Malchance

Un personnage est assis à une table devant un verre plein et un autre vide. À côté un seau à champagne avec une bouteille de Blanquette de Limoux. Un autre personnage arrive.

Un – Comment est votre Blanquette de Limoux ?

Deux – Ma blanquette est bonne.

Un – C’est un mot de passe pour cinéphile…

DeuxLe Caire, Nid despions, mon préféré. Je vous en sers un peu.

Un – Volontiers.

Lautre le sert. Ils trinquent.

Deux – À notre contrat.

Un – Je n’ai pas encore dit oui. De quoi s’agit-il exactement ?

Deux – De tuer quelqu’un.

Un – Je suis tueur à gages. En général, c’est pour ça qu’on me sollicite. Mais de qui voulez-vous vous débarrasser ?

Deux – De moi-même.

Un – Pardon ?

Deux – Oui, je sais, c’est sans doute inhabituel, mais après tout, pour vous qu’est-ce que ça change ?

Un – Rien, c’est vrai.

Deux – Ça n’a même que des avantages. La victime est consentante, personne ne viendra jamais se plaindre, et donc vous êtes sûr de ne pas être inquiété.

Un – Dans notre métier, on n’est jamais sûr de rien, vous savez. La question, ce serait plutôt… pourquoi ne pas le faire vous-même ?

Deux – Parce que je n’ai pas le courage, tout simplement.

Un – Je comprends. Tuer quelqu’un, c’est une chose. Se tuer soi-même, c’en est une autre. Moi-même si je voulais en finir un jour, je pense que je ferais appel à un collègue.

Deux – Et puis je ne veux pas faire de peine à mes proches, vous comprenez. Un suicide, c’est toujours très lourd à porter pour ceux qui restent. Et pourquoi est-ce que je n’ai rien vu venir ? Et si j’avais su, est-ce que j’aurais pu l’empêcher ?

Un – Bien sûr.

Deux – Un accident, ou même un meurtre, ça passe beaucoup mieux.

Un – Je dois avouer que nous avons de plus en plus de demandes comme la vôtre. Au début, j’avais un peu de mal, et puis… Quand on peut rendre service…

Deux – Je vous assure que vous me rendrez un grand service.

Un – Mais si je peux me permettre… Pourquoi ?

Deux – La lassitude, tout simplement… L’impression que ce que j’avais à faire sur cette terre est déjà derrière moi.

Un – Et si vous changiez d’avis ?

Deux – Hélas. Chaque jour qui passe me conforte dans cette décision.

Un – Quoi qu’il en soit, si vous changiez d’avis, vous avez juste à me passer un SMS.

Deux – D’accord.

Il sort une enveloppe de sa poche et la pousse sur la table vers lautre.

Deux – Voilà, comme convenu.

Un – Très bien.

Deux – Vous ne recomptez pas ?

Un – Là où vous allez, qu’est-ce vous pourriez bien faire de quelques euros que vous ne m’auriez pas donné ?

Deux – C’est vrai.

Un – Vous avez l’air sympa. Ça me fera de la peine de…

Deux – Moi aussi, vous m’êtes plutôt sympathique. Et tant qu’à faire, je suis content que ce soit vous qui vous vous en occupiez…

Un – Comme je vous l’ai dit, je me donne un mois pour exécuter ce contrat. Donc ça peut-être demain comme le mois prochain. Vous ne saurez ni le jour, ni l’heure, ni l’endroit…

Deux – Et s’il vous arrive quelque chose d’ici là ?

Un – Quelque chose ?

Deux – Si c’est vous qui mourez avant moi.

Un – Il y a peu de chances que ça arrive mais dans ce cas, je crains que vous ne deviez continuer à vivre encore un peu

Deux – Alors prenez bien soin de vous.

Lautre se lève, fait un signe dadieu, et sen va. Celui qui reste finit son verre. On entend un crissement de pneus suivi dun bruit de collision.

Deux – Et merde. Ça fait le troisième cette semaine…

Noir