Open Letters – Aviso de paso – Aviso de passagem – NEZASTIŽENÝ ADRESÁT |
Comédie à sketchs
Distribution variable en nombre et sexe : une trentaine de rôles masculins ou féminins, un même comédien peut interpréter plusieurs rôles.
Dans le hall d’un immeuble, entre les boîtes à lettres et le digicode, d’étranges personnages se croisent sans toujours se comprendre…
Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.
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TEXTE INTÉGRAL
Avis de Passage
25 personnages
Chaque comédien peut interpréter plusieurs rôles et la plupart des rôles peuvent être masculins ou féminins.
1 – Code d’accès
Une femme arrive dans le hall, le traverse et, perplexe, se place devant le digicode de la porte donnant accès à l’escalier. Un homme arrive à son tour et se dirige vers la même porte pour composer le code.
Femme – Excusez-moi… Je peux entrer avec vous… Je n’ai pas le code…
Homme – Euh… Oui… Enfin… Vous voulez dire que vous n’avez pas le code ?
Femme – Oui… C’est ce que je viens de vous dire, non ?
Homme – C’est à dire que… En principe, on doit avoir le code pour rentrer dans cet immeuble. C’est justement ça le principe…
Femme – Le principe ?
Homme – Ceux qui ont le code ont le droit d’entrer, les autres non. À quoi ça sert d’avoir un code, sinon ?
Femme – Ah, d’accord…
Homme – Ben ouais…
Femme – Donc vous ne voulez pas me laisser entrer ?
Homme – Ben non…
Femme – Vous me prenez pour une voleuse, c’est ça ?
Homme – Je ne sais pas, moi… Si vous habitiez dans cet immeuble, pourquoi est-ce que vous n’auriez pas le code ?
Femme – Pourquoi ? Le code pourrait avoir changé sans que j’en sois avertie.
Homme – Le code n’a pas changé depuis vingt ans.
Femme – Je pourrais l’avoir oublié !
Homme – C’est le genre de code qu’on n’oublie pas, croyez-moi. Beaucoup de personnes âgées habitent dans cet immeuble, alors on a choisi quelque chose de facile à mémoriser. Même un Alzheimer en stade terminal oublierait sa date de naissance avant d’oublier le code de cet immeuble…
Femme – 1515 ? 14-18 ? 16-64 ?
Homme – 16-64 ?
Femme – 16-64, ça ne vous dit rien ?
Homme – Donc, vous n’habitez pas dans cet immeuble…
Femme – Et votre date de naissance, vous vous en souvenez ?
Homme – Puisque vous n’habitez pas ici, qui venez-vous voir ?
Femme – Mais enfin, ça ne vous regarde pas ! Vous êtes de la police ?
Homme – Non. Mais c’est mon immeuble.
Femme – Cet immeuble vous appartient ?
Homme – J’en suis copropriétaire. Je veille sur la sécurité des gens qui l’habitent. Et sur l’intégrité de leurs biens.
Femme – Je vois… Vous êtes une sorte de milicien, en somme. Méfiez-vous. À la libération, certains pourraient avoir envie de vous tondre.
Homme – Dites-moi seulement ce que vous venez faire ici.
Femme – Je viens pour assassiner quelqu’un, ça vous va ?
Homme – À quel étage ?
Femme – Parce que ça change quelque chose ?
Homme – C’est juste pour vérifier que vous n’êtes pas encore en train de mentir.
Femme – La petite vieille du cinquième.
Homme – Au cinquième, c’est un couple d’homos et une fille mère.
Femme – Une fille mère ? Mais vous vivez à quelle époque ? À la fin du 19ème ?
Homme – Oui, bon, ça va… Je voulais dire une mère célibataire…
Femme – Une mère célibataire… Aujourd’hui, on dit une famille monoparentale, figurez-vous !
Homme – En tout cas, on ne dit pas la petite vieille du cinquième ! Donc vous mentez !
Femme – Évidemment, que je mens. Si j’étais venue pour assassiner quelqu’un, vous croyez vraiment que je vous préciserais l’étage ?
Homme – Ça ne me dit toujours pas ce que vous venez faire ici.
Femme – Au départ, je n’étais pas venue pour tuer quelqu’un, c’est vrai. Mais je dois avouer qu’après vous avoir rencontré, ça me donne des envies de meurtre…
Homme – Très bien, ironisez tant que vous voudrez. Mais tant que je ne saurai pas ce que vous venez faire ici, pas question de vous laisser entrer.
Femme – Ok… Je viens voir quelqu’un, ça vous va ?
Homme – Ah oui ? Et qui ça ?
Femme – Le dentiste.
Homme – Vous avez mal aux dents ?
Femme – C’est plus compliqué que ça…
Homme – Quel dentiste, d’abord ? Il y en a au moins trois ou quatre, dans l’immeuble.
Femme – Je ne connais pas son nom. Je veux dire son vrai nom.
Homme – C’est commode…
Femme – Non, justement, ce n’est pas commode. C’est quelqu’un que j’ai rencontré sur le net. Je connais seulement son pseudo.
Homme – Un pseudo ?
Femme – Il m’a donné rendez-vous chez lui, mais il a oublié de me donner le code.
Homme – Il vous donne rendez-vous chez lui, mais il ne vous donne pas le code…
Femme – Il a oublié, je vous dis !
Homme – Hun, hun… Vous n’avez qu’à lui téléphoner.
Femme – Je n’ai pas son numéro.
Homme – Ah, il ne vous a pas donné son numéro non plus. Apparemment, c’est quelqu’un qui tient beaucoup à préserver son intimité… Vous êtes vraiment sûre qu’il vous a invitée à venir chez lui ? Je veux dire, il ne vous a pas donné le code…
Femme – Il m’a donné l’adresse, il m’a dit qu’il habitait au troisième et qu’il était dentiste. Je pense que s’il ne voulait pas me voir…
Homme – Dentiste ? Au troisième… Donc c’est l’adresse de son cabinet. Pas de chez lui.
Femme – Et alors ?
Homme – Cela explique le fait qu’il ait oublié de vous donner le code.
Femme – Et pourquoi ça ?
Homme – Parce que dans la journée, il n’y a pas de code.
Femme – Donc il y a bien un dentiste au troisième.
Homme – Oui.
Femme – Alors vous voyez bien que je ne mens pas.
Homme – En même temps, c’est indiqué sur la plaque.
Femme – Quelle plaque ?
Homme – La plaque qui se trouve dehors à l’entrée de cet immeuble.
Femme – D’accord… Donc, vous ne voulez toujours pas me laisser entrer ?
Homme – Ça dépend… C’est quoi, votre pseudo, à vous ?
Femme – Pardon ?
Homme – Vous avez dit que vous ne connaissez ce dentiste que sous son pseudo. J’imagine qu’il ne vous connaît vous aussi que sous un nom de code.
Femme – Et pourquoi est-ce que je vous donnerais mon numéro de code ? C’est très personnel, non ? Plus que le code d’accès à un immeuble, en tout cas…
Homme – Disons que c’est donnant donnant.
Femme – Alex343.
Homme – Alex343 ?
Femme – Quoi ? Ça ne vous plaît pas non plus ?
Homme – Si, si… Alex343, c’est un très joli nom. (Changeant de ton) Pour une bien jolie personne… Ça donne envie de connaître les 342 autres Alex.
Femme – Vous me draguez, maintenant ? Vous ne manquez pas d’air ?
Homme – Nous sommes partis sur un mauvais pied, mais permettez-moi de me présentez : Domi459.
Femme – Domi459 ? Alors c’est vous ?
Homme – J’espère que vous n’êtes pas trop déçue…
Femme – Non, non, mais… Je ne vous imaginais pas comme ça…
Homme – Excusez-moi pour le code, mais comme en journée, il n’y en a pas…
Femme – Bien sûr.
Homme – Et puis on ne sait jamais à qui on a à faire.
Femme – Vous avez raison. On n’est jamais trop prudent.
Homme – Vous avez trouvé facilement ?
Femme – Oui, oui… Jusqu’à ce que j’arrive devant cette porte en tout cas…
Il lui montre la porte.
Homme – Mais allez-y, je vous en prie…
Femme – Euh…
Homme – Ah oui, c’est vrai… Vous n’avez pas le code… Attendez, je passe devant vous… 39-45, c’est facile à se rappeler…
Femme – Oui, c’est pratique…
Homme – Mais au fait, j’ai oublié de me présenter… Comme vous ne me connaissez que sous mon pseudo…
Femme – Votre nom est inscrit sur la plaque à l’entrée de l’immeuble.
Homme – Ah oui, c’est vrai ! Et vous, votre vrai nom, c’est quoi ?
Femme – Si vous permettez, j’attendrai de vous connaître un peu mieux avant de vous donner le code d’accès…
Ils sortent.
Noir.
2 – Lettres d’insulte
Une femme arrive, ouvre une boîte à lettres et constate, déçue, qu’elle est vide. Un homme arrive.
Homme – Pas de courrier aujourd’hui ?
Femme – Il y a quelques années, il m’arrivait encore de recevoir un faire-part de temps en temps. Et puis peu à peu, plus rien. J’ai l’impression d’être la seule survivante de ma génération.
Homme – Si je meurs avant vous, je vous promets de vous envoyer un faire-part.
Femme – C’est gentil… Je descends quand même tous les matins voir si j’ai du courrier. Ça me fait un peu d’exercice…
L’homme ouvre sa boîte qui déborde de lettres.
Homme – Je vous donnerais bien un peu du mien, mais ce sont principalement des lettres d’insultes.
Femme – D’insultes ? Ah oui… C’est vrai que votre femme vous a quitté…
Homme – Je crois qu’elle n’a pas trop supporté que je change de métier. Mais ce n’est pas elle qui m’envoie toutes ces lettres, vous savez.
Femme – Vous n’êtes plus professeur de français ?
Homme – J’ai démissionné il y a quelques mois. Maintenant je travaille dans une boucherie chevaline.
Femme – Ça doit vous changer.
Homme – C’est plus salissant.
Femme – Ah oui, c’est quand même une sacrée reconversion.
Homme – Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu envie de travailler dans la viande. Certains rêvent de devenir pompiers, moi je rêvais de devenir boucher.
Femme – Il faut de tout pour faire un monde, pas vrai ?
Homme – Mes parents étaient agrégés de philo tous les deux. Autant vous dire qu’ils n’étaient pas très favorables à ce projet. Je crois qu’ils auraient encore préféré si je leur avais dit que j’étais homosexuel et que je voulais devenir comédien. Alors j’ai d’abord fait des études de lettres, pour leur faire plaisir, et j’ai épousé une agrégée de latin. Mais finalement, c’est la passion qui a été la plus forte. J’ai pris des cours du soir, j’ai passé mon CAP, accessoirement j’ai divorcé, et me voilà enfin boucher !
Femme – La boucherie, c’est un beau métier. Mais pourquoi les chevaux ?
Homme – Je crois que les bœufs et les veaux, ça m’aurait trop rappelé mon ancien boulot de prof…
Femme – Je comprends… Avec tout ce qu’on voit maintenant… Mais toutes ces lettres d’insultes ? J’imagine que ce ne sont pas les chevaux qui vous écrivent pour se plaindre…
Homme – Ah, ça ? En fait, ça n’a rien à voir avec ma nouvelle profession. Ce sont mes anciens élèves qui continuent à m’écrire. J’ai arrêté en juin, et ils ne savent pas encore que j’ai démissionné.
Femme – Et vous allez lire tout ça ?
Homme – Pensez-vous ! Si encore c’était bien rédigé. Mais le vocabulaire est pauvre, la syntaxe déplorable et c’est bourré de fautes d’orthographe. Tenez, j’en ouvre une au hasard…
Il ouvre une enveloppe et lit.
Homme – Nique ta mère, bouffon d’enculé d’ta race, je t’attrape, j’te crève… Des veaux, je vous dis…
Femme – Vous savez quoi ? Ils ne vous méritaient pas…
Homme – Je vais mettre ça directement au recyclage.
Femme – Dans ce cas, donnez-les moi. Ça m’occupera.
Homme – Si vous y tenez… (Il lui tend le tas de lettres qu’elle saisit) Mais je vous aurais prévenue…
Femme – Si j’en vois une qui est plus intéressante que les autres d’un point de vue littéraire, je vous la mettrais de côté.
Homme – Parfait ! Et moi je vous mets un petit steak de cheval de côté pour midi ! C’est excellent pour la santé, vous verrez. Le cheval, c’est beaucoup moins gras que le bœuf, et c’est plein de fer.
Femme – De fer ? Pas de fer à cheval, j’espère.
Homme – Ah, n’oubliez pas qu’un fer à cheval, ça porte chance ! Allez, bonne journée à vous ! La viande, ça n’attend pas ! Comme disait Boris Vian : Faut que ça saigne !
Femme – Merci, bonne journée à vous !
Il s’en va. Elle regarde le paquet de lettres.
Femme – Voyons voir ça…
Elle repart elle aussi en lisant la première lettre qu’elle vient de décacheter.
Noir.
3 – Les encombrants
La scène est vide à l’exception d’une grande poubelle à roulettes au couvercle jaune. Une femme arrive en tirant une autre poubelle du même type mais au couvercle vert. Habillée avec élégance et juchée sur des talons hauts, elle tente de conserver un semblant de dignité dans cet exercice dégradant qu’est en temps de crise, pour une bobo divorcée qui n’a plus les moyens de se payer une bonne même défiscalisée, celui de sortir elle-même la poubelle. Son portable sonne, et elle répond.
Femme 1 – Allo, oui ? Ah, bonsoir Jacques ! Non, non, vous ne me dérangez pas. J’étais en train de ranger quelques papiers et je m’apprêtais à prendre un bain… Ce soir à dix-neuf heures trente ? Ah, oui, c’est absolument parfait ! Mais vous êtes sûr que… Votre dernière patiente ? Très bien ! Dans ce cas, nous aurons peut-être le temps de prendre un verre après, histoire de faire un peu connaissance ? Ah oui, ou de dîner si vous préférez… Je connais un très bon japonais du côté de… Ah, vous détestez les sushis… Non, non, pas du tout… J’aime beaucoup la choucroute aussi… Parfait, alors à tout à l’heure… Non, non, j’ai bien l’adresse de votre cabinet… Ah, il y a un code à partir de 19 heures… Attendez, je prends de quoi noter… Je suis dans la salle de bain, et je n’ai rien sur moi… Je veux dire pour écrire…
Elle sort un crayon mais, se rendant compte qu’elle n’a pas de papier, ouvre le couvercle de la poubelle jaune. La trouvant vide, elle laisse le couvercle ouvert et ouvre le couvercle de sa propre poubelle dont elle sort au hasard un paquet de céréale basses calories.
Femme 1 – Voilà, je vous écoute… Ouh, là, en effet, c’est compliqué… (Essayant de plaisanter) Vous ne pouviez pas choisir 1515, 14-18 ou 39-45, comme tout le monde ? Ah, c’est la date de décès de votre belle-mère… Oui, vous avez raison, pour un cambrioleur, évidemment, c’est plus difficile à deviner… Mais vous pouvez me redire ça moins vite ? Juste une seconde, je m’installe un peu plus confortablement…
Elle se contorsionne pour essayer de noter d’une main sur le carton tout en tenant le téléphone de l’autre, avant de prendre le parti de poser le carton sur le bord de la poubelle jaune dont elle a laissé le couvercle ouvert. Le carton tombe par terre et en essayant de le rattraper, elle laisse tomber son portable au fond de la poubelle vide.
Femme 1 – Oh, non, ce n’est pas vrai… (Elle parle en direction du fond de la poubelle) Allo ? Jacques ? Vous m’entendez ? (Elle se penche vers le fond de la poubelle pour tenter de récupérer le téléphone) Allo ? Je vous entends très mal…
Elle finit par basculer complètement dans la poubelle. Seules ses jambes dépassent, qu’elle agite en poussant des cris étouffés. Un homme arrive, un portable à la main.
Homme – Allo ? Allo ? Vous m’entendez ?
Sa femme arrive derrière lui.
Femme 2 – Jacques ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Jacques range immédiatement son portable. Craignant probablement d’être surprise dans cette position embarrassante, la prisonnière de la poubelle rentre ses jambes et se calme également aussitôt.
Homme – Eh bien, je… Je venais chercher la poubelle pour la remonter… Le coiffeur n’a pas pu te prendre, finalement ?
Femme 2 (sèchement) – Si. J’en sors.
Homme – Ah, très bien…
Femme 2 – Tu n’as pas oublié que ce soir, je vais au pot de départ de mon chef de service ?
Homme – Non, non, rassure-toi… J’en profiterai pour faire ma comptabilité en retard au cabinet.
La femme aperçoit la boîte de céréales par terre.
Femme 2 – Les gens sont d’une saleté… (Elle ramasse l’emballage et le remet dans la poubelle) Et j’ai l’impression que les derniers arrivés sont les pires… À propos, tu as fait connaissance avec la nouvelle voisine ?
Homme – Quelle voisine ?
Femme 2 – Ne me dis pas que tu ne l’as pas remarquée… Celle avec la forte poitrine…
Homme – Ah, celle-là…
Femme 2 – Tu vois que tu t’en souviens.
Homme – C’est vrai que c’est plutôt une belle femme.
Femme 2 – Moi, je la trouve plutôt vulgaire, mais bon…
Homme – Vulgaire ?
Femme 2 – Elle est divorcée, je crois…
Homme – Elle t’a dit ça ?
Femme 2 – Une femme qui sort elle-même la poubelle vit forcément seule… Et comme elle est trop âgée pour être encore célibataire, j’en conclus qu’elle est divorcée… ou veuve.
Homme – Elle n’est pas si vieille que ça…
Femme 2 – Elle doit avoir à peu près mon âge.
Homme – Ah, oui ? Ça ne se voit pas…
Femme 2 – Quand elle sort la poubelle le matin en peignoir avant de s’être maquillée, ça se voit, crois-moi… Mais dis donc, on dirait vraiment qu’elle t’a fait forte impression…
Homme – C’est toi qui m’en as parlé ! (Un temps) Et puis elle a téléphoné au cabinet aujourd’hui pour un détartrage…
Femme 2 – Un détartrage… Quand ça ?
Homme – Ce soir.
Femme 2 – Ah, d’accord… Il faut croire que c’était une urgence. Elle devait être sacrément entartrée…
Homme – Elle a peut-être un rendez-vous important…
Femme 2 – C’est ça, oui… Enfin… Tant que tu ne la ramènes pas à la maison… Parce que là, je te préviens, je suis capable de tout…
Homme – La ramener à la maison… Qu’est-ce que tu vas chercher…?
Ils commencent à s’éloigner.
Femme 2 – Eh bien tu ne remontes pas la poubelle ?
Homme – Si, si… (Il prend la poubelle à roulettes par la poignée et suit sa femme) Mais quand tu dis capable de tout… Pas à tuer quand même ?
On entend la sonnerie d’un téléphone en provenance de la poubelle.
Noir.
4 – Lettre morte
Un personnage (homme ou femme) arrive, pour relever son courrier dans sa boîte à lettres. Il ouvre la boîte, sort quelques enveloppes et les examine rapidement.
Locataire – Facture, impôts, appel à cotisation, facture…
Un autre personnage (homme ou femme) arrive à son tour, en facteur. Il examine les boîtes à lettres sans trouver ce qu’il cherche.
Facteur – Excusez-moi… Monsieur Martin, ça vous dit quelque chose ?
Locataire – Oui…
Facteur – Je ne vois pas son nom sur la boîte. C’est à quel étage ?
Locataire – Septième. Mais il est mort la semaine dernière.
Facteur – Ah merde… Alors en somme… Il a déménagé.
Locataire – On peut dire ça comme ça, oui…
Facteur – Non, parce que j’ai un recommandé pour lui…
Locataire – Ah, ouais… C’est ballot…
Facteur – Alors qu’est-ce que je fais ?
Locataire – Je ne sais pas…
Facteur – Il n’a pas laissé une adresse ?
Locataire – Il est mort, je vous dis.
Facteur – Ah ouais… Mais qui est-ce qui va le signer, mon recommandé ?
Locataire – Ça…
Facteur – Donc il ne va pas revenir…
Locataire – C’est peu probable.
Facteur – Ça ne m’arrange pas.
Locataire – Il y a toujours des emmerdeurs, vous savez… Mais je ne suis pas sûr qu’il soit mort simplement pour vous compliquer la vie…
Facteur – Mmm… Alors je ne sais pas moi… Et vous ne pourriez pas signer à sa place ?
Locataire – Pourquoi je ferais ça ?
Facteur – Entre voisins… On peut se rendre de petit services… Ça m’éviterait de revenir.
Locataire – Revenir ? Pourquoi faire ?
Facteur – Pour lui remettre ce recommandé !
Locataire – Mais puisque je vous dis qu’il est mort ! Mort, vous comprenez ? Et il y a au moins un avantage à être mort, c’est qu’on devient totalement et définitivement inaccessible aux recommandés en tous genres !
Facteur – Je comprends.
Locataire – Vous pouvez toujours lui laisser un avis de passage !
Facteur – Vous croyez ?
Locataire – D’ailleurs, c’est quoi, ce recommandé ? Avis d’imposition ? Avis d’expulsion ? Avis de radiation ?
Le facteur jette un regard à l’enveloppe.
Facteur – Ça vient de la Française des Jeux.
Locataire – La Française des Jeux ?
Facteur – Ça ne peut pas être une mauvaise nouvelle.
Locataire – Vous croyez vraiment que quand on est mort, on peut encore faire la différence entre une bonne et une mauvaise nouvelle ?
Facteur – Évidemment… Mais quand même…
Le locataire prend le recommandé de la main du facteur.
Locataire – Faites voir… Ah oui, la Française des Jeux, dites donc…
Facteur – Vous savez si il jouait au loto ?
Locataire – Je ne sais pas… Je le connaissais très peu… On se croisait de temps en temps… Il avait un chien…
Facteur – Et qu’est-ce qu’il est devenu ?
Locataire – Il est mort, je vous dis.
Facteur – Le chien aussi, il est mort ?
Locataire – Non, pas le chien, lui !
Facteur – Et le chien, qu’est-ce qu’il est devenu ?
Locataire – Le chien ? Je ne sais pas…
Facteur – C’est triste, un chien qui se retrouve tout seul dans la vie, comme ça… Je ne comprends pas tous ces gens qui prennent un animal et qui l’abandonnent. Prendre un animal, c’est une responsabilité. Les gens ne se rendent pas compte…
Locataire – Vous croyez qu’il a gagné le gros lot ?
Facteur – Si c’est le cas, il ne faudrait pas qu’il tarde à se manifester. Parce qu’il y a une date butoir. Si on ne vient pas chercher son chèque avant, on perd tout et la somme est remise en jeu…
Locataire – C’est vrai que ce serait dommage…
Facteur – Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Locataire – On ?
Facteur – Comme vous dites, ce serait dommage…
Locataire – Ok. Je vais signer.
Facteur – Ça m’évitera de repasser.
Le locataire signe le reçu que lui tend le facteur, ouvre fébrilement l’enveloppe et lit.
Facteur – Alors ?
Locataire – C’est un solde de tous comptes…
Facteur – Ce n’est pas un chèque ?
Locataire – Il travaillait à la Française des Jeux. C’est juste un avis de fin de contrat.
Facteur – Alors en plus, il a perdu son travail… C’est quand même malheureux. Parce que pour retrouver du travail en ce moment, ce n’est pas évident.
Locataire – Surtout quand on est mort.
Facteur – Et avec la crise, en plus. Les délocalisations, tout ça.
Locataire – Je sais ce que c’est, je suis au chômage moi aussi.
Facteur – Ah oui, ce n’est pas de veine… Et évidemment, ce n’est jamais les gens comme vous qui gagnent au loto, hein ? Ceux qui en auraient vraiment besoin.
Locataire – Non…
Facteur – J’ai lu un article hier dans le journal : Il gagne 60 millions au loto et il continue à vivre exactement comme avant… Je vais vous dire, moi : il y a des gens, ils ne méritent pas de gagner !
Locataire – C’est clair…
Facteur – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais il faut que je continue ma tournée.
Il s’apprête à partir. Le locataire brandit la lettre.
Locataire – Qu’est-ce que je fais de ça, moi ?
Facteur – Ça c’est vous qui voyez… Moi du moment que vous avez signé le reçu.
Le facteur s’apprête à s’en aller
Facteur – Mais si j’étais vous, je leur écrirais.
Locataire – À qui ?
Facteur – À la Française des Jeux ! Puisqu’un poste vient de se libérer…
Le facteur s’en va. Le locataire regarde à nouveau le recommandé, perplexe.
Noir.
5 – Diabolique
Un personnage (homme ou femme) entre en portant un carton visiblement très lourd. Un autre personnage arrive à son tour.
Un – Ça a l’air lourd… Vous déménagez ?
Deux – Ça se voit tant que ça ?
Il pose le carton sur un autre carton déjà là.
Un – Je vous donnerais bien un coup de main, mais avec mon dos…
Deux – Merci quand même…
Il s’assied sur les cartons pour souffler un moment. L’autre sort un paquet de cigarettes.
Un – Vous en voulez une ?
Deux – Merci, je suis déjà au bord de l’apoplexie…
L’autre range son paquet.
Un – Vous avez raison, moi aussi je ferais mieux d’arrêter… Je vais prendre un Cachou plutôt.
Il sort une boîte de Cachous
Un – Vous en voulez un ?
L’autre fait signe que non.
Deux – Merci, non. J’ai déjà très soif.
Un – J’ai tout essayé, même l’acupuncture, mais je n’arrive pas à décrocher complètement.
Deux – Hun, hun…
Un – C’est curieux, je ne vous ai jamais vu dans l’immeuble… et on fait connaissance justement le jour où vous déménagez…
Deux – Vous trouvez qu’on a fait connaissance ?
L’autre se contente de le regarder en souriant, tout en mâchonnant son Cachou.
Un – Et où est-ce que vous allez, comme ça, avec vos cartons ?
Deux – Je m’installe dans le 19ème.
Un – Le 19ème arrondissement ?
Deux – Euh, oui… Pas le 19ème siècle.
Un – Ça va vous changer.
Deux – Oui… Remarquez, le 19ème, ça ne doit pas être si différent que ça du 20ème.
Un – Mais nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir…
Deux – Je vous dirais bien que vous allez me manquer, mais comme on ne s’était jamais croisé jusqu’ici. Vous habitez cet immeuble depuis longtemps ?
Un – Ah, non, mais je n’habite pas ici.
Deux – Ah oui… Ça explique sûrement pourquoi on ne se croisait pas plus souvent…
Un – J’ai mon cabinet au troisième.
Deux – Je vois. Le dentiste.
Un – Euh, non… Moi c’est juste en face. L’exorciste.
Deux – L’exorciste…?
Un – Évidemment, ce n’est pas marqué sur la porte.
Deux – Bien sûr.
Un – Je consulte surtout le soir. Ou même la nuit, c’est plus discret.
Deux – C’est sûrement pour ça qu’on ne s’est jamais rencontré…
Un – Les gens qui viennent me voir n’ont pas toujours envie qu’on les reconnaisse…
Deux – Je ne suis pas sûr non plus que j’aimerais croiser vos patients dans l’escalier après la tombée de la nuit…
Un – Vous n’y croyez pas.
Deux – Ça se voit tant que ça ?
Un – Je ne vous en veux pas, mais vous avez tort.
Deux – Peut-être, oui… Et ça marche ?
Un – Regardez autour de vous… Et surtout au dessus… Je veux dire ceux qui nous gouvernent. Vous ne croyez pas que le marché est immense ?
Deux – Oui, remarquez, ce n’est pas faux. Dommage que vous ne pouviez pas me citer le nom de quelques-uns de vos clients.
Un – En tout cas, ceux qui ne sont pas encore venus me voir, vous n’aurez pas de mal à les reconnaître. Prenez qui vous savez. Celui dont le nom rappelle l’autre pays du fromage. Si le candidat avait pris soin de se faire désenvoûter à temps, nous aurions peut-être aujourd’hui un président normal.
Deux – Peut-être, oui… Mais vous, avec tout ça, vous n’avez pas réussi à arrêter de fumer ?
Un – Je n’ai pas encore trouvé la formule magique qui me libérerait des puissances maléfiques de la nicotine.
Deux – Marlboro, sors de ce corps !
Un temps.
Un – Et vous déménagez pourquoi, si je peux me permettre ?
Deux – Eh bien… Pour me rapprocher de mon travail, d’abord.
Un – En déménageant du 19ème au 20ème arrondissement ?
Deux – Et aussi… Comment dire ? Parce que je sentais comme une présence diabolique dans l’appartement que j’occupe au dernier étage de cet immeuble.
Un – Vraiment ? Vous auriez dû m’en parler avant…
Deux – Malheureusement, je ne vous connaissais pas encore.
Un – Et par présence diabolique, qu’est-ce que vous entendez, exactement ?
Deux – J’entends principalement… ma femme (ou mon mari).
Un – Je vois… J’ai beaucoup de cas comme le vôtre…
Deux – Bon, ce n’est pas tout ça, mais il va falloir que je m’y remette. Puisque vous ne voulez pas m’aider…
Un – Je pourrais toujours essayer de désenvoûter votre conjoint.
Deux – Vous pourriez faire ça ?
Un – C’est à quel étage ?
Deux – Huitième.
Un – Vous avez descendu ces cartons du huitième étage, sans ascenseur ?
Deux – Et j’en ai encore beaucoup plus à descendre…
Un – Ah, oui… Huitième sans ascenseur… C’est vraiment diabolique…
Deux – Oui…
Un – Désolé, mais je crois que là… Je ne peux rien pour vous…
Il passe son chemin, et l’autre reste là avec ses cartons, un peu déstabilisé. Il se décide à repartir quand un autre personnage (joué par celui qui vient de partir) portant un masque de carnaval (au choix) arrive. Il fait mine de chercher quelque chose, comme un nom sur une boîte aux lettres ou une plaque professionnelle.
Trois – Excusez-moi, l’exorciste, c’est à quel étage ?
Deux – Troisième. En face du dentiste.
Trois – Évidemment, il n’y a pas de plaque en bas.
Deux – Ni sur la porte.
Trois – Merci…
Il sort. L’autre reste là, assis sur son carton.
Deux – Je crois qu’il était temps que je déménage, moi…
Noir.
6 – Colis piégé
Un facteur (homme ou femme) arrive avec un paquet et croise un locataire (homme ou femme) qui arrive aussi.
Facteur – Ah justement, j’avais un paquet pour vous.
Locataire – Merci.
Le facteur lui donne le paquet.
Facteur – Une petite signature…
Locataire – Bien sûr…
Encombré, le locataire rend le paquet au facteur afin de signer le reçu qu’il lui tend.
Locataire – Excusez-moi, je vous rends ça une seconde.
Le locataire signe le reçu et sourit.
Locataire – J’espère que ce n’est pas un colis piégé…
Le facteur répond sur le même ton de la plaisanterie.
Facteur – Ah, ah, ah ! C’est vrai qu’on entend comme un tic tac, là dedans.
Locataire – Ah, ah, ah ! On voit tellement de choses, maintenant ! (Cessant de rire brusquement) C’est vrai ?
Le facteur, pris au mot, colle son oreille contre le paquet.
Facteur – Vous allez rire mais… Oui, on dirait…
Le locataire semble soudain inquiet. Il colle à son tour son oreille sur le paquet.
Locataire – Mais oui… Je l’entends aussi… Vous pensez que ça pourrait…
Le facteur change également de ton.
Facteur – Vous connaissez des gens qui auraient des raisons de vous en vouloir à ce point ?
Locataire – Je ne sais pas… À part ma belle-mère… Mais on a tous des ennemis, non ?
Facteur – Tout de même.
Le locataire hésite.
Locataire – Du coup, je ne suis pas sûr de vouloir le prendre…
Facteur – Alors qu’est-ce que j’en fais ?
Locataire – Vous n’avez qu’à le ramener à la Poste.
Facteur – C’est que je n’ai pas fini ma tournée, moi… Et si ça me pète à la gueule en cours de route ? Et puis maintenant, vous avez signé le reçu…
Il tend le paquet à l’autre qui refuse de le prendre.
Locataire – Et si on appelait la police ?
Facteur – La police ?
Locataire – Comme quand on trouve un paquet suspect dans un hall de gare ou dans un train.
Facteur – Vous voulez dire… une brigade de démineurs ?
Locataire – Eux, ils sauront quoi faire…
Facteur – Et si la bombe explosait avant qu’ils arrivent ?
Locataire – Je ne sais pas moi… On n’a qu’à jeter le paquet dans la rue…
Facteur – Et si des passants étaient blessés ? Des enfants, peut-être… C’est l’heure de la sortie de l’école… On ne peut pas faire ça !
Locataire – Vous avez raison… Il ne reste plus qu’à nous préparer à mourir dans la dignité, avec la seule consolation que notre sacrifice aura permis de sauver quelques vies innocentes…
Facteur – Notre sacrifice ? Qu’est-ce que vous proposez, au juste ?
Locataire – Il faut agir, et vite !
Il prend le paquet des mains du facteur, le jette contre le sol, et le piétine violemment.
Facteur – Non mais ça ne va pas ?
Locataire – Ça n’a pas explosé…
Facteur – Non…
Ils se penchent tous les deux pour examiner le paquet.
Facteur – Ah, oui… C’était bien une pendule… Mais je ne vois pas de bombe…
Locataire – Non, c’est bizarre…
Facteur – Mais j’y pense, c’est qui l’envoyeur ?
Locataire – L’envoyeur ?
Facteur – En principe, c’est marqué sur l’accusé de réception !
Locataire – Ah oui…
Le facteur regarde le reçu.
Facteur – Ça vient de Suisse… C’est curieux…
Locataire – Oui, c’est sûrement le pays au monde qui compte le moins de terroristes…
Facteur – Madame Mansard… Vous connaissez ?
Locataire – C’est ma belle-mère.
Le facteur fouille dans les décombres du paquet.
Facteur – Regardez… Il y a une lettre de revendication…
Il tend la feuille à l’autre qui la lit.
Locataire – Bon anniversaire mon chéri… C’est pour l’anniversaire de son fils (ou sa fille).
Facteur – Son fils (ou sa fille) ?
Locataire – Mon mari (ou ma femme) !
Facteur – Une pendule… C’est un drôle de cadeau, pour un anniversaire, non ?
Locataire – Mon beau-père est horloger.
Facteur – Et ça ne vous a pas mis la puce à l’oreille ? Je veux dire quand vous avez entendu le tic tac…
Ils contemplent tous les deux les restes défoncés du paquet.
Facteur – C’est votre mari (ou votre femme) qui va être content(e)… Ça va lui faire quel âge, au fait ?
Locataire – On dirait que ça sent quand même un peu la poudre, non ?
Facteur – Je dirais plutôt le chocolat…
Locataire – Ah, oui, regardez, il y avait aussi des chocolats avec. (Il prend la boîte défoncée, et la tend au facteur) Vous en voulez un ?
Facteur – Et si ils étaient empoisonnés ?
Ils échangent un regard perplexe.
Noir.
7 – Mauvaise adresse
Un personnage (homme ou femme) arrive, ouvre sa boîte à lettres et constate sans surprise mais avec une certaine tristesse qu’elle est vide. Un autre personnage (homme ou femme) arrive, ouvre également sa boîte et, après un mouvement de surprise, en sort un paquet de lettres.
Un – On dirait que vous avez du courrier, aujourd’hui…
Deux – Oui, je ne comprends pas… D’habitude, à part de la pub… Voyons voir…
Son visage s’assombrit.
Un – Pas de mauvaises nouvelles, j’espère…
Deux – Pas de nouvelles du tout… C’est le courrier de mes voisins de palier… Le facteur s’est encore trompé…
Un – Ah…
Deux – Je vais les remettre dans leur boîte aux lettres.
Un – Oui…
Deux – Alors vous non plus…
Un – Non, pas de courrier aujourd’hui…
L’autre s’apprête à remettre le courrier dans une autre boîte mais laisse tomber la pile par terre.
Deux – Zut !
Un – Attendez, je vais vous aider.
Les deux personnages se baissent pour ramasser les enveloppes et en profitent pour les examiner.
Deux – Tiens, je ne savais pas qu’il était abonné à Plongée Magazine…
Un – C’est vrai qu’on est assez loin de la mer…
Deux – Il doit faire de la plongée sous-marine en piscine.
Un – Ou dans sa baignoire…
Deux – Il y a aussi une lettre à entête des Pompiers de Paris.
Un – Il est peut-être pompier volontaire.
Deux – Ou alors, c’est pour l’inviter au bal…
Rires. Embarras.
Deux – C’est un peu indiscret, ce qu’on fait, non ?
Un – Oui, un peu… Quoi d’autre ?
Les deux personnages se mettent à examiner les enveloppes.
Un – Une carte postale.
Deux – Ça vient d’où ?
Un – Les Baléares. Ibiza.
Deux – Qu’est-ce que ça dit ?
Un – Quand même…
Deux – Ça ne compte pas, c’est une carte postale ! Même le facteur a pu la lire…
Un – Un petit coucou des Baléares où nous passons une semaine de vacances. Les paysages sont magnifiques et le beau temps au rendez-vous. À très bientôt. Bises. Maurice et Jacques.
Deux – C’est d’un banal…
Un – Les gens ne savent plus écrire.
Deux – Mais tout de même.
Un – Quoi ?
Deux – C’est signé Maurice et Jacques.
Une – Des camarades de plongée ?
Deux – Ou des amis pompiers…
Les deux personnages se replongent dans l’examen du courrier.
Deux – Tiens, une lettre dont l’adresse est écrite à l’encre rose…
Un – Ah oui…
Deux – Je me demande qui ça peut bien être…
Un – Il est marié, non ?
Deux – Séparé, je crois.
Un – Il n’y a pas l’adresse du destinataire, au dos ?
L’autre retourne la lettre.
Deux – Gérard…
Un – Pourquoi un Gérard lui écrirait-il à l’encre rose ?
Deux – Ça expliquerait que sa femme l’ait quitté.
Un – Comment savoir ?
Deux – J’ai ma petite idée…
Il ouvre l’enveloppe.
Un – Non ?
Deux – Désolé, je n’ai pas pu résister. Une pulsion, comme disent les serial killers.
Un – Bon ben maintenant, autant la lire.
Deux – Bonjour Alain. Excuse-moi de t’écrire avec un stylo rose, mais c’est tout ce que j’avais sous la main. D’autant que c’est pour t’annoncer une bien triste nouvelle. Tante Adèle est morte hier…
Un – Un faire-part de décès à l’encre rose… Comment on aurait pu se douter aussi.
Deux – C’est d’un décevant, ce courrier. Je me demande si cela vaut le coup de continuer.
Un – Vous avez raison. Ce type est d’un banal.
Deux – Complètement transparent.
Un – C’est bien simple, je le croiserais dans l’escalier, je ne suis même pas sûr que je le reconnaitrais.
Deux – On va remettre tout ça dans sa boîte.
Il remet le courrier dans la boîte de son destinataire, et regarde sa montre.
Deux – Ouh la… Déjà ! Je vais rater mon feuilleton, moi.
Un – Ah vous le regardez aussi ?
Deux – Heureusement qu’il y a la télé pour nous changer un peu les idées…
Ils sortent.
Noir.
8 – Invitation
Une femme passe en tirant une poubelle à roulettes de laquelle dépassent des pieds masculins et/ou féminins. Une autre femme arrive pour relever son courrier et salue la première.
Un – Bonjour !
Deux – Ah, bonjour ! Comment allez-vous ?
L’autre remarque les pieds qui dépassent de la poubelle.
Un – C’est les encombrants, aujourd’hui ? Je pensais que c’était la semaine prochaine ?
Deux – C’était une urgence…
Un – Le grand nettoyage de printemps, alors ?
Deux – Oui, on peut dire ça comme ça…
Elle remet les pieds dans la poubelle afin qu’ils ne dépassent plus.
Un – Moi aussi, il faudrait que je m’y mette quand j’aurai le temps. On accumule tellement de bazar au fil des années.
Deux – Vous pouvez me tenir la porte ?
Un – Mais bien sûr, ne bougez pas…
Elle s’avance en coulisse pour tenir une porte qu’on ne verra pas forcément.
Deux – C’est gentil !
Un – Il n’y a pas de quoi, je vous en prie. Bonne journée, alors !
Deux – Merci ! Vous aussi.
L’autre sort avec sa poubelle.
Une autre femme arrive pour relever son courrier.
Un – Ah, bonjour ! Très heureuse de vous rencontrer. Je suis votre voisine de palier. Je vous ai aperçue de loin, pendant que vous emménagiez…
Trois – Vous avez raison, mieux vaut rester à distance, dans ces cas-là. Je plaisante…
Un – Je suis ravie que… Et bien je voulais juste vous dire… Bienvenue dans l’immeuble !
Trois – Merci, c’est très aimable à vous.
Un – Entre voisins…
Trois – Oui…
Un – Vous verrez, les gens de l’immeuble sont très sympas. Et surtout, si vous avez besoin de quelque chose…
Trois – Merci.
Un – Il va falloir que j’y aille… Je vais chercher ma fille à son cours de violon. Vous avez des enfants ?
Trois – Oui… Enfin, non. Je veux dire… Maintenant, j’en suis débarrassée, heureusement.
Un – Débarrassée…?
Trois – Oui… Je les ai mis dans le congélo, pour être tranquille.
Un – Ah, oui…
Trois – Je plaisante.
Une – Bien sûr.
Trois – Ils sont grands, maintenant. Ils n’habitent plus à la maison.
Un – C’est vrai que ça fait un vide, quand ils sont partis. Sur la fin, on n’a qu’une hâte, c’est qu’ils débarrassent le plancher. Et puis finalement… Ça fait un vide.
Trois – Mais votre fille habite toujours avec vous, non ? Je veux dire, si vous allez la chercher à son cours de violon…
Un – Oui… Mais j’imagine. Ça a dû vous faire un vide, non ?
Trois – Quand mon dernier est parti, j’ai d’abord hésité à prendre un chien à la SPA, et puis finalement, c’est ma belle-mère qui est venue s’installer à la maison.
Un – C’est vrai qu’un chien, il faut le sortir trois fois par jour pour qu’il fasse ses besoins. C’est quand même contraignant.
Trois – Vous avez raison. Une belle-mère, c’est beaucoup plus pratique.
Un – Oui…
Trois – Il y a les couches…
Un – Oui…
Trois – Je plaisante…
Un – Bien sûr… Bon, et bien je vais vous laisser… Sinon ma fille va m’attendre…
Trois – Excusez-moi de ne pas avoir été plus bavarde. Mais je suis un peu débordée en ce moment. Avec ce déménagement…
Un – Je comprends.
Trois – De toutes façons, on aura sûrement l’occasion de se revoir, puisque nous sommes voisins de palier.
Un – Mais j’y pense… Pourquoi ne viendriez-vous pas prendre l’apéritif ce soir ?
Trois – Euh… Oui, pourquoi pas ?
Un – Vers 19H30 ?
Trois – Très bien. (Elle regarde sa montre) Maintenant, c’est moi qui dois vous laisser. Sinon, c’est mon premier patient va m’attendre. Alors à ce soir !
Un – Parfait !
L’autre s’en va. Un autre personnage arrive.
Un – Tu sais quoi ? Je viens de croiser notre nouvelle voisine de palier. Je l’ai invitée à venir prendre l’apéritif ce soir.
Quatre – Tu l’as invitée ?
Un – Ben oui, pourquoi ?
Quatre – J’ai croisé son mari ce matin, moi aussi, et tu sais quoi ?
Un – Quoi ?
Quatre – Il est inspecteur des impôts.
Un – Inspecteur des… Tu veux dire contrôle fiscal, et tout ça…
Quatre – Oui.
Un – En même temps, on n’a rien à se reprocher, non ?
Quatre – Tu parles… Et les étagères de mon bureau que j’ai fait installer au noir par le type du cinquième ?
Un – Ils ne viennent pas pour inspecter la maison…
Quatre – C’est une deuxième nature, chez ces gens-là !
Un – Tu crois ?
Quatre – Et puis même. Tu imagines, il faudra faire attention à tout ce qu’on dit.
Un – Qu’est-ce qu’on pourrait dire ? À part au sujet de tes étagères ?
Quatre – Imagine qu’on se fâche avec eux.
Un – Pourquoi est-ce qu’on se fâcherait avec eux, on ne les connaît pas ?
Quatre – Justement ! On ne sait pas ce qui peut les heurter. On ne connaît pas leurs opinions religieuses ou politiques ?
Un – C’est un peu le principe quand on invite des gens pour faire connaissance.
Quatre – Oui, mais lui, si on dit quelque chose qui ne lui plaît pas, il a les moyens de nous coller un contrôle fiscal. Et crois-moi, ces gens-là, quand ils cherchent ils trouvent…
Un – Oh mon Dieu, tu as raison… Pourquoi est-ce que je l’ai invitée ? On pourrait peut-être décommander ?
Quatre – Ils vont trouver ça suspect ! Ce serait encore pire. Ou alors ils vont penser qu’on ne les aime pas…
Un – Tu as raison… Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Quatre – Dans quelle merde tu nous as fourrés, encore…
Un – Et elle, je ne sais même pas ce qu’elle fait. J’ai complètement oublié de lui demander… En tout cas, elle a l’air un peu perturbée…
Quatre – Elle est psychanalyste…
Un – Non ? Mais comment tu sais ça ? C’est son mari qui te l’a dit ?
Quatre – Je l’ai vue visser sa plaque devant l’immeuble ce matin.
Un – Psychanalyste ? Alors c’est pour ça qu’elle m’a posé des tas de questions…
Quatre – Quelle genre de questions ?
Un – Ben… Sur les cours de violon, par exemple.
Quatre – Les cours de violon ?
Un – Tu crois que ça a une signification particulière pour un psychanalyste, les cours de violon ?
Quatre – En tout, ça en a pour un inspecteur des impôts. Surtout si tu les paies au black…
Un – Mais c’est épouvantable…
Quatre – Non mais tu imagines le calvaire, cet apéritif ? Entre un inspecteur des impôts et une psychanalyste !
Un – Tu as raison, il va falloir faire attention à tout ce qu’on dit…
Quatre – On essaiera d’en dire le moins possible.
Un – Oui…
Quatre – Mais ça ne va pas être évident.
Un – Non, c’est sûr… Quand on invite des gens à prendre l’apéritif pour faire connaissance…
Moment de flottement.
Quatre – C’est aujourd’hui, les encombrants ?
Un – La semaine prochaine… Au fait, j’ai croisé aussi la voisine du cinquième qui descendait sa poubelle, et tu sais quoi ?
Quatre – Ne me dis pas que tu l’as invitée à prendre l’apéritif, elle aussi ?
Un – Non, mais j’ai cru voir des restes humains qui dépassaient de la poubelle.
Quatre – Non mais tu ne crois pas qu’on a plus urgent à traiter, comme problème, non ?
Un – Tu as raison… Et si on mettait un truc dans leur apéro ? Genre somnifères, tu vois. Histoire d’abréger la soirée…
Quatre – Tu crois ?
Ils sortent.
Noir.
9 – Lettre d’amour
Le facteur arrive et cherche un nom sur une boîte aux lettres qu’il ne trouve pas. Une locataire arrive.
Facteur – Excusez-moi, Mademoiselle Lelièvre, vous connaissez ?
Locataire – Lelièvre ? Non… Enfin, si… C’était mon nom de jeune fille. Mais plus personne ne m’appelle comme ça… Et je suis mariée depuis vingt ans…
Facteur – Pourtant, c’est la bonne adresse…
Locataire – Faites voir…
Le facteur lui tend l’enveloppe.
Locataire – C’est curieux, on dirait un timbre de collection… Mais regardez, le cachet de la Poste indique le 21 mars 1985… Il y a près de trente ans !
Le facteur regarde l’enveloppe.
Facteur – Ah oui, dites donc… C’est incroyable.
Locataire – Qu’est-ce que ça pouvait bien être ?
Facteur – Vous n’avez qu’à l’ouvrir, puisque c’est pour vous.
Locataire – Vous croyez ?
Facteur – Mademoiselle Lelièvre, c’est bien vous ?
Locataire – Oui… Enfin c’était…
Elle ouvre l’enveloppe et la parcourt du regard.
Facteur – Alors ?
Locataire – C’est une lettre de mon petit ami de l’époque… Mon premier amour.
Facteur – Qu’est-ce qu’il dit ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr…
Locataire – Il s’excuse de ne pas avoir pu venir à notre dernier rendez-vous, mais il s’est cassé la jambe. Il est bloqué à l’hôpital…
Facteur – Ce sont des choses qui arrivent, je sais de quoi je parle. Et ben ça, Mademoiselle Lelièvre !
Locataire – Et moi qui croyais qu’il m’avait posé un lapin…
Facteur – C’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas encore internet. Il n’y avait même pas de téléphone portable. Et qu’est-ce qu’il dit d’autre ?
Locataire – Il dit qu’il m’aime… Vous vous rendez compte ? Si j’avais su…
Facteur – C’est incroyable ! Cette lettre a mis 30 ans à vous parvenir…
Locataire – Oui… Et je ne vous félicite pas !
Facteur – Pardon ?
Locataire – Si cette lettre m’était parvenue à temps, ma vie aurait pu être très différente !
Facteur – Oui, bien sûr, mais…
Locataire – J’aimais beaucoup ce garçon… Je suis sûr qu’il a dû devenir quelqu’un dans la vie…
Facteur – Peut-être, mais…
Locataire – Vous savez que je pourrais porter plainte contre vous ?
Facteur – Contre moi ?
Locataire – Contre la Poste !
Facteur – C’est le destin, non ?
Locataire – En tout cas, je serais curieuse de savoir ce qu’il est devenu…
Facteur – Comment s’appelait-il ?
Locataire – C’est marqué au dos de l’enveloppe, non ?
Le facteur regarde.
Facteur – Non ? Ce n’est pas vrai !
Locataire – Quoi ?
Facteur – Mais c’est moi qui vous ai envoyé cette lettre ! Je ne m’en souvenais plus du tout !
Locataire – Vous ? Vous êtes certain ?
Facteur – Absolument ! C’est mon nom, et c’est l’adresse de mes parents. Là où j’habitais à l’époque…
Locataire – Je ne vous aurai pas du tout reconnu, dites donc…
Facteur – Ça fait quand même trente ans… Je n’ai pas oublié ton prénom, bien sûr, mais ton nom de famille…
Locataire – Alors comme ça, vous êtes devenu facteur.
Facteur – Oui… J’étais tellement déprimé que tu n’aies pas répondu à ma lettre… En y repensant, je crois que c’est pour ça que je suis devenu facteur. Pour avoir le bonheur d’apporter aux autres les réponses que je n’ai jamais reçues.
Locataire – Et votre jambe, ça va mieux ?
Facteur – On peut se tutoyer, non ?
Locataire – C’est à dire que… Là, je suis un peu pressée. Mon mari m’attend dehors avec la voiture.
Facteur – Bien sûr…
Il la regarde partir presque en courant.
Facteur – Mademoiselle Lelièvre…
Noir.
10 – Squatteur
Un type arrive, hésite un instant, et s’assied par terre devant les boîtes aux lettres. Il commence à somnoler. Une locataire arrive à son tour et l’aperçoit.
Locataire – Allez, réveillez-vous mon brave ? Je comprends que vous soyez fatigué, mais il ne faut pas rester, ici, hein ?
L’autre se réveille.
Homme – Et pourquoi ça ?
Locataire – Mais… parce que c’est un hall d’immeuble, pas un hôtel social. Vous ne savez vraiment pas où aller, c’est ça ?
Homme – Non… En ce moment, je suis sans domicile fixe.
Locataire – Et bien raison de plus, mon ami ! Si vous êtes sans domicile fixe, pourquoi diable vouloir vous fixer ici ?
Homme – Vous avez raison…
Le type se relève.
Locataire – Merci pour votre compréhension, mon ami. Mais vous savez quoi ? Au fond, je vous envie.
Homme – Vraiment ?
Locataire – Parfois, moi aussi, j’aimerais être sans domicile fixe. Ne pas avoir à rentrer tous les soirs chez moi. Retrouver la même personne qui m’attend à la maison.
Homme – Dans ce cas, vous pourriez peut-être m’accueillir chez vous pour une nuit ? Ça vous ferait un peu de distraction…
Locataire – Chez moi ?
Homme – Il fait tellement froid dehors.
Locataire – Oui, je sais, j’ai dû mettre mon Damart ce matin… Et malgré ça, je me suis gelée au bureau toute la journée.
Homme – Si je passe la nuit dehors, je ne suis pas sûr de me réveiller demain matin.
Locataire – Vous êtes sûr que vous ne dramatisez pas un peu là ?
Homme – Vous voudriez vraiment avoir ma mort sur la conscience ?
L’autre hésite, puis sort un billet de sa poche.
Locataire – Allez, c’est votre jour de chance. Prenez ça et allez dormir à l’hôtel.
Homme – Dix euros ? Comment voulez-vous que je trouve une chambre d’hôtel à ce prix-là ?
Locataire – Bon, en voilà trente, et vous fichez le camp, d’accord ? Je suis sûr que vous trouverez un Formule 1 ou quelque chose dans le genre. Vous ne voudriez pas dormir dans un palace, non plus ?
Homme – Ça ira. Merci Monseigneur.
Locataire – Et puis si vous ne trouvez pas d’hôtel qui veuille bien vous accueillir, vous pourrez au moins vous acheter quelques litrons pour vous réchauffer.
Locataire – Vous me sauvez la vie. Dieu vous le rendra…
Une femme arrive.
Femme – Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
Homme – Je n’avais pas le code, et j’ai perdu ton numéro de portable. Comme je savais que tu n’allais pas tarder à arriver. Mais Madame venait de me proposer très gentiment d’attendre chez elle.
Femme – Merci, c’est très aimable à vous.
La femme accuse le coup mais n’en laisse rien paraître.
Locataire – Mais de rien. Entre voisins, c’est bien naturel…
Femme – C’est vrai qu’avec ce froid… Je vous présente mon frère. Il passe quelques jours chez moi avant de repartir à Bucarest pour un tournage. Il est comédien…
Locataire – Ravi d’avoir fait votre connaissance, alors.
Homme – Les saltimbanques ont toujours eu mauvaise réputation. Au Moyen-Age on les tenait pour des voleurs de poules et on refusait même de les enterrer dans les cimetières avec les bons chrétiens.
Femme – Heureusement, on n’est plus au Moyen-Âge… Je ne devrais pas dire ça devant lui, mais c’est un excellent acteur. Vous verrez, il fera une grande carrière…
Locataire – Je n’en doute pas…
Homme – N’embête pas Madame avec ça, voyons, elle a sûrement hâte de rentrer chez elle pour retrouver son mari.
Locataire – Bien alors je vous laisse.
Homme – Merci encore.
Locataire – Mais de rien.
Homme – Vraiment sympa, non ?
Femme – Oui, il y a une bonne ambiance, dans cet immeuble, on dirait.
Ils sortent.
Noir.
11 – Don contre don
Le premier (ou la première) arrive, l’air affligé, et s’assied quelque part. Le (ou la) deuxième arrive à son tour et, voyant que l’autre n’a pas l’air d’aller bien, l’aborde avec sollicitude.
Un – Ça va ?
Deux – Je viens d’enterrer mon père.
Un – Enterrer ?
Deux – Oui, enfin… je n’ai pas fait ça moi-même. J’ai fait appel à des spécialistes. Il paraît qu’on ne peut pas faire autrement. Ce n’est pas donné, d’ailleurs.
Un – Ah oui…
Deux – Bref, je reviens de l’enterrement.
Un – Je suis vraiment désolé. Je vous présente mes plus sincères condoléances…
Deux – Vous pouvez garder vos condoléances. Je détestais mon père.
Un – On a toujours de bonnes raisons de détester son père.
Deux – Vous savez ce que je trouve vraiment insupportable lors des enterrements ?
Un – Non…
Deux – Tous ces gens qui ne font même pas partie de la famille, qu’on n’a souvent jamais vu de sa vie avant la cérémonie, et qui devant le cercueil se mettent à sangloter plus bruyamment que les propres enfants du défunt. Comme pour les faire culpabiliser de ne pas avoir eux-mêmes le chagrin plus démonstratif. C’est parfaitement déplacé, vous ne trouvez pas ?
Un – Vous avez raison… Il devrait y avoir un ordre de préséance. Un seuil de décibels autorisés en fonction de la proximité de chacun avec la personne qu’on enterre.
Deux – Si les héritiers en ligne directe ne jugent pas nécessaire de pleurer devant le cercueil de leur très cher disparu, les autres aussi devraient s’en abstenir, non ?
Un – Pourtant, on dirait que le décès de votre père ne vous laisse pas complètement indifférent…
Deux – En effet… Sa disparition est pour moi un coup dur.
Un – Malgré vos différends, vous n’aviez donc pas rompu toute relation avec lui…
Deux – Non… La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans le bureau du juge…
Un – Du juge ?
Deux – J’étais sur le point de gagner le procès que j’avais engagé contre mon père… Maintenant qu’il est mort, évidemment, ça va être beaucoup plus difficile…
Un – Ah oui…
Deux – J’ai peur que l’affaire soit classée sans suite.
Un – C’est à craindre. Mais… pourquoi ce procès, si je peux me permettre ?
Deux – Ce serait un peu long à vous expliquer, mais en gros… je reproche à mon père, après m’avoir fait naître, de me laisser complètement démuni devant la misère du monde…
Un – Et pourquoi ne pas faire le même reproche à votre mère aussi ?
Deux – Je suis né de mère inconnue.
Un – De mère inconnue ? Tiens donc… Je ne savais même pas que c’était matériellement possible. De mon temps… Mais c’est vrai qu’à présent, avec les nouvelles technologies…
Deux – Je suis né en terre inconnue, d’une mère porteuse sans papier, payée en liquide, et qui a préféré garder l’anonymat.
Un – Donc vous reprochiez à votre père de vous avoir privé de l’affection d’une mère…
Deux – Ah non, pas du tout !
Un – Mais alors pourquoi lui faire un procès pour vous avoir mis au monde ? Vous n’avez pas l’air d’avoir de malformations particulières…
Deux – Mon Dieu non.
Un – Je dirais même que vous êtes plutôt bien fait de votre personne…
Deux – Merci.
Un – Alors pourquoi ?
Deux – Non mais vous avez vu le monde dans lequel on vit ?
Un – Oui, ce n’est pas faux… Avec toutes ces guerres un peu partout sur la planète. Le terrorisme. La famine. Le réchauffement climatique…
Deux – Sans parler de l’ISF et du cancer de la prostate.
Un – Vous en voulez à votre père de vous avoir fait naître dans cette vallée de larmes qu’est notre monde moderne…
Deux – En fait, c’est un peu plus compliqué que ça…
Un – Vous commencez à m’intriguer.
Deux – Avant de mourir, mon père a légué une grosse partie de sa fortune à une fondation qui lutte contre la faim dans le monde
Un – Ah oui, c’est… C’est bien ça.
Deux – Oui, mais ma part d’héritage, elle, en est diminuée d’autant.
Un – Bien sûr… Mais… c’est tout de même très généreux de sa part.
Deux – Mais pas du tout ! Il a fait ça exprès pour m’emmerder !
Un – Comment ça, pour vous emmerder ? La faim dans le monde, tout le monde est contre, non ? Ne me dites pas que vous êtes pour…
Deux – Je vous dis qu’il a fait ça dans le seul but de me déshériter.
Un – Oui, je comprends bien mais… Tout de même… Cela profitera à des gens qui ont vraiment besoin de cet argent.
Deux – Voilà ! C’est bien pour ça que je lui fais un procès.
Un – Pardon ?
Deux – S’il avait laissé sa fortune à son plombier ou à son contrôleur fiscal, son intention de me nuire n’aurait fait aucun doute. Mais là, c’est particulièrement vicieux, non ?
Un – Vicieux ?
Deux – En me déshéritant au profit de la lutte contre la faim dans le monde, il se donne le beau rôle, vous comprenez ! Et moi, si je m’y oppose, je passe pour un égoïste. Un fils à papa qui voudrait continuer à bouffer du caviar avec l’héritage de son père, plutôt que d’y renoncer joyeusement pour que les déshérités aient un peu de riz dans leur assiette.
Un – Quand ils ont une assiette…
Deux – Ah mais non, je ne vais pas me laisser faire !
Un – Bien sûr… Enfin, je veux dire… Je comprends… Mais ça risque de ne pas être facile.
Deux – À qui le dites-vous…
Un – Comme vous disiez, devant les juges, vous aurez le mauvais rôle…
Deux – Et voilà… Mais je reste confiant… J’ai un bon avocat…
Un – Et que ferez-vous si vous obtenez malgré tout gain de cause ?
Deux – Que voulez-vous que je fasse ? Je reverserai aussitôt cet argent à cette même fondation.
Un – Pardon ?
Deux – Je n’ai pas le choix ! Si je garde tout ce fric pour moi, je passerai pour un salaud. C’est ce que vous penseriez, vous, non ?
Un – C’est à dire que… Oui, évidemment…
Deux – Et voilà ! Quand je vous disais que mon père était un grand pervers, vous comprenez, maintenant…
Un – Euh… Oui… J’essaie… Mais… vous êtes sûr que ce n’est pas un peu compliqué, tout ça ?
Deux – Et pourquoi ça ?
Un – Si cet argent doit finalement aller à cette fondation…
Deux – Ah oui, mais ce n’est pas du tout pareil ! Là c’est moi qui donnerait.
Un – Qui donnerait… l’argent de votre père.
Deux – Si j’en hérite avant, ce sera mon argent ! Et j’aurais démontré que ce n’est pas par générosité qu’il a fait tout ça, mais simplement pour m’emmerder. Et le bienfaiteur de l’humanité, ce sera moi !
Un – Bien sûr… Enfin… Si cela peut vous faire du bien à vous aussi…
Deux – Oui… Mais il y a quand même une chose qui me chagrine.
Un – La mort de votre père…
Deux – Non, le fait que même si je gagne ce procès, il n’en saura jamais rien…
Un – C’est toujours beaucoup plus difficile de se venger des gens qui sont déjà morts.
Deux – Oui… Et c’est beaucoup moins gratifiant…
Noir.
12 – Avis de passage
Le facteur (homme ou femme) glisse des livres dans chaque boîte aux lettres. Un locataire (homme ou femme) arrive.
Locataire – Vous ne savez pas lire ?
Facteur – Si justement ! Et vous ?
Locataire – Stop Pub, c’est marqué là sur ma boîte !
Facteur – Ah mais ce n’est pas de la pub ! Je suis votre nouveau facteur.
Locataire – Ah oui ? (Désignant ce que le facteur a dans la main) Et ça qu’est-ce que c’est ? Du courrier, peut-être ?
Facteur – C’est une opération que nous venons de mettre en place à La Poste. Vous savez maintenant, avec le développement d’internet, on est obligé de diversifier nos missions…
Locataire – Et alors ?
Facteur – Pour ceux qui ne reçoivent plus de courriers, nous avons décidé de distribuer des lettres libres de droit.
Locataire – Libres de droit ?
L’autre montre ce qu’il a dans sa sacoche.
Facteur – Les Lettres de Mon Moulin, Les Lettres Persanes, Les Lettres de Madame de Sévigné…
Locataire – Pourquoi faire ?
Facteur – Mais pour réenchanter le monde ! Et réenchanter La Poste ! Le courrier traditionnel a disparu, très bien. Cela économise du papier. Et donc ça évite de couper des arbres. Mais les gens ne lisent plus ! Et ça, c’est terrible, n’est-ce pas ?
Locataire – Oui, bien sûr.
Facteur – La littérature, c’est la mémoire du monde ! Vouloir sauver les forêts, c’est parfait. Mais il faut aussi préserver ce qui fait notre vraie richesse ! Notre patrimoine culturel : les livres ! Vous savez combien de lettres il y a dans notre alphabet ?
Locataire – À peu près 26, non ?
Facteur – Vous vous rendez compte ?
Locataire – Quoi ?
Facteur – Avec 26 lettres seulement, en les combinant, l’homme peut tout exprimer.
Locataire – Oui…
Facteur – Et encore, quand je dis 26… Vous savez quelle est la langue au monde qui comprend le moins de lettres ?
Locataire – Ma foi non…
Facteur – Le Rotokas. Une langue parlée dans les îles Salomon. Son alphabet ne compte que 12 caractères.
Locataire – Vraiment ?
Facteur – Une douzaine de lettres pour exprimer toutes les pensées des hommes.
Locataire – Oui, c’est… Vous avez du courrier pour moi ?
Facteur – Une dizaine de chiffres pour comprendre la mécanique de l’univers.
Locataire – Je peux avoir mon courrier ?
Facteur – Et sept notes pour composer toute la musique du monde.
Locataire – Donc pas de courrier…
Facteur – Et qu’est-ce qui restera de tout ça, dans quelques milliards d’années ? Quand le soleil dans son grand bouquet final nous aura tous réduit en cendres ?
Locataire – Je ne sais pas…
Facteur – Quelques hiéroglyphes gravés sur les pierres qui n’auront pas encore fondu. Quelques propos lapidaires comme aux premiers temps de l’écriture. En vérité, je vous le dis : les premiers balbutiements de l’humanité seront aussi ses derniers soupirs.
Locataire – Oui…
Facteur – Quand La Poste aura disparu, les épitaphes de nos ancêtres nous survivront un instant. Comme un avis de passage. Mais souvenez-vous d’une chose. (Avec emphase) Seul le souvenir de la musique des sphères nous survivra pour toujours.
Le facteur lui tend un CD.
Facteur – Tenez… Voici La Lettre à Élise…
L’autre prend le CD.
Locataire – Merci.
Le facteur s’éloigne et l’autre le regarde partir, interloqué.
Locataire – Je n’ai rien compris…
On entend la Lettre à Élise.
Noir.
Fin.
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Paris – Janvier 2014
© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-53-6