Elle est là, debout au milieu de la scène vide, et jette un regard autour d’elle. Il arrive.
Lui – Ah, tu es là ! Je te cherchais partout…
Elle – Ça y est, le dernier camion vient de partir avec les derniers cartons.
Lui – Tu as regardé partout ? Il ne reste plus rien dans la maison ?
Elle – Plus rien. À part nos souvenirs…
Il pose une main sur son épaule.
Lui – Allez… On va s’en fabriquer d’autres !
Elle – Bien sûr… Mais les projets, ça n’empêche pas la nostalgie.
Lui – Tu regrettes ?
Elle – Non…
Lui – Tu te souviens la première fois où on est entrés dans cette maison, pour la visiter ?
Elle – Elle était vide aussi.
Lui – Et entre ces deux vides, on a vécu. On a rempli cette maison. De meubles. De tableaux. D’enfants…
Elle – Et elle nous a remplis. De joie. De bonheur. De souvenirs.
Lui – On les emporte avec nous.
Elle – Et on laisse cet endroit presqu’aussi propre qu’on l’a trouvé en entrant.
Lui – Beaucoup plus propre, si tu veux mon avis.
Elle – Qui seront les suivants ? On ne sait rien d’eux.
Lui – Et iIs ne sauront rien de nous.
Elle – Comme nous ne savons rien de ceux qui nous ont précédés ici.
Lui – Les gens passent, les maisons restent.
Elle – Jusqu’à ce que les maisons s’écroulent elles aussi. Ou qu’on les démolisse. Pour construire des immeubles à la place.
Lui – Il y a aussi des maisons hantées par de mauvais souvenirs.
Elle – Oui… Toutes les maisons ont une histoire. Des histoires.
Lui – Comme l’histoire d’un crime, par exemple.
Elle – Un crime ?
Lui – Tous les crimes n’ont pas lieu en plein air, tu sais. La plupart sont perpétrés à domicile. En famille, souvent… Et quand ce crime fait la une des faits divers, la maison devient invendable. J’imagine que parfois, on doit même finir par la démolir, pour en reconstruire une autre à la place. Une maison sans histoire…
Elle – Merci, ça me remonte le moral, ce que tu dis.
Lui – On ne sait pas… Peut-être que cette maison, avant nous, n’a pas abrité que des moments heureux.
Elle – En tout cas, on n’a jamais trouvé de cadavres dans les placards.
Lui – Peut-être que si on avait creusé dans la cave…
Elle – Bon… Ben du coup, je préfère autant qu’on y aille, maintenant.
Lui – Tu vois ? Il suffisait de demander…
Elle – Merci… Je sais que je peux toujours compter sur toi dans les moments difficiles.
Ils se dirigent vers la sortie. Elle se baisse et ramasse quelque chose par terre.
Lui – Qu’est-ce que c’est ?
Elle – Un manuscrit, apparemment.
Lui – Un manuscrit ?
Elle – On dirait une pièce de théâtre.
Lui – À quoi tu vois ça ?
Elle feuillette le manuscrit.
Elle – Avec des gens qui parlent, si tu préfères. Pas comme un roman.
Lui – Je vois… Des dialogues…
Elle – Ou alors, c’est le scénario d’un film.
Lui – Ça parle d’un crime ?
Elle – Je ne sais pas.
Lui – Il avait dû rester coincé derrière un radiateur, et avec le déménagement, il est tombé par terre. Le papier est complètement jauni.
Elle – Mais ça reste lisible. Après toutes ces années. Tu te rends compte ?
Lui – C’est quoi ? Une comédie ? Un drame ?
Elle – Il faudrait le lire.
Lui – Qui a bien pu écrire ça ?
Elle – Quelqu’un qui habitait ici avant nous, j’imagine.
Lui – C’est dingue… Et si c’était un chef d’œuvre…
Elle – Ça peut aussi être un navet.
Lui – C’est signé ?
Elle – Non… Je ne vois pas le nom de l’auteur.
Lui – C’est peut-être inédit. Un manuscrit anonyme, tu te rends compte ? Tu pourrais le signer et le publier… Tu es éditrice. Pour toi, ce serait facile.
Elle – Ce serait un plagiat.
Lui – Si l’auteur est mort. Et que personne ne sait qu’il a écrit ça…
Elle – Je vais commencer par le lire…
Lui – C’est bizarre, non ?
Elle – Quoi ?
Lui – On quitte cette maison, et c’est l’histoire de quelqu’un d’autre qu’on emporte avec nous.
Elle – J’espère que ce n’est pas un drame…
Lui – Au moins, on n’a pas trouvé de cadavre.
Elle – Ça me donnerait presque envie de chercher…
Lui – Tu crois ?
Elle – L’auteur est peut-être enterré dans la cave…
Ils s’en vont.
Noir.