Couple

Vendredi 13

Friday the 13th – 13 y Martes – Sexta feira 13 –  Venerdi 13 – Freitag, der 13. – Pátek 13.Vrijdag de 13e – Петък 13  –  تحميل مجاني –  Petak 13.– Пятница 13-е – Jumat Tanggal 13 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

3 ou 4 personnages : 3F, 1H/2F, 2H/1F, 3H ou 4F, 1H/3F, 2H/2F, 3H/1F, 4H

Quand on apprend au cours de la même soirée que son meilleur ami s’est crashé en avion et qu’on a soi-même gagné au loto, comment cacher sa joie devant la veuve potentielle ?

Jérôme et Christelle ont invité à dîner un couple d’amis. Mais Madame arrive seule, effondrée. Elle vient d’apprendre que l’avion qui ramenait son mari à Paris s’est crashé en mer. Suspendu aux nouvelles avec la veuve potentielle pour savoir si son mari fait partie ou non des survivants, le couple apprend qu’il vient de gagner au super tirage du loto de ce vendredi 13. Le mot d’ordre est dès lors « cache ta joie »… Nombreux rebondissements à prévoir au cours de cette soirée mouvementée…


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VENDREDI 13 ADAPTATION QUÉBÉCOISE

 


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CAPTATION VIDÉO INTÉGRALE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


BANDE ANNONCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ayant déjà fait l’objet de plusieurs centaines de montages professionnels ou amateurs, en France et à l’étranger, en français ou en espagnol, Vendredi 13 a notamment été représenté à Paris (Théâtre Montmartre Galabru, Guichet Montparnasse, Blancs Manteaux, Theo Théâtre, Théâtre Le Bout), à Lyon (Nombril du Monde), à Avignon (Théâtre des Vents), à Nice (Théâtre de l’Alphabet), à New York (Producers Club Theater de Broadway), à Los Angeles (Teatro Frida Kahlo)…

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Le mot de l’auteur sur la pièce

Vendredi 13, ça porte bonheur ou ça porte malheur ? Personne ne s’est encore vraiment mis d’accord là dessus. Alors pourquoi pas les deux en même temps ? Pour écrire cette comédie de situation contemporaine, j’ai décidé de faire cohabiter lors d’une même soirée entre amis le bonheur des uns (le gain de la super cagnotte du loto) et le malheur des autres (la disparition probable d’un être cher). Comment à partir de là un couple de multimillionnaires en puissance parviendra-t-il à cacher sa joie devant la veuve potentielle dont ils sont supposés, au nom de l’amitié, partager la peine ? Le meilleur comique résulte souvent du conflit entre le drame et la comédie. Et il n’y a pas de pire fou-rire que celui qui vous prend lors d’un enterrement…

Cette pièce, à ce jour mon plus grand succès, est une comédie de situation basée, comme toute bonne histoire, sur un conflit majeur. Comment dans une même soirée gérer à la fois le plus grand des malheurs qui puisse arriver à un ami, et le plus grand des bonheurs qui puisse vous arriver à vous-même ? Qu’est-ce qui au final l’emportera ? La compassion pour l’autre ou le pure égoïsme ? Cette comédie, comme beaucoup d’autres de mon répertoire, s’amuse de l’hypocrisie sociale. Le supposé souci des autres constitutif des bonnes manières peut-il résister à la perspective de l’enrichissement personnel ? Comme souvent aussi dans mes comédies, l’avidité, cependant, ne sera pas récompensée, et les héros déçus de cette tragicomédie auront peut-être tiré à la fin une certaine leçon de cette expérience… Tout humoriste est aussi un moraliste ! S’il semble afficher un certain cynisme, c’est d’abord parce qu’il regrette que le monde ne soit pas davantage gouverné par des valeurs humanistes.


TEXTE INTÉGRAL VERSION 1H/2F À LIRE OU IMPRIMER

Vendredi 13

Personnages

Jérôme – Christelle – Nathalie – Patrick (optionnel)

 La salle de séjour d’un appartement bobo affichant encore quelques signes de sa splendeur passée. Une peinture avant-gardiste est posée par terre contre le mur du fond. Le reste est déjà dans les cartons. Dans un coin, un sapin de Noël enguirlandé. Personne sur scène. Le téléphone sonne, et on entend le message d’accueil :

Jérôme (voix off) – Bonjour ! Vous êtes bien chez Jérôme et Christelle. Nous sommes momentanément retenus à la Brigade Financière pour une affaire de fraude fiscale, mais vous pouvez nous laisser un message après le bip sonore. Nous vous rappellerons dès la fin de notre garde à vue. Parlez, c’est à vous…

On entend le bip sonore, suivi du message laissé sur le répondeur :

Patrick (voix off) – Ouais, salut, c’est Patrick. Ça va ? Je suis con, tu ne peux pas me répondre… Bon, c’est toujours d’accord pour ce soir, mais…

Entre Jérôme, un sac Leader Price dans une main, un sac Ed dans l’autre, et une baguette sous un bras. Encombré, il ne prend pas la peine de décrocher et se contente d’écouter la suite du message :

Patrick (voix off) – … on arrivera plutôt vers 20H30. Mon avion atterrit à Beauvais. Le temps de sauter dans un bus, de déposer ma valise à la maison, et de repartir en bagnole avec Nathalie… Ah, au fait, merci pour la valise. J’en profiterai pour vous la ramener. Bon ben, à toute ! Et ne vous cassez pas trop la tête, hein ? C’est un dîner entre amis…

Jérôme va poser ses sacs à la cuisine et revient un cubitainer de vin de pays bas de gamme à la main. Il enlève son imper, et sort une carafe à vin d’un placard. Il débouche le cubitainer, place un entonnoir sur le goulot de la carafe, et la remplit. Christelle arrive.

Christelle – Salut ! Ça va ?

Jérôme – Patrick a appelé, ils arriveront un peu en retard.

Christelle – Tant mieux, parce qu’on n’est pas trop en avance…

Elle retire son manteau.

Christelle – On se gèle, non ? Il fait encore plus froid que dehors…

Jérôme – J’ai arrêté le chauffage. On est supposé faire des économies, non ?

Christelle remarque enfin ce qu’il est en train de faire.

Christelle (étonnée) – Qu’est-ce que tu fais ?

Jérôme – Ben tu vois, je mets le vin en carafe. Faut que ça respire un peu, le vin, avant de le boire. C’est meilleur, il paraît.

Christelle – Ce n’était peut-être pas la peine d’investir dans un grand millésime… Parce qu’à choisir, je préférerais qu’on économise sur le vin que sur le chauffage…

Jérôme – C’est un vin de pays. Ne me demande pas de quel pays. Pas de la Communauté Européenne, en tout cas. Un euro vingt-quatre le litre chez Leader Price. Une promo pour les Fêtes de Noël…

Christelle – Alors pourquoi tu le mets en carafe ?

Jérôme (ironique) – C’est le sommelier de chez Leader Price qui m’a conseillé de faire ça. Pour que ce précieux nectar exhale toutes ses nuances de fruits rouges et de vanille. Avec quand même un léger arrière-goût de raisin… (Redevenant sérieux) À ton avis ? Tu préfères qu’on mette directement le cubitainer sur la table ?

Christelle – Ah, d’accord…

Jérôme – Et puis ça ne peut pas lui faire de mal non plus, à cette piquette, de s’oxygéner. Le vin de pays, c’est comme l’eau du robinet. Il vaut mieux que ça décante un peu avant de le boire. Que les gaz toxiques aient le temps de s’évaporer, et les métaux lourds de se déposer au fond…

Christelle – Tu t’es occupé des courses ?

Jérôme – J’ai pris une tourte aux artichauts chez Picard Surgelés, il y aura juste à la faire décongeler.

Christelle – Une tourte aux artichauts ?

Jérôme – C’était en promo aussi… Avec une salade…

Christelle – Bon, je vais préparer l’apéritif.

Christelle commence à sortir des verres.

Christelle – Tu es passé à l’ANPE ?

Jérôme – Ouais…

Christelle – Alors ?

Jérôme – Ils m’ont proposé un stage…

Christelle – Un stage…?

Jérôme – Chez un restaurateur.

Christelle – Ah, tu vois. La baisse de la TVA, ça a quand même des effets positifs sur l’emploi…

Jérôme – Un restaurateur de tableaux…

Christelle – Mais… tu as un diplôme d’ingénieur en informatique !

Jérôme – Il paraît qu’il faut être polyvalent, maintenant…

Christelle – Quand même. Avant d’être licencié, tu étais cadre. Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir encadrer chez un restaurateur de tableaux ?

Jérôme – Des tableaux…

Christelle – Et tu y es allé.

Jérôme (parlant du tableau posé contre le mur du fond) – J’en ai profité pour faire évaluer notre toile…

Christelle – Ah, oui… Cette croûte que tu as acheté une fortune il y a dix ans à ton copain des Beaux-Arts…

Jérôme – C’était juste après sa première tentative de suicide… C’était pour le dépanner. Et puis je me suis dit que ça ne pouvait que prendre de la valeur…

Christelle – Si ça pouvait au moins nous permettre de payer le chauffage… Et alors, il te l’a estimé à combien, ce chef d’œuvre, ton restaurateur ?

Jérôme – Une bonne centaine d’euros…

Christelle – Tu l’as acheté 1500 !

Jérôme – Non, mais tu as vu comment la cote de Van Gogh a explosé juste après sa mort ?

Christelle – Il n’y a plus qu’à espérer que ton génie de la peinture réussisse son suicide avant que nous on soit mort de froid… (Soupirant) On ne peut même pas rêver que le cadre prenne de la valeur, il n’y en a pas…

Jérôme – C’est ça le problème, avec la peinture moderne…

Christelle – J’espère au moins que Patrick va nous rembourser les 1000 euros que tu lui as généreusement prêtés. Ça nous permettrait de payer le garde-meuble en attendant le logement social que nous a promis ton cousin du PS à la mairie… Tu lui en as parlé, au fait ?

Jérôme – De notre logement ?

Christelle – De nos 1000 euros ! À Patrick !

Jérôme – Je me demande si c’est vraiment le moment… Ce n’est pas facile pour lui non plus en ce moment. Tu sais que France Télécom vient de le délocaliser dans un centre d’appel à Mulhouse ? Tu te rends compte ? À Mulhouse ! Il était Directeur des Ressources Humaines à La Défense… Et ce n’est pas Nathalie, avec son salaire d’instit à mi-temps…

Christelle – Et moi ? Tu sais, en ce moment, conseillère financière chez Natexis, ce n’est pas vraiment un emploi stable… Aller expliquer aux clients comment bien placer leurs économies quand on travaille dans une banque au bord de la faillite à cause de ses placements hasardeux…

Jérôme – Ok, je lui en parlerai ce soir…

Le téléphone sonne.

Christelle – Ah, ça doit être eux… (Elle décroche le combiné) Allo…? Oui, bonsoir Nathalie, ça va ? Ah, d’accord… Non, non, pas de problème, Nathalie… Ok, on t’attend… À tout de suite, Nathalie… (Elle raccroche le combiné) C’était Nathalie…

Jérôme – Oui, je ne sais pas pourquoi, mais dès que tu as décroché et tu as dit : Bonsoir Nathalie, je me suis tout de suite douté que c’était elle…

Christelle – L’avion de Patrick a du retard, alors elle arrive toute seule en voiture…

Jérôme – Et lui ?

Christelle – Elle lui a laissé un message sur sa boîte vocale pour qu’il nous rejoigne directement ici. Je crois qu’on prendra l’apéro sans lui…

Jérôme – Quelle idée, aussi, de prendre l’avion pour revenir de Mulhouse…

Christelle – Oui… Surtout que ça le fait atterrir à Beauvais. Mais bon, maintenant, avec les low cost, un aller-retour Mulhouse, c’est moins cher qu’un ticket de métro…

Jérôme s’approche d’elle et la prend dans ses bras.

Jérôme – Allez, on va s’en sortir.

Christelle – Bien sûr… Et puis tant qu’on est tous les deux, il ne peut rien nous arriver de grave, non ?

Jérôme – Je préfère boire du vin de pays avec toi, que de déguster de la Veuve Clicquot avec n’importe qui d’autre.

Christelle – La chance va tourner, je le sens. C’est bientôt Noël. Et puis c’est vendredi 13, aujourd’hui, non ?

Jérôme – On va peut-être gagner au loto.

Christelle – On ne joue pas…

Jérôme – J’ai pris un billet au tabac, quand on est allé voir ta mère à Cabourg… J’ai joué mon numéro d’immatriculation aux ASSEDIC…

Christelle – Je me sens tout de suite plus rassurée…

Ils s’embrassent.

Jérôme – Et Nathalie ? Elle est sur la route ?

Christelle – Ça fait un quart d’heure qu’elle tourne en bas pour essayer de trouver une place…

Jérôme – C’est sûr qu’avec une Smart, ce n’est pas très facile de se garer, mais bon… Si elle apprenait à faire les créneaux, ça pourrait l’aider un peu, non…?

Christelle commence à sortir les bouteilles. La sonnette de l’entrée retentit.

Christelle – Tu vois, tu es médisant… Tu vas ouvrir…?

Jérôme va ouvrir.

Jérôme – Salut Nathalie ! Ben qu’est-ce qui t’arrive, tu es toute blanche ? On dirait que tu viens de voir un mort…

Nathalie arrive avec Jérôme. Elle tient une bouteille de champagne à la main et elle a l’air en effet effondrée.

Nathalie (en larmes) – Tu ne crois pas si bien dire…

Christelle approche, affolée.

Christelle – Mais qu’est-ce qui se passe, Nathalie ?

Nathalie – Je m’apprêtais à couper l’autoradio, et à sortir de la voiture… C’était l’heure des informations… (Un temps) L’avion de Patrick s’est crashé en mer…

Jérôme – En mer ?

Christelle – Tu es sûre que c’est son avion ?

Jérôme – Il venait de Mulhouse…

Nathalie – C’était un low cost, avec une correspondance à Londres. Ils ont donné le numéro de vol et le nom de la compagnie. Il n’y a aucun doute. L’avion a disparu au dessus de La Manche…

Nathalie éclate en sanglots. Jérôme et Christelle échangent un regard désemparé, ne sachant pas quoi dire.

Christelle – Écoute, ils vont peut-être le retrouver…

Jérôme – La Manche, ce n’est pas bien grand…

Christelle – Le pilote a peut-être réussi à poser l’avion sur l’eau…

Jérôme – Entre deux pétroliers…

Christelle – Ça s’est déjà vu…

Jérôme – Pas très souvent, mais ça s’est vu…

Nathalie (faiblement) – Vous croyez…?

Christelle – Qu’est-ce qu’ils ont dit, à la radio ? Ils ont dit qu’il n’y avait pas de survivants ?

Nathalie – Ils ne savent pas encore…

Christelle – Eh ben tu vois !

Jérôme – Et puis l’avion, ça reste quand même le moyen de transport le plus sûr au monde ! D’après les statistiques, quand tu prends l’avion, tu n’as qu’une chance sur un million d’y rester. À peu près autant de chances que de gagner au loto, alors tu vois…

Christelle lui lance un regard consterné.

Nathalie (effondrée) – Et il a fallu que ça tombe sur Patrick… Je lui avais dit de ne pas prendre l’avion un vendredi 13…

Jérôme – Bon, en tout cas, c’est que La Manche… Ils retrouveront au moins les boîtes noires…

Nathalie craque à nouveau.

Nathalie – Oh, mon Dieu, mais qu’est-ce que je vais devenir sans lui ? Avec les deux enfants, et le crédit sur la maison…

Jérôme et Christelle échangent un regard impuissant, ne sachant pas trop quoi faire.

Nathalie (pathétique) – Et dire qu’on vous devait encore 1000 euros…

Christelle – Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas le problème !

Nathalie tend à Jérôme sa bouteille de champagne.

Nathalie – Tenez, je vous avais apporté une bouteille de champagne, pour vous remercier. Si j’avais su…

Jérôme – Veuve Clicquot… Et ben, tu ne t’es pas foutue de nous…

Nathalie – C’est un cauchemar… Dites-moi que ce n’est pas vrai !

Jérôme (pris d’un doute) – Ce n’est pas une blague, au moins ?

Christelle lui lance un regard incendiaire.

Christelle – Allez, viens, assieds-toi. On va mettre la télé pour avoir des nouvelles, d’accord ?

Christelle allume la télé. C’est l’heure de la page publicitaire.

Commentateur (voix off) – Vous savez la différence entre ces deux cercueils ? Le prix ! Leclerc, parce que la vie est déjà assez chère…

Christelle change de chaîne précipitamment.

Commentateur (voix off) – Lion, ce n’est vraiment pas votre jour de chance…

Nathalie – Je suis Lion…

Commentateur (voix off) – Évitez les voyages…

Christelle – Mais ce n’est pas toi qui étais dans l’avion…

Commentateur (voix off) – Et si vous ne pouvez pas faire autrement, préférez le train à l’avion…

Nathalie – Patrick est lion aussi…

Christelle – On va mettre la radio, plutôt…

Commentateur (voix off) – … 60 millions d’euros. C’est le montant qu’empochera le gagnant de la super cagnotte du loto en ce vendredi 13. Le tirage dans un instant…

Christelle change de station.

Commentateur (voix off) – On est toujours sans nouvelle du vol 32 bis de la Compagnie Travel Discount Airways en provenance de Mulhouse et à destination de Beauvais via Bruxelles et Londres…

Nathalie – Vous voyez, c’est bien lui…

Commentateur (voix off) – Le pilote aurait émis un signal de détresse juste avant que l’avion ne disparaisse des écrans radar. Nous vous tiendrons bien sûr informés dès que des informations plus précises nous parviendront…

Christelle éteint la radio.

Christelle – Il faut attendre… Il n’y a rien d’autre à faire pour l’instant… Je vais te servir un verre, ça va te remonter le moral.

Jérôme – On ne va quand même pas déboucher le champagne…

Nathalie (apercevant la carafe) – Je vais prendre un verre de vin. Puisqu’il est déjà ouvert…

Christelle – Tu es sûre que tu ne préfères pas autre chose ?

Nathalie – Ça ira, je t’assure…

Jérôme sert un verre de vin et le tend à Nathalie, qui le vide d’un trait. Sous le regard des deux autres un peu inquiets.

Nathalie (à Jérôme) – Tu vois, avec ce qui m’arrive, je n’ai plus le goût à rien… Je n’arrive même plus à apprécier un grand vin…

Jérôme – Ouais…

Nathalie (soudain paniquée) – Oh mon Dieu, ma mère !

Christelle – Elle était dans l’avion, elle aussi ?

Nathalie – Les enfants sont chez elle. S’ils regardent la télé…

Nathalie se précipite sur son portable et compose en hâte un numéro.

Nathalie – Allo, maman ? Oui, je sais, je suis au courant… Les enfants ne sont pas devant la télé, au moins ? Ils sont couchés ? (Soupir de soulagement) Bon, je n’ai vraiment pas envie d’en parler maintenant… Je te rappelle, d’accord… Écoute, garde tes condoléances pour plus tard… Il n’est pas encore mort, non…? Oui, c’est probable, mais ce n’est pas encore sûr, alors si tu permets… Tu l’as toujours détesté, de toute façon… Combien de fois tu m’as répété que ce n’était pas un homme pour moi… Que j’aurais pu trouver mieux… Et puis merde !

Nathalie raccroche, furieuse. Jérôme et Christelle la regardent avec un air un peu gêné et compatissant.

Nathalie – Elle n’a jamais pu supporter Patrick… Je suis sûre qu’au fond, elle est contente…

Christelle – Allez, ne dis pas ça…

Nathalie – Le jour de notre mariage, elle a prétexté que mon père était malade pour ne pas assister à la cérémonie…

Jérôme – Mais ton père était vraiment malade, non ? Il est mort quelques mois après…

Nathalie – Oui, le jour de la naissance de Maxime… Exprès pour m’emmerder…

Christelle – Tu veux que j’aille te chercher un calmant ?

Nathalie – Je suis désolée de vous embêter avec ça… Je ne vais pas vous gâcher la soirée. (Elle se lève pour partir) Je vais m’en aller, ça vaudra mieux…

Christelle – Mais enfin, Nathalie ! On est amis, non ? À quoi ça sert d’avoir des amis si on ne peut pas se reposer sur eux dans des moments comme ça ?

Nathalie (se rasseyant) – Je savais que je pouvais compter sur vous… Et puis j’avoue que je n’ai pas très envie de me retrouver toute seule à la maison, devant le sapin, pendue à la radio en attendant le verdict…

Jérôme – On devrait peut-être écouter s’il y a du nouveau…

Nathalie – Je me demande si j’ai envie de savoir… (Un temps) Vas-y, allume-la…

Christelle – Ok.

Christelle rallume la radio.

Commentateur (voix off) – … Les avions qui survolent la zone ont repéré une grande tache d’hydrocarbure à la surface de l’eau. Mais on ignore encore si elle provient de l’avion de la compagnie Pas Trop Cher Travel Discount Airways qui, je vous le rappelle, s’est abîmé dans la Manche il y a une heure à peine. Nous attendons une liaison avec notre envoyé spécial, présent à bord de l’un des hélicoptères de secours… En attendant, sans transition, les résultats du loto…

Nathalie – Une flaque de kérosène… Ça veut bien dire que l’avion s’est crashé… Comment voulez-vous qu’il puisse y avoir des survivants…?

Jérôme et Christelle ne savent pas trop quoi dire pour lui remonter le moral.

Commentateur (voix off) – … Le numéro qu’il fallait jouer est donc le 1 5 2 7 9 6 et le numéro complémentaire le 10…

Jérôme semble se figer.

Christelle – Si le pilote a réussi à poser son avion sur l’eau, certains passagers ont pu sortir avant que l’appareil coule au fond…

Commentateur (voix off) – L’heureux gagnant empochera donc la coquette somme de 60 millions d’euros. De quoi envisager l’avenir avec…

Christelle éteint la radio.

Jérôme – C’est…

Nathalie – Quoi ?

Jérôme – Non, non, rien…

Christelle – Tu as déjà pris l’avion. Rappelle-toi. Ce que racontent les hôtesses de l’air avant le décollage. Les masques à oxygène qui tombent automatiquement, les gilets de sauvetages sous les sièges, les sorties de secours à chaque extrémité de l’appareil, les toboggans d’évacuation, tout ça… Il y a quand même des procédures en cas de danger… Tout est prévu…

Jérôme sort plus ou moins discrètement de sa poche une carte ASSEDIC et la regarde.

Nathalie – Les hôtesses de l’air… Tu parles… Ça pour les regarder, Patrick les regarde… Quant à écouter ce qu’elles racontent… Tu sais comment sont les hommes…

Jérôme (à Christelle qui ne l’écoute pas) – Oh, putain !

Nathalie – Tiens, Jérôme, par exemple. Tu sais ce qu’elles racontent, toi ?

Jérôme est pris au dépourvu.

Jérôme – Quoi ? Qui ?

Nathalie (à Christelle) – Tu vois… Qu’est-ce que je disais…

Christelle (à Jérôme) – L’hôtesse de l’air, qu’est-ce qu’elle dit, avant le décollage ? En cas de… dépressurisation de l’appareil.

Jérôme (pétant les plombs) – Le… Les parachutes sous les sièges, le tuba qui tombe du plafond, les palmes dans la boîte à gants, tout ça ?

Christelle lance un regard de reproche à Jérôme.

Christelle (à Nathalie) – Et personne ne t’a appelée ?

Nathalie – Patrick est sûrement déjà au fond de La Manche. Comment veux-tu qu’il m’appelle ?

Complètement ailleurs, Jérôme a rallumé la télé.

Commentateur (off) – Je vous rappelle que le numéro gagnant de ce super tirage du vendredi 13 est le 1 5 2 7 9 6. Numéro complémentaire le 10. Pour un montant de 60 millions d’euros…

Jérôme examine à nouveau sa carte ASSEDIC.

Jérôme – Oh, putain…

Christelle éteint la télé.

Christelle – Non, je veux dire… Il y a sûrement une cellule psychologique… Dans ces cas là, ils mettent toujours en place une cellule psychologique… Pour prévenir les proches… Les soutenir… Tout ça…

Jérôme (à Christelle) – Je peux te dire un mot ?

Christelle – Quoi ?

Jérôme – En particulier…

Le portable de Nathalie se met à sonner.

Christelle – Tu vois, ça doit être eux…

Nathalie – Je ne suis pas sûre de vouloir savoir…

Le téléphone continue à sonner.

Christelle – Tu veux que je décroche à ta place ?

Nathalie – Oh, oui, s’il te plaît…

Christelle prend la communication.

Christelle – Allo… Oui… Non… Ah, d’accord… Ah, bon… Non, non… Si, si, on est très contents, bien sûr. Ok, merci…

Christelle repose le téléphone.

Nathalie – Alors ?

Christelle (dans un état second) – C’était ton gynéco… Au sujet de ton analyse de sang…

Nathalie – Et alors ?

Christelle – Ben… Tu es vraiment enceinte…

Nathalie (effondrée) – Oh, mon Dieu…

Christelle – Je te sers un autre verre de vin ?

Nathalie – Oui, merci…

Christelle remplit à nouveau le verre de Nathalie.

Jérôme (à Christelle) – Euh… Il faut absolument que je te dise quelque chose…

Christelle (à Jérôme) – Tu crois vraiment que c’est le moment ?

Jérôme – C’est très important, je t’assure…

Le regard de Nathalie tombe sur le tableau.

Nathalie – Il est vraiment bizarre, ce tableau, vous ne trouvez pas…?

Christelle – Euh… Si, un peu, oui…

Christelle lui donne le verre.

Nathalie – Le type qui a peint ça devait être sacrément dépressif. (À Jérôme) C’est un ami à toi ?

Jérôme – Oui, enfin… C’est un hongrois, je crois.

Nathalie – Ah, oui, ça se voit. (À Jérôme) Il s’est suicidé ?

Christelle – Pas encore, malheureusement…

Nathalie vide son verre d’un trait.

Nathalie (à Christelle) – Tiens, sers m’en un autre…

Christelle – Tu ne devrais peut-être pas trop boire quand même. Dans ton état…

Jérôme (ne sachant pas quoi dire) – Alors comme ça, vous attendez un heureux événement ?

Christelle le fusille du regard.

Jérôme (à Christelle) – Il faut vraiment que je te parle…

Nathalie – Tu as raison, j’ai la tête qui tourne. Je vais aller prendre un peu l’air sur le balcon.

Christelle – Tu veux que je vienne avec toi ?

Nathalie – Merci. J’ai besoin d’être un peu seule…

Christelle – Ok.

Nathalie sort sur le balcon. Jérôme attend impatiemment qu’elle ait disparu.

Jérôme – Tu ne devineras jamais ce qui nous arrive…!

Christelle (ailleurs) – Enceinte… Tu te rends compte ?

Jérôme – Tu es enceinte ? Mais c’est merveilleux ! Tu vois, il y a encore un quart d’heure, j’aurais pris ça comme une catastrophe naturelle. Mais là, je prends tout du bon côté. Et tu sais pourquoi ?

Christelle – Mais ce n’est pas moi qui suis enceinte !

Jérôme – Ah oui, c’est vrai. Autant pour moi…

Christelle – C’est pourtant vrai que vous n’écoutez rien quand on vous parle…

Jérôme – Qui est enceinte, alors ?

Christelle – Nathalie ! Tu te rends compte ? Dans la même journée, elle apprend que son mari a disparu dans un crash aérien, et qu’elle attend un enfant de lui…

Jérôme – Comment tu sais qu’il est de lui ?

Christelle (estomaquée) – Je ne sais pas… L’intuition féminine…? Comme les deux premiers sont de lui, et que Patrick est son mari, c’est le premier nom qui m’est venu à l’esprit. C’est con, hein ?

Jérôme – Bon, de toute façon, ce n’est pas la question… Tu sais quoi ?

Christelle – Quoi ?

Jérôme – On a gagné !

Christelle (regardant vers le balcon) – Oh, mon Dieu !

Jérôme – Ça fait un choc, hein ?

Christelle – Nathalie ! Elle est en train d’enjamber le balcon !

Jérôme se retourne et voit la scène.

Jérôme – Oh, putain ! Elle va nous faire chier longtemps celle-là… Qu’elle saute et qu’on n’en parle plus. On est au premier étage, de toute façon. Elle ne se ferait pas bien mal…

Sans l’écouter, Christelle s’approche de la fenêtre.

Christelle – Je t’en prie, Nathalie ! Ne fais pas ça ! Pense à tes enfants ! C’est Noël, quand même…

Nathalie – Promets-moi que si je saute, tu t’en occuperas. Tu ne les laisseras pas partir à la DASS, hein ?

Christelle – Oui, je te le promets…

Jérôme – Il ne manquait plus que ça…

Christelle – Je veux dire non, ne saute pas ! (À Jérôme) Dis quelque chose, toi !

Jérôme – Pour les enfants, il y a ta mère, non ?

Nathalie – Je préfère encore qu’ils aillent à la DASS.

Christelle – Il faudrait peut-être appeler les pompiers…

Jérôme – C’est bon, il n’y a pas le feu. Je vais la faire descendre de là…

Nathalie – N’approchez pas, ou je saute.

Christelle – Qu’est-ce qu’on fait ?

Jérôme – Attends je reviens…

Christelle – Ne me laisse pas toute seule !

Jérôme disparaît dans le couloir.

Nathalie (pathétique) – Moi aussi, je vais me crasher en bas. Comme un avion sans aile. Je vais aller rejoindre mon Patrick…

Christelle – Tu crois vraiment que c’est ce qu’il voudrait ? Je veux dire, il préférerait sûrement que tu restes en vie pour t’occuper de vos enfants. Et puis imagine qu’il ne soit pas vraiment mort. Il sonne à la porte, et il te trouve écrasée en bas du balcon.

Ce n’est pas la porte qui sonne, mais le portable de Nathalie.

Christelle – Ah, tu vois ? Si ça se trouve, c’est lui… Ben vas-y, décroche…

Nathalie (hésitante) – Oui…?

Christelle (en direction de l’endroit où a disparu Jérôme) – J’espère que ce n’est pas encore sa gynéco. Pour lui annoncer que finalement, c’est des jumeaux…

Nathalie – Oui, je vous écoute… Vous êtes sûrs ? D’accord. Non, non, ne vous inquiétez pas. Ok, merci, je reste à côté du téléphone…

Christelle – Qu’est-ce qui se passe ?

Nathalie – C’était eux… La cellule de soutien psychologique…

Christelle – Et alors ?

Nathalie – Ils ont retrouvé des survivants… Patrick pourrait se trouver parmi eux…

Christelle – Mais c’est génial ! Tu vois ? Imagine que tu aies sauté, dans un moment de désespoir…

Jérôme revient.

Jérôme – Oui, elle se serait au moins foulé la cheville…

Christelle – Allez, descends de là… (À Jérôme) La cellule d’urgence vient de l’appeler. Ils ont retrouvé des survivants…

Jérôme – Je sais…

Christelle – Tu as entendu ?

Jérôme – C’est moi qui l’ai appelée.

Christelle – Quoi ?

Jérôme – Fallait bien trouver un moyen de la faire descendre de là…

Nathalie revient dans la pièce.

Nathalie – Tu as raison… Il faut que j’y croies. Je sens que Patrick est encore vivant. Je le sais…

Christelle lance un regard incendiaire à Jérôme.

Christelle – Ne t’emballe pas trop vite quand même… Et puis comment ils savent que Patrick pourrait être parmi les survivants ?

Nathalie – Ils ont localisé un type accroché à une valise. Et qui hurle : Nathalie, Nathalie…

Christelle fusille à nouveau Jérôme du regard.

Nathalie – Comment ils savent que je m’appelle Nathalie ?

Christelle – Oui, je me le demande…

Jérôme – Bon, je ferme la fenêtre, hein ? Et tu ne la laisses plus approcher de là, d’accord ?

Christelle – Et qu’est-ce qu’on va lui raconter si la vraie cellule d’urgence appelle ?

Jérôme – Il y avait sûrement plusieurs passagers à bord dont la femme s’appelle Nathalie. Sans parler de leurs maîtresses…

Nathalie – J’ai complètement oublié de prendre leur numéro… Je voulais leur demander si je pouvais venir sur place pour participer aux recherches. Je vais appuyer sur la touche « rappeler le dernier correspondant »…

Christelle (sur un ton définitif) – Si j’étais toi, je ne ferais pas ça…

Air étonné de Nathalie.

Christelle – Ils doivent être complètement débordés, tu sais. Dès qu’ils auront des nouvelles plus précises, ils te rappelleront…

Jérôme – Il faut vraiment que je te parle.

Christelle – Vas-y…

Jérôme – En privé…

Christelle – On ne peut pas la laisser toute seule. Imagine que la police appelle pour lui annoncer la mort de Patrick, et qu’elle enjambe encore le balcon ?

Jérôme – Allons sur le balcon !

Christelle – Tu me déçois, Jérôme… Tu me déçois beaucoup… Je te pensais plus proche de tes amis. On parle de Patrick, là ! Ton copain de lycée ! Et de Nathalie, ma meilleure amie ! Ils étaient témoins à notre mariage. On peut bien sacrifier une soirée pour la soutenir dans le malheur qui lui arrive !

Jérôme – On a gagné au loto.

Christelle – Combien ?

Jérôme – 60 millions.

Nathalie – Je prendrais bien un autre verre de vin, finalement. Avec toutes ces émotions…

Christelle (sèchement) – Bon ben tu sais où est la carafe, maintenant, non ! Ou tu préfères qu’on te ramène le cubitainer et une paille ?

Nathalie accuse le coup.

Nathalie – Bon, je crois que je vais vous laisser… Je vous ai assez embêtés comme ça.

Christelle se reprend.

Christelle – Excuse-moi. Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire. (Elle lui ressert un verre de vin) Mais on est tous un peu sur les nerfs, non ? Il faut que tu manges quelque chose, aussi, sinon tu vas être malade… (À Jérôme en aparté pendant que Nathalie vide son verre) Je crois que c’est le moment de lui refourguer ta tourte aux artichauts…

Jérôme sort un instant vers la cuisine.

Christelle – Nous aussi, on était très proches de lui. Alors évidemment, on est bouleversé par la mort de Patrick. (Se reprenant) Je veux dire par la perspective de sa disparition… En même temps, il faut savoir tourner la page, non ? On ne vit qu’une fois.

Jérôme revient avec une part de tourte et la passe à Christelle.

Christelle (tendant la part de tourte à Nathalie) – Il faut savoir profiter des bonnes choses de la vie…

Nathalie prend une bouchée de la tourte.

Nathalie – Ce n’est pas mauvais… Qu’est-ce que c’est ?

Christelle (hypocrite) – C’est Jérôme qui a fait la cuisine. C’est à quoi, déjà…?

Nathalie (la bouche pleine) – Oh, du moment que ce n’est pas de l’artichaut. C’est le seul truc auquel je suis allergique. Je ne sais même plus le goût que ça a, d’ailleurs. La seule fois où j’en ai mangé, c’était chez ma grand-mère en Bretagne. J’ai fini aux urgences…

Les deux autres échangent un regard consterné.

Nathalie – L’avantage, avec l’artichaut, c’est qu’on ne risque pas d’en manger sans s’en apercevoir…

Christelle arrache la part de tourte à Nathalie.

Christelle – Bon, ben tu veux peut-être passer au dessert…?

Nathalie, un peu prise de court, ne semble pas dans son assiette.

Nathalie – Je crois que je vais allez vomir… Tu vois, d’habitude, ça passe très bien. Surtout les bonnes choses comme ça… Ça doit être le stress…

Elle s’éloigne en direction de la salle de bain.

Nathalie partie, Christelle laisse éclater son excitation.

Christelle – Tu es sûr ?

Jérôme (montrant sa carte) – Mon numéro d’ASSEDIC ! Il est sorti ! Ils viennent de l’annoncer à la radio ! Tu n’as pas entendu ? 60 millions, tu te rends compte ? On peut s’acheter un Airbus, avec ça ! Enfin, d’occasion peut-être. Mais en bon état…

Christelle – Mais c’est complètement dingue !

Jérôme sert deux verres de vin et en tend un à Christelle pour trinquer.

Jérôme – Tiens, goûte une dernière fois au vin de pays de chez Leader Price, pour bien te souvenir à quoi ça ressemble. Parce que tu n’es pas prête d’en reboire…

Ils trinquent.

Christelle – C’est dingue… Ce n’est pas une blague, au moins ?

Jérôme – Moi aussi, j’ai du mal à y croire. Mais j’ai vérifié trois fois le numéro. Je te jure, c’est nous ! On a gagné ! La super cagnotte du vendredi 13 !

Nathalie revient.

Christelle – Tu ne devineras jamais ce qu’on vient d’apprendre !

Nathalie – Ils ont rappelé ? C’est bien lui ? Il est vivant ?

Jérôme (embarrassé) – Euh, non… Ils ne sont pas encore sûrs…

Christelle – Mais ils ont repéré une valise qui ressemble beaucoup à la sienne. Une valise Vuitton. Flottant à la surface…

Nathalie – Alors c’est quoi, la bonne nouvelle ?

Christelle – Ben… Ça… (Très excitée voire hystérique) On va pouvoir récupérer la valise !

Jérôme essaie de calmer Christelle d’un geste.

Jérôme – Excuse-la… C’est les nerfs…

Nathalie – Vous avez raison. Cette attente, c’est insupportable… Même s’il est encore vivant, rien que d’imaginer Patrick tout seul, accroché à sa valise, au milieu de La Manche, en plein hiver… Pendant que nous on est tranquillement au chaud ici… J’en ai le sang qui se glace dans les veines… (Un temps) Il ne fait pas très chaud non plus, chez vous, si ? Ou c’est moi…

Jérôme (avec un air entendu) – On va pouvoir remettre le chauffage, maintenant, hein, Christelle ? Je vais le mettre à fond…

Il sort un instant pour remettre la chaudière en route.

Nathalie – Combien de temps on peut tenir, à ton avis, dans les eaux glacées de La Manche, au mois de décembre ?

Christelle – Ça dépend… Il était plutôt du genre frileux, non ?

Nathalie – Oh, mon Dieu…

Jérôme revient.

Jérôme – J’ai mis le thermostat sur 25… (Avec un clin d’œil à Christelle) Comme ça, si on doit partir à l’improviste sous les tropiques, on évitera le choc thermique…

Nathalie – Vous partez en vacances…?

Jérôme – Non, enfin… Pourquoi pas ?

Nathalie – Si j’étais vous, j’éviterais l’avion…

Christelle – Oui, c’est peut-être plus prudent. La loi des séries… Et puis une bonne Thalasso au Sofitel de Quiberon, c’est pas mal non plus… Histoire de repartir d’un bon pied pour une nouvelle vie…

Nathalie – Vous avez bien raison de vouloir en profiter… Vous voyez à quoi ça tient, le destin ? On dîne tranquillement avec des amis un vendredi soir, et sans préavis, on se retrouve veuve…

Christelle – Eh, oui… (Hystérique) Ou multimillionnaire en euros !

Nathalie – Tu penses bien qu’on n’avait pas les moyens de se payer une assurance-vie… C’est bizarre, d’ailleurs, parce qu’il en parlait, justement, ces derniers temps… Pour pouvoir au moins payer les études des enfants, en cas de coup dur… Il devait sentir quelque chose… Un mauvais pressentiment…

Jérôme – Ouais… Ben nous, je peux te dire qu’on ne l’a pas vu venir… Ça nous tombe dessus, comme ça…

Christelle (à Nathalie) – Allez, le pire n’est jamais sûr…

Jérôme – Ça fait un choc… Faut gérer aussi…

Nathalie – Vous en avez une, vous ?

Christelle – Une quoi ?

Nathalie – Une assurance-vie ! Enfin, une assurance-décès…

Jérôme – On a mieux que ça, crois-moi.

Nathalie – Je te jure que s’il s’en sort, après ça, je verrai la vie différemment…

Christelle – Ah, nous aussi, je te promets.

Nathalie – Tous ces petits sacrifices qu’on s’impose tous les jours en se disant qu’on en profitera plus tard… Tu parles… On ferait mieux de vivre au jour le jour, oui… Sans penser au lendemain…

Jérôme – Tu as raison. Moi, demain, j’arrête de travailler.

Nathalie – Je croyais que tu étais au chômage…

Jérôme – Ouais, ben j’arrête de chercher du boulot.

Nathalie – Bon, en même temps, il faut bien gagner sa vie. Et en mettre un peu de côté. Parce que ce n’est pas avec les retraites qu’on aura… Oh, mon Dieu… Je sens que Patrick, lui, il ne va pas coûter cher à sa caisse de retraite…

Christelle – Allez, dis pas ça…

Nathalie – Comment je vais m’en sortir, moi, avec les deux petits…

Christelle – On est là, nous… Hein, Jérôme…? Si tu veux, on peut t’en prendre un, pour te décharger un peu !

Jérôme (pas très emballé) – Oui, enfin…

Nathalie – C’est gentil, mais… On vous doit déjà 1000 euros…

Christelle – Tiens, tu sais quoi ? On vous en fait cadeau, de ces 1000 euros. On n’est plus à ça près, non ? Hein, Jérôme ?

Jérôme – Ouais, ouais, non… Bien sûr… Vous pouvez les garder…

Nathalie (émue) – C’est vraiment un soutien, pour moi, de savoir que je peux compter sur des amis comme vous… Je sais ce que ça représente, 1000 euros, pour vous… Surtout, en ce moment. Avec Jérôme qui n’a pas de travail. Tu vois, si je demandais à ma banque de me les prêter, je ne suis pas sûre qu’elle le fasse. Avec tout le pognon qu’ils se font en spéculant sur notre dos… Et vous… qui n’avez même les moyens de mettre le chauffage en plein mois de décembre… Sauf quand il y a des invités… D’ailleurs, il fait un peu chaud, maintenant, non ? Vous ne trouvez pas ? Je ne voudrais pas que vous fassiez exploser votre facture de fioul pour moi…

Jérôme – Je vais aller baisser un peu…

Jérôme s’absente à nouveau quelques secondes.

Nathalie – Comment je vais annoncer ça aux enfants, moi…

Christelle – Pour l’instant, ils dorment, non ?

Nathalie – Mais ils vont bien se réveiller un jour…

Christelle – Écoute, je ne devrais peut-être pas te dire ça, mais je n’arrive pas à croire qu’il soit mort. Pas ce soir…

Nathalie – Pourquoi, pas ce soir ?

Christelle – Je ne sais pas, c’est… comme ce que tu disais tout à l’heure à propos de ton père. Qui est mort juste le jour de la naissance de ton fils. Exprès pour t’emmerder.

Nathalie – Tu crois que Patrick a décidé de se crasher en avion justement ce soir pour nous gâcher la soirée ?

Jérôme revient.

Christelle (préférant changer de sujet) – Si on remettait la télé, pour avoir confirmation… C’est l’heure des résultats du loto… Je veux dire, il y a les informations, juste après…

Le téléphone de Nathalie sonne, interrompant le mouvement de Christelle vers la télé. Nathalie, figée, hésite à répondre, mais finit par prendre son portable.

Nathalie – Oui…? Oui, elle-même… (À Christelle et Jérôme) C’est eux ! La cellule d’urgence… Oui…? Oui, je vous écoute…

Les deux autres ont l’air très emmerdés.

Nathalie – Mais vous nous aviez dit que… D’accord… Ok… Merci…

Elle raccroche.

Nathalie – Ils ont repéré cinq survivants, accrochés à des débris de l’avion… Peut-être un sixième…

Jérôme – Le numéro complémentaire.

Nathalie – Ils essaient de les repêcher en hélicoptère, mais le temps est très mauvais au dessus de La Manche… Ils ne connaissent pas encore leur identité.

Christelle – Ils te préviendront dès qu’ils auront procédé au tirage… Je veux dire au sauvetage !

Nathalie – Non, vous avez raison… C’est comme une loterie. C’est infernal, cette attente. J’ai l’impression d’avoir joué au loto, et d’attendre pour savoir si j’ai tiré le bon numéro…

Christelle – Et oui… C’est ce que je me suis demandé aussi quand j’ai épousé Jérôme… Je veux dire… Mais ils étaient combien, dans cet avion ?

Nathalie – Je ne sais pas… C’était un petit avion… Paris-Mulhouse…

Jérôme – Mettons une centaine. S’il y a cinq survivants… Ça fait une chance sur vingt. C’est quand même plus sûr que le loto…

Nathalie – Je n’ai jamais eu de chance au jeu…

Christelle – Tu sais ce qu’on dit : Cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance…

Nathalie – Oh, mon Dieu… Heureusement que vous êtes là, sinon…

Christelle – Tu ne veux pas aller te reposer un peu dans notre chambre ?

Nathalie – Et si ils rappellent…?

Jérôme – Ça peut durer des heures, tu sais… Avec la tempête… Un sauvetage en mer, comme ça, c’est très délicat… Ils ne sont même pas encore sûrs de pouvoir les repêcher vivants. Dans une eau à deux ou trois degrés, tu imagines…

Nathalie – De toute façon, je n’arriverais jamais à dormir.

Christelle – Je peux te donner un somnifère, si tu veux.

Nathalie – Je ne crois pas que ça suffira. Dans l’état où je suis…

Christelle – Tu peux en prendre deux ou trois. Ils sont très légers…

Nathalie – C’est très gentil, mais je ne vais pas vous prendre votre chambre, en plus…

Christelle – Tu sais, nous non plus, on n’arrivera pas à dormir, alors…

Nathalie – Merci… Franchement, je ne pensais pas que tout ça vous bouleverserait autant que moi… (Regardant son portable) Merde, je l’ai mis sur répondeur. Un réflexe… Je vais voir s’ils ne m’ont pas laissé un message…

Elle s’éloigne un peu pour consulter sa messagerie.

Jérôme (à Christelle) – On ne va jamais pouvoir s’en défaire…

Nathalie – Non, toujours rien…

Christelle – En même temps… ça ne fait que cinq minutes qu’ils ont appelé…

Jérôme – Et puis entre nous, tu sais… Une chance sur vingt… Il vaudrait quand même mieux te préparer au pire, hein ?

Nathalie – Mais tout à l’heure, tu me disais que…

Christelle – On ne voudrait pas non plus te donner de faux espoirs… Hein, Jérôme ?

Jérôme – Il faut reconnaître que là, ça commence à sentir le sapin…

Christelle – Ce que veut dire Jérôme, avec ses mots à lui, c’est que si Patrick est vraiment mort, tu le sauras toujours bien assez tôt… Non, tu ferais mieux d’aller te coucher, je t’assure… Tu veux que je t’appelle un taxi ?

Nathalie – Je suis venue en voiture, avec la Smart.

Christelle – Ah, oui, c’est vrai…

Nathalie – Et je ne sais pas si je suis en état de conduire.

Échange de regards exaspérés entre Jérôme et Christelle.

Nathalie – Mais tu as raison, je vais aller me reposer un peu dans la chambre. Je ne vais pas dormir, mais… Je crois que j’ai besoin d’être un peu seule…

Jérôme – Oui, nous aussi… Je veux dire, oui, bien sûr, on comprend très bien. Hein Christelle ?

Nathalie – J’y vais…

Christelle – Oui…

Nathalie sort sous les regards de circonstance de Jérôme et Christelle qui, dès qu’elle a disparu, laissent éclater leur joie.

Jérôme – Putain ! 60 millions !

Nathalie revient. Jérôme et Christelle se figent.

Nathalie – J’ai oublié mon portable…

Nathalie ressort.

Christelle – Tant que je n’aurais pas vu le billet gagnant, je n’arriverai pas à y croire. Fais voir…

Jérôme – Je vais le chercher… (Il fait un pas pour y aller) Merde, il est dans la chambre… Avec un peu de chance, elle va s’endormir et nous foutre un peu la paix. Ce n’est pas le moment d’aller la réveiller… Et si on se sifflait sa bouteille de Veuve Clicquot, en attendant ? Pour fêter ça…

Christelle – Dans la chambre ? Je n’ai rien vu… Tu ne l’as pas perdu, au moins, ce ticket ? Imagine qu’il soit tombé de la table de nuit par terre… et qu’il ait fini dans l’aspirateur. J’ai changé le sac hier, et j’ai vidé la poubelle ce matin.

Jérôme – T’inquiète… Il est rangé bien à l’abri. (S’apprêtant à déboucher la bouteille de champagne) Je vais essayer de ne pas faire péter le bouchon trop fort… pour pas la réveiller.

Christelle – À l’abri…? Où…?

Jérôme – Dans ma valise. En haut du placard… Dans la pochette intérieure… Je n’ai même pas pensé à l’enlever en revenant de Cabourg… Je ne me souvenais même plus que j’avais joué au loto, t’imagines…

Christelle (décomposée) – Tu veux dire ta valise Vuitton ?

Jérôme – Si, oui… Ma valise, quoi… Ne me dis pas que tu as passé aussi l’aspirateur dans ma valise… (Percevant enfin l’embarras de Christelle) Quoi ?

Christelle – Patrick n’avait pas de valise pour partir à Mulhouse… Alors Nathalie m’a demandé si je pouvais lui en prêter une…

Jérôme laisse échapper le bouchon de champagne qui pète bruyamment.

Jérôme – Tu lui as prêté ma valise ? Tu l’as laissé prendre l’avion pourri de cette compagnie low cost avec ma valise Vuitton ?

Christelle – Bon, pour la valise Vuitton, je te rappelle que c’était une fausse… Une contrefaçon qu’on a achetée à Trieste cet été en revenant du Club Fram de Porto Vecchio ?

Jérôme – Avec notre chèque de 60 millions d’euros dedans ! On avait de quoi racheter la marque qui fabrique les vraies….

Nathalie revient.

Nathalie – J’ai entendu comme une détonation… Ça m’a réveillée… (Voyant la mine défaite des deux autres) Vous en faites une tête… Vous avez des nouvelles, c’est ça ? Elles ne sont pas bonnes, et vous n’osez pas me le dire ?

Jérôme (renfrogné) – Oui, on peut dire ça comme ça…

Nathalie – Oh, mon Dieu…!

Christelle – Non, enfin… Il ne s’agit pas de Patrick…

Jérôme – Un peu quand même…

Christelle – Jérôme ne savait pas que je lui avais prêté sa valise… Alors évidemment, ça lui a fait un choc… Un choc émotionnel, je veux dire… Imaginer son meilleur ami accroché à sa valise au milieu de La Manche… Avec les requins tournant tout autour…

Nathalie – Il y a des requins, dans La Manche ?

Christelle – Je ne sais pas, j’imagine…

Nathalie – Oh, mon Dieu, c’est vrai, la valise… On vous devait déjà 1000 euros qu’on n’est pas prêts de vous rembourser, et en plus vous ne reverrez jamais votre valise Vuitton. Heureusement que c’était une fausse…

Christelle – Il y a encore un espoir, non ? (Regardant Jérôme) Je veux dire qu’on retrouve Patrick… avec la valise.

Jérôme – Tu crois…?

Christelle – Une valise, ça flotte beaucoup mieux qu’un cadavre ! Souviens-toi des images qu’on voit à la télé après un crash aérien. Qu’est-ce qui flotte à la surface ? Les valises !

Jérôme – Si elles ne sont pas trop lourdes, oui…

Christelle (à Nathalie) – Elle était très remplie, sa valise, à Patrick ?

Nathalie – Il n’a passé qu’une nuit à l’hôtel Ibis de Mulhouse, alors il n’a pas emmené grand chose…

Les deux autres reprennent un peu espoir.

Nathalie – À part tous ses catalogues de vente, évidemment. Le papier, ça pèse une tonne. Je n’arrivais même pas à soulever la valise pour la mettre dans le coffre de la voiture quand il est parti. Heureusement qu’elle avait des roulettes. Ce n’est pas si mal fait que ça, ces imitations. Vous avez bien raison. Pourquoi se ruiner à acheter une vraie… Mais pourquoi vous voulez savoir ce qu’il y avait dans cette valise ?

Christelle – Ben… Si elle flotte, Patrick a pu s’accrocher après. Comme à une bouée…

Nathalie – Ouais, ben là, non, hein… Autant s’accrocher à une enclume… Et puis de toute façon, les bagages, c’est en soute, non ? Ça coule à pic avec la carcasse de l’appareil…

Jérôme lance un regard meurtrier à Christelle, anéantie.

Christelle – Des fois, quand ils arrivent à localiser l’épave, ils la remettent à flot. Pour retrouver les boîtes noires, déterminer les causes du crash, et récupérer les valises – je veux dire les corps – pour que pour les familles puissent faire leur travail de deuil…

Jérôme – Tu crois…?

Christelle – Mais, oui ! Je ne sais pas pourquoi, mais je garde espoir. Hein, Nathalie ?

Nathalie – Oui, enfin…

Christelle – On est vendredi 13, non ?

Nathalie – Je n’ai jamais compris si ça portait bonheur ou malheur, le vendredi 13…

Christelle – Et ben tu vois… Un peu les deux !

Jérôme (à Nathalie) – Mais tu es vraiment sûre à cent pour cent qu’il est parti avec ?

Nathalie – Avec la Travel Discount Airways ? Oui, malheureusement… C’est même moi qui lui ai acheté le billet sur internet…

Jérôme (hystérique) – Avec ma valise, putain ! Avec ma putain de valise !

Nathalie est un peu déstabilisée. Christelle fait signe à Jérôme de se calmer.

Nathalie – Bon, je crois que je vais vraiment vous laisser… Je vais aller dormir chez ma mère. Au moins, je serai à côté des enfants quand ils se réveilleront. Et si j’ai des nouvelles, bonnes ou mauvaises, je vous tiens au courant. C’est promis.

Jérôme – 60 millions… 60 millions, putain ! Dites-moi que c’est un cauchemar…

Christelle (à Nathalie) – Oui, c’est peut-être plus raisonnable…

Nathalie – Bon ben je vais vous laisser dormir…

Jérôme – Parce que tu crois vraiment qu’on va pouvoir dormir, maintenant ?

Nathalie – Je vous appellerai demain matin… Vous saurez toujours bien assez tôt… Moi aussi, d’ailleurs. Tu as raison, Christelle. Ça peut durer des heures. Je vais prendre un somnifère en arrivant chez maman…

Jérôme – Ah, non ! On veut savoir, nous ! Tout de suite ! Hein, Christelle ? On ne va pas attendre comme ça comme des cons…

Nathalie – Franchement, ça me touche beaucoup… que tu sois bouleversé à ce point là. Je sais que Patrick était un ami… mais je ne pensais pas que sa disparition t’affecterait comme ça.

Jérôme – Je rallume la télé…

Commentateur (voix off) – Le numéro gagnant est donc le…

Jérôme – Bon, ça va, on a compris…

Nathalie (inquiète, à Christelle) Tu devrais peut-être lui donner un calmant, à lui aussi, non ?

Jérôme zappe sur une autre chaîne.

Commentateur (voix off) – C’est maintenant une certitude : il n’y a aucun survivant suite au crash en mer de l’avion de la Travel Discount Airways. Les quelques individus accrochés à un radeau de fortune, qu’on avait d’abord pris pour des survivants, ne se sont avérés être en fait que des sans papiers qui tentaient de gagner l’Angleterre à la nage. Ils ont bien entendu été immédiatement placés dans le charter qui va les ramener dans leur pays d’origine. Un charter de cette même compagnie, d’ailleurs. Souhaitons-leur au moins bon voyage… Sans transition, on ignore toujours l’identité du gagnant de la super cagnotte du…

Jérôme éteint la télé, effondré.

Jérôme – Oh, putain… Aucun survivant…

Le portable de Nathalie sonne. Elle le prend et regarde le numéro de l’appel entrant.

Nathalie – Si c’est ma mère, je ne réponds pas…

Jérôme – Ma valise Vuitton…

Nathalie – C’est lui…

Christelle – Qui, lui ?

Nathalie – Patrick… C’est le numéro de son portable qui s’affiche…

Christelle – Non…

Jérôme (impressionné) – T’as quoi comme opérateur ?

Christelle – Ben vas-y, réponds !

Nathalie, blême, prend l’appel.

Nathalie – Oui…

Jérôme et Christelle sont suspendus à ses paroles.

Nathalie – Patrick ? Mais tu m’appelles d’où ? Écoute, je t’entends à peine… Comme si tu m’appelais de très très loin…

Jérôme – Tu m’étonnes… Ils ont dit qu’il n’y avait aucun survivant…

Nathalie – Et toi, tu m’entends…? Patrick…? Allo…? Allo…? (Elle se tourne vers les deux autres avec un air dramatique) On a été coupés…

Silence de mort.

Christelle – Tu es vraiment sûre que c’était lui ?

Nathalie – Je ne sais pas… La ligne était très mauvaise…

Jérôme – Tu parles…

Nathalie – En tout cas, l’appel provenait bien de son portable. C’était le bon numéro…

Jérôme – Le bon numéro…

Christelle – Il a peut-être été éjecté de l’appareil… et il a réussi à s’accrocher à quelque chose…

Jérôme – Sa valise…

Christelle – Et il t’appelle avec ce qui lui reste de batterie.

Nathalie – Oh, mon Dieu… Mais ils avaient dit qu’il n’y avait aucun survivant… Je commençais à peine à me faire à cette idée…

Christelle – Un miracle est toujours possible.

Jérôme – Un miracle… Il faudrait encore qu’ils arrivent à le localiser à temps avant que les requins ne le bouffent…

Nathalie – Vous imaginez Patrick, avec cette tempête, tout seul, au milieu de l’Atlantique…

Jérôme – La Manche…

Christelle – Ce n’est pas si grand, La Manche…

Nathalie – En pleine nuit, accroché à ta valise, perdu dans cet océan…

Jérôme – La Manche, je te dis !

Nathalie – Il a pu dériver… Comment ils vont faire pour le retrouver…?

Jérôme – Autant chercher une valise dans une botte de foin…

Nathalie – Je vais essayer de le rappeler… Même s’il n’a plus beaucoup de batterie, il aura peut-être le temps de nous décrire l’endroit où il se trouve. Ça facilitera les recherches…

Christelle – En même temps, s’il est vraiment perdu au milieu du Pacifique…

Jérôme – La Manche, bordel !

Nathalie compose le numéro, et attend avec anxiété.

Nathalie – Ça sonne… Oh, mon Dieu, c’est sa boîte vocale. J’ai l’impression d’entendre une voix d’outre-tombe… Allo, Patrick ? Si tu as ce message, je veux que tu saches combien je t’aime. Et les enfants aussi. Je t’en prie, Patrick. Essaie de tenir le coup. Pour moi. Pour tes enfants. Pour toi aussi, bien sûr. Le temps que les secours parviennent à te localiser. Je t’embrasse très fort, mon chéri…

Jérôme et Christelle se regardent, émus. Mais Nathalie tarde à raccrocher.

Nathalie – Je voulais t’avouer une dernière chose, Patrick. Pour soulager ma conscience. Parce que je n’aurai peut-être plus jamais l’occasion. Ou alors plus le courage. Je t’ai trompé une fois. Juste une petite fois. Mais ça ne comptait pas je t’assure. Et je te promets que l’enfant que je porte est bien de toi. Enfin, j’en suis presque sûre. Je le sens. Mais on fera le test, si tu veux. Oui, parce que j’ai oublié de te dire. Je suis enceinte, Patrick. Tu vas être papa ! Alors tu vois. Il faut que tu tiennes le coup !

Nathalie raccroche, bouleversée. Les deux autres échangent un regard consterné.

Christelle – Si avec ça il n’arrive pas à tenir le coup…

Silence embarrassé.

Jérôme – Le téléphone…

Christelle – Je n’entends rien.

Jérôme – Non, je veux dire le téléphone de Patrick. Avec son portable, ils vont pouvoir le localiser ! Il faut prévenir les sauveteurs tout de suite. Il y a peut-être encore un espoir de retrouver la valise… Je veux dire de retrouver Patrick… C’est quoi, leur numéro ?

Nathalie lui tend son téléphone.

Nathalie – Tiens, le numéro est enregistré là dessus.

Jérôme prend le portable de Nathalie et appuie sur la touche de rappel.

Jérôme – Merde, je n’ai plus de réseau. Je vais essayer sur le balcon…

Jérôme sort.

Nathalie – Je ne sais pas si j’ai bien fait de lui parler de ça maintenant.

Christelle – Tu crois…

Nathalie – C’était il y a trois mois environ. Avec mon dentiste. Dans son cabinet. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ou alors, c’était l’effet de l’anesthésie…

Christelle – Tu n’as qu’à dire ça… Que ce salopard t’a droguée pour abuser de toi…

Nathalie – En même temps, ce n’était qu’une anesthésie locale… Pour une petite carie, tu vois… Et pour le reste, je peux te dire que je l’ai bien senti… Plus qu’avec Patrick, en tout cas… Et toi, tu n’as jamais trompé Jérôme…?

Christelle – Jamais depuis qu’on est marié…

Nathalie – En même temps, vous n’êtes mariés que depuis six mois. Après quinze ans de vie commune…

Christelle – Ouais, ben non…

Le retour de Jérôme dispense très opportunément Christelle de préciser sa pensée.

Jérôme – C’est bon, ils vont faire le nécessaire tout de suite. Et ils nous rappellent dès qu’ils ont du nouveau.

Christelle – J’ai déjà vu faire ça dans une série policière à la télé. C’est très facile de localiser quelqu’un avec son portable. Et en principe, c’est très rapide. Enfin, là, c’est au milieu de l’Atlantique, mais bon…

Jérôme – La Manche.

Nathalie – Oh, mon Dieu. Je ne sais pas si mon cœur va tenir le coup. Avec toutes ces émotions…

Le portable sonne.

Nathalie – Déjà ?

Christelle – Tu vois…

Jérôme – Ben vas-y, décroche !

Nathalie – Allo ? Non, maman, je n’ai pas encore eu confirmation de son décès, désolée… Non, je n’ai pas la nouvelle adresse de la tante Adèle. Mais tu ne crois pas que c’est un peu tôt pour se préoccuper des faire-part…? Bon, il faut que je te laisse, là. Je ne peux pas occuper la ligne. J’attends un appel urgent… C’est ça… Pour les fleurs ? Écoute, fais ce que tu veux, je m’en fous, d’accord ? (Elle raccroche, furieuse) La vie est vraiment mal faite… Pourquoi ce n’était pas ma mère qui était dans cet avion…?

Le téléphone sonne à nouveau. Nathalie prend l’appel, hors d’elle.

Nathalie – Mais tu vas nous foutre la paix, oui…? Ah, excusez-moi, je pensais que c’était quelqu’un d’autre… Oui, oui, bien sûr, je vous écoute… Non, je vous assure, ce n’est pas une plaisanterie… Mon mari était bien à bord de cet avion, et… Bon, d’accord, merci… Vous me rappelez si vous avez du nouveau…?

Elle raccroche, déstabilisée.

Nathalie – C’était eux… Ils ont réussi à localiser le portable de Patrick…

Les deux autres sont pendus à ses paroles.

Christelle – Et alors ?

Nathalie – L’appel provenait de la gare de Mulhouse…

Cette fois, c’est le téléphone fixe de Jérôme et Christelle qui sonne. Christelle décroche, mécaniquement.

Christelle – Allo ? (Anéantie, tendant le combiné vers Nathalie) C’est lui…

Nathalie saisit le combiné.

Nathalie – Patrick ? Mais tu es où ? Tout le monde te cherche au milieu de l’Atlantique…! Non, ce n’est pas vrai…! (Aux deux autres) Il a raté son avion ! Il est dans le Corail Paris-Mulhouse !

Jérôme – Dieu existe…

Nathalie – Mais tu n’es pas au courant ? (Aux deux autres) Il n’est pas au courant… L’avion de la Travel Discount que tu devais prendre s’est crashé au dessus de la Méditerranée… Il n’y a aucun survivant… Dieu soit loué, c’est un miracle…! (Aux deux autres) Il est resté coincé dans les toilettes de l’aéroport de Mulhouse pendant deux heures… Il n’arrivait pas à ouvrir la porte…. Évidemment, le terminal de la compagnie Olow Cost Airways de Mulhouse, ce n’est pas vraiment la classe affaire… Ok… Tu me rappelles dès que tu arrives à la gare de l’Est, d’accord…? Je t’embrasse très fort, mon chéri… (Elle s’apprête à raccrocher mais se ravise) Euh… Patrick…? Tu as eu mon message ? Non, non, ce n’était pas important… Tu peux l’effacer, je t’assure… Maintenant que je sais que tu n’es pas mort…

Nathalie repose son portable.

Nathalie (rayonnante) – Là, je crois qu’on va pouvoir déboucher la Veuve Clicquot !

Léger embarras de Jérôme et Christelle, qui ont déjà débouché la bouteille sans elle. Mais qui cependant sont aux anges.

Christelle – Mais c’est merveilleux ! Hein, Jérôme ?

Jérôme – Toi tu retrouves un mari, et nous…

Christelle – Un ami !

Jérôme – Il arrive à quelle heure à la Gare de l’Est ?

Nathalie – D’ici une heure, à peine… Ce cauchemar va enfin se terminer… Merci… Sans vous, je ne sais pas si j’aurais pu tenir le coup… (Elle fait un mouvement pour partir) Je crois qu’on boira le champagne une autre fois… Je vais aller l’attendre à son arrivée à la gare, et puis on rentrera directement chez nous… Après cette épreuve, vous comprenez qu’on a pas mal de choses à se dire…

Christelle – Oui… Surtout s’il écoute quand même ton message…

Jérôme – Mais il n’en est pas question ! On va fêter ça tous ensemble. Hein, Christelle ?

Nathalie – En même temps, c’est le seul survivant… Je ne sais pas si… J’imagine l’angoisse des autres familles qui ont eu moins de chance que moi…

Jérôme – La vie est une loterie ! Il suffit de tirer le non numéro ! C’est bien triste pour les autres, mais tant pis pour eux. The show must go on ! Non, et puis franchement, tu n’es pas en état de conduire. Énervée comme tu es, tu n’arriveras jamais à garer ta Smart à la Gare de l’Est un vendredi soir. Je vais le rappeler. Je vais lui dire de sauter dans un taxi en arrivant, et de venir directement ici. Avec sa valise…

Nathalie – Un taxi…? Tu sais, je ne suis pas sûre qu’on ait vraiment les moyens…

Jérôme – Mais nous, oui ! Hein, Christelle ?

Christelle – Nous aussi, on a une bonne nouvelle à vous annoncer… Maintenant, on peut bien vous le dire… Vas-y Jérôme…

Tandis que Jérôme s’apprête à parler, le téléphone fixe sonne. Christelle répond.

Christelle – Oui… Ah, Patrick… Justement, on s’apprêtait à te rappeler pour… (Son sourire se fige) Ok, je te la passe… (À Nathalie) C’est Patrick. Il a eu ton message…

Nathalie, décomposée, prend le combiné sans fil et commence à s’éloigner vers le balcon.

Nathalie – Écoute, Patrick, je vais tout t’expliquer, d’accord ? Et puis ne le prends pas comme ça ! Franchement, après ce qui vient de nous arriver, ça devrait te faire relativiser les choses, non ? Je te rappelle que tu es passé à deux doigts de la mort ! L’important, c’est qu’on soit vivants tous les deux ! Tu es un survivant, Patrick !

Elle sort sur le balcon pour terminer sa conversation.

Jérôme – Oh, putain… Il ne manquait plus que ça…

Christelle – C’est sûr que maintenant, ça ne va pas être évident de le faire venir ici sabler le champagne avec nous…

Jérôme – Imagine qu’en apprenant qu’il est cocu, il décide de se jeter dans le canal Saint Martin en arrivant à la Gare de l’Est. Avec ma valise…

Nathalie revient, la mine défaite.

Christelle – Alors…?

Nathalie – Il ne veut pas revenir dormir à la maison… Il parle de divorcer…

Jérôme – Il n’a qu’à venir dormir ici en attendant ! Hein, Christelle ? Comme sa valise est déjà faite…

Nathalie – Ah, la valise, justement… Enfin, ce n’est pas le plus important…

Stupeur des deux autres.

Jérôme – Quoi ?

Nathalie – Ben… Patrick a raté son avion, mais la valise, elle, elle était déjà enregistrée… Malheureusement, vous pouvez faire une croix dessus… Elle est restée dans la soute de l’appareil…

Jérôme – Quel con ! (À Christelle) Non, mais dis-moi que ce n’est pas vrai !

Nathalie – C’est sûr, heureusement que ce n’était pas une vraie, dans un sens… Remarque, tu sais que ce n’est pas bien légal, les contrefaçons… J’ai vu un reportage là-dessus à la télé… Patrick aurait pu avoir des ennuis, à la douane…

Christelle – Pour aller à Mulhouse ?

Nathalie – Quand on passe par Londres…

Jérôme – Si elle ne s’en va pas tout de suite, je vais la tuer…

Nathalie est un peu surprise par la réaction de Jérôme.

Nathalie – Ne t’inquiète pas, je vous en rachèterai une vraie, comme promis… Je vous dois bien ça…

Jérôme – C’est ça ! Avec les 1000 euros que tu nous dois déjà…

Nathalie – Bon, je crois que cette fois, je vais vraiment y aller. Hein, Christelle ? On a tous eu assez d’émotions comme ça pour aujourd’hui…

Christelle pousse prudemment Nathalie vers la porte afin de la mettre à l’abri de la fureur de Jérôme.

Christelle – Allez, ne t’inquiète pas, ça va s’arranger… Tu m’appelles demain, d’accord ?

Nathalie – Ok, je te tiens au courant…

Nathalie s’apprête à franchir la porte, mais se retourne une dernière fois.

Nathalie – Au fait, c’était quoi, cette bonne nouvelle que vous vouliez m’annoncer…?

Christelle la pousse définitivement dehors.

Christelle – Je t’appelle demain…

Nathalie s’en va. Jérôme et Christelle restent seuls. Ils s’effondrent sur le canapé. Silence lourd.

Jérôme – 60 millions d’euros…

Christelle a un mouvement de tendresse vers lui.

Christelle – Allez, ce n’est pas si grave… L’important, c’est d’être en vie, non ? Et d’être tous les deux…

Jérôme se détend un peu.

Jérôme – Tu as raison…

Christelle – Et puis qu’est-ce qu’on aurait bien pu faire avec 60 millions ?

Jérôme – Je me le demande bien…

Christelle – Est-ce que notre couple aurait même résisté à une pareille tempête…

Jérôme – Sans parler de nos amis… Regarde, on a failli se fâcher avec Patrick et Nathalie…

Silence.

Jérôme – Tu crois vraiment que si on avait gagné 60 millions au loto, on aurait divorcé ?

Christelle – Ça peut monter à la tête… Quand tout d’un coup on apprend qu’on va pouvoir satisfaire tous les désirs qu’on réprimait jusque là…

Jérôme – Tu as raison, la frustration, c’est le ciment du couple… Quand je pense qu’on aurait vraiment pu devenir multimillionnaires… Ça fait froid dans le dos…

Christelle – Allez, on va pouvoir passer une soirée tranquille. Tous les deux, devant la télé…

Jérôme – Tu sais ce qui me détendrait vraiment…

Christelle (pleine d’espoir) – Dis toujours… Je suis prête à satisfaire tous tes désirs. En guise de compensation… pour la perte de ta fausse valise Vuitton.

Jérôme – Un reportage animalier… Sur la reproduction des varans, par exemple…

L’enthousiasme de Christelle est un peu douché.

Jérôme – Tu sais que c’est très partouzeur, le varan… La femelle se fait sauter successivement par plusieurs mâles, et les œufs contiennent le patrimoine génétique de tous ses amants… Tu imagines le gosse de Nathalie. La moitié de Patrick, et l’autre moitié de son dentiste…

Christelle (déprimée) – Il reste un peu de vin de pays… Enfin, ce que Nathalie nous a laissé… Tu en veux ? Maintenant, il vaut mieux qu’on s’y habitue…

Elle sert deux verres, pendant que Jérôme allume la télé.

Commentateur (voix off) – … On vient à l’instant de retrouver la trace du vol 32 bis de la Travel Discount Airways, qu’on pensait avoir été victime d’un crash aérien au dessus de La Manche. Le pilote s’était seulement endormi aux commandes de l’appareil. Au lieu de se poser à Londres, il a continué sa route jusqu’en Alaska, où il a été contraint à un atterrissage en catastrophe sur la banquise faute de kérosène.

Jérôme – C’est marrant, tu vois, j’ai l’impression que ça ne me concerne même plus.

Le téléphone sonne. Christelle se lève comme une zombie pour répondre, pendant que Jérôme reste scotché devant la télé.

Commentateur (voix off) – Voici quelques images de l’appareil prises par un avion de reconnaissance de l’armée mexicaine…

Christelle – Oui…?

Commentateur (voix off) – On ignore encore tout du sort des passagers à l’intérieur de la carlingue, mais sur ces images d’une remarquable précision, on aperçoit nettement deux pingouins jouant avec une valise…

Christelle – Non…!

Dans un état second, Christelle raccroche et revient vers Jérôme.

Jérôme – C’était qui…?

Christelle – Le gynécologue de Nathalie… Enfin, le mien… On a le même…

Jérôme – Et alors…?

Christelle – Il a confondu nos deux dossiers… Ce n’est pas elle qui est enceinte, c’est moi !

Jérôme (largué) – Vous avez aussi le même dentiste ?

Christelle (exultant) – Je suis enceinte de toi ! On va avoir un bébé, Jérôme !

Jérôme (pas franchement ravi) – Mais… Je croyais qu’on ne pourrait pas en avoir… Ton gynéco m’avait dit que vu la tronche de mes spermatozoïdes, on n’avait qu’une chance sur un million au tirage !

Christelle – C’est vendredi 13 !

Noir.

Fin

VARIANTE DE FIN POUR UN QUATRIÈME PERSONNAGE (PATRICK)

Jérôme n’a pas le temps de réagir davantage, car on sonne à la porte.

Jérôme – Si c’est encore elle, tu la fais entrer, et cette fois c’est moi qui la balance par la fenêtre…

Christelle va ouvrir malgré tout.

Christelle (surprise) – Ah, salut Patrick…! Tu as fait bon voyage ? Enfin, je veux dire… On ne t’attendait plus…

Patrick (sinistre) – Je ne vous dérange pas ?

Christelle – Mais non, voyons, qu’est-ce que tu vas chercher…

Jérôme – Au point où on en est.

Patrick entre dans la pièce, dans un état second.

Patrick – Ah, Jérôme, tu es là…

Jérôme – Ben oui, tu vois. J’habite ici, en fait…

Patrick – Il est tard, je sais. Mais avec tout ce qui vient de m’arriver…

Jérôme – En même temps… ce n’est pas ton train Corail qui s’est crashé sur la banquise, si ?

Patrick – Non, je parlais de Nathalie. Je suis encore sous le choc.

Christelle – On est vraiment désolé, Patrick… Hein, Jérôme…?

Jérôme – Mmm…

Christelle – Mais assieds-toi, je t’en prie. Tu veux boire quelque chose ?

Jérôme – Arsenic, strychnine…?

Christelle lui sert un verre de vin de pays.

Christelle – Des glaçons…?

Patrick ne répond pas. Il s’assied et vide le verre sans sourciller, sous le regard ébahi des deux autres.

Jérôme – Ah, oui… Ça a vraiment l’air d’aller mal… Il ne réagit même plus au vin de pays…

Patrick – Ça fait dix ans qu’on est mariés, vous vous rendez compte ? Je n’aurais jamais cru Nathalie capable de faire ça…

Christelle – Allez… Tu ne crois pas que tu prends tout ça un peu trop au tragique…?

Jérôme – Il vient d’apprendre qu’il est cocu quand même…

Christelle – J’ai toujours détesté ce mot là…

Patrick – On croit connaître les gens, et puis…

Christelle – Ça peut arriver à tout le monde de faire une erreur…

Jérôme – Quand même… Coucher avec son dentiste…

Patrick – C’était mon dentiste.

Christelle – Et puis l’important, c’est qu’elle a eu le courage de te l’avouer, non ? C’est très courageux de sa part, tu sais…

Jérôme – C’est surtout très con…

Christelle – Ça prouve qu’elle a confiance en toi… Et la confiance, c’est important dans le couple… Hein Jérôme…?

Jérôme – Tu parles, elle croyait qu’il était mort…

Christelle – Allez, tu verras… Ça finira par s’arranger…

Patrick – Je ne sais pas… Je crois qu’il va me falloir un peu de temps…

Jérôme – Combien de temps, à peu près…? Non, parce que comme tu dis, il est déjà tard… J’irais bien mettre la viande dans le torchon, moi…

Christelle – Ce que veut dire Jérôme, avec ses mots à lui, c’est qu’on a tous eu beaucoup d’émotions aujourd’hui… Mais c’est normal que tu aies besoin de prendre un peu de recul… Tu vas dormir ici sur le canapé… Et demain, tu y verras un peu plus clair…

Jérôme – On ne te promet pas que ça ira mieux demain, hein ? Juste que tu y verras un peu plus clair…

Patrick – Merci… Je savais que je pouvais compter sur vous… C’est dans le malheur qu’on reconnaît ses amis…

Jérôme – Oui… C’est ce que ta femme nous a répété pendant toute la soirée…

Christelle – Je vais aller te chercher des draps… Jérôme, tu prends une couverture dans l’armoire…

Jérôme et Christelle disparaissent un instant. Patrick se lève et se dirige vers le balcon. Il s’approche de la balustrade, et se penche un peu. Christelle revient, l’aperçoit, et se fige, croyant visiblement qu’il s’apprête à sauter.

Christelle – Patrick, non !

Patrick se retourne vers elle un peu surpris.

Patrick – Euh… Je regardais juste la vue…

Christelle – Oh, mon Dieu, tu m’as fait peur… J’ai cru que…

Patrick – Je n’avais jamais remarqué qu’en se penchant un peu, on pouvait voir le Flamand Rose de votre balcon…

Christelle (inquiète de son état mental) – Le flamant rose…

Patrick – C’est un bar.

Christelle – Un bar belge ?

Patrick – Oui… Mais surtout un bar gay…

Christelle est un peu décontenancée. Jérôme revient avec la couverture et la jette sur le canapé.

Jérôme – Bon, ben je ne vais pas le border et lui faire la bise, non plus.

Patrick lui lance un regard ambigu.

Christelle – Tu nous promets de ne pas faire de bêtise ?

Patrick – Promis.

Christelle – Ok, alors on va tous aller se coucher. On a eu une dure journée nous aussi…

Le téléphone fixe sonne. Jérôme répond.

Jérôme – Ouais…? Oui, il est là… Ok, je te le passe… (Il tend le combiné à Patrick) C’est Nathalie, elle voudrait te parler…

Patrick prend le combiné à contrecœur.

Patrick – Oui… Écoute… Non… Je ne sais pas… Non… Je te dis ça demain, d’accord… Oui, ben j’ai besoin de réfléchir pendant quelques jours, tu peux comprendre ça, non…?

Jérôme (inquiet) – Quelques jours…?

Patrick – C’est ça, on se rappelle…

Il raccroche.

Christelle – Je suis sûr que votre couple saura résister à cette épreuve… et qu’il en ressortira encore plus fort !

Patrick – Moi aussi, j’ai couché avec le dentiste…

Christelle (après un moment d’hésitation) – Eh ben tu vois, ce n’est pas si grave…

Jérôme la regarde avec stupéfaction.

Christelle (à Patrick) – Et puis je ne t’ai pas dit ! (À Jérôme) On lui dit ?

Jérôme – Quoi ?

Christelle – C’est moi qui suis enceinte, Patrick !

Jérôme – Ah, oui, c’est vrai.

Christelle – Ce n’est pas une bonne nouvelle, ça ?

Jérôme – Pour toi, la bonne nouvelle, c’est que ta femme n’est pas enceinte de ton amant.

Christelle – Non, après tout ce qui vient de nous arriver aujourd’hui, à nous aussi… On en parlait justement tout à l’heure avec Jérôme. L’important, c’est de rester unis, quoi qu’il arrive… De surmonter les difficultés… Ensemble… Alors l’argent, dans le couple, ce n’est pas le plus important !

Patrick – L’argent ?

Christelle (à Jérôme) – On lui raconte aussi ? (Jérôme ne répond pas, accablé) Figure-toi que dans la valise que je t’ai prêtée pour partir à Mulhouse…

Patrick – La fausse valise Vuitton…

Christelle – Il y avait un billet de loto…

Patrick (distraitement) – Ah, oui, un billet de loto…

Christelle – On a appris ce soir en regardant la télé qu’on avait joué le bon numéro…

Patrick – Combien ?

Jérôme – 60 millions.

Patrick – Ah, oui quand même…

Christelle – Autant te dire qu’on ne reverra jamais ce billet de loto…

Jérôme – À moins que le pingouin qui a récupéré ma valise aille le présenter lui-même au PMU pour toucher le gros lot.

Christelle – Tu vois ? On vient de perdre 60 millions au loto, mais on gagne un bébé qu’on n’espérait plus !

Jérôme – Tu sais ce qu’on dit : Malheureux au jeu, heureux en amour…

Patrick – Je suis vraiment désolé… Je veux dire pour les 60 millions… C’est un peu de ma faute…

Jérôme (menaçant) – Un peu…?

Christelle – Je crois que cette fois, on ferait mieux d’aller se coucher. Tu viens, Jérôme…?

Christelle entraîne Jérôme vers la chambre. Patrick reste seul. Il va sur le balcon et réfléchit un instant. Puis il prend son portable et compose un numéro.

Patrick – Allo…? Non, je ne suis pas mort… Désolé de vous décevoir encore une fois, belle-maman… Vous pouvez me passer Nathalie ? Merci… (Après un instant) Nathalie ? C’est Patrick… Écoute, j’ai bien réfléchi et… Oui, déjà, qu’est-ce que tu veux… D’habitude, tu me reproches de ne pas réfléchir assez vite… Alors je préfère te l’annoncer tout de suite… Je ne pourrais jamais te pardonner d’avoir couché avec mon dentiste… Je vais demander le divorce, Nathalie… Oui, je sais, je ne suis qu’un pauvre type… Oui, je sais, ta mère te l’avait déjà dit… Ok, mon dentiste t’enverra demain les papiers du divorce… Oui, mon avocat, ce n’est pas ça que j’ai dit ? C’est ça, va te faire foutre aussi… Bonne nuit, Nathalie.

Patrick raccroche, réfléchit, puis sort de la poche de sa chemise le billet de loto et le regarde.

Patrick – 60 millions… Christelle a raison… On n’est même pas encore demain matin, et j’y vois déjà beaucoup beaucoup plus clair… (Réalisant vraiment) 60 millions d’euros ! (Sa main tremble, le billet lui échappe des mains et tombe sur le rebord du balcon) Merde… C’est pas vrai… Oh, putain…

Il commence à enjamber fébrilement la rambarde du balcon. Soudain il glisse, pousse un cri, perd l’équilibre, et se fige dans une position de début de chute.

On entend alors comme dans un rêve un dialogue enregistré sur une bande son :

Nathalie – Qu’est-ce qu’on peut faire contre le destin…

Christelle – Rien…

Jérôme – C’est quand même incroyable…

Nathalie – Il n’y a que lui qui n’était pas à bord de l’avion, et finalement, Patrick sera la seule victime du crash de la Pas trop Cher Travel Discount Airways…

Christelle – Tu as appelé les pompiers…?

Jérôme – Ils devraient être là d’une minute à l’autre.

Jérôme – Tu crois vraiment qu’il a voulu se suicider ?

Christelle – On ne tombe pas d’un balcon comme ça…

Jérôme – Si seulement c’était lui qui avait peint mon tableau… Je pourrais encore espérer qu’il prenne de la valeur.

On entend le bruit d’une sirène d’ambulance qui s’approche.

Nathalie – Les voilà… Ils vont enfin pouvoir nous dire si Patrick est vraiment mort…

Jérôme – Il a l’air très mort, non ?

Nathalie – Un miracle est toujours possible…

Christelle – On est vendredi 13 !

Noir. Fin

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-04-8

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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Vendredi 13 Lire la suite »

Elle et Lui, Monologue Interactif

Him and Her, Interactive – Ella y El, Monólogo Interactivo  –  Ela e Ele –  Ona a OnAi dhe Ajo – Тя и Той

Une comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez

1 homme / 1 femme (ou plusieurs hommes et femmes)

Les hommes et les femmes peuvent-ils vraiment se comprendre surtout lorsqu’ils vivent en couple ? Mieux vaut en rire…

Cette comédie à sketchs a déjà été montée en France, en Belgique, en Bulgarie, au Luxembourg, en Macédoine, en Iran, en Uruguay, à Hong Kong…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.

 


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Pour les achats en nombre, cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison avec un délai d’une semaine environ.


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Le mot de l’auteur

« Elle et Lui, monologue interactif » est une comédie à saynètes sur le couple. Mais ce n’est pas une succession de sketchs comme on en a déjà écrits beaucoup sur les travers réciproques des hommes et des femmes, prétextes à d’infinies scènes de ménage certes comiques mais assez conventionnelles et sans grande profondeur. Si avec « Elle et Lui » l’humour est bien au rendez-vous, il s’agit dans cette pièce (comme l’indique le sous titre « monologue interactif ») moins des petits arrangements et autres compromissions rendant possible au quotidien la vie à deux, que de l’espoir illusoire, pour rompre notre solitude existentielle, de tout simplement pouvoir parler à l’autre avec quelques chances d’être compris, et d’écouter ce qu’il a à nous dire avec quelques chances de le comprendre. Hélas, même au sein du couple, ce qu’on appelle dialogue n’est souvent que l’entrecroisement de deux monologues. Ce qu’on nomme parfois un dialogue de sourds…

Le couple quel qu’il soit (marié ou non, hétérosexuel ou pas, avec ou sans enfant) est un des éléments fondamentaux de la vie en société. Le couple moderne, cependant, constitue le cadre privilégié d’une communication libérée de ces conventions sociales toujours de mise avec les voisins, les amis voire le reste de la famille. En couple, on peut presque tout se dire, cette franche sincérité étant aussi supposée tout excuser. Dans le couple fusionnel, on n’est finalement plus qu’un, et parler avec l’autre, c’est un peu se parler à soi-même. Le dialogue en intérieur tend à devenir un dialogue intérieur. Le partenaire est alors un confident plus ou moins conciliant, qu’il faut néanmoins ménager un tant soit peu pour maintenir la pérennité du couple.

L’humour de cette pièce repose donc avant tout sur le caractère très désinhibé des échanges au sein de ce couple, que cette désinhibition relève d’une confiance un peu naïve dans la bienveillance supposée du conjoint à l’égard des faiblesses qu’on lui confesse, ou bien révèle une certaine cruauté dans le regard que l’on porte sur lui quand la politesse qui est de mise avec les autres n’est plus là pour adoucir le propos. Évidemment, le couple peut aussi être le lieu de tous les mensonges lorsque notamment l’ombre de la trahison ultime qu’est l’adultère menace son existence même.

Ainsi, la difficulté, la grandeur et les petites bassesses de la vie en couple peuvent donner lieu à d’innombrables situations comiques, soit dans le huis-clos un peu absurde du ménage à deux, soit par l’irruption perturbatrice des « autres » dans l’intimité de ce cocon à la fois rassurant et mortifère qu’est l’espace intime du couple…

Et l’amour dans tout ça ? Si selon la formule consacrée l’amour est aveugle, cette comédie tend surtout à démontrer qu’il est si ce n’est sourd du moins malentendant. Fort heureusement, il n’est pas nécessaire de s’entendre pour s’aimer, bien au contraire. S’aimerait-on encore si on se connaissait vraiment ? Et si l’amour n’était finalement qu’un doux malentendu ?

Les hommes et les femmes peuvent-ils se comprendre, surtout lorsqu’ils vivent en couple ? Mieux vaut en rire…


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE À LIRE OU IMPRIMER

Elle et Lui, Monologue Interactif

Entrée des artistes

1 – Nuit de noces

2 – Le temps des cerises

3 – Panne de télé

4 – Quarantaine

5 – Définition de l’amour (par défaut) et Retrouvailles

6 – Tiens, voilà du Boudin !

7 – Disparition

8 – L’Equipe

9 – Où est-ce qu’on va quand on est mort ?

10 – La saison des pluies

11 – Petit commerce

12 – Coup de vieux

13 – Cauchemar

14 – Les meubles

Sortie de secours


Entrée des artistes

Le noir (et donc le silence) se fait, comme si le spectacle allait commencer. Mais il ne se passe rien pendant un temps assez long pour que le malaise s’installe. La lumière se rallume dans un coin de la salle où un spectateur et une spectatrice qui ne se connaissent pas sont assis l’un à côté de l’autre. L’homme compulse nerveusement l’Officiel des Spectacles. Il regarde sa montre. La femme puise dans un grand pot de pop corn. Elle grignote de façon compulsive et peu discrète.

Lui – Excusez-moi, vous savez ce qui se passe… ?

Elle (avec un geste d’ignorance) – On attend les comédiens…

Lui – Jusqu’à maintenant, il n’y avait que les spectateurs qui arrivaient en retard au théâtre. Si les acteurs s’y mettent aussi…

Silence.

Elle (inquiète) – Je peux voir votre Officiel. Au cas où la représentation serait annulée…

Il lui tend son Officiel. Elle ne sait pas comment le saisir avec son pot géant de pop corn entre les mains.

Elle (lui tendant son pot de pop corn) – Vous en voulez ?

Il hésite, puis accepte, pour la débarrasser. Elle feuillette l’Officiel mais semble s’y perdre. Il mange un pop corn et fait la moue.

Elle (renonçant) – Excusez-moi, j’ai l’habitude de Pariscope…

Lui (avec un air dégoûté) – Je n’aime pas trop le pop corn non plus…

Elle lui rend son Officiel et récupère son pop corn.

Elle – De toute façon, c’est foutu pour une séance de cinoche… Tant pis, je préfère attendre.

Lui – J’espère que ça vaut le coup…

Elle (inquiète) – Les critiques sont mauvaises ?

Lui (regardant derrière lui) – Il n’y a pas grand monde dans la salle…

Elle – Remarquez, les critiques, ça ne veut rien dire, hein… Des fois au théâtre, on voit de ces trucs. Encensés par Télérama. Ça dure des heures. Personne n’ose dire qu’il s’emmerde de peur de passer pour un con. Après, on vous dira : la preuve que c’est une pièce profonde, vous n’avez rien compris.

Lui – Avec la comédie au moins, les gens simples ont parfois de bonnes surprises. Même quand les critiques ont trouvé ça sinistre… C’est très dur de faire rire un critique.

Elle – Vous êtes critique ?

Lui – Pas vous ?

Elle – Comédienne…

Lui – Ah, oui…

Elle – À part les comédiens et les critiques, plus personne ne va au théâtre. Un spectateur sur deux est un acteur. On finira par ne plus savoir où est la scène…

Lui – Vous connaissez la pièce ?

Elle – Non… Mais j’ai une amie qui joue dedans. Je viens la voir… pour lui faire plaisir.

Lui – C’est une actrice connue ?

Elle – Elle fait surtout du théâtre…

Lui – Dans ce cas… (Un temps, soupçonneux) Vous êtes vraiment comédienne ?

Elle (inquiète) – Vous trouvez que je joue mal ?

Lui – Non, non… Vous jouez très bien.

Elle – Comédienne le soir et… gardienne de musée pendant la journée.

Lui – Vu la modernité du répertoire, c’est un peu le même métier…

Silence.

Elle – Je n’ai plus de pop corn.

Lui (soupirant) – On sera peut-être morts de faim avant le début de la pièce.

Elle – Oui, on dirait qu’ils nous ont oubliés…

Lui – Dans quelques années, une femme de ménage retrouvera nos deux squelettes l’un à côté de l’autre, la main dans la main.

Elle – La main dans la main… ?

Lui – En voyant venir la fin, on s’abandonnera peut-être à un élan de tendresse. On est un peu comme deux naufragés sur une île déserte, hein ? On n’a pas tellement le choix…

Elle – Vous croyez qu’ils vont nous rembourser ?

Lui (étonné) – Vous avez payé ?

Elle – Non…

Lui – Dans ce cas…

Ils se lèvent pour partir.

Lui – On pourra toujours revenir un autre jour…

Elle – La pièce ne sera sans doute plus à l’affiche. Vu son immense succès…

Lui – On ira en voir une autre.

Elle – C’est une invitation… ?

Lui (sortant un carton) – Pour deux personnes.

Elle – J’espère que cette fois ça commencera à l’heure… C’est quoi cette pièce… ?

Lui (lisant le carton) – Elle et Lui…

Ils échangent un regard dubitatif.

Elle – Ça n’a pas l’air très gai…

Lui – N’oubliez pas de rallumer votre portable…

Elle – Ah tiens, c’est vrai, j’avais encore oublié de l’éteindre.

Ils s’en vont. Noir dans la salle.

 

1 – Nuit de noces

Elle et lui s’affalent sur le canapé, visiblement exténués.

Elle – J’ai cru qu’ils ne partiraient jamais…

Lui – Il paraît que sept couples sur dix ne baisent pas pendant leur nuit de noces. Je comprends pourquoi…

Elle – On pourrait peut-être essayer de faire mentir les statistiques…

Lui – Tu oublies qu’on décolle à 6H45… De Beauvais…

Elle – De Beauvais  ?

Lui – Je t’ai dit ! J’ai eu les billets avec une enchère sur eBay…

Elle – Pourquoi les compagnies low cost décollent de la ville la plus déprimante de France… ? D’un autre côté, c’est vrai que quand tu pars de Beauvais, ça fait rêver d’atterrir n’importe où. Même à Bratislava…

Lui – Il paraît que c’est très beau, Bratislava… Au printemps…

Elle – Tu ne confonds pas avec Prague… ?

Lui – C’est à côté, non  ?

Elle – Les Seychelles c’est beau toute l’année… Et je te rappelle que le printemps, c’est que dans deux mois…

Lui – Oh, Les Seychelles… Tout le monde y va…

Elle – C’est sûr qu’un voyage de noces à Bratislava, c’est beaucoup plus original… On ne risque pas de croiser beaucoup de jeunes mariés dans l’avion… Le seul couple qui avait confondu Bratislava avec Brasilia a revendu ses billets sur eBay…

Lui – On se paiera Les Seychelles dans quelques années… Pour notre anniversaire de mariage…

Elle – C’est ça, pour nos noces d’argent… Quand je ne pourrai plus rentrer dans mon maillot de bain… (Soupir) La vie est mal faite. On devrait hériter à 20 ans, commencer à travailler à 50 à la fin de sa retraite, et faire des gosses à 70, histoire de pas vieillir tout seul… Et le mariage ferait office de dernier sacrement…

Lui – D’un autre côté, une vie sans belle-mère… Est-ce que ça vaut vraiment la peine d’être vécue…?

Elle – Tu crois que je t’aimerai encore, dans 20 ans ?

Lui – Est-ce que tu auras encore le choix…? Quand tu ne rentreras plus dans aucun maillot de bain…

Elle – Je connais une fille qui a dit non le jour de son mariage. Pour déconner. Elle voulait dire oui tout de suite après… Mais ça n’a pas du tout faire rire le maire. Elle a dû attendre six mois avant de pouvoir se représenter à la mairie… Il y a un délai de prescription, il paraît. C’est comme pour le permis de conduire. Tu peux pas le repasser tout de suite après l’avoir raté. Tu savais  ?

Lui – Non…

Elle – C’était chiant, ce mariage, non  ?

Lui – On ne se marie pas pour s’amuser…

Elle – Ne me dis pas que c’est pour partir à Bratislava depuis Beauvais au milieu de la nuit, parce que là, je commencerais vraiment à me demander si j’ai bien fait de dire oui… C’est dans quel pays, au fait, Bratislava ?

Lui – Je ne sais pas trop… Prague, c’était la capitale de la Tchécoslovaquie…

Elle – Alors tu ne sais même pas dans quel pays tu m’emmènes en voyage de noces ! Ma mère a raison, je ne sais vraiment pas où je vais, avec toi…

Lui – Attends… Prague, c’est la capitale de la Tchéquie… Bratislava, ça doit être la capitale de la Slovaquie. Ou de la Slovénie… En tout cas, c’est dans la zone euro ! On n’aura même pas à changer d’argent…

Elle – Et toi, tu m’aimeras encore, dans 20 ans… ?

Lui – Comment ne pas aimer toute la vie une fille qui accepte de me suivre dans un pays inconnu de la zone euro… ?

Elle – Si c’est une épreuve, alors…

Séquence émotion, interrompue par lui.

Lui – Je ne voudrais pas te presser, mais notre avion décolle dans deux heures. Et Beauvais, ce n’est pas la porte à côté…

2 – Le temps des cerises

Un couple, assis sur un canapé.

Elle – Tu as vu ? Le cerisier est en fleurs.

Lui – Encore une année de passée…

Silence.

Elle – On est heureux… ?

Lui – Oui… (Un temps) On s’emmerde, non ?

Elle – Ensemble ?

Lui – En général.

Elle réfléchit.

Elle – On pourrait changer de canapé…

Lui – Qu’est-ce qu’on ferait de l’ancien ?

Elle – Partir en vacances…

Lui – Ce n’est pas la saison.

Elle – Faire une fête…

Lui – Pour fêter quoi ?

Elle (réfléchissant) – La floraison du cerisier !

Lui – Il paraît que les Japonais font ça, au printemps. Ils invitent des amis à admirer leur cerisier, en sirotant du thé, sans rien dire…

Elle – Il faudrait se dépêcher. Les premières pétales tombent déjà.

Lui – C’est masculin.

Elle – Quoi ?

Lui – Pétale. C’est masculin. Les premiers pétales. (Un temps) Et qui est-ce qu’on inviterait ?

Elle – Des amis.

Lui – Les gens ne sont jamais libres…

Elle – Il suffit de les prévenir à l’avance!

Lui – Tu leur proposes de prendre l’apéritif, ils sortent leur agenda. Au lieu de boire l’apéro, on discute d’une date éventuelle. La semaine d’après, ils te rappellent pour annuler et fixer une nouvelle date… (Un temps) Moi, quand j’ai envie de boire un coup, c’est tout de suite. Dans trois semaines, je n’aurai peut-être plus soif. Il n’y a plus aucune improvisation!

Elle – C’est peut-être parce que les gens ont peur de s’ennuyer, justement…

Lui – Tu verras! Ils ne seront pas libres. Ils te proposeront une date. En attendant, les pétales du cerisier seront par terre.

Elle – Un tapis de pétales, c’est joli aussi.

Lui – Aujourd’hui il fait beau. Quel temps il fera dans un mois ? En plus de faire coïncider les agendas, il faudrait consulter Météo France. Inviter des amis, ça devient encore plus compliqué que de prévoir une éclipse. (Un temps) Non… Plutôt que de risquer de m’amuser avec des tas de gens dans un mois, je préfère encore être sûr de m’ennuyer tout de suite avec toi.

Elle – C’est gentil…

Lui – La dernière fois, mon meilleur ami me laisse un message. Ça faisait six mois que je n’avais pas eu de ses nouvelles. Je le rappelle aussitôt et je lui propose de prendre un café. Il me répond qu’il n’est pas libre, qu’il m’appellera pour fixer une date. J’attends toujours. Je n’ai jamais su pourquoi il m’avait téléphoné…

Elle – Il avait peut-être un coup de cafard… ?

Lui – Je ne sais pas si après son coup de fil, il s’est senti beaucoup moins seul. Dans six mois il me rappellera, et ce sera la même chose. Alors c’est ça qu’on appelle des amis, maintenant ? (Un temps) Internet, c’est pareil, hein ? On nous dit que c’est «convivial». Tu n’adresses pas la parole à ton voisin, mais avec ça, tu vas pouvoir bavarder avec les Chinois en espéranto. Tu en connais beaucoup, toi, des Chinois ?

Elle – Quand j’étais petite, avec mon voisin d’en face, on essayait de communiquer en morse, la nuit, avec des lampes électriques. Ça ne marchait déjà pas très bien…

Lui – Les gens sont surbookés en permanence. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien avoir à faire de tellement intéressant, au point de ne jamais avoir le temps de prendre un verre avec leur meilleur ami à l’improviste. Moi, j’essaie de rester disponible. Mais personne n’est jamais libre. Alors je m’emmerde… Tu ne t’ennuies pas, toi ?

Elle – Avec toi, jamais…

Silence.

Lui – Et si on se le prenait quand même, cet apéro ?

Elle – Tous les deux ?

Lui – Tu serais libre ?

Elle – Quand ?

Lui – Tout de suite.

Elle – Pas de problème.

Lui – Je vais chercher les verres.

Elle – Je m’occupe des cacahuètes.

On sonne.

Lui – On attend quelqu’un ?

Elle – Non. Qui ça peut bien être à cette heure-ci ? On va bientôt passer à table.

Il fait signe qu’il ne sait pas.

Lui – Les gens sont d’un sans gêne. On ne peut pas être tranquille cinq minutes, même le week-end.

Elle – Je vais aller ouvrir…

Lui – Je ne suis là pour personne.

Elle se retourne vers lui.

Elle – Et si c’est un ami ?

Il réfléchit.

Lui – Tu lui dis que notre cerisier du Japon est encore en fleurs… Et qu’il repasse quand il aura des cerises.

3 – Panne de télé

Un couple assis sur un canapé. La pièce est vide de tout autre meuble. Ils ne font rien, ne disent rien, et regardent fixement droit devant eux.

Elle – Qu’est-ce qu’il y a, ce soir, à la télé ?

Lui – Je ne sais pas. Pourquoi ?

Elle – Pour savoir… (Un temps) Tu ne veux vraiment pas qu’on en rachète une ?

Lui – Quand on avait la télé, on ne pouvait pas s’empêcher de la regarder!

Elle – C’est fait pour ça, non  ?

Lui – On était complètement abrutis! On ne faisait rien d’autre!

Ils regardent toujours fixement droit devant eux.

Elle (ironique) – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?

Elle – Rien…

Lui – C’est déjà mieux que de regarder la télé… (Un temps) Quand il n’y avait qu’une chaîne, encore, ça allait. Maintenant avec le câble…

Elle (nostalgique) – Quand j’étais petite, on n’avait pas la télé. J’allais la regarder chez mon voisin…

Lui – Tu veux que je demande au voisin si tu peux aller regarder la télé chez lui ?

Silence.

Elle – On pourrait discuter.

Il lui lance un regard inquiet.

Elle – Puisqu’on n’a plus de télé, on pourrait en profiter pour discuter.

Lui – Vas-y, commence.

Elle réfléchit.

Elle – Tu m’aimes ?

Lui (interloqué) – On pourrait peut-être commencer plus progressivement…

Il réfléchit.

Lui – Qu’est-ce qu’on mange, ce soir ?

Elle – Mercredi, c’est le jour du poisson.

Lui – Normalement, c’est le vendredi…

Elle – Le vendredi, c’est poulet.

Lui – C’est pas très catholique, tout ça…

Silence.

Lui – Qu’est-ce que je prends comme poisson ?

Elle – J’irai. Il faut que j’achète des lentilles.

Lui – Chez Picard ?

Elle – Chez l’opticien… Je ne suis pas trop surgelés, en ce moment…

Lui – A propos de surgelé, tu as entendu parler de ce type qui s’est fait congelé ?

Elle – Il devait déjà être un peu givré. Si je prenais des maquereaux au poivre ?

Lui – C’est pas trop épicé ?

Elle – C’est poivré.

Silence.

Lui – Si un jour tu me trompais, tu me le dirais ?

Elle le regarde, surprise.

Elle – Tu veux dire : si tu me trompais, est-ce que je voudrais que tu me le dises ?

Lui – Aussi, oui…

Elle – Pourquoi tu me demandes ça ?

Lui – Comme ça, pour parler… Comme on n’a plus la télé.

Elle réfléchit.

Elle – Comment veux-tu que je réponde à cette question ?

Lui – Par oui ou par non.

Elle – Tu crois vraiment que c’est aussi simple que ça ?

Lui – Non ?

Elle – Répondre, c’est accepter déjà la possibilité que tu me trompes.

Lui – Et alors ?

Elle – C’est comme si tu me demandais : si je t’assassinais, tu préférerais que j’aille me livrer à la police après ou que j’essaie d’échapper à la justice ?

Il n’a pas l’air de comprendre le rapport.

Elle – Ça suppose que j’envisage tranquillement la possibilité que tu m’assassines. C’est ça la vraie question. La deuxième, est annexe.

Lui – Un adultère, ce n’est pas un crime, tout de même.

Elle – L’adultère conduit parfois au crime…

Il réfléchit, un peu inquiet.

Lui – Si je te trompais, tu pourrais me tuer ?

Elle – En tout cas, si je le faisais, j’irais certainement me livrer à la police après. La justice a toujours été très clémente pour les crimes passionnels…

Silence.

Elle – Donc, tu envisages tranquillement la possibilité de me tromper.

Lui – 95% des animaux sont polygames. Le reste ne vit en couple que le temps d’élever les gosses. Ça prouve bien que la fidélité, ce n’est pas un truc naturel…

Elle – On n’est pas des animaux.

Lui – Il y a quand même 5% d’animaux monogames. Ça ne fait pas d’eux des humains pour autant. Pourquoi la fidélité serait un critère d’humanité ?

Elle – C’est le fondement de la famille, qui est le fondement de la société.

Lui – Alors tu m’es fidèle par civisme ?

Silence.

Elle – Ça te pèse tant que ça, la fidélité ?

Lui – Non… Je me demande seulement si la fidélité a le même sens pour les hommes et pour les femmes.

Elle – Et alors ? Pourquoi les hommes sont fidèles, à ton avis ? Quand ils le sont, bien sûr…

Il réfléchit.

Lui – Pour éviter les complications… ?

Silence.

Lui – Je me demande si on ne ferait pas mieux de racheter une télé.

4 – Quarantaine

Elle est assise sur le canapé. Il arrive.

Lui – C’est dingue, je viens encore d’avoir un coup de fil d’un ami d’enfance qui m’invite pour ses 40 ans. C’est incroyable, non ?

Elle – Si vous aviez 20 ans à la même époque, ce n’est pas très étonnant que 20 ans après vous en ayez 40 à peu près en même temps.

Lui – Non, ce qui est dingue, c’est que je n’avais plus aucune nouvelle de tous ces gens depuis des années… Et là, le téléphone n’arrête pas de sonner!

Silence.

Elle – Tu vas y aller ?

Lui – Ça me fait un peu peur. Ils ont dû changer, depuis tout ce temps.

Elle – Physiquement, tu veux dire ?

Lui – Physiquement, moralement… J’espère qu’ils ne sont pas trop décrépis.

Elle (minaudant) – Et moi ? Tu es sûr que je suis pas trop décrépie ?

Lui – Toi, j’ai eu le temps de m’habituer petit à petit. Mais eux, comme ça, tout d’un coup… C’est carrément Le Retour des Morts Vivants… C’est bizarre, ce besoin subi de se rassembler à l’approche de la quarantaine.

Elle – Ça s’appelle un anniversaire, non ?

Lui – On dit que les animaux se rapprochent des hommes en sentant venir la fin. Ça doit être quelque chose ça. Une sorte d’instinct grégaire. (Un temps) Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui offrir à celui-là, encore ?

Elle – Une convention-obsèques… ?

Lui – C’est cher, non ?

Elle – Je plaisante… Et toi ?

Lui – Moi aussi.

Elle – Non, je veux dire : Et toi, tu comptes faire quelque chose pour tes 40 ans ?

Lui – Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Tu as une idée pour empêcher ça ? En tout cas, je t’en prie, tu ne me prépares pas de fête surprise, hein… ? Si je ne vois plus tous ces gens depuis 20 ans, il y a sûrement une bonne raison.

Silence.

Lui – Tu as quel âge, toi, exactement ?

Elle le regarde, offusquée, mais ne répond pas.

Elle – Il faudrait peut-être qu’on invite les voisins à dîner, un de ces soirs.

Lui – Pourquoi ?

Elle – Pour rien!

Lui – Eux, ils ne nous ont jamais invités.

Elle – Avec des raisonnements comme ça…

Silence.

Lui – Ce n’est pas parce qu’on est voisins qu’on est obligés d’être amis.

Elle – Tous nos amis habitent à cinq cents kilomètres ! C’est sympa d’avoir des amis à côté de chez soi…

Lui – Oui, c’est pratique… Ça limite les frais de déplacement. Donc la pollution. On pourrait presque dire que c’est écologique, de sympathiser avec ses voisins.

Silence.

Lui – Qu’est-ce qu’il fait, lui, au juste ?

Elle – Je ne sais pas exactement. Je le vois partir tous les matins avec une mallette. Je ne sais pas où il va. La prochaine fois, je lui demanderai, si tu veux…

Lui – Et elle ?

Elle – Ils sont très discrets…

Lui – Ça risque d’être joyeux, ce dîner. Si on ne veut pas paraître intrusifs…

Elle – Tu pourras toujours parler de toi.

Lui – Ils ont des enfants, non ?

Elle – Tous les jours, il y en a trois qui sortent de chez eux pour aller à l’école. Je suppose que ce sont les leurs.

Lui – Ah oui… Un petit, un moyen et un grand… (Inquiet) Il faudra les inviter aussi ?

Elle – Non! On leur précisera que c’est une soirée entre adultes. Ça les mettra à l’aise.

Lui (pris d’un doute) – Tu me parlais bien des voisins d’en face ?

Elle – Des voisins d’à côté! Les voisins d’en face, ils ont déménagé il y a six mois, après leur divorce. Tu n’as pas vu le panneau à vendre ?

Lui – Non.

Elle – D’ailleurs, ils n’avaient pas d’enfants.

Lui – Ah, ouais… ?

Silence.

Elle – Ce ne serait pas la semaine ménage, par hasard ?

Lui – Ce n’est pas impossible. (Soupirant) Le ménage, c’est le ciment du couple… La preuve, un couple, on appelle ça un ménage. Quand on est trois, un ménage à trois.

Elle – Trois, ça peut aussi être un couple avec un enfant…

Lui – Chacun ses fantasmes.

Silence.

Elle – Alors ?

Lui – Tu crois vraiment qu’on a les moyens d’avoir un enfant en ce moment  ?

Elle – Ce n’est pas une question d’argent, tu le sais bien… Et puis on n’est pas si pauvre que ça…

Lui – On le sera avec une ribambelle de gosses…! Regarde ce qui se passe en Afrique, avec la natalité galopante… J’ai lu un bouquin, il y a des années : «L’Afrique Noire est mal partie». Eh ben ça ne s’est pas arrangé depuis… Aujourd’hui, plus personne ne pense sérieusement que l’Afrique pourrait aller quelque part… Sauf avec la dérive des continents… Plus les gens ont d’enfants plus ils sont pauvres…

Elle – Tu es sûr que ce n’est pas l’inverse  ?

Lui – En tout cas, si les pauvres ne faisaient pas d’enfants, au bout d’une génération, tout le monde serait riche… Prends les chinois. Ils n’ont plus droit qu’à un enfant. Eh bien ça va déjà mieux…

Elle – Alors commençons par en faire un…

Lui – Quand est-ce qu’on s’en occuperait, de cet enfant ? On n’a déjà pas le temps de passer un coup de balai ?

Elle – On prendrait une femme de ménage.

Lui – Où est-ce qu’on le mettrait, ce bébé ?

Elle – Tu pourrais installer ton bureau en bas.

Lui – Ça commence bien… Et toi ? Tu comptes arrêter de travailler ?

Elle – On prendra une nourrice.

Lui – En plus de la femme de ménage ? Ce n’est plus un ménage à trois, là, c’est une PME! Je ne suis pas sûr d’avoir l’esprit d’entreprise…

Silence.

Lui – On ne pourra plus sortir le soir.

Elle – On prendra une baby-sitter.

Lui – Je ne m’étais jamais rendu compte à quel point la natalité avait un effet direct sur l’emploi.

Elle – Et sur la consommation…

Lui – Couches, petits pots, jouets, soins médicaux…

Elle – Nouvelle voiture…

Lui – Finalement, tu as raison, je crois que cet enfant est capable de sortir le pays de la crise… 

 

5 – Définition de l’amour (par défaut)

Lui (à une interlocutrice imaginaire) – Ça fait combien de temps qu’on se connaît ? Vingt ans, au moins, non ? (Silence) Pourquoi on a jamais couché ensemble, au fait ? C’est vrai, on s’entend bien… On aurait même pu se marier! C’est marrant, je te vois un peu comme une ex. Alors qu’on n’est jamais sortis ensemble… On a failli, une fois, tu te souviens ? Tu m’avais fait boire. A moins ce ne soit le contraire. On a fini chez toi, complètement bourrés. On a rigolé comme des bossus pendant toute la nuit, mais on a oublié de coucher ensemble. C’est peut-être parce qu’on s’entend trop bien, justement. Ça manquerait un peu de piment. On s’ennuierait, à la longue. C’est vrai, on se marre bien, tous les deux, mais… Je ne m’imagine pas en train de faire l’amour avec une fille qui se marre. Bon, il y a rire et rire. Je peux faire rire une fille pour coucher avec elle. Mais alors coucher avec une fille qui me fait marrer…! Non, si je couchais avec toi, j’aurais l’impression de coucher avec un copain. Avec une copine, si tu préfères. Et puis je n’aime pas les blondes. Je sais, tu n’es pas blonde. Mais tu l’étais quand je t’ai rencontrée… J’ignorais que ce n’était pas ta couleur naturelle, moi! A quoi ça tient, hein ? Ce n’est pas que je n’aime pas les blondes, mais… Ça dépend. Ça devait être la couleur. Tu étais un peu trop blonde pour moi. Les filles trop blondes, je ne sais pas, ça me dégoûte un peu. Physiquement. Je ne sais pas pourquoi… Ça doit être une question de peau. Maintenant, c’est trop tard. Je t’imaginerai toujours dans la peau d’une blonde qui s’est faite teindre en brune. Et puis tu n’es pas vraiment brune… C’est pas châtain, non plus. Je ne sais pas comment appeler ça… C’est ni blond ni brun. Ce n’est pas que tu ne me plais pas, hein ? D’ailleurs, tu plais à tous les mecs. D’habitude, c’est plutôt motivant… Mais là, non. Non, je n’arrive pas à définir exactement pourquoi je n’ai jamais eu envie de coucher avec toi… Ça doit être ça, l’amour… Je veux dire, le «je ne sais quoi» qui fait qu’on a envie de baiser ensemble, ou plus si affinité. On a réussi à cerner ce que c’était, dis donc! Par défaut… Maintenant, pourquoi je me suis marié avec ma femme plutôt qu’avec toi ou une autre, alors là ? Bon, déjà, à elle, je lui plaisais. C’était moins compliqué. Si je ne lui avais pas plu, est-ce que je me serais accroché… ? Et si je m’étais accroché, est-ce que ça lui aurait plu… ? On ne le saura jamais. L’amour partagé, c’est plus simple, mais c’est moins… Comment dire… ? A vaincre sans péril, on a le triomphe modeste. D’ailleurs, je me demande ce qu’elle a bien pu me trouver ? Tu as une idée, toi…  ? Je pourrais lui demander, tu me diras, mais… Si elle me retourne la question… Des fois, il y a des sujets qu’il vaut mieux ne pas aborder. Un peu de mystère, dans le couple, ça ne peut pas nuire. Enfin, il ne faut pas exagérer, non plus. Une fois je suis sorti avec une fille. Au bout d’un an, elle m’a plaqué. Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu qu’elle s’emmerdait au lit avec moi. Un an! Il y a des limites à la discrétion… Alors maintenant, pourquoi elle est sortie avec moi pendant un an ? Je n’ai même pas pensé à lui demander… Il devait quand même bien y avoir une raison! Ou alors elle m’a menti. Sur mes performances sexuelles, je veux dire… Pour se venger… Je ne dis pas ça parce que ça m’a vexé dans mon orgueil de mâle, hein ? Ça m’a un peu surpris, c’est tout. C’est vrai, j’ai plutôt la réputation d’être un bon coup. Et toi ? Non, je veux dire, et toi, tu ne veux vraiment pas me dire pourquoi tu n’as jamais eu envie de sortir avec moi ? (Inquiet) Tu n’es pas obligée de me répondre, hein ?

Et Retrouvailles

Elle arrive, avec un grand sourire.

Elle (ravie) – Tu me reconnais ?

Lui (se retournant embarrassé) – Non.

Elle (avec un air entendu) – C’était il y a quelques années, mais bon…

Lui – Ah, oui, peut-être…

Elle (un peu offusquée) – Peut-être ?

Lui – Si, si, ça me revient, oui… Comment ça va ?

Elle – Ça va. Qu’est-ce que tu fous là ?

Lui – Ben, rien. Et toi ?

Elle (inquiète) – J’ai changé à ce point là ?

Lui – Non, pourquoi ?

Elle – Tu n’avais pas tellement l’air de me reconnaître, tout à l’heure.

Lui – Excuse-moi, je ne m’attendais pas à te revoir, c’est tout.

Elle – En tout cas, toi, tu n’as pas changé, hein ?

Lui – Merci…

Elle – Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

Lui – Bof, toujours pareil…

Elle – Toujours aussi bavard, hein ?

Il ne sait pas quoi dire.

Elle – Tu es revenu il y a longtemps ?

Lui – D’où ?

Elle – Ben, de là-bas!

Lui – Ah, euh… Oui. Enfin, non.

Ils se sourient bêtement, gênés.

Elle (émue) – Ça m’a fait plaisir de te revoir.

Lui (gêné) – Moi aussi…

Elle (sur un ton entendu) – Il faut que j’y aille, là, on m’attend.

Après une hésitation.

Elle – On s’embrasse ?

Lui – Ok…

Le prenant par surprise, elle lui roule un patin.

Elle (pathétique) – A une autre fois, peut-être.

Lui (perturbé) – Peut-être, ouais…

Elle – Bon ben, salut Paul!

Elle se détache de lui, les larmes aux yeux.

Lui – Ouais, salut.

Elle s’en va. Ils se font des petits signes. Il reste seul.

Lui (interloqué) – Paul ?

6 – Tiens, voilà du Boudin !

Un couple, admirant contre un mur invisible quelque chose qu’on ne voit pas.

Lui – C’est Bonnard, hein  ?

Elle – Non, c’est…

Elle s’approche et, se penchant, lit le nom du peintre sous le tableau.

Elle – Picasso.

Lui – Ah, oui…

Ils admirent longuement le tableau, puis passent à un autre.

Elle (joueuse) – Tu essaies de deviner ?

Lui – Si tu veux…

Il regarde le tableau attentivement.

Lui – Miro ?

Elle – C’est toi qui deviens miro. Faudrait penser au double foyer…

Lui – Milo ?

Elle – Milo! Tu veux dire Millet ?

Lui – Ah, oui! Je confonds toujours. L’Angélus de Millet, et la Venus de Milo.

Ils passent à un autre tableau.

Lui – A toi ?

Elle regarde avec attention.

Elle – Manet… ?

Il regarde le nom sous le tableau.

Lui (corrigeant) – Monet!

Elle – Oh…! C’est un peu pareil, non ?

Ils passent à un autre tableau.

Elle (très sérieusement) – Tiens, voilà du Boudin…

Il la regarde, interloquée, puis ils regardent tous les deux le tableau.

Elle – C’est bien, hein ?

Lui – Oui, c’est…

Elle – C’est du Boudin.

Lui – Oui…

Silence.

Elle (pensif) – Je me demande toujours…

Lui – Quoi ?

Elle – Si je ne savais pas que c’était du Boudin, est-ce que je trouverais ça aussi bon.

Il la regarde sans comprendre.

Elle – Si j’ignorais que ces tableaux valent des milliards! Franchement, imagine que tu n’aies jamais entendu parler de La Joconde. Tu tombes dessus dans une brocante. À vendre. Cinq cents balles. Est-ce que tu peux affirmer, sincèrement, que tu l’accrocherais au-dessus de ta cheminée ? Cette gourde avec son sourire idiot ?

Il réfléchit.

Lui – On n’a pas de cheminée, de toute façon…

Elle – Non, il faut être honnête, on a beau avoir visité des dizaines de musées et des centaines d’expositions, est-ce qu’on ferait vraiment la différence entre une croûte et un chef-d’oeuvre… ?

Lui – On ne saura jamais. On ne voit que des chefs-d’oeuvre, dans les musées. C’est un tort, d’ailleurs. Dans chaque musée, ils devraient réserver une salle pour exposer exclusivement des croûtes. Le principe du test placebo, tu vois ? Histoire de vérifier si les autres tableaux sont vraiment beaux, ou si on les trouve beaux seulement parce qu’on nous a dit qu’ils l’étaient.

Elle – Oh… De toute façon, les musées, c’est comme les églises, hein  ? On y va surtout pour l’ambiance.

Lui – On n’a pas besoin d’être croyant pour être pratiquant, heureusement… C’est comme pour l’amour…

Elle le regarde, pas sûre de bien comprendre.

Lui – Non, je veux dire, c’est comme pour le mariage… Regarde-nous… On s’est bien mariés à l’église… Et pourtant on ne croit pas vraiment en Dieu…

Silence.

Elle – Tu te souviens de notre premier rendez-vous  ? Tu m’avais emmenée au musée Picasso…

Lui (nostalgique) – Ah, oui…

Elle – On était tellement émus… Ce n’est qu’à mi-parcours qu’on s’est rendu compte que c’était le musée Carnavalet…

Lui – Eh, oui… Ils sont tous les deux dans le Marais…

Elle (amusée) – Je commençais à me demander pourquoi les préliminaires duraient si longtemps…

Lui – Les préliminaires… ?

Elle – Enfin, je veux dire, euh… Picasso… Sa première période…

Lui – Ah, oui…

Silence. Ils commencent à s’éloigner.

Elle – Tu as entendu parler de cet artiste qui peint sous la mer ?

Il ne comprend pas bien.

Elle – Il a une combinaison d’homme-grenouille, il plante son chevalet sur les fonds marins et il peint des coraux.

Lui – Des Corots ?

7 – Disparition

Un couple, assis sur un canapé. Ils ne parlent pas et ne se regardent pas. Ils semblent s’emmerder. Il se met à chercher quelque chose, mais ne le trouve pas.

Lui – Tu n’aurais pas vu la télécommande ? Elle a disparu…

Elle le regarde, étonnée.

Elle – Mais… on n’a plus de télé!

Lui – Ah oui, c’est vrai…

Silence.

Lui – Qu’est-ce que tu ferais si je disparaissais ?

Elle le regarde, interloquée.

Elle – Comme la télécommande ?

Lui – Mais non, pas comme la télécommande! Si je disparaissais, tu vois ce que je veux dire…

Elle – Tu ne te sens pas bien ?

Lui – Si, si, ça va. C’est juste une hypothèse.

Elle – Tu n’as pas une hypothèse plus gaie ?

Lui – Je suis plus vieux que toi. Je partirai sûrement avant.

Elle – On n’a que trois ans de différence…

Lui – Les femmes vivent plus longtemps que les hommes! Et puis je peux avoir un accident. Une crise cardiaque. Un cancer.

Elle – Moi aussi!

Lui – Oui, mais c’est moi qui ai posé la question le premier.

Elle – Je ne sais pas. Il sera toujours temps d’y penser.

Lui – Il vaut mieux prévenir…

Elle le regarde, ne comprenant pas.

Lui – Je veux dire, il vaut mieux prévoir.

Silence.

Lui – En tout cas, je te préviens, je préfère être incinéré.

Elle – Pourquoi tu me dis ça maintenant ?

Lui – Ben, je ne vais pas te le dire après, hein ? (Un temps) C’est ma hantise, ça. D’être enterré vivant. Pas toi ?

Elle – Ça ne doit pas arriver très souvent.

Lui – Il suffit d’une fois.

Elle – Et d’être brûlé vif, ça ne t’angoisse pas ?

Il la regarde, inquiet.

Lui – Je n’avais jamais pensé à ça… (Un temps) Tu crois qu’il y a une vie après la mort ?

Elle – Est-ce que c’est vraiment à souhaiter… ?

Lui – Tu n’aurais aucun souci à te faire du point de vue financier, tu sais…

Elle (surprise) – S’il y avait une vie après la mort, tu veux dire ?

Lui – Si je venais à disparaître!

Elle – Ah, oui… Je n’étais pas inquiète.

Silence.

Lui – Je ne t’en voudrais pas si tu te remariais.

Elle – Merci.

Lui – Enfin, vous n’êtes pas obligés de vous marier, non plus.

Elle – Qui ça, nous ?

Lui – Toi et lui. Le type avec qui tu te recaserais. Autant garder ton indépendance.

Elle – Quelle indépendance ?

Lui – C’est marrant, j’ai du mal à t’imaginer avec un autre mec, quand même…

Elle (vexée) – Tu crois que personne ne voudrait de moi ?

Lui – Si, si. justement. En fait, je pense que je serais jaloux.

Elle – Quand tu seras mort, tu seras jaloux ?

Lui – Oui…

Elle – Et si je disparaissais avant toi ?

Lui (de mauvaise foi) – Là, tu me prends de court. (Un temps) Si je me recasais, tu m’en voudrais ?

Elle – Je ne serais pas là pour le voir.

Lui – Mais tu serais jalouse… ?

Elle le regarde, méfiante, mais ne répond pas.

Lui – Avec qui tu me verrais ?

Elle – Tu veux que je te présente une copine, au cas où, c’est ça ?

Lui – Ben, pour les enfants, il y a les parrains et les marraines… Pour les députés, c’est pareil. Il y a les suppléantes. S’il y en a un qui meurt ou qui démissionne, on a immédiatement une remplaçante. C’est prévu…

Elle – Oui… Pour les voitures, il y a les roues de secours. En cas de crevaison… (Inquiète) Tu n’es pas en train de me dire que tu m’as déjà trouvé une suppléante… ?

Lui – Ben, ce n’est pas si évident, que ça, hein ?

Silence.

Lui – L’avantage avec la bigamie, c’est qu’en cas de décès, on n’est qu’à moitié veuf.

Elle le regarde, sidérée.

Elle – Oui…

 

8 – L’Equipe

Elle lit Elle. Il s’emmerde, hésite et ouvre L’Equipe. Elle le remarque et paraît surprise.

Elle – Tu achètes L’Equipe, maintenant ?

Lui (comme pris en faute) – Pourquoi je n’achèterais pas L’Equipe ?

Elle (incrédule) – Et… tu comptes le lire.

Lui – Je le feuillette… Pour voir…

Elle – Pour voir quoi ?

Lui – Je ne sais pas. Tous les mecs lisent ça, dans le métro. J’étais curieux de savoir ce qu’il y avait de si passionnant là-dedans…

Elle – Et tu as trouvé ?

Lui – Non…

Elle a l’air consternée.

Elle – Tu t’intéresses au sport ?

Lui – Très peu…

Elle – Alors ce n’est pas étonnant que tu ne vois pas l’intérêt de lire L’Equipe…

Il pose son journal.

Lui – Oui, enfin… S’intéresser au sport, c’est une chose. De là à éprouver tous les matins le besoin impérieux de savoir si Bordeaux a battu Bègles 3 – 2 ou s’ils ont fait match nul… (Un temps) Je ne sais même pas où c’est, Bègles…

Elle – C’est à côté de Bordeaux…

Lui (surpris) – Comment tu sais ça, toi…,

Elle (comme une évidence) – Ben, à cause de Mamère !

Lui – Ta mère habite à côté de chez nous !

Elle – Mamère, le maire… Le maire de Bègles, tu sais bien…

Lui – Ah oui…

Silence. Elle se replonge dans son magazine.

Lui – Qu’est-ce que tu en penses, toi  ?

Elle – Oh, moi, tu sais, le foot…

Lui – Du mariage homosexuel !

Elle – Ah… Oh, je me demande si c’est vraiment la solution…

Lui – Pour qui  ?

Elle (surprise) – Ben pour les homosexuels !

Il se replonge dans L’Équipe. Elle commence à être sérieusement inquiète.

Elle – Mais pourquoi ça te travaille tellement, tout d’un coup, de comprendre pourquoi les hommes lisent L’Equipe ?

Lui – Il faut croire que j’ai besoin d’être rassuré sur ma virilité…

Elle – Eh ben c’est raté!

Lui – Merci…

Elle (pour le réconforter) – Ecoute, on peut être un homme sans lire L’Equipe !

Lui – Tu crois… ?

Elle réfléchit.

Elle – Je ne sais pas… Tu veux que je t’abonne à Auto-Magazine  ?

Il la regarde, se demandant si elle se fout de lui. Elle reprend la lecture de Elle.

Lui – Et toi ?

Elle – Quoi, moi  ?

Lui – Quel intérêt tu trouves à lire Elle  ?

Elle le regarde.

Elle – Tu le lis aussi…

Lui – Oui, oh… C’est juste pour rigoler un peu…

Elle – Moi je ne lis pas L’Equipe… Même pour rigoler un peu…

Lui (perturbé) – Tu me trouves efféminé, c’est ça  ?

Elle – Mais non… Presque tous les hommes lisent les magazines féminins de leurs femmes. C’est connu. Pourquoi tu crois qu’il y a des pubs de bagnoles, dans Elle  ?

Lui (songeur) – C’est sûr qu’il n’y a pas beaucoup de pubs de machines à laver dans L’Equipe.

Elle – Et pourtant, le foot c’est très salissant… Il n’y a qu’à voir le nombre de footballeurs dans les pubs de machines à laver.

Elle reprend sa lecture de Elle. Il a toujours l’air préoccupé. Elle le remarque.

Elle – Il y a encore quelque chose qui te tracasse  ?

Lui – Non, je repensais à la différence entre les hommes et les femmes…

Elle – Oui…

Lui – Prends les vêtements, par exemple… Le pantalon n’est plus l’apanage des hommes, mais la jupe continue à être réservée aux femmes.

Elle le regarde, incrédule.

Lui – Pour les couleurs, c’est la même chose. Vous pouvez porter du gris comme du rose. Nous, on n’a droit qu’au gris. Ou au marron… (Un temps) Vous nous reprochez de ne pas aimer le shopping… Mais est-ce que vous vous rendez compte de la tristesse d’un magasin de chaussures pour hommes  ?

Elle a l’air inquiète.

Elle – Tu voudrais pouvoir mettre une mini-jupe rose avec des talons aiguilles ?

Lui – Mais non! C’est une juste constatation… Vous nous avez piqué le meilleur de nos attributs masculins, et on n’a rien reçu en échange. (Il rouvre L’Equipe, rageur) Heureusement qu’il nous reste L’Equipe.

 

9 – Où est-ce qu’on va quand on est mort  ?

Ils sont assis sur le canapé.

Lui – Le courrier est passé  ?

Elle – Tu attends une lettre  ?

Lui – Pas spécialement… Mais j’espère toujours un miracle en ouvrant la boîte. On m’annoncerait que j’ai remporté un concours auquel je n’ai pas participé. Qu’une vieille tante richissime dont j’ignorais l’existence est morte sans héritier. Que le Prix Nobel m’a été attribué par anticipation pour mon oeuvre à venir… Tous les jours, en ouvrant la boîte, je suis comme un gamin au pied du sapin, le matin de Noël.

Elle – C’est vrai… En grandissant, on ne croit plus au Père Noël, mais on croit toujours au facteur. D’ailleurs, il y a des similitudes… Ils ont tous les deux un uniforme. Ils passent avec une hotte. Ils déposent des pochettes surprises, et on ne les voit ni l’un ni l’autre…

Lui – Enfin, le facteur, c’est justement à Noël qu’on le voit, quand il vient chercher ses étrennes… (Soupirant) J’ai horreur de Noël. Tous les ans ça sent un peu plus le sapin… Et dans la boîte, il y a de plus en plus de faire-part… (Un temps) Mais pourquoi j’attends le facteur comme le messie, alors là… ? Remarque, le père du messie, c’était peut-être le facteur, hein ? Parce que le coup de l’immaculée conception… Il ne faut pas croire au Père Noël, quand même…!

Elle – Pour avoir des lettres, il faut en écrire. La plupart des gens ne reçoivent que des réponses. Si tu n’envoies jamais de lettres, il ne faut pas t’étonner de ne pas en recevoir… Je crois que je n’ai jamais reçu une seule lettre de toi…

Lui (ironique) – Tu veux qu’on s’écrive, de temps en temps  ?

Elle le regarde, indécise.

Lui – Qu’est-ce qu’on pourrait bien avoir à se dire  ? J’aurais l’impression de m’écrire à moi-même. D’ailleurs, on s’écrit toujours un peu à soi-même, non  ? Il y a des gens à qui on écrit des lettres interminables… Quand on les voit, on se rend compte qu’on n’a rien à leur dire. Non, il y a un côté onaniste, dans l’écriture…

Elle se sert un verre et allume une cigarette.

Lui – Tu fumes maintenant ?

Elle (surprise) – Oui… Ça fait bien vingt ans. Tu n’avais jamais remarqué  ?

Un temps.

Lui – Tu savais que chaque cigarette raccourcissait la vie de dix minutes  ? (Elle ne répond pas) Tu fumes combien de cigarettes par jour, toi ?

Elle (ironique) – D’après mes calculs, je devrais déjà être morte depuis six mois. Je ne comprends pas…

Silence.

Lui – C’est comme le téléphone portable, hein  ? Ce n’est pas très bon pour la santé. Il paraît qu’au-dessus d’un quart d’heure par jour, c’est la tumeur assurée. Tu as intérêt à ne pas dépasser le forfait… (Un temps) A propos, tu sais ce que m’a demandé ta fille ce matin, pendant que je me brossais les dents ?

Elle – Non.

Lui – Où est-ce qu’on va quand on est mort… ?

Elle – Qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Lui – A ton avis ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Oui. C’est exactement ce que je lui ai répondu.

Elle – Et alors ?

Lui – Elle m’a dit : Mais papa, quand on est mort, on va au cimetière!

Elle – Et après ?

Lui – Après, elle est repartie bouffer ses corn-flakes. Apparemment, elle était très contente de m’avoir appris quelque chose. Et un peu surprise qu’à mon âge, je ne sois pas encore au courant… (Un temps) C’est incroyable, non ?

Elle – Qu’elle ait posé cette question ?

Lui – Non, que les enfants aient cette capacité d’accepter des réponses simples à des questions simples. Un prof de philo aurait parlé de métaphysique, d’immanence, de transcendance, tout le bordel… De Dieu, dans le pire des cas. Les enfants sont beaucoup plus pragmatiques. D’ailleurs, ils sont naturellement athées.

Elle – Ils croient au Père Noël.

Lui – Oui… Parce que leurs parents leur disent qu’il existe et qu’il va leur apporter des cadeaux. Sinon, ils n’auraient pas été l’inventer tout seuls. Si on te disait qu’un bienfaiteur anonyme va te verser une prime de Noël tous les ans, tu ne serais pas pressée de remettre en cause son existence. (Un temps) Mais Dieu, il ne nous a jamais rien apporté à Noël, pourtant certains adultes y croient encore… Tu y crois, toi ?

Elle – Au Père Noël ?

Silence.

Lui – Ce qui est incroyable, aussi, c’est que ça ne lui fasse pas peur du tout, la perspective de finir enterrée. Nous, ça nous fout un peu les boules… Pourquoi ça ne lui fait pas peur, à elle ? (Un temps) Il faudra que je lui demande, ce soir, ce qu’elle entend exactement par «quand on est mort, on va au cimetière»… (Un temps) Qu’est-ce que tu entends par là, toi ?

Elle le regarde, étonnée.

Lui – Non, je veux dire, qu’est-ce que tu crois qu’elle entend par là ?

Elle – Ben… Ça.

Lui – Quoi, ça ?

Elle – Quand on est mort, on va au cimetière.

Il la regarde, interloquée.

Lui – Alors toi aussi, tu crois ça ?

Elle – Pourquoi, tu n’y crois pas, toi ?

Lui – Si… Je veux dire…

Il se marre.

Lui – Attends, ne me dis pas que pour toi aussi, c’est aussi simple!

Elle – Ben… D’une certaine façon, si.

Il la regarde, goguenard.

Elle – Je ne sais pas, tout à l’heure, tu trouvais ça merveilleux de ne pas se prendre la tête. De se contenter de réponses simples à des questions simples.

Lui – Oui, mais… Tu n’as pas cinq ans!

Elle – Bon, ben vas-y, toi. Je te pose la question : où est-ce qu’on va quand on est mort ?

Il est pris de court.

Lui – Ben… Ce n’est pas aussi simple que ça, hein ?

Elle – Mais encore… ?

Lui – Je ne sais pas, c’est… C’est la question du sujet…

Elle le regarde, attendant des précisions.

Elle – La question du sujet… ? Tu veux dire le sujet de la question ?

Il est désemparé.

Lui (pensif) – Où est-ce qu’on va quand on est mort ? (Il fait un geste d’ignorance) On va nulle part.

Elle – Ben, si…

Lui – Oui, si tu veux.

Elle – Même si je ne veux pas…

Lui – Non, mais… On va au cimetière, on va au cimetière…! Ça ne veut rien dire! On peut aussi aller au cimetière de son vivant, faire un petit tour, repartir et aller se taper un couscous. Qu’est-ce que ça veut dire, aller au cimetière ? Et puis on peut très bien mourir et ne pas aller au cimetière. Hein ? Quand on ne retrouve pas le corps! Alors là, on ne peut pas dire : quand on est mort, on va au cimetière. Tu vois bien que ce n’est pas aussi simple que ça.

Elle – Bon… Alors si ta fille te repose la question, qu’est-ce que tu répondras ?

Lui – Je ne sais pas… (Il réfléchit) Je répondrai… Quand on est mort, on va au cimetière… en général. Si on retrouve le corps… Quand on est vivant, on peut aussi aller au cimetière… Mais quand on est mort, c’est définitif.

Elle (hoquet) – Hips…

 

10 – La saison des pluies

Il est là, pas très réveillé, ni de très bonne humeur. Elle arrive, pleine d’entrain.

Elle (joyeuse, en regardant vers la salle) – Tu as vu ? Ils sont revenus !

Lui – Qui ? Les spectateurs ?

Elle – Ben oui, pas Les Envahisseurs !

Il la regarde avec un air las.

Elle – J’ai une de ces pêches, moi, ce matin.

Lui – Ah, ouais…?

Elle – J’ai super bien dormi.

Lui – Tant mieux…

Elle – Il y a des jours, comme ça… J’ai dû me lever du bon pied.

Lui – Mmm…

Elle – J’ai une de ces faims ! Pas toi ?

Lui – Non…

Elle – J’ai l’impression d’avoir bouffé des amphétamines. Ça doit être le printemps. Ça ne te fait pas cet effet là, toi ?

Lui – Je ne sais pas… Je n’ai jamais bouffé d’amphétamines…

Elle – Moi, un rayon de soleil, et hop ! Je vois la vie en rose.

Lui – T’as de la chance.

Elle – J’aurais dû naître dans un pays où il fait beau toute l’année.

Lui – Ça existe ?

Elle – Sous les Tropiques !

Lui – Il y a la saison des pluies.

Elle – Ah, ouais…

Lui – Ça dure six mois.

Elle – Tant que ça !

Lui (désignant les spectateurs) – Pourquoi tu crois qu’ils vont tous sur la Costa Brava au mois d’août ? Sous les Tropiques, c’est l’hiver, qu’il fait beau. L’été, il fait un temps pourri.

Elle – Au moins, il fait beau la moitié de l’année, et tu sais quand. C’est mieux organisé qu’ici. Là-bas, tu ne te demandes pas tous les matins si tu dois prendre ton parapluie ou pas. Et quand tu le prends, tu sais que c’est pour six mois.

Lui – En Antarctique, c’est pareil. L’année est divisée en deux. Il fait jour en été, et il fait nuit en hiver.

Elle – Tu as toujours la solution d’hiberner, comme les ours blancs.

Lui – Ouais… Mais maintenant, avec la fonte des glaces… Tu te couches fin octobre, et tu te réveilles le premier avril en train de dériver sur un iceberg au large des Canaries…

Elle soupire.

Elle – Et un pays où il y a 365 jours d’été, avec l’hiver réparti sur les 365 nuits, ça n’existe pas ? On s’en fout qu’il fasse beau la nuit. On dort.

Lui – Existe pas.

Elle – J’aurais dû naître sur une autre planète.

Lui – Parfois, je me demande si ce n’est pas le cas…

Un temps. Ils observent l’horizon.

Elle – On dirait que ça se couvre, non ?

Lui – Tu crois…?

Elle – Regarde ces gros nuages, là-bas. Le vent les ramène vers nous.

Lui – On vit dans un climat tempéré… En langage météo, ça veut dire que le pire est toujours possible. Et même probable, à court terme.

Elle – La météo… Tu as entendu leur dernière trouvaille ? Ils ne parlent plus en degrés Celsius ou Fahrenheit, mais en température ressentie… Ressentie par qui ? Par les frileuses comme moi ou par ceux qui n’ont jamais froid ? Par celles qui ont oublié de mettre un pull ou par ceux qui ont mis leur Damart… Je voudrais bien savoir quel thermomètre mesure ça, la température ressentie…

Lui – C’est comme le moral des Français… Il paraît qu’on a encore perdu deux points cette semaine.

Elle – Ça me déprime.

Lui – Ça y est, il flotte.

Elle – Je préfère ne pas voir ça… Tiens, je vais téléphoner à ma mère, pour savoir s’il fait beau à Toulouse.

Lui – Qu’est-ce que je disais ?

Elle – Quoi ?

Il mime le geste de ET le doigt pointé vers le ciel.

Lui – Téléphoner maison…

11 – Petit commerce

Elle lit. Il regarde fixement devant lui dans le vide. Elle le remarque.

Elle (surprise) – Qu’est-ce que tu regardes, comme ça  ?

Lui – La télé…

Elle – On n’en a plus !

Lui (soupirant) – Je sais, mais… C’est comme si on m’avait amputé des deux jambes et que j’avais encore des fourmis dans les pieds….

Elle écarquille les yeux, puis se replonge dans son bouquin, avant de se raviser.

Elle – Tiens, c’est bizarre, aujourd’hui, j’ai reçu un appel pour toi sur mon portable…

Lui – Ah oui, excuse-moi, j’ai complètement oublié de te prévenir. J’ai laissé ton numéro sur mon répondeur professionnel, pour qu’on puisse me joindre pendant les vacances…

Elle – Les vacances  ? Mais on ne part que dans une semaine !

Lui – Ben… Comme ça, ils l’auront.

Elle (sidérée) – Mon numéro de portable !  Et en attendant, pendant une semaine, je vais recevoir des appels de tes clients ?

Lui – Je ne sais pas, moi… Tu leur dis qu’ils me rappellent pendant les vacances…

Elle – Ça ne serait pas plus simple que tu t’en achètes un  ?

Lui – Un portable  ? Pfff… Quand je sors, c’est que je veux être un peu tranquille. Je n’ai pas envie qu’on me harcèle…

Elle – Tu préfères que ce soit moi qui reçoive tes coups de fil professionnels  ? J’étais en plein conseil de classe, un type m’appelle pour me demander quand je comptais… Enfin quand tu comptais lui livrer ton article intitulé « Faut-il Légiférer Contre le Port du String à l’Ecole »  ? Tu crois que ça ne me dérange pas, moi  ?

Lui – Tu ne coupes pas ton portable, pendant les conseils de classe  ?

Elle (ironiquement) – Excuse-moi, j’avais oublié… Ecoute, un portable, c’est quelque chose de très personnel. Ça ne se prête pas. Même entre mari et femme. Je ne sais pas, moi… C’est comme une brosse à dents !

Lui – Une brosse à dents  ? Alors là… Si tu veux te servir de ma brosse à dents pendant les vacances, il n’y pas de problème…

Elle – Un ordinateur, si tu préfères ! Tu me prêterais ton ordinateur, toi, si je n’en avais pas  ?

Son silence est éloquent.

Elle – Et après les vacances  ?

Il fait mine de ne pas comprendre.

Elle – Je continuerai à recevoir des appels pour toi ! ? Heureusement que tu n’as rien à cacher…

Lui – Après les vacances, je dirai que je l’ai perdu, ce foutu téléphone. Ou qu’on me l’a volé, tiens ! C’est très courant, les vols de portables.

Elle – Parfait ! Comme ça, si on m’appelle quand même, je me ferai traiter de voleuse… Je te rappelle qu’il est à moi, ce téléphone !

Lui – Si tu y tiens tellement, tu n’as qu’à me le laisser, ton portable. Tu t’en rachèteras un…

Elle – C’est ça ! Et ensuite, les gens qui voudront me téléphoner tomberont sur toi…

Lui – Je leur donnerai ton nouveau numéro, et puis voilà…

Elle – Tu as raison, c’est beaucoup plus simple que d’acheter directement un portable pour toi. (Un temps, soupçonneuse) Ça ne serait pas pour t’éviter cette peine que tu aurais décidé de coloniser le mien, par hasard… ?

Il hausse les épaules, avec une certaine mauvaise foi. Silence.

Lui – Tu sais comment m’a appelé le boucher, ce matin  ?

Elle n’en a visiblement aucune idée.

Lui – « Le p’tit monsieur »… (Imitant le boucher) « Qu’est-ce qui veut, le p’tit monsieur  ? ». C’est la première fois qu’il m’appelle comme ça…

Elle – Mmmm… Oui, c’est l’équivalent masculin de « Qu’est-ce que je lui sers à la p’tite dame  ? ».

Lui – Ça fait peur, non  ? Que le boucher puisse nous voir comme « le p’tit monsieur et la p’tite dame »  ? Heureusement qu’on ne fait pas les courses ensemble. Il serait foutu de nous appeler « le p’tit couple ». (Imitant à nouveau le boucher) « Qu’est-ce qui veut, le p’tit couple  ? ». Là, je crois que je deviens tout de suite végétarien.

Un temps.

Lui – La viande, ça m’a toujours un peu dégoûté, de toute façon. Pas toi  ?

Replongée dans son bouquin, elle ne répond pas. Il poursuit malgré tout.

Lui – Le poulet, à la rigueur… (Un temps) C’est vrai, c’est effrayant, une boucherie, si on y pense. Cette chair sanguinolente étalée partout. Ces carcasses d’animaux entiers dans la chambre froide. Toutes ces vaches innocentes qu’on enferme dans des camps à la campagne, entourés de fil de fer barbelé, parfois même électrifié. En attendant de les conduire à l’abattoir et de les démembrer… Pauvres bêtes. Heureusement, elles, elles ne sont pas au courant de ce qui les attend. Quand je les vois, avec cette espèce de suaire blanc sur la tête, sortir les cadavres de leurs victimes du camion frigorifique en les portant sur leurs dos…

Elle ne réagit toujours pas. Il se tourne à nouveau vers elle.

Lui – Tu savais que les sikhs étaient strictement végétariens  ?

Elle lève enfin le nez de son bouquin.

Elle – Ah, au fait, ce n’est pas la peine de passer au bazar, pour le néon de la salle de bain. J’y suis allée cet après-midi. (Un temps) J’ai croisé la voisine. Elle était en train d’acheter une valise…

Il la regarde sans comprendre. Le portable de la femme sonne.

Elle – Oui… ?

Son visage se fige.

Elle (avec une amabilité affectée) – Non, c’est sa secrétaire, mais ne quittez pas, je vous le passe tout de suite. Qui dois-je annoncer  ? (Lui tendant son portable, excédée) C’est pour toi. Ton copain Marc…

Il prend le téléphone comme si de rien n’était.

Lui – Allo !

Il ne sait pas très bien se servir de l’engin.

Lui – Comment ça marche, ce truc… ?

 

12 – Coup de vieux

Elle est à jardin, prenant congé de sa fille qu’on ne voit pas. Il est un peu en retrait, observant la scène d’adieu avec un sourire sur les lèvres.

Elle – Allez, amusez-vous bien. Mais ne faites pas de bêtises. Et vous ne me la ramenez pas trop tard, hein, je vous fais confiance ?

La fille s’en va, et le couple revient au centre de la scène, en échangeant un sourire plein de sous-entendus, à la fois amusé et ému.

Elle – Sa première sortie avec un garçon…

Lui – Ça nous rajeunit pas.

Elle – Ouais… Ça me file un coup au moral.

Un temps.

Lui – Comment il s’appelle, déjà ?

Elle – Jean-Marie.

Un temps.

Elle – C’est bizarre, non ?

Lui – Quoi ?

Elle – Qu’il s’appelle Jean-Marie !

Lui – Je m’appelle bien Jean-Sébastien.

Elle – Justement ! C’est un nom de vieux…

Lui – C’est peut-être un vieux pervers déguisé en ado boutonneux. Comme on voit à la télé dans les pubs contre les dangers d’internet. À l’heure qu’il est, il doit être en train d’enlever son masque.

Elle (retournée) – Plaisante pas avec ça…

Lui – Ou alors ses parents sont au Front National. C’est pour ça qu’ils l’ont appelé Jean-Marie.

Elle – Tes parents t’ont appelé Jean-Sébastien, et ils ne jouaient pas de piano.

Il fait un geste pour la réconforter.

Lui – Allez, il va bien falloir que tu t’y fasses. Ce n’est que le début. Dans un an ou deux, on va se retrouver seuls à la maison, comme un couple de vieux cons.

Elle – Merci. C’est tout à fait ce que j’avais envie d’entendre pour me remonter le moral…

Lui (espiègle) – Je t’ai préparé une surprise pour t’aider à passer ce cap difficile.

Elle – Tu m’invites au restaurant ?

Lui – Mieux que ça.

Il sort un joint de sa poche et lui montre.

Elle (amusée, tentée, mais partagée) – Non… Tu crois…? Ça fait au moins quinze que j’ai pas fumé, même une cigarette. Tiens, la dernière fois que j’ai essayé de tirer sur une Malboro light, j’ai cru que j’allais mourir d’une overdose…

Lui – Ça nous rappellera notre jeunesse. Et puis je te rappelle que notre premier joint, on l’a fumé ensemble. Est-ce qu’on serait mariés aujourd’hui si on n’avait pas été complètement défoncés quand on s’est rencontrés ?

Elle – Sûrement pas…

Il allume le joint, tire dessus avec avidité, et lui passe.

Lui – Wouha… Ça fait du bien…

Elle tire sur le joint à son tour, et semble également aux anges. Avant que son sourire béat ne se fige soudainement.

Elle – Et si il lui proposait de la drogue…?

Lui – Si il s’appelait Djamel encore… Mais pas Jean-Marie…

Elle – Tu t’appelais Jean-Sébastien, et c’est toi qui m’a fait fumer mon premier joint.

Lui – Ça se terminera peut-être par un mariage… Allez, détends-toi un peu…

Elle – Tu as raison… On n’y peut rien, de toute façon… Il va bien falloir vivre avec…

Lui – Tu veux dire sans…

Le téléphone sonne. Elle tire une autre bouffée du joint, le passe à son mari, et répond avec nonchalance. Pendant qu’il tire à nouveau sur le joint.

Elle (barré) – Ouais… (Se reprenant soudain) Oui, ma chérie, qu’est-ce qui se passe ? Oh, tu m’as fait peur. J’ai cru que vous aviez eu un accident… Mais si, je me rends compte. Mais bon, c’est quand même moins grave qu’un accident de voiture. Tu ne veux pas aller voir le film quand même ? Ça te changera les idées… Je ne sais pas, moi, tu ne veux pas proposer à une copine de t’accompagner…? Mais si, bien sûr, viens. On va en parler. Ok, on t’attend…

Elle raccroche.

Lui – Qu’est-ce qui se passe ?

Elle – Elle s’est fait larguée par Jean-Marie…

Lui – Je ne le sentais pas, ce mec… C’est toi qui avais raison. Jean-Marie, c’est vraiment un prénom à la con…

Elle – Évidemment, elle est bouleversée… Son premier chagrin d’amour…

Lui – Bon, c’est pas si grave… Ce sera pas le dernier… (Lui tendant le joint) Tiens, tire plutôt là-dessus. C’est de la bonne, moi je te le dis…

Elle (ignorant le joint) – Elle arrive… Je suis sa mère… Il faut bien que je la console… Oh, putain, j’ai la tête qui tourne… J’ai envie de vomir… Pourquoi tu m’as fait fumer cette merde…

Il semble complètement barré et sourit comme un idiot.

Lui – Moi ça me fait un bien fou. Tu peux pas savoir…

Elle – Oh, la, la… Et puis ça sent l’herbe dans toute la maison…

Elle essaie de dissiper la fumée avec un magazine. On sonne.

Elle – Oh, non… C’est déjà elle !

Lui – Putain… Il ne pouvait pas attendre après le ciné pour la larguer, le Jean-Marie. Moi qui pensais passer enfin une soirée tranquille, pour une fois…

Elle – Ouais, ben tu vois, c’est pas encore pour tout de suite…

On sonne à nouveau.

Elle – Ouvre les fenêtres pour aérer un peu. Je vais essayer de la retenir un moment sur le palier… (On sonne encore) Oui, oui, j’arrive tout de suite, ma chérie… (Elle se retourne une dernière fois vers lui, qui a encore son joint au coin de la bouche) Et éteins-moi cette saloperie, bon sang !

 

13 – Cauchemar

Il entre avec une perruque blonde et un ballon de foot. Elle arrive après lui par derrière avec une veste d’homme et des moustaches façon Hitler ou Charlot.

Elle – Guten Tag…

Il sursaute en la voyant.

Lui – Mais… Vous êtes qui, vous  ?

Elle – Je suis… la baby-sitter.

Il a l’air terrifié. Elle sort un paquet de cigarettes.

Elle (lui tendant le paquet) – Vous fumez  ?

Lui (il s’apprête à en prendre une avant de se raviser prudemment) – Non, merci.

Elle – Natürlich. C’est interdit… Il y a un cendrier, mais ça ne veut rien dire ! C’est seulement pour que les contrevenants ne brûlent pas la moquette… C’est très français, ça. On fait des lois, mais on prévoit toujours un plan B au cas probable où… (Elle sort un paquet de chewing-gum) Vous voulez un chewing-gum  ?

Lui – Ça me balonne un peu…

Elle – Vous savez pourquoi les grillons du métro sont en voie de disparition  ?

Lui – Il y a des grillons dans le métro  ?

Elle – Ou des criquets, je ne sais plus. C’est parce que ces animaux se nourrissaient de mégots. Alors depuis que c’est interdit de fumer dans le métro, ils dépérissent. Vous vous rendez compte  ? C’est tout un écosystème qui a été bouleversé… Remarquez, ils pourraient se mettre à mâcher des vieux chewing-gums…

Lui – J’ai vu une expo sur la vie animale en milieu urbain, au Parc Floral. On ne le sait pas, mais il y a une faune incroyable, dans Paris. Il paraît même qu’il y a des loups. Mais des centaines, hein  ?

Elle – Des loups  ?

Lui – Non, mais ils ne sortent que la nuit, dans les parcs…

Elle – Vous voulez dire… des renards… ?

Lui – Ah, oui, peut-être… En tout cas, je n’en n’ai jamais vu…

Elle – C’est parce que les parcs sont fermés, la nuit…

Bruit d’une porte qui se ferme.

Il a l’air très inquiet.

Elle – La femme de ménage a fermé en partant… et elle a emporté la clef.

Lui – Il n’y a aucune fenêtre… On ne peut même pas appeler au secours…

Elle – Vous n’avez pas de téléphone portable… ?

Il fouille dans ses poches. Son visage s’illumine quand il en extirpe quelque chose.

Lui – Ah, si ! (Sa mine s’obscurcit en constatant que ce n’est pas un portable). Mince, c’est la télécommande que je cherchais partout…

Elle – Mais… il n’y a pas la télé !

Lui – Bon ben… Le facteur nous délivrera demain matin…

Elle – Demain… c’est Noël !

Lui – Ah, oui, c’est vrai, merde…!

Elle – Vous voulez peut-être vous allonger… ?

Il la regarde terrorisé. Elle sort un drap blanc.

Elle – Si on doit réveillonner ensemble, autant s’installer confortablement… Vous préférez quel côté  ?

Lui – Je n’ai pas de préférence.

Elle – Alors, je vais prendre celui-là…

Elle se glisse sous le drap. Il s’installe aussi. Ils s’apprêtent à dormir.

Elle – Eh ben… Joyeux Noël, alors !

Lui – C’est ça, Joyeux Noël…

Un temps. Il pousse un cri, et se réveille en sursaut. Elle se réveille aussi. Il n’a plus sa perruque et elle n’a plus sa moustache.

Elle – Ça va chéri  ?

Lui – Oui, oui, ça va… J’ai dû faire un cauchemar. J’ai rêvé que c’était Noël…

Elle (le regardant, interloquée) – Mais chéri… C’est Noël !

 

14 – Les meubles

Un couple. Pas de décor. Il est là, elle arrive.

Elle (regardant autour d’elle, sidérée) – Mais… Où sont passés les meubles ?

Lui (fier de lui) – Tu ne devineras jamais.

Elle le regarde, attendant une explication.

Lui – Un type a sonné à la porte, ce matin. Un antiquaire!

Elle (inquiète) – Et alors ?

Lui – Je lui ai d’abord dit qu’on avait rien à vendre…

Elle – Et après… ?

Lui – Je me suis dit que ça ne coûtait rien de faire évaluer tout ça. L’estimation était gratuite. Tu ne devineras jamais combien il m’a proposé pour toutes ces vieilleries.

Elle – Combien… ?

Lui – Largement de quoi en racheter d’autres.

Elle – Alors pourquoi tu les as vendues ?

Lui – Pour changer un peu! Tu m’as dit que tu voulais acheter un autre canapé.

Elle – Et alors… ?

Lui – Tu sais très bien que si on avait changé le canapé, on aurait dû racheter une table qui aille avec. Après, il aurait fallu changer les chaises, et ainsi de suite…

Elle – Oui, peut-être…

Lui – Ça nous aurait coûté une fortune! Et qu’est-ce qu’on aurait fait de nos vieux meubles ?

Elle ne dit rien.

Lui – Là, c’est beaucoup plus simple.

Elle – Et en attendant ?

Lui – En attendant quoi ?

Elle – Qu’on en achète d’autres…

Il regarde autour de lui la pièce vide.

Lui – Personnellement, je n’ai jamais aimé les pièces surchargées.

Elle – C’est sûr que là, ce n’est plus surchargé du tout…

Lui – Tu n’es pas contente ?

Elle – De ne plus avoir de meubles… ?

Lui – Mais c’est toi qui m’as dit que tu n’aimais pas notre vieux canapé!

Elle – Je ne t’ai pas dit que je ne voulais plus de meubles du tout. On n’a même plus de lit!

Lui – Mais je viens de t’expliquer que… Moi, je croyais te faire plaisir!

Elle (conciliante) – Ecoute, on va aller au restaurant ce soir. On dormira à l’hôtel, et demain on va racheter des meubles. D’accord ?

Lui – D’accord…

Silence.

Lui – Reste à choisir le style.

Elle – Tant qu’à changer, on ferait mieux de mettre du moderne, non ?

Lui – Oui… Mais alors là, il faudrait refaire les peintures…

Elle – Tu ne crois que tu es un peu trop perfectionniste ?

Lui – Du mobilier moderne avec ces peintures crasseuses, ça va jurer…

Elle (ironique) – On ferait peut-être mieux carrément de changer d’appartement.

Lui – Tu crois ? (Un temps) Remarque, le déménagement serait vite fait… On coupe l’eau et l’électricité en partant, on n’a même pas besoin de revenir.

Elle est soudain prise d’un doute.

Elle – Tu as bien vidé les tiroirs ?

Lui – Evidemment.

Elle – Et ton alliance ?

Lui – Mon alliance ?

Elle – Celle que tu gardais dans le tiroir de la table de nuit!

Lui – Merde…

Elle ne dit rien, mais on voit qu’elle est anéantie. Il est très mal aussi.

Lui – Elle était là depuis tellement longtemps. Je ne me souvenais même plus…

Silence.

Elle – Tu as l’adresse de cet antiquaire ?

Lui – Non… Il m’a payé en liquide, il a tout mis dans son camion et il est parti. (Un temps, n’y croyant pas) S’il la retrouve, il nous téléphonera sûrement…

Elle (amère) – Oui… Et puis si tu ne la retrouves pas, tu pourras toujours changer de femme… Tu en prendras une plus moderne, qui se marie bien avec les nouvelles peintures et le nouveau mobilier.

Lui – Je suis désolé…

Elle – Pourquoi tu ne l’as jamais mise, cette alliance ?

Lui – Je l’ai mise! (Un temps) Avant qu’on se marie… Tu te souviens ? Je les avais achetées dans un bazar au Yémen. Pour faire croire qu’on était déjà mariés. Sinon, ils ne voulaient pas nous louer de chambre, dans les hôtels.

Elle – Maintenant que tu as revendu tous nos meubles, y compris le lit conjugal, on va bien être obligés d’y aller, à l’hôtel, cette nuit…

Lui – Ne t’inquiète pas, on est en France. Ils ne demanderont pas à voir notre livret de famille…

Elle – Et après le mariage ? Pourquoi tu la laissais dans cette table de nuit, ton alliance ?

Lui – Ben… J’avais peur de la perdre.

Elle – C’est réussi…

Silence.

Lui – Tu m’en veux… ?

Elle ne répond pas.

Lui – Allez viens, on y va!

Elle – Où ?

Lui – A l’hôtel! Ce sera un peu comme un deuxième voyage de noces… Plus d’alliance, plus de meubles, bientôt plus d’appartement. On repart à zéro!

Elle – Moi, j’ai toujours mon alliance…

Lui – Tu ferais mieux de la retirer.

Elle – Pourquoi ?

Lui – Tu as l’air mariée, moi pas. A l’hôtel ils vont croire à un adultère…

Elle – J’ai le choix entre le retour au célibat et une liaison illégitime, c’est ça ?

Ils s’en vont.

Elle – Tu as une drôle de conception du mariage…

Sortie de secours

Lumière sur un couple dans la salle. Il remet son manteau. Elle sort une cigarette.

Elle (enthousiaste) – Alors… ?

Lui (catégorique) – Nul.

Elle (outrée) – Nul ?

Lui – Complètement nul.

Elle – T’as rien compris, alors ?

Lui – Parce qu’il y avait quelque chose à comprendre ?

Elle – Ah ouais, d’accord…

Il lui lance un regard interrogateur.

Elle – Tu te venges…

Lui – Je me venge… ?

Elle – Là j’ai aimé, alors toi tu n’aimes pas… C’est petit, hein ?

Lui – Attends, je n’ai pas aimé, je n’ai pas aimé. Je ne vais pas te dire que j’ai aimé simplement pour te faire plaisir!

Elle – Tu n’as pas dit que tu n’avais pas aimé, tu as dit que c’était nul. Ce n’est pas pareil!

Lui – Je ne vois pas trop la différence…

Elle – C’était nul, j’ai aimé, donc je suis nulle.

Lui – C’est toi qui le dis…

Elle – Ce n’est pas moi, c’est Platon.

Lui – Platon a dit que tu étais nulle  ?

Elle – Ça s’appelle un syllogisme. Toutes les femmes sont mortelles, je suis une femme, donc je suis mortelle.

Lui – Si c’est Platon qui le dit, alors… Moi, c’est ce truc que j’ai trouvé mortel. (Un temps) D’ailleurs, je ne suis même pas sûr qu’il tienne debout, ton syllogisme.

Elle – C’est ça, vas-y, continue…

Lui – Mais qu’est-ce qui t’a plu  ?

Elle – Tout !

Lui – C’est vague.

Elle – Et toi, qu’est-ce que tu n’as pas aimé  ?

Lui – Ecoute, je préfère ne pas rentrer dans les détails. Tu vas encore te vexer…

Elle – Moi, me vexer  ? Attends, je m’en fous que tu n’aies pas aimé ! Moi ça m’a plu, c’est tout. Tant pis pour toi si tu t’es ennuyé…

Silence.

Lui – On ne va pas s’engueuler pour ça…

Elle – Des fois, je me demande ce qu’on fait ensemble.

Il fait un geste vers elle.

Elle – J’espère que la prochaine fois, on aimera tous les deux…

Lui – Ou en tout cas qu’on sera du même avis…

Elle lui lance un regard interrogateur.

Lui (précisant) – Peut-être qu’on s’emmerdera tous les deux.

Elle – Oui… C’est minimaliste, comme vision de l’harmonie du couple…

Ils s’en vont.

Noir.

 Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables  sur : www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-09-3

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