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Le bon numéro

Un (ou une) SDF est là, faisant la manche. Un homme et une femme arrivent. Ils évitent soigneusement le SDF.

Elle – Il y a beaucoup plus de marginaux qu’avant dans ce quartier, non ?

Lui – C’est vrai, quand on habitait là, il n’y avait pas autant de gens dans la rue.

Ils s’arrêtent et regardent la façade d’un immeuble côté salle.

Lui – Tu te souviens ?

Elle – Oui.

Lui – C’était au sixième, non ?

Elle – Au septième.

Lui – Ah oui, c’est vrai.

Elle – Ça paraît tellement loin…

Lui – On n’avait presque pas de meubles.

Elle – On n’avait pas de lave-vaisselle.

Lui – On n’avait même pas le haut débit.

Elle – La vie de bohème…

Lui – On n’avait pas grand chose, mais on était heureux.

Elle – Est-ce qu’on est vraiment plus heureux maintenant ?

Lui – L’argent ne fait pas le bonheur, c’est bien connu.

Elle – On se contentait de ce qu’on avait, et on n’était pas plus malheureux pour autant.

Lui – On était jeune. On s’aimait.

Elle – On est toujours jeunes, non ? Et on s’aime encore ?

Lui – C’est vrai, ça fait à peine six mois.

Elle – Six mois ! J’ai l’impression que ça fait dix ans.

Lui – Moi aussi. J’ai déjà presque oublié notre vie d’avant. Tu es sûr que c’est le bon numéro, au moins ?

Elle – Ah oui, quand même. Le numéro 13. Ne me dis pas que tu as oublié ça aussi. Le numéro complémentaire !

Ils regardent un instant la façade en silence avec un sourire béat sur les lèvres.

Lui – 60 millions, tu te rends compte ?

Elle – Ça change la vie, c’est sûr.

Lui – Déjà, on n’est plus obligé d’habiter au septième étage d’un immeuble.

Elle – Remarque, il me plaisait bien cet appartement. Il y avait quand même une très belle vue sur les quais de la Seine.

Lui – Oui. Mais ce n’était pas très grand.

Elle – Trois cents mètres carrés, pour nous deux, c’était déjà pas mal.

Lui – Tout de même. Au septième étage.

Elle – Avec un ascenseur…

Lui – Tu te souviens quand il est tombé en panne. Pendant une semaine, la bonne a dû se taper les sept étages avec nos packs d’eau minérale.

Elle – La pauvre…

Lui – Elle en tout cas, c’est sûr qu’elle est beaucoup plus heureuse maintenant qu’on habite une villa de plain pied à Neuilly.

Elle – Les quais, c’est central, mais c’est quand même très bruyant.

Lui – C’est pour ça qu’on avait pris ce duplex au dernier étage.

Elle – Ah oui, c’est vrai… C’était un duplex…

Lui – C’est pour ça que je ne savais plus si c’était le sixième ou le septième.

Elle – Tu as raison. En fait on avait les deux étages.

Nouveau silence ému.

Lui – Allez viens, on rentre. On ne va pas sombrer dans la nostalgie.

Elle – Et puis le chauffeur nous attend.

Lui – Il est payé pour ça, non ?

Elle – Mais alors ça nous fait combien de millions, maintenant ?

Lui – On en avait déjà 10 qui venaient de ma famille.

Elle – Plus 20 qui venaient de la mienne.

Lui – Avec les 60 millions du loto…

Elle – Ça doit faire dans les 80 alors.

Lui – Si je peux me permettre, je dirai plutôt 90…

Elle – Moi et les chiffres, tu sais bien… Je n’ai jamais su compter.

Lui – Tu n’es pas une femme d’argent. C’est pour ça que je t’ai épousée.

Ils s’en vont en évitant soigneusement le SDF.

Elle – On pourrait peut-être lui donner quelque chose…

Lui – Je n’ai que des gros billets…

Noir.

Brèves de Trottoirs

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L’homme de la rue

Un personnage est là, semblant attendre quelque chose. Un autre arrive.

Deux – Excusez-moi, vous êtes bien l’homme de la rue ?

L’autre le regarde évidemment surpris.

Un – En tout cas, je ne suis pas l’homme de la plaine…

Deux – Je suis stagiaire chez Ipsos, et on m’a demandé d’interviewer l’homme de la rue. Vous auriez quelques minutes à m’accorder ?

Un – J’attends le bus…

Deux – Ça tombe bien, c’est une enquête omnibus.

Un – Omnibus ?

Deux – Oui… Ça veut dire que c’est une enquête qui regroupe des questions n’ayant rien à voir entre elles. Pour les commanditaires, c’est moins cher, vous comprenez ?

Un – Non…

Deux – Chacun achète un ticket, si vous préférez, et il a le droit ont le droit de poser une question dans cet omnibus. C’est moins cher que d’affréter un bus pour lui tout seul…

Un – Je ne comprends rien à ce que vous me racontez… C’est une enquête pour la RATP ?

Deux – Bon, alors voici la première question… C’est un fait historiquement avéré que Jésus-Christ n’allait jamais à la messe. D’accord, plutôt d’accord…?

Un – Vous êtes sûr qu’ils ne sont pas en train de vous bizuter, à la SOFRES ?

Deux – Plutôt pas d’accord, pas du tout d’accord…?

Un – C’est pour la caméra cachée, c’est ça ?

Deux – Je vais mettre plutôt pas d’accord…

Un – Mais c’est complètement débile, comme question.

Deux – Pourtant, celui qui nous l’a commandée est très haut placé, croyez-moi.

Un – C’est qui ?

Deux – Désolé, je suis lié par le secret professionnel… Alors, voici la deuxième question : Êtes-vous d’accord avec le programme du Front National, si l’on exclut de ce programme la préférence nationale et la sortie de l’euro ?

Un – Vous vous foutez de moi ?

Deux – Mais pas du tout !

Un – Comment voulez-vous que je réponde à des questions pareilles ?

Deux – Celle-ci, c’est par oui ou par non…

L’autre lui lance un regard exaspéré.

Deux – Je vais mettre ne sait pas…

Un – J’imagine qu’il y a une troisième et dernière question…

Deux – En fait, il y en a un peu plus que ça, mais…

Un – Vous n’aurez qu’à dire que l’omnibus est tombé en panne…

Deux – Alors… Pourquoi y a-t-il quelque plutôt que rien ? C’est une question ouverte… Je peux bien vous le dire, celle-ci nous a été commandée par un particulier sur ses propres deniers.

Un – Un professeur de philosophie, peut-être.

Deux – En fait il s’agit de la femme d’un monsieur qui tient une boucherie chevaline à Beaucon le Château, dans les Bouches du Rhône.

Un – Remarquez, quand on est marié avec un type qui tient une boucherie chevaline à Beaucon le Château, je comprends qu’on se pose des questions existentielles…

Deux – Et quelle est votre réponse ?

Un – Combien vous avez de cases ?

Deux – Comme pour un SMS : 160 caractères.

Un – Si seulement les philosophes s’en étaient tenus à ça pour répondre à ce genre de questions, la philosophie serait beaucoup plus populaire dans les classes de terminale aujourd’hui…

Deux – Alors ?

Un – Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Je ne sais pas moi… Parce que s’il n’y avait rien, il n’y aurait pas de chevaux non plus, donc pas d’équarrisseurs, pas de boucheries chevalines et personne derrière la caisse pour se poser cette question à la con.

Deux – Ça alors…

Un – Quoi ?

Deux – Ça fait exactement 160 caractères…

Un – Bon, il faut que je vous laisse. Voilà mon bus qui arrive…

Deux – Je peux vous demander votre nom et un numéro de téléphone ? Des fois ils contrôlent, pour vérifier qu’on n’a pas bidonné les réponses…

L’autre lui tend sa carte.

Un – Voilà ma carte…

Il s’en va. L’autre reste là et jette un regard sur la carte.

Deux (lisant) – Monsieur Delarue… (Relevant les yeux) C’est quelle rue, ici ?

Noir.

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Le juste prix

Une femme fait le trottoir. Un homme approche timidement.

Un – Excusez-moi… Vous…

Deux – Oui, oui…

Un – Et… C’est combien ?

Deux – Je… Je ne sais pas…

Un – Vous ne savez pas ?

Deux – C’est à dire que… Pour tout vous dire, c’est la première fois…

Un – La première fois ?

Deux – Non, bien sûr, ce n’est pas la première fois que… Je veux dire c’est la première fois que je… Enfin, je débute dans le métier, voilà… Alors évidemment je ne connais pas bien les tarifs…

Un – Je vois…

Deux – Vous me donneriez combien vous ?

Un – Je ne sais pas… Dans les vingt-sept…

Deux – Vingt-sept euros ?

Un – Euh… Non… Vingt-sept ans…

Deux – Ah d’accord !

Un – D’ailleurs, moi non plus, je ne connais pas du tout les prix…

Deux – Je me disais aussi… Vingt-sept euros, c’est quand même assez précis… Pour quelqu’un qui ne connaît pas les prix… Non, je voulais dire… Vous me donneriez combien pour…

Un – Pardon, on s’est mal compris… Je n’ai pas l’habitude non plus… Pour moi aussi c’est la première fois…

Deux – La première fois ?

Un – Non mais pas la première fois… Je veux dire la première fois que…

Deux – Bien sûr… Il faut bien une première fois, après tout…

Un – Alors du coup… Je ne connais pas du tout les tarifs en vigueur… C’est d’ailleurs pour ça que je vous demandais les tarifs… de vos prestations.

Deux – Dans ce cas, ça ne va pas être simple… Si on ne connaît pas les prix ni vous ni moi… Je ne sais pas, moi, vous me donneriez combien… Donc, cette fois, je ne parle pas de mon âge, nous sommes bien d’accord…

Un – Bien sûr… Excusez-moi…

Deux – Ne vous excusez pas. D’ailleurs, j’ai trente-deux ans… Je devrais plutôt vous remercier pour votre galanterie… Alors ?

Un – Alors quoi ?

Deux – Combien ?

Un – Ah, oui… C’est à dire que… Comme ça, c’est difficile à dire…

Deux – Dites un prix. Vous seriez prêt à mettre combien ?

Un – Je ne sais pas, moi… Cent cinquante…?

Deux – Cent cinquante ?

Un – Je suis vraiment désolé… Évidemment, ce n’est pas assez…

Deux – Vous voulez rire ? Mais c’est beaucoup trop !

Un – Vous trouvez ?

Deux – Je connais pas les tarifs, mais bon… 150 euros, c’est vraiment jeter l’argent par les fenêtres. Et puis je vous l’ai dit, je n’ai aucune expérience…

Un – Je ne suis pas sûr que dans ce cas, l’expérience…

Deux – Quand même… Ou alors, vous me payez après.

Un – Après ?

Deux – Vous me donnerez ce que vous voudrez. Si vous êtes satisfait. Satisfait ou remboursé, en quelque sorte !

Un – Non, franchement, ça me gênerait…

Deux – Oui mais alors comment on fait ?

Un – Excusez-moi de vous demander ça, mais… Pourquoi est-ce que…

Deux – Pourquoi je fais le trottoir ?

Un – Vous n’êtes pas obligée de me répondre, évidemment.

Deux – C’est à cause d’une voyante.

Un – Une voyante ?

Deux – Elle m’a lu les lobes de l’oreilles et… Oui, c’était une voyante qui lisait dans les lobes de l’oreille, il paraît que c’est très rare. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai eu tendance à la croire…

Un – Et qu’est-ce qu’elle a vu, dans votre oreille ?

Deux – Eh bien… Elle m’a dit qu’elle voyait l’amour… et un trottoir. Depuis, je ne sais pas comment, mais tout s’est enchaîné comme une fatalité. Jusqu’à ce que… Le destin, sans doute.

Un – C’était peut-être une voyante débutante, elle aussi… Ou alors, vous aurez mal interprété…

Deux – Vous croyez ?

Un – Je ne sais pas… Lire dans les lobes de l’oreille, c’est quand assez délicat…

Deux – Et vous ?

Un – Pourquoi j’en suis arrivé à… Et bien disons que… J’ai eu quelques déceptions amoureuses et… J’en suis arrivé à me demander si…

Deux – Si ce n’était pas plus simple comme ça.

Un – Voilà. Mais je me rends compte que ce n’est sans doute pas une bonne idée.

Deux – Ah non, ne me dites pas que vous allez partir comme ça ! Vous êtes mon premier client, et je vous trouve plutôt sympathique…

Un – Merci mais… Maintenant, ça me gêne un peu…

Deux – Maintenant ?

Un – Maintenant qu’on s’est parlé…

Deux – Vous trouvez que je parle trop, c’est ça ?

Un – Mais pas du tout, au contraire ! Mais justement, maintenant qu’on a fait un peu connaissance…

Deux – Et si je ne vous faisais pas payer ?

Un – Vous plaisantez… Non, vraiment, ça me gênerait…

Deux – Vous n’avez qu’à considérer qu’il s’agit d’une offre de lancement… Un essai gratuit…

Un – Tout de même, je ne sais pas si… Laissez-moi au moins vous inviter à dîner avant…

Deux – Si vous insistez…

Un – Allons-y…

Ils partent.

Deux – Maintenant que j’y pense, je crois que c’est vous qui avez raison. Elle devait débuter elle aussi, cette voyante. En tout cas, elle ne m’a pas fait payer, elle non plus…

Noir.

Brèves de Trottoirs

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Comme sur des roulettes

Un personnage arrive, tirant un chien à roulettes accrochés à une laisse. Un autre personnage arrive à son tour, un paquet de cigarettes à la main (le texte pourra être légèrement adapté en fonction du sexe des deux personnages).

Deux – Alors ça y est, vous êtes rentré ?

Un – Ah, bonjour ! Oui, oui, je suis rentré ce matin. Et vous ?

Deux – Hier soir.

Un – Pas trop de monde sur la route ?

Deux – On est parti de bonne heure, heureusement, parce que sinon…

Un – Eh oui… Fini les vacances…

Deux – Remarquez, on dit ça, mais en fin de compte, on n’est pas mécontent de rentrer chez soi, pas vrai ?

Un – Mmm…

Deux – On ne peut pas être en vacances tout le temps. À la fin, on s’ennuierait. (Il tend vers l’autre son paquet de cigarettes) Cigarette ?

Un – Merci, j’ai arrêté.

Deux – Ah oui ?

Un – Les bonnes résolutions de la rentrée, vous savez… Maintenant, je vapote…

Il sort une cigarette électronique et se met à vapoter. L’autre range son paquet de cigarettes.

Deux – Remarquez, je ferais mieux de m’y mettre aussi… (Il sort une boîte de cachets, en avale un, s’apprête à ranger la boîte mais se ravise) Oh pardon, vous en voulez un ? C’est un petit relaxant… En principe, c’est seulement sur ordonnance mais bon, ils sont très légers…

Un – Merci, j’ai aussi arrêté les médicaments…

Deux – Ouh la… On ne parle plus seulement de bonnes résolutions alors… C’est du lourd, dites-moi. Vous avez rencontré Dieu cet été, vous êtes devenu moine, et vous êtes juste passé récupérer vos affaires avant d’aller vous cloitrer dans votre monastère, c’est ça ?

Un – Vous, en tout cas, vous n’avez pas fait vœu de silence…

Deux – Remarquez, c’est vous qui avez raison. Moi aussi, je ferais mieux d’arrêter.

Un –  D’arrêter… de raconter des conneries, vous voulez dire ?

Deux – D’arrêter les médocs !

Un – Ah, oui bien sûr… C’est vrai que vous n’avez pas très bonne mine. Pour quelqu’un qui revient de vacances…

L’autre accuse un peu le coup.

Deux – Et votre femme, comment ça va ?

Un – À vrai dire… J’ai arrêté aussi.

Deux – Arrêté ?

Un – On n’arrêtait pas de se chamailler, de toute façon… Alors à la place, j’ai pris… un truc qui se gonfle…

Deux – Ah oui… Oui, c’est… C’est moins de complications, c’est sûr…

Un – Je la gonfle tous les soirs. On regarde un peu la télé, et puis… Et vous ?

Deux – Moi ? Ah, non, moi je… Je suis toujours avec ma femme. À l’ancienne, quoi. Pour l’instant, c’est elle qui continue à me gonfler tous les soirs…

Un – Je vois…

Silence embarrassé.

Deux – Et le chien, comment il va ?

Un – Le chien ? Comme sur des roulettes.

Deux – Ah oui, je n’avais pas remarqué, dites donc… Alors vous avez aussi arrêté le chien…

Un – Celui-là n’aboie pas, et au moins, je ne suis pas obligé de ramasser les crottes derrière lui.

Deux – Évidemment… Mais alors pourquoi vous continuez à le sortir pour la promenade ?

Un – L’habitude, j’imagine… Mais vous avez raison, je crois que je vais arrêter aussi d’aller faire pisser le chien… Ça m’évitera les mauvaises rencontres…

Nouveau silence.

Deux – Je vous proposerais bien d’aller prendre une bière, mais je me doute un peu de ce que vous allez me répondre…

Un – J’ai arrêté l’alcool…

Deux – Et voilà.

Un temps.

Deux – Un café, peut-être ?

Un – J’ai arrêté la caféine.

Deux – Un déca ?

Un – Bon… Avec une sucrette, alors. Et à condition que vous me promettiez de la fermer un peu.

Deux – C’est ce que je dis toujours à ma femme. Tout serait tellement plus simple si les gens arrêtaient de parler pour ne rien dire.

Un – À qui le dites-vous…

Deux – Il y a des fois…

Un – On voudrait tout simplement ne plus en entendre parler.

Deux – Ça, je ne vous le fais pas dire… Et avec votre… truc gonflable, vous…

L’autre lui lance un regard agacé.

Deux – Ok, je ne dis plus rien.

Ils s’en vont.

Un – Allez viens, le chien.

Deux – Il s’appelle le chien ?

Un – Vous ne m’aviez pas promis de la mettre un peu en veilleuse ?

Deux – Pardon…

Un – Je crois que je vais aussi arrêter les voisins…

Noir.

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La rue est à tout le monde

Un homme travesti en femme, genre prostituée, fait le pied de grue sur le trottoir. Une religieuse arrive. Elle semble désagréablement surprise de voir le travesti.

Religieuse – Qu’est-ce que vous foutez là ?

Travesti – Ça ne se voit pas ?

Religieuse – Ce n’est pas la rue Saint Denis, ici. Vous ne trouvez pas que vous détonnez un peu dans le paysage ?

Travesti – Vous êtes de la police ?

Religieuse – Pas exactement…

Travesti – La rue est à tout le monde, non ?

L’autre lui tend un billet.

Religieuse – Bon, tenez, voilà un billet de dix. Prenez ça et tirez-vous, d’accord ?

L’autre regarde le billet, surpris, mais ne le prend pas.

Travesti – Merci ma sœur, c’est très généreux de votre part. Mais je vais être obligé de rester.

Religieuse – Je vous demande juste de vous déplacer jusqu’au bout de la rue !

Travesti – Oui, mais désolé, mais ça ne va pas être possible.

L’autre réfléchit un instant, agacée, puis se décide.

Religieuse – Bon, c’est combien la pipe ?

Travesti – Pourquoi ? Ça vous intéresse ?

L’autre sort deux billets de vingt euros et lui tend.

Religieuse – Voilà deux billets de vingt euros. Vous voyez, ma voiture est au coin de la rue ? Si vous alliez voir par là bas si j’y suis ? Vous n’aurez qu’à considérer que vous êtes en train de travailler…

Travesti – Mais puisque je vous dis que non.

Religieuse – Et pourquoi ça ?

Travesti – Parce que j’ai une bonne raison de ne pas bouger d’ici, voilà pourquoi.

Religieuse – Quelle raison ?

Travesti – Je vous en pose des questions, moi ?

Religieuse – Je ne vous empêche pas de m’en poser. Pourvu qu’après vous dégagiez d’ici.

Travesti – Très bien. Alors pourquoi ça vous dérange tellement que je sois là ? Ce n’est pas très chrétien. Je vous rappelle que Jésus lui-même n’a pas jeté la pierre à la femme adultère…

Religieuse – Ouais ben moi, en ce qui concerne les femmes adultères, je serais plutôt favorable à la lapidation, vous voyez…

Travesti – C’est une menace ?

Religieuse – Écoutez, je n’ai rien contre vous, d’accord ? Je surveille la maison d’en face, et je préfèrerais rester discrète, vous comprenez ? Si on est deux, ça commence à ressembler à un attroupement…

Travesti – Le numéro 13 ?

Religieuse – Oui, le numéro 13, pourquoi ?

Travesti – Non, c’est moi qui vous demande pourquoi. Pourquoi ce qui se passe au numéro 13 vous intéresse tant que ça ?

Religieuse – Disons que… deux personnes ont prévu de se retrouver là. Deux personnes qui sont mariées, mais pas ensemble, si vous voyez ce que je veux dire.

Travesti – Et c’est le ciel qui vous envoie pour empêcher ce péché mortel… Vous êtes une sorte d’ange gardien, c’est ça ? Votre prénom, c’est Joséphine ?

Religieuse – Mon prénom, c’est Martine… Je serai plutôt une sorte de cocue…

Travesti – Ah, d’accord… Vous êtes la femme de…?

Religieuse – On ne peut rien vous cacher.

L’autre accuse le coup.

Travesti – Ah oui évidemment, là ça change tout…

Religieuse – Alors ?

Travesti – En tout cas, félicitations pour votre déguisement. Je ne me serai jamais douté que…

Religieuse – Merci.

Travesti – Qu’est-ce que vous pensez du mien ?

Religieuse – Ne me dites pas que vous aussi…

Travesti – Eh oui… Je suis le mari trompé.

Religieuse – Non ?

Travesti – Si…

Religieuse – C’est incroyable… Et bien bravo à vous aussi… Moi non plus je n’aurais jamais pu deviner que…

Travesti – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Religieuse – C’est vrai que nos déguisements sont parfaits, mais..

Travesti – Oui, le moins qu’on puisse dire, c’est que notre attelage est plutôt improbable.

Religieuse – Et donc très voyant.

Travesti – Ce n’est vraiment pas de veine.

Religieuse – On va finir par se faire remarquer, c’est évident.

Travesti – Dommage qu’on n’ait pas pu se concerter.

Religieuse – On n’a qu’à faire comme si on ne se connaissait pas.

Travesti – D’accord… On peut toujours essayer…

Religieuse – Ils ne devraient pas tarder à arriver, de toutes façons.

Un temps pendant lequel ils s’efforcent de s’ignorer.

Travesti – Je prends juste quelques photos avec mon portable et je m’en vais. C’est pour mon avocat.

Religieuse – J’avais bien pensé engager un détective, pour les photos, mais c’est tellement cher.

Travesti – Et tellement cliché.

Religieuse – Si vos photos sont ratées, je vous enverrai les miennes. Vous me laisserez votre adresse mail.

Travesti – Tenez, voilà ma carte.

Il tend à l’autre une carte qu’elle prend.

Religieuse – Ah vous travaillez chez SFR à La Défense ?

Travesti – Oui pourquoi ?

Religieuse – Moi aussi. Enfin je veux dire à La Défense. Je travaille chez Orange.

Travesti – Ça nous fait au moins un point commun.

Religieuse – C’est curieux qu’on ne se soit pas déjà croisés.

Travesti – Remarquez, on s’est peut-être déjà croisés. Mais je pense que vous non plus, vous n’allez pas au bureau habillée comme ça…

Religieuse – Non, vous avez raison…

Un temps.

Travesti – Vous fumez ?

Religieuse – Non merci…

Travesti – Ah non, mais je ne fume pas non plus. Je voulais juste savoir si vous étiez fumeuse.

Religieuse – Ah oui ? Et pourquoi ça ?

Travesti – Ma femme est fumeuse. C’est absolument insupportable.

Religieuse – Oui, je sais ce que c’est… Mon mari fume aussi.

Travesti – Ils ont au moins ça en commun. Ils se sont peut-être rencontrés dans un bureau de tabac…

Religieuse – Allez savoir…

Travesti – Ah ça y est, je crois que les voilà.

Religieuse – Je n’ose pas regarder… Ils vont nous repérer, c’est sûr.

Travesti – On n’a plus qu’à faire comme dans les films.

Religieuse – Dans les films ?

Il la prend dans ses bras, et l’embrasse longuement. Ils relâchent peu à peu leur étreinte.

Travesti – Ça y est, ils ont dû entrer au numéro 13.

Religieuse – Vous êtes sûr que c’était eux ?

Travesti – Pas tout à fait, à vrai dire… Je n’ai pas bien regardé… Figurez-vous que j’avais un peu la tête ailleurs…

Religieuse – Oui, moi aussi… Vous croyez qu’ils nous ont vus ?

Travesti – Franchement, ça m’étonnerait. Avec nos déguisements…

Religieuse – Bon, je crois qu’il vaudrait mieux qu’on s’en aille, quand même.

Travesti – Je me demande si je ne vais pas confier cette affaire à un détective privé, tout de même.

Religieuse – Oui, on a beau dire, c’est un métier.

Travesti – Mais j’y pense, pourquoi ne pas prendre le même détective pour nos deux affaires ? Après tout, ce seront les mêmes photos, non ?

Religieuse – Vous avez raison, ce serait idiot de multiplier les dépenses. On partagera les frais…

Travesti – Je vous en prie, il n’en est pas question… C’est moi qui vous l’offre…

Religieuse – Vous êtes un gentleman comme on n’en fait plus. Et je ne connais même pas votre prénom…

Travesti – Jérôme. Je crois qu’il vaut mieux ne pas trop traîner par ici… Je vous offre un verre quelque part ?

Religieuse – Je ne sais pas si c’est très raisonnable, mais…

Travesti – Le plus dur ça va être de trouver un endroit où on pourrait passer inaperçus.

Religieuse – Oui, ce n’est pas gagné…

Ils sortent.

Noir.

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Plans de carrière

Deux collégiennes (pouvant être jouées par des adultes habillés comme des ados) arrivent l’une après l’autre, sortant visiblement du collège.

Un – Vous avez eu les bulletins ?

Deux – Oui.

Un – T’as combien de moyenne ?

Deux – Dix-sept.

Un – Ah, ouais…

Deux – Et toi ?

Un – Huit et demi.

Deux – Ah ouais… C’est exactement la moitié.

Un – La moitié de quoi ?

Deux – Huit et demi. La moitié de dix-sept.

Un – Tu crois ?

L’autre la regarde étonnée et renonce à répondre. Silence.

Un – Qu’est-ce que tu veux faire, toi, quand tu seras grande ?

Deux – Je ne sais pas… (Un temps) J’hésite entre kinésithérapeute et péripatéticienne.

Un – Ah, ouais, c’est cool… (Silence) C’est quoi, exactement, kinésithérapeute ?

Deux – Ben… Un type qui a une crampe, par exemple. Il appelle la kinésithérapeute, elle lui fait un massage…

Un – Pour retirer sa crampe…?

Deux – Ouais…

Un – Ah, ok… (Un temps) C’est une masseuse, quoi…

Deux – Ouais… Mais maintenant, ça s’appelle une kinésithérapeute.

Un – C’est cool…

Deux – Ça vient du grec : « kinésie », le mouvement, et « thérapeute », qui soigne. Parce qu’il faut faire des études, quand même, pour être kinésithérapeute.

Un – Des études de grec ?

Deux – De latin, plutôt. Pour savoir ce que c’est que le radius, le cubitus, le strato-nimbus, le romulus et rémus…

Un – Ah ouais, c’est cool… (Un temps) Et ça gagne bien kinésithérapeute ?

Deux – Nan… C’est ça le problème… C’est pour ça que j’hésite avec péripatéticienne…

Un – Mmm… (Un temps) Péripatéticienne, c’est un peu comme esthéticienne, non ?

Deux – C’est ça… C’est une esthéticienne, mais qui pratique sous le périphérique. C’est pour ça qu’on appelle ça une péripatéticienne.

Un – Ah, ok… (Un temps) Et ça gagne bien ?

Deux – Ma grande sœur, elle est péripatéticienne, et ma mère dit qu’elle gagne dix fois plus qu’elle.

Un – Qu’est-ce qu’elle fait, ta mère ?

Deux – Rien.

Un – Rien ?

Deux – ANPE.

Un – Ah, ouais… Ça craint…

Deux – ASSEDIC.

Un – Et ta sœur, ça lui plaît, comme métier, péripatéticienne ?

Deux – Je ne sais pas. Mon beau-père l’a foutue dehors juste après le brevet.

Un – Ah, ouais… C’est pas cool…

Deux – Non, ça craint.

Un – Et ton beau-père, qu’est-ce qu’il fait ?

Deux – Rien…

Un – ASSEDIC ?

Deux – Décédé.

Un – Ah, ouais, quand même… Mais décédé, euh ? (Devant le silence de son interlocutrice) Ouah…

Deux – Et toi, qu’est-ce que tu veux faire quand t’auras ton bac ? Si tu l’as un jour…

Un – J’hésite…

Deux – Entre quoi et quoi ?

Un – Je ne sais pas.

Deux – Qu’est-ce qu’ils font tes vieux ?

Un – Mon père est prof de grec.

Deux – Et ta mère ?

Un – Prof de grec.

Deux – Génial…

Un – Ils veulent que je sois prof de latin.

Deux – De latin ?

Un – Ils disent que prof de grec, j’aurai jamais le niveau.

Deux – Cool…

Un – Il n’y a pas de chômage. C’est la fonction publique.

Deux – Et ça gagne bien, prof de grec ?

Un – Je ne sais pas…

Deux – Plus que péripatéticienne ?

Un – Peut-être un peu moins, quand même.

Deux – Et il faut faire des études…

Un – Il y a un concours… Il n’y a pas de concours pour être péripatéticien ?

Deux – Ma sœur, elle a commencé avec le brevet.

Un – Ah, ouais… C’est cool ça…

Elles restent un moment silencieuses.

Un – Oh, putain…

Deux – Quoi ?

Un – Huit et demi… Mes parents vont me tuer, c’est clair…

Deux – T’as qu’à leur dire ça.

Un – Quoi ?

Deux – À tes vieux. En rentrant, tu leur dis que tu veux être péripatéticienne. Comme ça ils te foutront la paix.

Un – Tu crois ?

Deux – Ben ouais…

Un – Ah, ouais…

Deux – Il faut juste le brevet.

Un – Ouais, c’est pas con… (Elle regarde sa montre) Bon, il faut que j’y aille, sinon ils vont vraiment me tuer…

Deux – Ok. Tu me raconteras.

Un – Quoi ?

Deux – Tes vieux. Pour ton projet professionnel. Qu’est-ce qu’ils en pensent…

Un – Ah, ok… C’est cool… Merci du tuyau, en tout cas…

Elle s’éloigne. L’autre soupire.

Deux – Alors elle, elle est vraiment trop con.

Noir

Brèves de Trottoirs

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Au bout de la rue

Un bout de rue, avec un trottoir et éventuellement un banc. Un personnage (homme ou femme) arrive d’un côté, un autre personnage arrive du côté opposé.

Un – Excusez-moi, vous savez où elle va, cette rue ?

Deux – Où elle va ? Ah non, je… Je ne sais pas exactement.

Un – Mais pourtant vous en venez, non ?

Deux – D’où ?

Un – De cette rue !

Deux – Ah non, mais moi je sors du 5 bis là. C’est là où habite… Enfin bref, c’est tout au début de la rue. Dans l’autre sens, je ne sais pas où elle va, cette rue, moi.

Un – Ah oui, c’est ennuyant.

Deux – Ennuyant ?

Un – Je ne vais pas prendre cette rue sans savoir où elle va.

Deux – Mais vous, vous allez où ?

Un – On m’a dit au bout de la rue mais…

Deux – Au bout de la rue ? Quelle rue ?

Un – On m’a dit la rue qui descend.

Deux – La rue qui descend ? Alors ça ne doit pas être celle-là.

Un – Et pourquoi ça ?

Deux – Moi je dirais plutôt qu’elle monte, cette rue, non ?

Un – Ah oui, vous trouvez ? Moi je trouve plutôt qu’elle descend.

Deux – Ou alors, vous ne l’avez pas pris dans le bon sens…

Un – Ah non, pour moi elle descend.

Un troisième personnage arrive.

Deux – Excusez-moi de vous déranger… Vous trouvez qu’elle monte ou qu’elle descend, cette rue, vous ?

Trois – C’est pour un sondage ?

Deux – Non…

Trois – Je vous préviens, moi je ne fais pas de politique.

Deux – Non, non, c’est juste cette personne qui… On lui a dit au bout de la rue qui descend et…

Le troisième regarde la rue.

Trois – Moi, je dirais plutôt qu’elle est plate, cette rue, non ?

Deux – Un faux plat, alors…

Un – Oui, mais un faux plat qui monte ou un faux plat qui descend ?

Trois – On n’a qu’à poser une bille par terre sur le trottoir, et on verra bien si elle monte ou si elle descend.

Un – Comment est-ce qu’une bille pourrait bien monter ?

Trois – Pas la bille ! La rue. On pose la bille par terre, et on verra bien dans quel sens elle se met à rouler.

Un – Oui, évidemment, on peut faire ça…

Ils semblent tous les trois attendre quelque chose.

Deux – Vous avez une bille ?

Trois – Non.

Un – Alors pourquoi vous avez parlé de poser une bille par terre ?

Trois – J’ai dit ça comme ça, moi ! Je n’ai jamais dit que j’avais une bille. Vous trouvez que j’ai une tête à jouer aux billes ?

Deux – Faudrait trouver un gosse.

Un – Un gosse avec des billes.

Ils regardent autour d’eux.

Trois – De nos jours, des gosses qui jouent aux billes…

Deux – Ouais…

Trois – C’est vrai. Ça se perd. Moi, quand j’étais gosse, on jouait encore aux billes.

Deux – C’était une autre époque. Ça paraît tellement loin. Maintenant, si les gosses jouaient aux billes, ce serait à partir d’une application sur leur Smartphone.

Un – Bon, ça ne me dit toujours pas si c’est la bonne rue.

Trois – La bonne rue ?

Deux – On lui a dit au bout de la rue, mais on ne lui a pas dit le nom de la rue.

Trois – Au bout de la rue, c’est tout ?

Un – On m’a dit la rue qui descend.

Trois – Qui descend ? Mais dans quel sens ?

Deux – C’est ce que je lui ai dit…

Trois – Mais vous allez où, au juste ?

Un – Je ne vais nulle part ! Je cherche ma voiture.

Trois – Votre voiture…

Un – Mon mari m’a dit qu’il l’avait garée dans une rue qui descend, mais il ne m’a pas dit laquelle…

Deux – C’était il y a longtemps ?

Trois – Pourquoi ? Vous pensez que la pente de la rue aurait pu changer de sens entre temps ?

Deux – Vous n’avez qu’à la descendre, cette rue, et vous verrez bien si votre voiture y est garée.

Trois – La descendre… ou la monter. Telle est la question.

Deux – Il vous a dit en face de quel numéro ?

Un – Il m’a juste dit au bout de la rue. Tout en haut.

Trois (sceptique) – Tout en haut ? Au bout d’une rue qui descend…

Un – J’ai un peu peur de me perdre. Ça fait déjà un bon quart d’heure que je tourne en rond.

Trois – C’est vrai qu’elle a l’air de tourner un peu, tout au bout, cette rue, non ?

Deux – Remarquez, ça expliquerait tout…

Trois – Quoi ?

Deux – La rue d’en face, comment elle s’appelle ?

Un – Cette rue là ? Celle qui descend aussi ?

Trois – Moi je dirais plutôt qu’elle monte, mais bon…

Deux – Je vais aller voir…

Il va voir. Le troisième se tourne dans la direction où l’autre est parti.

Trois – Je ne sais pas où elle va, cette rue là, je ne l’ai jamais prise… Moi je vais toujours au numéro 214 de la rue Tournefort. Deux fois par semaine depuis plus de dix ans.

L’autre revient.

Deux – C’est incroyable, c’est aussi la rue Tournefort, numéro 214.

Trois – Cette rue là, c’est la rue Tournefort ?

Deux – Ben oui, comme celle-là.

Un – Comment est-ce qu’une rue peut descendre dans les deux sens ?

Trois – Remarquez, si c’est une rue qui tourne en rond…

Deux – Elle peut très bien descendre dans les deux sens…

Trois – C’est pour ça que votre mari vous a dit la rue qui descend…

Deux – Et au bout d’une rue qui descend et qui tourne en rond, forcément, on est tout en haut de la rue.

Un – Ah oui, ce n’est pas faux…

Trois – C’est incroyable… Ça fait dix ans que je parcours cette rue de bout en bout pour aller chez mon psychanalyste, en prenant à gauche à la sortie de la bouche, et je me rendre compte aujourd’hui que c’est juste à droite en sortant.

Deux – Quelle bouche ?

Trois – La bouche du métro !

Un – Ah, oui, c’est vraiment ce qui s’appelle tourner en rond.

Deux – Si j’étais vous, j’arrêterais la psychanalyse…

Un (se retournant) – Ah ben oui, tenez, elle est là bas justement…

Trois – Quoi ?

Un – Ma voiture !

Deux – Eh ben voilà.

Trois – Tout est bien qui finit bien.

Un – Merci beaucoup pour votre aide… Excusez-moi, il faut que je file, je suis déjà en retard…

Deux – Mais je vous en prie.

Le personnage s’éloigne. Les deux autres le regardent partir.

Trois – Ça n’a pas l’air de tourner très rond, quand même…

Deux – Ouais…

Noir.

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Low Cost

Une rangée de sièges ou un banc. Une femme arrive d’un pas lent, un sac à la main. Elle jette autour d’elle un regard indifférent, dans le seul but de retarder le moment de s’asseoir. Elle s’assied néanmoins après avoir posé son sac et se met à attendre en regardant droit devant elle, le regard vide. Un homme arrive, un peu plus pressé. Il regarde sa montre et fait les cent pas. Au bout d’un moment, son attention est attirée par la femme, et il se tourne vers elle.

Lui – Pardon, mais vous êtes bien…?

Elle (étonnée) – Oui…

Lui – Je me disais aussi…

Elle – Ah, oui…

Lui – Mais je ne voudrais pas…

Elle – Non, bien sûr…

Lui – Vous permettez que…?

Elle – Hun, hun…

Il s’assied.

Lui – Alors vous êtes là pour…?

Elle – Pas vous ?

Lui – Si, si, moi aussi…

Elle – Parfait.

Lui – Excusez-moi de…

Elle – Il n’y a pas de quoi.

Silence. Ils patientent chacun de leurs côté.

Elle – Vous avez l’heure, s’il vous plaît ?

Lui – Ça dépend… Celle d’où on vient, ou celle où on va ?

Elle – Désolée, c’était une question idiote.

Lui – Oui…

Silence. Il se relève, inquiet.

Lui – C’est bien le Terminal 2 ?

Elle – Oui… Enfin, j’espère.

Lui – Comme il n’y a que nous, je commençais à me demandais si…

Elle – Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre…

Lui – Le Terminal 1 ?

Elle – Le Terminal 1 n’existe plus.

Lui (incrédule) – Il n’y a plus que le Terminal 2 ?

Elle – Oui.

Il digère cette information.

Lui – Non, parce que si on était au Terminal 1, comme vous dites qu’il n’est plus en fonction, ça expliquerait que…

Elle – On est au Terminal 2.

Lui – Comme il n’y a que vous et moi…

Elle – On est peut-être les premiers.

Lui – Mmm…

Silence. Il se rassied.

Lui Vous partez ?

Elle – Pardon ?

Lui – Non, je veux dire… Vous partez, ou vous revenez ? Vous êtes d’ici, et vous allez là-bas, ou vous rentrez chez vous ?

Elle – Ah, ça ? Eh bien… Je vais… Je viens… Je ne suis pas vraiment de quelque part… Disons que je suis en transit…

Lui – Moi aussi… (Un peu fébrile) C’est une zone sans toilette, non ?

Elle – Normalement, on n’est pas supposé y rester très longtemps… Et vous ?

Lui – Moi ?

Elle – Vous rentrez chez vous ?

Lui – Chez moi ? Ah non, je… Un peu comme vous, en fait.

Silence embarrassé.

Elle – Excusez-moi, je ne suis pas très en veine de conversation.

Lui – C’est moi, désolé… Je vous laisse tranquille…

Elle – Non, non, ça ne me dérange pas… C’est juste que… Vous croyez que si on n’est que deux, on partira quand même ?

Lui – J’espère… Je ne sais pas… Vous croyez que c’est comme au théâtre ? S’il n’y a pas assez de spectateurs, on annule la représentation ?

Elle – Ça m’est arrivé une fois, figurez-vous. Je veux dire, au théâtre. J’en garde un très mauvais souvenir, d’ailleurs. J’ai trouvé ça très inélégant. Très grossier, même. Cette façon de vous lancer à la figure au dernier moment : où est passé le restant du troupeau ? Vous ne pensez quand même pas qu’on va jouer pour quelques brebis égarées ? Ok, vous avez fait l’effort de venir, vous n’étiez pas obligés, c’est dommage pour vous. Mais nous on est des stars ! On ne joue que devant des salles combles. Alors revenez nous voir quand vous verrez la queue dehors… Quelle prétention ! Quand on n’arrive déjà pas à attirer plus de deux personnes à la fois ! Et cette façon de nous punir nous, au lieu de s’en prendre à tous ceux qui ne sont pas venus, justement. Au contraire, dans ces cas-là, on devrait nous féliciter. Nous dire merci. Merci d’être les seuls à avoir fait le déplacement. On devrait nous dire : ce n’est pas la quantité qui compte, c’est la qualité. Et pour vous remercier de la qualité de votre présence, nous, ce soir, on va se défoncer deux fois plus que d’habitude. On ne jouera que pour vous. Vous allez voir, ce sera une expérience intime d’une extrême intensité. Une expérience dont vous vous souviendrez toute votre vie… Qu’est-ce que ça leur aurait coûté, de jouer ? Même pour une seule personne ! Même devant une salle vide ! Une heure ou deux de leur temps ? Au lieu de ça, ils ont préféré me planter là et aller se vider quelques demis au bar d’en face en pleurant sur le sort des intermittents du spectacle…

Lui – Eh bien… Pour quelqu’un qui n’est pas en veine de conversation…

Elle – Pardon, mais je trouve ça triste… Une représentation annulée, pour eux, c’est juste un manque à gagner… Pour moi, c’était un rendez-vous manqué… Un moment qui n’aura jamais eu lieu, vous comprenez ?

Lui – Eh oui, mais là, il faut payer le kérosène… Vous vous rendez compte ? Un comédien, ça consomme quoi ? Un litre ou deux par jour. Mais un avion, ça doit brûler dans les mille litres au cent. Alors si on n’est que deux à bord, évidemment. Même si on achète un peu de duty free aux hôtesses pendant le vol, pour eux, ce n’est pas rentable…

Elle – Mmm…

Lui – Et si ils étaient en grève ?

Elle – On nous aurait prévenus, non ?

Lui – C’est peut-être une grève surprise. Un coup des communistes !

Elle – Dans ce cas, pourquoi serions-nous les seuls à ne pas être au courant.

Un temps.

Lui – Vous croyez qu’un communiste qui gagne au loto reste communiste ?

Elle – Il faut attendre. Il n’y a que ça à faire…

Lui (poursuivant sa pensée) – Moi, si je gagnais au loto, je crois que je me mettrais à croire en Dieu, en tout cas. (Un temps) Vous savez à quelle époque j’aurais aimé vivre ?

Elle – Non.

Lui – La préhistoire.

Elle – Ah oui…

Lui – Vous ne me demandez pas pourquoi ?

Elle – Dites toujours.

Lui – Parce que tout était beaucoup plus simple !

Elle – Vous croyez ?

Lui – Déjà, il n’y a avait pas d’avions. Donc pas de compagnies low cost. D’ailleurs, il n’y avait pas de voitures non plus. Même pas de vélo, puisqu’on n’avait pas encore inventé la roue. Quand on voulait aller quelque part, on y allait à pied. C’était beaucoup plus écologique.

Elle – À pied ? Vous imaginez un peu ? Pour aller de Paris à Nice, ça leur prenait un mois !

Lui – Mais pourquoi voulez-vous qu’un Néandertalien ait eu envie d’aller à Nice ? La ville de Nice n’existait pas !

Elle – La Côte d’Azur existait bien, non ? Ces gens-là pouvaient aussi avoir envie de passer leur retraite dans un endroit agréable et bien fréquenté ou de prendre un peu de vacances au bord de la mer de temps en temps. Avec la vie qu’ils devaient mener…

Lui – Mais il n’y avait pas de retraite, et pas de vacances ! Parce que la notion de travail n’existait pas. Il n’y avait pas de Sécurité Sociale non plus, donc pas de trou de la sécu. Pas d’état et pas de religion, donc pas de prison et pas de culpabilité.

Elle – Je vois… La loi de la jungle, alors…

Lui – Exactement ! J’aurais voulu vivre à l’époque où l’homme n’était qu’un animal parmi les animaux. Un peu plus malin que les autres, peut-être… L’intelligence, vous savez, ça n’a pas que des avantages…

Elle regarde autour d’elle, un peu inquiète.

Elle – Je commence à me demander si ce n’est pas vous qui avez raison…

Lui – Il nous a fallu à peine quatre millions d’années pour descendre du singe. À peine une seconde à l’échelle de l’histoire de l’univers. Il est encore possible de faire le chemin inverse…

Elle (ne comprenant pas) – Pour aller où ?

Lui – Pour retourner à l’état sauvage !

Elle – Je parlais de notre avion ! Je me demande si je n’aurais pas mieux fait de prendre le train…

Lui – Il y a aussi des trains qui ne partent pas à l’heure, vous savez. Et d’autres qui déraillent…

Elle – Vous croyez au destin ?

Lui – Ça dépend de ce que vous entendez par là…

Elle – L’idée que tout serait déjà écrit.

Lui – Par qui ?

Elle – Par personne ! L’idée qu’on n’a pas vraiment le choix. Seulement l’illusion du choix. L’idée que l’endroit où on arrive à la fin est déterminé à l’avance depuis le début par une série d’aiguillages, quoi qu’on fasse. Et qu’on a juste à prendre son mal en patience…

Lui – On n’est pas obligé de prendre le train. La preuve…

Elle – Il y a aussi des aiguilleurs du ciel…

Lui – Apparemment, ils sont en grève… Et si on s’en allait, tout simplement ?

Elle – On est en zone d’embarquement.

Lui – Et alors ?

Elle – Vous avez vu le panneau, là bas ?

Lui (lisant) – Sortie Interdite… C’est dingue !

Elle – On a déjà passé le contrôle de sécurité. On ne peut plus revenir en arrière…

Lui – Et visiblement, on n’est pas prêt de décoller non plus. Mais quand est-ce qu’on pisse ?

Elle – Je me souviens, il y a très longtemps…

Lui (la coupant) – Ah, non !

Elle – Comment ça, non ?

Lui – Vous n’allez pas commencer à me raconter votre vie. C’est très pesant, les souvenirs, vous savez ! Il y a une limite à ne pas dépasser. C’est peut-être à cause de vous qu’on ne peut pas décoller…

Elle – Moi ?

Lui – Excès de bagages !

Elle – Je n’ai qu’un petit sac…

Lui – C’est une compagnie low cost. Imaginez qu’ils aient remplacé les avions par des ballons dirigeables.

Elle – Des montgolfières ?

Lui – Comment est-ce qu’on fait décoller un zeppelin, à votre avis ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – On jette du lest !

Elle – Vous voulez me jeter par dessus bord ?

Lui – Les sacs de sable ! On balance les sacs par dessus bord. Ou on les vide…

Elle – Mais… ce n’est pas du sable que j’ai dans mon sac !

Lui – Vous êtes sûre ?

Elle ouvre son sac, plonge la main dedans et, surprise, en sort une poignée de sable qu’elle laisse glisser entre ses doigts.

Lui – Et voilà…

Elle – Vous croyez que ça pourrait suffire ?

Lui – Moi je n’ai pas de bagages…

Elle – Bon…

Elle verse le sable par terre.

Lui – Parfait.

Un temps.

Elle – On ne décolle toujours pas…

Lui – Mais vous devez quand même vous sentir plus légère, non ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Qu’est-ce qu’on disait ?

Elle – Je n’en ai plus le souvenir… Et vous ?

Lui – Moi je n’ai jamais eu de mémoire.

Elle – Alors pourquoi j’ai cette vague impression de déjà vu…?

Lui – Vous croyez que nous étions faits pour nous rencontrer ?

Elle – Si tout est écrit à l’avance. On vous aura aiguillé sur moi.

Lui – Ou alors c’est vous qui déraillez.

Elle – Vous voulez être mon mari ?

Lui (regardant autour de lui) – Est-ce j’ai vraiment le choix ?

Elle – Ça devait finir comme ça.

Lui – C’était écrit.

Silence.

Lui – On dirait qu’il va faire beau.

Elle – Oui, ils annoncent de l’orage.

Un temps.

Elle – Moi aussi, je commence à avoir envie d’aller aux toilettes.

Lui – C’est sans doute le destin qui nous a réunis.

Ils se prennent par la main.

Lui – Un peu de compagnie…

Elle – Ça ne peut pas faire de mal.

Ils affichent un sourire publicitaire.

Lui – Terminal 2.

Elle – Compagnie low cost.

Noir.

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À vrai dire

Un homme et une femme assis à une table finissent de dîner.

Femme – Quel festin !

Homme – Oui, hein ?

Femme – Enfin, on peut bien faire un petit excès de temps pour une grande occasion.

Homme – Allez, à notre anniversaire de mariage !

Ils lèvent leurs verres, trinquent et boivent.

Femme – Trente ans, tu te rends compte ?

Homme – J’ai l’impression que c’était hier.

Femme – Si c’était à refaire, tu m’épouserais ?

Homme – Les yeux fermés !

Femme – Et les yeux ouverts ?

Homme – Ne dit-on pas que l’amour rend aveugle ?

Femme – Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Homme – Ma foi, je n’en ai aucune idée.

Femme – J’ai un peu la tête qui tourne…

Homme – Tu veux un dessert ?

Femme – Je ne sais pas si ce serait très raisonnable…

Arrive la serveuse.

Serveuse – Alors ? Ça vous a plu ?

Homme – C’était parfait ! N’est-ce pas, chérie ?

Femme – Succulent ! Non, vraiment…

Homme – Une bonne table, comme ça, c’est ce qui manquait dans le quartier.

Serveuse – Merci.

Femme – Et qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’ouvrir un restaurant dans le coin, si ce n’est pas indiscret ?

Serveuse – Dans la restauration, il n’y a pas de secret. Il faut choisir un quartier où les gens sont suffisamment vieux pour ne plus avoir d’autre plaisir dans la vie que de manger. Mais pas trop âgés quand même, qu’il leur reste encore quelques dents pour mastiquer.

Homme – Ah oui…

Serveuse – Et des vieux qui soient suffisamment riches pour pouvoir se payer un restaurant hors de prix une fois de temps en temps, évidemment.

Femme – Bien sûr… (Blanc) Mais sinon, c’était très bon. Hein, chéri ?

Homme – Excellent.

Serveuse – Oh, vous savez, on ne fait pas des choses compliquées. On se contente de décongeler les plats tout préparés qu’on achète pour presque rien chez le grossiste.

Femme – Vraiment ?

Serveuse – Pourquoi se casser la tête, de toute façon, les gens ne voient pas la différence. Vous avez vu la différence, vous ?

Homme – Ma foi non…

Serveuse – Ben vous voyez ! Non, entre nous, il n’y a même pas de cuisine, dans ce restaurant.

Homme – Vraiment ? Et pourtant, sur la porte, là-bas, à côté des toilettes…

Femme – C’est marqué cuisine, non ?

Serveuse – Ça, c’est pour le décor. C’est une fausse porte plaquée contre le mur, elle ne s’ouvre même pas. Non, on a seulement un petit cagibi derrière le bar avec un four à micro-onde pour décongeler tout ça vite fait.

Homme – Ah, oui…

Serveuse – Ça ne vous a pas mis la puce à l’oreille qu’on soit en mesure de vous proposer une cinquantaine de plats différents à la carte ?

Homme – C’est vrai qu’il y a beaucoup de choix, mais…

Serveuse – Et que cinq minutes après la commande, on puisse vous servir une véritable bouillabaisse de Marseille comme si elle avait mijoté pendant toute la journée dans une cuisine du Vieux-Port ?

Femme – Ça, le service est rapide, on ne peut pas dire le contraire. N’est-ce pas, chérie ?

Homme – En tout cas, elle était très bonne, cette boullabaisse.

Serveuse – Bon, si ça vous a plu, c’est le principal. Un petit dessert, peut-être, pour faire passer la boullabaisse ?

Homme – Pourquoi pas ?

Femme – Volontiers…

Homme – C’est vraiment de la gourmandise.

Serveuse – Oui, enrobés comme vous êtes tous les deux, je me doute que ce n’est pas la malnutrition qui vous a poussés jusqu’à la porte de ce restaurant.

Homme – Eh non…

Serveuse – Si on peut encore appeler ça un restaurant…

Femme – Eh oui…

Serveuse – Alors ? Je peux me permettre de vous faire une petite suggestion, pour le dessert ?

Femme – Bien sûr.

Serveuse – Dans ce cas, je vous conseille le tiramisu.

Femme – Votre spécialité, j’imagine.

Serveuse – Non ! Mais il nous reste sur les bras dans le congélo depuis au moins six mois, et la date limite de consommation arrive à échéance demain. Si je ne vends pas ce qui me reste avant ce soir, on va devoir donner tout ça aux Restaurants du Cœur. C’est qu’on a des contrôles sanitaires très stricts, quand même.

Homme – Voilà qui est rassurant…

Serveuse – Allez, un bon geste ! Vous ne voudriez pas que ce véritable tiramisu à l’italienne finisse aux Restaurants du Cœur, et que de vrais affamés aient une crise de foie à votre place ?

Femme – Va pour le tiramisu, alors.

Homme – Moi aussi.

Serveuse – Et puis une petite gastro de temps en temps, c’est très bon pour la ligne, vous verrez…

Femme – Ça nous rappellera notre voyage de noces en Italie…

Serveuse – Vous avez eu une gastro pendant votre voyage de noces ?

Homme – Euh, non, je parlais du tiramisu.

Serveuse – Pardon ?

Femme – Le tiramisu, l’Italie…

Serveuse – Ah, oui ! Enfin, j’ai dit que c’était un tiramisu à l’italienne, je n’ai pas dit qu’il venait d’Italie. Celui-là est fabriqué en Roumanie, mais bon. Au moins, on sait d’où il vient. Ce n’est pas toujours le cas, croyez-moi… (La serveuse griffonne la commande sur son calepin) Parfait, alors deux tiramisus pour ces messieurs dames. C’est parti !

Le serveuse s’éloigne. Silence un peu embarrassé. L’homme et la femme échangent un sourire aimable.

Homme – Je ne sais pas si c’était très raisonnable de prendre un dessert.

Femme – Tu as raison, c’est vraiment de la gourmandise…

Noir.

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La route

Deux personnages au bord d’une route. Le premier a le pouce levé pour faire du stop.

Un – C’est calme.

Deux – Oui.

Un – Pas beaucoup de passage

Deux – Non.

Un – Je commence à avoir une crampe. (Il baisse le pouce) Elle va où cette route ?

Deux – De quel côté ?

Un – Je ne sais pas. De ce côté-là.

Deux – Il n’y a pas de panneau ?

Un – Je n’en vois pas.

Deux – Et de l’autre côté ?

Un – Non plus. (Un temps) C’est con, tu ne trouves pas ?

Deux – Quoi ?

Un – On est là, au bord de la route, on ne sait pas où elle va.

Deux – La route, je ne sais pas où elle va, mais nous on va nulle part.

Un – Ouais… Il n’y a pas beaucoup de circulation. (Un temps) Si on changeait de côté ?

Deux – Pourquoi faire ?

Un – Pour aller par là ?

Deux – Tu veux aller par là ?

Un – Pourquoi pas ? Il n’y a pas de voitures qui vont par ici.

Deux – Il n’y a pas de voitures qui vont par là non plus.

Un – On n’a qu’à se mettre chacun d’un côté.

Deux – Pour quoi faire ?

Un – Ça doublera nos chances.

Deux – Nos chances de quoi ?

Un – Nos chances de ne pas rester ici. Tu as envie de rester ici, toi, sur le bord de la route ?

Deux – Non.

Un – Bon… Qui est-ce qui traverse ?

Deux – Vas-y, toi. C’est toi qui as eu l’idée…

Un – Ok.

Deux – Fais attention en traversant.

Le premier traverse pour aller de l’autre côté de la route. Long silence.

Deux – Alors ?

Un – C’est calme aussi de ce côté-là.

Deux – Et si une voiture arrive ?

Un – Et qu’elle s’arrête, tu veux dire ?

Deux – Et qu’elle s’arrête.

Un – De quel côté ?

Deux – Je ne sais pas. D’un côté ou de l’autre.

Un – Eh ben on monte dedans.

Deux – Tous les deux ?

Un – Qu’est-ce que t’en penses ?

Deux – Je ne sais pas.

Un – Si on se sépare, ça doublera nos chances.

Deux – Nos chances de quoi ?

Un – Qu’une voiture s’arrête.

Deux – Mais alors on n’ira pas dans le même sens ?

Un – Il n’y a pas de voiture de toute façon…

Deux – Je trouve que c’était mieux avant.

Un – Quoi ?

Deux – On était ensemble.

Un – Ensemble ?

Deux – Du même côté. On pouvait discuter.

Un – Discuter de quoi ?

Deux – Pour passer le temps. En attendant qu’une voiture s’arrête.

Un – Bon ben tu n’as qu’à traverser aussi.

Le deuxième traverse et va rejoindre le premier. Silence. On attend un bruit de voiture qui se rapproche.

Deux – Merde, elle va de l’autre côté.

Un – Si tu n’avais pas traversé…

Deux – Tu serais resté tout seul, au bord de la route, et moi je serai parti par là.

Un – Ouais…

Deux – Peut-être que les voitures ne passent que dans un seul sens.

Un – Quel sens ?

Deux – C’est peut-être une route à sens unique. Peut-être que du côté où on est maintenant, c’est un sens interdit.

Un – Tu crois ?

Deux – On n’a jamais vu une voiture passer dans ce sens là.

Un – Alors qu’est-ce qu’on fait ? On retourne de l’autre côté ?

Silence.

Deux – Ce n’est pas si mal, ici.

Un – S’il n’y avait pas cette route.

Deux – Il n’y a pas beaucoup de circulation.

Un – Non… C’est calme.

Noir.

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