.

Rencontre supposée

Deux personnages se croisent. Ils portent tous les deux des masques sanitaires. Après un moment d’hésitation, le premier salue le second.

Un – Bonjour !

Deux – Bonjour…

Un – Ça va ?

Deux – Ah, pardon, avec votre masque, je ne vous avais pas reconnu.

Un – Non, non, ce n’est pas grave.

Deux – Et puis moi qui suis déjà un peu sourd, quand on me parle à travers un morceau de tissu. Je n’avais pas reconnu votre voix non plus…

Un – Comment allez-vous ?

Deux – Ça va, je vous remercie.

Un – Tant mieux, tant mieux… Et les affaires, ça va ?

Deux – Ça va…

Un – Remarquez, la bourse ne se porte pas si mal en ce moment. Malgré la crise…

Deux – Oui… Enfin, quand on est dans l’enseignement comme moi, vous savez…

Un – Et votre femme ?

Deux – Ma femme ?

Un – La dernière fois que je l’ai croisée, elle avait un gros rhume. Comment va-t-elle ?

Deux – Elle est morte.

Un – Non… Pas possible… Mais alors, ce n’était sûrement pas un simple rhume…

Deux – Non, ce n’était pas un rhume.

Un – Je suis vraiment désolé. C’est vraiment terrible, cette maladie. Mais c’est arrivé quand ?

Deux – Il y a une dizaine d’années, à peu près…

Un – Je vois… donc elle n’est pas morte du… Enfin de la…

Deux – Elle est morte d’une leucémie.

Un – D’accord… Et donc, vous n’êtes pas…

Deux – Apparemment pas…

Un – Excusez, avec ce masque… Je vous avais pris pour…

Deux – Mais on se connaît ou bien…?

Un – À vrai dire… Non, je ne crois pas finalement.

Deux – Oui, c’est bien ce qu’il me semblait.

Un – Bon, alors… Bonne journée.

Deux – C’est ça… Bonne journée à vous aussi.

Un – Eh bien, le bonjour à votre dame… Enfin je veux dire… Toutes mes condoléances…

Deux – Merci…

Ils repartent chacun de leur côté.

Brèves de confinement

Rencontre supposée Lire la suite »

Rencontre avortée

Deux personnages. L’un compose un numéro sur son portable. L’autre sort son portable qui s’est mis à sonner et prend l’appel.

Un – Allô…

Deux – Bonjour, c’est Jean-Paul Ramirez à l’appareil.

Un – Pardon ? Jean-Paul qui ?

Deux – Ramirez. On était en classe de terminale ensemble.

Un temps.

Un – C’est une blague ?

Deux – Pas du tout. Tu ne te souviens pas de moi ?

Un – Non… Jean-Paul Ramirez ?

Deux – J’ai retrouvé ton nom et ta photo sur Les Copains d’Avant…

Un – Les Copains d’Avant ?

Deux – Oui, tu sais, ce site sur lequel…

Un – Oui, oui, je sais… Les Copains d’Avant… Mais on n’était pas copains, si ? Je ne me souviens même pas de ton nom…

Deux – Rassure-toi, moi non plus, je ne me souvenais pas de ton nom.

Un – D’accord… et donc… pourquoi tu m’appelles ? Je veux dire… si on ne se connaissais pas plus que ça ?

Deux – Je ne sais pas… Ça fait six mois que je suis confiné à la campagne. Je me disais que j’allais en profiter pour reprendre contact avec des gens que j’avais perdus de vue…

Un – Ouais… mais pour reprendre contact, il faudrait encore qu’on ait été en contact à un moment donné, non ?

Deux – On était dans la même classe ! Même si on n’était pas vraiment amis, on s’est sûrement parlé une fois ou deux.

Un – Mmm… Sûrement, oui… Jean-Pierre Martinez ?

Deux – Jean-Paul Ramirez.

Un – Non, ça ne me dit vraiment rien, et donc… Je n’ai toujours pas compris la raison de cet appel. Si on se connaissait à peine…

Deux – Va savoir… on est peut-être passé à côté de quelque chose.

Un – Quelque chose ?

Deux – On aurait pu être amis.

Un – Euh… Ouais…

Deux – Peut-être qu’à l’époque, on n’a pas eu l’occasion de faire connaissance et…

Un – On a passé un an dans la même classe. J’imagine que si on avait dû être amis, on aurait eu largement l’occasion, non ?

Deux – Peut-être qu’on n’avait rien en commun. Qu’on n’avait rien à se dire.

Un – Oui, c’est… C’est un peu ce que je voulais dire, en effet.

Deux – À l’époque, oui, mais maintenant ?

Un – Maintenant ?

Deux – Le temps a passé… Peut-être que maintenant, si on se revoyait, on se rendrait compte qu’on a des tas de trucs en commun. Qu’on a des tas de trucs à se dire. (Blanc) Allô…?

Un – Oui… Non, mais… je ne sais pas quoi te dire, là… Et… rien que ça, tu vois, ce n’est pas très bon signe…

Deux – Excuse-moi, je ne vais pas te déranger plus longtemps.

Un – OK…

Deux – On se rappelle ?

Un – OK…

Deux – Va savoir… dans quelques années, on aura peut-être plus d’affinités.

Un – Peut-être…

Ils rangent leurs portables.

Brèves de confinement

Rencontre avortée Lire la suite »

Retour à la terre

Deux personnages, potentiellement en couple.

Un – Tu vois, avec ce confinement à la campagne, j’ai l’impression d’avoir retrouvé le sens de l’essentiel.

Deux – Le sens de l’essentiel ? Tu veux dire… la bouffe et le papier hygiénique.

Un – Mais non ! Je veux dire… notre rapport à la nature.

Deux – D’accord…

Un – Se lever avec le soleil…

Deux – Se coucher avec les poules…

Un – Entendre le chant des oiseaux.

Deux – Quand il n’est pas couvert par le bruit du tracteur.

Un – Respirer le bon air.

Deux – Quand ils ne sont pas en train de tout asperger au glyphosate.

Un – Tu vois, j’attends presque avec appréhension le moment où tout ça va se terminer, et qu’on va devoir retourner à Paris.

Deux – Oui moi aussi…

Un – Le RER bondé.

Deux – La bonne odeur du métro parisien.

Un – Jouer des coudes pour se frayer un chemin dans la foule des anonymes.

Deux – Ne pas être obligé de dire bonjour à tout le monde et de disserter pendant un quart d’heure avec chacun sur la météo.

Un – Rentrer chez soi dans son petit deux-pièces.

Deux – Qu’au moins on n’a pas trop de mal à chauffer.

Un – La vie à la campagne… C’est le paradis, non ?

Deux – Le paradis, je ne sais pas… Mais en tout cas, je m’emmerde tellement que j’ai l’impression d’être déjà mort.

Un temps.

Un – Il paraît que depuis le début du confinement, un couple sur quatre a envisagé le divorce.

Deux – Eh bien, tu vois, ça ne m’étonne pas… Le télétravail, ça va encore, mais la vie de couple en présentiel, ce n’est vraiment pas évident.

Brèves de confinement

Retour à la terre Lire la suite »

Mauvais goût

Un personnage habillé avec des couleurs criardes, et n’allant pas du tout ensemble, se présente devant un autre, vêtu d’une blouse blanche.

Un – Bonjour Docteur.

Deux – Alors, qu’est-ce qui vous amène, chère madame ?

Un – Eh bien voilà, Docteur, j’ai perdu le sens du goût.

L’autre jette un coup d’œil à sa tenue.

Deux – Le sens de l’odorat, aussi ?

Un – Euh, non… Juste le sens du goût. Mais c’est déjà très contrariant.

Deux – J’imagine…

Un – Vu mon métier, je dirais même que c’est très handicapant.

Deux – Vous travaillez dans un restaurant, peut-être ? Ou bien vous êtes critique gastronomique ?

Un – Pas du tout… je suis styliste.

Deux – D’accord… (Il lui tend une boîte.) Vous voulez un bonbon ?

L’autre semble surprise.

Un – Pourquoi pas ?

Elle prend un bonbon, le met dans sa bouche et commence à le mâchouiller.

Deux – J’ai toujours des bonbons sur mon bureau. Pour les enfants, vous comprenez ? Ça les rassure…

Un – Bien sûr…

Deux – C’est un bonbon à la menthe.

Un – Oui, je vois ça…

Deux – Donc, vous sentez bien le goût de la menthe ?

Un – Oui, pourquoi ?

Deux – Comme vous m’avez dit que vous aviez perdu le sens du goût…

Un – Ah, oui… mais non ! Pas du tout ! Je me suis mal fait comprendre… Quand je parlais du goût, je voulais dire… le bon goût.

Deux – C’est bien ce que je pensais…

Un – Ce matin, par exemple, j’ai ouvert la porte de mon dressing et… voilà ce que je me suis mis sur le dos.

Deux – Je vois…

Un – Vous trouvez que c’est de bon goût ?

Deux – Non, en effet, on ne peut pas dire ça…

Un – Voilà, c’est ce que je vous disais : j’ai complètement perdu le sens du goût.

Deux – C’est évident.

Un – Et vous pouvez me prescrire quelque chose, Docteur ?

Deux – Si c’était le symptôme d’une maladie infectieuse, peut-être, mais là…

Un – Vous ne pouvez pas me laisser comme ça !

Deux – Ou alors, il s’agit d’un nouveau virus, encore inconnu.

Un – Le virus du mauvais goût ?

Deux – Et… vous avez une idée de l’endroit où vous auriez pu attraper ça ?

Un – Je ne sais pas… J’ai fait un voyage en Angleterre il n’y a pas très longtemps…

Deux – Bon, on va commencer par vous mettre en quarantaine pendant deux semaines, au cas où.

Un – En quarantaine ?

Deux – On ne peut pas vous laisser sortir comme ça !

Un – Et pourquoi ça ?

Deux – Mais… parce que vous pourriez sans le vouloir lancer une mode ! Vous avez vraiment envie de voir dans la rue tout le monde habillé comme ça ? Et vous dire que vous êtes responsable de cette catastrophe ?

Un – Non, bien sûr…

Deux – Donc, vous ne sortez pas de chez vous pendant une quinzaine de jours.

Un – Bien Docteur…

Deux – Et ensuite vous revenez me voir. (Il jette un dernier regard à la tenue de l’autre.) On verra si ça va mieux.

Un – Bien Docteur. Merci Docteur…

Le personnage sort. L’autre s’apprête à partir aussi et soupire.

Deux – Décidément, j’aurai tout vu… Heureusement, c’était mon dernier rendez-vous… J’espère au moins que ce n’est pas trop contagieux…

Il sort un instant, et revient sans sa blouse blanche. Il porte la même tenue de très mauvais goût que l’autre.

Brèves de confinement

Mauvais goût Lire la suite »

Retour à la vie

Un personnage en blouse blanche en croise un autre portant la même tenue, et avec un dossier à la main.

Un – Ça va ?

Deux – Ouais…

Un – On dirait que tu viens de voir un mort.

Deux – Un mort ? Ce serait plutôt le contraire…

Un – Et c’est quoi le contraire d’un mort ?

Deux – En l’occurrence, il s’agirait plutôt d’une résurrection.

Un – Tu as vu un de tes anciens patients sortir de son tiroir à la morgue ?

Deux – Presque… Le patient de la chambre 301, il vient de se réveiller.

Un – La chambre 301 ?

Deux – Un type qui est là depuis au moins dix ans. Tu ne te souviens pas ?

Un – Je ne savais même pas qu’il y avait une chambre 301. Je pensais qu’il n’y avait que 300 chambres dans cet hôpital.

Deux – Il a été hospitalisé à la suite d’un accident. Et il n’est jamais sorti du coma.

Un – Bon… Et alors ?

Deux – Eh bien il vient de se réveiller.

Un – Ah merde…

Deux – Oui, je sais… Ça devrait être une bonne nouvelle, mais…

Un – Ouais…

Un temps.

Deux – Il y a dix ans, il a quitté un monde où on pouvait sortir de chez soi sans attestation, pour aller boire un verre au café avec des amis, pour aller voir un film au cinéma… ou simplement pour flâner sur les boulevards. Et tout ça sans masque.

Un – Oui… Le réveil va être brutal. Quand tu vas lui dire que de nos jours, tout ça n’existe plus…

Deux – Plus de cafés, plus de restaurants, plus de cinémas, plus de théâtres…

Un – Il vaut peut-être mieux ne rien lui dire…

Deux – Il va bien finir par s’en rendre compte.

Un – Ouais…

Deux – Tant qu’il est à l’hôpital, ça va…

Un – Mais quand il va sortir dans la rue…

Deux – Ça va lui faire un choc.

Un – Qu’est-ce qu’il faisait comme métier ?

L’autre jette un œil au dossier, avant de regarder à nouveau son collègue avec un air dramatique.

Deux – Intermittent du spectacle…

Un – Ah merde… Et en plus son métier n’existe plus…

Deux – Je ferais peut-être mieux de le débrancher, non ?

Un – Tu m’as dit qu’il venait de se réveiller !

Deux – Il est encore sous assistance respiratoire…

Un temps.

Un – Je ne sais pas… Écoute ta conscience…

Deux – Oui.

Un temps.

Un – Non, mais je plaisantais, évidemment.

Deux – Bien sûr… Moi aussi…

Ils ont l’air de ne pas trop savoir jusqu’où ils plaisantent ou pas.

Un – Allez… Je suis sûr que tu prendras la bonne décision.

Il donne à son collègue une tape dans le dos et s’éloigne. L’autre reste perplexe.

Brèves de confinement

Retour à la vie Lire la suite »

Conversation virale

Deux personnages dans des costumes suggérant qu’ils personnifient des virus. Ils semblent attendre, et feignent de s’ignorer, avant que le premier ne se décide à saluer timidement l’autre.

Un – Bonjour.

Deux – Bonjour.

Un – Vous êtes nouveau, dans le coin ?

Deux – On peut dire ça, oui.

Un – Et vous êtes comme moi, vous attendez que quelqu’un passe.

Deux – Ça ne devrait pas tarder. C’est une rue assez passante. Enfin, c’était…

Le premier lui tend la main.

Un – Je suis le virus de la grippe, et vous ?

Après une légère hésitation, l’autre lui serre la main.

Deux – Covid 19.

Un – Je m’en doutais ! Le fameux Covid 19 ?

Deux (faussement modeste) – Oh, fameux…

Un – Attendez, vous plaisantez !

Deux – La grippe espagnole a fait 100 millions de morts.

Un – Mais vous avez fait un milliard de chômeurs ! Le confinement, l’état d’urgence, l’hécatombe dans les maisons de retraite, le report d’une semaine du Black Friday… C’est vous !

Deux – C’est vrai…

Un – Non, franchement, respect ! Je vous assure, vous êtes mon idole.

Deux – Et vous, comment ça va ? La saison automne-hiver, ça se présente bien ?

Un – Oh, vous savez, nous ça bricole.

Deux – Je suis navré de l’entendre…

Un – Et puis il faut bien reconnaître que vous nous avez fait beaucoup de tort… Les gens ne sortent plus de chez eux.

Deux – Je suis vraiment désolé…

Un – Ne vous excusez pas. Et profitez-en bien. Parce que tout ça n’aura qu’un temps, vous savez…

Deux – Vous croyez ?

Un – Dès qu’ils auront trouvé un vaccin efficace…

Deux – On peut toujours muter. Vous par exemple, vous revenez tous les ans. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre…

Un – C’est vrai. On fait partie des indémodables.

Deux – Contrairement à tous ceux qui ont été purement et simplement éradiqués, ou presque : la peste, le choléra, le tétanos… et tant d’autres qui se croyaient invincibles.

Un – Le choléra se défend encore assez bien, il paraît…

Deux – Oui, mais son heure de gloire est derrière lui. C’est la maladie du pauvre…

Un – Pour la lèpre, en revanche, les carottes sont cuites.

Deux – Encore une espèce en voie d’extinction. C’est triste mais c’est comme ça… Place aux jeunes !

Un – Aux jeunes… c’est-à-dire vous.

Deux – Vous l’avez dit vous-même, ce ne sera pas éternel, alors autant en profiter.

Un – Ah, en voilà un qui arrive… Je vous le laisse ? Vous me montrerez ce que vous savez faire…

Deux – Je vous proposerais bien de partager, mais… regardez. Il porte un masque, et il tient son gel hydroalcoolique à la main, prêt à dégainer.

Un – Je vous le dis, vous avez tapé trop fort. Maintenant, ils se méfient.

Deux – Et si on reste plantés là pendant une heure, on est morts.

Un – Je vais aller faire un tour à la crèche.

Deux – C’est déjà Noël ?

Un – La crèche ! Pour les bébés.

Deux – Ah oui, bien sûr… Vous avez raison, la crèche, c’est l’avenir. Parce que les maisons de retraite…

Un – Ce n’est pas l’avenir, c’est sûr…

Conversation virale Lire la suite »

Effets secondaires

Deux personnages, potentiellement en couple.

Un – Tu crois qu’on a bien fait ?

Deux – Si ça peut aider.

Un – Oui… Et puis est-ce qu’on avait vraiment le choix…?

Deux – C’est sûr.

Un – Après tout, ce n’est jamais qu’un vaccin.

Deux – Si on peut faire avancer la recherche.

Un – Oui… Et comme on n’est pas médecins…

Deux – On peut toujours servir de cobayes.

Un temps.

Un – Je n’ai pas très bien compris, c’est quoi ce vaccin, exactement ?

Deux – Je ne sais pas… C’est nouveau… C’est encore expérimental…

Un – Nouveau, d’accord, mais c’est un vaccin contre quoi ?

Deux – Je ne pense pas qu’ils nous l’aient dit.

Un – On s’en souviendrait, non ?

Deux – Oui, sûrement…

Un – Ils n’ont pas dû nous le dire.

Deux – Non.

Un – De toute façon, même s’ils nous l’avaient dit…

Deux – Ils auraient pu nous dire n’importe quoi.

Un – C’est sûr.

Un temps.

Deux – Avant, ils commençaient par faire des essais sur les animaux.

Un – Mais maintenant qu’il n’y a plus d’animaux.

Deux – Les animaux sauvages ont tous disparu.

Un – Et l’élevage a été remplacé par la culture cellulaire.

Deux – Du coup, ils font les essais directement sur l’homme.

Un temps.

Un – Tu crois qu’il y aura beaucoup d’effets secondaires ?

Deux – Je ne sais pas.

Un temps.

Un – Tu as déjà remarqué quelque chose, toi ?

Deux – Quelque chose ?

Un – Des effets secondaires.

Un temps.

Deux – Quand j’ai pris ma douche ce matin, j’ai remarqué que mes ongles de pied s’étaient transformés en griffes.

Un – En griffes ? Comme un chat, tu veux dire.

Deux – Plutôt comme un loup.

Un – Ah oui…

Deux – J’ai aussi remarqué que j’avais beaucoup plus de poils sur le dos.

Un – Non ?

Deux – Et les dents de devant qui poussent, aussi.

Un – D’accord…

Deux – Et toi ?

Un – Moi j’ai remarqué que mes pieds s’étaient transformés en sabots ?

Deux – Comme un cheval, tu veux dire ?

Un – Plutôt comme une brebis. Parce que moi, sur le dos, ce serait plutôt de la laine.

Deux – Ça doit être un effet secondaire.

Un – Oui…

Un temps.

Deux – Ou alors, c’est l’effet principal.

Un – L’effet principal ?

Deux – Un loup et une brebis…

Un – Je vois ce que tu veux dire.

Deux – Ah oui…?

Un – Il s’agit peut-être de reconstituer la faune de cette planète.

Deux – Si on peut participer à la réintroduction d’espèces disparues.

Un – Oui.

Deux – Mais alors ici, dans notre salon…

Un – Comment va se passer la cohabitation ?

Deux – C’est sûr… Un loup et une brebis…

Un temps.

Un – Pourquoi ils ont fait ça ?

Deux – Je ne sais pas.

Un – Le loup va bouffer la brebis…

Deux – Et quand il n’y aura plus de brebis, les loups devront se bouffer entre eux.

Un – Ce sera la fin de notre espèce.

Un temps.

Deux – Mais alors c’est un vaccin contre quoi, exactement ?

Un – Je ne sais pas.

Deux – Contre l’espèce humaine ?

Un – C’est peut-être un complot.

Deux – Organisé par qui ?

Un – Par des virus ?

Un temps.

Deux – On avait raison de se méfier des vaccins.

Brèves de confinement

Effets secondaires Lire la suite »

Retour à la nature

Un personnage est là, un autre arrive.

Un – Alors ? L’internet est revenu ?

Deux – Non…

Un – Ça fait déjà trois jours ! On est complètement coupés du monde.

Deux – Oui…

Un – Plus d’internet, plus de télévision, plus de téléphone… Même les piles de la radio viennent de nous lâcher. Il pourrait se passer n’importe quoi, on ne serait pas au courant…

Deux – Non…

Un – On ne va même pas pouvoir écouter l’intervention du Président sur l’évolution de la crise sanitaire…

Deux – Non…

Un – Ça va ?

Deux – J’hésitais à t’en parler pour ne pas te démoraliser, mais…

Un – Quoi ?

Deux – Avant que les piles de la radio nous lâchent aussi, j’ai pu capter pendant quelques minutes une station qui émet encore depuis Limoges.

Un – Et quelles sont les nouvelles…?

Deux – Elles ne sont pas bonnes…

Un – Je m’en doute.

Deux – La pandémie est totalement hors de contrôle. Le virus mute toutes les deux heures, et il est de plus en plus virulent. Plus aucun vaccin n’est efficace.

Un – Il y a beaucoup de victimes ?

Deux – Un tiers de la population mondiale a déjà disparu. Un autre tiers est contaminé. Le reste ne devrait pas échapper à la contagion.

Un – Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Deux – Pas grand chose, hélas. On vit sur une île, heureusement, alors on est relativement protégés.

Un – Ça n’est que l’Ile de la Cité…

Deux – C’est maintenant une île déserte. Tous les autres habitants sont déjà morts.

Un – La moyenne d’âge était déjà très élevée…

Deux – Mais de quoi on va vivre ? Qu’est-ce qu’on va manger ?

Un – Il nous reste des provisions pour un mois environ, en se rationnant un peu. Mais après…

Deux – On ne pourra compter que sur la cueillette et la chasse.

Un – Au moins, de ce côté là, on ne risque pas de manquer. La faune et la flore réinvestissent peu à peu les territoires abandonnés par la République… Les banlieues retournent à l’état sauvage.

Deux – On a même vu des lions et des éléphants dans Paris.

Un – Ils ont dû s’échapper du zoo de Vincennes.

Deux – Il n’y en a encore que quelques-uns, mais s’ils se reproduisent…

Un – Chassez le naturel, il revient au galop. Cinq ou dix mille ans de civilisation qui seront peut-être oubliés d’ici quelques années.

Deux – Un virus aura suffi à remettre l’Homme à sa place.

Un – Et c’est quoi, sa place ?

Deux – Je ne sais pas. En tout cas, ce n’est pas toute la place.

Un – C’est dingue.

Deux – Oui.

Un – Il paraît même qu’on a aperçu un troupeau de licornes sur les Champs-Élysées.

Ils se regardent et se marrent.

Deux – On ne devrait pas plaisanter avec ça.

Un – Non. (Il regarde son téléphone) Ah, ça y est, l’internet est revenu.

Deux – Alors qu’est-ce qu’il dit, notre cher Président ?

Un – C’est toujours le bordel… Les maisons closes vont rouvrir, mais on ne laissera sortir que ceux qui sont vaccinés.

Deux – Et toi, tu vas te faire vacciner ?

Un – Je ne sais pas, j’hésite encore…

Deux – Tu as raison, on ne connaît pas encore les effets secondaires…

Retour à la nature Lire la suite »

Candidat vaccin

Un personnage est déjà là. Un autre arrive, dans une combinaison suggérant l’idée qu’il personnifie un vaccin.

Un – Bonjour… Alors, c’est vous le candidat vaccin ?

Deux – C’est moi.

Un – Mais dites-moi… J’ai regardé votre CV, il n’y a strictement rien dessus.

Deux – En effet, je suis nouveau. Donc je n’ai aucune expérience.

Un – Je vois… Et qu’est-ce que vous pourriez me dire pour me convaincre de vous employer ?

Deux – Je suis efficace à 95%.

Un – Bien sûr… Mais vous savez, ils disent tous ça… Qu’est-ce qui m’oblige à vous croire ?

Deux – Si j’avais voulu vous mentir, je vous aurais dit 100%.

Un – Oui… mais 95% c’est plus crédible, non ? C’est comme pour les élections. Aucun dictateur ne recueille jamais 100% des voix.

Deux – Dans ce cas, j’aurais pu vous dire efficace à 51,64 %. Ç’aurait été encore plus crédible.

Un – Mais moins convainquant… C’est le score obtenu par François Hollande quand il a été élu. On a vu le résultat…

Deux – C’est pour ça que 95%, ça me semblait bien.

Un – D’accord. Et pour les effets secondaires ?

Deux – Aucun effet secondaire.

Un – Aucun ? Là ce n’est pas crédible du tout, avouez le…

Deux – On a relevé un ou deux cas de cannibalisme, mais le lien avec le vaccin n’a pas été formellement établi.

Un – Bon…

Deux – J’ajouterai que je ne coûte presque rien, et que je peux rapporter le double.

L’autre réfléchit un instant.

Un – OK… On vous prend à l’essai.

Deux – À l’essai ?

Un – À l’essai thérapeutique !

Deux – Merci de votre confiance, vous ne serez pas déçu, je vous le promets…

Un – J’espère. Et dans quelques mois, s’il n’y a pas trop de victimes, vous serez le candidat élu. Vous avez quelque chose à ajouter ?

L’autre se met au garde-à-vous.

Deux – Vive la République et vive la France.

Un – N’en faites pas trop quand même…

Brèves de confinement

Candidat vaccin Lire la suite »

Click and collect

Un personnage est là, semblant chercher son chemin. Un autre arrive et l’interpelle, tout en le gratifiant d’un salut militaire.

Un – Bonjour monsieur. Attestation, s’il vous plaît.

Deux – Tout de suite, monsieur l’agent… (Il fouille dans ses poches et finit par en sortir un papier froissé.) Ah, la voici !

L’autre examine le papier, et s’arrache les yeux pour essayer de lire ce qui est inscrit dessus.

Un – Qu’est-ce que vous avez marqué, là ? Je n’arrive pas à lire…

Deux – Faites voir… (L’autre lui tend le papier.) Ah c’est curieux, moi non plus… Attendez voir… Qu’est-ce que j’ai encore fait de mes lunettes…

Il finit par trouver ses lunettes, qu’il a accrochées autour du cou, et examine le papier avec un air dubitatif.

Un – Alors ?

Deux – Non, décidément, je n’arrive pas à déchiffrer…

Un – C’est vous qui l’avez remplie, cette attestation, non ? Vous devriez savoir ce qu’il y a dessus…

Deux – D’accord, j’avoue, monsieur l’agent : c’est illisible parce que… c’est en langage codé.

Un – En langage codé ?

Deux – Au cas où je perde ce papier, vous comprenez, pour que personne ne sache où je suis allé.

Un – Mais vous, vous connaissez le code…

Deux – Eh bien… Oui, je devrais… Mais tout de suite, là, je ne m’en souviens pas… Vous savez ce que c’est, avec les codes.

Un – Dans ce cas, je vais devoir vous verbaliser. Ça fait 135 euros si vous payez tout de suite.

Deux – 135 euros ! Et si je paie plus tard ?

Un – Pareil… 135 euros.

Il sort son carnet à souche.

Deux – Ça y est ! Ça me revient maintenant.

Un – Tiens donc…

Deux – Je vais acheter une télé.

Un – Une télé ?

Deux – Oui, une télé.

Un – Ce n’est pas un achat essentiel.

Deux – Ça dépend.

Un – Ça dépend de quoi ?

Deux – Si c’est pour du télétravail.

Un – Du télétravail ?

Deux – Je suis en télétravail. Comme nous l’a recommandé le Chef de l’État…

Un – Et votre travail, c’est de regarder la télé ?

Deux – Absolument.

Un – Et c’est quoi, votre travail ?

Deux – Je fais de la télésurveillance.

Un – De la télésurveillance ?

Deux – De la télésurveillance.

Un – C’est-à-dire ?

Deux – Vous êtes policier, et vous ne savez pas ce que c’est que la télésurveillance ?

Un – Si, évidemment.

Deux – Alors si vous savez, pourquoi vous me demandez ce que c’est ?

Un – La télésurveillance, ça ne veut pas dire regarder la télé, si ?

Deux – Pourquoi pas ? Si les gens qu’on vous a demandé de surveiller travaillent à la télévision…

Un – Et qui pourrait vous demander de surveiller les gens qui travaillent à la télévision…?

Deux – Là, si vous permettez, monsieur l’agent, cela relève du secret professionnel. Pour ne pas dire du secret d’État… voire du secret défense. Vous êtes un militaire, vous aussi.

Un – Non.

Deux – Quoi qu’il en soit, vous êtes au service de la République, comme moi. Alors entre collègues…

Un – Collègues ?

Deux – Vous vous souvenez du Ministère de l’Information ?

Un – Non.

Deux – Le temps béni de l’ORTF. À l’époque, l’État n’avait pas besoin de surveiller les journalistes, c’est lui qui les embauchait. Mais maintenant… il faut bien les garder à l’œil d’une façon ou d’une autre, vous ne croyez pas ?

Un – Si… Enfin, je ne sais pas…

Deux – Vous êtes un patriote, n’est-ce pas ?

L’autre hésite.

Un – C’est bon, vous pouvez circuler…

Deux – La patrie vous en sera éternellement reconnaissante… Et si ce n’est pas abuser, vous pourriez m’indiquer où se trouve le magasin d’électroménager le plus proche ?

Un – Tout droit, première à gauche, vous avez Darty.

Deux – Merci monsieur l’agent.

L’autre le gratifie d’un nouveau salut militaire.

Un – À votre service.

Il lui rend son salut militaire.

Deux – Merci pour votre collaboration, monsieur l’agent. En ces temps difficiles, vous êtes la fierté de notre Nation, et le dernier rempart contre cet envahisseur invisible qui nous menace tous.

Un – Merci.

Deux – Comme on dit chez vous : « Sauver ou périr » !

Un – Ça c’est les pompiers.

Deux – Bon, je vous laisse… Le devoir n’attend pas… Et comme on dit chez nous : « Click and collect ! »

Il s’éloigne, laissant l’autre perplexe.

Brèves de confinement

Click and collect Lire la suite »