Les Touristes
The Tourists – Los Turistas – Os Turistas – Die Touristen – TURISTÉ |
Comédie de Jean-Pierre Martinez
2 hommes / 2 femmes
Deux touristes débarquent à la villa qu’ils ont louée pour les vacances dans un pays du Maghreb en promo après sa récente révolution. Mais la maison est déjà occupée par un autre couple…
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TEXTE INTÉGRAL
Les Touristes
Personnages : Maurice – Delphine – Patrick – Brigitte
Acte 1
La terrasse d’une villa quelque part en Afrique du Nord. Une table de jardin. Quelques chaises. Deux transats. Maurice et Delphine, un couple de bobos parisiens, arrivent, fourbus. Maurice tire derrière lui une valise à roulettes Vuitton.
Delphine – Ce n’est pas trop tôt… Vingt minutes de l’aéroport, tu parles !
Maurice – En hélicoptère, peut-être…
Delphine – Pas avec une de ces bétaillères qu’on appelle ici un autobus, en tout cas… Je t’avais dit qu’on aurait dû prendre un taxi !
Maurice – Reconnais que c’était quand même assez typique…
Delphine – Quoi ? De voyager au milieu de tous ces animaux ? J’ai l’impression de sentir la chèvre, non ?
Maurice – Je ne sens rien…
Delphine – Ils auraient au moins pu nous prévenir que c’était un omnibus… Deux heures pour venir jusqu’ici…
Maurice pose la valise et admire le paysage.
Maurice – On est arrivé, c’est le principal ! Et la vue est magnifique. Regarde !
Delphine regarde à son tour et esquisse un sourire, avant de se rembrunir.
Delphine – Où est la mer ? Sur le site, c’était marqué terrasse avec vue sur la mer !
Maurice cherche désespérément, et trouve enfin.
Maurice – Ah, si, là-bas…
Delphine – Je ne vois rien… Où ça ?
Maurice – Mais si ! Tout à fait à gauche. Entre les deux chameaux…
Delphine – Ah, oui… En se penchant un peu, avec de bonnes jumelles…
Maurice (avec un geste tendre) – Allez… L’important, c’est qu’on soit ici… Ensemble… Pour notre deuxième lune de miel…
Delphine (se radoucissant un peu) – Tu as raison… Dix ans de mariage, tu te rends compte ? Si c’était à refaire, tu le referais ?
Maurice – Les yeux fermés !
Delphine – Et les yeux ouverts ?
Maurice – Tu vas voir, je suis sûr qu’on sera très bien ici… En tout cas, ce sera toujours plus confortable que le terminal low cost de l’Aéroport de Beauvais…
Delphine – Onze heures de retard… à se nourrir de sandwichs avariés. C’est vraiment du racket. Ils te refilent une intoxication alimentaire avant d’embarquer, et dans l’avion, même pour vomir, les sacs en papier sont en supplément.
Maurice – Vois le bon côté des choses : au moins, on est déjà vaccinés contre la turista…
Delphine – Et dire qu’on a dû entasser toutes nos affaires dans une seule valise pour éviter de payer un bagage supplémentaire…
Maurice – Comme ça on voyage plus léger ! Je suis sûr qu’autrement, on aurait emmené des tas de trucs inutiles.
Delphine – Inutiles ? Sache qu’une femme n’emmène jamais rien d’inutile dans ses bagages. Tu confonds l’inutile avec le superflu, qui est absolument indispensable au bonheur de toute femme. Surtout pendant les vacances.
Maurice – Et puis Les Seychelles, avec Air France et en hôtel club, franchement… C’est un peu cliché, non… ?
Delphine – C’est là où on a passé notre première lune de miel !
Maurice – Justement ! À l’époque, Les Seychelles, c’était encore l’aventure. Maintenant, c’est tellement surfait…
Delphine – Pour notre anniversaire de mariage, ça ne m’aurait pas dérangée de faire dans le conventionnel.
Maurice – Et puis là, au moins, on soutient les mouvements de libération dans le Maghreb… Tu as vu tous ces panneaux électoraux fleurir un peu partout ? Ce vent de démocratie qui souffle sur le pays ?
Delphine – Oui, enfin… Passer ses vacances dans une villa avec piscine pour relancer le tourisme après la révolution… J’espère que tu ne te prends pas pour Che Guevara, quand même…
Maurice – N’empêche que si tout le monde optait pour des vacances solidaires…
Delphine – Ce n’est pas une démocratie, Les Seychelles ?
Maurice – Je ne sais même pas si c’est un pays…
Delphine – À qui ça appartiendrait, alors ?
Maurice – À un tour operator ?
Ils jettent un coup d’œil autour d’eux.
Delphine – Bon… Qu’est-ce qu’on fait ? On attend que quelqu’un arrive ?
Maurice – C’est ouvert, regarde.
Delphine – Je pensais que le propriétaire serait là sur la terrasse pour nous accueillir, en costume folklorique, assis sur un tapis d’orient, avec du thé à la menthe… Où est passé le légendaire sens de l’hospitalité dans les pays arabes ? Je te dis, la révolution, ça n’a pas que du bon. Les vieilles coutumes se perdent…
Maurice – Ça prouve au moins qu’il n’y a pas de problème de sécurité. À Paris, si on laissait notre porte ouverte comme ça… On ne retrouverait même pas la porte…
Delphine – Bon, ben on va aller voir à quoi ça ressemble à l’intérieur alors… Je ne rêve que d’une chose, c’est de prendre une douche et de changer de vêtements…
Maurice – Moi aussi.
Ils entrent dans la maison en tirant leur valise… Aussitôt après, un autre couple arrive sur la terrasse, plutôt beauf, celui-là. Patrick est vêtu d’un short et un teeshirt publicitaire. Brigitte, sexy tendance vulgaire, est habillée d’un paréo assez voyant. Ils reviennent de la piscine. Patrick porte un parasol replié ainsi qu’une radio et Brigitte une glacière.
Patrick – Heureusement qu’on avait emmené le parasol et la glacière, parce que ça tape au bord de la piscine… Je me rincerais bien la glotte, moi. Tu n’as pas soif, bébé ?
Brigitte – Je boirais la mer et ses poissons…
Ils s’installent dans les transats. Brigitte allonge la main vers la glacière qu’elle a posée à côté d’elle.
Brigitte – Qu’est-ce que tu veux, Patou ?
Patrick – Une petite mousse, tiens, ça me fera du bien…
Elle lui passe une cannette, et se sert un Coca Light.
Brigitte – C’est la dernière, il faudra en racheter.
Patrick – Déjà…
Brigitte – Tu en as bu combien, depuis ce matin ?
Patrick – Quand on aime, on ne compte pas… Tu crois qu’on trouve de la bière, ici ?
Brigitte – De la bière sans alcool, peut-être.
Patrick – Non ?
Brigitte – C’est des musulmans.
Patrick – Je me demande si on n’aurait pas mieux fait de repartir sur la Costa Brava…
Brigitte – Oh, la Costa Brava… C’est devenu très snob, non ?
Patrick – Tu trouves ?
Brigitte – Et puis c’est vrai que cette année, avec ce qui est arrivé, on n’aurait pas eu le cœur à retourner là-bas, non ?
Patrick – Ni les moyens… C’est plus cher qu’en France maintenant !
Brigitte – Surtout depuis le passage à l’euro.
Patrick – Sans parler de la sécurité… L’année dernière, on nous a forcé la portière de la voiture… Avec Franco, il n’y avait pas tous ces problèmes là.
Brigitte – Non, c’est vrai que jusque là, je n’étais pas très fan du Maghreb. Mais faut reconnaître qu’à ce prix là…
Patrick – Et puis ici, ce n’est pas vraiment des Arabes, non ?
Brigitte – Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?
Patrick – Je ne sais pas… Des Bédouins…
Brigitte – Des Bédouins ? (Un temps) Et les Bédouins, ce n’est pas des Arabes ?
Patrick – Je ne crois pas…
Ils boivent une gorgée de leurs cannettes respectives en réfléchissant à cette grave question.
Brigitte – Les Bédouins, ce n’est pas ceux qui vivent dans le désert ?
Patrick – Pourquoi ?
Brigitte – Ben ici, on n’est pas dans le désert ! On est au bord de la mer.
Patrick – Sur des chameaux, tu veux dire ? Ça c’est les Touaregs, non ?
Brigitte – Et les Touaregs non plus, ce n’est pas des Arabes ?
Patrick – Va savoir.
Brigitte – Mais ils sont musulmans ?
Patrick – Qui ?
Brigitte – Les Bédouins !
Patrick – Ah ben, oui, quand même. Enfin je crois… On est dans le désert, mais au bord de la mer. Regarde, il y a un chameau là-bas ! Le vaisseau du désert, comme disent les gens d’ici.
Brigitte (bâillant) – Ah, bon ? Je ne suis pas encore remise du voyage, moi.
Patrick – Ça ne fait qu’une heure qu’on est arrivés.
Brigitte – Ça doit être le décalage horaire.
Patrick – Il n’y a qu’une heure de décalage ! Et encore, seulement l’été…
Brigitte – Ouais ben quand on n’est pas habitué…
Patrick – C’est vrai qu’il est déjà midi, et je n’ai même pas encore la dalle…
Brigitte – Tu as raison. Avec la Costa Brava, on n’avait pas ce problème de jet lag.
Patrick – Bon, ben en attendant que l’appétit vienne en mangeant, je ferais bien un petit somme, moi. Qu’est-ce que tu en penses ?
Brigitte – On va se gêner ! On est en vacances, non !
Ils commencent à s’assoupir… Maurice et Delphine reviennent sur la terrasse, et ne voient pas tout de suite Patrick et Brigitte, endormis dans les transats.
Maurice – Alors ? Pas mal, non ?
Delphine – Un peu rustique, mais ça ira.
Maurice – Si tu songes que ces gens se relèvent à peine d’une dictature d’un demi-siècle…
Delphine – Pourquoi un demi-siècle ? C’était une démocratie, il y a cinquante ans, ici ?
Maurice – Une royauté, je crois… Non ?
Delphine – Et c’est qui, exactement, ce candidat, pour ces premières élections démocratiques ?
Maurice – Lequel ?
Delphine – Il y en a plusieurs ?
Maurice – Ah ben oui, quand même…
Delphine – Celui dont on voit la tête sur toutes les affiches !
Maurice – Ah, le favori… C’est l’ancien ministre de la justice…
Delphine – Le ministre de la justice du dictateur qu’ils viennent de renverser ?
Maurice – C’est ce que j’ai lu dans la presse…
Delphine – Et ça ne t’a pas étonné… ?
Maurice – Quoi ?
Delphine – Que les dictateurs aient aussi un ministère de la justice ?
Maurice – En fait, ces pauvres gens n’ont jamais connu la démocratie. Évidemment, il va leur falloir un peu de temps pour l’apprécier à sa juste valeur.
Delphine – Eh oui… La démocratie à la française, c’est comme le vin d’appellation ou le parfum de luxe, ça demande quand même une certaine culture…
Maurice – Il faut que le palais soit éduqué.
Delphine – Et l’odorat. Tu es sûr que je ne sens pas un peu la chèvre ?
Maurice – Pas plus que ça…
Delphine – Il fait une chaleur… Tu as raison, finalement, soutenir la révolution sans la clim, ça commence vraiment à devenir héroïque.
Maurice – En tout cas, tu as vu ? Ils ont même mis des boissons au frais dans le frigo ! Toi qui doutais de leur sens de l’hospitalité…
Patrick émet alors un ronflement. Maurice et Delphine aperçoivent enfin l’autre couple, toujours assoupi.
Delphine – Qu’est-ce que c’est que ça ?
Maurice – Ça doit être les propriétaires…
Delphine – Ils n’ont pas vraiment le type arabe.
Maurice – C’est peut-être des Kabyles…
Delphine – Ils ont surtout l’air un peu débiles.
Delphine – Vous parlez français ?
Patrick et Brigitte, que la conversation des deux autres vient de sortir de leur torpeur, reprennent leurs esprits. Maurice et Delphine les regardent avec effarement.
Patrick – Ah, on piquait un petit roupillon… C’est vous, les tauliers ?
Delphine – Les tauliers…
Maurice – Ça veut dire les patrons.
Delphine – Oui, merci, j’ai déjà vu un film de Michel Audiard. Mais je ne pensais pas que les gens du peuple parlaient encore comme ça aujourd’hui. (À Patrick) Qu’est-ce que vous faites là, mon brave, si vous n’êtes pas le propriétaire ? Vous êtes venu tondre la pelouse ?
Brigitte – Ben on habite ici !
Brigitte – Enfin pour les vacances…
Maurice – Comment ça ? Mais c’est nous qui avons loué cette villa !
Patrick – Ah, nous aussi, je vous assure.
Maurice – J’ai compris… Ces messieurs dames sont les précédents locataires… Vous êtes sur le départ, c’est ça ?
Brigitte – Mais pas du tout ! On est arrivés il y a une heure !
Patrick – On est là pour une semaine. Et vous ?
Maurice – Nous aussi…
Delphine – C’est un cauchemar, Maurice, fait quelque chose…
Maurice – Ça doit être un malentendu. Le propriétaire va arriver, et il va arranger ça. Vous l’avez vu, le propriétaire ?
Patrick – Ben non, et vous ?
Maurice – Pas encore.
Brigitte – On est arrivé il y a une heure en taxi.
Delphine – Tu vois ! Si on avait pris un taxi, on serait arrivés les premiers…
Patrick – Comme c’était ouvert, on est entrés.
Brigitte – On n’a même pas encore ouvert les valises.
Delphine – Et bien comme ça, vous serez plus vite repartis !
Patrick – On a juste eu le temps de piquer une tête à poil dans la piscine.
Brigitte – On ne pensait pas avoir de la compagnie…
Delphine (parlant de Patrick) – Sa tête me dit quelque chose…
Maurice (embarrassé) – Moi aussi… On a dû les apercevoir dans l’avion.
Delphine – C’est peut-être des squatteurs…
Maurice – Bon, je vais appeler le propriétaire.
Maurice dégaine son Smartphone sous le regard attentif des trois autres.
Maurice – Il n’y a pas de réseau…
Patrick – Ça doit être ça qu’on appelle le téléphone arabe.
Brigitte – Bon ben il finira bien par rappliquer.
Patrick – Il n’y a pas mort d’homme, c’est clair.
Brigitte – La maison est grande ! (À Patrick) Tu vois, toi qui avais peur de t’ennuyer…
Patrick – D’habitude, on part toujours avec des amis, mais là, ils n’étaient pas disponibles…
Brigitte – Ils sont morts tous les deux dans un accident de voiture il y a deux mois…
Patrick – Ça nous en a foutu un coup, évidemment.
Brigitte – Depuis le temps qu’on passait nos vacances ensemble.
Patrick – Ils avaient un petit appartement sur la Costa Brava.
Brigitte – Ils nous invitaient tous les ans au mois d’août.
Patrick – Il a fallu qu’on trouve autre chose d’urgence.
Brigitte – Au mois d’août, vous pensez bien…
Patrick – Alors on s’est rabattus sur le Maghreb.
Brigitte – Comme c’était en promo…
Patrick – Finalement, c’est un peu la même chose que la Costa Brava, non ?
Brigitte – Au lieu de manger de la paella, on mangera du couscous, et puis voilà.
Patrick – Ah ben nous, la compagnie, ça ne nous dérange pas. Hein Brigitte ?
Delphine (en aparté à Maurice) – Tu ne nous aurais pas arrangé un plan à quatre avec des prolos, pour notre anniversaire de mariage, histoire de ranimer la flamme ? Parce que tu sais que je n’aime pas beaucoup les surprises…
Patrick – Et ben on va prendre l’apéro en attendant, pas vrai ? Bébé, tu vas nous chercher les olives ?
Brigitte entre dans la villa.
Patrick – Il ne me reste plus de bière. Un petit pastaga, ça vous dit ?
Delphine – Un quoi ?
Maurice – Un pastis…
Patrick – Avec cette cagna, un petit pastaga bien frais… J’ai du sirop de menthe. Un perroquet, pour la petite dame ?
Delphine (en aparté à Maurice) – C’est un cauchemar… Je ne comprends même pas ce qu’il me dit finalement…
Patrick fait le service. Brigitte revient avec les olives. Patrick lève son verre.
Patrick – Santé !
Brigitte – Allez-y prenez des olives…
Patrick – Vous connaissez déjà le pays ?
Delphine – Comment est-ce qu’ils ont bien pu louer deux fois la même villa ?
Maurice – Alors ça…
Delphine – Vous avez le contrat de location ?
Patrick – Ah, oui, tenez… (Il tend à Delphine le contrat de location) Monsieur et Madame Martin… C’est marqué là…
Delphine – Monsieur et Madame Martin !
Patrick – Mais vous pouvez m’appeler Patrick…
Brigitte – Et moi, c’est Brigitte.
Maurice – Nous avons le même patronyme…
Patrick – Le quoi… ?
Delphine – Nous nous appelons aussi Martin ! Ça doit venir de cette homonymie…
Brigitte – Ah, oui ?
Patrick – C’est marrant, ça…
Brigitte – Remarquez, vous savez ce qu’on dit ? Il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin !
Patrick – C’est ce que me répétait toujours mon prof au collège… On n’était deux à s’appeler comme ça dans la classe. Mais alors l’autre, c’était un sacré fayot, hein ! Une tronche genre premier de la classe, voyez ? Toujours les meilleures notes. Ce n’était pas vous, au moins ? Vous lui ressemblez un peu.
Maurice – Ah, je ne crois pas non…
Patrick – Hein, bébé, qu’il ressemble un peu à Momo ? Tu l’as connu, toi, Momo !
Brigitte – Non…
Patrick – Mais si ! On était à l’école ensemble ! Au collège Gagarine. Gagarine ! Le prof me disait toujours : quand on mettra les cons en orbite, tu n’as pas fini de tourner !
Delphine – Ça c’est du Michel Audiard.
Brigitte – Vous avez raison, Delphine. Ça doit être à cause de cette homophobie…
Delphine – Pardon ?
Brigitte (à Maurice) – Ils ont du croire que mon mari et vous, c’était un seul et même couple…
Patrick – Eh, oui… On porte le même nom… Allez savoir, on est peut-être cousins.
Brigitte – Remarquez, la maison est grande. Et si on est presque en famille. Pourquoi on ne passerait pas les vacances ensemble ?
Delphine – Ensemble ?
Patrick – On partage le loyer !
Brigitte – Et pour la bouffe, on fait une cagnotte.
Patrick – Comme avec nos amis.
Maurice – Vos amis ?
Brigitte – Ceux qui sont morts décédés !
Patrick – Qu’est-ce que vous en dites ?
Brigitte – C’est déjà tellement bon marché… Alors divisé par deux…
Patrick – À ce prix-là, ça coûte moins cher de venir ici que de rester chez soi regarder la télé, c’est clair.
Brigitte – Si encore il y avait des trucs bien à la télé !
Delphine (à Maurice) – Eh ben voilà… Toi qui voulais faire des économies… Ben dis quelque chose…
Maurice – Dans l’immédiat, de toute façon, il n’y a pas tellement d’autre solution…
Delphine – Merci, c’est tout à fait ce que j’attendais que tu dises… Mais je ne sais pas, moi, il y a bien des hôtels, dans le coin ?
Patrick – Ouh la… Il n’y a pas grand chose, hein… D’après ce qu’on a vu depuis le taxi en venant jusqu’ici. C’est la brousse. Ou plutôt le désert.
Brigitte – À part quelques tentes de Bédouins…
Patrick – Et la petite dame, elle s’appelle comment ?
Maurice – Martin, je vous l’ai dit ! C’est ma femme. On s’appelle tous les deux Martin.
Delphine (en aparté à Maurice) – Ils sont demeurés, ce n’est pas possible…
Patrick – Non, je veux dire votre petit nom ! Pas votre… patronyme.
Delphine – Delphine. Je m’appelle Delphine.
Patrick – C’est clair… Et lui alors, c’est Maurice. Tiens, c’est marrant ça. Momo ! Comme mon pote au collège ! Mais alors lui, ce n’était pas Maurice, hein ?
Brigitte – Je vous ressers un apéro ?
Maurice – Merci, ça ira…
Patrick – Et tu es dans quoi, Momo ?
Maurice – Euh, je suis journaliste…
Patrick – Le Parisien ? France Soir ?
Maurice – Golf Magazine International.
Patrick – Ah, d’accord… Grand reporter, alors… (À Delphine) Et Madame ?
Delphine – Je suis peintre.
Brigitte – Peintre ? Ah, ce n’est pas commun comme métier pour une femme.
Patrick (à Brigitte) – Toi qui voulais refaire ta cuisine, il faudra que tu lui demandes un devis !
Delphine – Euh… Non, je… Je ne peins pas des cuisines…
Brigitte – Ah, bon ? Et qu’est-ce que vous peignez, alors ?
Delphine – Des vaches, principalement.
Brigitte – Des vaches ?
Delphine – Des veaux aussi, parfois.
Maurice – Ma femme est artiste peintre.
Delphine – Peintre animalier.
Patrick – Ah, d’accord… Et vous vous êtes spécialisée dans les bovins ?
Brigitte – Ah ben ce n’est pas de chance, parce que par ici… À part les chameaux.
Delphine – On est en vacances…
Brigitte – Ah, c’est marrant, ça. Je n’avais encore jamais rencontré un artiste peintre. Et vous pourriez faire mon portrait ?
Patrick – Madame te dit qu’elle ne peint que des vaches…
Delphine – Et vous, Patrick ?
Patrick – Je suis dans le surgelé.
Delphine – Ah, d’accord… D’où le teeshirt…
Maurice – Et vous, Brigitte, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?
Brigitte – Moi ? Pour l’instant, je travaille dans un salon de massage.
Maurice (émoustillé) – Un salon de massage… ?
Patrick – Chérie… Je t’ai déjà dit que le terme exact était kinésithérapeute…
Brigitte – Salon de massage, c’est plus simple non ?
Patrick – Ma femme est secrétaire médicale…
Brigitte – Je suis sûre qu’on va se découvrir des tas de choses en commun.
Delphine – À part notre nom, vous voulez dire ?
Patrick – Bon, Bébé, tu vas préparer la soupe ? Je commence à avoir les crocs, moi…
Brigitte – Vous allez manger avec nous ?
Patrick – Je ne sais pas si…
Delphine – Tout ça va être très vite réglé… On ne va pas commencer à prendre des habitudes…
Brigitte – Je prends le premier tour de vaisselle…
Delphine – Vraiment, c’est très gentil, mais on va trouver un petit restaurant dans le coin…
Maurice – C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui…
Patrick – Ah ben dans ce cas… On ne va pas tenir la chandelle, hein, Brigitte ?
Ils sortent.
Delphine – Tu avais vraiment besoin de leur dire que c’était notre anniversaire de mariage ?
Maurice – C’est tout ce qui m’est venu à l’esprit pour décliner leur invitation…
Delphine – Je te jure… On aurait mieux fait d’aller aux Seychelles… Préparer la prochaine révolution…
Maurice essaie à nouveau de téléphoner.
Maurice – Toujours pas de réseau…
Delphine – Dis-moi que c’est un cauchemar et que je vais me réveiller…
Maurice – Autant prendre ça du bon côté…
Delphine – Quel bon côté ?
Maurice – Autrement, on n’aurait jamais passé la soirée avec des gens de Clichy-sous-Bois…
Delphine – On était venu pour faire connaissance avec les autochtones d’ici, pas ceux du 9-3… Comment tu sais qu’ils sont de Clichy-sous-Bois ?
Maurice – Je ne sais pas, j’ai dit ça comme ça.
Delphine – Bon, qu’est-ce qu’on fait ?
Maurice – À part attendre…
Delphine – Ah, non, pas question que je passe une nuit dans cette baraque avec ces deux abrutis ! Tu sais ce que c’est ton problème, Maurice ? Tu es un mou !
Maurice – Tu as une solution ?
Delphine – Je ne sais pas moi ! Regarde dans la valise si on a le numéro de l’agence à Paris !
Il ramène la valise et essaie de l’ouvrir avec une clef.
Maurice – Je n’arrive pas à l’ouvrir.
Delphine – Fais voir…
Elle essaie à son tour sans résultat.
Maurice – On dirait que ce n’est pas la bonne clef.
Delphine (horrifiée) – C’est la bonne clef… mais ce n’est pas la bonne valise !
Maurice – Quoi ? Mais c’est notre valise Vuitton !
Delphine – Celle-là est une vraie.
Maurice – La nôtre n’était pas une vraie ?
Delphine – On a dû se tromper en prenant notre valise sur le tapis roulant à l’aéroport…
Maurice – Se tromper ? Comment on a pu se tromper ?
Delphine – C’est toi qui as pris la valise ! C’était trop lourd pour moi ! Tu n’as pas vu que celle-là était une vraie ?
Maurice – Je ne savais pas que la nôtre était une fausse !
Delphine – Et puis j’avais mis un ruban rouge autour de la poignée pour qu’on la reconnaisse…
Maurice – Tout le monde met un ruban rouge autour de la poignée pour reconnaître sa valise !
Delphine – On n’a plus rien !
Maurice – Plus rien ?
Delphine – Plus que les vêtements sales qu’on a sur le dos…
Maurice – Il nous reste nos passeports, heureusement… Nos cartes bleues Visa… Nos travellers chèques… (Elle lui lance un regard qui en dit long) Non ?
Delphine – Après avoir passé la douane, j’ai glissé la pochette qui contenait tous nos papiers dans un compartiment extérieur de la valise…
Maurice – Tu plaisantes !
Delphine – Tu m’avais dit qu’il n’y avait aucun problème de sécurité dans ce pays… Les bons côtés de cinquante ans de dictature… Qu’on pouvait même y laisser les portes ouvertes…
Maurice – Et alors ?
Delphine – Ben nos papiers ne sont pas dans la poche extérieure de cette valise là !
Maurice – Dans ce cas, ça veut dire que j’aurais pris la bonne valise sur le tapis volant…
Delphine – Le tapis volant… ?
Maurice – Et que l’échange a eu lieu après, dans le hall de l’aéroport. Quand je t’ai laissée toute seule avec les bagages pendant que je m’occupais de trouver un taxi…
Delphine – Ça va être de ma faute, maintenant !
Maurice – Dis-moi la vérité, Delphine. Est-ce que tu as laissé cette valise sans surveillance ne serait-ce qu’un instant.
Delphine – Non, je t’assure ! Enfin… Je suis juste allée faire un tour aux toilettes… Une urgence… Évidemment, je n’ai pas pu entrer dans la cabine avec la valise…
Maurice – Ah, d’accord…
Patrick et Brigitte reviennent pour mettre la table, avec deux boîtes de conserve sur deux assiettes.
Patrick – Ben vous en faites une tête ?
Maurice – Ce n’est pas notre valise.
Delphine – On nous a volé la nôtre.
Brigitte – C’est curieux, on nous avait dit qu’il n’y avait aucun problème de sécurité, ici.
Delphine – Avec tous nos travellers chèques dedans…
Brigitte – Des travellers chèques…
Patrick – Ça existe encore ?
Delphine – On n’a plus un centime…
Maurice – On n’a même plus de quoi manger…
Brigitte – Eh bien maintenant, vous n’avez plus le choix !
Delphine – Plus le choix ?
Patrick – Pour notre invitation à casser la graine ! La graine de couscous ! Allez, bébé, tu mets deux couverts de plus ?
Delphine – Qu’est-ce que c’est ?
Patrick – Du couscous.
Maurice – En boîte ?
Brigitte revient avec deux assiettes et deux boîtes de plus.
Brigitte – On nous a dit que dans ce pays, il valait mieux se méfier des produits frais…
Patrick – À cause de la turista, vous comprenez…
Brigitte – Notre toubib nous a prévenus avant de partir… Que des conserves…
Maurice – Du couscous en boîte… Ah, oui, quand même…
Patrick – En boîte, oui, mais c’est de la fabrication locale…
Delphine – On trouve du couscous en boîte, dans ce pays ? C’est vraiment la révolution…
Brigitte – Ah, dans ce pays, je ne sais pas… On a trouvé ça à Auchan, là-bas chez nous, à Clichy-sous-Bois…
Delphine – Tu avais raison, dis donc, ils sont de Clichy-sous-Bois.
Patrick – Et attention… c’est du couscous équitable !
Maurice et Delphine en restent bouche bée.
Brigitte – Fabriqué par des femmes dans une conserverie respectant les droits de l’homme.
Delphine – Votre façon à vous de soutenir le printemps arabe…
Patrick (à Maurice) – C’est marrant, quand même, ta tronche de cake me dit vraiment quelque chose…
Delphine – En attendant, nous n’avons plus rien à nous mettre.
Patrick – Même pas un maillot de bain pour aller à la piscine.
Brigitte – Je vous en prêterai un, si vous voulez ! Enfin, je ne suis pas sûre d’en avoir un deuxième en fait… On a préféré ne pas trop se charger… Comme on a déjà emmené toutes nos provisions pour la semaine…
Delphine – Génial… Un maillot de bain pour deux… On se baignera à tour de rôle… (À Maurice) Ou alors tous à poil dans la piscine avec nos nouveaux amis… Hein, Maurice ?
Brigitte – Vous voulez que je vous prête une robe ?
Delphine – Je ne suis pas sûre qu’on fasse exactement la même taille… Mais on va essayer d’ouvrir cette valise. On trouvera peut-être de quoi se changer dedans…
Brigitte – Bon ben on vous attend pour manger le couscous alors…
Noir.
Maurice et Delphine reviennent, habillés à l’oriental (djellaba et babouches pour lui, et tenue de danseuse du ventre pour elle). Patrick et Brigitte sont évidemment surpris.
Brigitte – On n’a pas dit que c’était une soirée costumée !
Patrick – Au Club Med, c’est les animateurs qui fournissent les panoplies. Là, on n’a rien prévu…
Delphine – On n’a pas réussi à ouvrir la valise, mais on a trouvé ça dans un placard…
Patrick – Et vous dites que vous n’avez plus de passeport ? Déguisés comme ça, ils ne vous laisseront jamais rentrer à Paris. Ou alors en boat people !
Brigitte – Ah, non, mais ça vous va super bien !
Patrick – Et si tu nous faisais un petit numéro de danse du ventre à la fin du repas, Delphine, hein ?
Delphine (pincée) – Alors on se tutoie, maintenant… ?
Brigitte – Je vous sers ?
Brigitte fait le service en plaçant une boîte de couscous dans chaque assiette.
Delphine – Au moins, les parts aussi sont équitables…
Maurice – Ça n’a pas l’air si mauvais que ça.
Brigitte – L’appétit est le meilleur des condiments. C’est ce que disait toujours ma mère.
Ils mangent.
Patrick – Un petit coup de rouquin ?
Air ahuri de Delphine.
Maurice – Monsieur te propose du vin.
Delphine – Tu aurais dû faire interprète dans le 9-3 au lieu de grand reporter à Golf Magazine…
Patrick – Alors dis-moi, Momo, tu dois en voir du pays, avec ton job ?
Maurice – Oh, vous savez, il n’y a rien qui ressemble plus à un terrain de golf qu’un autre terrain de golf. Il n’y a que le nombre de trous qui varie parfois…
Brigitte – C’est marrant ça… Et qu’est-ce qui vous a donné l’idée de devenir journaliste à Golf Magazine ?
Patrick – Vous êtes passionné de golf ?
Maurice – Le père de ma femme est le patron du journal.
Patrick – Ah, d’accord…
Delphine – Vous vous intéressez au golf ?
Brigitte – Patrick, ce serait plutôt le foot ! Hein, Patou ?
Delphine – J’imagine que vous ne vous n’êtes pas très passionnés non plus par la peinture animalière… (En aparté à Maurice) Ça ne va pas être évident de tenir jusqu’aux loukoums…
Patrick remplit les verres.
Brigitte – C’est incroyable, cette histoire de valise…
Patrick – Remarquez, moi, si on m’avait échangé la mienne contre une autre, je ne suis pas sûr que j’aurais perdu au change.
Brigitte – Et qu’est-ce qu’il y a dans celle que vous avez récupérée ?
Maurice – Je vous dis, on n’a pas réussi à l’ouvrir.
Patrick – On verra ça tout à l’heure…
Brigitte (enjoué ) – Aucune serrure ne résiste à Patrick. Hein, Patou ?
Patrick – Ça la fait rire parce qu’on s’est connu dans un club de rencontre…
Brigitte – Chaque fille avait un cadenas, enfin vous voyez ce que je veux dire…
Patrick – Et chaque mec avait une clef. Le but du jeu, c’était de trouver la bonne serrure.
Brigitte – Patrick n’avait pas la bonne clef, mais il a quand même réussi à ouvrir ma serrure. Il est très bricoleur, vous savez.
Maurice est un peu embarrassé. Delphine préfère poursuivre le cours de ses pensées.
Delphine – En même temps, je ne suis pas sûre que ce soit très correct de fouiller dans la valise de quelqu’un qu’on ne connaît pas…
Brigitte – Bon ben on va pouvoir passer au dessert.
Brigitte se lève.
Brigitte – Non, non, restez assis… Tu peux m’aider à débarrasser, chéri ?
Patrick et Brigitte sortent.
Delphine – Et si c’était eux ?
Maurice – Quoi ?
Delphine – La valise ! C’est peut-être eux qui nous ont piqué notre valise !
Maurice – Mais il n’y a rien de précieux, dans notre valise Vuitton. Et en plus c’est une fausse ! Pourquoi il nous l’aurait échangée contre une vraie ?
Delphine – Je ne sais pas moi… Pour nous faire une blague !
Maurice – Tu les crois vraiment capable d’une blague aussi sophistiquée ?
Delphine – Je vais aller voir discrètement si notre valise n’est pas dans leur chambre.
Maurice – Je ne sais pas si c’est une bonne idée… ?
Patrick et Brigitte reviennent, et croisent Delphine qui sort.
Brigitte – Où est-ce que vous allez ? On va manger les loukoums !
Delphine – Je vais juste… me rafraîchir un peu.
Patrick (hilare) – Alors, Momo, salam alikoum, mon frère ! On dit que les Arabes ont du mal à s’intégrer chez nous, mais alors vous, pour l’intégration, champion ! Vous n’avez plus qu’à apprendre la langue du pays…
Maurice tente de faire bonne figure.
Brigitte – Arrête de le taquiner.
Patrick – Il faut bien se marrer un peu, non ? On est en vacances ! C’est marrant quand même… C’est le portrait craché de Momo.
Brigitte – Quel Momo ?
Patrick – Mon pote au Collège Gagarine ! Mohamed !
Brigitte – Mohamed Martin ?
Patrick – Sa mère était arabe, et son père français. Son daron lui a refilé son nom, mais c’est sa reum qui a choisi le prénom.
Brigitte – Eh oui, la mixité, ce n’est toujours facile à gérer.
Patrick – Mohamed Martin ! On l’avait surnommé Ali Baba, parce que sa mère l’envoyait au collège en djellaba. Tout le monde le charriait avec ça… Quand il se foutait en boule, il se mettait à bégayer. Tu es sûr que tu n’as jamais habité Clichy-sous-Bois ?
Maurice (bégayant) – Non, non… Je… Je ne crois pas… pas..
Patrick – Momo ?
Maurice – C’est à dire que… Ma femme n’est pas au courant… On s’est rencontré à Sciences Po… Au lycée, j’ai décroché une bourse…
Patrick – Et tu t’appelles Maurice, maintenant ?
Maurice – J’ai demandé à changer de prénom… Mais je préférerais que tout ça reste entre nous, d’accord.
Patrick – Ok…
Delphine revient.
Delphine – Et voilà…
Brigitte – Tu m’aides à débarrasser, chéri ? Je vais préparer un peu de thé à la menthe…
Maurice – Alors ?
Delphine – Nos affaires ne sont pas dans leur chambre… Ils ont deux valises. L’une contient leurs fringues, et l’autre est pleine de boîtes de couscous…
Maurice – Ce n’était pas mauvais d’ailleurs… pour du couscous en boîte.
Delphine – C’est louche, non ?
Maurice – Quoi ?
Delphine – Une valise pleine de boîtes de couscous… C’est peut-être des trafiquants ?
Maurice – Des trafiquants de couscous en boîte ?
Delphine – Et si ces boîtes contenaient autre chose…
Maurice – Comme quoi ?
Delphine – Je ne sais pas, moi… De la drogue…
Maurice – Qui pourrait être assez con pour introduire dans un pays du Maghreb de la drogue planquée dans des boîtes de couscous équitable… ?
Leurs regards se tournent en même temps vers Patrick et Brigitte qui viennent de revenir.
Patrick – Ça y est, la vaisselle est faite !
Delphine – Eh, oui… L’avantage avec les conserves, c’est que la vaisselle est vite faite.
Brigitte – La prochaine fois, c’est votre tour !
Patrick – Mais ça ne règle pas votre problème de valoche, tout ça.
Maurice – Pour l’instant, je ne vois pas ce qu’on peut faire…
Delphine – Quand elle va découvrir son erreur, la personne qui a pris notre valise va sûrement nous contacter…
Patrick – Il y avait votre adresse, sur la valise ?
Maurice – Notre adresse en France, oui.
Brigitte – Ça ne va pas vous avancer beaucoup si le type renvoie votre valise en France…
Patrick – Et sur la valise que vous avez, il y a une adresse ? Un numéro de téléphone ?
Maurice ramène la valise.
Maurice – Non…
Delphine – Peut-être à l’intérieur ?
Maurice – On n’a pas la clef pour l’ouvrir.
Patrick – Ça ce n’est pas un problème, hein, Ali Baba ! (Il crochète la valise avec une fourchette). Suzanne, ouvre-toi ! Et voilà !
La valise s’ouvre enfin. Consternation générale.
Maurice – Qu’est-ce que c’est que ça ?
Patrick – Ben ça ressemble à des billets de banque…
Brigitte – Vous qui aviez peur de ne pas avoir assez d’argent pour votre séjour…
Delphine – Ce n’est pas des euros, en tout cas.
Patrick – C’est une écriture bizarre.
Delphine – On dirait du cyrillique.
Patrick – Du quoi ?
Maurice – Ça doit être des roubles…
Delphine – Oh, mon Dieu…
Brigitte – Qui peut bien partir en vacances au Maghreb avec une valise pleine de roubles ?
Delphine – La mafia russe.
Maurice – Ça doit être de l’argent sale.
Patrick – D’où l’échange de valise…
Delphine – Quoi ?
Patrick – J’ai vu ça dans un film. On s’est servi de vous comme de mules !
Delphine – Des mules ?
Brigitte – Il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin…
Patrick – Pour passer la douane…
Maurice – Vous croyez ?
Delphine – Mais alors qu’est-ce qu’on va faire ? Oh, mon Dieu ! Il faut absolument se débarrasser de cet argent !
Patrick – Ah, ouais, mais le blème, c’est que ces coco-là vont sûrement vouloir récupérer leur oseille… En général, ils n’ont pas tellement le sens de l’humour…
Delphine referme précipitamment la valise.
Delphine – Vous avez raison ! Il vaut mieux faire comme si on n’avait jamais ouvert cette valise, et qu’on n’était au courant de rien.
Maurice – Et si le type qui nous a loué la maison était dans le coup ?
Patrick – C’est vrai que ça commence à être zarbi qu’on ne l’ai pas encore vu, le proprio.
Delphine – Il fait peut-être parti de Al Qaida au Maghreb Islamique…
Patrick – Qu’est-ce qu’il foutrait avec une valise pleine de roubles ?
Delphine – Ils sont peut-être financés par les Tchétchènes ? Les Tchétchènes aussi, ils sont musulmans…
Brigitte – Oh , mon Dieu ! Si on avait su qu’il y avait des Tchétchènes dans le coin, on ne serait jamais venus… Tu m’avais dit qu’il n’y avait que des Bédouins !
Patrick – Calme-toi, chérie, c’est seulement une possibilité. (À Delphine) Vous pensez vraiment qu’ils pourraient venir cette nuit, et nous égorger tous comme des moutons ?
Brigitte (en larmes) – Et dire qu’on était venus ici pour passer des petites vacances tranquilles… C’est toi qui avais raison, Patou, on aurait mieux fait de retourner sur la Costa Brava !
Silence.
Delphine (à Maurice) – Et qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas eux ?
Brigitte – Nous ?
Delphine – On débarque ici, ils y sont déjà. Et comme par hasard, ils portent le même nom que nous ! On ne les connaît pas, après tout ! C’est peut-être eux qui sont chargés de récupérer la valise ! C’est peut-être eux qui vont nous égorger pendant la nuit !
Maurice – Ce sont des compatriotes, tout de même…
Delphine – Des compatriotes ? Ils habitent le 9-3 ! C’est plein de mosquées, par là-bas !
Maurice – Tu y es déjà allée ?
Delphine – On me l’a raconté…
Patrick – Oh, la petite dame, faudrait se calmer, là !
Brigitte – On les invite à manger le couscous, et voilà qu’ils nous traitent d’islamistes…
Patrick – C’est vous qui nous avez foutus dans cette merde !
Brigitte – On n’avait rien demandé, nous !
Patrick – Vous débarquez chez nous, comme ça, avec vos grands airs.
Brigitte – Et voilà que c’est la Guerre du Golfe !
Delphine – Chez vous ? Mais c’est chez nous, ici ! Hein, Maurice ? Enfin dis quelque chose, toi !
Maurice – Oui, enfin… Ce n’est pas le moment de s’énerver… Il faut rester solidaires…
Patrick – Ouais ben moi, je dis : démerden Sie sich ! C’est à vous qu’on a refourgué cette valoche, non ? On n’a rien à voir là dedans, nous. Je vais mettre la viande dans le torchon, moi. Tu viens bébé ? Non mais sans blague !
Patrick et Brigitte sortent. Maurice et Delphine restent là, passablement désemparés.
Delphine – Je crois qu’il vaudrait mieux instaurer un tour de garde pendant la nuit…
Noir
Maurice et Delphine, qui ont visiblement passé la nuit sur la terrasse, se réveillent avec l’appel à la prière du muezzin.
Delphine – On est toujours vivants… ?
Maurice – Je crois.
Delphine – Et la valise est toujours là… ?
Maurice – Oui…
Nouvel appel du muezzin.
Delphine – Qu’est-ce que c’est que ça ?
Maurice – L’appel à la prière…
Un temps.
Delphine – Et si c’était un don du ciel…
Maurice – Un don du ciel ?
Delphine – Après tout, si personne n’a réclamé cet argent dans un an et un jour…
Maurice – Tu crois ?
Delphine – On n’aura qu’à dire qu’on a gagné au loto…
Un temps.
Maurice – C’est quoi le cours du rouble… ?
Delphine – Je ne sais pas, mais quand on en a une pleine valise… On a sûrement de quoi voir venir…
Maurice – Il faudrait encore pouvoir ramener tous ces roubles en France…
Delphine – On pourrait utiliser les boîtes de couscous vide…
Maurice saisit une boîte vide oubliée dans un coin et l’examine.
Maurice – La date de péremption est dépassée… Ça devait être en promo. C’est pour ça qu’ils en ont acheté tout un stock…
Delphine – Ce n’est pas banal, cette histoire.
Maurice – Non…
Delphine – Et si c’était un coup monté ?
Maurice – Un coup monté ?
Delphine – Genre camera cachée, tu vois. Le genre d’émission où on piège des people en leur montant des histoires pas possibles.
Maurice – Mais on n’est pas des people…
Delphine – Il faudrait vérifier s’il n’y a pas une caméra (Elle se met à chercher). Ou des gens planqués quelque part qui nous observent en se fendant la pipe.
Elle scrute l’obscurité du côté du public, sans rien voir.
Maurice – Ça voudrait dire que Patrick et Brigitte sont des comédiens…
Delphine – Et pourquoi pas ?
Maurice – Crois-moi, j’ai de bonnes raisons de penser que ce n’est pas le cas…
Les beaufs arrivent, lui en pyjama et elle en robe de chambre.
Delphine – Tu as raison… Même d’excellents comédiens n’arriveraient pas à faire un numéro de beaufs aussi crédible…
Brigitte – Bien dormi ?
Delphine – Pas vraiment en fait.
Brigitte a l’air de pousser Patrick à dire quelque chose.
Patrick – Bon, excusez-moi pour hier soir, hein, je me suis un peu emporté.
Brigitte – Mon mari est un peu soupe au lait…
Maurice – Ce n’est rien, ce n’est pas grave, je vous assure…
Delphine – Je crois que je vais aller me rafraîchir un peu…
Maurice – Moi aussi…
Brigitte – J’ai fait du café. On vous attend pour le petit déjeuner ?
Maurice et Patrick esquissent un sourire et sortent.
Patrick – Ils ont laissé leur valise ici…
Brigitte – Ce n’est pas très prudent…
Un temps.
Patrick – Dommage qu’ils soient les seuls à profiter de ce magot, quand même…
Brigitte – C’est sûr…
Patrick – Pourquoi on n’aurait pas droit à notre part, nous aussi ?
Brigitte – C’est vrai qu’on en aurait plus besoin qu’eux…
Patrick – C’est comme le loto… C’est toujours ceux qui n’en ont pas besoin qui gagnent.
Brigitte – Les vieux, les riches…
Patrick – Ou ceux qui sont trop pauvres pour savoir même comment en profiter…
Brigitte – Qui dépensent tout et qui finissent encore plus pauvres qu’ils n’étaient déjà…
Patrick – Moi, je saurais bien quoi en faire de tout ce pognon, crois-moi…
Brigitte – Oui, mais cette valise est à eux…
Patrick – À eux ? Tu rigoles ! Si c’est nous qu’on avait pris pour des mules…
Brigitte – Tu as raison… Il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin…
Patrick – Il doit sûrement y avoir moyen de…
Brigitte – Quoi… ?
Maurice et Delphine reviennent.
Brigitte – Un peu de café ?
Maurice – On a bien réfléchi. On va prévenir la police, et ils vont s’en occuper. C’est plus prudent.
Patrick – Si j’étais vous, je ne ferai pas ça…
Delphine – Pourquoi ?
Patrick – Dans ce genre de pays, la police, vous savez…
Delphine – C’est vrai qu’il y a quelques semaines, dans le coin, la police torturait encore les opposants au régime…
Patrick – Alors vous imaginez s’ils débarquent et qu’ils vous trouvent ici sapés comme Ben Laden avec votre valoche pleine de roubles… C’est vous qu’ils vont prendre pour des membres d’Al Qaida…
Maurice – Vous croyez… ?
Patrick – Au mieux, vous risquez de croupir en taule pendant des années avant que quelqu’un veuille bien s’occuper de votre cas.
Brigitte – Un cas quand même assez embrouillé… Même moi, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris…
Delphine – On n’a qu’à brûler tout ça ! Puisque c’est de l’argent sale…
Patrick – Mais si ces salopards viennent réclamer leur fric ?
Delphine – Pour l’instant, personne n’est venu.
Patrick – Ils attendent peut-être un moment plus propice.
Brigitte – C’est peut-être le ramadan.
Maurice – Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Patrick – Attendez encore un peu, pour voir si le propriétaire rapplique ?
Maurice – Le propriétaire de la maison ?
Patrick – Le propriétaire de l’argent !
Brigitte – La mafia tchétchène !
Maurice – Vous avez peut-être raison… Qu’est-ce que tu en penses, Delphine ?
Delphine (perplexe) – Franchement, je ne sais plus trop quoi penser…
Brigitte – Bon, je vais refaire un peu de café.
Patrick – Laisse, je vais y aller…
Brigitte – Tu es sûr que tu vas y arriver ?
Patrick – Mais oui ! Tu es en vacances, après tout. Repose-toi un peu…
Patrick s’éclipse. Les trois autres restent là, plongés dans leurs pensées. Le téléphone de Brigitte sonne.
Brigitte – Allo ? (Étonnée) Oui, je vous la passe… (À Delphine) C’est pour vous. Un type avec un accent belge… Je ne sais pas du tout qui c’est…
Delphine – Oui ? (Son visage se décompose et les deux autres la regardent d’un air inquiet) D’accord… Non, non… Très bien… Nous agirons conformément à vos instructions…
Elle rend son portable à Brigitte, le visage défait. Maurice et Brigitte lui lancent un regard interrogateur.
Delphine – C’était eux…
Patrick revient.
Patrick – Je ne trouve pas les filtres, bébé… (Voyant la tête des autres) Qu’est-ce qui se passe ?
Delphine – Un type au téléphone avec un accent bizarre. Il dit qu’il a notre valise…
Maurice – Et alors ?
Delphine – Il propose un échange…
Brigitte – Un échange d’otages ?
Delphine – Un échange de valises !
Patrick – Comment ça ?
Delphine – Il faut déposer la valise sur la terrasse, rentrer à l’intérieur de la maison, et le type viendra pour remplacer la vraie valise par la fausse.
Brigitte – Une fausse valise ?
Delphine – La nôtre.
Maurice – On se croirait dans un mauvais film d’espionnage…
Delphine – Il a insisté sur le fait qu’il ne fallait pas de témoins.
Maurice – Mais pourquoi il a appelé sur le portable de Brigitte ?
Brigitte – Ce n’est pas la première fois qu’on nous confond… Ça doit être encore à cause de cette homophobie…
Patrick – Je pense qu’il vaut mieux faire ce qu’ils disent… Ces types là ne rigolent pas…
Delphine – Pas de témoins…
Brigitte – Ils vont peut-être tous nous tuer de toute façon. Après avoir récupéré la valise. Tout ça à cause de vous !
Maurice – Eh, on n’avait rien demandé, nous !
Brigitte – On ne reverra peut-être plus jamais Clichy-sous-Bois…
Patrick – Ne t’inquiète pas, bébé. Si on fait exactement ce qu’ils nous demandent, je suis sûr que ça se passera bien.
Brigitte se précipite sur la bouteille de rouge.
Brigitte – Je crois que j’ai besoin d’un petit remontant.
Maurice l’imite en se servant à boire elle aussi.
Maurice – Moi aussi…
Noir.
Dans la pénombre, un homme en djellaba capuche relevée vient récupérer la valise avec précaution. Brigitte débarque par derrière et l’assomme avec le parasol. L’homme s’écroule. La lumière revient.
Brigitte – Venez vite ! Je l’ai eu !
Maurice et Delphine arrivent à leur tour. L’homme est inconscient. Brigitte lui enlève sa capuche.
Brigitte – Patrick !
Delphine – Tu vois ? Qu’est-ce que je t’avais dit ? C’était eux !
Maurice – Mais alors pourquoi sa femme l’aurait assommé ?
Patrick – Ok… J’ai juste voulu récupérer le pognon…
Brigitte – Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?
Patrick – J’avais peur que tu ne sois pas d’accord…
Brigitte – Mais enfin, Patou… Je ne t’ai pas fait trop mal au moins ?
Delphine – L’enfoiré.
Brigitte – Eh, surveille ton langage, pouffiasse. Tu parles de mon homme, là !
Maurice – Et comment on aurait fait, nous, si le type qui a téléphoné était vraiment venu récupérer son fric ?
Patrick – C’est moi qui ai téléphoné.
Delphine – Ah, d’accord…
Delphine – Il mériterait que tu lui donnes une bonne correction, hein Maurice ?
Patrick – Essaye toujours, Momo.
Maurice – On est entre gens civilisés, non ? Et nous sommes dans un pays qui vient à peine de reconquérir la démocratie. On ne va pas se laisser aller à la violence…
Patrick – Ok, n’empêche qu’on veut notre part du trésor.
Delphine – Quelle part ?
Patrick – La moitié. Ou alors je déballe tout. Hein, « Ali Baba » ?
Delphine – Déballez quoi ?
Maurice – Je t’expliquerai… Bon… Alors on fait un partage équitable…
Brigitte – C’est ça. Comme pour le couscous.
Maurice ouvre la valise et ils examinent de plus près les billets.
Brigitte – Mais ce n’est pas du cyrillique, c’est du grec.
Patrick – C’est des drachmes !
Delphine – Comment vous savez ça ?
Patrick – On est allés passer des vacances en Grèce juste avant le passage à l’euro. Je me souviens très bien à quoi ressemblaient les billets. Regardez, il y a même l’Acropole dessinée dessus !
Delphine – Vous voulez dire le Parthénon, sans doute…
Brigitte – Qu’est-ce que des mafiosos russes peuvent bien faire ici avec une valise pleine de drachmes…
Patrick – C’est peut-être des faux billets ?
Delphine – Qui serait assez con pour fabriquer des faux drachmes dix ans après le passage à l’euro, et en remplir une pleine valise avant de partir pour le Maghreb ?
Maurice – Vous avez bien une pleine valise de couscous en boîte périmé !
Delphine – Ils sont peut-être encore échangeables.
Brigitte – Non, plus depuis le premier janvier 2012 .
Maurice – Comment vous savez ça ?
Brigitte – On avait retrouvé un billet dans une valise, et on s’était renseigné…
Delphine – Ouais, ben là, on en a une pleine valise…
Patrick – Et dire qu’on a failli s’entretuer…
Soupir général.
Brigitte – Tout ça pour quoi ?
Patrick – Pour du fric !
Patrick remplit les verres.
Patrick – Allez, c’est ma tournée ! Ça va nous remettre de nos émotions.
Ils trinquent.
Brigitte – Comme ma mère me disait toujours : l’argent ne fait pas le bonheur.
Delphine – Pas les drachmes, en tout cas. Surtout lorsqu’ils ne sont plus échangeables…
Maurice – Personne ne viendra réclamer cet argent, c’est évident.
Brigitte – Tout est bien qui finit bien, comme disait ma mère.
Un temps.
Delphine – Bon, je vais appeler le consulat au sujet de la perte de notre valise, on verra bien ce qu’ils nous proposent.
Maurice – Ils nous feront des papiers provisoires pour rentrer en France.
Delphine – Et ils nous avanceront un peu d’argent.
Brigitte – Sinon, on vous en prêtera.
Patrick – Entre Français, à l’étranger, il faut bien se serrer un peu les coudes. Tiens Momo, je vais commencer par te refiler des fringues, tu ne peux pas rester déguisé comme ça… et moi non plus.
Brigitte sort pour téléphoner, suivie de Patrick et Maurice qui vont se changer.
Brigitte – Bon ben je vais faire un peu de rangement moi.
Brigitte cherche une fréquence sur la radio.
Speaker – Les inquiétudes se précisent quant à la sortie de la Grèce de la zone euro, une réunion…
Brigitte change de station et on entend de la musique orientale. Elle fait un peu de rangement. Patrick et Maurice reviennent. Patrick a remis sa tenue précédente, et Maurice a adopté une tenue similaire à celle de Patrick, genre très beauf.
Brigitte – Ah, ça vous va très bien.
Patrick – Encore un petit coup de rouquin.
Maurice – Allez !
Patrick remplit les verres.
Maurice – Reste à savoir ce qu’on fait pour la maison…
Patrick – Maintenant qu’on a appris à se connaître et à s’apprécier… Pourquoi on ne passerait pas les vacances ensemble, hein Momo ? Après tout, on est des amis d’enfance, non ?
Delphine revient.
Delphine – Ça y est. Je leur ai laissé notre adresse… (Delphine remarque la tenue de Maurice). Tu t’es changé ?
Brigitte – Ça change, non ? Il fait plus jeune, comme ça, vous ne trouvez pas ?
Sous l’effet de l’alcool, Maurice semble sérieusement désinhibé.
Maurice – Patrick et Brigitte nous proposent de passer les vacances ensemble, qu’est-ce que tu en penses, chérie…
Delphine (en aparté) – Écoute, Maurice… On a sûrement beaucoup à apprendre à la fréquentation des gens de Fontenay-sous-Bois, mais bon…
Maurice – Clichy-sous-Bois.
Delphine – Oui, bon, c’est pareil, non ?
Maurice – Non, ce n’est pas pareil, Delphine ! Fontenay-sous-Bois, c’est dans le 9-4. Clichy-sous-Bois, c’est dans le 9-3.
Delphine – Comment tu sais ça, toi ?
Maurice – J’y étais au collège. Au Collège Gagarine. Avec Patrick. Momo, c’est moi, Delphine ! Et si ça ne te plaît pas c’est pareil.
Delphine – Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
Brigitte – Alors ça, pour un coming out !
Maurice – J’en ai marre de mentir. Depuis que je t’ai rencontrée, j’ai tout fait pour correspondre à l’image que tu attendais de moi. À l’image que tes parents attendaient de moi ! Mais là j’en ai marre.
Delphine – Mais tu délires !
Maurice – J’ai même changé de prénom pour toi !
Delphine – Tu ne t’appelles pas Maurice ?
Maurice – Je suis venu ici pour retrouver mes racines ! Pour renouer avec mes ancêtres !
Delphine – Il est saoul, c’est ça. Mais enfin, Maurice, tes ancêtres, ce sont les Gaulois !
Maurice – J’ai du sang bédouin dans les veines, Delphine ? Je suis un homme du désert, moi ! Un nomade ! Je ne supporte plus les terrains de golf, tu comprends ?
Brigitte – C’est quoi, déjà, la différence entre un bédouin et un musulman ?
Delphine – Ne l’écoutez pas, il est complètement saoul.
Maurice – Au fond de moi, je sais bien que je suis fait pour vivre sous la tente, au milieu des sables ! Pas dans un duplex du seizième arrondissement.
Delphine – Parfait ! S’il n’y a que cela, la prochaine fois, on partira camper dans Les Landes !
Maurice – Je suis un Touareg, Delphine ! Et tu as fait de moi… un touriste !
Brigitte, passablement bourrée elle aussi, croit bon d’intervenir pour détendre l’atmosphère.
Brigitte – Et si on faisait un barbecue à midi ?
Patrick – Tu vois bien que ce n’est pas le moment, bébé… Je te jure, de temps en temps, tu manques vraiment de psychologie, tu sais ?
Brigitte – De psychologie ? C’est ça, traite-moi de conne aussi !
Patrick – Mais enfin, qu’est-ce qui t’arrive, bébé ?
Brigitte – Je ne suis pas ton bébé, d’abord ! Et si tu étais vraiment un homme, tu commencerais par m’en faire un !
Patrick en reste estomaqué.
Maurice – Il ne manque plus que les saucisses.
Delphine – Pardon ?
Maurice – Pour le barbecue !
Delphine – On n’a même pas de papier pour l’allumer.
Maurice (pétant les plombs) – On a les drachmes ! On les putains de drachmes ! On ne va pas les garder pour jouer au Monopoly !
Maurice se met à déchirer les billets et à les lancer sur le barbecue.
Patrick – On a aussi amené des merguez.
Noir.
Maurice, Delphine, Patrick et Brigitte reviennent tous les quatre de la piscine.
Patrick – Ah, ça rafraîchit !
Maurice – Oui, ça remet les idées en place…
Delphine – Et l’estomac… Elles étaient un peu grasses, ces merguez, non ?
Maurice – Je ne savais même pas que ça existait, des merguez en conserve.
Delphine – Il faut reconnaître que la piscine est magnifique.
Brigitte – Bon ben nous on va se changer, tu viens Delphine ? Je vais te passer de quoi t’habiller, quand même. Je vois tout à fait ce qui pourrait être ton style…
Les deux femmes sortent.
Patrick – Mais comment tu as fait pour cacher à ta femme que tu étais musulman, Momo ? D’après ce que j’ai vu, tu es toujours circoncis, non ?
Maurice – Je lui ai dit que j’étais juif non pratiquant… Mais je fais quand même le jeun pour Kippour une fois par an.
Patrick – Ah, oui, quand même…
Un temps.
Patrick – Un petit digestif ?
Maurice – Allez !
Patrick sort une bouteille de la glacière et remplit deux verres. Ils trinquent.
Maurice – Excellent ! Qu’est-ce que c’est ?
Patrick – De l’ouzo. On en a tout un stock à la maison. Un peu de musique ?
Patrick allume une radio. Après avoir cherché un moment une fréquence audible, il se décide pour une station. Musique arabe. Au bout d’un moment, Brigitte et Delphine reviennent. Delphine est désormais habillée dans le même style sexy vulgaire que Brigitte.
Patrick – Ah, ça vous va super bien !
Delphine – Vous trouvez ? Qu’est-ce que tu en penses, chéri ?
Maurice est un peu décontenancé. La musique s’arrête.
Speaker – Nous interrompons ce programme musical pour un flash spécial d’information.
Speaker – La nouvelle vient de tomber à l’instant. Elle a pris tous les analystes économiques de court. Le drachme est redevenu depuis ce matin la monnaie officielle de la Grèce, après sa sortie de l’euro. Nous vous tiendrons bien sûr informés de toutes les conséquences de cette décision. Mais s’il vous reste quelques drachmes oubliés dans un tiroir ou une valise, c’est le moment de les ressortir…
Maurice – On a brûlé tous les nôtres pour allumer le barbecue…
Speaker – Et maintenant, un peu de musique classique, en ce jour de deuil pour l’Europe…
Tous les regards se portent sur le barbecue encore fumant. Le portable de Delphine se met à sonner. Maurice coupe la radio.
Delphine – Oui… ? D’accord… Très bien…
Elle range son portable. Les trois autres sont pendus à ses lèvres.
Delphine – Un type du consulat va venir en personne nous remettre notre passeport provisoire…
Maurice – Et… ?
Delphine – Et récupérer la valise Vuitton. Ils la cherchent partout depuis ce matin…
Maurice – Le consulat ?
Delphine – C’est la valise d’un membre du Quai d’Orsay qui passe ses vacances ici.
Maurice – Ici ? Pas parce que c’est en promo, quand même ?
Delphine – Il est invité dans son palais par l’ex-Ministre de la Justice du dictateur déchu. Il est venu soutenir sa candidature à la présidentielle…
Patrick – Avec une valise pleine de drachmes ?
Delphine – Après tout, ce sont les Grecs qui ont inventé la démocratie.
Maurice – Mais c’est la France qui a inventé Vuitton.
Delphine – Et le financement occulte des campagnes électorales, qui fait tout le charme de la démocratie à la française.
Maurice – Ils ont dit autre chose ?
Delphine – Ils ont bien précisé de ne surtout pas ouvrir la valise. C’est une Vuitton diplomatique.
On entend le bruit d’une sirène de police au loin.
Maurice – Là, je crois qu’on est mal…
Patrick – On n’a même pas une bagnole pour se faire la malle.
Maurice – À part enfourcher ces chameaux qu’on voit là-bas et disparaître dans le désert.
Delphine – Toi qui voulais réveiller le Touareg qui sommeille en toi.
Maurice – La dernière fois que je suis monté sur un chameau, j’avais huit ans. C’était au Parc Astérix…
Patrick – Et moi à la Mer de Sable.
Le portable de Brigitte sonne. Elle répond.
Brigitte – Allo, oui… ? (Elle met sa main devant l’écouteur) C’est le propriétaire de la maison. Il demande si nos vacances se passent bien. Qu’est-ce que je lui dis ?
On entend un bruit de sirène de police proche.
Noir.
Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.
Paris – Novembre 2011
© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-13-0
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