Une femme honnête
Ça m’apprendra à être honnête ! Quand j’ai trouvé ce portefeuille par terre, dans l’établissement où je travaille, j’aurais mieux fait de le mettre à la poubelle. Ça m’aurait évité de me retrouver là aujourd’hui, au commissariat, accusée de vol ! Quand les flics m’ont interpellée pour un contrôle de routine, comme ils disent, ils ont trouvé le portefeuille dans mon sac à main… Je l’avais gardé quelques jours, au cas où quelqu’un viendrait le réclamer. Mais j’avais l’intention de le porter le lendemain aux Objets Trouvés ! Les flics n’ont rien voulu savoir. Il paraît que je suis défavorablement connue des services de police… J’ai protesté. Défavorablement, peut-être… Mais pas comme pickpocket !
En ouvrant le portefeuille, ces fins limiers ont réussi à identifier son propriétaire et à trouver son numéro de téléphone. J’aurais pu en faire autant, c’est sûr. Mais je ne suis pas de la police, moi… Je leur ai fait remarquer que je n’avais même pas touché à l’argent liquide, et j’ai poussé un soupir de soulagement. Ce brave homme, content d’avoir retrouvé son bien, allait sûrement me remercier, ou en tout cas m’innocenter…
Un inspecteur m’a dit de ne pas me réjouir trop vite. En consultant le fichier central, il venait de se rendre compte que le type avait porté plainte… pour un vol à l’arraché ! La victime venait d’être convoquée au commissariat pour m’identifier, ou non, comme son agresseur.
Je m’efforçais de rester zen. Ils ne pourraient que me relâcher après ça, puisque ce portefeuille, je ne l’avais pas volé ! Le type dirait que ce n’était pas moi, et on me ferait des excuses. Une heure après, l’inspecteur est venu me chercher et m’a emmenée dans son bureau, pour la confrontation. La victime était déjà là.
Quand j’ai vu ce vieux monsieur très digne, accompagné de sa femme, ça a fini de me rassurer. Ça se voyait tout de suite que ce n’était pas le genre à envoyer une innocente en prison. D’ailleurs, il me semblait déjà l’avoir vu quelque part. A mon travail, peut-être. Mais je vois défiler tellement de monde…
« Eh ben, vas-y, dis-leur que c’est elle ! » lui lança son épouse d’un ton autoritaire. Cette entrée en matière me refroidit un peu. Heureusement, le brave homme ne paraissait pas aussi affirmatif, et s’embrouillait un peu dans ses explications. Il ne se souvenait plus très bien… Il faisait noir…
L’inspecteur, intrigué l’interrompit. « Noir ? Vous avez déclaré que le vol avait eu lieu en pleine après-midi ! ». Il ajouta sur un ton ironique : « On n’a signalé aucune éclipse ce jour-là… ». Le vieux monsieur semblait de moins en moins à l’aise. « Oui, excusez-moi. Je veux dire que tout cela s’est passé très vite. Quoi qu’il en soit, cette personne n’est pas mon agresseur… ».
L’inspecteur, hélas, était du genre coriace. » J’espère que vous ne mentez pas dans le seul but de permettre à une jolie femme d’échapper à la justice ? ». L’homme, de plus en plus embarrassé, jeta un regard inquiet vers son épouse, et finit par avouer. « Écoutez, c’est avant, que j’ai menti. ». Sa femme le fusilla du regard, mais il poursuivit malgré tout. « On ne m’a pas volé ce portefeuille. Je l’ai perdu… ».
L’inspecteur prit le temps de digérer cette information, avant de répondre d’un ton sévère. « Cela s’appelle une dénonciation frauduleuse. C’est très grave, vous savez ? Vous pourriez être poursuivi… Pourquoi ce mensonge ? ».
Le respectable vieillard, un peu perdu, avança une explication. « Quand j’ai raconté à mon épouse que j’avais perdu mon portefeuille, elle m’a conseillé de le déclarer volé. C’était plus simple, pour le remboursement par l’assurance, vous comprenez ? ». Sa femme confirma ces dires à contrecœur. Il était de toute façon trop tard pour nier. « Je pensais que la personne qui trouverait le portefeuille le garderait pour elle » expliqua-t-elle pour tenter de se justifier. « Et puis je croyais que la police avait autre chose à faire que de s’occuper d’un petit vol comme ça… ».
Cette mauvaise foi acheva d’irriter l’inspecteur. « Hélas pour vous, il reste quand même des femmes honnêtes. Et la police fait parfois bien son travail… ». Tandis que l’homme, penaud, regardait ses chaussures, l’inspecteur se pencha à nouveau sur la déclaration de vol rédigée par la prétendue victime quelques jours auparavant. « Je vous épargnerai les poursuites judiciaires pour cette fois » fit l’inspecteur magnanime. « Mais une dernière chose m’intrigue. Vous avez déclaré que ce vol imaginaire avait eu lieu dans la rue à Vincennes, où vous résidez. Or cette jeune femme l’a retrouvé, absolument intact, sous une banquette de l’établissement où elle travaille, dans le neuvième arrondissement de Paris. Il n’est pas arrivé là par hasard. Aviez-vous des raisons particulières de mentir aussi sur le lieu où vous avez perdu votre portefeuille ? ».
L’épouse revêche jeta un regard étonné vers son mari, attendant visiblement elle aussi une explication. Comme l’homme, cramoisi, ne répondait pas, l’inspecteur se tourna vers moi et reprit, impitoyablement. « Pourriez-vous nous rappeler, chère Madame, dans quel genre d’établissement vous travaillez, et quelle est votre profession ? ».
Malgré les conséquences conjugales désastreuses que je prévoyais pour ce pauvre homme, je fus obligée de répondre. « Ben… Je suis strip-teaseuse dans un cabaret de Pigalle. ».