Le cœur sur la main

Le patron somnole derrière son comptoir. Deux personnages (hommes ou femmes) arrivent et s’asseyent à une table.

Un – Lui aussi, il a l’air dans un coma profond…

Deux – Qu’est-ce qu’on fait ? On le réveille ?

Un – On va attendre qu’il se réveille tout seul.

Deux – Un miracle est toujours possible.

Silence.

Un – Et pour elle alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – Franchement… je ne sais pas quoi en penser.

Un – Il va bien falloir prendre une décision. Le médecin a dit qu’il fallait faire vite.

Deux – Oui.

Un – Évidemment, la logique voudrait qu’on dise oui.

Deux – La logique ? C’est notre sœur, quand même…

Un – Oui… Tu l’as déjà entendu évoquer ce sujet devant nous ?

Deux – Ça faisait des années qu’on ne se voyait plus… et même avant, ce n’était pas le genre de conversation qu’on avait ensemble.

Un – Donc c’est à nous de décider. Comme si c’était pour nous.

Deux – Tu veux dire… comme si on avait besoin d’une transplantation ?

Un – Comme si on était à sa place ! À la place du mort… Qu’est-ce que tu ferais toi ? Si tu pouvais décider de donner tes organes ou de les emporter avec toi dans ta tombe…

Deux – Évidemment, sur le principe… Quitte à mourir, si on peut sauver une vie…

Un – D’un autre côté…

Deux – Imaginer qu’on va lui ouvrir la poitrine et lui prendre son cœur pour le mettre dans la poitrine de quelqu’un d’autre…

Un – Quelqu’un qu’on ne connaît même pas.

Deux – Encore heureux… Il ne manquerait plus qu’on le connaisse. Tu préférerais le connaître, toi ?

Un – Je préférerais qu’elle ne soit pas morte.

Un temps.

Deux – D’ailleurs est-ce qu’on peut dire qu’elle est vraiment morte ?

Un – D’après les médecins, elle est en état de mort cérébrale.

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? Tu le sais, toi ?

Un – En gros, la maison est encore debout, le chauffage n’a pas encore été coupé, mais il n’y a plus personne dedans. Le propriétaire est parti, il a jeté la clef et il ne reviendra jamais.

Deux – D’accord.

Un – Donc il s’agit de récupérer la chaudière pour l’installer dans une autre maison où la chaudière est en panne, pour que le propriétaire puisse continuer à vivre dedans sans se les geler.

Deux – Ça y est, tu as fini avec tes métaphores de plombier ?

Un – Je t’explique…

Deux – Donc toi, tu es plutôt pour ?

Un – Toi aussi, non ? Tu savais bien qu’on finirait par en arriver là.

Deux – Oui…

L’autre sort un papier.

Un – Allez, finissons-en… (Lui tendant le papier) Il faut signer là.

Deux – Vas-y toi… Moi je ne pourrai pas…

Un – Non, mais il faut nos deux signatures.

Deux – Tu n’as qu’à imiter la mienne.

Un – Mais ce sera un faux…

Deux – De quoi tu as peur ? Que je te fasse un procès pour avoir imité ma signature ?

Un – Mais si tu es d’accord, pourquoi tu ne signes pas ?

Deux – Je suis d’accord, mais je ne pourrai pas signer, c’est tout. Tu peux comprendre ça, non ? (Se levant pour sortir) Pour une fois que je te demande quelque chose !

Un – Mais enfin… tu la détestais.

Deux – Justement… Si c’était un geste d’amour, encore… Ce serait plus facile pour moi. Mais là… je ne me sens pas de décider pour elle. (Le patron émerge de derrière son comptoir.) Tiens, il s’est réveillé, celui-là… Tu vois, on n’est jamais à l’abri d’un miracle !

Le personnage sort, laissant l’autre perplexe. Le patron arrive.

Patron – Qu’est-ce que je vous sers ?

À cœurs ouverts