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Vacances

Une terrasse. Deux chaises longues. Marie arrive, en peignoir blanc, des lunettes noires sur le nez. Elle va jusqu’au bord de la scène, respire à pleins poumons et contemple l’horizon. Pierre arrive à son tour, en s’appuyant sur des béquilles.

Marie (sans se retourner) – On respire, non ? Vous sentez cet air iodé ?

Pierre – Ma foi non… Mais j’ai le nez un peu bouché, ce matin…

Il s’assied avec difficulté sur une chaise longue, et pose ses béquilles à côté de lui.

Marie – Et ces mouettes… Vous entendez ça ? Quel dépaysement !

Pierre sort une boîte métallique de sa poche, l’ouvre et la tend vers Marie.

Pierre – Vous voulez une pastille ? Ça dégage les bronches…

Mais Marie ne prête pas attention à cette proposition.

Marie – C’est vraiment le paradis… Je me sens revivre ! Pas vous ?

Il prend une pastille dans la boîte et la met dans sa bouche.

Pierre – Moi, ça me donnerait plutôt envie de vomir…

Il range la boîte.

Marie (exaltée) – Une nouvelle journée qui commence… Et elle s’annonce glorieuse…

Pierre – Vous êtes sûre que ça va ?

La mine de Marie change du tout au tout.

Marie – Je suis complètement déprimée…

Pierre – J’ai d’autres sortes de pastilles, si vous voulez.

Marie – Mon mari devait partir avec moi, mais finalement il est resté sur le quai.

Pierre – Je suis vraiment désolé. Alors vous êtes provisoirement célibataire…

Marie – Plutôt définitivement veuve.

Pierre – Je vois…

Marie – Sauf que lui, il est toujours vivant… (Un temps). Et vous, qu’est-ce qui vous est arrivé ?

Pierre – Je suis en vacances, comme vous.

Marie – Je parlais de vos béquilles…

Pierre – Ah ça… Je sais que j’en ai besoin pour marcher, mais je ne sais plus pourquoi…

Marie se tourne à nouveau vers la mer.

Marie – La mer est tellement bleue… Une vraie carte postale… Je me demande si je ne vais pas aller piquer une tête…

Elle retire son peignoir, dévoilant son maillot de bain.

Pierre – N’allez pas vous noyer… Ce serait dommage… Et puis elle ne doit pas être bien chaude.

Marie – Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Pierre – On est hors saison.

Marie – Ah oui…

Elle remet son peignoir.

Pierre – Vous voulez faire un scrabble ?

Marie – Merci… Je ne suis pas encore désespérée à ce point…

Pierre – Vous l’aimiez tant que ça ?

Marie – C’était mon mari…

Pierre – Vous l’oublierez…

Marie – Je ne me souviens déjà plus très bien comment nous nous sommes quittés…

Pierre – Les adieux, c’est ce qui s’efface en premier quand on rembobine.

Marie – Vous faites du cinéma ?

Pierre – Si j’en ai fait, je ne m’en souviens plus… Et vous ?

Marie – Je suis un peu comédienne.

Pierre – Vous verrez, ce petit hors jeu vous fera le plus grand bien.

Marie – Je me sens déjà rajeunir… Allez, c’est décidé, je vais piquer une tête !

Pierre – Dans l’océan ?

Marie – Dans la piscine !

Marie s’en va, découvrant l’inscription au dos de son peignoir : Titanic. Pierre se lève sans ses béquilles, s’approche du bord de scène et écarte les bras en regardant au loin.

Pierre – Je suis le roi du monde !

Noir.

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Projets d’avenir

Une fille est assis sur un banc. Elle a le regard fixé devant elle. On comprendra qu’elle regarde le couple de la scène précédente. Un garçon arrive, et s’assied à côté d’elle, sans un mot. Ils restent ainsi un moment en silence, regardant droit devant eux.

Elle – Tu nous imagines, quand on aura leur âge…?

Lui – Non…

Elle – Elle est tirée à quatre épingles. Elle s’est même maquillée…

Lui – Ah, ouais…?

Elle – Lui non plus ne l’a pas remarqué…

Lui – Pourquoi il a un parapluie ? Il n’y a pas un nuage…

Elle – C’est elle qui lui a demandé de le prendre. À l’âge des mises en plis, on se méfie des orages… Et puis elle sait que ça lui sert de canne. C’est plus discret… C’est sa coquetterie à lui…

Lui – T’as vu ? Elle a les cheveux presque violets…

Elle (attendrie) – C’est quand même beau, non ?

Lui – Quoi ? Une vieille avec une coiffure de punk ?

Elle – Ils doivent être mariés depuis un demi-siècle, et ils se tiennent encore par la main…

Lui – Tu parles ! Regarde, elle se barre. Et elle n’a pas l’air contente… Ça fait peut-être cinquante ans qu’ils s’engueulent…

Elle – Il a dû lui dire qu’il trouvait ça trop violet… (Un temps) Je me demande si il ne va pas pleuvoir, finalement… On y va ?

Lui – Euh, ouais…

Il se lève pour partir.

Elle – Pourquoi tu voulais me voir, au fait ?

Lui – Ben… Je ne sais pas comment te dire ça, mais… Je ne crois pas qu’on vieillira ensemble…

Elle – Je sais…

Lui – Et toi, tu voulais me dire quelque chose…?

Elle se lève à son tour, et on voit alors qu’elle est enceinte.

Elle – Tu aurais dû prendre ton parapluie, toi aussi…

Noir.

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Souvenirs

Un vieil homme est assis, appuyé sur un parapluie. Une vieille femme arrive. Elle s’assied à côté et lui prend la main. Il se laisse faire, un peu surpris.

Elle – Ça fait du bien, un peu de calme, hein ?

Lui (pas contrariant) – Oui…

Ils restent un moment silencieux, semblant apprécier cet instant de sérénité.

Elle – Tu te souviens de nos premières vacances ? C’était en 36…

Lui – Non…

Elle – Maintenant, pour nous, c’est tous les jours les vacances…

Lui – Oui…

Elle – Tu as bien pris tes cachets ?

Lui (étonné) – Non…

Elle (lui tendant une boîte) – Tiens, je te les ai amenés.

Lui (prenant la boîte) – Merci… (Il prend un cachet et l’avale, puis regarde la boîte).C’est pour le cœur…

Elle – Oui…?

Lui – Ben… Moi, c’est plutôt la mémoire…

Elle – C’est les médicaments de mon mari…!

Lui – C’est que je ne dois pas être votre mari, alors…

Elle le regarde offusquée, lui lâche la main et se lève.

Elle – Vous auriez pu le dire plus tôt !

Elle s’en va, contrariée.

Il la regarde partir.

Noir.

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Mémoire cash

Elle et lui, en train de s’embrasser, un long moment.

Ils relâchent leur étreinte, et regardent droit devant eux.

Elle – Ça te rappelle quelque chose ?

Lui – Non… Et toi ?

Elle – Non plus.

Lui – C’est la première fois.

Elle – C’est pas inoubliable.

Lui – La première fois, on ne peut pas comparer. On ne se souvient de rien.

Elle – La première fois, on ne se rappelle pas. On le garde juste en mémoire.

Lui – C’est quoi, la mémoire ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – C’est quoi oublier ?

Elle – Je ne sais plus…

Lui – On recommence ?

Elle – Ok.

Ils s’embrassent à nouveau, puis relâchent leur étreinte.

Lui – Et là, ça te rappelle quelque chose ?

Elle – J’ai le vague souvenir d’un déjà vu.

Lui – Moi aussi.

Elle – Ça y est, je m’en souviens.

Lui – C’est un début.

Elle – Oui.

Lui – C’est la deuxième fois.

Elle – Ce n’est pas un début, alors.

Lui – La première fois, on ne sait pas que c’est un début, puisqu’on ne se souvient de rien.

Elle – Ça sert à quoi de se souvenir ?

Lui – Ça fait passer le temps.

Elle – Et à la fin ? Comment on sait que c’est la dernière fois ?

Lui – On ne sait jamais.

Elle – Il faudrait pouvoir s’en souvenir. Après.

Lui – On ne se souvient que de l’avant-dernière fois.

Elle – C’est la vie.

Lui – Oui. Entre la deuxième et l’avant-dernière fois.

Elle – La vie, c’est quand on y repense.

Lui – C’est une histoire sans queue ni tête.

Ils commencent à s’en aller, chacun de son côté.

Elle – On se rappelle ?

Lui – Ou on efface la mémoire cache ?

Noir.

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Leçon de choses

Un personnage plus vieux et un autre plus jeune (jouables indifféremment par des hommes ou des femmes).

Vieux – Alors ? Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?

Jeune – Je ne sais pas… Qu’est-ce que ce que tu voulais faire, toi, quand tu étais jeune ?

Vieux – C’est loin, tout ça… Sûrement pas ce que je fais maintenant, en tout cas…!

Jeune – Qu’est-ce que tu fais ?

Vieux – Oh, rien de très intéressant, tu sais… Des fois, je me demande même si ça sert à quelque chose… Mais il faut bien que quelqu’un le fasse…

Jeune – Pourquoi…?

Vieux – Qu’est-ce que tu crois ? Il y en a plein derrière moi qui attendent la place ! Ah, si seulement c’était à refaire… Avoir ton âge, et savoir ce que je sais…

Jeune – Qu’est-ce que tu ferais ?

Vieux – Va savoir ? En tout cas, je n’en serai certainement pas là où j’en suis… Mais j’en ai trop vu… Ils m’en ont trop fait voir… Quand on est jeune, on en veut… On y croit… Mais je ne me fais plus d’illusion… Tu verras quand tu auras mon âge…

Jeune – Je verrai quoi ?

Vieux – Tu le sauras bien assez tôt, va… Ces trucs-là, c’est pas facile à expliquer… Et encore, tu as de la chance. Moi, à ton âge, je ne pouvais même pas poser ce genre de questions.

Jeune – Quelles questions ?

Vieux – Allez, va apprendre tes leçons, va… Si tu ne veux pas finir comme moi…

Jeune – Tu n’apprenais pas tes leçons, toi ?

Vieux – Si…

Jeune – Alors à quoi ça sert d’apprendre ses leçons ?

Vieux – Allez, fais ce que je te dis… Tu comprendras plus tard… Et tu me remercieras… (Il s’en va). Ah, ces gosses… Faut tout leur expliquer…

Noir.

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107 ans

Le premier, plus vieux, est déjà là, désœuvré. Le deuxième, plus jeune, arrive.

Jeune – Salut.

Vieux – Salut.

Le jeune fait quelques pas, pour reconnaître les lieux.

Vieux – Je ne vous fais pas faire le tour du propriétaire…

Le jeune sourit vaguement.

Jeune – Ça fait longtemps que vous êtes là ?

Vieux – Je ne sais plus… Je perds la mémoire. Dans un sens, ici, c’est pas plus mal, vous verrez… Je sais que je suis encore là pour un bout de temps, mais comme j’ai toujours l’impression d’être arrivé hier… (Un temps) Combien ?

Jeune – 10 ans… Et vous ?

Vieux – 107 ans.

Jeune (impressionné) – 107 ans ? Pour quoi ?

Vieux – Escroquerie.

Jeune – C’est cher, pour une escroquerie…

Vieux – Et vous ?

Jeune – J’ai tué un policier…

Vieux – Ce n’est pas très cher pour avoir tué un policier…

Jeune – Une grosse escroquerie…?

Vieux – 115 millions.

Jeune – À qui on peut bien escroquer 115 millions ? À part à un escroc… Total ? Société Générale ?

Vieux – Française des Jeux.

Jeune – Ah, ouais…

Vieux – Les numéros que je jouais n’étaient jamais les bons. Je me suis débrouillé pour que les bons numéros soient ceux que j’avais joués…

Jeune – Et comment on fait ça ?

Vieux – Un magicien ne révèle jamais ses trucs. Sinon, il n’y a plus de magie…

Au gré du metteur en scène, le vieux peut esquisser un petit tour de magie simple, réussi ou raté. Quoi qu’il en soit, le jeune est impressionné.

Jeune – 107 ans…

Vieux – Oh, je ne les ferai pas.

Jeune – Vous avez un truc pour vous évader d’ici ?

Vieux – Un truc imparable. Vous avez pris combien, déjà ?

Jeune – Avec les remises de peine, je peux espérer sortir dans 5 ans.

Vieux – Je serai sorti avant vous. Vous voulez parier ?

Jeune – Vous avez escroqué la Française des Jeux…

Vieux – Â mon âge… Je sortirai même par la grande porte. Les pieds devant…

Silence.

Jeune – Excusez-moi, mais… Pourquoi voler 115 millions… à votre âge, justement ?

Vieux – C’est vrai… À mon âge, on n’a plus rien à gagner… D’un autre côté, on n’a plus rien à perdre non plus. Au pire, c’était la prison, au lieu de la maison de retraite. Au moins, ici, je suis avec des jeunes… Pourquoi, vous avez buté ce flic ?

Jeune – C’était l’amant de ma femme…

Vieux – Ah, oui, ce n’est pas de bol… Il aurait été charcutier, vous auriez pris trois ans. Et vous, qu’est-ce que vous faites, dans la vie ? Enfin, qu’est-ce que vous faisiez…

Jeune – J’étais horloger.

Vieux – Ah… Ici, il vaut mieux ne pas trop regarder sa montre… Moi, j’ai une Rolex. La précision suisse… C’est tout ce qu’ils m’ont laissé, je ne sais pas pourquoi. Enfin, je m’en doute un peu… (Il regarde sa montre) À propos, je vais vous demander de m’excuser un instant, c’est l’heure du tirage…

Il prend une petite radio qu’il colle à son oreille.

Jeune (étonné) – Vous jouez encore au loto ?

Vieux – On ne se refait pas… Malheureusement, je ne peux plus aller au bureau de tabac pour valider mes bulletins.

Jeune – À quoi ça sert de jouer ? Si on ne peut plus miser…

Vieux – Pour passer le temps ! Je n’ai plus rien à gagner, vous l’avez dit… Mais on ne peut pas m’empêcher de jouer… Tenez, la semaine dernière j’ai eu quatre bons numéros…

Jeune – Combien ?

Vieux – 19 euros… Vous voulez faire une grille avec moi ? Ou alors, on fait une cagnotte, et on remise nos gains…

Air circonspect du jeune.

Vieux – Vous verrez, vous sortirez d’ici virtuellement milliardaire…

Noir.

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Face à face

L’un et l’autre se regardent à la dérobée.

Un – On se connaît…?

Deux – Je ne sais pas.

Un – Pardon, j’avais l’impression…

Deux – Non, non, ne vous excusez pas. Moi aussi. Votre tête me dit quelque chose…

Un – Où est-ce qu’on aurait pu se rencontrer…?

Deux – Vous habitez dans le coin ?

Un – Pas très loin. Et vous ?

Deux – Je promenais mon oiseau…

Un – On s’est peut-être croisé ici…

Deux – Ou ailleurs…

Silence.

Un – C’est curieux. J’ai vraiment l’impression qu’on se connaît…

Deux – On voit tellement de gens…

Un – Bon. Il va quand même falloir que j’y aille…

Deux – Content d’avoir fait votre connaissance.

Un – Au plaisir…!

Le premier s’apprête à s’en aller, mais se ravise.

Un – Ah, au fait, moi c’est Pierre… Au cas où on se revoit un de ces jours par ici…

Deux – Pierre ? Tiens, c’est marrant. Moi aussi…

Un – C’est un prénom assez courant…

Deux – Pierre comment ?

Un – Pierre Dumortier.

Deux – C’est pas vrai ? Comme moi !

Un – Alors on est des homonymes, comme qui dirait !

Deux – Mais ça ne nous dit toujours pas où on s’est déjà vu…

Un – Bon, ben alors, euh… Je vais y aller…

Deux – J’y vais aussi.

Un – Vous allez par où ?

Deux – Et vous ?

Un – Par là.

Deux – Après vous, je vous suis.

Un – Merci.

Ils s’en vont.

Un – Allez viens, Babac !

Deux – Pas possible ! C’est votre corbeau ?

Un – Oui, pourquoi ?

Deux – C’est le mien aussi !

Un – Je savais bien que votre tête me disait quelque chose…

Noir

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Plans de carrière

Plans de carrière

Elle et lui, une dizaine d’années (mais pouvant être joués par des adultes habillés comme des enfants), sont assis sur un banc, leurs sacs d’école posés à côté d’eux, dans ce qui pourrait être une cour de récréation. Ils restent un moment silencieux, plongés chacun dans ses pensées.

Lui – Vous avez eu les bulletins ?

Elle – Oui.

Lui – T’as combien de moyenne ?

Elle – Dix-sept.

Lui – Ah, ouais, quand même…

Elle – Et toi ?

Lui – Huit et demi.

Elle – C’est marrant…

Lui – Quoi ?

Elle – C’est la moitié.

Lui – La moitié de quoi ?

Elle – Huit et demi. La moitié de dix-sept.

Lui – Tu crois ?

Elle le regarde un peu étonnée, et renonce à répondre. Silence.

Lui – Qu’est-ce que tu veux faire, toi, quand tu seras grande ?

Elle – Je ne sais pas… (Un temps) J’hésite entre kinésithérapeute et péripatéticienne.

Lui – Ah, ouais, c’est cool… (Silence) C’est quoi, exactement, kinésithérapeute ?

Elle – Ben… Un type qui a une crampe, par exemple. Il appelle la kinésithérapeute, elle lui fait un massage…

Lui – Pour retirer sa crampe…?

Elle – Euh… Ouais…

Lui – Ah, ok… (Un temps) C’est une masseuse, quoi…

Elle – Ouais… Mais maintenant, ça s’appelle une kinésithérapeute.

Lui – C’est cool…

Elle – Ça vient du grec : « kinésie », le mouvement, et « thérapeute », qui soigne. Parce qu’il faut faire des études, quand même, pour être kinésithérapeute.

Lui – Des études de grec ?

Elle – De latin, plutôt. Pour savoir ce que c’est que le radius, le cubitus, le strato-nimbus, le romulus et rémus…

Lui – Le strato-nimbus ?

Elle – Je déconne.

Lui – Ah ouais, c’est cool… (Un temps) Et ça gagne bien kinésithérapeute ?

Elle – Nan… C’est ça le problème… C’est pour ça que j’hésite avec péripatéticienne…

Lui – Mmm… (Un temps) Péripatéticienne, c’est un peu comme esthéticienne, non ?

Elle – C’est ça… C’est une esthéticienne, mais qui pratique sous le périphérique. C’est pour ça qu’on appelle ça une péripatéticienne.

Lui – Ah, ok… (Un temps) Et ça gagne bien ?

Elle – Ma grande sœur, elle est péripatéticienne, et ma mère dit qu’elle gagne dix fois plus qu’elle.

Lui – Qu’est-ce qu’elle fait, ta mère ?

Elle – Rien.

Lui – Rien ?

Elle – ANPE.

Lui – Ah, ouais… Ça craint…

Elle – ASSEDIC.

Lui – Et ta sœur, ça lui plaît, comme métier, péripatéticienne ?

Elle – Je ne sais pas. Mon beau-père l’a foutue dehors juste après le brevet.

Lui – Ah, ouais… C’est pas cool…

Elle – Non.

Lui – Et ton beau-père, qu’est-ce qu’il fait ?

Elle – Rien…

Lui – Rien ?

Elle – Décédé.

Lui – Ah, ouais, quand même… Mais décédé, euh ? (Devant le silence de son interlocutrice) Ouah…

Elle – Et toi, qu’est-ce que tu veux faire quand t’auras ton bac ? Si tu l’as un jour…

Lui – J’hésite…

Elle – Entre quoi et quoi ?

Lui – Je ne sais pas.

Elle – Qu’est-ce qu’ils font tes vieux ?

Lui – Mon père est prof de grec.

Elle – Et ta mère ?

Lui – Prof de grec.

Elle – Génial…

Lui – Ils veulent que je sois prof de latin.

Elle – De latin ?

Lui – Ils disent que prof de grec, j’aurais jamais le niveau.

Elle – Cool…

Lui – Il n’y a pas de chômage. C’est la fonction publique.

Elle – Et ça gagne bien, prof de grec ?

Lui – Je ne sais pas…

Elle – Plus que péripatéticienne ?

Lui – Pareil.

Elle – Mais il faut faire des études…

Lui – Il y a un concours… Il n’y a pas de concours pour être péripatéticien ?

Elle – Ma sœur, elle a commencé avec le brevet.

Lui – Ah, ouais… C’est cool ça…

Ils restent un moment silencieux.

Lui – Oh, putain…

Elle – Quoi ?

Lui – Huit et demi… Mes parents vont me tuer, c’est clair…

Elle – T’as qu’à leur dire ça.

Lui – Quoi ?

Elle – À tes vieux. En rentrant, tu leur dis que tu veux être péripatéticien. Comme ça ils te foutront la paix.

Lui – Tu crois ?

Elle – Ben ouais…

Lui – Ah, ouais…

Elle – Il faut juste le brevet.

Lui – Ouais, c’est pas con… (Il regarde sa montre) Bon, il faut que j’y aille, sinon ils vont vraiment me tuer…

Elle – Ok. Tu me raconteras.

Lui – Quoi ?

Elle – Tes vieux. Pour ton projet professionnel. Qu’est-ce qu’ils en pensent…

Lui – Ah, ok… C’est cool… Merci du tuyau, en tout cas…

Lui s’éloigne.

Elle – Alors lui, il est vraiment trop con.

Noir

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Pause

Un personnage est sur scène, désœuvré. Un autre arrive et l’interpelle.

Un – Bonjour.

Deux – Salut.

Un – Je suis l’auteur. Je fais une petit break.

Deux – Un break ? (Sur un ton de reproche) Le spectacle vivant, c’est comme la vie. Il n’y pas de touche pause…

Un – Il n’y a même pas de coupure publicitaire…

Il sort un paquet de cigarettes et le tend à l’autre.

Un – Vous en voulez une ? Pour tuer le temps… Ça nuit gravement, mais ça règle le problème des retraites.

Deux – Merci. Je ne fume pas.

Un – Ah… Excusez-moi.

Il range son paquet de cigarettes.

Un – Vous êtes au chômage…?

Deux – Par intermittence.

Un – Et vous ne vous ennuyez jamais ?

Deux – Vous savez ce qu’on dit…

Un (soupirant) – Le plus dur, dans ce métier, c’est d’attendre.

Silence.

Deux – Ça sera dans la pièce ?

Un – Quoi ?

Deux – Ce qu’on est en train de dire.

Un – Ah, euh… Je ne sais pas encore. Ça dépend.

Deux – De quoi ?

Un – De l’intérêt de notre conversation, j’imagine. Vous avez quelque chose d’intéressant à dire ?

Deux – C’est vous l’auteur.

Un – Ouais.

Deux – Enfin, c’est vous qui le dites.

Un – Ouais…

Silence.

Deux – Vous écrivez plutôt la nuit ?

Un – Non, pourquoi ?

Deux – Vous avez l’air un peu fatigué…

Un – Je me couche tôt, je me lève tard. J’écris surtout en fin de matinée. Des fois, quand je suis inspiré, je m’y remets un peu après la sieste. (Il regarde sa montre)D’ailleurs, ce n’est pas que je m’ennuie, mais il va falloir que j’y retourne.

Deux – Oui, je crois.

Un – Merci de m’avoir tenu compagnie. Ça m’a fait plaisir de discuter un moment avec vous.

L’auteur tend la main à l’autre pour la lui serrer. L’autre hésite un instant, et lui serre la main.

Un – Vous avez la main froide.

Deux – Vous êtes vraiment auteur ?

Un – Pourquoi ?

Deux – Ça pédale un peu dans la semoule, non ?

Un – Vous ne m’aidez pas tellement… Oui, je sais, c’est moi l’auteur. Mais il paraît que quand on a un bon personnage, il suffit de le laisser parler…

Deux – Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage… Et puis le théâtre dans le théâtre… Ça a déjà été beaucoup fait, non ? Quand un auteur se met à parler boutique… C’est qu’il n’a plus rien à dire, non ?

Un (ne trouvant rien à répondre) – Bon… (En sortant, un peu déprimé, pour lui-même) Je crois que je ne vais pas la garder, cette scène-là…

Noir.

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Temps pis

Elle est assise, en train de lire un livre. Il approche très hésitant.

Lui – Euh… Excusez-moi de vous importuner, mais…

Elle – Oui ?

Lui – Je… me demandais si… vous accepteriez de… me donner l’heure, s’il vous plaît.

Elle – Désolée, mais ma montre s’est arrêtée.

Lui – Ah…

Elle – La pile, sans doute.

Lui – C’est ennuyeux…

Elle – Oui.

Lui – Bon, alors je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

Elle – Mmm…

Il s’apprête à s’en aller, mais se ravise.

Lui – Vous pourriez peut-être quand même me dire quelle heure il était quand votre montre s’est arrêtée ?

Elle – Euh, oui, pourquoi pas…

Lui – Ça me donnerait déjà une idée…

Elle – Une idée ?

Lui – Une idée… de l’heure qu’il est maintenant.

Elle – Ah, oui…

Lui – Par exemple, je ne sais pas moi… Si votre montre s’est arrêtée à trois heures vingt-huit, je saurais déjà qu’il est plus de trois heures vingt-huit…

Elle (vérifiant) – Ma montre s’est arrêtée à trois heure et demie…

Lui – Merci infiniment, ça me donne déjà une indication… Je sais maintenant avec certitude qu’il est plus de trois heures trente…

Elle – Oui…

Lui – Encore une fois, pardon de vous avoir dérangée…

Elle – Pas de quoi.

Il s’apprête à repartir, mais se ravise à nouveau.

Lui – Vous êtes sûre que votre montre est bien arrêtée, au moins…

Elle – Ah, oui, quand même…

Lui – Excusez-moi, mais… Comment pouvez-vous en être absolument certaine ?

Elle – Je ne sais pas, je…

Lui – Parfois, il arrive qu’on ait l’impression que le temps ne passe pas très vite… Ou même pas du tout… Momentanément, en tout cas…

Elle – C’est vrai, mais…

Lui – Quand on s’ennuie, par exemple…

Elle – Euh, oui…

Lui – On regarde sa montre, on a l’impression qu’elle est arrêtée, alors qu’en fait…

Elle – Mmm…

Lui – Vous… vous êtes beaucoup ennuyée en attendant ?

Elle – En attendant quoi ?

Lui – Je ne sais pas, je… Je ne me permettrais pas de vous demander ce que vous attendez… ou qui.

Elle – Pas spécialement… J’ai mon bouquin…

Lui – Alors je suis désolé pour vous mais dans ce cas, je crains fort que votre montre soit vraiment en panne…

Elle – Oui… Ça fait une bonne demi-heure qu’elle indique trois heures et demie… Je crois qu’il n’y a pas aucun doute là dessus…

Lui – Attendez… Une demi-heure, vous dites ?

Elle – À peu près, oui…

Lui – Comment le savez-vous ?

Elle – Eh bien… J’ai eu le temps de lire trois chapitres de mon bouquin…

Lui – Dans ce cas, si votre montre s’est arrêtée sur trois heures trente, il y a de cela une demi-heure, ça veut dire qu’il est à peu près quatre heures maintenant.

Elle – Oui, pas loin, sans doute…

Elle – Et vous savez d’expérience que ça vous prend exactement dix minutes pour lire un chapitre ?

Elle – Pas exactement… Ça dépend de la longueur des chapitres…

Lui – Ah… Et vu l’épaisseur de votre livre, je suppose que ceux-ci doivent être sensiblement plus longs que la moyenne…

Elle – Oui, peut-être…

Lui – Mmm… Donc il pourrait très bien être un peu plus de quatre heures.

Elle – Ah, ça certainement pas !

Lui – Non ? Qu’est ce qui vous permet d’affirmer cela ?

Elle – Eh bien… J’ai rendez-vous avec quelqu’un, en effet…

Lui – Ah…

Elle – À quatre heures précise, justement…

Lui – Je vois… Mais… votre rendez-vous pourrait être en retard.

Elle – Ah, je ne crois pas, non.

Lui – Et pourquoi cela ?

Elle – C’est un premier rendez-vous… Un homme n’arrive jamais en retard à un premier rendez-vous, n’est-ce pas ? En général…

Lui – En général, une femme n’arrive pas en avance non plus à un rendez-vous. Surtout le premier…

Elle – Ah, oui ? Et pourquoi cela ?

Lui – Pour ne pas avoir l’air complètement désespérée, j’imagine…

Elle – Oui, bien sûr…

Lui – Or, vous m’avez dit que vous étiez là depuis une bonne demi-heure, n’est-ce pas ?

Elle – Oui…

Lui – Vous voyez bien qu’en l’occurrence, on ne peut pas se fier aux généralités…

Elle – C’est vrai… Et pourquoi est-ce que vous avez tant besoin, vous même, de savoir l’heure qu’il est ?

Lui – J’ai rendez-vous à quatre heures, moi aussi. Et comme je suis quelqu’un de très ponctuel…

Elle – Quand on est très ponctuel, il vaut mieux avoir une montre, non ?

Lui – Ah, mais j’en ai une !

Elle – Et elle est en panne, elle aussi…

Lui – Non ! Enfin je ne crois pas…

Elle – Alors pourquoi me demandiez-vous l’heure ?

Lui – Mais… pour vérifier que ma montre n’était pas arrêtée, justement. Comme la vôtre.

Elle – Alors vous allez pouvoir me dire quelle heure il est.

Lui – Mais parfaitement… Il est exactement quatre heures zéro six… Vous pouvez me faire confiance, c’est une montre suisse…

Elle – Merci…

Lui – Je l’ai depuis des années… C’est mon parrain qui me l’avait offerte pour ma première communion… Il est mort depuis d’un arrêt du cœur, mais la montre elle… Jamais une seule panne depuis que je l’ai !

Elle – Et quand les piles sont à plat ?

Lui – Il n’y a PAS de pile ! Je la remonte tous les soirs à vingt heures précises !

Elle – Bon, eh bien… Merci de m’avoir donné l’heure…

Elle se lève.

Lui – Vous partez déjà ?

Elle – Quatre heures zéro six, vous dites. Je ne voudrais pas avoir l’air de l’attendre. Nous avions rendez-vous à quatre heures…

Lui – Je comprends… Alors au revoir… Et… excusez-moi encore de vous avoir dérangée…

Elle s’en va. Il reste seul.

Lui – Je vais l‘attendre encore cinq minutes… Disons… jusqu’à quatre heures onze… Mais moi non plus, je n’aime pas beaucoup les femmes qui sont en retard… Surtout pour un premier rendez-vous…

Noir.

Temps pis Lire la suite »