Trompe-l’œil

Debout face au public, ils regardent vers le mur du fond.

Lui – Il fait beau, hein ?

Elle – Mais il y a beaucoup de vent.

Lui – Oui. C’est le vent qui a chassé les nuages…

Un temps.

Elle – Tu vois la fenêtre d’en face ?

Lui – Quelle fenêtre ?

Elle – Là-bas, légèrement cachée par le feuillage de cet arbre.

Lui – Ah oui, celle-là… C’est curieux, on ne voit jamais de lumière la nuit.

Elle – Je ne sais pas qui peut bien habiter là.

Lui – Personne, peut-être. Le logement doit être inoccupé. Ça arrive…

Elle – Je ne sais pas… Pendant la journée, il me semble apercevoir des silhouettes derrière ces vitres. À travers ces branches.

Lui – Ah oui ?

Elle – Un homme et une femme, je crois.

Lui – Ça me rappelle un film…

Elle – Quel film ?

Lui – Fenêtre sur cour ! Ne me dis pas qu’en plus, tu as cru voir cet homme assassiner sa femme…

Elle – Non, mais tout de même… J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose de bizarre derrière cette fenêtre.

Lui – Tu n’as rien d’autre à faire que d’épier ce qui se passe dans l’immeuble d’en face ?

Elle sourit et regarde à nouveau avec plus d’attention.

Elle – Attends un peu… C’est dingue. On dirait que…

Lui – Quoi ?

Elle – Il y a un vent terrible aujourd’hui, et les feuilles de cet arbre ne bougent absolument pas.

Il regarde lui aussi.

Lui – Ah oui, c’est curieux en effet…

Elle – Tu vas rire mais…

Lui – Oui ?

Elle – L’arbre… C’est un trompe-l’œil.

Lui – Un trompe-l’œil ?

Elle – Je t’assure. Regarde.

Il regarde plus attentivement.

Lui – Ah oui. Je n’avais jamais remarqué.

Elle – Je me disais aussi…

Lui – Mais alors… si l’arbre est un trompe-l’oeil, c’est que la fenêtre en est un aussi.

Elle – Tu crois ?

Lui – Comment veux-tu qu’un faux arbre puisse cacher une vraie fenêtre ?

Elle – Oui, ce n’est pas faux.

Elle – Si l’arbre est un trompe-l’œil peint sur le mur d’en face, c’est que la fenêtre aussi est peinte sur le mur.

Lui – Un arbre qui n’existe pas, cachant une fenêtre qui n’existe pas.

Elle – C’est pour ça que ça que l’illusion marche aussi bien. On se dit que quelque chose qui est caché, c’est forcément quelque chose de réel. Pourquoi cacher quelque chose qui n’existe pas ?

Lui – Un peu comme Dieu, finalement. Les gens y croient d’autant plus qu’on ne le voit jamais.

Elle – Si Dieu se trimbalait dans les supermarchés avec une fausse barbe et un costume élimé, comme le Père Noël au moment des fêtes, c’est sûr que les gens n’y croiraient pas longtemps.

Lui – Oui…

Un temps.

Elle – Et si on était des trompe-l’œil, nous aussi ?

Lui – Quoi ?

Elle – Peut-être que les gens qui nous regardent nous voient comme des illusions d’optique. Des peintures ou des photos de nous-mêmes.

Lui – Mais nous on est là, on bouge, on parle.

Elle – Les vidéos, ça bouge aussi.

Lui – On est en trois dimensions.

Elle – Les hologrammes, c’est aussi en relief. On est peut-être des trompe-l’œil en trois D.

Lui – Il faudrait demander à ceux d’en face.

Elle – En même temps, quel crédit accorder aux voisins… si ce ne sont que des trompe-l’œil eux-aussi…

Lui – Je crois qu’on commence à devenir fous.

Elle – Tu as raison, je vais refermer la fenêtre.

Elle hésite.

Lui – Ne me dis pas qu’elle est peinte contre le mur…

Ils échangent un regard inquiet.

Noir.