.

Minute, papillon !

Deux personnages, regardant droit devant eux.

Un – C’est passé trop vite.

Deux – Oui.

Un – Tu as vu ce papillon ?

Deux – Oui.

Un – Il va de fleur en fleur. Il est tellement pressé.

Deux – Tu crois ?

Un – Il n’a qu’une seule journée à vivre.

Deux – Et tant de fleurs à découvrir.

Un – Si on finit centenaires, on aura vécu comme 36 000 papillons.

Deux – 36 500, plus exactement.

Un – Ah oui.

Deux – 365 jours, multipliés par 100.

Un – Sans compter les années bissextiles.

Un temps.

Deux – Combien de fleurs est-ce que tu as butinées ces jours-ci ?

Un – Aucune. Et toi ?

Deux – Moi non plus.

Un – On pense qu’on a tout le temps, et finalement, jour après jour, on oublie de faire ce qui nous tient le plus à cœur.

Deux – Comme de butiner dans le jardin du voisin.

Un – On a un jardin, nous aussi.

Deux – Tu commences à me brouter le pistil.

Un – C’est un bon début.

Deux – Et ce sera le mot de la fin.

Un – Il est déjà minuit ?

Deux – Il est minuit moins une.

Un – Je n’ai pas vu le temps passer.

Deux – Demain il fera jour.

Un – Mais on ne sera plus là.

Deux – C’est la vie. Les meilleures choses ont une fin.

Un – Minute, papillon ! Il nous reste une minute !

Deux – C’est vrai… Et à l’échelle d’une vie de papillon ça fait un mois.

Un – Qu’allons nous faire de tout ce temps qui reste ?

Ils se regardent et sourient.

Noir

Minute, papillon !

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Message in a bottle

Deux personnages, qui restent un instant silencieux.

Un – Tu te souviens de cette sonde qu’on a lancée il y a une cinquantaine d’années, pour franchir les limites du système scolaire…

Deux – Tu veux dire solaire. Du système solaire.

Un – C’est ça… Avec un message destiné aux extra-terrestres ?

Deux – Et alors ?

Un – Je me demande toujours si c’était une bonne idée.

Deux – Ah oui ?

Un – Imagine que quelqu’un tombe dessus.

Deux – Quelqu’un ?

Un – Des extra-terrestres !

Deux – Il y a quand même peu de chances…

Un – Peut-être, mais si on l’a lancée, c’est qu’il existe une infime possibilité, non ? Les bouteilles à la mer, il arrive que quelqu’un les trouve.

Deux – Ouais… Et ?

Un – Tu lancerais une bouteille à la mer, toi, avec à l’intérieur ton nom, ton adresse, et ton numéro de carte bleue ?

Deux – Pourquoi je lancerais une bouteille à la mer ?

Un – Voilà ! C’est justement la question : pourquoi ?

Deux – Et alors ? Pourquoi ?

Un – Parce qu’on a la naïveté de penser que les extra-terrestres nous veulent du bien ! Et nous feront généreusement profiter sans aucune contrepartie des pouvoirs immenses liés à une civilisation plus avancée que la nôtre.

Deux – Pourquoi pas ?

Un – Je ne sais pas… Quand on a découvert l’Amérique, c’est ça qu’on a fait, nous, avec les Indiens ? Oui ou non ?

Deux – Non…

Un – On a commencé par les massacrer avec des armes qu’ils ne connaissaient pas, à baptiser de force les derniers survivants, à leur refiler des tas de maladies et du whisky à gogo. Et les quelques alcooliques qui restaient on les a parqués dans des réserves.

Deux – Vu comme ça, évidemment…

Un – Imagine que ces extra-terrestres tombent sur notre message, et qu’ils nous répondent.

Deux – Qu’est-ce qu’ils pourraient bien nous répondre ?

Un – Imagine qu’ils nous répondent : On arrive.

Deux – Ah oui… Ça fout les jetons…

Un – C’était une grosse connerie de leur refiler notre adresse, en leur disant que s’ils n’avaient rien de mieux à faire, qu’ils passent donc boire un verre à la maison.

Deux – Et il n’y a pas moyen de rattraper ça ?

Un – Aucun.

Deux – Et on ne peut pas déménager non plus.

Un – Pas encore.

Deux – Tu as raison… On est vraiment dans la merde.

Un – Bon, mais avec un peu de chance, ils ne trouveront jamais notre message.

Deux – Ou alors, ils n’existent pas.

Un – En attendant, on ferait mieux de ne pas trop se faire remarquer.

Deux – C’est sûr.

Un – Pour vivre heureux, vivons cachés.

Deux – J’éteins la lumière…

Un – Bonne nuit.

Deux – Fais de beaux rêves. (Un temps) Tu n’as pas prononcé le mot papillon.

Un – Non… Cette fois, je n’ai vraiment pas réussi à le placer…

Noir

Minute, papillon !

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Avenir

Deux personnages, regardant droit devant eux.

Un – Je me suis toujours demandé ce que je ferais s’il ne me restait qu’un jour à vivre.

Deux – Un jour ?

Un – Ou une heure. Ou un quart d’heure.

Deux – Qu’est-ce que tu ferais ?

Un – Rien.

Deux – Ah ouais…

Un – Tu ne me demandes pas pourquoi ?

Deux – Pourquoi quoi ?

Un – Pourquoi je ne ferais rien !

Deux – Pourquoi tu ne ferais rien ?

Un – Parce que je pense qu’on ne peut rien faire si on n’a pas la possibilité de se projeter un minimum dans l’avenir.

Deux – Ah ouais.

Un – Je crois qu’on ne peut rien faire en sachant par avance qu’on le fait pour la dernière fois.

Deux – Tu crois ?

Un – Et toi ?

Deux – Moi ?

Un – Qu’est-ce que tu ferais ?

Deux – S’il me restait un quart d’heure à vivre ?

Un – Ouais.

Deux – Je ne sais pas… Je ferais l’amour.

Un – L’amour ?

Deux – Ouais.

Un – En un quart d’heure ?

Deux – Je parle de tirer un coup, là, pas de me projeter dans l’avenir. Genre faire des enfants et fonder une famille.

Un – Ouais… Faire l’amour en sachant que c’est la dernière fois.

Deux – À chaque fois que je fais l’amour, je me demande si ce n’est pas la dernière fois. D’ailleurs, je ne me souviens même plus quand c’était.

Un – Quoi ?

Deux – La dernière fois !

Un – Et tu baiserais avec qui ?

Deux – C’est là où ça se complique.

Un – Ouais.

Deux – Pas avec toi, en tout cas…

Noir

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Porte-à-porte

Deux personnages. Le premier, qui porte un nœud papillon, sonne à la porte de l’autre, qui lui ouvre.

Un – Bonjour, c’est les Témoins de Jehovah.

Deux – C’est une blague ?

Un – Non, pourquoi ?

Deux – Vous êtes seul !

Un – Ah, oui… Non, c’est parce que… ma collègue est en arrêt maladie.

Deux – Tiens donc.

Un – Il y a une épidémie de grippe en ce moment.

Deux – Sans doute une épreuve que Dieu nous envoie.

Un – Je vois que vous êtes déjà sensibilisé à…

Deux – Non, mais je déconnais… Moi, la religion, vous savez… Donc, je ne vais pas vous faire perdre votre temps…

Un – Attendez un instant !

Deux – Quoi encore ?

Un – J’installe aussi les nouveaux compteurs Linky.

Deux – Avec un nœud papillon ? C’est pour la caméra cachée, c’est ça ?

Un – Mais pas du tout ! Vous savez, depuis la privatisation, tout est sous-traité. Alors ils ont eu l’idée de nous proposer ça, à nous, les Témoins de Jehovah. Comme on passe notre temps à sonner chez les gens, et que ça ne marche pas à tous les coups.

Deux – Parce qu’avec le compteur Linky, ça marche mieux qu’avec Dieu ?

Un – Je ne sais pas… C’est ma première journée… Vous êtes mon premier client…

Deux – C’est bien ma veine…

Un – Alors ?

Deux – Alors quoi ?

Un – Ce compteur Linky ?

Deux – C’est-à-dire que… avec tout ce qu’on raconte.

Un – Vous ne croyez pas en Dieu, vous ne craignez pas le châtiment divin pour votre impiété, mais vous croyez à toutes les conneries qu’on colporte sur les pouvoirs maléfiques du compteur Linky ? Alors que ces craintes ne reposent sur aucune preuve scientifique…

L’autre hésite un instant.

Deux – D’accord, vous avez gagné. Installez-moi ce foutu compteur, et barrez-vous.

Un – Il y en aura pour une petite heure…

Deux – Ôtez-moi d’un doute… Vous êtes vraiment témoin de Jehovah ?

Noir

Minute, papillon !

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Pauvres de nous

Deux personnages, un riche et un pauvre.

Un – Bonjour.

Deux – Euh… Bonjour.

Un – Vous avez l’air surpris.

Deux – Non, c’est-à-dire que…

Un – C’est la première fois qu’un clochard vous dit bonjour ?

Deux – En tout cas, c’est la première fois que je réponds. Ce n’est pas vraiment l’habitude, ici, de dire bonjour aux gens dans la rue. Surtout aux clochards…

Un – Pourquoi ça ?

Deux – Je ne sais pas… Les gens se méfient.

Un – Pourtant, il n’y a que des milliardaires, ici, non ?

Deux – Il ne faut pas exagérer… Il y a quelques multimillionnaires, aussi.

Un – Les pauvres…

Deux – On est toujours le pauvre de quelqu’un.

Un – Moi je suis le pauvre de tout le monde.

Deux – Justement, à ce propos…

Un – Qu’est-ce que je suis venu faire ici, à Monaco ?

Deux – Parce que je vous préviens, ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on est plus généreux avec les pauvres.

Un – Oui, j’ai remarqué. Le café est à cinq euros au Yacht Club. Je pensais que les aumônes seraient à proportion. Mais pas du tout.

Deux – Plus les gens sont riches, plus la pauvreté leur fait peur. Ils vous considèrent comme une sorte de pestiféré. Ils ont peur que ce soit contagieux.

Un – Et pourtant, vous êtes riche, vous ?

Deux – Immensément riche.

Un – Et vous m’avez dit bonjour.

Deux – Mais je ne vous ai encore rien donné.

Un – On a échangé, c’est déjà un début.

Deux – Échangé ?

Un – On a échangé quelques mots.

Deux – Un petit commerce, en somme.

Un – Il y a quelque chose qui ne va pas ?

Deux – On peut dire ça…

Un – Je peux vous aider ?

Deux – Malheureusement, non.

Un – Si c’est une question d’argent, en effet.

Deux – J’ai un cancer. En phase terminale. Je n’en ai plus pour très longtemps. Je peux mourir demain. Ou après demain.

Un – Je suis vraiment désolé.

Deux – Vous avez l’air sincère.

Un – Et vous n’avez pas de famille ?

Deux – J’étais fils unique. Mes parents sont morts. Quelques cousins très éloignés se sont manifestés, de temps en temps, mais j’ai vite compris que leur préoccupation n’était pas principalement généalogique.

Un – Pas d’amis ?

Deux – Les amis, vous savez, dans ma position… Quand on est milliardaire, le genre humain se divisent en trois catégories : les concurrents, les employés et les clients.

Un – Alors vous êtes un homme seul, comme moi. Parce que vous savez, la pauvreté, ce n’est pas terrible non plus pour se faire des relations.

Deux – Les extrêmes se rejoignent… Nous étions faits pour nous rencontrer.

Un – Qu’allez-vous faire de votre immense fortune ? Si vous n’avez ni famille, ni ami…

Deux – Je pourrais tout vous léguer ?

Un – Votre solitude, aussi ?

Deux – Vous resterez seul, mais vous aurez beaucoup de compagnie…

Un – Hélas, je ne pourrais pas en profiter très longtemps.

Deux – Pourquoi ça ?

Un – J’ai un cancer, moi aussi.

Deux – Je suis vraiment désolé.

Un – Vous avez l’air sincère.

Deux – Je le suis.

Un – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – On n’est que des papillons, tous les deux, on n’a que quelques jours à vivre.

Un – Et on ne peut même pas se reproduire.

Deux – Laissez-moi au moins vous offrir un café.

Un – Ce sera le café le plus cher de ma vie.

Ils sortent.

Noir

Minute, papillon !

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Malentendus

Deux personnages qui finissent de dîner.

Un – Il n’est pas si mal, ce resto, finalement, non ?

Deux (ailleurs) – Oui…

Un temps.

Un – Je me demande ce qu’il y a après…

Deux – Après ? Tu veux dire après la mort ? Enfin après la vie…

Un – Euh… Non… Je pensais plutôt… Après la blanquette de veau…

Deux – La blanquette ?

Un – Oui… Qu’est-ce qu’il y a après… comme dessert.

Deux – D’accord… Excuse-moi, j’avais mal compris.

Un – Non mais ce n’est pas grave. Ça arrive…

Deux – Oui…

Un temps.

Un – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Un – Oui. Enfin, maintenant… Après.

Deux – Tu veux qu’on fasse le point, c’est ça ? Sur notre vie de couple ? C’est vrai qu’il serait peut-être temps de faire un premier bilan… Pour savoir si…

Un – En fait, je voulais dire maintenant… Après le repas. Qu’est-ce qu’on fait maintenant. Un ciné ? Une balade ? Ou alors on rentre…

Deux – Ah d’accord… Maintenant, c’est-à-dire cet après-midi.

Un – Voilà. Cet après-midi, ce soir…

Deux – J’avais compris… qu’est-ce qu’on fait maintenant, de ce qui nous reste à vivre. Ensemble ou…

Un – Je vois…

Deux – Décidément…

Un – Oui… Il y a quelque chose que tu ne digères pas ?

Deux – Non, non, si j’avais quelque chose sur le cœur, je te le dirais, je t’assure.

Un – Je parlais seulement de ce repas.

Deux – Excuse-moi.

Un – C’est vrai que la blanquette, c’est toujours un peu…

Deux – Oui. Surtout la blanquette de veau.

Un temps.

Un – Tu vois quelqu’un ?

Deux – Mais pas du tout ! Je ne t’ai jamais trompé, je te le jure.

Un – Je parlais du serveur… Pour lui demander l’addition. Je n’ai mis que deux heures dans le parcmètre. J’espère qu’on ne va pas avoir un papillon…

Deux – Bien sûr.

Un temps.

Un – Tu crois qu’on va y arriver ?

Deux – À avoir l’addition, tu veux dire ?

Un – Non, là je parlais de nous deux.

Deux – Nous deux ?

Un – J’ai l’impression qu’on a un peu de mal à se comprendre, en ce moment.

Deux – Mais enfin… Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Un – Je ne sais pas…

Deux – Où alors on se fait une petite gâterie à la maison… Je veux dire, pour le dessert… Comme le serveur n’arrive pas…

Un – D’accord… C’était une proposition ?

Deux – Oui, enfin… Je crois…

Un – Ah, voilà le serveur… Garçon !

Deux – C’est une femme, non ?

Un – Tu es sûr ?

Deux – Non…

Noir

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Livres

Deux personnages qui se font face.

Un – Bonjour.

Deux – Salut.

Un – Ça fait longtemps que vous fréquentez cette bibliothèque ?

Deux – Trois ans, à peu près.

Un – D’accord… Vous êtes un petit nouveau, alors…

Deux – On peut dire ça… Et vous ?

Un – Ouh, là, moi… Une cinquantaine d’années, je pense.

Deux – Ah oui, quand même…

Un – C’est curieux qu’on ne se soit pas croisés avant.

Deux – Oui…

Un – On ne doit pas fréquenter les mêmes rayons.

Deux – Ça doit être ça…

Un – Je suis plutôt… classique.

Deux – Théâtre du répertoire, d’accord.

Un – Et vous ?

Deux – Plutôt contemporain.

Un – Je vois… Enfin quand je dis je vois… Excusez-moi de vous demander ça, mais… Comme vous portez une… Enfin, comme vous êtes recouvert d’un… Je n’arrive pas à lire le…

Deux – Le titre et le nom de l’auteur.

Un – C’est ça…

Deux – Minute, papillon ! de Jean-Pierre Martinez.

Un – Minute, papillon ? Et… qu’est-ce que ça veut dire ?

Deux – Vous savez le théâtre contemporain… Tous les bons titres sont déjà pris…

Un – Évidemment.

Deux – Mais on peut imaginer que… c’est une allusion à la brièveté de la vie.

Un – Vita brevis…

Deux – Comme un papillon ne vit qu’une journée, chaque minute compte.

Un – Carpe diem… quam minimum credula postero.

Deux – Voilà…

Un – C’est une citation d’Horace.

Un – Je m’en doutais… Et vous ?

Un – Moi ?

Deux – Quel titre ? Quel auteur ?

Un – Le Misanthrope, de Molière.

Deux – Oui, c’est ce que j’avais cru lire sur… votre couverture. C’est d’ailleurs ce qui m’a retenu de vous adresser la parole en premier…

Un – J’avoue que la solitude, dans mon désert, commence à me peser un peu.

Deux – Le Misanthrope… Un classique… Et vous avez une mine superbe ! Pour votre âge…

Un – In quarto, en vélin, couverture cuir, doré sur tranche, édition de l’époque. Ça ne vieillit pas.

Deux – La couverture ou le texte ?

Un – Les deux !

Deux – Je plaisante… Mais c’est quoi, le vélin, au juste ? Je n’ai jamais su.

Un – Cuir de veau mort né.

Deux – D’accord…

Un – Et vous ?

Deux – Papier recyclé.

Un – Une autre époque.

Deux – C’est plus vegan mais ça vieillit moins bien.

Un – La couverture ou le texte ? Je plaisante…

Deux – C’est vrai que la mienne était un peu déchirée. C’est pour ça qu’ils m’ont recouvert avec cet affreux plastique transparent… Le veau mort-né, ça a quand même une autre allure.

Un – Allez… Vous serez peut-être réédité un jour… Molière aussi était un auteur contemporain, vous savez. À ses débuts…

Deux – Je me demande qui a bien pu emprunter en même temps une pièce de Molière et une comédie de Jean-Pierre Martinez ?

Un – Alors on va passer une quinzaine de jours ensemble…

Deux – Eh oui… Quinze jours avec Le Misanthrope… (Pour lui-même) C’est bien ma veine… (Plus fort) J’espère au moins que c’est au bord de la mer.

Un – Elle a emprunté aussi le Routard sur les Îles Grecques. Ça me changera un peu. D’habitude, je suis plutôt abonné au scolaire et aux cours de récré. Vous connaissez la Grèce ?

Deux – Non, c’est ma première sortie.

Un – En trois ans ?

Deux – Comme vous disiez, il y a un début à tout.

Un – Pour la Grèce, on pourra toujours demander au Routard… Vous le connaissez ?

Deux – Pas du tout.

Un – Il n’a pas l’air très propre sur lui, mais bon… Puisqu’on va passer quinze jours ensemble…

Deux – Ça fait combien de temps qu’on est là, sur cette table.

Un – Je ne sais pas… Au moins une heure…

Deux – Je me demande si on ne nous a pas oubliés…

Noir

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Bibliothèque

Deux personnages debout, les yeux rivés sur leur smartphone.

Un – En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.

Deux – Quoi…?

Un – Je cherche une citation pour ma disserte de philo. Qu’est-ce que t’en penses ? Ça le fait, non ?

Deux – Ça dépend… C’est quoi, le sujet de ta disserte ?

Un – Peut-on vraiment dire que l’histoire commence avec l’écriture ?

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Un – Je n’en ai aucune idée… Et pour ma citation, alors ?

Deux – Quelle citation ?

Un – Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.

Deux – Parfois, c’est l’inverse.

Un – L’inverse ?

Deux – La semaine dernière, ils ont brûlé la bibliothèque municipale. C’est des jeunes du quartier qui ont mis le feu, il paraît. Le gardien a failli mourir carbonisé dans l’incendie. Il allait prendre sa retraite.

Un – Et alors ?

Deux – Ben dans ce cas-là, ce serait plutôt… « Une bibliothèque qui brûle, c’est un vieillard qui meurt ».

Un – Donc, je laisse tomber ma citation…

Deux – Ou alors, il faudrait moderniser un peu…

Un – Moderniser ?

Deux – Et si tu mettais… « Un jeune qui meurt, c’est un compte Twitter qui se ferme » ?

Un – Tu crois ?

Deux – Il te reste combien de temps pour faire ta disserte ?

Un – La durée de vie d’un papillon…

Deux – Laisse tomber, tu la feras demain.

L’autre le regarde avec perplexité.

Noir

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Homophone

Deux personnages, totalement désœuvrés.

Un – Je suis las.

Deux – Oui, je vois bien que tu es là.

Un – Non, je veux dire… je suis las, l, a, s.

Deux – Ah oui…

Un – C’est un homophone.

Deux – Un homophone ?

Un – Un mot qui se prononce pareil, mais qui a un sens différent.

Deux – D’accord… Donc, tu es las.

Un – Oui. Je suis las, l, a, s.

Deux – J’avais compris.

Un – Et toi ?

Deux – Quoi, moi ?

Un – Tu n’es pas las ?

Deux – Ah, si… Si, si… Je suis las. Je suis même très las.

Un – Tu veux dire…?

Deux – L, a, s, oui. Absolument. On peut même dire que je m’ennuie à mourir.

Un – Ah, oui…

Deux – C’est une hyperbole.

Un – Une quoi… ?

Deux – Une exagération, si tu préfères.

Un – D’accord.

Deux – Encore que dans mon cas, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse vraiment d’une exagération.

Un – Je vois…

Deux – J’en viens même à me demander si ce ne serait pas une litote.

Un – Une litote ?

Deux – Dire moins, pour suggérer plus.

Un – OK… Donc, pour résumer, on s’ennuie. Et le reste, c’est de la rhétorique.

Deux – Absolument.

Un – On se fait chier, et puis c’est tout.

Deux – Ça c’est une métaphore.

Un temps.

Un – Tu sais combien de temps ça vit, un papillon ?

Deux – Non, et je m’en bats l’aile.

Un – Je crois qu’on dit plutôt « je m’en bats l’œil »… Non ?

Deux – Je te dirais bien autre chose, mais je ne suis pas sûr que tu apprécies la métaphore…

Noir

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Corbeau

Un bureau. Deux employés. On ne sait pas très bien ce qu’ils font, mais ils le font avec une application routinière. L’un d’eux ouvre le courrier.

Un – Tiens, une lettre anonyme…

Deux – Une lettre anonyme ?

Un – Je ne comprends pas… C’est la première fois que ça arrive…

Deux – Vous êtes sûr que c’est une lettre anonyme ?

Un – Elle n’est pas signée, et elle est écrite avec des lettres découpées dans un journal.

Il montre la lettre.

Deux – Ah oui, dites donc… Comme dans les films. Et qu’est-ce que ça dit ?

Un – Il y a un corbeau parmi vous…

Deux (regardant autour de lui) – Un corbeau ?

Un – Non mais ce n’est pas un vrai corbeau.

Deux – Ah non ?

Un – Un corbeau, c’est quelqu’un qui envoie des lettres anonymes.

Deux – Pour dire quoi ?

L’autre jette un nouveau regard à la lettre.

Un – Pour dire… qu’il y a un corbeau parmi nous.

Deux – Parmi nous, ou parmi vous ?

Un – Qu’est-ce que ça change ?

Deux – Parmi nous, ça veut dire que celui qui a écrit cette lettre se trouve parmi nous.

Un – Vous voulez dire… vous… ou moi ?

Deux – On n’est que deux, non ?

Un – Pourquoi l’un d’entre nous aurait-il écrit cette lettre ?

Deux – Je ne sais pas, moi. Pour se dénoncer…

Un – Se dénoncer ?

Deux – Vous avez raison, écrire une lettre anonyme pour se dénoncer…

Un – Ça ne tient pas debout.

Deux – Non…

Un – D’ailleurs, c’est écrit parmi vous.

Deux – Dans ce cas, ça veut dire que le corbeau qui a écrit cette lettre n’est pas le corbeau dont il parle. Mais qu’il écrit pour le dénoncer.

Un – Sans le nommer ?

Deux – C’est vrai que c’est bizarre…

Un – Un corbeau qui dénonce un autre corbeau.

Deux – Comme quoi il peut aussi y avoir des corbeaux parmi les corbeaux.

Un – Attendez, on dirait qu’il y a autre chose, dans l’enveloppe.

Deux – Qu’est-ce que c’est ?

Un – Un papillon…

Deux – Mort ?

Un – Évidemment, mort ! Dans une enveloppe… C’est un papillon mort. Desséché…

Un temps. Ils échangent un regard suspicieux.

Un – C’est vous, le corbeau ?

Deux – Lequel ?

Un – Celui qui a écrit cette lettre !

Deux – Comment le savez-vous ?

Un – J’ai ramené le journal du bureau chez moi, hier soir, pour le lire, et il y avait des lettres découpées à l’intérieur.

Deux – Vous ramenez le journal du bureau chez vous ?

Un – Et vous, vous le découpez !

Deux – D’accord…

Un – De toute façon, on le met au recyclage le lendemain, qu’est-ce que ça change ?

Deux – Rien…

Un – Mais enfin… pourquoi ?

Deux – Pourquoi quoi ?

Un – Cette lettre anonyme !

Deux – Je ne sais pas… On s’emmerde tellement, dans ce bureau…

Un – Oui, ce n’est pas faux…

Deux – En tout cas, il y a bien un corbeau parmi nous.

Un – Alors pourquoi avoir écrit « Il y a un corbeau parmi vous ».

Deux – Pour pas attirer l’attention. Comme on n’est que deux.

Un – Et pour le papillon ?

Deux – Je vous assure que je n’y suis pour rien… Je veux dire… Il est mort de mort naturelle…

Un – Si vous le dites…

Deux – Un papillon, ça ne vit qu’un jour ou deux, alors évidemment… Ce n’est pas difficile d’en trouver un qui soit mort de vieillesse.

Un – Personnellement, je n’ai jamais vu de cadavre de papillon…

Deux – Et quand bien même… Assassiner quelqu’un dont l’espérance de vie n’est de toute façon que d’un ou deux jours… Ce n’est pas vraiment un crime…

Un – Vous trouvez ?

L’autre le regarde avec un air perplexe. Ils reprennent leur tâche routinière.

Noir

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