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Noir corbeau

Deux personnages.

Vincent – Tu sais pourquoi Van Gogh s’est coupé l’oreille ?

Paul – Qui ?

Vincent – Van Gogh !

Paul – Le peintre ?

Vincent – Pourquoi? Tu connais un Van Gogh qui serait coiffeur, charcutier ou coureur cycliste ?

Paul – Non…

Vincent – Bizarre, quand même…

Paul – Qu’il n’y ait aucun charcutier qui s’appelle Van Gogh ?

Vincent – De se couper l’oreille !

Paul – Pourquoi il a fait ça ?

Vincent – C’est ce que je viens de te demander…

Paul – Et comment je le saurais ?

Vincent – Il paraît qu’il l’a offerte à Gauguin, emballée dans du papier journal.

Paul – Il aurait mieux fait de l’offrir à Beethoven.

Vincent – Beethoven n’était pas peintre.

Paul – Non. Mais il était sourd. Tu n’as pas lu les pièces de Roland Dubillard ?

Vincent – Non…

Paul – Remarque, il n’a pas vendu une toile de son vivant.

Vincent – S’il écrivait des pièces de théâtre.

Paul – Van Gogh ! C’est peut-être pour ça qu’il s’est coupé l’oreille.

Vincent – Par dépit ?

Paul – C’est vrai que je ne connais personne qui ait tenté de se suicider en se tranchant l’oreille…

Vincent – Il a peut-être essayé de se trancher la gorge, il a raté son coup, et c’est l’oreille qui a tout pris. Il y a des gens maladroits.

Paul – Et il aurait inventé tout ça pour éviter de passer pour un manchot ? Un peu tiré par les cheveux, non ?

Vincent – D’ailleurs Van Gogh n’était pas encore né quand Beethoven est mort. Je ne vois pas comment il aurait pu lui donner son oreille…

Paul – Ou alors il s’est coupé en se rasant. Et après on en a fait tout un fromage, parce que c’était Van Gogh.

Vincent – Moi, quand je me coupe l’oreille, personne n’en parle…

Paul – C’est pas mal, ses tableaux, mais bon… Est-ce que ça vaut vraiment ce que ça coûte ?

Vincent – Si personne ne lui achetait de toiles de son vivant, ce n’est peut-être pas par hasard.

Paul – C’est sûrement eux qui avaient raison. Van Gogh, ça ne vaut pas un clou. Le clou pour accrocher le tableau…

Vincent – Ni la corde pour le pendre.

Paul – Il s’est pendu ?

Vincent – Qui ?

Paul – Van Gogh !

Vincent – Non, pourquoi ?

Paul – Laisse tomber…

Vincent – Et Beethoven ? Les gens lui achetaient sa musique, de son vivant?

Paul – Ouais, mais bon, Beethoven… Il faisait plutôt de la musique classique…

Vincent – Ça se vend toujours, la musique classique.

Paul – C’est jamais très à la mode, mais du coup ça vieillit moins vite.

Vincent – C’est ce que je dis toujours à ma femme. Le classique, c’est indémodable.

Paul – Mais Van Gogh…

Vincent – Ça vieillit mal.

Paul – Comme Picasso.

Vincent – Qui adorait la corrida…

Paul – C’est normal, il était espagnol.

Vincent – On dit que finalement, c’est peut-être Gauguin qui lui aurait coupé l’oreille, à Van Gogh. D’un coup d’épée… C’est même pour ça qu’il se serait taillé, à Tahiti.

Paul – Gauguin aussi aimait la corrida ?

Vincent – Pourquoi ? Il y a des corridas, à Tahiti ?

Paul – À cause de l’oreille ! Et de l’épée…

Vincent – Tu crois que dans un moment de folie, Gauguin, se prenant pour Picasso, aurait pu confondre Van Gogh avec un taureau…?

Paul – Gauguin n’était pas fou. C’est Van Gogh, qui l’était.

Vincent – La preuve, il s’est suicidé…

Paul – On peut se suicider sans être fou…

Vincent – Il s’est tiré une balle dans les champs.

Paul – Il ne s’est pas tiré une balle dans le cœur ?

Vincent – Si, dans les champs. Avec les corbeaux. C’est même le dernier tableau qu’il a peint.

Paul – Et sur le tableau, on voit Van Gogh se suicider ?

Vincent – On voit juste les corbeaux qui lui tournent autour.

Paul – Comme des vautours…

Vincent – Ils sentent ces choses-là… C’est l’instinct… Tu sais que ça vit très longtemps…

Paul – Les vautours ?

Vincent – Les corbeaux !

Paul – Plus longtemps qu’un artiste peintre, en tout cas…

Vincent – Ça dépend. Regarde Picasso. Il a vécu jusqu’à près de cent ans.

Paul – Bon, c’est pas le tout, mais j’ai du boulot. Qu’est-ce que je te fais, aujourd’hui, Vincent…?

Vincent – Comme d’habitude, Paul.

Paul – Bien dégagé derrière les oreilles ?

Vincent – Pas trop quand même…

Paul – Disons que je te laisse les oreilles.

Vincent – Voilà.

Paul – Mais si je dois en couper une, tu préfères que je te laisse laquelle ?

Vincent – Quelle oreille il s’était coupée, Van Gogh ?

Paul – La gauche.

Vincent – Bon ben laisse-moi la droite, alors… Si je veux avoir une chance de passer à la postérité. Tu as le journal ?

Paul – Pour emballer ton oreille ?

Vincent – Pour le lire…

Paul – Si je te coupe une oreille, tu crois que ce sera dans le journal ?

Vincent – Non…

Paul – Et si je te coupe les deux.

Vincent – Pas forcément…

Paul – Et si je te coupe les deux oreilles et la queue ?

Vincent – En Espagne, peut-être…

De toutes les couleurs

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La dernière séance

Deux personnages font face au public.

Un – Être…?

Deux – Ou ne pas être ?

Un – Le monde quoi qu’il en soit ne sera pas éternel.

Deux – Et pour toute chose un jour viendra la dernière fois.

Un – Le dernier match.

Deux – Le dernier concert.

Un – Le dernier ballet.

Deux – La dernière représentation

Un – Un jour, le rideau tombera sur la dernière représentation de la dernière pièce de théâtre devant un public.

Deux – En présentiel.

Un – La lumière s’éteindra pour toujours, et les comédiens regagneront leurs loges.

Deux – Pour la dernière fois.

Un – Le public sortira de la salle pour se fondre dans la nuit.

Deux – Ce sera la dernière séance.

Un – Il n’y aura plus d’acteurs et plus de spectateurs.

Deux – Il n’y aura plus de lumière.

Un – Il n’y aura plus que la nuit.

Deux – Alors profitons encore un instant d’être là ensemble.

Un – Avant que la lumière ne s’éteigne.

Deux – Définitivement.

Brèves de confinement

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Déjà vu

Deux personnages se croisent.

Un – Excusez-moi mais… il me semble vous avoir déjà vu quelque part.

Deux – Oui, c’est curieux, moi aussi…

Un – Je ne vois pas où on aurait pu se croiser.

Deux – Non, moi non plus…

Un – Vous allez trouver ça étrange mais… en vous voyant, j’ai l’impression de me voir dans un miroir.

Deux – Pourtant on ne se ressemble pas du tout.

Un – Non.

Un temps.

Deux – J’ai été hospitalisé à l’étranger pendant quelque temps.

Un – Ah oui…? Moi aussi…

Deux – C’est peut-être là où on s’est croisés.

Un – C’était pour une opération aux yeux. Une greffe, en réalité. Et vous ?

Deux – Moi, c’était une greffe de visage.

Un – Je vois. À la suite d’une brûlure, sans doute.

Deux – Non… Mais le mien commençait vraiment à être un peu trop ridé. C’est que je vais sur mes 153 ans, tout de même.

Un – Félicitations…

Deux – Donc nous ne sommes jamais rencontrés.

Un – Probablement pas.

Deux – Mais si nous avons le même donneur…

Un – C’est peut-être avec ses yeux que je regarde à présent son visage…

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Échange standard

La cellule d’une prison, occupée par deux personnages. Le premier est immobile. Le deuxième fait les cent pas.

Un – Tu peux arrêter de tourner comme un lion en cage.

L’autre s’arrête.

Deux – C’est ce qu’on est, non ? Des lions en cage…

Un – En cage, oui. Mais des lions…

Deux – Tu as raison. Ils ont fait de nous des moutons.

Un – Et on ne sait même pas quand on nous enverra à l’abattoir…

Deux – On le saura bien assez tôt.

Un – Ça fait des semaines qu’on nous a condamnés à mort. Pourquoi on n’a pas encore été exécutés ?

Deux – Oui… On se le demande…

Un – Tu crois qu’on a encore une chance d’être graciés ?

Deux – Si j’étais toi, je ne me ferais pas trop d’illusions.

Un – Et quand bien même on serait graciés. Si c’est pour passer le restant de nos jours enfermés dans cette cage.

Deux – C’est sûr…

Un – Autant en finir le plus vite possible. Alors qu’est-ce qu’ils attendent ?

Un temps.

Deux – Un client.

Un – Pardon ?

Deux – Ils attendent un client.

Un – Comment ça, un client ?

Deux – Tu n’es vraiment pas au courant ?

Un – Au courant de quoi ?

Deux – Le gouvernement vend les organes des condamnés à mort à des clients étrangers qui ont besoin d’une greffe.

Un – Ce n’est pas vrai…?

Deux – Comme la transplantation doit se faire dans les heures qui suivent le décès, ils attendent que le receveur soit arrivé sur place pour exécuter le donneur.

Un – Je ne te crois pas…

Deux – C’est pourtant la vérité.

Un temps.

Un – Mais c’est monstrueux…

Deux – Oui.

Un – Et il y a des gens qui acceptent de payer pour ça…

Deux – J’imagine que la plupart préfèrent ne pas savoir d’où viennent les organes qu’on va leur greffer. Pourtant, ça devrait les alerter, qu’on leur fixe une date précise pour la transplantation des semaines à l’avance.

Un – Et tout ça pour que le gouvernement s’en mette plein les poches.

Deux – Le marché est énorme.

Un – Et c’est beaucoup plus pratique, j’imagine. Plutôt que d’attendre qu’un pauvre type meurt par hasard dans un accident de voiture.

Deux – En espérant qu’il ait le bon profil, que ses organes ne soient pas trop endommagés… et qu’il ait accepté auparavant de les donner gratuitement.

Un temps.

Un – Après tout… si notre mort peut sauver la vie de quelqu’un d’autre. Qu’est-ce que ça change ?

Deux – Ça change que les condamnations à mort ont été multipliées par dix dans les cinq dernières années.

Un – Non ?

Deux – Au début, ils se contentaient de prélever les organes des condamnés à mort. Maintenant, ils condamnent à mort pour prélever les organes. Toi et moi, on n’aurait peut-être jamais été condamnés à la peine capitale si nos organes n’intéressaient personne.

Un – Tu crois ?

Deux – Qu’est-ce que tu as fait pour mériter la mort ?

Un – J’ai tué l’amant de ma femme.

Deux – Un crime passionnel… Il y a encore quelques années, avec un bon avocat, tu ne serais pas resté plus de trois ans en prison.

Un – C’est vrai… Et toi ?

Deux – Moi…?

Un – Pourquoi tu es là ?

Deux – Je suis sorti de chez moi sans mon masque…

Un – Tu as raison… Il y a encore quelques années, pour ça, on t’aurait seulement tabassé…

Deux – C’est devenu un business. Très lucratif… On nous considère comme des cochons. Et dans le cochon, tout est bon. Quand ils en auront fini avec nous, il n’y aura presque plus rien à enterrer.

Un – Alors dans un sens, on continuera à vivre. Par petits morceaux. Éparpillé, façon puzzle…

Deux – Oui… Tout sera recyclé en pièces détachées.

Un – Tout, sauf notre âme.

Deux – Même notre âme, je pense qu’ils l’ont déjà revendue au diable. Ou à un milliardaire américain.

Un – Un milliardaire ?

Deux – Au départ, nos organes servaient à sauver des vies. On les greffait à des enfants, parfois. Atteints d’une malformation cardiaque, par exemple. Au moins, on pouvait se dire que notre mort servait à quelque chose.

Un – Et maintenant ?

Deux – Maintenant, la plupart des clients sont des gens très riches. On leur vend des packages, comprenant le billet d’avion, l’opération, et la convalescence dans une résidence de luxe au bord de la mer.

Un – Mais ils sont malades, quand même ?

Deux – Pas toujours… Mais la plupart sont des vieux. Ils viennent ici pour trouver la jeunesse éternelle. La seule chose que leur argent ne pouvait pas acheter…

Un – Jusqu’à maintenant.

Deux – Au fur et à mesure que leurs organes vieillissent et deviennent défaillants, ils se font greffer un cœur, un rein, des poumons, des yeux…

Un – Des yeux ?

Deux – Tout ce qui est susceptible de tomber en panne et d’être remplacé

Un – Comme des pièces de rechange sur une voiture de collection.

Deux – J’imagine que bientôt, on leur proposera un échange standard. Ils repartiront tous les dix ans avec un corps tout neuf, dans lequel on aura seulement transplanté leur âme.

Un – S’il en ont une.

Deux – Alors disons leurs affects, leurs connaissances, leurs souvenirs…

Un – Comme on transfère ses données personnelles sur un nouvel ordinateur quand on a décidé de remplacer l’ancien, par précaution, avant qu’il ne nous plante sans préavis.

Deux – Et c’est leurs cadavres qu’on enterrera sous la plaque portant notre nom au cimetière de la prison.

Un – Moi qui avais peur d’aller en enfer pour le crime que j’ai commis… Je me rends compte que j’y suis déjà.

Deux – Oui… À quoi bon se demander s’il pourrait y avoir un au-delà. Le paradis et l’enfer existent déjà sur cette Terre. Le paradis pour certains, et l’enfer pour tous les autres.

Un – Comment est-ce qu’on a pu en arriver là ?

Deux – Peu à peu, j’imagine. Petite concession après petite démission.

Un – Sans qu’on s’en rende compte.

Deux – Les monstres qui nous gouvernent ont été engendrés par Big Brother et Big Data… dans un laboratoire pharmaceutique.

Un – Qu’est-ce qu’on peut encore faire ?

Deux – Rien. On peut juste attendre. Qu’on vienne nous chercher.

Le premier se fige à nouveau. Le deuxième se remet à faire les cent pas. Silence. On entend un bruit de clef tournant dans une serrure. Ils échangent un regard inquiet.

Un – Ce n’est pas l’heure de la soupe…

Deux – Alors c’est que le moment est venu.

Ils se serrent la main.

Un – Adieu, l’ami.

Deux – On se reverra peut-être dans une autre vie.

Un – Mais on ne se reconnaîtra pas.

Deux – Seuls nos yeux se verront.

Un – Mais ils appartiendront à d’autres que nous.

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La vie normale

Deux personnages.

Un – Je me demande quand on va pouvoir retrouver une vie normale…

Deux – Une vie normale ? Tu veux dire se lever à six heures du matin, passer trois heures dans des transports pour aller faire un boulot qui ne sert à rien, tout ça pour avoir les moyens de s’acheter pendant les soldes des produits qui ne servent à rien ?

Un temps.

Un – Je me demande quand on va pouvoir retrouver la vie d’avant…

Deux – Bientôt. Et tu vas voir qu’on trouvera ça merveilleux.

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Immaculée contraception

Deux personnages prennent un verre ensemble.

Un – Tu as entendu ? Giscard est mort du Covid.

Deux – Il avait 94 ans… Il faut bien mourir de quelque chose…

Un – Giscard… C’était le bon temps.

Deux – Ouais…

Un – C’est lui qui a légalisé la pilule.

Deux – Ah ouais ?

Un temps.

Un – Tu y crois, toi, à l’immaculée conception ?

Deux – L’immaculée conception ?

Un – Le coup de la Vierge qui a un polichinelle dans le tiroir ! Tu ne te souviens pas de tes cours de catéchisme ?

Deux – Je suis musulman.

Un – Tu es musulman et tu bois de l’alcool ?

Deux – Tu es bien raciste et tu trinques avec un Arabe.

Ils reprennent une gorgée.

Un – Si la Vierge avait pris la pilule… tu crois qu’elle serait tombée enceinte quand même ?

Deux – Je t’avoue que… je ne m’étais jamais posé la question…

Un – Dans ce cas-là, ils auraient pu appeler ça l’immaculée contraception.

Deux – Heureusement qu’ils ont rouvert les cafés. Je crois que la science y aurait beaucoup perdu…

Silence.

Un – C’est dingue, toute cette histoire, quand même… Tu y crois, toi, à la théorie du complot ?

Deux – Au sujet de l’immaculée contraception ?

Un – Au sujet de cette épidémie ! Tu ne crois pas qu’il y a des gens qui tirent les ficelles, derrière tout ça ?

Deux – Je ne sais pas… Mais tu vois, franchement, je préférerais.

Un – Ah ouais ?

Deux – Penser qu’il pourrait n’y avoir strictement personne qui tire les ficelles, tu trouves ça plus rassurant…?

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Confiné à vie

Un personnage est déjà là. On entend un bruit de sonnette. Un autre arrive

Un – Bonjour !

Deux – Ah, bonjour facteur.

Un – Vous avez du courrier.

Deux – Oui, je m’en doute, sinon vous n’auriez pas pris la peine d’entrer pour me le dire. Et comme ce n’est pas la saison des calendriers…

Le facteur lui tend une lettre.

Un – Et voilà pour vous.

Deux – Merci… (Il jette un regard à l’enveloppe.) Encore un faire-part…

Un – Avec ce satané virus… Des faire-part, c’est ce que je distribue le plus en ce moment… Désolé de ne pas vous apporter de bonnes nouvelles.

Deux – Ça dépend. C’est peut-être une bonne nouvelle.

Un – Ah pardon, ce n’est pas un faire-part de décès ?

Deux – Si… Mais ça dépend de qui est mort. Un faire-part, c’est un peu comme une pochette-surprise. On ne sait jamais ce qu’on va trouver dedans…

Il ouvre le faire-part et regarde le carton.

Un – Alors ?

Deux – Une arrière-tante du côté de mon père…

Un – Vous la connaissiez bien ?

Deux – Je ne l’avais pas vue depuis vingt ans… Elle habitait à l’autre bout de la France… Mais c’est la seule famille qui me restait.

Un – Mauvaise nouvelle, alors…

Deux – La bonne nouvelle, c’est qu’à cause du confinement, j’aurai une bonne excuse pour ne pas aller à son enterrement.

Un – Vous avez raison, en ce moment, il vaut mieux prendre les choses du bon côté. Allez, on finira bien par s’en sortir ! Ils ne vont pas nous laisser confinés éternellement.

Deux – Oh vous savez, pour moi… Sortir une heure par jour pour aller faire ses courses, extinction des feux à 21 heures, pas de sortie, pas d’amis… J’ai l’impression d’être déjà confiné depuis pas mal de temps.

Un – Ah oui, évidemment. Vu comme ça…

Deux – Mais au moins, maintenant que tout le monde est enfermé aussi, je me sens moins seul.

Un – Merci… vous avez réussi à me saper le moral pour la journée.

Deux – De rien. Et à bientôt… pour les calendriers.

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Rencontre supposée

Deux personnages se croisent. Ils portent tous les deux des masques sanitaires. Après un moment d’hésitation, le premier salue le second.

Un – Bonjour !

Deux – Bonjour…

Un – Ça va ?

Deux – Ah, pardon, avec votre masque, je ne vous avais pas reconnu.

Un – Non, non, ce n’est pas grave.

Deux – Et puis moi qui suis déjà un peu sourd, quand on me parle à travers un morceau de tissu. Je n’avais pas reconnu votre voix non plus…

Un – Comment allez-vous ?

Deux – Ça va, je vous remercie.

Un – Tant mieux, tant mieux… Et les affaires, ça va ?

Deux – Ça va…

Un – Remarquez, la bourse ne se porte pas si mal en ce moment. Malgré la crise…

Deux – Oui… Enfin, quand on est dans l’enseignement comme moi, vous savez…

Un – Et votre femme ?

Deux – Ma femme ?

Un – La dernière fois que je l’ai croisée, elle avait un gros rhume. Comment va-t-elle ?

Deux – Elle est morte.

Un – Non… Pas possible… Mais alors, ce n’était sûrement pas un simple rhume…

Deux – Non, ce n’était pas un rhume.

Un – Je suis vraiment désolé. C’est vraiment terrible, cette maladie. Mais c’est arrivé quand ?

Deux – Il y a une dizaine d’années, à peu près…

Un – Je vois… donc elle n’est pas morte du… Enfin de la…

Deux – Elle est morte d’une leucémie.

Un – D’accord… Et donc, vous n’êtes pas…

Deux – Apparemment pas…

Un – Excusez, avec ce masque… Je vous avais pris pour…

Deux – Mais on se connaît ou bien…?

Un – À vrai dire… Non, je ne crois pas finalement.

Deux – Oui, c’est bien ce qu’il me semblait.

Un – Bon, alors… Bonne journée.

Deux – C’est ça… Bonne journée à vous aussi.

Un – Eh bien, le bonjour à votre dame… Enfin je veux dire… Toutes mes condoléances…

Deux – Merci…

Ils repartent chacun de leur côté.

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Rencontre avortée

Deux personnages. L’un compose un numéro sur son portable. L’autre sort son portable qui s’est mis à sonner et prend l’appel.

Un – Allô…

Deux – Bonjour, c’est Jean-Paul Ramirez à l’appareil.

Un – Pardon ? Jean-Paul qui ?

Deux – Ramirez. On était en classe de terminale ensemble.

Un temps.

Un – C’est une blague ?

Deux – Pas du tout. Tu ne te souviens pas de moi ?

Un – Non… Jean-Paul Ramirez ?

Deux – J’ai retrouvé ton nom et ta photo sur Les Copains d’Avant…

Un – Les Copains d’Avant ?

Deux – Oui, tu sais, ce site sur lequel…

Un – Oui, oui, je sais… Les Copains d’Avant… Mais on n’était pas copains, si ? Je ne me souviens même pas de ton nom…

Deux – Rassure-toi, moi non plus, je ne me souvenais pas de ton nom.

Un – D’accord… et donc… pourquoi tu m’appelles ? Je veux dire… si on ne se connaissais pas plus que ça ?

Deux – Je ne sais pas… Ça fait six mois que je suis confiné à la campagne. Je me disais que j’allais en profiter pour reprendre contact avec des gens que j’avais perdus de vue…

Un – Ouais… mais pour reprendre contact, il faudrait encore qu’on ait été en contact à un moment donné, non ?

Deux – On était dans la même classe ! Même si on n’était pas vraiment amis, on s’est sûrement parlé une fois ou deux.

Un – Mmm… Sûrement, oui… Jean-Pierre Martinez ?

Deux – Jean-Paul Ramirez.

Un – Non, ça ne me dit vraiment rien, et donc… Je n’ai toujours pas compris la raison de cet appel. Si on se connaissait à peine…

Deux – Va savoir… on est peut-être passé à côté de quelque chose.

Un – Quelque chose ?

Deux – On aurait pu être amis.

Un – Euh… Ouais…

Deux – Peut-être qu’à l’époque, on n’a pas eu l’occasion de faire connaissance et…

Un – On a passé un an dans la même classe. J’imagine que si on avait dû être amis, on aurait eu largement l’occasion, non ?

Deux – Peut-être qu’on n’avait rien en commun. Qu’on n’avait rien à se dire.

Un – Oui, c’est… C’est un peu ce que je voulais dire, en effet.

Deux – À l’époque, oui, mais maintenant ?

Un – Maintenant ?

Deux – Le temps a passé… Peut-être que maintenant, si on se revoyait, on se rendrait compte qu’on a des tas de trucs en commun. Qu’on a des tas de trucs à se dire. (Blanc) Allô…?

Un – Oui… Non, mais… je ne sais pas quoi te dire, là… Et… rien que ça, tu vois, ce n’est pas très bon signe…

Deux – Excuse-moi, je ne vais pas te déranger plus longtemps.

Un – OK…

Deux – On se rappelle ?

Un – OK…

Deux – Va savoir… dans quelques années, on aura peut-être plus d’affinités.

Un – Peut-être…

Ils rangent leurs portables.

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Retour à la terre

Deux personnages, potentiellement en couple.

Un – Tu vois, avec ce confinement à la campagne, j’ai l’impression d’avoir retrouvé le sens de l’essentiel.

Deux – Le sens de l’essentiel ? Tu veux dire… la bouffe et le papier hygiénique.

Un – Mais non ! Je veux dire… notre rapport à la nature.

Deux – D’accord…

Un – Se lever avec le soleil…

Deux – Se coucher avec les poules…

Un – Entendre le chant des oiseaux.

Deux – Quand il n’est pas couvert par le bruit du tracteur.

Un – Respirer le bon air.

Deux – Quand ils ne sont pas en train de tout asperger au glyphosate.

Un – Tu vois, j’attends presque avec appréhension le moment où tout ça va se terminer, et qu’on va devoir retourner à Paris.

Deux – Oui moi aussi…

Un – Le RER bondé.

Deux – La bonne odeur du métro parisien.

Un – Jouer des coudes pour se frayer un chemin dans la foule des anonymes.

Deux – Ne pas être obligé de dire bonjour à tout le monde et de disserter pendant un quart d’heure avec chacun sur la météo.

Un – Rentrer chez soi dans son petit deux-pièces.

Deux – Qu’au moins on n’a pas trop de mal à chauffer.

Un – La vie à la campagne… C’est le paradis, non ?

Deux – Le paradis, je ne sais pas… Mais en tout cas, je m’emmerde tellement que j’ai l’impression d’être déjà mort.

Un temps.

Un – Il paraît que depuis le début du confinement, un couple sur quatre a envisagé le divorce.

Deux – Eh bien, tu vois, ça ne m’étonne pas… Le télétravail, ça va encore, mais la vie de couple en présentiel, ce n’est vraiment pas évident.

Brèves de confinement

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