Parodie

Revers de Décors

Backstage comedy –  El reverso del escenario – O reverso do cenário

Comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 personnages (hommes ou femmes)

Juste avant les trois coups, les comédiens répètent une dernière fois. Mais un événement inattendu vient compromettre le début du spectacle. Une joyeuse farce sur le petit monde du théâtre…


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TEXTE INTÉGRAL

Revers de Décors

Juste avant les trois coups, les comédiens répètent une dernière fois. Mais un événement inattendu vient compromettre le début du spectacle. Une joyeuse farce sur le petit monde du théâtre…

Personnages :

Commissaire
Adjoint
Comédien
Comédienne
Metteur en scène
Directrice du Théâtre
Critique
Ouvreuse
Auteur
Spectateur 1
Spectatrice 1
Président
Présidente

La plupart des rôles peuvent indifféremment être masculins ou féminins (il suffira pour cela de changer les prénoms des personnages). Plusieurs personnages peuvent être interprétés par un même comédien (spectateurs et présidents d’une part, metteur en scène et auteur d’autre part, peuvent être joués par les mêmes comédiens ou comédiennes) 

Nombre de comédiens et comédiennes possibles : 10 à 13
Répartition par sexe totalement modulable.

***

Mikael et Nancy sont debout, le premier à l’avant-scène et la deuxième un peu en retrait. Ils semblent écrasés par le destin qui les accable.

Nancy (avec emphase) – Que vois-tu par la fenêtre, Dimitri ?

Mikael se tourne vers la salle, et fait mine de saisir les barreaux d’une fenêtre imaginaire pour regarder dehors.

Mikael – Je ne vois plus rien, Natacha. Le soleil a disparu derrière la colline. Mais je crois deviner dans cette noire obscurité la présence des fantômes qui s’apprêtent à nous hanter.

Nancy – Quelle heure est-il à présent ?

Mikael – Je l’ignore… Ma montre s’est s’arrêtée ce matin.

Nancy – Dieu fasse que ce ne soit pas un mauvais présage.

Mikael – Ne nous abandonnons pas à la superstition, Natacha. C’est sûrement la pile.

Nancy – Je suis un peu nerveuse, pardonne-moi. J’ai tendance à tout surinterpréter…

Mikael (soupirant) – Qui pourrait t’en blâmer, Natacha ? La nuit tombe sur les ruines de cette ville inconnue. Et il est vrai que nous ne sommes pas assurés de voir un nouveau jour se lever.

Silence.

Nancy – Et si nous rentrions à la maison, comme prévu, Dimitri ? Personne ne nous oblige à être des héros. Nous pouvons encore fuir…

Mikael – Je ne sais plus, Natacha. Je n’ai pas le droit d’exiger de toi ce sacrifice. Mais comment pourrions-nous, demain, après une telle lâcheté, nous regarder dans la glace en nous rasant ?

Natacha – Tu as raison, Dimitri, comme d’habitude… Je serai forte, je te le promets…

Mikael – Moi aussi, j’ai peur, Natacha, tu sais…

Natacha – Toi ?

Mikael – Je ne suis qu’un être humain après tout. Mais comment abandonner ici tous ces orphelins qui n’ont pas de parents, et qu’une cruelle maladie a en outre privés de tous leurs pauvres souvenirs, jusqu’à celui de leur enfance malheureuse.

Nancy – C’est cruel à dire, Dimitri, mais comme ils ont perdu la mémoire, si nous les abandonnions à leur triste sort, ils nous auraient vite oubliés…

Mikael – Oui, Natacha. Mais nous, nous ne les oublierions pas. Et le souvenir de cette trahison nous hanterait à jamais.

Nancy – Bien sûr, c’est notre devoir de rester à leurs côtés jusqu’au bout, mais je tremble à l’idée de ce qui pourrait nous arriver… Reverrons-nous un jour notre modeste loft à Montmartre ?

Mikael – Partir ou rester… Quel affreux dilemme ! Et c’est si beau, Montmartre, en automne…

Nancy – Il est encore temps de changer d’avis, Dimitri. N’avons-nous pas déjà nos cartes d’embarquement ?

Mikael sort une carte d’embarquement de sa poche et la regarde avec un air las.

Mikael – Oui, je les ai imprimées ce matin, Natacha. Comme cela me paraît dérisoire à présent… (Lisant) Easyjet, Terminal 2B.

Nancy – Deux B… Two B, comme on dit dans la langue de Shakespeare…

Mikael – Two B… or not to be. Telle est la question…

Gonzague, le metteur en scène, les interrompt en applaudissant depuis les coulisses avant d’entrer en scène.

Gonzague – Bravo ! Vous êtes complètement dans la peau de vos personnages !

Nancy – Vous trouvez, vraiment ?

Gonzague – Je dirais même plus : vous êtes vos personnages !

Mikael – Merci, Gonzague !

Gonzague – Vous allez faire un triomphe ce soir, j’en suis sûr !

Nancy – Grâce à vous, Gonzague…

Mikael – Merci de nous avoir fait confiance pour cette pièce.

Nancy – Etre dirigée par Gonzague de Saint Petersbourg, le metteur en scène le plus en vogue et le mieux payé de la scène contemporaine d’aujourd’hui… Jamais je n’aurais pu en rêver, même dans mes rêves les plus fous.

Gonzague – Mais… si je vous ai choisi, c’est parce que vous le valez bien. (Un temps) Juste une petite chose… Et cette remarque s’adresse à tous les deux, d‘ailleurs… Comment s’intitule cette pièce ?

Mikael – « Le jour juste avant la nuit »…

Gonzague – Voilà… Donc, le titre de la pièce, ce n’est pas « La nuit juste avant le jour », mais « Le jour juste avant la nuit »… Vous me suivez ?

Nancy – J’essaie, Gonzague… J’essaie…

Gonzague – Si ça s’appelait « La nuit juste avant le jour », ce serait une pièce optimiste ! Du genre euh… Après la pluie vient le beau temps… À toute chose malheur est bon… Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort… Ce genre de conneries, vous pigez ? Mais là non !

Mikael – D’accord… Donc là, ce serait plutôt… après le beau temps vient la pluie…

Nancy – Ou… le calme avant la tempête.

Gonzague – Exactement ! Toute la dimension dramatique de cette pièce est résumée dans son titre : « Le jour juste avant la nuit » ! Et il faut qu’on sente dans votre jeu cette vision désespérée de l’existence si caractéristique de l’âme russe… (S’énervant) C’est une tragédie, bordel ! On n’est pas dans Au Théâtre Ce Soir !

Nancy – Ah parce que vous trouvez que…

Gonzague – Je n’ai pas dit ça… Mais ce n’est pas une comédie de boulevard ! Même si c’est une tragédie empreinte de beaucoup d’humour, comme cela ne vous aura pas échappé non plus.

Mikael – Bien sûr…

Gonzague – Et il est très important de ne pas passer non plus à côté de ce deuxième degré dans les répliques. Il faut qu’on rit aussi !

Nancy – C’est clair…

Gonzague – Bon, allez, je ne dis plus rien… Je ne voudrais surtout pas vous perturber à quelques minutes de la première…

Nancy – Merci de vos conseils, Gonzague.

Mikael – Ça va sûrement nous aider beaucoup…

Gonzague – Vous allez être formidables, j’en suis sûr. Et vous avez intérêt ! Parce que je peux vous le dire, maintenant : Marcel Rideau, l’auteur, sera dans la salle ce soir… Ainsi qu’Edmonde Ratelier…

Nancy – La célèbre critique de Télédrama !

Gonzague – Comme vous le savez, c’est elle qui fait la pluie et le beau temps sur la scène parisienne. Un bon papier dans Télédrama, et le succès de la pièce est garanti. Si elle nous assassine, en revanche, c’est le four assuré… Alors soyez bons !

Gonzague s’en va. Les deux comédiens se regardent, passablement déstabilisés.

Mikael – Tu savais que l’auteur venait pour la première ?

Nancy – Non…

Mikael – Jusqu’à maintenant, je n’avais pas trop le trac mais là, je sens que ça commence à monter… Pas toi ?

Nancy – Parce que l’auteur est dans la salle ? Non, pas spécialement…

Mikael – C’est parce que toi, tu n’as pas couché avec lui pour avoir ce rôle.

Nancy – Ah d’accord… Alors c’est pour ça qu’il a refusé mes avances… Ça me rassure sur mon sex appeal…

Mikael – À propos de pile, j’ai vraiment beaucoup de mal avec cette réplique, pas toi ?

Nancy – Quelle réplique ?

Mikael – Je te dis que ma montre s’est arrêtée, tu me dis que c’est un mauvais présage, et je te réponds que ça doit être la pile ! C’est censé être une plaisanterie ou bien…

Nancy – Comment tu le sens, toi ?

Mikael – Ben justement… Je ne la sens pas, cette réplique… Et si je ne la disais pas ? Je pourrais toujours dire que j’ai eu un trou de mémoire…

Nancy – Si on commence à oublier toutes les répliques qu’on ne sent pas dans cette pièce, le spectacle va durer un quart d’heure…

Mikael – Je ne dis pas que la pièce de Marcel Rideau n’est pas intéressante mais… C’est exactement le problème qu’évoquait le metteur en scène tout à l’heure… C’est un drame ou une comédie ?

Nancy – Tu crois vraiment qu’on peut situer l’action d’une comédie en Tchétchénie, dans un orphelinat dont les pensionnaires sont atteints d’une forme précoce de la maladie d’Alzheimer ?

Mikael – C’est vrai que vu comme ça…

Nancy – Même avec beaucoup de deuxième degré, comme dit Gonzague.

Mikael – Cette vision désespérée de l’existence si caractéristique de l’âme russe… (Ironique) Je ne savais pas que Marcel Rideau était russe.

Nancy – Ça doit être un russe blanc…

Mikael la regarde interloqué.

Mikael – Tu as couché avec qui, toi, pour avoir le rôle ?

Nancy – Le metteur en scène…

Mikael – Gonzague… Oui, j’ai d’abord essayé par là moi aussi, mais ça n’a pas marché… Maintenant, je comprends pourquoi…

Christelle, la caissière, arrive avec un café à la main, qu’elle tend à Mikael.

Christelle (aimablement) – Voilà ton café, Mikael. Deux sucres, comme tu m’as demandé.

Mikael – Merci ma chérie. Tu es un ange.

Nancy – Tiens, moi aussi, ça me ferait du bien un petit café… Tu peux m’en apporter un, Christelle ? Sans sucre, s’il te plaît.

Christelle (avec un grand sourire) – Plutôt crever espèce de garce.

Christelle repart.

Mikael – Je sens une légère tension entre vous… Il y a une raison particulière ?

Nancy – Elle, elle a réussi à coucher à la fois avec le metteur en scène et avec l’auteur.

Mikael – Chapeau…

Nancy – Mais c’est moi qui ai décroché le premier rôle féminin, et elle un job d’ouvreuse.

Mikael – Ce n’est pas très flatteur pour son ego, je peux comprendre…

Nancy – C’est quand même elle qui ramasse les pourboires…

Mikael – Mais quand tu dis à la fois avec le metteur en scène et l’auteur, tu veux dire… en même temps ou bien successivement ?

Nancy préfère ne pas répondre.

Nancy – Et cette critique, Edmonde Ratelier, elle a la réputation d’avoir la dent dure ?

Mikael – Tu ne sais pas comment on la surnomme, dans le métier ?

Nancy – Ma foi non…

Mikael – Immonde Ratelier !

Nancy médite un instant cette information.

Nancy – On se refait une petite italienne ?

Mikael – Ok.

Nancy débite alors le même texte que précédemment mais très rapidement, sans aucune intonation et sans aucun déplacement.

Nancy – Que vois-tu par la fenêtre, Dimitri ?

Mikael – Je ne vois plus rien, Natacha. Le soleil a disparu derrière la colline. Mais je crois deviner dans cette noire obscurité la présence des fantômes qui s’apprêtent à nous hanter.

Nancy – Quelle heure est-il à présent ?

Mikael – Je l’ignore… Ma montre s’est s’arrêtée ce matin.

Nancy – Dieu fasse que ce ne soit pas un mauvais présage.

Mikael – Ne nous abandonnons pas à la superstition, Natacha. C’est sûrement la pile. (S’interrompant) Non, j’ai vraiment du mal avec cette réplique…

Josiane, la directrice du théâtre, arrive, accompagnée de la critique Edmonde Ratelier.

Josiane – L’auteur n’est pas avec vous ? Je le cherche partout depuis un quart d’heure…

Nancy – Désolée, nous ne l’avons pas vu…

Josiane – Vous connaissez Edmonde Ratelier, la célèbre critique de Télédrama ?

Mikael – Qui ne connaît pas le sens aigu de la critique de Madame Ratelier…

Edmonde éternue.

Edmonde – Qu’est-ce qu’il y a comme poussière, ici. Vous n’avez jamais pensé à donner un bon coup de balai ?

Josiane – Ah… Quand on est allergique à la poussière, mieux vaut ne pas être critique de théâtre.

Edmonde – Surtout pas de théâtre contemporain… C’est paradoxal, chère amie, mais les grands auteurs du répertoire classique sentent souvent beaucoup moins la naphtaline que les auteurs d’aujourd’hui… Prenez Shakespeare, par exemple. C’est toujours d’une incroyable modernité ! Mais est-ce qu’on jouera encore les pièces de Marcel Rideau dans cinq cents ans ?

Josiane – Madame Ratelier aurait souhaité interviewer l’auteur de la pièce avant le spectacle…

Mikael (tendant la main au critique) – Mikael Delamare… J’incarne le personnage de Dimitri dans la pièce…

Edmonde – Monsieur Delamare… Ravi de vous rencontrer. Je ne vous connaissais que par ce navrant feuilleton sur TF2… Comment est-ce que ça s’appelait déjà ? La Confiture et les Mouches ?

Mikael – Le Miel et les Abeilles.

Edmonde – À la télé, vous aviez l’air plus grand…

Mikael – Et voici ma partenaire, qui joue le rôle de Natacha…

Nancy – Nancy Simpson, très honorée, Madame Ratelier…

Edmonde – Votre visage me dit quelque chose, Mademoiselle Simpson, mais je n’arrive pas à vous remettre…

Nancy – Vraiment… Moi qui me pensais inoubliable…

Edmonde – J’ai dû vous apercevoir aussi à la télévision… Dans un dessin animé, peut-être…

Nancy – Vous avez dû me voir dans une publicité…

Edmonde – Bien sûr ! Ça me revient, maintenant… Pour le papier hygiénique !

Nancy – Je suis très flattée que vous ayez suivi ma carrière artistique avec autant d’attention…

Edmonde – Alors comme ça, vous avez décidé de troquer le papier hygiénique pour les textes de théâtre contemporains ? Remarquez, on se demande parfois si on ne ferait pas mieux de les éditer directement sur ce genre de papier…

Nancy – J’ai eu envie de relever de nouveaux défis, et d’être confrontée à des challenges plus motivants…

Edmonde – Je suis impressionnée, Mademoiselle. Vous parlez comme un cadre commercial qui viendrait d’accepter un poste en Chine pour y exporter du riz camarguais.

Nancy – Une véritable artiste doit prendre des risques, n’est-ce pas ? Se remettre en question sans arrêt. Avec cette pièce, j’ai l’impression de m’engager pleinement au service du théâtre d’aujourd’hui, et de contribuer à édifier les masses laborieuses que la société capitaliste essaie d’abrutir encore un peu plus grâce à la télévision.

Edmonde – Après tout, pourquoi pas vous ? Tout le monde fait du théâtre, maintenant. Même les footballeurs à la retraite.

Josiane – C’est vrai que c’est plus difficile pour un comédien à la retraite de se lancer dans une carrière de footballeur professionnel…

Edmonde – Et en plus, ils se permettent de nous faire la morale ! Ils ont gagné des salaires indécents dans leurs clubs de foot de préférence étrangers pendant des années, ils continuent à s’en mettre plein les poches en tournant dans des publicités pour les assureurs et les banques, et ils jouent dans des pièces qui dénoncent les travers du système capitaliste…

Josiane – La vieillesse est un naufrage… Si Che Guevara était encore vivant aujourd’hui, allez savoir s’il ne tournerait pas dans des publicités pour des après-rasage…

Edmonde – Vous touchez le fond, ma chère Josiane.

Josiane – Pardon ?

Edmonde – Je veux dire le fond du problème. Voilà le véritable drame de la condition humaine, chère amie ! L’homme vit beaucoup trop longtemps ! Et la médecine s’acharne à lui faire gagner encore quelques mois chaque année. Passé trente ans, on ne peut que se répéter ou se caricaturer. Tous les artistes dignes de ce nom devraient être morts à trente ans, croyez-moi. Sans parler des autres…

Christelle, l’ouvreuse, revient avec un air catastrophé.

Christelle – C’est épouvantable, Madame La Directrice… Il est arrivé un terrible malheur…

Edmonde – Cette petite, en revanche, joue très bien la comédie. Je lui prédis une grande carrière… Dans quelle pièce joue-t-elle en ce moment ?

Josiane – C’est l’ouvreuse, Edmonde… Elle aussi rêvait de faire du théâtre, mais elle n’a pas réussi à passer l’épreuve du casting… Quoi donc, mon enfant ? Parlez sans crainte !

Christelle – Marcel Rideau !

Josiane – L’auteur ? Eh bien quoi mon petit ?

Christelle – Je viens de le retrouver.

Josiane – Ah, enfin !

Christelle – Il était enfermé dans les toilettes.

Mikael – Le trac, peut-être… Moi-même, il m’arrive très souvent de vomir avant une première.

Edmonde – Vu les pièces dans lesquelles vous avez joué jusqu’ici, cela ne m’étonne guère, mon jeune ami…

Christelle – Vous ne comprenez pas… Monsieur Rideau est mort !

Josiane – Mort ? Qu’entendez-vous par mort exactement ?

Christelle – Je viens de le trouver pendu dans les toilettes.

Josiane – Rideau ? Pendu !

Christelle – Il s’est pendu avec le cordon de la chasse d’eau, Madame la Directrice ! Croyez-moi, c’est un spectacle épouvantable à voir…

Edmonde – Et pourtant, en tant qu’ouvreuse dans un théâtre, vous avez dû en voir beaucoup.

Josiane – Beaucoup d’auteurs pendus dans les toilettes ?

Edmonde – Beaucoup de spectacles épouvantables !

Josiane – Ah, oui, bien sûr…

Edmonde – Tout de même… Un auteur qui se suicide quelques minutes avant le lever de rideau pour sa première… Quel panache ! Voilà un véritable artiste !

Christelle – Hélas, je ne suis pas sûre qu’il s’agisse d’un suicide…

Edmonde – Et vous pencheriez plutôt pour quoi ? Un accident domestique ?

Christelle – Monsieur Rideau a les mains attachées dans le dos avec du scotch.

Josiane – Les mains attachées à une bouteille de scotch ?

Edmonde – Les auteurs sont souvent un peu portés sur la bouteille.

Christelle – Un rouleau de scotch !

Josiane – Ah oui, évidemment, ça change tout…

Edmonde – Vous pensez que ça pourrait être un meurtre ? De mieux en mieux… On se croirait dans un de ces mélodrames qu’on donnait autrefois sur le boulevard du crime…

Mikael – Un meurtre ! Mais c’est affreux !

Nancy – Et le criminel est peut-être encore parmi nous… Il faut prévenir la police !

Josiane – Je m’en charge…

Mikael (lui tendant son Iphone) – Prenez mon smart phone. Je sais que vous n’avez pas de portable…

Edmonde (à Josiane) – Utilisez plutôt le vieux téléphone à cadran qui est dans votre bureau poussiéreux. Pour appeler la police afin de la prévenir d’un crime, ce sera plus théâtral…

Josiane – Vous avez raison…

Josiane sort, suivie de Christelle. Gonzague arrive.

Gonzague – Ah, Madame Ratelier, j’espère que vous n’êtes pas venue pour nous assassiner…

Edmonde – En ce qui concerne l’auteur de la pièce, mon cher Gonzague, il semblerait que quelqu’un d’autre s’en soit déjà chargé à ma place…

Gonzague – Mais que me chantez-vous là, Ratelier ? Et vous en faites une tête… Que se passe-t-il ? On s’apprête à lever le rideau…

Mikael – Justement… L’ouvreuse vient de retrouver Marcel Rideau pendu dans les toilettes.

Gonzague – C’est une plaisanterie ?

Nancy – Hélas non, Gonzague…

Gonzague – Alors c’est pour ça que les toilettes étaient occupées depuis aussi longtemps. Je voulais y aller, et je me demandais qui pouvait bien… Marcel Rideau s’est suicidé ?

Edmonde – Apparemment, il s’agirait plutôt d’un crime…

Nancy – Même si l’hypothèse d’un accident du travail n’est pas encore tout à fait écartée…

Mikael (sceptique) – Pendu à la chasse d’eau les mains attachées dans le dos avec du scotch ?

Gonzague – Je me demandais aussi où était passé mon rouleau de scotch… Mais c’est épouvantable ! Alors il ne nous reste plus qu’à annuler la représentation…

Nancy – On ne va pas jouer ?

Gonzague – Comment voulez-vous jouer une pièce alors que son auteur se balance encore au bout de la corde de la chasse d’eau avec laquelle il vient de se pendre ?

Mikael – Ou d’être pendu…

Edmonde – Ah non, vous n’allez pas annuler ! J’avais déjà écrit ma critique pour m’avancer un peu…

Gonzague – Apparemment, vous avez travaillé pour rien.

Edmonde – Ça m’apprendra à être aussi consciencieuse…

Gonzague – J’espère au moins que la critique n’était pas trop mauvaise…

Edmonde – Rassurez-vous, la directrice est très amie avec un député qui peut me faire obtenir la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres… Je ne vais pas éreinter les pièces qui se jouent dans son théâtre.

Gonzague – Cela m’étonnait aussi que vous soyez venue en personne… On sait bien que les critiques assistent très rarement aux spectacles sur lesquels ils écrivent.

Edmonde – On ne m’y reprendra pas… Pour une fois j’écrivais une critique élogieuse, je ne vais pas pouvoir la publier !

Mikael – Ne vous inquiétez pas, Madame Ratelier… Si vous publiez une critique sur un spectacle qui n’a pas eu lieu, je pense que personne ne le remarquera…

Nancy – Et si en plus il s’agit d’une bonne critique, personne n’ira s’en plaindre.

Gonzague – De toute façon, personne ne va plus au théâtre.

Edmonde – Et surtout pas les lecteurs de Télédrama… Il y a bien longtemps qu’ils ne regardent plus le théâtre qu’à la télévision…

Gonzague – Qu’ils aillent se faire pendre, eux aussi, avec la corde de leur chasse d’eau pendant la pause publicitaire…

Edmonde – Savez-vous, mon cher Gonzague, pourquoi le mot corde ne doit jamais être prononcé dans un théâtre, pas plus que le mot rideau ou le mot sifflet ?

Gonzague – Je l’ignorais jusque là, mais je commence à avoir une petite idée…

Edmonde – Eh bien à vrai dire, il y a plusieurs théories quant à l’origine de cette superstition… La première, c’est que les saltimbanques d’autrefois étaient souvent des crève-la-faim…

Gonzague – Ça n’a d’ailleurs pas tellement changé pour bon nombre d’entre eux…

Edmonde – Ils leur arrivaient donc fréquemment de voler une poule.

Gonzague – Aujourd’hui encore, ce sont les poules qui les nourrissent bien souvent…

Edmonde – Ce qui fait qu’après avoir foulé les planches d’un théâtre, il n’était pas rare que les comédiens de l’époque finissent par fouler celles d’un échafaud… la corde au cou. La deuxième origine supposée de cette superstition est plutôt liée à…

Christelle revient.

Christelle – Les spectateurs sont déjà là… Qu’est-ce qu’on fait ?

Mikael – On ne peut quand même pas jouer la première comme si de rien n’était. Il y a mort d’homme !

Gonzague – Ou alors on lui rend un hommage juste avant de lever le rideau… Je peux improviser un petit discours…

Edmonde – Vous étiez un ami proche ?

Gonzague – J’ai dit que je pouvais improviser…

Edmonde – Bon, dans ce cas, je vais me mettre aussi à la rédaction de sa notice nécrologique. Je la ferai paraître en même temps que la critique qui encensera la première de sa pièce que je n’ai pas vue…

Gonzague et Edmonde sortent.

Nancy – Et moi qui devais faire mes débuts de jeune première sur les planches ce soir… Voilà une carrière théâtrale qui commence bien…

Mikael – Voyons les choses positivement… On n’aura pas à jouer dans cette pièce affligeante… S’il ne me manquait pas encore quelques heures pour valider mon statut d’intermittent, j’avoue que pour moi, ce serait presque un soulagement…

Nancy – Le pire, c’est que j’aurais couché avec le metteur en scène pour rien.

Mikael – Ce n’était pas un bon coup ?

Nancy – En fait, je ne sais pas trop. Je me suis endormie avant qu’il ait fini… Bon ben on ne va pas rester planter là…

Mikael – On n’a qu’à retourner en loge en attendant de savoir ce qui se passe…

Ils s’apprêtent à sortir.

Nancy – Et l’auteur, c’était un bon coup ?

Mikael – Phénoménal…

Nancy – Ce n’est pas ce que m’a dit l’ouvreuse.

Mikael – Elle n’a peut-être pas su par où le prendre…

Nancy – C’est sûrement pour ça qu’elle est restée ouvreuse…

Nancy et Mikael sortent tous les deux. Arrivent Josiane, le directrice du théâtre, et Christelle, l’ouvreuse.

Josiane – Vous ne l’avez pas décroché, au moins ?

Christelle – Le téléphone ?

Josiane – Le pendu ! Vous savez que dans ces cas-là, il ne faut toucher à rien avant l’arrivée de la police ! C’est en tout cas ce qu’on dit dans toutes les séries policières à la télévision…

Christelle – Je l’ai laissé où il est, rassurez-vous… Mais c’est vrai que si on a envie d’aller aux toilettes…

Josiane – Eh bien vous vous retenez mon petit ! Ou alors vous allez au cinéma d’à côté. Il y a des toilettes dans le hall… Où est passée Ratelier ?

Christelle – Je l’ai aperçue qui se rinçait l’œil dans les loges tout à l’heure pendant que les comédiens se changeaient…

Le Commissaire Ramirez et son adjoint Sanchez arrivent (Ramirez et Sanchez peuvent aussi bien être homme ou femme).

Josiane – Qu’est-ce que vous foutez là, vous ? Vous êtes entrés par la porte de derrière ?

Christelle (pour elle-même) – Je me demande si ce n’est pas ce que j’aurais dû faire dans cet Hôtel Ibis pour avoir le premier rôle dans cette pièce…

Ramirez – Ne vous inquiétez pas, on est de la maison… D’ailleurs, on nous appelle les guignols… (Il montre sa carte tricolore) Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez…

Josiane – Je suis vraiment confuse, commissaire… Je vous avais pris pour des spectateurs égarés… Il y a un cinéma porno juste à côté, et certains clients se trompent de porte. Ils constituent d’ailleurs une part non négligeable de notre clientèle (Elle tend la main au commissaire) Josiane Lefour, je suis la directrice de ce théâtre.

Ramirez lui serre la main.

Ramirez – Ah oui, on sent tout de suite que vous êtes une femme à poigne, Madame Lefour…

Josiane – Pardonnez-moi cette méprise…

Ramirez lance un regard autour de lui.

Ramirez – Voici donc le théâtre du crime… Vous êtes déjà allé au théâtre, Sanchez ?

Sanchez – Le théâtre ? Vous voulez dire… La Cage aux Folles, ce genre de conneries…

Ramirez – Mais non, pas la Cage aux Folles, Sanchez ! Le théâtre, le vrai ! William Shakespeare ! Pierre Corneille ! Jean-Baptiste Poquelin ! Laurent Ruquier !

Josiane – Nous n’avons touché à rien, commissaire. Le corps se trouve dans les toilettes. Si vous voulez bien vous donner la peine…

Ramirez – Allez jetez un coup d’œil, Sanchez. Et voyez si la victime a bien tiré la chasse avant de se ligoter les mains dans le dos avec du scotch et de se pendre avec la corde de la chasse d’eau.

Sanchez – Et si ce n’est pas le cas, commissaire ?

Ramirez – Et bien vous envoyez les selles au labo ! (À Josiane) Il faut tout leur apprendre…

Josiane – L’ouvreuse va vous accompagner…

Ramirez – Et n’oubliez pas le pourboire, Sanchez !

Sanchez – Je ne suis pas sûr d’avoir de la monnaie…

Christelle – Par ici, je vous prie…

Christelle sort, suivie par Sanchez. Ramirez se marre.

Ramirez – Sacré Ramirez… Il débute dans le métier, il faut bien le bizuter un peu… Mais ce n’est pas méchant, vous savez…

Josiane – J’imagine que vous souhaitez interroger les différents protagonistes de ce drame…

Ramirez – Ah parce que c’est un drame ? Je vous avoue que j’ai une petite préférence pour la comédie. Avec mon métier, vous comprenez, si c’est pour retrouver des macchabés sur scène quand je sors le samedi soir avec ma femme…

Josiane – Je parlais du meurtre, commissaire.

Ramirez – Bien sûr…

Josiane – Enfin, s’il s’agit vraiment d’un meurtre…

Ramirez – Hun, hun… Ce n’est pas vous qui l’avez tué, au moins, Josiane ?

Josiane – Moi, commissaire ?

Ramirez – Vous savez, quand on s’appelle Josiane… On est déjà dans le collimateur de la justice… On parle toujours du délit de sale gueule, mais il y a aussi des prénoms, comme le vôtre, qui sont défavorablement connus de nos services, comme on dit.

Josiane – Mon prénom ?

Ramirez – Si vous saviez le nombre de Josiane que j’ai arrêtées dans ma carrière en tant que serial killeuses ou exhibitionnistes.

Josiane – Vraiment ?

Ramirez – En général, les Josiane sont des perverses narcissiques, et c’est une règle qui ne souffre que très peu d’exceptions, croyez-en mon expérience…

Josiane – Je vous assure, commissaire, que mon casier judiciaire est totalement vierge. Tout comme moi, d’ailleurs.

Ramirez – Mais je plaisante, Josiane !

Josiane – Vous m’avez fait peur, commissaire..

Ramirez – Enfin, vous ferez peut-être un peu moins la maline quand mon adjoint Sanchez vous aura passée à tabac. Vous avez déjà reçu un coup de Bottin Mondain sur la tête, Madame Lefour ?

Josiane – Je pensais que ce genre de méthodes n’avait plus cours dans la police…

Ramirez – Moi, je serai plutôt pour la douceur et la psychologie. Mais dans tous les métiers, vous savez, il y en a qui préfèrent continuer à travailler à l’ancienne… Même parmi nos nouvelles recrues. La foi des nouveaux convertis !

Josiane – Mais je vous jure, commissaire, que…

Ramirez – Je plaisante, Josiane ! Pour une femme de théâtre, vous n’avez pas tellement le sens de l’humour, dites-moi. C’est important, l’humour, vous savez… Surtout quand on fait un métier comme le vôtre. Comme le mien aussi, d’ailleurs…

Josiane – Excusez-moi, je suis un peu perturbée. Avec tout ce qui vient de me tomber sur la tête…

Ramirez – Et la critique, vous êtes sûr qu’elle n’est pas dans le coup ?

Josiane – Pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ?

Ramirez – Les critiques ont l’habitude d’assassiner les auteurs, non ? (Josiane est à nouveau déstabilisée) Ah, je vous ai encore eu, Josiane… Bon alors ils sont où, les comiques ?

Josiane – Les comiques ?

Ramirez – Les comédiens !

Josiane – Je vous les envoie tout de suite, commissaire. Vous désirez un café, ou un petit remontant ?

Ramirez – Vous n’auriez pas une ligne de coke plutôt ? Je sais que dans le monde du show biz, c’est un produit de consommation courante, j’étais à la mondaine avant. C’est d’ailleurs là que j’ai contracté cette mauvaise habitude. J’essaie d’arrêter, mais vous savez ce que c’est…

Josiane (souriant) – Ah non, commissaire, cette fois vous ne m’aurez pas…

Ramirez – Pardon ?

Josiane – Vous plaisantez, n’est-ce pas ?

Ramirez (très sérieux) – Est-ce que j’ai l’air de plaisanter, Josiane ?

Josiane – Je vais me renseigner, mais je ne vous promets rien…

Josiane sort. Ramirez se marre.

Ramirez – Josiane…

Resté seul, Ramirez s’avance vers le devant de la scène, en prenant des poses.

Ramirez (théâtral) – To be… or not to be ?

Mikael arrive par derrière.

Mikael – Vous connaissez la pièce, commissaire ?

Ramirez se retourne surpris et un peu embarrassé.

Ramirez – Qui ne la connaît pas ?

Mikael – Marcel Rideau était un immense auteur. Sa disparition nous laisse tous orphelins…

Ramirez – Marcel ?

Mikael – L’auteur de la pièce que nous nous apprêtions à jouer ce soir ! Et qu’on vient de retrouver pendu au cordon de la chasse d’eau.

Ramirez – Marcel, bien sûr…

Mikael – C’est bien pour enquêter sur ce drame que vous êtes là, commissaire, non ?

Ramirez – Et c’est une affaire que je me fais un point d’honneur à élucider dans les délais les plus brefs, cher ami. Car le commissaire Ramirez est l’ami du théâtre. Et l’ennemi de la pègre. Alors comme ça, vous êtes comédien ?

Mikael – Oui, commissaire.

Ramire – Mais le théâtre, c’est vraiment votre métier ou bien… vous avez un vrai boulot à côté ?

Mikael – Le théâtre est avant tout une passion, vous savez…

Ramirez – Moi aussi, j’ai fait un peu d’art dramatique quand j’étais au lycée. D’ailleurs, ça m’a beaucoup servi dans mon métier. Enfin, je ne suis qu’un amateur…

Mikael – Non, non, mais… On sent que vous avez une très bonne présence sur scène.

Ramirez – Vous trouvez ?

Mikael – Absolument. Ainsi qu’un gros potentiel comique.

Ramirez – Venant de part d’un vrai professionnel, ça me touche beaucoup…

Mikael – Et permettez-moi d’ajouter : une très bonne diction.

Ramirez – Ah, la diction ! Très important la diction. (Surarticulant) Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ?

Mikael – Papa boit dans les pins, papa peint dans les bois, dans les bois papa boit et peint.

Ramirez – Si six cents scies scient six cent cigares, six cents six scies scieront six cents six cigares.

Mikael – Dis-moi petite pomme, quand te dépetitepommeras-tu ? Je me dépetitepommerai quand toutes les petites pommes se dépetitepommeront. Or comme toutes les petites pommes ne se dépetipommeront jamais, petite pomme ne se dépetitepommera jamais.

Ramirez, impressionné, s’apprête à enchaîner avant de renoncer.

Ramirez – Oui, bon, revenons à nos moutons… Nom, prénom, état civil, profession…

Mikael – Delamare Mikael, célibataire, comédien.

Ramirez – Alors Monsieur Delamare, que pouvez-vous me dire au sujet de la victime ? Il était auteur de théâtre, c’est bien ça ?

Mikael – Un immense auteur, commissaire.

Ramirez – Savez-vous si Monsieur… Rideau avait une vie dissolue, comme la plupart de ses congénères dramaturges ?

Mikael – Pas à ma connaissance, commissaire.

Ramirez – Des addictions particulières ? Héroïne, cocaïne, cocacolaïne…

Mikael – Je ne pense pas…

Ramirez – Des maîtresses ? Une femme trompée qui aurait pu vouloir se venger de ses infidélités ?

Mikael – Je crois pouvoir affirmer que Marcel Rideau n’était pas un coureur de jupons.

Ramirez – Et qu’est-ce qui vous fait penser que ce monsieur n’était pas porté sur la chose, Delamare ?

Mikael – Je n’ai pas dit que Marcel Rideau n’était pas porté sur la chose, commissaire. J’ai dit que ce n’était pas après les jupons qu’il courait.

Ramirez – N’essayez pas de m’embrouiller, hein ? C’est vous qui teniez la chandelle, peut-être ?

Mikael – Oui, on peut dire ça comme ça…

Ramirez – Quand et où avez-vous vu la victime pour la dernière fois ?

Mikael – Eh bien… C’était je crois pour une première lecture de sa pièce. À l’Hôtel Ibis de la Porte de Montreuil. Chambre 214. Il y a environ un mois, vers deux heures du matin.

Ramirez – Donc, vous n’êtes pas la dernière personne à avoir vu Marcel Rideau vivant.

Mikael – En tout cas, je crois pouvoir affirmer que je suis la dernière personne à l’avoir vu en caleçon…

Ramirez – Une dernière question, Monsieur Delamare. Et je vous prierais d’y répondre cette fois sans détours…

Mikael – Je vous écoute, commissaire ?

Ramirez – À votre connaissance, Monsieur Marcel Rideau avait-il une bonne assurance-vie ?

Mikael – Je l’ignore, commissaire. Vous pensez que cela pourrait être le mobile du crime ?

Ramirez – Quelle drôle d’idée… Non, c’est juste que j’ai moi-même un petit héritage à placer, et je me demande si je dois opter pour l’immobilier ou pour un produit d’épargne… Qu’est-ce que vous en pensez ?

Mikael – La pierre, ça reste quand même le meilleur placement à long terme, commissaire.

Ramirez – Vous avez raison, surtout la pierre tombale… Je crois que finalement, je vais investir dans un caveau de famille. Merci de votre aide, Monsieur Delamare. Ce sera tout pour l’instant. Vous pouvez m’envoyer votre partenaire ?

Mikael – Je me l’envoie tout de suite, commissaire. Je veux dire… je vous l’envoie tout de suite.

Ramirez – Ah, il faudra encore travailler votre diction, cher ami. C’est combien ces six saucissons-ci ? C’est six sous ces six saucissons-ci. Six sous ceux-ci, six sous ceux-là aussi…

Mikael (l’interrompant) – Petit pot de beurre, quand te dépetitpotdebeurrerastu ? Je me dépetitpotdebeurreriserai quand tous les petits pots de beurre…

Ramirez (l’interrompant) – Oui, bon, ça va, assez rigolé…

Mikael sort. Sanchez revient.

Sanchez – J’ai décroché le pendu, commissaire.

Ramirez – Avant l’arrivée de la police scientifique ?

Sanchez – Ce n’est pas très professionnel, je sais, mais au moins, on pourra utiliser les toilettes…

Ramirez – Vous avez raison. Quelle idée, aussi, de se pendre dans un endroit pareil… Et qu’est-ce que vous avez fait du corps ?

Sanchez – Je l’ai suspendu à un cintre, dans les loges, avec les costumes de la pièce… Vous privilégiez toujours la thèse du suicide, commissaire ? Même si la victime avait les mains attachées dans le dos ?

Ramirez – J’ai connu un contorsionniste autrefois qui s’est suicidé en s’étranglant lui-même avec ses orteils alors qu’il avait les mains attachées avec des menottes au radiateur de mon bureau…

Sanchez – Pour faire croire à une bavure policière, j’imagine…

Ramirez – Il faut se méfier des apparences, Sanchez. C’est le b a ba de notre métier. Derrière chaque contorsionniste peut se cacher un gauchiste prêt à tout pour salir l’honneur de la police.

Sanchez – Vous avez raison, commissaire…

Ramirez – Bon, alors quelles sont vos conclusions, Sanchez.

Sanchez – Je pense comme vous, commissaire. Beaucoup de gens nous détestent, alors que nous risquons notre vie chaque jour pour assurer la sécurité de nos concitoyens…

Ramirez – Je parlais de la victime, Sanchez. Quelles sont vos constatations ?

Sanchez – Apparemment, le décès est consécutif la pendaison. Je veux dire par là que Rideau était encore vivant avant de se pendre.

Ramirez – Ou d’être pendu, Sanchez. Attention, pas de conclusions hâtives.

Sanchez – L’homme, cependant, ne semble pas avoir résisté. Le scotch qui a été utilisé pour lui lier les mains, en revanche, a lui très bien résisté. J’aimerais bien connaître la marque pour avoir la même au bureau.

Ramirez – Vous n’avez qu’à envoyer un échantillon du scotch au labo, ils nous trouveront sûrement la marque. C’est vrai que du scotch de qualité, de nos jours, c’est très difficile a trouver.

Sanchez – Autre détail qui pourrait avoir son importance, commissaire : le cordon avec lequel Rideau s’est pendu est bleu…

Ramirez – Un cordon bleu, je vois… Tout le contraire de ma belle-mère, hélas… Autre chose, Sanchez ?

Sanchez – Non… Enfin si. Rideau avait le pantalon baissé jusqu’aux genoux. Bizarre, non ?

Ramirez – Vous ne baissez pas votre pantalon, lorsque vous allez aux toilettes, Sanchez ?

Sanchez – Si… Mais pas lorsque je vais aux toilettes pour me suicider.

Ramirez le regarde, intrigué.

Ramirez – Et vous vous êtes déjà raté combien de fois, Sanchez ?

Sanchez – Comment ça, commissaire ?

Ramirez – Vous savez, si vous avez des problèmes personnels, vous pouvez m’en parler. Je suis votre patron, certes, mais je suis aussi votre ami. Que dis-je, presque votre père…

Sanchez – Ah, non, mais je voulais dire : si je voulais me suicider, et que j’allais aux toilettes pour ça, je ne baisserais certainement pas mon pantalon…

Ramirez – Vous me rassurez, Sanchez…

Sanchez – D’ailleurs, si je voulais me suicider, j’utiliserai plutôt mon arme de service, comme les collègues. C’est quand même plus viril, pas vrai commissaire ? La pendaison, c’est plutôt un truc de gonzesses, non ?

Nancy arrive.

Ramirez – Allez vous faire pendre ailleurs, Sanchez. Je dois m’occuper de Mademoiselle. Profitez-en pour prendre la déposition de Monsieur Delamare que je viens d’interroger. Mais je vous préviens, ce type ne m’a pas l’air très franc du collier. Un conseil, Sanchez, ne lui tournez jamais le dos…

Sanchez sort.

Ramirez – À nous deux, Nancy. Vous permettez que je vous appelle Nancy ?

Nancy – Bien sûr, commissaire.

Ramirez – Tout d’abord, une petite question, au sujet de votre prénom, justement. Quelque chose m’intrigue. Nancy… Ça a un rapport avec la ville ?

Nancy – La ville ?

Ramirez – La ville de Nancy ! Non, parce que moi aussi, je suis originaire de là-bas, figurez-vous. Ça nous ferait déjà un point commun…

Nancy – Vous, commissaire Ramirez, vous êtes originaire de Nancy ?

Ramirez – J’ai perdu l’accent du pays, je sais… Mais j’ai quitté Nancy à l’âge de dix-huit ans, pour m’engager dans la légion… C’est d’ailleurs à ce moment que j’ai opté pour ce nouveau patronyme de Ramirez afin de brouiller les pistes… Mon vrai nom, c’est Roberta Zimmerman. Enfin, c’est une autre histoire. Et vous ?

Nancy – Je suis d’origine anglaise, commissaire, tout simplement…

Ramirez – Nancy Simpson, bien sûr… C’est un nom anglo-saxon. Comme Johnny Halliday ou Eddie Mitchel…

Nancy – En Angleterre, Nancy, est un prénom très courant…

Ramirez – Allez savoir pourquoi ? Pourtant, il n’y a aucune ville qui s’appelle Nancy en Grande Bretagne… Enfin, venons en à l’affaire qui nous occupe… Vous connaissiez personnellement la victime ?

Nancy – Je l’ai rencontré une ou deux fois…

Ramirez – À l’Hôtel Ibis de la Porte de Montreuil, peut-être…

Nancy – Désolée, mais je ne fréquente pas les Hôtels Ibis… Pour qui me prenez-vous, commissaire ?

Ramirez – Allons ! Tout le monde sait que dans le monde du show biz règne un certain relâchement des mœurs, et les comédiennes ont la réputation d’avoir la cuisse légère… Vous seriez la seule à n’avoir jamais couché pour décrocher un pendu ? Je veux dire pour décrocher un rôle…

Nancy – J’ai dit que je ne fréquentais pas les Hôtels Ibis, commissaire. Je n’ai pas parlé des Sofitels ou des Hiltons.

Ramirez – Donc vous me confirmez que vous n’avez jamais été la maîtresse de Monsieur Rideau.

Nancy – Si vous me permettez, commissaire, j’étais très au dessus de ses moyens… Vous savez, avant de faire du théâtre, j’étais une vedette du petit écran…

Ramirez – Je vous ai adoré dans cette pub pour le papier toilette. D’ailleurs, si vous me permettez à mon tour… (Sortant un stylo) Je peux vous demander un autographe ? C’est pour ma mère. Elle ne rate jamais un passage de ce spot publicitaire à la télévision.

Nancy – Mais je vous en prie…

Sanchez fait à nouveau irruption.

Ramirez – Oui Sanchez ?

Sanchez – Je vous dérange un instant, commissaire, mais je viens de faire une découverte intéressante…

Sanchez tend un rouleau de papier hygiénique à Ramirez.

Ramirez – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Sanchez – Le papier hygiénique… Celui qui se trouvait dans les toilettes où on a retrouvé Marcel Rideau pendu…

Ramirez – Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ça, Sanchez ? Vous voyez bien que je suis en rendez-vous…

Sanchez – Marcel Rideau avait une boule de papier hygiénique dans la bouche lorsqu’on l’a retrouvé mort. Sans doute pour l’empêcher de crier…

Ramirez – Et alors ?

Sanchez – Eh bien… Le papier toilettes utilisé pour bâillonner l’auteur est de la même marque que celui pour lequel Mademoiselle a fait de la publicité à la télé il y a une dizaine d’années…

Nancy – Un peu moins que ça, quand même… Et j’étais presque une enfant…

Ramirez – Et quelles conclusions en tirez-vous, Sanchez ?

Sanchez – Aucune… Mais je pensais que ce détail pouvait vous intéresser, commissaire… Vous m’avez toujours dit que dans une enquête, il ne fallait négliger aucun détail…

Ramirez – Mais ça m’intéresse, Sanchez, ça m’intéresse… Merci, vous pouvez disposer…

Sanchez sort.

Nancy – Rien de plus normal à ce que cette marque de papier soit présente dans les toilettes du théâtre, commissaire. Le fabriquant est le sponsor officiel de notre spectacle.

Ramirez – Mais c’est très généreux de sa part de soutenir ainsi la création théâtrale contemporaine.

Nancy – Alors bien entendu, pour le remercier, nous mettons ses produits en tête de gondole, si je puis m’exprimer ainsi. Tout comme les livres des Editions l’Après-Scène, qui ont publié la pièce de Marcel Rideau, et que l’auteur devait dédicacer après le spectacle…

Ramirez – Mais c’est inespéré, chère amie… Accepteriez-vous de me signer votre autographe directement sur ce papier ? J’offrirai le rouleau à ma mère pour Noël, c’est le plus beau cadeau que je pouvais lui faire.

Nancy appose sa signature sur le rouleau de papier.

Nancy – Et voilà, commissaire…

Ramirez – Merci infiniment, Nancy… Je ne vous ennuierai pas davantage avec mes questions…

Nancy – Merci commissaire.

Ramirez – Me permettez-vous de vous escorter jusqu’à votre loge où j’imagine, vous désirez vous déshabiller, puisque ce spectacle est annulé…

Nancy – Avec plaisir, commissaire.

Ramirez – J’en profiterai pour explorer un peu les lieux…

Nancy – Je m’offre à vous comme guide. Par où souhaitez-vous commencer la visite ?

Ramirez – Pourquoi pas par les toilettes ? Elles viennent de se libérer…

Nancy – Suivez-moi, commissaire…

Ils sortent. Sanchez arrive et tombe sur Christelle qui arrive elle aussi, très préoccupée.

Christelle – C’est une catastrophe… Tous les spectateurs sont déjà là… Si on doit annuler la représentation, qu’est-ce qu’on va leur dire ? Ça va être une émeute…

Sanchez – Voulez-vous que j’appelle un ou deux cars de CRS pour les disperser ?

Christelle – Je ne pense pas que ce sera nécessaire, tout de même… Vous n’auriez pas croisé le commissaire ?

Sanchez – Justement, je le cherche…

Christelle – Je crois qu’il voulait interroger les spectateurs. Ils sont là, juste à côté…

Sanchez – Tous ?

Christelle – Je les fais entrer ?

Sanchez – Allez-y, je vais m’en occuper.

Christelle – Par ici, je vous en prie.

Kevin et Wendy arrivent, le genre beaufs.

Sanchez – Il n’y en a que deux ?

Christelle – C’est du théâtre subventionné, vous savez… Les spectateurs, c’est une espèce en voie de disparition…

Sanchez – Ils ont l’air d’être en couple… Vous voulez qu’on les mette en cage au commissariat pour voir s’ils arrivent à se reproduire en captivité ?

Christelle – Il y en a deux autres, mais je me suis dit que vous préféreriez sûrement commencer par interroger les spectateurs payants. Ce sont eux les premiers suspects, non ?

Sanchez – Ah, oui, et pourquoi ça ?

Christelle – Entre nous, qui voudrait payer pour voir une pièce pareille ?

Sanchez – C’est quoi, le titre, déjà ?

Christelle – Le jour juste avant la nuit.

Sanchez – C’est vrai que ce n’est pas très vendeur…

Christelle – Je vous les laisse…

Christelle sort. Sanchez toise les deux spectateurs.

Sanchez – Et vous allez me faire croire que vous vous intéressez au théâtre contemporain ?

Kevin – Non, pourquoi ?

Sanchez – Comment ça, non ? Vous êtes bien venus pour voir une pièce intitulée « Le jour juste avant la nuit » ?

Wendy – Pas du tout ! On venait au cinéma pour voir un film intitulé L’Arrière Train Sifflera Trois Fois.

Kevin – On a dû se tromper de salle, hein Wendy ?

Wendy – Mais c’est quoi, cette pièce, qui se joue dans ce théâtre alors ?

Kevin – C’est une comédie ?

Wendy – Non, parce que nous, les pièces prises de tête et tout…

Sanchez – Bon, je ne sais pas si vous entendrez l’arrière-train siffler trois fois, mais en tout cas, vous n’êtes pas prêts d’entendre frapper les trois coups. Le spectacle est annulé pour cause de meurtre.

Kevin – Ben oui mais nous, maintenant, on a raté le début du film.

Wendy – On ne va plus rien comprendre.

Sanchez – Bon allez, dégagez avant que je m’énerve… Je vous raccompagne jusqu’à la sortie, pour être sûr que cette fois, vous ne vous tromperez pas de porte…

Wendy – Je peux utiliser les toilettes, avant de partir ?

Sanchez – Si vous voulez, mais je vous le déconseille… La dernière personne qui les a utilisées n’en est pas ressortie vivante…

Kevin et Wendy s’en vont, escortés par Sanchez. Josiane et Gonzague arrivent.

Josiane – Je la sentais mal, cette pièce… Je ne sais pas pourquoi, mais je la sentais mal…

Gonzague – Pour une fois qu’on jouait un texte du répertoire contemporain, c’est réussi !

Josiane – Vous avez raison. On ne devrait jouer que des auteurs morts…

Gonzague – Au moins, ils ne risquent pas de vous claquer entre les pattes juste avant le lever de rideau…

Josiane – Remarquez, si on essaie de voir les choses positivement, cela pourrait donner au spectacle une certaine visibilité…

Gonzague – Le fait qu’il soit annulé, vous voulez dire ?

Josiane – La mort de l’auteur ! Ça pourrait faire un peu de buz autour de la pièce, comme on dit aujourd’hui. Parce que sinon, vous avouerez…

Gonzague – Quoi ?

Josiane – J’ai assisté à quelques répétitions… Cette pièce est quand même très chiante, non ? D’ailleurs, je n’ai pas compris, c’est un drame ou une comédie ?

Gonzague (réfléchissant) – Vous n’avez pas tort, au sujet de Rideau… Et si en plus il a été assassiné, ça donne carrément un petit côté sulfureux à toute cette affaire… On pourrait faire un tabac…

Josiane – Bon, on n’est pas obligé de préciser non plus qu’on a retrouvé Rideau le pantalon baissé au fond des toilettes bâillonné avec du papier toilettes, ce n’est pas très glamour…

Gonzague – On pourrait demander à Ratelier de nous faire un article là-dessus dans Télédrama… Vous croyez qu’elle accepterait ?

Josiane – Elle ne peut rien me refuser… Grâce à mes relations à la chambre, elle va être bombardée Chevalier des Arts et des Lettres le mois prochain…

Gonzague – Ratelier ? Elle n’a jamais rien écrit de sa vie à part des articles assassins sur des spectacles qu’elle n’a même pas vus. Vous pensez qu’elle pourrait nous avoir la couverture de Télédrama…

Josiane – Elle me doit bien ça.

Ils sortent. Ramirez revient avec Sanchez.

Ramirez – Alors Sanchez, ça avance, cette enquête ?

Sanchez – On piétine, commissaire… Je viens d’interroger les deux spectateurs payants, mais apparemment ils se sont trompés de salle… Ils allaient voir un film d’art et essai dans le cinéma d’à côté…

Ramirez – Bon, on verra ce que ça donne du côté des invités… Autre chose ?

Sanchez – J’ai interrogé aussi la directrice du théâtre. Une drôle de bonne femme. Elle n’a pas de téléphone portable, mais elle pourrait bien avoir un mobile…

Ramirez – Vous venez de me dire qu’elle n’avait pas de portable… Comment pourrait-il avoir un mobile ?

Sanchez – Un mobile pour le crime !

Ramirez – Tiens donc…

Sanchez – Eh oui, commissaire : tous les théâtres parisiens sont aujourd’hui au bord de la faillite. Et les auteurs morts, c’est moins cher…

Ramirez – Moins cher que quoi ?

Sanchez – Moins chers que les auteurs vivants !

Ramirez – Et bien voyez-vous, Sanchez, voilà quelque chose que j’ignorais.

Sanchez – Vous m’avez toujours dit, commissaire, avant de commencer une enquête, de me poser cette question…

Ramirez – À qui profite le crime ?

Sanchez – Et bien dans ce cas la réponse est évidente : Marcel Rideau passé de vie à trépas, ça veut dire plus aucun droit d’auteur à payer…

Ramirez – En somme, un bon auteur est avant tout un auteur mort…

Sanchez – Avouez que dans ces conditions, c’est quand même tentant pour une directrice de théâtre d’inviter l’auteur à la première et de le pendre dans les toilettes en essayant de faire passer sa mort pour un suicide.

Ramirez – Sanchez, je n’avais déjà pas une très haute opinion de vous, mais je crois que je vous avais sous-estimé. Vous ferez une grande carrière dans la police…

Sanchez – Merci commissaire, ce que vous me dites me touche beaucoup.

Christelle arrive suivie de Madame Racine, genre vieille taupe bcbg, et de Monsieur Tristounet, portant au revers de sa veste plus de médailles qu’un général de république bananière..

Christelle – Excusez-moi de vous interrompre, commissaire…

Ramirez – C’est qui, ces deux crétins ? Ils jouent dans la pièce, eux aussi ?

Christelle – Ce sont les deux spectateurs en détaxe, commissaire… Je crois que vous vouliez les interroger aussi…

Christelle repart.

Racine – Bonjour commissaire. Je suis Madame Racine, Présidente de la Société des Auteurs et Imposteurs Dramatiques…

Ramirez – Racine ? Et vous êtes apparentée avec…

Racine – C’est mon aïeul en ligne directe, oui.

Ramirez – Bravo… Ça vous donne en effet une certaine légitimité pour parler aux noms des auteurs de théâtre contemporains.

Racine – J’étais invitée à assister à la création de la pièce de Monsieur Marcel Rideau. Il faut vous préciser que l’auteur avait obtenu le Prix du Boulevard Beaumarchais pour écrire cette pièce.

Ramirez – Un prix qui récompense une comédie de boulevard, donc…

Racine – Non, le Boulevard Beaumarchais à Paris. C’est là, au numéro 11bis, que se réunit le jury du concours dans une de nos succursales, pour délibérer en totale indépendance…

Ramirez – Et vous dites que l’auteur avait obtenu ce prix pour écrire sa pièce ? Je pensais naïvement qu’on accordait des prix à des œuvres déjà écrites… Est-ce que le Goncourt est également décerné par anticipation à un auteur en pariant sur son génie à venir ?

Racine – C’est un peu difficile à comprendre pour un non initié, je vous le concède, mais…

Ramirez – Monsieur Rideau était peut-être de la famille, lui aussi ?

Racine – Quelle famille ?

Ramirez – Celle qui a donné son nom à un boulevard…

Racine – Mais pas du tout !

Ramirez – Et qu’est-ce qu’il faut faire, au juste, pour obtenir le Prix du Boulevard Beaumarchais ?

Racine – Et bien… L’auteur doit postuler de façon anonyme, afin de ne pas reconnaître son propre dossier de candidature au cas où il viendrait à faire lui-même partie du jury de sélection…

Ramirez – Une intégrité qui vous honore, chère Madame.

Racine – Ensuite, le candidat doit préciser le sujet de la pièce qu’il envisage d’écrire, bien sûr…

Ramirez – Ah, quand même… C’est assez pointu, dites-moi…

Racine – Je ne vous cacherai pas qu’à ce stade, nous considérons certains sujets plus dignes d’être abordés que d’autres en fonction de l’idée que nous nous faisons de ce que doit être le théâtre d’aujourd’hui.

Ramirez – Quels genres de sujet, par exemple ?

Racine – Disons qu’en nous proposant une pièce dont l’action se passe en Tchétchénie, et mettant en scène des médecins humanitaires sacrifiant leur vie pour secourir des orphelins atteints de la maladie de Parkinson, Marcel Rideau avait bien compris qu’il avait toutes les chances de recueillir notre assentiment…

Tristounet – Si je puis me permettre, Madame la Présidente, il s’agissait de la maladie d’Alzheimer…

Racine – C’est vrai, je ne m’en souvenais plus…

Ramirez – Donc, si je comprends bien, votre préférence va plutôt aux sujets un peu graves. Pour ne pas dire totalement rébarbatifs…

Racine – Ah, non, mais on peut aussi nous proposer des sujets plus légers, comme le chômage chez les travailleurs sans papiers, les tournantes dans les cités de banlieue ou la toxicomanie chez les intermittents du spectacle. Nous ne sommes pas insensibles à l’humour, non plus…

Ramirez – Je vois… On peut rire de tout, mais de préférence entre gens qui partagent le même sens de l’humour…

Racine – Je vous présente Monsieur Tristounet du Syndicat des Écrivains Assistés du Théâtre… C’est lui qui préside le Jury. Il saura sans doute vous expliquer tout ça beaucoup mieux que moi…

Tristounet – Je me présente, Monsieur le Commissaire, Jean-Alain Tristounet, Vice Champion du Monde de Pétanque du Nord Pas de Calais, Détenteur des Palmes Académiques et de la Médaille du Mérite Agricole. En tant qu’auteur de théâtre le plus joué dans le Maine et Loire, et Président des Écrivains Assistés du Théâtre, je crois pouvoir parler au nom de l’ensemble de mes amis auteurs.

Sanchez – Attendez, je note… Écrits Vains, c’est en deux mots ou en un seul ?

Ramirez – Laissez tomber, Sanchez. Quelque chose me dit que ce témoignage n’apportera aucun élément nouveau à notre enquête…

Tristounet – Je viens d’apprendre, moi aussi, la disparition tragique de Monsieur Marcel Rideau, et je tenais à vous dire que lorsqu’on assassine un auteur de théâtre, c’est le théâtre qu’on assassine…

Ramirez – Au fait, Tristounet. Au fait.

Tristounet – En un mot comme en cent, Monsieur le commissaire, Marcel Rideau était un immense écrivain, dont la perte laisse un vide énorme dans le paysage du théâtre contemporain. Que dis-je, un véritable trou noir au milieu de notre galaxie…

Ramirez – Vous le connaissiez personnellement ?

Tristounet (envolée lyrique) – Marcel Rideau naquit dans un milieu modeste de la petite bourgeoisie nantaise. Muni de son agrégation de lettres modernes, il monte à Paris, comme on disait à l’époque, pour y suivre des cours d’art dramatique. Mais il comprend vite que sa passion pour…

Ramirez – Bon, Tristounet, ce n’est pas que je m’ennuie, mais vous allez peut-être garder votre baratin pour l’oraison funèbre.

Tristounet – Je suis prêt à répondre à toutes vos questions, commissaire.

Ramirez – Ce que je voudrais savoir, Tristounet, c’est si quelque chose dans le contenu de cette pièce aurait pu aller à l’encontre des intérêts ou des croyances d’un groupe politique ou religieux quelconque, et aurait pu ainsi motiver l’assassinat de son auteur…

Tristounet – Mon Dieu, je ne pense pas, Monsieur le commissaire. Nous avons l’habitude de récompenser par avance des pièces qui ne dérangent personne, et qui sont exclusivement destinées à plaire aux généreux donateurs qui nous subventionnent. Dois-je préciser, commissaire, que je suis, moi-même, un grand ami de la police ?

Ramirez – Mais il arrive tout de même que ces pièces soit montées, non ?

Racine – Rarement, Monsieur le commissaire. Mais elles font l’objet d’innombrables lectures publiques auxquelles n’assistent généralement que les membre du jury qui les a sélectionnées…

Edmonde revient avec Josiane.

Edmonde – Commissaire, je viens de faire une découverte que je qualifierais de stupéfiante.

Ramirez – Stupéfiante ? Je sens que vous allez me parler de la coke que j’ai retrouvée dans la chasse d’eau empaquetée dans un sac en plastique étanche ?

Sanchez – Vous avez retrouvé de la coke dans les toilettes, commissaire ?

Ramirez – Comme cela n’a sans doute rien à voir avec notre enquête, je pensais la garder pour ma consommation personnelle… Mais bon, je vous en aurais donné un peu aussi pour graisser la patte à vos indics.

Sanchez – Merci, commissaire.

Edmonde – Mais je ne parle pas de cocaïne !

Ramirez – De quoi nous parlez-vous alors, vieille toupie ?

Edmonde – Cette pièce est une contrefaçon, commissaire !

Racine – Une contrefaçon ?

Edmonde – Je viens de m’apercevoir que j’avais déjà écrit il y a dix ans une critique au sujet de ce navet ! Et après on va dire que je ne fais pas scrupuleusement mon travail…

Ramirez – Quel navet ?

Edmonde – Le jour juste avant la nuit ! La pièce qu’on s’apprêtait à jouer dans ce théâtre ce soir !

Ramirez – Vous m’en direz tant…

Edmonde – Pire encore : cette pièce affligeante avait déjà remporté le Prix du Boulevard Beaumarchais à l’époque. Le faussaire s’est contenté de changer le titre. La pièce s’appelait au départ La nuit juste avant le jour.

Sanchez – Ah, oui, je trouve ça plus gai, comme titre, moi, pas vous commissaire ? Plus optimiste…

Edmonde – La pièce originale a été écrite par un certain Marcel Rideau.

Ramirez – Mais c’est le nom de la victime !

Sanchez – Le plagiaire doit porter le même nom que l’auteur qu’il a plagié. Une homonymie qui aura sans doute facilité cette usurpation d’identité…

Tristounet – N’est-il pas à peu près avéré aujourd’hui que les pièces de William Shakespeare n’ont pas été écrites par lui, mais par un nègre qui s’appelait lui aussi William Shakespeare…

Josiane – Donc l’auteur qu’on a retrouvé dans les toilettes serait un imposteur…

Ramirez – Sans doute aussi un cocaïnomane doublé d’un obsédé sexuel…

Sanchez – Pourquoi un obsédé sexuel, commissaire ?

Ramirez – Un type en caleçon dans les toilettes, les mains attachées dans le dos avec du skotch, un bâillon dans la bouche et le nez enfariné à la coke… Voyons, Sanchez, à quoi cela vous fait-il penser ?

Sanchez – Bon sang, mais c’est bien sûr… Les sévices que vous m’avez vous-même fait subir lorsque je suis entré dans la police en guise de bizutage. Bravo commissaire ! Il n’y avait que vous pour percer ce mystère dans les cinq dernières minutes de ce spectacle…

Ramirez – Attention, Sanchez, pas de conclusions hâtives ! Car cela pourrait tout aussi bien être une mise en scène habile de l’assassin afin de nous entraîner sur une fausse piste…

Sanchez – Vous avez raison, commissaire…

Josiane – Reste à connaître l’identité exacte de la victime… Car cette pièce est peut-être une contrefaçon, mais je vous rappelle que nous avons bel et bien un cadavre sur les bras.

Edmonde – Le plagiaire et le plagié sont peut-être père et fils ! Puisqu’ils portent le même nom…

Josiane – Et le père aurait tué le fils ?

Edmonde – C’est très freudien… Mais habituellement, c’est plutôt le fils qui tue le père, non ?

Josiane – Certains pères considèrent leurs enfants comme un prolongement d’eux mêmes… et d’autres comme de dangereuses métastases.

Sanchez – Et quel serait le mobile du crime ?

Josiane – Le plagiaire a peut-être voulu supprimer le véritable auteur pour s’approprier son œuvre…

Edmonde – À moins que ce ne soit le véritable auteur qui ait voulu se venger de son plagiaire.

Ramirez – Il nous reste donc à savoir si le cadavre retrouvé dans les toilettes de ce théâtre est le plagiaire ou le plagié. L’original ou la copie…

Josiane – Pardonnez-moi, commissaire, mais tout cela reste quand même très invraisemblable…

Ramirez – Et pourquoi ça ?

Josiane – Seul un malade mental pourrait avoir envie de plagier une pièce pareille…

Racine – Je vous rappelle que cette pièce a reçu le Prix du Boulevard Beaumarchais !

Josiane – Vous avez bien la Médaille du Travail, et vous n’avez jamais rien fait d’utile de votre vie.

Ramirez – Mon hypothèse est la suivante : Marcel Rideau a empoché le Prix du Boulevard Beaumarchais, et comme il manquait d’inspiration, il s’est contenté de plagier la pièce de son homonyme en en changeant seulement le titre.

Josiane – Ou alors Marcel Rideau et Marcel Rideau sont bel et bien le même homme. Un auteur qui aura voulu empocher deux fois le Prix du Boulevard Beaumarchais avec la même pièce…

Ramirez – Et vous Racine, vous ne vous êtes rendu compte de rien ?

Racine – Je ne comprends pas… Ce doit être une erreur de notre système informatique… Et vous, Tristounet, vous ne vous êtes pas rendu compte que ce texte était une contrefaçon ? C’est vous qui présidez le comité de lecture !

Tristounet – Bien sûr, Madame la Présidente, mais comme ce comité de lecture statue, en toute indépendance, sur des pièces qui n’ont pas encore été écrites, vous comprendrez que cela peut entraîner certaines…

Racine – Vous êtes un crétin, Tristounet !

Tristounet – Mais Madame la Présidente…

Racine – Je suis vraiment désolée, commissaire, mais croyez bien que la Société des Auteurs et Imposteurs du Théâtre n’est absolument pas responsable de cette escroquerie. D’ailleurs, nos statuts précisent bien que nous ne sommes responsables de rien…

Ramirez – Bien sûr, chère Madame…

Racine – Je crois qu’il est temps que j’appelle nos services juridiques, Tristounet…

Tristounet – Pour confondre cet imposteur.

Racine – Mais non, imbécile ! Pour dégager notre responsabilité dans cette affaire !

Racine s’apprête à partir.

Tristounet – Je vous suis, Madame la Présidente. (Se retournant une dernière fois) C’est le théâtre qu’on assassine !

Josiane – Je vous raccompagne, Madame la Présidente…

Madame Racine et Monsieur Tristounet s’en vont.

Sanchez – Je n’y comprends plus rien, commissaire. Mais alors si Marcel Rideau et Marcel Rideau sont une seule et même personne, par qui Marcel Rideau a-t-il été assassiné ?

Ramirez – Nous sommes ici pour le découvrir, Sanchez… Mais il faut bien avouer que le mystère s’épaissit à mesure que notre enquête progresse…

Marcel Rideau arrive, une corde de chasse d’eau autour du cou, en caleçon, les mains liées par du scotch et une boule de papier dans la bouche.

Marcel – Mmmmmmmm…

Ramirez – C’est qui, celui-là, encore ?

Sanchez – Qu’est-ce que vous racontez, mon brave ? Mais articulez, bon sang ? Qu’est-ce qu’il dit ?

Edmonde – Je crois que pour le savoir, il faudrait lui enlever le papier hygiénique qu’il a dans la bouche.

Sanchez lui enlève le papier de la bouche.

Marcel – Est-ce que quelqu’un pourrait me détacher les mains ?

Sanchez coupe le scotch qui entrave les poignets de Marcel. Josiane revient et aperçoit Marcel.

Josiane – Oh, mon Dieu ! Mais c’est…

Marcel – Je suis Marcel Rideau.

Edmonde – Ah non ! Alors j’ai aussi écrit sa notice nécrologique pour rien !

Josiane – C’est l’auteur, commissaire. Il va enfin pouvoir répondre à toutes nos questions.

Edmonde – Reste à savoir si nous avons à faire au véritable Marcel Rideau, ou à un faussaire qui aurait usurpé son identité…

Ramirez – Nous allons vérifier cela tout de suite… Vos papiers, Rideau !

Marcel soupire mais montre ses papiers au commissaire.

Marcel – Voilà, vous êtes contents ?

Ramirez passe les papiers à son adjoint.

Ramirez – Vérifiez-moi l’identité de cet individu, Sanchez.

Sanchez examine les papiers de Rideau.

Sanchez – Commissaire, je crois pouvoir affirmer qu’il s’agit de faux papiers. Ça se voit au premier coup d’œil. L’imitation est assez grossière…

Ramirez – Il y aurait donc bien deux rideaux…

Marcel – Évidemment qu’il s’agit de faux papiers !

Ramirez – Vous reconnaissez donc les faits ? Tant mieux, ça nous fera gagner du temps…

Marcel – Je peux voir votre carte de police, commissaire ?

Ramirez – Non, mais dites donc ! Pour qui vous prenez-vous Rideau ?

Marcel – Pour l’auteur de cette pièce.

Ramirez – C’est du moins ce que vous prétendez, mais les faux papiers qui sont en votre possession prouvent que vous n’êtes qu’un double de l’auteur…

Sanchez – Un double Rideau, en quelque sorte.

Marcel – Permettez-moi d’insister, commissaire.

Ramirez – Si ça vous amuse… Voici…

Il montre sa carte. Marcel passe les papiers à Josiane.

Marcel – Constatez par vous-même, Madame la Directrice…

Josiane – Mais c’est une fausse carte de police ! Le commissaire est un imposteur, lui aussi !

Ramirez – Si on pouvait quand même éviter les propos blessants…

Marcel – Vous êtes tous des imposteurs ! Vous jouez dans une pièce de théâtre !

Sanchez – On n’est pas des vrais policiers, commissaire ?

Ramirez – Qu’est-ce que c’est que cette comédie, Rideau ?

Marcel – N’en faites pas un drame, non plus…

Ramirez – Etes-vous oui ou non le véritable auteur de cette pièce qui n’a pas été jouée ?

Marcel – Non, mais je suis bien l’auteur de cette farce que nous sommes en train d’interpréter !

Edmonde – Le théâtre dans le théâtre, maintenant. Ça a déjà été beaucoup fait, non ?

Sanchez regarde sa propre carte de police.

Sanchez – La mienne aussi, c’est une fausse… Qu’est-ce que cela signifie, commissaire ?

Ramirez – Que vous n’êtes qu’un guignol, Sanchez… Comme moi…

Sanchez se décompose.

Josiane – Non, mais c’est bientôt fini, cette comédie, Rideau ?

Marcel – Je ne sais pas, je n’ai pas encore écrit la fin…

Josiane – Il n’a pas écrit la fin !

Marcel – À vrai dire, je songeais même à réécrire le début… D’où cette résurrection inattendue qui, je le reconnais, peut perturber les personnages que vous êtes…

Ramirez – Perturber ? Mais Rideau, s’il n’y a plus de meurtre, il n’y a plus d’enquête ! Et s’il n’y a plus d’enquête, il n’y a plus de pièce…

Josiane – C’est de l’inconscience professionnelle, Rideau ! Vous venez de réduire en pièces cette comédie !

Ramirez – Dans quel bordel vous nous avez tous mis, Rideau !

Sanchez essaie d’y croire encore.

Sanchez – Je vais le coffrer, commissaire…

Ramirez – Voyons, Sanchez… Est-ce qu’on a déjà vu Maigret arrêter Simenon ? Votre revolver n’est qu’un pistolet à bouchons, comme le mien !

Sanchez – Je ne vous laisserai pas salir l’honneur de la police, commissaire. Vous allez voir si mon arme de service est un pistolet à bouchons !

Sanchez sort son pistolet et tire sur Ramirez.

Ramirez – Au secours, c’est un vrai pistolet à eau !

Ramirez essaie de fuir, poursuivi par Sanchez qui lui tire dessus.

Josiane – Non mais regardez ce désastre, Rideau ! Que va dire le public ? C’est vous qui nous avez mis dans cette situation… C’est à vous de nous en sortir !

Josiane – Dites-moi que tout ceci n’est qu’un cauchemar, et que nous allons nous réveiller !

Edmonde (déclamant) – Nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les rêves, et notre courte vie un somme la parachève…

Josiane – Shakespeare… Ça c’était un auteur…

Marcel – On a déjà frôlé la contrefaçon, alors si on pouvait éviter les citations…

Cessant de fuir, Ramirez fait front face à Sanchez.

Ramirez – Vous l’aurez voulu, Sanchez !

Ramirez sort son pistolet et tire sur Sanchez avec son pistolet à bouchon. Sanchez riposte avec son pistolet à eau.

Marcel – Comment voulez-vous que j’arrive à me concentrer pour trouver une fin à cette pièce dans ce vacarme !

Josiane – Rideau ! Rideau !

Marcel – Quoi encore ?

Gonzague – Je ne vous parle pas, à vous ! Je parle à l’ouvreuse : Rideau !

Marcel – Vous croyez vraiment qu’on aura les moyens de se payer un rideau ?

Ramirez et Sanchez continuent à se tirer dessus dans une joyeuse pagaille.

Josiane – Bon ben, je ne sais pas moi… Un noir au moins !

Noir.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Décembre 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-43-7

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

 

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L’Hôpital Était Presque Parfait

L’Hôpital Était Presque Parfait
(ou Série Blanche, Humour Noir )

Comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 personnages : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir. 

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Série Blanche et Humour Noir

ou « L’Hôpital Était Presque Parfait »

White Coats Dark Humour – Batas blancas y humor negro (español)Batas brancas e humor negro (português)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 comédiens et/ou comédiennes

10 : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 1H/9F, 10F
11 : 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 1H/10F, 11F
12 : 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 1H/11F, 12F
13 : 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F, 1H/12F, 13F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Série Blanche et Humour Noir

L’hôpital était presque parfait…

Personnages :

Le docteur : Gunter
Les 2 infirmières : Sœur Emmanuelle et Barbara
Les 3 patients (ou patientes) : Thelma, Louis(e), Berthe (ou Bertrand)
Les 5 visiteurs (ou visiteuses) : Jack, Sandy, Fred, Angela (ou Angelo), Alex
Les 2 policiers (ou policières) : Commissaire Ramirez et Adjoint Sanchez
Patients, visiteurs et policiers peuvent indifféremment être masculins ou féminins.

Le petit salon de réception de l’hôpital, destiné à recevoir les visiteurs. Sœur Emmanuelle, brune à la beauté discrète en tenue d’infirmière religieuse, décore en chantonnant un sapin de Noël malingre posé dans un coin sur une table. Devant le sapin, sur la table, est installée une crèche. Derrière Emmanuelle arrive Gunter, beau médecin genre play boy, blouse blanche et stéthoscope autour du cou. Ambiance Série Blanche Harlequin.

Gunter – Bonjour Sœur Emmanuelle, tout va bien ?

Emmanuelle sursaute, surprise et un peu troublée.

Emmanuelle – Bonjour Docteur Müller. Vous m’avez fait peur…

Gunter – Je suis vraiment désolé. Mais appelez-moi Gunter…

Emmanuelle – Et pourquoi cela, Docteur Müller ?

Gunter – Mais parce que c’est mon prénom, Emmanuelle !

Emmanuelle – Bien sûr… Mais si vous permettez, je continuerai à vous appeler Docteur Müller. Cela me semble plus convenable. Et je préférerais que vous m’appeliez Sœur Emmanuelle…

Gunter – Comme vous voudrez, ma sœur… Ah, mais vous avez fait des merveilles avec ce sapin ! Il est vraiment magnifique…

Emmanuelle considère avec satisfaction l’arbre de Noël en fin de vie que quelques guirlandes en mauvais état ont du mal à égayer un peu.

Emmanuelle – Nos patients ont bien besoin d’un peu de réconfort, en cette période de fête où ils ne sont pas tous entourés de l’amour de leur famille…

Gunter – Bien sûr…

Emmanuelle – À ce symbole laïc qu’est le sapin de Noël, je me suis permis d’ajouter une crèche. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient, Docteur ?

Gunter – Cela fait aussi partie de la magie de Noël ! Même les grands magasins du Boulevard Haussman ont une crèche, pourquoi pas notre hôpital ? Après tout, nous aussi nous sommes une entreprise commerciale !

Emmanuelle – Il est important que tous nos patients qui n’ont pas de famille sachent qu’ils peuvent compter malgré tout sur l’amour de notre Seigneur…

Gunter – C’est clair…

Emmanuelle se penche vers la crèche pour installer les figurines dedans.

Emmanuelle – Voulez-vous m’aider à mettre le petit Jésus dans la crèche ?

Gunter – Euh… oui.

Gunter s’approche d’Emmanuelle pour lui donner un coup de main et ils se frôlent.

Emmanuelle – Tenez, voilà le bœuf et l’âne… Bien dans le fond…

Gunter – Parfait.

Emmanuelle – Et voilà la Sainte Vierge.

Arrive Barbara, aussi blonde qu’Emmanuelle est brune, et vêtue d’une blouse mettant ses charmes beaucoup plus en avant.

Barbara (ironique) – J’imagine que ce n’est pas de moi dont vous parliez, ma sœur…

Gunter – Ah, Barbara, je vous cherchais, justement…

Barbara – Ce n’est pas dans une crèche que vous me trouverez…

Gunter – Voilà, ma sœur… J’ai réussi à les caser tous, mais j’ai eu du mal…

Barbara – Ce n’est pas toujours facile de trouver une place en crèche…

Gunter – Bonjour Barbara. J’allais commencer ma visite. Vous me suivez ?

Barbara – Comme les Rois Mages suivaient l’Étoile du Berger, Gunter. Vous le savez bien, où vous irez, j’irai…

Gunter – Je vous laisse Emmanuelle… Je veux dire Sœur Emmanuelle…

Barbara lance à Emmanuelle un regard jaloux. Emmanuelle, embarrassée, juge préférable de s’éclipser.

Emmanuelle – J’ai à faire, moi aussi…

Emmanuelle sort.

Gunter – On y va, Barbarella ? Je veux dire Barbara…

Gunter et Barbara sortent. Poussée par Angela, habillée de façon gothique, Louise arrive assise dans un fauteuil roulant surplombé par une poche de perfusion.

Angela – Alors Joyeux Noël, Tante Louise !

Louise – Merci, Angela… Je ne sais pas si je verrai le prochain…

Angela – Allez, ne dis pas ça… (Elle sort de son sac une bouteille de Champagne et deux coupes). Tiens, j’ai amené de quoi trinquer pour célébrer ça…

Louise – Oh, mais c’est de la folie…

Angela ouvre la bouteille et emplit les coupes. Puis elle sort un paquet de biscuit de son sac.

Angela – Je t’ai aussi apporté des langues de chat, je sais que tu aimes bien…

Louise – Tu es vraiment un ange, Angela, mais avec mon estomac. Enfin ce qui m’en reste… J’aurais préféré des biscuits à la cuillère…

Angela – Tu n’auras qu’à les tremper dans ton champagne pour les ramollir. Tiens, voilà ton cadeau…

Angela tend à Louise une enveloppe.

Louise – Merci ! Qu’est-ce que c’est ?

Angela – Surprise !

Louise – Une enveloppe… Ce n’est pas de l’argent, au moins… C’est bien la seule chose dont je ne manque pas… À mon âge, ce qui me manque, c’est plutôt le temps pour le dépenser…

Angela – Eh oui… (Plus bas) Comme quoi la vie est mal faite… Moi du temps, je n’ai que ça…

Louise, qui n’a pas entendu, entreprend avec difficulté d’ouvrir le paquet. Pendant ce temps, Angela verse le contenu d’une petite fiole dans la coupe de sa tante. Louise parvient enfin à extraire de l’enveloppe un papier.

Louise – Qu’est-ce que c’est que ?

Angela – Un abonnement d’un an au magazine Pleine Vie !

Louise – Un an ! Je ne sais pas si j’en profiterai jusqu’au bout…

Angela (à mi-voix) – Oui, je ne suis pas sûre non plus.

Louise – Comment ?

Angela sort de son sac un exemplaire du magazine qu’elle tend à Louise.

Angela – Tiens, voilà le premier numéro… Ça te fera de la lecture…

Louise – Merci Angela !

Angela – Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir aussi, ma tante…

Elles se font la bise.

Angela – Alors on trinque ?

Louise – Je ne sais pas si c’est très raisonnable ?

Angela – Allez, un petit verre pour Noël, ça ne peut pas faire de mal !

Louise – Oh, mais tu m’en as mis beaucoup trop…

Angela – Mais non !

Louise – Tu peux me passer mon châle, s’il te plaît ?

Angela se retourne pour prendre le châle sur un fauteuil. Louise en profite pour intervertir les verres afin d’avoir celui qui est le moins rempli.

Angela – Tiens le voilà…

Louise – Merci, c’est gentil… Heureusement que tu es là, toi au moins… Sinon personne ne viendrait me voir…

Angela – Mais c’est normal, je suis ta nièce… (Grand sourire) Alors Tata, tu as réfléchi à ce qu’on s’était dit la dernière fois ?

Louise – Quoi ?

Angela – Au sujet de ton testament, tu sais… Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de tout laisser à l’Abbé Pierre…

Louise – Ce n’est pas l’Abbé Pierre, c’est le Docteur Müller ! Enfin sa fondation ! Une fondation qui s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents…

Angela – Oh tu sais, maintenant, tout le monde a sa fondation, même les tueurs en série… Et puis moi aussi, je serai un peu orpheline quand tu ne seras plus là…

Louise – Toi tu as tes parents, tout de même. Ils ne sont pas dans le besoin, ils sont dentistes tous les deux… Et puis tu sais bien que ta mère a toujours eu une dent contre moi… D’ailleurs, elle ne vient jamais me voir…

Angela – Mais moi je suis là !

Louise – C’est pour ça que j’avais d’abord rédigé ce premier testament en ta faveur… Il est dans le tiroir de ma table de nuit… Mais le Docteur Müller m’a convaincue de… Et puis je sais bien que si tu viens me voir, ce n’est pas pour mon argent…

Angela – Bien sûr…

Louise – Tu as une famille, toi. Tu peux faire des études. Et être dentiste, comme tes parents. Tandis que ces pauvres orphelins. Si ce bon Docteur Müller n’avait pas les moyens de s’occuper d’eux…

Angela – Écoute, fais ce que tu voudras… Après tout c’est ton argent ! Mais ce nouveau testament, tu l’as déjà rédigé ?

Louise – Pas encore… Je vais m’en occuper tout à l’heure…

Sourire d’Angela.

Angela – Parfait… Allez, à ta santé !

Elles boivent.

Louise – Il est bien frais…

Angela – Oui, c’est du bon…

Louise jette un regard à l’étiquette en plissant les yeux.

Louise – La Veuve Tricot… Tiens, je ne la connaissais pas, celle-là…

Angela – Une langue de chat, pour faire passer tout ça ?

Louise – Merci, je les goûterai peut-être tout à l’heure quand tu seras partie…

Angela – C’est ça… En lisant Pleine Vie… Bon, je vais te laisser, Tata… Tu dois sûrement être un peu fatiguée…

Louise – Ça va… Tu ne veux pas faire un Cluedo avant de partir ?

Angela – Désolée, mais je n’ai vraiment pas le temps… Je reviendrai pour te souhaiter la bonne année…

Elles se font la bise.

Louise – Allez, amuse-toi bien… Et merci d’être passée voir ta vieille tante pour Noël… Ah, au fait, moi aussi j’ai un cadeau pour toi ! Tiens, il est sous la table là…

Angela prend le paquet, l’ouvre et en sort un truc en laine.

Angela – Qu’est-ce que c’est ?

Louise – Ben c’est une écharpe ! Je l’avais tricoté pour une amie, mais elle est morte avant de pouvoir la porter. Elle te plaît ?

Angela – Beaucoup… Allez, à bientôt Tata… Et Joyeux Noël !

Angela s’en va.

Louise – Drôle de look, quand même… À chaque fois qu’elle vient me voir, j’ai l’impression d’être déjà en enfer… (Soupir) Alors, voyons voir ça…

Louise ouvre Pleine Vie et se met à le feuilleter tout en trempant une langue de chat dans son champagne. Elle plisse les yeux.

Louise – Qu’est-ce que j’en ai encore fait de mes lunettes, moi…? J’ai dû les laisser dans ma chambre…

Louise repart dans sa chaise roulante. Sœur Emmanuelle arrive, tenant Berthe par le bras. Elle l’aide à s’installer dans le fauteuil.

Emmanuelle – Tenez, installez-vous un peu ici, Berthe. Ce n’est pas bon de rester toute la journée allongée…

Berthe – Oh, vous savez, le Boulevard des Allongés, ce sera ma prochaine adresse, alors…

Emmanuelle – Et bien raison de plus, vous avez bien le temps. Vous voulez faire un scrabble, pour vous dégourdir un peu ?

Berthe – Me dégourdir quoi ?

Emmanuelle – Les méninges !

Berthe – D’accord…

Emmanuelle dispose le jeu.

Emmanuelle – Tenez, voilà vos lettres… Vous commencez ?

Berthe – Oh vous savez, je ne sais pas si je vais y arriver, je n’ai plus toute ma tête…

Emmanuelle – Essayez toujours…

Berthe – Bon, je vais faire ça alors… (Berthe aligne toutes ses lettres sur le plateau) OXYDIEZ du verbe oxyder. Alors, 35 avec le x qui compte double 45 multiplié par 2 égale 90 plus 50 qui font 120…

Emmanuelle – Eh ben… Vos neurones, au moins, elles ne sont pas encore trop oxydées…

Un couple débarque, Sandy et Jack, fille et gendre de Berthe.

Emmanuelle – Ah, je crois que vous avez de la visite, Berthe… Je vous laisse en famille… Messieurs Dames…

Sandy (à Emmanuelle) – Bonjour ma sœur…

Berthe – C’est votre sœur ?

Emmanuelle (avec indulgence) – Non Berthe, c’est votre fille…

Emmanuelle échange un sourire avec Sandy et sort.

Sandy – Alors maman, comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Oh, tu sais, à mon âge…

Jack – Bonjour belle-maman…

Berthe – C’est qui celui-là ?

Sandy – Mais enfin, maman, c’est Jack, mon mari !

Berthe – Tu es mariée ? Depuis quand ?

Sandy – Ça va faire une vingtaine d’années.

Berthe – Tu aurais au moins pu m’envoyer un faire-part…

Sandy – Mais tu as assisté à notre mariage, maman ! (Elle sort une photo de son portefeuille) Tiens regarde, c’est toi là, sur la photo, à la sortie de la mairie.

Berthe – Ah, oui… Et celui qui te tient par le bras, là, avec son costume trop grand, c’est qui ?

Jack – C’est moi, belle maman. Jack, votre gendre !

Berthe le regarde.

Berthe – Ouh là… Qu’est-ce qu’il a vieilli ! Ça ne m’étonne pas que je ne l’ai pas reconnu…

Jack – Eh oui, on vieillit tous…

Sandy tend à sa mère une boîte.

Sandy – Tiens je t’ai apporté une boîte de pâtes de fruits.

Berthe – Merci… Ce n’est pas trop dur au moins ? Parce qu’avec mes dents…

Jack – Ce sont des pâtes de fruits, belle-maman… C’est tout mou…

Berthe (en aparté à Sandy) – Pourquoi est-ce qu’il m’appelle belle-maman ?

Jack préfère changer de sujet..

Jack – Alors Berthe, on a bien dormi, cette nuit ?

Berthe – J’ai fait un rêve bizarre…

Jack – Ah oui ? Quoi donc ?

Berthe – Oh, ça n’a plus grande importance, maintenant…

Sandy – Dis toujours… (Plus bas) Ça nous fera au moins un sujet de conversation…

Berthe – J’ai rêvé de ces lingots que ma mère m’avait offerts pour Noël juste avant de mourir…

Sandy et Jack, sidérés, échangent un regard.

Sandy – Des lingots ?

Jack – Vous voulez dire des lingots d’or, belle-maman ?

Berthe – Comment ?

Sandy – Ta mère t’a donné des lingots ? Tu ne nous avais jamais parlé de ça avant !

Berthe – Ça ne vous regardait pas… Et puis comme je ne savais plus du tout ce que j’en avais fait… C’est cette nuit, seulement, que ça m’est revenu…

Jack – Et alors ?

Berthe – Vous savez comment c’est, les rêves, dès qu’on se réveille, on en oublie la moitié.

Sandy – Et de quelle moitié tu te souviens ?

Berthe – Je me souviens de la boîte… Et de tous les lingots à l’intérieur.

Sandy – Tous les lingots ? Parce qu’en plus, il y en avait beaucoup ?

Jack – Et cette boîte, vous ne vous souvenez plus où vous l’avez cachée ?

Berthe – Cachée ?

Jack – Faites un effort, belle maman !

Sandy – Tu les as peut-être enterrés quelque part dans le jardin ?

Berthe – Quoi donc ?

Jack (pétant les plombs) – Les lingots, putain ! Les putains de lingots !

Berthe – Ah, ça, j’ai complètement oublié…

Sandy – Essaie de te souvenir…

Berthe – Oui, je me souviens bien de la boîte. (Désignant la boîte de pâtes de fruits) Un peu plus grosse que celle-là, quand même.

Le Docteur Müller repasse par là. Sandy et Jack paraissent embarrassés par l’arrivée de ce témoin gênant.

Gunter – Bonjour Berthe, alors comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Bonjour Docteur.

Gunter – Ah, mais je vois qu’on est allé chez le coiffeur pour le réveillon ! Ça vous va très bien…

Berthe – Flatteur…

Gunter – Messieurs Dames… Tout va bien ?

Jack – Bonjour Docteur Müller…

Sandy – Oui, oui, tout va bien. Hein, maman ? (Plus bas) Elle perd de plus en plus la mémoire, mais à part ça, ça va…

Gunter – Votre mère est solide, croyez-moi. Elle nous enterrera tous ! N’est-ce pas Berthe ?

Jack – Et pour la mémoire, vous n’avez pas quelque chose de…

Sandy – Même si l’effet n’était que passager.

Gunter – Pour la mémoire, voyons voir, j’essaie de me souvenir… Si, je prends moi-même quelque chose de très efficace, mais… Je n’arrive pas du tout à me rappeler le nom de ce médicament… (Sandy et Jack le regardent interloqués) Je plaisante, bien sûr… Ici, il faut bien rigoler un peu, vous savez, sinon… On aurait vite fait de se suicider. Non, malheureusement, pour les pertes de mémoire, il n’existe aujourd’hui aucun remède…

Jack – Je vois… Il s’agit sans doute d’une maladie dégénérative…

Dans sa chaise roulante, Berthe s’assoupit lentement.

Gunter – Et voilà ! Une longue maladie dégénérative dont hélas nous souffrons tous dès notre naissance…

Jack – Et qui s’appelle ?

Gunter – La vie, cher Monsieur ! La vie ! Une maladie génétique dont l’issue est toujours fatale à plus ou moins longue échéance. (Le bip du Docteur retentit) Et bien chers amis, le devoir m’appelle. Je vous souhaite un Joyeux Noël !

Sandy secoue un peu sa mère pour la réveiller.

Sandy – Réveille-toi, on va aller faire un petit tour dans le parc…

Jack – L’air frais, ça va peut-être lui rafraîchir la mémoire…

Sandy – Allez, maman ! Lève-toi et marche !

Sandy, Jack et Berthe sortent. Louise revient en chaise roulante et se remet à lire Pleine Vie. Thelma arrive, marchant avec difficulté, agrippée d’une main au portique à roulettes de sa perfusion, et tenant de l’autre un ordinateur portable.

Thelma – Alors Louise, vous n’êtes pas encore morte ?

Louise – Sacrée Thelma, toujours le mot pour rire… Quand vous ne serez plus là, on va s’ennuyer…

Thelma – Avec un peu de chance, vous partirez avant moi… Qu’est-ce que vous lisez ?

Louise – Pleine Vie. C’est un cadeau de ma petite nièce…

Thelma – Au moins, elle a le sens de l’humour… Et c’est intéressant ?

Louise – Oui, mais qu’est-ce qu’il y a comme pubs… Sonotones, fauteuils monte-escalier, conventions obsèques…

Thelma – Ça a l’air sympa…

Thelma s’assied dans un fauteuil, et ouvre le capot de son ordinateur portable.

Louise – Il y a le wifi, ici ?

Thelma – Ça capte mieux du côté de la chambre mortuaire, mais là c’est occupé.

Louise – Ah, oui ? Par qui ?

Thelma – Je croyais que c’était vous, mais apparemment non…

Thelma allume son ordinateur.

Louise – C’est peut-être Berthe…

Thelma – Vous croyez ?

Louise – C’est toujours les meilleurs qui partent les premiers…

Thelma – Je préfère être une peau de vache… Ça conserve…

Louise – Pauvre Berthe… Pourtant, elle n’avait pas l’air si mal en point… Je n’aurais pas parié que ce serait elle qui nous quitterait en premier.

Thelma – Moi oui…

Louise – Pardon ?

Thelma – J’avais parié sur elle.

Louise – Non ?

Thelma – Cinquante euros… Puisque ce n’est pas vous, dans la chambre mortuaire, ça me laisse encore une chance…

Louise – Tant que vous ne pariez pas que je serai la prochaine sur la liste…

Thelma examine le dossier médical suspendu au fauteuil roulant de Louise.

Thelma – Voyons voir… Ah oui, quand même… Sans vouloir vous flatter, vous avez plutôt un bon dossier…

Louise lui lance un regard inquiet.

Louise – Vous trouvez ?

Thelma se met à pianoter sur son clavier

Thelma – Ça va… J’ai deux barres…

Louise – Deux barres ?

Thelma – Pour le wifi !

Louise – Ah, oui…

Thelma continue de pianoter sur son ordinateur. Louise se remet à sa lecture.

Thelma – Ouah ! Il est pas mal, celui-là ! Regardez ça !

Thelma tourne un instant l’écran vers Louise.

Louise – Vous êtes sur quel genre de site ?

Thelma – Un site de rencontre… Mon pseudo, c’est Thelma…

Louise – Thelma, ce n’est pas votre vrai nom ?

Thelma – Mon vrai nom, c’est Henriette… Mais pour rencontrer quelqu’un sur le net, Henriette, ce n’est pas un prénom facile.

Louise – Vous croyez vraiment que dans notre état, on peut encore rencontrer quelqu’un ?

Thelma – À part quelqu’un qui soit chargé de nous administrer les derniers sacrements, de constater le décès ou de procéder à l’autopsie, vous voulez dire ? On peut toujours rêver… Mais là, je dois dire que j’ai un coup de cœur…

Louise – Avec la tension que vous avez… Un coup de cœur, ça tourne vite à la crise cardiaque..

Thelma se remet à pianoter.

Thelma – J’hésite…

Louise – Dans l’état où on est, il vaut mieux ne pas hésiter trop longtemps.

Thelma – Allez, je tente ma chance…

Louise – Je ne voudrais pas vous décourager, mais quand il va voir votre photo…

Thelma lui montre à nouveau l’écran.

Thelma – Tenez, la voilà, ma photo…

Louise – Mais… c’est Sœur Emmanuelle !

Thelma – Elle n’est pas super sexy, mais c’est tout ce que j’avais sous la main… Je l’ai prise avec mon portable hier en lui disant que je voulais avoir une photo d’elle sur ma page d’accueil…

Louise – J’espère qu’elle ne surfe pas sur le net, elle aussi…

Thelma – Une religieuse… En tout cas, elle ne doit pas fréquenter des sites de rencontre… Et puis comme ça au moins, ça fait plus crédible…

Louise – Quoi ?

Thelma – La photo ! Il ne faut pas exagérer, non plus, les hommes savent bien que quand on a le physique d’une femme de footballeur, on n’a pas besoin d’aller sur ce genre de site pour avoir le ballon…

Louise – Remarquez, vous avez raison… Ce petit air niais et un peu naïf, il y en a que ça peut attendrir…

Thelma – On lui donnerait le bon Dieu sans confession…

Louise – Ah, quand on parle du loup…

Sœur Emmanuelle arrive. Thelma ferme précipitamment le capot de son ordinateur.

Thelma – Bonjour ma sœur !

Emmanuelle – Thelma et Louise ! Toujours inséparables, alors ! Comment ça va, aujourd’hui ?

Louise – Comme dit le Docteur Müller, la vie est une longue maladie dégénérative…

Thelma – Disons que nous on serait plutôt au stade terminal…

Emmanuelle – Ici ou ailleurs, nous ne sommes que de passage sur terre… Et le Seigneur nous attend tous en son paradis.

Thelma – Vous vous rendez compte, ma sœur ? Avec nous, c’est la première génération internet qui va arriver là-haut… Vous croyez qu’il y a du réseau, au paradis ?

Emmanuelle – Si c’est le paradis, il y a sûrement du wifi…

Thelma – C’est sûrement pour ça que ça capte déjà mieux du côté de la chambre mortuaire…

Emmanuelle – Est-ce que je peux faire quelque chose pour votre bien être, Mesdames ?

Thelma – Le haschich n’est toujours pas admis dans cet établissement même à usage thérapeutique ?

Emmanuelle – Je crains que non…

Thelma – Alors tant pis.

Emmanuelle – Bien, alors je repasserai tout à l’heure pour votre cours de gym… Bonne journée, Mesdames.

Louise – Bonne journée à vous, ma sœur.

Thelma – Et encore merci pour la photo… Je l’ai mise aussitôt sur ma… page d’accueil.

Emmanuelle – Si cela peut vous être d’un petit réconfort…

Thelma – Croyez-moi, ma sœur, grâce à vous, plusieurs de mes prières ont déjà été exaucées…

Emmanuelle sort. Louise range sa revue et commence à rouler son fauteuil pour partir.

Louise – Allez, ce n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais il faut que j’aille faire mes devoirs…

Thelma – Vos devoirs ? Vous avez repris des cours ?

Louise – Non, mais c’est pour ne pas être prise de court, justement. Je dois rédiger mon testament…

Thelma – C’est vous qui avez raison, Louise, à nôtre âge, c’est plus facile de coucher quelqu’un sur son testament que dans son lit… Et qui est l’heureux élu ?

Louise – Je ne me suis jamais très bien entendu avec ma famille… Alors je me demande si je ne vais pas tout léguer au Docteur Müller… Il est tellement gentil…

Thelma – Et plutôt bel homme…

Louise – À tout à l’heure, Thelma.

Thelma rouvre le capot de son ordinateur.

Thelma – Adieu, Louise.

Louise sort. Thelma se remet à pianoter sur son ordinateur. Arrive un jeune homme, façon rappeur.

Alex – Salut Mémé, ça roule ?

Thelma ferme à nouveau le capot de son ordinateur.

Thelma – Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Mémé.

Ils se font la bise.

Alex – Qu’est-ce que tu mates sur ton ordi ?

Thelma – Rien de spécial, pourquoi ?

Alex – Tu fermes la page quand j’arrive, c’est chelou.

Thelma – Tu es passé à la pharmacie pour mon ordonnance ?

Alex – T’inquiètes, j’ai ça là…

Il ouvre une poche de son blouson et tend à Thelma un petit truc dans une feuille d’aluminium.

Thelma – Ce n’est pas un générique au moins ?

Alex – Je me fournis directement chez un herboriste afghan… (Comme Thelma s’apprête à prendre la chose, il l’en empêche) Pas si vite ! Je ne fais pas le tiers payant.

Thelma lui tend un billet de cinquante.

Thelma – Tiens, je les ai honnêtement gagnés.

Alex – Ah ouais, comment ?

Thelma – J’ai gagné un pari.

Thelma range son petit paquet en aluminium et sort un joint qu’elle allume.

Alex – Tu as parié sur quoi ?

Thelma – Tu ne le croirais pas…

Thelma tire sur le joint.

Alex – Tu penses qu’un jour ils vont légaliser la beuh, Mémé ?

Thelma – Pour les vieux, peut-être. En soins palliatifs.

Alex – C’est relou.

Thelma – Et tes parents, comment ça va ?

Alex – Ça roule. Tu fais tourner ?

Thelma – Eh, je suis ta grand-mère quand même ! Je ne vais pas te pousser à te droguer.

Alex – Parce que toi, tu me donnes le bon exemple, peut-être ?

Thelma – Moi c’est différent, c’est pour soulager mes douleurs…

Alex – C’est ça, ouais…

Thelma est surprise par le retour de Sœur Emmanuelle. Elle refile le joint à Alex qui fait de son mieux pour le planquer.

Emmanuelle – Ah bonjour Alex ! C’est gentil de venir rendre visite à votre grand-mère.

Alex – Oui, je… Bonjour ma sœur…

Emmanuelle – Ça sent l’eucalyptus ici, non ? C’est vous qui fumez des cigarettes à l’eucalyptus, Thelma ?

Thelma – C’est à dire que…

Emmanuelle – Vous savez que c’est strictement interdit de fumer dans l’enceinte de l’établissement, même si ce sont des cigarettes pour dégager les bronches… Allez, je vous laisse en famille. Au revoir Alex…

Alex – Au revoir ma sœur…

Thelma – Allez on s’arrache.

Alex – Où est-ce qu’on peut-être tranquille ?

Thelma – Suis-moi, tu verras. Et en plus, c’est un endroit où on capte très bien le wifi…

Alex – Cool…

Ils sortent, mais Thelma oublie son ordinateur portable. Gunter, le médecin, repasse en compagnie de Barbara.

Gunter – Bon, et bien cela ne va pas trop mal, ce matin, n’est-ce pas Barbara ?

Barbara – Tous nos patients répondent à l’appel. Ça n’arrive déjà pas si souvent que ça. Cela tiendrait presque du miracle…

Gunter – C’est curieux, j’avais pourtant cru apercevoir quelqu’un dans la chambre mortuaire…

Barbara – Un oubli, peut-être… Il y a aussi des morts que personne ne vient réclamer…

Gunter – Je vais m’occuper de ça…

Barbara (provocante) – Vous ne voulez pas vous occuper de moi, plutôt ?

Gunter – C’est à dire que… On ne peut pas laisser un corps abandonné, comme ça…

Barbara – Un corps abandonné… Vous en avez un devant vous, Docteur Müller… Êtes-vous aveugle à ce point ?

Gunter aperçoit l’ordinateur et saisit le prétexte pour se dégager.

Gunter – Mais que vois-je ?

Barbara – Quoi ?

Gunter – Un ordinateur à la pomme…

Barbara (déçue) – Cruel, je vous lancerai bien cette pomme à la figure…

Gunter – An Apple a day, keep the doctor away…

Barbara – Vous parlez anglais, Gunter ? Je pensais que vous étiez allemand…

Gunter – Mon grand-père a émigré en Argentine à la fin de la guerre, mais j’ai été élevé dans un collège anglais en Suisse.

Barbara – Je vois…

Gunter – Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le genre de chose à laisser traîner… C’est à vous ?

Barbara – Non…

Gunter – Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de voleurs ici, mais bon…

Le regard de Barbara est attiré par l’image sur l’écran.

Barbara – Ah oui, comme vous dites… C’est d’autant moins à laisser traîner quand on surfe sur ce genre de site…

Gunter – Quel genre de site ?

Barbara – Un site de rencontre !

Gunter – Ce ne sont quand même pas nos patients qui…

Barbara – Mais… c’est la photo de Sœur Emmanuelle !

Gunter – Vous plaisantez…

Barbara – Si ce n’est pas elle, cela lui ressemble beaucoup…

Gunter – Faites voir…

Barbara – Elle se fait appeler Thelma.

Gunter – Non ?

Barbara – C’est clair que quand on s’appelle Sœur Emmanuelle, sur ce genre de site, il vaut mieux prendre un pseudo pour ne pas risquer de tomber sur des pervers…

Sœur Emmanuelle arrive. Gunter et Barbara, stupéfaits, la regardent avec d’autres yeux.

Emmanuelle – Tout va bien ?

Gunter – Très bien…

Barbara – Très, très bien…

Emmanuelle – Parfait…

Barbara – Vous êtes sûre que vous n’oubliez rien, ma sœur ?

Emmanuelle – Je ne vois pas, non ? Alors à plus tard…

Sœur Emmanuelle continue son chemin, un peu gênée par le regard insistant des deux autres, et elle sort.

Gunter – Je n’aurais jamais cru ça d’elle… Elle a l’air tellement…

Barbara – Eh oui… On croit connaître les femmes…

Gunter – Elle n’a pas repris son ordinateur…

Barbara – Elle n’a pas osé… Cette Sainte Nitouche…

Gunter – C’est vrai que ç’aurait été un peu gênant.

Barbara – Tu m’étonnes…

Gunter – On va le laisser ici, elle viendra le reprendre discrètement…

Barbara s’apprête à sortir.

Barbara – Vous venez ?

Gunter – Oui, oui, je vous rejoins tout de suite…

Barbara sort. Gunter hésite un instant, puis se met à pianoter fébrilement sur l’ordinateur. Thelma revient. Gunter s’éclipse.

Thelma – Ouah… C’est de la bonne… (Elle aperçoit l’ordinateur) Ah, il me semblait bien aussi que je l’avais oublié là…

Berthe revient accompagnée de Sandy et Jack.

Thelma – Berthe ? Je croyais que vous étiez décédée !

Berthe – Et bien non, vous voyez…

Thelma – Encore cinquante euros de perdu… Mais alors c’est qui dans la chambre mortuaire ?

Le regard de Thelma est attiré par l’écran de l’ordinateur.

Thelma – Tiens, une nouvelle proposition… Décidément, je suis très sollicitée… (Elle pianote sur le clavier et regarde l’écran) Non, le Docteur Müller…

Thelma sort tout en regardant son écran. Arrive Fred, la deuxième fille (ou le deuxième fils) de Berthe.

Fred – Bonjour maman… (Plus froidement) Sandy… Jack…

Berthe (à Sandy) – Tiens voilà ta mère.

Sandy – C’est toi ma mère. Elle c’est ma sœur…

Berthe – Tu es sûre ? Elle a l’air tellement vieille…

Jack – On va vous laisser, hein, Sandy ?

Fred – Je ne vous chasse pas, j’espère…

Sandy – On allait partir.

Sandy embrasse Berthe.

Fred – Tiens, je t’ai amené des pâtes de fruits…

Berthe – Ah, merci… Ce n’est pas ta sœur qui m’en aurait apportées… Elle ne m’apporte jamais rien…

Sandy – On t’en a apporté une boîte, maman, elle est là…

Jack – À la prochaine, Berthe…

Jack et Sandy sortent, après avoir échangé un regard hostile avec Fred. Fred lui tend la boîte qu’elle a apportée.

Fred – Prends donc une pâte de fruits…

Berthe – Merci… (Elle prend une pâte de fruits et la mange) Elles sont moins bonnes que celles de ta sœur…

Fred – Alors, maman, tu as réfléchi à ce que je t’ai demandé la dernière fois ?

Berthe – Quoi ?

Fred – Au sujet de cette boîte contenant des lingots, que tu aurais caché quelque part dans la maison…

Berthe – Ah, ça…

Fred – Tu te souviens de ce que tu en as fait ?

Berthe – Oui.

Fred – Et alors ?

Berthe – Alors quoi ?

Fred – Qu’est-ce que tu en as fait ?

Berthe – Ben je l’ai mise dans le grenier, je crois.

Fred – Non ?

Berthe – Si, mais je viens de le dire à ta sœur…

Fred – La salope…

Fred sort en trombe. Louise arrive.

Louise – Vous voulez un chocolat ? C’est le Docteur Müller qui me les a offerts parce que je viens de lui léguer toute ma fortune…

Berthe – C’est vraiment très gentil de sa part… Qu’est-ce que c’est comme chocolat ?

Louise – Des lingots.

Berthe – Ah oui, je vais en prendre un. Ça me rappellera ma jeunesse. Ma mère m’en offrait souvent quand j’étais petite. Je me souviens, j’ai encore toutes les boîtes dans le grenier…

Thelma arrive à son tour. Par derrière, elle coupe avec une pince à linge le tuyau du goutte à goutte de Louise. Berthe la voit. Tout en affichant un sourire hilare, Thelma lui fait signe d’un geste de se taire.

Thelma – Je ne devrais pas, je sais, mais je trouve ça tellement marrant…

Berthe commence à tourner de l’œil. Sœur Emmanuelle revient, dans une tenue de gymnastique très voyante, avec un gros lecteur de CD sur l’épaule façon rappeur des rues. Comme une collégienne prise en faute, Thelma retire discrètement la pince à linge et Louise recouvre ses esprits.

Emmanuelle – Allons Mesdames, il faut bouger un peu ! C’est l’heure de votre cours de gymnastique.

Thelma – Oh, non, pas la gym…

Sœur Emmanuelle appuie sur la touche du lecteur et lance une bande son entraînante façon step.

Emmanuelle – Allons, tous avec moi !

Emmanuelle, un peu exaltée, se met à faire des mouvements de step de façon assez spectaculaire, que les patientes mal en point imitent mollement.

Emmanuelle – Allez, un peu plus d’entrain !

Thelma coupe à nouveau avec la pince à linge la perfusion de Louise, qui recommence à tourner de l’œil.

Berthe – Sœur Emmanuelle… On dirait que Louise a un peu forcé…

Emmanuelle – Bon, d’accord, on va peut-être arrêter là pour aujourd’hui, alors…

Thelma retire la pince à linge la perfusion de Louise, qui recouvre peu à peu ses esprits.

Thelma – On s’en sort bien…

Emmanuelle – Ça va mieux, Berthe ?

Berthe – Ça va… J’ai dû faire un petit malaise…

Les trois patientes sortent. Gunter arrive et découvre la tenue plutôt moulante et flashy de Sœur Emmanuelle, en train d’éteindre son lecteur de CD pour partir.

Gunter – Et bien… Décidément, je vous découvre sous un autre jour, Emmanuelle…

Emmanuelle – C’est une tenue de gymnastique… Vous trouvez que c’est un peu trop…?

Gunter – Je ne pensais pas que sous votre blouse blanche se cachait un tel feu d’artifice… Vous avez bien reçu mon message ?

Emmanuelle – Quel message ?

Le bip de Gunter se fait entendre.

Gunter – Excusez-moi, on m’a bipé… Mais nous reprendrons cette conversation tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Gunter s’en va. Barbara arrive.

Barbara – Alors, Sœur Emmanuelle, on mouille le maillot ?

Emmanuelle – Je sais, je ne devrais pas trop les surmener, mais en même temps…

Barbara – Vous devriez surtout être un peu plus discrète…

Emmanuelle – Discrète ?

Barbara – Nous nous comprenons, n’est-ce pas… Mais je vous préviens, pour ce qui est de Gunter, c’est chasse gardée !

Sœur Emmanuelle sort. Gunter revient catastrophé, en poussant un chariot devant lui sur lequel est allongé un corps recouvert d’un drap blanc.

Gunter – Je viens de découvrir un cadavre dans la salle mortuaire !

Barbara – Ça n’a rien de très extraordinaire, non ? En moyenne, on en dénombre deux ou trois tous les matins…

Gunter – Non mais là ce n’est pas un de nos patients. J’en suis même à me demander si c’est vraiment un être humain. On dirait un zombie. Regardez…

Gunter lève un coin du drap et on reconnaît Angela, la gothique. Louise revient en chaise roulante et aperçoit le cadavre.

Louise – Angela !

Barbara – Vous la connaissez ?

Louise – C’est ma nièce, elle est venue me voir tout à l’heure !

Barbara – Où est-ce que vous l’avez trouvée, Docteur ?

Gunter – Dans la chambre mortuaire, je vous dis !

Barbara – Astucieux, pour dissimuler un cadavre. C’est le dernier endroit on penserait à regarder…

Gunter recouvre à nouveau le corps avec le drap.

Gunter – Vous pensez qu’il pourrait s’agir d’un meurtre ?

Barbara – Allez savoir… Oh, mon Dieu ! Le criminel se trouve peut-être encore parmi nous ! Il faut prévenir la police !

Gunter – C’est fait, je viens d’appeler le commissariat… D’ailleurs les voilà…

Le (ou la) commissaire arrive, avec son adjoint (ou adjointe).

Commissaire – Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez… J’espère que personne n’a touché à rien.

Gunter – J’ai seulement transporté le corps jusqu’ici sur ce chariot à roulettes…

Commissaire – Très bien, cela nous évitera un changement de décor inutile. (Soulevant le drap pour jeter un coup d’œil) Ouh là… Ce n’est pas beau à voir… Le producteur n’a pas lésiné sur les effets spéciaux…

Adjoint – Ah oui, cette bave verte qui lui sort de la bouche… On se croirait dans l’Exorciste…

Commissaire – Le décès remonte à combien de temps, Docteur ?

Gunter – Je n’en ai aucune idée. Je ne suis pas médecin légiste…

Adjoint – Ne vous inquiétez pas, ça viendra sûrement…

Commissaire (apercevant Louise) – Ça va Mémé, la soupe est bonne, ici ? J’espère que pour Noël, on améliore un peu l’ordinaire à la cantine ? Vous avez eu droit à une bûche glacée au moins ?

Barbara – C’est la tante de la victime, Commissaire. Elle doit être sous le choc…

Commissaire – Ah, très bien… Donc nous connaissons déjà l’identité du cadavre… Ça nous fera gagner du temps. Sanchez, soyez gentil, roulez-moi ce chariot de viande froide un peu plus loin, j’ai l’impression que ça commence déjà à cocoter un peu…

Louise – Pauvre petite… Elle est venue me voir il y a à peine une heure, vous vous rendez compte ?

Commissaire – Donc c’est encore tout frais… Remarquez, peut-être qu’elle sentait déjà mauvais de son vivant…

Louise – Vous êtes sûrs qu’elle est morte, au moins ?

Sanchez s’apprête à rouler le cadavre dans les coulisses.

Adjoint – Ou alors, c’est bien imité… La dernière fois que j’ai vu quelqu’un baver comme ça, c’était un pauvre type mordu par sa belle-mère atteinte de la rage…

Commissaire – Allons, Sanchez, je vous prie de respecter le deuil de cette pauvre femme qui vient de perdre sa nièce dans des conditions particulièrement atroces.

Sanchez – Pardon, Commissaire. Autant pour moi…

Sanchez sort avec le corps sur le chariot à roulettes.

Commissaire – Donc, chère Madame, votre nièce est la dernière personne à vous avoir vue vivante…

Louise – Ce ne serait pas plutôt le contraire, Commissaire ? Je ne suis pas encore tout à fait morte…

Commissaire – N’essayez pas de m’embrouiller, je connais mon métier… Ce n’est pas vous qui l’avez tuée, au moins ? Ça ça nous ferait gagner encore plus de temps…

Louise – C’est une animation, pour le réveillon de Noël, Docteur Müller ? Un Cluedo en live ? Monsieur est comédien ?

Gunter – Je crains que non, ma chère Berthe… Ou alors c’est un très mauvais comédien…

Le commissaire prend Gunter à part.

Commissaire – Remarquez, Docteur, ce n’est pas une si mauvaise idée que ça…

Gunter – Quoi ?

Commissaire – Et si vous faisiez croire à vos patients qu’il s’agit d’un jeu de rôles ? Ce serait moins traumatisant pour eux, non ? D’un point de vue psychologique…

Gunter – Enfin… Je pense quand même que Louise se rendra compte à un moment donné que sa nièce est vraiment morte.

Commissaire – Pensez-vous… Dans l’état où elle est ! Dans un quart d’heure elle aura même oublié qu’elle avait une nièce… Enfin, c’est vous qui voyez. Mais c’est important, la psychologie, vous savez…

Adjoint – Voilà, commissaire, c’est fait.

Commissaire – Très bien. Et qu’est-ce que vous avez fait du corps ? Que je sache où vous l’avez fourré si je veux mettre la main dessus un peu plus tard ?

Adjoint – Je l’ai mise dans la chambre froide.

Commissaire – Ah, vous avez une chambre froide ? Très bien, c’est pratique. Nous aussi on a ça à l’institut médico-légal…

Barbara – Oui, enfin, nous c’est dans les cuisines…

Adjoint – Je me disais aussi… Pourquoi est-ce que qu’ils stockent autant de carcasses d’animaux dans une morgue ?

Commissaire – Bon, on essayera de faire l’autopsie avant que la victime soit complètement congelée, sinon il va falloir y aller au pic à glace…

Adjoint – Ou au micro-onde…

Commissaire – Et donc, vous ne savez pas du tout de comment elle a été assassinée ?

Barbara – Comment le saurions-nous, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi… Vous êtes médecins, vous avez l’habitude de tuer des gens, non ? Je blague…

Adjoint – Qui a bien pu faire ça ?

Commissaire (lui posant la main sur l’épaule) – Nous sommes ici pour le découvrir, Sanchez…

Adjoint – Vous avez un plan, Commissaire ?

Commissaire – Virez-moi tout ce petit monde d’ici, sauf la vioque. On va l’interroger tout de suite, et après elle pourra aller déjeuner. Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. Nous savons que les personnes âgées ont l’habitude de déjeuner tôt…

Barbara (à mi-voix) – On la nourrit par perfusion, Commissaire, nous avons dû lui enlever l’estomac la semaine dernière…

Commissaire – Eh bien comme, au moins, elle n’a plus de problème de digestion… Allez, tout le monde dehors, on vous appellera par votre numéro quand ce sera votre tour, comme aux ASSEDIC.

Gunter et Barbara sortent.

Commissaire – Sanchez, pendant que j’interroge Madame, vous allez me perquisitionner cette taule de la cave au grenier. Et vous mandatez quelqu’un d’ici comme médecin légiste pour procéder à l’autopsie. On ne va pas y passer les fêtes, non plus…

Adjoint – Bien Commissaire.

Sanchez sort.

Commissaire – Alors Mémé ? Vous ne voulez pas avouer tout de suite ? Ça soulagerait votre conscience, et moi je pourrais réveillonner ce soir en famille.

Louise – Je lui avais fait cadeau d’une écharpe en laine. C’est avec ça qu’elle s’est pendue ?

Commissaire – Ça ressemble plutôt à un empoisonnement, si j’en crois la couleur de la bave qui lui sort de la bouche… Vous avez mangé quelque chose ensemble, quand elle vous a rendu visite ?

Louise – On a mangé des langues de chat…

Commissaire – Apparemment, ça ne lui a pas réussi… Pauvres bêtes… Des chats noirs, je parie… Mais c’était quoi, un repas de Noël ou un rite satanique ?

Louise – Enfin ce n’était pas des vraies langues de chat… Elles venaient de chez Auchan. Et puis on a bu un peu de Champagne…

Commissaire – Eh ben, on ne se refuse rien ! Si vous croyez qu’avec ma retraite, moi, j’aurai de quoi me payer du Champagne…

Louise – Nous aussi, on a cotisé ! Et puis ce n’est pas Noël tous les jours… Et dans l’état où je suis, je ne suis même pas sûre de fêter le prochain…

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez… Moi, Noël, ça m’a toujours foutu un peu le bourdon… Déjà, quand j’étais petit…

Louise – Bon, ça va, vous n’allez pas me raconter votre enfance malheureuse, non plus…

Commissaire – Bien… Est-ce que vous diriez que vous aviez des relations conflictuelles avec votre nièce, chère Madame ?

Louise – Oh… Elle venait me voir dans l’espoir de toucher l’héritage, mais bon… Quand on n’a plus que quelques mois à vivre, et qu’on a quelques millions sur son compte, vous savez, ça devient difficile de croire aux visites désintéressées…

Commissaire – Ça pourrait expliquer qu’elle ait voulu abréger vos souffrances, mais pas l’inverse… Et vous l’avez effectivement couchée sur votre testament pour la remercier de son dévouement ?

Louise – Tu parles d’un dévouement…

Commissaire – Reconnaissez que d’aller voir des mourants à l’hosto, ce n’est quand même pas une partie de plaisir ! Sans parler des frais : fleurs, confiseries, magazines… Ça mérite bien une petite compensation, non ?

Louise – J’ai tout légué au Docteur Müller.

Commissaire – Et vous avez bien raison… Ce Docteur Müller m’a l’air d’être un Saint Homme…

Sanchez revient.

Adjoint – Commissaire, on vient d’identifier le véhicule de la victime. Une voiture noire de couleur grise, garée dans le parking de l’hôpital sur une place handicapé…

Commissaire – Et quelles conclusions en tirez-vous, Sanchez ?

Adjoint – Eh bien… La victime n’était pas handicapée…

Commissaire – Ça c’est l’autopsie qui nous le dira… À propos, vous avez mis quelqu’un là dessus.

Adjoint – Oui, Commissaire… Le Docteur Müller s’en occupe…

Sanchez reste là.

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – Je me disais que… On tenait peut-être le mobile du crime…

Commissaire – Quel mobile ?

Adjoint – Un handicapé qui aurait voulu se venger qu’on lui ait pris sa place de parking ?

Commissaire – Bravo Sanchez, nous ne manquerons pas d’exploiter cette piste. En attendant, vous me débarrassez de la vieille, et vous m’envoyez le témoin suivant…

Adjoint – Quel témoin, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi ! Celui qui vous tombera sous la main… (Sanchez embarque Louise). Ces jeunes, il faut tout leur expliquer…

Le commissaire examine les lieux. Il ramasse par terre une fiole, et essaie vainement de lire l’étiquette. Sanchez revient avec Sœur Emmanuelle.

Commissaire – Qu’est-ce que vous lisez là dessus, Sanchez, je ne sais pas ce que j’ai fait de mes lunettes…

Adjoint – Poison, Commissaire… Vous pensez que cela pourrait avoir quelque chose à voir avec cette affaire d’empoisonnement ?

Commissaire – Franchement, ça m’étonnerait… Mais on va quand même envoyer ça au labo pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un produit toxique…

Adjoint – Bien Commissaire…

Sanchez prend la fiole et repart.

Commissaire – Alors, ma sœur, à nous… Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir religieuse. Une belle fille comme vous…

Emmanuelle – Je suis mariée avec Notre Seigneur… Je consacre ma vie à aider les autres…

Commissaire – Dans ce cas, nous faisons un peu le même métier.

Emmanuelle – Par d’autre voies, tout de même…

Commissaire – Les voies du Seigneur sont impénétrables… Auriez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel dans le coin, ces temps-ci…

Emmanuelle – Par exemple ?

Commissaire – Vous même, vous ne pratiqueriez pas la sorcellerie : messes noires, sacrifices humains, exorcismes ?

Emmanuelle – Non, Commissaire.

Commissaire – Une petite euthanasie de temps en temps, peut-être…?

Emmanuelle – C’est tout à fait contraire aux principes de ma religion, Commissaire.

Commissaire – Tiens donc ? Je l’ignorais. Il faudra que je relise le Coran, un de ces jours…

Emmanuelle – Et puis ce n’est pas un de nos patients en fin de vie qui est décédé, mais une jeune femme qui venait rendre visite à l’un d’entre eux…

Commissaire – On croit abréger les souffrances d’un mourant et on cueille une jeune vie dans la fleur de l’âge. Personne n’est à l’abri d’une erreur médicale…

Emmanuelle – Je suis infirmière diplômée…

Commissaire – Allons ma sœur… Ne me dites que ce n’est jamais arrivé ici qu’un patient vienne pour se faire enlever les hémorroïdes et reparte avec une jambe en moins…

Emmanuelle – Vous avez d’autres questions à me poser, Commissaire ? Mes malades ont besoin de moi…

Commissaire – Ce sera tout pour l’instant, mais je vous demanderais de rester à la disposition de la police jusqu’à nouvel ordre.

Emmanuelle – C’est à dire ?

Commissaire – On va essayer d’éviter le bracelet électronique pour l’instant, mais si vous aviez prévu un petit voyage dans un pays n’ayant pas d’accord d’extradition avec la France, comme Les Bahamas ou les Îles Caïman, je vous demanderais de le reporter…

Emmanuelle – J’avais juste prévu un pèlerinage à Lourdes pour le Nouvel An…

Commissaire – C’est dans l’espace Schengen ?

Emmanuelle – C’est en France, en tout cas…

Commissaire – Très bien, on vous fera un ausweis pour aller saluer Bernadette Soubirous…

Emmanuelle – Merci Commissaire.

Commissaire – Allez dans la paix du Seigneur, belle enfant.

Emmanuelle sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors, cette perquisition, qu’est-ce que ça donne, Sanchez ?

Adjoint – La routine, Commissaire… Un peu de marijuana, des armes de poing, du liquide sous les matelas… J’ai même trouvé de la morphine…

Commissaire – De la morphine… Où va-t-on ? Dans un hôpital, vous vous rendez compte ? Mais quand vous dites du liquide sous les matelas…?

Adjoint – Je parle de cash, Commissaire : Euros, Francs Suisse, Lires Italiennes… J’ai même trouvé quelques Pesetas…

Commissaire – Ah, les pesetas ! C’était le bon temps, n’est-ce pas, Sanchez ? La Costa Brava à un prix encore abordable, les gardes civils avec leurs drôles de tricornes, le Général Franco à la télé avec ses lunettes de soleil… Quel orateur, tout de même ! Ça ne nous rajeunit pas, Sanchez…

Adjoint – Mais ce qui m’inquiète, Commissaire, c’est plutôt ça…

Il sort et revient avec dans les bras une pile de boîtes.

Commissaire – Qu’est-ce que c’est que ça, Sanchez ? Vous croyez que c’est le moment de faire vos courses de Noël ? On a une enquête à résoudre, bon sang !

Adjoint – Des pâtes de fruits, Commissaire. Vingt-quatre boîtes exactement…

Commissaire – Je vois le topo… Et vous avez trouvé ça où ?

Adjoint – Sous le lit d’une patiente. La dénommée Berthe. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un pseudo… Plus personne ne s’appelle Berthe, de nos jours…

Commissaire – Je suis de votre avis, Sanchez… Là je crois qu’on tient une piste sérieuse. Vous m’envoyez ça au labo aussi… Ça ne risque pas d’exploser, au moins ?

Adjoint – En tout cas la plupart de ces produits ont dépassé la date limite de consommation.

Commissaire – Et cette Berthe, vous l’avez interrogée ?

Adjoint – Une vrai tête de mule, je n’ai rien pu en tirer… Je me suis dit que vous, vous sauriez davantage y faire… Tout le monde connaît vos qualités de psychologue lorsqu’il s’agit d’interroger les témoins les plus retors… Je vous l’ai amenée…

Commissaire – Vous avez bien fait, Sanchez… Introduisez Madame…

Sanchez sort un instant et revient avec Berthe.

Commissaire – Asseyez-vous là, Berthe, je vous en prie…

Sanchez repart. D’entrée, le commissaire flanque une baffe à Berthe.

Berthe – Mais ça ne va pas, non ?

Commissaire – Je préférais les bottins, mais de nos jours, avec internet, c’est devenu très difficile à trouver… Alors, vous allez parler ?

Berthe – Vous ne m’avez même pas encore posé de questions !

Commissaire – C’est ça… Et ces pâtes de fruits, bien sûr, vous allez me dire que c’était pour votre consommation personnelle ?

Berthe – Tout le monde s’entête à m’amener des pâtes de fruits, Commissaire… J’ai horreur de ça… Vous aimez ça vous, les pâtes de fruits…

Commissaire – Ma foi… (Il en prend une et la goûte) Oui, ce n’est pas si mauvais que ça…

Berthe – Ce que j’aime, moi, c’est les lingots… Ma mère m’en donnait quand j’étais petite. Vous aimez les lingots, Commissaire…

Commissaire – Les lingots ?

Fred, la fille de Berthe, arrive.

Fred – Ah, maman… Pardonnez-moi de faire irruption, Monsieur le Commissaire, mais il fallait que je vous parle… (Elle le prend à part et s’adresse à lui à mi-voix) Vous êtes parvenu à lui faire cracher le morceau ?

Commissaire – À propos de quoi, chère Madame…

Fred – Les lingots ! Elle vous a dit où elle les avait planqués, oui ou non ?

Commissaire – Pas encore, mais ça ne saurait tarder. Faites confiance à la police…

Fred – N’hésitez pas à employer des méthodes un peu… musclées. Je pensais que c’était ma sœur qui les avait trouvés, mais elle m’assure que non…

Commissaire – Vraiment ?

Fred – Je vous laisse faire votre travail… Vous me tenez au courant ?

Commissaire – Je n’y manquerais pas, chère Madame.

Fred sort.

Commissaire – Quelle cupidité, tout de même… S’entredéchirer comme ça en famille… Tout ça pour des chocolats…

Sanchez revient.

Adjoint – J’ai pris la liberté d’interroger moi-même quelques témoins, Commissaire, et toutes les déclarations concordent : on mange très mal dans cet établissement…

Berthe – Ah, oui, ça je vous le confirme ! C’est infect !

Adjoint – J’ai même trouvé de la viande avariée dans le frigo.

Commissaire – En plus de notre cadavre, vous voulez dire ? Je rigole…

Adjoint – J’y retourne et je vous préviens s’il y a du nouveau…

Commissaire – Bon, débarrassez-moi de cette sorcière, et amenez-moi la Poupée Barbie.

Adjoint – Barbara, l’infirmière ?

Commissaire – C’est ça…

Sanchez sort avec Berthe. Barbara arrive.

Commissaire – Ah, chère Madame… Asseyez-vous, je vous en prie…

Barbara – Vous pouvez m’appeler Barbara. (Barbara s’assied en face de lui en croisant les jambes, ce qui déstabilise évidemment son interlocuteur). Vous aviez une question à me poser, Commissaire ?

Commissaire – Euh… oui. Mais bizarrement, là tout de suite, ça ne me revient pas…

Barbara – J’ai tout mon temps…

Commissaire – Ah si, voilà… Avez-vous des raisons de soupçonner votre patron, le Docteur Müller, de se livrer sur ses patients à des essais médicaux prohibés ?

Barbara – Comme les médecins nazis, vous voulez dire ?

Commissaire – Il a un nom à consonance germanique… et il est médecin. Reconnaissez que c’est une hypothèse à ne pas négliger… Même si ça n’est qu’une hypothèse…

Barbara – Le Docteur Müller ? Je ne crois pas Commissaire. D’ailleurs Gunter est Suisse…

Commissaire – Il y avait aussi des nazis en Suisse… En Suisse Allemande, en tout cas…

Barbara – C’est une page de l’histoire que j’ignorais complètement, Commissaire…

Commissaire – Admettons… Mais le Docteur Müller pourrait aussi administrer à ses patients à leur insu du maïs transgénique pour voir s’ils développent des tumeurs ? On connaît bien les liens parfois incestueux que le corps médical entretient avec les laboratoires pharmaceutiques…

Barbara – Il est vrai que presque tous nos patients ont déjà des tumeurs… Mais cela ne cadre guère avec le personnage, Monsieur le Commissaire… Le Docteur Müller est un médecin tout à fait désintéressé. Vous avez entendu parler de sa fondation au profit des orphelins qui n’ont pas de parents ?

Commissaire – Oublions ça, chère amie… Il s’agissait d’un simple interrogatoire de routine et je ne vous retiendrai pas plus longtemps… (Barbara se lève et s’apprête à sortir) Ah Barbara, une dernière petite question…

Barbara – Oui Inspecteur Colombo…

Commissaire – Surtout après avoir mangé des plats épicés, comme du couscous ou du chorizo, j’ai de terribles démangeaisons… à un endroit que la bienséance m’empêche de nommer dans une pièce de théâtre… Vous sauriez de quoi il peut s’agir ?

Barbara – De votre postérieur, j’imagine…

Commissaire – Non, je veux dire, de quelle maladie… Vous pensez que c’est grave ?

Barbara – Simple petit problème d’hémorroïdes probablement… Je vais vous arranger un rendez-vous avec le Docteur Müller pour après les fêtes. En attendant, évitez les excès…

Commissaire – Merci, Barbara, je me sens déjà soulagé…

Barbara sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors Sanchez, que donnent vos investigations ?

Adjoint – Cet hôpital est un vrai foutoir, Commissaire : trafic de stupéfiants, paris clandestins, abus de faiblesse, blanchiment d’argent, call girls recrutées sur le net…

Commissaire – Et l’autopsie ?

Adjoint – De ce côté-là, on a pas mal avancé aussi. L’autopsie révèle que la victime avait absorbé des langues de chat en grande quantité.

Commissaire – Pas de pâtes de fruits, vous êtes sûr ?

Adjoint – Uniquement des langues de chat, dont la date limite de consommation était dépassée de plus d’une semaine… J’ai retrouvé l’emballage dans une poubelle.

Commissaire – Bravo Sanchez ! C’est sûrement la raison du décès… Les langues de chat pas fraîches, ça ne pardonne pas. Reste à savoir s’il s’agit d’un empoisonnement ou d’une simple intoxication accidentelle…

Adjoint – Il y a autre chose Commissaire…

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – L’autopsie a révélé que la victime n’était pas vraiment morte avant l’autopsie…

Commissaire – Et alors ?

Adjoint – Ben… Le Docteur Müller a essayé de tout remettre à peu près en place…

Commissaire – La victime a été découverte dans une chambre mortuaire… C’est sûrement ça qui a induit les médecins en erreur. Comme quoi, Sanchez, il faut toujours se méfier des conclusions hâtives…

Adjoint – Une dernière chose, Commissaire… J’ai procédé à l’examen des ordinateurs…

Commissaire – Et ?

Adjoint – Bingo ! Je viens d’arrêter un type qui avait rendez-vous avec un membre du personnel de cet hôpital rencontré sur Internet…

Commissaire – Introduisez, Sanchez, introduisez…

Sanchez introduit Gunter et Emmanuelle.

Commissaire – Vous, Docteur Müller ? Et vous ma sœur ?

Gunter – Je peux tout vous expliquer Commissaire…

Commissaire – Confessez-vous à moi, Docteur…

Gunter – Je suis secrètement amoureux de Sœur Emmanuelle depuis son arrivée dans notre établissement. Lorsque j’ai appris par hasard qu’elle s’était inscrite sur un site de rencontre, j’ai pris un pseudo et je lui ai proposé un rendez-vous… Elle a accepté sans savoir qui j’étais… (Se tournant vers Emmanuelle) Emmanuelle, j’espère que vous n’êtes pas trop déçue…

Emmanuelle – Mais cela ne peut être qu’une machination du Diable, Commissaire ! Je ne fréquente pas de sites de rencontre, je vous l’assure !

Commissaire – Allons, ma sœur, inutile de jouer les vierges effarouchées… Vous savez, on a tous un jour où l’autre surfé sur ce genre de sites…

Sanchez arrive.

Adjoint – Je vous amène la victime, Commissaire… Croyez-moi, c’est une véritable résurrection… J’ai assisté moi-même à l’autopsie, il y avait des organes aux quatre coins de la pièce…

Commissaire (à Gunter) – Bravo ! Le Docteur Frankenstein n’aurait pas fait mieux…

Arrive Angela plus zombie que jamais, et la bave colorée au coin de la bouche.

Gunter – J’ai fait ce que j’ai pu, mais si vous voulez l’interroger, je vous conseille de ne pas trop traîner…

Commissaire – Vous avez raison… Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’interroger la victime d’un meurtre…

Angela (voix d’outre-tombe) – Allez tous brûler en enfer !

Emmanuelle sursaute.

Emmanuelle – C’est l’Antéchrist, et le Seigneur m’a désignée pour l’affronter. (Elle ouvre sa blouse sous laquelle elle a sa tenue fluo de gymnastique, et se met en position de karaté avant d’esquisser quelques mouvements d’intimidation). Vade retro Satanas !

Emmanuelle décoche un coup fatal à Angela. Sanchez se penche vers le corps.

Adjoint – Cette fois, je crois qu’elle est vraiment morte, Commissaire…

Emmanuelle – Les Forces du Bien ont triomphé des Forces du Mal… Maintenant, vous pouvez faire de moi ce que vous voudrez…

Commissaire – Ne me tentez ma sœur… Mais pour ce qui est du cadavre que vous venez d’assassiner, on en restera à la version officielle… On dira que la victime était déjà morte avant l’autopsie…

Adjoint – Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. On ne va pas mettre en prison une religieuse.

Commissaire – Surtout une religieuse qui vient de rencontrer le grand amour grâce à internet…

Barbara arrive, furieuse, suivie de Thelma.

Thelma – Mais puisque je vous dis que Thelma, c’est moi !

Barbara (à Emmanuelle) – Salope. Je t’avais dit de ne pas t’approcher de Gunter !

Barbara se jette sur Emmanuelle et elles se crêpent le chignon.

Adjoint – Vous ne croyez pas qu’on devrait les séparer, Commissaire ?

Commissaire (fasciné) – Attendez encore un peu…

Berthe et Louise arrivent.

Thelma – Je parie sur la brune et vous ?

Berthe – Cinquante euros sur la blonde…

Fred, Jack et Sandy arrivent, en pleine rixe eux aussi.

Fred – Qu’est-ce que tu as fait des lingots, morue ?

Sandy – Attends, je vais t’étrangler, garce !

Jack – Ne vous inquiétez pas Commissaire, c’est juste un petit différend familial…

Jack se joint à la rixe.

Commissaire – Je crois que nous pouvons considérer cette affaire comme résolue, Sanchez. Nous représentons ici les forces de l’ordre, et je crois qu’on peut dire que l’ordre est rétabli.

Adjoint – Bravo Commissaire. Encore une enquête rondement menée. Beau travail…

Commissaire – Merci Sanchez. Vous réveillonnez en famille, ce soir ?

Adjoint – Hélas, Commissaire, je suis un orphelin de la police. Je n’ai plus de famille.

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez, Sanchez…

Adjoint – Mon père est mort en service. Je peux vous l’avouer maintenant, il servait sous vos ordres, et il en était fier… C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à rejoindre votre unité, Commissaire.

Commissaire – Ce que vous me dites me bouleverse, Sanchez. Je vous considère comme un fils, vous le savez, et je ne vous laisserai pas tomber un jour comme celui-là.

Adjoint – Je savais que je pouvais compter sur vous, Commissaire…

Commissaire – Tenez, voici le Docteur Müller. Avec sa Fondation, financée par de généreux donateurs en fin de vie comme Berthe, il s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents, comme vous. Il a sûrement une solution pour que vous ne restiez pas seul un soir de réveillon. N’est-ce pas, Docteur ?

Adjoint – Merci Commissaire.

Commissaire – Je vous abandonne, Sanchez… On m’attend à la maison. Et c’est moi qui suis chargé de fourrer la dinde… Joyeux Noël à tous !

Le commissaire sort tandis que la moitié de ceux qui restent continuent à se battre, et les autres à les regarder. Sirènes d’ambulance et de police mêlées…

Noir. Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-42-0

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Sur un plateau

Comédie de Jean-Pierre Martinez

7 à 14 comédiens

2H/5F, 3H/4F, 4H/3F, 5H/2F, 6H/1F
2H/10F, 3H/9F, 4H/8F, 5H/7F, 6H/6F, 7H/5F, 8H/4F, 9H/3F
2H/11F, 3H/10F, 2H/12F, 3H/11F, 4H/10F

L’animateur d’une obscure chaîne du câble reçoit un homme politique dont il doit assurer la promotion. Mais l’interview ne va pas se dérouler comme prévu…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Sur un Plateau

14 personnages :

Marc-Antoine (ou Marie-Chantal) : Président(e)
Donald (ou Daisy) : Vice-Président(e)
Gégé : Technicien ou technicienne
Momo : Technicien ou technicienne
Bruno : Animateur
Delphine : Assistante
Charles : Homme politique
Claud(in)e : Invité(e)
Philippine : Invité(e)
Cassandra : invitée
Ramirez : Commissaire (homme ou femme)
Sanchez : Inspecteur ou inspectrice
Samantha : Stagiaire
Dominique : Spectateur ou spectatrice

Distribution possible (premier acte seulement)

2H/5F, 3H/4F, 4H/3F, 5H/2F, 6H/1F

Distribution possible (prologue et deux actes)

2H/10F, 3H/9F, 4H/8F, 5H/7F, 6H/6F, 7H/5F, 8H/4F, 9H/3F
2H/11F, 3H/10F,2H/12F, 3H/11F, 4H/10F

***

ACTE 1

La scène figure le plateau de tournage d’une improbable chaîne du câble dont le nom figure sur un panneau contre le mur du fond : Canal Direct Plus. Le plateau est pour l’heure vide, à l’exception d’une table basse sur laquelle sont posés trois micros. Un technicien arrive en bleu de travail. Il porte un fauteuil. Il inspecte rapidement les lieux pour vérifier qu’il est au bon endroit.

Gégé – Momo !

Momo (off) – Ouais ?

Gégé – Une Volonté, Un Destin, c’est bien le plateau numéro 2 ?

Momo – Ouais.

Gégé – Ben faudrait s’affoler le minou là, on est à l’antenne dans un quart d’heure.

Gégé pose le fauteuil d’un côté de la scène. Momo, également en bleu de travail, arrive avec un autre fauteuil. Selon les besoins de la distribution, Gégé et Momo pourront indifféremment être des hommes ou des femmes (au look un peu masculin).

Momo – Eh, je ne suis pas Dieu, moi, je ne peux pas être partout. (Il pose le fauteuil en face de l’autre) Et puis il n’y a pas le feu au lac. L’invité de l’émission est encore au maquillage…

Gégé – Elle est où, la caméra ?

Momo (désignant la régie) – Là bas.

Gégé interpelle la régie.

Gégé – Ça va les fauteuils ? Plus au centre ?

Momo et Gégé rapprochent un peu les fauteuils.

Gégé – C’est qui l’invité, aujourd’hui ?

Momo – Un politicien.

Gégé – Qui ça ?

Momo – Je ne sais plus…

Gégé – À droite ou à gauche ?

Momo – Au centre, il me semble. Mais bon, maintenant, la droite, la gauche…

Gégé – Je te parle des fauteuils, abruti. Il va s’asseoir à gauche ou à droite, ton centriste ?

Momo – C’est ça le problème avec les centristes. On ne sait jamais d’avance de quel côté ils vont siéger…

Gégé – Tu crois vraiment qu’on a le temps de rigoler ?

Momo – D’habitude, l’invité du jour s’assoit là. Et les autres trous du cul s’asseyent en face de lui à tour de rôle.

Gégé – Et l’animateur ?

Momo – T’as raison, il manque un fauteuil.

Gégé – Ben ouais, il me semble…

Momo sort.

Gégé – Il est con, lui.

Momo revient avec un fauteuil qu’il pose au centre entre les deux autres.

Momo – Et voilà.

Gégé – Tiens, assieds-toi là.

Momo s’assied à la place de l’invité et Gégé sur le siège de l’animateur.

Momo – Ok. Je fais l’invité, alors.

Gégé interpelle à nouveau la régie.

Gégé – Tu nous entends, là ? Ok. On fait un essai de micro. (À Momo) Alors, Monsieur Ducon de la Tronche en Biais, vous nous aviez promis pendant votre campagne électorale que les impôts allaient baisser et que les salaires allaient augmenter. Or c’est exactement le contraire qui s’est passé. Comment osez-vous encore montrer votre tête de nœud à la télévision ?

Momo – Cher ami, il ne faut pas voir les choses d’une façon aussi simpliste et caricaturale. En réalité, au-delà des apparences parfois trompeuses, la situation de la France est loin d’être aussi catastrophique que l’opposition voudrait nous le faire accroire…

Gégé – Bon ben on dirait que ça marche.

Momo – Ouais…

Gégé – Le spectacle va pouvoir commencer…

Momo – Quand les clowns seront sortis du maquillage…

Gégé – Et l’animateur, c’est qui, pour Une Volonté, Un Destin ?

Momo – Ben c’est l’autre crétin, là. Celui qui vient d’arriver.

Gégé – Celui qui s’est fait virer de France 2 ? Je pensais qu’il en profiterait pour prendre sa retraite anticipée du côté de Saint-Rémy-de-Provence…

Momo – Qu’est-ce que tu veux ? Le câble, maintenant, c’est la retraite chapeau du service public.

Gégé – Ouais. Aujourd’hui, même les anciens ministres se recasent en animateur télé.

Momo – Regarde Roselyne Bachelot.

Gégé – Du temps de l’ORTF, c’était le contraire.

Momo – Le contraire ?

Gégé – C’est les présentateurs télé qui se recasaient dans la politique. Regarde Noël Mamère !

Momo – C’est sûr que Roselyne Bachelot, elle n’aurait jamais pu faire présentatrice du temps où la télé était encore en noir et blanc.

Gégé – Tiens, voilà le présentateur vedette, justement…

Bruno, l’animateur arrive, genre vieux beau, aimable comme un animateur.

Bruno – Alors Messieurs, ça va comme vous voulez, j’espère. Parce qu’on n’est pas en avance, là…

Gégé – La faute à qui ? On n’a même dû faire la balance nous-mêmes. Il a fini de se faire belle, votre centriste ?

Bruno – Je ne suis que présentateur… Et il y a des clients qui demandent un plus de maquillage que d’autres pour être présentables… Les caméras sont en place ?

Momo – Ouais, ouais, ça baigne.

Bruno – Qu’est-ce qu’on ferait sans les caméramans ?

Gégé – De la radio, probablement.

Bruno – Ah, ah, ah ! Excellente… Ça me rappelle ma jeunesse, quand je faisais mes débuts sur une radio périphérique. Je vous ai déjà raconté la première fois où j’ai rencontré Michel Drucker ?

Gégé (le coupant) – Bon excusez-nous, mais on a du boulot, nous.

Gégé et Momo sortent.

Bruno – Du boulot… Quel bande de branleurs. Un qui bosse et deux qui regardent, oui… (Appelant en direction des coulisses) Delphine ? (Sortant son portable) Qu’est-ce qu’elle fout encore, cette dinde ?

Son assistante Delphine arrive, jeune et jolie, vêtue d’une façon plutôt provocante.

Bruno – Ah Delphine ! Ça roule ma poule ? Justement, j’allais vous biper…

Delphine (aguicheuse) – Je suis là, Docteur. Prête à satisfaire tous vos désirs…

Bruno – Et l’invité, il est prêt ?

Delphine – Oui, oui, il arrive…

Bruno – Les politiciens, je te jure. Question maquillage, c’est pire que les gonzesses.

Delphine – Surtout que là, il y a du boulot…

Bruno – Il m’a même fait jurer de le faire asseoir à droite parce que c’était son meilleur profil. Vous voyez le tableau…

Delphine – Moi, en tout cas, je ne peux pas l’encadrer…

Bruno – Ce n’est pas un cadeau, je sais, mais bon… Ce sera peut-être notre prochain président ! Figurez-vous qu’on était à Sciences Po ensemble. Il avait déjà les dents qui rayaient le plancher.

Delphine – Il est d’une prétention ! Et d’un machisme !

Bruno – Ah, ça ce n’est pas bien… Il ne vous a pas manqué de respect, au moins ?

Delphine – Il a demandé à la stagiaire de lui apporter une tisane au miel pour s’éclaircir la voix avant l’émission. Et vous savez quoi ? Il l’a renvoyée parce qu’elle n’était pas assez chaude !

Bruno – Pas assez chaude ? Qui ? La tisane ou la stagiaire ? (Il rit bruyamment) Il faut dire que je l’ai croisée ce matin, Samantha, elle est plutôt… (Devant le regard réprobateur de son assistante) Bon… Il nous reste une minute. On voit les derniers détails ensemble ?

Delphine – J’allais vous le proposer…

Bruno – Et les prolos qu’il a convoqués pour faire son apologie, ils sont tous là ?

Delphine sort une liste.

Delphine – Oui… Enfin, justement, je voulais vous en parler…

Bruno – Oui ben on n’a plus le temps là, ma chérie. Faites voir… (Bruno lui prend la liste des mains et y jette un regard rapide). J’imagine que dans le tas, il y a la maîtresse d’école qui lui a procuré ses premiers émois amoureux, son copain d’internat qui lui a appris comment s’astiquer le manche et l’amie de sa mère qui l’a dépucelé… Je déconne…

Charles, l’homme politique, arrive, une tasse à la main.

Bruno – Charles ! Comment vas-tu ?

Charles – Mais très bien Bruno, et toi ?

Bruno – Désolé, je n’ai pas pu venir te saluer au maquillage, mais on est un peu à la bourre… On t’a proposé un café ?

Charles – Jamais de café, ça noircit les dents… J’ai aussi arrêté de fumer et je fais un petit régime.

Bruno – Ah oui, ça se voit.

Charles – Mon conseil en communication me dit que quand on a des ambitions politiques, il vaut mieux avoir les dents blanches et ne pas avoir l’air trop bien nourri.

Bruno – C’est clair.

Charles – Euh… Non… C’est Pierre.

Bruno – Pierre ? C’est qui Pierre ?

Charles – Mon conseil en communication.

Bruno – Ah, oui… C’est clair.

Charles – C’est curieux de se retrouver ici, non ? Ça fait des années…

Bruno – C’est ce que j’étais en train de dire à Delphine, justement. On était encore étudiants à Sciences Po.

Charles – Moi, c’était l’ESSEC.

Bruno – C’est ça. On était encore jeunes et beaux. C’était le bon temps !

Charles – Et oui…

Bruno – En tout cas, elles ne t’ont pas loupé, hein ? Tu es maquillé comme une voiture volée !

Charles – Je compte sur toi pour éviter ce genre de blagues quand on sera à l’antenne. Déjà que les politiques sont un peu mal aimés…

Bruno – Tu sais ce qu’on dit : Mieux vaut être mal aimé que mal bai… (Il s’interrompt en croisant le regard de Delphine) Au fait, tu connais Delphine ? C’est mon assistante…

Charles – Oui, oui, on s’est croisé, mais… Je ne savais pas que c’était ton assistante…

Bruno – Pour moi, c’est beaucoup plus qu’une assistante, crois-moi… Mais ne t’avise pas de me la piquer, hein ?

Charles – Tu n’as pas changé, toi…

Bruno – Bien sûr à l’antenne on se vouvoie.

Charles – Sinon on va encore parler des relations incestueuses entre le politique et le médiatique.

Bruno – Si tous les hommes politiques n’épousaient pas des femmes journalistes aussi !

Delphine – Le jour où ce sera le contraire, on aura fait un grand pas vers l’égalité des sexes…

Bruno – Ah… Elle est bonne celle-là ! Vous imaginez Martine Aubry remariée avec Laurent Delahousse ! (Les deux autres ne rient pas) Bon assez rigolé, il va falloir y aller mon vieux… On passe à l’antenne dans cinq minutes…

Charles – Tout est prêt alors ?

Bruno – Oui, oui, ne t’inquiète pas… Delphine m’a donné la liste de tes invités-surprise, soigneusement préparée par ton dircom.

Delphine – Justement, je voulais vous en parler…

Bruno lui prend la liste des mains.

Bruno – Voyons voir… Alors, qui on a en premier… Madame Carpentier…

Charles – Madame Carpentier ? C’est qui ça ? Je n’ai jamais donné ce nom là sur ma liste d’invités-surprise !

Delphine – C’est à dire que… Avec cette épidémie de gastro, en ce moment, on a eu pas mal de désistements et… Il a fallu remplacer quelques-uns de vos invités…

Charles – Comment ça remplacer ? Vous en avez parlé avec Pierre ?

Bruno – C’est qui Pierre ?

Charles – Pierre ! Mon conseil en communication, bordel !

Delphine – C’est à dire que… On a du faire ça au dernier moment…

Bruno – Ne t’inquiète pas Charles, tout est sous contrôle… On a l’habitude, tu sais… On gère… Et puis comme ça, au moins, ce sera vraiment des invités-surprise !

Charles – Je déteste les surprises… Si je suis arrivé là où j’en suis aujourd’hui, figure-toi, c’est parce que je n’ai jamais rien laissé au hasard…

Bruno – Cool… Détends-toi… Tu veux que j’appelle la stagiaire pour te faire un petit massage avant l’émission ? Elle est très douée, tu sais…

Charles – Parlons-en de la stagiaire. Cette tisane qu’elle m’a donnée, ça me donne envie d’aller aux toilettes… J’ai encore le temps, non ?

Bruno – Oui, oui, vas-y… C’est par là… Mais dépêche-toi quand même…

Charles pose sa tasse sur la table et sort.

Bruno – Mais qu’est-ce que vous avez foutu, bordel ? Vous auriez pu m’en parler !

Delphine – J’ai essayé, mais…

Bruno – Bon, de toute façon, on n’a plus le temps…

Delphine fait un signe de tête discret en direction du public.

Delphine – Euh… Il faudrait peut-être que vous leur disiez un petit mot avant de commencer…

Bruno – Ah oui, c’est vrai, je les avais oubliés, ceux-là…

Bruno s’adresse au public avec un grand sourire.

Bruno – Mesdames et messieurs, bonjour. Et bienvenue dans les studios de Canal Direct Plus. Comme vous le savez, vous allez assister à la diffusion en direct de notre émission Une Volonté, Un Destin sur notre chaîne du câble. Donc, vous pouvez applaudir de temps en temps si vous voulez, et c’est même recommandé (Delphine montre une pancarte sur laquelle est inscrit « applaudissements »). Mais autrement, vous ne faites pas trop de bruit, d’accord ?

Delphine – Alors si vous voulez vous moucher, ou tousser, ou vous étrangler avec votre pop corn, c’est maintenant.

Bruno – Pas de bébés asthmatiques dans la salle ? Ou de personnes âgées qui respirent avec un appareil trop bruyant ? Ou de belles-mères trop bavardes ? Sinon, c’est le moment d’aller les déposer à l’accueil. On vous les rendra à la sortie.

Assistant – Pour les téléphones portables, c’est pareil.

Bruno – N’oubliez pas de mettre une petite étiquette dessus pour éviter les erreurs quand on vous les rendra.

Delphine – Bruno parlait des portables, bien sûr.

Bruno – Vraiment, pas de regrets ?

Delphine – Alors c’est parti !

Charles revient.

Bruno – Ah, Charles, ça y est ? On a fini son petit pissou ? Bon alors on va pouvoir lancer l’émission…

Charles semble découvrir la présence du public .

Charles (à voix basse) – C’est qui tous ces gens ?

Bruno – Ben c’est le public.

Charles – Le public ? Pour quoi faire le public ?

Delphine – L’émission est en public.

Charles – Je ne savais pas que c’était en public…

Bruno – Ce sont tes électeurs, Charles ! C’est important qu’ils soient là…

Charles – Mes électeurs ? Vous avez bien vérifié avec mon conseil en communication qu’ils avaient tous voté pour moi ?

Bruno – Je voulais dire des électeurs en général. Si tu veux être le prochain président, mon vieux, ce sont ces gens-là que tu dois convaincre ! Le peuple de France ! C’est à eux que tu dois t’adresser ! Et Canal Direct Plus est là pour t’y aider !

Gégé revient.

Gégé – Bon, je ne voudrais pas vous bousculer, mais on passe à l’antenne dans trente secondes là, alors si vous pouviez vous asseoir à vos places et arrêter de jacasser…

Bruno – Ok… Si la technique est prête, alors on y va…

Ils prennent place dans les fauteuils. Delphine, en retrait du champ des caméras, fait le compte à rebours avec les doigts : cinq, quatre, trois, deux, un, zéro… Générique de l’émission. Puis elle donne le signe du départ en pointant du doigt le présentateur pour lui dire que c’est à lui.

Bruno – Cher public fidèle, et toujours plus nombreux, bonjour ! Très heureux de vous accueillir à nouveau sur le plateau de Une Volonté, Un Destin. Notre invité du jour, vous le connaissez, c’est l’un de vos élus, et un homme politique qui monte : Charles Dalencourt. Monsieur Dalencourt bonjour !

Charles – Bonjour Bruno, et bonjour à tous. Merci de m’avoir invité sur ce plateau…

Bruno – Monsieur Dalencourt, vous êtes actuellement Député des Français de l’Étranger, une circonscription injustement méconnue, mais il est vrai plus difficile à situer sur une carte que la Corrèze ou le Calvados…

Charles – Il est pourtant essentiel que ceux de nos compatriotes qui participent au rayonnement de la France dans le monde soient dignement représentés au Parlement.

Bruno – Et cher public, il est nécessaire de préciser que Monsieur Dalencourt, en parlant de nos compatriotes de l’étranger, ne fait pas seulement référence à Charles Aznavour, Gérard Depardieu ou Yannick Noah, mais aussi à tous ces ingénieurs français anonymes qui exportent de par le monde ce que l’industrie française a de meilleur à proposer en matière d’avions militaires ou de centrales nucléaires…

Charles – Je considère en effet tous ces anonymes comme les soldats inconnus de la mondialisation.

Bruno – Belle formule, Charles, et qui me fournit une transition facile. Ce n’est un secret pour personne que l’on parle de vous pour le Ministère des Armées ou le Ministère de l’Intérieur, et vous ne cachez pas vos ambitions pour la prochaine présidentielle.

Charles – Chaque chose en son temps, Bruno. Et je n’ai pour l’instant qu’un seul but : servir la France du mieux possible à la place qui est la mienne aujourd’hui.

Bruno – Cette modestie vous honore, Monsieur Dalencourt. En tout cas, cette émission permettra sans doute au grand public de vous connaître un peu mieux. En effet, si les Français de l’Étranger qui vous ont élu ont une image assez précise de votre parcours politique, les autres découvrent peut-être aujourd’hui votre visage.

Charles – J’espère qu’ils ne seront pas déçus…

Bruno – À vous de leur montrer votre meilleur profil, Charles ! Quoi qu’il en soit, si les Français connaissent le personnage politique, ils ignorent tout de l’homme. Qui est assez discret, il faut bien le dire…

Charles – En effet, je n’aime pas beaucoup parler de moi. Mais je crois que c’est une nécessité de nos jours de savoir se mettre un peu en avant. Et mes concitoyens, qui m’ont placé aux responsabilités que j’occupe aujourd’hui, ont le droit de savoir qui je suis…

Bruno – Sans plus tarder, Monsieur Dalencourt, nous recevons le premier de nos invités-surprise. Invitée qui, n’en doutons pas, nous permettra d’éclairer votre personnalité sous un jour un peu plus personnel… puisqu’il s’agit de votre ancienne maîtresse !

Le visage de Charles se décompose.

Charles – Ma maîtresse…

Entre une dame d’âge mûr, éventuellement avec un accent du terroir. Depuis le côté de la scène, Delphine montre au public la pancarte sur laquelle est inscrit « applaudissements ». Bruno jette un regard à sa fiche.

Bruno – Bonjour Claudine, et bienvenue dans notre émission Une Volonté, Un Destin !

Charles semble surpris, mais prend sur lui.

Bruno – Charles, j’imagine que vous reconnaissez Claudine… même si quelques années ont passé depuis la dernière fois où vous vous êtes vus…

Charles – Oui, oui, bien sûr… Enfin, non… C’est à dire que… Claudine ?

Bruno – Depuis toutes ces années, elle a un peu changé, elle aussi. Elle est maintenant à la retraite. Mais oui, Charles, c’est bien votre maîtresse d’école ! Claudine ! Que vous avez connue à l’époque où vous usiez vos fonds de culotte sur les bancs de l’École Jules Ferry de Fontenay-aux-Roses…

Charles – Ah oui, bien sûr… Madame Carpentier, évidemment… C’est pour ça que le nom de Claudine…

Bruno – Tout d’abord, Claudine, est-ce que Charles était un élève brillant ?

Claudine – Brillant ? Mon Dieu… Non, je dirais plutôt… Moyen. Voilà, c’était un élève juste dans la moyenne. Un peu en dessous, peut-être.

Bruno – Et bien dites-moi, Claudine, on dirait qu’il s’est bien rattrapé, n’est-ce pas ? Comme quoi tous les cancres à l’école primaire conservent une bonne chance de devenir Président de la République un jour dans notre beau pays…

Claudine – Oui…

Bruno – Alors Claudine, décrivez-nous un peu comment était Charles quand il était enfant. Quel adjectif vous vient d’abord à l’esprit pour qualifier le jeune garçon qu’il était à l’époque ?

Claudine – Un adjectif ?

Bruno – Oui… Ou plusieurs, si vous préférez.

Claudine – Ce n’est pas facile…

Bruno – Essayez quand même… Sans trop réfléchir…

Claudine réfléchit.

Claudine – Sournois.

Bruno – Pardon ?

Claudine – Oui… Je ne dirais pas qu’il était méchant, ça non. Mais sournois, vous voyez ?

Bruno – Oui, enfin…

Claudine – Faux cul, si vous préférez.

Bruno essaie de le prendre avec humour pour dédramatiser.

Bruno – Je ne sais pas ce que Charles préférera, en effet…

Charles – C’est vrai que je n’étais pas un enfant très sage, je le reconnais volontiers… Comme tous les garçons de mon âge, j’imagine…

Claudine – Disons que… Quand il faisait une bêtise, il se débrouillait toujours pour que quelqu’un d’autre porte le chapeau à sa place, vous voyez ?

Bruno – Je vois, Claudine… Et bien merci pour ce premier témoignage qui n’en doutons pas…

Claudine – Une fois, je me souviens, il avait cassé le bras d’un nain en jouant au ballon pendant la récréation…

Bruno – Un nain ? Monsieur Dalencourt étudiait dans une école pour nains ?

Claudine – Non, mais pas un vrai nain. Un nain en porcelaine. Un nain de jardin, si vous préférez. Il était juste au milieu du parterre de fleurs, dans la cour de récréation.

Bruno – Ah, oui… Je me disais aussi… Une école pour nains. Vous n’avez rien de Blanche Neige, n’est-ce pas Claudine ?

Claudine – Bref, Monsieur Charles avait cassé le nain. C’était Joyeux, mon préféré. Je me demande si ce petit salaud ne l’avait pas fait exprès. Et bien il s’est arrangé pour faire accuser un de ses camarades à sa place…

Bruno – Allons, Claudine, nous n’allons pas accabler davantage ce pauvre Charles… Il est humain de ne pas vouloir payer les pots cassés… Et après tout, il y a prescription, n’est-ce pas ? D’ailleurs, je suis sûr que Charles a sincèrement regretté plus tard ce fâcheux incident… Et cela nous montre surtout que c’est un homme comme tout le monde, parfaitement normal, avec ses défauts et surtout ses qualités.

Claudine – En tout cas, il n’a pas changé…

Bruno – Et bien merci Claudine pour ce témoignage…

Claudine – Je me souviens d’une autre histoire…

Bruno – Une autre fois Claudine… Nous avons encore beaucoup d’autres invités, et…

Claudine s’en va, emmenée presque de force par Delphine, sous le regard courroucé de Charles, qui tente cependant de faire bonne figure. Depuis le côté de la scène, Delphine montre au public la pancarte « applaudissements ».

Bruno – Et bien Charles, ce sont les joies du direct ! Au moins on ne pourra pas nous accuser d’avoir trié les invités sur le volet !

Charles – Tout à fait, Bruno…

Bruno – Alors, un peu d’émotion en revoyant votre chère maîtresse, tant d’années après ?

Charles – Bien sûr, c’est très émouvant pour moi de revoir Claudette…

Bruno – Claudine…

Charles – Je crains malheureusement que cette pauvre femme n’ait plus toute sa tête.

Bruno – Et bien sans plus tarder, Charles, nous recevons notre deuxième invité.

Depuis le côté de la scène, Delphine montre au public la pancarte « applaudissements ». Entre une femme plutôt jeune, avec un accent étranger. Le rôle de Philippine peut aussi être joué par un homme à la sexualité ambiguë.

Charles – Philippine ?

Bruno – Ah, celle-ci au moins, vous la reconnaissez…

Charles – Oui, enfin…

Bruno – Alors, Philippine ? Vous étiez la colocataire de Charles lorsqu’il était étudiant, je crois.

Philippine – Philippine, en fait, c’est un surnom… Parce que je viens des Philippines… Et que Monsieur Charles n’arrivait pas à prononcer mon vrai nom…

Bruno – Dans ce cas, quel est votre véritable prénom ?

Philippine – Zasstermadmarmo. C’est un prénom d’origine tibétaine qui désigne la Déesse de la Richesse.

Bruno – Zasster… Et bien je crois que nous continuerons à vous appeler Philippine, n’est-ce pas ? Alors Philippine, quel genre de colocataire Charles était-il ?

Philippine – Très soigneux.

Bruno – Le goût de l’ordre, c’est plutôt un bon point pour un futur Ministre de l’Intérieur…

Philippine – Je dirais même qu’il était un peu… maniaque.

Bruno – Maniaque ?

Philippine – Il fallait que ses pantalons soient toujours impeccablement repassés. Avec le pli juste au milieu. Pour que ça tombe exactement sur le pompon de ses mocassins.

Bruno – Parce que c’était vous qui lui repassiez ses pantalons ? Eh bien dites-moi, Philippine, j’aurais rêvé d’avoir une colocataire comme vous lorsque j’étais étudiant…

Philippine – J’étais plutôt sa femme à tout faire, en réalité…

Bruno – À tout faire ? Dans ce cas, Philippine, vous n’êtes pas seulement la colocataire parfaite, vous êtes la femme idéale !

Philippine – Comme j’étais sans papier, je ne pouvais même pas louer une chambre de bonne à mon nom… Alors Monsieur Charles m’a recueillie chez lui…

Bruno – Ce qui prouve sa générosité…

Philippine – En échange, j’effectuais quelques tâches ménagères…

Bruno – Je vois… De petits arrangements entre amis, somme toutes…

Christelle – Monsieur Charles avait aussi recours à mes services lorsqu’il se sentait un peu seul, vous voyez ce que je veux dire…

Bruno – Bien sûr, vous lui faisiez la lecture le soir au coin du feu… Ou bien un petit massage de temps en temps pour le déstresser avant de passer un examen important…

Philippine – Oui, enfin…

Bruno (la coupant) – Alors justement, quel genre d’étudiant était-il ? J’imagine que Charles était tout aussi consciencieux en ce qui concerne ses études que maniaque sur ses plis de pantalons, non ?

Philippine – Je ne devrais pas le dire, mais c’est moi qui lui ai tapé son mémoire de maîtrise…

Bruno – Encore un petit service en matière de secrétariat, donc. C’est qu’à l’époque, on l’a trop vite oublié, les traitements de texte n’existaient pas encore. Donc, il vous donnait ses brouillons, et vous les tapiez à la machine…

Philippe – Oui, c’est moi qui ai tapé son mémoire à la machine. Mais en fait… Il ne m’a jamais vraiment donné de brouillon. En fait, c’est moi qui ai entièrement rédigé son mémoire à sa place.

Bruno – Vraiment ? On peut dire que par là, il vous a donné une grande marque de confiance, n’est-ce pas ?

Philippine – En échange, il m’a fait obtenir un titre de séjour provisoire par son père, qui était préfet.

Bruno – Et bien Mesdames et Messieurs, voilà qui nous montre que Charles peut aussi être un homme de cœur. Merci Philippine pour cet émouvant témoignage.

Philippine – D’ailleurs, Monsieur Charles, si vous pouviez encore faire quelque chose pour moi. Mon visa arrive à expiration à la fin du mois, et… Je ferai tout ce que vous voulez, je vous jure…

Bruno – Mon assistante va prendre vos coordonnées, et je suis sûr que Monsieur Dalencourt, quand il sera Ministre de l’Intérieur, étudiera votre dossier avec bienveillance… N’est-ce pas, Charles ?

Charles – Bien sûr…

Bruno – Quelqu’un peut raccompagner Mademoiselle Philippine à la frontière… Je veux dire dans les coulisses…

Gégé et Momo arrivent et entraînent de force Philippine vers les coulisses. Depuis le côté de la scène, Delphine montre au public la pancarte « applaudissements ».

Philippine – Mais lâchez-moi, bande de brutes…

Ils sortent.

Bruno – Eh bien Charles ? Un dernier commentaire avant que nous passions à l’invité suivant…

Charles – J’ai d’abord cru reconnaître cette personne, Bruno, mais je suis à peu près sûr maintenant qu’il s’agit d’une usurpatrice…

Bruno – C’est aussi mon avis, Charles. Et je suis vraiment désolé pour cet incident. Mais que voulez-vous ? Ce sont les aléas de la télévision ! Sûrement une intermittente du spectacle qui avait un message à nous faire passer…

On entend des bruits de luttes et d’altercations en coulisses. Moment de flottement.

Bruno – Une émission pleine de surprises, donc ! Que va nous apprendre encore sur vous notre troisième invité…? (Regardant sa liste) Qui n’est autre, si je ne m’abuse, que la baronne Cassandra Von Kronenbourg, votre belle-mère…

Depuis le côté de la scène, Delphine montre au public la pancarte « applaudissements ».

Bruno – Ah, on me dit dans l’oreillette que cela ne va pas être possible…

Une femme tente de pénétrer sur le plateau, mais elle est aussitôt embarquée par Gégé et Momo (si seul le premier acte est joué comme une comédie courte, ces bruits de lutte et le personnage de la baronne pourront rester off afin de ne pas ajouter une figuration inutile).

Cassandra – Mais enfin, laissez-moi passer ! J’ai des choses à dire…

Bruno – Hélas, nous sommes pris par le temps. Nous devons rendre l’antenne et nous ne pourrons pas recevoir notre dernier invité.

Charles – C’est dommage, celle-là figurait bien sur ma liste d’invités-surprise…

Bruno – Mesdames et Messieurs, le temps passe trop vite, et nous sommes malheureusement contraints de rendre l’antenne. Demain, nous recevrons sur ce plateau la Présidente de l’Association de Défense des Usagers des Réseaux Sociaux de France, en remplacement de Mark Zuckerberg qui s’est désisté au dernier moment à cause d’une grève des contrôleurs du ciel à Roissy. Merci de votre fidélité à Une Volonté, Un Destin, et très bonne soirée à vous…

Générique de l’émission. Sourire de circonstances.

Charles – Non mais quel calvaire… Il faut que je file aux toilettes… Ça doit être le stress pendant l’émission… Toi, je te retiens, Bruno !

Delphine – Un peu moins fort… Il reste encore quelque personnes dans la salle…

Charles – Vous, la dinde, on ne vous a rien demandé ! Si vous n’aviez pas changé la liste de mes invités au dernier moment sans m’en parler !

Bruno – Allez, on va tous se calmer… Après tout, ça ne s’est pas si mal passé que ça, non ?

Charles – Tu trouves ? Enfin, on coupera tout ça au montage…

Bruno – Au montage ? Mais Charles, c’était en direct…

Charles – En direct ? Je ne savais pas que c’était en direct…

Delphine – Allez, ce n’est pas si grave que ça.

Bruno – L’important, tu sais, c’est de passer à la télé.

Charles – Tu crois ?

Bruno – Et puis entre nous, si tu veux mon avis, en matière de politique, les Français préfèrent les tricheurs et les magouilleurs…

Charles – Tu crois ?

Bruno – Mais oui ! Les gens ont horreur des hommes politiques honnêtes. Ça leur fait peur. Quelqu’un d’honnête, qu’est-ce que tu veux, ils n’ont pas confiance.

Delphine – Ils préfèrent quelqu’un qui leur ressemble.

Bruno – Là ils vont se sentir plus proches de toi.

Delphine – Regardez Mitterrand, Sarkozy ou Chirac.

Charles – Ouais, évidemment.

Bruno – Mais bien sûr !

Delphine – C’est qui les gentils ? Rocard ? Chaban-Delmas ? Delors ? Pour un premier ministre, à la rigueur. Mais pour un président, ils veulent Super Menteur.

Delphine – Mais attention ! Avec un côté terroir, quand même. Corrézien de préférence.

Bruno – Les Français, ils votent au centre. Et au centre de la France, qu’est-ce qu’il y a ?

Delphine – Le Massif Central.

Bruno – Et au Centre du Massif Central ?

Delphine – La Corrèze

Bruno – Chirac et Hollande.

Delphine – Tous les deux anciens députés de la Corrèze.

Bruno – Moi je suis député des Français de l’Étranger…

Delphine – Mais vous êtes centriste !

Bruno – Et cette émission a bien fait ressortir ton côté auvergnat.

Charles – Tu es sûr que la Corrèze, c’est en Auvergne ?

Bruno – On ne va pas chipoter, non plus.

Delphine – Pour être président, dans ce pays, il faut montrer qu’on serait capable de vendre un cheval de trait pour un pur sang arabe.

Bruno – Les Français, pour l’Elysée, ils aiment bien ce côté maquignon.

Delphine – Sinon comment espérer vendre un Rafale au Qatar.

Bruno – Ou un paquebot à la Suisse.

Charles – Tu crois ?

Bruno – Mais bien sûr !

Charles – Donc à ton avis, on ne coupe rien.

Delphine – Il faudrait tout couper, sinon.

Bruno – Et puis de toute façon, c’était en direct.

Charles – Eh ben tu vois, tu m’as presque convaincu.

Bruno – Je te dis que c’était une bonne émission.

Charles – Dis donc, Bruno, ça te dirait de remplacer Pierre ?

Bruno – C’est qui Pierre ?

Charles – Mon conseil en communication !

Bruno – On déjeune, et on en parle ?

Ils sortent.

Pour les compagnies qui chercheraient un texte court (une petite demi-heure) avec sept personnages, la pièce peut s’arrêter là. Pour les autres, deuxième acte, avec l’introduction de cinq nouveaux personnages.

ACTE 2

Gégé et Momo, les deux techniciens, reviennent sur le plateau pour y mettre un peu d’ordre.

Gégé – C’est quoi, maintenant, sur le plateau numéro 2 ?

Momo – Téléachat.

Gégé – Qu’on nous vende des lessives ou des politiques, de toute façon… Ils nous promettent toujours de laver plus blanc… La télé, c’est toujours du téléachat, non ?

Ils passent un coup de balai par terre, nettoient la table et remettent en place les micros.

Momo – Alors, qu’est-ce que tu en as pensé du centriste ?

Gégé – Ben tu vois, il m’a plutôt déçu en bien.

Momo – Oui, moi aussi.

Gégé – On enlève les fauteuils ?

Momo – Il faut faire de la place pour les produits.

Gégé – Qu’est-ce que c’est comme produits ?

Momo – Des urnes.

Gégé – Non ? Après nous avoir vendu le candidat, ils nous vendent les urnes ?

Momo – Des urnes funéraires !

Gégé – Ah ouais…

Momo – L’après-midi, il n’y a plus que le quatrième âge qui regarde la télé. Il faut reconnaître, ce n’est pas toujours évident de trouver des produits qui les font encore rêver.

Gégé – Tu as raison, juste après la sieste, une bonne promo pour la crémation…

Momo – Vivement la retraite, tiens. Que nous aussi on se la coule douce devant la télé au lieu de bosser dedans.

Gégé – Qui est-ce qui va le présenter, ce téléachat ?

Momo – C’est Samantha, la stagiaire, qui va s’y coller. Je l’ai fait un peu répéter son rôle tout à l’heure. Rien que de la voir serrer une urne funéraire contre sa poitrine, ça donne envie de se faire incinérer.

Gégé – Ah ce point là ?

Momo – C’est de la bombe, je te dis. Tu ne l’as pas encore aperçue ?

Gégé – Je ne crois pas.

Momo – Tu t’en souviendrais, crois-moi… Tiens, la voilà justement…

Samantha, la stagiaire, arrive, paniquée.

Gégé – Ben qu’est-ce qui vous arrive, mon petit ?

Samantha – Oh mon Dieu ! Vous avez vu Delphine ?

Momo – Elle était là tout à l’heure… Qu’est-ce qui se passe ?

Samantha – Je viens de trouver Charles Dalencourt dans les toilettes pour hommes.

Gégé – Les toilettes pour hommes ? Et c’est si grave que ça ?

Delphine – Il est mort !

Samantha repart.

Momo – Dalencourt ? Mort ?

Gégé – Apparemment, ton centriste ne sera jamais Président de la République…

Momo – Oui, ça devient très improbable, en effet. On dirait que dans ce pays, le centre est frappé d’une malédiction. Tout de même, c’est bizarre…

Gégé – Quoi ?

Momo – Qu’est-ce qu’elle faisait dans les toilettes pour hommes…

Gégé – Qui ?

Momo – La stagiaire !

Gégé – Un candidat aux présidentielles est mort, et c’est tout ce qui te paraît bizarre dans cette histoire, toi ?

Momo – Tu crois qu’ils vont maintenir le programme de téléachat.

Gégé – Tu as raison, on ferait mieux d’aller se renseigner. Pas la peine de se fatiguer pour rien…

Ils sortent. Samantha arrive avec Delphine.

Delphine – Mort ? Vous êtes sûre ?

Samantha – J’ai déjà vu des morts à la télé, et croyez-moi, il a l’air très mort.

Delphine – Ce n’est pas vrai ! Il nous aura tout fait, celui-là ! Il faut prévenir Bruno tout de suite.

Samantha – Vous avez raison, je vais aller le chercher…

Mais Bruno arrive.

Bruno – Je suis déjà au courant… Bon sang, il ne manquait plus que ça ! Pour mon premier jour à l’antenne avec Une Volonté, Un Destin, mon invité qui meurt presqu’en direct ! Tu parles d’un baptême du feu. Plus personne ne va vouloir venir dans l’émission…

Delphine – D’un autre côté, l’audience était en chute libre. Ça pourrait relancer l’intérêt du public…

Bruno – Vous croyez ?

Delphine – Quoi qu’il en soit, pour l’instant, il faut appeler la police.

Bruno – C’est déjà fait. Ils seront là dans un instant.

Delphine (à Samantha) – Mais il est mort comment ?

Samantha – Je ne sais pas moi !

Bruno – Pas de vieillesse en tout cas. (À Delphine) Et si vous alliez voir ?

Delphine – Je ne sais pas si… Il vaudrait mieux que personne n’entre dans ces toilettes pour l’instant. C’est la scène de crime…

Samantha – Vous pensez qu’il s’agit d’un crime ?

Delphine – Non, je veux dire… Je n’en sais rien… Mais c’est là qu’on a retrouvé le corps. Il vaut mieux ne toucher à rien avant l’arrivée de la police, non ?

Bruno – Samantha, mon petit, allez mettre un panneau sur la porte des toilettes pour éviter que quelqu’un les utilise avant que ce petit problème ne soit résolu.

Samantha – Et qu’est-ce que je marque dessus ?

Bruno – Je ne sais pas, moi… Improvisez !

Samantha sort.

Bruno – Quelle gourde…

Delphine – C’est vous qui l’avez recrutée…

Bruno – Il faut bien donner sa chance à la jeunesse.

Delphine – Si c’est une œuvre humanitaire alors…

Le Commissaire Ramirez et son adjoint Sanchez (indifféremment hommes ou femmes) arrivent.

Ramirez (montrant sa carte) – Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint, Sanchez.

Bruno – Ah, bonjour Commissaire, nous vous attendions. Bruno Cascaldi, présentateur de cette émission Une Volonté, Un Destin. Et voici mon assistante Delphine Lambal.

Ramirez – Très bien. Alors j’ai une première question à vous poser Monsieur Cascaldi.

Bruno – Je vous écoute.

Ramirez – Vous connaissez Michel Drucker ?

Delphine – Vous pensez qu’il a quelque chose à voir avec le décès de Charles Dalencourt ?

Ramirez – Rien ne permet de le supposer pour l’instant. Je voulais seulement savoir si vous étiez intime avec Michel Drucker. Ma belle-mère l’adore. Si vous pouviez m’avoir un autographe. C’est un de vos amis ?

Bruno – Ma foi… J’ai eu l’occasion de le rencontrer, oui… Dans le métier, vous savez, on se connaît tous. Et puis il a une maison en Provence pas très loin de la mienne.

Sanchez – Vous jouez aux boules avec Michel Drucker ?

Bruno – Euh… Non. Pas que je me souvienne… On a peut-être pris un pastis ensemble une fois ou deux…

Delphine – Le corps est dans les toilettes, Commissaire.

Ramirez – Ah oui, le corps… Sanchez, allez jeter un œil sur le cadavre, voulez-vous ?

Sanchez – Oui, Commissaire.

Delphine – C’est par là, je vais vous accompagner…

Ramirez – J’ai horreur de voir des cadavres. Je sais, dans mon métier, je devrais avoir l’habitude, mais non. Je n’arrive pas à m’y faire… Quand il n’y a pas de sang, ça va encore. Il est dans quel état ?

Bruno – Je ne l’ai pas vu non plus, à vrai dire. C’est la stagiaire qui a découvert le corps, et… je vous avoue que moi non plus, je ne suis pas fan de ce genre de spectacle.

Ramirez – Le pire, c’est l’odeur. Les corps en décomposition, c’est une horreur…

Bruno – Aucun risque de ce côté là, Commissaire, je parlais encore avec lui il y a à peine un quart d’heure. Son cadavre est encore chaud, je vous le garantis.

Ramirez – Vous me rassurez, Bruno… Donc il s’agit de Charles Dalencourt, c’est bien ça.

Bruno – Oui, tout à fait.

Ramirez – Son nom me dit quelque chose…

Bruno – Il est député, et on parle de lui pour le Ministère de l’Intérieur… Si vous ne l’aimiez pas, vous avez de la veine, a priori, il n’y plus guère de chance qu’il soit un jour votre patron…

Ramirez – Vous savez, nous, la politique… Depuis Pétain jusqu’à Mitterrand et encore aujourd’hui, les gouvernements passent, la police reste… Il était de gauche ou de droite, celui-là ?

Bruno – Centriste…

Ramirez – Qui pourrait bien en vouloir à un centriste… Enfin, je veux dire au point de le tuer…

Bruno – Vous pensez qu’il s’agit d’un meurtre, Commissaire ?

Ramirez – Tant qu’à faire, je préférerais. Au moins, je ne me serais pas déplacé pour rien… (Il jette un regard vers le public) Mais dites-moi, c’est qui tous ces gens qui nous regardent, là ?

Bruno – C’est… le public, Commissaire !

Ramirez – Le public ? Je pensais que la télé, on la regardait tout seul dans son salon…

Bruno – L’émission était diffusée en direct, et en public.

Ramirez – Je vois… Bon, et bien vous leur dites de rester à la disposition de la police, hein ?

Bruno – Vous voulez dire qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux ?

Ramirez – J’en ai peur, cher ami. Après tout, il y a peut-être là des gens qui depuis des années rêvent d’assassiner un centriste.

Bruno – Dans ce cas, Mesdames et Messieurs, je vais vous demander de rester assis à vos places jusqu’à nouvel ordre. Si cette situation venait à se prolonger trop longtemps, bien sûr, nous vous ferons apporter de l’eau minérale et des couvertures. Merci pour votre compréhension, et encore désolé pour cet incident aussi regrettable qu’imprévu.

Ramirez – Et oui, qu’est-ce que vous voulez. Il y a des jours comme ça. C’est la faute à pas de chance… C’est comme au théâtre. On ne peut pas se barrer avant la fin de la représentation. Vous allez au théâtre de temps en temps, vous ?

Bruno – Rarement, à vrai dire.

Ramirez – Vous avez bien raison. Dimanche dernier, ma femme m’a traîné voir une pièce en matinée. Croyez-moi, si j’avais pu m’échapper à l’entracte…

Bruno – On vous en a empêché…

Ramirez – Pire… Il n’y avait pas d’entracte !

Bruno – Les pièces sans entracte, ça devrait être interdit.

Ramirez – Bon, alors qui d’autres étaient présents dans ce studio lorsque la mort de Monsieur Dalencourt est survenue ?

Bruno – Voyons voir… Les témoins qu’on avaient invités à participer à cette émission pour parler de lui, les techniciens de plateau…

Ramirez – Dans ce cas, personne ne doit sortir d’ici, n’est-ce pas ?

Bruno – Très bien Commissaire.

Ramirez – Vous étiez intime avec la victime ?

Bruno – Charles ? Mon Dieu, pas plus qu’avec Michel Drucker.

Ramirez – Mais vous l’appelez quand même par son prénom.

Bruno – Vous savez, dans ce milieu, on s’appelle tous par son prénom et on se fait la bise. Parfois même on couche ensemble. Ça ne veut pas dire qu’on est intime pour autant… Enfin, nous avons étudié ensemble à HEC il y a quelques années…

Ramirez – Vraiment ? Quel genre d’étudiant était-il ? Bon élève ? Bon camarade ?

Bruno – Déjà un peu fayot, à vrai dire… Mais vous êtes sûr que cela peut faire avancer l’enquête ?

Ramirez – Probablement pas. D’ailleurs, il faudrait d’abord savoir si la mort de Monsieur Dalencourt n’est pas naturelle. Ah, voilà Sanchez qui revient justement…

Sanchez arrive avec Delphine.

Ramirez – Alors, ce cadavre, qu’est-ce qu’il dit ?

Sanchez – À première vue pas grand chose, Commissaire. Pas de sang. Pas de trace de coups. Pas de marques de strangulation. Mais bon, j’ai préféré ne toucher à rien avant l’arrivée du légiste.

Delphine (ravie) – C’est dingue ! J’ai l’impression d’être dans une série policière…

Ramirez – Apparemment, le décès de la victime ne vous perturbe pas plus que ça…

Delphine – C’était la première fois que je le voyais… et il est vrai qu’il n’était pas particulièrement sympathique. Je pense que notre stagiaire vous le confirmera…

Ramirez – Votre stagiaire… C’est elle qui a découvert le corps, je crois. J’aimerais l’entendre, en effet.

Bruno – Je vais la chercher, Commissaire…

Le portable de Sanchez sonne.

Sanchez – Oui… D’accord, j’arrive… Le légiste vient d’arriver, je m’en occupe.

Ramirez – Asseyez-vous là, Mademoiselle.

Delphine s’assied dans un des fauteuils et Ramirez dans l’autre.

Delphine – C’est amusant. J’ai l’impression d’être l’invitée de l’émission…

Ramirez – Ça tombe bien, j’ai toujours rêvé d’être animateur télé. Vous n’avez qu’à considérer qu’il s’agit d’une interview et que je suis Laurent Delahousse…

Delphine – Je peux vous offrir un café, Commissaire.

Ramirez – Non, merci, jamais de café. Après je n’arrive pas à dormir de toute la journée. (Il aperçoit la tasse encore à demi remplie laissée là par Charles) Mais ça qu’est-ce que c’est ?

Delphine – C’est… de la tisane. Celle que Monsieur Dalencourt avait demandé qu’on lui serve pour s’éclaircir la voix avant l’émission.

Ramirez – Je vois… Un truc du métier quand on passe à la télé…

Delphine – Apparemment il n’en a bu que la moitié. Mais ça doit être froid, maintenant…

Ramirez toussote un peu.

Ramirez – Ça ira très bien. Moi aussi, j’ai un chat dans la gorge.

Ramirez vide la tasse de tisane sous le regard interdit de Delphine. Bruno revient.

Bruno – Samantha arrive tout de suite…

Ramirez – Très bien. Alors à nous deux.

Delphine – Je suis prête à répondre à toutes vos questions, Commissaire.

Ramirez – Nom, prénom, âge, qualités…

Delphine – Lambal Delphine. Pour mon âge c’est une information que je ne vous révélerais qu’après avoir reçu quelques coups de bottin sur la tête. Quant à mes qualités, je dirais le courage et la ténacité.

Bruno – Par qualité, je crois que Monsieur le Commissaire pensait plutôt à votre état civil et votre métier.

Delphine – Je suis célibataire, sans enfants à charge, et je suis l’assistante personnelle de Monsieur Bruno Cascaldi.

Ramirez fait un geste vers la régie. Un projecteur est braqué vers Delphine.

Ramirez – Alors, Delphine ? Parlez-moi un peu de vos relations avec Monsieur Cascaldi. J’ai lu dans la presse que votre histoire avec lui n’était pas seulement professionnelle…

Delphine – Vous savez, on raconte tellement de choses dans les journaux…

Ramirez – Vous n’allez pas vous en tirer avec une telle pirouette, Delphine. Le public est là, il vous écoute. Et lui aussi, il a envie de savoir…

Delphine – Ah, le public, c’est vrai… On devrait peut-être les libérer, non ?

Ramirez – Ne vous occupez pas d’eux, ma chère. Ils n’avaient qu’à rester tranquillement chez eux à regarder la télé, comme tout le monde. Mais vous n’avez pas répondu à ma question… Alors, si vous deviez choisir un statut Facebook pour décrire votre relation avec Monsieur Cascaldi ? En couple ? En partenariat domestique ? Dans une relation libre ?

Delphine – Disons plutôt… C’est compliqué.

Ramirez – Je vois… Enfin non, je ne vois pas du tout, en fait…

Sanchez revient avec Samantha, la stagiaire. Elle porte un sac à main contenant quelque chose d’assez volumineux.

Sanchez – Je vous ramène la stagiaire, Commissaire. Elle s’apprêtait à partir, mais j’ai réussi à l’intercepter…

Ramirez – Alors Mademoiselle ? Vous ne vous plaisez pas avec nous ?

Samantha – Mais pas du tout ! J’allais juste…

Ramirez – Nous allons voir ça tout de suite. Des nouvelles du légiste ?

Sanchez – D’après lui, cela ressemblerait à une intoxication, Commissaire.

Ramirez – Une intoxication… volontaire, vous voulez dire ? Un empoisonnement ?

Bruno – Mais qui aurait bien pu vouloir empoisonner Charles Dalencourt ?

Sanchez – Le labo nous en dira sûrement un peu plus tout à l’heure.

Ramirez – Très bien, alors à nous, Samantha.

Samantha (involontairement provocante) – Je suis à l’entière disposition de la police, Commissaire…

Ramirez – Et croyez bien que nous sommes très sensibles à votre désir de coopérer. (Ramirez, cependant, se tortille un peu sur sa chaise) Sanchez, occupez-vous d’elle, je reviens tout de suite. J’ai un truc à faire aux toilettes.

Delphine – C’est à dire que… C’est là où se trouve le cadavre.

Ramirez – Bon, ben j’en profiterai pour jeter un coup d’œil sur le corps au passage.

Sanchez – Posez votre sac, et asseyez-vous là.

Delphine – Je vais vous accompagner, Commissaire.

Ramirez et Delphine sortent. Samantha pose son sac et s’assied.

Samantha – Merci…

Sanchez – Comment vous appelez-vous ?

Samantha – Samantha Roubiniac.

Sanchez – Alors, Samantha ? Que faisiez-vous dans les toilettes pour hommes quand vous avez découvert le corps sans vie de Monsieur Dalencourt ?

Samantha – Eh bien, je…

Sanchez – Convenez que la place d’une dame est plutôt dans les toilettes pour dames… Alors ?

Samantha semble très embarrassée.

Bruno – Elle était avec moi.

Sanchez – Ah oui ?

Bruno – Je suis un gentleman, je ne peux pas laisser Mademoiselle dans l’embarras.

Sanchez – Une chose m’échappe, Monsieur Cascaldi… En quoi un gentleman tel que vous avait-il besoin de donner rendez-vous à sa stagiaire dans les toilettes pour homme ?

Bruno – Je ne vais pas vous faire un dessin…

Sanchez – Nous verrons plus tard si c’est nécessaire. Mais je peux vous poser une question, Monsieur Cascaldi ?

Bruno – Oui…

Sanchez – Entretenez-vous une relation amoureuse avec Mademoiselle Roubiniac ?

Bruno – Euh… C’est ce que je viens de vous dire, non ?

Sanchez – Ah, pardon, je n’avais pas compris… Ah, d’accord… Mais dans ce cas, Monsieur Cascaldi, pourquoi ne pas avoir dit tout de suite que vous étiez là lorsque votre stagiaire a découvert le corps de Monsieur Dalencourt ?

Bruno – Nous étions tous les deux enfermés dans une cabine des toilettes pour hommes ! Vous comprenez que c’était assez embarrassant…

Sanchez – Embarrassant pour qui ?

Ramirez revient avec Delphine.

Sanchez – Ah ! Du nouveau, Commissaire ?

Ramirez – Je n’ai pas pu utiliser les toilettes pour hommes, il y avait un panneau sur la porte indiquant qu’elles étaient momentanément inutilisables à cause d’un chantier de désamiantage.

Les regards de Bruno et Delphine se tournent vers Samantha.

Samantha – Je me suis dit que c’était l’argument le plus efficace pour éviter que quiconque pénètre dans ces toilettes pendant que le corps s’y trouve toujours…

Ramirez – Quoi qu’il en soit, d’après les premières analyses du légiste, Charles serait mort d’une overdose.

Bruno – Une overdose ? Je ne savais pas qu’il était toxicomane.

Sanchez – Une overdose de quoi, Commissaire ?

Ramirez – Une overdose de tisane, selon l’hypothèse la plus probable.

Bruno – Si c’est votre hypothèse la plus probable, commissaire, j’avoue que je serai assez curieux de savoir quelle serait pour vous la moins probable des hypothèses.

Delphine – Une overdose de tisane ? Je ne savais pas que la tisane pouvait être toxique à ce point…

Ramirez – D’après le légiste, à très haute concentration, si. Apparemment, Monsieur Dalencourt aurait absorbé en une seule tasse une dose massive de tisane Nuit Tranquille. Ce qui l’aurait plongé dans un sommeil profond, proche du coma.

Samantha – Il n’est donc pas mort ?

Ramirez – Pas encore, mais rien ne dit qu’il se réveillera un jour.

Sanchez saisit la tasse vide qui se trouve sur la table et l’examine, songeur.

Sanchez – Et quand vous dites tisane, Commissaire, il pourrait s’agir d’une tisane comme celle que cette tasse vide semble avoir contenu ?

Delphine – Oui, je vous le confirme, c’est bien la même tisane que Monsieur Dalencourt a bu avant son décès. Mais…

Ramirez se sent soudain plutôt mal.

Ramirez – On ne va donc pas tarder à connaître les effets toxiques de ce violent poison…

Sanchez – Mais qui aurait bien pu empoisonner ce breuvage, commissaire ?

Ramirez se tourne vers le public.

Ramirez – Et ceux-là, vous les avez interrogés ?

Sanchez – Euh… Non, pas encore…

Ramirez – Le coupable pourrait tout aussi bien se trouver parmi eux… Allez faire un tour dans le public Sanchez, et si vous en voyez un qui n’a pas l’air d’avoir la conscience tranquille… Et je ne parle pas de ceux qui ont réussi à se glisser dans la salle sans payer leur billet…

Sanchez descend dans la salle et passe en revue les spectateurs avec un regard soupçonneux. Il y aura place ici pour une petite improvisation selon la nature du public, ses réactions et selon l’inspiration du moment. Sanchez finit par s’arrêter devant un spectateur (ou une spectatrice) qui est en réalité un comédien.

Sanchez – Vous pouvez me suivre, s’il vous plaît ?

Spectateur – Pourquoi moi ?

Sanchez – Disons… contrôle au faciès. Mais rassurez-vous, on vous signera un récépissé après vous avoir tabassé et on vous tatouera sur les deux fesses nos numéros matricules, ça vous va ?

Le spectateur le suit à contrecœur.

Ramirez – Fouillez-le.

Sanchez fouille le spectateur façon palpation. Il semble toucher quelque chose de suspect, qu’il retire de la poche de l’imperméable du spectateur avant de l’exhiber sous les yeux de son collègue..

Sanchez – Bingo, Commissaire. Une boîte entière de tisane Nuit Tranquille.

Ramirez – Alors, qu’est-ce que vous avez à dire pour expliquer ça ?

Spectateur – C’est pour ma consommation personnelle, commissaire !

Sanchez – Ils disent tous ça…

Ramirez – Il faudra vérifier la provenance de cette saloperie. Pour éviter d’autres victimes innocentes. Même si c’est de la bonne à l’origine, elle a pu être coupée avec des substances beaucoup plus toxiques.

Sanchez (lisant sur la boîte) – Tilleul, verveine, camomille… Vous avez raison, commissaire, il y a aussi des colorants et des additifs…

Ramirez – Asseyez-vous là.

Le spectateur s’assied.

Ramirez – Vous avez de la chance, mon vieux. C’est votre quart d’heure de célébrité… On va vous interviewer !

Spectateur – Mais je n’ai rien fait, je vous jure !

Sanchez – C’est ça, vous allez au théâtre après avoir absorbé de la tisane Nuit Tranquille, alors que tout le monde se bourre de café pour ne pas s’endormir, et vous pensez qu’on va vous croire ?

Ramirez – Va chercher le bottin, Sanchez.

Le spectateur a l’air terrorisé.

Bruno – Tout de même, vous n’allez pas maltraiter un de nos spectateurs… On a déjà du mal à les faire venir… Imaginez les critiques désastreuses dans la presse et sur Billetreduc…

Ramirez – Rassurez-vous, c’est juste pour trouver les coordonnées d’un livreur de pizza. J’ai les crocs, moi, pas vous ?

Samantha – Je vais vous trouver ça, commissaire.

Samantha revient avec un bottin qu’elle tend à Sanchez.

Sanchez – Voyons voir… Pizza, pizza… Ça devrait faire l’affaire… (Il compose un numéro) Comme d’habitude, commissaire ?

Ramirez – On ne change pas une équipe qui gagne.

Sanchez – Oui, ce serait pour faire livrer deux pizzas… Une Margarita avec un supplément de fromage et une Napolitaine. L’adresse ? (Fièrement) Alors nous sommes actuellement en tournage dans les studios de Canal Direct Plus. Oui, la chaîne de télé, c’est ça… Ah, vous savez où c’est ? Très bien. Merci.

Il range son portable.

Ramirez – Bon alors où on en était, nous…

Sanchez – Qu’est-ce qu’on va boire avec ça ?

Ramirez – Tu n’as pas commandé nos bières ?

Sanchez – Ça m’est complètement sorti de l’idée, commissaire.

Ramirez s’adresse au spectateur.

Ramirez – Bon, va nous chercher deux canettes, toi.

Spectateur – Moi ?

Sanchez – Oui, toi !

Le spectateur sort.

Delphine – Vous n’avez pas peur qu’il ne revienne pas ?

Sanchez – Pas avec ça.

Bruno – Un bracelet électronique ?

Sanchez – Combiné avec un taser. On a bricolé ça nous même. C’est imparable.

Bruno – Ah, oui… J’ai un truc assez similaire pour dresser mon berger allemand…

Ramirez – Oui, c’est un peu de ça qu’on s’est inspiré, c’est vrai.

Il met à la cheville du spectateur un bracelet électronique.

Bruno – On devrait généraliser le système pour les spectateurs de théâtre. Ça limiterait les risques d’évasion pendant l’entracte.

Sanchez – Allez, va chercher, toi !

Le spectateur sort.

Ramirez – Revenons à nos moutons…

Sanchez – Donc la stagiaire se tape l’animateur dans les toilettes…

Delphine – Pardon ?

Sanchez – Désolé, si je comprends bien, vous n’étiez pas au courant…

Ramirez – Je crains qu’en ce qui concerne votre statut Facebook, vous ne deviez bientôt passer de la mention « c’est compliqué » à la mention « C’est très compliqué »…

Delphine jette un regard haineux vers la stagiaire.

Delphine – Traînée !

Samantha – Garce.

Sanchez – Allons, mesdames, un peu de tenue. Je vous rappelle que cet interrogatoire est enregistré en direct et en public…

Ramirez – Tentative d’assassinat par administration massive de tisane Nuit Tranquille… C’est curieux, ça me rappelle étrangement une autre affaire.

Sanchez – Vous pensez que nous pourrions avoir à faire à un serial killer ?

Ramirez – À moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’un crime crapuleux.

Delphine – Mais pourquoi ?

Ramirez – C’est vrai qu’on n’a pas le mobile…

Bruno – Il rêvait de devenir président, mais il faut bien avouer que ses chances étaient assez minces.

Samantha – Ce n’était pas Kennedy, c’est clair.

Delphine – Un centriste, ça ne dérange personne.

Sanchez – Un centriste dans le coma, encore moins.

Bruno – Même si la différence avec un centriste qui n’est pas dans le coma n’est pas toujours parfaitement perceptible à l’œil nu.

Silence perplexe.

Ramirez – Amenez-moi les invités, on va les cuisiner aussi.

Samantha – Je vais les chercher.

Sanchez – À propos de cuisine, je meurs de faim moi. Pas vous, commissaire ?

Ramirez – Je ne sais pas ce que j’ai, je n’ai pas d’appétit. J’espère que ce n’est pas les premiers effets de cette infusion toxique que je viens d’avaler.

Sanchez – C’est curieux… Moi quand je fume un pétard, ça me donne faim…

Samantha revient avec Claudine.

Ramirez – Alors la petite dame. Assez perdu de temps comme ça. Vous avouez tout de suite, ou vous préférez que je vous passe un peu à tabac avant ?

Claudine – C’est vrai, quand je l’avais pour élève à l’École Primaire Notre Dame de la Bonne Espérance, je le détestais. C’était ma tête de turc. Mais commissaire, vous imaginez bien que la charité chrétienne m’interdit de céder au désir de la vengeance.

Ramirez – C’est ça, mémé, à d’autres, hein ? Passe moi le taser, Sanchez, ça va lui rafraîchir un peu la mémoire à cette vieille bigote.

Claudine – D’accord, autrefois, j’ai pensé à le noyer pendant la récréation en lui maintenant la tête dans la cuvette des toilettes. Mais je n’ai pas eu le courage…

Sanchez – Ça a été la seule fois ?

Claudine – Je lui ai mis aussi un peu de mort au rat dans son goûter, mais ça n’a pas vraiment marché. Et puis c’était il y a des années, commissaire. Il y a prescription, n’est-ce pas ?

Sanchez – Mais bien sûr, mémé, ne vous inquiétez pas… Si une maîtresse d’école ne peut pas se débarrasser des gosses les plus bruyants de sa classe, comment faire régner un peu d’ordre dans l’école de la République ?

Ramirez – J’espère que personne dans la salle n’a confié ses enfants à une baby sitter du même genre pour venir assister au spectacle… Bon, qu’est-ce qu’il fout, lui, avec nos bières ?

Sanchez – Je vais accélérer un peu le mouvement, commissaire.

Il sort une sorte de télécommande et appuie dessus. Le spectateur apparaît aussitôt, les cheveux dressés sur la tête comme s’il venait de recevoir une décharge de haute tension. Il tend deux cartons de pizzas et deux canettes de bières aux policiers.

Ramirez – Eh ben voilà !

Spectateur – J’ai croisé le livreur de pizzas en revenant…

Ils ouvrent les cartons et Sanchez commence à manger assez salement.

Sanchez – Vous en voulez ?

Delphine – Non, merci…

Sanchez – Vous avez tort, elle est très bonne.

Ramirez – Bon allez, la vioque, tu peux te casser. Au suivant…

Delphine – À l’accueil, on vous remettra une urne en guise de dédommagement pour tous ces petits tracas.

Bruno – Histoire que vous ne gardiez pas un trop mauvais souvenir de votre passage dans notre émission.

Delphine – De toute façon, on a dû annuler notre session de téléachat et on ne sait pas quoi faire des produits.

Claudine – Une urne ? Merci, c’est très gentil…

Claudine s’en va. Philippine arrive.

Ramirez – Bon, alors vous aussi vous détestiez la victime, j’imagine ?

Philippine – Mais pas du tout, je l’adorais ! Je lui vouais même un véritable culte…

Ramirez – Fouille-la, elle a une tête qui ne m’inspire pas. Et tu sais qu’en terme de délit de faciès, je me trompe rarement.

Sanchez la fouille et sort de sa poche une figurine à l’image de Charles avec une écharpe tricolore, et des aiguilles plantées dedans.

Sanchez – Et vous aviez encore raison, commissaire…

Ramirez – Cette poupée avec des aiguilles plantées dans les yeux… Elle ressemble beaucoup à la victime, non ? Alors c’est ça, le culte que vous lui réserviez ?

Philippine – D’accord, j’ai essayé de lui lancer un sort. Mais ça n’a jamais marché, je vous jure !

Sanchez – Jusqu’à aujourd’hui, en tout cas…

Ramirez – Bon allez, qu’elle se barre aussi. On ne va pas se mettre à faire tourner les tables, non plus… On fait dans la police scientifique, nous. On n’est pas des exorcistes…

Philippine s’en va. On entend des bruits de lutte et la baronne Cassandra Von Kronenbourg débarque sur le plateau malgré les efforts de Gégé et Momo qui tentent de l’en empêcher.

Cassandra – Lâchez-moi, bande de brutes ! Moi aussi, j’ai des choses à dire !

Momo – Allons, soyez raisonnable…

La baronne se débat pour échapper aux deux gorilles.

Cassandra – Mais enfin, laissez-moi passer !

Ramirez – C’est qui cette folle ?

Delphine – C’est la belle-mère de la victime, commissaire.

Ramirez – La belle-doche ? Sachez Mademoiselle que dans 10% des affaires criminelles d’ordre familiale, c’est la belle-mère qui assassine son gendre. Ou l’inverse… Laissez-la passer, on va l’interroger.

Gégé et Momo lâchent la baronne.

Ramirez – Asseyez-vous, chère Madame.

Cassandra – Ah, quand même… Merci monsieur… Vous au moins, vous êtes un vrai gentleman…

Cassandra remet un peu d’ordre dans sa tenue et sa coiffure et s’assied avec coquetterie.

Cassandra – Alors ça y est ? On peut commencer ? (Comme si elle passait à la télé) Bonjour à tous. Je suis la Baronne Cassandra Von Kronenbourg.

Ramirez – Et donc, vous connaissez très bien Charles Dalencourt…

Cassandra – Si je le connais ? C’est mon gendre ! Et sans flagornerie, contrairement à tous les témoignages malveillants que j’ai pu entendre jusque là, je dois même dire que Charles est le gendre idéal !

Ramirez – Le gendre idéal ? Vous voulez dire, du fait de l’état où il se trouve en ce moment ?

Cassandra – Il est certain que pour moi, savoir que ma fille est mariée avec un homme qui fera peut-être d’elle la Première Dame de France… C’est une fierté. Car de ce fait, n’est-ce pas, je deviendrai automatiquement, si je puis dire, la première Belle-Mère de France. J’en profite d’ailleurs pour saluer ma fille, qui nous regarde sans doute en ce moment…

Elle fait un discret petit signe de la main.

Ramirez – Donc, selon vous, vous n’aviez aucune raison de vouloir l’assassiner ?

Cassandra – Assassiner mon gendre ? Mais enfin, c’est ridicule ! (À Delphine en aparté) Mademoiselle, vous pourriez m’indiquer où se trouve la caméra ? Je ne la vois pas…

Delphine – La caméra ? Mais il n’y a pas de caméra. Enfin, je veux dire…

Cassandra – Pas de caméra ? Mais enfin, je suis bien sur le plateau de l’émission Une Volonté, Un Destin, non ? Et ce monsieur qui me pose des questions, c’est bien le célèbre animateur Bruno Cascaldi ?

Ramirez – Qu’est-ce qu’elle dit ?

Delphine – Elle vous prend pour Cascaldi…

Bruno – Je crois que Madame a cru qu’elle était interviewée dans le cadre de l’émission…

Ramirez émet un soupir de lassitude.

Ramirez – Bon, allez, embarquez-moi ça.

Sanchez emmène Cassandra vers les coulisses.

Cassandra – Mais enfin, c’est insensé ! On veux me faire taire ! C’est un complot !

Ramirez – Faites venir les techniciens. Il n’y a qu’eux qu’on n’a pas encore interrogés.

Delphine fait entrer Gégé et Momo, toujours en bleus de travail. Sanchez revient.

Ramirez – Salut les siamois. Alors qu’est-ce que vous aviez à lui reprochez, vous, à Dalencourt ? Puisque tout le monde avait l’air de le détester…

Gégé – Lui reprocher ?

Momo – Rien du tout.

Ramirez – Il était homophobe, c’est ça ?

Gégé – Homophobe ? Non. Enfin, je n’en sais rien.

Sanchez – Il militait contre le mariage gay ?

Momo – Mais qu’est-ce que cela aurait à voir avec nous, de toute façon ?

Sanchez – Allez, les gars, on ne nous la fait pas. Ne me dites pas que vous deux…

Ramirez – La salopette, les moustaches, le look Super Mario…

Gégé et Momo approchent du commissaire, menaçants.

Momo – Qu’est-ce que vous voulez insinuer ?

Gégé – Non mais on va lui faire bouffer son micro…

Delphine s’interpose pour mettre fin à l’affrontement qui se prépare.

Delphine – Je vous en prie, messieurs, non ! Assez de violence pour aujourd’hui ! J’avoue, commissaire, c’est moi qui ai versé un sachet de laxatif dans la tisane de Monsieur Dalencourt.

Ramirez – De laxatif ? Mais pourquoi ?

Delphine – Pour lui donner une bonne leçon ! Il avait été désagréable avec tout le monde, ici… Mais je ne vois pas en quoi cela aurait pu le tuer…

Ramirez – Un laxatif ? Alors c’était seulement ça ? Vous me rassurez. Comme j’en ai bu moi aussi… Mais ça n’explique pas l’état dans lequel Monsieur Dalencourt se trouve actuellement, en effet…

Arrive Charles, titubant.

Sanchez – Ah, voilà qui va relancer l’enquête. Dans une affaire criminelle, il est très rare qu’on puisse avoir le témoignage de la victime.

Ramirez – Alors mon vieux ? Dites-nous tout. Qui a essayé de vous tuer ?

Charles – Me tuer ?

Sanchez – Vous ne vous souvenez plus de rien, c’est ça ?

Charles – Ah si, ça me revient. J’avais une envie pressante. Je suis entré dans les toilettes et… en ressortant j’ai vu Samantha. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait dans les toilettes pour hommes, et c’est à partir de là où je perds le fil…

Samantha – Bruno venait de sortir. Monsieur Dalencourt a essayé d’abuser de la situation… Je lui ai donné un coup avec mon sac à main pour me dégager.

Ramirez – Puisque l’honneur d’une demoiselle est en jeu, alors…

Sanchez – Mais qu’est-ce que vous avez dans votre sac à main ? Une enclume ?

Sanchez prend le sac de Samantha et en sort une imprimante.

Ramirez – Qu’est-ce que vous faites avec une imprimante dans votre sac à main ?

Sanchez – C’est juste une sécurité, au cas où on viendrait à attenter à votre vertu ?

Ramirez – Vous savez qu’une bombe lacrymogène, c’est beaucoup plus léger…

Delphine – Oui, c’est d’autant plus curieux que cette imprimante ressemble furieusement à celle qui a disparu de mon bureau ce matin.

Samantha – J’avais besoin d’une imprimante, et ce n’est pas avec ce qu’on me paie ici…

Ramirez – C’est clair que de recevoir ça sur la tronche, c’est plus efficace qu’une dose de Nuit Tranquille…

Sanchez – Vous voulez porter plainte ?

Charles – Ce ne sera pas nécessaire… Dans ma position, je préférerais que cette affaire ne s’ébruite pas trop, vous comprenez. Je peux m’en aller maintenant ?

Ramirez – Mais je vous en prie…

Charles s’en va. Samantha et Delphine lui emboîtent le pas.

Bruno – Merci commissaire. Je vous suis très reconnaissant d’avoir conduit cette enquête avec une telle discrétion et une telle délicatesse.

Ramirez – À charge de revanche.

Bruno – Mais j’y pense, ça vous dirait de participer à l’émission ?

Ramirez – En tant qu’invité d’honneur ?

Delphine – Nous recevons aussi des personnes représentatives de la société civile. Et en tant que policier, vous êtes en quelque sorte un héros social…

Ramirez – Vraiment ?

Bruno – Avec tout ça, on a dû annuler le tournage du téléachat. On pourrait mettre en boîte cette interview maintenant. Puisque vous êtes là.

Ramirez – Pourquoi pas ? Alors je passerai à la télé ?

Bruno – Ce n’est que le câble, mais bon…

Ramirez – C’est ma femme qui va être contente. D’accord. Je m’assieds là ?

Bruno – Tout à fait. Et cette fois, c’est moi qui pose les questions…

Ramirez – Je n’ai pas tellement l’habitude d’y répondre, mais je ferai de mon mieux…

Bruno – On va faire une petite répétition à blanc avant de lancer la caméra, d’accord ? C’est parti… Alors Monsieur Ramirez, comme vous le savez, la police est assez mal aimée dans notre pays. À votre avis pourquoi ?

On entend des éclats de voix. Samantha et Delphine arrivent sur scène en se serrant mutuellement par le cou.

Bruno – Ah, je crois que nous allons devoir interrompre notre interview…

Ramirez – Qu’est-ce qui se passe encore ?

Bruno – Un petit différend domestique, apparemment…

Ramirez – C’est pas vrai ! Pour une fois que j’avais une chance de passer à la télé…

Il sort son taser et visent les deux filles qui se mettent à se tordre avant de s’écrouler.

Ramirez – Voilà, comme ça on va être tranquille cinq minutes. Croyez-moi, c’est plus radical que la tisane.

Bruno – Ouah… Vous pourriez me fournir un truc comme ça ? Je crois que ça m’aiderait beaucoup dans mes relations professionnelles.

Ramirez – Si vous arrivez à me trouver un autographe de Michel Drucker pour ma belle-doche…

Bruno – Je vais voir ce que je peux faire…

Bruno – Allez, on y retourne direct. Vous êtes prêts à la régie ? Générique.

Générique de l’émission.

Noir. Fin

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Janvier 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-52-9

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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