Le patron attend derrière son comptoir, désœuvré. Un homme et une femme arrivent.
Elle – Salut Marcel.
Le patron répond d’un hochement de tête. Ils s’asseyent à une table. Le patron arrive pour prendre la commande.
Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?
Elle – Comme d’habitude.
Patron – Et vous ?
Lui – Pareil.
Patron – Pareil que la petite dame ou pareil que d’habitude ?
Lui – Pardon ?
Patron – Je ne sais pas ce que vous prenez d’habitude, moi !
Lui – Je viens pourtant tous les matins, comme elle.
Patron – C’est comme ça. Il y a des têtes dont je me souviens, et d’autres que je préfère oublier…
Lui – Disons pareil qu’elle, alors.
Patron – Et deux cafés…
Le patron s’éloigne.
Lui – Toujours aussi aimable…
Elle – Il faut savoir le prendre.
Lui – Quel con.
Elle – Tu sais comment il s’appelle, ce con ?
Lui – Non.
Elle – Marcel.
Lui – Vous avez l’air très intimes… ce con de Marcel et toi.
Elle – Je viens tous les jours prendre un café avant d’aller bosser…
Lui – Moi aussi… Mais moi, il fait mine de ne pas me connaître.
Elle – Tu es jaloux ?
Lui – C’est peut-être lui qui est jaloux… Tu le connais si bien que ça ?
Elle – On ne s’est jamais vraiment parlé.
Lui – Comment tu sais qu’il s’appelle Marcel
Elle – Je ne sais pas… Tout le monde le sait… En tout cas, tout le monde l’appelle Marcel, et il ne s’est jamais plaint.
Un temps.
Lui – Ça va ?
Elle – Oui.
Lui – Qu’est-ce que tu as envie de faire ?
Elle – Je ne sais pas…
Lui – Il fait beau… On ne va pas aller s’enfermer dans une salle de ciné. On se balade un peu ?
Elle – Comme tu veux.
Lui – Cache ta joie… Il y a quelque chose qui te préoccupe ?
Elle – Non… Pas spécialement.
Lui – Je ne sais pas moi… Quelque chose dont tu voudrais me parler.
Un temps.
Elle – OK… S’il m’arrive quelque chose un jour, je veux donner mes organes.
Il reste un instant interloqué.
Lui – À qui
Elle – Je ne sais pas ! Pour quelqu’un qui en aurait besoin.
Lui – Besoin…?
Elle – Tu le fais exprès ou quoi ? Une transplantation !
Lui – Ah oui… Très bien…
Elle – J’ai ma carte de donneur sur moi, mais au cas où…
Lui – D’accord.
Elle – Il faut bien que je le dise à quelqu’un. Parce que quand on n’est plus en état de parler…
Lui – OK.
Elle – Et si je suis en état de mort cérébrale, je ne veux surtout pas qu’on me maintienne en vie artificiellement.
Lui – Pas de problème… Mais tu sais, on n’est pas encore mariés. Je ne suis même pas sûr que j’aurais mon mot à dire. Ce serait sûrement à tes parents de prendre la décision.
Elle – Ils sont morts.
Lui – Ah oui, c’est vrai… À tes frères et sœurs, alors.
Elle – Je suis fâchée avec toute ma famille.
Lui – Bon… On n’a plus qu’à se marier, alors. Pour que je puisse disposer moi-même de tous tes organes.
Elle – C’est une demande en mariage ? Parce que ce serait sans doute la plus originale de toute l’histoire des demandes en mariage.
Lui – Tu veux bien m’épouser ?
Elle – Oui… (Un temps) Et toi ?
Lui – Ben oui, puisque je viens de te demander ta main… Enfin, ta main, ton cœur, tes poumons, ton foie, et tout le reste…
Elle – Non, je veux dire, et toi, s’il t’arrivait quelque chose. Maintenant que je vais pouvoir disposer de tous tes organes, moi aussi.
Lui – Ah oui… Là on nage en plein romantisme…
Elle – Alors ?
Lui – Je ne sais pas… Je n’y ai pas vraiment réfléchi… Je ne donne déjà pas mon sang… sauf à quelques moustiques.
Elle – Tu as tort.
Lui – Si en mourant, je pouvais te léguer mon cœur pour te sauver la vie, je le ferai sûrement. Mais alors donner mon cœur à un inconnu… C’est vrai, tu peux toujours tomber sur un con. Les cons aussi ont des problèmes cardiaques. Moins que les autres, d’accord, mais ils en ont…
Le patron arrive.
Patron – Et deux cafés… (S’adressant à l’homme) Je peux encaisser tout de suite ?
L’homme sort quelques pièces qu’il pose sur la table. Le patron s’en saisit, et repart sans un mot.
Lui – Imagine que je meurs et que ce connard ait besoin d’une transplantation. Franchement, ça me ferait bien chier de lui donner mon cœur.
Elle – C’est un risque à courir.
Lui – Bon… Si ça te fait plaisir, je prendrai ma carte, moi aussi…
Elle – Oui, ça me fait plaisir. Et maintenant, j’ai envie d’aller me balader en forêt avec toi.
Lui – En forêt ?
Elle se lève.
Elle – On y va ?
Lui – Je peux boire mon café d’abord ?
Elle – D’accord, mais dépêche-toi.
Il s’apprête à avaler son café.