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Consultation

Un homme entre dans un cabinet de médecin. Le médecin est assis à sa table, occupé à remplir un papier.

Médecin (sans lever les yeux) – Asseyez-vous, je vous en prie…

Patient – Merci.

Le patient s’assied. Le médecin finit de remplir son papier et lève vers cet énième client un regard las qui se veut malgré tout encore attentif.

Médecin – Alors… Qu’est-ce qui vous amène ?

Patient – Eh, bien… Je ne sais pas comment vous dire ça… Je… Je crois que j’ai attrapé La Mort…

Médecin – Oh, vous savez, en ce moment, on ne voit que ça… Il y a un virus qui traîne… Croyez-moi, ça défile… Alors ? Le nez qui coule… Un picotement dans la gorge… Un peu de fatigue…

Patient – Non, non, tout va très bien, Docteur… Je ne suis pas malade… Ce que je veux dire, c’est que… j’ai vraiment attrapé La Mort.

Le médecin semble un peu déstabilisé.

Médecin – Oui… (Reprenant les bons vieux réflexes qui l’aide à supporter le quotidien du médecin) Bon, on va quand même vous prescrire un petit traitement préventif, au cas où… (Il sort une ordonnance qu’il commence à rédiger comme un automate) Alors… Un petit cocktail de vitamines pour réveiller ce système immunitaire un peu endormi par le froid… Un sirop pour la gorge, une cuillerée à soupe matin, midi et soir… Du paracétamol à prendre uniquement en cas de maux de tête… (Il tend l’ordonnance au patient) Voilà, avec tout ça, vous ne devriez plus être trop embêté cet hiver…

Mais le patient ne prend pas l’ordonnance.

Patient – Je savais que ça n’allait pas être évident…

Médecin (étonné) – C’est un traitement tout à fait classique, vous savez. Comme j’en prescris au moins trente fois par jour actuellement…

Patient – Docteur, j’ai attrapé La Mort, elle est enfermée dans la Fiat Uno qui est garée dans mon garage à Massy Palaiseau.

Le médecin sort peu à peu de sa torpeur, semblant presque reconnaissant à ce drôle de patient de rompre la routine de cette journée comme les autres.

Médecin – Racontez-moi ça…

Patient – Eh, bien… Hier soir, j’ai décidé de mettre fin à mes jours…

Médecin – Mmm…

Patient – Les armes à feu, ce n’est pas trop mon truc. Et le gaz, ça peut-être dangereux pour les voisins. Il faut penser à ceux qui restent, quand même…

Médecin – Certainement…

Patient – Alors je suis allé dans mon garage. J’ai bien calfeutré la porte avec des serviettes mouillées, comme j’ai souvent vu faire dans les téléfilms du mercredi soir sur France 2. Et puis j’ai démarré ma Fiat Uno. Avec bien du mal, d’ailleurs. Elle fume comme un tracteur, et elle fait à peu près autant de bruit. C’est le pot catalytique. Il faudrait que je le change, mais bon… Bref en l’occurrence, c’était plutôt un avantage. Alors je me suis assis au volant. J’ai allumé la radio. Et j’ai laissé tourner le moteur. C’était France Inter. Enfin, ça n’a aucune importance, mais bon… Ils venaient d’annoncer la mort de Macha Béranger. Quand même, ça m’en a foutu un coup. Bref, je commençais à m’assoupir tranquillement pour ce qui devait être mon dernier sommeil, quand je l’ai vue dans le rétroviseur, assise derrière moi…

Médecin – Qui ?

Patient – La Mort !

Médecin – Ah, oui, bien sûr…

Patient – Bon, je n’aurais pas dû être surpris à ce point là, puisque la mort, j’étais justement en train de faire tout ce qu’il fallait pour la trouver. Mais vous savez ce qui m’a étonné ?

Médecin – Non…

Patient – C’est qu’elle ressemblait exactement à l’image qu’on se fait d’elle, justement.

Médecin – C’est à dire…

Patient – Ben… La grande cape noire, la faux, la panoplie complète, quoi ! On se dit bon, tout ça, ce n’est qu’une image. Un cliché. Personne ne l’a jamais vue, La Mort. Peut-être qu’elle existe, d’accord. Mais personne ne l’a jamais vue. C’est comme Dieu. Peut-être qu’on le rencontrera un jour là-haut, mais personne n’en est jamais revenu avec des photos pour qu’on sache exactement à quoi il ressemble. Alors on se doute bien que même s’il existe, ce n’est certainement pas un vénérable vieillard avec les cheveux longs et une barbe blanche, qui ressemblerait vaguement au Père Noël ou à Georges Moustaki…

Médecin – Non, évidemment…

Patient – Eh ben c’est ça qui m’a foutu les jetons, tout d’un coup. De la voir là, comme ça. Exactement comme je l’avais imaginée…

Médecin – Oui, ça… Ça a dû vous faire un choc…

Patient – En tout cas, croyez-moi, ça m’a réveillé ! Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai coupé le moteur, et je suis sorti de la voiture comme un fou en claquant la portière derrière moi. Et là, heureusement, j’ai eu le bon réflexe…

Médecin – Ah, oui…?

Patient – J’avais encore la clef de ma Fiat Uno à la main. J’ai aussitôt appuyé dessus pour verrouiller les portes. Il n’y a plus grand chose qui marche, dans cette voiture, mais ça, ça marche encore. C’était un des premiers modèles à en être équipé à l’époque. J’ai même hésité à prendre cette option, je ne suis pas trop gadget, mais vous savez ce que c’est. C’était le seul modèle immédiatement disponible au garage. C’était ça ou attendre la livraison de la commande pendant des mois…

Médecin – Oui, je sais ce que c’est… Je viens de changer ma Mercedes, et j’ai dû prendre l’allume-cigare, alors que j’ai arrêté de fumer depuis cinq ans… Et croyez-moi, rien que l’option allume-cigare, sur une voiture comme ça… C’est presque le prix d’une Fiat Uno d’occasion… Oui, bon, et après ?

Patient – Après, j’étais sauvé ! Elle était enfermée là, dans la voiture. Sous mes yeux, je vous dis. Je la voyais très distinctement plaquer son espèce de burqa toute noire contre la vitre pour essayer de sortir. Mais, non ! Elle était prise au piège ! Vous vous rendez compte ? Dans ma Fiat Uno !

Médecin – Bon… (Revenant à sa routine) Donc, vous ne voulez vraiment pas le sirop…?

Patient – Mais vous ne comprenez pas ce que je vous dis ? J’ai attrapé La Mort !

Médecin – Si, si… Je… Je peux vous diriger vers un confrère, si vous voulez…? Attendez, je dois avoir l’adresse là, dans mon répertoire…

Il cherche sans trouver, alors il décroche son téléphone.

Médecin – Oui, Christelle. Vous pouvez me donner le numéro de téléphone du Docteur Müller ? À Sainte-Anne, oui… (Il griffonne quelque chose sur un morceau de papier) Merci… (Il raccroche et tend le morceau de papier au patient) Voilà, vous allez le voir de ma part, et vous lui expliquez ce qui vous arrive, d’accord ? Je suis sûr que cela va beaucoup l’intéresser…

Patient (prenant le papier) – Merci… Et pour ma Fiat Uno, comment je fais ?

Médecin – C’est à dire…

Patient – Ben, je vais en avoir besoin, maintenant… Je veux dire maintenant que j’ai décidé de ne pas me suicider au monoxyde de carbone… Comment je fais ? Si j’ouvre la portière, elle va en profiter pour se barrer, La Mort. Et elle va se remettre à faucher aussi sec.

Médecin – On vous a volé quelque chose…?

Patient – La Mort, avec sa faux !

Médecin – Ah, oui, bien sûr…

Patient – C’est une responsabilité, quand même… D’ailleurs, vous avez vu ? Hier, aux informations : aucune annonce de décès de célébrité en fin de carrière. Aucun tremblement de terre dans un pays sous-développé. Aucun accident d’autocar scolaire… Évidemment, puisque la mort est enfermée dans ma voiture…

Médecin (sans qu’on sache s’il plaisante ou pas) – D’un autre côté, si elle y restait trop longtemps, vous vous rendez compte des implications. Ce serait une catastrophe pour les médias, les ONG, les pompes funèbres, le système de retraite par répartition, les acheteurs en viager…

Patient (contrarié) – Je sens que vous ne prenez pas au sérieux…

Médecin – Ne prenez pas mal ce que je vous dis, je ne remets absolument pas en cause la véracité de ce que vous venez de me raconter, mais vous êtes vraiment sûr que ce n’était pas quelqu’un d’autre, sur la banquette arrière ? Je ne sais pas moi… Votre femme, par exemple…

Patient – Ma femme ne porte pas la burqa ! Et d’ailleurs, on a divorcé l’année dernière. Ça m’en a foutu un coup, d’ailleurs. C’est une des raisons qui m’a poussé au bord du suicide…

Médecin – Eh bien, vous voyez ! Après tout, vous l’avez dit vous-même, vous commenciez à être sérieusement dans le cirage… Le manque d’oxygène, ça peut provoquer des hallucinations… Regardez le jeu du foulard… Au moment de mourir, vous avez peut-être repensé à votre femme, à tous les bons moments que vous avez passés ensemble, et elle vous est apparue comme ça…

Patient – Avec une burqa et une faux…?

Le médecin fait un geste signifiant sa perplexité. Le patient semble faire un effort pour réfléchir.

Patient – C’est vrai que pour la burqa… C’était plutôt une sorte de foulard noir qu’elle avait noué autour du cou… Et pour la faux, je ne suis pas complètement sûr… Ça aurait aussi bien pu être un balai… Mais les sorcières aussi, ont des balais, et portent un foulard noir !

Médecin – Mouais…

Patient – Et puis comment expliquez-vous que ce matin, en retournant dans mon garage après une bonne nuit de sommeil, elle était toujours là, derrière la vitre arrière de ma Fiat Uno ? Elle a même essayé de me dire quelque chose…

Médecin – Ah, oui ?

Patient – Comme je n’entendais rien, elle a griffonné un truc sur un papier dans un langage cabalistique, qui ressemblait vaguement à du portugais et elle me l’a plaqué contre le pare-brise.

Médecin – Du portugais ?

Patient – Ça m’a un peu surpris aussi…

Médecin – Et qu’est-ce qui était marqué, sur ce papier ?

Patient – Ben je n’en sais rien, moi… Je ne comprends pas le portugais… Il faudrait que je demande à ma femme de ménage. Elle est portugaise, justement… Mais c’est bizarre, elle n’est pas venue ce matin, comme d’habitude… Non, je vous assure, Docteur. J’ai attrapé La Mort…

Médecin – Mmm… Je vais quand même vous prescrire un petit relaxant en attendant… Ça vous détendra…

Patient – Vous croyez…?

Le médecin fait un signe d’acquiescement, et se met à griffonner quelque chose sur une ordonnance.

Noir.

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Oraison funeste

Un homme (ou une femme) se recueille devant un cercueil ouvert. Un (ou une) autre arrive. Un vase avec des fleurs trône à côté sur un guéridon.

Deux – Bonjour… (Hésitant) Tu me reconnais…?

L’autre n’a pas l’air de le reconnaître.

Deux – Dominique…

Un – Ah, oui, bien sûr… Ça fait tellement longtemps…

Deux – Dès que j’ai su, je suis venu.

Un – Oui. Moi aussi…

Deux – Je ne l’avais jamais revu depuis le collège. Je ne suis pas sûr que je l’aurais reconnu. Il a changé…

Un – Il est mort…

Deux – C’était un professeur inoubliable.

Un – La preuve. Plus de trente après, on s’en souvient encore.

Deux – Il y a des enseignants, comme ça, qui vous marquent pour la vie.

Un – C’est sûr…

Deux – Je ne suis pas sûr que, sans lui, je me souviendrais encore par coeur de mes déclinaisons allemandes.

Un – C’était un excellent pédagogue…

Deux – Mmm… (Un temps) Un peu sévère peut-être…

Un – Ouais… Monsieur Furère…

Deux – On l’appelait Adolf.

Un – Ce n’était pas méchant…

Deux – Les enfants sont cruels, parfois… C’était juste pour rire…

Un – C’est sûr qu’avec lui, on ne rigolait pas beaucoup…

Deux – Tu te souviens de la fois où il t’avait cassé un doigt avec sa règle parce qu’il t’avait surpris à te le fourrer dans le nez ?

Un – Tu parles… (Lui montrant ses doigts) Tiens, regarde, j’en porte encore la marque… Et toi, quand il t’avait suspendu au portemanteau pendant toute l’heure parce que tu avais confondu le datif et le génitif ?

Deux – J’en ai gardé une trace rouge autour du cou…

Un – Comme tu disais, il y a des enseignants qui vous marquent pour la vie.

Deux – Le voir étendu là, comme ça, avec sa petite moustache… Trente ans après…

Un – Ouais… Moi non plus, pour rien au monde, j’aurais manqué ça… Je vis à Madrid, maintenant… Et toi ?

Deux – À Los Angeles.

Un – Ce n’est pas tes déclinaisons allemandes qui doivent beaucoup te servir, à toi non plus…

Ils sourient en soupirant.

Un – Enfin, c’est loin, tout ça.

Deux – Oui. C’était une autre époque…

Un – On ne va pas l’accabler, maintenant qu’il n’est plus là pour se défendre.

Deux – Tu as raison… Dieu ait son âme.

Ils restent un instant silencieux à fixer l’intérieur du cercueil, dans une attitude de recueillement.

Un – Il n’avait pas les yeux fermés, tout à l’heure…?

Deux- Je ne sais pas… Oui, peut-être… Il me semble bien, si…

Un – J’ai l’impression qu’il nous regarde…

Deux – Avec le même regard mauvais qu’autrefois…

Un – Et s’il n’était pas vraiment mort…

D’un seul geste, l’autre attrape le vase, enlève les fleurs, assène un coup sur le crâne du mort, remet les fleurs dans le vase et le remet en place.

Deux – Voilà. Maintenant, on est sûr qu’il est vraiment mort.

Un – On pourrait avoir des ennuis, non ?

Deux – On ne pouvait pas le laisser risquer de se faire incinérer vivant.

Un – Tu as raison. C’est le dernier service qu’on pouvait lui rendre…

Ils s’apprêtent à s’en aller.

Deux – Il n’aimait pas trop les juifs, non ?

Un – Il était franchement antisémite, tu veux dire…

Ils s’en vont.

Un – Et sinon, tu en as revu d’autres, du collège ?

Noir.

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Champagne

Une femme boit une coupe de champagne. On frappe à la porte.

Deux (off) – C’est la police !

La femme va ouvrir.

Un – Entrez, je vous en prie. Je vous attendais.

La deuxième femme entre.

Un – Vous êtes toute seule ?

Deux – C’est à dire que… Mon collègue avait un truc à régler. On est en sous effectif, vous savez…

Un – Rien de grave, j’espère ?

Deux – Non… Un dealer qui s’est fait bouffer par son pitbull.

Un – Il est mort ?

Deux – Qui ? Le pitbull ? Je plaisante, ne vous inquiétez pas… Mais le clébard lui a quand même sectionné un bras. Et il ne voulait pas lâcher le morceau. On a été obligé de l’endormir…

Un – Qui ? Le dealer ? Je plaisante…

Elles se marrent.

Deux – D’ailleurs, il est en bas, dans le panier à salade… J’espère qu’il ne va pas se réveiller trop vite…

Un temps.

Deux – Alors… c’est où ?

Un (avec un geste du menton) – À côté, dans la chambre.

Deux – Bon, ben je vais aller jeter un coup d’oeil, si vous permettez…?

La policière disparaît un instant du côté opposé où elle est entrée.

Deux – Ah, oui…

Elle revient aussitôt après.

Deux – Et… sans indiscrétion, vous avez fait ça comment ? Parce qu’à vous voir, comme ça… Mais vous n’êtes pas obligée de me répondre, hein ?

Un – Avec un couteau-scie.

Deux – Un couteau-scie…?

Un – Un couteau électrique. À piles…

Deux (impressionnée) – Et vous comptiez… transporter les pièces détachées. Les mettre dans un sac poubelle, peut-être ?

Un – Je ne vous aurais pas appelée…

Deux – C’est vrai.

Un – Une coupe de champagne ?

Deux – C’est à dire que… Oh, et puis pourquoi pas après tout !

Elle lui sert une coupe.

Un – Merci. Bon, et bien… À la vôtre, alors.

Elles boivent en silence.

Un – Vous ne me passez pas les menottes ?

Deux – Vous n’aviez qu’un mari ?

Un – Oui.

Deux – Alors vous n’allez pas recommencer tout de suite.

Echange de sourires.

Deux – Il est bien frais… Excusez-moi, mais… pourquoi deux morceaux seulement ? Les piles étaient à plat…?

Un – Mon mari n’arrivait pas à choisir entre moi et sa maîtresse. J’ai opté pour un partage équitable.

Deux – Les hommes, ils sont tous pareils…

Un – Vous êtes mariée ?

Deux – Veuve.

Un – Je suis désolée…

Deux – Non, mais ce n’est pas grave, hein…

Un – Ne me dites pas que vous aussi…

Deux – Pensez donc… Je n’aurais jamais pu entrer dans la police… Ils sont un peu moins stricts sur le recrutement, maintenant, mais bon, un casier, c’est jamais un bon point… Non, mon mari est mort bêtement. D’une grippe…

Un (compatissante) – La grippe A…

Deux – Même pas ! Bêtement, je vous dis… Un jour, il est rentré avec un peu de fièvre. Je lui ai porté un grog, au lit. Le lendemain, il était mort.

Un (plaisantant) – Si j’attrape un rhume, je ne viendrai pas me faire soigner chez vous…

Elles rient de bon coeur.

Un – Encore un peu de champagne ?

Deux – Vous comprenez pourquoi je ne vous passe pas les menottes…

Elle la ressert en souriant.

Deux – Et vous la connaissez ?

Un – Qui ?

Deux – Sa maîtresse !

Un – Pas personnellement. Je sais seulement qu’elle travaille dans la police.

Deux – C’est pas vrai ! Une collègue ! Oh, vous savez, il y a des salopes partout. Même dans la police…

Un – Je peux vous poser une question ?

Deux – Allez-y…

Un – Vous croyez au hasard ?

Deux – Vous savez, dans mon métier…

Un – Alors croyez-moi, ce n’est pas par hasard que vous êtes ici.

Deux – Alexandre ?

Un – C’est mon mari.

Deux – Il m’avait dit qu’il était veuf lui aussi !

Un – Comme quoi, tout le monde peut se tromper.

Deux – Ça alors… Ça m’en fiche un coup. Je ne l’avais même pas reconnu, dites donc. Il faut dire que vous l’avez bien arrangé… Alors vous devez m’en vouloir, évidemment ?

Un – Il vous a menti, à vous aussi…

Deux – Quel salaud… Alors qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

Un – Je vous l’ai dit, on partage. Vous préférez le haut… ou les bas morceaux ?

Deux – C’est à dire que… C’est pas si simple… Il faut que j’écrive un rapport. Je vais avoir du mal à faire passer ça pour un accident domestique…

Un – Un suicide ?

Deux – Un type qui se fait hara-kiri avec un couteau à piles…?

Un – Dans ce cas, il faut faire disparaître le corps. Vous avez une idée ?

Deux – Le pitbull ?

Un – Ça fait quand même de sacrés morceaux…

Deux – C’est un gros pitbull.

Un – Je vais aller racheter des piles…

Noir.

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Chrysanthème

Deux femmes, debout côte à côté sur scène face au public, regardent devant elles deux tombes qu’on imagine. La première lorgne du côté de la seconde.

Un – Bravo ! Voilà une tombe bien fleurie… C’est vraiment magnifique.

Deux – Merci… Mais c’est du travail, vous savez. Enfin, quand on voit le résultat, on oublie tout le reste…

Un – C’est sûr.

Deux – Et vos chrysanthèmes, ils viennent de chez le fleuriste d’à côté ?

Un – Pensez vous, je les cultive moi-même. Et attention, sans engrais, hein ?

Deux – Les chrysanthèmes bio, il n’y a que ça de vrai. (Un temps) Et… il est mort il y a combien de temps, le vôtre, si ce n’est pas indiscret ?

Un – Ça fera vingt ans exactement le 31 décembre.

Deux – Le 31 décembre ?

Un – Eh, oui… Un soir de réveillon. Vous imaginez comme j’avais le coeur à la fête…

Deux – Un os de dinde qui ne sera pas bien passé…?

Un – Non, il s’est fait renversé par une voiture… Un chauffard en état d’ivresse, qui n’avait même pas son permis.

Deux – C’est eux qu’on devrait tuer… Enfin, il est mort sur le coup. Il n’a pas souffert.

Un – Et le vôtre ?

Deux – Il y a cinq ans aujourd’hui. C’est son anniversaire…

Un – Alors c’est tout frais… Ça fait un vide, hein ?

Deux – Ça, vous pouvez le dire… J’en ai pris un autre, mais on a beau dire. C’est pas pareil. Ça remplace pas.

Un – C’est sûr.

Deux – Et vous, vous en avez repris un ?

Un – Non. Je n’ai même pas eu envie. Je sais que ça n’aurait pas remplacé…

Deux – Enfin… La vie continue, malgré tout. Vous avez des enfants ?

Un – Trois. Mais ça non plus, ça remplace pas, hein ?

Deux – C’est pas pareil. Surtout quand ça grandit. Et que ça vous quitte.

Un – Eux, si ils n’étaient pas morts prématurément, ils nous auraient jamais quittées.

Deux – Et oui… Mais bon… Ils vivent moins longtemps que nous, on le sait. On devrait être préparées…

Un – Malgré tout, quand ça arrive, ça fait un choc. Vous l’aviez trouvé comment, le vôtre ?

Deux – Par internet.

Un – Ah, oui… Moi, à mon époque, ça n’existait pas encore… J’ai récupéré celui de la voisine. Elle n’en voulait plus.

Deux – Il y a des femmes comme ça… Elles en prennent un, et après elles se rendent compte que c’est pas ce qu’elles avaient imaginé… Alors elles préfèrent l’abandonner… C’est triste, mais bon. Heureusement que vous étiez là pour le récupérer… Je suis sûre qu’il a été très heureux avec vous, tout le temps qu’il a vécu…

Un – Vous avez une photo ?

Deux – Regardez, il y en a une, là, sur sa tombe.

Un – Ah, oui, c’est vrai, j’avais pas fait attention… Mon Dieu, comme il était beau… Avec ses grandes oreilles…

Deux – Et encore, si vous l’aviez vu avec quelques années de moins. Avec le poil bien dru. Et le vôtre ?

Un (lui montrant la tombe) – Regardez…

Deux – Ah, oui… Tout frisé… Il avait une bonne tête…

Un – C’était un amour…

Elles soupirent.

Un – Bon, il va falloir qu’on y aille. Je crois qu’ils n’attendent plus que nous pour fermer.

Deux – Vous venez souvent ?

Un – Le plus souvent possible. Mais ça fait loin quand même… Et vous ?

Deux – Moi, j’habite à côté, heureusement. Je peux venir tous les jours…

Un – Alors on se reverra sûrement.

Deux – Si Dieu le veut.

Elles commencent à partir.

Un – Et le vôtre, il est mort de quoi ?

Deux – Oh… Une longue maladie, comme ils disent quand ils ne savent pas. À la fin, il souffrait tellement… J’ai dû le faire piquer.

Un – Allez, pensez que là où ils sont, ils ne souffrent plus.

Deux – Vous croyez qu’il y a un paradis pour eux aussi ?

Un – Allez savoir… Il y a bien des cimetières…

Noir.

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Justice express

Deux chaises, de chaque côté d’une table. Un homme en combinaison orange (rappelant celles de Guantanamo), entre et attend, debout. Une femme en robe d’avocate arrive, survoltée, un téléphone portable à l’oreille. Elle termine sa conversation tout en faisant un petit bonjour à l’homme, et en commençant à s’installer. Elle pose sa serviette sur la table et en sort un dossier.

Avocate (au téléphone) – Écoutez, vingt ans, c’est pas si mal. Vous savez qu’avec un autre juge, et une autre avocate, vous auriez pu prendre beaucoup plus ? Enfin, un peu plus. Et puis vingt ans, avec les remises de peine… Dans dix ans, on peut espérer une liberté conditionnelle. C’est vite passé, dix ans, non ? Bon, excusez-moi, il faut que je vous laisse, je suis avec un client, là. Ben oui, je sais, vous êtes vraiment innocent, mais bon. Qu’est-ce que vous voulez ? On ne peut pas gagner à tous les coups. Je vous rappelle, hein ? Tchao, tchao… (Elle range son téléphone)Quel emmerdeur…

Avec un sourire commercial, l’avocate se tourne enfin vers l’homme, resté debout.

Avocate (s’asseyant) – À nous, Monsieur… (Elle vérifie le nom dans le dossier)Martinez.

Homme – Sanchez…

Avocate – Ça commence bien… (Lui indiquant l’autre chaise) Asseyez-vous, Monsieur Sanchez, je vous en prie (Raturant sur le dossier) Si vous saviez… C’est bourré de fautes de frappe, ces dossiers d’instruction. Sans parler des fautes d’orthographe… C’est à croire que tous ces juges sont des analphabètes.(Soupirant) Et après on s’étonne qu’il y ait autant d’erreurs judiciaires… (Souriant à nouveau) Mais ne vous inquiétez pas, on va vous sortir de là, hein ? Alors, qu’est-ce qu’on vous reproche exactement…? (Feuilletant l’épais dossier) Voyons voir… Ouhla… Mais c’est l’affaire Dreyfus, dites-moi. Un vrai roman-feuilleton. Je me demandais pourquoi mon cartable était aussi lourd. Non, mais ils ne se rendent pas compte, hein ? Si je devais lire, tout ça, moi… Bon, alors je résume : En gros, vous avez coupé votre femme en deux avec une hache, c’est bien ça ?

Homme – Non…

Avocate – Bravo ! C’est exactement la réponse que j’attendais de vous. Vous êtes innocent, c’est encore plus simple. On plaide non coupable, et on ne perd pas de temps avec les détails. Je sens qu’on va faire du bon travail ensemble, Monsieur Ramirez. D’ailleurs c’est toujours la stratégie de défense que je propose à mes clients : nier tout en bloc. Même l’évidence. Instiller le doute dans l’esprit des jurés, en espérant obtenir l’acquittement au bénéfice du doute. Bon, ça ne marche pas à tous les coups, mais croyez-moi, c’est beaucoup plus simple que d’entrer dans les détails. Les circonstances atténuantes, l’enfance malheureuse, le moment de folie… Tout ça, c’est d’un compliqué. Pour un résultat très aléatoire, vous savez. Alors voilà ce qu’on va faire. Vous connaissez le jeu ni oui ni non ?

Homme – Oui…

Avocate (plaisantant) – Ah, mauvais point pour vous ! Je vous ai déjà piégé… Mais je vous propose une variante. Vous répondez non à tout à toutes les questions qu’on vous pose, d’accord ? Jamais oui. Toujours non. Attention, vous êtes prêt ?

Homme (sur la défensive) – Mmmm…

Avocate – Est-ce que vous aviez des raisons d’en vouloir à votre chère épouse…?

Homme – Non…

Avocate – Est-ce que vous possédez une hache…?

Homme – Non…

Avocate – Est-ce que vous vous êtes déjà habillé en femme ?

Le téléphone portable de l’avocate sonne.

Avocate – Excusez-moi, je suis à vous tout de suite… (Elle répond) Oui…? Ah, oui, mon chéri ! Ça va ? Euh, non, j’ai rendez-vous chez le coiffeur à 17 heures, et j’ai une douzaine de clients à voir avant. Tu peux passer chez le traiteur en rentrant, pour notre petite soirée entre amis ? Je crois que je ne vais pas avoir le temps… Oh, j’ai invité le juge avec sa femme, le procureur avec sa maîtresse… Ça fait déjà trois. Non trois, la maîtresse du procureur, c’est la femme du juge. Oh, écoute, compte pour six, d’accord ? Merci, tu es un amour. Bisous, bisous. Moi aussi… Allez, à ce soir…

Elle range son téléphone portable.

Avocate – Alors, où en étions nous, Monsieur Hernandez ?

Homme – Sanchez…

Avocate – Excusez-moi, Hernandez, c’est le nom de ma femme de ménage. Ou Fernandez, je ne sais plus. Bon, donc, vous n’avez pas tué votre femme, et point barre, d’accord ? Croyez-moi, comme ça, on s’évite beaucoup de complications… Et en répondant toujours non quelle que soit la question, on est sûr de ne jamais se contredire. Vous avez autre chose à me dire, Monsieur Gomez ?

Homme – Euh… Oui…

Avocate – Ah, je vous ai encore piégé. La bonne réponse était non. Bon, il faut que je vous laisse, Monsieur Gonzalez. Le devoir m’appelle. J’ai encore beaucoup d’innocent comme vous à sauver aujourd’hui… On se revoit demain au procès ? Et encore une fois, ne vous en faites pas. Je suis convaincue de votre innocence, et je me fais fort de faire partager cette conviction à tous les membres du jury. (Avec un air entendu) D’ailleurs, je reçois le juge à dîner ce soir, et j’essaierai de lui glisser un petit mot en votre faveur entre la poire et le fromage. (Comme pour elle même)Avant que la soirée ne commence vraiment à déraper, comme la dernière fois… Allez, à bientôt Monsieur Marquez…

L’avocate sort, aussi survoltée qu’elle était entrée. Le type reste là, perplexe. Puis il se retourne. On lit dans son dos sur sa combinaison orange une inscription du type « Dépannage Service » ou « Service Entretien ».

Homme – Bon, Djamel, qu’est-ce que tu fous avec l’échelle ? On ne va pas y passer la journée pour changer une ampoule, non plus ?

Noir.

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Double inconnu

Un homme, debout face au public, regarde une tombe qu’on imagine. Un autre homme (ou une femme) approche.

Deux – Pardon, c’est bien la tombe de l’auteur inconnu ?

Un – Ah, non, celle-ci, c’est la tombe du soldat inconnu.

Deux – Vous êtes sûr ?

Un – Je crois, oui… Enfin, des fois c’est difficile de s’y retrouver. Comme il n’y a rien de marqué dessus… (Il sort un papier de sa poche) Ils m’ont donné un plan, à l’entrée, mais bon… (Il chausse des lunettes de presbyte et regarde le papier)Attendez voir. W28… Oui, c’est bien ça. Le soldat inconnu. Entre le génie méconnu et l’alcoolique anonyme. L’auteur inconnu, c’est juste derrière : X29…

Un – Je me demande si c’était une si bonne idée que ça de les mettre tous dans le même cimetière…

Un (regardant toujours le plan) – Oui, c’est ça… L’agent secret, c’est X27…

Les deux se recueillent un instant en silence chacun devant sa tombe.

Un – C’était un parent à vous ?

Deux – Celui-là ou un autre. Allez savoir ! Je suis né de père inconnu…

Un – Ah, oui… (Il regarde à nouveau son plan) Le père inconnu… Non, décidément, je n’y comprends rien. Ils auraient au moins pu mettre un index alphabétique. Et puis ce tableau à double entrée avec ces chiffres et ces lettres, c’est d’un ridicule… On dirait une bataille navale ! A5, raté… C10, touché… B12, coulé…

Deux – Et vous ?

Un – Le soldat inconnu ? C’était mon père…

Deux – Vraiment ? Et… vous avez repris le flambeau ?

Un – Que voulez-vous ? La carrière des armes, chez nous, c’est une vieille tradition. On est soldat de père en fils. D’ailleurs, j’ai déjà ma place réservée dans le caveau familial.

Deux – Ah, parce qu’il y a des caveaux, aussi ?

Un (étonné) – Vous ne le saviez pas ? Si, si, bien sûr ! Toute ma famille est enterrée là. Une longue lignée de militaires très discrets. Vous savez bien : la Grande Muette…

Deux – La grande mouette…?

Un – Muette ! La Grande Muette !

Deux – Ah, oui… J’avais compris mouette. Je pensais que vous étiez dans la marine… À cause de la bataille navale…

Silence.

Un – Alors, comme ça, vous êtes en recherche de paternité ?

Deux – Oui.

Un – Et qu’est-ce que vous lui demanderiez, à votre père, si vous pouviez le rencontrer un jour ? Ici ou dans un autre monde ?

Deux – Ses papiers…?

Un – Oui…

Deux – Et vous ?

Un – L’autorisation de le fouiller ? Pour vérifier qu’il n’a pas d’arme sur lui…

Deux – Ce n’est pas facile tous les jours, vous savez, de ne pas savoir d’où on vient.

Un C’est ce que je dis toujours à mes hommes, à la caserne. Quand on ne sait pas d’où on vient, on ne peut pas savoir où on va. Pour faire la guerre, il faut d’abord un bon plan. Et savoir le lire. Pourquoi pensez-vous que pendant des siècles, on a refusé les femmes dans l’armée ? Parce qu’elles sont infoutues de lire un plan ! Déjà qu’elles ont du mal avec une carte routière ou même une liste de courses, alors vous imaginez. Un plan de bataille…

Deux – Mmm…

Un – Et vous ? Vous faites quoi, dans la vie ?

Deux – Du théâtre.

Un – Ah, oui, le… Le théâtre.

Deux – Acteur.

Un – Oui.

Deux – Vous connaissez ?

Un – Non. Le spectacle vivant, comme on dit. Moi c’est la grande muette, vous le spectacle vivant… Les étiquettes, ça permet quand même de s’y retrouver un peu, non ? Et… vous êtes un acteur célèbre ?

Un – Non… Je suis un acteur inconnu.

Deux – Bon. (Il se prépare à partir) Eh, bien… Enchanté de ne pas avoir fait votre connaissance…

Un – Je ne vous dis pas au revoir…

Deux – Moi non plus.

Le premier s’apprête à s’en aller, mais il jette un regard sur une dernière tombe.

Un – Tiens, celle-là, elle n’est même pas sur mon plan…

Deux (s’approchant de la tombe) – Attendez voir… (Lisant) C’est la tombe de… l’homme inconnu.

Un – L’homme inconnu…?

Deux – Un SDF, sûrement…

Un – Même les SDF ont droit à une dernière demeure…

Le premier s’en va. Le deuxième reste seul.

Un – Bon… Où j’en étais, moi…?

Noir.

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The end

Le premier regarde fixement en direction de la salle.

Le deuxième arrive, semblant chercher son chemin.

Deux – Excusez-moi. La tombe de Jim Morrison, vous savez où c’est…?

Le premier s’extrait de sa contemplation méditative.

Un – Aucune idée.

Le deuxième regarde autour de lui.

Deux – La dernière fois que je suis venu, c’était pour l’enterrement, mais j’étais tellement défoncé. Je ne me souviens de rien…

Le deuxième regarde lui aussi dans la direction de la salle.

Deux – Vous le connaissiez ?

Un – Morrison ?

Deux – Non… Le… Le type qu’ils enterrent, là… Il y a beaucoup de monde. C’était quelqu’un d’important ?

Un – Un philosophe… qui écrivait aussi des pièces de théâtre.

Deux (commentant avec ironie une oraison funèbre qu’on entend pas) – C’était un penseur éclairé, un professeur généreux, un ami fidèle… Blabla… Si ça se trouve, il n’écrivait que des trucs imbitables, il tripotait ses étudiantes, et il devait de l’argent à tout le monde…

Le premier lui lance un regard un peu étonné.

Deux – Les salauds meurent aussi, non ? Souvent plus tard que les autres, d’ailleurs. Mais ils finissent bien par crever quand même. Alors où on les enterre, hein ? Regardez les épitaphes autour de vous. À mon cher époux… À notre père adoré… À notre patron bien-aimé… Et les types qui trompaient leurs femmes, qui battaient leurs enfants et qui exploitaient leurs ouvriers, on les enterre où ? Je ne sais pas d’où ça vient, ce besoin de sanctifier les cons une fois qu’ils sont morts.

Un – La gratitude des vivants d’en être enfin débarrassés, j’imagine…

Deux – En tout cas, rien que pour ça, ça vaudrait le coup d’assister à son propre enterrement. Histoire d’entendre tous ces gens qui ne pouvaient pas vous blairer dire à quel point vous étiez un type formidable…

L’autre le regarde, intrigué.

Deux – Oh, putain. La minute de silence, maintenant… Ils nous auront tout fait.

Silence.

Deux – Ça doit être chiant des pièces de théâtre écrites par un philosophe, non ?

Air un peu offusqué du premier. Le deuxième se demande s’il n’a pas gaffé.

Deux – Vous le connaissiez, ce… dramaturge ?

Un (avec un sourire entendu) – Moi non plus je ne voulais pas rater mon enterrement… (Se présentant en tendant la main au deuxième) Jean-Paul…

Deux (serrant la main que l’autre lui tend) – Jim…

Un – Je ne vous aurais pas reconnu. Vous aviez les cheveux longs, à l’époque, non…?

Deux – Et vous, vous ne louchiez pas un peu ?

Un – D’un oeil, seulement. (Avec une grandiloquence amusée, pour plaisanter) Mais maintenant, je ne suis plus qu’essence…

Le deuxième sort une cigarette.

Deux (plaisantant) – Come on, baby, light my fire.

Le premier, qui n’a pas l’air de comprendre la blague, allume la cigarette du deuxième.

Un – Désolé, je n’ai jamais écouté vos disques…

Deux – J’ai pas lu vos livres non plus… L’existentialisme, c’est ça ?

Un – Ouais…

Deux (gentiment ironique) – Etre ou ne pas être…

Jean-Paul ne sait pas trop si Jim se fout de sa gueule ou pas.

Un – Non, ça ce n’est pas de moi, hélas… Vous êtes sûr que c’est au Cimetière Montparnasse qu’il est enterré, Morrison ?

Deux – Non ?

Un – Moi, je dirais plutôt le Père Lachaise….

Deux – Oh, putain, je ne me souviens plus de rien. Je devais vraiment être défoncé… Je m’en voudrai toute ma mort d’avoir raté mon enterrement…

Noir.

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Interrogatoire

Le premier (ou la première) fait les cent pas derrière le deuxième (ou la deuxième), assis(e) sur une chaise.

Un – Tu vas parler, crois-moi. J’en ai maté des plus coriaces que toi, je te garantis.

Deux (comme s’il récitait une leçon) – Je suis innocent, je vous dis.

Un – C’est ça, ouais. Ils disent tous ça. Allez, on reprend tout à zéro. Nom, prénom, âge, profession…

Deux (avec un air las) – Sanchez Pedro, 33 ans, infirmier…

Un – Et t’étais où, mercredi soir vers minuit ?

Deux – Dans mon lit. Je dormais.

Un – Seul ?

Deux – Non, avec ma femme.

Un – Et bien sûr, tu vas me raconter qu’elle dormait aussi…

Deux – Ben oui. À minuit. On bosse tous les deux le lendemain.

Un – Tu pourrais au moins avoir un peu plus d’imagination.

Deux – J’ai rien à vous dire, je vous dis.

Un – C’est ça, oui… Et ben crois-moi, tu vas me le dire quand même.

Deux (amusé) – Quoi ? Que j’ai rien à vous dire ? Je viens de vous le dire.

Un – Joue pas au plus con avec moi, hein ! T’es pas sûr de gagner.

Deux (se marrant un peu) – C’est sûr…

Il se lève, histoire de se dégourdir les jambes.

Un – Assieds-toi, Sanchez !

L’autre se marre.

Un – Et méfie-toi ou je te colle un outrage, en plus.

L’autre se rassied, résigné.

Deux – Si on ne peut même plus rigoler…

Un – Alors ? T’étais où, mardi soir ?

Deux – On n’avait pas dit mercredi ?

Un – Ouais, bon, mardi, mercredi, on s’en branle. T’étais où ?

Deux – Je ne m’en souviens plus.

Un – Comment ça, tu t’en souviens plus ? Tu viens de me dire que t’étais au pieu, avec ta femme.

Deux – Non, ça, c’était mercredi, mais mardi, je ne m’en souviens plus.

L’autre frappe violemment du plat de la main sur la table qui s’écroule.

Un – Putain, mais tu vas parler, oui !

Il a à peine terminé sa phrase qu’il se tord de douleur en se tenant la main.

Un – Oh, putain…

Deux – Ça va pas…?

Un – T’occupe, toi. (Pour lui) Oh, putain…

Deux – Ça fait mal…?

Un – Je me suis explosé la main…

Deux – Fais voir.

Un – Qu’est-ce que t’y connais, toi ?

Deux – Je suis infirmier… Tu me l’as fait répéter au moins dix fois.

Le premier se laisse faire et l’autre examine sa main.

Deux – C’est bon, il n’y a rien de cassé.

Un – Pourquoi ça me fait un mal de chien, alors ?

Deux – T’étais pas obligé de taper aussi fort, non plus. C’est dingue, t’as même pété la table. Tu sais que tu m’as fait presque peur ? J’ai cru que t’allais vraiment me balancer une mandale.

Un – Excuse-moi, je me suis un peu pris au jeu.

Deux – Quelle connerie, ces entraînements à l’interrogatoire aussi. On n’a pas signé pour se faire tabasser en garde à vue, bordel.

Un – Ouais, ben la prochaine fois, c’est toi qui fais le flic. Tu vas voir si c’est plus marrant que de faire le suspect…

Deux – Bon, on fait une petite pause ? On n’est pas aux pièces, non plus.

Un – Ok.

Un sort un paquet de cigarettes, et en propose une à son collègue.

Deux – Merci, j’ai arrêté la semaine dernière.

L’autre s’apprête à allumer sa cigarette.

Deux- Dis donc, je ne voudrais pas être trop jugulaire-jugulaire, mais tu sais que c’est interdit, maintenant…

Un – Quoi ?

Deux – Ben, euh… On est dans un endroit public, non ?

Un – Oh, putain… Non, mais pourquoi j’ai choisi ce boulot de merde… Alors maintenant, un flic n’a même plus le droit de proposer une cigarette à un suspect pendant un interrogatoire ?

Deux – Il pourrait te faire un procès… Tu regardes trop la télé, toi…

L’autre range son paquet de cigarettes à contrecœur.

Un – Bon, ben autant qu’on s’y remette, alors.

Deux – Ok. Tu fais le suspect ?

Un – Ok.

Il s’assied sur la chaise et l’autre commence à faire les cent pas derrière lui pendant un certain temps. Le premier commence à s’impatienter.

Un – Bon, ça vient. Je commence à m’endormir, moi…

Deux – Attends, putain ! Je me concentre…

Il continue de faire les cent pas, puis se lance.

Deux – Alors, mon con, t’étais où mercredi soir à minuit ? Tu vas finir par me le dire, alors autant me le dire tout de suite, on gagnera du temps.

Un – Ok. J’étais en train de braquer la supérette en bas de chez moi.

Il se marre.

Deux – Oh, non, arrête de déconner !

Un – Tu viens de me dire qu’on gagnerait du temps. Tu m’a convaincu, et voilà. T’es un trop bon flic, mon vieux (Regardant sa montre) Et puis c’est vrai, merde, regarde l’heure qu’il est ! On ne va pas faire du rab, non plus. Pour le prix qu’on est payé…

Deux – Oh, putain, t’as raison, c’est l’heure de plier les gaules. Et puis c’est pas le jour que j’arrive en retard. Ma femme a décidé de me traîner au théâtre, ce soir.

Un – Non…?

Deux – J’espère que ce sera moins chiant que la dernière fois. J’ai failli m’endormir…

Ils mettent tous les deux leurs vestes et s’apprêtent à s’en aller.

Un – Et mercredi dernier à minuit, qu’est-ce que tu foutais ? C’est que j’ai presque envie de le savoir, maintenant. Allez, tu peux me le dire…

Deux – Eh ben j’étais au lit, figure-toi.

Un – Avec ta femme ?

Deux – Non, avec la tienne, ducon.

Ils s’en vont, en se marrant.

Un – Va savoir…

Noir.

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Faux départ

Une femme en deuil arrive côté cour, avec une mine de circonstances. Elle sort un mouchoir de son sac et sèche une larme. Son portable sonne. Elle répond d’une voix très affectée.

Femme 1 – Oui…? Ah, c’est toi… Oui, oui, je suis à la chambre funéraire, là. C’est vrai que je ne le voyais plus depuis des années, mais bon. Ça fait quand même un choc. Je voulais le revoir une dernière fois…

Une deuxième femme arrive côté jardin, en deuil elle aussi.

Femme 1 – Excuse-moi, il va falloir que je te laisse. Ma soeur vient d’arriver. Je te rappelle plus tard, d’accord ? Merci d’avoir appelé…

Les deux femmes s’embrassent, sans chaleur.

Femme 2 (désignant le côté cour) – Heureusement que tu m’as prévenue. Moi, je n’ai même pas reçu de faire-part. Il est là…?

Femme 1 – Oui.

Femme 2 – Tu l’as vu ?

Femme 1 – Oui.

Femme 2 – Ça fait au moins dix ans… Il a dû changer, non ?

Femme 1 – Il est mort.

Femme 2 – Oui… Je ne suis pas vraiment sûre d’avoir envie de le voir, en fait. Je n’ai jamais vu un mort. Il vaut peut-être mieux que je garde de lui l’image qu’il avait la dernière fois que je l’ai rencontré. Plein de vie…

Femme 1 – Allez. Fais ça pour lui. Je suis sûre que ça lui aurait fait plaisir de te voir une dernière fois

Femme 2 – Bon.

Elle se dirige sans enthousiasme vers le côté cour et disparaît.

Sa soeur reste seule, et écrase à nouveau une larme.

L’autre revient au bout d’un instant, un peu perturbée.

Femme 1 – Ça va…?

Femme 2 (embarrassée) – Tu m’as bien dit que c’était là, la porte à droite ?

Femme 1 – Oui, pourquoi ?

Femme 2 – C’est pas lui.

Femme 1 – Tu ne l’as pas vu depuis dix ans. Il a changé, forcément.

Femme 2 – Il n’a pas changé de sexe, quand même… C’est une femme, là, dans le cercueil.

Femme 1 – T’es sûre…?

Femme 2 – Une femme qui ne lui ressemble pas du tout, hein…. Tu ne t’en es pas rendu compte ?

Femme 1 – J’étais tellement bouleversée, ce matin. J’ai laissé tomber mes lentilles dans le lavabo. Ça doit être la porte de gauche. Il y a deux chambres funéraires… Je vais aller voir.

Femme 2 – Je crois qu’il vaut mieux que ce soit moi…

Elle repart côté cour, laissant sa soeur encore plus bouleversée, et revient au bout d’un instant.

Femme 1 – Alors ?

Femme 2 – C’est pas lui non plus.

Femme 1 – T’es sûre ?

Femme 2 – À moins qu’il nous ait caché toute sa vie qu’il était noir… Fais voir le faire-part ? Tu t’es peut-être trompée d’adresse. Des chambres funéraires, il y en a un peu partout…

Femme 1 – Oh, mon Dieu… Ça m’a tellement retournée, d’apprendre qu’il était mort. Et maintenant, on ne va même pas pouvoir assister à son enterrement…

Elle sort le faire-part de son sac et le tend à sa soeur.

Femme 2 (jetant un coup d’oeil au faire-part) – Non, pourtant, c’est bien là, je ne comprends pas… (Continuant à lire à haute voix) Ont la douleur de vous faire part du décès de Monsieur… Mais c’est pas son nom !

Femme 1 – C’est pas possible ! Fais voir…

Elle prend le faire-part que lui tend sa soeur, et le regarde en plissant les yeux, pour tenter de compenser l’absence de ses lentilles.

Femme 1 – Merde ! C’est le nom des voisins… Ça arrive au moins une fois par mois que le facteur se trompe de boîte. Il faut dire qu’entre Martinez et Ramirez… J’ai pas fait attention.

Femme 2 (consternée) – Donc, il n’est pas mort…

L’autre la regarde avec un air pitoyable.

Femme 1 – Je suis vraiment désolée…

Silence embarrassé.

Femme 1 – Qu’est-ce qu’on va faire de la couronne ?

Femme 2 – Je ne pense pas qu’ils vont nous la reprendre, hein…? T’imagines un peu, si les fleuristes se mettaient à rembourser les fleurs après les enterrements… On n’a qu’à la laisser pour fleurir la tombe du défunt de tes voisins.

Femme 1 – Surtout qu’ils n’avaient pas l’air de beaucoup y tenir. Ils ne sont même pas venus…

Femme 2 – C’est normal, c’est toi qui as le faire-part…

Femme 1 – Merde, c’est vrai. Comment je vais leur annoncer ça, moi…

Femme 2 – Ah, oui… Je crois que là, tu vas avoir besoin de tout le tact dont tu es capable…

Femme 1 – Enfin… La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est pas mort… (Soupirant) – Moi qui avais déjà presque fait mon deuil…

Femme 2 – Comme ça ce sera fait, hein ?

Elles s’en vont.

Femme 1 – Oh, mon Dieu…

Femme 2 – Tu vas aller le voir ?

Femme 1 – Qui ?

Femme 2 – Ben lui !

Femme 1 – Pourquoi j’irais le voir ?

Femme 2 – Je ne sais pas, moi. Tu tenais absolument à lui dire un dernier adieu. Ben comme ça tu pourrais le faire de son vivant…

Noir.

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Dead line

Un homme est assis en face d’un autre installé devant un ordinateur.

Un (consultant son écran) – Alors, d’après tous les renseignements que vous nous avez fournis, ce serait pour le… 27 décembre 2041 dans la soirée.

Deux – Ah…

Un – Ça vous pose un problème ? Si je ne me trompe, vous aurez 76 ans et 3 mois… C’est un peu jeune, bien sûr, mais… Compte tenu de votre hygiène de vie, et de votre logement plutôt insalubre… Croyez-moi… Vous ne pouviez guère espérer mieux…

Deux – Oui, bien sûr, mais… Le 27 décembre, c’est en plein dans les fêtes… Ça ne m’arrange pas. Ma femme et moi, on tient un magasin de chocolat. On fait la moitié de notre chiffre d’affaires de l’année à cette époque là…

Mimique de l’autre pour dire qu’il n’y peut rien.

Deux – Et si j’arrêtais de fumer…?

Un – Ah, là, évidemment… Voyons voir… (Il pianote sur son ordinateur) Non-fumeur… Vous n’envisagez toujours pas de déménager…?

Deux – C’est à côté du magasin… et avec la flambée des prix de l’immobilier…

Un – Bien… Ça nous ferait donc… le 29 février 2044… C’est une année bissextile…

Deux – Mmmm…

Un – Vous gagnez presque trois ans.

Deux – Est-ce que ça vaut vraiment le coup…

Un – Ah, ça, c’est vous qui voyez.

Deux – Et si j’arrêtais aussi les apéritifs…?

Un – Il faut bien vivre…

Deux – Vous avez raison… On ne peut pas se priver de tout… (Un temps) Et ma femme…?

Un – Oh, ça, vous savez, ça n’a guère d’incidence. Ce serait même plutôt bon pour le coeur… et pour la prostate.

Deux – Non, je veux dire ma femme, euh… C’est prévu pour quand…?

Un – Ah… Désolé… Mais… C’est strictement confidentiel…

Deux – Mais… Avant, ou après moi…?

Un – Même si je le savais, je ne pourrais rien vous dire… Vraiment…

Deux – Mmmm… (Songeur) Elle ne fume pas…

Un – Oh, vous savez, des fois, ça ne veut rien dire. Et puis il faut aussi prendre en compte le tabagisme passif…

Deux – Elle m’oblige à fumer sur le balcon…

Un – Elle peut avoir un accident… Elle fait beaucoup de kilomètres par an en voiture ?

Deux – Elle ne conduit pas…

L’autre prend un air désolé.

Un – Les piétons aussi peuvent se faire écraser en traversant la rue, vous savez… Et puis il y a aussi les accidents domestiques… Une fuite de gaz… Une chute dans l’escalier…

Deux (songeur) – Un sèche-cheveux qui tombe dans la baignoire…

Un – Ça vous tient tant à coeur que votre femme parte avant vous ? (Complice)Vous voulez lui épargner la peine de vous survivre, c’est ça…?

Deux – C’est pas ça… C’est pour le caveau de famille… Depuis que ma mère est morte, il ne reste plus qu’une place…

Un – Et…?

Deux – Eh bien… Je m’entendais très mal avec ma mère… Je ne tiens pas à… Vous comprenez…? Alors si ma femme part la première, ça résoudrait le problème… Elle prend la dernière place, et moi je peux aller m’installer ailleurs… Sans que ça fasse d’histoires…

Un – Je comprends…

Deux – Et si je me mettais à faire un peu de sport…?

Un – Si ce n’est pas un sport trop dangereux… Vous pensiez à quoi ?

Deux – Je ne sais pas, moi… La pétanque…

Un – Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de fractures du crâne qu’on dénombre chaque année chez les amateurs de boules…

Deux – Bon… Tant pis… Va pour le 27 décembre 41…

Il se lève pour partir, puis se ravise et se retourne une dernière fois vers son interlocuteur.

Deux – Au fait, j’ai oublié de vous demander… Je meurs de quoi, au juste…? Cancer du poumon ?

Un (pris au dépourvu) – Ah, oui, c’est vrai, je suis désolé, j’ai complètement oublié de vérifier… Vous faites bien de me le demander…

Il vérifie sur son ordinateur avant de lever la tête avec un air embarrassé.

Un – Je vous avais prévenu que votre logement était insalubre…

Tête de l’autre qui ne comprend pas bien.

Un – Le balcon… Un effondrement… Finalement, je crois que vous feriez mieux d’arrêter de fumer…

Noir.

Morts de rire

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