Un personnage est là, semblant chercher son chemin. Un autre arrive et l’interpelle, tout en le gratifiant d’un salut militaire.
Un – Bonjour monsieur. Attestation, s’il vous plaît.
Deux – Tout de suite, monsieur l’agent… (Il fouille dans ses poches et finit par en sortir un papier froissé.) Ah, la voici !
L’autre examine le papier, et s’arrache les yeux pour essayer de lire ce qui est inscrit dessus.
Un – Qu’est-ce que vous avez marqué, là ? Je n’arrive pas à lire…
Deux – Faites voir… (L’autre lui tend le papier.) Ah c’est curieux, moi non plus… Attendez voir… Qu’est-ce que j’ai encore fait de mes lunettes…
Il finit par trouver ses lunettes, qu’il a accrochées autour du cou, et examine le papier avec un air dubitatif.
Un – Alors ?
Deux – Non, décidément, je n’arrive pas à déchiffrer…
Un – C’est vous qui l’avez remplie, cette attestation, non ? Vous devriez savoir ce qu’il y a dessus…
Deux – D’accord, j’avoue, monsieur l’agent : c’est illisible parce que… c’est en langage codé.
Un – En langage codé ?
Deux – Au cas où je perde ce papier, vous comprenez, pour que personne ne sache où je suis allé.
Un – Mais vous, vous connaissez le code…
Deux – Eh bien… Oui, je devrais… Mais tout de suite, là, je ne m’en souviens pas… Vous savez ce que c’est, avec les codes.
Un – Dans ce cas, je vais devoir vous verbaliser. Ça fait 135 euros si vous payez tout de suite.
Deux – 135 euros ! Et si je paie plus tard ?
Un – Pareil… 135 euros.
Il sort son carnet à souche.
Deux – Ça y est ! Ça me revient maintenant.
Un – Tiens donc…
Deux – Je vais acheter une télé.
Un – Une télé ?
Deux – Oui, une télé.
Un – Ce n’est pas un achat essentiel.
Deux – Ça dépend.
Un – Ça dépend de quoi ?
Deux – Si c’est pour du télétravail.
Un – Du télétravail ?
Deux – Je suis en télétravail. Comme nous l’a recommandé le Chef de l’État…
Un – Et votre travail, c’est de regarder la télé ?
Deux – Absolument.
Un – Et c’est quoi, votre travail ?
Deux – Je fais de la télésurveillance.
Un – De la télésurveillance ?
Deux – De la télésurveillance.
Un – C’est-à-dire ?
Deux – Vous êtes policier, et vous ne savez pas ce que c’est que la télésurveillance ?
Un – Si, évidemment.
Deux – Alors si vous savez, pourquoi vous me demandez ce que c’est ?
Un – La télésurveillance, ça ne veut pas dire regarder la télé, si ?
Deux – Pourquoi pas ? Si les gens qu’on vous a demandé de surveiller travaillent à la télévision…
Un – Et qui pourrait vous demander de surveiller les gens qui travaillent à la télévision…?
Deux – Là, si vous permettez, monsieur l’agent, cela relève du secret professionnel. Pour ne pas dire du secret d’État… voire du secret défense. Vous êtes un militaire, vous aussi.
Un – Non.
Deux – Quoi qu’il en soit, vous êtes au service de la République, comme moi. Alors entre collègues…
Un – Collègues ?
Deux – Vous vous souvenez du Ministère de l’Information ?
Un – Non.
Deux – Le temps béni de l’ORTF. À l’époque, l’État n’avait pas besoin de surveiller les journalistes, c’est lui qui les embauchait. Mais maintenant… il faut bien les garder à l’œil d’une façon ou d’une autre, vous ne croyez pas ?
Un – Si… Enfin, je ne sais pas…
Deux – Vous êtes un patriote, n’est-ce pas ?
L’autre hésite.
Un – C’est bon, vous pouvez circuler…
Deux – La patrie vous en sera éternellement reconnaissante… Et si ce n’est pas abuser, vous pourriez m’indiquer où se trouve le magasin d’électroménager le plus proche ?
Un – Tout droit, première à gauche, vous avez Darty.
Deux – Merci monsieur l’agent.
L’autre le gratifie d’un nouveau salut militaire.
Un – À votre service.
Il lui rend son salut militaire.
Deux – Merci pour votre collaboration, monsieur l’agent. En ces temps difficiles, vous êtes la fierté de notre Nation, et le dernier rempart contre cet envahisseur invisible qui nous menace tous.
Un – Merci.
Deux – Comme on dit chez vous : « Sauver ou périr » !
Un – Ça c’est les pompiers.
Deux – Bon, je vous laisse… Le devoir n’attend pas… Et comme on dit chez nous : « Click and collect ! »
Il s’éloigne, laissant l’autre perplexe.