La maison de nos rêves

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

1H/1F ou 2H/2F ou 3H/3F ou 4H/4F ou 5H/5F

Un couple vient d’acheter la maison de ses rêves, à un prix étonnamment bas. Qu’a-t-il bien pu se passer dans cette maison pour qu’elle n’ait pas trouvé preneur avant ? Les précédents propriétaires y sont morts dans des circonstances aussi dramatiques que mystérieuses… Un conte à rebours philosophique sur le destin tragicomique de l’humanité en général, et du couple en particulier.


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La maison de nos rêves

Conte à rebours

ACTE 5

Elle et lui sont assis dans un jardin.

Lui – Cette maison est absolument parfaite.

Elle – Oui. C’est vraiment le paradis.

Lui – Et ce jardin…

Elle – C’est le jardin d’Eden.

Un temps.

Lui – Le jardin d’Eden, c’est le paradis ?

Elle – Comment ça ?

Lui – Le paradis, c’est quand on est mort, non ?

Elle – Le jardin d’Eden, c’est le paradis terrestre. Le paradis perdu. Juste avant qu’Adam bouffe toutes les pommes, qu’Ève abatte le pommier pour en faire du bois de chauffage, et que leur fils fracasse le crâne de son frère avec les rondins.

Il la regarde un peu étonné.

Lui – Il faudra que je relise la Bible, maintenant que j’ai un peu le temps.

Elle – En tout cas, c’est la maison de nos rêves.

Lui – Oui. Exactement ce que nous voulions.

Elle – Tous les commerces sont à côté.

Lui – Sans parler des écoles.

Elle – Dommage que nous n’ayons pas d’enfants.

Lui – Ça leur évitera de s’entretuer.

Elle – Enfin, si on la revend un jour… à un couple qui a des enfants…

Lui – Et puis la maison est tellement impeccable.

Elle – Tout a été refait de la cave au grenier.

Lui – Des enfants, ils saloperaient tout.

Elle – Elle est comme neuve.

Lui – Oui, entièrement rénovée. Et à ce prix-là, tu te rends compte.

Elle – C’est vrai qu’on ne l’a pas payée cher.

Lui – Pour une maison comme ça.

Elle – Aussi belle, et aussi bien placée.

Lui – Les peintures sont encore fraîches.

Elle – C’est tellement blanc… C’en est presque suspect.

Lui – Suspect ?

Elle – Comme si on avait voulu effacer toute trace de…

Lui – De quoi ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Toute trace de vie ?

Elle – Toute trace de sang…?

Ils échangent un regard inquiet.

Lui (pour se rassurer) – J’aime beaucoup cette maison.

Elle – On s’y sent tellement bien.

Lui – J’ai toujours rêvé d’avoir une maison comme ça.

Elle – Et aujourd’hui, ce rêve est devenu une réalité.

Silence. Nouvelle inquiétude.

Lui – Tu n’as pas entendu quelque chose.

Elle – Si…

Lui – Qu’est-ce que c’est ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Ou alors on a rêvé.

Elle – Je vais voir.

Elle se lève, et revient un instant après.

Lui – Qu’est-ce que c’était ?

Elle – La boîte aux lettres.

Lui – Un courrier ?

Elle – Un prospectus.

Lui – On se demande à quoi ça sert de mettre un « Stop pub » sur sa porte.

Elle – C’est pour la « Fête des voisins ».

Lui – Les voisins font une fête ?

Elle – La « Fête des voisins » ! C’est une fois par an, au printemps. On sort des tables dans la rue, chacun apporte à boire et à manger…

Lui – Ah oui… La fête des voisins… Donc, ils nous mettent un mot pour nous prévenir qu’ils vont faire un peu de bruit.

Elle – Ils nous mettent un mot pour nous inviter !

Lui – Nous inviter ? Nous ? Mais on ne les connaît pas, ces voisins-là !

Elle – Maintenant qu’on habite ici, c’est nos voisins. On est supposés faire connaissance.

Lui – Je vois… La fête des voisins… Tu crois qu’il faut y aller.

Elle – Ce n’est pas une obligation… mais ce serait peut-être mieux. Qu’est-ce que tu en penses ?

Lui – Je ne sais pas…

Elle – Si on veut commencer à s’intégrer un peu dans le quartier.

Lui – C’est vrai, on ne connaît personne.

Elle – Même les anciens propriétaires, on ne les a jamais rencontrés.

Lui – Il faut dire qu’on ne sort pas souvent.

Elle – Non… On devrait peut-être…

Silence.

Lui – À propos de voisins, tu sais quoi ?

Elle – Quoi ?

Lui – Je me demande si la voisine n’est pas morte.

Elle – Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Lui – Je ne sais pas… (Un temps) L’odeur, déjà…

Elle – L’odeur ?

Lui – Tu ne sens rien ?

Elle – Non.

Lui – Même sans avoir un sens de l’odorat très aiguisé… Il y a quelque chose de pourri dans le coin, je t’assure.

Elle – Ah bon ?

Lui – Et ça ne date pas d’hier. Ça sent de plus en plus fort…

Elle – Mais quand tu dis quelque chose de pourri… tu veux dire un cadavre ?

Lui – Je ne sais pas… je n’ai jamais eu l’occasion de renifler un cadavre. Et toi ?

Elle – Non. Enfin, si, mais… pas un cadavre qui sentait à ce point-là.

Lui – Comme une odeur de rat crevé, si tu préfères.

Elle – C’est peut-être un rat crevé.

Lui – Des rats ? Dans le quartier ? Ça m’étonnerait… C’est un quartier plutôt bourgeois.

Elle – Un sanglier, alors…? Ou une biche… J’ai mangé du gibier faisandé, un jour, dans un grand restaurant. Je pense qu’un cadavre, ça doit avoir un peu ce goût-là.

Lui – Une biche faisandée ?

Elle – Je ne sais pas… Le goût, peut-être… Mais alors l’odeur…

Lui – Ça a l’air de venir de la maison d’à côté. Ou du jardin.

Elle – Comment une biche aurait pu arriver dans le jardin de la voisine ?

Lui – Surtout une biche morte. On a beau habiter un quartier bourgeois, il n’y a plus trop de chasses à courre, dans le coin.

Elle – Et à part l’odeur, qu’est-ce qui te fait penser que la voisine pourrait bien être décédée.

Lui – On ne la voit jamais… Les volets sont fermés…

Elle – Elle est peut-être partie en vacances.

Lui – Depuis plus de trois mois ?

Elle – Pourquoi pas ?

Lui – À cet âge-là, on part en croisière pour une semaine. Dix jours tout au plus.

Elle – Comment tu sais quel âge a la voisine ? Puisqu’on ne l’a jamais vue. D’ailleurs, comment tu sais que c’est une femme ?

Lui – Je ne sais pas. J’imaginais une vieille dame. La maison n’est pas en très bon état. Et les femmes vivent souvent plus longtemps que leurs maris. Donc, j’en ai déduit que…

Elle – Je vois…

Lui – Observation, déduction…

Elle – Elle a dû partir pour un très long voyage. Ou alors, elle est chez ses enfants.

Lui – Pendant trois mois ? Qui supporterait d’avoir sa mère chez lui pendant trois mois ?

Elle – Bon, admettons… La voisine est morte… Chez elle… Et tu serais le seul à t’en être aperçu ?

Lui – J’ai toujours eu l’odorat très fin…

Elle – Sa famille se serait inquiétée de sa disparition…

Lui – Sa famille ?

Elle – Ses enfants.

Lui – Et si elle n’a pas d’enfants ?

Elle – Tout le monde a des enfants !

Lui – Nous on n’en a pas…

Elle – Son mari, alors.

Lui – Tu viens de dire qu’elle était sûrement veuve…

Un temps.

Elle – Bon… Alors qu’est-ce qu’on fait ? Il faudrait prévenir la police…

Lui – La police ?

Elle – On ne va pas la laisser là comme ça, en attendant que…

Lui – Qu’elle commence à se décomposer ?

Elle – Combien de temps un corps peut-il rester comme ça avant de commencer à sentir ?

Lui – Je me demande si c’est une bonne idée que ce soit nous qui prévenions la police.

Elle – Pourquoi ça ?

Lui – On pourrait nous soupçonner.

Elle – Nous soupçonner ? De quoi ?

Lui – De l’avoir assassinée !

Elle – Parce que tu crois qu’elle a été assassinée ?

Lui – Je n’en sais rien… Ça arrive…

Elle – Et pourquoi on nous soupçonnerait ?

Lui – Ça fait à peine trois mois qu’on a emménagé ici, la voisine meurt juste au même moment, et c’est nous qui prévenons la police…

Elle – Tu as raison, on pourrait avoir des ennuis… Mais pourquoi on l’aurait tuée, la voisine ?

Lui – On a toujours de bonnes raisons de vouloir se débarrasser de ses voisins, non ?

Elle – Quelles raisons ?

Lui – Pour racheter la maison, par exemple.

Elle – Oui, enfin…

Lui – Surtout si on l’a achetée en viager.

Elle – Ne me dis pas que tu as acheté la maison de la voisine en viager, et que c’est toi qui l’a tuée.

Lui – Mais non, qu’est-ce que tu vas chercher !

Elle – Tu me rassures…

Lui – Ceci dit, ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée.

Elle – De tuer la voisine ?

Lui – De racheter la maison.

Elle – Pour quoi faire ?

Lui – Pour ne plus avoir de voisine !

Elle – Tu recommences à m’inquiéter…

Lui – Plus de voisins, plus de fête des voisins.

Elle – Oui, évidemment…

Lui – En tout cas, si elle est morte, la maison va sûrement être mise en vente.

Silence.

Elle – Je crois que je commence à la sentir un peu, cette odeur…

Lui – Une odeur de pourri ?

Elle – Oui, il me semble…

Un temps.

Lui – Tu ne dis pas ça pour me faire plaisir, au moins ?

Elle – Quoi ?

Lui – Que tu sens une odeur de cadavre.

On sonne.

Lui – Qu’est-ce que c’est encore ? On attend quelqu’un ?

Elle – Non.

Lui – J’espère que ce n’est pas une autre invitation.

Elle – On ne connaît personne… Une invitation pour quoi ?

Lui – La « Fête de la Musique » ?

Elle – C’est vrai que c’est dans pas trop longtemps aussi.

Lui – Ils pourraient grouper.

Elle – La fête de la musique entre voisins…

Lui – Je vais aller voir…

Il sort. Elle hume l’air pour essayer de sentir quelque chose.

Elle – Je n’aurais pas fait un bon chien policier. (Il revient) Qu’est-ce que c’était ?

Lui – La voisine.

Elle – Celle qui est morte ?

Lui – L’autre voisine.

Elle – Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Lui – Elle voulait savoir si par hasard, ce n’était pas chez nous que ça sentait le cadavre.

Elle – Elle a dit le cadavre ?

Lui – Je crois qu’elle voulait plutôt parler d’un animal mort. Un chat par exemple. Le sien a disparu il y a déjà quelques semaines.

Elle – Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Lui – Je lui ai dit que je ne sentais rien…

Elle – Tu as bien fait.

Lui – Il vaut mieux ne pas s’occuper de ce qui ne nous regarde pas.

Elle – Pour vivre heureux, vivons cachés…

Lui – On est heureux ?

Elle – Qu’est-ce que tu en penses ?

Silence.

Lui – C’est curieux… Elle m’a raconté une drôle d’histoire…

Elle – Qui ?

Lui – La voisine !

Elle – Quelle histoire ?

Lui – Je ne sais pas si tu as envie d’entendre ça maintenant.

Elle – Tu en as trop dit ou pas assez…

Lui – Tu te souviens de ce que nous a dit l’agent immobilier quand on a acheté la maison ?

Elle – Quoi ?

Lui – Que la maison était en vente parce que les propriétaires étaient morts.

Elle – Oui… C’est sûrement pour ça qu’on ne les a jamais rencontrés.

Lui – Ce qu’il a omis de nous préciser, c’est comment ils étaient morts…

Elle – C’est vrai, ça. C’est curieux qu’ils soient morts tous les deux, en même temps.

Lui – Oui…

Elle – Comment ils sont morts ?

Lui – Elle lui a fendu le crâne d’un coup de hache…

Elle – Ah oui… Et où ça ?

Lui – Ici, dans le jardin.

Elle – Non ? Et après ?

Lui – Après, elle s’est jetée du deuxième étage dans la cour.

Elle – La cour ? Tu veux dire le jardin ? Notre jardin…?

Silence.

Lui – Je ne comprenais pas pourquoi cette maison était en vente depuis si longtemps.

Elle – Et qu’elle n’ait pas trouvé preneur, même à un prix aussi bas.

Lui – C’est vrai qu’on a fait une bonne affaire.

Elle – Tu crois ?

Lui – Je ne sais pas…

Elle – C’est sans doute pour ça qu’ils ont refait toutes les peintures.

Lui – Pour effacer toutes les traces de sang…

Un temps.

Elle – Tu es sûr que c’est dans la maison d’à côté, que ça sent la mort ?

Lui – Qu’est-ce que tu veux dire ?

Elle – Ça vient peut-être d’ici.

Lui – Non mais ce n’est pas possible. Quand la police est venue et qu’ils ont découvert le drame, ils ont enlevé les corps, quand même.

Elle – Il y a parfois des phénomènes étranges, dans les maisons où des drames comme ça se sont produits…

Lui – C’est vrai que la première fois qu’on a visité la maison, j’avais déjà senti quelque chose.

Elle – Et tu ne m’as rien dit ?

Lui – La maison était tellement bon marché…

Elle – Je comprends pourquoi, maintenant.

Lui – Oui, moi aussi…

Silence.

Elle – Tiens, on dirait que la voisine est rentrée de vacances…

Lui – Tu crois ?

Elle – Les volets sont ouverts…

Lui – Au moins, elle, elle n’est pas morte.

Elle – Non… Pas encore…

Lui – Donc ce n’est pas de chez elle que vient cette odeur.

Elle – Ou alors c’est le chat…

Lui – On va dire que c’est le chat.

Elle – Oui, c’est sûrement le chat.

Silence.

Lui – Alors qu’est-ce qu’on fait ? On y va ou pas ?

Elle – Où ça ?

Lui – À la fête des voisins !

Elle – Je ne sais pas si c’est une bonne idée.

Lui – Tu as raison.

Elle – Je les vois déjà nous regarder par en dessous en parlant à voix basse.

Lui – « C’est eux ».

Elle – « Ceux qui habitent dans la maison où a eu lieu ce massacre ».

Lui – Oui… En se demandant quand ce sera notre tour.

Elle – Notre tour ?

Lui – De nous massacrer.

Elle – Tu crois qu’on pourrait en arriver là ?

Lui – On s’emmerde tellement.

Elle – On a une hache ?

Silence. Il hume à nouveau l’air.

Lui – Et si c’était nous…

Elle – Nous ?

Lui – Qui sentions le pourri.

Ils se regardent, perplexes.

Noir

ACTE 4

 Il arrive en premier, et jette un regard autour de lui. Elle le rejoint.

Lui – Alors, Commissaire, qu’est-ce que vous en pensez ?

Elle – Je pense qu’ils sont morts tous les deux.

Lui – Oui… C’est ce que je me suis dit aussi, quand j’ai vu que sa tête à lui était séparée du corps et qu’elle avait roulé à plus de deux mètres du tronc…

Elle – Et que sa tête à elle avait éclaté sur le carrelage de la cour comme une vieille pastèque trop mûre.

Lui – Mais ce que je voulais savoir, Commissaire, c’est ce que vous pensez de cette affaire…

Elle – Je ne pense rien, mon vieux. J’observe, et je déduis, c’est tout. Comme Sherlock Holmes ou l’inspecteur Columbo. Un bon policier ne pense pas. Il observe, et il tire des conclusions de ses observations.

Il lui lance un regard perplexe, et continue d’examiner les lieux.

Lui – Je me demande ce qui a bien pu se passer ici, pour qu’un couple sans histoire en arrive à se massacrer comme ça avec un tel entrain.

Elle – Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il s’agit d’un meurtre ?

Lui – Elle tenait encore à la main la hache qui a servi à le décapiter.

Elle – Ne vous fiez pas aux apparences, Inspecteur, ça vous jouera des tours. D’ailleurs, vous avez omis de noter qu’avant de décapiter son mari, elle avait abattu un pommier dans le jardin. Probablement avec la même hache.

Lui – C’est vrai, je n’avais pas fait attention à ça. Et puis je n’y connais rien en arbre.

Elle – Moi non plus.

Lui – Alors comment savez-vous que c’est un pommier ?

Elle – Parce que j’ai vu des pommes accrochées aux branches.

Lui – Je n’avais pas remarqué ça non plus…

Elle – Si j’avais vu des poires, j’en aurais déduit que c’était un poirier. Des cerises, un cerisier. Observation, déduction. N’oubliez jamais ça, Inspecteur.

Lui – J’y penserai, Commissaire.

Elle – Qu’est-ce qu’on sait de ce… couple sans histoire, comme vous dites ?

Il regarde sur un petit calepin.

Lui – Lui, il était auteur de théâtre… Elle, comédienne…

Elle – Un auteur connu ?

Lui – Une de ses pièces a rencontré un certain succès il y a quelques années.

Elle – Ah oui ? Laquelle ?

LuiUn rêve de maison

Elle – Jamais entendu parler. La dernière fois que je suis allée au théâtre, c’était pour voir La cage aux folles.

Lui – Ça ne vous a pas plu…

Elle – Si, si. Justement. J’ai préféré rester sur une bonne impression. Et elle ?

Lui – Des seconds rôles, principalement… De moins en moins, d’ailleurs. Apparemment, il lui manquait quelques cachets pour valider son intermittence cette année.

Elle – Ça pourrait constituer un motif de suicide. Mais pas un mobile de meurtre. Pas de casier ?

Lui – Une obscure affaire de plagiat. Un vol à l’étalage. Une fraude aux allocations familiales. Rien de grave…

Elle – Ils avaient des enfants ?

Lui – Non. C’est pour ça que je parlais de fraude aux allocations familiales.

Elle – Je vois… Un vol à l’étalage, vous disiez ?

Lui – Oui.

Elle – Lui ou elle ?

Lui – Elle.

Elle – Du parfum ? Du maquillage ? De la lingerie ? C’est généralement ce que volent les femmes dans les magasins…

Il regarde sur un petit calepin.

Lui – Une hache.

Elle – Une hache ? Il pourrait donc y avoir préméditation…

Lui – Si c’est bien avec cette hache qu’elle a décapité son mari.

Elle – Pourquoi aurait-elle volé une hache si elle en avait déjà une ?

Lui – Je ne sais pas… Certaines femmes volent pour le plaisir de voler…

Elle – Une hache ?

Lui – C’est vrai qu’une hache… c’est plutôt rare.

Elle – Une hachette, à la rigueur. Ce serait plus féminin… Ou un couteau à pain. Une lime à ongles, éventuellement.

Lui – Pour couper un arbre ?

Elle – C’est un petit arbre, Inspecteur. Vous n’aviez pas remarqué ça non plus ?

Lui – Et pour… le plagiat, Commissaire, qu’est-ce que vous en pensez ?

Elle – Vous ne savez pas ce que ça veut dire, c’est ça ?

Lui – Disons que… je ne suis pas très sûr.

Elle – Un plagiat, c’est un vol.

Lui – Comme de voler une hache dans un magasin de bricolage ?

Elle – Oui. Sauf que le magasin de bricolage, c’est le cerveau d’un auteur, et que ce sont ses idées que le plagiaire lui vole.

Lui – Je vois… Un peu comme un vampire qui suce le sang de ses victimes… Elle lui a peut-être fendu le crâne pour fouiller son cerveau et lui voler ce qu’il y avait dedans…

Elle – Pourquoi se serait-elle jetée par la fenêtre après ?

Lui – Qu’est-ce qu’un comédien pourrait bien voler à un auteur ?

Elle – Ses répliques, probablement. C’est un travers assez habituel chez les comédiens. Ils finissent par se croire l’auteur du texte qu’ils interprètent.

Lui – Vraiment ?

Elle – J’ai connu un tragédien qui avait fini par se convaincre qu’il était l’auteur de toutes les pièces de Racine.

Lui – Il a fini à l’asile, j’imagine.

Elle – Il a fini à l’Académie Française.

Lui – L’Académie Française…?

Elle – C’est l’équivalent du Conseil Constitutionnel, mais pour les gens de lettres. Une sorte de maison de retraite, si vous préférez. Mais au lieu de jouer au Scrabble, ils décident des mots qui peuvent être acceptés au Scrabble.

Lui – Et c’est grave, Commissaire ?

Elle – Quoi donc ?

Lui – Le plagiat !

Elle – Nous sommes tous des faussaires, mon vieux. Nous ne faisons que répéter les phrases toutes faites qu’on nous a apprises à l’école. En les déformant au passage. Si on jetait en prison tous ceux qui ne sont pas vraiment les auteurs des conneries qu’ils profèrent à longueur de journée, il n’y aurait plus grand monde en liberté, croyez-moi.

Lui – Même si, comme disait Michel Audiard, « un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ».

Elle – C’est de Jacques Audiberti.

Lui – Connais pas…

Elle – « Un con qui marche vaut mieux que dix intellectuels assis ». Il arrivait aussi à Michel Audiard de plagier ses confrères. Même si en l’occurrence, je ne suis pas sûre de savoir lequel a plagié l’autre.

Lui – En somme… on n’a rien inventé.

Elle – La vie est un combat de chaque instant contre la médiocrité, qui consiste à plagier les autres, avant de se plagier soi-même…

Lui – C’est tellement intelligent, ce que vous dites… Je ne suis pas sûr de tout comprendre…

Elle – La véritable intelligence, Inspecteur, c’est de savoir fermer sa gueule. Peu de gens en sont capables. Moi-même, je me surprends parfois à faire des phrases… qui ne sont pas de moi.

Lui – Et ça, c’est de vous, Commissaire ?

Elle – Malheureusement non. Ramassez un morceau de cette pastèque et mettez-le dans un sac isotherme. On l’enverra au labo pour analyse.

Lui – Bien, Commissaire.

Elle – Et n’oubliez pas de mettre des gants…

Lui – Pour ne pas contaminer l’échantillon.

Elle – Oui… Et surtout pour ne pas vous salir les mains…

Lui – Et ne pas salir la maison.

Elle – Ce serait dommage. C’est tellement propre, ici.

Lui – À ce qu’il paraît, ils faisaient refaire les peintures tous les ans.

Elle – Après chaque crime, probablement.

Lui – Vous croyez qu’il y en a eu plusieurs ?

Elle – Je vous l’ai dit, je ne crois rien.

Il sort. Elle jette un regard autour d’elle, avant de humer l’air. Puis elle se met à quatre pattes et renifle un peu partout comme un chien policier. Il revient et la regarde, un peu interloqué.

Lui – Vous êtes sur une piste, Commissaire ?

Elle se relève.

Elle – Croyez-en mon flair, Inspecteur, ça sent la mort, dans cette maison.

Lui – Il y a deux cadavres juste à côté, c’est normal, non ?

Elle – Ce que je voulais dire, c’est que ça sent le pourri. La chair en décomposition, si vous préférez. Or ce couple est mort il y a très peu de temps.

Lui – Comment le savez-vous ?

Elle – La cervelle de madame était encore fumante quand nous sommes arrivés.

Lui – C’est vrai qu’il ne fait pas très chaud, ici. Mais sans vouloir vous contredire, Commissaire, pour la fumée, je crois qu’il s’agissait plutôt d’une cigarette mal éteinte. J’ai retrouvé le mégot consumé dans un coin de la cour.

Elle – Eh bien raison de plus. Quand la dernière cigarette fume encore, c’est que le condamné n’est pas mort depuis très longtemps. (Elle renifle à nouveau.) Cette affaire sent le pourri, je vous dis…

Lui – Et quelles conclusions tirez-vous de ces observations, Commissaire ?

Elle – Il y a au moins trois conclusions possibles.

Lui – Je vous écoute.

Elle – Soit les victimes sentaient déjà le pourri de leur vivant.

Lui – Oui…

Elle – Soit cette odeur provient d’autres cadavres plus faisandés qu’on n’aurait pas encore découverts. Des cadavres enterrés dans la cave, par exemple.

Lui – Combien de temps un homme peut-il rester en terre avant de pourrir ?

Elle – Ma foi, s’il n’est pas déjà pourri avant de mourir…

Lui – Alors ça non plus, ce n’est pas de vous…

Elle – Non.

Lui – C’est de qui, patron ?

Elle – Shakespeare. Dans Hamlet. À supposer que ce soit bien lui qui ait écrit ses pièces, évidemment.

Lui – Vous pensez que Shakespeare était un plagiaire, lui aussi ?

Elle – Allez savoir…

Lui – Et quelle est votre troisième hypothèse, Commissaire ?

Elle – Et si c’était nous qui sentions le pourri…?

Lui – Je n’aurais jamais pensé à ça…

Elle – C’est pour ça que je suis commissaire et vous seulement inspecteur.

Lui – Bien sûr, Commissaire.

Elle – J’ai beaucoup réfléchi sur la nature humaine. Et j’en suis arrivée à certaines conclusions, que je consignerai peut-être dans un livre lorsque je serai à la retraite, afin d’en faire profiter les générations futures.

Lui – Vraiment ? Et quel genre de livres, Commissaire ? Un roman policier ?

Elle – Plutôt… une sorte de Bible.

Lui – Je vois… Une bible de série policière…

Elle – Enfin, Inspecteur ! Une Bible ! Un nouveau Nouveau Testament, en quelque sorte.

Lui – Ah, d’accord…

Lui – Vous voulez connaître en avant-première quelques-unes de mes réflexions ?

Lui – Pourquoi pas…?

Après un bref silence, pour ménager l’effet dramatique.

Elle – Vous savez combien d’êtres humains ont vécu et sont morts sur cette terre avant nous, Inspecteur ?

Lui – Non.

Elle – Environ cent milliards. Pour un être vivant sur cette planète, il y en a plus de dix dans nos cimetières et ailleurs.

Lui – Ah oui. Ça fait du monde.

Elle – Et ça ne va pas s’arranger, croyez-moi.

Lui – Ah bon ?

Elle – Vous verrez. En vieillissant, on finit par connaître plus de morts que de vivants.

Lui – C’est vrai…

Elle – Et il arrivera un jour où sur cette terre, il n’y aura plus que des morts.

Lui – La fin du monde, vous voulez dire ?

Elle – La fin de l’humanité, en tout cas. Au rythme où on va, c’est sans doute pour bientôt. La Terre ne sera plus alors qu’une maison vide, hantée par tous les morts qui l’ont occupée successivement depuis l’aube de l’humanité.

Lui – C’est beau ce que vous dites, Commissaire.

Elle – Ce n’est pas de moi, hélas.

Lui – C’est de qui, alors ?

Elle – De l’auteur de cette pièce, j’imagine. À moins que ce ne soit qu’un vulgaire plagiaire, lui aussi.

Lui – Et pour ce double meurtre, qu’est-ce qu’on fait ?

Elle – Il nous faudra remonter le fil de ces événements funestes, depuis ce dernier meurtre, jusqu’à la première victime de cette tueuse en série.

Lui – Vous pensez que nous avons affaire à une tueuse en série ?

Elle – La Mort ! C’est elle qui est responsable de tous ces décès ! Il n’y a pas de mort naturelle, Inspecteur. Toute mort est un homicide. C’est la Mort qui a assassiné tous ces gens.

Lui – Mais quand vous dites remonter le fil des événements, vous voulez dire…?

Elle – Le premier meurtre ! La première affaire criminelle.

Lui – Quelle affaire ?

Elle – Caïn et Abel, évidemment.

Lui – Je n’ai pas entendu parler de cette affaire. Caïn et Abdel, vous dites ?

Elle – Vous n’avez jamais lu la Bible ? Ou Victor Hugo ? « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », ça ne vous dit rien ?

Lui – Non. Une caméra cachée dans une tombe ?

Elle – C’est Dieu qui, le premier, a inventé la vidéosurveillance, Inspecteur. Nous autres policiers, nous ne sommes que ses modestes serviteurs.

Silence.

Lui – Alors vous croyez que la Terre pourrait disparaître un jour ?

Elle – La Terre, c’est comme une maison. On l’achète à quelqu’un en arrivant, on la revend à quelqu’un d’autre en partant, en espérant faire une petite plus-value au passage. On a l’impression qu’elle a toujours été là, cette maison, et qu’elle y sera toujours. Pourtant, quelqu’un l’a construite un jour, et quelqu’un finira par la détruire.

Lui – Je commence à la sentir, moi aussi.

Elle – Quoi ?

Lui – Cette odeur de mort.

Elle – Cette odeur, mon vieux, c’est celle de la vie d’avant soi. Les cent milliards d’humains qui nous ont précédés. La Terre est un charnier, une fosse commune, un gigantesque cimetière sous la lune.

Lui – J’imagine que ce n’est toujours pas de vous…

Elle – Allez savoir… Il m’arrive aussi d’improviser. Vous avez vu La nuit des morts-vivants ?

Lui – Ces cadavres qui sortent de leurs tombes et vont faire un tour en ville pour bouffer de la chair fraîche ?

Elle – Cent milliards, vous imaginez ? Sans compter les animaux sauvages, qu’on aura bientôt tous exterminés, et les animaux domestiques, qu’on élève dans des cages et qu’on massacre à la chaîne pour les bouffer le dimanche après la messe autour d’un barbecue entre amis.

Lui – C’est vrai que c’est sympa, un petit barbecue…

Elle – Imaginez qu’une nuit, ils reviennent tous pour nous bouffer, tous ces poulets, tous ces cochons, tous ces veaux qu’on a massacrés dans nos abattoirs ?

Lui – Ah oui, ça fout les jetons…

Elle – Sans parler des légumes !

Lui – Les légumes ? Vous voulez dire les frites ?

Elle – Imaginez ! La nuit des morts-vivants, mais avec des patates, des carottes et des navets, qui sortent de terre la nuit pour venir nous bouffer ? Imaginez, Inspecteur !

Lui – J’essaie, Commissaire. J’essaie… Et qu’est-ce qu’on fait de ces deux-là ?

Elle – Qu’est-ce que vous pensez de la maison ?

Lui – Elle est pas mal.

Elle – Pas mal ?

Lui – Non, c’est vrai qu’elle est absolument parfaite.

Elle – J’en cherche une dans le quartier, justement. Mais avec le salaire de misère qu’on nous verse tous les mois… Même si je gagne trois fois plus que vous.

Lui – Aucuns travaux à prévoir. Près de tous les commerces. Avec une école pas très loin.

Elle – Maintenant, la maison va sûrement être mise en vente.

Lui – Maintenant ?

Elle – Maintenant que les propriétaires sont morts.

Lui – Vous pourriez vivre dans une maison où se sont déroulés des événements aussi dramatiques ?

Elle – Pas vous ?

Lui – Je crois que je ferais des cauchemars…

Elle – Alors vous pensez que la maison sera vendue moins cher ?

Lui – Je pense que cette maison est invendable…

Elle – C’est aussi mon avis.

Lui – Dans le quartier, ça restera la maison où a eu lieu le massacre. La maison du crime.

Elle – Vous connaissez ce tableau de Paul Cézanne, La maison du Pendu ?

Lui – Qui ?

Elle – On ne sait même pas si quelqu’un s’est jamais pendu dans cette baraque. Peut-être que tout simplement, elle appartenait autrefois à un Breton qui s’appelait Pen’Du.

Lui – Ah oui, un Breton…

Elle – Mais vous imaginez le boulot pour un agent immobilier. Qui pourrait bien vouloir acheter la maison d’un pendu ? Et encore, là on en a fait un tableau célèbre. Mais pour une maison du pendu peinte par Cézanne, combien de maisons où quelqu’un s’est pendu sans que personne ne le sache.

Lui – Il faut bien se pendre quelque part.

Elle – Autre part, mais pas chez moi. Ça risquerait de dévaloriser la maison. D’où l’expression.

Lui – Quelle expression ?

Elle – Allez vous faire pendre ailleurs !

Lui – Ah oui…

Elle – Et si on la rachetait, cette maison.

Lui – On ?

Elle – Pour une bouchée de pain. Vous et moi. Vous devez bien avoir quelques économies ?

Lui – C’est sûr qu’on pourrait l’avoir pour pas cher. Mais vous disiez qu’elle serait invendable.

Elle – On la rachète pour presque rien, on attend que ça se tasse un peu, on refait les peintures, et on la revend avec une grosse plus-value.

Lui – Et en attendant, qui l’habitera ?

Elle – Vous et moi !

Lui – Vous et moi ?

Elle – Je ne vous plaît pas, Inspecteur ?

Lui – Si, si, bien sûr, c’est juste que…

Elle – Quoi ?

Lui – Non, non, rien… (Un temps) Et moi, je vous plais, Commissaire ?

Elle lui lance un regard étonné.

Elle – Non mais je plaisantais, mon vieux.

Lui – Bien sûr, Commissaire.

Elle – Vous et moi, on se connaît déjà trop bien. On finirait par s’ennuyer.

Lui – Peut-être même qu’on commencerait par là.

Elle – Et croyez en mon expérience, c’est pour échapper à l’ennui que pas mal de couples en arrivent à se massacrer à domicile.

Lui – Vous pensez qu’elle lui a fendu le crâne et qu’elle s’est défenestrée juste après seulement pour pimenter un peu leur vie de couple ?

Elle – Vous êtes marié, Inspecteur ?

Lui – Non.

Elle – Alors vous ne pouvez pas comprendre.

Noir

ACTE 3

Il est là, assis, immobile. Elle arrive de l’extérieur, un imperméable sur le dos et une hache à la main.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Elle retire son imperméable.

Lui – Tu as passé une bonne journée ?

Elle – Ça va.

Lui – Bon. (Silence, pendant lequel elle affûte sa hache avec une pierre) Tu as quelque chose à me dire ?

Elle – Qu’est-ce qu’on pourrait se dire de plus ? Qu’on n’ait pas déjà dit… On ne ferait que se répéter, non ?

Lui – Bien… Et… si je peux me permettre quand même… Qu’est-ce que tu fais avec cette hache ?

Elle – Ah… Ça c’est une question que tu ne m’as encore jamais posée…

Lui – Sans doute parce que c’est la première fois que tu reviens à la maison avec une hache…

Elle – Voilà… C’est la première fois… J’ai décidé de te surprendre, vieille branche…

Lui – C’est aussi la première fois que tu m’appelles vieille branche… Et alors ?

Elle – Je vais abattre l’arbre qu’il y a au fond du jardin.

Lui – Avec une hache ?

Elle – Ben oui ! Pas avec une lime à ongles.

Lui – Et qu’est-ce qu’il t’a fait, cet arbre ?

Elle – Il est pourri.

Lui – Pourri ?

Elle – Pourri de l’intérieur. Au moindre coup de vent, il risque de nous tomber dessus.

Lui – On est rarement en dessous.

Elle – On pourrait avoir envie de faire un barbecue.

Lui – On ne fait jamais de barbecues. Et je ne sais même pas où il est, cet arbre.

Elle – Ça ne m’étonne pas. Tu ne sors plus de la maison. Même pour aller dans le jardin.

Lui – Je ne savais pas qu’on avait une hache.

Elle – On n’en avait pas.

Lui – Alors tu as acheté une hache…

Elle – Je ne l’ai pas achetée, je l’ai volée.

Lui – C’est plutôt encombrant… Comment peut-on voler une hache ?

Elle – On ne peut pas. Le vigile m’a rattrapée à la sortie. Finalement, j’ai dû la payer.

Lui – On a tout de même les moyens d’acheter une hache. Pourquoi tu ne voulais pas la payer ?

Elle – Pour qu’il n’y ait pas de facture, évidemment !

Lui – Et ça sert à quoi, d’acheter une hache sans facture ?

Elle – Pas de facture, pas de trace ! Si tu achetais un revolver pour tuer quelqu’un, tu préférerais qu’il n’y ait pas de facture, non ?

Lui – Oui, j’imagine… Enfin j’essaie. Je n’ai encore jamais acheté de revolver. Et je n’ai encore jamais tué personne. Jusqu’à aujourd’hui…

Elle – Tu as raison. Acheter un revolver, ça peut éveiller les soupçons. Plus que d’acheter une hache, en tout cas. Même avec une facture…

Lui – Donc, tu as conscience qu’il s’agit d’un acte grave, pour ne pas dire répréhensible…

Elle – J’en ai conscience, rassure-toi.

Lui– À la rigueur, je peux comprendre qu’on abatte un arbre sur un coup de sang. Un platane, par exemple. Parce qu’il s’est jeté sous vos roues juste au moment où vous passiez tranquillement en voiture, complètement bourré. Mais là, comme ça, de sang froid. Avec une hache que tu t’es procurée exprès pour ça… C’est une exécution ! Un meurtre avec préméditation. Je te préviens, je ne me rendrai pas complice d’un tel crime.

Elle – Rassure-toi, tu ne participeras pas à ce massacre. (Plus bas) Pas en tant que complice, en tout cas…

Lui – Pourquoi maintenant ?

Elle – Il est pourri, je te dis.

Lui – Depuis quand ?

Elle – Je ne sais pas… C’est venu petit à petit. Quand le ver est dans le fruit… il finit parfois par attaquer l’arbre.

Lui – Je ne savais même pas qu’on avait un arbre dans le jardin. C’est quoi, comme arbre ?

Elle – Un pommier.

Lui – On a un arbre fruitier dans le jardin ?

Elle – Il est déjà à moitié mort. Il ne donne plus de pommes depuis longtemps.

Lui – Ce n’est pas une raison pour s’en débarrasser comme ça.

Elle – Cet arbre m’a beaucoup déçu. J’avais fondé de grands espoirs sur lui.

Lui – Tu dis qu’il est à moitié mort. C’est qu’il est encore à moitié vivant.

Elle – C’est trop tard. Je préfère abréger son agonie.

Lui – Il pourrait encore donner quelques pommes.

Elle – C’est bien ce que je lui reproche.

Lui – Pardon ?

Elle – Toute sa vie, cet arbre n’a donné que des pommes. Et s’il vivotait encore pendant dix ou vingt ans, il ne donnerait encore et toujours que des pommes.

Lui – Les pommiers donnent des pommes. Tu t’attendais à quoi ?

Elle – À ce qu’il me surprenne.

Lui – Et donc, tu préfères l’abattre.

Elle – À quoi bon ? Cet arbre est devenu tellement prévisible. Et ce qui est prévisible est tellement déprimant.

Lui – Et qu’est-ce que tu vas faire du tronc ?

Elle – Du tronc ? La même chose que de la tête, j’imagine. Je débiterai tout ça en morceaux, je le mettrai dans des sacs en plastique, et je jetterai les tronçons peu à peu dans la poubelle devant chez nous. Un peu chaque jour, pour que les éboueurs ne s’aperçoivent de rien.

Lui – Qu’ils s’aperçoivent de quoi ?

Elle – On n’est pas supposés jeter de vieilles branches à la poubelle. Même en petits morceaux.

Lui – Raison de plus pour ne pas l’abattre, ce pommier.

Elle – Assez bavardé. Plus vite ce sera fait…

Elle fait un pas pour sortir. Il se lève et lui fait face.

Lui – Et si moi, je n’étais pas d’accord ?

Elle – Ah oui ? Et qu’est-ce que tu ferais ?

Lui – Je pourrais t’en empêcher.

Elle – M’en empêcher ? Toi ?

Lui – Parfaitement. Et toi, si je voulais t’en empêcher, qu’est-ce que tu ferais ?

Elle – Je ne sais pas… (Elle brandit sa hache) Je pourrais te fracasser le crâne avec cette hache, par exemple. Histoire de voir s’il y a vraiment un cerveau à l’intérieur.

Un temps.

Lui – Alors tu m’en veux encore d’avoir signé le scénario de cette pièce à ta place…

Elle – Ça s’appelle un plagiat, non ?

Lui – C’était mieux comme ça, je te l’ai dit cent fois. J’étais déjà un peu connu en tant qu’auteur. Ça rassurait le producteur.

Elle – Ça te rassurait surtout toi. Signer enfin quelque chose d’intéressant…

Lui – La pièce a fait un four.

Elle – Certaines pièces ont une deuxième chance. Ruy Blas a reçu un très mauvais accueil lors de la première. C’est devenu un classique, et on en a même fait un film avec Montand et De Funès : La folie des grandeurs.

LuiLa folie des grandeurs… Tu devrais te faire soigner, en effet. Tu te prends pour Victor Hugo, maintenant ?

Elle – Pourquoi pas ? Ruy Blas raconte aussi l’histoire d’un imposteur. Même si le héros, lui, ne manque pas de grandeur.

LuiLa Maison de nos rêves ? Tu comptais vraiment passer à la postérité avec ça ?

Elle – Ça ne t’a pas empêché de signer le manuscrit !

Lui – D’ailleurs, je me demande si tu ne t’es pas un peu inspiré de La folie des grandeurs pour écrire ce navet.

Elle – C’est toi qui me traites de plagiaire, maintenant ! C’est le monde à l’envers !

Elle avance vers lui avec sa hache, menaçante. Il recule prudemment d’un pas.

Lui – N’oublie pas qu’une facture a été émise, finalement. Et la direction du magasin a sûrement fait un signalement à la police. Tu es déjà fichée pour vol à l’étalage.

Elle – Et toi pour plagiat. Parce que ce n’est pas la première fois que tu t’appropries un texte qui n’est pas de ta main.

Elle lève sa hache.

Lui – La police viendra. Tu ne pourras jamais faire passer ça pour un crime passionnel. Tu prendras perpète.

Elle – C’est en me mariant avec toi que j’ai pris perpète… (Elle baisse sa hache, semblant se résigner) Mais tu as raison… ce serait trop risqué. Ça n’en vaut pas la peine…

Lui – Allez, pose cette hache, tu vas finir par blesser quelqu’un.

Elle – Je me demande pourquoi on est venus s’enterrer ici…

Lui – Oui, moi aussi…

Elle – Je ne sais pas pourquoi, il m’a toujours semblé qu’il y avait quelque chose qui clochait avec cette baraque.

Lui – Quoi ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – Comme une malédiction.

Elle – Et si on déménageait ?

Lui – Avec quel argent ? Malheureusement, ce n’est pas avec ton chef d’œuvre qu’on va payer le crédit de la maison. Ni avec tes cachets de comédienne, d’ailleurs.

Elle brandit à nouveau la hache, menaçante.

Elle – C’est un reproche ?

Lui – Tu n’oserais pas faire ça. Ça ressemblerait trop à une mauvaise pièce de boulevard.

Elle – Une femme qui découpe son mari à la hache ?

Lui – À un film d’horreur de série Z, si tu préfères.

Elle – D’un autre côté…

Lui – Quoi ?

Elle – Il y a des nanars qui se vendent très bien…

Lui – Par exemple ?

ElleMeurtre à la tronçonneuse.

Lui – Là c’est juste une hache, et c’est juste une femme qui tue son mari.

Elle – Quand on n’a pas un gros budget…

Lui – Désolé, je n’y crois pas.

Elle – Pense au premier meurtre de l’histoire de l’humanité.

Lui – Caïn et Abel ?

Elle – Un type qui étrangle son frère, à mains nues. C’est tout. L’enquête, c’est juste une caméra de vidéosurveillance installée par Dieu dans la tombe du coupable. Et le bouquin est encore un best-seller aujourd’hui.

Lui – Oui, mais ça ne s’était jamais fait avant. Aujourd’hui, même en matière de meurtre, ce n’est pas si facile de surprendre.

Elle – Tu as raison, c’est vraiment déprimant. Ça me donne envie de me suicider. Bon, je vais commencer par me faire le pommier, ça me détendra…

Elle prend sa hache et s’apprête à sortir.

Lui – Je mets la table… et je vais réfléchir à un autre scénario

Elle – Tu ne veux pas me donner un coup de main, plutôt ?

Lui – Pour quoi faire ?

Elle – Pour abattre ce putain de pommier ! Si on ne veut pas qu’il tombe sur la clôture du voisin, il faudrait que tu pousses de l’autre côté pendant que je coupe le tronc.

Lui – OK, mais fais gaffe quand même. Un accident est si vite arrivé…

Elle – Surtout quand on se sert d’une hache pour la première fois de sa vie…

Ils sortent. Un temps.

Voix off – Coupez ! Ce n’est pas le texte que j’ai écrit, bordel !

Noir

ACTE 2

Elle est là. Il arrive.

Lui – J’ai fait un drôle de rêve… Enfin, c’était plutôt un cauchemar.

Elle – Quoi ?

Lui – J’ai rêvé que tu me quittais…

Elle semble embarrassée.

Elle – Tu connais ton texte ?

Lui – Pas toi ?

Elle – Si, si, enfin… je crois.

Lui – On le répète une dernière fois ?

Elle – OK…

Lui – Il paraît que l’auteur est un psychopathe. Si on change un seul mot à son texte, il serait capable de nous tuer.

Elle – Et comme c’est aussi lui le réalisateur.

Lui – C’est ça le problème avec le cinéma d’auteur…

Elle – On y va ?

Lui – Je ressors, pour faire mon entrée.

Elle – Moi aussi…

Ils sortent tous les deux. Il revient après un instant, et s’assied. Elle arrive, avec une hache.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Elle retire son imperméable.

Lui – Tu as passé une bonne journée ?

Elle – Ça va.

Lui – Bon. (Silence, pendant lequel elle affûte sa hache avec une pierre) Tu as quelque chose à me dire ?

Elle – Qu’est-ce qu’on pourrait se dire de plus ? Qu’on n’ait pas déjà dit… On ne ferait que se répéter, non ?

Lui – Bien… Et… si je peux me permettre quand même… Qu’est-ce que tu fais avec cette hache ?

Elle – Ah… Ça c’est une question que tu ne m’as encore jamais posée…

Lui – Sans doute parce que c’est la première fois que tu reviens à la maison avec une hache…

Elle – Voilà… C’est la première fois… J’ai décidé de te surprendre, vieille branche…

Lui – C’est aussi la première fois que tu m’appelles vieille branche… Et alors ?

Elle – Je vais abattre l’arbre qu’il y a au fond du jardin.

Lui – Avec une hache ?

Elle – Ben oui ! Pas avec un couteau à pain.

Il s’arrête, perturbé.

Lui – Pas avec un couteau à pain ?

Elle – Ce n’est pas ce que je dois dire ?

Lui – Si. Si, si. Mais cette réplique… C’est très con, non ?

Elle – Oui, enfin…

Lui – Et si on demandait à l’auteur de la changer ? Je ne sais pas moi, on pourrait dire… Pas avec une lime à ongles, ce serait plus drôle, non ?

Elle – Tu trouves…?

Lui – Il me semble, oui.

Elle – Tu l’as dit toi-même, l’auteur a horreur qu’on change un seul mot à son texte. Je crois qu’aujourd’hui, il est d’une humeur massacrante… Et comme il y a une hache sur le plateau…

Lui – Tu as raison, on a encore besoin de ces cachets pour boucler notre intermittence cette année… Ce n’est pas le moment de se faire virer. On y retourne ?

Elle – OK.

Il se reconcentre un moment et reprend.

Lui – Ça va ?

Elle – Oui.

Elle – Je voulais te dire quelque chose.

Lui (surpris) – Ouais…

Elle – Ce n’est pas facile.

Lui – Quoi ?

Elle – Je te quitte.

Lui – Ce n’est pas dans le texte, ça ?

Elle – Non, pas ça.

Lui – On avait dit qu’on ne changeait pas le texte.

Elle – On vient de me proposer un rôle. Le rôle de ma vie…

Lui – On ?

Elle – L’auteur. Enfin, le réalisateur.

Lui – Comment ça un rôle ?

Elle – Il vient de me demander ma main.

Lui – Ta main ?

Elle – Oui, enfin, ma main… et le reste. Il me demande d’être sa femme, si tu préfères.

Lui – Il ne manque pas de culot, celui-là… Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Elle – Oui.

Lui – Alors c’est aussi simple que ça… Il te demande ta main, et tu dis oui ?

Elle – Tu ne m’as jamais demandé ma main.

Lui – Un type que tu connais à peine ?

Elle – Je le connais un peu mieux que ça…

Lui – Ah d’accord… (Un temps) Tu veux qu’on se marie, c’est ça ?

Elle – Je suis désolée. Nous deux, c’est fini.

Lui – Je ne comprends pas…

Elle – Il n’y a rien à comprendre.

Lui – Tu me quittes… alors qu’on vient d’emménager dans une nouvelle maison ?

Elle – Je te la laisse, cette maison.

Lui – Tu veux dire que tu me laisses continuer à payer le crédit tout seul…

Elle – Tu ne voulais pas d’enfant. Cette maison, elle était déjà trop grande pour nous deux.

Lui – J’aurais pu changer d’avis. Tu veux un enfant ?

Elle – C’est trop tard.

Lui – Pourquoi ?

Elle – Je suis déjà enceinte… C’est pour ça que je ne pouvais pas attendre plus longtemps pour te le dire.

Lui – Que tu es enceinte ?

Elle – Que je te quitte !

Lui – Et s’il était de moi.

Elle – Il n’est pas de toi.

Lui – Comment tu peux en être certaine ?

Elle – On n’a pas fait l’amour depuis six mois.

Lui – Tant que ça ? Tu es sûre ?

Elle – Assez pour que je sois sûre que ce bébé n’est pas de toi.

Silence, le temps pour lui d’encaisser le coup.

Lui – Très bien…

Elle – Je suis vraiment désolée…

Lui – OK…

Elle – Ça va aller ? Je veux dire… pour tourner cette scène ?

Lui – Ça ira… On est des professionnels, non ? The show must go on…

Elle – Je crois qu’il nous attend…

Lui – Ne t’inquiète pas… On va le tourner ce… film d’auteur.

Elle – Je suis contente que tu le prennes comme ça.

Lui – Et compte sur moi pour respecter le texte à la lettre…

Voix off – Si tout le monde est prêt on va la tourner. Silence sur le plateau.

Silence.

Noir

ACTE 1

Il est là. Elle arrive.

Lui – Ça y est, il est parti ?

Elle – Il repasse dans une heure, le temps qu’on se fasse une meilleure idée.

Lui – Et qu’on se décide à faire une offre… ou pas.

Ils jettent un regard autour d’eux.

Elle – Alors, qu’est-ce que tu en penses ?

Lui– J’hallucine.

Elle – Toi aussi…

Lui – C’est vrai qu’elle est absolument parfaite.

Elle – Il y a même un jardin.

Lui – Un jardin ou une cour ?

Elle – Une cour assez grande pour qu’il y ait un arbre.

Lui – Ah oui ?

Elle – J’ai beau chercher, je ne vois rien qui cloche.

Lui – Et comparée à tout ce qu’on a vu jusque-là.

Elle – Souvent plus cher…

Lui – Beaucoup plus cher.

Elle – Il doit y avoir une erreur sur le prix, ce n’est pas possible.

Lui – Ils ont oublié un zéro à la fin.

Elle – Ou alors ils sont très pressés.

Lui – C’est qui, les proprios ?

Elle – L’agent immobilier m’a dit qu’ils étaient morts.

Lui – Alors ils ne sont pas pressés.

Elle – Les héritiers le sont peut-être.

Lui – Il a dit que c’était en vente depuis plusieurs années.

Elle – Comment ça peut être en aussi bon état.

Lui – On dirait que le ménage vient d’être fait.

Elle – Je ne comprends pas.

Lui – Tu crois qu’il y a un lézard quelque part ?

Elle – J’ai beau regarder, je ne vois pas.

Lui – Le quartier a l’air très calme aussi. Et très bourgeois.

Elle – Le charme de l’ancien avec tout le confort moderne.

Lui – Rénovation totale.

Elle – Aucuns travaux à prévoir.

Lui – On se met à parler comme l’agent immobilier.

Elle – C’est dingue… On a l’impression que cette maison n’a jamais été habitée.

Lui – Tous ces murs d’un blanc immaculé.

Elle – C’est tellement propre… C’en est presque flippant.

Lui – Oui… C’est curieux…

Elle – Quoi ?

Lui – Non, rien, c’est idiot.

Elle – Vas-y… On s’apprête à s’endetter pour un demi-siècle. On passera peut-être le restant de notre vie dans cette maison… Si tu as quelque chose à dire, c’est maintenant.

Lui – Je ne sais pas… J’ai une impression bizarre.

Elle – Une impression ?

Lui – Tu ne sens pas quelque chose ?

Elle – Non… Je ne sens rien…

Lui – Comme une odeur de…

Elle – Une odeur de quoi ?

Lui – Je ne sais pas. Une odeur… de corps.

Elle – Une odeur corporelle, tu veux dire… comme dans le bus aux heures de pointe ?

Lui – Oui, quelque chose comme ça… Sauf que les passagers seraient déjà descendus.

Elle – C’est peut-être l’agent immobilier… Il n’avait pas l’air très net.

Lui – De là à ce que ça sente partout dans la maison alors qu’il est parti il y a un quart d’heure.

Elle – Ou alors c’est nous…

Lui – Nous ?

Elle – On a passé toute la matinée à courir. Même avec un bon déodorant.

Lui – Non, je t’assure… Ce n’est pas ce genre d’odeur.

Elle – Je ne sens rien… Tu es sûr ?

Lui – Il me semble…

Elle – Quel genre d’odeur ?

Lui – Je ne sais pas… Comme… l’odeur de tous ceux qui nous ont précédés.

Elle – Qui nous ont précédés ici ? Dans cette maison ?

Lui – Les propriétaires passent, les maisons restent.

Elle – De là à laisser leur odeur…

Lui – Je serais curieux de savoir à combien de personnes a déjà appartenu cette maison.

Elle – Le notaire pourra nous le dire, non ?

Lui – Tu crois ?

Elle – Ou alors on peut aller au cadastre. Remonter jusqu’au premier propriétaire. Celui qui a fait construire cette maison. Celui qui l’a habitée en premier.

Lui – Quand elle était encore vierge de toute occupation. De tout souvenir…

Elle – Quand elle n’était qu’un terrain à bâtir.

Lui – Un permis de construire.

Elle – Un projet de construction.

Lui – Un plan.

Elle – Une simple idée.

Lui – Un désir.

Elle – Quand cette maison n’était qu’un rêve de maison.

Lui – Finalement, si on remonte assez loin, il n’y a pas d’autre réalité que les rêves.

Elle – Il faudra qu’on essaie d’expliquer ça à notre banquier.

Lui – Tu as raison. Parce que pour emprunter une somme pareille…

Elle – Quand on est intermittent.

Lui – Et qu’on est même pas sûrs d’avoir tous ses cachets pour le rester.

Silence.

Elle – Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Je crois qu’il faut se décider, parce qu’à ce prix là, elle ne va pas rester longtemps sur le marché.

Elle – C’est vrai que ce n’est pas cher pour une aussi belle maison, mais est-ce qu’on a vraiment les moyens ?

Lui – Avec un crédit sur cinquante ans, ça réduira le montant à payer tous les mois.

Elle – Il faudra quand même qu’on arrête les sorties pour payer les mensualités.

Lui – Ou qu’on trouve des sources de revenus complémentaires.

Elle – Tu as des idées ?

Lui – La maison est grande. On pourrait louer une chambre à des touristes de passage, des hommes d’affaires en déplacement, des couples illégitimes…

Elle – C’est ça… Pourquoi pas ouvrir une maison close à l’étage et une salle de jeux clandestins au sous-sol ?

Lui – Ou alors, on la loue pour des tournages.

Elle – Des tournages ?

Lui – Des tournages de films.

Elle – Ah oui ?

Lui – J’ai un ami qui fait ça. Ça peut se louer très cher, il paraît, si la maison est

intéressante et correspond exactement à ce que recherche le réalisateur.

Elle – Quel genre de films on pourrait bien tourner dans cette maison ?

Lui – Je ne sais pas… Des films pornos ?

Elle – Tu imagines, si nos amis reconnaissent la maison.

Lui – S’ils reconnaissent la maison, c’est qu’ils regardent des films pornos… Il y a peu de chances pour qu’ils nous en parlent…

Elle – Oui, évidemment.

Lui – Tu préfères des films d’horreur ?

Elle – Il y a d’autres genres de films, non ? Des comédies romantiques…

Lui – Quand on pense à tout ce qui a pu se passer dans cette maison depuis qu’elle existe.

Elle – Oui… Elle a dû servir de décor à toutes sortes de scènes de la vie conjugale.

Lui – Des films en tout genre…

Elle – Pas des films d’horreur, j’espère.

Lui – Surtout des scènes de ménage, sans doute.

Elle – On essaiera de ne pas trop en rajouter…

Lui – Une maison vide, entre un déménagement et un emménagement, c’est comme le plateau nu d’un théâtre. Ou un plateau de cinéma entre deux tournages.

Elle – Les comédiens viennent de partir, en emportant leur décor.

Lui – D’autres vont arriver en apportant leurs propres accessoires et leur propre histoire.

Elle – Ceux qui arrivent ne savent rien de la pièce qui vient de se terminer.

Lui – Et ils ne savent encore pas grand-chose de la pièce qu’ils s’apprêtent à jouer.

Elle – Tragédie ou comédie ? Ou tragi-comédie…

Lui – Entre deux représentations, il ne reste qu’un plateau vide. Mais il flotte dans l’air l’odeur de tous ceux qui se sont succédés sur la scène.

Elle – Cette odeur de vie, et de mort, c’est l’odeur du théâtre.

Un temps.

Lui – Alors, on la prend ?

Elle – C’est la maison de nos rêves, non ?

Lui – Oui.

Elle – Ça me donne une idée.

Lui – Une idée de maison ?

Elle – Une idée de pièce…

Lui – Une pièce de théâtre ? Et ça s’appellerait comment ?

ElleLa maison de nos rêves

Lui – Si la pièce est un succès, elle nous permettra peut-être de rembourser la maison.

Ils se prennent par la main et regardent avec bonheur autour puis devant eux.

Noir

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Avignon – Juin 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-265-3

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