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Elle est plongée dans la lecture des programmes de cinéma. Il arrive.

Elle – Ça s’est bien passé, ta journée ?

Lui – Ça va, mais je suis crevé. Et toi ?

Elle – La routine… Mais heureusement, c’est vendredi ! Qu’est-ce que tu veux faire ce soir ?

Lui – Je ne sais pas. Tu as envie de quoi ?

Elle – On pourrait se faire un ciné.

Lui – Ouais… Qu’est-ce qu’il y a à voir en ce moment ?

Elle – Il y a un film coréen au Quartier Latin. Il a de très bonnes critiques. Mais je te préviens, ça dure deux heures quarante.

Lui – Super… En V.O. donc…

Elle – Évidemment.

Lui – Coréen du Nord ou coréen du Sud ?

Elle – Pourquoi, il y a une de ces deux langues que tu maîtrises mieux que l’autre ?

Lui – Non, mais… tant qu’à faire, l’accent du Sud, c’est toujours un peu plus chantant.

Elle – De toute façon, je ne pense pas que les Coréens du Nord aient assez de pellicule pour faire un film de deux heures quarante.

Lui – Tant mieux…

Elle – Sinon, il y a un film polonais dont une copine m’a parlé. Il paraît que c’est très bien.

Lui – Polonais ? Ça parle de quoi ?

Elle – Une histoire de virus qui se répand sur la Terre entière, et qui oblige tout le monde à rester confiné chez soi. Avec toutes les conséquences que ça peut entraîner sur la vie de couple…

Lui – La science-fiction, je n’aime pas trop… Alors la science-fiction polonaise…

Elle – Je vois…

Lui – Et puis entre nous… se pousser à sortir de chez soi pour aller voir sur grand écran des gens qui s’emmerdent chez eux. Des Polonais, en plus.

Elle – Dis plutôt que tu n’aimes pas le cinéma d’auteur, ça ira plus vite.

Lui – Ce n’est pas vrai. Kieslowski, j’avais bien aimé. Il est bien Polonais, non ?

Elle – Oui.

Lui – Le Décalogue, je me souviens très bien. On s’est tapé les douze.

Elle – Les douze, tu crois ?

Lui – On les a tous vus, non ?

Elle – Il n’y en a que dix.

Lui – Tu es sûre ?

Elle – Le Décalogue.

Lui – Ah oui, peut-être. En tout cas, on les a tous vus.

Elle – C’était il y a très longtemps… À l’époque où on s’est connus. On habitait encore chacun chez nos parents, et on passait la moitié de la séance à se bécoter…

Lui – Tu as raison. C’est sûrement de là que me vient ma passion pour le cinéma polonais.

Elle – Pour le reste, je ne suis pas sûre que tu te souviennes de grand-chose. Moi non plus, d’ailleurs, parce que lire des sous-titres tout en roulant une pelle à son voisin. À moins d’être contorsionniste…

Lui – En tout cas, ça m’avait bien plus.

Elle – Le film ou…

Lui – Les deux.

Elle – Alors, ce ciné ? On se le fait ou pas ?

Lui – Un vendredi, il risque d’y avoir du monde, non ?

Elle – Oui… C’est le jour où les gens qui travaillent sortent au cinéma.

Lui – Et puis maintenant qu’on peut se bécoter tranquillement chez soi devant la télé, à quoi bon aller au cinoche.

Il s’approche d’elle et l’enlace.

Elle – Se bécoter au cinéma, ça nous rajeunirait un peu. En tout cas ça nous changerait…

Lui – Ben oui, mais si c’est pour ne rien voir du film… et que dans vingt ans tu me le reproches encore.

Elle – D’accord, tu as gagné. Alors soirée télé à la maison.

Lui – Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant ?

Elle regarde un magazine télé.

Elle – Tiens, c’est marrant…

Lui – Quoi ?

Elle – Sur Arte, ils rediffusent l’intégrale du Décalogue de Kieslowski.

Lui – Ah ouais… Non mais comme on les a déjà vus…

Elle – Je te rappelle qu’on ne les a pas vraiment vus dans des conditions idéales.

Lui – Ouais mais… le cinéma à la télé, ça ne donne rien, non ?

Elle – Ah… pas de chance.

Lui – Pourquoi ?

Elle – Ces dix films de Kieslowski étaient initialement destinés à la télévision polonaise. C’est pour ça qu’ils duraient moins d’une heure, et qu’au cinéma, on les diffusait deux par deux.

Lui – Deux par deux ? Ah d’accord… Alors c’est pour ça qu’à la fin de chaque séance, je ne comprenais jamais le rapport avec le début du film. En fait, c’était deux films différents…

Elle – Voilà… Et comme en général, après m’avoir tripotée pendant la première demi-heure, tu t’endormais avant le début du deuxième film…

Lui – Il fallait vraiment que tu m’aimes.

Elle – Toi aussi… pour que je puisse te traîner cinq fois de suite au cinéma voir dix films en polonais. Et tu m’aimes toujours ?

Lui – Comme au premier jour du premier film des Dix commandements.

Elle – Tu te souviens lequel c’est au moins ?

Lui – Quoi ?

Elle – Le premier commandement.

Lui – Non, je ne me souviens pas de ça non plus.

Elle – Tu n’auras d’autre Dieu que moi.

Lui – C’est promis, je n’aurai d’yeux que pour toi.

Elle – Amen.

Lui – Je peux embrasser la mariée, maintenant ?

Elle – Attends au moins que j’allume la télé…

Noir

Brèves du temps qui passe