Le patron est derrière le bar, le client (ou la cliente) arrive.
Patron – Monsieur, qu’est-ce que je vous sers ?
L’autre – Vous ne me reconnaissez pas ?
Patron – On voit tellement de monde… Qu’est-ce que je vous mets ?
L’autre – Pas un Viandox, en tout cas…
Patron – Non…? Je ne vous avais pas reconnu. Eh ben… On dirait que ce Viandox vous a fait du bien finalement. Vous paraissez vingt ans de moins.
L’autre – Oui… le Viandox. Et aussi le cœur tout neuf qu’on m’a transplanté il y a quelques mois.
Patron – Vous avez enfin trouvé un donneur ?
L’autre – Vous aviez raison, cette rue est vraiment très dangereuse…
Patron – Allez, c’est ma tournée. Qu’est-ce que je vous sers ?
L’autre – Une limonade…
Patron – Vous n’avez plus droit à l’alcool…
L’autre – Si… mais j’ai décidé d’y renoncer. Un sacrifice que je m’impose… pour remercier le destin.
Patron – Le destin ?
L’autre – Quelqu’un est mort pour que je puisse vivre. Je dois prendre soin de son cœur.
Patron – Mais vous ne savez même pas qui c’est…
L’autre – Non… et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. Mais après tout, c’était peut-être un musulman. Raison de plus pour ne plus boire d’alcool.
Patron – Alors vous ne mangez plus de jambon non plus ?
L’autre – Je suis devenu vegan, c’est encore plus simple. Et vous, comment ça va ?
Patron – Ma femme vient de me quitter.
L’autre – Elle est morte ? Ne me dites pas que c’est son cœur qui bat dans ma poitrine…
Patron – J’aurais préféré. Ça me coûterait moins cher. Veuf, vous êtes deux fois plus riche. Divorcé, vous êtes deux fois plus pauvre.
L’autre – Ça fait quatre bonnes raisons de préférer le veuvage…
Patron – Il va falloir que je vende le café, pour lui donner sa part.
L’autre – Désolé…
Patron – Au fond, c’est mieux comme ça. Vendre de l’alcool et du tabac… Le tabac, il m’a déjà coûté un poumon.
L’autre – Alors qu’est-ce que vous allez faire ?
Patron – Je ne sais pas…
L’autre – Vous devriez faire du théâtre.
Patron – Du théâtre ?
L’autre – On ne vous a jamais dit que vous aviez une tête à faire du théâtre ?
Patron – Non… Remarquez, pour rester derrière un comptoir toute la journée, et donner la réplique à toutes sortes de clients, il faut déjà être un peu comédien…
L’autre – C’est vrai… Moi-même, je vais souvent au café pour écrire.
Patron – Qu’est-ce que vous écrivez ?
L’autre – Des pièces de théâtre.
Patron – J’en ai tellement entendu, des histoires. Il y aurait de quoi faire. Des comédies, des drames, des tragédies…
L’autre – Il faudra me raconter ça.
Un temps.
Patron – Il y a encore quelque chose qui vous tracasse ?
L’autre – On était deux à attendre une transplantation. Il n’y avait qu’un seul donneur disponible. J’ai appris que l’autre était mort quelques jours après mon opération…
Patron – Ah oui…
L’autre – Il paraît que j’avais un meilleur dossier.
Patron – Comme vous dites… C’est le destin.
L’autre – Oui… C’était peut-être un brave type.
Patron – Ou alors une crapule… Allez savoir…
L’autre se lève pour partir.
L’autre – Merci pour la limonade… Tenez, voici ma carte. Je cherche quelqu’un comme vous pour un petit rôle dans ma prochaine pièce. Un patron de bistrot. Ce sera vos débuts sur les planches…
Il part. Le patron regarde la carte.