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Le piège

Deux personnages se font face.

Un – Alors c’est décidé, tu veux te débarrasser d’elle ?

Deux – Je ne vois pas d’autres solutions. J’ai tout essayé, je t’assure.

Un – On parle de tuer, là. Il n’y a pas de retour en arrière. C’est définitif.

Deux – Je sais.

Un – Tu te sens de vivre avec ça sur la conscience pendant le restant de tes jours ?

Deux – J’en assume la responsabilité, mais je ne suis pas capable de le faire. Tu serais d’accord pour t’en occuper ?

Un – Ce ne sera pas gratuit, évidemment.

Deux – Évidemment.

Un – Quand on ne veut pas se salir les mains, il y a un prix à payer.

Deux – Combien ?

Un – Je te ferai un prix d’ami, rassure-toi.

Deux – OK. Et comment est-ce que tu comptes t’y prendre ?

Un – Tu es sûr de vouloir le savoir ?

Deux – Je préférerais qu’elle ne souffre pas.

Un – Je vais lui tendre un piège.

Deux – Bon… Si tu crois que c’est le plus efficace…

Un – Tu pensais à quoi ? Une arme à feu ?

Deux – Je ne sais pas…

Un – J’ai mes principes, moi aussi. Avec une arme, ce serait vraiment un crime. Le piège, c’est une sorte de compromis entre l’accident et le meurtre. Entre le suicide involontaire et l’homicide hasardeux.

Deux – Pourtant le piège implique bien une intention de tuer…

Un – Oui, mais il requiert aussi le concours de la victime. Si ce n’est son approbation tacite, du moins sa participation fortuite.

Deux – Vraiment ?

Un – Quand on tire sur quelqu’un avec un revolver, on ne lui laisse aucune chance. Avec un piège, la victime a toujours la possibilité de l’éviter. Le meurtrier fait la moitié du chemin, et la victime l’autre moitié.

Deux – À son insu.

Un – En tout cas inconsciemment.

Deux – Bon… Et c’est quoi, ton piège, exactement ?

L’autre sort de sa poche une tapette à souris et lui montre.

Un – Ça.

Deux – Une tapette à souris ?

Un – En plus grand, évidemment.

Deux – Et c’est toi qui vas la construire ?

Un – Ce n’est pas une technologie très sophistiquée, non plus. Si tu respectes les proportions.

Deux – Bon…

Un – Évidemment, il y aura quelques frais en plus…

Deux – Et tu comptes l’attirer avec quoi ? Pas avec du fromage, j’imagine…

Un – Ça dépend… C’est quel genre de souris ?

Deux – Le genre souris de luxe.

Un – Dans ce cas, il y aura aussi un petit supplément pour l’appât.

Deux – Bon… Du moment que tu m’en débarrasses.

Pour de vrai et pour de rire

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La fête des morts

Une tombe, avec un portrait du défunt et une plaque « À la mémoire de Jacky ». Par terre un vieux journal. Deux personnages arrivent l’un après l’autre, chacun avec un pot de fleurs, qu’ils déposent maladroitement devant la tombe. Ils semblent ne pas se connaître, et ils ont l’air embarrassés. Silence.

Un – Toutes mes condoléances.

Deux – Merci…

Un – Vous êtes de la famille, sans doute…?

Deux – Euh… non, pas vraiment. Et vous ?

Un – Moi non plus.

Ils regardent autour d’eux pour vérifier qu’ils sont bien seuls.

Deux – On est peut-être en avance.

Un – Oui…

Deux – Ou en retard.

Un – C’est étonnant qu’on soit si peu nombreux.

Deux – Pourtant… c’était quelqu’un de très apprécié.

Un – Oui.

Deux – Vous le connaissiez ? Enfin, je veux dire… vous le connaissiez bien ?

Un – Pas plus que ça, en fait… Et vous ?

Deux – Moi non plus. D’ailleurs, je vous avoue que je ne sais pas très bien ce que je fais là.

Un – C’est toujours un peu ce qu’on se dit quand on assiste à un enterrement, non ?

Deux – Oui… On vient pour faire plaisir et puis… on finit par se demander ce qu’on fait là.

Un – Pourtant, je m’étais bien juré de ne plus assister à aucun enterrement.

Deux – Oui, moi aussi… Sauf le mien, évidemment.

Un – On a quand même bien fait de venir… sinon il n’y aurait eu personne.

Un temps.

Deux – C’est bien triste…

Un – Ce n’est pas un âge pour mourir, c’est sûr.

Deux – Il avait quel âge, exactement ?

Un – Exactement… je ne sais pas. Mais il n’était pas si vieux que ça, non ? D’après sa photo, en tout cas…

Deux – C’est peut-être une vieille photo.

Un – Peut-être… Vous avez remarqué ? Quand on met une photo sur une tombe, en général, on choisit une photo du défunt quand il était encore jeune et en bonne santé.

Deux – C’est vrai. Une photo de lui avant sa maladie ou… son accident.

Un – Ou… sa décrépitude.

Un temps.

Deux – D’ailleurs, il est mort de quoi, au juste ?

Un – Ah, je ne sais pas…

Deux – Ce qu’on sait, c’est qu’il est mort.

Un – C’est même la seule chose qu’on sait de lui avec certitude.

Silence.

Deux – Elles sont très belles, vos fleurs.

Un – Les vôtres aussi.

Deux – Ce sont les mêmes, non ?

Un – On a dû les trouver au même endroit.

Deux – Oui…

Un – J’ai trouvé les miennes sur une tombe, pas très loin d’ici. Je n’avais pas pensé à acheter des fleurs alors… j’ai pris celles-ci en passant.

Deux – Ah, oui…

Un – Et vous ?

Deux – Pareil. Je n’avais pas d’argent sur moi… Je les ai ramassées sur une tombe, un peu plus loin, là-bas.

Un – Les fleurs, c’est devenu tellement cher, de nos jours.

Deux – Et puis bon, celui à qui on les a volées n’ira pas se plaindre à la police.

Le regard de l’autre tombe sur le journal, par terre.

Un – Je ne sais pas ce qu’il fait là, ce journal… Ils auraient pu le ramasser…

Il ramasse le journal et regarde la une.

Deux – Il n’est pas très bien entretenu, ce cimetière. Je ne sais pas s’il y a un gardien. N’importe qui peut voler des fleurs sur la tombe d’un inconnu.

Un – Tiens c’est curieux, il y a sa photo en première page…

Deux – Sa photo ?

Un – C’est au sujet de sa disparition…

Deux – Et alors ? Il est mort comment ?

L’autre parcourt l’article.

Un – Un carambolage, apparemment.

Deux – Ah oui…?

Un – Il avait trois grammes d’alcool dans le sang, il roulait trop vite, il a franchi une ligne jaune, et il a pris de plein fouet la voiture qui venait en face.

Deux – Ah merde.

Un – Celle qui venait juste derrière n’a pas eu le temps de freiner non plus.

Deux – Plusieurs victimes, donc…

Un – Avec lui, ça fait trois.

Deux – Tout ça à cause d’un chauffard…

Un – Si j’avais su… je ne suis pas sûr que je serais venu.

Deux – Non, moi non plus…

Un – Mais est-ce qu’on avait le choix ?

Ils échangent un regard énigmatique. Nouveau silence. Un troisième personnage apparaît.

Deux – Ah… voilà quelqu’un d’autre.

Un – La famille, sans doute.

Le troisième personnage s’approche. C’est celui dont on voit le portrait sur la tombe.

Deux – Ça doit être son frère, il lui ressemble un peu.

Trois – Bonjour… Merci d’être là… Enfin, je veux dire…

Deux – Non, non… C’est normal.

Ils se recueillent un instant en silence.

TroisVous ne m’en voulez pas trop, j’espère…

Les deux autres échangent un regard étonné.

UnPourquoi est-ce qu’on vous en voudrait? Ce n’est pas vous qui l’avez tué, j’imagine…

TroisNon bien sûr… Encore que, d’une certaine façon…

UnAh oui…?

TroisEn tout cas, merci pour les fleurs.

DeuxIl n’y a pas de quoi, je vous assure…

UnC’est la moindre des choses… (Un temps) Vous êtes… Enfin vous étiez…

Deux – Vous le connaissiez bien…?

Le troisième personnage semble un peu surpris.

Trois – Oui, on peut dire ça.

Deux – C’est vraiment trop bête de partir comme ça… Aussi jeune…

Trois – Oui…

Un – Sans parler des deux autres victimes, qui n’avaient rien demandé à personne.

Deux – L’alcool au volant, quel fléau… On ne le dira jamais assez…

Malaise.

Trois – Enfin, maintenant, on ne peut rien y changer, alors à quoi bon se lamenter ? (Un temps) Je vous sers quelque chose ?

Un – Pardon ?

Trois – Un rafraîchissement ? Une coupette…

Moment de flottement.

Deux – Va pour une coupette. Après tout, ça nous remontera un peu le moral…

Trois – Et puis maintenant, qu’est-ce qu’on risque ?

Le troisième personnage repart.

Un – Pourquoi pas…? Ça se fait de boire un verre à la santé du défunt, non ?

Deux – Vous voulez dire à sa mémoire, sans doute. Parce que boire à la santé d’un mort…

Un – Oui, bien sûr…

Deux – Et puis généralement, on ne trinque pas directement sur sa tombe, si ?

Un – Je crois qu’ils font ça, au Mexique, le jour de la Fête des Morts.

Deux – C’est vrai… mais on n’est pas au Mexique.

Un – Et puis ce n’est pas la Fête des Morts.

Deux – Vous êtes sûr ?

Un – De quoi ?

Deux – Que ce n’est pas la Fête des Morts.

Un – Je ne sais pas…

Deux – En tout cas, on n’est pas au Mexique… Si…?

Silence. Le troisième revient avec trois coupes de champagne sur un plateau, qu’il tend aux autres avec un large sourire. Il tient dans l’autre main une bouteille de champagne, qu’il pose sur la tombe.

Trois – Allez-y, je vous en prie…

Chacun prend une coupe.

Deux – Merci.

Ils semblent tous un peu embarrassés.

Un – Bon, alors à la mémoire de… (Vérifiant sur la plaque) Jacky.

Trois – C’est ça.

Ils lèvent leurs verres, avant de les vider.

Deux – Il est bien frais.

Un – Oui, c’est du bon.

Le deuxième saisit la bouteille et regarde l’étiquette, intrigué.

Deux – Madame Clicquot…?

Trois – Ici, les veuves, ça n’existe plus… Au cimetière, tous les couples finissent par se retrouver un jour ou l’autre.

Un – Bien sûr…

Moment de flottement. Ils boivent à nouveau.

Trois – Ce serait encore meilleur avec des canapés, non ?

Deux – Ne vous dérangez pas, on va rester debout.

Un instant déconcerté, le troisième affiche ensuite un large sourire.

Trois – Ah oui ! Non, je voulais dire, des canapés…

Deux – Oui, j’avais compris… Je plaisantais…

Trois – Je vais les chercher…

Le troisième sort à nouveau, en emportant le plateau.

Un – Des canapés… C’est dingue, non ?

Deux – Oui…

Un – Qu’est-ce qu’il a voulu dire avec son histoire de veuve ?

Deux – Je ne sais pas…

Un – Remarquez, c’est sympa, cet enterrement, non ?

Deux – Oui, ça ressemble un peu à un barbecue entre amis.

Un – Sauf que personne ne se connaît.

Deux – Je n’ai pas bien compris qui c’était… Je veux dire, par rapport au défunt.

Nouveau silence. Il regarde la tombe, et donc le portrait.

Un – Il lui ressemble un peu, non ?

Deux – Je dirais même qu’il lui ressemble beaucoup…

Un – Vous croyez que c’est lui ?

Deux – Comment ça pourrait être lui ? Il est mort…

Un – Je ne sais pas.

Le troisième revient avec cette fois des canapés sur son plateau.

Trois – Et voilà ! Je vous en prie, servez-vous…

Un – Merci.

Ils se servent chacun leur tour.

Deux – Je crois que je vais goûter celui-là.

Un – Oui, ils sont très bons.

Deux – Et puis c’est original, ces canapés, en forme de…

Un – En forme de cercueils.

Trois – Je me suis dit que pour cette occasion…

Deux – Oui…

Ils mâchent leurs canapés.

Un – Ça donne soif…

Trois – Je vais chercher sa petite sœur…

Deux – Sa petite sœur ?

Trois – Une autre bouteille !

Un – Ah, oui…

Il sort à nouveau. Les autres regardent le portrait.

Deux – C’est vraiment lui, non ?

Un – On dirait bien.

Deux – Alors il ne serait pas mort ?

Un temps.

Un – Ou alors, c’est qu’on est morts aussi.

Deux – Oui…

Ils échangent un regard embarrassé.

UnExcusez-moi un instant… (Il s’éloigne un moment et revient) C’est dingue…

Deux – Quoi ?

Un – Il y a la mienne aussi…

Deux – La vôtre ?

Un – Ma tombe.

Deux – Vous êtes sûr ?

Un – Il y a mon nom gravé sur la pierre tombale.

Deux – Ah, oui…

Un – Et puis il y a mon portrait. Quand j’étais plus jeune…

Deux – C’est laquelle ?

L’autre lui désigne une tombe du doigt.

Un – C’est la tombe sur laquelle j’ai pris ce pot de fleurs. Je n’avais pas fait attention…

Silence.

Deux – Dans ce cas… il y a sûrement la mienne aussi.

Un – Possible… (Un temps) Donc, ce n’est pas… un pot de départ.

Deux – Ce serait plutôt un pot de bienvenue.

Un – Pour ne pas dire une pendaison de crémaillère.

Silence.

Deux – Vous vous en souvenez, vous ?

Un – De quoi ?

Deux – Ben… Comment on est morts…

Un – Je ne suis pas sûr, mais…

Il reprend le journal et regarde à nouveau l’article.

Deux – Qu’est-ce qu’il y a ?

Un – Il y a une photo de l’accident.

Deux – Et alors  ?

Un – Les bagnoles ne sont plus que des tas de ferraille mais… je me demande si je ne reconnais pas ma Twingo rouge, là…

Deux – Faites voir… (Il prend le journal et regarde.) Ah oui… je n’aurais pas reconnu la mienne, mais… c’est bien ma plaque d’immatriculation.

Un – Alors dans les voitures d’en face, c’était nous…

Deux – Apparemment…

Un temps.

Un – Et il espère se faire pardonner avec son champagne Madame Clicquot…

Deux – Et ses petits fours en forme de cercueils.

Un – Il ne manque pas de culot…

Deux – Je vais le tuer.

Un – Il est déjà mort.

Deux – Et nous aussi…

Le troisième revient, un large sourire sur les lèvres, et une autre bouteille de champagne à la main.

Trois – Je vous ressers ?

Les deux autres lui lancent un regard assassin.

Pour de vrai et pour de rire

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Opération du Saint-Esprit

Un homme, assis sur un lit. Il se lève, une valise à la main. Une femme arrive en combinaison façon extraterrestre.

Femme – Bonjour mon chéri.

Homme – Mais, je ne comprends pas… Où est passé la…

Femme – La Faucheuse ? Je l’ai envoyée nous chercher deux cafés au distributeur. Je ne pensais pas que ce serait aussi facile de s’en débarrasser. Mais nous n’avons pas de temps à perdre…

Homme – Alors c’était vrai ? Je suis vraiment marié ?

Femme – Aussi vrai que je suis une extraterrestre.

Homme – Mais enfin… comment est-ce possible ?

Femme – C’est une histoire un peu compliquée… En fait c’est ma mère qui… Mais je te raconterai ça pendant le voyage.

Homme – Quel voyage ?

Femme – Je vais t’emmener sur la planète d’où je viens.

Homme – Et alors, qu’est-ce qui va se passer ?

Femme – Crois-moi, nos hôpitaux sont beaucoup plus performants que celui-ci.

Homme – Et j’imagine qu’il n’y a aucun risque d’y croiser un interne roumain.

Femme – Aucune.

Il jette un regard autour de lui.

Homme – Et on ne reviendra jamais ici ?

Femme – Ne me dis pas que tu regretteras cet endroit.

Homme – Je commençais à m’habituer.

Femme – Si tu préfères attendre que la Faucheuse revienne du Service de Psychiatrie avec son thermos et sa faux en plastique. Après tout, tu as déjà reçu l’extrême-onction. Tu peux tenter le coup avec le curé…

Homme – Je n’ai pas trop confiance… Le pari de Pascal… Je n’ai jamais eu de chance avec les paris. D’ailleurs je n’ai jamais eu de chance en général. Même l’opération de la dernière chance, je l’ai ratée, alors l’opération du Saint-Esprit.

Femme – Tu préfères t’en remettre à une extraterrestre ?

Homme – Si elle ressemble à ma femme, pourquoi pas ? Donc on ne reviendra jamais…

Femme – Si, un jour peut-être. Mais pas tout de suite.

Homme – Dans très longtemps, tu veux dire ?

Femme – Le temps… C’est ça qu’il va falloir oublier… Maintenant, il faut y aller, je vois l’autre qui s’impatiente, là-bas, avec sa vraie faux en plastique…

Homme – Elle va être déçue, c’est sûr. Je lui avais juste dit que j’allais pisser…

Femme – Elle s’imagine qu’après leur mort, les gens montent directement au Ciel, accompagné par leur ange gardien. On n’a pas voulu la contrarier.

Homme – Et finalement, dans mon cas, elle n’a pas tout à fait tort. Sauf que l’ange gardien, c’est une martienne.

Femme – C’est pour ça que je préfère qu’on soit partis avant qu’elle revienne. Dieu, c’est comme le Père Noël, c’est le jour où on le voit qu’on n’y croit plus. (Elle lui tend la main.) On y va ?

Homme (hésitant) – Il y aura ma mère aussi, là-bas ?

Femme – Je t’ai dit… Ce n’est pas le paradis… Il y aura même la Vierge Marie.

Homme – Je ne pensais pas entendre ça un jour. Je me demande quand même si je ne suis pas devenu fou.

Femme – La vie est une longue thérapie dont on ne sort pas toujours guéri.

Homme – C’est aussi une longue maladie dont on sort toujours mort. Ça consiste en quoi, cette opération ?

Femme – Une transplantation de cerveau.

Homme – Ah… Il vaudrait mieux faire une sauvegarde, alors…

Femme – On va te transplanter un cerveau martien. Malheureusement, on ne pourra pas récupérer les données que tu as actuellement en mémoire.

Homme – Bon… Remarque, je ne me souvenais déjà de presque rien. Et puis je n’avais pas que de bons souvenirs, non plus. Après tout, ce n’est pas si grave. Non, je ne regrette rien. Je repars à zéro…

Femme – Ça me rappelle une chanson…

Homme – Avec toi… J’irais jusqu’au bout du monde… Si tu me le demandais…

Elle lui prend la main.

Femme – Alors allons-y…

Ils sortent.

Même pas Mort

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Dernier voyage

Un homme dans le lit. Arrive une femme. Elle est en noir. Et elle porte une faux.

Femme – Alors, cher Monsieur ? C’est l’heure du grand départ ? Je ne vois pas votre petite valise. Entre nous, vous n’en aurez nul besoin là où vous allez, mais il paraît que ça rassure…

Homme – C’est une vraie faux ?

Femme – Ah ça ? Non, pensez-vous… C’est une fausse. C’est en plastique. Regardez !

Elle prend la lame et la tord.

Homme – D’accord.

Femme – Non, vous pensez bien… Une vraie faux… Quelqu’un pourrait se blesser.

Homme – Surtout dans un hôpital.

Femme – La faux, c’est juste un symbole. Comme un balai pour une sorcière ou une crosse pour un évêque. Pour qu’on nous reconnaisse au premier coup d’œil dès qu’on nous voit.

Homme – C’est vrai que je vous ai tout de suite reconnue.

Femme – Ça nous évite au moins d’avoir à nous présenter. Vous imaginez un peu la scène… Bonjour, je suis la Mort. Je viens pour couper le peu de souffle qui vous reste, après que le comptable de cet hôpital vous ait fauché le peu de blé que vous aviez encore.

Homme – Au moins, vous ne manquez pas d’humour…

Femme – Avec nous, vous n’allez pas vous ennuyer, vous verrez. Alors vous êtes prêt ?

Homme – Mon Dieu… Aussi prêt qu’on peut l’être. Et qu’est-ce que je dois faire, au juste ?

Femme – Vous rien. Moi j’ai juste à éteindre la lumière…

Homme – C’est vous qui m’accompagnez pour ce dernier voyage ?

Femme – Non, rassurez-vous. Je ne suis que le messager, si on peut dire. Ou le facteur, si vous préférez. Je viens pour le recommandé avec avis de réception. Après…

Homme – D’accord… Vous me donnez encore une minute ?

Femme – Si vous vous voulez aller pisser une dernière fois avant de partir, c’est maintenant. Après, vous n’aurez plus ce qu’il faut pour le faire. Croyez-moi, il arrive un âge où ça n’a pas que des inconvénients.

Même pas Mort

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Jugement dernier

Dans un lit, un homme s’éveille. Une femme arrive en blouse blanche.

Femme – Bonjour Monsieur.

Homme – Bonjour Docteur.

Femme – Cette fois, je ne vous demande pas si ça va. C’est le genre de question qu’on pose machinalement, avant de se rendre compte qu’on n’aurait pas dû.

Homme – Vous n’auriez pas vu un notaire sortir de cette chambre avec un testament signé à l’encre invisible ?

Femme – Mon cher Monsieur, je crois qu’au stade où nous en sommes… Je veux dire, au stade terminal où vous en êtes… Il est inutile de se voiler la face, n’est-ce pas ?

Homme – Dois-je comprendre que vous n’avez toujours pas de bonnes nouvelles à m’annoncer ?

Femme – Vous nous devez encore pas mal d’argent. Je vous dois au moins la vérité. C’était, comme on dit, l’opération de la dernière chance. Hélas l’opération n’a pas marché. J’en suis vraiment désolée.

Homme – Ça ne m’étonne pas. Je n’ai jamais eu de chance…

Femme – N’ayez aucun regret. Dans notre jargon, quand on parle d’opération de la dernière chance, on veut dire une opération qui n’a aucune chance de réussir.

Homme – Je comprends.

Femme – Le coup de l’opération de la dernière chance, c’est juste un truc de médecin pour faire patienter la famille, et le patient lui-même, en attendant l’issue fatale.

Homme – Oui, je crois avoir compris l’idée générale…

Femme – Vous en connaissez beaucoup, vous, des malades qui s’en sont sortis après l’opération de la dernière chance ?

Homme – Non, je l’avoue…

Femme – Et voilà… Et comme on ne peut pas croire que tous les malades soient malchanceux à ce point…

Homme – Donc, je suis condamné.

Femme – Je n’emploierais pas des termes aussi brutaux, mais… Oui, cher Monsieur, l’heure est venue de faire le bilan de votre vie… et de régler vos comptes avec la société. À commencer par celle qui est actionnaire majoritaire dans cet hôpital….

Homme – Je vous remercie pour votre franchise, Docteur Ionesco.

Femme – Malheureusement, je vais devoir vous demander de cesser de m’appeler Docteur.

Homme – Ah oui ?

Femme – Après avoir réexaminé mes diplômes, et le taux de mortalité dans mon service de chirurgie, la direction de cet hôpital a jugé préférable de me réaffecter à la comptabilité.

Homme – Je comprends, mais alors… que venez vous faire ici, au juste.

Femme – Eh bien… Quand je parlais de solde de tout compte, ce n’était pas une métaphore… Je viens pour la petite note, cher Monsieur… Vous allez nous quitter, certes, mais vous ne pensez tout de même pas qu’on va vous laisser partir sans payer ? Et ce n’est pas avec votre mutuelle… On ne vous a jamais conseillé de prendre une sur-complémentaire ?

Homme – Et si je n’ai pas les moyens de payer ?

Femme – Cela pourrait nuire gravement au salut de votre âme. Vous savez, maintenant… notre Service de Recouvrement est d’une redoutable efficacité.

Homme – Plus que votre Service de Chirurgie, en tout cas.

Femme – Disons que… les Roumains que nous employons dans cet hôpital sont beaucoup plus efficaces dans le domaine du recouvrement de créance que dans celui la chirurgie du cerveau… Et nos actionnaires ont désormais des connexions très haut placées.

Homme – Vous voulez dire… là-haut ?

Femme – Que voulez-vous ? Les fonds souverains qui nous gouvernent étaient déjà gérés par des morts-vivants. Ils ont commencé à racheter les maisons de retraite, les hôpitaux, les églises, les cimetières… Assez logiquement, ils ont fini par prendre des participations au paradis et en enfer.

Homme – Et donc ?

Femme – Donc c’est à vous de choisir… Mais sachez que les mauvais payeurs sont très mal vus au paradis.

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Nouveau testament

Un homme dans le lit, le regard dans le vague. Une femme arrive, dans une tenue assez stricte, un cartable à la main.

Femme – Bonjour Monsieur. Désolée, je suis un peu en retard. Un petit contretemps.

Homme – On se connaît ?

Femme – Pardon, j’oubliais. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Je suis Maître Colombin, votre notaire.

Homme – Maître Colombin ?

Femme – Ce nom vous évoque quelque chose ?

Homme – Laissez-moi réfléchir… Colombin, colombien, Colombine, columbarium… Colombin… Non, décidément, la première l’idée qui me vient à l’esprit, c’est que je suis vraiment dans la merde.

La femme ouvre son cartable et en sort quelques papiers.

Femme – À ce propos, justement. Comme convenu, j’ai préparé les documents que vous m’avez demandés.

Homme – Ah oui…?

Femme – Je parle de votre testament, vous vous souvenez ?

Homme – Non.

Femme – De toute façon, c’est toujours une bonne chose de mettre ses affaires en règle. Au cas où…

Homme – Oui, un curé m’a dit ça aussi il n’y a pas très longtemps.

Femme – Personne n’est éternel, n’est-ce pas ? Moi-même, en venant ici, j’ai eu un petit accrochage avec ma voiture. Un chauffard. Ç’aurait pu être beaucoup plus grave. C’est d’ailleurs la raison de mon retard.

Homme – C’est donc pour ça que le notaire arrive après le curé. Ça m’étonnait aussi…

Femme – Le temps de signer le constat… Cet imbécile ne voulait pas reconnaître qu’il était en tort. C’était un curé, justement… Comme quoi un curé peut aussi être de mauvaise foi….

Homme – Un curé qui bizarrement, ressemblait aussi beaucoup à ma femme, j’imagine.

Femme – Mais je ne voudrais pas vous retenir trop longtemps. Et quant à moi, tout ça m’a mis très en retard… (Elle lui tend une liasse de feuilles et un stylo.) Voilà, si vous voulez bien parapher et signer. Bien entendu, vous n’êtes pas obligé de tout lire.

L’homme hésite un peu avant de prendre le document et le stylo.

Homme – Bon, j’imagine que je n’ai pas le choix. J’ai l’impression de signer mon arrêt de mort…

Il essaie de signer mais s’interrompt après quelques essais infructueux.

Femme – Un problème.

Homme – Votre stylo ne marche pas.

Femme – Faites-voir… (Elle se penche sur le document.) Ah, non… C’est juste que… j’avais oublié de vous prévenir. C’est de l’encre invisible.

Homme – De l’encre invisible ?

Femme – Du jus de citron, si vous préférez.

Homme – D’accord…

Femme – Allez-y, signez. (Pendant qu’il paraphe et qu’il signe) Vous comprenez, les notaires ne sont pas toujours les bienvenus dans les Unités de Soins Palliatifs.

Homme – Comme c’est étrange.

Femme – Pourtant, on y fait même venir des clowns, m’a-t-on dit. Dans l’espoir d’abréger les souffrances de certains patients en les faisant mourir de rire. Personnellement, je trouve qu’il n’y a rien de plus triste qu’un clown, pas vous ?

Homme – Un notaire, peut-être…

Femme – Le cirque en général. C’est d’un sinistre. J’ai toujours trouvé que ça puait la mort. Sans oublier les fêtes foraines, évidemment.

Homme – Vous me parliez de jus de citron, je crois…

Femme – Que voulez-vous ? Il y a toujours des gens plus méfiants que les autres. Certains proches se demandent si on ne va pas faire signer n’importe quoi à leur parent sur son lit de mort, pour le délester de ses économies et les priver de leur héritage.

Homme – Donc si vous en croisez un en sortant, vous pourrez lui montrer ce testament et lui dire : vous voyez, il n’a rien signé.

Femme – Exactement.

Homme – Et une fois rentré à votre étude, vous passez le document sous une bougie pour caraméliser le citron. Je faisais ça, moi aussi, quand j’étais gosse.

Femme – On a tous été gosses, pas vrai ?

Homme – Mais il n’y a que les notaires pour avoir gardé leur âme d’enfant…

Femme – Il va falloir que je vous laisse. J’ai d’autres mourants à voir avant ce soir.

Homme – Simple curiosité… Il dit quoi, ce testament, en gros ?

Femme – Vous léguez tous vos biens à une fondation, dont le but est d’établir un contact avec les civilisations extraterrestres.

Homme – Si ça peut au moins me permettre de renouer le contact avec ma femme.

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Divine enfant

Une femme est allongée dans le lit, sans qu’on puisse voir son visage. Un homme arrive, en tenue de ville d’une autre époque, et un bouquet de fleurs à la main. Constatant que la femme dort, l’homme pose le bouquet sur la table de nuit, et ressort. La femme s’éveille et s’assied dans le lit. Elle regarde le bouquet. L’homme revient avec un vase plein d’eau.

Homme – Je n’ai pas voulu te réveiller…

Femme (un peu perdue) – Merci pour les fleurs.

L’homme met les fleurs dans le vase et le pose sur la table de nuit.

Homme – Comment tu te sens ?

Femme – J’ai mal dormi… Dans mon cauchemar, c’est toi qui étais malade et c’est moi qui venais te rendre visite.

Homme – Mais tu n’es pas malade.

Elle a l’air étonnée.

Femme – Qu’est-ce que je fais dans un lit d’hôpital, alors ?

Homme – Mais enfin, chérie ! C’est la maternité. Tu viens d’accoucher…

Femme – Ah oui…

Homme – Tu dois encore être sous l’effet de l’anesthésie.

Femme – L’anesthésie ?

Homme – Ça a été un peu compliqué, je t’expliquerai. Mais ne t’inquiète pas, ça va aller, maintenant.

Femme – Et le bébé ?

Homme – C’est une fille.

Femme – Une fille ? Mais c’est merveilleux…

Homme – Enfin, quand je dis une fille…

Femme – Je peux la voir ?

Homme – Ça a été un peu compliqué. Je t’expliquerai…

Femme – Elle n’a pas survécu à l’accouchement, c’est ça ?

Homme – Non, elle n’est pas morte, rassure-toi. Enfin, quand je dis rassure-toi…

Femme – Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Elle a souffert pendant l’accouchement ? Elle va garder des séquelles ?

Homme – Non… Elle… Apparemment, elle ne gardera pas de séquelles. C’est juste que…

Femme – Elle est mongolienne !

Homme – Non plus, non. Encore que maintenant, tu sais, on dit plutôt trisomique.

Femme – Mais je m’en fous, de ce qu’on dit ou pas ! Elle est normale, oui ou non ?

Homme – Oui… et non.

Femme – Comment ça, oui et non. On est normal ou on ne l’est pas, non ?

Homme – Disons qu’elle est normale… pour une extraterrestre.

Un temps.

Femme – Je vois…

Homme – Comment ça, tu vois. Ça n’a pas l’air de t’étonner…

Femme – Si, si, bien sûr, mais… Ça me revient, maintenant.

Homme – Ça te revient ? Qu’est-ce qui te revient ? (Semblant comprendre quelque chose) Tu es en train de me dire que tu m’as trompé avec un extraterrestre, et que ça ne te revient que maintenant ?

Femme – Ce n’est pas du tout ce que tu crois, je t’assure.

Homme – Ah oui ?

Femme – Un enfant… ce n’est pas forcément un papa et une maman. Tiens, pense au Petit Jésus et à la Vierge Marie, par exemple !

Homme – La Vierge Marie ? Tu te fous de moi ? Je ne m’appelle pas Joseph, et je sais reconnaître une femme adultère quand j’en vois une.

Femme – C’est un peu plus compliqué que ça…

Homme – Ma femme m’a trompé avec un extraterrestre. Elle vient d’accoucher d’un alien, alors que j’étais censé être le père ! J’ai du mal à imaginer quelque chose de plus compliqué que ça !

Femme – Et tu es sûr qu’elle est normale…

Homme – Comment ça, normale ? Elle ressemble à ET, je te dis !

Femme – Je me demande juste… comment un gynécologue peut savoir si un bébé extraterrestre est normal ou non. Alors qu’il ne sait même pas de quelle planète vient le père.

Homme (abattu) – Tu as raison… Surtout quand le gynécologue, lui, vient de Roumanie. Parce que ça au moins on en est sûr…

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La bonne nouvelle

Un homme, dans un lit, reprend peu à peu connaissance. Une femme arrive, façon executive-woman, avec à la main un ordinateur portable dans une serviette.

Femme – Cher Monsieur bonjour !

Homme – Bonjour…

Femme – Excusez-moi un instant, ce ne sera pas long.

Homme – Je vous en prie…

Elle sort le portable de la serviette, l’allume et le place sur la table de nuit de façon à ce qu’il voie l’écran.

Femme – Vous vous souvenez du code, pour le wifi ?

Homme – Je ne me souviens même pas de mon nom.

Femme – Ça ne fait rien, on s’en passera. (Après s’être éclairci la gorge) Cher Monsieur, j’ai souhaité vous rencontrer sans tarder, parce que j’ai de bonnes nouvelles à vous annoncer.

Homme – Un nouveau produit, peut-être ? Un remède miracle ? Quelque chose qui pourrait me sauver la vie.

Femme – Vous m’ôtez les mots de la bouche, cher Monsieur. En effet, les nouveaux produits financiers que j’ai à vous proposer pourraient changer votre vie.

Homme – J’en conclus que vous n’êtes pas médecin.

Femme – Je suis votre conseiller financier. Vous êtes bien titulaire d’un compte au Crédit Général, n’est-ce pas ?

Homme – Oui, peut-être.

Femme – Et je peux vous assurer que vous faites partie de nos meilleurs clients.

Homme – Tant mieux. Parce que je ne suis même pas sûr d’être un bon catholique…

Femme – Rassurez-vous, ce n’est pas obligatoire pour spéculer en bourse. Et en tant que client privilégié de notre banque, j’ai tenu à vous proposer en priorité nos nouvelles opportunités de placement, d’un rendement absolument exceptionnel.

Homme – Ah oui…

Femme – Regardez ce graphique. (Elle lui montre une courbe.) Notre nouveau fonds d’investissement, Le Phoenix en Actions, a gagné 27% en six mois.

Homme – Le Phoenix ? Ah oui, ça fait rêver. Mais pourquoi ce nom ?

Femme – L’année d’avant, hélas, Le Phoenix avait perdu 73% de sa valeur boursière. C’est un placement risqué, réservé aux investisseurs les plus audacieux, mais qui renaît toujours de ses cendres !

Homme – Je ne suis pas sûr de pouvoir en dire autant.

Femme – Allons, je suis sûre de reconnaître en vous un battant. La bourse, c’est un placement toujours gagnant sur le long terme.

Homme – Vous savez, le long terme, pour moi… Je vous ai dit que je venais de recevoir l’extrême-onction ?

Femme – J’allais y venir, cher Monsieur. Je ne vous cache pas qu’il faut vous décider rapidement. Il s’agit d’une opportunité exceptionnelle. Mais il n’y en aura pas pour tout le monde. Nous ne pourrons servir que nos clients les plus réactifs.

Homme – Je ne suis pas sûr d’être encore très réactif, même aux traitements médicaux. À vrai dire, j’en suis à me demander si je ne suis pas déjà mort…

Elle ouvre sa housse et en sort une brochure qu’elle lui tend avec un sourire commercial.

Femme – Rassurez-vous… Nous avons aussi toute une gamme de produits en matière d’assurance-vie et d’assurance-décès.

Homme (prenant le document) – Merci…

Femme – Je vous laisse réfléchir, cher Monsieur. Nous n’allons pas non plus vous harceler, n’est-ce pas ? Nous sommes là avant tout pour vous conseiller…

Homme – C’est ça, je vais réfléchir.

Femme – Je vous laisse, j’ai d’autres investisseurs potentiels à voir dans cet établissement. D’ailleurs qu’est-ce que c’est ? Une sorte de maison de retraite ?

Homme – Une Unité de Soins Palliatifs.

Femme – Tout à fait. Alors à très bientôt. Mais réfléchissez vite, cher Monsieur. Dans votre cas, surtout, vous n’avez pas de temps à perdre… et ce serait dommage de passer à côté d’une telle opportunité.

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Extrême-onction

Un homme est assis dans son lit. Il regarde dans le vide. Arrive une femme, habillée en prêtre.

Femme – Bonjour mon fils.

Homme (à peine surpris) – Bonjour papa…

Femme – Je suis l’aumônier de cet hôpital.

Homme – Bonjour mon père.

Femme – Je suis venue dès que vous m’avez appelée.

Homme – Vous êtes vraiment sûr que c’est moi qui vous ai appelé ?

Femme – Quelqu’un m’a dit de venir vous voir. Il avait un léger accent roumain.

Homme – Ah oui… C’est mon chirurgien…

Femme – J’ai cru comprendre que c’était assez urgent… Mais si vous pensez que vous n’êtes pas prêt, je peux repasser un peu plus tard.

Homme – Non, non, je vous en prie. Et puis comme ça, ce sera fait. Au cas où. Enfin, je ne sais pas combien de temps c’est valable…

Femme – Valable ?

Homme – Je veux dire une extrême-onction. Si on ne meurt pas tout de suite, c’est valable combien de temps, après ? Dans les trois mois, j’imagine. Comme un certificat médical.

Femme – J’avoue que… On ne m’avait encore jamais posé la question. Et comme le cas ne s’est encore jamais présenté pour moi…

Homme – Vous voulez dire qu’aucune de vos ouailles n’a jamais survécu après avoir reçu votre viatique ?

Femme – C’est-à-dire que… En effet…

Homme – Et vous êtes vraiment sûr que je suis catholique ?

Femme – Ma foi… Je vous avoue que je n’ai jamais pensé à exiger un certificat de baptême dans ce genre de circonstances. Je vois mal un mourant mentir sur sa religion pour obtenir une extrême-onction in extremis. Vous n’êtes pas sûr d’être catholique, mon fils ?

Homme – Je ne me souviens pas non plus d’être juif ou musulman. Et comme je ne suis pas circoncis. Vous êtes sûr que je ne suis pas circoncis ?

Femme – Mon Dieu…

Homme – Excusez-moi, je vous embarrasse avec toutes mes questions. Mais vous savez, je n’ai pas trop l’habitude. C’est ma première extrême-onction…

Femme – Oui, je m’en doute… Souhaitez-vous au moins vous confesser, mon fils ?

Homme – Je ne sais pas, c’est… C’est obligatoire ?

Femme – Disons que c’est vivement conseillé. Pour le salut de votre âme.

Homme – Bon… Après tout, qu’est-ce que je risque ?

Femme – Je vous écoute, mon fils.

L’homme réfléchit, puis la regarde comme s’il la découvrait.

Homme – Je dois vous avouer que…

Femme – Oui ?

Homme – C’est un peu embarrassant.

Femme – Et pourquoi cela, mon fils ?

Homme – Vous ressemblez tellement à ma femme.

Femme – Je vois…

Homme – Vous comprendrez que pour un homme marié, avoir l’impression que son confesseur ressemble à sa femme…

Femme – Rassurez-vous, mon fils. Même si j’étais votre femme, je serais liée par le secret de la confession…

Homme – Bon… Mais, je ne sais pas très bien par où commencer…

Femme – Vous n’avez qu’à commencer par la fin.

Homme – C’est très difficile de se confesser quand on a perdu la mémoire, vous savez…

Femme – Est-ce qu’au moins vous vous sentez coupable, mon fils ? Ce serait un début…

Homme – Je ne sais pas… Est-ce qu’on est encore coupable quand on a perdu jusqu’au souvenir de ses fautes ?

Femme – Vous ne vous souvenez vraiment de rien ?

Homme – Je ne me souviens même pas où j’ai garé ma voiture.

Femme – Puisque vous n’êtes pas en mesure de confesser vos péchés, je vous donne malgré tout l’absolution. Au bénéfice du doute…

Homme – Merci de me faire confiance, mon père. J’essaierai de ne pas vous décevoir.

Femme – Mais n’oubliez pas de régulariser votre situation dès que vous le pourrez.

Homme – C’est promis. Juré craché sur vos tombes.

Elle le bénit d’un signe de croix.

Femme – Au nom du père, de la mère et du fils.

Homme – Amen.

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Dieu le Père

Une chambre d’hôpital. Un graphique médical au pied du lit. Un homme se réveille. Il a une perfusion. Une femme arrive, en blouse blanche de médecin.

Femme – Alors cher Monsieur ? Comment ça va aujourd’hui ?

Homme – Ça va… Enfin… Mais qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ?

Femme – Ah… Cette simple question semble indiquer que vous n’avez pas encore tout à fait recouvré votre mémoire immédiate.

Homme – Je ne me souviens de rien… sauf que vous m’avez déjà dit ça.

Femme – Ne vous inquiétez pas, c’est très fréquent après ce genre d’intervention. Dès qu’on touche au cerveau…

Homme – Le cerveau ? Je vois…

Femme – Si vous voyez encore, c’est déjà ça… Écoutez, on ne va pas se mentir, votre état… est très préoccupant.

Homme – Vous voulez dire préoccupant pour moi, j’imagine ?

Femme – J’aurais aimé pouvoir vous annoncer de bonnes nouvelles, mais que voulez-vous ? Je ne suis pas Dieu le Père.

Homme – Ce qui pour moi serait plutôt en soi une bonne nouvelle.

Femme – Vous trouvez ?

Homme – Se réveiller d’une opération au cerveau et voir Dieu le Père…

Femme – Bien sûr… Donc, les résultats de nos premières analyses ne sont pas très encourageants… pour vous.

Homme – J’entends bien.

Femme – Si vous entendez encore, c’est déjà ça…

Homme – Et donc vous dites que… c’est grave.

Femme – Mon Dieu… Pas forcément…

Homme – Comment ça ?

Femme – Ce qui est grave, c’est que… nous ne savons pas du tout ce que vous avez.

Homme – Ah… Et j’imagine que ça… c’est grave pour vous.

Femme – Si on ne sait pas ce que vous avez, on ne sait pas non plus comment vous soigner. Bref, on ne sait pas quoi faire… Et quand on ne sait pas quoi faire, on ne sait pas quoi dire. Franchement, cher Monsieur, je ne sais pas quoi vous dire…

Homme – Écoutez, Docteur… Je peux vous appeler Docteur ?

Femme – J’ai obtenu mon diplôme de médecine en Roumanie… (Aux anges) Mais oui, je vous en prie. Appelez-moi Docteur.

Homme – Je sais que vous vous faites beaucoup de souci pour moi, mais pour ma part… c’est plutôt l’état mental de ma femme qui m’inquiète.

Femme – Votre femme ? Allons bon…

Homme – C’est difficile à croire, mais… Figurez-vous que ma femme se prend pour une martienne.

Femme – Voyez-vous ça…

Homme – Ça n’a pas l’air de vous étonner.

Femme – Si bien sûr, mais… Pour tout vous dire… (Elle consulte un dossier.) J’ignorais que vous étiez marié… En tout cas, ce n’est pas indiqué dans votre dossier médical.

Homme – Ils ont peut-être considéré que ce n’était pas une maladie assez grave pour être signalé.

Elle rit d’une façon un peu forcée.

Femme – En tout cas, vous avez retrouvé votre sens de l’humour. Et ça c’est bon signe, n’est-ce pas ? Vous connaissez Ionesco ?

Homme – Pas personnellement.

Femme – Il était roumain, comme moi. Et j’ai l’honneur de porter le même patronyme que lui. D’après ma mère, nous sommes vaguement apparentés.

Homme – Vraiment ?

Femme (sur le ton de la confidence) – Entre nous, j’ai toujours pensé que les Roumains étaient davantage faits pour le théâtre de l’absurde que pour la chirurgie du cerveau.

Homme – Merci Docteur Ionesco. C’est tout à fait le genre de propos rassurants qu’un patient a envie d’entendre de la bouche de son chirurgien en salle de réveil…

Femme – Mais je vous en prie. Je suis là pour ça. Si vous avez d’autres questions à me poser, n’hésitez pas.

Homme – Et… pour ma femme, vous pouvez faire quelque chose ?

Femme – Votre femme ? Mon Dieu… Il faudrait d’abord être sûr que vous avez bien une femme…

Homme – Ah oui, évidemment.

Femme – Et ensuite que votre femme n’est pas vraiment une extraterrestre.

Homme – Comment ça ?

Femme – Vous conviendrez que si votre épouse présumée est vraiment martienne, on ne peut pas la tenir pour folle si elle affirme venir de la planète Mars.

Homme – C’est vrai que vu comme ça…

Femme – En tout cas, c’est ce qu’on nous apprend dans les facultés de médecine en Roumanie.

Il la regarde comme s’il la découvrait seulement.

Homme – C’est fou, Docteur Ionesco…

Femme – Quoi donc ?

Homme – Ce que vous ressemblez à ma femme. Enfin, ce que vous ressembleriez à ma femme si j’étais marié.

Femme – Et pourtant… je vous assure que moi, je ne viens pas de la planète Mars.

Homme – Non, vous venez de Roumanie. Et… c’est bien vous qui m’avez opéré, n’est-ce pas ?

Femme – Malheureusement pour vous… J’imagine qu’un médecin venu d’un autre endroit de la galaxie aurait pu vous sauver.

Homme – Vous croyez…?

Femme – À ce qu’on dit, ces gens là sont beaucoup plus évolués que nous. En tout cas, on peut raisonnablement supposer que leurs médecins sont mieux formés que de simples internes ayant fait leurs études à Bucarest…

Homme – Oui, enfin…

Femme – Vous avez raison… À ce niveau-là de supputation, je me demande si on peut encore parler de suppositions raisonnables, n’est-ce pas ? Je vais vous laisser vous reposer… Je repasserai un peu plus tard…

Homme – Je peux vous demander encore un service ?

Femme – Tant que ce n’est pas de vous sauver la vie…

Homme – Si vous croisez ma femme, dites-lui que je ne suis pas marié.

Femme – Je n’y manquerai pas.

Homme – Merci.

Elle s’apprête à partir mais se retourne une dernière fois vers lui.

Femme – Je peux vous demander quelque chose, moi aussi ?

Homme – Tant que ce n’est pas comment je m’appelle.

Femme – Vous pourriez m’appeler encore une fois Docteur ?

Homme – Merci Docteur Ionesco. Au revoir Docteur.

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