Après nous le déluge

Surviving Mankind –  Después de nosotros el diluvio –  Depois de nós, o diluvio!

Une tragicomédie écologique de Jean-Pierre Martinez

2 hommes et 2 femmes

Sur une Terre devenue inhabitable en raison du réchauffement climatique, une humanité à l’agonie vit ses dernières heures. Deux hommes et deux femmes s’apprêtent à s’élancer dans un vaisseau spatial vers la planète inconnue qui pourrait leur servir d’ultime refuge. La mission de ces quatre « élus » : donner à l’humanité une chance de se perpétuer après avoir causé sa propre perte par sa folie autodestructrice. Mais une telle humanité mérite-t-elle vraiment d’être sauvée ? Tous ne sont pas d’accord…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.

 


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Bien qu’encore inédite à la scène, cette pièce a déjà fait l’objet d’une thèse de master par une étudiante du Département de Langue et Littérature Française de l’Université Hacettepe d’Ankara en Turquie. Le texte intégral de cette thèse intitulée « Analyse écocritique de l’œuvre de Jean-Pierre Martinez APRÈS NOUS LE DÉLUGE » est consultable en ligne sur le site de l’université :

Lien vers des extraits de ce travail universitaire sur La Comédiathèque

Lien vers le texte intégral de cette thèse sur le site de l’université Hacettepe


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Après nous le déluge

Une tragi-comédie écologique

ACTE 1

Le poste de commandement d’un vaisseau spatial baptisé « L’Arche » (le nom peut figurer sur un élément du décor ou sur les combinaisons des membres de l’équipage). Debout devant une table de commande électronique futuriste équipée d’un écran, Virginie s’affaire à de mystérieuses manipulations (réglages, contrôles, mesures…). Paul arrive.

Paul – Que dit la météo ?

Virginie – Les vents sont toujours très violents à la surface de l’océan. Ce serait suicidaire de décoller maintenant.

Paul – Je vois… Mais la température ne cesse de monter. L’eau est entrée en ébullition juste au-dessus de nos têtes. Si nous attendons trop longtemps, notre système de réfrigération ne tiendra pas le coup.

Virginie – Il fait déjà une chaleur à crever… Autre chose ?

Paul – J’ai repéré une fuite dans le silo de lancement. Le béton est fracturé sur plus de dix mètres, et l’eau est en train de s’engouffrer par la brèche. Si la paroi cède d’un coup, on finira comme des homards plongés dans une marmite d’eau bouillante.

Virginie – Une accalmie est prévue dans cinq ou six heures. Il faut tenir jusque-là, on n’a pas le choix…

Paul – OK. Je vais surveiller cette fissure en attendant.

Virginie – Malheureusement, il n’y a rien d’autre à faire pour l’instant… (Elle se détourne de ses instruments et se lève de son siège.) Comment est-ce qu’on a pu en arriver là…?

Paul – Je ne sais pas.

Virginie – Je n’attendais pas vraiment une réponse.

Paul – Je sais…

Virginie – Tu crois qu’on est les derniers ? À part nos deux coéquipiers, bien sûr…

Paul – D’après les images fournies hier par les derniers satellites encore opérationnels, il ne reste plus aucune terre émergée à la surface du globe.

Virginie – Alors ça y est… La Terre n’est plus qu’un unique océan…

Paul – La température de l’air atteint plusieurs centaines de degrés. Même ceux qui ont réussi à embarquer sur un bateau ne peuvent pas survivre très longtemps dans de telles conditions.

Virginie – Quelques sous-marins nucléaires, peut-être, pendant un mois ou deux…

Paul – Mais contrairement à nous, ils ne peuvent pas espérer décoller vers une autre planète pour fuir cet enfer.

Virginie – La Terre était un paradis. Cet enfer, c’est nous qui l’avons créé.

Paul – Plus un morceau de glace… Plus une goutte d’eau douce… Plus un bout de terre où poser les pieds… Et cette température qui n’arrête pas de monter. Le processus est enclenché. Cette fois il est irréversible…

Virginie – C’est avant qu’il aurait fallu arrêter cette machine infernale.

Paul – Oui… mais maintenant, il est trop tard. Il faut penser à l’avenir…

Virginie – L’avenir ?

Paul – Qu’on le veuille ou non, c’est la fin de notre monde. La seule chose qu’on peut encore espérer, c’est sauver notre peau.

Virginie – On a provoqué l’extinction de tous les animaux qui vivaient sur cette planète. À présent c’est notre tour. Nous sommes les derniers spécimens d’une espèce en voie de disparition. Et si nous mourons sans descendance, l’humanité mourra avec nous.

Paul – « L’Arche »… Au moins, ils auront gardé le sens de l’humour jusqu’au bout…

Virginie – J’ai l’impression d’être un de ces animaux que Noé avait embarqués avec lui sur son bateau, enfermés dans des cages…

Paul – Reste à savoir si on arrivera à se reproduire en captivité…

Virginie – Et surtout si on trouvera une nouvelle terre d’accueil pour y refonder un embryon de civilisation. Tu y crois vraiment, toi ?

Ève arrive.

Ève – On n’a pas le choix. Il faut y croire. Y214 est la seule planète susceptible de nous accueillir, à une distance qu’on puisse atteindre avec ce vaisseau. Si on arrive à le faire décoller, évidemment…

Virginie – Un nouvel ouragan passe juste au-dessus de nous. On aura une fenêtre de tir dans quelques heures.

Ève – Deux hommes et deux femmes pour sauver l’humanité…

Virginie – On se croirait dans un programme de télé-réalité.

Ève – C’est curieux, on a été tirés au sort parmi des milliers de candidats… Pourquoi je n’ai pas l’impression que c’est une chance de faire partie des quatre finalistes ?

Paul – Tu penses que « L’Arche » peut nous conduire là-bas ?

Ève – Comment savoir ? C’est une première. Cette fusée est un prototype. Elle est propulsée par des réacteurs utilisant une technologie entièrement nouvelle, supposée nous faire voyager à la vitesse de la lumière.

Virginie – Mais cette technologie révolutionnaire n’a pas pu être testée auparavant en conditions réelles.

Paul – On n’a jamais envoyé un vaisseau aussi loin avec des passagers à bord. Les vols habités avaient été abandonnés depuis des années.

Ève – Pas assez rentables.

Virginie – Et puis il reste cette incertitude au sujet d’une hibernation aussi prolongée. Est-ce que notre organisme y résistera ? Les expériences qu’on a tentées portaient sur un ou deux mois au maximum. Là on parle de plus de dix mille ans.

Ève – Oui, sur le papier, c’est possible. Mais je ne suis même pas sûre d’avoir envie que ça marche.

Paul – Eh bien moi, oui… C’est notre seule chance de survie. Même si elle est mince, je n’ai pas l’intention de la laisser passer.

Ève – Ouais…

Paul – Virginie ?

Virginie – C’est tout ce qui nous reste. Autant s’accrocher à cet espoir. Sinon on n’a plus qu’à se laisser mourir.

Ève – Je me demande si ce ne serait pas mieux. En tout cas ce serait plus simple.

Paul – Je t’en prie, Ève, reprends-toi. On va avoir besoin de tout le monde pour mener cette arche à bon port.

Virginie – Et puis c’est pour ça qu’on nous a choisis, non ? On a une mission !

Ève – Sauver l’humanité…

Alban arrive.

Alban – Mais est-ce que l’humanité mérite d’être sauvée ?

Paul – Ouh là… Excuse-moi, Alban, mais moi je veux juste sauver ma peau. Alors les débats philosophiques…

Alban – Si l’humanité s’était un peu plus préoccupée de philosophie que de profit, on n’en serait pas là… C’est par égoïsme et par cupidité que l’homme a scié la branche sur laquelle il était assis.

Ève – Et pour finir qu’il a abattu l’arbre entier, et toute la forêt avec, pour en faire de la pâte à papier.

Alban – En gardant bonne conscience au prétexte que ce papier serait recyclé.

Paul – D’accord, mais quand on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ? Si on n’a pas décollé avant ce soir, on sera tous morts. Pourquoi ne pas tenter notre chance ailleurs ?

Alban – Parce que tu crois vraiment que c’est une chance ? Une chance pour qui, d’abord ? Pas pour la planète qu’on envisage de coloniser, en tout cas.

Paul – Une chance pour nous quatre. Notre dernière chance. Et on n’a pas de temps à perdre en bavardages inutiles.

Ève – Pour l’instant, malheureusement… à part attendre que le vent tombe. Il n’y a rien d’autre qu’on puisse faire dans l’immédiat…

Silence.

Paul – Très bien, alors allons-y ! Bavardons un peu… Histoire de faire connaissance… Il n’y a plus aucun être humain sur cette terre à part nous, alors on a plutôt intérêt à s’entendre, non ? (Un temps) À propos, Alban et Ève, Paul et Virginie… C’est des noms de codes, c’est ça ? Au point où on en est, on pourrait s’appeler par nos vrais noms, vous ne croyez pas ? Bon, moi je m’appelle vraiment Paul, mais vous ? C’est quoi vos vrais noms ?

Un temps.

Virginie – Je m’appelle vraiment Virginie.

Les deux autres restent muets.

Paul – Non ? Alors ça aussi ce serait un hasard ? Bon, je prends ça pour un signe, alors… Alban et Ève, Paul et Virginie… Moi ça me va. (Avec un regard appuyé vers Virginie) Je suis volontaire pour repeupler cette nouvelle planète.

Alban – Eh ben… Elle est bien barrée, la planète…

Paul lui lance un regard incendiaire.

Paul – Woh, woh… Doucement quand même. J’ai le sens de l’humour, mais jusqu’à un certain point.

Il s’avance menaçant, et l’autre lui fait front.

Alban – Jusqu’au point où ce sont les autres qui commencent à faire de l’humour ? En fait, il n’y a que tes propres blagues de merde qui te font rire, c’est ça ?

Virginie s’interpose.

Virginie – Oh, les chatons, on se calme un peu sur la testostérone, d’accord ! Même si on arrive jusqu’à cette planète et qu’elle est habitable, ce ne sera pas l’île de la tentation. On aura assez à faire comme ça pour essayer de survivre jour après jour dans un monde totalement inconnu.

Ève – Je rejoins Virginie là-dessus. Sur Terre, tout paraissait simple parce que des milliers de générations nous avaient transmis leur expérience, pour distinguer les plantes comestibles des plantes toxiques, les animaux inoffensifs des animaux dangereux, les régions hospitalières des zones inhabitables…

Virginie – On devra tout réapprendre. Le danger sera partout. Chaque pas que nous ferons sera un saut dans l’inconnu. Et comme on n’est que quatre, on n’aura pas droit à l’erreur.

Ève – On nous a sélectionnés pour nos compétences en médecine, en aéronautique, en astrophysique, en biologie… Mais dans un monde totalement nouveau et peut-être hostile ?

Paul – On sait des choses. On ne part pas de rien. On n’est pas des hommes préhistoriques.

Ève – Nos connaissances sont purement théoriques. À quoi ça nous servira de savoir comment fonctionne une voiture, un ordinateur ou un téléphone quand on ne disposera plus d’une industrie pour les produire ?

Virginie – Il faudra repartir à zéro. Réapprendre à construire une hutte, à chasser avec un arc, à faire du feu avec deux silex, à s’éclairer avec une torche…

Alban – Et les hommes préhistoriques en savaient beaucoup plus que nous là-dessus.

Ève – Au bout de deux ou trois générations, nos beaux souvenirs du monde d’avant, totalement inutiles, deviendront des récits fabuleux que nos descendants finiront par oublier.

Alban – Ou qu’ils se mettront à déformer et à embellir pour en faire une nouvelle Bible.

Virginie – Alban et Ève, c’est vrai que c’est tentant…

Un temps.

Paul – Très bien, alors on jouera les Robinson. Tous les gosses en rêvent, non ?

Ève – Oui… mais l’île de Robinson, elle était sur Terre.

Paul – Au moins, je ne serai pas obligé de me taper Vendredi. Si l’idée c’est de perpétuer l’espèce… Deux hommes, deux femmes, ça fait au moins deux possibilités, non ?

C’est cette fois à Ève qu’il lance un regard appuyé.

Ève – Si tu ne changes pas un peu de disque, je crois surtout que tu es condamné à te pelucher pour le restant de tes jours. Parce que question méthode de drague, il faudrait penser à une mise à jour immédiate.

Paul – D’accord, alors on parle de quoi ?

Virginie – Si on ramène l’histoire de la Terre à 24 heures, l’Homme est né à minuit moins deux. Et pendant ces deux minutes, il a réussi à rendre sa planète inhabitable. Ça mérite quand même qu’on s’arrête un instant là-dessus, non ?

Paul – Un jour ou l’autre, la Terre serait devenue invivable. À terme en tout cas, c’est une certitude, en raison de l’explosion programmée du soleil.

Alban – Oui, mais dans des milliards d’années. L’Homme serait mort de vieillesse. Là, il s’agit d’un suicide collectif. Homo sapiens avait à peine 300.000 ans. Les dinosaures ont dominé la Terre pendant près de 165 millions d’années !

Ève – Et ce n’est pas eux qui ont causé leur propre perte, en détruisant consciencieusement la planète.

Virginie – Et puis en quelques milliards d’années, on aurait eu le temps de se préparer. D’organiser le déménagement. Là, c’est le radeau de la Méduse.

Ève – Et on en est déjà à se bouffer le nez…

Virginie – C’est vraiment sûr à cent pour cent, pour Y214 ?

Ève – Cent pour cent, non. Sur le papier, c’est une planète jumelle de la Terre. Presqu’exactement les mêmes caractéristiques.

Virginie – En théorie… Mais personne n’est jamais allé voir.

Alban – Et puis même si ce vaisseau fonctionne parfaitement bien, le voyage vers cet éventuel refuge sera très long et très incertain.

Ève – On risquera à tout moment une collision avec un astéroïde.

Paul – Rien n’est sûr tant qu’on ne sera pas là-bas, évidemment, mais a priori, tous les clignotants sont au vert, non ?

Un temps.

Alban – Et si cette planète habitable était déjà habitée ?

Virginie – Habitée ?

Ève – Par des êtres doués d’intelligence.

Paul – Si c’est le cas, il s’agit probablement d’une civilisation primitive. On n’a observé aucun signe d’une vie évoluée. Ondes radio, satellites artificiels, mégalopoles émettrices de lumière ou de chaleur…

Alban – C’est peut-être des écolos…

Paul – Ou des sauvages.

Alban – Des sauvages ?

Ève – Quand on voit ce que les Espagnols ont fait des Incas en débarquant en Amérique… Oui, il y a peut-être une perspective de salut. Mais à quel prix ? Je suis d’accord avec Alban, il faut poser la question : l’espèce humaine mérite-elle d’être sauvée ?

Alban – Ce serait rendre un service au monde que d’empêcher qu’elle le soit.

Les trois autres lui lancent un regard inquiet.

Paul – Qu’est-ce que tu veux dire, concrètement ?

Alban – L’humanité, aujourd’hui, c’est comme une plante qui va mourir. Juste avant la fin, pour perpétuer l’espèce, elle projette son pollen dans l’espace, dans l’espoir de coloniser une autre terre après avoir épuisé la sienne.

Paul – Si on se met à faire des métaphores, maintenant…

Alban – Mais cette plante est toxique, et nous en sommes les mauvaises graines.

Virginie – Qu’est-ce que tu proposes, au juste ?

Alban – D’empêcher cette pollinisation maléfique. L’avenir de l’humanité est entre nos mains. Nous avons le pouvoir d’y mettre un terme. Et nous nous grandirions en décidant sciemment de faire ce choix.

Silence de mort.

Paul – Ils en ont sélectionnés quatre, et il a fallu qu’on tombe sur un illuminé ! (Paul cherche du regard le soutien d’Alban et d’Ève.) Et vous, qu’est-ce que vous pensez ? Vous êtes d’accord pour un suicide collectif ?

Ève – Le suicide collectif… il a déjà eu lieu, non ?

Paul – D’accord, donc ils sont au moins deux dans la secte. Et toi, Virginie ?

Virginie – Évidemment. On ne peut pas dire que le bilan de l’humanité plaide beaucoup en sa faveur. Mais accepter de mourir sans rien tenter… c’est peut-être un peu radical, non ?

Ève – L’humanité, c’est comme une colonie de termites. Quand elle s’installe quelque part, c’est pour bouffer la charpente et partir ailleurs quand la maison est prête à s’écrouler.

Paul – Bon, alors en clair, parce que moi je ne fais pas dans la métaphore, l’humanité, moi je m’en fous. Ce que je veux, c’est sauver ma peau.

Alban – Ce n’est pas si simple. En sauvant ta peau, tu risques aussi de sauver l’humanité.

Paul – Bon… alors qu’est-ce qu’on fait ? On vote ? On se suicide ou on essaie de survivre ? (Levant la main) Je suis pour tenter ma chance. Qui d’autre ?

Virginie lève la main.

Virginie – Je suis pour la vie. Coûte que coûte. Et puis oui, j’ai peur de mourir.

Paul – Ève ?

Ève – Franchement, vu les chances de réussite de cette mission, je me demande si ça vaut le coup. Pourquoi ne pas accepter notre destin, et mourir avec les autres ? Que nos dépouilles, au moins, reposent sur notre planète d’origine… auprès des nôtres.

Alban – C’est aussi mon avis. Que le berceau de l’humanité soit aussi son cercueil.

Paul – D’accord. Deux voix contre deux… On est bien avancés… Mais après tout, si vous voulez absolument mourir, libre à vous. Vous n’avez qu’à rester ici. Le sas de sortie est juste là.

Virginie – Le vaisseau sera beaucoup plus difficile à manœuvrer à deux. Cela réduira encore nos chances de survie. Sans parler de celle de l’humanité, évidemment…

Alban – Ce dont il est question, ce n’est pas de sauver quatre vies ou d’en sauver deux. C’est de mettre un terme définitif à l’histoire de l’humanité.

Paul – Attends, Alban, il y a quand même un détail qui m’échappe… On a été tirés au sort parmi un panel de scientifiques pour donner une chance à l’humanité de survivre. Si tu voulais mourir avec les autres, pourquoi t’être porté volontaire ?

Alban – Précisément pour ça. Pour empêcher que ce cancer n’envoie ses métastases dans tout l’univers.

Paul – Donc, en fait, tu as menti. Tu es un traître. Un infiltré. Une taupe du camp de la défaite. Et c’est toi qui nous donnes des leçons de morale ?

Alban – J’assume ce mensonge. Qui veut la fin, veut les moyens.

Paul – Très bien… (Avec un air de défi) Mais est-ce que tu es sûr d’avoir les moyens ?

Ils s’apprêtent à nouveau à s’affronter, et Virginie s’interpose encore.

Virginie – On ne va pas se battre… Mais je rejoins Paul sur un point. Et si nous, on veut vivre ? Vous allez décider pour nous ? Qu’est-ce que vous allez faire ? Nous tuer ?

Paul – Le connaissant un peu, j’imagine qu’il pense plutôt à un truc plus tordu. Comme un sabotage, par exemple. Et si la fissure dans le silo, c’était lui ?

Ève – Quelle fissure ?

Paul – On n’était que quatre, et il a fallu qu’on tombe sur un putain de terroriste.

Virginie – C’est comme ça que tu veux sauver le monde, Alban ? En devenant un criminel ?

Alban – Je préférerais vous convaincre… Mais sinon je saurai prendre mes responsabilités, et je m’arrangerai avec ma conscience.

Virginie – Et toi, Ève ?

Ève – Non, je ne déciderai que pour moi. Je ne me prends pas pour Dieu. Que ceux qui veulent vivre soient libres de le faire. À eux de juger si cela en vaut la peine…

Virginie se rapproche de ses instruments de bord.

Paul – Du nouveau ?

Virginie – Les prévisions météo ont un peu évolué. Le vent commence déjà à fléchir. Il y aura une légère accalmie dans trois heures.

Paul – C’est maintenant ou jamais. Il y a une fenêtre de tir, et ce sera la dernière. On a juste le temps de se préparer au lancement. Et tous ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi.

Paul défie Alban du regard. Alban et Ève sortent sans que l’on sache si c’est pour préparer le départ ou pour signifier leur opposition. Paul et Virginie échangent un regard préoccupé.

Paul – Je n’ai pas confiance en eux…

Virginie – Ève ne fera rien contre nous, mais lui…

Paul – Tu crois qu’il irait jusqu’à saboter l’Arche ?

Virginie – C’est un idéaliste. Il est capable de tout.

Paul – Dans ce cas, on n’a pas le choix.

Virginie – Comment ça ?

Paul – C’est eux ou nous.

Virginie – Non, il n’en est pas question.

Paul – Je te rappelle qu’on a une mission.

Virginie – Mais nous n’avons plus de comptes à rendre à personne. Sauf à nous-mêmes.

Paul – On a une responsabilité morale. On s’est engagés à sauver l’humanité. C’est pour ça qu’on nous a permis de vivre, alors que tous les autres sont déjà morts.

Virginie – Une responsabilité morale ? Fais-moi rire. Tout à l’heure, tu disais que tu voulais seulement sauver ta peau…

Paul – Moi peut-être, mais toi ? Tu es une idéaliste, toi aussi. À quoi est-ce tu es prête pour donner à l’humanité une chance de s’en sortir ?

Virginie – Pas à tuer, en tout cas.

Paul – Je peux m’en charger. Je veux bien faire le sale boulot, j’ai l’habitude…

Virginie – Mais si je te laisse faire, je serai complice.

Virginie jette un regard à ses instruments.

Paul – Un problème ?

Virginie – Un court-circuit dans la salle des propulseurs… Impossible de lancer la mise à feu du réacteur numéro trois.

Paul – On aura besoin de toute la gomme pour échapper à l’attraction terrestre… C’est réparable ?

Virginie – Peut-être, mais il faut faire vite, sinon on va rater la fenêtre de tir.

Paul – Et si c’était lui ?

Virginie – Ça peut aussi être un simple incident technique…

Paul – On n’est pas obligés de les tuer. On peut se contenter… de les neutraliser.

Virginie – Les neutraliser ?

Paul – Un bon somnifère, et on les met direct au congélo avec un peu d’avance. Au moins ils nous foutront la paix pendant quelques milliers d’années.

Virginie – Et ce somnifère, comment tu leur fais ingurgiter ? De force ?

Paul – Il reste une bouteille de mauvais champagne dans le frigo. On pourrait la boire pour sceller notre grande réconciliation… Pour célébrer notre départ… ou notre suicide collectif ?

Virginie semble hésiter.

Virginie – D’accord… Mais occupe-toi d’abord du court-circuit.

Paul – Je vais voir ce que je peux faire…

Il sort. Virginie s’affaire aux commandes. Ève revient.

Ève – Je viens de croiser Paul. Je suis au courant pour la panne.

Virginie – Et bien entendu, tu n’y es pour rien.

Ève – Je t’ai déjà répondu là-dessus. Je ne ferai rien pour faire capoter la mission. Mais si un accident nous empêche de partir, ça résoudra définitivement tous nos problèmes…

Virginie – Et Alban ?

Ève – Quoi ?

Virginie – Tu crois qu’il serait capable de saboter le vaisseau ?

Ève – Je ne sais pas… mais je peux le comprendre.

Virginie – En effet, je te trouve très… compréhensive à son égard. Attention Ève. On a une mission. Nos sentiments ne doivent pas interférer dans nos décisions.

Ève – Tu es jalouse ?

Virginie – Non. Mais il va falloir choisir ton camp. Tu es avec nous ou contre nous ?

Alban revient.

Alban – Alors on en est là ?

Virginie – C’est un peu toi qui l’as voulu, non ?

Alban – Je n’en fais pas une affaire personnelle, si c’est ça que tu veux dire.

Ils se défient du regard.

Ève – Une affaire personnelle ? Ça veut dire quoi ? Vous vous connaissiez avant d’embarquer sur ce vaisseau ?

Silence embarrassé.

Virginie – Je te pose la question une seule fois, Alban, et je ne mettrai pas en doute ta réponse. C’est toi qui as provoqué ce court-circuit ?

Alban – Non.

Virginie – D’accord. Ça me suffit.

Alban – Ça ne veut pas dire que je ne m’opposerai pas à ce départ, d’une façon ou d’une autre.

Ève semble mal à l’aise.

Ève – Je vais donner un coup de main à Paul, ça ira plus vite.

Elle sort.

Virginie – Tu savais que je serais du voyage ?

Alban – Non. Pas avec certitude. Mais on n’était déjà plus très nombreux, et c’était une sérieuse possibilité. J’ai vu ton nom sur la short list. D’un point de vue scientifique, tu avais toutes les qualités requises. Et tu étais très proche des militaires qui nous gouvernaient à l’époque…

Virginie – Ne me dis pas que c’est pour te venger de moi que tu as fait tout ça. Et que pour le seul plaisir de causer ma perte, tu serais prêt à sacrifier l’humanité toute entière.

Alban – Je t’ai aimée, c’est vrai. Passionnément. Et tu n’as pas changé.

Virginie – Merci.

Alban – Ce n’était pas un compliment. Ton ego est toujours… surdimensionné.

Virginie – Chez les hommes, on appelle ça l’ambition, je crois. Et c’est considéré comme une qualité.

Alban – Tu as raison. D’ailleurs, c’est curieux.

Virginie – Quoi ?

Alban – Tous ces préjugés que la société nous imposait. Le sexisme, entre autres. Tout ça n’a plus aucun sens maintenant que la société a totalement disparu.

Virginie – Malheureusement, tant qu’il restera un macho, on n’en aura pas fini avec le machisme.

Alban – Tu as raison. Le ver est dans le fruit. Il finira toujours par le bouffer de l’intérieur. C’est dans nos gènes.

Virginie – Alors tu penses que l’homme est fondamentalement mauvais ?

Alban – Il l’a prouvé, non ?

Virginie – Certains hommes, peut-être. Pas tous.

Alban – Hitler, Pol Pot, Donald Trump…

Virginie – Mozart, Picasso, Bob Dylan…

Alban – Dans certaines conditions, n’importe quel homme est capable du pire.

Virginie – Ou du meilleur… Si Hitler avait réussi son examen d’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne… la face du monde en aurait peut-être été changée.

Alban – Mais les hommes auraient quand même fini par faire de la Terre un gigantesque camp d’extermination.

Virginie – Je te plains, Alban. Comment peut-on se haïr à ce point ?

Alban se rapproche d’elle.

Alban – Si tu m’avais aimé, j’aurais peut-être fini par m’aimer un peu moi aussi.

Virginie – Donc c’est de ma faute, en réalité… La fin du monde, tout ça… C’est à cause de moi, en fait.

Alban – Peut-être. Pas toi toute seule, évidemment, mais les gens comme toi.

Virginie – Les gens comme moi ?

Alban – Ceux qui pendant des siècles, en décidant de vivre dans l’insouciance, ont conduit cette planète à sa perte.

Virginie – D’accord. Alors toi tu es un pur, si je comprends bien. Tu as vécu dans le souci permanent, c’est vrai. Mais Alban, est-ce que la vie mérite d’être vécue sans un peu d’insouciance ? Est-ce que tu auras été heureux, au moins ? Seul dans ta tour d’ivoire. Je ne parle pas d’être heureux toute sa vie, je parle de ces petits bonheurs qui de temps en temps font que la vie reste supportable. Est-ce qu’une fois au moins dans ta vie tu as été heureux, Alban ?

Alban – Je ne sais pas… Pendant les quelques mois que j’ai passés avec toi, peut-être.

Virginie s’approche de lui.

Virginie – Je t’ai aimé, moi aussi. Peut-être encore plus que tu ne m’as aimée toi-même. Mais entre nous, ça ne pouvait pas marcher.

Alban – Pourquoi ?

Virginie – Pour ça précisément. Ce qui nous sépare encore aujourd’hui. J’ai besoin de croire en quelque chose. Contre toute évidence. J’ai besoin de légèreté. Et toi… tu n’échapperas jamais à la gravité. (Ils sont sur le point de s’embrasser, mais elle se reprend.) Si tu m’aidais plutôt à faire décoller cette fusée ?

Il semble hésiter.

Alban – Désolé, mais non… Je ne participerai pas à ça.

Virginie – Alors je te demande solennellement de ne rien faire pour l’empêcher.

Il sort sans répondre, croisant Paul qui revient. Ils échangent un regard méfiant.

Paul – Ça y est, c’est réparé. Heureusement, ce n’était pas si grave. Pour cette fois…

Virginie – Alban m’a juré qu’il n’y était pour rien.

Paul – Il ment peut-être.

Virginie – Je ne crois pas.

Paul – Comment tu peux en être sûre ?

Virginie – J’ai mes raisons…

Paul – Il en pince pour toi, c’est ça ?

Virginie – Ne te mêle pas de ça. Où en est la voie d’eau dans le silo ?

Paul – Ça ne s’arrange pas, mais ça peut tenir encore deux ou trois heures.

Virginie – Tu as l’air soucieux. Quelque chose d’autre nous empêche de partir, qui ne soit pas lié à la fusée elle-même ?

Paul – Aucun animal marin n’a résisté à la température. Ils sont tous morts, et leurs cadavres flottent à la surface. Sur une épaisseur de plusieurs dizaines de mètres par endroit. Sans parler des divers décombres charriés par l’océan suite à l’immersion de toutes les terres habitées. Bus, voitures, containers, troncs d’arbres, animaux, êtres humains… Il faudra traverser ce mur de déchets et de chairs en décomposition pour arriver à la surface.

Virginie – La structure de la fusée n’y résistera pas. Qu’est-ce que tu proposes ?

Paul – Juste avant le lancement, j’enverrai un missile pour essayer de faire un trou dans ce mur qui nous sépare de la surface.

Virginie – On a des missiles ?

Paul – Je te rappelle que ce programme a été lancé par l’armée.

Virginie – Mais… pourquoi des missiles ?

Paul – Au cas où les habitants de la planète que nous coloniserons ne soient pas aussi accueillants qu’on peut l’espérer.

Virginie – Je vois… Je ne savais pas. Et les deux autres, ils sont au courant ?

Paul – J’étais le seul à le savoir. Jusqu’à maintenant.

Virginie – Alors mieux vaut qu’ils continuent de l’ignorer…

Paul – Oui, c’est aussi mon avis.

Virginie – Tu sembles savoir beaucoup de choses que nous ignorons… Qui t’a dit tout ça ? Pourtant, tu es un civil, comme nous. (Paul ne répond rien et semble un peu embarrassé.) Tu n’es pas un civil ?

Paul – Je faisais partie de l’armée, avec le grade de colonel. Depuis la mort accidentelle du général qui devait nous accompagner dans cette mission, et qui devait piloter cet engin, c’est moi qui représente le gouvernement militaire sur ce vaisseau.

Virginie – Le gouvernement… Il est où, aujourd’hui, ce gouvernement mondial ? Quelques généraux gâteux désignés pour nous conduire jusqu’au bord du précipice, mais en rang par deux, en marchant au pas et en fermant sa gueule…

Paul – Il y avait quand même quelques résistants. Je n’ai pas connaissance que tu en faisais partie.

Virginie – Comment le sais-tu ?

Paul – J’étais bien placé pour le savoir…

Virginie – Je vois… Tu faisais partie de la police politique, c’est ça ? En somme, toi aussi tu es un infiltré.

Paul – Tout ça c’est de la littérature. Aujourd’hui, c’est moi qui suis là, que vous le vouliez ou non.

Virginie – Oui… À la place de ce général… Qu’est-ce qui lui est arrivé, au fait, à ce pauvre homme ? Ce n’est pas toi qui aurais précipité sa fin, par hasard, pour prendre sa place à bord de cette Arche de Noé ?

Paul – Tout ça n’a plus aucun sens, de toute façon.

Un temps.

Virginie – Est-ce qu’au moins vous êtes sûr de savoir lancer un missile, Colonel ?

Paul – Je n’ai jamais servi dans des unités de combat. Mais ça ne doit pas être si compliqué que ça.

Virginie – Donc, ce n’est pas pour tes compétences scientifiques que tu es là. En fait, tu es le seul de nous quatre à n’avoir aucune compétence particulière.

Paul – Je suis très doué en bricolage, et j’ai des couilles. Le mari idéal, quoi. Et puis vous l’avez dit vous-mêmes, pour arriver à survivre et à se reproduire en milieu hostile, ce sera tout aussi utile qu’un doctorat en astrophysique.

Paul s’affaire à son poste de commande.

Virginie – Tu crois que ça peut marcher ton missile, pour nous dégager un passage vers les étoiles à travers le cimetière qui est au-dessus de nos têtes ?

Paul – On verra bien. Tu as une autre idée ?

Virginie – Non.

Paul – Alors vas-y, fais décoller cette putain de fusée !

Virginie (ironique) – À vos ordres, Colonel… Je commence la check list. Ensuite on pourra lancer le compte à rebours. Je vais rejoindre le poste de pilotage supérieur. Tu peux demander à Ève de me remplacer ? Il faut aussi surveiller la météo… et le niveau d’eau dans le silo.

Paul – Tu crois qu’on peut lui faire confiance ?

Virginie – J’en prends la responsabilité.

Paul – Je lui dis de venir.

Il sort. Virginie s’affaire un instant devant ses instruments. Ève revient.

Virginie – Merci. On va avoir besoin de toi pour faire décoller cet engin. Je suis biologiste, moi, pas pilote de fusée. Je n’ai même pas mon permis voiture.

Ève – La bonne nouvelle, c’est que là où on va, tu ne risques plus d’en avoir besoin. À supposer qu’on réussisse un jour à reconstruire une voiture et une route, il n’y aura aucun flic pour te verbaliser.

Virginie – Il faut bien que la fin du monde ait quelques avantages…

Ève – Un problème ?

Virginie – Devant Paul, j’ai fait mine de savoir de quoi je parlais, en prononçant les mots de check list et de compte à rebours, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire pour faire décoller cette fusée. Tu le sais, toi ?

Ève – J’ai reçu une formation de quelques heures à peine, comme toi. En catastrophe, juste avant que le centre spatial ne soit englouti sous les eaux. Mais bon… j’ai pu sauver le manuel de bord.

Elle sort de sa poche un livret.

Virginie – Si on a le mode d’emploi, alors… On est sauvés. Et l’humanité avec nous. J’espère que c’est plus simple qu’une notice de meubles à monter en kit…

Elle s’asseyent l’une à côté de l’autre et commencent à manœuvrer leurs instruments tout en jetant de temps à autre un regard sur la notice.

Ève – Je crois que j’ai compris l’idée générale. Ça n’a pas l’air si compliqué que ça finalement.

Virginie – Oui, c’est ce que me disait Paul au sujet de…

Ève – De ?

Virginie – Je ne sais plus… Bon, alors je te fais confiance… Je peux te laisser un instant ? Il faut que je monte.

Ève – Ils sont déjà deux dans le poste de pilotage supérieur. Tu crois qu’ils ont besoin de toi ?

Virginie – Non… Mais j’ai envie de pisser.

Ève – OK. Va pisser, et on sauvera le monde après. Je peux te poser une question, avant ?

Virginie – D’accord, mais vite fait… Je t’ai dit, ça urge.

Ève – Si Alban devait se mettre en couple avec moi, ça te dérangerait ?

Virginie – Si ça pouvait le convaincre de ne pas s’opposer à notre mission, je dirais même que je t’y encourage.

Ève – Mais ça ne te laisserait plus que Paul…

Virginie – Vu comme ça, c’est vrai que… Paul est crétin, d’accord. Et peut-être même un salopard. Mais au moins il est vivant.

Ève – Oui. C’est marrant. De n’être plus que quatre sur Terre, ça rend tout d’un coup très indulgent avec les défauts des uns et des autres.

Virginie – Bon, maintenant, il faut vraiment que je pisse.

Virginie sort. Alban revient.

Alban – Alors tu as changé de camp ?

Ève – Je ne suis pas en guerre, Alban. Je partage ton analyse. L’humanité ne mérite sans doute pas de vivre. Mais les hommes…

Alban – Quelle différence fais-tu entre les deux ?

Ève – Je déteste comme toi les pires crimes que l’humanité a pu engendrer. Mais je ne peux pas m’empêcher d’aimer certains hommes… Comme toi, par exemple.

Il semble un peu troublé.

Alban – Je ne suis pas un homme pour toi, crois-moi.

Ève – J’ai toujours aimé les causes désespérées…

Alban – Tu mérites mieux que moi, je t’assure.

Ève – Évidemment que je mérite mieux que toi ! Mais tu crois que j’ai le choix, maintenant ? C’est toi ou Paul…

Alban – Vu comme ça, évidemment.

Ève – C’est ton ex ?

Alban – Qui ?

Ève – Virginie ! Il n’y en a plus que deux sur Terre à part nous. À moins que tu ne préfères les hommes… Ce qui réduirait encore d’autant les chances de survie pour l’espèce humaine.

Alban – On a eu… une liaison.

Ève – Et ça n’a pas marché…

Alban – J’étais marié à l’époque, mais pas avec elle… Et puis elle me trouvait trop intransigeant.

Ève – Sans blague…

Alban – C’est elle qui a décidé de mettre fin à notre… aventure.

Ève – Une aventure ? Ça m’a toujours amusée, ce mot, pour parler d’une histoire d’amour. On imagine un couple, dans la jungle, en train de se frayer un chemin à la machette en essayant d’éviter toutes sortes de danger, pour trouver finalement un trésor enfoui dans une pyramide Inca.

Alban – Alors que le plus souvent, s’agissant d’un adultère, ça consiste seulement à louer une chambre par internet dans un hôtel sordide où on peut payer en liquide.

Ève se rapproche de lui.

Ève – Est-ce que l’amour est une aventure, je ne sais pas… Avec toi, sûrement.

Alban – Si notre histoire d’amour devait commencer sur cette planète inconnue, ça pourrait bien ressembler à ce que tu décris. Moi Tarzan, toi Jane. Mais je ne suis pas sûr d’avoir vraiment le profil pour jouer les Tarzan…

Ève – Donc tu envisages quand même la possibilité d’une aventure avec moi…

Alban – J’envisage surtout d’en finir avec tout ça. Mais si on devait s’en sortir malgré tout… Virginie et moi, c’est du passé. Comme tu dis, à quatre, ça ne laisse pas beaucoup de possibilités.

Ève – Ça me touche beaucoup, ce que tu dis là. C’est très romantique.

Alban – Je croyais que notre mission, c’était la reproduction.

Ève – Si c’est un devoir, alors… Mais ça ne fait rien, je prends…

Ève l’enlace. Virginie revient.

Virginie – J’espère que je n’interromps pas le début de quelque chose…

Ève se reprend.

Ève – La météo sera optimale dans deux heures exactement.

Virginie – Je vous conseille d’aller dormir un peu. On aura besoin de tout le monde pour faire décoller cet engin.

Alban – Vous préférez nous savoir en train de dormir, c’est ça ?

Virginie – Je m’engage à ne pas en profiter. Pour vous tuer tous les deux, je veux dire…

Elle sort. Ève se rapproche à nouveau d’Alban.

Ève – C’est peut-être la dernière fois, Alban. La dernière nuit sur cette terre. La dernière occasion pour un homme et une femme de prouver que l’amour est plus fort que tout.

Alban – Pourquoi est-ce que j’ai envie de te croire ?

Ève – Eros et Thanatos, ces deux-là feront toujours bon ménage. La perspective de mourir, ça donne envie de baiser, c’est connu.

Alban – Il paraît même que certains pendus se mettent à bander en se balançant au bout de leur corde.

Ève – Tu sais parler aux femmes, toi. Et tu te demandes encore pourquoi Virginie t’a quitté ?

Elle le prend par la main, et ils sortent.

Noir.

 

Acte 2

 

Paul et Virginie sont installés à leurs postes et s’affairent à diverses manipulations.

Virginie – Pour moi, tous les paramètres sont OK.

Paul – Pour moi aussi. Et on ne peut plus attendre. La paroi du silo de lancement est sur le point de céder. L’eau monte de minute en minute. Elle atteint déjà le bas de la fusée. Il faut lancer le compte à rebours.

Virginie – On ne les réveille pas avant ?

Paul – Pour reprendre ces polémiques stériles ? On leur a proposé de quitter l’Arche. Maintenant, qu’ils le veuillent ou non, ils seront du voyage.

Virginie – D’accord. Je déclenche le protocole. (Elle procède à quelques manipulations.) C’est parti… Plus que dix minutes avant le départ.

Paul – Je lance le missile pour nous frayer un passage à travers ce tas de merde.

Virginie – Ce tas de merde, comme tu dis, il est aussi composé de ce qui reste de l’humanité toute entière.

Paul – Oui, c’est bien ce que je disais.

Virginie – Vas-y.

Paul s’affaire à son poste, sous le regard inquiet de Virginie.

Paul – C’est parti. Impact dans 75 secondes.

Virginie – OK.

Paul – Tu vas rire, mais je n’étais pas sûr de savoir comment lancer ce missile.

Virginie – Tu vas rire toi aussi, mais je ne suis pas complètement certaine de savoir comment faire décoller ce tas de ferraille…

Paul – Une minute avant l’impact. Il faut attendre…

Un temps.

Virginie – Comment on a pu en arriver là ?

Paul – Je crois que tu l’as déjà dit. Je t’ai répondu que je ne savais pas, et tu m’as rétorqué que ce n’était pas vraiment une question.

Virginie – Comment est-ce possible qu’on n’ait pas pu arrêter ça ? C’est ça la vraie question…

Paul – Il y a eu de multiples tentatives pourtant. À chaque fois qu’une étape de plus était franchie vers cette fin du monde annoncée.

Virginie – À chaque fois les mesures prises étaient insuffisantes. Des demi-mesures faites pour régler des problèmes qui s’étaient aggravés entre-temps.

Paul – Quand elles étaient vraiment appliquées. Tous les gouvernements de tous les pays du monde trichaient.

Virginie – En mettant en avant qu’ils avaient d’autres préoccupations plus urgentes.

Paul – Faire tourner l’économie.

Virginie – Nourrir la planète.

Paul – Ne pas trop contrarier les électeurs.

Virginie – Jusqu’au moment où on a supprimé les élections.

Paul – Je crois que le début de la fin, c’est quand Donald Trump est arrivé au pouvoir. Tu te souviens ?

Virginie – Je n’étais pas encore née… mais oui, j’ai entendu parler de ça.

Paul – À partir de ce moment-là, c’était vraiment foutu.

Virginie – Quand tous les cons qui votent choisissent comme roi le plus con d’entre eux, ça ne peut que tourner mal.

Paul – Après tout a été très vite. Cette guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan, qui a déclenché la Troisième Guerre Mondiale. Les intégrismes religieux. L’instauration des dictatures. Les génocides. La famine. L’accélération du réchauffement. La montée des eaux…

Virginie – Et puis après, c’était irréversible.

Paul – Je ne sais même plus exactement qui a été à l’origine de ce programme de la dernière chance qui va peut-être nous sauver la vie aujourd’hui.

Virginie – Je crois surtout que ce programme, tout le monde l’avait oublié. C’est sans doute pour ça que par miracle, on a pu le conduire à son terme.

Paul – Au départ, il s’agissait de reconstituer une nouvelle Arche de Noé. Et puis finalement, il n’y a plus que nous.

Virginie – Tout ça est tellement absurde. Quel immense gâchis. Est-ce que ça vaut encore le coup. Ça me donne envie de pleurer…

Paul semble ému lui aussi, pour la première fois, et il a un geste de réconfort pour Virginie.

Paul – Allez… Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Virginie (retenant ses larmes) – C’est fou comme ce genre de phrases à la con reprennent soudain tout leur sens dans certaines circonstances exceptionnelles…

Paul – J’en ai d’autres si tu veux…

Virginie – Comme quoi ?

Paul – C’est après la foire qu’on compte les bouses.

Virginie – Celle-là, il faudra que tu me l’expliques…

Paul – Ça veut dire que…

Virginie – Non mais pas maintenant. Là il faut qu’on sauve l’humanité.

Paul – OK.

Virginie se reprend.

Virginie – Merci… Finalement, tu es un philosophe, Paul. Il suffisait seulement d’attendre le bon moment pour que le monde entier s’en aperçoive.

On entend un grondement sourd.

Paul – L’impact a eu lieu. Qu’est-ce que ça donne ?

Virginie observe son écran.

Virginie – La couche de débris est légèrement plus mince à l’endroit de l’explosion. Mais elle est toujours là. J’espère que ça suffira.

Paul – Il faut décoller tout de suite, on n’a pas le choix.

Alban et Ève reviennent.

Virginie – Ah, voilà Alban et Ève… (Avec un sous entendu amusé) Alors ? Bien dormi ?

Alban – J’ai été réveillé par le grondement d’une explosion. Qu’est-ce que c’est ?

Virginie – Je ne sais pas…

Alban – Ne me prenez pas pour un con.

Paul – J’ai lancé un missile, pour nous ouvrir un chemin parmi les décombres qui flottent à la surface.

Ève – Un missile ?

Alban – Je ne savais pas que nous étions à bord d’un bâtiment de combat…

Paul – Les caravelles de Christophe Colomb aussi étaient équipées de canons.

Alban – Alors vous nous aviez aussi caché ça.

Virginie – Je n’étais pas au courant, je te le jure.

Alban – Je m’oppose à ce départ. Je refuse que l’inauguration possible d’une nouvelle humanité commence par le massacre des habitants de Y214. Car j’imagine que vous savez aussi que cette planète est habitée.

Silence embarrassé.

Virginie – Paul ? Qu’est-ce que tu sais encore, que tu ne nous aurais pas dit ?

Paul – Une planète habitable est forcément habitée. La nature a horreur du vide. On ne sait pas quel est le degré de développement de cette civilisation, mais oui. Il y a… quelque chose.

Ève – Ça change tout.

Paul – Pour moi, ça ne change rien.

Ève – Mais pour moi oui.

Alban – Il ne s’agit plus simplement de trouver un refuge pour l’humanité. Il s’agit d’aller coloniser un nouveau monde, en soumettant ou en exterminant les populations autochtones.

Paul – Et qu’est-ce que tu comptes faire pour empêcher ça ?

Alban – Je pourrais te tuer.

Paul – Mais tu ne le feras pas.

Alban semble hésiter.

Alban – Alors je te propose un deal.

Paul – Tiens donc…

Alban – Je ne m’opposerai pas à ce départ. Puisque c’est ce que vous souhaitez tous les trois, j’accepte de vous laisser partir. Et même de partir avec vous et de faire tout mon possible pour que ce voyage réussisse.

Paul – Mais…

Alban – J’exige que tous les missiles soient lancés avant notre départ.

Ève – Moi aussi. Si nous survivons, je refuse que ce soit au prix d’un nouveau massacre.

Virginie – Je suis d’accord. Nous ne pouvons pas reconstruire une civilisation sur les décombres de celle que nous aurions détruite pour prendre sa place.

Ève – On essayera de s’entendre avec cette population autochtone. Sinon, c’est nous qui périrons.

Paul semble hésiter.

Paul – D’accord.

Alban – Alors lance les maintenant.

Paul – OK. C’est parti pour le bouquet final. De toutes façons, il faut se frayer un passage à travers tous ces déchets. Et le premier tir n’a pas suffit.

Paul procède à diverses manipulations.

Ève – Quels déchets ?

Virginie – Je t’expliquerai…

Paul – Impact dans dix secondes. Je m’améliore…

Silence de mort. On entend quelques grondements lointains.

Virginie – Alors ?

Paul – Je crois que maintenant, la voie est libre.

Virginie – Parfait… Départ dans quatre minutes et vingt-et-une secondes.

Alban – Ce n’est pas tout.

Paul – Quoi encore ?

Alban – Que nous survivions tous, ça ne me pose pas de problème.

Paul – Merci de ta générosité.

Alban – Pourvu que l’humanité disparaisse avec nous.

Paul – Tiens donc… Et qu’est-ce que tu proposes ?

Alban sort une fiole qu’il tend à Paul.

Alban – La stérilisation chimique définitive.

Paul – C’est une blague ?

Alban – Je suis médecin, vous le savez. On avait mis au point ce produit pour limiter les naissances en Inde. C’est absolument indolore et c’est efficace à cent pour cent.

Virginie – Ce n’est pas drôle, Alban.

Alban – Ce n’est pas une plaisanterie.

Ève – Tu vas trop loin.

Alban – J’ai toujours pensé que l’humanité ne méritait pas d’exister. Aujourd’hui, sa survie est entre mes mains. Je ne laisserai pas échapper cette occasion unique d’en terminer avec le genre humain.

Paul – Et tu n’as rien trouvé de mieux ?

Alban – Je ne me satisferai pas d’une promesse. Je suis médecin, je peux procéder à ma propre stérilisation et à celle de Paul.

Paul – Alors comme ça, tu veux me castrer ? Tu te prends pour un vétérinaire, et tu me prends pour un clebs ?

Virginie – Je crois qu’il se prend pour Dieu. Ça a toujours été ça, son problème.

Alban – J’ai seulement parlé de stérilisation… Tu resteras un homme, rassure-toi.

Paul – Monsieur est trop bon…

Ève – Tu es devenu fou, Alban. Comment peux-tu proposer une horreur pareille ?

Virginie – Non, Alban, nous n’accepterons pas de vivre pour être les derniers des Mohicans. Si ça doit arriver, ça arrivera. Mais ça ne peut pas être un choix. En tout cas, ce n’est pas le mien. Oui, l’humanité est capable du meilleur comme du pire. Cela s’appelle la liberté. Et on n’a rien trouvé de mieux que la liberté pour que la vie mérite d’être vécue. Qu’est-ce que tu voudrais ? Qu’on soit seulement guidés par nos instincts, comme des animaux ? Qu’on soit tous parfaits, comme seuls des robots peuvent l’être ? Oui, l’humanité, si elle survit, reproduira sans doute les mêmes erreurs. Les mêmes monstruosités.

Alban – Même Auschwitz ?

Ève – Peut-être Auschwitz. Peut-être pas. Ça s’appelle le libre arbitre. Et c’est le propre de l’homme.

Alban – D’accord, on avait le choix de faire de cette terre un paradis ou un enfer. Et qu’a-t-on fait ?

Paul sort un pistolet d’allure futuriste.

Paul – Maintenant ça suffit.

Virginie – Où as-tu trouvé cette arme ?

Paul – Tu veux mourir, je vais exaucer tes vœux. Mais tu ne nous empêcheras pas de vivre.

Alban – Tu es sûr de savoir te servir de ça ? Attention, tu pourrais te blesser…

Virginie – Il ne plaisante pas, Alban. Il sait se servir d’une arme, et il s’est déjà servi de celle-ci pour éliminer ceux qui se sont mis en travers de sa route. Il était membre de la police militaire.

Alban – Un flic, j’aurais dû m’en douter…

Paul met Alban en joue.

Ève – Ne tire pas ! Il est fou, mais il ne mérite pas de mourir. Et si je comprends bien, tu ne vaux pas mieux que lui.

Virginie – Tu vas le tuer, et après, qu’est-ce que tu feras ? Tu vas nous tuer aussi ?

Ève – Quand tu seras le dernier représentant de l’espèce humaine dans l’univers, et qu’il n’y aura plus personne pour te contredire, tu crois que tu seras plus avancé ?

Virginie – On ne peut pas se passer de lui, Paul. On ne peut se passer de personne. Deux couples, c’est le minimum pour espérer sauver l’espèce humaine.

Ève – Et tout simplement pour survivre dans un environnement très difficile. Tu trouves qu’on est trop nombreux comme ça ?

Virginie – Je te rappelle qu’il est médecin. Tu pourrais bien regretter de l’avoir tué le jour où tu seras blessé ou malade.

Paul semble hésiter.

Paul – Tu as de la chance d’avoir ton fan club… Attachez-le.

Virginie s’approche pour l’attacher.

Virginie – Désolée, tu ne nous laisses pas le choix.

Paul – En tout cas il faut faire vite maintenant. Où en est le compte à rebours ?

Profitant d’un instant d’inattention, Alban se jette sur Paul et après une brève lutte, parvient à lui arracher son pistolet, avec lequel il le met en joue.

Alban – Arrête tout de suite le protocole de départ. On ne va nulle part.

Virginie manipule quelques boutons.

Virginie – Procédure interrompue.

Alban pointe son arme vers Paul.

Ève – Ne tire pas !

Alban – Donne-moi une bonne raison de ne pas tirer !

Ève – Je suis enceinte.

Alban, qui fixait Paul, se tourne vers Ève.

Alban – De lui ?

Ève – Mais non, pas de lui ! Tu m’imagines baiser avec cet abruti ?

Paul – Merci…

Alban – De moi ?

Ève – On vient à peine de faire l’amour ensemble. Comment je pourrais affirmer être enceinte de toi ? Tu es sûr que tu es vraiment médecin ?

Paul – Tiens donc… Il voulait me stériliser, et il a déjà engrossé la moitié de l’équipage…

Alban – Alors tu es enceinte de qui ?

Ève – De mon mari, tout simplement. Il devait partir avec moi. Il est mort il y a un trois semaines. C’est toi qui as pris sa place…

Paul – Mais quand tu dis qu’il l’a remplacé, tu veux dire…?

Ève – Toi tu la fermes, ou sinon, je te jure que c’est moi qui vais te tuer.

Paul ne prend pas cette menace à la légère. Alban est déstabilisé.

Paul – Depuis quand est-ce que tu le sais ?

Ève – Un mois. Vu les circonstances, je ne pensais pas nécessaires de vous en informer.

Virginie – C’est un signe, Alban. Est-ce que tu vas condamner cet enfant, ou lui donner une chance de vivre ? Tu es médecin…

Alban hésite avant de baisser son arme.

Alban – D’accord, je vais coopérer… De toute façon, on n’a que très peu de chances de survie, même en conjuguant nos efforts.

Virginie – Je relance le protocole.

Ève – Je vais au poste de pilotage supérieur.

Alban – Je t’accompagne.

Ils sortent. Les deux autres se mettent au travail pour préparer le décollage.

Paul – Donc Alban et Ève sont en couple. Ça devait arriver.

Virginie – Oui. Mais Ève est déjà en cloque, et ce n’est pas Alban le père. Ce n’est pas très catholique, tout ça…

Paul – Jésus non plus n’était pas le fils de son père.

Virginie – Et dire que ces gens-là nous auront fait la morale jusqu’au bout…

Paul – En tout cas maintenant, on n’a plus le choix… Je veux dire, nous deux…

Virginie – C’est la pire déclaration que j’ai jamais entendue.

Paul – Paul et Virginie, on était fait pour se rencontrer, non ?

Virginie – Mais si je me souviens bien, Paul et Virginie, ça ne se termine pas très bien…

Paul – Ah oui ? Remarque, au point où on en est…

Virginie – Tu as raison… Une histoire qui commence aussi mal que la nôtre, est-ce que ça peut vraiment se terminer encore plus mal ?

Noir.

 

Acte 3

 

Paul, Virginie, Alban et Ève sont à leurs postes, concentrés sur les préparatifs du décollage.

Paul – Cette fois, on y est. C’est le moment de vérité.

Ève – Trente secondes avant le décollage.

Effets spéciaux sonores et lumineux pour marquer la mise à feu.

Virginie – Les quatre réacteurs sont allumés.

Paul – Tous les voyants sont au vert.

Ève – C’est parti.

Alban – La fusée est sortie du silo.

Virginie – On accélère.

Ève – On est à moins de cent mètres de la surface.

Virginie – On va traverser la couche de décombres qui flottent encore au-dessus de nous. Ça va secouer un peu…

Nouvelles perturbations.

Paul – On a franchi l’obstacle. On est dans l’atmosphère terrestre !

Virginie – J’espère que la structure n’a pas trop souffert, et que la carlingue n’est pas endommagée.

Alban – Tous les paramètres sont OK. Nous prenons de l’altitude.

Ève – Nous sommes à cinq mille pieds.

Virginie – Nous quittons l’atmosphère de la Terre.

Moment d’émotion, ils échangent un regard à la fois soulagé et grave.

Alban – Regardez bien cette planète s’éloigner. Cette Terre dont nous avons fait un gigantesque cimetière, c’est la dernière fois que vous la voyez.

Ève – Et nos enfants ne la verront jamais plus.

Virginie – Pas avant des centaines de générations en tout cas, avant que les hommes, s’ils parviennent à survivre, soient en mesure de reconstruire un engin de ce type.

Paul – Il faudra pour ça rebâtir une civilisation. Une industrie.

Ève – En veillant à ce que cette révolution industrielle ne nous conduise pas au bord du même précipice.

Paul – Nous avons quitté la zone d’attraction terrestre. Je branche la gravité artificielle.

Virginie – La Terre est déjà loin. Nous allons contourner la Lune.

Ève – Le sort de l’humanité est entre nos mains.

Alban – Pour le meilleur ou pour le pire. À nous de choisir.

Même Paul semble ému. Il se rapproche pour lui tendre la main.

Paul – Sans rancune, Docteur.

Alban accepte de lui serrer la main.

Alban – Vous pouvez compter sur moi.

Ève – On n’a pas le choix, il va falloir s’entendre.

Paul – J’ai conscience de la responsabilité qui est la nôtre. Moi aussi, j’ai perdu toute ma famille. Mes amis.

Alban – Il faudra qu’on écrive tout ça dans un livre, pour les générations futures. Pour éviter qu’elles ne reproduisent les mêmes erreurs.

Virginie – Mais est-ce qu’elles nous croiront ?

Ève – En fait, tout ça, tout ce qui nous arrive, c’était déjà écrit dans la Bible. Le déluge, l’Arche de Noé…

Virginie – On a pris ça pour des contes à dormir debout…

Ève – Même sans croire en Dieu, on aurait dû comprendre la portée symbolique de ce livre qui nous vient de la nuit des temps.

Alban – Comment faire pour que notre message à nous parvienne intact jusqu’à ceux qui nous succéderont. Dans des milliers voire des millions d’années…

Paul – Je ne sais pas.

Virginie revient à son poste de commandement.

Virginie – J’ai branché le pilotage automatique.

Paul – J’ai réussi à sauver une bouteille de champagne russe.

Virginie lui lance un regard réprobateur.

Virginie – Tu crois vraiment qu’il y a lieu de fêter ça ?

Paul – Tu as raison, on le débouchera en arrivant.

Ève – Maintenant il va falloir rejoindre les caissons d’hibernation. Pour économiser nos réserves en oxygène. On en aura besoin à l’arrivée.

Alban – Si on se réveille un jour. Parce que beaucoup de choses peuvent arriver pendant un voyage de quelques milliers d’années, dans un vaisseau qui va à la vitesse de la lumière.

Virginie – Et si nous nous réveillons, reste à savoir si ce sera au paradis ou en enfer…

Ève – En attendant, c’est l’ordinateur de bord qui gérera tous les problèmes qui pourraient survenir, et qui prendra les décisions à notre place.

Alban – Espérons que lui, au moins, ne se trompera pas.

Virginie – Alors c’est le moment de se dire au revoir.

Ève – Ou adieu…

Ils se serrent l’un l’autre dans les bras.

Alban – Bonne chance.

Ève – Et à la grâce de Dieu.

Alban – Je ne crois pas en Dieu. Mais j’espère que lui croit en nous.

Virginie – On ne va pas tarder à le savoir.

Alban – Alors rendez-vous… dans seize mille ans. Peut-être…

Noir.

 

Acte 4

 

Alban et Ève se réveillent lentement de leur sommeil.

Ève – Alban ?

Alban – Ève ?

Ève – Tout va bien ?

Alban – Il me semble.

Ève – En tout cas, on est toujours en vie.

Alban – Oui… Enfin, je crois…

Ève – C’est curieux. Je me sens en pleine forme.

Alban – Moi aussi. Je ne me suis jamais senti aussi bien.

Ève – Peut-être que ça n’a pas marché…

Alban – Quoi ?

Ève – L’hibernation. On a dormi combien de temps ?

Alban – Je ne sais pas… J’ai l’impression d’avoir dormi une heure.

Ève regarde un cadran.

Ève – On a dormi exactement… seize mille deux cent quatorze ans sept mois trois semaines deux jours et une heure.

Alban – Ah oui quand même…

Ève – C’est ce qui s’appelle une grasse matinée.

Alban – Je ne te demande pas quel jour on est.

Ève – Sur Terre, on serait vendredi.

Alban – Mais tout ça… ça ne veut plus rien dire du tout.

Ève – Notre planète d’origine est à des milliers d’années lumière, et toute vie a probablement disparu de sa surface.

Alban – On est déjà arrivés à destination ?

Ève – Pas tout à fait. L’ordinateur de bord devait nous réveiller à l’approche de ce nouveau système solaire, 24 heures avant d’entrer dans l’atmosphère de Y214.

Alban – Et les deux autres ?

Ève – Ils dorment encore, apparemment.

Alban – Ce serait le bon moment pour s’en débarrasser. (Elle lui lance un regard réprobateur.) Je plaisante.

Ève – On va attendre encore un peu. La cryogénisation, c’est un processus très délicat. Mieux vaut ne pas brusquer les choses.

Alban – Et ton enfant ? Il bouge encore, lui aussi.

Ève – Ce n’était qu’un embryon quand on a congelé sa mère il y a seize mille ans. Il ne va pas bouger avant un certain temps.

Alban – La plus longue gestation de l’histoire de l’humanité… Comment est-ce qu’on l’appellera ?

Ève – Pas Caïn, en tout cas. Mais il faut encore lui trouver une terre d’accueil.

Alban – Y214… On devra lui trouver un nom aussi, à notre planète…

Ève – Tout de même… C’est un moment extraordinaire. Pour la première fois, des hommes vont entrer en contact avec une forme de vie totalement inconnue.

Alban – C’est excitant, c’est vrai. Et ça fait peur aussi…

Ève – J’ai l’impression d’être Christophe Colomb quelques heures avant de débarquer en Amérique.

Alban – L’Amérique, c’était quand même la même planète.

Ève – Est-ce que nous on va pouvoir s’adapter ?

Alban – Et est-ce que cette planète et ses éventuels habitants vont pouvoir s’adapter à nous ? Ne serait ce qu’aux virus qu’on transporte inévitablement avec nous.

Ève – On ne va pas tarder à le savoir.

Alban – Ç’aurait pu être un moment merveilleux. Mais il a fallu que l’Homme mette fin à l’humanité pour en arriver là.

Ève – On s’approche de la première planète de ce système solaire. Apparemment, elle est totalement inhabitable. Trop loin de son étoile.

Alban – Tout confirme que Y214 est bien habitable. L’atmosphère et la pesanteur sont très similaires à celles de la Terre. Une pesanteur légèrement moindre. Mais c’est infime.

Ève – Comment perdre quelques kilos sans effort… Il suffit de changer de planète.

Alban a un geste tendre envers elle.

Alban – Tu es très bien comme ça. Seize mille ans, et pas une ride…

Ève – Merci…

Ils s’embrassent.

Alban – Il faudrait peut-être les réveiller.

Ève – Vas-y… Je vais superviser la navigation. On se rapproche de notre destination finale… Si l’ordinateur ne nous a pas perdus en route. Le système de localisation est en panne pour l’instant…

Alban s’approche du caisson où repose Virginie.

Alban – J’ai l’impression d’aller réveiller la Belle au Bois Dormant.

Ève – Je t’interdis de l’embrasser…

Il se penche sur le caisson.

Alban – Non…

Ève – Quoi ?

Alban – Il n’y a personne dans le caisson.

Ève – Ce n’est pas possible…

Ève s’approche du caisson où est supposé reposer Paul.

Ève – Personne non plus…

Alban – Ils seraient déjà réveillés ?

Ève – Ils sont peut-être là-haut…

Alban – Je vais aller voir.

Ève – Ne me laisse pas seule trop longtemps, parce que c’est vraiment flippant. Tu ne veux pas que je vienne avec toi ?

Alban – Il faut que quelqu’un reste aux commandes.

Il sort. Ève s’affaire aux commandes. Elle semble surprise, puis inquiète. Elle manipule divers instruments de bord.

Ève – Et merde…

Alban revient au bout d’un instant, la mine défaite.

Ève – Alors ?

Alban – Oui, ils sont là-haut…

Ève – Mais…?

Alban – Ils sont morts.

Ève – Morts ? Dis-moi que tu n’y es pour rien.

Alban – Je n’y suis pour rien.

Un temps.

Ève – Mais morts comment ? Depuis combien de temps ?

Alban – Je ne sais pas exactement. Visiblement depuis très longtemps. Je te passe les détails…

Ève – Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Alban – Je ne sais pas. Quelque chose n’a pas dû fonctionner dans leur hibernation. Le processus a été interrompu accidentellement. Ils se sont sans doute réveillés alors que le vaisseau était à mi-distance.

Ève – Impossible de revenir en arrière, et un délai beaucoup trop long pour parvenir à destination vivants.

Alban – Ils ont survécu pendant quelques temps, quelques mois, quelques années, et puis ils sont morts.

Ève – Ils n’ont pas pu se remettre en hibernation. Ils sont morts de vieillesse.

Alban – C’est dingue… Ils auraient pu nous réveiller… Nous tuer… Il ne restait que deux caissons en état de marche.

Ève – Ils auraient pu nous sacrifier pour s’en sortir à notre place.

Alban – Ils ne l’ont pas fait. Ils nous ont laissés dormir pendant seize mille ans.

Ève – Tu vois. Les hommes sont parfois capables du meilleur.

Alban – Oui… Ou alors c’est elle qui l’en a empêché.

Ève – On ne saura jamais ce qui s’est passé exactement.

Alban – J’espère au moins qu’on trouvera une terre où les ensevelir.

Un temps.

Ève – Alors maintenant, nous sommes vraiment seuls dans l’univers… Seuls avec cet enfant que je porte dans mon ventre.

Alban – Heureusement qu’il n’est pas de moi. Si on en fait un autre et qu’on compte sur eux pour perpétuer l’espèce, au moins ce ne sera que la moitié d’un inceste.

Ève – Au point où on en est, on n’est plus à ça près.

Alban – Et puis la Bible n’était pas si regardante là-dessus… Pour perpétuer l’espèce, les enfants d’Adam et Ève ont bien dû se marier ensemble, non ?

Ève continue de regarder ses instruments.

Ève – Il y a quelque chose que je ne comprends pas.

Alban – Quoi ?

Ève – On n’est pas où on devrait être.

Alban – On est où, alors ?

Ève – Les instruments de mesure et de navigation ne fonctionnent plus. On n’a presque plus d’électricité. Impossible de savoir où on est.

Alban – Et encore moins où on va…

Ève – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Alban – Il n’y a plus qu’à attendre. Le pilotage automatique fonctionne encore. On verra bien où il nous conduit.

Ève – Espérons que ce sera à bon port…

Noir

 

Acte 5

 

Alban et Ève sont installés chacun à leur poste de commande. Ils sont concentrés sur leurs tâches et ils ont l’air soucieux.

Ève – Nous venons d’entrer dans l’atmosphère de cette planète inconnue. Et nous sommes sous l’emprise de son attraction.

Alban – Même si la plupart de nos instruments sont pour l’instant hors d’état de fonctionner, la procédure automatique d’atterrissage semble se dérouler normalement.

Ève – J’ai réussi à remettre en état un des panneaux solaires. Les batteries commencent à charger. On ne devrait pas tarder à recevoir des informations.

Alban – Il serait temps, parce que le sol se rapproche très rapidement.

Ève – Si nous atterrissons sur un astre mort, ce sera la fin. Nous n’avons plus de carburant, il sera impossible de repartir ailleurs. Cette planète sera notre refuge ou notre tombeau.

Alban – Espérons qu’il s’agit bien de Y214…

Ève – Ce serait un miracle que l’ordinateur de bord ait trouvé une autre planète habitable.

Alban – Nous ne sommes plus qu’à 10.000 mètres de la surface. On commence à distinguer quelque chose à l’œil nu.

Ève – Ça ressemble à un grand océan, avec quelques terres émergées.

Alban – Reste à savoir si cet océan est bien constitué d’eau, si cette atmosphère est respirable, et si ces terres sont habitables

Ève – Habitables par des êtres humains comme nous, tu veux dire. Cette planète peut très bien être habitée par une forme de vie qui aurait su s’y adapter, mais être totalement invivable pour des organismes comme les nôtres.

Alban – On distingue quelques taches de couleur. Du vert, principalement.

Ève – De la végétation ?

Alban – Peut-être. S’il y a de la végétation, il y a peut-être aussi des animaux.

Ève – Voire même une forme de vie intelligente.

Alban – Par intelligente, tu veux dire une espèce comme la nôtre, capable de détruire sa propre planète d’origine en l’espace de quelques siècles ?

Ève – Disons une espèce raisonnable, alors.

Alban – On commence à distinguer les détails.

Ève – Oui, c’est bien ça. Un immense océan, parsemé d’îles, avec une végétation luxuriante.

Alban – On ne voit pas de traces de civilisation…

Ève regarde un écran.

Ève – Ça y est, les batterie sont suffisamment chargées. L’ordinateur de bord commence à envoyer des informations.

Alban – Et alors ?

Ève – C’est incroyable à quel point cette planète ressemble à la Terre.

Alban regarde l’écran par dessus l’épaule d’Ève.

Alban – Elle a exactement les mêmes caractéristiques.

Ève – Oui… On dirait qu’elle matche à 99%. C’est incroyable…

Alban – Il y a un problème ?

Ève – Si on veut…

Alban – Quoi ?

Ève – L’ordinateur a pu enfin nous localiser.

Alban – Et ?

Ève – Nous ne sommes pas où nous devrions être.

Alban – On n’est pas sur Y214 ?

Ève – Pendant notre sommeil, l’ordinateur de bord a dû juger que la planète que nous visions n’était finalement pas habitable. Et il a décidé de changer le plan de vol.

Alban – Ou alors c’est eux…

Ève – Eux ?

Alban – Paul, Virginie… Ils se sont rendus compte que ce voyage nous conduisait à la mort, et ils ont changé de route.

Ève – Dans ce cas, ils ont décidé de rebrousser chemin.

Alban – Rebrousser chemin ?

Ève – Ce système, c’est notre système solaire. La planète que nous avons dépassée tout à l’heure, c’est Neptune. Et notre destination, c’est la Terre.

Alban – La Terre ?

Ève – Nous allons atterrir dans quelques minutes. Après un périple de seize mille ans dans la galaxie.

Alban – Tout ça pour ça… Alors finalement, nous revenons pour mourir sur cette terre qui nous a vus naître…

Ève – Pas sûr…

Alban – Quoi ?

Ève – D’après les informations que je reçois, pendant ces seize mille ans, la planète est redevenue habitable.

Alban – La Terre n’est plus seulement un vaste océan. On distingue clairement un chapelet d’îles.

Ève – Les calottes glaciaires se sont un peu reconstituées aux pôles.

Alban – Quelle est la température au sol ?

Ève – Encore dans les 80 degrés à l’équateur, mais tempérée ailleurs… Une vingtaine de degrés sur l’île où l’ordinateur a décidé de nous poser.

Alban – L’océan n’est plus en ébullition.

Ève – La planète est habitable. Partiellement, en tout cas…

Alban – Habitable… mais plus habitée.

Ève – Non… Apparemment, il n’y a plus personne… Aucune trace de vie humaine…

Alban – Quelques animaux, peut-être.

Ève – Des poissons, probablement. Certaines espèces qui auraient survécu à des profondeurs extrêmes. Et qui redeviendraient peu à peu amphibies.

Alban et Ève regardent ensemble vers un hublot imaginaire situé côté spectateurs.

Alban – Il faudra tout recommencer à zéro.

Ève – En essayant de ne pas refaire les mêmes erreurs…

Alban – J’aperçois l’endroit où nous allons nous poser. On voit même un palmier.

Ève – Tu es sûr que ce n’est pas un pommier ?

On entend un grondement, et un signal d’alerte clignote.

Alban – C’est quoi, ça ?

Ève – Le pilotage automatique ne répond plus. Je vais passer en manuel.

Alban – On va essayer de se poser en douceur.

Ils s’affairent tous les deux à leurs postes de commande. On entend un nouveau grondement et un nouveau signal d’alerte.

Ève – Qu’est-ce qui se passe encore ?

Alban – Les commandes manuelles ne répondent plus non plus.

Ève – L’Arche est devenue incontrôlable. Sa trajectoire est modifiée. Si on ne s’éjecte pas maintenant, on va se retrouver au beau milieu de l’océan…

Alban – La navette ne résistera pas à l’impact.

Ève – Au mieux on sera naufragés au milieu de cet océan, sans moyens de regagner une côte.

Alban – Qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Il faut s’éjecter. Finir la descente en parachute.

Alban – Alors adieu les derniers vestiges de la civilisation d’avant. On arrivera sur Terre dans le plus simple appareil.

Ève – Presqu’en tenue d’Ève et d’Adam.

Ils se lèvent pour endosser leurs parachutes, et s’approchent au devant de la scène, comme si c’était de ce côté qu’ils allaient sauter. Ils se donnent la main.

Alban – Bienvenue au Jardin d’Eden. Prête à réinventer l’humanité avec moi ?

Ève – Si on s’en sort, à nous de décider si nous ferons à nouveau de cette terre un enfer ou un paradis.

Ils font encore un pas en avant et se figent.

Alban – Go ?

Ève – Go !

Noir

Fin

  

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allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Avignon – Août 2019

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-271-4

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