous récompenser. À condition que vous soyez bien sages, évidemment. Donc, vous ne l’avez pas vu…

Flic 2 – Il est peut-être dans un bureau à côté…

Chef de Cabinet – Je vais aller voir, je vous remercie. Et bien sûr, nous repassons vous rendre une petite visite tout à l’heure.

Flic 2 – Très bien…

Chef de Cabinet – Et ne changez surtout rien pour nous. Faites exactement comme si nous n’étions pas là, d’accord ?

Le Chef de Cabinet repart. Les flics sont anéantis. Leurs regards se tournent vers l’endroit où le Père Noël est planqué.

Flic 1 – Le Ministre de l’Intérieur…

Flic 2 – Il y a du remaniement dans l’air.

Flic 1 – Oh putain…

Flic 2 – Ah oui, comme bavure, c’est difficile de faire mieux…

Flic 1 – Qu’est-ce qu’on fait ?

Flic 2 – On va bien trouver une solution..

Flic 1 – Tu crois ?

Flic 2 – Non, je disais juste ça pour te rassurer.

Flic 1 – En attendant, on ne peut pas le laisser là. L’autre a dit qu’il revenait dans cinq minutes…

Flic 2 – On n’a pas le choix, on va le mettre en cellule…

Ils sortent le Père Noël de derrière le bureau et commence à le traîner. Le Flic 3 revient.

Flic 3 – Vous avez besoin d’un coup de main ?

Flic 1 – Ça va aller, merci…

Flic 3 – Qu’est-ce qu’il a ? Quelque chose qui n’aura pas digéré ?

Flic 2 – C’est ça, des pruneaux…

Flic 3 – La période des fêtes est propice à tous les excès…

Flic 2 – Eh oui, et après on le regrette… (Au Flic 1) Pas vrai ?

Flic 3 – Un Père Noël, en plus… Quel exemple pour les enfants…

Le Flic 3 s’en va.

Flic 2 – Tu n’as qu’à le mettre avec le mythomane.

Flic 1 – Pourquoi ?

Flic 2 – S’il raconte qu’il a vu le cadavre du Ministre de l’Intérieur, personne ne le croira.

Flic 1 – Tu as raison, les mythomanes, ça a quand même du bon…

Flic 2 – Je reste là pour occuper le Chef de Cabinet.

Le Flic 1 sort en traînant le Père Noël par les pieds. Le chef de cabinet revient accompagné du commissaire, qui tente de faire bonne figure.

Commissaire – Vous n’allez pas le croire, mais nous avons perdu le Ministre… Il n’est pas passé par ici ?

Flic 2 – Je n’ai rien vu…

Chef de Cabinet – J’espère qu’il ne lui est rien arrivé…

Commissaire (plaisantant) – Que voulez-vous qu’il arrive à un Ministre de l’Intérieur dans un commissariat ?

Chef de Cabinet – Vous avez raison…

Commissaire – Il est peut-être… là où le roi lui-même va seul. On a beau être ministre, on a les mêmes besoins que monsieur Toutlemonde, pas vrai ?

Chef de Cabinet – Mais parfaitement. C’est ça aussi, la présidence normale…

Commissaire – Tout de même, que le Ministre soit aux toilettes et que son Chef de Cabinet ne soit pas au courant, vous avouerez…

Chef de Cabinet – Très drôle… C’est important, l’humour… Surtout quand on fait un métier comme le vôtre, j’imagine…

Commissaire – Allez, je vais vous faire visiter les locaux en attendant… Vous verrez, malheureusement, c’est très vétuste. À rafraîchir, comme on dit dans les petites annonces immobilières pour dire que c’est une ruine… Si vous pouviez en toucher un mot au Ministre, quand on l’aura retrouvé…

Le commissaire s’en va en entraînant le Chef de Cabinet avec lui. Le Flic 1 revient.

Flic 2 – Alors ?

Flic 1 – J’ai dit au mytho que c’était le Ministre de l’Intérieur déguisé en Père noël et que je venais de lui coller une balle dans le buffet.

Flic 2 – Et il t’a cru ?

Flic 1 – L’avantage avec les mythomanes, c’est qu’ils sont très crédules…

Flic 2 – Ça nous donne un peu de répit.

Flic 1 – C’est vrai que pour cacher un cadavre, un commissariat… Ce n’est pas l’endroit où la police pense chercher en premier, mais bon…

Flic 2 – En même temps, ça ne va pas être évident de faire sortir le corps d’ici discrètement. Il y a des flics partout… Alors tu imagines quand la disparition du ministre aura été signalée officiellement, ce qui ne saurait tarder… On va avoir la DST et le GIGN sur les bras…

Flic 1 – Tu as raison, il faut trouver une solution, et vite…

Flic 2 – Si on ne peut pas se débarrasser du corps, il faudrait pouvoir trouver une explication naturelle à sa mort…

Flic 1 – Naturelle… Avec une balle dans le buffet…

Flic 2 – Dans ce cas, il faut trouver quelqu’un pour porter le chapeau à ta place !

Flic 1 – J’imagine que tu n’es pas volontaire…

Flic 2 – Le mytho !

Flic 1 – Quoi ?

Le portable du Flic 1 sonne.

Flic 2 – Va le chercher, je n’ai pas le temps de t’expliquer.

Flic 1 – J’y vais…

Le Flic 1 répond.

Flic 2 – Ouais… Ah, bonsoir maman… Ben oui, je sais, mais qu’est-ce que tu veux… Évidemment, je préférerais être avec vous à manger des huîtres, mais bon… Oh, ici, tu sais, c’est plutôt calme, hein ? Le soir du réveillon… Bon, il va falloir que je te laisse là, parce que j’ai un petit problème à régler… Non, non, rien de grave, je t’assure… D’accord, vous me gardez un morceau de bûche, c’est gentil… Joyeux Noël à toi aussi, maman…

Le Flic 1 revient avec le mythomane.

Flic 2 – Alors, mon vieux, ça avance, ces Mémoires d’Outre-Tombe ?

Mytho – Ça va, je vous remercie… Mais je n’en suis qu’au tout début, vous savez… Alors si ça ne vous dérange pas trop…

Flic 1 – Vous avez bien cinq minutes, quand même…

Mytho – Bon, mais cinq minutes, alors…

Flic 2 – Asseyez-vous, je vous en prie. Vous voulez boire quelque chose ? Une petite liqueur de châtaignes ? C’est une spécialité de mon pays…

Mytho – Merci, je ne bois pas…

Flic 2 – Alors voilà… Comme vous nous êtes sympathique, mon collègue et moi, nous avons une petite proposition à vous faire… Une proposition très intéressante, vous allez voir…

Le Flic 1 se demande visiblement ce que son collègue a en tête.

Mytho (méfiant) – J’espère que vous n’allez pas encore me parler de prescription…

Flic 2 – Mais non, rassurez-vous. C’est même exactement le contraire… Parce qu’avec votre Ministre du siècle dernier, la prescription… C’est ce que vous risquez, vous en avez bien conscience…

Flic 1 (commençant à comprendre) – Même avec un bon avocat…

Mytho – Où voulez-vous en venir…

Flic 2 – Ça vous dirait d’être l’assassin du Ministre de l’Intérieur, plutôt ? Il vient tout juste d’être nommé…

Mytho – Mais… il est mort. Son cadavre est dans ma cellule…

Flic 2 – Oui… Mais c’était un homicide involontaire. Ce que nous vous proposons là, nous, c’est un assassinat. Un vrai.

Mytho – Je ne peux pas le tuer, puisqu’il est déjà mort.

Flic 2 – Justement ! Avec le petit arrangement que nous vous proposons, c’est sur vous seul que rejaillirait toute la gloire d’avoir attenté à sa vie…

Flic 1 – Et nous, disons que… ça nous rendrait service aussi.

Mytho – Ah non, je suis désolé mais… ça ne va pas être possible.

Flic 1 – C’est un ministre ! Un ministre ou un autre, quelle différence ?

Mytho – D’abord, moi j’ai assassiné un Premier Ministre…

Flic 1 – On ne va pas chipoter, non plus…

Le mythomane se lève.

Mytho – Non, vraiment, j’aurais aimé vous rendre service, mais…

Flic 2 – Mais pourquoi, Bon Dieu ?

Mytho – Mais parce que je ne veux pas mentir…

Le Flic 3 passe par là.

Flic 3 – Vous êtes au courant ? On a perdu le Ministre de l’Intérieur ! Ça commence à être la panique, le Commissaire est dans tous ses états…

Mytho – Le Ministre de l’Intérieur ? Il est avec moi dans ma cellule, et il est mort. Mais je vous jure que je ne suis pour rien dans cet assassinat.

Flic 3 – C’est ça mon brave, et je parie qu’il est déguisé en Père Noël…

Mytho – Exactement.

Le Flic 3 lève les yeux au ciel.

Flic 1 – Vous nous remettez Monsieur dans sa cellule.

Le Flic 3 emmène le mytho.

Flic 1 – Putain… Il a fallu qu’on tombe sur un mythomane qui refuse de mentir…

Flic 2 – L’inconvénient avec les mythomanes, c’est qu’ils sont persuadés de dire la vérité…

Flic 1 – Il y a bien la pute, mais je ne vois pas trop comment lui mettre ça sur le dos.

Flic 2 – Même si je ne serai pas surpris que le Père Noël soit un de ses clients.

Flic 1 – C’est sûr, il couchait déjà avec ma mère…

Flic 2 – Je parle du Ministre !

Flic 1 – Ah oui, pardon…

Ils réfléchissent.

Flic 2 – Le clodo ! Il roupille dans sa cellule, complètement bourré…

Flic 1 – Et alors ?

Flic 2 – Suis-moi, je crois que j’ai une idée…

Ils sortent. Le commissaire arrive avec le chef de cabinet.

Commissaire – Je ne comprends pas ce qui a bien pu lui arriver…

Chef de Cabinet – S’il ne refait pas surface dans les cinq minutes, je vais devoir prévenir le Président… Un Ministre de l’Intérieur qui disparaît dans un commissariat, ce n’est quand même pas rien. Autant vous dire que s’il lui était arrivé quoi que ce soit, ça ne serait pas très bon pour votre avancement.

Commissaire – Et vous dites qu’il était habillé en Père Noël… Avec un signalement aussi précis, on ne devrait pas avoir trop de mal à le retrouver…

Les deux flics arrivent avec le Père Noël, capuche baissée pour qu’on ne voit pas son visage, déjà camouflé par la fausse barbe.

Flic 1 – Ça y est, on l’a retrouvé !

Commissaire – Alléluia !

Cabinet de Cabinet – Mais qu’est-ce qu’il a ? Il n’a pas l’air très en forme…

Flic 2 – J’ai l’impression qu’il a profité de sa tournée des commissariats pour faire aussi la tournée des bars…

Commissaire – Mais je l’ai déjà vu, ce Père Noël…

Flic 2 – Oui, tout à l’heure, en effet… En fait, c’est une simple méprise.

Flic 1 – Comme il était complètement bourré en arrivant ici…

Flic 2 – Et déguisé en Père Noël, en plus…

Flic 1 – On l’a pris pour un clodo, alors on l’a mis en cellule de dégrisement.

Chef de Cabinet – C’est vrai qu’il ne sent pas la rose… Je suis vraiment confus, ce n’est pas du tout dans ses habitudes… En tout cas, merci de vous en être occupé. Et bien entendu, je compte sur votre discrétion en ce qui concerne ce petit incident…

Flic 2 – Vous pouvez être tranquille. Nous serons muets comme des tombes…

Chef de Cabinet – Je vais le ramener chez lui et le mettre dans son lit, ça ira mieux demain…

Le chef de Cabinet essaie de prendre en charge le Père Noël.

Chef de Cabinet – Vous pouvez m’aider à le charger dans son traîneau ? Je veux dire dans ma Twingo ? Il pèse comme un âne mort…

Commissaire – Mes hommes vont s’en occuper, ne vous inquiétez pas.

Chef de Cabinet – Merci Messieurs. Vous n’avez qu’à l’asseoir à la place du mort. Mais n’oubliez pas de lui mettre sa ceinture…

Les deux flics emmènent le Père Noël. Le commissaire brandit la bouteille.

Commissaire – Et bien voilà ! Tout est bien qui finit bien. Une petite larme, pour fêter ça ?

Chef de Cabinet – Bon, juste une goutte alors, et après je me sauve… Ah, quelle soirée, je m’en souviendrai…

Commissaire – À la bonne vôtre !

Ils boivent.

Chef de Cabinet – Ah, oui, quand même… Si c’est ça qu’il a bu, je comprends que le Ministre soit dans cet état… En tout cas, merci pour tout, Commissaire. Au nom du Ministre, je vous félicite pour votre dévouement et votre efficacité..

Commissaire – Hélas, nous sommes en sous-effectifs, mais…

Chef de Cabinet – Pour ce qui est des effectifs, je ne peux rien vous promettre . C’est la crise, comme vous le savez. Mais le Ministre saura vous récompenser de votre discrétion sur ce qui s’est passé ici ce soir. Lorsqu’il aura repris ses esprits, je lui toucherai un mot à votre sujet pour une décoration… Ça au moins, ça ne coûte rien…

Commissaire – La Légion d’Honneur, vraiment ? Ce serait un très beau cadeau de Noël, en effet…

Chef de Cabinet – Sur ce il faut que je me sauve…

Commissaire – Je vous accompagne. On m’attend moi aussi…

Les deux flics reviennent.

Flic 1 – Ouf… Maintenant qu’ils sont partis, on va être un peu plus tranquilles.

Flic 2 – Qu’est-ce qu’on fait du corps ?

Flic 1 – On n’a qu’à le balancer dans La Seine. Il y a des tas de gens qui se noient les soirs de réveillon.

Flic 2 – Mais pas tellement de ministres. Surtout avec une balle dans le buffet.

Flic 1 – Quand on est Ministre de l’Intérieur, on a beaucoup d’ennemis, forcément…

Flic 2 – Enfin… Il aura sûrement des obsèques nationales…

Flic 1 – En tous cas, je paierais cher pour voir la tête de la femme du ministre quand elle va se réveiller demain matin avec un clodo dans son lit…

Le Chef de Cabinet revient.

Chef de Cabinet – Le type que vous avez chargé dans ma voiture vient de se réveiller. Ce n’est pas du tout le Ministre !

Flic 1 – Sans blague…

Chef de Cabinet – Ça m’étonnait aussi. C’est vrai qu’il a tendance à picoler un peu, mais d’habitude, il tient l’alcool beaucoup mieux que ça… Celui-là a vomi partout dans la Twingo ministérielle…

Flic 2 – Je ne comprends pas ce qui s’est passé…

Flic 1 – Ça doit être un malentendu.

Chef de Cabinet – La bonne nouvelle, c’est qu’on vient de retrouver le Ministre.

Flic 1 – Non…?

Chef de Cabinet – Il vient d’arriver. Il a été un peu retardé sur le périphe avec son traîneau, mais il sera là d’un instant à l’autre…

Flic 2 – Ah oui ?

Chef de Cabinet – Bon, je retourne à la porte pour l’accueillir…

Il repart.

Flic 1 – Oh putain… Alors je n’ai pas tué de ministre…

Flic 2 – Ouf… Ça s’arrose…

Ils boivent.

Flic 2 – Oui, mais alors c’est qui le type que tu as buté…?

Flic 1 – On a fait le changement de costume dans la pénombre tout à l’heure pour ne pas attirer l’attention, je n’ai pas vu son visage…

Flic 2 – Et puis on était tellement persuadés que c’était lui… Moi non plus, je n’ai même pas pensé à vérifier…

Flic 1 – Tu crois que c’est le vrai Père Noël ?

Flic 2 – On va savoir ça tout de suite.

Ils sortent, et reviennent en traînant le corps qui ne portent plus le costume de Père Noël mais celui du clodo.

Flic 2 – Oh, putain, c’est Dumortier.

Flic 1 – Il a dû se déguiser en Père Noël pour nous faire une surprise.

Flic 2 – Remarque, c’est réussi…

Flic 1 – En même temps, c’était un cafard, personne ne le regrettera…

Flic 2 – C’est bien le seul dont on aura réussi à se débarrasser. Qu’est-ce qu’il avait amené dans sa hotte ?

Le flic 1 regarde.

Flic 1 – Des huîtres !

Flic 2 – On n’a même pas de remords à avoir, on déteste les huîtres de toute façon…

Flic 1 – Ah, il y a un petit mot, aussi…

Flic2 – Ses bons vœux pour la nouvelle année, sûrement.

Flic 1 – C’est le numéro de la plaque minéralogique de son voisin. Celui qui n’a pas encore acheté son éthylotest. Il y a un portrait robot du contrevenant, aussi.

Flic 2 – Fais voir… (Il regarde le portrait) Ah, oui, il avait un sacré coup de crayon, dis donc.

Flic 1 – Un véritable artiste.

Flic 2 – Oui, mais il va quand même falloir s’en débarrasser.

Ils soulèvent le corps et prennent la mesure de sa lourdeur.

Flic 1 – L’avantage, c’est que quand on va le balancer dans La Seine, avec le poids des coquilles d’huîtres, ça le maintiendra au fond pendant quelque temps…

Ils s’apprêtent à traîner le cadavre quand dans une lumière irréelle un Père Noël arrive et s’adresse à eux avec une voix semblant venir de l’au-delà.

Père Noël – Alors mes enfants, est-ce que vous avez été bien sages cette année ?

Flic 1 – C’est qui ça encore ?

Flic 2 – Le Ministre de l’Intérieur ?

Flic 1 – À moins que ce soit le vrai Père Noël…

Flic 2 – Tu veux dire celui qui nique ta mère ?

Flic 1 – Oh putain, cette fois, je ne vais pas le rater !

Noir. Musique de Noël (genre Petit Papa Noël de Tino Rossi), entrecoupée de coups de feu.

Flic 2 – Tu aurais au moins pu attendre qu’il nous donne notre petit cadeau.

Sirène de police.

Fin.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-39-0

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Vendredi 13

Friday the 13th – 13 y Martes – Sexta feira 13 –  Venerdi 13 – Freitag, der 13. – Pátek 13.Vrijdag de 13e – Петък 13  –  تحميل مجاني –  Petak 13.– Пятница 13-е – Jumat Tanggal 13 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

3 ou 4 personnages : 3F, 1H/2F, 2H/1F, 3H ou 4F, 1H/3F, 2H/2F, 3H/1F, 4H

Quand on apprend au cours de la même soirée que son meilleur ami s’est crashé en avion et qu’on a soi-même gagné au loto, comment cacher sa joie devant la veuve potentielle ?

Jérôme et Christelle ont invité à dîner un couple d’amis. Mais Madame arrive seule, effondrée. Elle vient d’apprendre que l’avion qui ramenait son mari à Paris s’est crashé en mer. Suspendu aux nouvelles avec la veuve potentielle pour savoir si son mari fait partie ou non des survivants, le couple apprend qu’il vient de gagner au super tirage du loto de ce vendredi 13. Le mot d’ordre est dès lors « cache ta joie »… Nombreux rebondissements à prévoir au cours de cette soirée mouvementée…


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OFF BROAWAY OFF AVIGNON 2019 OFF AVIGNON 2024

CAPTATION VIDÉO INTÉGRALE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


BANDE ANNONCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ayant déjà fait l’objet de plusieurs centaines de montages professionnels ou amateurs, en France et à l’étranger, en français ou en espagnol, Vendredi 13 a notamment été représenté à Paris (Théâtre Montmartre Galabru, Guichet Montparnasse, Blancs Manteaux, Theo Théâtre, Théâtre Le Bout), à Lyon (Nombril du Monde), à Avignon (Théâtre des Vents), à Nice (Théâtre de l’Alphabet), à New York (Producers Club Theater de Broadway), à Los Angeles (Teatro Frida Kahlo)…

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Le mot de l’auteur sur la pièce

Vendredi 13, ça porte bonheur ou ça porte malheur ? Personne ne s’est encore vraiment mis d’accord là dessus. Alors pourquoi pas les deux en même temps ? Pour écrire cette comédie de situation contemporaine, j’ai décidé de faire cohabiter lors d’une même soirée entre amis le bonheur des uns (le gain de la super cagnotte du loto) et le malheur des autres (la disparition probable d’un être cher). Comment à partir de là un couple de multimillionnaires en puissance parviendra-t-il à cacher sa joie devant la veuve potentielle dont ils sont supposés, au nom de l’amitié, partager la peine ? Le meilleur comique résulte souvent du conflit entre le drame et la comédie. Et il n’y a pas de pire fou-rire que celui qui vous prend lors d’un enterrement…

Cette pièce, à ce jour mon plus grand succès, est une comédie de situation basée, comme toute bonne histoire, sur un conflit majeur. Comment dans une même soirée gérer à la fois le plus grand des malheurs qui puisse arriver à un ami, et le plus grand des bonheurs qui puisse vous arriver à vous-même ? Qu’est-ce qui au final l’emportera ? La compassion pour l’autre ou le pure égoïsme ? Cette comédie, comme beaucoup d’autres de mon répertoire, s’amuse de l’hypocrisie sociale. Le supposé souci des autres constitutif des bonnes manières peut-il résister à la perspective de l’enrichissement personnel ? Comme souvent aussi dans mes comédies, l’avidité, cependant, ne sera pas récompensée, et les héros déçus de cette tragicomédie auront peut-être tiré à la fin une certaine leçon de cette expérience… Tout humoriste est aussi un moraliste ! S’il semble afficher un certain cynisme, c’est d’abord parce qu’il regrette que le monde ne soit pas davantage gouverné par des valeurs humanistes.


TEXTE INTÉGRAL VERSION 1H/2F À LIRE OU IMPRIMER

Vendredi 13

Personnages

Jérôme – Christelle – Nathalie – Patrick (optionnel)

 La salle de séjour d’un appartement bobo affichant encore quelques signes de sa splendeur passée. Une peinture avant-gardiste est posée par terre contre le mur du fond. Le reste est déjà dans les cartons. Dans un coin, un sapin de Noël enguirlandé. Personne sur scène. Le téléphone sonne, et on entend le message d’accueil :

Jérôme (voix off) – Bonjour ! Vous êtes bien chez Jérôme et Christelle. Nous sommes momentanément retenus à la Brigade Financière pour une affaire de fraude fiscale, mais vous pouvez nous laisser un message après le bip sonore. Nous vous rappellerons dès la fin de notre garde à vue. Parlez, c’est à vous…

On entend le bip sonore, suivi du message laissé sur le répondeur :

Patrick (voix off) – Ouais, salut, c’est Patrick. Ça va ? Je suis con, tu ne peux pas me répondre… Bon, c’est toujours d’accord pour ce soir, mais…

Entre Jérôme, un sac Leader Price dans une main, un sac Ed dans l’autre, et une baguette sous un bras. Encombré, il ne prend pas la peine de décrocher et se contente d’écouter la suite du message :

Patrick (voix off) – … on arrivera plutôt vers 20H30. Mon avion atterrit à Beauvais. Le temps de sauter dans un bus, de déposer ma valise à la maison, et de repartir en bagnole avec Nathalie… Ah, au fait, merci pour la valise. J’en profiterai pour vous la ramener. Bon ben, à toute ! Et ne vous cassez pas trop la tête, hein ? C’est un dîner entre amis…

Jérôme va poser ses sacs à la cuisine et revient un cubitainer de vin de pays bas de gamme à la main. Il enlève son imper, et sort une carafe à vin d’un placard. Il débouche le cubitainer, place un entonnoir sur le goulot de la carafe, et la remplit. Christelle arrive.

Christelle – Salut ! Ça va ?

Jérôme – Patrick a appelé, ils arriveront un peu en retard.

Christelle – Tant mieux, parce qu’on n’est pas trop en avance…

Elle retire son manteau.

Christelle – On se gèle, non ? Il fait encore plus froid que dehors…

Jérôme – J’ai arrêté le chauffage. On est supposé faire des économies, non ?

Christelle remarque enfin ce qu’il est en train de faire.

Christelle (étonnée) – Qu’est-ce que tu fais ?

Jérôme – Ben tu vois, je mets le vin en carafe. Faut que ça respire un peu, le vin, avant de le boire. C’est meilleur, il paraît.

Christelle – Ce n’était peut-être pas la peine d’investir dans un grand millésime… Parce qu’à choisir, je préférerais qu’on économise sur le vin que sur le chauffage…

Jérôme – C’est un vin de pays. Ne me demande pas de quel pays. Pas de la Communauté Européenne, en tout cas. Un euro vingt-quatre le litre chez Leader Price. Une promo pour les Fêtes de Noël…

Christelle – Alors pourquoi tu le mets en carafe ?

Jérôme (ironique) – C’est le sommelier de chez Leader Price qui m’a conseillé de faire ça. Pour que ce précieux nectar exhale toutes ses nuances de fruits rouges et de vanille. Avec quand même un léger arrière-goût de raisin… (Redevenant sérieux) À ton avis ? Tu préfères qu’on mette directement le cubitainer sur la table ?

Christelle – Ah, d’accord…

Jérôme – Et puis ça ne peut pas lui faire de mal non plus, à cette piquette, de s’oxygéner. Le vin de pays, c’est comme l’eau du robinet. Il vaut mieux que ça décante un peu avant de le boire. Que les gaz toxiques aient le temps de s’évaporer, et les métaux lourds de se déposer au fond…

Christelle – Tu t’es occupé des courses ?

Jérôme – J’ai pris une tourte aux artichauts chez Picard Surgelés, il y aura juste à la faire décongeler.

Christelle – Une tourte aux artichauts ?

Jérôme – C’était en promo aussi… Avec une salade…

Christelle – Bon, je vais préparer l’apéritif.

Christelle commence à sortir des verres.

Christelle – Tu es passé à l’ANPE ?

Jérôme – Ouais…

Christelle – Alors ?

Jérôme – Ils m’ont proposé un stage…

Christelle – Un stage…?

Jérôme – Chez un restaurateur.

Christelle – Ah, tu vois. La baisse de la TVA, ça a quand même des effets positifs sur l’emploi…

Jérôme – Un restaurateur de tableaux…

Christelle – Mais… tu as un diplôme d’ingénieur en informatique !

Jérôme – Il paraît qu’il faut être polyvalent, maintenant…

Christelle – Quand même. Avant d’être licencié, tu étais cadre. Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir encadrer chez un restaurateur de tableaux ?

Jérôme – Des tableaux…

Christelle – Et tu y es allé.

Jérôme (parlant du tableau posé contre le mur du fond) – J’en ai profité pour faire évaluer notre toile…

Christelle – Ah, oui… Cette croûte que tu as acheté une fortune il y a dix ans à ton copain des Beaux-Arts…

Jérôme – C’était juste après sa première tentative de suicide… C’était pour le dépanner. Et puis je me suis dit que ça ne pouvait que prendre de la valeur…

Christelle – Si ça pouvait au moins nous permettre de payer le chauffage… Et alors, il te l’a estimé à combien, ce chef d’œuvre, ton restaurateur ?

Jérôme – Une bonne centaine d’euros…

Christelle – Tu l’as acheté 1500 !

Jérôme – Non, mais tu as vu comment la cote de Van Gogh a explosé juste après sa mort ?

Christelle – Il n’y a plus qu’à espérer que ton génie de la peinture réussisse son suicide avant que nous on soit mort de froid… (Soupirant) On ne peut même pas rêver que le cadre prenne de la valeur, il n’y en a pas…

Jérôme – C’est ça le problème, avec la peinture moderne…

Christelle – J’espère au moins que Patrick va nous rembourser les 1000 euros que tu lui as généreusement prêtés. Ça nous permettrait de payer le garde-meuble en attendant le logement social que nous a promis ton cousin du PS à la mairie… Tu lui en as parlé, au fait ?

Jérôme – De notre logement ?

Christelle – De nos 1000 euros ! À Patrick !

Jérôme – Je me demande si c’est vraiment le moment… Ce n’est pas facile pour lui non plus en ce moment. Tu sais que France Télécom vient de le délocaliser dans un centre d’appel à Mulhouse ? Tu te rends compte ? À Mulhouse ! Il était Directeur des Ressources Humaines à La Défense… Et ce n’est pas Nathalie, avec son salaire d’instit à mi-temps…

Christelle – Et moi ? Tu sais, en ce moment, conseillère financière chez Natexis, ce n’est pas vraiment un emploi stable… Aller expliquer aux clients comment bien placer leurs économies quand on travaille dans une banque au bord de la faillite à cause de ses placements hasardeux…

Jérôme – Ok, je lui en parlerai ce soir…

Le téléphone sonne.

Christelle – Ah, ça doit être eux… (Elle décroche le combiné) Allo…? Oui, bonsoir Nathalie, ça va ? Ah, d’accord… Non, non, pas de problème, Nathalie… Ok, on t’attend… À tout de suite, Nathalie… (Elle raccroche le combiné) C’était Nathalie…

Jérôme – Oui, je ne sais pas pourquoi, mais dès que tu as décroché et tu as dit : Bonsoir Nathalie, je me suis tout de suite douté que c’était elle…

Christelle – L’avion de Patrick a du retard, alors elle arrive toute seule en voiture…

Jérôme – Et lui ?

Christelle – Elle lui a laissé un message sur sa boîte vocale pour qu’il nous rejoigne directement ici. Je crois qu’on prendra l’apéro sans lui…

Jérôme – Quelle idée, aussi, de prendre l’avion pour revenir de Mulhouse…

Christelle – Oui… Surtout que ça le fait atterrir à Beauvais. Mais bon, maintenant, avec les low cost, un aller-retour Mulhouse, c’est moins cher qu’un ticket de métro…

Jérôme s’approche d’elle et la prend dans ses bras.

Jérôme – Allez, on va s’en sortir.

Christelle – Bien sûr… Et puis tant qu’on est tous les deux, il ne peut rien nous arriver de grave, non ?

Jérôme – Je préfère boire du vin de pays avec toi, que de déguster de la Veuve Clicquot avec n’importe qui d’autre.

Christelle – La chance va tourner, je le sens. C’est bientôt Noël. Et puis c’est vendredi 13, aujourd’hui, non ?

Jérôme – On va peut-être gagner au loto.

Christelle – On ne joue pas…

Jérôme – J’ai pris un billet au tabac, quand on est allé voir ta mère à Cabourg… J’ai joué mon numéro d’immatriculation aux ASSEDIC…

Christelle – Je me sens tout de suite plus rassurée…

Ils s’embrassent.

Jérôme – Et Nathalie ? Elle est sur la route ?

Christelle – Ça fait un quart d’heure qu’elle tourne en bas pour essayer de trouver une place…

Jérôme – C’est sûr qu’avec une Smart, ce n’est pas très facile de se garer, mais bon… Si elle apprenait à faire les créneaux, ça pourrait l’aider un peu, non…?

Christelle commence à sortir les bouteilles. La sonnette de l’entrée retentit.

Christelle – Tu vois, tu es médisant… Tu vas ouvrir…?

Jérôme va ouvrir.

Jérôme – Salut Nathalie ! Ben qu’est-ce qui t’arrive, tu es toute blanche ? On dirait que tu viens de voir un mort…

Nathalie arrive avec Jérôme. Elle tient une bouteille de champagne à la main et elle a l’air en effet effondrée.

Nathalie (en larmes) – Tu ne crois pas si bien dire…

Christelle approche, affolée.

Christelle – Mais qu’est-ce qui se passe, Nathalie ?

Nathalie – Je m’apprêtais à couper l’autoradio, et à sortir de la voiture… C’était l’heure des informations… (Un temps) L’avion de Patrick s’est crashé en mer…

Jérôme – En mer ?

Christelle – Tu es sûre que c’est son avion ?

Jérôme – Il venait de Mulhouse…

Nathalie – C’était un low cost, avec une correspondance à Londres. Ils ont donné le numéro de vol et le nom de la compagnie. Il n’y a aucun doute. L’avion a disparu au dessus de La Manche…

Nathalie éclate en sanglots. Jérôme et Christelle échangent un regard désemparé, ne sachant pas quoi dire.

Christelle – Écoute, ils vont peut-être le retrouver…

Jérôme – La Manche, ce n’est pas bien grand…

Christelle – Le pilote a peut-être réussi à poser l’avion sur l’eau…

Jérôme – Entre deux pétroliers…

Christelle – Ça s’est déjà vu…

Jérôme – Pas très souvent, mais ça s’est vu…

Nathalie (faiblement) – Vous croyez…?

Christelle – Qu’est-ce qu’ils ont dit, à la radio ? Ils ont dit qu’il n’y avait pas de survivants ?

Nathalie – Ils ne savent pas encore…

Christelle – Eh ben tu vois !

Jérôme – Et puis l’avion, ça reste quand même le moyen de transport le plus sûr au monde ! D’après les statistiques, quand tu prends l’avion, tu n’as qu’une chance sur un million d’y rester. À peu près autant de chances que de gagner au loto, alors tu vois…

Christelle lui lance un regard consterné.

Nathalie (effondrée) – Et il a fallu que ça tombe sur Patrick… Je lui avais dit de ne pas prendre l’avion un vendredi 13…

Jérôme – Bon, en tout cas, c’est que La Manche… Ils retrouveront au moins les boîtes noires…

Nathalie craque à nouveau.

Nathalie – Oh, mon Dieu, mais qu’est-ce que je vais devenir sans lui ? Avec les deux enfants, et le crédit sur la maison…

Jérôme et Christelle échangent un regard impuissant, ne sachant pas trop quoi faire.

Nathalie (pathétique) – Et dire qu’on vous devait encore 1000 euros…

Christelle – Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas le problème !

Nathalie tend à Jérôme sa bouteille de champagne.

Nathalie – Tenez, je vous avais apporté une bouteille de champagne, pour vous remercier. Si j’avais su…

Jérôme – Veuve Clicquot… Et ben, tu ne t’es pas foutue de nous…

Nathalie – C’est un cauchemar… Dites-moi que ce n’est pas vrai !

Jérôme (pris d’un doute) – Ce n’est pas une blague, au moins ?

Christelle lui lance un regard incendiaire.

Christelle – Allez, viens, assieds-toi. On va mettre la télé pour avoir des nouvelles, d’accord ?

Christelle allume la télé. C’est l’heure de la page publicitaire.

Commentateur (voix off) – Vous savez la différence entre ces deux cercueils ? Le prix ! Leclerc, parce que la vie est déjà assez chère…

Christelle change de chaîne précipitamment.

Commentateur (voix off) – Lion, ce n’est vraiment pas votre jour de chance…

Nathalie – Je suis Lion…

Commentateur (voix off) – Évitez les voyages…

Christelle – Mais ce n’est pas toi qui étais dans l’avion…

Commentateur (voix off) – Et si vous ne pouvez pas faire autrement, préférez le train à l’avion…

Nathalie – Patrick est lion aussi…

Christelle – On va mettre la radio, plutôt…

Commentateur (voix off) – … 60 millions d’euros. C’est le montant qu’empochera le gagnant de la super cagnotte du loto en ce vendredi 13. Le tirage dans un instant…

Christelle change de station.

Commentateur (voix off) – On est toujours sans nouvelle du vol 32 bis de la Compagnie Travel Discount Airways en provenance de Mulhouse et à destination de Beauvais via Bruxelles et Londres…

Nathalie – Vous voyez, c’est bien lui…

Commentateur (voix off) – Le pilote aurait émis un signal de détresse juste avant que l’avion ne disparaisse des écrans radar. Nous vous tiendrons bien sûr informés dès que des informations plus précises nous parviendront…

Christelle éteint la radio.

Christelle – Il faut attendre… Il n’y a rien d’autre à faire pour l’instant… Je vais te servir un verre, ça va te remonter le moral.

Jérôme – On ne va quand même pas déboucher le champagne…

Nathalie (apercevant la carafe) – Je vais prendre un verre de vin. Puisqu’il est déjà ouvert…

Christelle – Tu es sûre que tu ne préfères pas autre chose ?

Nathalie – Ça ira, je t’assure…

Jérôme sert un verre de vin et le tend à Nathalie, qui le vide d’un trait. Sous le regard des deux autres un peu inquiets.

Nathalie (à Jérôme) – Tu vois, avec ce qui m’arrive, je n’ai plus le goût à rien… Je n’arrive même plus à apprécier un grand vin…

Jérôme – Ouais…

Nathalie (soudain paniquée) – Oh mon Dieu, ma mère !

Christelle – Elle était dans l’avion, elle aussi ?

Nathalie – Les enfants sont chez elle. S’ils regardent la télé…

Nathalie se précipite sur son portable et compose en hâte un numéro.

Nathalie – Allo, maman ? Oui, je sais, je suis au courant… Les enfants ne sont pas devant la télé, au moins ? Ils sont couchés ? (Soupir de soulagement) Bon, je n’ai vraiment pas envie d’en parler maintenant… Je te rappelle, d’accord… Écoute, garde tes condoléances pour plus tard… Il n’est pas encore mort, non…? Oui, c’est probable, mais ce n’est pas encore sûr, alors si tu permets… Tu l’as toujours détesté, de toute façon… Combien de fois tu m’as répété que ce n’était pas un homme pour moi… Que j’aurais pu trouver mieux… Et puis merde !

Nathalie raccroche, furieuse. Jérôme et Christelle la regardent avec un air un peu gêné et compatissant.

Nathalie – Elle n’a jamais pu supporter Patrick… Je suis sûre qu’au fond, elle est contente…

Christelle – Allez, ne dis pas ça…

Nathalie – Le jour de notre mariage, elle a prétexté que mon père était malade pour ne pas assister à la cérémonie…

Jérôme – Mais ton père était vraiment malade, non ? Il est mort quelques mois après…

Nathalie – Oui, le jour de la naissance de Maxime… Exprès pour m’emmerder…

Christelle – Tu veux que j’aille te chercher un calmant ?

Nathalie – Je suis désolée de vous embêter avec ça… Je ne vais pas vous gâcher la soirée. (Elle se lève pour partir) Je vais m’en aller, ça vaudra mieux…

Christelle – Mais enfin, Nathalie ! On est amis, non ? À quoi ça sert d’avoir des amis si on ne peut pas se reposer sur eux dans des moments comme ça ?

Nathalie (se rasseyant) – Je savais que je pouvais compter sur vous… Et puis j’avoue que je n’ai pas très envie de me retrouver toute seule à la maison, devant le sapin, pendue à la radio en attendant le verdict…

Jérôme – On devrait peut-être écouter s’il y a du nouveau…

Nathalie – Je me demande si j’ai envie de savoir… (Un temps) Vas-y, allume-la…

Christelle – Ok.

Christelle rallume la radio.

Commentateur (voix off) – … Les avions qui survolent la zone ont repéré une grande tache d’hydrocarbure à la surface de l’eau. Mais on ignore encore si elle provient de l’avion de la compagnie Pas Trop Cher Travel Discount Airways qui, je vous le rappelle, s’est abîmé dans la Manche il y a une heure à peine. Nous attendons une liaison avec notre envoyé spécial, présent à bord de l’un des hélicoptères de secours… En attendant, sans transition, les résultats du loto…

Nathalie – Une flaque de kérosène… Ça veut bien dire que l’avion s’est crashé… Comment voulez-vous qu’il puisse y avoir des survivants…?

Jérôme et Christelle ne savent pas trop quoi dire pour lui remonter le moral.

Commentateur (voix off) – … Le numéro qu’il fallait jouer est donc le 1 5 2 7 9 6 et le numéro complémentaire le 10…

Jérôme semble se figer.

Christelle – Si le pilote a réussi à poser son avion sur l’eau, certains passagers ont pu sortir avant que l’appareil coule au fond…

Commentateur (voix off) – L’heureux gagnant empochera donc la coquette somme de 60 millions d’euros. De quoi envisager l’avenir avec…

Christelle éteint la radio.

Jérôme – C’est…

Nathalie – Quoi ?

Jérôme – Non, non, rien…

Christelle – Tu as déjà pris l’avion. Rappelle-toi. Ce que racontent les hôtesses de l’air avant le décollage. Les masques à oxygène qui tombent automatiquement, les gilets de sauvetages sous les sièges, les sorties de secours à chaque extrémité de l’appareil, les toboggans d’évacuation, tout ça… Il y a quand même des procédures en cas de danger… Tout est prévu…

Jérôme sort plus ou moins discrètement de sa poche une carte ASSEDIC et la regarde.

Nathalie – Les hôtesses de l’air… Tu parles… Ça pour les regarder, Patrick les regarde… Quant à écouter ce qu’elles racontent… Tu sais comment sont les hommes…

Jérôme (à Christelle qui ne l’écoute pas) – Oh, putain !

Nathalie – Tiens, Jérôme, par exemple. Tu sais ce qu’elles racontent, toi ?

Jérôme est pris au dépourvu.

Jérôme – Quoi ? Qui ?

Nathalie (à Christelle) – Tu vois… Qu’est-ce que je disais…

Christelle (à Jérôme) – L’hôtesse de l’air, qu’est-ce qu’elle dit, avant le décollage ? En cas de… dépressurisation de l’appareil.

Jérôme (pétant les plombs) – Le… Les parachutes sous les sièges, le tuba qui tombe du plafond, les palmes dans la boîte à gants, tout ça ?

Christelle lance un regard de reproche à Jérôme.

Christelle (à Nathalie) – Et personne ne t’a appelée ?

Nathalie – Patrick est sûrement déjà au fond de La Manche. Comment veux-tu qu’il m’appelle ?

Complètement ailleurs, Jérôme a rallumé la télé.

Commentateur (off) – Je vous rappelle que le numéro gagnant de ce super tirage du vendredi 13 est le 1 5 2 7 9 6. Numéro complémentaire le 10. Pour un montant de 60 millions d’euros…

Jérôme examine à nouveau sa carte ASSEDIC.

Jérôme – Oh, putain…

Christelle éteint la télé.

Christelle – Non, je veux dire… Il y a sûrement une cellule psychologique… Dans ces cas là, ils mettent toujours en place une cellule psychologique… Pour prévenir les proches… Les soutenir… Tout ça…

Jérôme (à Christelle) – Je peux te dire un mot ?

Christelle – Quoi ?

Jérôme – En particulier…

Le portable de Nathalie se met à sonner.

Christelle – Tu vois, ça doit être eux…

Nathalie – Je ne suis pas sûre de vouloir savoir…

Le téléphone continue à sonner.

Christelle – Tu veux que je décroche à ta place ?

Nathalie – Oh, oui, s’il te plaît…

Christelle prend la communication.

Christelle – Allo… Oui… Non… Ah, d’accord… Ah, bon… Non, non… Si, si, on est très contents, bien sûr. Ok, merci…

Christelle repose le téléphone.

Nathalie – Alors ?

Christelle (dans un état second) – C’était ton gynéco… Au sujet de ton analyse de sang…

Nathalie – Et alors ?

Christelle – Ben… Tu es vraiment enceinte…

Nathalie (effondrée) – Oh, mon Dieu…

Christelle – Je te sers un autre verre de vin ?

Nathalie – Oui, merci…

Christelle remplit à nouveau le verre de Nathalie.

Jérôme (à Christelle) – Euh… Il faut absolument que je te dise quelque chose…

Christelle (à Jérôme) – Tu crois vraiment que c’est le moment ?

Jérôme – C’est très important, je t’assure…

Le regard de Nathalie tombe sur le tableau.

Nathalie – Il est vraiment bizarre, ce tableau, vous ne trouvez pas…?

Christelle – Euh… Si, un peu, oui…

Christelle lui donne le verre.

Nathalie – Le type qui a peint ça devait être sacrément dépressif. (À Jérôme) C’est un ami à toi ?

Jérôme – Oui, enfin… C’est un hongrois, je crois.

Nathalie – Ah, oui, ça se voit. (À Jérôme) Il s’est suicidé ?

Christelle – Pas encore, malheureusement…

Nathalie vide son verre d’un trait.

Nathalie (à Christelle) – Tiens, sers m’en un autre…

Christelle – Tu ne devrais peut-être pas trop boire quand même. Dans ton état…

Jérôme (ne sachant pas quoi dire) – Alors comme ça, vous attendez un heureux événement ?

Christelle le fusille du regard.

Jérôme (à Christelle) – Il faut vraiment que je te parle…

Nathalie – Tu as raison, j’ai la tête qui tourne. Je vais aller prendre un peu l’air sur le balcon.

Christelle – Tu veux que je vienne avec toi ?

Nathalie – Merci. J’ai besoin d’être un peu seule…

Christelle – Ok.

Nathalie sort sur le balcon. Jérôme attend impatiemment qu’elle ait disparu.

Jérôme – Tu ne devineras jamais ce qui nous arrive…!

Christelle (ailleurs) – Enceinte… Tu te rends compte ?

Jérôme – Tu es enceinte ? Mais c’est merveilleux ! Tu vois, il y a encore un quart d’heure, j’aurais pris ça comme une catastrophe naturelle. Mais là, je prends tout du bon côté. Et tu sais pourquoi ?

Christelle – Mais ce n’est pas moi qui suis enceinte !

Jérôme – Ah oui, c’est vrai. Autant pour moi…

Christelle – C’est pourtant vrai que vous n’écoutez rien quand on vous parle…

Jérôme – Qui est enceinte, alors ?

Christelle – Nathalie ! Tu te rends compte ? Dans la même journée, elle apprend que son mari a disparu dans un crash aérien, et qu’elle attend un enfant de lui…

Jérôme – Comment tu sais qu’il est de lui ?

Christelle (estomaquée) – Je ne sais pas… L’intuition féminine…? Comme les deux premiers sont de lui, et que Patrick est son mari, c’est le premier nom qui m’est venu à l’esprit. C’est con, hein ?

Jérôme – Bon, de toute façon, ce n’est pas la question… Tu sais quoi ?

Christelle – Quoi ?

Jérôme – On a gagné !

Christelle (regardant vers le balcon) – Oh, mon Dieu !

Jérôme – Ça fait un choc, hein ?

Christelle – Nathalie ! Elle est en train d’enjamber le balcon !

Jérôme se retourne et voit la scène.

Jérôme – Oh, putain ! Elle va nous faire chier longtemps celle-là… Qu’elle saute et qu’on n’en parle plus. On est au premier étage, de toute façon. Elle ne se ferait pas bien mal…

Sans l’écouter, Christelle s’approche de la fenêtre.

Christelle – Je t’en prie, Nathalie ! Ne fais pas ça ! Pense à tes enfants ! C’est Noël, quand même…

Nathalie – Promets-moi que si je saute, tu t’en occuperas. Tu ne les laisseras pas partir à la DASS, hein ?

Christelle – Oui, je te le promets…

Jérôme – Il ne manquait plus que ça…

Christelle – Je veux dire non, ne saute pas ! (À Jérôme) Dis quelque chose, toi !

Jérôme – Pour les enfants, il y a ta mère, non ?

Nathalie – Je préfère encore qu’ils aillent à la DASS.

Christelle – Il faudrait peut-être appeler les pompiers…

Jérôme – C’est bon, il n’y a pas le feu. Je vais la faire descendre de là…

Nathalie – N’approchez pas, ou je saute.

Christelle – Qu’est-ce qu’on fait ?

Jérôme – Attends je reviens…

Christelle – Ne me laisse pas toute seule !

Jérôme disparaît dans le couloir.

Nathalie (pathétique) – Moi aussi, je vais me crasher en bas. Comme un avion sans aile. Je vais aller rejoindre mon Patrick…

Christelle – Tu crois vraiment que c’est ce qu’il voudrait ? Je veux dire, il préférerait sûrement que tu restes en vie pour t’occuper de vos enfants. Et puis imagine qu’il ne soit pas vraiment mort. Il sonne à la porte, et il te trouve écrasée en bas du balcon.

Ce n’est pas la porte qui sonne, mais le portable de Nathalie.

Christelle – Ah, tu vois ? Si ça se trouve, c’est lui… Ben vas-y, décroche…

Nathalie (hésitante) – Oui…?

Christelle (en direction de l’endroit où a disparu Jérôme) – J’espère que ce n’est pas encore sa gynéco. Pour lui annoncer que finalement, c’est des jumeaux…

Nathalie – Oui, je vous écoute… Vous êtes sûrs ? D’accord. Non, non, ne vous inquiétez pas. Ok, merci, je reste à côté du téléphone…

Christelle – Qu’est-ce qui se passe ?

Nathalie – C’était eux… La cellule de soutien psychologique…

Christelle – Et alors ?

Nathalie – Ils ont retrouvé des survivants… Patrick pourrait se trouver parmi eux…

Christelle – Mais c’est génial ! Tu vois ? Imagine que tu aies sauté, dans un moment de désespoir…

Jérôme revient.

Jérôme – Oui, elle se serait au moins foulé la cheville…

Christelle – Allez, descends de là… (À Jérôme) La cellule d’urgence vient de l’appeler. Ils ont retrouvé des survivants…

Jérôme – Je sais…

Christelle – Tu as entendu ?

Jérôme – C’est moi qui l’ai appelée.

Christelle – Quoi ?

Jérôme – Fallait bien trouver un moyen de la faire descendre de là…

Nathalie revient dans la pièce.

Nathalie – Tu as raison… Il faut que j’y croies. Je sens que Patrick est encore vivant. Je le sais…

Christelle lance un regard incendiaire à Jérôme.

Christelle – Ne t’emballe pas trop vite quand même… Et puis comment ils savent que Patrick pourrait être parmi les survivants ?

Nathalie – Ils ont localisé un type accroché à une valise. Et qui hurle : Nathalie, Nathalie…

Christelle fusille à nouveau Jérôme du regard.

Nathalie – Comment ils savent que je m’appelle Nathalie ?

Christelle – Oui, je me le demande…

Jérôme – Bon, je ferme la fenêtre, hein ? Et tu ne la laisses plus approcher de là, d’accord ?

Christelle – Et qu’est-ce qu’on va lui raconter si la vraie cellule d’urgence appelle ?

Jérôme – Il y avait sûrement plusieurs passagers à bord dont la femme s’appelle Nathalie. Sans parler de leurs maîtresses…

Nathalie – J’ai complètement oublié de prendre leur numéro… Je voulais leur demander si je pouvais venir sur place pour participer aux recherches. Je vais appuyer sur la touche « rappeler le dernier correspondant »…

Christelle (sur un ton définitif) – Si j’étais toi, je ne ferais pas ça…

Air étonné de Nathalie.

Christelle – Ils doivent être complètement débordés, tu sais. Dès qu’ils auront des nouvelles plus précises, ils te rappelleront…

Jérôme – Il faut vraiment que je te parle.

Christelle – Vas-y…

Jérôme – En privé…

Christelle – On ne peut pas la laisser toute seule. Imagine que la police appelle pour lui annoncer la mort de Patrick, et qu’elle enjambe encore le balcon ?

Jérôme – Allons sur le balcon !

Christelle – Tu me déçois, Jérôme… Tu me déçois beaucoup… Je te pensais plus proche de tes amis. On parle de Patrick, là ! Ton copain de lycée ! Et de Nathalie, ma meilleure amie ! Ils étaient témoins à notre mariage. On peut bien sacrifier une soirée pour la soutenir dans le malheur qui lui arrive !

Jérôme – On a gagné au loto.

Christelle – Combien ?

Jérôme – 60 millions.

Nathalie – Je prendrais bien un autre verre de vin, finalement. Avec toutes ces émotions…

Christelle (sèchement) – Bon ben tu sais où est la carafe, maintenant, non ! Ou tu préfères qu’on te ramène le cubitainer et une paille ?

Nathalie accuse le coup.

Nathalie – Bon, je crois que je vais vous laisser… Je vous ai assez embêtés comme ça.

Christelle se reprend.

Christelle – Excuse-moi. Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire. (Elle lui ressert un verre de vin) Mais on est tous un peu sur les nerfs, non ? Il faut que tu manges quelque chose, aussi, sinon tu vas être malade… (À Jérôme en aparté pendant que Nathalie vide son verre) Je crois que c’est le moment de lui refourguer ta tourte aux artichauts…

Jérôme sort un instant vers la cuisine.

Christelle – Nous aussi, on était très proches de lui. Alors évidemment, on est bouleversé par la mort de Patrick. (Se reprenant) Je veux dire par la perspective de sa disparition… En même temps, il faut savoir tourner la page, non ? On ne vit qu’une fois.

Jérôme revient avec une part de tourte et la passe à Christelle.

Christelle (tendant la part de tourte à Nathalie) – Il faut savoir profiter des bonnes choses de la vie…

Nathalie prend une bouchée de la tourte.

Nathalie – Ce n’est pas mauvais… Qu’est-ce que c’est ?

Christelle (hypocrite) – C’est Jérôme qui a fait la cuisine. C’est à quoi, déjà…?

Nathalie (la bouche pleine) – Oh, du moment que ce n’est pas de l’artichaut. C’est le seul truc auquel je suis allergique. Je ne sais même plus le goût que ça a, d’ailleurs. La seule fois où j’en ai mangé, c’était chez ma grand-mère en Bretagne. J’ai fini aux urgences…

Les deux autres échangent un regard consterné.

Nathalie – L’avantage, avec l’artichaut, c’est qu’on ne risque pas d’en manger sans s’en apercevoir…

Christelle arrache la part de tourte à Nathalie.

Christelle – Bon, ben tu veux peut-être passer au dessert…?

Nathalie, un peu prise de court, ne semble pas dans son assiette.

Nathalie – Je crois que je vais allez vomir… Tu vois, d’habitude, ça passe très bien. Surtout les bonnes choses comme ça… Ça doit être le stress…

Elle s’éloigne en direction de la salle de bain.

Nathalie partie, Christelle laisse éclater son excitation.

Christelle – Tu es sûr ?

Jérôme (montrant sa carte) – Mon numéro d’ASSEDIC ! Il est sorti ! Ils viennent de l’annoncer à la radio ! Tu n’as pas entendu ? 60 millions, tu te rends compte ? On peut s’acheter un Airbus, avec ça ! Enfin, d’occasion peut-être. Mais en bon état…

Christelle – Mais c’est complètement dingue !

Jérôme sert deux verres de vin et en tend un à Christelle pour trinquer.

Jérôme – Tiens, goûte une dernière fois au vin de pays de chez Leader Price, pour bien te souvenir à quoi ça ressemble. Parce que tu n’es pas prête d’en reboire…

Ils trinquent.

Christelle – C’est dingue… Ce n’est pas une blague, au moins ?

Jérôme – Moi aussi, j’ai du mal à y croire. Mais j’ai vérifié trois fois le numéro. Je te jure, c’est nous ! On a gagné ! La super cagnotte du vendredi 13 !

Nathalie revient.

Christelle – Tu ne devineras jamais ce qu’on vient d’apprendre !

Nathalie – Ils ont rappelé ? C’est bien lui ? Il est vivant ?

Jérôme (embarrassé) – Euh, non… Ils ne sont pas encore sûrs…

Christelle – Mais ils ont repéré une valise qui ressemble beaucoup à la sienne. Une valise Vuitton. Flottant à la surface…

Nathalie – Alors c’est quoi, la bonne nouvelle ?

Christelle – Ben… Ça… (Très excitée voire hystérique) On va pouvoir récupérer la valise !

Jérôme essaie de calmer Christelle d’un geste.

Jérôme – Excuse-la… C’est les nerfs…

Nathalie – Vous avez raison. Cette attente, c’est insupportable… Même s’il est encore vivant, rien que d’imaginer Patrick tout seul, accroché à sa valise, au milieu de La Manche, en plein hiver… Pendant que nous on est tranquillement au chaud ici… J’en ai le sang qui se glace dans les veines… (Un temps) Il ne fait pas très chaud non plus, chez vous, si ? Ou c’est moi…

Jérôme (avec un air entendu) – On va pouvoir remettre le chauffage, maintenant, hein, Christelle ? Je vais le mettre à fond…

Il sort un instant pour remettre la chaudière en route.

Nathalie – Combien de temps on peut tenir, à ton avis, dans les eaux glacées de La Manche, au mois de décembre ?

Christelle – Ça dépend… Il était plutôt du genre frileux, non ?

Nathalie – Oh, mon Dieu…

Jérôme revient.

Jérôme – J’ai mis le thermostat sur 25… (Avec un clin d’œil à Christelle) Comme ça, si on doit partir à l’improviste sous les tropiques, on évitera le choc thermique…

Nathalie – Vous partez en vacances…?

Jérôme – Non, enfin… Pourquoi pas ?

Nathalie – Si j’étais vous, j’éviterais l’avion…

Christelle – Oui, c’est peut-être plus prudent. La loi des séries… Et puis une bonne Thalasso au Sofitel de Quiberon, c’est pas mal non plus… Histoire de repartir d’un bon pied pour une nouvelle vie…

Nathalie – Vous avez bien raison de vouloir en profiter… Vous voyez à quoi ça tient, le destin ? On dîne tranquillement avec des amis un vendredi soir, et sans préavis, on se retrouve veuve…

Christelle – Eh, oui… (Hystérique) Ou multimillionnaire en euros !

Nathalie – Tu penses bien qu’on n’avait pas les moyens de se payer une assurance-vie… C’est bizarre, d’ailleurs, parce qu’il en parlait, justement, ces derniers temps… Pour pouvoir au moins payer les études des enfants, en cas de coup dur… Il devait sentir quelque chose… Un mauvais pressentiment…

Jérôme – Ouais… Ben nous, je peux te dire qu’on ne l’a pas vu venir… Ça nous tombe dessus, comme ça…

Christelle (à Nathalie) – Allez, le pire n’est jamais sûr…

Jérôme – Ça fait un choc… Faut gérer aussi…

Nathalie – Vous en avez une, vous ?

Christelle – Une quoi ?

Nathalie – Une assurance-vie ! Enfin, une assurance-décès…

Jérôme – On a mieux que ça, crois-moi.

Nathalie – Je te jure que s’il s’en sort, après ça, je verrai la vie différemment…

Christelle – Ah, nous aussi, je te promets.

Nathalie – Tous ces petits sacrifices qu’on s’impose tous les jours en se disant qu’on en profitera plus tard… Tu parles… On ferait mieux de vivre au jour le jour, oui… Sans penser au lendemain…

Jérôme – Tu as raison. Moi, demain, j’arrête de travailler.

Nathalie – Je croyais que tu étais au chômage…

Jérôme – Ouais, ben j’arrête de chercher du boulot.

Nathalie – Bon, en même temps, il faut bien gagner sa vie. Et en mettre un peu de côté. Parce que ce n’est pas avec les retraites qu’on aura… Oh, mon Dieu… Je sens que Patrick, lui, il ne va pas coûter cher à sa caisse de retraite…

Christelle – Allez, dis pas ça…

Nathalie – Comment je vais m’en sortir, moi, avec les deux petits…

Christelle – On est là, nous… Hein, Jérôme…? Si tu veux, on peut t’en prendre un, pour te décharger un peu !

Jérôme (pas très emballé) – Oui, enfin…

Nathalie – C’est gentil, mais… On vous doit déjà 1000 euros…

Christelle – Tiens, tu sais quoi ? On vous en fait cadeau, de ces 1000 euros. On n’est plus à ça près, non ? Hein, Jérôme ?

Jérôme – Ouais, ouais, non… Bien sûr… Vous pouvez les garder…

Nathalie (émue) – C’est vraiment un soutien, pour moi, de savoir que je peux compter sur des amis comme vous… Je sais ce que ça représente, 1000 euros, pour vous… Surtout, en ce moment. Avec Jérôme qui n’a pas de travail. Tu vois, si je demandais à ma banque de me les prêter, je ne suis pas sûre qu’elle le fasse. Avec tout le pognon qu’ils se font en spéculant sur notre dos… Et vous… qui n’avez même les moyens de mettre le chauffage en plein mois de décembre… Sauf quand il y a des invités… D’ailleurs, il fait un peu chaud, maintenant, non ? Vous ne trouvez pas ? Je ne voudrais pas que vous fassiez exploser votre facture de fioul pour moi…

Jérôme – Je vais aller baisser un peu…

Jérôme s’absente à nouveau quelques secondes.

Nathalie – Comment je vais annoncer ça aux enfants, moi…

Christelle – Pour l’instant, ils dorment, non ?

Nathalie – Mais ils vont bien se réveiller un jour…

Christelle – Écoute, je ne devrais peut-être pas te dire ça, mais je n’arrive pas à croire qu’il soit mort. Pas ce soir…

Nathalie – Pourquoi, pas ce soir ?

Christelle – Je ne sais pas, c’est… comme ce que tu disais tout à l’heure à propos de ton père. Qui est mort juste le jour de la naissance de ton fils. Exprès pour t’emmerder.

Nathalie – Tu crois que Patrick a décidé de se crasher en avion justement ce soir pour nous gâcher la soirée ?

Jérôme revient.

Christelle (préférant changer de sujet) – Si on remettait la télé, pour avoir confirmation… C’est l’heure des résultats du loto… Je veux dire, il y a les informations, juste après…

Le téléphone de Nathalie sonne, interrompant le mouvement de Christelle vers la télé. Nathalie, figée, hésite à répondre, mais finit par prendre son portable.

Nathalie – Oui…? Oui, elle-même… (À Christelle et Jérôme) C’est eux ! La cellule d’urgence… Oui…? Oui, je vous écoute…

Les deux autres ont l’air très emmerdés.

Nathalie – Mais vous nous aviez dit que… D’accord… Ok… Merci…

Elle raccroche.

Nathalie – Ils ont repéré cinq survivants, accrochés à des débris de l’avion… Peut-être un sixième…

Jérôme – Le numéro complémentaire.

Nathalie – Ils essaient de les repêcher en hélicoptère, mais le temps est très mauvais au dessus de La Manche… Ils ne connaissent pas encore leur identité.

Christelle – Ils te préviendront dès qu’ils auront procédé au tirage… Je veux dire au sauvetage !

Nathalie – Non, vous avez raison… C’est comme une loterie. C’est infernal, cette attente. J’ai l’impression d’avoir joué au loto, et d’attendre pour savoir si j’ai tiré le bon numéro…

Christelle – Et oui… C’est ce que je me suis demandé aussi quand j’ai épousé Jérôme… Je veux dire… Mais ils étaient combien, dans cet avion ?

Nathalie – Je ne sais pas… C’était un petit avion… Paris-Mulhouse…

Jérôme – Mettons une centaine. S’il y a cinq survivants… Ça fait une chance sur vingt. C’est quand même plus sûr que le loto…

Nathalie – Je n’ai jamais eu de chance au jeu…

Christelle – Tu sais ce qu’on dit : Cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance…

Nathalie – Oh, mon Dieu… Heureusement que vous êtes là, sinon…

Christelle – Tu ne veux pas aller te reposer un peu dans notre chambre ?

Nathalie – Et si ils rappellent…?

Jérôme – Ça peut durer des heures, tu sais… Avec la tempête… Un sauvetage en mer, comme ça, c’est très délicat… Ils ne sont même pas encore sûrs de pouvoir les repêcher vivants. Dans une eau à deux ou trois degrés, tu imagines…

Nathalie – De toute façon, je n’arriverais jamais à dormir.

Christelle – Je peux te donner un somnifère, si tu veux.

Nathalie – Je ne crois pas que ça suffira. Dans l’état où je suis…

Christelle – Tu peux en prendre deux ou trois. Ils sont très légers…

Nathalie – C’est très gentil, mais je ne vais pas vous prendre votre chambre, en plus…

Christelle – Tu sais, nous non plus, on n’arrivera pas à dormir, alors…

Nathalie – Merci… Franchement, je ne pensais pas que tout ça vous bouleverserait autant que moi… (Regardant son portable) Merde, je l’ai mis sur répondeur. Un réflexe… Je vais voir s’ils ne m’ont pas laissé un message…

Elle s’éloigne un peu pour consulter sa messagerie.

Jérôme (à Christelle) – On ne va jamais pouvoir s’en défaire…

Nathalie – Non, toujours rien…

Christelle – En même temps… ça ne fait que cinq minutes qu’ils ont appelé…

Jérôme – Et puis entre nous, tu sais… Une chance sur vingt… Il vaudrait quand même mieux te préparer au pire, hein ?

Nathalie – Mais tout à l’heure, tu me disais que…

Christelle – On ne voudrait pas non plus te donner de faux espoirs… Hein, Jérôme ?

Jérôme – Il faut reconnaître que là, ça commence à sentir le sapin…

Christelle – Ce que veut dire Jérôme, avec ses mots à lui, c’est que si Patrick est vraiment mort, tu le sauras toujours bien assez tôt… Non, tu ferais mieux d’aller te coucher, je t’assure… Tu veux que je t’appelle un taxi ?

Nathalie – Je suis venue en voiture, avec la Smart.

Christelle – Ah, oui, c’est vrai…

Nathalie – Et je ne sais pas si je suis en état de conduire.

Échange de regards exaspérés entre Jérôme et Christelle.

Nathalie – Mais tu as raison, je vais aller me reposer un peu dans la chambre. Je ne vais pas dormir, mais… Je crois que j’ai besoin d’être un peu seule…

Jérôme – Oui, nous aussi… Je veux dire, oui, bien sûr, on comprend très bien. Hein Christelle ?

Nathalie – J’y vais…

Christelle – Oui…

Nathalie sort sous les regards de circonstance de Jérôme et Christelle qui, dès qu’elle a disparu, laissent éclater leur joie.

Jérôme – Putain ! 60 millions !

Nathalie revient. Jérôme et Christelle se figent.

Nathalie – J’ai oublié mon portable…

Nathalie ressort.

Christelle – Tant que je n’aurais pas vu le billet gagnant, je n’arriverai pas à y croire. Fais voir…

Jérôme – Je vais le chercher… (Il fait un pas pour y aller) Merde, il est dans la chambre… Avec un peu de chance, elle va s’endormir et nous foutre un peu la paix. Ce n’est pas le moment d’aller la réveiller… Et si on se sifflait sa bouteille de Veuve Clicquot, en attendant ? Pour fêter ça…

Christelle – Dans la chambre ? Je n’ai rien vu… Tu ne l’as pas perdu, au moins, ce ticket ? Imagine qu’il soit tombé de la table de nuit par terre… et qu’il ait fini dans l’aspirateur. J’ai changé le sac hier, et j’ai vidé la poubelle ce matin.

Jérôme – T’inquiète… Il est rangé bien à l’abri. (S’apprêtant à déboucher la bouteille de champagne) Je vais essayer de ne pas faire péter le bouchon trop fort… pour pas la réveiller.

Christelle – À l’abri…? Où…?

Jérôme – Dans ma valise. En haut du placard… Dans la pochette intérieure… Je n’ai même pas pensé à l’enlever en revenant de Cabourg… Je ne me souvenais même plus que j’avais joué au loto, t’imagines…

Christelle (décomposée) – Tu veux dire ta valise Vuitton ?

Jérôme – Si, oui… Ma valise, quoi… Ne me dis pas que tu as passé aussi l’aspirateur dans ma valise… (Percevant enfin l’embarras de Christelle) Quoi ?

Christelle – Patrick n’avait pas de valise pour partir à Mulhouse… Alors Nathalie m’a demandé si je pouvais lui en prêter une…

Jérôme laisse échapper le bouchon de champagne qui pète bruyamment.

Jérôme – Tu lui as prêté ma valise ? Tu l’as laissé prendre l’avion pourri de cette compagnie low cost avec ma valise Vuitton ?

Christelle – Bon, pour la valise Vuitton, je te rappelle que c’était une fausse… Une contrefaçon qu’on a achetée à Trieste cet été en revenant du Club Fram de Porto Vecchio ?

Jérôme – Avec notre chèque de 60 millions d’euros dedans ! On avait de quoi racheter la marque qui fabrique les vraies….

Nathalie revient.

Nathalie – J’ai entendu comme une détonation… Ça m’a réveillée… (Voyant la mine défaite des deux autres) Vous en faites une tête… Vous avez des nouvelles, c’est ça ? Elles ne sont pas bonnes, et vous n’osez pas me le dire ?

Jérôme (renfrogné) – Oui, on peut dire ça comme ça…

Nathalie – Oh, mon Dieu…!

Christelle – Non, enfin… Il ne s’agit pas de Patrick…

Jérôme – Un peu quand même…

Christelle – Jérôme ne savait pas que je lui avais prêté sa valise… Alors évidemment, ça lui a fait un choc… Un choc émotionnel, je veux dire… Imaginer son meilleur ami accroché à sa valise au milieu de La Manche… Avec les requins tournant tout autour…

Nathalie – Il y a des requins, dans La Manche ?

Christelle – Je ne sais pas, j’imagine…

Nathalie – Oh, mon Dieu, c’est vrai, la valise… On vous devait déjà 1000 euros qu’on n’est pas prêts de vous rembourser, et en plus vous ne reverrez jamais votre valise Vuitton. Heureusement que c’était une fausse…

Christelle – Il y a encore un espoir, non ? (Regardant Jérôme) Je veux dire qu’on retrouve Patrick… avec la valise.

Jérôme – Tu crois…?

Christelle – Une valise, ça flotte beaucoup mieux qu’un cadavre ! Souviens-toi des images qu’on voit à la télé après un crash aérien. Qu’est-ce qui flotte à la surface ? Les valises !

Jérôme – Si elles ne sont pas trop lourdes, oui…

Christelle (à Nathalie) – Elle était très remplie, sa valise, à Patrick ?

Nathalie – Il n’a passé qu’une nuit à l’hôtel Ibis de Mulhouse, alors il n’a pas emmené grand chose…

Les deux autres reprennent un peu espoir.

Nathalie – À part tous ses catalogues de vente, évidemment. Le papier, ça pèse une tonne. Je n’arrivais même pas à soulever la valise pour la mettre dans le coffre de la voiture quand il est parti. Heureusement qu’elle avait des roulettes. Ce n’est pas si mal fait que ça, ces imitations. Vous avez bien raison. Pourquoi se ruiner à acheter une vraie… Mais pourquoi vous voulez savoir ce qu’il y avait dans cette valise ?

Christelle – Ben… Si elle flotte, Patrick a pu s’accrocher après. Comme à une bouée…

Nathalie – Ouais, ben là, non, hein… Autant s’accrocher à une enclume… Et puis de toute façon, les bagages, c’est en soute, non ? Ça coule à pic avec la carcasse de l’appareil…

Jérôme lance un regard meurtrier à Christelle, anéantie.

Christelle – Des fois, quand ils arrivent à localiser l’épave, ils la remettent à flot. Pour retrouver les boîtes noires, déterminer les causes du crash, et récupérer les valises – je veux dire les corps – pour que pour les familles puissent faire leur travail de deuil…

Jérôme – Tu crois…?

Christelle – Mais, oui ! Je ne sais pas pourquoi, mais je garde espoir. Hein, Nathalie ?

Nathalie – Oui, enfin…

Christelle – On est vendredi 13, non ?

Nathalie – Je n’ai jamais compris si ça portait bonheur ou malheur, le vendredi 13…

Christelle – Et ben tu vois… Un peu les deux !

Jérôme (à Nathalie) – Mais tu es vraiment sûre à cent pour cent qu’il est parti avec ?

Nathalie – Avec la Travel Discount Airways ? Oui, malheureusement… C’est même moi qui lui ai acheté le billet sur internet…

Jérôme (hystérique) – Avec ma valise, putain ! Avec ma putain de valise !

Nathalie est un peu déstabilisée. Christelle fait signe à Jérôme de se calmer.

Nathalie – Bon, je crois que je vais vraiment vous laisser… Je vais aller dormir chez ma mère. Au moins, je serai à côté des enfants quand ils se réveilleront. Et si j’ai des nouvelles, bonnes ou mauvaises, je vous tiens au courant. C’est promis.

Jérôme – 60 millions… 60 millions, putain ! Dites-moi que c’est un cauchemar…

Christelle (à Nathalie) – Oui, c’est peut-être plus raisonnable…

Nathalie – Bon ben je vais vous laisser dormir…

Jérôme – Parce que tu crois vraiment qu’on va pouvoir dormir, maintenant ?

Nathalie – Je vous appellerai demain matin… Vous saurez toujours bien assez tôt… Moi aussi, d’ailleurs. Tu as raison, Christelle. Ça peut durer des heures. Je vais prendre un somnifère en arrivant chez maman…

Jérôme – Ah, non ! On veut savoir, nous ! Tout de suite ! Hein, Christelle ? On ne va pas attendre comme ça comme des cons…

Nathalie – Franchement, ça me touche beaucoup… que tu sois bouleversé à ce point là. Je sais que Patrick était un ami… mais je ne pensais pas que sa disparition t’affecterait comme ça.

Jérôme – Je rallume la télé…

Commentateur (voix off) – Le numéro gagnant est donc le…

Jérôme – Bon, ça va, on a compris…

Nathalie (inquiète, à Christelle) Tu devrais peut-être lui donner un calmant, à lui aussi, non ?

Jérôme zappe sur une autre chaîne.

Commentateur (voix off) – C’est maintenant une certitude : il n’y a aucun survivant suite au crash en mer de l’avion de la Travel Discount Airways. Les quelques individus accrochés à un radeau de fortune, qu’on avait d’abord pris pour des survivants, ne se sont avérés être en fait que des sans papiers qui tentaient de gagner l’Angleterre à la nage. Ils ont bien entendu été immédiatement placés dans le charter qui va les ramener dans leur pays d’origine. Un charter de cette même compagnie, d’ailleurs. Souhaitons-leur au moins bon voyage… Sans transition, on ignore toujours l’identité du gagnant de la super cagnotte du…

Jérôme éteint la télé, effondré.

Jérôme – Oh, putain… Aucun survivant…

Le portable de Nathalie sonne. Elle le prend et regarde le numéro de l’appel entrant.

Nathalie – Si c’est ma mère, je ne réponds pas…

Jérôme – Ma valise Vuitton…

Nathalie – C’est lui…

Christelle – Qui, lui ?

Nathalie – Patrick… C’est le numéro de son portable qui s’affiche…

Christelle – Non…

Jérôme (impressionné) – T’as quoi comme opérateur ?

Christelle – Ben vas-y, réponds !

Nathalie, blême, prend l’appel.

Nathalie – Oui…

Jérôme et Christelle sont suspendus à ses paroles.

Nathalie – Patrick ? Mais tu m’appelles d’où ? Écoute, je t’entends à peine… Comme si tu m’appelais de très très loin…

Jérôme – Tu m’étonnes… Ils ont dit qu’il n’y avait aucun survivant…

Nathalie – Et toi, tu m’entends…? Patrick…? Allo…? Allo…? (Elle se tourne vers les deux autres avec un air dramatique) On a été coupés…

Silence de mort.

Christelle – Tu es vraiment sûre que c’était lui ?

Nathalie – Je ne sais pas… La ligne était très mauvaise…

Jérôme – Tu parles…

Nathalie – En tout cas, l’appel provenait bien de son portable. C’était le bon numéro…

Jérôme – Le bon numéro…

Christelle – Il a peut-être été éjecté de l’appareil… et il a réussi à s’accrocher à quelque chose…

Jérôme – Sa valise…

Christelle – Et il t’appelle avec ce qui lui reste de batterie.

Nathalie – Oh, mon Dieu… Mais ils avaient dit qu’il n’y avait aucun survivant… Je commençais à peine à me faire à cette idée…

Christelle – Un miracle est toujours possible.

Jérôme – Un miracle… Il faudrait encore qu’ils arrivent à le localiser à temps avant que les requins ne le bouffent…

Nathalie – Vous imaginez Patrick, avec cette tempête, tout seul, au milieu de l’Atlantique…

Jérôme – La Manche…

Christelle – Ce n’est pas si grand, La Manche…

Nathalie – En pleine nuit, accroché à ta valise, perdu dans cet océan…

Jérôme – La Manche, je te dis !

Nathalie – Il a pu dériver… Comment ils vont faire pour le retrouver…?

Jérôme – Autant chercher une valise dans une botte de foin…

Nathalie – Je vais essayer de le rappeler… Même s’il n’a plus beaucoup de batterie, il aura peut-être le temps de nous décrire l’endroit où il se trouve. Ça facilitera les recherches…

Christelle – En même temps, s’il est vraiment perdu au milieu du Pacifique…

Jérôme – La Manche, bordel !

Nathalie compose le numéro, et attend avec anxiété.

Nathalie – Ça sonne… Oh, mon Dieu, c’est sa boîte vocale. J’ai l’impression d’entendre une voix d’outre-tombe… Allo, Patrick ? Si tu as ce message, je veux que tu saches combien je t’aime. Et les enfants aussi. Je t’en prie, Patrick. Essaie de tenir le coup. Pour moi. Pour tes enfants. Pour toi aussi, bien sûr. Le temps que les secours parviennent à te localiser. Je t’embrasse très fort, mon chéri…

Jérôme et Christelle se regardent, émus. Mais Nathalie tarde à raccrocher.

Nathalie – Je voulais t’avouer une dernière chose, Patrick. Pour soulager ma conscience. Parce que je n’aurai peut-être plus jamais l’occasion. Ou alors plus le courage. Je t’ai trompé une fois. Juste une petite fois. Mais ça ne comptait pas je t’assure. Et je te promets que l’enfant que je porte est bien de toi. Enfin, j’en suis presque sûre. Je le sens. Mais on fera le test, si tu veux. Oui, parce que j’ai oublié de te dire. Je suis enceinte, Patrick. Tu vas être papa ! Alors tu vois. Il faut que tu tiennes le coup !

Nathalie raccroche, bouleversée. Les deux autres échangent un regard consterné.

Christelle – Si avec ça il n’arrive pas à tenir le coup…

Silence embarrassé.

Jérôme – Le téléphone…

Christelle – Je n’entends rien.

Jérôme – Non, je veux dire le téléphone de Patrick. Avec son portable, ils vont pouvoir le localiser ! Il faut prévenir les sauveteurs tout de suite. Il y a peut-être encore un espoir de retrouver la valise… Je veux dire de retrouver Patrick… C’est quoi, leur numéro ?

Nathalie lui tend son téléphone.

Nathalie – Tiens, le numéro est enregistré là dessus.

Jérôme prend le portable de Nathalie et appuie sur la touche de rappel.

Jérôme – Merde, je n’ai plus de réseau. Je vais essayer sur le balcon…

Jérôme sort.

Nathalie – Je ne sais pas si j’ai bien fait de lui parler de ça maintenant.

Christelle – Tu crois…

Nathalie – C’était il y a trois mois environ. Avec mon dentiste. Dans son cabinet. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ou alors, c’était l’effet de l’anesthésie…

Christelle – Tu n’as qu’à dire ça… Que ce salopard t’a droguée pour abuser de toi…

Nathalie – En même temps, ce n’était qu’une anesthésie locale… Pour une petite carie, tu vois… Et pour le reste, je peux te dire que je l’ai bien senti… Plus qu’avec Patrick, en tout cas… Et toi, tu n’as jamais trompé Jérôme…?

Christelle – Jamais depuis qu’on est marié…

Nathalie – En même temps, vous n’êtes mariés que depuis six mois. Après quinze ans de vie commune…

Christelle – Ouais, ben non…

Le retour de Jérôme dispense très opportunément Christelle de préciser sa pensée.

Jérôme – C’est bon, ils vont faire le nécessaire tout de suite. Et ils nous rappellent dès qu’ils ont du nouveau.

Christelle – J’ai déjà vu faire ça dans une série policière à la télé. C’est très facile de localiser quelqu’un avec son portable. Et en principe, c’est très rapide. Enfin, là, c’est au milieu de l’Atlantique, mais bon…

Jérôme – La Manche.

Nathalie – Oh, mon Dieu. Je ne sais pas si mon cœur va tenir le coup. Avec toutes ces émotions…

Le portable sonne.

Nathalie – Déjà ?

Christelle – Tu vois…

Jérôme – Ben vas-y, décroche !

Nathalie – Allo ? Non, maman, je n’ai pas encore eu confirmation de son décès, désolée… Non, je n’ai pas la nouvelle adresse de la tante Adèle. Mais tu ne crois pas que c’est un peu tôt pour se préoccuper des faire-part…? Bon, il faut que je te laisse, là. Je ne peux pas occuper la ligne. J’attends un appel urgent… C’est ça… Pour les fleurs ? Écoute, fais ce que tu veux, je m’en fous, d’accord ? (Elle raccroche, furieuse) La vie est vraiment mal faite… Pourquoi ce n’était pas ma mère qui était dans cet avion…?

Le téléphone sonne à nouveau. Nathalie prend l’appel, hors d’elle.

Nathalie – Mais tu vas nous foutre la paix, oui…? Ah, excusez-moi, je pensais que c’était quelqu’un d’autre… Oui, oui, bien sûr, je vous écoute… Non, je vous assure, ce n’est pas une plaisanterie… Mon mari était bien à bord de cet avion, et… Bon, d’accord, merci… Vous me rappelez si vous avez du nouveau…?

Elle raccroche, déstabilisée.

Nathalie – C’était eux… Ils ont réussi à localiser le portable de Patrick…

Les deux autres sont pendus à ses paroles.

Christelle – Et alors ?

Nathalie – L’appel provenait de la gare de Mulhouse…

Cette fois, c’est le téléphone fixe de Jérôme et Christelle qui sonne. Christelle décroche, mécaniquement.

Christelle – Allo ? (Anéantie, tendant le combiné vers Nathalie) C’est lui…

Nathalie saisit le combiné.

Nathalie – Patrick ? Mais tu es où ? Tout le monde te cherche au milieu de l’Atlantique…! Non, ce n’est pas vrai…! (Aux deux autres) Il a raté son avion ! Il est dans le Corail Paris-Mulhouse !

Jérôme – Dieu existe…

Nathalie – Mais tu n’es pas au courant ? (Aux deux autres) Il n’est pas au courant… L’avion de la Travel Discount que tu devais prendre s’est crashé au dessus de la Méditerranée… Il n’y a aucun survivant… Dieu soit loué, c’est un miracle…! (Aux deux autres) Il est resté coincé dans les toilettes de l’aéroport de Mulhouse pendant deux heures… Il n’arrivait pas à ouvrir la porte…. Évidemment, le terminal de la compagnie Olow Cost Airways de Mulhouse, ce n’est pas vraiment la classe affaire… Ok… Tu me rappelles dès que tu arrives à la gare de l’Est, d’accord…? Je t’embrasse très fort, mon chéri… (Elle s’apprête à raccrocher mais se ravise) Euh… Patrick…? Tu as eu mon message ? Non, non, ce n’était pas important… Tu peux l’effacer, je t’assure… Maintenant que je sais que tu n’es pas mort…

Nathalie repose son portable.

Nathalie (rayonnante) – Là, je crois qu’on va pouvoir déboucher la Veuve Clicquot !

Léger embarras de Jérôme et Christelle, qui ont déjà débouché la bouteille sans elle. Mais qui cependant sont aux anges.

Christelle – Mais c’est merveilleux ! Hein, Jérôme ?

Jérôme – Toi tu retrouves un mari, et nous…

Christelle – Un ami !

Jérôme – Il arrive à quelle heure à la Gare de l’Est ?

Nathalie – D’ici une heure, à peine… Ce cauchemar va enfin se terminer… Merci… Sans vous, je ne sais pas si j’aurais pu tenir le coup… (Elle fait un mouvement pour partir) Je crois qu’on boira le champagne une autre fois… Je vais aller l’attendre à son arrivée à la gare, et puis on rentrera directement chez nous… Après cette épreuve, vous comprenez qu’on a pas mal de choses à se dire…

Christelle – Oui… Surtout s’il écoute quand même ton message…

Jérôme – Mais il n’en est pas question ! On va fêter ça tous ensemble. Hein, Christelle ?

Nathalie – En même temps, c’est le seul survivant… Je ne sais pas si… J’imagine l’angoisse des autres familles qui ont eu moins de chance que moi…

Jérôme – La vie est une loterie ! Il suffit de tirer le non numéro ! C’est bien triste pour les autres, mais tant pis pour eux. The show must go on ! Non, et puis franchement, tu n’es pas en état de conduire. Énervée comme tu es, tu n’arriveras jamais à garer ta Smart à la Gare de l’Est un vendredi soir. Je vais le rappeler. Je vais lui dire de sauter dans un taxi en arrivant, et de venir directement ici. Avec sa valise…

Nathalie – Un taxi…? Tu sais, je ne suis pas sûre qu’on ait vraiment les moyens…

Jérôme – Mais nous, oui ! Hein, Christelle ?

Christelle – Nous aussi, on a une bonne nouvelle à vous annoncer… Maintenant, on peut bien vous le dire… Vas-y Jérôme…

Tandis que Jérôme s’apprête à parler, le téléphone fixe sonne. Christelle répond.

Christelle – Oui… Ah, Patrick… Justement, on s’apprêtait à te rappeler pour… (Son sourire se fige) Ok, je te la passe… (À Nathalie) C’est Patrick. Il a eu ton message…

Nathalie, décomposée, prend le combiné sans fil et commence à s’éloigner vers le balcon.

Nathalie – Écoute, Patrick, je vais tout t’expliquer, d’accord ? Et puis ne le prends pas comme ça ! Franchement, après ce qui vient de nous arriver, ça devrait te faire relativiser les choses, non ? Je te rappelle que tu es passé à deux doigts de la mort ! L’important, c’est qu’on soit vivants tous les deux ! Tu es un survivant, Patrick !

Elle sort sur le balcon pour terminer sa conversation.

Jérôme – Oh, putain… Il ne manquait plus que ça…

Christelle – C’est sûr que maintenant, ça ne va pas être évident de le faire venir ici sabler le champagne avec nous…

Jérôme – Imagine qu’en apprenant qu’il est cocu, il décide de se jeter dans le canal Saint Martin en arrivant à la Gare de l’Est. Avec ma valise…

Nathalie revient, la mine défaite.

Christelle – Alors…?

Nathalie – Il ne veut pas revenir dormir à la maison… Il parle de divorcer…

Jérôme – Il n’a qu’à venir dormir ici en attendant ! Hein, Christelle ? Comme sa valise est déjà faite…

Nathalie – Ah, la valise, justement… Enfin, ce n’est pas le plus important…

Stupeur des deux autres.

Jérôme – Quoi ?

Nathalie – Ben… Patrick a raté son avion, mais la valise, elle, elle était déjà enregistrée… Malheureusement, vous pouvez faire une croix dessus… Elle est restée dans la soute de l’appareil…

Jérôme – Quel con ! (À Christelle) Non, mais dis-moi que ce n’est pas vrai !

Nathalie – C’est sûr, heureusement que ce n’était pas une vraie, dans un sens… Remarque, tu sais que ce n’est pas bien légal, les contrefaçons… J’ai vu un reportage là-dessus à la télé… Patrick aurait pu avoir des ennuis, à la douane…

Christelle – Pour aller à Mulhouse ?

Nathalie – Quand on passe par Londres…

Jérôme – Si elle ne s’en va pas tout de suite, je vais la tuer…

Nathalie est un peu surprise par la réaction de Jérôme.

Nathalie – Ne t’inquiète pas, je vous en rachèterai une vraie, comme promis… Je vous dois bien ça…

Jérôme – C’est ça ! Avec les 1000 euros que tu nous dois déjà…

Nathalie – Bon, je crois que cette fois, je vais vraiment y aller. Hein, Christelle ? On a tous eu assez d’émotions comme ça pour aujourd’hui…

Christelle pousse prudemment Nathalie vers la porte afin de la mettre à l’abri de la fureur de Jérôme.

Christelle – Allez, ne t’inquiète pas, ça va s’arranger… Tu m’appelles demain, d’accord ?

Nathalie – Ok, je te tiens au courant…

Nathalie s’apprête à franchir la porte, mais se retourne une dernière fois.

Nathalie – Au fait, c’était quoi, cette bonne nouvelle que vous vouliez m’annoncer…?

Christelle la pousse définitivement dehors.

Christelle – Je t’appelle demain…

Nathalie s’en va. Jérôme et Christelle restent seuls. Ils s’effondrent sur le canapé. Silence lourd.

Jérôme – 60 millions d’euros…

Christelle a un mouvement de tendresse vers lui.

Christelle – Allez, ce n’est pas si grave… L’important, c’est d’être en vie, non ? Et d’être tous les deux…

Jérôme se détend un peu.

Jérôme – Tu as raison…

Christelle – Et puis qu’est-ce qu’on aurait bien pu faire avec 60 millions ?

Jérôme – Je me le demande bien…

Christelle – Est-ce que notre couple aurait même résisté à une pareille tempête…

Jérôme – Sans parler de nos amis… Regarde, on a failli se fâcher avec Patrick et Nathalie…

Silence.

Jérôme – Tu crois vraiment que si on avait gagné 60 millions au loto, on aurait divorcé ?

Christelle – Ça peut monter à la tête… Quand tout d’un coup on apprend qu’on va pouvoir satisfaire tous les désirs qu’on réprimait jusque là…

Jérôme – Tu as raison, la frustration, c’est le ciment du couple… Quand je pense qu’on aurait vraiment pu devenir multimillionnaires… Ça fait froid dans le dos…

Christelle – Allez, on va pouvoir passer une soirée tranquille. Tous les deux, devant la télé…

Jérôme – Tu sais ce qui me détendrait vraiment…

Christelle (pleine d’espoir) – Dis toujours… Je suis prête à satisfaire tous tes désirs. En guise de compensation… pour la perte de ta fausse valise Vuitton.

Jérôme – Un reportage animalier… Sur la reproduction des varans, par exemple…

L’enthousiasme de Christelle est un peu douché.

Jérôme – Tu sais que c’est très partouzeur, le varan… La femelle se fait sauter successivement par plusieurs mâles, et les œufs contiennent le patrimoine génétique de tous ses amants… Tu imagines le gosse de Nathalie. La moitié de Patrick, et l’autre moitié de son dentiste…

Christelle (déprimée) – Il reste un peu de vin de pays… Enfin, ce que Nathalie nous a laissé… Tu en veux ? Maintenant, il vaut mieux qu’on s’y habitue…

Elle sert deux verres, pendant que Jérôme allume la télé.

Commentateur (voix off) – … On vient à l’instant de retrouver la trace du vol 32 bis de la Travel Discount Airways, qu’on pensait avoir été victime d’un crash aérien au dessus de La Manche. Le pilote s’était seulement endormi aux commandes de l’appareil. Au lieu de se poser à Londres, il a continué sa route jusqu’en Alaska, où il a été contraint à un atterrissage en catastrophe sur la banquise faute de kérosène.

Jérôme – C’est marrant, tu vois, j’ai l’impression que ça ne me concerne même plus.

Le téléphone sonne. Christelle se lève comme une zombie pour répondre, pendant que Jérôme reste scotché devant la télé.

Commentateur (voix off) – Voici quelques images de l’appareil prises par un avion de reconnaissance de l’armée mexicaine…

Christelle – Oui…?

Commentateur (voix off) – On ignore encore tout du sort des passagers à l’intérieur de la carlingue, mais sur ces images d’une remarquable précision, on aperçoit nettement deux pingouins jouant avec une valise…

Christelle – Non…!

Dans un état second, Christelle raccroche et revient vers Jérôme.

Jérôme – C’était qui…?

Christelle – Le gynécologue de Nathalie… Enfin, le mien… On a le même…

Jérôme – Et alors…?

Christelle – Il a confondu nos deux dossiers… Ce n’est pas elle qui est enceinte, c’est moi !

Jérôme (largué) – Vous avez aussi le même dentiste ?

Christelle (exultant) – Je suis enceinte de toi ! On va avoir un bébé, Jérôme !

Jérôme (pas franchement ravi) – Mais… Je croyais qu’on ne pourrait pas en avoir… Ton gynéco m’avait dit que vu la tronche de mes spermatozoïdes, on n’avait qu’une chance sur un million au tirage !

Christelle – C’est vendredi 13 !

Noir.

Fin

VARIANTE DE FIN POUR UN QUATRIÈME PERSONNAGE (PATRICK)

Jérôme n’a pas le temps de réagir davantage, car on sonne à la porte.

Jérôme – Si c’est encore elle, tu la fais entrer, et cette fois c’est moi qui la balance par la fenêtre…

Christelle va ouvrir malgré tout.

Christelle (surprise) – Ah, salut Patrick…! Tu as fait bon voyage ? Enfin, je veux dire… On ne t’attendait plus…

Patrick (sinistre) – Je ne vous dérange pas ?

Christelle – Mais non, voyons, qu’est-ce que tu vas chercher…

Jérôme – Au point où on en est.

Patrick entre dans la pièce, dans un état second.

Patrick – Ah, Jérôme, tu es là…

Jérôme – Ben oui, tu vois. J’habite ici, en fait…

Patrick – Il est tard, je sais. Mais avec tout ce qui vient de m’arriver…

Jérôme – En même temps… ce n’est pas ton train Corail qui s’est crashé sur la banquise, si ?

Patrick – Non, je parlais de Nathalie. Je suis encore sous le choc.

Christelle – On est vraiment désolé, Patrick… Hein, Jérôme…?

Jérôme – Mmm…

Christelle – Mais assieds-toi, je t’en prie. Tu veux boire quelque chose ?

Jérôme – Arsenic, strychnine…?

Christelle lui sert un verre de vin de pays.

Christelle – Des glaçons…?

Patrick ne répond pas. Il s’assied et vide le verre sans sourciller, sous le regard ébahi des deux autres.

Jérôme – Ah, oui… Ça a vraiment l’air d’aller mal… Il ne réagit même plus au vin de pays…

Patrick – Ça fait dix ans qu’on est mariés, vous vous rendez compte ? Je n’aurais jamais cru Nathalie capable de faire ça…

Christelle – Allez… Tu ne crois pas que tu prends tout ça un peu trop au tragique…?

Jérôme – Il vient d’apprendre qu’il est cocu quand même…

Christelle – J’ai toujours détesté ce mot là…

Patrick – On croit connaître les gens, et puis…

Christelle – Ça peut arriver à tout le monde de faire une erreur…

Jérôme – Quand même… Coucher avec son dentiste…

Patrick – C’était mon dentiste.

Christelle – Et puis l’important, c’est qu’elle a eu le courage de te l’avouer, non ? C’est très courageux de sa part, tu sais…

Jérôme – C’est surtout très con…

Christelle – Ça prouve qu’elle a confiance en toi… Et la confiance, c’est important dans le couple… Hein Jérôme…?

Jérôme – Tu parles, elle croyait qu’il était mort…

Christelle – Allez, tu verras… Ça finira par s’arranger…

Patrick – Je ne sais pas… Je crois qu’il va me falloir un peu de temps…

Jérôme – Combien de temps, à peu près…? Non, parce que comme tu dis, il est déjà tard… J’irais bien mettre la viande dans le torchon, moi…

Christelle – Ce que veut dire Jérôme, avec ses mots à lui, c’est qu’on a tous eu beaucoup d’émotions aujourd’hui… Mais c’est normal que tu aies besoin de prendre un peu de recul… Tu vas dormir ici sur le canapé… Et demain, tu y verras un peu plus clair…

Jérôme – On ne te promet pas que ça ira mieux demain, hein ? Juste que tu y verras un peu plus clair…

Patrick – Merci… Je savais que je pouvais compter sur vous… C’est dans le malheur qu’on reconnaît ses amis…

Jérôme – Oui… C’est ce que ta femme nous a répété pendant toute la soirée…

Christelle – Je vais aller te chercher des draps… Jérôme, tu prends une couverture dans l’armoire…

Jérôme et Christelle disparaissent un instant. Patrick se lève et se dirige vers le balcon. Il s’approche de la balustrade, et se penche un peu. Christelle revient, l’aperçoit, et se fige, croyant visiblement qu’il s’apprête à sauter.

Christelle – Patrick, non !

Patrick se retourne vers elle un peu surpris.

Patrick – Euh… Je regardais juste la vue…

Christelle – Oh, mon Dieu, tu m’as fait peur… J’ai cru que…

Patrick – Je n’avais jamais remarqué qu’en se penchant un peu, on pouvait voir le Flamand Rose de votre balcon…

Christelle (inquiète de son état mental) – Le flamant rose…

Patrick – C’est un bar.

Christelle – Un bar belge ?

Patrick – Oui… Mais surtout un bar gay…

Christelle est un peu décontenancée. Jérôme revient avec la couverture et la jette sur le canapé.

Jérôme – Bon, ben je ne vais pas le border et lui faire la bise, non plus.

Patrick lui lance un regard ambigu.

Christelle – Tu nous promets de ne pas faire de bêtise ?

Patrick – Promis.

Christelle – Ok, alors on va tous aller se coucher. On a eu une dure journée nous aussi…

Le téléphone fixe sonne. Jérôme répond.

Jérôme – Ouais…? Oui, il est là… Ok, je te le passe… (Il tend le combiné à Patrick) C’est Nathalie, elle voudrait te parler…

Patrick prend le combiné à contrecœur.

Patrick – Oui… Écoute… Non… Je ne sais pas… Non… Je te dis ça demain, d’accord… Oui, ben j’ai besoin de réfléchir pendant quelques jours, tu peux comprendre ça, non…?

Jérôme (inquiet) – Quelques jours…?

Patrick – C’est ça, on se rappelle…

Il raccroche.

Christelle – Je suis sûr que votre couple saura résister à cette épreuve… et qu’il en ressortira encore plus fort !

Patrick – Moi aussi, j’ai couché avec le dentiste…

Christelle (après un moment d’hésitation) – Eh ben tu vois, ce n’est pas si grave…

Jérôme la regarde avec stupéfaction.

Christelle (à Patrick) – Et puis je ne t’ai pas dit ! (À Jérôme) On lui dit ?

Jérôme – Quoi ?

Christelle – C’est moi qui suis enceinte, Patrick !

Jérôme – Ah, oui, c’est vrai.

Christelle – Ce n’est pas une bonne nouvelle, ça ?

Jérôme – Pour toi, la bonne nouvelle, c’est que ta femme n’est pas enceinte de ton amant.

Christelle – Non, après tout ce qui vient de nous arriver aujourd’hui, à nous aussi… On en parlait justement tout à l’heure avec Jérôme. L’important, c’est de rester unis, quoi qu’il arrive… De surmonter les difficultés… Ensemble… Alors l’argent, dans le couple, ce n’est pas le plus important !

Patrick – L’argent ?

Christelle (à Jérôme) – On lui raconte aussi ? (Jérôme ne répond pas, accablé) Figure-toi que dans la valise que je t’ai prêtée pour partir à Mulhouse…

Patrick – La fausse valise Vuitton…

Christelle – Il y avait un billet de loto…

Patrick (distraitement) – Ah, oui, un billet de loto…

Christelle – On a appris ce soir en regardant la télé qu’on avait joué le bon numéro…

Patrick – Combien ?

Jérôme – 60 millions.

Patrick – Ah, oui quand même…

Christelle – Autant te dire qu’on ne reverra jamais ce billet de loto…

Jérôme – À moins que le pingouin qui a récupéré ma valise aille le présenter lui-même au PMU pour toucher le gros lot.

Christelle – Tu vois ? On vient de perdre 60 millions au loto, mais on gagne un bébé qu’on n’espérait plus !

Jérôme – Tu sais ce qu’on dit : Malheureux au jeu, heureux en amour…

Patrick – Je suis vraiment désolé… Je veux dire pour les 60 millions… C’est un peu de ma faute…

Jérôme (menaçant) – Un peu…?

Christelle – Je crois que cette fois, on ferait mieux d’aller se coucher. Tu viens, Jérôme…?

Christelle entraîne Jérôme vers la chambre. Patrick reste seul. Il va sur le balcon et réfléchit un instant. Puis il prend son portable et compose un numéro.

Patrick – Allo…? Non, je ne suis pas mort… Désolé de vous décevoir encore une fois, belle-maman… Vous pouvez me passer Nathalie ? Merci… (Après un instant) Nathalie ? C’est Patrick… Écoute, j’ai bien réfléchi et… Oui, déjà, qu’est-ce que tu veux… D’habitude, tu me reproches de ne pas réfléchir assez vite… Alors je préfère te l’annoncer tout de suite… Je ne pourrais jamais te pardonner d’avoir couché avec mon dentiste… Je vais demander le divorce, Nathalie… Oui, je sais, je ne suis qu’un pauvre type… Oui, je sais, ta mère te l’avait déjà dit… Ok, mon dentiste t’enverra demain les papiers du divorce… Oui, mon avocat, ce n’est pas ça que j’ai dit ? C’est ça, va te faire foutre aussi… Bonne nuit, Nathalie.

Patrick raccroche, réfléchit, puis sort de la poche de sa chemise le billet de loto et le regarde.

Patrick – 60 millions… Christelle a raison… On n’est même pas encore demain matin, et j’y vois déjà beaucoup beaucoup plus clair… (Réalisant vraiment) 60 millions d’euros ! (Sa main tremble, le billet lui échappe des mains et tombe sur le rebord du balcon) Merde… C’est pas vrai… Oh, putain…

Il commence à enjamber fébrilement la rambarde du balcon. Soudain il glisse, pousse un cri, perd l’équilibre, et se fige dans une position de début de chute.

On entend alors comme dans un rêve un dialogue enregistré sur une bande son :

Nathalie – Qu’est-ce qu’on peut faire contre le destin…

Christelle – Rien…

Jérôme – C’est quand même incroyable…

Nathalie – Il n’y a que lui qui n’était pas à bord de l’avion, et finalement, Patrick sera la seule victime du crash de la Pas trop Cher Travel Discount Airways…

Christelle – Tu as appelé les pompiers…?

Jérôme – Ils devraient être là d’une minute à l’autre.

Jérôme – Tu crois vraiment qu’il a voulu se suicider ?

Christelle – On ne tombe pas d’un balcon comme ça…

Jérôme – Si seulement c’était lui qui avait peint mon tableau… Je pourrais encore espérer qu’il prenne de la valeur.

On entend le bruit d’une sirène d’ambulance qui s’approche.

Nathalie – Les voilà… Ils vont enfin pouvoir nous dire si Patrick est vraiment mort…

Jérôme – Il a l’air très mort, non ?

Nathalie – Un miracle est toujours possible…

Christelle – On est vendredi 13 !

Noir. Fin

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-04-8

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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