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Minute, papillon !

Comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez

L’espérance de vie d’un papillon n’est parfois que d’une journée. Pendant ces 24 heures, il papillonne de fleur en fleur, pour vivre pleinement son existence et assurer sa descendance. Si nous finissons centenaires, nous aurons vécu 36 000 vies de papillons. Qu’aurons-nous fait de chaque jour ?

Distribution très modulable en nombre et sexe,
chaque comédien pouvant interpréter plusieurs rôles,
et tous les rôles pouvant être masculins ou féminins.

De 2 à 26 comédiens (hommes ou femmes).

Humour absurde.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Minute, papillon !

1 – Amériques

2 – Evénement

3 – Dimanche

4 – Corbeau

5 – Homophone

6 – Bibliothèque

7 – Livres

8 – Malentendus

9 – Pauvres de nous

10 – Porte-à-porte

11 – Avenir

12 – Message in a bottle

13 – Minute, papillon !


1 – Amériques

Deux personnages. Le premier est en train de pêcher. Un autre arrive.

Un – Ça mord ?

Deux – J’en ai déjà pris un, regarde.

Un – Ah oui, il est énorme.

Deux – On le fera griller pour midi.

Le premier regarde autour de lui, l’autre garde le regard rivé sur son bouchon.

Un – Regarde ce papillon, comme il est beau. Je n’en avais jamais vu de pareil, et toi ?

Deux – Non.

Un – Demain, il sera mort.

Deux – Comment tu le sais ?

Un – Les papillons ne vivent que quelques jours. Une seule journée, parfois. Certains ont une vie tellement brève qu’ils ne sont même pas pourvus d’une bouche pour se nourrir.

Deux – Eh ben moi, j’ai déjà les crocs…

Un – C’est une belle journée pour vivre. Et pour mourir. C’est un beau papillon…

Deux – Et c’est un beau poisson.

Un – Notre repas de midi est assuré.

Deux – On fera des patates avec.

Un – La mer est calme.

Deux – C’est bon les patates.

Un – Le soleil brille.

Deux – Et puis c’est vite fait.

Un – Alors on a bien une heure devant nous…

Deux – Une heure ? On a toute la vie, devant nous !

Un – On pourrait se baigner ?

Deux – J’en pêche encore un autre, pour ce soir, et on y va, d’accord ?

Un – Tu as toujours peur de manquer, toi. Les poissons ne vont pas s’en aller !

Deux – Je préfère en profiter, pendant que ça mord.

Un – D’accord.

Deux – Rien de neuf ?

Un – Non.

Deux – Une journée ordinaire, en somme.

Un – Oui.

Un temps. Le premier regarde vers l’horizon, tandis que l’autre surveille son bouchon.

Deux – Je crois que j’ai une touche… Ah non, c’est le vent…

Un – Le ciel est complètement dégagé. On voit jusqu’au bout du monde.

Deux – Oui.

Un – Tu crois vraiment que c’est la fin du monde ?

Deux – Quoi ?

Un – Là-bas, derrière l’horizon.

Deux – Je ne sais pas… C’est ce qu’on dit. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?

Un – Je ne sais pas… Le début d’un autre monde…

Deux – Tu réfléchis trop…

Un – Tu as raison.

Deux – Regarde ce lever de soleil !

L’autre regarde vers l’horizon.

Un – Ça au moins, ça ne changera jamais… (Il continue de regarder et son sourire se fige) C’est quoi, ce bateau, au loin ?

Deux – Où ça ?

Un – Là-bas, là où un nouveau jour se lève.

Deux – Je ne vois rien. Ça m’éblouit.

Un – Mets la main devant tes yeux.

Deux – Ah oui… Je le vois maintenant… Il est très loin, non ?

Un – Nos pêcheurs ne vont pas si loin.

Deux – On dirait qu’il se rapproche.

Un – Oui… On le voit un peu mieux que tout à l’heure.

Deux – Il est vraiment très grand…

Un – Nos bateaux de pêche ne sont pas aussi gros.

Deux – Qu’est-ce qu’on fait ? On va prévenir le chef ?

Un – Attends un peu… Il y en a un autre.

Deux – On dirait qu’il y en a trois.

Un – Un grand, un moyen et un petit.

Deux – Le plus grand a trois mâts.

Un – Les nôtres n’en ont qu’un seul.

Deux – C’est un bateau énorme.

Un – Il se rapproche.

Deux – Il faut donner l’alerte.

Un – Attends, j’essaie de voir ce qu’il y a de dessiné sur la coque.

Deux – Oui… On dirait que quelque chose est écrit.

Un – Dans une langue inconnue.

Deux – Je vais reproduire ça sur une ardoise pour le montrer au chef. Il saura peut-être ce que ça veut dire.

Il trace quelque chose sur une ardoise.

Un – Fais voir.

L’autre lui montre l’ardoise.

Deux – Ça ne veut rien dire.

Il montre l’ardoise à la salle. C’est inscrit « Santa Maria ».

Un – On va aller prévenir les autres.

Deux – Oui, j’ai l’impression qu’on a de la visite… Ça doit être une tribu voisine…

Un – On leur donnera quelques patates, et ils repartiront chez eux.

Deux – Et s’ils veulent pêcher. La mer est à tout le monde… et ce n’est pas le poisson qui manque.

Un – On ira se baigner après.

Deux – Le monde ne va pas s’arrêter de tourner.

Un – Et d’après notre calendrier, la fin du monde n’est pas pour tout de suite.

Ils sortent.

Noir

2 – Événement

Deux personnages debout l’un à côté de l’autre face au public, dans une attitude de recueillement un peu forcée.

Un – Tu as vu, c’est marrant ?

Deux – Quoi ?

Un – Il y a un papillon posé sur le cercueil.

Deux – Ah oui…

Un – C’est sûrement les fleurs qui l’attirent.

Deux – Le malheur des uns…

Un temps.

Un – Je me demande un peu ce que je fous là.

Deux – Oui, moi aussi.

Un – Ça fait tellement longtemps qu’on ne l’avait pas vu.

Deux – C’était quand, déjà ?

Un – Pour son mariage, non ?

Deux – Et maintenant on le revoit pour son enterrement.

Un – Enfin… revoir, c’est une façon de parler.

Deux – Oui…

Un – Tu l’as vu ?

Deux – Oui… Comme je n’avais jamais vu un mort, c’était l’occasion.

Un – L’occasion ?

Deux – On n’était pas vraiment proche… Je me suis dit que ce serait moins traumatisant. Pour une première fois…

Un – Comment ça, une première fois ?

Deux – Imagine que tu meurs demain, et que je veuille te rendre un dernier hommage… Ça me ferait un drôle d’effet, de voir ton cadavre. Je veux dire, nous on se connaît. Je t’aurais vu la veille, bien vivant… Alors forcément…

Un – Ouais…

Deux – Tandis que lui, depuis le temps qu’on ne l’avait pas vu…

Un – Mmm…

Deux – Tu as déjà vu un mort, toi ?

Un – Non… (Un temps) Et alors ?

Deux – C’est curieux… C’est comme si… il ne restait plus que l’emballage.

Un – L’emballage ?

Deux – L’enveloppe est là, mais… il n’y a plus rien à l’intérieur, tu vois ?

Un – Ouais…

Deux – Et son visage… Comme un masque, mais plus personne derrière.

Un – Oui, j’ai pigé l’idée générale.

Deux – En tout cas, moi, si je meurs le premier, je te dispense de rendre un dernier hommage à ma dépouille. Parce que là… je t’assure que j’ai bien compris ce que ça voulait dire.

Un – Quoi ?

Deux – Dépouille !

Un – Ah, oui…

Deux – C’est le nom qu’on donne à la peau d’un animal après avoir enlevé ce qui était à l’intérieur. Eh ben nous, c’est pareil. Quand on est mort, il ne reste plus que l’emballage.

Un – Je ne sais pas si l’emballage est consigné.

Deux – Non, franchement, ne t’emmerde pas à venir à mon enterrement, parce que moi, je n’y serai pas…

Un – Je me demande surtout ce qu’on est venu foutre au sien. Si tu ne m’avais pas prévenu… Je déménage au moins une fois par an, alors tu penses bien. Ils ne devaient plus avoir mon adresse.

Deux – C’est notre cousin, non ?

Un – Petit-cousin, il me semble.

Deux – C’est quoi, exactement, un petit-cousin ?

Un – Le fils d’un cousin, je crois… Comment ils t’ont retrouvé, toi ?

Deux – Par Facebook.

Un – D’accord…

Deux – C’est la première fois que je suis invité à un enterrement par Facebook.

Un – Ils n’ont pas créé un événement, quand même ?

Deux – Je ne crois pas.

Un – Il y a énormément de monde… Il était si populaire que ça, notre petit-cousin ?

Deux – Il avait quand même près de 5000 amis Facebook.

Un – Ah, ouais…

Deux – Ils ont peut-être créé un événement, finalement.

Un – Ses amis ont dû croire que c’était un spectacle. Et comme c’était gratuit.

Un – Tu es sûr que ce n’en est pas un ?

Deux – Un quoi ?

Un – Un spectacle !

Deux – Va savoir…

Un – En tout cas, il faut que je pense à le retirer de ma liste.

Deux – Ta liste ?

Un – Ma liste d’amis Facebook !

Deux – Attends au moins la fin de la cérémonie…

Noir

3 – Dimanche

Deux personnages, désœuvrés, et qui ont l’air de s’ennuyer.

Un – Tu as vu ?

Deux – Quoi ?

Un – Les deux papillons, là, sur le bord de la fenêtre.

Deux – Oui…

Un – Ils sont en train de niquer.

Deux – Bon… Et alors ?

Un – Tu sais combien de temps ça vit un papillon ?

Deux – Non.

Un – Une journée.

Deux – Ah oui…?

Un – La seule raison d’être du papillon, c’est la reproduction. Un papillon, ça ne pense qu’à niquer. Et il n’a qu’une journée pour ça.

Deux – Mmm…

Un temps. Ils s’ennuient de plus en plus.

Un – Quelle heure il est ?

Deux – Dix-huit heures cinquante neuf…

Un temps.

Un – Comment est-ce qu’on a pu en arriver là ?

Deux – Comment ça, là ?

Un – À cet instant, là ! À dix-huit heures cinquante neuf. À ce moment précis. À ce… dimanche après-midi de merde qu’on est en train de passer ensemble.

Deux – Merci.

Un – Non mais ce n’est pas de ta faute. Enfin pas seulement… Je veux dire… tout ça n’a aucun sens, tu ne trouves pas ?

Deux – Quoi ?

Un – On se fait chier ! Tu ne te fais pas chier, toi ?

Deux – Si…

Un – D’où ma question… Comment est-ce qu’on a pu en arriver là ?

Deux – Tu veux me quitter, c’est ça ?

Un – Ce n’est pas le problème… Mais ça vaut le coup d’y réfléchir, non ?

Deux – À quoi ?

Un – L’univers a 14 milliards d’années. La Terre environ 4 milliards. La vie est apparue il y a 3 milliards d’années à peu près. Il y a eu les dinosaures, la disparition des dinosaures, l’apparition de l’homme, l’âge de pierre, l’âge de fer, la révolution industrielle, la Révolution tout court, trois guerres mondiales, le premier homme à marcher sur la Lune… Et tout ça pour quoi ? Tu te rends compte ? 3 milliards d’années d’évolution pour en arriver là… Au néant absolu de ce dimanche après-midi à dix-huit heures cinquante neuf en banlieue parisienne… À ce trou noir de toutes les grandes espérances de l’humanité qu’est le Jour du Seigneur pour les serfs que nous sommes.

Deux – Les cerfs ?

Un – Les serfs ! Les serfes, si tu préfères… Les serfs, le seigneur… C’est un jeu de mots ! Les prolos, quoi !

Un temps. Il semble se calmer.

Deux – Tu veux qu’on allume la télé ?

Un – Et tout ce que tu me proposes, c’est de regarder Michel Drucker ?

L’autre actionne une télécommande.

Deux – Je crois que même ça, ça ne va pas être possible.

Un – Pourquoi ça ?

Deux – La télécommande ne marche pas.

Un – Ce n’est pas vrai… Fais voir.

Deux – Ça doit être les piles.

Un – Et on en a pas ?

Deux – Pas de ce modèle-là, en tout cas.

Un – Tu veux que j’aille en acheter ?

Deux – Un dimanche après-midi ?

Moment d’abattement.

Un – Comment est-ce qu’on a pu en arriver là ?

Deux – Tu as raison, c’est vraiment un dimanche de merde.

Un – Allez, plus qu’une heure à tirer.

Deux – Pourquoi une heure ?

Un – Il est dix-neuf heures, maintenant… Après Michel Drucker, on peut dire que le plus gros est fait.

Deux – Tu as raison. Dans une heure on sera sauvé.

Un – Jusqu’à dimanche prochain, en tout cas.

Noir.

4 – Corbeau

Un bureau. Deux employés. On ne sait pas très bien ce qu’ils font, mais ils le font avec une application routinière. L’un d’eux ouvre le courrier.

Un – Tiens, une lettre anonyme…

Deux – Une lettre anonyme ?

Un – Je ne comprends pas… C’est la première fois que ça arrive…

Deux – Vous êtes sûr que c’est une lettre anonyme ?

Un – Elle n’est pas signée, et elle est écrite avec des lettres découpées dans un journal.

Il montre la lettre.

Deux – Ah oui, dites donc… Comme dans les films. Et qu’est-ce que ça dit ?

Un – Il y a un corbeau parmi vous…

Deux (regardant autour de lui) – Un corbeau ?

Un – Non mais ce n’est pas un vrai corbeau.

Deux – Ah non ?

Un – Un corbeau, c’est quelqu’un qui envoie des lettres anonymes.

Deux – Pour dire quoi ?

L’autre jette un nouveau regard à la lettre.

Un – Pour dire… qu’il y a un corbeau parmi nous.

Deux – Parmi nous, ou parmi vous ?

Un – Qu’est-ce que ça change ?

Deux – Parmi nous, ça veut dire que celui qui a écrit cette lettre se trouve parmi nous.

Un – Vous voulez dire… vous… ou moi ?

Deux – On n’est que deux, non ?

Un – Pourquoi l’un d’entre nous aurait-il écrit cette lettre ?

Deux – Je ne sais pas, moi. Pour se dénoncer…

Un – Se dénoncer ?

Deux – Vous avez raison, écrire une lettre anonyme pour se dénoncer…

Un – Ça ne tient pas debout.

Deux – Non…

Un – D’ailleurs, c’est écrit parmi vous.

Deux – Dans ce cas, ça veut dire que le corbeau qui a écrit cette lettre n’est pas le corbeau dont il parle. Mais qu’il écrit pour le dénoncer.

Un – Sans le nommer ?

Deux – C’est vrai que c’est bizarre…

Un – Un corbeau qui dénonce un autre corbeau.

Deux – Comme quoi il peut aussi y avoir des corbeaux parmi les corbeaux.

Un – Attendez, on dirait qu’il y a autre chose, dans l’enveloppe.

Deux – Qu’est-ce que c’est ?

Un – Un papillon…

Deux – Mort ?

Un – Évidemment, mort ! Dans une enveloppe… C’est un papillon mort. Desséché…

Un temps. Ils échangent un regard suspicieux.

Un – C’est vous, le corbeau ?

Deux – Lequel ?

Un – Celui qui a écrit cette lettre !

Deux – Comment le savez-vous ?

Un – J’ai ramené le journal du bureau chez moi, hier soir, pour le lire, et il y avait des lettres découpées à l’intérieur.

Deux – Vous ramenez le journal du bureau chez vous ?

Un – Et vous, vous le découpez !

Deux – D’accord…

Un – De toute façon, on le met au recyclage le lendemain, qu’est-ce que ça change ?

Deux – Rien…

Un – Mais enfin… pourquoi ?

Deux – Pourquoi quoi ?

Un – Cette lettre anonyme !

Deux – Je ne sais pas… On s’emmerde tellement, dans ce bureau…

Un – Oui, ce n’est pas faux…

Deux – En tout cas, il y a bien un corbeau parmi nous.

Un – Alors pourquoi avoir écrit « Il y a un corbeau parmi vous ».

Deux – Pour pas attirer l’attention. Comme on n’est que deux.

Un – Et pour le papillon ?

Deux – Je vous assure que je n’y suis pour rien… Je veux dire… Il est mort de mort naturelle…

Un – Si vous le dites…

Deux – Un papillon, ça ne vit qu’un jour ou deux, alors évidemment… Ce n’est pas difficile d’en trouver un qui soit mort de vieillesse.

Un – Personnellement, je n’ai jamais vu de cadavre de papillon…

Deux – Et quand bien même… Assassiner quelqu’un dont l’espérance de vie n’est de toute façon que d’un ou deux jours… Ce n’est pas vraiment un crime…

Un – Vous trouvez ?

L’autre le regarde avec un air perplexe. Ils reprennent leur tâche routinière.

Noir

5 – Homophone

Deux personnages, totalement désœuvrés.

Un – Je suis las.

Deux – Oui, je vois bien que tu es là.

Un – Non, je veux dire… je suis las, l, a, s.

Deux – Ah oui…

Un – C’est un homophone.

Deux – Un homophone ?

Un – Un mot qui se prononce pareil, mais qui a un sens différent.

Deux – D’accord… Donc, tu es las.

Un – Oui. Je suis las, l, a, s.

Deux – J’avais compris.

Un – Et toi ?

Deux – Quoi, moi ?

Un – Tu n’es pas las ?

Deux – Ah, si… Si, si… Je suis las. Je suis même très las.

Un – Tu veux dire…?

Deux – L, a, s, oui. Absolument. On peut même dire que je m’ennuie à mourir.

Un – Ah, oui…

Deux – C’est une hyperbole.

Un – Une quoi… ?

Deux – Une exagération, si tu préfères.

Un – D’accord.

Deux – Encore que dans mon cas, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse vraiment d’une exagération.

Un – Je vois…

Deux – J’en viens même à me demander si ce ne serait pas une litote.

Un – Une litote ?

Deux – Dire moins, pour suggérer plus.

Un – OK… Donc, pour résumer, on s’ennuie. Et le reste, c’est de la rhétorique.

Deux – Absolument.

Un – On se fait chier, et puis c’est tout.

Deux – Ça c’est une métaphore.

Un temps.

Un – Tu sais combien de temps ça vit, un papillon ?

Deux – Non, et je m’en bats l’aile.

Un – Je crois qu’on dit plutôt « je m’en bats l’œil »… Non ?

Deux – Je te dirais bien autre chose, mais je ne suis pas sûr que tu apprécies la métaphore…

Noir

6 – Bibliothèque

Deux personnages debout, les yeux rivés sur leur smartphone.

Un – En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.

Deux – Quoi…?

Un – Je cherche une citation pour ma disserte de philo. Qu’est-ce que t’en penses ? Ça le fait, non ?

Deux – Ça dépend… C’est quoi, le sujet de ta disserte ?

Un – Peut-on vraiment dire que l’histoire commence avec l’écriture ?

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Un – Je n’en ai aucune idée… Et pour ma citation, alors ?

Deux – Quelle citation ?

Un – Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.

Deux – Parfois, c’est l’inverse.

Un – L’inverse ?

Deux – La semaine dernière, ils ont brûlé la bibliothèque municipale. C’est des jeunes du quartier qui ont mis le feu, il paraît. Le gardien a failli mourir carbonisé dans l’incendie. Il allait prendre sa retraite.

Un – Et alors ?

Deux – Ben dans ce cas-là, ce serait plutôt… « Une bibliothèque qui brûle, c’est un vieillard qui meurt ».

Un – Donc, je laisse tomber ma citation…

Deux – Ou alors, il faudrait moderniser un peu…

Un – Moderniser ?

Deux – Et si tu mettais… « Un jeune qui meurt, c’est un compte Twitter qui se ferme » ?

Un – Tu crois ?

Deux – Il te reste combien de temps pour faire ta disserte ?

Un – La durée de vie d’un papillon…

Deux – Laisse tomber, tu la feras demain.

L’autre le regarde avec perplexité.

Noir

7 – Livres

Deux personnages qui se font face.

Un – Bonjour.

Deux – Salut.

Un – Ça fait longtemps que vous fréquentez cette bibliothèque ?

Deux – Trois ans, à peu près.

Un – D’accord… Vous êtes un petit nouveau, alors…

Deux – On peut dire ça… Et vous ?

Un – Ouh, là, moi… Une cinquantaine d’années, je pense.

Deux – Ah oui, quand même…

Un – C’est curieux qu’on ne se soit pas croisés avant.

Deux – Oui…

Un – On ne doit pas fréquenter les mêmes rayons.

Deux – Ça doit être ça…

Un – Je suis plutôt… classique.

Deux – Théâtre du répertoire, d’accord.

Un – Et vous ?

Deux – Plutôt contemporain.

Un – Je vois… Enfin quand je dis je vois… Excusez-moi de vous demander ça, mais… Comme vous portez une… Enfin, comme vous êtes recouvert d’un… Je n’arrive pas à lire le…

Deux – Le titre et le nom de l’auteur.

Un – C’est ça…

DeuxMinute, papillon ! de Jean-Pierre Martinez.

Un – Minute, papillon ? Et… qu’est-ce que ça veut dire ?

Deux – Vous savez le théâtre contemporain… Tous les bons titres sont déjà pris…

Un – Évidemment.

Deux – Mais on peut imaginer que… c’est une allusion à la brièveté de la vie.

Un – Vita brevis…

Deux – Comme un papillon ne vit qu’une journée, chaque minute compte.

Un – Carpe diem… quam minimum credula postero.

Deux – Voilà…

Un – C’est une citation d’Horace.

Un – Je m’en doutais… Et vous ?

Un – Moi ?

Deux – Quel titre ? Quel auteur ?

UnLe Misanthrope, de Molière.

Deux – Oui, c’est ce que j’avais cru lire sur… votre couverture. C’est d’ailleurs ce qui m’a retenu de vous adresser la parole en premier…

Un – J’avoue que la solitude, dans mon désert, commence à me peser un peu.

DeuxLe Misanthrope… Un classique… Et vous avez une mine superbe ! Pour votre âge…

Un – In quarto, en vélin, couverture cuir, doré sur tranche, édition de l’époque. Ça ne vieillit pas.

Deux – La couverture ou le texte ?

Un – Les deux !

Deux – Je plaisante… Mais c’est quoi, le vélin, au juste ? Je n’ai jamais su.

Un – Cuir de veau mort né.

Deux – D’accord…

Un – Et vous ?

Deux – Papier recyclé.

Un – Une autre époque.

Deux – C’est plus vegan mais ça vieillit moins bien.

Un – La couverture ou le texte ? Je plaisante…

Deux – C’est vrai que la mienne était un peu déchirée. C’est pour ça qu’ils m’ont recouvert avec cet affreux plastique transparent… Le veau mort-né, ça a quand même une autre allure.

Un – Allez… Vous serez peut-être réédité un jour… Molière aussi était un auteur contemporain, vous savez. À ses débuts…

Deux – Je me demande qui a bien pu emprunter en même temps une pièce de Molière et une comédie de Jean-Pierre Martinez ?

Un – Alors on va passer une quinzaine de jours ensemble…

Deux – Eh oui… Quinze jours avec Le Misanthrope(Pour lui-même) C’est bien ma veine… (Plus fort) J’espère au moins que c’est au bord de la mer.

Un – Elle a emprunté aussi le Routard sur les Îles Grecques. Ça me changera un peu. D’habitude, je suis plutôt abonné au scolaire et aux cours de récré. Vous connaissez la Grèce ?

Deux – Non, c’est ma première sortie.

Un – En trois ans ?

Deux – Comme vous disiez, il y a un début à tout.

Un – Pour la Grèce, on pourra toujours demander au Routard… Vous le connaissez ?

Deux – Pas du tout.

Un – Il n’a pas l’air très propre sur lui, mais bon… Puisqu’on va passer quinze jours ensemble…

Deux – Ça fait combien de temps qu’on est là, sur cette table.

Un – Je ne sais pas… Au moins une heure…

Deux – Je me demande si on ne nous a pas oubliés…

Noir

8 – Malentendus

Deux personnages qui finissent de dîner.

Un – Il n’est pas si mal, ce resto, finalement, non ?

Deux (ailleurs) – Oui…

Un temps.

Un – Je me demande ce qu’il y a après…

Deux – Après ? Tu veux dire après la mort ? Enfin après la vie…

Un – Euh… Non… Je pensais plutôt… Après la blanquette de veau…

Deux – La blanquette ?

Un – Oui… Qu’est-ce qu’il y a après… comme dessert.

Deux – D’accord… Excuse-moi, j’avais mal compris.

Un – Non mais ce n’est pas grave. Ça arrive…

Deux – Oui…

Un temps.

Un – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Un – Oui. Enfin, maintenant… Après.

Deux – Tu veux qu’on fasse le point, c’est ça ? Sur notre vie de couple ? C’est vrai qu’il serait peut-être temps de faire un premier bilan… Pour savoir si…

Un – En fait, je voulais dire maintenant… Après le repas. Qu’est-ce qu’on fait maintenant. Un ciné ? Une balade ? Ou alors on rentre…

Deux – Ah d’accord… Maintenant, c’est-à-dire cet après-midi.

Un – Voilà. Cet après-midi, ce soir…

Deux – J’avais compris… qu’est-ce qu’on fait maintenant, de ce qui nous reste à vivre. Ensemble ou…

Un – Je vois…

Deux – Décidément…

Un – Oui… Il y a quelque chose que tu ne digères pas ?

Deux – Non, non, si j’avais quelque chose sur le cœur, je te le dirais, je t’assure.

Un – Je parlais seulement de ce repas.

Deux – Excuse-moi.

Un – C’est vrai que la blanquette, c’est toujours un peu…

Deux – Oui. Surtout la blanquette de veau.

Un temps.

Un – Tu vois quelqu’un ?

Deux – Mais pas du tout ! Je ne t’ai jamais trompé, je te le jure.

Un – Je parlais du serveur… Pour lui demander l’addition. Je n’ai mis que deux heures dans le parcmètre. J’espère qu’on ne va pas avoir un papillon…

Deux – Bien sûr.

Un temps.

Un – Tu crois qu’on va y arriver ?

Deux – À avoir l’addition, tu veux dire ?

Un – Non, là je parlais de nous deux.

Deux – Nous deux ?

Un – J’ai l’impression qu’on a un peu de mal à se comprendre, en ce moment.

Deux – Mais enfin… Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Un – Je ne sais pas…

Deux – Où alors on se fait une petite gâterie à la maison… Je veux dire, pour le dessert… Comme le serveur n’arrive pas…

Un – D’accord… C’était une proposition ?

Deux – Oui, enfin… Je crois…

Un – Ah, voilà le serveur… Garçon !

Deux – C’est une femme, non ?

Un – Tu es sûr ?

Deux – Non…

Noir

9 – Pauvres de nous

Deux personnages, un riche et un pauvre.

Un – Bonjour.

Deux – Euh… Bonjour.

Un – Vous avez l’air surpris.

Deux – Non, c’est-à-dire que…

Un – C’est la première fois qu’un clochard vous dit bonjour ?

Deux – En tout cas, c’est la première fois que je réponds. Ce n’est pas vraiment l’habitude, ici, de dire bonjour aux gens dans la rue. Surtout aux clochards…

Un – Pourquoi ça ?

Deux – Je ne sais pas… Les gens se méfient.

Un – Pourtant, il n’y a que des milliardaires, ici, non ?

Deux – Il ne faut pas exagérer… Il y a quelques multimillionnaires, aussi.

Un – Les pauvres…

Deux – On est toujours le pauvre de quelqu’un.

Un – Moi je suis le pauvre de tout le monde.

Deux – Justement, à ce propos…

Un – Qu’est-ce que je suis venu faire ici, à Monaco ?

Deux – Parce que je vous préviens, ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on est plus généreux avec les pauvres.

Un – Oui, j’ai remarqué. Le café est à cinq euros au Yacht Club. Je pensais que les aumônes seraient à proportion. Mais pas du tout.

Deux – Plus les gens sont riches, plus la pauvreté leur fait peur. Ils vous considèrent comme une sorte de pestiféré. Ils ont peur que ce soit contagieux.

Un – Et pourtant, vous êtes riche, vous ?

Deux – Immensément riche.

Un – Et vous m’avez dit bonjour.

Deux – Mais je ne vous ai encore rien donné.

Un – On a échangé, c’est déjà un début.

Deux – Échangé ?

Un – On a échangé quelques mots.

Deux – Un petit commerce, en somme.

Un – Il y a quelque chose qui ne va pas ?

Deux – On peut dire ça…

Un – Je peux vous aider ?

Deux – Malheureusement, non.

Un – Si c’est une question d’argent, en effet.

Deux – J’ai un cancer. En phase terminale. Je n’en ai plus pour très longtemps. Je peux mourir demain. Ou après demain.

Un – Je suis vraiment désolé.

Deux – Vous avez l’air sincère.

Un – Et vous n’avez pas de famille ?

Deux – J’étais fils unique. Mes parents sont morts. Quelques cousins très éloignés se sont manifestés, de temps en temps, mais j’ai vite compris que leur préoccupation n’était pas principalement généalogique.

Un – Pas d’amis ?

Deux – Les amis, vous savez, dans ma position… Quand on est milliardaire, le genre humain se divisent en trois catégories : les concurrents, les employés et les clients.

Un – Alors vous êtes un homme seul, comme moi. Parce que vous savez, la pauvreté, ce n’est pas terrible non plus pour se faire des relations.

Deux – Les extrêmes se rejoignent… Nous étions faits pour nous rencontrer.

Un – Qu’allez-vous faire de votre immense fortune ? Si vous n’avez ni famille, ni ami…

Deux – Je pourrais tout vous léguer ?

Un – Votre solitude, aussi ?

Deux – Vous resterez seul, mais vous aurez beaucoup de compagnie…

Un – Hélas, je ne pourrais pas en profiter très longtemps.

Deux – Pourquoi ça ?

Un – J’ai un cancer, moi aussi.

Deux – Je suis vraiment désolé.

Un – Vous avez l’air sincère.

Deux – Je le suis.

Un – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – On n’est que des papillons, tous les deux, on n’a que quelques jours à vivre.

Un – Et on ne peut même pas se reproduire.

Deux – Laissez-moi au moins vous offrir un café.

Un – Ce sera le café le plus cher de ma vie.

Ils sortent.

Noir

10 – Porte-à-porte

Deux personnages. Le premier, qui porte un nœud papillon, sonne à la porte de l’autre, qui lui ouvre.

Un – Bonjour, c’est les Témoins de Jehovah.

Deux – C’est une blague ?

Un – Non, pourquoi ?

Deux – Vous êtes seul !

Un – Ah, oui… Non, c’est parce que… ma collègue est en arrêt maladie.

Deux – Tiens donc.

Un – Il y a une épidémie de grippe en ce moment.

Deux – Sans doute une épreuve que Dieu nous envoie.

Un – Je vois que vous êtes déjà sensibilisé à…

Deux – Non, mais je déconnais… Moi, la religion, vous savez… Donc, je ne vais pas vous faire perdre votre temps…

Un – Attendez un instant !

Deux – Quoi encore ?

Un – J’installe aussi les nouveaux compteurs Linky.

Deux – Avec un nœud papillon ? C’est pour la caméra cachée, c’est ça ?

Un – Mais pas du tout ! Vous savez, depuis la privatisation, tout est sous-traité. Alors ils ont eu l’idée de nous proposer ça, à nous, les Témoins de Jehovah. Comme on passe notre temps à sonner chez les gens, et que ça ne marche pas à tous les coups.

Deux – Parce qu’avec le compteur Linky, ça marche mieux qu’avec Dieu ?

Un – Je ne sais pas… C’est ma première journée… Vous êtes mon premier client…

Deux – C’est bien ma veine…

Un – Alors ?

Deux – Alors quoi ?

Un – Ce compteur Linky ?

Deux – C’est-à-dire que… avec tout ce qu’on raconte.

Un – Vous ne croyez pas en Dieu, vous ne craignez pas le châtiment divin pour votre impiété, mais vous croyez à toutes les conneries qu’on colporte sur les pouvoirs maléfiques du compteur Linky ? Alors que ces craintes ne reposent sur aucune preuve scientifique…

L’autre hésite un instant.

Deux – D’accord, vous avez gagné. Installez-moi ce foutu compteur, et barrez-vous.

Un – Il y en aura pour une petite heure…

Deux – Ôtez-moi d’un doute… Vous êtes vraiment témoin de Jehovah ?

Noir

11 – Avenir

Deux personnages, regardant droit devant eux.

Un – Je me suis toujours demandé ce que je ferais s’il ne me restait qu’un jour à vivre.

Deux – Un jour ?

Un – Ou une heure. Ou un quart d’heure.

Deux – Qu’est-ce que tu ferais ?

Un – Rien.

Deux – Ah ouais…

Un – Tu ne me demandes pas pourquoi ?

Deux – Pourquoi quoi ?

Un – Pourquoi je ne ferais rien !

Deux – Pourquoi tu ne ferais rien ?

Un – Parce que je pense qu’on ne peut rien faire si on n’a pas la possibilité de se projeter un minimum dans l’avenir.

Deux – Ah ouais.

Un – Je crois qu’on ne peut rien faire en sachant par avance qu’on le fait pour la dernière fois.

Deux – Tu crois ?

Un – Et toi ?

Deux – Moi ?

Un – Qu’est-ce que tu ferais ?

Deux – S’il me restait un quart d’heure à vivre ?

Un – Ouais.

Deux – Je ne sais pas… Je ferais l’amour.

Un – L’amour ?

Deux – Ouais.

Un – En un quart d’heure ?

Deux – Je parle de tirer un coup, là, pas de me projeter dans l’avenir. Genre faire des enfants et fonder une famille.

Un – Ouais… Faire l’amour en sachant que c’est la dernière fois.

Deux – À chaque fois que je fais l’amour, je me demande si ce n’est pas la dernière fois. D’ailleurs, je ne me souviens même plus quand c’était.

Un – Quoi ?

Deux – La dernière fois !

Un – Et tu baiserais avec qui ?

Deux – C’est là où ça se complique.

Un – Ouais.

Deux – Pas avec toi, en tout cas…

Noir

12 – Message in a bottle

Deux personnages, qui restent un instant silencieux.

Un – Tu te souviens de cette sonde qu’on a lancée il y a une cinquantaine d’années, pour franchir les limites du système scolaire…

Deux – Tu veux dire solaire. Du système solaire.

Un – C’est ça… Avec un message destiné aux extra-terrestres ?

Deux – Et alors ?

Un – Je me demande toujours si c’était une bonne idée.

Deux – Ah oui ?

Un – Imagine que quelqu’un tombe dessus.

Deux – Quelqu’un ?

Un – Des extra-terrestres !

Deux – Il y a quand même peu de chances…

Un – Peut-être, mais si on l’a lancée, c’est qu’il existe une infime possibilité, non ? Les bouteilles à la mer, il arrive que quelqu’un les trouve.

Deux – Ouais… Et ?

Un – Tu lancerais une bouteille à la mer, toi, avec à l’intérieur ton nom, ton adresse, et ton numéro de carte bleue ?

Deux – Pourquoi je lancerais une bouteille à la mer ?

Un – Voilà ! C’est justement la question : pourquoi ?

Deux – Et alors ? Pourquoi ?

Un – Parce qu’on a la naïveté de penser que les extra-terrestres nous veulent du bien ! Et nous feront généreusement profiter sans aucune contrepartie des pouvoirs immenses liés à une civilisation plus avancée que la nôtre.

Deux – Pourquoi pas ?

Un – Je ne sais pas… Quand on a découvert l’Amérique, c’est ça qu’on a fait, nous, avec les Indiens ? Oui ou non ?

Deux – Non…

Un – On a commencé par les massacrer avec des armes qu’ils ne connaissaient pas, à baptiser de force les derniers survivants, à leur refiler des tas de maladies et du whisky à gogo. Et les quelques alcooliques qui restaient on les a parqués dans des réserves.

Deux – Vu comme ça, évidemment…

Un – Imagine que ces extra-terrestres tombent sur notre message, et qu’ils nous répondent.

Deux – Qu’est-ce qu’ils pourraient bien nous répondre ?

Un – Imagine qu’ils nous répondent : On arrive.

Deux – Ah oui… Ça fout les jetons…

Un – C’était une grosse connerie de leur refiler notre adresse, en leur disant que s’ils n’avaient rien de mieux à faire, qu’ils passent donc boire un verre à la maison.

Deux – Et il n’y a pas moyen de rattraper ça ?

Un – Aucun.

Deux – Et on ne peut pas déménager non plus.

Un – Pas encore.

Deux – Tu a        s raison… On est vraiment dans la merde.

Un – Bon, mais avec un peu de chance, ils ne trouveront jamais notre message.

Deux – Ou alors, ils n’existent pas.

Un – En attendant, on ferait mieux de ne pas trop se faire remarquer.

Deux – C’est sûr.

Un – Pour vivre heureux, vivons cachés.

Deux – J’éteins la lumière…

Un – Bonne nuit.

Deux – Fais de beaux rêves. (Un temps) Tu n’as pas prononcé le mot papillon.

Un – Non… Cette fois, je n’ai vraiment pas réussi à le placer…

Noir

13 – Minute, papillon !

Deux personnages, regardant droit devant eux.

Un – C’est passé trop vite.

Deux – Oui.

Un – Tu as vu ce papillon ?

Deux – Oui.

Un – Il va de fleur en fleur. Il est tellement pressé.

Deux – Tu crois ?

Un – Il n’a qu’une seule journée à vivre.

Deux – Et tant de fleurs à découvrir.

Un – Si on finit centenaires, on aura vécu comme 36 000 papillons.

Deux – 36 500, plus exactement.

Un – Ah oui.

Deux – 365 jours, multipliés par 100.

Un – Sans compter les années bissextiles.

Un temps.

Deux – Combien de fleurs est-ce que tu as butinées ces jours-ci ?

Un – Aucune. Et toi ?

Deux – Moi non plus.

Un – On pense qu’on a tout le temps, et finalement, jour après jour, on oublie de faire ce qui nous tient le plus à cœur.

Deux – Comme de butiner dans le jardin du voisin.

Un – On a un jardin, nous aussi.

Deux – Tu commences à me brouter le pistil.

Un – C’est un bon début.

Deux – Et ce sera le mot de la fin.

Un – Il est déjà minuit ?

Deux – Il est minuit moins une.

Un – Je n’ai pas vu le temps passer.

Deux – Demain il fera jour.

Un – Mais on ne sera plus là.

Deux – C’est la vie. Les meilleures choses ont une fin.

Un – Minute, papillon ! Il nous reste une minute !

Deux – C’est vrai… Et à l’échelle d’une vie de papillon ça fait un mois.

Un – Qu’allons nous faire de tout ce temps qui reste ?

Ils se regardent et sourient.

Noir

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.

Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.

 

Du même auteur

Pièces de théâtre

 

Alban et Ève, Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau,

Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bistrot du Hasard,

Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Comme un poisson dans l’air,

Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou,

Coup de foudre à Casteljarnac, Crash Zone, Crise et châtiment,

De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Des valises sour les yeux, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le Champagne,

Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur,

L’Étoffe des merveilles (adaptation), Eurostar, Flagrant délire, Gay friendly,

Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages,

L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits,

Il était une fois dans le web, Le Joker, Mélimélodrames, Ménage à trois,

Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne,

Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho,

Plagiat, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France,

Le Plus beau village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs,

Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes,

Un boulevard sans issue, Un bref instant d’éternité,

Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias,

Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13,

Y a-t-il un pilote dans la salle ?

 

Essai

Écrire une comédie pour le théâtre

 

 

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables

sur son site : www.comediatheque.net

 

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Octobre 2018

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-242-4
Ouvrage téléchargeable gratuitement

Minute, papillon ! Lire la suite »

Him and Her

A comedy by Jean-Pierre Martinez

About the exciting adventure of living together…
For one, two, three, four… couples.


The text of this play is to free download. However, an authorization is required for any public representation. To get in touch with Jean-Pierre Martinez and ask an authorization to represent the play : CONTACT FORM


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THE BOOK

This play has already been represented in Paris, Madrid, Montevideo…


Him and Her, Interactive Monologue

Jean-Pierre Martinez

A semiologist and a writer, Jean-Pierre Martinez has created a unique theatrical universe borrowing and blending elements from light comedy, black humour and the absurd. A powder-keg of a mix that is seducing an ever increasing audience. A script-writer for the French television series Avocats & Associés (France 2), he has written over a hundred television screenplays and seventy comedies for the theatre. He is one of the most frequently played contemporary playwrights in France and his plays have been translated in English, Spanish and Portuguese. Friday the 13th is his biggest play and has been performed in theatres all over the world, from Paris to Broadway, and from Buenos Aires to Mexico. All his plays are published by La Comediathèque and are available online (http://comediatheque.net). Originally from Paris but in love with Provence, he spends the best part of the year in Avignon where he registered the Compagnie Libre Théâtre, of which he is a director along with Ruth Martinez.


FULL TEXT OF THE PLAY

HIM AND HER, INTERACTIVE MONOLOGUE

 

Artists Entrance

1 – Wedding night

2 – Cherry time

3 – TV breakdown

4 – Quarantine

5 – Definition of love (through what it is not) and meeting again

6 – Carpaccio and Bacon

7 – Disappearance

8 – The world of sport

9 – Small talk

10 – Where do we go when we die ?

11 – Nightmare

12 – Furniture

Emergency exit


Artists Entrance

Dark. As if the show is about to start. However nothing happens long enough for the public to become unsettled. The light appears in a corner where two spectators, a man and a woman – strangers – are sitting side by side. The man looks nervously at a cinema/theatre guide, and then at his watch. The woman picks pop corn out of a huge bag, noisily stuffing handful after handful into her mouth.

Him – Sorry… Do you know what’s going on ?

Her – I guess we are waiting for the actors…

Him – Until now, only the audience were late for shows. If actors start doing the same…

Silence.

Her (worried) – Can I have a look at your guide ? In case the play has been cancelled…

He gives her his guide. But she doesn’t know how to take it, with her pot of pop corn in her hands.

Her (showing him the bag of popcorn) – Do you want some ?

He has no choice but to take the bag. She looks at the guide, but seems to be lost in it. He eats some pop corn with disgust.

Her – Sorry, I’m used to Time Out. I can’t find anything…

Him – And I don’t like pop corn…

She gives him back his guide, and takes back her pop corn.

Her – Anyway, it’s too late for a movie… We’re better off to waiting.

Him – I hope it’s worth it…

Her (worried) – Bad critics ?

Him (looking towards the public) – There aren’t many people…

Her – Well, the critics… They don’t mean much.. Sometimes, you see things, glorified by the critics. It lasts hours… but no one dares say they’re bored, for fear they sound like an idiot. Afterwards, they’ll tell you :  » That play was so deep, the proof : you didn’t understand a word of it… »

Him – Comedy is a different kettle of fish. If people don’t laugh during the show, they won’t tell you after : « Only a critic can understand how hysterically funny it is ».

Her – Are you a critic ?

Him (astonished) – Not you ?

Her – Actress…

Him – Of course…

Her – Only actors and critics go to the theatre nowadays… One in two spectators is an actor. It’s hard to tell where the stage is these days…

Him – You know the play ?

Her – Oh, no… But a friend of mine is performing in it. I came to see her… To do her a favour…

Him – Is she a famous actress…?

Her – She mostly does theatre…

Him – In that case… (Suspicious) You really are an actress?

Her (worried) – You don’t think I’m a good one ?

Him – Oh, no… You are very good.

Her – Actress by night and… museum attendant during the day.

Him – If you consider the modernity of the repertoire, it’s more or less the same job, isn’t it…?

Silence.

Her – I have no more pop corn.

Him – We might die before the show starts.

Her – Yes… It seems that they have forgotten us…

Him – In a few years, a cleaner will find our skeletons lying side by side, hand in hand…

Her – Hand in hand…?

Him – I think as the end grows near, we’ll become more affectionate towards each-other. We are like two shipwrecked souls on a desert island, aren’t we ? We don’t have much choice…

Her – You think they will give us our money back ?

Him (astonished) – Don’t tell me that you paid for this…

Her – Of course, not…

Him – Then…

They stand up in order to leave.

Him – We can always come back another time…

Her – If the play is still on. Which seems very unlikely…

Him – We could go to see another one.

Her – Is that an invitation…?

Him (showing an invitation) – For two.

Her – I hope that this time, it will start on time… What is it ?

Him (reading the invitation) – Him and her…

Her – Looks boring too…

Him – Sorry, I have to turn my mobile on…

Her – Oh, yes… I forgot to switch mine off…

They leave. Lights down.

1 – Wedding night

Him and her fall down on a couch, obviously exhausted.

Her – I thought they would never leave…

Him – They say that seven out of ten couples don’t have sex during their wedding night. Now I understand why…

Her – We could try to improve the average…

Him – You forget that we take off at 6.45 AM… From Luton…

Her – From Luton ?

Him – I told you ! I got the tickets on ebay…

Him – Why do the low cost companies have to take off from the most depressing town in England…? On the other hand, it’s true that when you leave from Luton, it makes anywhere look like a dream destination. Even Bratislava…

Him – They say that Bratislava is very beautiful… In spring…

Her – Don’t you mean Prague…?

Him – Similar region ?

Her – The Seychelles are beautiful all year round.. And don’t forget that spring starts only in two months…

Him – Oh, The Seychelles… Everybody goes there…

Her – It’s true that a honeymoon to Bratislava is a lot more original… We won’t meet lots of honeymooners on the plane… The only couple who mixed up Bratislava with Brasilia resold their tickets on ebay…

Him – We will treat ourselves with the Seychelles in a few years… For our wedding anniversary…

Her – Yeah. Our silver anniversary… When I won’t be able to get into my swimsuit… (Sigh) Life is unfair. We should inherit at 20, start working at 50 when we’ve finished our retirement, and procreate at 70, to have some company in our old age… And marriage would be at the end, a final vow…

Him – On the other hand, a lifetime without a mother in law… Is it really worth it…?

Her – Do you think I will still love you in 20 years ?

Him – Will you still have the choice…? When you can’t find a swimsuit that fits…

Her – I know a girl who said « no » on her wedding day, for a joke. She wanted to say « yes » immediately after but the mayor did not like the joke at all. She had to wait six months to get married for real…Turns out there’s a legal delay. Like for a driving licence. When you screw up, you can’t take it again right away. Did you know that ?

Him – No…

Her – This wedding was as boring as hell, wasn’t it ?

Him – People don’t marry just for the fun…

Her – Don’t tell me that they do it to go to Bratislava from Luton in the middle of the night. Or I’ll start asking myself why I said yes… What country is Bratislava in ?

Him – Well… Prague was the capital of Tchecoslovaquia…

Her – Then you don’t even know which country you’re taking me to for our honeymoon ! My mother was right : I really don’t know were I am going with you…

Him – Wait… Prague is now capital of Tchequia… Bratislava should be capital of Slovakia. Or Slovenia… Anyway, it’s in Europe ! We don’t even need a passport…

Her – And you, will you still love me in 20 years…?

Him – How could I not love my whole life long a girl who is ready to follow me to an unknown country of the EEC…?

She – If it’s a test then…

They kiss each other.

Him – I don’t want to hurry you, but our plane takes off in two hours. And it’s quite a long way to Luton…

2 – Cherry time

A couple, sitting on a couch.

Her – Did you see ? The cherry tree is in flower.

Him – Another year has past…

Silence.

Her – We’re happy, aren’t we…?

Him – Yes… (After a moment) We’re bored stiff, aren’t we ?

Her – Together ?

Him – Generally.

She thinks about it.

Her – We could buy another couch…

Him – What would we do with the old one ?

Her – Take a vacation…

Him – To go where ?

Her – Organise a party…

Him – To celebrate what ?

Her – The flowering of our cherry tree !

Him – They say that Japanese people do that, in spring. Invite friends round to contemplate their cherry tree, sipping tea…

Her – We should better hurry up. Some petals are already falling…

Him – So is some of my hair…

Her – Your hair ?

Him – It starts by one, and then you go bald before you know it… (After a moment) And who would we invite ?

Her – Friends !

Him – Friends…? We’ve got friends…?

Her – Probably…

Him – Anyway, people are always busy…

Her – You just need to give them notice.

Him – You invite them for a drink, they get out their diary… Instead of having a drink, you discuss about a possible date. Then they call you back to cancel and fix a new date… When I go for a drink, it’s right on the spot. In three weeks, I might not be thirsty anymore. There is no more improvisation !

Her – Maybe because people are afraid of being bored…

Him – You’ll see ! They will be busy. They will discuss a possible date. Meanwhile, the cherry tree’s petals will have fallen down…

Her – A carpet of petals is pretty too…

Him – Today it is sunny. But what the weather will be like in a month ? In addition to matching agendas, you have to consult the weather report. Inviting friends becomes even more complicated than foreseeing an eclipse. No… Instead of taking a chance on having fun with all this people in a month, I’d rather the guarantee of being bored with you right now.

Her – That’s so sweet…

Him – A few days ago, my best friend leaves me a message. I had not heard of him for months. I call him back right away to invite him for a drink. He tells me that he is busy, that he will call me to fix a date. I am still waiting. I never knew why he called me in the first place…

Her – Maybe he felt a little down…

Him – I don’t know if he did not feel so lonely after he called… In six months, he will probably call me again, and it will be the same. Is that what we call friends, now ? The same with the web ? They tell you that it is «friendly». You don’t even say hello to the guy next door, but with your computer, you will be able to chat with the Chinese in Esperanto. Do you know many Chinese people ?

Her – When I was a child, I used to communicate with my little neighbour by night, in Morse, with electric lamps. Even then it didn’t work very well…

Him – People are overbooked all the time. What can they possibly have so interesting to do, not to have a single moment to drink a coffee with their best friend without notice. I try to stay available. But nobody else ever is. So I get bored… You never get bored ?

Her – With you, never…

Silence.

Him – What about having this drink anyway ?

Her – The two of us ?

Him – Would you be available ?

Her – When ?

Him – Right now.

Her – Why not ?

Him – I’ll get the glasses.

Her – I’ll take care of the peanuts.

Somebody rings the bell.

Him – Are we expecting somebody ?

Her – No. Who can that be ? It’s almost dinner time.

Him – People are so bad-mannered. They won’t leave you alone, even at the week-end.

Her – I’ll go to see who it is…

Him – I’m not here for anyone.

She turns to him.

Her – And what if it’s a friend ?

He thinks about it.

Him – Tell him that our Japanese cherry tree is still in flower, and that he should come back when it has cherries…

3 – TV breakdown

A couple sitting on a couch, staring into space.

Her – Anything interesting on TV tonight ?

Him – I don’t know. Why ?

Her – Just like that… (After a while) You really don’t want us to buy another one ?

Him – When we had a TV, we couldn’t help watching it !

Her – That’s why a TV is made for, isn’t it ?

Him – We were totally moronic with the TV ! We didn’t do anything else !

They keep staring into space. Not doing anything.

Her (ironical) – What shall we do now ?

Him – What do you want us to do ?

Her – Nothing…

Him – It’s still better than watching TV… When there was only one channel, at least… But now, with the satellite…

Her (nostalgic) – When I was a child, we had no TV. I used to go watch it to at my neighbour’s…

Him (ironical) – You want me to ask the neighbour if you can go watch TV with him ?

Silence.

Her – We could talk.

He looks at her, upset.

Her – Since we no longer have TV, we could use the time to talk.

Him – Well… You first.

She tries to think about something.

Her – Do you love me ?

Him (shocked) – Could we do this… progressively.

He thinks about it.

Him – What do we have for dinner, tonight ?

Her – Wednesday, fish.

Him – Fish ? It should be Friday…

Her – Friday is chicken.

Him – A bit fishy, isn’t it…?

Silence.

Him – What kind of fish do you want ?

Her – I’ll go. I need to get custard, too… What about cod, for a change…?

Him – It’s a bit salty, isn’t it ?

Her – Not à la Française.

Him – That doesn’t involve custard does it ?

Silence.

Him – If ever you cheated on me, would you tell me ?

She looks at him, surprised.

Her – You mean : if you cheated on me, would I want you to tell me or not ?

Him – Also, yes…

Her – Why do you ask ?

Him – Just making conversation… Since we don’t have TV anymore.

She thinks about it.

Her – How do you want me to answer this ?

Him – Yes or no !

Her – Do you really think it’s that simple ?

Him – No ?

Her – Answering is already accepting the possibility that you could cheat on me.

Him – So ?

Her – It’s like if you asked me : if I murdered you, would you prefer me to go surrender to the police right after, or try to escape from justice ?

He doesn’t seem to understand.

Her – It supposes that I actually consider the possibility that you could murder me. That is the real question. The rest is irrelevant.

Him – But still, adultery isn’t a crime.

Her – It sometimes leads to crime…

He seems a little worried.

Him – If I cheated on you, you could kill me ?

Her – Anyway, if I did, I would most certainly surrender to the police. Justice has always been very lenient towards crimes of passion…

Silence.

Her – So, you actually consider the possibility of cheating on me.

Him – Ninety-five per cent of animals are polygamists. The rest form couples only for as long as it takes to raise their offspring. Proof that fidelity is not a natural thing…

Her – We are not animals. At least, women are not…

Him – There are still five per cent of monogamists among the animals ! It doesn’t make humans out of them. Why would fidelity be a criterion of humanity ?

Her – It is the foundation of the family, which is the foundation of society…

Him – So you won’t cheat on me solely to remain a good citizen ?

Silence.

Her – Is it that difficult for you to stay faithful to me ?

Him – No… I was just wondering if fidelity had the same meaning for men and women.

Her – So ? Why are men faithful, in your opinion ? When they are, of course…

He thinks about it.

Him – To avoid complications…?

Silence.

Him – Perhaps we should buy another TV.

4 – Quarantine

She is sitting on the couch. He arrives.

Him – It’s incredible. I just received another call from a friend of mine inviting me to celebrate his fortieth birthday. Unbelievable, isn’t it ?

Her – If you all were twenty at the same time, it is not so strange that twenty years later you could be forty more or less at the same time…

Him – I mean, what’s crazy is that I had no news from all this people for years… And all of a sudden, the phone doesn’t stop ringing !

Silence.

Her – Are you planning to go ?

Him – It scares me a little. They might have changed, it’s been a long time.

Her – Physically, you mean ?

Him – Physically, mentally… I hope they’re not too dishevelled.

Her (simpering) – What about me ? Are you sure I am not too dishevelled ?

Him – It’s different with you, I see you every day, you age little by little. But them, all of a sudden… It’ll be like The Return of The Living Dead… It’s weird, isn’t it, this sudden need to get together when people get close to their fortieth birthday…

Her – It’s called a birthday party, isn’t it ?

Him – They say that animals move closer to humans when they feel that the end is coming. It must be something like that. A kind of herd instinct. What could I possibly offer him ?

Her – A funeral contract…?

Him – It’s expensive, isn’t it ?

Her – I’m joking… What about you ?

Him – Yes, sure.

Her – No, I mean : Do you plan to do something about your fortieth anniversary ?

Him – What do you want me to do ? Any idea to preventing it ? Anyway, please, don’t organise a surprise party, okay…? If I haven’t seen all these people for years, there must be a very good reason.

Silence.

Him – How old are you, exactly ?

She looks at him, shocked, but does not answer.

Her – We should invite the neighbours for dinner one day.

Him – What for ?

Her – For nothing !

Him – They never invited us.

Her – Maybe they didn’t dare…

Silence.

Him – Just because we’re neighbours, it doesn’t mean that we need to be friends…

Her – The only friends we have live three hundred miles from here ! It could be nice to have friends next door…

Him – Well… From a practical point of view… It would cut travelling expenses. And hence reduce pollution. One could almost say that it is ecological to make friends with one’s neighbours.

Silence.

Him – What does he do, exactly ?

Her – I don’t know. Every morning, I see him leave home with a briefcase. Who knows where he goes. I’ll ask him next time, if you like…

Him – What about her ?

Her – They’re very discreet…

Him – Sounds like this dinner will be fun. If we don’t want to be intrusive…

Her – You’ll can always talk about yourself.

Him – They’ve got children, haven’t they ?

Her – Every day, three of them leave the house to go to school. I suppose they are theirs.

Him – Oh yes… A little, a medium and a big one… (Worried) Do we have to invite them too ?

Her – Oh, no ! I’ll specify that it’s a strictly adult evening. That way there’s no ambiguity.

Him – You were speaking about the neighbours in front, right ?

Her – The side neighbours ! The ones in front moved six months ago, after their divorce. Didn’t you see the sign « For Sale » ?

Him – No.

Her – And anyway, they didn’t have any children.

Him – Really…?

Silence.

Her – It wouldn’t be cleaning day, by any chance ?

Him – I’m afraid it is. (With a sigh) Housework is the foundation of the couple…

Her – That’s probably why a couple is called a household.

Him – And a triangle a « ménage à trois ».

She looks at him, surprised.

Him – Ménage means household, in French… When a man lives with two housewives…

Her – Three, in a house, can also be a couple with a child…

Him – Everyone has his own fantasies.

Silence.

Her – So ?

Him – You really think that now is the right time to have a baby ?

Her – It’s not a question of money, and you know it… Besides, we’re not so poor…

Him – We will be with a bunch of kids…! Look what happens in Africa, with the galloping population growth… I read a book years ago : «Black Africa Had A Bad Start». Well, it hasn’t got any better ever since… Today, nobody seriously thinks that Africa is in motion… Apart from the continental drift… The more babies people have, the poorer they are…

Her – Are you sure it is not the other way around ?

Him – Anyway, if poor people don’t have any children, the next generation, everybody would be rich… Look at the Chinese. They’re not allowed to have more than one baby, and they’re already much better off…

Her – Then, let’s start with one…

Him – When would we take care of this kid ? We don’t even have the time to sweep the floor !

Her – We would hire a cleaner.

Him – But we don’t have any room for this child !

Her – You could set up your office in the basement…

Him – That’s what I call a bad start… What about you ? Are you planning to stop working ?

Her – We’ll hire a nanny.

Him – In addition to the cleaner ? That’s no longer a « ménage à trois », it’s a small business ! I’m not sure I’m that entrepreneurial…

Silence.

Him – We won’t be able to go out in the evening anymore.

Her – We’ll hire a baby-sitter.

Him – I never realised just how much of a direct effect population growth has on employment.

Her – And consumerism…

Him – Diapers, baby-food, toys, medical care…

She – New car…

Him – Finally, you’re right. This baby will bring an end to the economic crisis…

5 – Definition of love (through what it is not)

Him – How long have we known each other ? Twenty years, at least ? (Silence) Why didn’t we ever sleep together, by the way ? We get along well, don’t we…? We could even have married ! It’s weird, I see you a bit like an ex. Though we never went out together… We almost did once, remember ? You forced me to drink. Or perhaps it was the contrary. We ended up at your place, completely drunk. We laughed our heads off all night long, but we forgot to sleep together. Maybe because we get along too well, precisely. It wouldn’t be spicy enough. We would get bored, in the end. It’s true, we laugh a lot together, but… I can’t imagine making love to a girl who is laughing. Well, there are different kinds of laughter. I can make a girl laugh to sleep with her. But sleeping with a girl who makes me laugh…! No, if I slept with you, I would feel like I was sleeping with a buddy. I mean a girl, but… Besides, I don’t like blondes. I know, you are not blonde. But you were when I met you… I didn’t know that it wasn’t your natural colour ! Doesn’t hang on much, does it? It is not that I don’t like blondes, but… It depends. It must have been the colour. You were too blond for me. Girls who are too blond, I don’t know, it puts me off. Physically. I don’t know why… It must be something to do with the skin-type. And now it’s too late. I will always think of you as a blonde who dyed her hair to become a brunette. Besides your are not really dark-haired… It is not light-brown, either. I don’t know how to call it… It’s neither blonde nor dark. It’s not that I don’t think you are sexy, right ? Anyway, all the guys think you are sexy. Usually, it’s rather motivating. But in this case… Really, I can’t think exactly why I never felt like sleeping with you… Is that what we call love ? I mean, the «je ne sais quoi» that makes us feel like fucking together, or more if inclined. We figured out what it is, can you believe it ! Through what it is not… Now, why did I marry my wife rather than you or another one ? Well, she liked me. It was easier. If she hadn’t liked me right from the beginning, would I have held onto her…? And if I had held onto her, would she have liked it…? We will never know. Mutual love is easier, of course, but it’s not so… How can I say…? Conquering without a battle makes the triumph modest. Besides, I wonder what she liked in me ? Have you got any idea… ? I could ask her, of course, but… If she asks me back… Sometimes, there are matters that are best left alone. A bit of mystery in the couple can’t hurt. Well, within reason. Once I went out with a girl. After a year or so, she ditched me. I asked her why. She told me that she was bored stiff in bed with me. A whole year ! Isn’t that taking discretion a bit too far… Now why did she go out with me for a year ? It didn’t even occur to me to ask… There must have been a reason ! Unless she lied. About my sexual performances, I mean… As a form of revenge… I’m not saying that because it hurts my male pride, right ? It just surprised me a little, that’s all. It’s true, I am a reputedly good lay. What about you ? No, I mean, really, don’t you want to tell why you never fancied going out with me ? (Worried) You don’t have to answer that, hey ?

And meeting again

She arrives, with a big smile on her face.

Her (pleased) – Do you recognise me ?

Him (turning to her, embarrassed) – No…

Her (knowingly) – It was years ago, but still…

Him – Oh, yes, maybe…

Her (offended) – Maybe ?

Him – I mean, of course, I remember now… How are things going ?

Her – Not too bad… What are you doing here ?

Him – Well, nothing. What about you ?

Her (upset) – Did I change that much ?

Him – Oh, no ! Absolutely. Why ?

Her – You didn’t seem to recognise me a while ago.

Him – Sorry, it is just that I didn’t expect to see you again, that’s all.

Her – Anyway, you didn’t change, I can tell you.

Him – Thank you…

Her – So, what’s up ?

Him – You know, same old things…

Her – Still very talkative, hey ?

He doesn’t know what to say.

Her – Did you come back a long time ago ?

Him – From where…?

Her – Well… From there !

Him – Oh, yes… I mean, not really.

They stupidly smile, embarrassed.

Her (moved) – I’m very pleased to see you again.

Him – Me too…

Her (knowingly) – I have to go, now. Someone is waiting for me…

She hesitates for a while.

Her – We’re not going to shake hands are we ?

Him – Okay…

Taking him by surprise, she French kisses him.

Her (pathetic) – We might meet again some other time…

Him (upset) – Maybe, yes…

Her – Well… So long Paul !

She lets go of him, with tears in her eyes.

Him – So long.

She leaves, turning around one last time. They wave good-bye from afar. He remains alone.

Him (taken aback) – Paul ?

6 – Carpaccio and Bacon

A couple admiring a painting that we can’t see, and that is hung on an invisible wall.

Him – Panini, isn’t it ?

Her – Let’s see.

She gets closer and, leaning forward, reads the name of the painter above the frame.

Her – Not quite, it’s… Carpaccio.

Him – Of course…

They admire the painting for a while, and then move on to another one.

Her (playful) – Want to give it another try ?

Him – Okay…

He looks the painting carefully.

Him – Picasso…?

She glances at him to make him understand that he is wrong.

Him – Pissaro…?

Her – Pissaro… Picabia !

Him – Oh yes… I always mix them up.

They proceed to the next painting.

Him – Your turn ?

She looks at the painting carefully.

She – Manet…?

He reads the name above the frame.

Him – Monet !

She – Well…! It’s about the same, isn’t it ?

They go on.

She – Look ! They have got a lot of Bacon too…

He looks at her a little, not sure to understand. Then they go and look at the painting.

Her – It’s good, isn’t ?

Him – Yes, it’s…

Her – It’s Bacon.

Him – Yes…

Silence.

Her (thoughtful) – Sometimes, I wonder…

Him – What ?

Her – If I didn’t know it was Bacon, would I find it so good ?

He looks at her, surprised.

Her – If I didn’t know that these paintings are worth millions ! Let’s be frank. Imagine that you have never heard of the Mona Lisa. You come across at the flea market. For sale. Three hundred pounds. Can you say for certain that you would hang her up above the fireplace ? This dope with her silly smile ?

He thinks about it.

Him – We do not have a fireplace, anyway…

Her – No, let’s be honest, even if we have visited dozens of museums and hundreds of exhibitions, would we really be able to see the difference between a piece of shit and a masterpiece…?

Him – We’ll never be able to tell. You don’t see anything but masterpieces in museums. It’s not fair, by the way. In all museums, they should save a room to expose just really crap stuff. The principal of the placebo test, you see ? Just to check out if the other paintings are really beautiful, or if we find them so just because they told us that they were.

Her – Anyway… Going to museum, it’s like going to church, isn’t ? One goes there for the atmosphere above all.

Him – Fortunately, you can practice even if you don’t believe… The same as for love…

She looks at him, not sure she’s understood.

Him – I mean, the same applies to marriage… Look at us… We married in church… However, we don’t really believe in God.

Silence.

Her – Do you remember our honeymoon to Paris ? You took me to the Picasso Museum…

Him (nostalgically) – Of course, I remember…

Her – We were so excited… It’s only half round that we realised that it was the Carnavalet Museum…

Him – Yes… They’re both in the same area…

Her (smiling) – I did wonder why the preliminaries were taking so long…

Him – The preliminaries…?

Her – I mean, Picasso… His first period…

Him – Oh, yes, of course…

Silence. They start to leave.

Her – Did you heard of that artist who paints under the sea ? (He is not sure he understands). He puts on a wet suit, goes into the sea and paints corals.

Him – I must say I never heard of him. Any good ?

Her – Well, pretty good, actually…

7 – Disappearance

A couple, sitting on a couch. They seem to be bored. He starts looking for something.

Him – Do you know where the remote control is ? It seems to have disappeared…

She looks at him, surprised.

Her – But… we don’t have a TV anymore !

Him – Oh yes, quite right..

Silence.

Him – What would you do if I disappeared ?

She looks at him, astonished.

Her – Like the remote control, you mean ?

Him – Not like the remote control ! If I disappeared, you see what I mean…

Her – You don’t feel well ?

Him – I’m fine, it’s just a hypothesis.

Her – Haven’t you got a happier one ?

Him – I am older than you. I will probably croak first.

Her – You’re hardly three years older…

Him – Women live longer than men, anyway ! Besides, I could have an accident. A heart attack. Cancer.

Her – Me too !

Him – Maybe, but I asked first.

Her – Well I don’t know. Do I have some time to think about it ?

Him – Prevention is better than cure…

She looks at him, not sure of understanding.

Him – I mean, it’s better to forewarn.

Silence.

Him – Anyway I can tell you, I would rather be cremated.

Her – Why do you tell me that now ?

Him – Well, I won’t be able to tell you after, will I ? (After a while) It’s my nightmare, that is, to be buried alive. Not you ?

Her – It probably doesn’t happen very often.

Him – Well, once is enough.

Her – And to be burned alive, doesn’t that scare you ?

He looks at her, worried.

Him – I never thought about that… (After a while) Do you believe that there is a life after death ?

Her – Is it really something to hope for…?

Him – You wouldn’t have to worry about money, you know…

Her (surprised) – If there was a life after death, you mean ?

Him – If I were to depart !

Her – Oh, yes… I wasn’t worried.

Silence.

Him – I wouldn’t be mad at you if you married again, you know.

Her – Thank you.

Him – Well, you wouldn’t necessarily have to marry him though..

Her – Him ?

Him – The guy you would get hitched with. You’d better keep your independence.

Her – What independence ?

Him – It’s funny, though. I can hardly imagine you with another guy…

Her (offended) – Do you think nobody would want to live with me ?

Him – Oh, no. On the contrary. In fact, I think I would be jealous.

Her – When you’re dead, you’ll be jealous ?

Him – Absolutely…

Her – And what if I were to… depart before you do ?

Him (fake) – Well, there you’ve caught me unprepared. (After a while) If I were to get hitched again, would you be mad at me ?

Her – I wouldn’t be there to see it.

Him – But you would be jealous…?

She looks at him, suspicious, but does not answer.

Him – Who do you imagine me with ?

Her – Do you want me to introduce you to a girlfriend of mine, just in case ?

Him – For the children, there are godfathers and godmothers… For members of parliament, it’s is the same. There are substitutes. If one gets sick or dies, you’ve got a new one at the drop of a hat. It’s all organised…

Her – Yes… And for cars, there are a spare wheels… (Upset) You are not telling me that you’ve already found my replacement, are you…?

Him – Well, it’s not that easy, you know ? (After a while) Silence. The good thing about bigamy, is that in case of death, one is only half-widowed.

She looks at him, astonished.

She – Indeed…

8 – The world of sport

She is reading a women magazine. He is bored. After a while, he hesitates, takes out a sports magazine, and starts reading it. She notices it and looks surprised.

Her – You buy sports magazines, now ?

Him – Why wouldn’t I ?

Her – Well… And… you’re really going to read it ?

Him – I leaf through… To make up my mind…

Her – About what ?

Him – I don’t know. A lot of men read this on the tube. I just wondered what was so interesting…

Her – So, did you find out ?

Him – No…

She looks dismayed.

Her – Are you interested in sports ?

Him – Not much…

Her – Then it’s not very surprising that you do not find any interest reading sports magazines…

He puts his magazine away.

Him – Well… To be interested in sports is one thing. To feel every morning an irrepressible need to know if Luton beat Bratislava 3 to 1 or if the match ended in a draw is another thing. I don’t even know where Bratislava is…

Her – It’s the capital of Slovakia, isn’t it…

Him – Are you sure ?

Her – Or Slovenia…

Him – Slovenia ? Do you really think they can afford a football team ? It’s a very small country…

Her – Well, the Vatican is another one. And they’ve got a lot of money…

Him – Don’t tell me that the Vatican has also got a football team…?

He goes back to his sports magazine.

Her – But why does it matter so much for you, all of a sudden, to understand why men read sports magazines ?

Him – It would seem that I need to be reassured about my manhood…

Her – Well, too bad…

Him – Thank you.

Her – Listen, you can be a man without reading sports magazines.

Him – Really…?

She thinks about it.

Him – I don’t know… Do you want me to subscribe you to a car magazine ?

He looks at her, wondering if she is making fun of him. She goes back to her womens’ magazine.

Him – What about you ?

Her – Me ?

Him – What interest do you find reading womens’ magazines ?

She glares at him.

Her – You read them too…

Him – Well… Only for fun…

Her – I don’t read sports magazines… Even for fun…

Him (disturbed) – Do you find me effeminate, is that it ?

Her – But, no… All men read their wives’ magazines. It’s common knowledge. Why do you think there are so many advertisements for cars in womens’ magazines ?

Him – Well you don’t see many advertisements for washing machines in sports mags.

Her – And yet, football is a very dirty sport… You only have to see the number of football players in the advertisements for washing machines.

She goes back to her magazine. But he still seems preoccupied. She notices.

Her – Is there still something you are worried about ?

Him – No, I was just thinking about the differences between men and women…

Her – So…

Him – Take the clothes, for instance… Pants are no longer a male monopoly, but the skirt is still a woman’s privilege.

She looks at him, incredulous.

Him – The same with colours. You women can wear grey or pink as well. We have to stick to grey. Or brown… (After a while) You blame us for not liking shopping… But do you realise how depressing a men’s shoe store can be ?

She looks worried.

Her – You would like to be able to wear a pink miniskirt with stilettos ?

Him – No ! It’s just a simple statement of fact… You have stolen the best of our male attributes, and we did not receive anything in exchange. (He huffily goes back to his sports magazine) At least, we still have sports magazines.

9 – Small talk

She is reading. He stares into space. She notices.

Her (surprised) – What are you looking at that way ?

Him – TV…

Her – But we don’t have one anymore !

Him (with a sigh) – I know, but… It’s like if my legs had been amputated and I still had pins and needles in my feet…

She stares at him, and then goes back to her book. After a while, she looks at him again.

Her – It’s weird, today, I received a call for you on my mobile…

Him – Oh, yes, sorry, I forgot to tell you. I put your phone number on my answering machine at the office, so people I work with can join me during the holidays…

Her – The holidays ? But it’s a week from now !

Him – Well… At least, they have it.

Her (staggered) – My mobile phone number !? And meanwhile, for a whole week, I’m going to receive calls from « people you work with »…?

Him – I don’t know… Tell them to call me back during the holidays…

Her – Don’t you think it would have been easier for you to get one ?

Him – Me !? A mobile ! When I’m not at work, I like people to leave me alone. I don’t want them to bother me…

Her – So you prefer that they bother me !? I was right in the middle of a disciplinary committee at college, when a guy called me to ask when I – I mean when you – planned to submit your article titled « The wearing of G-string in the workplace is a human right » ? Don’t you think it doesn’t bother me ?

Him – You don’t switch off your mobile during disciplinary committees ?

Her (ironical) – Sorry, I forgot… Listen, a mobile is something very personal. You cannot lend it to anybody. Even your husband. I don’t know how to explain… It’s like a toothbrush…

Him – A toothbrush ? Well… If you want to use my toothbrush during the holidays, no problem…

Her – Well, a computer, then ! Would you let me use your computer if mine was disabled by a virus ?

He does not answer.

Her – And after the holidays ?

He seems not to understand.

Her – I’ll still receive calls for you !? It’s a good thing you don’t have anything to hide…

Him – After the holidays, I’ll tell them that I lost this bloody phone. Or even better, that it was stolen from me ! Mobiles are often stolen…

Her – Perfect ! That way, if somebody reaches me anyway, he will call me a thief ! Do I have to remind you that this phone is mine ?!

Him – Well, if you prefer, you can let me have it. And you can buy another one…

Her – Of course ! And then, when the people I know will call me, they’ll get in touch with you…

Him – I’ll give them your new number, and that’s all…

Her – You’re right, it’s much easier than you simply buying a phone for yourself. (Suspicious) Don’t tell me you’re using mine just to spare you the trouble…?

He does not answer. Silence.

Him – You’ll never guess what the butcher called me this morning…

Apparently, she doesn’t care.

Him – « Young man »… (Imitating the butcher) « And for the young man, what will it be today ? ». It’s the first time he’s called me that…

Her – Well, it’s the male equivalent of  » And for the young lady, what will it be today ».

Him – It’s scary, isn’t it, that the butcher could see us as « the young man and the young lady » ? It’s a good thing that we don’t go shopping together. He would be able to call us « the young couple ». (Imitating again the butcher) « And for the young couple, what will it be today ? ». Then, I think I would become a vegetarian on the spot.

Silence.

Him – Anyway, I’ve always found meat a little disgusting, haven’t you ?

Back to her book, she doesn’t answer. But he proceeds all the same.

Him – Chicken, at a push… True, it’s scary, a butcher’s shop, if you think about it. Bleeding flesh spread out everywhere. Entire animal carcasses in the cold room. All those innocent cows locked up in camps in the countryside, surrounded by barbed wire, sometimes even electrified; waiting to be dragged out to the slaughterhouse and be cut up… Poor beasts. At least, they don’t know what’s going to happen to them. When I see those huge guys, with those kind of white shrouds on their heads, taking the bodies of their victims out of the refrigerator truck, carrying them on their shoulders… Looks like the Ku Klux Klan…

She still does not react. He turns to her.

Him – Did you know that sikhs were strictly vegetarian ?

She finally looks up.

Her – Oh, by the way, no need to go to the department store for a bathroom neon. I dropped in this afternoon. (After a while) I came across our neighbour from in front. She was buying a huge suitcase…

He looks at her, seeming not to understand. A mobile rings. She answers.

Her – Yes…?

Her smile vanishes.

She (with pretend amiability) – No, this is his secretary speaking, but hold on a second, I’ll patch you through right away. Whom do I have to announce ? (She holds the phone out to him, exasperated) It’s for you. Your buddy Peter…

He takes the phone as if nothing had happened.

Him – Hello !

He seems to be a little embarrassed.

Him – How does this thing work anyway…?

10 – Where do we go when we die ?

They are sitting on a couch.

Him – Did you see the postman, this morning ?

Her – You’re expecting something ?

Him – Not really… But I always hope for a miracle when I open the mailbox. To be told I won a competition I didn’t go in for. That an old and loaded aunt I didn’t even know about died with no heirs. That they awarded me the Nobel Prize in advance for my future work… Every day, opening the mailbox, I am like a child in front of the tree, on Christmas Day.

Her – That’s right… Growing up, we don’t believe in Santa Claus anymore, but we still believe in the postman. Besides, there are some similarities… They both wear a uniform. They come by with a sack. They drop off packets, and you never get to see them…

Him – Well, the postman, you can see him on Christmas day, precisely, when he comes for his tips… (With a sigh) I hate Christmas. Every new year, there are less greeting cards in the mailbox, and more funeral announcements… (After a while) But why am I waiting for the postman as if he was the Messiah…? On the other hand, the Messiah’s father might very well have been the postman, right ? Because this story about the Immaculate Conception… Unless you believe in Santa Claus too…

Her – To get letters, you have to write some. Most people just receive answers. If you never send letters, don’t be surprised not to get any… I think I never received a letter from you…

Him (ironical) – Do you want us to write each other once in a while ?

She looks at him, wondering if he’s serious or not.

Him – What could we possibly have to say each other any way…? I would feel like I were writing to myself. Besides, we always write more or less to ourselves, don’t we ? There are people you write endless letters to… And when you finally meet them, you realise that you don’t have anything to tell them. No, definitely, writing has something to do with onanism…

She treats herself to a drink and lights a cigarette.

Him – You smoke now ?

Her (surprised) – Well, yes… I have been smoking for twenty years. Didn’t you ever notice ?

Silence.

Him – Did you know that every cigarette reduces your life by ten minutes ? (She does not answer) How many cigarettes a day do you smoke ?

Her (ironical) – According to my calculations, I should have died six months ago. Maybe I am…

Silence.

Him – The same with the mobile, right ? Not very healthy. They say that if you use it more than an hour a day, you are sure to get brain cancer. You better not go over your monthly contract… (After a while) By the way, you know what your daughter asked me this morning, while I was brushing my teeth ?

Her – No.

Him – Where do we go when we die ?

Her – What did you answer ?

Him – What do you think I answered ?

Her – I don’t know.

Him – Right. It’s exactly what I answered.

Her – So ?

Him – She told me : But dad, when we die, we go to the cemetery !

Her – And then ?

Him – Then, she went back to eating her corn-flakes. Apparently, she was happy to have taught me something; and a bit surprised that, at my age, I still didn’t know what was waiting for me… Incredible, isn’t it ?

Her – What ? That she asked you that ?

Him – No, that children are so able to accept simple answers to simple questions. A philosophy teacher would have spoken of metaphysics, immanence, transcendence, the whole damn lot… even God. Children are much more pragmatic. Besides, they are naturally atheist.

Her – They believe in Santa Claus.

Him – Well… Because theirs parents tell them that he exists, and that he will bring them gifts. Otherwise, they wouldn’t have invented him by themselves. If somebody told you that an anonymous benefactor would pay you a bonus at Christmas every year, you wouldn’t question his existence. But God never brought us anything for Christmas, and some adults still believe in him… Do you believe ?

Her – In Santa Claus ?

Silence.

Him – What’s incredible, too, is that it wouldn’t scare her.

Her – What ?

Him – The prospect of being buried ! You and I… we are wetting ourselves… Why not her ? (After a while) I’ll have to ask her tonight what she means exactly by «when we die, we go to the cemetery »… What do you think she means by that ?

She looks at him, embarrassed.

Her – Well… that.

Him – What… that ?

Her – When we die, we go to the cemetery…

He looks at her, astonished.

Him – Then you believe that too…?

Her – You don’t ?

Him – Well, of course… I mean…

He laughs at her.

Him – Wait, don’t tell me that it’s as simple as that for you too !

Her – In a way… It is.

He looks at her, mocking.

Her – I don’t know, a while ago, you thought it marvellous not to worry about anything. To be satisfied with simple answers to simple questions.

Him – Well yes, but… You’re not five years old !

Her – Ok, then. Go on. I ask you the question : Where do we go when we die ?

Him (taken aback) – Well… It’s not as simple as that…

Her – I’m listening…

Him – I don’t know, it’s… as a fact of matter…

Her – Fact of matter..? You mean as a matter of fact ?

Him – Where do we go when we die…? We go nowhere !

Her – We go to the cemetery !

Him – Well, if you want…

Her – Even if I do not !

Him – But, look… We go to the cemetery, it doesn’t mean anything ! One can perfectly well go to the cemetery whilst still alive, have a little walk around, leave the cemetery and go get lunch in a Chinese restaurant. What does that mean, go to the cemetery ? Besides, one can die and not go to the cemetery. When they don’t find the body ! You see ? In that case, you can’t say : When we die, we go to the cemetery. Can’t you see that it is not as simple as you think it is ?

Her – Well… Then if your daughter asks you again, what will you answer ?

Him – I don’t know… (He thinks about it) I will answer… When we die, we go to the cemetery… usually. If they find the body… When you are alive, you can also go to the cemetery… But when you are dead, it’s for ever.

Her (coughing) – Yes…

11 – Nightmare

He arrives wearing a blond wig, carrying a football ball, and acting like a child. After a while, she arrives behind him, wearing a man’s jacket and a moustache like Hitler or Chaplin.

Her (loud) – Guten Tag…

He jumps seeing her.

Him – But… Who are you ?

Her – I am… the baby-sitter.

He looks terrified. She brings out a packet of cigarettes.

Her (holding out the packet to him) – Do you smoke ?

He is about to take a cigarette, but prudently renounces.

Him – No, thank you.

Her – Natürlich. It’s forbidden… There is an ashtray, but it doesn’t mean a thing ! It’s only to avoid law-breakers burning the carpet… The same old things. They promulgate laws, but always have an afterthought in case they’re not respected… (She brings out a chewing-gum packet) Would you like a chewing-gum ?

Him – It gives me wind…

Her – You know why the subway’s cicadas are an endangered species ?

Him – There are cicadas, in the subway ?

Her – Or crickets, I don’t know. Well it’s because they ate cigarette butts. Since they prohibited smoking in the subway, of course, they are starving. Do you realise ? A whole ecosystem has been turned upside down… Well, they could start eating old chewing-gum…

Him – Not long ago, I saw an exhibition about animal life in urban surroundings. It’s not very well known, but there is an incredible fauna, in big cities like London. Even wolves. But thousands of them, you know ?

Her – Wolves ?

Him – Of course they only go out by night, in parks…

Her – You mean… foxes ?

Him – Oh, yes, maybe… Anyway, I never saw any of them…

Her – Because most parks close at night…

Sound of a door closed and locked. He looks scared.

Her – The cleaner locked the door… and took the key away.

Him – There are no windows… We won’t even be able to call for help…

Her – Don’t you have a mobile…?

He goes through all his pockets, and finally smiles with relief while bringing something out of a pocket.

Him – Oh, yes ! (His smile vanishes while he realises that it is not a mobile). Gosh, it’s the remote control I was looking for everywhere…

Her – Besides… there is not even a TV in here !

Him – Well… I guess we just have to wait for the postman to set us free tomorrow morning…

Her – Tomorrow, it’s Christmas Day.

Him – Oh, yes, that’s right, fuck…!

Her – You might be willing to lie down…?

He looks at her, terrified. She brings out a white sheet.

Her – If we are planning to see Christmas together, we better get comfortable… Which side do you prefer ?

Him – I have no preferences…

Her – Then, I will take this one…

She slips under the sheet. He does the same.

Her – Merry Christmas, then !

Him – Well, yes… Merry Christmas…

After a while, he screams and wakes up with a start. She wakes up too. He is no longer wearing his blonde wig, nor she her moustache.

Her – Are you all right, darling ?

Him – Well, yes… I must have had a nightmare. I dreamt it was Christmas Day…

Her (looking at him, surprised) – But darling… It is Christmas Day !

12 – Furniture

The stage is totally empty. He is there, standing. She arrives from outside.

Her (looking around, astonished) – But… Where is the furniture ?

Him (proud of himself) – You will never guess.

She stares at him, waiting for an explanation.

Him – A guy knocked at the door, this morning. An antique dealer…

Her (worried) – So ?

Him – At first, of course, I told him that we did not have anything to sell…

Her – And then…?

Him – Then I told myself that it didn’t hurt to ask him to value the whole stuff. The estimation was free. You’ll never guess how much he offered me for all this shitty things.

Her – How much…?

Him – More than enough to buy others.

Her – Then why did you sell them ?

Him – For a change ! You told me that you wanted to buy another couch.

Her – So…?

Him – You know perfectly well that if we had changed the couch, we would have had to buy another table to match it. Then, we would have to have changed the chairs, and so on…

Her – Well, maybe…

Him – It would have cost a fortune ! And what would have we done with our old furniture ?

She does not answer.

Him – This way, it’s much easier.

Her – And… meanwhile ?

Him – Meanwhile what ?

Her – Meanwhile we buy new furniture…

He looks the empty space around him.

Him – As far as I am concerned, I never liked over-furnished rooms.

Her – Well, now, it’s not over-furnished at all…

Him – Aren’t you happy ?

Her – Not to have furniture anymore…?

Him – But… you told me that you didn’t like our old couch !

Her – I never said that I didn’t want any furniture at all ! We don’t even have a bed anymore !

Him – But I just told you that… I thought you would be happy !

Her (conciliatory) – Listen, we will have dinner in a restaurant tonight, then we will spend the night in a hotel, and tomorrow we will go buy furniture. Alright ?

Him – Alright…

Silence.

Him – We still have to choose the style.

Her – Since we have to change, we better go for modern, don’t you think ?

Him – Okay… But then, we will have to redo the paintwork…

Her – Don’t you think you’re are a bit too perfectionist ?

Him – Modern furniture with this dirty paintwork ? It will clash…

Her (ironical) – We’d better move, hadn’t we ?

Him – Do you think so ? (After a while) At least, that way, it would be done very quickly… We turn the water and the electricity off before we go out, and we wouldn’t even have to come back.

She suddenly worries about something.

Her – Did you think about emptying the drawers ?

Him – Of course.

Her – What about your wedding ring ?

Him – My wedding ring…?

Her – The one you were keeping in the bedside table drawer !

Him – Oh, shit…

She does not add anything, but she looks staggered. So does he.

Him – It has been there for so long. I didn’t even think…

Silence.

Her – Have you got this antique dealer’s address ?

Him – No… He gave me cash, put the whole stuff in his truck, and left. (After a while, unconvinced) If he finds it, he will probably give us a call…

Her (bitter) – Yes… And if he doesn’t, you’ll always be able to change your wife… You’ll just have to choose a more modern one, to match the new paintwork and the new furniture.

Him – I’m really sorry…

Her – Why didn’t you ever wear the wedding ring anyway ?

Him – I did ! Before we got married… Remember ? I bought our rings in a bazaar in Yemen; to make them think we were married. Otherwise, they didn’t want to rent us a hotel room.

Her – Well, now that you sold our furniture, including our bed, we won’t have any other choice but to find a hotel tonight…

Him – Don’t worry. We live in a civilised country. They won’t ask for our marriage certificate…

Her – And after the wedding ? Why did you leave your ring in the drawer ?

Him – Well… I was afraid of losing it.

Silence.

Him – Are you angry…?

She does not answer.

Him – Come on, let’s go !

Her – Where ?

Him – To the hotel ! It will be like another honeymoon ! No more rings, no more furniture, no home anymore… We’ll start all over again !

Her – I still have my ring…

Him – You better take it off.

Her – Why ?

Him – You look married, I don’t. In the hotel, they will think we have an illegitimate relationship…

Her – So you’re giving me the choice between celibacy and adultery, are you ?

They leave.

Her – You have got a strange idea of marriage.

Emergency exit

Light on a couple, about to leave. He puts on his coat. She takes out a cigarette.

Her (enthusiastic) – So…?

Him (categorical) – Crap.

Her (shocked) – Crap ?

Him – Load of crap.

Her – You didn’t understand anything, then ?

Him – There was something to understand ?

Her – Oh, yes, of course…

Him (looking at her) – Of course what ?

Her – You get your revenge…

Him – What revenge…?

Her – This time I liked it, then you don’t… That’s really mean, don’t you think ?

Him – Wait, I didn’t like it, that’s all ! I’m not going to tell you that I liked it just to please you !

Her – You didn’t say that you didn’t like it, you said that it was crap. It’s not exactly the same !

Him – Well, I don’t really see the difference…

Her – It was crap, I liked it, so I am crap.

Him – You said it…

Her – I didn’t say it, Plato did.

Him – Plato says that you’re crap ?

Her – It’s called a syllogism. All women are mortal, I am a woman, so I am mortal.

Him – If Plato says so, then… As far as I am concerned, I just said that I found this thing dead boring. (After a while) Besides, I’m not even sure that your syllogism stands up.

Her – That’s right, go on…

Him – But… what did you like ?

Her – Everything !

Him – That’s rather vague, isn’t it ?

Her – What did you not like ?

Him – Well, I’d rather not get into details. You’ll get upset again…

Her – Me, upset ? Wait, I don’t care you didn’t like ! I liked it, that’s all. I feel sorry for you if you were bored…

Silence.

Him – We’re not going to argue about that, are we ?

Her – Sometimes, I wonder what we’re doing together…

He takes her gently by the shoulder.

Him – Come on…

Her – Next time, I hope we will both like it…

Him – Or at least that we will agree…

She looks at him.

Him – We might both get bored.

Her – Well yes… It’s a minimalist idea of harmony…

They leave. Dark.

Paris – Novembre 2011 © La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-31-4

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Il était un petit navire

Save Our Savings –  Había una vez un barco chiquititoJogo de Escape

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

7 comédiens
Certains rôles sont indifféremment masculins ou féminins
3H/4F, 2H/5F, 1H/6F

Six personnages mystérieux sont bloqués sur une île par une grève de ferry. Ils ont tous une bonne raison pour vouloir regagner le continent au plus vite. Ils embarquent sur un bateau de pêche piloté par un passeur improvisé. Mais le prix à payer pour cette traversée sera plus élevé que prévu… Une fable humoristique sur les travers de notre société.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Le mot de l’auteur à l’occasion de la création de la pièce en Belgique

C’est plaisir et un honneur pour moi, auteur français, de voir cette pièce, écrite il a moins d’un an, créée pour la première fois en Belgique, presque simultanément par deux compagnies, à Bruxelles donc, et aussi dans la Province de Luxembourg. J’aime la Belgique, et elle me le rend bien ! «Il était un petit navire» est une célèbre comptine enfantine, dont j’ignore si elle est aussi connue dans votre pays qu’en France. Cette chanson raconte l’histoire de marins naufragés qui, à la dérive sur un radeau, et venant à manquer de vivres, décident de tirer à la courte paille pour savoir lequel sera mangé. Le thème de cette chanson fait tragiquement écho à l’actualité de ces migrants à la dérive sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie. Mais c’est une comédie que j’ai voulu écrire. Cette pièce est donc plutôt une fable sur les travers de notre société, livrée aux excès du capitalisme financier. Le navire en question tient à la fois de l’Arche de Noë et du Radeau de la Méduse. Et les «migrants» qui ont pris place à son bord sont des exilés fiscaux. Cela ne les empêchera pas, devant la perspective du naufrage, de s’entre-déchirer. Car dans le monde des puissants, la seule morale qui vaille est « chacun pour soi et moi d’abord ». Je préfère de loin celle de cette sympathique compagnie, «Les Copains d’abord», nom qui réfère à une autre chanson française, de Georges Brassens celle-là, parlant aussi d’un bateau, dont les matelots n’étaient pas «des enfants de salauds, mais des amis franco de port». Merci aux «Copains d’abord» de donner vie à ce texte, et bon spectacle à tous ! 


LIEN VIDÉO

 

 

 

 

 

 

 

 

 


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Il était un petit navire

7 personnages

Max
Diane
Yvonne
Charles
Sergio
Amanda
Marie

Les rôles de Maximilien (ou Maximilienne) et de Sergio (ou Sergia) sont indifféremment masculins ou féminins

Tableau 1

Le pont d’un bateau de pêche. Au fond un gouvernail. Quelque part une bouée de sauvetage avec le nom du bateau : L’Entreprenant. Devant deux transats. Max, une casquette de capitaine sur la tête, déplie une carte pour l’étudier. Il regarde la carte à l’envers, la remet dans le bon sens, puis il regarde autour de lui, essayant de s’orienter. Diane, genre business woman, arrive, traînant derrière elle une valise de luxe à roulettes. Après une légère hésitation, elle s’adresse à Max.

Diane – Vous avez consulté la météo marine, ce matin ?

Max replie précipitamment la carte.

Max – Oui, et ils annoncent du brouillard.

Diane – Quel mot de passe à la con…

Max – Les mots de passe, c’est toujours un peu con.

Diane – La question, c’est… pourquoi un mot de passe ?

Max – Par les temps qui courent… Si vous saviez le nombre de gens qui seraient prêts à tuer père et mère pour quitter cette île au plus vite. Vous êtes sûre que personne ne vous a suivie ?

Diane – Je ne crois pas…

Max – Bon… Je vous demanderai quand même de ne pas parler trop fort. Depuis le pont d’un bateau, vous savez, les voix portent très loin. Et il n’est pas impossible qu’on nous observe…

Diane – Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ?

Max – C’est mon devoir de veiller à la sécurité des passagers. Vous connaissez la formule. Seul maître à bord après Dieu. Et comme je ne crois pas trop en Dieu…

Diane jette un regard autour d’elle.

Diane – Donc vous êtes le… capitaine de ce bateau ?

Max – C’est moi, oui. Mais je vous en prie, appelez-moi Maximilien.

Diane – Maximilien ? C’est curieux, ce nom me dit vaguement quelque chose.

Max – Ou Max, pour les intimes.

Diane (froidement) – Diane de la Rochelière.

Max – Diane, très bien.

Diane – Vous parliez d’un yacht… Je ne m’attendais pas à… ça.

Max – Hélas, j’ai dû laisser mon yacht en cale sèche pour le contrôle technique. C’est un ami qui m’a prêté celui-ci. Mais je vous assure que…

Diane – Ça ressemble beaucoup à un bateau de pêche, non ?

Max – Mon ami est pêcheur, en effet. Enfin… la pêche au gros, bien sûr. Le thon… ou l’espadon.

Diane – Le thon ? D’après l’odeur, je pencherais plutôt pour la pêche à la morue…

Max – Ça doit venir du port… Quand on sera en pleine mer, vous verrez, on ne sentira plus que l’air du large.

Diane – Et vous êtes sûr que ce rafiot est vraiment fait pour le grand large ?

Max – Nous ne sommes qu’à une trentaine de kilomètres du continent… On ne peut pas vraiment parler de grand large.

Diane – Enfin, à la guerre comme à la guerre. La traversée dure combien de temps ?

Max – Je dirais une petite heure, pas plus.

Diane – OK…

Max – Deux au maximum, par vents contraires.

Diane – Par vents contraires ? Ne me dites pas que c’est un bateau à voile… Vous me prenez assez cher comme ça pour le gasoil.

Max – Rassurez-vous, c’est bien un bateau à moteur.

Diane – Je peux voir ma cabine ?

Max – Votre cabine ?

Diane – Ah, d’accord…

Max – Il y a deux couchettes en bas. Mais je vous préviens, c’est assez sommaire.

Diane – Rassurez-moi, il y a des toilettes, au moins…

Max – Ah oui, quand même.

Diane – Bon…

Max – Je vous l’ai dit, il s’agit seulement d’une traversée d’une heure ou deux. On ne va pas y passer la nuit. (Plus bas) Enfin, j’espère…

Diane – Pardon ?

Max – Non, je disais… Si vous voulez vous détendre un peu sur le pont en attendant.

Diane – Je ne suis pas sûre de pouvoir me détendre aussi facilement. J’imagine que vous ne servez pas de cocktails non plus.

Max – Désolé, le barman a pris sa journée. Mais asseyez-vous donc dans cette chaise longue.

Diane – Merci, je vais rester debout. On met les voiles dans combien de temps ?

Max – C’est un bateau à moteur.

Diane – Oui, j’ai compris. Mettre les voiles, c’était juste une façon de parler.

Max – Eh bien… nous appareillerons dès que tout le monde sera là.

Diane – Tout le monde ? Comment ça, tout le monde ?

Max – Les autres.

Diane – Ah parce qu’il y a d’autres passagers ?

Max – Avec cette grève surprise de la compagnie de ferry, beaucoup de gens sont coincés sur cette île. Ils cherchent tous désespérément un moyen de regagner le continent. À n’importe quel prix…

Diane – Donc vous vous êtes improvisé passeur…

Max – J’essaie seulement de rendre service.

Diane – Moyennant finance…

Max – Vous n’étiez pas obligée d’accepter… À ce propos, si cela ne vous dérange pas, je préférerais être payé d’avance. Et en liquide…

Elle fouille dans son sac, et lui tend quelques billets.

Diane – Voilà votre argent… (Ironique) Capitaine…

Max – Merci.

Diane – On se croirait dans un mauvais remake de film noir américain.

Max – Vous trouvez ?

DianeLe Port de l’Angoisse, par exemple. Sauf que vous ne ressemblez pas du tout à Humphrey Bogart.

Max – Ni vous à Lauren Bacall… Je vais mettre le moteur en route. Si vous avez besoin de moi, vous n’avez qu’à me siffler. Vous savez siffler, Diane ?

Il s’en va sans attendre la réponse. Le portable de Diane sonne et elle répond.

Diane – Oui, Monsieur le Directeur, on vient de signer le contrat, je m’apprêtais à vous appeler, justement. Oui, mais j’ai quelques difficultés à trouver un moyen de transport pour regagner le continent. Les marins de la compagnie de ferry ont arrêté le travail. Que voulez-vous ? Maintenant, même dans les paradis fiscaux, on n’est pas à l’abri d’une grève. Non, ne vous inquiétez pas, je serai bien là demain matin pour le conseil d’administration. Avec le contrat signé, oui, je vous le promets… Je sais, votre réélection au conseil en dépend… Et les actionnaires attendent des résultats… Non, je ne vous décevrai pas, Monsieur le Directeur…

Arrive Amanda, genre starlette ou call girl, vêtue de façon sexy mais plutôt vulgaire. Elle porte une valise, elle aussi, mais plus ordinaire et plus usagée, voire une valise de routard couverte d’étiquettes évoquant d’innombrables destinations de voyages. Diane, toute à sa conversation téléphonique, ne remarque pas son arrivée.

Diane – Oui, je rapporte aussi tous les fonds qui étaient sur le compte secret que vous m’avez demandé de solder. En liquide oui, comme convenu… Dans le double-fond de ma valise, c’est ça… Alors dans un sens, c’est vrai que si on peut éviter la douane… Écoutez, j’ai trouvé une place sur une sorte de chalutier. C’est assez pittoresque… C’est cela, je vous raconterai. Bonne journée, Monsieur le Directeur.

Elle range son portable.

Amanda – Salut. Vous avez regardé la météo, ce matin.

Diane remarque enfin sa présence.

Diane (encore ailleurs) – Non pourquoi ?

Amanda – Excusez-moi, je croyais que…

Diane – Ah oui, si… Pardon… Je crois qu’ils annoncent de l’orage.

Amanda – Je pensais que c’était du brouillard, plutôt…

Diane – Oui, bon, du brouillard, de l’orage… On s’en fout, non ?

Amanda – C’est vous la taulière ?

Diane – La taulière ?

Amanda – J’ai réservé une place sur ce morutier. Il est où, le maquereau ?

Diane – Le maquereau ?

Amanda – Le capitaine !

Diane – Ah oui, le… Il est en train de faire chauffer le moteur, je crois.

Amanda – Je vais l’attendre ici, alors. (Lui tendant la main) Moi, c’est Amanda. Et vous ?

Diane (sans saisir la main qu’elle lui tend) – Diane de la Rochelière.

Amanda – Encore une veine qu’on ait réussi à trouver ce taxi, parce que sinon, on restait coincées là comme des phoques sur la banquise. Une grève surprise, comme ça, sans préavis. Ça ne devrait pas être permis.

Diane – En même temps, s’ils avaient déposé un préavis, ce ne serait plus une grève surprise…

Amanda – Vous êtes une maligne, vous… Alors vous aussi, vous avez le feu au cul ?

Diane – Pardon ?

Amanda – Non, je veux dire, vous aussi, vous êtes pressée de partir.

Diane – Oui. On peut dire ça…

Amanda – Vous avez un rendez-vous urgent ? Ou alors vous avez quelque chose à cacher… Moi aussi, je préférerais autant éviter la douane…

Diane – Ne vous sentez surtout pas obligée de me faire la conversation, vous savez.

Amanda – On va passer trois ou quatre heures ensemble, autant bavarder un peu. Ça passera plus vite, non ?

Diane – Trois ou quatre heures ? Le capitaine m’a parlé d’une petite heure !

Amanda – Moi, il m’a dit une demi-journée, je crois.

Diane – Dans ce cas, il serait temps de partir. Si on veut arriver avant la nuit. Je ne sais pas ce qu’il attend.

Amanda – Les autres passagers, j’imagine.

Diane – Vous savez combien on est, exactement ?

Amanda – Une dizaine, je suppose.

Diane – Mais enfin, ce n’est pas possible ! On ne va jamais tenir à dix sur ce bateau !

Amanda – On dirait que vous n’avez jamais pris le RER A entre 7 et 8 heures du matin.

Diane – Eh bien cela va peut-être vous surprendre, mais non. En effet, je n’ai jamais pris le RER.

Amanda – Vous travaillez en province ?

Diane – Non, mais je ne me déplace qu’en voiture, avec chauffeur.

Amanda – Je vois… Et c’est quoi, votre métier ?

Diane – Je suis dans la finance. Je ne vous demande pas le vôtre…

Amanda – Vous pouvez ! Je n’ai rien à cacher, vous savez…

Diane – Vous voulez dire… dans votre métier, vous n’avez rien à cacher ?

Max revient et aperçoit Amanda.

Max – Ah ! Vous devez être Amanda.

Amanda – Oui… Comment vous m’avez reconnue ?

Max – Je ne sais pas… L’intuition masculine, sans doute. Disons que… vous ressemblez beaucoup à votre prénom.

Amanda – Merci… Et vous, c’est quoi votre petit nom ?

Max – Max.

Amanda – Ah, oui… Ça vous va bien aussi.

Max – Ah oui ? Et pourquoi ça ?

Amanda – Je ne sais pas… Vous avez l’air d’assurer un max… Hein, Capitaine ?

Diane – Bon… Maintenant que les présentations sont faites, on pourrait peut-être lever l’ancre.

Max – Ce n’est sans doute encore qu’une façon de parler, bien sûr, mais sachez que dans un port, on ne jette jamais l’ancre. On se contente de s’amarrer à…

Amanda – À la première bitte qu’on voit sur le quai.

Max – C’est ça… Donc, dans un port, on ne lève pas l’ancre. On largue les amarres…

Diane – Bon, alors autant que les choses soient claires entre nous, Capitaine : je ne suis pas venue ici pour passer mon permis bateau. Et si j’avais pu faire autrement, j’aurais pris l’avion. Alors on décolle quand ?

Max – Dès que les derniers passagers seront là, je vous le promets…

Diane – Et ils arrivent quand ? Je n’ai pas que ça à faire, moi ! On m’attend demain matin à Paris.

Max – Ah, justement, les voilà.

Arrivent Yvonne, une dame très BCBG, accompagnée de Charles, genre gigolo ou vieux beau, qui porte leurs deux valises.

Yvonne – C’est vous, L’Entreprenant ?

Max – Ce n’est pas exactement le mot de passe, mais je crois qu’on va oublier ce détail…

Yvonne – J’ai fait une réservation tout à l’heure. Au nom de Bitaudeau.

Max – Bitaudeau, parfaitement. C’est un nom de code, j’imagine. Assez cocasse, il faut bien le reconnaître.

Yvonne – Non, ce n’est pas un nom de code, pourquoi ?

Max – Monsieur et Madame Bitaudeau, très bien.

Amanda – Eux, on ne peut pas dire que leurs profils collent avec leur patronyme…

Yvonne – C’est le nom de monsieur, pas le mien.

Charles – Nous ne sommes pas mariés. Pas encore…

Amanda (à Yvonne) – Je comprends, vous hésitiez à devenir Madame Bitaudeau.

Max – En tout cas, bienvenue à bord !

Yvonne – Il faut enregistrer les valises ?

Diane – Méfiez-vous, il serait capable de vous facturer un excédent de bagages.

Max – On n’est pas sur Ryanair… On va considérer que ce sont des bagages à main.

Yvonne – Charles, tu n’as qu’à mettre les valises par ici.

Charles – Tout de suite, mon amour.

Il pose les valises dans un coin.

Max – Euh… Je crois que Monsieur n’était pas prévu sur la liste des passagers… En tout cas, je n’ai pas encore encaissé sa contribution.

Yvonne – Vous n’avez qu’à le compter comme un bagage à main, lui aussi…

Max – Je ne sais pas si…

Charles – Enfin, chérie, je ne suis pas une valise.

Yvonne – Non, c’est vrai… Et pourtant ne dit-on pas « con comme une valise » ? Je plaisante, Capitaine. Je paierai pour nous deux. Comme d’habitude…

Diane – Puisque nous sommes au complet, on va pouvoir y aller. On fera les présentations plus tard.

Max – Il me manque encore un passager. Mais tant pis pour lui. Je pense qu’il ne viendra plus. Pourtant, c’était mon premier client. C’est même pour lui que j’ai affrété ce bateau au départ.

Diane – C’est ça… Il n’avait qu’à être à l’heure. Et si on pouvait démarrer sur les chapeaux de roues…

Max – Je sais que c’est une façon de parler, mais… (Son portable sonne) Allô… Oui… C’est-à-dire que… nous allions appareiller, justement… Dans cinq minutes, vraiment ? Bon… Et vous vous souvenez du mot de passe ? C’est ça… et je crois qu’ils annoncent de la pluie… D’accord, alors on vous attend, mais dépêchez-vous…

Il range son téléphone.

Diane – Quoi encore ?

Max – Ce sera le dernier, je vous le promets. Il arrive tout de suite. On ne peut pas partir sans lui, il m’a payé d’avance…

Marie, jeune femme plutôt réservée, un crucifix autour du cou et très enceinte, arrive essoufflée.

Marie – Vous allez sur le continent ?

Max – Oui… Mais en principe, nous sommes complets…

Marie – Je suis enceinte, comme vous le voyez.

Diane – Raison de plus pour ne pas embarquer avec nous ! Vous imaginez si elle accouche pendant la traversée ?

Marie – J’avais prévu de prendre le ferry aujourd’hui. On m’attend à la clinique là-bas, de l’autre côté. Il n’y a pas de maternité digne de ce nom, ici, vous comprenez ?

Yvonne – Les paradis fiscaux sont rarement réputés pour la qualité de leurs services publics.

Max – C’est-à-dire que… j’ai des consignes de sécurité.

Marie – Au nom du Seigneur ! Je vous en prie…

Charles – On peut peut-être faire une petite entorse au règlement. Vu l’état de Madame…

Marie – J’ai de l’argent. Je vous paierai.

Max – Dans ce cas… On ne va pas laisser cette pauvre femme accoucher sur le port.

Marie – Merci ! Dieu vous le rendra… Quel est votre prénom, Capitaine ?

Max – Maximilien.

Marie – Si vous nous conduisez à bon port, je vous promets de baptiser cet enfant Maximilien. Si c’est un garçon. Et Maximilienne, si c’est une fille.

Max – J’en suis très flatté. Mais vous n’oublierez pas non plus de me régler le prix de la traversée.

Marie – Bien sûr. Ça fait combien ?

Max – Cinq cents euros par personne.

Marie – Par personne ?

Amanda – Vous n’allez quand même pas lui compter un billet pour le polichinelle qu’elle a dans le tiroir.

Max – Mais non, rassurez-vous. Pour lui, la traversée est offerte. Pour vous ce sera cinq cent euros.

Marie – Ah, tout de même… C’est beaucoup, non ?

Max – C’est pour le gasoil.

Charles – Je ne pensais pas que l’essence était aussi chère dans les paradis fiscaux.

Arrive Sergio, beau ténébreux genre mafieux.

Sergio – Bonjour Capitaine. Sergio. C’est moi qui viens de vous appeler.

Max – Sergio, tout à fait… Vous n’avez que cette petite mallette ?

Sergio – Oui, j’ai l’habitude de voyager léger. Mais je ne savais pas qu’il y aurait d’autres passagers… (Saluant la compagnie) Messieurs dames…

Max – Tant qu’à faire, je me suis dis que ce serait trop bête de ne pas les faire profiter du voyage. Avec cette grève…

Charles – Bonjour Monsieur. Mais nous nous sommes déjà rencontrés, n’est-ce pas ?

Yvonne – Tais-toi donc, imbécile.

Charles se ravise, et se met en retrait.

Charles – Je dois confondre avec quelqu’un d’autre…

Sergio – On me confond souvent avec quelqu’un d’autre. C’est le drame de ma vie…

Max – Prenez place, je vous en prie… Désolé, je n’avais pas prévu de transats pour autant de monde.

Sergio (désignant Marie) – Je propose que nous en réservions un pour cette dame. En raison de son état…

Diane – C’est ça… Et les autres s’assoiront à tour de rôle.

Sergio – Je vous céderai bien volontiers ma place si vous le souhaitez, chère Madame.

Diane – Merci… Il y a au moins un gentleman à bord de ce bateau.

Max – Il y a aussi deux couchettes en bas… mais je vous préviens, ça sent un peu la marée.

Sergio – Puisque tout le monde est là, on va pouvoir y aller.

Max – Très bien. Alors je vous prie de m’excuser. Je vais regagner mon poste de commandement.

Marie (se signant) – Bon… À la grâce de Dieu !

Max se place derrière la barre, et semble hésiter un peu sur la marche à suivre.

Max – Allez, en avant toute !

Sergio – Mais discrètement, si c’est possible. Je vous rappelle que normalement, avant de quitter cette île très accueillante, pour regagner le continent nous sommes supposés passer par la douane…

Charles – Très accueillante pour les gros patrimoines, en tout cas…

Yvonne – Il faudra qu’un jour on fasse entrer dans le dictionnaire de l’Académie le mot matrimoine, parce qu’en l’occurrence…

Diane – Il ne manquerait plus qu’on se fasse arrêter par les garde-côtes en arrivant en France. Personnellement, je n’ai rien à cacher, mais bon…

Yvonne – Bien sûr… Ici, personne n’a rien à cacher, n’est-ce pas ?

Max – Ne vous inquiétez pas, nous filerons à l’anglaise. (Il actionne un levier, mais semble plutôt surpris par le résultat, qui est un bruit de sirène de bateau) Excusez-moi, ce n’est pas du tout ce que je voulais faire…

Charles – Pour un départ discret, c’est réussi…

Marie – Vous êtes seul à piloter ce navire, Capitaine ?

Max – C’est un petit bateau, vous savez, un pilote, c’est bien suffisant.

Marie – Habituellement, il y a un second.

Amanda – En tout cas dans les avions, c’est comme ça. Si le pilote a une attaque, c’est le second qui prend les commandes.

Max – Mais nous ne sommes pas dans un avion. Que voulez-vous qu’il nous arrive ?

Amanda – C’est ce que disaient aussi les passagers du Titanic…

Max – Et puis regardez ! On voit la côte d’ici.

Les autres regardent vers le large.

Charles – Je ne vois rien…

Yvonne – Moi non plus…

Sergio – Il faut dire qu’on annonce du brouillard.

Diane – Tant que ce n’est pas une tempête…

Sergio (plus bas) – Ou un tsunami…

Diane – Vous avez des informations particulières à ce sujet ?

Sergio – Non, non, pas du tout…

Max actionne une autre manette, et on entend cette fois un ronflement de moteur.

Max – Allez ! Cette fois, c’est parti !

Noir.

Tableau 2

Max est toujours à la barre. Sergio n’a pas lâché sa mallette. Diane et Amanda sont assoupies sur les transats. Charles, Yvonne et Marie, assis sur leurs valises, prennent leur mal en patience.

Yvonne (à Charles) – Tu ne devrais pas rester assis sur cette valise, ça va l’abîmer…

Charles – Mais enfin Yvonne…

Yvonne – Tu pourrais arrêter de discuter tout ce que je dis ? C’est agaçant !

Charles – Excuse-moi… (Il prend sur lui et se lève.) En tout cas, il fait un temps magnifique.

Yvonne – Oui… On va prendre des couleurs. (À Marie) Ça vous fera du bien, ma petite dame, parce que vous êtes un peu pâlichonne… Ça va ?

Marie – Ça fait combien de temps qu’on est partis ?

Charles – Un peu plus de deux heures, non ?

Yvonne – Et on ne voit toujours pas la côte…

Charles – Mais si, regarde là-bas !

Yvonne – Ah oui, peut-être…

Marie – Je commence à avoir le mal de mer.

Yvonne – Quand on est enceinte, ce n’est pas très indiqué de prendre le bateau.

Charles – La pauvre… On ne fait pas toujours ce qu’on veut. (Essayant d’être aimable) Et vous savez qui est le père ?

Marie lui lance un regard offusqué.

Yvonne – Mais enfin, Charles, ce ne sont pas des questions à poser à une femme honnête…

Charles – Pardon, je me suis mal exprimé. Je voulais dire… C’est le papa qui va être content ! C’est un garçon ou une fille ?

Yvonne – Voyons Charles, le papa c’est toujours un garçon ! Même avec le mariage pour tous, on ne changera rien à ça. Il faut toujours la petite graine…

Charles – Je parlais de l’enfant, ma chère. Un garçon ou une fille… C’est ce qu’on demande d’habitude dans ces cas-là, non ?

Yvonne – Un garçon ou une fille… Bien sûr… Je plaisantais, évidemment. Mon pauvre Charles… Et alors ? C’est un garçon ou une fille ?

Marie – Je ne sais pas… Je préfère avoir la surprise.

Yvonne – Vous avez raison. Moi non plus, je ne voulais pas savoir. D’ailleurs, de mon temps, on n’avait pas le choix. On prenait ce qui venait, et puis voilà.

Marie – Les enfants sont un don de Dieu.

Yvonne – Oui… Moi, il m’en a donné sept. Toutes des filles. (Moins fort, comme pour elle-même) Si j’avais pu en noyer une ou deux… Mais finalement, c’est mon mari qui est mort. Noyé, justement. Sinon, je ne sais pas combien de filles le Bon Dieu m’aurait encore donné… Croyez-moi, ma chère, dans ces années-là, le meilleur moyen de contraception, c’était encore le veuvage…

Charles – Et oui… C’était une autre époque… Il n’y avait pas encore internet. La télévision était en noir et blanc, mais le monde était déjà en couleurs.

Yvonne – Dans quel monde on vit… Bientôt, on pourra choisir le sexe de son enfant, sa couleur de cheveux, son quotient intellectuel… (À Marie) Vous trouvez ça normal, vous ? (L’autre ne réagit pas) Qu’est-ce que vous en pensez ?

Marie – Ça me donne envie de vomir.

Yvonne – Croyez-moi, si à notre époque on avait pu choisir ses enfants, aujourd’hui, le monde entier serait peuplé de grand blonds avec le QI d’Einstein.

Charles – Comme le souhaitaient les nazis.

Yvonne – Oui… Et tu ne serais probablement pas là pour en parler, mon pauvre Charles.

Charles – Heureusement, c’est nous qui avons gagné la guerre.

Yvonne – Tu as gagné la guerre, toi ? Mon pauvre ami… Tu ne sais même pas tuer un moustique dans une chambre à coucher, et tu voudrais libérer la France des nazis ?

Charles – Et vous Monsieur Serge, vous faites quoi, dans la vie ?

Sergio – Sergio.

Charles – Sergio ?

Sergio – Sergio, c’est mon prénom. Je suis corse.

Charles – Ah ! Enchanté. Moi c’est Charles. Et vous faites quoi, dans la vie, Sergio ?

Yvonne – Ne sois pas si indiscret, Charles. Monsieur vient de te répondre : il est corse…

Diane et Amanda sortent de leur somnolence.

Diane – Pardon, je me suis un peu assoupie.

Amanda – Je crois même qu’au début, vous avez ronflé…

Diane – Ça ne vous a pas empêché de dormir, apparemment. On n’est pas encore arrivés ?

Amanda – On nous aurait réveillées, j’imagine.

Diane – Capitaine ! On est encore loin ?

Max – Ne vous inquiétez pas, on se rapproche.

Amanda – Pourtant, on ne voit toujours pas la côte…

Diane (regardant sa montre) – Non mais ce n’est pas vrai ! Ça fait deux heures qu’on est partis, et on ne voit toujours pas la côte !

Max – C’est un petit bateau, vous savez, et on est très chargés…

Diane – La faute à qui ? C’est vous qui avez fait du surbooking pour vous en mettre plein les poches !

Max – Je voulais juste rendre service…

Yvonne – C’est ça… En profitant de la misère du monde…

Max – La misère du monde… Il ne faut peut-être pas exagérer, tout de même.

Yvonne – On est toujours le pauvre de quelqu’un, vous savez. Pas vrai, Charles ?

Sergio – Vous êtes sûr que c’est bien par là, au moins ?

Max – Quoi donc ?

Sergio – Le continent ! Vous êtes sûr que c’est par là ?

Max – Sûr ? Évidemment ! Qu’est-ce que vous croyez ? J’ai ma boussole !

Sergio – Depuis le temps qu’on est partis, on devrait voir la côte, non ?

Max – Oui… Je ne me rends pas bien compte… (Plus bas) C’est la première fois que je fais ça…

Diane – Quoi ?

Max – Non, je veux dire… C’est la première fois que je fais cette traversée avec ce bateau ! D’habitude, c’est avec mon yacht. Le moteur est beaucoup plus puissant…

Yvonne – On dirait que le temps se couvre, non ?

Charles – Oui, ça tourne à l’orage.

Max – C’est juste un peu de brouillard, ne vous inquiétez pas.

Amanda – Vous avez consulté la météo marine, ce matin ?

Max – Oui, et ils annoncent du brouillard…

Amanda – Je ne vous parle pas du mot de passe ! Est-ce que vous avez vraiment consulté la météo marine ?

Max – Ah, euh… Non… Pour quoi faire ?

Marie – J’ai mal au cœur…

Amanda – Vous auriez pu regarder la météo, tout de même !

Max – Il faudrait savoir ! Tout le monde était pressé de partir, et maintenant, il aurait fallu regarder la météo !

Sergio – Faites voir cette boussole.

Max – La confiance règne… Je sais lire une boussole.

Sergio prend la boussole que Max lui tend.

Sergio – La côte, c’est où ?

Max – À l’est. Enfin… au nord-est.

Sergio – Est ou nord-est ?

Max – Disons nord-est. Mais la côte, c’est grand vous savez. On ne risque pas de la manquer.

Sergio – Sauf si on est partis complètement de l’autre côté…

Sergio bouge un peu avec la boussole, l’orientant dans différentes directions.

Sergio – Sur une boussole, l’aiguille est supposée indiquer toujours la même direction, non ? Même quand on la tourne dans un autre sens.

Max – Évidemment.

Sergio – Alors pourquoi, sur celle-ci, l’aiguille tourne avec la boussole.

Diane – C’est une blague ! C’est pour la caméra cachée, c’est ça ?

Max – Faites voir… (Il reprend la boussole et la tourne dans tous les sens) Ah merde, vous avez raison. On dirait que l’aiguille est coincée.

Sergio – Donc on ne sait pas où on va…

Max – Juste avant de partir, elle m’a échappé des mains, et elle est tombée par terre. Elle doit être cassée…

Diane – Dites-moi que ce n’est pas vrai !

Charles – On aurait pu s’orienter avec le soleil, mais justement, avec cette brume, on ne le voit plus…

Marie – Je crois que je vais aller vomir.

Amanda – Allez plutôt faire ça derrière, parce qu’avec le vent… on va se prendre tout dans la tronche.

Sergio – C’est vrai que ça souffle de plus en plus fort.

Marie sort précipitamment.

Diane – Mais vous êtes un dingue !

Max – Je suis désolé… Je pensais vraiment qu’on allait dans la bonne direction. Mais c’est vrai que… je commençais aussi à me demander pourquoi on ne voyait pas encore la côte.

Sergio – Vous avez votre permis ?

Max – Oui, bien sûr ! Comme tout le monde…

Sergio – Je parle du permis bateau.

Max – C’est-à-dire que… j’ai plutôt l’habitude de naviguer sur mon yacht.

Sergio – Et…?

Max – Mon yacht, ce n’est pas moi qui le pilote habituellement. J’ai un équipage pour ça…

Sergio – Donc vous n’avez pas de permis bateau, et vous ne connaissez rien à la navigation en mer.

Max – Je ne pensais pas que c’était si compliqué. Par beau temps, on voit presque les côtes françaises, depuis ce paradis fiscal…

Yvonne – Oh mon Dieu… Nous sommes perdus… Nous allons tous mourir…

Max – Ne dramatisons pas.

Marie revient.

Marie – Ah, ça va mieux…

Charles – Vous trouvez ?

Marie – Qu’est-ce qui se passe ? Vous en faites une tête !

Diane – Le capitaine n’a pas son permis bateau, et nous sommes perdus en mer, voilà ce qui se passe.

Charles – Ah, cette fois, je crois que j’aperçois vraiment quelque chose à l’horizon.

Marie – Nous sommes sauvés !

Yvonne – Tu es sûr ?

Amanda – Ah oui… Mais c’est curieux, on dirait que la côte se rapproche de nous à une vitesse phénoménale…

Ils regardent tous vers le fond de la salle, qui figure la ligne d’horizon.

Sergio – Ce n’est pas la côte… C’est une énorme vague !

Max – Non… Je n’ai jamais vu une chose pareille…

Diane – La vague vient droit sur nous.

Marie – Si vous connaissez une prière, c’est le moment de la réciter…

Noir

Tableau 3

Ils sont tous là, serrés les uns contre les autres, pétrifiés.

Charles – J’ai bien cru qu’on allait tous y passer.

Max – Oui, on a failli être engloutis.

Yvonne – Mais la vague est passée sous le bateau, sans le faire chavirer.

Marie – C’est un miracle ! Dieu soit loué !

Diane – J’ai eu tellement peur ! (Plus bas) Je crois même que j’ai eu un orgasme…

Marie – Moi, pour le coup, je n’ai même plus mal au cœur.

Diane – La dernière fois que j’ai ressenti ça, c’était avec mon patron. Sur les montagnes russes, à la Foire du Trône.

Yvonne – Heureusement, il n’y avait pas d’autres vagues derrière.

Sergio – Et maintenant la mer est calme à nouveau.

Charles – Alors on a peut-être encore une chance de s’en sortir…

Ils commencent à se détendre un peu, et à se séparer.

Marie – Il faut garder espoir.

Amanda – Si on est partis dans la mauvaise direction, il suffit de faire demi-tour, non ?

Sergio – Faire demi-tour, en mer, c’est un concept qui n’a pas exactement le même sens que sur une autoroute, vous savez.

Marie – Le ciel se dégage. Il y a même un arc-en-ciel… C’est un signe de Dieu !

Sergio – En tout cas, maintenant qu’on voit le soleil, on peut toujours essayer de s’orienter. Puisque le soleil se couche à l’ouest, il suffit d’aller de l’autre côté.

Diane – Alors qu’est-ce que vous attendez, imbécile !

Max – Malheureusement, ce n’est pas si simple…

Diane – Et pourquoi ça ? Ne me dites pas que le gouvernail aussi est défectueux !

Max – Non, mais on n’a presque plus de gasoil…

Diane – Quoi ? Mais vous nous avez tous rackettés avant de partir pour faire le plein !

Max – On a déjà fait pas mal de route… et je n’avais rempli le réservoir qu’à moitié.

Sergio – À moitié ?

Max – Je pensais que ça suffirait pour une traversée de deux heures…

Diane – C’est une blague ?

Max – Je crains que non, hélas.

Yvonne – Nous voilà tous embarqués sur un rafiot qui prend l’eau, piloté par un marin d’eau douce, et on va bientôt être en panne sèche.

Sergio – J’ai bien entendu… un bateau qui prend l’eau ?

Yvonne – Je suis descendue dans la cale tout à l’heure, pour chercher des toilettes que je n’ai jamais trouvées, d’ailleurs. Et il m’a bien semblé qu’il y avait une grosse flaque à l’arrière.

Amanda – Capitaine…?

Max – C’est juste une petite fuite. Rien de grave.

Charles – Et qu’est-ce que vous comptez faire, appeler un plombier ?

Diane – Ce qu’il faut surtout, c’est appeler les secours.

Max – On ne va peut-être pas s’affoler trop vite.

Amanda – Parce que vous trouvez que notre situation ne mérite pas qu’on s’affole un peu ?

Diane compose un numéro sur son portable. Sergio sort.

Diane – Il n’y a pas de réseau…

Amanda – Évidemment, il n’y a pas de réseau ! On est perdus en pleine mer !

Max – Perdus… Il ne faut rien exagérer.

Diane – Je vais le tuer.

Amanda – J’imagine que vous n’avez pas de radio de bord non plus ?

Max – Je n’ai rien vu qui ressemble à ça, malheureusement. Il y a juste un vieux transistor.

Charles – Vous êtes sûr qu’elle est vraiment à vous, cette épave ?

Max – Disons que… je l’ai empruntée à un ami, que je n’ai pas vraiment eu le temps de prévenir.

Diane – Et en plus, c’est un bateau volé !

Sergio revient.

Sergio – En effet, il y a une voie d’eau à l’arrière. Si on ne commence pas à écoper tout de suite, d’ici une heure ou deux, le bateau va couler.

Marie – Ce n’est pas possible… Dites-moi que c’est un cauchemar, et que je vais me réveiller…

Sergio – On va instaurer un tour pour écoper. Mais pendant ce temps-là, il vaudrait mieux délester le bateau de toute charge inutile.

Ils se regardent tous en chiens de faïence.

Max – On pourrait peut-être commencer par les valises…

Yvonne – Les valises ?

Amanda – Vous plaisantez !

Sergio – Il n’en est pas question.

Yvonne – Pas la mienne, en tout cas…

Diane (à Max) – Et si on commençait par vous jeter par dessus bord, plutôt ? Capitaine…

Tous les regards, menaçants, se tournent vers Maximilien.

Noir

Tableau 4

Ils sont tous là, sauf Max et Sergio. Ils ont l’air accablés.

Yvonne – Et dire qu’au lieu de mourir de soif sur cette épave, je pourrais me prélasser dans le jacuzzi de mon hôtel cinq étoiles, sur cette île paradisiaque que nous venons de quitter, en sirotant un cocktail exotique.

Charles – C’est vrai… Finalement, on n’était pas pressés de partir. On n’avait rien à faire de si urgent.

Yvonne – Parle pour toi ! Tu n’as jamais rien à faire ! Moi j’avais rendez-vous ce matin avec mon chirurgien à Neuilly…

Charles – En même temps, il ne s’agit que d’une petite liposuccion. Pas d’une opération à cœur ouvert…

Yvonne – Une petite liposuccion ? Tu as déjà subi une liposuccion, toi ?

Charles – Non, pas ce genre de liposuccion, en tout cas…

Yvonne – On en reparlera quand tu sauras ce que c’est, alors !

Charles – Excuse-moi…

Yvonne – Mon pauvre ami… Parfois, je me demande ce qu’on fait ensemble…

Charles (plus bas) – Oui, moi aussi…

Yvonne – Et tu réponds, en plus ?

Diane – Mais vous allez la fermer, oui !

Yvonne – Eh, oh ! Pour qui elle se prend, celle-là ?

Diane – Si j’étais vous, Charles, je l’aurais déjà passée par-dessus bord.

Amanda – Ça ferait déjà un poids en moins.

Diane – Mais évidemment, vous êtes trop mou pour ça, mon pauvre.

Charles – J’aimerais que tout le monde arrête de m’appeler « mon pauvre ». Ça finit par être agaçant.

Diane – Pardon… Mais j’imagine que si vous aviez de l’argent, vous ne seriez pas obligé de supporter cette mégère.

Amanda – Finalement, on fait le même métier, vous et moi. Pas vrai, Charles ? Le plus vieux métier du monde. Mais moi je fais de l’intérim, et vous vous êtes en CDI…

Yvonne – Pour l’instant, il serait plutôt en période d’essai…

Charles (à Amanda) – En tout cas, cessez de m’appeler mon pauvre. Est-ce que je vous appelle ma grosse, moi ?

Amanda – Mais c’est lui qui va passer par-dessus bord, le freluquet !

Amanda s’avance menaçante vers Charles. Yvonne s’interpose. Charles se réfugie lâchement derrière elle.

Yvonne – Bas les pattes ! Si quelqu’un doit balancer ce minus par-dessus bord, ici, c’est moi.

Max revient, avec Sergio, mettant fin à cette confrontation.

Sergio – Le moteur vient de s’arrêter. On est en panne sèche.

Marie – Jésus, Marie, Joseph… On va tous mourir…

Max – Je suis vraiment désolé… Je pensais qu’un demi-plein, ce serait largement suffisant.

Diane – Et qu’est-ce que vous comptiez faire avec le reste de l’argent ? On vous a versé cinq cents euros chacun ! Vous n’aviez pas assez pour faire un plein complet ?

Max – C’est une longue histoire…

Sergio – Et ce n’est peut-être pas le bon moment pour la raconter.

Diane – Monsieur a raison. On ferait mieux de se concentrer pour essayer de trouver une solution, vous ne croyez pas ?

Amanda – Une solution ? Sans blague ?

Diane – On n’a qu’à considérer qu’on participe à un jeu ! Un escape game !

Amanda – Un quoi ?

Marie – Un de ces jeux de groupe qu’on pratique dans les séminaires d’entreprise pour resserrer les liens entre les employés. On doit s’évader d’un lieu où on est enfermés, en trouvant tous ensemble un moyen de s’échapper.

Charles – Et à votre avis, qu’est-ce qu’on fait ? Ça fait une heure que je me concentre. Je suis à mon maximum, là.

Amanda – S’il suffisait de se concentrer, on ne serait déjà plus là, sur cette épave, à attendre de couler avec elle…

Yvonne (à Diane) – Mais si vous avez une idée pour nous sortir de là, Madame je-sais-tout, n’hésitez pas à nous la dire…

Diane – Je ne sais pas moi… Les téléphones ne passent pas… Et si on lançait une bouteille à la mer ? Avec un message à l’intérieur.

Charles – Alors là, bravo…

Sergio – Et qu’est-ce que vous diriez, dans ce message, pour aider les secours à nous localiser ?

Diane – C’était juste une idée…

Amanda – Une idée à la con, oui.

Diane – Peut-être, mais quand on fait un brainstorming, il ne faut pas se censurer. Parfois, c’est après avoir dit vingt conneries qu’on trouve la bonne idée.

Amanda – Dans ce cas, je crois que vous avez déjà épuisé votre quota depuis longtemps. C’est le bon moment pour nous sortir une idée géniale.

Sergio – Redescendez un peu sur terre, Diane. On n’est pas dans un séminaire d’entreprise, là. On est sur un bateau prêt à couler à pic !

Amanda – Si on perd cette vie-là, on n’en n’aura pas d’autres. Ce sera game over, et basta.

Marie – Et si on essayait une prière collective ? Dieu nous viendra peut-être en aide…

Consternation générale.

Yvonne – C’est ça, et pourquoi pas une procession.

Charles – Ou un sacrifice humain…

Max – OK, on a dit qu’on avait droit à vingt conneries…

Sergio – À moins que Dieu puisse changer l’eau en gasoil…

Max – Oui… Il n’y aurait plus qu’à se servir dans la cale. Parce qu’on commence à en avoir jusqu’aux genoux… À propos, il faudrait que quelqu’un retourne écoper…

Absence de réaction.

Charles – Il faudrait déjà hisser un signal de détresse. Au cas où un hélicoptère de la gendarmerie nous survolerait, pour qu’il sache que nous sommes en perdition.

Marie – Oui, on n’a qu’à faire ça…

Silence embarrassé.

Yvonne – D’un autre côté, nous ne sommes pas tous en situation très régulière…

Diane – Ça va, on n’est pas des migrants clandestins, non plus.

Yvonne – Il n’empêche que si la police nous demandait d’ouvrir nos valises…

Amanda – Moi, je n’ai rien à cacher.

Yvonne – Ah oui ? Alors ouvrez votre valise, et montrez-nous ce qu’il y a à l’intérieur…

Amanda – Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous.

Max – Quand on quitte un paradis fiscal sur un bateau de pêche, ce n’est pas forcément du poisson qu’on ramène dans ses bagages, c’est sûr.

Amanda – Alors qu’est-ce qu’on fait ? Vous préférez qu’on meure tous noyés ?

Moment d’hésitation.

Sergio – OK. Je m’occupe du drapeau.

Il sort.

Marie – Je commence à avoir très soif.

Charles – Mourir de soif alors qu’on est entourés de flotte. Quelle situation absurde !

Diane – C’est tout ce que vous trouvez absurde dans cette situation ?

Yvonne – Vous, on ne vous a rien demandé.

Max – Rassurez-vous, j’ai quelques bouteilles dans la cale.

Charles – Décidément, vous aviez presque tout prévu, Capitaine…

Diane – Combien de bouteilles ?

Max – Deux.

Yvonne – Grandes ?

Max – Trente-trois centilitres.

Charles – Ah oui, on est tout de suite plus rassurés…

Diane – Même dans les taxis Uber on a droit à une bouteille d’eau par personne. Alors à cinq cent euros le billet, vous auriez au moins pu prévoir quelques rafraîchissements…

Amanda – Deux bouteilles de trente trois centilitres, ça fait soixante-six centilitres.

Yvonne – Bravo, au moins vous savez compter…

Amanda – On est sept. Ça ne fait même pas dix centilitres chacun.

Marie – Il va falloir instaurer un système de rationnement. Je pense que les femmes enceintes devraient être prioritaires.

Diane – Ah oui ? Et pourquoi ça ?

Charles – Et puis quelle idée, pour une femme enceinte, de venir passer ses vacances dans cette république bananière. Qu’est-ce que vous foutiez là, en vrai ?

Marie – Je vous en pose, des questions, moi ? Et vous, vous étiez en voyage de noces ? Dans une île grande comme trois terrains de foot, mais qui compte cinq banques au mètre carré…

Silence.

Max – À propos, vous saviez que le point culminant du micro-état que nous venons de quitter est situé à une altitude de trois mètres ?

Amanda – Non, et on s’en fout.

Yvonne – On ne vient pas dans ce paradis fiscal pour faire du ski. On vient pour y planquer notre oseille.

Diane – En Suisse on peut faire les deux.

Sergio revient.

Sergio – J’ai hissé le drapeau de détresse. Mais si on ne veut pas couler avant l’arrivée éventuelle des secours, il faut vraiment que quelqu’un retourne écoper.

Max – On a dit que les femmes enceintes étaient exemptées, donc c’est à vous, Yvonne.

Yvonne – Charles va y aller à ma place.

Charles – Et pourquoi ça ?

Yvonne – Parce que c’est moi qui t’entretiens, imbécile ! Voilà pourquoi !

Charles – J’y vais… Par galanterie… Mais je n’aime pas beaucoup non plus qu’on me traite d’imbécile.

Yvonne – Mon pauvre…

Charles sort, prenant sur lui pour ne pas répondre.

Max – Si jamais on s’en sort, c’est promis, je vous rembourse la moitié du prix de la traversée.

Diane – Et en plus, il se paie notre tête ! Si jamais on en sort, salopard, vous aurez affaire à mon avocat !

Max – Vous êtes sûre ?

Diane – Que voulez-vous insinuer ?

Max – Nous avons tous une bonne raison d’être ici, sur ce bateau. Et de vouloir regagner le continent sans passer par la douane. Tous, même vous…

Diane – Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?

Max – Sinon vous n’auriez jamais accepté de payer une telle somme pour la traversée. Et vous ne seriez pas aussi attachée à votre valise…

Sergio – Je vous rappelle que la compagnie de ferry est en grève.

Max – La grève… Elle a bon dos, la grève… On dirait plutôt que les rats quittent le navire… en emportant l’argenterie.

Sergio – Si seulement on pouvait le quitter, ce putain de navire…

Max – Navire, c’est une façon de parler. Je veux dire cette île. Ce havre de paix pour milliardaires apatrides. Pourquoi étiez-vous tous si pressés de la quitter ?

Diane – Ça ne vous regarde pas… On voulait regagner le continent au plus vite, c’est tout. Les ferries sont en grève, on est montés sur le premier bateau en partance…

Marie – Quand on est sur le Titanic, il faut bien choisir son canot de sauvetage… Malheureusement, j’ai l’impression qu’on n’a pas fait le bon choix…

Max – On est tous dans le même bateau, en effet. Mais pas pour les mêmes raisons. Et je serais curieux de savoir laquelle de ces valises contient le plus de pognon… Pas la mienne, ça c’est sûr…

Diane – Même si vous n’avez rien de compromettant dans vos bagages, Capitaine, je vous rappelle que c’est un délit de faire office de passeur.

Marie – Surtout quand on n’a même pas son permis bateau.

Charles – C’est vrai que si on est secourus par les garde-côtes, on pourrait avoir des ennuis…

Yvonne – En tout cas, j’espère qu’on ne sera pas secourus par des pirates.

Sergio – Encore que… Avec eux, on pourrait toujours s’arranger.

Yvonne – Et au moins on ne finirait pas en prison.

Marie – Si c’est pour finir au fond de l’eau, bouffés par les requins…

Silence embarrassé.

Yvonne – Alors qu’est-ce qu’on fait ? À part écoper…

Sergio – Que voulez-vous qu’on fasse ? On n’a plus de gasoil. À part se laisser dériver en espérant que les courants ou les vents nous ramènent sur la côte.

Marie – C’est tout ce que vous proposez ?

Sergio – Eh, je ne suis pas le capitaine de ce bateau, d’accord ? Vous n’avez qu’à demander à l’imbécile qui nous a conduits jusqu’ici, en pleine mer, au bord du naufrage.

Tous les regards se tournent vers Max, qui juge plus prudent de faire profil bas.

Yvonne – Je commence à avoir faim, moi.

Max – Désolé, je n’avais pas prévu de plateaux-repas. La traversée ne devait durer que quelques heures. Il n’y a qu’un paquet de Pépitos entamé dans la cale.

Yvonne – Je trouve que les grosses devraient être prioritaires. Après tout, elles ont besoin de manger plus que les autres.

Marie – À moins qu’elles n’aient besoin de maigrir. Et puis je suis plus grosse que vous, je vous signale !

Yvonne – Quand on aura fini les Pépitos, on en viendra peut-être à se bouffer les uns les autres. Comme sur le radeau de la méduse.

Marie – C’est ça. On tirera à la courte paille pour savoir celui qui sera mangé le premier. Comme dans la chanson.

Max – Quelle chanson.

Marie se met à chanter la célèbre comptine.

Marie – Il était un petit navire, il était un petit navire, qui n’avait…

Yvonne jette un regard vers le ventre arrondi de Marie.

Yvonne – Dans la chanson, c’est le plus jeune qu’on finit par bouffer…

Marie – Alors espérons que je n’accoucherai pas sur ce bateau.

Silence pesant.

Sergio – Tout de même, Max. Il y a une chose qui m’échappe.

Max – Ah oui…

Sergio – À mon tour de vous poser une question.

Max – Je vous écoute.

Sergio – Il y a d’autres moyens, plus efficaces, pour gagner de l’argent que de piloter un bateau de pêche quand on n’a pas son permis bateau.

Diane – Surtout quand on est déjà très riche, comme vous le prétendez.

Sergio – Qu’est-ce qui vous a pris de vous improviser passeur, alors que vous ne savez pas piloter une barque.

Max – Je vous l’ai dit, c’est une longue histoire.

Sergio – Au point où on en est, on n’a rien d’autre à faire que de l’entendre.

Max – Comme vous le savez, la compagnie de ferry qui relie habituellement cette île au continent est en grève.

Yvonne – Oui, ça on a remarqué, sinon… que viendrions-nous faire dans cette galère ?

Max – Les employés ont arrêté le travail en apprenant la revente de la compagnie à un groupe financier, qui annonce un gros plan social.

Diane – Et qu’est-ce que vous avez à voir avec tout ça ?

Max – Je suis le patron de cette compagnie de ferry. Enfin je l’étais…

Diane – Alors c’est vous ?

Yvonne – Vous le connaissez ?

Diane – Disons que… j’ai entendu parler de ce rachat.

Sergio – Et pourquoi l’avez-vous revendue, cette compagnie ?

Max – J’ai fait de mauvais placements. Suivis de quelques malversations pour essayer de me refaire. Je suis ruiné. La banque en a profité pour me racheter mon entreprise à un prix dérisoire.

Sergio – Et vous avez accepté ?

Max – C’était ça ou aller directement en prison.

Marie – Ça ne nous dit pas comment vous en êtes arrivé à voler un bateau de pêche.

Max – Les marins en grève me séquestraient dans mon bureau. J’ai échappé de peu au lynchage. J’ai réussi à m’enfuir, mais j’ai jugé plus prudent de quitter l’île au plus vite. J’ai… emprunté un bateau de pêche qui était en cale sèche.

Sergio – Sans doute pour réparer cette voie d’eau…

Max – Je n’avais même pas de quoi faire le plein de gasoil. Et puis il me fallait un peu de cash. De quoi survivre en arrivant sur le continent, le temps que la chance tourne.

Diane – Je vois…

Max – J’ai laissé mon adjoint signer le contrat de vente avec la négociatrice de la banque. D’ailleurs, elle aussi ils ont failli la lyncher.

Diane – Je sais…

Max – Comment vous savez ça ?

Diane – C’est moi qui ai signé le contrat au nom de la banque.

Max – Vous êtes la négociatrice de Continental Finances ? Celle qu’on surnomme le requin ?

Diane – Elle-même.

Max – C’est un comble… Alors en un sens, je vous ai sauvé la vie.

Diane – Ne poussez pas trop le bouchon… Je vous rappelle qu’on est perdus en mer, en panne sèche, et au bord du naufrage.

Max – Oui… et je ne sais pas ce qui me retient de vous jeter par-dessus bord. C’est à cause de vos mauvais conseils que mes placements m’ont ruiné ! Et ensuite vous me rachetez mon entreprise pour une bouchée de pain !

Diane – Je ne fais qu’exécuter les ordres de ma direction. Les temps sont difficiles pour tout le monde. C’est la crise…

Marie – C’est curieux, le monde est en crise depuis que Dieu l’a créé… Et pourtant les riches sont toujours de plus en plus riches.

Max (à Diane) – Je préfère aller écoper… avant de céder à des envies de meurtre que je pourrais regretter.

Silence pesant.

Yvonne – Ôtez-moi d’un doute, le « requin »… Il parlait de vos mauvais conseils, qui l’ont ruiné… J’espère que vous m’en avez donné de meilleurs. J’ai confié la gestion de tous mes placements à Continental Finances, moi aussi.

Diane – Ne vous inquiétez pas… Si nous sommes numéro un mondial en matière de gestion de patrimoine, ce n’est pas pour rien.

Sergio – À moins que votre banque n’ait construit sa fortune en ruinant ses clients les plus crédules.

Yvonne semble de plus en plus inquiète. Charles revient.

Max – Vous avez déjà fini d’écoper ? Il n’y a plus d’eau dans la cale ?

Charles – Ça ne sert plus à rien d’écoper. La voie d’eau est trop importante…

Marie – Alors c’est la fin. Il ne nous reste plus qu’à prier…

Charles – Enfin Yvonne, fais quelque chose !

Yvonne – Que veux-tu que je fasse, imbécile ! Les seuls problèmes que je sais régler, ce sont ceux qu’on peut résoudre en sortant son carnet de chèques.

Sergio – Malheureusement, cette fois, je doute qu’on puisse s’en sortir comme ça.

Moment de déprime générale.

Yvonne (à Charles) – Et arrête de te ronger les ongles, ça m’énerve.

Charles – Fous-moi la paix ! Je me rongerai les ongles si je veux…

Amanda – Eh ben… Vous ne lui parliez pas comme ça, avant ?

Charles – Avant, je rêvais d’épouser une milliardaire. Mais à quoi ça me sert d’épouser une milliardaire qui va mourir. Surtout si je dois mourir en même temps qu’elle.

Marie se tortille un peu.

Marie – C’est un calvaire…

Sergio – Vous n’allez pas accoucher maintenant, au moins ? Il ne manquerait plus que ça…

Marie – Non, rassurez-vous. Aucun risque…

Max revient.

Max – Je n’ai pas pu me connecter au réseau, mais j’ai pu écouter la météo marine, avec un vieux transistor que j’ai trouvé dans la cale.

Diane – Et alors. On annonce encore du brouillard ?

Max – Non, mais on dit qu’un tsunami vient de ravager le paradis fiscal que nous venons de quitter.

Marie – Un tsunami ?

Max – D’amplitude suffisante pour submerger totalement l’île, vu sa faible altitude.

Marie – Oh mon Dieu ! C’est l’énorme vague qui a failli nous engloutir tout à l’heure.

Max – Personne n’a pu être prévenu à temps. Il n’y a aucun survivant…

Amanda – Mais c’est affreux !

Marie – C’est sans doute un châtiment divin. Jésus a bien chassé les marchands du temple. Et Dieu a détruit Sodome et Gomorrhe…

Max – En tout cas, pour nous c’est un miracle… Si nous n’avions pas quitté cette île précipitamment, nous serions tous morts noyés.

Sergio – Oui, quel heureux hasard…

Yvonne (à Max) – Alors en somme, en nous embarquant sur cette épave, vous nous avez sauvé la vie…

Max – C’est un fait.

Diane – On va vous appeler Noé.

Amanda – Oui… Vous avez pris sur votre arche un exemplaire de tout ce qu’il y a de pire dans l’humanité, pour être sûr que l’espèce survivrait à ce déluge.

Charles – On a échappé au déluge, mais malheureusement, notre arche prend l’eau par l’arrière.

Sergio – Et si nous n’atteignons pas rapidement une côte, nous allons couler.

Marie – Espérons que les secours qui afflueront vers le lieu de cette catastrophe pourront nous voir, et nous venir en aide.

Yvonne – Avec un peu de chance, vu les circonstances, ils ne penseront pas à fouiller nos valises…

Charles – Comme quoi… À toute chose, malheur est bon.

Yvonne – Tu en as d’autres, des expressions à la con comme ça ?

Charles – Le malheur des uns fait le bonheur des autres, si tu préfères.

Yvonne – Je préférerais que tu la fermes.

Amanda – Vous n’allez pas recommencer ?

Yvonne – Et vous, qu’est-ce que vous fichez là, d’ailleurs ? Vous n’avez pas le profil à venir planquer vos économies dans un paradis fiscal. Quant au métier que vous exercez, très ancien à ce qu’on dit, les hôtels cinq étoiles ne doivent pas être habituellement votre terrain de chasse privilégié ?

Amanda – Ne vous fiez pas trop aux apparences. Regardez, vous par exemple. Vous êtes la preuve vivante que la fortune et la classe ne vont pas toujours ensemble…

Yvonne – On ne m’enlèvera pas de l’idée que votre place n’est pas ici. Qui êtes-vous vraiment, et qu’est-ce que vous cachez dans cette valise ridicule ?

Amanda – Ne vous avisez pas d’y toucher.

Yvonne – Nous n’avons plus rien à nous cacher les uns aux autres. Pourquoi ne pas nous montrer ce qu’il y a dans cette valise ?

Sergio – Allez-y, ouvrez-la. Au point où on en est…

Amanda – Pas question.

Yvonne – Vas-y, Charles, ouvre la valise.

Charles – Je ne sais pas si…

Yvonne – Ouvre-la, je te dis !

Charles – Et si c’était une valise piégée ?

Yvonne – Pourquoi tu crois que je te demande de l’ouvrir, imbécile ?

Charles – OK…

Il avance sans conviction vers Amanda.

Amanda – Laissez tomber… Je vais l’ouvrir moi-même.

Amanda ouvre sa valise, et elle en sort un pistolet qu’elle braque sur Charles.

Amanda – Je ne vous conseille pas d’avancer !

Sergio – C’est pour défendre votre vertu que vous vous promenez avec une telle artillerie ?

Amanda – J’avoue… Je ne suis pas celle que vous croyez…

Charles – Alors vous êtes qui ? Et vous faites quoi ?

Yvonne – Trafic d’armes ? Terrorisme ?

Amanda – Je suis flic. De la Brigade Financière. J’étais ici en infiltration, pour surveiller vos petits trafics en tous genres et vous prendre tous en flagrant délit.

Max – Et qu’est-ce que vous comptez faire, maintenant ? Nous mettre tous aux arrêts dans la cale ?

Amanda baisse son arme.

Amanda – Vous avez raison. Maintenant, c’est inutile. Nous allons tous mourir, alors à quoi bon jouer encore aux gendarmes et aux voleurs…

Noir

Tableau 5

Ils sont tous là. Leur tenue est en désordre. Ils ont le teint hâlé, voire des coups de soleil.

Yvonne – Je commence vraiment à avoir faim.

Marie – On pourrait pêcher… On est sur un bateau de pêche, après tout.

Sergio – Je ne vois pas de filet.

Charles – Quelqu’un sait pêcher ?

Max – Oui, la pêche au gros. Sur mon yacht. Et avec du personnel. Mais là…

Yvonne – Vous croyez qu’on en arrivera au cannibalisme ?

Charles – En cas d’extrême nécessité, ce n’est pas un crime.

Sergio – C’en est un si on est obligé de tuer la personne avant de la bouffer…

Yvonne – Bon, alors on attendra que le premier d’entre nous meurt de mort naturelle.

Charles – Si on ne vient pas nous secourir rapidement, ça risque d’arriver bientôt.

Diane arrive, très excitée.

Diane – J’ai pêché un poisson !

Max – Comment est-ce que vous avez fait ?

Diane – Avec une épuisette.

Max – Où est-ce que vous avez trouvé une épuisette ?

Diane – J’en ai bricolé une avec un manche à balai et… ma culotte.

Sergio – Et vous avez réussi à attraper un poisson comme ça ?

Diane – Ben oui… Il ne bougeait pas. Il était sur le dos. Il devait dormir.

Amanda – Ça dort, un poisson ?

Diane – Une petite sieste, peut-être.

Sergio – Ou alors il était mort.

Diane – C’est vrai que quand je l’ai sorti de l’eau… il avait une drôle d’odeur.

Charles – Vous êtes sûre que c’était le poisson ?

Yvonne – Enfin, Charles…

Charles – Désolé, ça doit être le soleil. Je suis au bord de l’insolation.

Sergio – Et qu’est-ce que vous en avez fait ?

Diane – Ben je l’ai mangé !

Silence consterné.

Marie – Je crois que cette fois, on a touché le fond.

Charles – C’est une phrase qui prend un sens particulier quand on la dit sur un bateau sur le point de sombrer.

Yvonne – Voilà qu’il se met à faire des phrases, maintenant… Tu as raison, ça doit être le soleil…

Un temps.

Sergio (à Yvonne et Charles) – Et vous, qu’est-ce que vous étiez venus faire sur cette île ?

Charles – Nous étions en reconnaissance. Pour notre voyage de noces. On avait d’abord pensé à Saint Barth, mais c’est tellement surfait maintenant. Surtout depuis que…

Yvonne – Laisse tomber, mon pauvre ami. Au point où on en est, je peux lui dire la vérité.

Charles – Je pensais que c’était la vérité…

Yvonne – Je fais le voyage dans ce paradis fiscal deux fois par an pour y mettre mes économies en lieu sûr.

Sergio – Ne me dites pas que vos valises sont vides…

Yvonne – J’amène du cash et je repars avec des bons au porteur…

Sergio – Et cette année, vous avez fait bonne pêche ? Qu’est-ce que vous ramenez dans vos filets ? Je veux dire dans votre valise. Elle est énorme…

Yvonne – Des bons du trésor, émis par le micro-état qui gère cette île.

Diane – Non…? Et qui vous a conseillé d’acheter ça ?

Charles – Continental Finances, pourquoi ?

Diane – Disons que… maintenant que cette république bananière a été réduite à néant par ce tsunami, vos bons du trésor ne valent plus rien.

Yvonne – Vous êtes sûre ?

Diane – Vous n’avez pas entendu ? À l’heure qu’il est, cette île n’existe plus. Elle a été rayée de la carte.

Charles – Quoi ? Mais alors Yvonne, tu es ruinée…

Diane – La compagnie de ferry que nous venons de racheter ne vaut plus grand chose non plus… mais au moins ça résout le problème de la grève. Et puis on ne sait jamais, il faut garder espoir. Même si tous les marins sont morts noyés, les bateaux, eux, sont peut-être encore à flot.

Marie – C’est vrai, c’est un terrible drame… Au moins, nous, nous sommes encore en vie… Pour l’instant.

Max – Bon, cette fois, Yvonne, c’est à votre tour.

Yvonne – Mon tour ?

Max – D’écoper !

Yvonne – Charles, c’est à toi.

Charles – Pas question, j’en ai marre. Je ne suis pas ton larbin.

Yvonne – Tu ne penses pas sérieusement ce que tu dis ?

Charles – Il y a des années que je te sers de souffre-douleur dans l’espoir d’un mariage qui ferait de moi ton héritier. Mais tu es ruinée, et on va tous mourir, alors qu’est-ce que ça change, maintenant ?

Max (à Yvonne) – Bon alors vous y allez ?

Yvonne – Ça sert à quoi ? Il a raison, on va tous mourir. Alors un peu plus tôt ou un peu plus tard. Pas la peine de se fatiguer.

Marie – Dans ce cas… On n’a plus qu’à s’en remettre à Dieu…

Silence.

Amanda – Et vous, la vierge Marie ? Qu’est-ce qui vous a vraiment amenée ici ?

Marie – Disons que… je suis dans les affaires, moi aussi.

Yvonne – Quelle genre d’affaires ?

Amanda – Ce n’est plus la peine de faire semblant, vous savez… Je vous rappelle que je suis flic. Je suis au courant de tout.

Marie – Oh et puis merde, c’est vrai… Je n’en peux plus de ce truc…

Elle enlève son faux ventre.

Sergio – Qu’est-ce que c’est ?

Marie – De la coke.

Yvonne – Et dire qu’elle a profité de sa prétendue grossesse pour ne pas écoper l’eau de mer dans la cale et pour s’enfiler avant tout le monde le peu d’eau douce qui nous reste….

Charles – Alors c’est elle que vous étiez venue arrêter ?

Amanda – Entre autres, oui… Parce que sur ce bateau, entre nous, je n’ai que l’embarras du choix, non ?

Ils la regardent tous.

Marie – Vous prenez un risque, ma chère…

Amanda – Ah oui ?

Yvonne – Vous êtes seule, nous sommes six.

Diane – On pourrait avoir envie de se débarrasser de vous.

Sergio – Dans la situation où nous sommes, il ne serait pas étonnant qu’on n’en revienne pas tous…

Yvonne – J’ai une de ces faims, moi… Et si c’était elle qu’on bouffait ?

Ils font un pas vers Amanda. Elle sort à nouveau son pistolet.

Amanda – Vous oubliez que je suis armée…

Charles – D’accord.

Ils se figent tous, avant de faire prudemment un pas en arrière.

Marie – Et vous Sergio ? Qu’est-ce que vous transportez dans votre mallette ? Une bombe atomique miniaturisée ?

Sergio – Non, mais c’est tout aussi explosif…

Charles – Vous en avez trop dit ou pas assez… Qu’est-ce que c’est ?

Sergio – Des fonds de campagne secrets. Provenant de donateurs totalement désintéressés, (désignant Yvonne) comme Madame…

Charles – Je ne vous savais pas si généreuse, ma chère…

Yvonne – On a beau être désintéressée, on peut toujours espérer quelques passe-droits en retour, si notre cher Président est réélu. Et puis quoi ? Tu préférerais que la gauche revienne au pouvoir ?

Max (à Sergio) – D’accord… Alors c’est pour ça que vous non plus, vous ne teniez pas à passer par la douane…

Charles – C’est fou ce que les riches peuvent être solidaires entre eux quand il s’agit de préserver leurs privilèges…

Sergio – J’obéis aux ordres. Le Président m’a demandé de récupérer de toute urgence les fonds détenus par son comité de campagne dans ce paradis fiscal.

Marie – De toute urgence… Alors vous étiez au courant, pour le tsunami, n’est-ce pas ?

Sergio – En tant que chef des armées, le Président a un accès privilégié à la météo marine.

Marie – Il craignait pour son trésor de guerre. Mais il n’a averti personne d’autre du raz de marée qui a emporté cette île et tous ses habitants…

Sergio – Il n’y avait pas de place pour tout le monde sur les bateaux, de toute façon. Seuls quelques privilégiés ont été mis au courant.

Marie – Ses généreux donateurs, par exemple. Ceux qui financent sa campagne.

Max – Oui… Comme vous, Yvonne.

Charles – Alors toi aussi, tu savais ?

Yvonne – Tu devrais me remercier, imbécile ! Après tout, je t’ai sauvé la vie…

Charles – Tu n’avais pris qu’une seule réservation, pour toi ! Si je ne t’avais pas rattrapée dans le hall de l’hôtel alors que tu partais précipitamment…

Amanda – Si ça peut vous consoler, moi non plus je ne savais pas. Et pourtant je suis de la police. Si je n’avais pas décidé de prendre tout ce petit monde en filature, j’aurais été emportée par ce tsunami…

CharlesC’était sans doute ce que voulait le Président. Enterrer l’enquête avec l’enquêtrice… (À Diane) Vous aussi, vous étiez au courant ?

Diane – Non… Mais visiblement, mon patron était dans la confidence… Je comprends mieux pourquoi il était si pressé de solder son compte dans ce paradis fiscal, et pourquoi il m’a envoyée là-bas pour ramener son argent en liquide.

Max – En omettant de vous prévenir que vous risquiez d’être emportée par un tsunami.

Diane – Et moi qui lui faisais entièrement confiance… Je suis déçue…

Sergio – Faire confiance au patron de la plus grande banque française ? Votre naïveté me surprend, ma chère.

Charles – Et dire qu’on vous surnomme le « requin »…

Diane – Je pensais que même les requins avaient une famille, que j’en faisais partie, et que les requins ne se bouffaient pas entre eux…

Sergio – Eh bien maintenant, vous êtes fixée sur les limites de la solidarité entre les vrais milliardaires, et ceux qui leur servent de valets en espérant qu’on leur laisse quelques miettes du festin.

Max – Comme disait un de nos grands philosophes : « Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines ».

Sergio – Tiens, je ne connaissais pas cette citation… Quel est le nom de ce philosophe ?

Max – Éric Cantona.

Marie (à Sergio) – Vous auriez quand même pu prévenir les marins grévistes. Vu les circonstances, ils auraient repris le travail sans se faire prier…

Sergio – On aurait pu, oui…

Marie – Mais…?

Sergio – Le chef d’état de cette république bananière était autrefois un ami de la France. Et surtout un ami personnel de notre Président. Un ami très généreux par ailleurs. Malheureusement…

Max – Cet ami est devenu trop encombrant, j’imagine…

Sergio – Je ne peux pas vous en dire plus. Ce dossier relève de la raison d’état.

Max – En tout cas, à présent, le problème est réglé…

Sergio – Grâce à Dieu.

Max – Et à la météo marine…

Noir

Tableau 6

Tous sont là, sauf Marie. Ils ressemblent de plus en plus à des naufragés. Marie arrive, très excitée, une bouteille d’eau dans chaque main.

Marie – C’est un prodige ! Hier il y avait deux bouteilles d’eau, et ce matin il y en a quatre.

Amanda – La multiplication des bouteilles… Une intervention divine, sans doute ?

Max – Non, mais c’est quand même un petit miracle. Il a plu cette nuit, et j’ai pu remplir quelques bouteilles vides.

Charles – Je ne savais pas qu’il pleuvait en pleine mer.

Max – Ça vous étonne ?

Charles – Oui. Je ne sais pas pourquoi…

Max – Ça nous permettra de ne pas mourir de soif tout de suite.

Charles – Vous savez pourquoi l’eau de la mer est salée, Capitaine ?

Max – Non… Et vous ?

Charles – Moi non plus…

Yvonne – Tu es sûr que tu n’as pas attrapé une insolation, mon pauvre Charles ? Tu devrais mettre un chapeau.

Charles – Vous vous rendez compte, si l’eau de mer n’était pas salée ? Ça résoudrait pas mal de problèmes dans le monde.

Amanda – Il va nous faire chier encore longtemps, lui ?

Diane – Pour ce qui est de mourir de faim heureusement, avec tous ces poissons crevés qui remontent à la surface…

Sergio – La pollution des océans a du bon, finalement.

Marie – À moins qu’on ne meurt tous empoisonnés. Comme ces poissons malades qu’on est obligés de bouffer, à moitié pourris.

Diane sort un de ces poissons et en prend une bouchée.

Diane – Ce n’est pas si mauvais.

Amanda – Oui… On s’y habitue.

Yvonne – Je crois que j’ai déjà perdu une dizaine de kilos.

Charles – Eh bien tu vois ? Finalement, la liposuccion pourra attendre encore un peu…

Amanda – Je vais voir si je peux en repêcher quelques-uns…

Amanda s’éloigne. Les autres continuent à mastiquer leurs poissons. Amanda revient précipitamment.

Amanda – Ça y est, on voit la côte !

Diane – Non ?

Amanda – Mais si, regardez !

Ils regardent tous.

Yvonne – Ce n’est pas un mirage, au moins ?

Max – Bon sang, mais oui, c’est vrai !

Charles – Terre ! Terre ! C’est dingue, j’ai l’impression d’être Christophe Colomb au moment où il découvre l’Amérique !

Marie – J’espère qu’on n’a pas dérivé aussi loin, mais bon… Dieu soit loué, nous sommes sauvés !

Max – Il était temps. Même en écopant jour et nuit, le bateau s’enfonçait de plus ou plus.

L’ambiance se détend aussitôt et ils retrouvent le sourire.

Diane – Ouf… On va enfin retrouver la civilisation.

Max – À part qu’on a perdu beaucoup d’argent.

Yvonne – Et quelques kilos.

Max – On finira par se refaire. Riche un jour, riche toujours…

Sergio – Oui… À moins qu’on ne finisse en prison.

Tous les regards se tournent vers Amanda.

Amanda – Je vous promets que je ne dirai rien. Après tout ce que nous avons vécu ensemble…

Yvonne – Merci.

Amanda – Mais le Président, lui, il s’en sort plutôt bien, non ?

Sergio – Je perçois comme un sous-entendu dans cette dernière remarque… voire une tentative de chantage avec extorsion de fonds.

Amanda – Tout de suite les grands mots… Mais je ne serais pas contre une petite gratification, pour service rendu à la patrie… et en récompense de ma discrétion.

Max – Et nous, on ne serait pas contre un petit dédommagement non plus. Parce qu’avec tout le fric qu’on a perdu dans ce désastre écologique…

Yvonne – Vous qui parlez à l’oreille du Président, vous ne pourriez pas nous faire classer en catastrophes naturelles ?

Marie – Parce qu’entre nous, si on racontait ce qu’on sait… La réélection de votre Président serait sérieusement compromise.

Sergio – Entre gens bien élevés, on peut toujours s’arranger…

Max – Et pourquoi pas une petite médaille ? Grâce à mon action héroïque, j’ai réussi à sauver quelques vies.

Sergio – J’en parlerai au Président.

Ils se remettent tous à regarder en direction de la côte.

Max – Les vents sont favorables, on se rapproche de la côte. Il n’y a qu’à attendre…

Yvonne – C’est bizarre. Ça ne ressemble pas trop à la côte française.

Charles – C’est vrai… Avec tous ces palmiers…

Amanda – Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas la Bretagne.

Sergio – Et ce n’est pas le drapeau français qui flotte au-dessus du port.

Charles – Qu’est-ce que ça peut bien être ? La Corse ?

Sergio – Il y a un bateau qui vient, on va leur demander.

Marie – C’est juste une grande barque, et ils sont une centaine là-dessus.

Yvonne – On dirait des migrants.

Charles – Mais pourquoi ils quitteraient la France pour se diriger vers le large ?

Diane – Ça y est, je vois mieux le drapeau.

Marie – On dirait un peu le Maroc…

Max – Qu’est-ce que c’est comme drapeau ?

Amanda, à Sergio – Vous vous y connaissez, en drapeau, vous ?

Charles – Ce n’est pas le drapeau palestinien, au moins ?

Sergio – Pire…

Yvonne – Qu’est-ce qui peut être pire que de débarquer sur la bande de Gaza ?

Sergio – C’est le drapeau de la Libye…

Ils se figent tous, sidérés.

Noir

Tableau 7

Ils sont tous là, hagards, le regard tourné vers le fond de la salle, qui figure cette côte inhospitalière.

Amanda – Cette fois, on voit très bien la plage.

Yvonne – Oui, mais je me demande s’il y a de quoi s’en réjouir.

Marie – On commence même à voir leurs visages.

Max – Et leurs kalachnikovs…

Charles – On dirait que certains sont en train de se marrer.

Diane – Ils vont être surpris de nous voir, c’est sûr.

Sergio – Forcément. D’habitude, le trafic se fait plutôt dans l’autre sens.

Marie – Une bande de Français qui débarque sur les côtes libyennes avec des valises pleines de billets de banque, de bons du Trésor et de sachets de coke…

Max – On ferait peut-être mieux de se débarrasser de tout ça, non ?

Yvonne – Jeter notre argent par-dessus bord ?

Sergio – On pourrait toujours leur donner vos bons au porteur, ils ne valent plus rien.

Diane – S’ils nous trouvent avec tout cet argent, ils vont nous tuer pour nous dépouiller.

Sergio – Mais si on arrive les mains vides, en loques et à moitié morts de faim, ils ne vont pas comprendre… et ça risque de les énerver aussi.

Marie – Difficile de se faire passer pour des migrants français essayant d’accoster en Libye pour y demander l’asile politique.

Max – On peut toujours leur dire la vérité.

Amanda – Ils ne nous croiront jamais.

Marie – Il faut dire que cette histoire est assez difficile à croire.

Max – Oui…

Un portable sonne. C’est celui de Sergio, qui répond.

Sergio – Oui…? Oui Monsieur le Président. Très bien, Monsieur le Président. Merci Monsieur le Président.

Il range son portable.

Yvonne – Alors ?

Sergio – C’était le Président.

Marie – Et alors ?

Sergio – Les forces aériennes françaises présentes dans la région viennent de nous repérer. Ils nous envoient un hélicoptère.

On entend le bruit de l’hélicoptère de reconnaissance, qui se rapproche puis s’éloigne.

Marie – Dieu existe !

Yvonne – Nous sommes sauvés ! Enfin, j’espère que cette fois c’est la bonne…

Charles – Oui, parce qu’il y en a marre de tous ces rebondissements. Cette comédie a assez duré.

Sergio – Rassurez-vous, cette fois, c’est bien la fin de tous nos ennuis.

Amanda – Ça fait un peu western, cette fin, non ? Avec l’arrivée de la cavalerie…

Marie – Tout est bien qui finit bien, c’est le principal.

Diane – Oui… Un vrai conte de fées.

Max – Ça pourrait même se terminer par un mariage… En tant que capitaine de ce bateau, je serais habilité à le célébrer.

Charles – Allez, je me lance… (Il met un genou en terre devant Yvonne) Yvonne, veux-tu être ma femme.

Yvonne – Va te faire foutre !

Amanda – Ce ne sera pas pour cette fois, malheureusement.

Diane – Mais la bonne nouvelle, c’est que dans quelques heures, nous serons en France !

Soulagement général et congratulations réciproques.

Diane – Heureusement que le Président tient à vous. Vous devez être un collaborateur très précieux.

Sergio – Il tient surtout à récupérer sa mallette et les millions qu’elle contient, pour financer sa campagne.

Marie – Vous êtes sûr qu’on ne finira pas tous en prison ? J’ai au moins cinq kilos de cocaïne en bagage accompagné.

Yvonne – Après tout ce que nous venons de traverser, la prison, ce serait presque un soulagement.

Sergio – Rassurez-vous. Je vous l’ai promis. Le Président aura à cœur de ne pas trop ébruiter cette affaire.

Amanda – C’est l’armée qui va nous rapatrier, pas la police. Cela facilitera beaucoup les choses.

Sergio – Les Forces Spéciales ont l’habitude des coups tordus, et elles sont aux ordres du Président.

Diane – Tant mieux, tant mieux… Alors somme toute… tout est bien qui finit bien !

Charles – Sauf pour les quelques citoyens de cet état minuscule, qui vient d’être rayé de la carte.

Yvonne – Enfin, c’était presque tous des employés de banque. Puisqu’on parle d’un paradis fiscal, on peut considérer qu’ils sont morts pour la patrie.

Max – Et puis il faut bien le dire, la disparition de Sodome et Gomorrhe arrange bien les affaires de tout le monde, pas vrai Sergio ?

Sergio – Je peux vous le dire, maintenant, l’état français, en la personne de son Président, avait une ardoise colossale auprès de la Banque Centrale de ce petit paradis.

Amanda – Plus de paradis, plus d’ardoise.

Sergio – Et quand les dettes de la France sont effacées, ce sont tous les Français qui sont un peu plus riches. Enfin, certains Français en tout cas…

Diane – C’est ce qu’on appelle une ardoise magique, alors : on efface tout, et on recommence. Le spectacle est fini, mais les affaires continuent.

Sergio – Le Président avait promis de supprimer les paradis fiscaux. Pour une fois qu’un candidat tient ses promesses.

Max – Un paradis perdu, dix de retrouvés.

Amanda – Mais pour l’instant, grâce à notre Président bien-aimé, nous allons retrouver notre beau pays !

Charles – Vive le Président !

Sergio – Vive la République !

Charles – Vive la France !

Tous ensemble – Et vive la Finance !

Ils se figent tous au garde-à-vous. Une Marseillaise retentit, puis va s’estompant, tandis qu’ils sortent tous en rang serré et au pas cadencé. Diane est en bout de file et sort donc la dernière.

Diane (en sortant) – Je viens d’avoir un nouvel orgasme…

Noir

Fin.

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et plus de soixante-dix comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.

Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.

 

Pièces de théâtre du même auteur

 

Alban et Ève, Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau,

Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bistrot du Hasard,

Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Comme un poisson dans l’air,

Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou,

Coup de foudre à Casteljarnac, Crash Zone, Crise et châtiment,

De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits,

Des valises sous les yeux, Dessous de table, Diagnostic réservé,

Du pastaga dans le Champagne, Elle et lui, monologue interactif,

Erreur des pompes funèbres en votre faveur, Eurostar, Flagrant délire,

Gay friendly, Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages,

L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits,

Il était une fois dans le web, Le Joker, Mélimélodrames,

Ménage à trois, Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne,

Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho,

Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France,

Le Plus beau village de France, Plagiat, Préhistoires grotesques, Primeurs,

Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes,

Un boulevard sans issue, Un bref instant d’éternité,

Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias,

Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13,

Y a-t-il un pilote dans la salle ?

 

 Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeablessur son site :

www.comediatheque.net

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Juin 2018

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-230-1

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Il était un petit navire Lire la suite »

Comme un poisson dans l’air, note d’intention

Libre Théâtre – Ce seul en scène est une succession de neuf monologues. Quel est le point commun entre ces différents textes ?

Jean-Pierre Martinez – Toute écriture est une psychanalyse. C’est d’ailleurs aussi le propos de ce seul en scène. Le point commun entre ces neuf monologues… c’est qu’ils sont tous de la même plume. Je n’ai pas volontairement cherché à installer entre eux une résonance particulière. Les récurrences et les correspondances entre ces différents textes se sont imposées à moi. Lorsque j’écris une comédie, et j’en ai écrit beaucoup, je ne commence jamais les dialogues avant d’avoir construit auparavant une intrigue et avoir composé des personnages bien caractérisés. Pour écrire ces monologues, je suis parti sans plan et sans boussole. J’ai laissé la parole à mes personnages, qui ne sont en réalité que les différentes facettes d’une même personne : moi-même. Je n’irais pas jusqu’à parler d’écriture automatique, au sens de la littérature surréaliste. Par l’écriture automatique, on cherche volontairement à perdre tout contrôle sur ce que l’on écrit. Dans le cas de ces textes, j’ai naturellement utilisé tout mon savoir faire d’auteur, acquis pendant plus de vingt ans à écrire des scénarios pour la télévision ou des comédies pour le théâtre. Je sais comment générer un suspens, comment produire le comique, comment ménager une chute. C’est devenu chez moi une seconde nature. C’est plutôt dans ce sens que je parlerais d’automatisme. Par ailleurs, n’ayant pas besoin, justement, de focaliser mon attention sur la technique d’écriture, j’ai pu me laisser aller au jeu dangereux des associations d’idées. Celui-là même que l’on pratique en analyse. La cohérence de ces textes et le fait qu’ils se répondent entre eux provient donc avant tout de l’unité du sujet qui les a produits, avec son histoire, ses idées fixes, ses obsessions, ses questionnements… et ses angoisses. Je dois d’ailleurs préciser que ces neufs textes sont extraits d’un recueil qui en contient vingt-trois. En choisissant neuf de ces vingt-trois textes, et en les proposant dans un certain ordre, j’ai donc aussi contribué à donner à l’ensemble une unité, à la fois dans le contenu et dans le déroulé. La cohérence d’un texte peut provenir de la mise en œuvre très consciente d’une technique. Elle peut aussi résulter du libre court donné à la pensée plus ou moins inconsciente. Je dirais que dans le cas présent, la cohésion de ce spectacle résulte d’un mélange de ces deux procédés… Enfin, la mise en scène (jeu, accessoires, costumes, musique…) est là aussi pour souligner des correspondances qui autrement resteraient peut-être inaperçues.

Libre Théâtre – Malgré leurs différences, ces neuf personnages semblent en effet révéler chacun une part de notre humanité et de notre vérité commune. Est-ce finalement un seul et même personnage que vous mettez en scène ? Jean-Pierre Martinez – Je voudrais tout d’abord saluer la performance du comédien, Patrick Séminor, qui a su à merveille s’approprier cet univers assez complexe, à la fois dans le propos et dans le style. Le langage utilisé dans ce seul en scène n’est pas celui du dialogue de comédie. Encore moins celui du « one man show » ou du « stand up ». Même si le personnage s’adresse presque toujours au public, on est plus proche du soliloque et de l’introspection. Un discours frôlant parfois l’absurde voire la folie. Mais chacun sait que du propos de comptoir jusqu’au divan du psy, c’est lorsqu’on lâche prise que peut se révéler une vérité enfouie, dont la cohérence reste autrement cachée à la conscience. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas… Ces neuf personnages, en effet, sont apparemment très différents entre eux. Mais ne jouons nous pas nous-mêmes des personnages différents selon les circonstances ? Le personnage que nous interprétons dans le cadre de notre travail, avec nos patrons, nos collègues nos clients… est-il vraiment le même que celui que nous sommes à la maison, en couple ou avec nos enfants ? Sommes nous vraiment le même homme (ou la même femme) lors d’un repas de famille, à une réunion de parents d’élèves ou pendant une virée bien arrosée entre ami(e)s ? Pourtant, « quelque part », nous sommes la même personne. C’est ce « quelque part » que j’ai voulu explorer, en espérant que dans ce « quelque part » qui m’est si personnel, je puisse finalement rencontrer l’autre (c’est à dire le spectateur, chaque spectateur) dans sa vérité la plus profonde.

Libre Théâtre – Malgré la charge émotionnelle de ces textes, les spectateurs, dans toute leur diversité d’ailleurs, rient dès le début du spectacle. Sans jamais que ce rire relève d’une cruauté gratuite. La connivence entre le personnage et le public, dans son extrême diversité, est très étroite. Comment définiriez-vous cette forme d’humour ?

Jean-Pierre Martinez – Au théâtre notamment, on ne prend pas assez l’humour au sérieux. Le véritable humour, plus que toute autre forme d’expression, suppose beaucoup d’humilité, beaucoup de respect, et beaucoup d’attention à l’autre. On n’a le droit de rire que de soi-même. Si en se moquant de soi on parvient à se moquer aussi des autres, non seulement ils ne nous en voudront pas, mais nous aurons établi avec eux une relation profondément humaine. L’humour authentique est encore plus désespéré que la tragédie, dans le mesure où il remet en question le sens lui-même. La vie est très souvent absurde, nous le constatons tous les jours. L’humour permet de partager avec l’autre ce sentiment tragique d’absurdité, tout en créant une complicité réconfortante. Ce spectacle est émouvant parce que chaque spectateur, au final, se reconnaît dans chacun de ces neuf personnages pourtant si différents entre eux, et apparemment si différents de ces autres que sont les spectateurs. Nous passons une bonne partie de notre vie à essayer de comprendre qui nous sommes, pour savoir ce que nous devrions faire, et donner ainsi une cohérence à notre parcours de vie. Car à la fin de ce parcours, ce n’est pas à « notre père » que nous devrons rendre des comptes, mais à l’enfant que nous fûmes et qui lui aussi nous a engendré. La seule grande question dans la vie, c’est de savoir si au bout du conte, nous aurons trahi ou pas nos rêves d’enfants.

Comme un poisson dans l’air, note d’intention Lire la suite »

Des valises sous les yeux

Memoirs of a suitcase –  Memorias de una maletaMemórias de uma mala

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

Comédie à sketchs

Jusqu’à 30 personnages (hommes ou femmes)
Quand la vie se fait la malle…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Des valises sous les yeux

 

 1 – Faute de public

2 – À tempérament

3 – Sur l’herbe

4 – Pas le Pérou

5 – Excès de bagages

6 – Rester de glace

7 – Deuxième chance

8 – Septième ciel

9 – Adieu ou à rien

10 – Bagage suspect

11 – Tout le portrait de son fils

12 – Le grand saut

13 – Assurance crevaison

14 – Comme une porte de prison

15 – È finita la commedia


1 – Faute de public

Deux personnages sont là, de part et d’autre d’une valise. Ils semblent attendre.

Un – Vous croyez qu’ils vont venir ?

Deux – Qui ça ?

Un – Les gens !

Deux – Les gens ? Vous voulez dire le public…

Un – Les spectateurs, quoi !

Deux – Ah, oui, les spectateurs…

Un – On ne peut pas jouer s’il n’y a pas de spectateurs.

Deux – Ben non… C’est pour ça qu’on ne joue pas, d’ailleurs.

Un – Donc, on est bien d’accord, on ne joue pas ?

Deux – Vous jouez, vous ?

Un – Non…

Deux – Voilà. C’est ce que je disais. On ne va pas jouer alors qu’il n’y a personne.

Un – Bon… Mais qu’est-ce qu’on fait là, alors ?

Deux – Et qui on est ?

Un – Personne…

Deux – On est deux personnages en quête de spectateurs.

Un temps.

Un – Pourquoi ils ne viendraient pas ?

Deux – Oh, vous savez, les spectateurs… Ils ont toujours une bonne excuse pour ne pas venir au théâtre.

Un – Vous avez raison. Pour ça, ils ne manquent jamais d’imagination.

Deux – C’est la grève des transports…

Un – C’est au beau milieu d’un pont…

Deux – Il y a un match à la télé…

Un – Il vient d’y avoir un attentat…

Deux – Il pourrait y avoir un attentat…

Un – Il fait trop beau, on préfère aller se balader…

Deux – Il fait trop moche, on préfère rester à la maison…

Un – Ce n’est pas recommandé par Télérama, je n’y vais pas.

Deux – C’est recommandé par Télérama, ça doit être chiant.

Un – C’est trop cher, je préfère aller au ciné.

Deux – C’est presque gratuit, ça doit être nul.

Un – J’aurais bien aimé venir, mais j’ai un mariage.

Deux – Un enterrement.

Un – Un baptême.

Deux – Une communion.

Un – La religion a toujours fait beaucoup de tort au théâtre.

Deux – Ça pour trouver un bon alibi, ils ne manquent jamais d’idées.

Un – Parce que pour le reste…

Un temps.

Deux – On ne demande pourtant pas grand chose.

Un – On n’espère pas remplir le Palais des Sports.

Deux – Mais une petite salle comme ça.

Un – Même une demi-salle.

Le deuxième semble remarquer la présence du public.

Deux – Et ceux-là, qui c’est ?

Un – Où ça ?

Deux – Là, dans le noir.

Un – Je ne vois rien.

Deux – Là-bas, tout au fond.

Un – Ah, vous avez raison… Je ne les avais pas vu rentrer, ceux-là…

Deux – Oui, moi non plus…

Un – On a tellement perdu l’habitude.

Deux – Vous vous rendez compte ? Ils sont venus quand même !

Un – Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont venus.

Deux – Ils ont bravé les grèves, les intempéries, les critiques…

Un – On devrait leur donner une médaille.

Deux – C’est vrai. Ce sont des héros.

Un – Oui… Si on avait su…

Un temps.

Deux – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Un – Comment ça, qu’est-ce qu’on fait ?

Deux – Maintenant que les spectateurs sont là ! Il faut bien faire quelque chose.

Un – C’est que moi je n’ai rien préparé. Et vous ?

Deux – Moi non plus.

Un – On ne s’y attendait pas.

Deux – C’est tellement soudain…

Un – On n’y croyait plus…

Deux – Depuis le temps.

Un – C’est de leur faute aussi…

Deux – Ils auraient pu nous prévenir.

Un – On ne va pas comme ça au théâtre à l’improviste.

Deux – Ça ne se fait pas.

Un temps.

Un – Il y en a peut-être qui ont réservé.

Deux – Vous croyez ?

Un – C’est possible.

Deux – Ben oui, mais on ne nous dit rien, aussi !

Un – Si on a rien à leur montrer, ils vont être déçus.

Deux – Ça leur fera encore une bonne excuse pour ne pas revenir la prochaine fois.

Un – On pourrait, je ne sais pas moi…

Deux – On pourrait leur chanter quelque chose.

Un – Vous savez chanter, vous ?

Deux – Oui… Mais je ne connais aucune chanson. Et vous ?

Un – Oui, j’en connais.

Deux – Alors allez-y.

Un – Je connais des chansons… mais je ne sais pas chanter.

Un temps.

Deux – Je commence à me demander si on a bien fait de venir…

Un – Vous avez raison… on aurait dû trouver une excuse pour ne pas venir, nous aussi.

Deux – En attendant, il vaudrait mieux se faire la malle.

L’autre regarde autour de lui et aperçoit la valise.

Un – À défaut de malle, on va se faire la valise.

Ils commencent à partir, en catimini.

Noir

2 – À tempérament

Un personnage est là. On sonne. Il va ouvrir.

Un – Oui ?

Deux – Bonjour ! Vous auriez cinq minutes à m’accorder ?

Le premier revient avec le deuxième, qui porte une valise.

Un – Entrez deux secondes si vous voulez, mais je n’ai pas beaucoup de temps.

Deux – Ah oui ? Et qu’avez-vous à faire de si pressé ? Un dimanche… Le Jour du Seigneur….

Un – Je… Je ne sais pas… On a toujours des trucs à faire, non ?

Deux – Bien sûr… Mais vous verrez, vous ne regretterez pas de m’avoir ouvert votre porte…

Un – Vous n’allez pas me parler de la Bible, au moins ?

Deux – Rassurez-vous, ce n’est pas Dieu qui m’envoie. Ce serait même plutôt le contraire… Je me présente. Je suis le diable.

Un – Vous m’avez peur… J’ai cru que vous étiez Témoin de Jéhovah. D’habitude, ils sont toujours deux, je ne me suis pas méfié…

Deux – Ce que j’ai à vous proposer est beaucoup plus intéressant… Et je travaille toujours en solo…

Un – Bon… Mais je vous préviens tout de suite, je n’ai besoin de rien.

Deux – Allez savoir… Laissez-moi au moins vous présenter nos offres.

Un – Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps… Et puis c’est bientôt mon feuilleton, et il faut que je reboote la box. On a une très mauvaise connexion dans l’immeuble.

Deux – Je ne vous retiendrai pas très longtemps, c’est promis.

Un – Bon… Je vous écoute…

Deux – Je voudrais vous proposer un pacte.

Un – Vous voulez dire un pack  ?

Deux – Non, non… Je dis bien : un pacte.

Un – Et ça consiste en quoi ?

Le deuxième ouvre la valise et lui montre le contenu, que le public ne voit pas.

Deux – Je vous offre amour, gloire et beauté.

Un – Oh, vous savez, à mon âge…

Deux – Écoutez… C’est une option en supplément, évidemment, mais bon… Si vous y tenez, je peux aussi vous rajouter la jeunesse.

Un – La jeunesse éternelle  ?

Deux – Éternelle… Il ne faut pas exagérer non plus… Qu’est-ce qui est éternel en ce bas monde  ?

Un – Oui, vous avez raison… C’est plutôt l’époque de l’adolescence programmée.

Deux – Vous voulez dire l’obsolescence programmée, j’imagine.

Un – Amour, gloire et beauté… J’imagine que ça va me coûter un bras…

Deux – Détrompez-vous, cher Monsieur. C’est là où mon offre est absolument diabolique.

Un – Combien  ?

Deux – Ça ne vous coûtera pas un bras, en tout cas… Je vous prendrai seulement votre âme.

Un – Ah oui  ?

Deux – Mais rassurez-vous, vous pouvez payer en plusieurs mensualités.

Un – Il faudrait que je réfléchisse.

Deux – Vendre son âme au diable, vous savez, c’est très courant de nos jours.

Un – Si vous le dites…

Deux – Et puis qu’est-ce que vous en feriez de toute façon ?

Un – De quoi ?

Deux – De votre âme !

Un – C’est vrai que ces temps-ci… je ne m’en sers pas tellement.

Deux – Alors autant l’échanger contre quelque chose d’utile !

Un – D’un autre côté… On ne sait jamais… Je pourrais encore en avoir besoin.

Deux – Bon, comme je vous vois hésitant, je crois que c’est le moment pour moi de vous présenter notre promotion. Mais attention, elle n’est valable que pendant vingt-quatre heures…

Un – Et c’est quoi, votre promo  ?

Le deuxième sort de la valise un catalogue.

Deux – En plus du pacte que je vous ai déjà présenté, je vous offre en cadeau de bienvenue un abonnement au câble haut débit, avec un bouquet de 563 chaînes, entièrement gratuites… pendant trois mois.

Un – Ah oui, bien sûr…

Deux – Au moins… vous ne risquerez plus de manquer votre feuilleton favori à cause d’une mauvaise connexion internet.

Un – Et vous disiez que pour le reste, on pouvait payer en plusieurs mensualités ?

Deux – On vous en prendra un peu chaque mois. Vous verrez, vous ne vous en rendrez même pas compte.

Un – Je peux voir le contrat  ?

Deux – Tout est écrit là… Mais vous savez, c’est en tout petit, et c’est assez technique.

Un – En effet… Et je ne sais pas ce que j’ai fait de mes lunettes…

Deux – Vous me faites confiance  ? Contentez-vous de signer en bas du pacte…

Un – Bon…

Deux – Et n’oubliez pas de parapher toutes les pages…

Un – J’espère que ce n’est pas trop long, parce que mon feuilleton va commencer…

Deux – Ne vous inquiétez pas. Avec votre nouvelle box, vous pourrez le regarder en replay  ! Autant de fois que vous voulez. Pour l’éternité. Et ceci gratuitement. Pendant trois mois, en tout cas…

Un – D’accord… Alors je signe où  ?

Noir

3 – Sur l’herbe

Un personnage est là. Un autre arrive avec une valise.

Un – Où est-ce que tu vas avec cette valise ?

Deux – Nulle part… Je viens de l’acheter. Elle était en solde.

Un – D’accord… Tu pars en voyage ?

Deux – Non.

Un – Alors pourquoi tu as acheté une valise ?

Deux – Je te le dis, elle était en solde.

Un – OK… (Un temps) Ça s’arrange pas, toi.

Deux – Une valise, ça peut toujours servir, non ?

Un – À quoi ? Si ce n’est pas pour partir quelque part.

Deux – Où veux-tu que j’aille ?

Un – Je ne sais pas, moi… C’est toi qui as acheté une valise. Tu es con, ou quoi ?

Deux – On peut parler, non ?

Un – De quoi ?

Deux – Où tu irais, toi, si tu avais une valise ?

Un – Si j’avais une valise ?

Deux – Tu as une valise ?

Un – Qu’est-ce que tu veux que je foute avec une valise ?

Deux – Tu pourrais partir quelque part…

Un – Où ça ?

Deux – Je ne sais pas moi…

Un – De toute façon, je n’ai pas de valise.

Deux – Tu veux que je te prête la mienne ?

Un – Pour quoi faire  ?

Deux – Au cas où tu voudrais aller quelque part.

L’autre le regarde avec stupéfaction.

Un – Non mais où on va, là  ?

Deux – Je ne sais pas. En tout cas, on a déjà la valise.

Un – On n’est pas bien ici ?

Deux – Si, ouais… Enfin… On ne sait pas comment c’est ailleurs, non plus.

Un – Ailleurs ?

Deux – C’est peut-être mieux.

Un – Ailleurs, c’est peut-être mieux ?

Deux – Ben ouais ! Non ? Puisqu’on n’y est jamais allé. On n’a jamais bougé d’ici.

Un – Ouais, enfin… Tu sais ce qu’on dit…

Deux – Quoi  ?

Un – Ailleurs, l’herbe est plus verte.

Deux – On ne peut pas dire qu’ici, il y ait beaucoup d’herbe.

L’autre regarde autour de lui.

Un – Oui, remarque, ce n’est pas faux.

Deux – On pourrait aller là où il y a de l’herbe.

Un – À la campagne, tu veux dire  ?

Deux – Là où il y a de l’herbe.

Un – Pour quoi faire.

Deux – Pour s’allonger dedans. Je ne me souviens plus depuis combien de temps je ne me suis pas allongé dans l’herbe.

Un – De l’herbe, on en vend ici, mais ce n’est pas pour s’allonger dedans.

Deux – Ça reviendrait trop cher.

Un – Il y a un carré de pelouse sur l’esplanade de la mairie.

Deux – Oui… Mais il y a plein de crottes de chiens.

Un – Ouais… Et on n’a même pas le droit de se rouler dedans.

Deux – Se rouler dans quoi ?

Un – Dans la pelouse !

Deux – Se rouler dans la pelouse ?

Un – Ça se dit, ça ? Se rouler dans la pelouse ?

Deux – Tu vois bien ! Non seulement on n’a pas le droit de le faire, mais on n’a même pas le droit de le dire. Alors on y va ?

Un – Où ça ?

Deux – À la campagne !

Un – La campagne, c’est vague… Ça commence où la campagne ?

Deux – Je ne sais pas… Là où s’arrête le RER, j’imagine.

Un – Bon… Pourquoi pas ? On ira jusqu’au terminus alors. On verra bien si on arrive à la campagne.

Deux – Et qu’est-ce qu’on met dans la valise ?

Un – Qu’est-ce que tu veux qu’on mette dans la valise ? Pour prendre le RER…

Deux – Tu as raison. Si on trouve quelque chose d’intéressant à ramener de là-bas, on pourra toujours le mettre dans la valise.

Un – Quelle ligne on prend ?

Deux – Je ne sais pas. Celle qui va dans le sud, tant qu’à faire…

Un – RER B.

Deux – Direction Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

Un – Bon… Alors on se fait la valise.

Deux – Je dirais même plus, on se fait la malle.

Ils sortent.

Noir

4 – Pas le Pérou

Un personnage est là. Un autre arrive avec une valise.

Un – Alors ça y est, cette fois c’est le départ ?

Deux – Et oui…

Un – Vous ne voulez vraiment pas rester encore un peu ?

Deux – J’aimerais bien, mais je ne peux vraiment pas…

Un – Quel dommage… C’est trop court. Mais vous reviendrez nous voir !

Deux – Bien sûr…

Un – Ça vous a plu, au moins ?

Deux – Mais oui, je vous assure  ! Beaucoup…

Un – Tant mieux, tant mieux… Ce n’est pas le Pérou, mais bon…

Deux – Non.

Un – Comment ça, non ?

Deux – Je dis… non, ce n’est pas le Pérou.

Un – Vous trouvez qu’ici, ce n’est pas le Pérou ?

Deux – Ben… Non, puisque c’est la France…

Un – La France… Ah, ça oui… La France ! Vous aimez la France ?

Deux – Absolument, oui.

Un – Et le Pérou, vous connaissez ?

Deux – Oui… J’y suis allé l’année dernière.

Un – Ah oui ? Mais qu’est-ce que vous êtes allé faire là-bas ?

Deux – On nous rebat tellement les oreilles avec le Pérou.

Un – Vous trouvez ?

Deux – Ce n’est pas le Pérou par-ci, ce n’est pas le Pérou par-là. J’ai voulu vérifier.

Un – Vérifier quoi ?

Deux – Vérifier si le Pérou, c’était vraiment le Pérou, comme on dit.

Un – Ah oui, bien sûr.

Deux – Même vous tout à l’heure vous disiez que la France, ce n’est pas le Pérou.

Un – C’est un fait.

Deux – Oui… Mais vous aviez l’air de dire que le Pérou, c’est quand même mieux que la France.

Un – C’est une façon de parler.

Deux – Tout de même…

Un – Et alors ?

Deux – Alors quoi ?

Un – Le Pérou, c’est comment ?

Deux – Eh bien… Franchement ?

Un – Franchement…

Deux – Ça ne vaut pas la France.

Un – Eh bien voilà, c’est ce que je disais ! Le Pérou, ce n’est pas la France.

Deux – Vous disiez le contraire…

Un – Le contraire ?

Deux – La France, ce n’est pas le Pérou.

Un – C’est pareil, non ? La France, ce n’est pas le Pérou, et le Pérou, ce n’est pas la France.

Deux – Vous avez raison.

Un – La France, c’est la France, et le Pérou, c’est le Pérou.

Deux – Voilà.

Un – Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes.

Deux – Sauf que les torchons, ce n’est pas pareil que les serviettes.

Un – Évidemment. Les torchons, c’est les torchons, et les serviettes, c’est les serviettes.

Deux – La serviette, c’est la France, et le torchon, c’est le Pérou.

Un temps.

Un – Il va peut-être falloir y aller, maintenant, non ?

Deux – Vous avez raison. Sinon, je vais rater mon avion.

Un – Vous venez d’où, déjà ?

Deux – De Slovaquie.

Un – Ah oui… Là on peut vraiment dire que ce n’est pas le Pérou.

Deux – Non…

Un – Alors bon voyage !

Deux – Merci !

Noir

5 – Excès de bagages

Un personnage est là. Un autre arrive.

Un – Bonjour, je voudrais acheter une valise, s’il vous plaît.

Deux – Bien Monsieur… Et c’est une valise pour partir où ?

Un – Pour partir où ? Qu’est-ce que ça change ?

Deux – Ah mais ça change tout !

Un – Une valise, c’est une valise, non ?

Deux – Détrompez-vous, cher Monsieur ! Il y a toutes sortes de valises. La valise pour partir en voyage, par exemple, n’a rien à voir avec la valise pour quitter son domicile après une séparation, ou pour quitter son pays et partir en exil ?

Un – En exil  ?

Deux – Je suis bien d’accord avec vous… Il y a aussi différentes sortes d’exils. L’exil fiscal n’a évidemment que très peu de rapports avec l’exil économique ou l’exil politique.

Un – Bon… Disons que c’est une valise pour partir en voyage, alors.

Deux – Voyage d’agrément ou voyage d’affaires ?

Un – D’agrément.

Deux – Seul ou accompagné ?

Un – Mais enfin, ça ne vous regarde pas !

Deux – Je vous demande pardon, mais si c’est une valise pour deux personnes, ça change pas mal de choses quant à la taille de la valise. Surtout si vous partagez votre valise avec une femme… Dans ce cas, je vous conseillerais plutôt une malle.

Un – Il n’y aura que mes affaires dans cette valise. Ma femme m’a quitté. Je viens de divorcer…

Deux – Je suis vraiment désolé que votre épouse se soit fait la malle sans vous…

Un – Merci…

Deux – Pour combien de temps, ce voyage ?

Un – Une semaine.

Deux – La destination ?

Un – J’ai l’impression d’être déjà à la douane…

Deux – Pour voyager en Afrique, vous aurez besoin d’une valise beaucoup plus robuste et beaucoup moins salissante que pour voyager en Suisse.

Un – En Suisse ?

Deux – Vous allez en Suisse ?

Un – Je n’ai pas dit ça !

Deux – Non parce que si c’est pour transporter des liquidités, il vous faudra une valise plus sécurisée que pour de simples caleçons et quelques paires de chaussettes.

Un – Vous délirez ! Qui vous a dit que j’allais en Suisse pour planquer mes économies ?

Deux – C’est une simple supposition…

Un – Je vais en Corse, pour marier ma fille, si vous voulez tout savoir.

Deux – Mariage civil ? Religieux ?

Un – Religieux.

Deux – Quelle religion ?

Un – Mais enfin, quel rapport avec la valise ?

Deux – Aucun. Cette fois, c’était juste par curiosité. Excusez-moi.

Un – D’accord…

Deux – Donc nous disions la Corse, pour une semaine, en solo, voyage de noces… Enfin, je veux dire, voyage en vue d’une noce… Vous ferez la traversée en avion ou en bateau  ?

Un – Ça change quelque chose, pour la valise ?

Deux – Disons que pour une croisière un peu chic, je ne vous recommanderai pas le même style de valise que pour un simple voyage en avion. À moins que vous ne voyagiez en classe affaire, évidemment.

Un – Je pars en avion. Classe touriste.

Deux – Bagage accompagné ou en soute ?

Un – En soute. Ce sera tout ?

Deux – Oui… Ça me suffira pour l’instant… et je crois que j’ai ce qu’il vous faut.

Il sort.

Un – Je n’y croyais plus…

L’autre revient avec une valise tout à fait ordinaire.

Deux – C’est pour me proposer cette valise que vous m’avez posé autant de questions ?

Un – Nous cherchons à satisfaire au mieux les besoins de nos clients.

Deux – Et qu’est-ce qu’elle a de spécial, cette valise ? Je veux dire quelque chose qui convienne particulièrement à un voyage en Corse pour marier sa fille ?

Un – Rien de particulier. S’agissant d’un voyage aussi banal, une banale valise fera l’affaire.

Deux – Mais pourquoi celle-ci en particulier ?

Un – Parce que c’est le seul modèle qui nous reste.

Deux – Le seul ? C’est une blague ! Mais alors pourquoi m’avoir posé autant de questions ?

Un – Je voulais vérifier que vous n’étiez pas un client spécial… Mais visiblement non…

Deux – Spécial ? Vous voulez dire… le genre qui part en croisière sur le Titanic et qui a besoin d’une valise insubmersible ?

Un – Bon, vous la prenez ou pas, cette valise ? Parce que je n’ai pas toute la journée, non plus.

Deux – Vous avez de la chance, je n’ai pas le temps de passer dans un autre magasin. Je la prends.

Un – Très bien. Vous réglez par chèque ou en espèce ?

Deux – Par chèque.

Un – Quelle banque ?

Noir

6 – Rester de glace

Deux personnages assis l’un à côté de l’autre. Le deuxième a une valise sur les genoux.

Un – Vous étiez déjà venu ?

Deux – Oui, mais il y a très longtemps. Et vous ?

Un – Non, moi c’est la première fois. Qu’est-ce que vous aviez vu  ?

Deux – Ouh là… Je ne me souviens plus très bien… C’était avec… Comment il s’appelle déjà… C’est un acteur très connu…

Un – Ah oui…

Deux – Il est mort, je crois.

Un – Ah, il est mort  ?

Deux – Je crois.

Un – C’est bien dommage. Et il est mort de quoi  ?

Deux – Oh, vous savez… Il n’était déjà plus très jeune. Et puis il était très malade…

Un – Tout de même, c’est triste pour la famille. Il avait une famille ?

Deux – Oui, j’imagine. Comme tout le monde.

Un – Enfin… Et donc il… il était très connu…

Deux – Ah oui, quand même… On le voyait beaucoup au cinéma. Enfin, après c’était surtout à la télé. Finalement, c’était plutôt au théâtre. Et sur la fin, on ne le voyait plus du tout.

Un – Du tout ?

Deux – Il était un peu tombé dans l’oubli, comme on dit.

Un – Ça arrive, malheureusement.

Deux – Oui, tout le monde l’avait oublié. Même moi, vous voyez.

Un – C’est la vie.

Deux – Oui…

Un – À notre âge, on ne sait même plus si ce sont les gens célèbres qui tombent dans l’oubli, ou si c’est nous qui perdons la mémoire…

Un temps.

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire «  en mode avion  » ?

Un – Quoi  ?

Deux – L’ouvreuse, tout à l’heure, elle a dit d’éteindre son téléphone portable, complètement. «  Même en mode avion  ».

Un – Ah oui, c’est vrai.

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Un – Je ne sais pas… Je ne prends jamais l’avion. Et vous ?

Deux – Moi non plus. D’ailleurs, je n’ai pas de téléphone portable.

Un – Moi non plus.

Deux – Comme ça, on ne risque pas d’oublier de l’éteindre.

Un temps.

Un – Et vous êtes venu avec votre valise  ?

Deux – Je ne m’en sépare jamais. Depuis que…

Un – Depuis quoi  ?

Deux – Je l’avais oubliée dans le train. Les démineurs sont venus. Je suis arrivé juste à temps. Ils s’apprêtaient à la faire exploser !

Un – Non ?

Deux – La peur que j’ai eue… Vous imaginez un peu si je la laisse chez moi, que les chiens de leur brigade cinéphile viennent la renifler jusque sur mon palier, et que les démineurs enfoncent la porte pour la faire exploser ?

Un – Vous avez raison, il vaut mieux la garder avec vous… (Un temps) C’est vrai qu’elle a une drôle d’odeur, cette valise…

Deux – Vous trouvez ?

Un – Ça ne devrait pas tarder à commencer, non ?

Deux – Oui, c’est vrai…

Un – Ça fait déjà un moment qu’ils nous ont demandé d’éteindre nos téléphones portables.

Deux – Ou alors, ça a déjà commencé.

Un – Comment ça pourrait avoir déjà commencé  ? Il ne se passe rien.

Deux – Vous savez, avec le théâtre moderne…

Un – Vous croyez que c’est du théâtre moderne  ?

Deux – Je ne sais pas… Comme c’est offert par la mairie…

Un – C’est pour ça que je suis venu, moi aussi. Je ne savais pas que c’était du théâtre moderne.

Deux – Vous croyez qu’il y a un entracte ?

Un – Ça existe encore, les entractes ?

Deux – Je ne sais pas… Ça dépend de la longueur de la pièce, j’imagine.

Un – Vous croyez que c’est une pièce assez longue pour avoir un entracte ?

Deux – En tout cas, ce n’était pas marqué sur le programme.

Un – Ça fait déjà un moment que ça dure, non ?

Deux – En tout cas, ça fait déjà un moment qu’on attend que ça commence.

Un – On ne se serait pas endormi des fois ?

Deux – Tous les deux en même temps ? Je ne crois pas, quand même.

Un – C’est peut-être déjà l’entracte…

Deux – Ou alors c’est déjà fini.

Un – Ça ne peut pas être déjà fini alors que ça n’a pas encore commencé !

Deux – Avec le théâtre moderne, vous savez…

Un – Alors qu’est-ce qu’on fait  ?

Deux – On va attendre encore un peu… Ce serait trop bête…

Un – Vous avez raison.

Un temps.

Deux – Si au moins les ouvreuses nous proposaient des esquimaux.

Un – Ce n’est pas plutôt au cinéma, les esquimaux ?

Deux – Ah, je ne sais pas…

Un – Moi non plus.

Deux – Même au cinéma, de nos jours, je ne suis pas sûr que les ouvreuses proposent encore des esquimaux.

Un – Alors au théâtre, vous pensez bien…

Deux – C’est dommage. Je suis sûr qu’il y aurait plus de monde au théâtre si les ouvreuses proposaient des esquimaux.

Un – Ça… Sûrement…

Deux – On va attendre encore un peu…

Un – Et puis si ça ne commence toujours pas, on ira prendre une glace.

Deux – On va se gêner ! On aurait mieux fait d’y aller directement…

Un – Vous vous rendez compte la glace qu’on aurait pu se payer pour le prix du billet.

Deux – Enfin, c’est offert par la mairie.

Un – Oui… La mairie… Elle aurait mieux fait de nous offrir des glaces…

Deux – Bon, allez, ça va comme ça.

Ils se lèvent.

Un – Allez, on se fait la malle.

Deux – On va aller se taper une paire de glaces.

Un – Une paire ?

Deux – Deux boules !

Un – Ah oui… N’oubliez pas votre valise…

Deux – Vous avez raison… Ils seraient fichus de nous envoyer les démineurs.

Ils sortent.

Noir

7 – Deuxième chance

Le premier personnage est là, en bord de scène, une valise à la main, un peu penché en avant et regardant en bas. Le deuxième arrive, précipitamment.

Deux – Vous n’allez pas me sauter ?

Un – Euh… Non… Pas si je peux éviter…

Deux – Pardon, je voulais dire… vous n’allez pas sauter ?

Un – Ah… Euh… Non… Pas si je peux éviter…

Deux – Tant pis… Enfin, je veux dire tant mieux !

Silence embarrassé.

Un – J’ai l’air désespéré à ce point ?

Deux – Je ne sais pas… Et moi ?

Un – Oui, un peu… Vous avez l’air de sortir de…

Deux – Je sors de chez mon dentiste.

Un – Et ça s’est mal passé.

Deux – Si on veut… Il m’a posé un lapin.

Un – Vous sortez avec votre dentiste ?

Deux – Non, je veux dire… Il a annulé le rendez-vous.

Un – D’accord… Et pourquoi ça ?

Deux – Il avait mal aux dents.

Un – Ah oui ? Remarquez, c’est vrai. Je me suis toujours demandé où allaient les dentistes quand ils avaient mal aux dents.

Deux – Et les coiffeurs pour se faire couper les cheveux ?

Un – Vous savez ce qu’on dit… Ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés.

Deux – Du coup, j’ai toujours mal aux dents… Et vous ?

Un – Non, moi les dents ça va… Je dirais même que pour l’instant, les dents, c’est à peu près tout ce qui va chez moi.

Deux – Alors c’est pour ça que vous envisagiez de…

Un – De…?

Deux – Eh bien de… sauter.

Un – Mon projet n’était pas aussi abouti que ça… En fait, je voulais juste vérifier que si je sautais, c’était bien assez haut pour que j’ai une chance raisonnable d’y rester. Parce que si c’est pour finir seulement estropié…

Deux – Vous imaginez ? Vous êtes déprimé, vous vous suicidez, et finalement, vous en sortez paraplégique.

Un – De quoi être encore plus déprimé.

Deux – C’est sûr.

Un – C’est pour ça que je préférais vérifier.

Deux – Vous étiez en repérage, en somme.

Un – Voilà.

Deux – Et ?

Un – Quoi ?

Deux – C’est assez haut ?

Un – Je ne sais pas… Qu’est-ce que vous en pensez ?

Deux – Je n’ai pas bien l’habitude…

Il s’approche et regarde.

Un – Faites attention quand même…

Deux – Vous avez raison, ce serait trop bête.

Un – Alors ?

Deux – Ce n’est pas très haut… En sautant la tête la première, peut-être…

Un – Et puis c’est du gazon.

Deux – Si c’était du ciment, au moins.

Un – Le gazon, c’est assez meuble. Surtout quand il a beaucoup plu.

Deux – C’est vrai que ces derniers temps, on n’a pas été très gâtés côté météo.

Un – Non. C’est vraiment déprimant.

Deux – En tout cas, vous avez intérêt à ne pas vous rater. Parce que sinon, vous n’aurez pas de deuxième chance.

Un – Pardon  ?

Deux – Quand on se tire une balle, si on se rate avec la première, on peut toujours se rattraper avec la deuxième. Il suffit d’appuyer à nouveau sur la gâchette. Mais quand on saute dans le vide…

Un – C’est sûr.

Deux – Vous vous voyez remonter les escaliers avec une jambe cassée et une fracture du crâne pour vous jeter une deuxième fois dans le vide.

Un – Non…

Deux – Je sais que le ridicule ne tue pas, mais bon… Il y a des limites…

Un – Oui, je préférerais tout de même mourir dans la dignité.

Deux – Bon, je vais devoir vous laisser. Excusez-moi, mais j’ai vraiment trop mal aux dents.

Un – En tout cas, merci pour vos conseils.

Deux – Mais de rien. Vous savez où il y a une pharmacie de garde dans le coin ? C’est pour mon mal de dent…

Un – Oui, je crois que… Je vais venir avec vous… Je vais essayer les médicaments, plutôt…

Deux – Vous avez raison… L’avantage, avec les médicaments, c’est que si on se rate…

Un – On a toujours droit à une deuxième chance…

Ils sortent ensemble.

Noir

8 – Septième ciel

Un personnage est là. L’autre arrive avec une valise.

Deux – Bonjour, je viens pour… Enfin, vous savez…

L’autre n’a pas l’air de savoir.

Un – Ah, oui, le suicide assisté ! Non, c’est parce que… Vous allez rire, mais on fait aussi le don de sperme. (L’autre ne rit pas) Pardon, à voir votre tête, j’aurais dû deviner que vous ne veniez pas pour…

Deux – Non…

Un – Et puis pour un don de sperme, on ne vient pas avec une valise.

Deux – Non.

L’autre lui tend un papier.

Un – Voilà, il faut remplir le formulaire. Attendez, je vérifie que je n’ai pas confondu avec l’autre… Non, je ne me suis pas trompé, c’est bien celui-là… Alors nom, adresse, téléphone…

Deux – Téléphone  ?

Un – Bon, vous n’êtes pas obligé de le mettre… C’est sûr qu’on ne risque pas de vous téléphoner après… Enfin bref… Numéro de sécurité sociale, personne à prévenir en cas de non décès…

Deux – En cas de non décès, vous êtes sûr  ?

Un – En principe, c’est fiable à cent pour cent, mais vous savez… La perfection n’est pas de ce monde. Vous avez apporté le chèque et une photo d’identité ?

Deux – Voilà… (Il lui tend les documents en question) La photo n’est pas très récente, mais bon…

L’autre regarde la photo.

Un – Ah oui, en effet… Mais vous aviez quel âge ?

Deux – Six mois.

Un – Après tout, ils n’ont pas précisé « photo récente ». Vous avez été parrainé  ?

Deux – Pardon  ?

Un – Si vous avez été parrainé par quelqu’un qui a déjà eu recours à nos services, la moitié des frais sera reversée à sa famille, vous ne le saviez pas ?

Deux – Non.

Un – Dommage, vous auriez pu vous-même en faire bénéficier vos proches. Vous n’avez personne dans votre entourage qui a des tendances suicidaires ?

Deux – Je ne sais pas…

Un – De toute façon, il est un peu tard. Ce sera pour la prochaine fois… Enfin, je veux dire… Bon, il faut aussi faire le petit test…

L’autre lui tend un autre formulaire.

Deux – Ne me dites qu’il faut avoir un QI supérieur à la moyenne pour avoir le droit à une aide au suicide  ?

Un – Non, rassurez-vous. Tout le monde a le droit de mettre fin à ses jours. Même les imbéciles. C’est juste pour vérifier que vous êtes bien en possession de toutes vos capacités intellectuelles, et que vous savez donc exactement ce que vous êtes en train de faire.

Deux – Bon…

Un – Il suffit de cocher les bonnes cases. Vous verrez, ce n’est vraiment pas sorcier. En tout cas, on n’a encore jamais recalé personne jusqu’à maintenant.

Il regarde le test et commence à cocher les bonnes réponses.

Deux – Ah oui, en effet… Combien font 1 plus 1 ? Quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ? Y a-t-il une vie après la mort ?

Un – Vous avez le droit à un joker.

Deux – Dans ce cas, pour la dernière, je reviendrai vous donner la réponse dans quelque temps.

Un – Ah, je vous préviens, on n’a pas encore prévu de service après-vente !

Il lui rend le test complété.

Deux – C’est tout pour l’aspect formalité ?

Un – Presque… Vous avez rédigé une lettre de démotivation ?

Deux – Non…

Un – Je plaisante, rassurez-vous.

Deux – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Un – Tout est en ordre. Je vais vous annoncer…

Deux – M’annoncer  ? Vous voulez dire… là-haut ?

Un – Oui, si vous voulez… C’est au septième…

Deux – Le septième ciel ?

Un – Le septième étage ! Le service chargé de…

Deux – Ah oui, pardon.

Il prend son téléphone.

Un – Oui, Christelle, ton rendez-vous est arrivé… D’accord, je lui dis de patienter… (Il repose le téléphone) On est un peu en retard sur notre planning. L’hiver, pour nous, c’est la haute saison… Et puis cette année, avec la météo… C’est tellement déprimant…

Deux – J’ai tout mon temps…

Un – Pas moi, malheureusement… J’ai une grosse journée… Mais je vais d’abord me traîner jusqu’à la machine à café. Je n’ai pas eu le temps d’en prendre un ce matin. Mon réveil n’a pas sonné. Je vous en ramène un ?

Deux – Un quoi ?

Un – Un café !

Deux – Oui, pourquoi pas…

Un – Ne vous inquiétez pas. Si vous n’êtes plus là quand je reviendrai, je le boirai à votre santé… Je veux dire à votre place.

Deux – Merci pour tout.

Un – Mais de rien.

Deux – Si, si, j’insiste. Vous êtes la dernière personne que j’aurai vue avant le grand saut. Du coup, je n’aurai rien à regretter.

Un – Merci. Et… n’oubliez pas votre valise.

Noir

9 – Adieu ou à rien

Deux personnages, face au public. Ils ne se regardent pas. Le premier porte une valise.

Un – Bon… Les meilleures choses ont une fin.

Deux – Oui… Il n’y a de bonne compagnie qui ne se quitte.

Un – Donc, je vais vous laisser…

Deux – C’est ça.

Un – Alors… au revoir.

Deux – Oui.

Un – Enfin quand je dis au revoir…

Deux – Oui, il y a peu de chances qu’on se revoit.

Un – Ou alors, si on se revoit…

Deux – Alors adieu, plutôt.

Un – C’est ça… Adieu.

Deux – Voilà, voilà…

Un – Enfin adieu…

Deux – Quoi ?

Un – Vous y croyez, vous ?

Deux – À quoi ?

Un – À Dieu !

Deux – Ah ! Euh… Non, pas vraiment.

Un – Alors adieu… Ce n’est pas vraiment le bon mot non plus.

Deux – Non.

Un – Alors qu’est-ce qu’on dit quand on ne croit pas en Dieu  ?

Deux – Je ne sais pas…

Un – Vous croyez en quoi, vous ?

Deux – Je ne sais pas… À rien.

Un – Alors on pourrait dire… Arien.

Deux – Arien ?

Un – Au lieu de adieu, on pourrait dire arien.

Deux – Oui, on pourrait…

Un – Mais dans ce cas-là, est-ce que ça vaut encore le coup de dire quelque chose ?

Deux – C’est vrai…

Un temps.

Un – Bon, alors je vais y aller. Sans rien dire.

Deux – Ça servirait à quoi, de toute façon  ?

Le premier commence à partir, mais se ravise.

Un – On peut quand même s’embrasser  ?

Deux – Si vous voulez…

Ils s’embrassent. Le premier part avec sa valise.

Deux – Arien…

Noir

10 – Bagage suspect

Sur la scène, une valise. Un personnage arrive. Il jette un regard sur la valise, puis se met à attendre, peut-être le bus, le tram ou le métro. Un autre personnage arrive. Il salue l’autre.

Deux – Bonjour…

Un – Bonjour.

Le deuxième se met à attendre aussi.

Deux – Vous attendez depuis longtemps ?

Un – Une dizaine de minutes.

Deux – Ils ne sont pas encore en grève, au moins ?

Un – Je ne crois pas.

Deux – Ou alors c’est un incident voyageur, comme ils disent…

Un – Peut-être.

Deux – Un incident… En fait, ça veut dire un accident. Enfin un suicide, plutôt. Quelqu’un qui s’est jeté sous le…

Un – Ah oui…

Deux – C’est pour éviter de traumatiser les gens… Au lieu de dire que le type s’est fait couper en deux, on appelle ça un incident voyageur. Aujourd’hui, on n’ose même plus appeler les choses par leur nom… Un aveugle, on doit dire un non-voyant, un clochard un sans domicile fixe, un poivrot un dépendant à l’alcool… Autrefois…

Un – Je ne vais pas très loin, je vais y aller à pied.

Il commence à s’éloigner.

Deux – Monsieur !

Un – Oui ?

Deux – Vous oubliez votre valise.

Un – Ma valise ? Ah, oui. Non, mais elle n’est pas à moi, cette valise.

Deux – Elle n’est pas à vous ?

Un – Non. Je pensais qu’elle était à vous.

Deux – Mais pas du tout. D’ailleurs, elle était déjà là quand je suis arrivé.

Un – C’est vrai… Je pensais que vous vous étiez éloigné un instant. Pour aller… Donc, elle n’est pas à vous.

Deux – Non. (Suspicieux) Et vous êtes sûr qu’elle n’est pas à vous ?

Un – Mais enfin, j’en suis certain ! Pourquoi vous aurais-je dit que cette valise n’était pas à moi si elle l’était ?

Deux – Ça… Il y a toujours des gens qui abandonnent leur valise n’importe où. On ne sait pas pourquoi. Vous n’avez jamais pris le TGV à la Gare de Lyon  ?

Un – Non…

Deux – Une fois sur deux, le départ est retardé parce que quelqu’un a abandonné sa valise dans un wagon, et qu’il faut attendre les démineurs.

Un – Abandonné ou oublié  ?

Deux – Allez savoir…

Un – On n’abandonne pas sa valise comme on abandonne son chien, tout de même.

Deux – En tout cas, le temps que la brigade cinéphile arrive…

Un – La brigade cinéphile  ?

Deux – Les spécialistes du déminage  ! Avec leurs chiens renifleurs.

Un – Je vois… Vous voulez dire cynophile, j’imagine… Parce que je n’ai jamais vu de chiens dans un cinéma.

Deux – Sauf des chiens d’aveugles, peut-être.

Un – Qu’est-ce qu’un aveugle ferait dans un cinéma  ?

Deux – C’est vrai… Encore que, maintenant, avec l’audio-description.

Un – Je n’ai jamais vu non plus de cinéphiles renifler des explosifs. Enfin, je crois qu’on s’égare un peu, là…

Deux – Alors qu’est-ce qu’on fait  ?

Un – Que voulez-vous qu’on fasse  ?

Deux – On ne peut pas partir comme ça, en abandonnant cette valise.

Un – Mais puisque ce n’est pas notre valise  ! On ne peut pas vraiment dire qu’on l’abandonne…

Deux – Maintenant qu’on sait que c’est une valise abandonnée… On a une responsabilité.

Un – Une responsabilité ?

Deux – On parle quand même d’un bagage abandonné !

Un – Je n’ai pas que ça à faire, moi… Et puis c’est vous qui avez remarqué qu’elle était abandonné, cette valise…

Deux – Mais c’est vous qui l’avez vue le premier ! Et vous vous apprêtiez à partir comme ça, en l’abandonnant ici !

Un – Mais puisque je vous dis qu’elle n’est pas à moi, cette valise ! On ne peut pas abandonner une valise abandonnée ! On la laisse où elle est, et puis c’est tout.

Deux – Alors vous, si vous trouvez un enfant abandonné, vous le laissez où il est ! Au prétexte que cet enfant n’est pas à vous  !

Un – Mais enfin… Une valise, ce n’est pas un enfant !

Deux – Peut-être, mais c’est beaucoup plus dangereux.

Un – Dangereux ?

Deux – Si la valise est bourrée d’explosifs, et qu’elle a été volontairement abandonnée là par son propriétaire.

Un – En même temps, d’un point de vue strictement statistique, il est très rare que les valises abandonnées dans les trains contiennent vraiment des explosifs.

Deux – Oui… mais ça peut arriver.

Un – Alors vous croyez qu’il faut prévenir la police ?

Deux – Il me semble que c’est notre devoir.

Un troisième personnage arrive, semblant chercher quelque chose. Il aperçoit la valise.

Trois – Ah  ! Ma valise  ! Je me disais bien que j’avais dû l’oublier là avant de monter dans le…

Il prend la valise et s’en va.

Un – Bon… En tout cas, nous, nous avons fait notre devoir.

Deux – Oui…

Un – Je vais y aller à pied.

Deux – Oui, moi aussi.

Ils partent chacun de leur côté.

Noir

11 – Tout le portrait de son fils

Un personnage est là. Un autre arrive. Le premier ne lui prête pas attention, jusqu’à ce que l’autre se mette à le dévisager, d’abord à la dérobée, puis ostensiblement.

Un – On se connaît ?

Deux (lui tendant la main) – Antoine !

Un – Antoine ? Mais je ne m’appelle pas Antoine…

Deux – Antoine ! C’est moi, Antoine ! On a fait du théâtre ensemble.

Un – Du théâtre ?

Deux – Tu ne fais pas de théâtre ?

Un – Si… Enfin, j’en ai fait… Mais c’était il y a très longtemps. Et pas pendant très longtemps.

Deux – À Clichy-sous-Bois.

Un – Oui…

Deux – À la Maison des Associations.

Un – Oui, c’est ça…

Deux – On a travaillé une scène de Molière ensemble. « Le petit chat est mort. »

Un – Le petit chat est mort  ?

Deux – Je faisais le chat.

Un – Non ?

Deux – Mais non, je déconne. Je faisais Agnès.

Un – Agnès ?

Deux – Le prof était un peu spécial…

Un – C’est sûrement pour ça que je ne suis pas resté plus longtemps. Je ne me souviens pas avoir joué cette scène.

Deux – Mais si  ! L’École des femmes !

Un – En tout cas, toi, ça t’a marqué.

Deux – Mais tu te souviens de moi, quand même  ?

Un – Si, si, bien sûr… Mais… Eh ben…

Deux – Ça ne nous rajeunit pas…

Un – Tu n’as pas changé.

Deux – Moi ? Non, ça va… (Changeant de visage) Mais alors toi…

Un – Moi ?

Deux – J’ai failli ne pas te reconnaître.

Un – C’était il y a quelques années.

Deux – Quand même. C’est dingue.

Un – Quoi  ?

Deux – Ce que tu as vieilli.

Un – Merci…

Deux – Non, mais on change un peu, évidemment, avec le temps. Même moi, j’ai un peu mûri. Mais alors toi…

Un – Moi  ?

Deux – Oh putain… Tu as pris un sacré coup de vieux.

Un – Bon… Mais tu vas t’en remettre, quand même.

Deux – Oui, oui, pardon… C’est juste que… ça me fait bizarre de te voir comme ça.

Un – Je vois.

Deux – Et alors moi, tu trouves que je n’ai pas changé.

Un – Excuse-moi, mais… tu es vraiment sûr qu’on a fait du théâtre ensemble ?

Deux – Certain. Je suis très physionomiste. Sinon, tu penses bien… Je ne t’aurais jamais reconnu. Tu as tellement vieilli…

Un – À Clichy-sous-Bois, donc  ?

Deux – Ben oui… Le petit chat est mort…

Un – D’accord… Ça me revient, maintenant.

Deux – Quoi  ?

Un – J’étais allé à ce cours juste pour voir, parce que mon fils y était inscrit.

Deux – Ton fils ?

Un – Frédéric. C’est sûrement avec lui que tu as joué cette scène.

Deux – Frédéric, ce n’est pas toi  ?

Un – C’est mon fils. Il a le même âge que toi. Moi je suis resté au cours pendant deux semaines. Le temps de me rendre compte que le théâtre, ce n’était pas fait pour moi. Et puis faire du théâtre avec son fils… Après je suis parti…

Deux – C’est sûrement à ce moment que je suis arrivé. J’étais sur liste d’attente… Comme une place se libérait…

Un – Oui… Et tu as joué cette scène avec Frédéric, mon fils. C’est vrai qu’on se ressemble pas mal. Enfin, c’est ce que tout le monde dit…

Deux – Je me disais bien aussi. Comment il a pu vieillir à ce point en cinq ans. Mais alors tu as quel âge, en fait  ?

Un – Disons que… je pourrais être ton père.

Deux – Eh ben… Franchement, tu ne les fais pas…

Noir

12 – Le grand saut

Le premier, qui peut être un malade ou une personne âgée, est en bord de scène, comme s’il était prêt à sauter. Il porte une valise. Le deuxième, qui peut être un curé ou un infirmier, lui tient la main, tout en le poussant doucement en avant.

Deux – Alors, prêt pour le grand saut ?

Un – Oui, enfin…

Deux – Si vous n’êtes pas encore prêt, vous me le dites.

Un – Si, si. Je suis prêt, mais…

Deux – Non parce que sinon… On a le temps, quand même… On n’est pas aux pièces.

Un – Combien de temps ?

Deux – Combien ? Je ne sais pas, moi… On a bien cinq minutes…

Un – Cinq minutes ?

Deux – On a le temps, mais… on n’a pas toute la vie, non plus.

Un – Mettez-vous à ma place.

Deux – Je préfère autant pas, non. Mais vous verrez, vous ne sentirez rien. Et après vous vous sentirez beaucoup mieux…

Un – Je verrai ?

Deux – Pardon ?

Un – Vous avez dit « vous verrez ».

Deux – Ah, oui… Euh, non, c’est vrai, vous ne verrez probablement rien non plus…

Un – Alors pourquoi vous dites « vous verrez »  ?

Deux – C’est juste une façon de parler  ! Vous savez, ce n’est pas évident de décrire… Enfin d’expliquer…

Un – En fait, vous n’en savez rien.

Deux – Non…

Le premier hésite toujours à sauter.

Un – Vous croyez qu’il y a quelque chose au fond ? (L’autre affiche un air dubitatif) Vous croyez qu’il y a un fond…?

Deux – Vous pensez qu’il pourrait ne pas y avoir de fond ?

Un – Alors c’est vous qui me posez des questions, maintenant ? Je croyais que vous étiez là pour me rassurer… me donner toutes les explications nécessaires.

Deux – Oui, mais… Vous n’avez pas tort. En réalité, je n’en sais pas plus que vous. Et dans un sens, vous saurez avant moi…

Un – Mais je ne pourrai pas remonter pour vous le dire.

Deux – En même temps… Je ne suis pas sûr de vouloir le savoir avant…

Un – Un puits sans fond…

Deux – C’est possible ?

Un – D’après Newton et sa loi de la gravitation universelle, l’univers passe son temps à se casser la gueule sur lui-même. L’existence est une chute permanente. Un effondrement perpétuel. Nous passons notre vie à tomber. Je tombe donc je suis…

Deux – Naître est un saut dans l’inconnu.

Un – Un saut dans le vide, en tout cas…

Deux – Les chats ont bien sept vies, paraît-il. Et ils finissent toujours par retomber sur leurs pattes.

Un – Quel rapport  ?

Deux – Aucun… Mais quand il faut y aller…

Un – Vous voulez sauter à ma place ?

Deux – Un jour ou l’autre, je devrais bien m’y résoudre moi aussi. Mais enfin… je ne suis pas pressé…

Un – La philosophie en général et la religion en particulier ne devraient pas être une alternative obscurantiste à la science, mais une façon de la devancer par des intuitions à vérifier ou à invalider. Les croyants devraient être des éclaireurs. Pas ceux qui éteignent les lumières en partant.

Deux – C’est vrai… Vous êtes prêt, maintenant ?

Un – D’ailleurs, à l’origine, chez les Grecs, il n’y avait pas de frontière entre science et philosophie. Les philosophes étaient aussi mathématiciens. Ou l’inverse.

Deux – Tiens donc… Je l’ignorais…

Un – « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». C’était inscrit au fronton de l’Académie.

Deux – L’Académie Française  ?

Un – L’école fondée par Platon  !

Deux – Ah oui…

Un – C’est après que tout ça s’est cassé la gueule.

Deux – La loi de la gravitation, sans doute. Vous y allez tout seul, ou vous préférez que je vous pousse  ?

Un – J’y vais, j’y vais… J’ai l’impression que je me prépare pour sauter en parachute.

Deux – Oui… Mais vous n’avez pas de parachute…

Un – Ou pour sauter à l’élastique.

Deux – Mais il n’y a pas d’élastique.

Un – Ou de sauter du tabouret pour me pendre.

Deux – Mais il n’y a pas de corde non plus. Vous allez juste sauter et vous écraser en bas.

Un – Dans ce cas, je préfère autant qu’il n’y ait pas de fond. Pourquoi je dois absolument sauter, au fait  ?

Deux – Vous vous souvenez, quand vous étiez enfant, et que vous arriviez en haut du toboggan après avoir monté la dernière marche du petit escalier ?

Un – Et alors  ?

Deux – Quand on est arrivé en haut, il faut y aller. Pour laisser la place à ceux qui poussent derrière.

Un – D’accord… Vous croyez qu’il y a un escalier pour remonter  ?

Deux – Ça mon vieux… C’est là où finit la science… et où commence la croyance.

Il pousse l’autre du bord du gouffre, représenté par le bord de scène, dans le vide.

Noir

13 – Assurance crevaison

Un personnage est là. Un autre arrive, avec une valise.

Deux – Bonjour, j’ai réservé en ligne une voiture de location…

Il tend à l’autre un papier, que ce dernier examine rapidement.

Un – Très bien… Je peux voir votre permis de conduire  ?

L’autre lui tend son permis.

Deux – Voilà…

Un – C’est un permis de bateau.

Deux – Ah oui, pardon.

Il reprend le premier document et lui en tend un autre.

Un – Alors… Donc, vous désirez louer… un corbillard, c’est bien ça ?

Deux – Oui, c’est ça.

Un – D’accord… Et c’est pour combien de temps ?

Deux – Une journée, ça suffira.

Un – C’est pour accompagner un proche jusqu’à sa dernière demeure, j’imagine ?

Deux – Oui, si on veut…

Un – Si on veut ?

Deux – En fait, c’est pour moi.

Un – D’accord… Et… c’est pour aller de…

Deux – De chez moi, jusqu’au cimetière. Comme j’ai choisi un cercueil en kit, je me suis dit qu’un corbillard de location, que je conduirais moi-même…

Un – Bien sûr…

Deux – J’ai hésité à prendre un Uber, et puis…

Un – OK. Donc j’imagine que vous n’êtes pas intéressé par l’option kilométrage illimité ?

Deux – Je ne pense pas que ce soit nécessaire.

Un – Je vois que vous n’avez pas souscrit non plus l’option Assistance Sérénité…

Deux – Je… Non… Qu’est-ce que c’est ?

Un – Eh bien… En cas de panne, on prend tout en charge, et au besoin, on vous fournit gracieusement un véhicule de courtoisie. Enfin… un corbillard de courtoisie.

Deux – Je… Je ne sais pas… Il n’y a que cinq kilomètres… Le risque est quand même assez limité…

Un – Ah, vous savez, par définition, les pannes… Ça peut être un accident aussi.

Deux – Un accident ? En conduisant moi-même le corbillard pour aller à mon propre enterrement ?

Un – Ce ne serait vraiment pas de chance, je vous l’accorde…

Deux – À moins que ce ne soit un accident mortel, évidemment.

Un – Ça peut aussi être une simple crevaison…

Deux – Une crevaison ?

Un – Ce n’est pas obligatoire, mais ce serait plus prudent.

Deux – Ne me dites pas que la roue de secours aussi est en option  ?

Un – Non, bien sûr… Enfin je ne pense pas… Bon, c’est vous qui voyez…

Deux – Je crois que je vais prendre le risque.

Un – Dans ce cas, voici les clefs.

Le deuxième prend les clefs qu’il lui tend.

Deux – Très bien.

Un – Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bon voyage.

Deux – Merci.

Un – Et… soyez prudent sur la route.

L’autre sort avec sa valise.

Noir

14 – Comme une porte de prison

Deux personnages. Le deuxième est en train de boucler une valise.

Un – Alors ça y est, c’est le grand jour ?

Deux – Oui… L’heure de la libération a sonné.

Un – Quarante ans…

Deux – Presque perpète.

Un – Ce n’est pas humain. Quel que soit son crime, personne ne mérite ça.

Deux – Et moi, en plus, je suis innocent.

Un – On dit tous ça…

Deux – Il te reste combien de temps à tirer, toi ?

Un – Vingt-cinq ans, sept mois et trois jours.

Deux – Tu n’as pas oublié les années bissextiles ?

Un – Je déteste les années bissextiles…

Deux – Maintenant, moi, je vais les aimer un peu plus.

Un – Et qu’est-ce que tu vas faire de ta liberté ?

Deux – Je ne sais pas trop. J’ai perdu l’habitude. Depuis le temps.

Un – Tu ne vas pas faire une connerie, au moins ?

Deux – Quelle connerie ?

Un – Le genre de conneries qui te ramènerait ici.

Deux – Non, rassure-toi.

Un – Tu ne nous oublieras pas  ?

Deux – Mais non, bien sûr.

Un – Pour ce qui est de venir nous rendre visite, je ne t’en demande pas tant.

Deux – Tu as raison. Ça nous ferait du mal à tous les deux.

Un – Tu vas me manquer.

Deux – Moi aussi… Même si j’aurais préféré qu’on se rencontre ailleurs.

Un – C’est à quelle heure exactement, la levée d’écrou  ?

Deux – À 17 heures.

Un – On vient te chercher, ou bien…

Deux – Non. Personne ne vient me chercher. Je prends mes petites affaires, et je pars en métro tout seul. Comme un grand.

Un – Tant qu’on a la santé…

Deux – Oui…

Un – Quarante ans, et tout ça tient dans cette vieille valoche. Tu te rends compte ?

Deux – Oui… Je suis arrivé ici sans aucun bagage. Et je repars avec la même petite valise.

Un – Tu es sûr que tu n’as rien oublié  ?

Deux – Je te laisse la machine à café…

Un – C’est gentil.

Deux – Moi, le café, maintenant, c’est au bistrot du coin que je le prendrai.

Un – Tu as de la chance…

Deux – Malheureusement, je le prendrai sûrement tout seul. Depuis le temps, tu penses bien. Je ne connais plus personne.

Un – Tu es sûr qu’il n’a pas fermé, le bistrot du coin  ?

Deux – Tu crois  ?

Un – Je ne sais pas… Ils ferment tous, les uns après les autres.

Deux – Quand j’étais gamin, ce café, c’était la maison des jeunes. On se retrouvait tous autour du babyfoot… Le patron n’avait pas son BAFA, mais quand on lui manquait de respect, il savait quand même distribuer quelques baffes.

Un – Si on n’avait pas fait autant de conneries quand on était jeunes, on n’aurait pas fini là…

Deux – C’est vrai… On serait devenus banquier ou avocat.

Un – Enfin, il est trop tard… Les jeux sont faits.

Deux – Et rien ne va plus.

Un – Le directeur n’a pas demandé à te voir ?

Deux – Pour quoi faire  ? Organiser un pot de départ ?

Un – Tu as raison. Mieux vaut se barrer sans dire au revoir.

Deux – C’est sûr… Pour ce qui est de le revoir, je préférerais éviter.

Un – Allez, je crois que cette fois, c’est l’heure.

Deux – Quand faut y aller, faut y aller.

Ils s’étreignent avec émotion.

Un – Bon ben alors… Profite bien de ta retraite, mon vieux !

Deux – Je vais essayer…

Le deuxième sort avec sa valise. Le premier reste là.

Un – Putain… Encore vingt-cinq ans à tirer.

Noir

15 – È finita la commedia

Deux personnages arrivent. Le deuxième porte une valise.

Un – Qu’est-ce que c’est que cette comédie ?

Deux – Ça va… On ne va pas en faire un drame, non plus…

Un – Mais vous plaisantez, mon vieux ! C’est une tragédie !

Deux – Je dirais plutôt qu’on nage en plein mélodrame.

Un – En tout cas, on se croirait dans une mauvaise pièce de théâtre.

Deux – Oui. Au début, ça ressemblait à un vaudeville.

Un – Et après quelques quiproquos…

Deux – Ça a viré au film d’horreur.

Un – Je peux vous dire un mot en aparté ?

Deux – Je vous promets de ne pas le répéter à la cantonade.

Un – Si ça continue, on va droit dans le décor.

Deux – C’est un scénario possible, hélas.

Un – Vous avez vu la scène de crime ?

Deux – Pour moi, ça ressemble beaucoup à une mise en scène.

Un – Arrêtez un peu votre cinéma.

Deux – Le suspect joue la comédie, c’est évident.

Un – C’est vrai qu’il nous a fait un numéro d’acteur…

Deux – Oui… Il nous a fait sa grande scène du deux.

Un – Quel comédien !

Deux – C’est un drôle de personnage, en effet.

Un – Quant à la victime, elle avait tout d’une jeune première.

Deux – Je dirais même d’une ingénue.

Un – En tout cas, elle se prenait pour une vedette.

Deux – Au moins, sa mort lui aura permis de connaître les feux de la rampe.

Un – Oui… Même si apparemment, le drame s’est joué à huis clos.

Deux – Aucun spectateur, donc aucun témoin.

Un – Le noir total.

Deux – Elle rêvait de brûler les planches…

Un – Et c’est entre quatre planches qu’elle fera sa sortie.

Deux – Enfin, vous devriez être content. Vous qui rêviez de vous retrouver sous les projecteurs. Avec cette affaire rocambolesque.

Un – Il faudra quand même qu’on répète un peu, pour la déclaration à la presse.

Deux – Pour une fois, essayez de ne pas être trop théâtral.

Un – Habituellement, c’est plutôt vous qui cabotinez.

Deux – Vous êtes un comique, vous.

Un – Et vous un Tartuffe.

Deux – C’est ce que vous vouliez, non  ? Avoir votre nom en haut de l’affiche ?

Un – Rassurez-vous, je vous laisse le premier rôle.

Deux – Je n’en ferai rien. Je sais que vous adorez être sur le devant de la scène.

Un – Comment s’appelle l’auteur du crime, déjà ? J’ai un trou de mémoire.

Deux – Ne comptez pas sur moi pour vous souffler votre texte.

Un – Bien sûr… Vous avez toujours rêvé de me voler la vedette.

Deux – Si on mettait sur pause ? Je ferai bien un petit entracte, pas vous ?

Un – De toute façon, le dénouement est proche.

Deux – À moins d’un coup de théâtre.

Un – Je crois qu’il est temps pour nous de quitter la scène.

Deux – Oui, le rideau va bientôt tomber.

Un – Et je crains qu’on fasse encore un four.

Deux – Essayons au moins de ne pas rater notre sortie.

Un – Vous n’espériez pas un rappel, tout de même ?

Deux – On sort par la cour ou par le jardin ?

Un – C’est un choix cornélien…

Deux – Essayons la sortie des artistes, ce sera plus discret.

Un – Moi aussi, je déteste me donner en spectacle.

En sortant, le deuxième jette un regard vers une spectatrice.

Deux – Eh ben… Il y a du monde au balcon.

L’autre regarde à son tour.

Un – Je dirais même qu’on affiche complet.

Deux – Finalement, je crois qu’on va faire un tabac.

Un – Pour des amateurs, on se débrouille comme des professionnels.

Deux – Ne vous la jouez pas trop tout de même.

Un – Et vous arrêtez de faire le clown.

Deux – Quel cirque…

Un – Vous ne voulez vraiment pas faire un dernier tour de piste  ?

Deux – Non, vous avez raison  : mieux vaut ne pas lasser notre public…

Un – Concentrons-nous sur l’essentiel, mais n’oublions pas l’accessoire…

Deux – Car l’accessoire est l’essence même du théâtre.

Le deuxième saisit la valise.

Deux – È finita la commedia.

Ils sortent.

Noir

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.

Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.

 

Du même auteur

Pièces de théâtre

 

Alban et Ève, Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau,

Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bistrot du Hasard,

Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Comme un poisson dans l’air,

Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou,

Coup de foudre à Casteljarnac, Crash Zone, Crise et châtiment,

De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le Champagne,

Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur,

L’Étoffe des merveilles (adaptation), Eurostar, Flagrant délire, Gay friendly,

Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages,

L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits,

Il était une fois dans le web, Le Joker, Mélimélodrames, Ménage à trois,

Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne,

Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho,

Plagiat, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France,

Le Plus beau village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs,

Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes,

Un boulevard sans issue, Un bref instant d’éternité,

Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias,

Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13,

Y a-t-il un pilote dans la salle ?

 

Essai

Écrire une comédie pour le théâtre

 

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables

sur son site : www.comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Avril 2018

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-227-1

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Des valises sous les yeux Lire la suite »

Plagiat

Cheaters –  Plagio (español) – Plágio (portugués) –  تحميل مجاني

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

1H/2F ou 2H/1F

 

Comment, par un étrange Goncourt de circonstances, le plagiat peut conduire au meurtre, et le meurtre à la Légion d’Honneur… Une comédie très amorale sur la vanité de la gloire littéraire.

Depuis la publication de son premier roman, couronné par le Prix Goncourt, Alexandre jouit de sa réputation d’auteur à succès, et en perçoit les dividendes. On l’attend au Ministère de la Culture pour lui remettre la Médaille de Chevalier des Arts et des Lettres. Frédérique, son épouse, qui grâce à ses relations mondaines a contribué à le hisser au sommet de la gloire littéraire, l’aide à préparer son discours pour cette nouvelle consécration. C’est alors qu’Alexandre reçoit la visite d’une inconnue, qui pourrait bien remettre en cause cette belle réussite et ce parcours jusque là sans faute…

Victime d’un plagiat il y a quelques années, Jean-Pierre Martinez a personnellement vécu les affres que connaît un auteur qui se voit dépossédé de son œuvre au profit d’un imposteur. Après avoir fait condamner son plagiaire en justice, en guise de « thérapie », il a décidé de faire de cette malheureuse expérience le sujet d’une pièce. Mais une œuvre théâtrale ne saurait être simplement une plainte, un réquisitoire ou un règlement de compte. Selon le célèbre principe de la résilience, il s’agissait d’en sortir par le haut, et de tenir un propos plus universel. Refusant de s’ériger en victime, l’auteur prend donc le parti de la comédie pour brosser un tableau féroce du monde littéraire, avec ses petites vanités et ses grandes impostures. Si le monde entier est un théâtre, comme le dit Shakespeare, et que nous y jouons successivement tous les rôles, ne sommes-nous pas tous des imposteurs ?


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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CRÉATION AVIGNON 2019

 


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

 Plagiat

Personnages : Alexandre – Frédérique – Sacha

Scène 1

Un salon bourgeois, un bureau, des livres. Alexandre, caricature de l’écrivain mondain parisien, arrive portable à l’oreille.

Alex – Mais si, je suis très content ! France Culture, tu penses bien… J’aurais préféré un prime time à la télé, évidemment, mais bon… Je sais, je n’ai rien publié depuis pas mal de temps, tu me le répètes assez souvent… Oui, oui, je réfléchis à quelque chose. Mais je ne sais pas encore si ça me mènera quelque part… Bien sûr, tu seras le premier au courant ! Mais je t’ai prévenu, ne t’emballe pas trop vite… OK, j’y serai, c’est promis… Tu es vraiment sûr qu’il y a encore des gens qui écoutent France Culture ? Surtout à quatre heures du matin. À part les boulangers… Quatre heures du matin ! Heureusement que l’émission n’est pas en direct… Oui, je t’écoute… Ah oui ? Oui, pourquoi pas… Bon, il va falloir que je te laisse. Dans deux heures, la ministre me fait Chevalier des Arts et des Lettres, et je n’ai pas encore appris mon discours. Mais venez dîner à la maison la semaine prochaine et on en parle… C’est ça, on se rappelle. Moi aussi, je t’embrasse.

Il range son portable, s’assied au bureau, et ouvre son courrier. Frédérique, style bon chic bon genre, arrive.

Fred – Tu es déjà prêt ?

Alex – J’en conclus que toi tu ne l’es pas encore…

Fred – On a largement le temps, non ? C’est dans deux heures.

Alex – Bien sûr. Et puis je peux encore refuser…

Fred – Refuser le Prix Nobel de littérature, ça peut être assez distingué. Il y a des précédents. Jean-Paul Sartre, Bob Dylan…

Alex – Je crois que Dylan a accepté, finalement.

Fred – Mais la Croix de Chevalier des Arts et des Lettres… Je ne connais personne qui l’ait refusée.

Alex – Tu as raison, ce serait ridicule. Je vais attendre qu’on me propose le Nobel, et j’aviserai à ce moment-là.

Fred – Tu as prévu un discours ?

Alex – Il est là. J’étais en train de l’apprendre. Rassure-toi, ce ne sera pas très long. Je déteste les discours…

Fred – Je te ferai réciter dans la voiture…

Alex – Qu’est-ce que je ferais sans toi.

Fred – La même chose, j’imagine.

Alex – Mais ce serait beaucoup moins amusant… (Frédérique balaie la pièce du regard.) Tu as perdu quelque chose ?

Fred – Tu n’as pas vu mon portable ?

Alex – Non… Tu veux que je t’appelle ?

Fred – Je vais chercher encore un peu. J’ai besoin de me dire que je peux encore retrouver mon portable toute seule.

Alex – En me demandant si je ne l’ai pas vu…

Fred – J’espère que tu commences par remercier ta femme, dans ton discours.

Alex – J’avais plutôt mis les remerciements à la fin, mais si tu préfères que je commence par là…

Fred – Je vais prendre quelques exemplaires du Goncourt, au cas où.

Alex – Ah, ce Prix Goncourt… Parfois je me demande si ça n’a pas été une malédiction.

Fred – Pourquoi tu dis ça ?

Alex – Je n’ai rien écrit depuis.

Fred – Tu n’avais pas écrit grand chose avant non plus.

Alex – Merci de me le rappeler.

Fred – Ça reviendra. Il faut que tu trouves un sujet, c’est tout.

Alex – Oui…

Fred – Et puis il y a des écrivains qui n’écrivent qu’un seul chef d’œuvre dans leur vie. Alain-Fournier, par exemple. À part Le Grand Meaulnes

Alex – Oui, mais lui il est mort au front en 14, un an après avoir écrit son best-seller. Ça explique qu’il n’en ait pas écrit d’autres…

Fred – Tout le monde sait qu’un Goncourt, on a besoin parfois de quelques années pour s’en remettre.

Alex – Certains romanciers ne s’en remettent jamais. Je me demande si je n’aurais pas mieux fait de rester prof. Et continuer à éditer mes œuvres à compte d’auteur.

Fred – Allons… Tu te vois enseigner la littérature dans un lycée de banlieue, devant une quarantaine d’analphabètes en survêtements à capuches ?

Alex – Ne dramatisons pas. Normalien, agrégé… Je n’aurais jamais passé le périphérique. J’aurais enseigné dans un lycée catholique, devant une vingtaine de filles à papa en jupes écossaises, prêtes à tout pour obtenir de bonnes notes sans ouvrir un bouquin…

Fred – D’accord… Vu comme ça, je comprends mieux tes regrets. Fais-moi penser à mettre un code parental sur la télé. J’ai l’impression que quand je ne suis pas là, tu regardes de drôles de films.

Alex – C’est vrai qu’en tant que romancier, la plupart de mes fans sont plus proches de l’âge de la ménopause que de la puberté.

Elle s’approche de lui et lui prodigue un geste tendre.

Fred – N’oublie pas que ta première fan, c’était moi.

Alex – Je m’en souviens très bien.

Ils s’embrassent. Elle se dégage de son étreinte.

Fred – Allez, il faut que tu finisses ton discours… Mais si ça te manque à ce point, je ressortirai mon kilt de temps en temps, c’est promis.

Alex – À propos, avant que j’oublie, je viens d’avoir Maxence au téléphone.

Fred – Ah oui…

Alex – Il propose qu’on passe Noël ensemble dans son chalet à Megève. On en profiterait pour organiser une séance de signature. Il paraît qu’il y a une très belle librairie, à Megève, et qui marche très bien.

Fred – Ah oui ?

Alex – C’est curieux, ce phénomène. Les bourges du seizième n’ouvrent pas un bouquin de l’année, et dès qu’elles sont en vacances, elles se précipitent à la librairie du coin pour acheter tous les prix littéraires.

Fred – Ces bourges, comme tu dis, ce sont tes lectrices. En tout cas, ce sont elles qui achètent tes bouquins…

Alex – Ça doit être l’air de la montagne. Et puis on s’emmerde tellement aux sports d’hiver.

Fred – Surtout quand on ne fait pas de ski, comme toi.

Alex – Je lui ai proposé de venir dîner à la maison avec Diane la semaine prochaine. Pourquoi pas mercredi ?

Fred – Mercredi, on dîne chez mes parents.

Alex – Ah oui, pardon… Comme d’habitude, c’est le mardi…

Fred – Oui, mais là c’est l’anniversaire de maman, tu as déjà oublié ?

Alex – Disons que ça m’était sorti de l’esprit… Alors jeudi ?

Fred – Jeudi, c’est le vernissage de l’expo de Carla à la Galerie Claude Bernard !

Alex – Excuse-moi. J’avais oublié ça aussi.

Fred – Si un jour tu me quittes, pense à me remplacer par une poupée gonflable et un agenda électronique.

Alex – Il faudrait peut-être qu’on freine un peu sur les mondanités, non ? On s’embourgeoise.

Fred – Tu dis ça, mais au bout d’une semaine, tu t’ennuierais… Bon, je vais finir de me préparer.

Frédérique sort. Alexandre se remet à son discours.

Alex – Madame le Ministre, merci pour cette récompense, qui vient couronner toute une vie d’engagement au service de la littérature française. D’abord en tant que professeur, ensuite en tant que romancier, essayiste, journaliste… Il y a quelques années déjà, en récompensant mon roman Une autre vie, l’Académie Goncourt reconnaissait en moi un modeste serviteur de la langue de Molière. Vous me faites aujourd’hui chevalier. Mais c’est plutôt en Don Quichotte que je reçois cet insigne honneur. En effet, pour vivre son rêve d’écriture, et tout simplement pour vivre de son écriture, c’est d’abord contre des moulins que doit se battre un jeune auteur…

Frédérique revient.

Fred – Excuse-moi de te déranger, mais… il y a une femme, à la grille. Elle dit qu’elle vient de très loin pour se faire dédicacer ton livre. Et qu’elle attend ça depuis très longtemps.

Alex – Ce n’est vraiment pas le moment… Et puis qu’est-ce que c’est que cette façon de venir sonner à notre porte comme ça, sans prévenir. Où est-ce qu’elle a eu notre adresse, d’ailleurs ? On n’est pas sur le Bottin. À part sur le Bottin mondain, peut-être…

Fred – Je ne sais pas, mais elle insiste. Il y en a pour cinq minutes. Mieux vaut s’en débarrasser tout de suite, sinon elle va revenir. Qu’est-ce que tu veux ? C’est la rançon de la gloire ! Après tout, ce sont tes fans qui nous font vivre…

Alex – OK, je vais lui signer son bouquin.

Fred – Je lui ai dit que tu n’avais pas beaucoup de temps.

Alex – On dit Madame la Ministre ou Madame le Ministre ?

Fred – Aucune idée…

Alex – Du temps où il n’y avait aucune femme ministre, c’était quand même beaucoup plus simple.

Fred – Je la fais entrer…

Frédérique sort. Alexandre soupire, se rassied et compulse à nouveau le texte de son discours qu’il rature.

Alex – Don Quichotte… Je me demande si je n’en fais pas un peu trop…

Sacha entre. Elle est un peu plus jeune que les deux autres, mais plus marquée par la vie. Elle n’est pas dénuée de beauté, mais elle a une allure plutôt androgyne. Le personnage peut être interprété par une femme rendue un peu masculine ou par un homme un peu efféminé. À sa tenue, on comprend qu’elle ne fait pas partie du même monde qu’Alexandre et Frédérique. Plus généralement, Sacha restera un personnage mystérieux et inquiétant, à la fois énigmatique et fantasmatique. Alexandre ne la voit pas tout de suite. Sacha observe la pièce avec curiosité, puis son regard perçant se pose sur Alexandre.

Sacha – Je vous imaginais plus jeune…

Alex – Excusez-moi, je ne vous avais pas vu entrer.

Sacha – Alors ça ressemble à ça, l’intérieur d’un auteur à succès…

Alex – Désolé, une autre fois, je vous aurais proposé un café et nous aurions bavardé un moment, mais là, je suis un peu pressé…

Sacha – Ah oui… La Médaille de Chevalier des Arts et des Lettres… Vous n’allez pas rater ça…

Alex – Vous êtes au courant ?

Sacha – Votre femme m’a raconté… Enfin, j’imagine que c’est votre femme… Ou votre assistante… Les deux peut-être…

Alex – D’accord… Donc vous savez que je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder…

Sacha – Rassurez-vous, je ne vous retiendrai pas très longtemps.

Elle s’assied et se met à l’aise, contredisant ainsi ses propos. Il est un peu interloqué.

Alex (ironique) – Mais je vous en prie, asseyez-vous. C’est pour une dédicace, je crois…

Sacha – Une dédicace, oui… (Elle saisit un exemplaire du Goncourt sur le bureau et regarde la couverture.) Une autre vie, le destin tragique d’une femme qui décide de disparaître et de changer d’identité après un grand chagrin d’amour. On peut dire que ce livre aura changé ma vie.

Alex – Merci.

Sacha – Je n’ai pas dit qu’il l’avait changée en mieux…

Alex – J’en suis désolé…

Sacha – Pour vous aussi, d’ailleurs.

Alex – Moi ?

Sacha – Ce livre a changé votre vie, à vous aussi. Et dans votre cas, plutôt en mieux…

Alex – C’est vrai…

Sacha – Un Goncourt, ce n’est pas rien…

Alex – En effet.

Sacha – Vous n’aviez rien écrit de significatif avant. Vous n’avez rien écrit du tout après…

Alex – C’est très délicat de votre part de me le rappeler.

Sacha – En revanche, vous savez très bien vous vendre dans les médias. Articles dans les journaux, émissions de télé, conférences à l’étranger… Bravo, quelle énergie !

Alex – La promotion, ça fait partie du job… Même si ce n’est pas ce que je préfère.

Sacha – Vous préféreriez écrire, je m’en doute. Malheureusement, vous n’avez signé qu’un seul best-seller.

Alex – J’ai quand même écrit deux autres romans avant celui-ci.

Sacha – Oui… Mais qui n’ont pas du tout le même souffle que celui-là, si je peux me permettre. On pourrait presque croire qu’ils ne sont pas du même auteur.

Alex – C’était des œuvres de jeunesse. J’ai mûri.

Sacha – En tout cas, après ce Goncourt inespéré, vous avez su faire prospérer votre petit capital de notoriété. Il faut dire qu’avec la famille de votre femme, vous ne manquez pas de relations dans le milieu de la presse et de la politique. Beau-papa est ambassadeur, je crois…

Alex – Vous m’avez l’air très bien renseignée, finalement… Je vous l’ai dit, je suis pressé. Vous avez apporté un exemplaire pour que je le signe ?

Sacha – À quoi bon… Il y en a plein ici, non ?

Alex – Je vois… Comme on m’a dit que vous veniez de loin, je vais vous faire cette dédicace et je vais vous demander de me laisser (Il saisit un exemplaire sur une pile.) C’est à quel nom ?

Sacha – Sacha.

Alex – Ça s’écrit comment ?

Sacha saisit un exemplaire, dédicace le livre et le tend à Alexandre.

Sacha – Comme ça.

Alexandre prend le livre, déstabilisé.

Alex (lisant la dédicace) – « À mon plus grand fan »… D’habitude, c’est moi qui rédige les dédicaces à mes lecteurs, et c’est moi qui les signe… Pas l’inverse…

Sacha – C’est vrai que signer, ça vous savez faire…

Alex – Écoutez, chère madame…

Sacha – Sacha.

Alex – Écoutez, Sacha, vous débarquez chez moi sans prévenir. J’ai la courtoisie de vous accorder une audience alors que je suis très pressé. Mais si c’est pour m’insulter… Et puis qui êtes-vous, d’abord ?

Sacha – La voix de votre conscience, peut-être. Si vous en avez une…

Alex – Où voulez-vous en venir, à la fin ?

Sacha – Nous savons bien tous les deux que tout ça n’est qu’un mensonge, n’est-ce pas ?

Alex – Tout ça ? Quoi ?

Sacha – Vous n’êtes pas l’auteur de ce roman. Vous avez trouvé le manuscrit dans un train.

Alex (déstabilisé) – Ne me dites pas que c’est pour ça que… (Se reprenant) C’est en effet ce qui est dit dans la préface du livre. Mais vous savez, de Cervantès à Boris Vian, beaucoup d’auteurs ont eu recours à ce procédé littéraire. Cela fait partie de la fiction. Ce n’est pas la réalité.

Sacha – Nous savons parfaitement vous et moi que dans ce cas, c’est la pure vérité. Je dois même dire que là, je vous tire mon chapeau. Vous attribuer un manuscrit dont vous n’êtes pas l’auteur, et avoir le culot de le dire dans la préface en étant persuadé que ça passera pour un procédé littéraire…

Alex – C’est parfaitement ridicule ! Comment pouvez-vous affirmer une chose pareille ?

Sacha – Parce que l’auteur de ce manuscrit, c’est moi.

Frédérique arrive.

Fred – Chéri, maintenant il va falloir y aller… Si on ne veut pas faire attendre la ministre…

Alex – Oui, oui, encore un instant.

Sacha – Rassurez-vous, chère Madame. Je ne voudrais pas priver votre mari de cette nouvelle récompense si méritée.

Frédérique sort.

Alex – Qu’est-ce que vous racontez ?

Sacha – La vérité, et vous le savez mieux que personne.

Alex – Si ce que vous dites était vrai, pourquoi ne seriez-vous pas venue me voir avant ?

Sacha – On va appeler ça… un Goncourt de circonstances.

Alex – Je n’ai pas le temps pour les calembours, et je ne suis pas d’humeur. Je vous demande de sortir, maintenant.

Sacha – Si je sors d’ici, c’est pour aller à la rédaction du plus grand journal du matin. Vous savez ? Ce journal dans lequel il vous arrive d’être éditorialiste. Je suis sûre que mon histoire pourrait beaucoup les intéresser.

Il hésite un instant.

Alex – Très bien, je vous écoute.

Sacha – Après la perte de mon manuscrit, sur lequel j’avais travaillé pendant des années, j’ai eu un gros passage à vide.

Alex – Et bien sûr, vous n’aviez pas fait de copie.

Sacha – C’était il y a longtemps. J’écrivais à l’ancienne. Sur des feuilles volantes. Au stylo plume. Justement, j’allais à Paris pour faire des photocopies et les envoyer à des éditeurs.

Alex – Puisque vous prétendez être l’auteur de ce roman, vous auriez pu l’écrire à nouveau.

Sacha – Vous êtes auteur vous aussi. Un mauvais auteur, mais un auteur tout de même...

Alex – Merci…

Sacha – Vous savez très bien que ce n’est pas aussi simple. Quand on a travaillé pendant des années sur un livre, qu’on a raturé chaque paragraphe pendant des mois, qu’on a passé une semaine à retourner une phrase dans tous les sens… On n’a pas l’énergie nécessaire pour repartir à zéro après avoir perdu son manuscrit. Alors qu’on n’est même pas sûre que les éditeurs à qui on l’enverra prendront la peine d’en lire une seule ligne.

Alex – Vous reconnaissez donc que ce n’est pas si facile de faire éditer un roman avec quelque chance qu’il soit lu.

Sacha – Quand je me suis vue amputée de mon œuvre, je suis restée sonnée pendant quelques mois. Avant de plonger dans une profonde dépression. J’ai même fait une tentative de suicide…

Alex – Manquée, donc…

Sacha – Malheureusement pour vous… Puis j’ai décidé de faire ce que je racontais à la fin de mon roman : disparaître. Volontairement. Mais je n’avais pas d’argent. Et je ne savais rien faire d’autre qu’écrire. Au lieu de recommencer une nouvelle vie, j’ai erré à travers la France. À travers le monde. J’étais devenue une vagabonde. J’aurais pu ne jamais me rendre compte de ce plagiat, puisque vous avez pris le soin de changer le titre de mon roman.

Alex – Alors comment l’avez-vous appris ?

Sacha – Tout à fait par hasard, en feuilletant le livre dans une bibliothèque.

Alex – Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez…

Sacha – Je n’aurais pas de mal à en trouver. Ce manuscrit était largement autobiographique. J’ai parsemé ce roman de références personnelles que vous n’avez pas pris la peine de maquiller. Tout est vrai là-dedans. C’est ma vie. Votre héroïne, c’est moi…

Alex – Je vois…

Sacha – Tout le monde vous a félicité d’avoir su camper avec autant de réalisme le personnage de cette femme blessée, qui cherche à s’inventer une autre vie. Effacer la mémoire et repartir à zéro, ça paraît simple. Mais les cadavres finissent toujours par remonter à la surface.

Alex – Je suis vraiment désolé…

Sacha – Désolé ?

Alex – Je n’avais aucun moyen de retrouver l’auteur.

Sacha – Est-ce qu’au moins vous m’avez cherchée ?

Alex – Et vous ? Est-ce qu’au moins vous avez essayé de le retrouver, ce manuscrit ? D’ailleurs, comment peut-on perdre le manuscrit d’un roman ?

Sacha – C’était une agression. Une agression très violente. On m’a volé mon sac. J’ai résisté. C’était toute ma vie qu’il y avait là-dedans. Et tous mes rêves de rédemption. On m’a assommée. J’ai failli mourir…

Alex – Et après ?

Sacha – Je me suis réveillée inconsciente sur un lit d’hôpital. Les voleurs ont dû prendre ce qui les intéressait et abandonner le manuscrit dans un autre wagon ou sur un quai de gare. Pour eux, cela n’avait aucune valeur…

Alex – En effet.

Sacha – C’est là que vous l’avez trouvé, j’imagine…

Alex – Admettons.

Sacha – Ou alors il s’agissait d’un guet-apens, pour me déposséder de mon œuvre. Un guet-apens commandité par vous, peut-être ?

Alex – Là vous délirez !

Sacha – Ça m’a traversé l’esprit. Mais il s’agissait sans doute d’un simple vol crapuleux. Ils ont dû être déçus, j’avais tout juste assez d’argent pour les photocopies.

Alex – C’était très imprudent de votre part de ne pas avoir fait de copies avant… et de ne pas avoir déposé non plus le texte pour prouver que vous en étiez l’auteur.

Sacha – En effet. Et c’est une erreur de débutant qui m’a coûté très cher. Pour moi, ça a été le début d’une longue descente aux enfers.

Alex – Comment j’aurais pu vous retrouver ? Votre nom ne figurait même pas sur le manuscrit. À l’époque, il n’y avait pas internet. C’était plus difficile qu’aujourd’hui de lancer un avis de recherche.

Sacha – Certes, mais vous n’étiez pas non plus obligé de vous approprier mon œuvre.

Alex – J’ai attendu deux ans avant de publier ce roman.

Sacha – Le temps nécessaire pour prétendre l’avoir écrit… et pour être sûr que l’auteur n’avait pas conservé une copie.

Alex – J’ai trouvé dommage de priver le public de ce roman. Mais je ne savais pas qu’il remporterait le Goncourt.

Sacha – Vous avez pourtant tout fait pour ça. On ne remporte pas le Goncourt par hasard.

Alex – Après il était trop tard. J’ai été pris dans un engrenage. Et puis vous le dites vous-même. C’est vous qui aviez décidé de disparaître !

Sacha – Vous ne le saviez pas.

Alex – Est-ce que vous, à l’époque, vous m’avez cherché ?

Sacha – En tout cas, aujourd’hui, je vous ai trouvé.

Alex – Est-ce que vous seriez venue me voir si ce roman n’avait pas obtenu le Goncourt ?

Sacha – Probablement pas.

Alex – Sans moi, ce manuscrit n’aurait sans doute jamais été publié. Quant à décrocher un prix littéraire…

Sacha – En somme, je devrais vous remercier.

Alex – Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

Sacha – Je ne sais pas. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Alex – Qu’est-ce que vous voulez au juste ? Que je vous redonne la vie que vous auriez pu avoir avant de décider d’en changer ? Elle est derrière vous, votre vie.

Sacha – Merci.

Alex – C’est comme ça. Certains ont de la chance, et d’autres pas. Mais un destin ne se joue pas sur un coup de dé.

Sacha – Donc, j’étais née pour avoir une vie de merde, et vous pour connaître le succès ?

Alex – Qu’est-ce que vous voulez ? Vous venger ?

Sacha – Je ne sais pas encore ce que je veux. Je vais prendre le temps d’y réfléchir.

Alex – Je suis prêt à vous dédommager, bien entendu. À condition que nous trouvions un terrain d’entente.

Sacha – Pour l’instant, je vous demande juste l’hospitalité.

Alex – C’est une blague ?

Sacha – Je viens de revenir en France. Je n’ai nulle part où aller. J’ai besoin de me poser un peu pour réfléchir à mon avenir. Vous avez bien une chambre d’ami…

Frédérique revient.

Fred – Tout va bien ?

Alex – Oui, oui, je t’expliquerai…

Sacha – Nous parlions littérature.

Fred – On y va ?

Sacha – Je vous laisse. Mais je vous le promets, je reviendrai pour poursuivre cette discussion passionnante…

Frédérique lance un regard inquiet vers Alexandre. Noir

Scène 2

Frédérique revient. Le téléphone fixe sonne. Elle répond.

Fred – Oui maman… Oui, oui, on vient juste de rentrer… Oui, ça s’est très bien passé. Le discours de la ministre était très émouvant. Tu remercieras papa. C’est grâce à lui si on a pu l’avoir. Ils étaient à Sciences Po ensemble, je crois… À l’ENA, c’est ça… Oui, je transmettrai tes félicitations à Alexandre. Il est en train de garer la voiture. Écoute, on vous racontera tout ça mercredi, d’accord ? Oui, je sais que vous auriez aimé être là, mais ce n’est pas grave. Vous viendrez la prochaine fois… La prochaine fois ? Eh bien, je ne sais pas moi… Oui, c’est ça, pour sa Légion d’Honneur ! (Elle émet un rire un peu forcé) Allez, je vous embrasse très fort.

Alex revient juste au moment où elle raccroche.

Alex – C’était qui ?

Fred – Maman.

Alex – Ah, oui…

Fred – Pourquoi, tu attendais un coup de fil ?

Alex – Non, non…

Fred – Je peux la voir ?

Alex – Qui ça ? Je veux dire quoi…?

Fred – Ta médaille !

Alex – Merde, je crois que je l’ai oubliée dans la bagnole.

Fred – Eh ben… Tu as l’air d’y tenir. Tu n’es pas content ?

Alex – Si, si, bien sûr…

Fred – Ne me prends pas pour une idiote, je vois bien que depuis tout à l’heure, il y a quelque chose qui te tracasse.

Alex – Rien du tout, je t’assure.

Fred – Depuis la visite de cette femme, très exactement.

Alex – Qu’est-ce que tu vas chercher…

Fred – C’est qui ? Ta maîtresse ?

Alex – Mais enfin, Frédérique. Tu l’as regardée ?

Fred – D’accord, elle n’est pas très sexy. Mais elle n’est pas laide au point de te faire peur. Et j’ai bien vu tout à l’heure la peur dans ton regard.

Alex – On reparlera de tout ça demain, d’accord ? Là je n’ai pas les idées très claires. Je crois que j’ai un peu forcé sur le champagne.

Fred – Je ne t’ai vu en boire qu’une coupe…

Alex – Ou alors c’est ce caviar qui m’est resté sur l’estomac. J’ai l’impression qu’il n’était pas très frais… Je me demande même si ce n’était pas des œufs de lump. Tu crois que dans un ministère, ils pourraient servir des œufs de lump ? C’est quand même pousser un peu loin les restrictions budgétaires, tu ne trouves pas ?

Fred – Je n’attendrai pas jusqu’à demain, Alexandre. Si tu as quelque chose à me dire, c’est maintenant.

Un temps, pendant lequel il hésite.

Alex – Après tout, tu as raison. Ça ne servirait à rien de temporiser. Malheureusement, je dois faire face aux conséquences de mes actes. Ça devait bien arriver un jour ou l’autre…

Fred – Maintenant, c’est moi qui ai peur. Alors ?

Alex – Ce n’est pas facile…

Fred – C’est ta maîtresse ?

Alex – Ce serait plus facile si c’était ma maîtresse.

Fred – Donc ce n’est pas ta maîtresse.

Alex – Ce serait plutôt… une maîtresse chanteuse.

Fred – À quel sujet on pourrait bien te faire chanter ? La seule affaire vaguement judiciaire que tu traînes derrière toi, c’est une garde à vue pour dégradation de sépulture.

Alex – C’est vrai.

Fred – Ils t’ont relâché quand ils ont compris que tu étais totalement ivre, et qu’il s’agissait de la tombe de ton propre père.

Alex – J’avais seulement pissé dessus. Un pari stupide avec moi-même.

Fred – Donc ce n’est pas pour ça qu’on veut te faire chanter.

Alex – Non, malheureusement.

Fred – Alors quoi ?

Nouveau silence.

Alex – Et si je te disais que toute ma vie était bâtie sur un mensonge ?

Fred – Un mensonge…?

Alex – Pire. Une escroquerie. Une escroquerie intellectuelle.

Fred – Je t’écoute…

Alex – Tu me l’as encore dit tout à l’heure. J’avais écrit avant, certes, mais tout le monde s’accorde à dire que ce Goncourt, c’est l’œuvre de ma vie.

Fred – Et…?

Alex – Et si ce livre n’était pas de moi… (Elle n’a même pas l’air surprise.) Tu ne dis rien…?

Fred – Je réfléchis.

Alex – Tu réfléchis ? Je t’annonce que tu es mariée avec un plagiaire, et tu réfléchis ?

Nouveau silence.

Fred – J’ai toujours pensé que ce livre ne pouvait pas être de toi.

Alex – Eh bien je te le confirme, ce livre n’est pas de moi.

Fred – Oui, j’ai compris.

Alex – C’est tout l’effet que ça te fait ?

Fred – Ce livre, c’est ensemble qu’on a décidé de le publier. C’est ensemble qu’on en a fait la promotion. C’est un peu notre bébé. L’enfant qu’on a pas pu avoir ensemble.

Alex – Eh bien je t’annonce que ce bébé n’est pas de moi…

Fred – Je sais.

Alex – Et comment tu le sais ? Seulement parce que tu ne me crois pas capable d’être l’auteur d’un tel chef d’œuvre ?

Fred – J’ai vu le manuscrit. Il n’était pas de ta main.

Alex – Pourquoi ne m’avoir rien dit ?

Fred – Nous n’aurions pas pu vivre ensemble avec ce mensonge.

Alex – Alors tu as préféré qu’on vive ce mensonge séparément…

Fred – Ça a très bien marché jusque-là, non ? Et ç’aurait très bien pu continuer comme ça.

Alex – Malheureusement, cette femme est venue sonner à notre porte. Et désormais, rien ne pourra plus être comme avant.

Fred – Ça dépend.

Alex – Ah oui ? De quoi ?

Fred – On peut toujours trouver un arrangement.

Alex – Oui… Il faudra aussi trouver un petit arrangement avec notre conscience.

Fred – Pour ça, c’est déjà fait depuis longtemps, non ?

Alex – Et qu’est-ce que tu sais encore ? À part que ce bébé n’est pas de moi…

Fred – Je ne sais pas qui est le père, si c’est ça ta question. Mais depuis la visite de cette femme, je crois savoir qui est la mère.

Un temps.

Alex – Comment est-ce que tu as pu me laisser faire ça ?

Fred – Par amour, tout simplement. Un peu par ambition aussi, je l’avoue. Tu voulais tellement vivre cette vie-là. Une vie d’écrivain. Tu l’as vécue…

Alex – Mais je ne suis qu’un imposteur. Et notre vie est un mensonge. Tu savais. Tu aurais dû m’en empêcher..

Fred – Ne renverse pas les rôles, quand même…

Alex – Tu as raison. C’est moi l’ordure. Tu vas me quitter ?

Fred – Si j’avais dû te quitter, je l’aurais fait à ce moment-là. On n’a plus le choix. On est embarqués sur le même bateau.

Alex – Et ce bateau est en train de couler.

Fred – Pas de précipitation. Et surtout pas de panique. Ce qu’il faut c’est réfléchir. Qu’est-ce que tu envisages de faire ?

Alex – Je ne sais pas… Le suicide serait sans doute la meilleure option. Au moins ce serait romanesque…

Fred – Ne dis pas de bêtises. Tu n’as pas assez de courage pour te suicider.

Alex – Décidément, tu as une très haute opinion de moi. Je me demande comment tu as fait pour rester mariée avec moi pendant toutes ces années. Pour continuer à m’aimer…

Fred – C’est notre couple que j’aime. Notre complicité. Nous sommes complices, Alexandre. Je ne te laisserai pas tomber. Et je ne laisserai pas cette femme nous détruire.

Alex – En l’occurrence, c’est plutôt moi qui ai détruit sa vie…

Fred – D’un autre côté, ce manuscrit a été édité parce tu avais déjà une petite réputation.

Alex – Et surtout grâce aux connexions de ma belle-famille…

Fred – Cette femme n’aurait probablement jamais connu le succès, même en ayant écrit un chef d’œuvre.

Alex – Oui, c’est ce que j’ai commencé à lui dire… Mais je crains que ça ne suffise pas…

Fred – Sans ce concours de circonstances, tu ne serais pas devenu aussi célèbre, mais elle serait sans doute restée dans l’anonymat. Tout le monde sait qu’on ne décroche pas le Goncourt en envoyant un manuscrit par la poste chez Gallimard. Il y a tout le poids de la reproduction sociale. Il faut des relations.

Alex – Tu as raison, le génie, ça ne suffit pas, sinon Van Gogh serait devenu milliardaire. Ses tableaux ont fini par se vendre, oui, mais après sa mort. Et ça n’a enrichi que des spéculateurs.

Fred – Bien sûr. C’est injuste, mais c’est comme ça. L’argent va à l’argent, et le succès au succès. C’est le marché de l’art qui fait le prix d’un artiste. Pas le talent. Sinon on n’exposerait pas toutes ces ordures dans les musées d’art contemporain. Et pour la littérature, c’est exactement pareil.

Alex – Je craignais que ma femme me renie après l’aveu de cette faute morale impardonnable. Je suis presque déçu.

Fred – Tu ne vas pas me faire la morale, en plus !

Alex – Nous sommes des monstres, Frédérique. Je ferais mieux d’avouer tout de suite…

Fred – Il n’en est pas question. Je te rappelle que moi aussi, j’ai tout à perdre dans ce scandale ! À commencer par mon honneur !

Alex – Ton honneur ?

Fred – Ma réputation, si tu préfères. Sans parler de celle de mes parents… J’ai tout plaqué pour m’occuper de ta carrière ! Tu imagines le scandale si la presse venait à être au courant ? Maman ne s’en remettrait pas… Elle a déjà le cœur fragile.

Alex – Oui, mais on ne peut plus faire comme si de rien n’était. Cette garce ne va plus nous lâcher.

Fred – Est-ce qu’elle te fait chanter ?

Alex – Pour l’instant non. Elle m’a seulement demandé si on pouvait l’héberger à la maison.

Fred – L’héberger ?

Alex – Provisoirement, j’imagine. Elle dit qu’elle ne sait pas où aller…

Fred – Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?

Alex – En fait, je n’avais pas vraiment le choix. (On sonne). Ça doit être elle…

Ils échangent un regard inquiet.

Fred – Je vais lui ouvrir.

Noir

Scène 3

La pièce est vide. Sacha arrive, en petite tenue ou en pyjama, venant visiblement de se réveiller. Elle sort à nouveau et revient avec une tasse de café. Elle s’assied au bureau et prend la pose. Alexandre arrive. Il est désagréablement surpris de la voir là, installée à sa place.

Alex – Ne vous gênez pas… Faites comme chez vous.

Sacha – Si c’est avec votre Goncourt que vous avez acheté cette maison, dans un sens, c’est vrai que je suis un peu chez moi…

Alex – C’est une maison de famille. Elle nous vient de mes beaux-parents.

Sacha – J’ai toujours rêvé d’avoir un bureau comme ça… Le stylo à plume, c’est un Montblanc ?

Alex – Je crois que vous surestimez ce que peut rapporter un Goncourt, à part la gloire.

Sacha – Vraiment ?

Alex – Ne croyez pas qu’un simple prix littéraire aurait suffi pour vous permettre d’intégrer la classe des privilégiés. Le ticket d’entrée est plus élevé que ça, croyez-moi.

Sacha – Et donc définitivement au-dessus de mes moyens.

Alex – Le succès, vous savez, ça n’est pas que du talent.

Sacha – La preuve. Puisqu’en tant qu’auteur à succès, vous en êtes totalement dépourvu.

Alex – Réussir dans ce métier, ça demande beaucoup d’efforts, de patience, d’habileté… Beaucoup de compromissions aussi. Il faut avaler pas mal de couleuvres.

Sacha – Je suis sûre que pour ça, vous êtes très doué, en effet.

Alex – Écrire, c’est un art, bien sûr. Mais ce n’est pas le plus difficile. En tout cas ce n’est pas le plus pénible. Dans un sens, je vous envie…

Sacha – Prenez ma place ! Et je prends la vôtre…

Alex – Ce n’est pas si simple.

Sacha – Vraiment ?

Alex – Pourquoi ne pas faire un deal ?

Sacha – Vous conservez les honneurs et vous me rendez l’argent ?

Alex – Je pensais à un partage des droits. Qui resterait confidentiel, bien sûr.

Sacha – Bien sûr.

Alex – J’irais jusqu’à cinquante-cinquante.

Sacha – Pendant toutes ces années, c’est vous qui avez recueilli les fruits de mon travail. Sans parler de la gloire. Comment comptez-vous réparer cette injustice ?

Alex – On peut prévoir une somme forfaitaire pour ce qui est du passé, évidemment. Plus un pourcentage sur les droits à venir. Qu’en pensez-vous ?

Sacha – Il faut voir…

Alex – J’ai construit une réputation, jour après jour. Année après année. Pendant que vous aviez disparu. Volontairement. Pour faire votre petit tour du monde en solitaire…

Sacha – En somme, c’est presque malhonnête de ma part de venir vous réclamer quelque chose aujourd’hui.

Alex – Je n’irais pas jusque là. Mais vous pourriez bénéficier vous aussi de ce que j’ai bâti. Plutôt que de tout détruire maintenant.

Sacha – Qu’est-ce que j’y gagne ?

Alex – De l’argent ! Tout en restant dans l’ombre, évidemment.

Sacha – Voyez-vous ça ?

Alex – Mon éditeur me presse d’écrire un nouveau roman. Nous pourrions collaborer. Je vous propose un accord gagnant-gagnant. Votre talent, ma notoriété. Et on partage les droits.

Sacha – Après m’avoir volé mon œuvre, vous me proposez de devenir votre nègre ? Il faut avouer que vous ne manquez pas de culot.

Alex – Réfléchissez quand même. Un procès en plagiat, cela durerait des années. J’aurais le meilleur des avocats. Et l’issue resterait très incertaine. Nous y perdrions tous les deux beaucoup de temps. Et si j’ai bien compris, du temps, vous en avez déjà perdu pas mal.

Sacha – Vous y perdriez vous-même beaucoup plus que du temps. Vous y laisseriez votre réputation. Moi je n’ai rien à perdre à part du temps. Personne ne me connaît, et je n’ai pas un centime devant moi.

Alex – C’est bien pour cela que je vous propose ce marché.

Sacha – Je vais y penser.

Alex – Pas trop longtemps. Le nom d’un romancier à succès, c’est un peu comme une marque, vous savez. Une marque de voiture, par exemple. Si on ne sort pas un nouveau modèle de temps en temps, on finit par vous oublier.

Sacha – Et donc vous vous considérez comme propriétaire de la marque. Même si votre seul best-seller est une contrefaçon.

Alex – Nous n’avons intérêt ni l’un ni l’autre à ternir cette image d’auteur à succès. Je n’ai rien publié depuis des années. Il vaudrait mieux que mon nom revienne à la une pour un nouveau roman que pour une affaire de plagiat.

Sacha – Votre cynisme m’impressionne. Mais je ne suis pas insensible à vos arguments.

Alex – Je vous laisse y réfléchir.

Alexandre sort. Sacha se lève et fait le tour du propriétaire. Frédérique arrive.

Fred – Ça va ? Vous avez tout ce qu’il vous faut ?

Sacha – À vrai dire, j’ai un peu faim. Vous n’auriez pas quelque chose à tremper dans le café ?

Fred (ironique) – Vous voulez que j’aille vous chercher des croissants ?

Sacha – Je vous en prie, ne vous dérangez pas. Si la bonne a pris sa journée…

Fred – Je crois qu’il y a des spéculoos dans le placard de la cuisine.

Sacha – Des spéculoos ? C’est vrai que c’est tentant. J’irai voir tout à l’heure…

Fred – Je déteste ça, mais mon mari en raffole.

Sacha – Quand on n’a rien d’autre sous la main pour tremper son biscuit.

Fred – Vous comptez rester longtemps ici ?

Sacha – Je ne sais pas encore. Ça dépendra…

Fred – De quoi ?

Sacha – De votre mari, d’abord. Nous avons une affaire à traiter ensemble. Il m’a proposé de m’embaucher comme nègre. Il ne vous en a pas parlé ?

Fred – Ne me prenez pas pour une imbécile. Mon mari n’a pas de secret pour moi. Il m’a tout raconté.

Sacha – Je suis désolée pour vous. Je compatis, très sincèrement.

Fred – Vraiment ?

Sacha – Vous pensiez être mariée avec un grand romancier. Vous apprenez que vous n’êtes que la femme d’un vulgaire plagiaire…

Fred – Qu’est-ce que vous voulez ?

Sacha – C’est avec moi que vous auriez dû vous marier…

Fred – Ne me dites pas que c’est ça que vous voulez…? Mais si c’est le cas, sachez que je suis prête à tout pour l’homme que j’aime. Je ne vous promets pas le mariage, évidemment, mais si vous aimez les femmes mûres…

Sacha éclate de rire.

Sacha – Vous non plus, vous ne manquez pas de culot !

Fred – Je prends ça pour un compliment.

Sacha s’approche de Frédérique et pose une main sur sa joue.

Sacha – Et moi, je vous plais ? (Frédérique semble troublée un instant, avant de se reprendre) Après tout, c’est moi le génie, et c’est pour son génie que vous l’avez épousé !

Fred – Pas seulement.

Sacha – Et puis moi, je pourrais en écrire d’autres…

Fred – Dans ce cas, pourquoi ne pas l’avoir déjà fait ?

Sacha – Je n’ai pas dit mon dernier mot.

Fred – D’après Alexandre, c’est votre histoire dont vous avez fait le récit dans ce premier roman. Vous n’avez peut-être rien d’autre à raconter.

Sacha – On raconte toujours un peu sa vie, quand on est romancier, non ?

Fred – Oui… C’est pour ça qu’avec le temps, on a de moins en moins de choses intéressantes à dire. Je ne suis pas sûre qu’en vous prenant pour nègre, nous ferions une si bonne affaire…

Sacha – Je pourrais toujours raconter votre vie à vous. Ça m’a l’air passionnant…

Fred – La vie de certains escrocs est plus exaltante que celle de la plupart des honnêtes gens. Surtout quand ils ont comme vous une mentalité de victime…

Sacha – En somme, la véritable artiste, ici, c’est vous.

Fred – En ce qui concerne votre fécondité littéraire, en tout cas, vous me semblez avoir atteint depuis longtemps l’âge de la ménopause.

Sacha – Votre mari est stérile. Il n’a même pas réussi à vous faire un enfant.

Fred – Ne vous mêlez pas de notre histoire d’amour, vous ne pourriez pas comprendre.

Alexandre arrive et entend la fin de la conversation.

Alex – Vous parliez de moi ?

Fred – Je vous laisse…

Fred sort.

Alex – N’allez pas trop loin, je vous préviens.

Sacha – Sinon ?

Alex – Je sais que vous n’avez pas une très haute opinion de moi, mais ne me sous-estimez pas.

Sacha – J’essaie… J’avoue que ce n’est pas facile… Je vais faire des efforts, je vous le promets.

Alex – Je vous ai fait une proposition.

Sacha – Et j’y réfléchis, je vous assure… (Un temps) Vous l’avez toujours ?

Alex – Quoi ?

Sacha – Le manuscrit !

Alex – Non…

Sacha – Vous l’avez détruit, c’est ça ? Pour effacer la preuve de votre crime ?

Alex – Pourquoi ? Vous voudriez le récupérer ?

Sacha – Vous comprendrez que pour moi, ce manuscrit a une valeur sentimentale.

Alex – Vous comprendrez que si je l’avais encore en ma possession, je ne vous le rendrais pas sans contrepartie.

Sacha – Donc vous ne l’avez plus.

Alex – Disons que… je l’ai égaré.

Sacha – C’est tellement con que j’ai envie de vous croire.

Alex – Et moi, est-ce que je suis obligé de vous croire ?

Sacha – À quel sujet ?

Alex – Si vous bluffiez ?

Sacha – Dans ce cas, j’aurais déjà gagné. Vous avez tout de suite accepté de me montrer votre jeu.

Alex – Mais je pourrais refuser de payer.

Sacha – Vous avez joué, et vous avez perdu. Les dettes de jeu, c’est sacré. Et vous savez ce qui arrive à ceux qui refusent de les payer.

Alex – Nous ne savons rien de vous.

Sacha – Je vous l’ai dit. Ce roman est autobiographique.

Alex – Mais c’était il y a quelques années déjà. Vous n’êtes plus le personnage de ce roman. Et je ne suis plus tout à fait celui qui l’a signé.

Sacha – Je vous connais assez pour savoir que vous ne prendrez pas ce risque.

Alex – Quel risque ?

Sacha – Vous paierez. Pour avoir la paix. La seule police à laquelle vous avez le courage de rendre des comptes, c’est votre police d’assurance. L’assurance d’une petite vie tranquille, avec une petite médaille de temps en temps pour récompenser les bonnes notes que vous avez obtenues en trichant.

Alex – C’est donc bien de l’argent que vous voulez.

Sacha – Ça vous rassurerait, n’est-ce pas ?

Alex – Qu’est-ce que vous pourriez vouloir d’autre ?

Sacha – Vous savez l’effet que ça fait d’être dépossédée de son œuvre ? De voir son propre texte, écrit avec son propre sang, signé de la main de quelqu’un d’autre ?

Alex – Non…

Sacha – C’est un peu ce que doit éprouver une femme à qui on a arraché son enfant à la naissance pour le confier à un étranger.

Alex – Je n’ai pas voulu ça. Ce manuscrit, c’est un enfant trouvé. Qui me dit que ce n’est pas vous qui l’avez abandonné ?

Sacha – Volontairement, vous voulez dire ?

Alex – Une bouteille à la mer, en quelque sorte. En espérant que quelqu’un la trouve… Votre sauveur… Et qu’il fasse la promo à votre place…

Sacha – Si je comprends bien, vous mériteriez presque une autre médaille pour avoir répondu à mon SOS.

Alex – Ce manuscrit, je ne vous l’ai pas volé.

Sacha – En effet. Je ne pense pas que vous auriez eu assez de courage pour un vol avec violence. Votre spécialité, c’est plutôt le vol par opportunisme, non ?

Alex – Vous avez raison, je suis un lâche. Mais je ne suis pas un criminel. Il m’est arrivé de payer pour coucher, mais je n’ai jamais violé personne.

Sacha – Je vais quand même aller m’habiller…

Sacha sort. Frédérique revient.

Alex – Je ne supporte plus de la voir ici tous les jours, au milieu de notre salon. Vautrée sur notre canapé. Quand elle n’est pas carrément assise à mon bureau…

Fred – Oui, mais dans un sens, ce n’est pas plus mal de l’avoir sous la main.

Alex – Tu trouves ?

Fred – Au moins on sait qu’elle n’est pas à confesse en train de déballer son histoire au premier curé venu.

Alex – Ou au bistrot du coin, complètement bourrée, en train de raconter ses malheurs au barman.

Fred – Oui, ce serait plus dans son style… Sans parler du risque qu’elle aille vendre son scoop à un journal à scandale ou à une chaîne de télé, évidemment.

Silence.

Alex – Tu m’as dit que tu avais vu le manuscrit.

Fred – Oui.

Un temps.

Alex – Tu sais ce qu’il est devenu ?

Fred – Qui ?

Alex – Le manuscrit ! Un jour il était dans le tiroir de mon bureau, celui qui ferme à clef. Et le lendemain, il n’y était plus.

Fred – Le tiroir avait été forcé ?

Alex – Non, et il n’y a que toi qui puisses savoir où je cache la clef.

Silence.

Fred – OK, c’est moi qui l’ai pris.

Alex – Je m’en doutais un peu…

Fred – Donc on savait tous les deux, en fait.

Alex – Je peux à la rigueur comprendre que tu aies décidé de ne rien dire, sachant que je n’étais pas le véritable auteur de ce roman, mais pourquoi avoir pris ce manuscrit ?

Fred – Une assurance-vie, j’imagine…

Alex – Une assurance ? Contre quoi ?

Fred – Au cas où tu veuilles me quitter pour une autre plus jeune, si le succès te montait à la tête.

Alex – Donc tu l’as toujours ?

Fred – Oui…

Alex – Je te redécouvre, Frédérique.

Fred – Tu me prenais pour une gourde, c’est ça ?

Alex – Je pensais tirer les ficelles dans cette sinistre comédie. Finalement, je n’aurais été qu’une marionnette.

Fred – Mais c’est toi qui es dans la lumière, mon chéri…

Alex – Et c’est moi qui risque de finir à l’ombre.

Fred – Tu te damnerais pour un bon mot, c’est ça ton problème.

Alex – Alors pour tout un roman, tu imagines ce que j’étais prêt à faire…

Silence.

Fred – On pourrait s’en débarrasser…

Alex – Du manuscrit ?

Fred – De son auteur.

Alex – Tu es folle !

Fred – Si elle disparaissait, personne ne s’en préoccuperait… Elle a organisé elle-même sa propre disparition. Elle est déjà portée disparue !

Alex – Tu plaisantes, j’espère ?

Fred – Bien sûr, je plaisante… Alors qu’est-ce que tu proposes ?

Alex – Négocier. On n’a pas le choix. Mais je ne suis pas encore sûr qu’elle se contentera d’argent.

Fred – Elle s’en contentera. On peut tout acheter avec de l’argent. Tout dépend de la somme…

Alex – On peut aller jusqu’à combien ?

Fred – À combien tu évalues ta réputation ?

Alex – Merci de ne pas avoir dit ton honneur…

Noir

Scène 4

Sacha est étendue sur le canapé, assoupie. On pourrait croire qu’elle est morte. Frédérique arrive, un couteau à la main. Elle s’approche de Sacha, semblant hésiter.

Sacha – Ce n’est pas si facile que ça de tuer quelqu’un, vous savez ? Surtout avec une arme blanche.

Fred – Je voulais juste me couper une tranche de saucisson. Ça vous tente ?

Sacha (en se relevant) – Merci. Je suis végétarienne.

Fred – J’aurais dû m’en douter.

Sacha – Ah oui ? Et pourquoi ça ?

Fred – Je ne sais pas… Cette propension à se ranger systématiquement du côté des victimes, peut-être. De ceux qui sont destinés à l’abattoir. Vous êtes croyante ?

Sacha – Je crois en la réincarnation. La roue tourne. Et au bout du compte, nous aurons joué tous les rôles.

Fred – Je vois… Et la prochaine fois, les premiers seront les derniers… C’est bien ce que je disais. Remplacez réincarnation par résurrection, et finalement, c’est assez catho, cette conception du monde.

Sacha – Même ici-bas, nous sommes nos propres bourreaux, vous ne croyez pas ? Nous sommes victimes de nos propres démons.

Fred – Puisque la roue tourne, vous finirez donc par vous plagier vous-même…

Sacha – Allez savoir… Votre mari et moi, nous ne sommes peut-être que les deux faces d’une même médaille. La médaille de Chevalier des Arts et des Lettres.

Fred – Je préférerai toujours le chevalier au lettré… Je vous tuerai.

Sacha – Et en m’assassinant, c’est vous-même que vous assassinerez.

Fred – Vous vous prenez vraiment pour Jésus-Christ.

Sacha – C’est vous qui portez une croix autour du cou…

Fred – Je la porte comme un étendard.

Sacha – Oui. Un étendard de classe. Vous ne vous battez que pour conserver vos privilèges.

Fred – Je ne tends pas l’autre joue. Ma religion est conquérante. C’est celle des croisades. Je ne me complais pas comme vous dans le rôle de victime.

Sacha – Vous préférez le camp des bourreaux ?

Fred – Je préfère le camp des vainqueurs. Pas vous ?

Sacha – Je ne veux pas avoir à choisir. « Je suis un homme, et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».

Fred – Vous êtes aussi philosophe ?

Sacha – C’est de Térence. Un auteur latin qui a vécu près de deux siècles avant Jésus-Christ.

Fred – Vous en avez d’autres comme ça ?

Sacha – « Je suis la plaie et le couteau. Je suis le soufflet et la joue. Je suis les membres et la roue. Et la victime et le bourreau ! ».

Fred (ironique) – C’est beau…

Sacha – C’est Baudelaire.

Fred – Vous avez lu Les Fleurs du mal ?

Sacha – Et vous ? Vous les avez vraiment lues, ou bien vous ne connaissez que les quelques citations nécessaires pour briller dans les dîners en ville ?

Fred – En tout cas, je n’ai aucune empathie pour ceux qui refusent d’avoir du sang sur les mains quand il s’agit de chasser, mais qui rappliquent au moment de la curée.

Sacha – Méfiez-vous des clichés sur les végans. Hitler aussi était végétarien.

Fred – C’est vrai que vous avez l’air de savoir de quoi vous parlez.

Sacha – À propos d’Hitler ?

Fred – À propos de crime. Vous disiez que ce n’était pas facile de tuer quelqu’un avec une arme blanche.

Sacha – Le plus compliqué, c’est de se débarrasser du corps après.

Fred – Donc, vous parlez d’expérience…

Sacha – Pendant que vous vous en mettiez plein les poches avec mes droits d’auteur, j’ai vécu une période difficile…

Fred – J’en suis vraiment désolée…

Sacha – Contrairement à l’adage, nécessité fait rarement loi. En réalité, c’est par nécessité qu’on devient hors-la-loi. Mais vous êtes au-dessus de ça, bien sûr. Dans votre monde, la loi, c’est vous qui la faites.

Fred (ironique) – Je crois comprendre que vous avez eu une enfance malheureuse… Vous voulez m’en parler ?

Sacha – C’est curieux, tout le monde voudrait me faire raconter ma vie. Pourtant, elle est déjà largement décrite dans mon roman.

Fred – Ce roman, c’est nous qui en avons fait un succès. Sans nous, vous auriez dû l’éditer à compte d’auteur. Et aujourd’hui, même vous, vous l’auriez oublié.

Sacha – Peut-être…

Fred – Et puis franchement, regardez-vous…

Sacha – Quoi ?

Fred – Vous vous entendez, aussi ? « Quoi ? ». Dans notre monde à nous, comme vous dites, on dit « Comment ? ».

Sacha – Sans blague ?

Fred – Vous n’avez pas la classe d’un écrivain. Vous passeriez très mal à la télé. Pourquoi ne pas laisser faire les professionnels ? Tout le monde serait gagnant.

Sacha – Alors je manque de style… Je ne corresponds pas assez bien à l’idée que vos médias se font d’un écrivain à la mode.

Fred – Excusez-moi, mais c’est une évidence. Et puis si vous croyez que c’est facile de se faire une place dans les journaux et à la radio, d’occuper le terrain à longueur d’années dans les salons littéraires, les foires du livre et les dîners en ville… C’est un métier, croyez-moi. Et ce n’est pas toujours aussi distrayant et aussi gratifiant que vous avez l’air de le croire.

Sacha – Vous proposez qu’on se partage le travail, c’est ça ? Votre mari manque de style quand il écrit, moi je manque de style quand je parle. Donc j’écris ses bouquins, et il parle à ma place ?

Fred – Pourquoi pas ? C’est un peu l’histoire de Cyrano, finalement, non ? Cyrano, vous connaissez ?

Sacha – En fait, vous me donnez envie de vomir. Comment vous pouvez vivre avec ça depuis toutes ces années ? Vivre de ça.

Fred – Tout le monde plagie tout le monde, dans le domaine de la littérature, vous savez. Depuis la nuit des temps. Si c’était un crime, ça se saurait.

Sacha – C’est en tout cas un délit. Sans parler d’une faute, bien sûr. Mais vous n’avez aucune morale.

Fred – L’histoire de la littérature n’est qu’une longue succession de plagiats. Qui est le véritable auteur d’un livre ? Celui qui l’a écrit ? Celui qui le découvre ? Celui qui en fait un succès ?

Sacha – Alors c’est comme ça que vous voyez les choses ?

Fred – Pas seulement la littérature, d’ailleurs. Dans le domaine scientifique, c’est pareil. Tout le monde copie tout le monde. C’est la vie. C’est comme ça.

Sacha – Votre vie, peut-être. Pas la mienne. Votre arrogance de classe me fait horreur. Et c’est aussi ça que je voudrais vous faire payer. Il y a ceux qui ont droit aux honneurs, et ceux qui doivent se contenter de défendre le leur, c’est ça ?

Fred – J’aurais bien refait le monde avec vous, mais je crains que cela ne nous mène nulle part.

Sacha – Je le crains aussi. Nous n’avons pas les mêmes valeurs.

Fred – Qu’est-ce que vous voulez ? Le moment est venu de nous le dire. De l’argent ?

Sacha – De toute façon, vous n’avez rien d’autre à m’offrir. Finalement, c’est vous qui avez raison. Je ne suis pas assez docile pour me plier au numéro de cirque qu’on me demandera d’effectuer pour être acceptée dans votre monde de merde.

Fred – Cela me semble raisonnable. Combien ?

Sacha – Un million.

Fred – Le lauréat du Goncourt reçoit un chèque de dix euros.

Sacha – Mais c’est sans compter les produits dérivés… Des centaines de milliers d’exemplaires vendus. Les passages à la télé. Les conférences tous frais payés…

Fred – Ce Goncourt-là ne s’est pas si bien vendu que ça.

Sacha – Je crois déceler dans votre voix une nuance de reproche… En somme, le roman que j’ai écrit était tout juste digne d’être signé par votre illustre mari, c’est ça ?

Fred – Vous comprendrez qu’il nous faudra un certain temps pour réunir l’argent.

Sacha – Je ne suis pas pressée. Je vous donne 24 heures.

Fred – Et il nous faudra des garanties. Pour être sûrs qu’on sera définitivement tranquilles.

Sacha – Quelles garanties ?

Fred – Une lettre manuscrite de votre part, par laquelle vous renoncerez à tout droit sur ce roman en échange de cette somme. Vous vous engagerez aussi à renoncer à toute poursuite.

Sacha – D’accord.

Fred – Je vous ai préparé un modèle, vous n’aurez qu’à recopier.

Sacha – C’est à mon tour de recopier alors…

Fred – Pardon ?

Sacha – Il y a quelques années, c’est votre mari qui recopiait tout un livre qu’il n’avait pas écrit.

Fred – Un million, et c’est tout. Après vous disparaissez de notre vie.

Sacha – Comptez sur moi. Disparaître, c’est ma spécialité. Mais avec un million, ce sera beaucoup plus facile. Donnez-moi ce papier.

Fred – Le voilà.

Sacha – Très bien. Je vais faire mes devoirs dans ma chambre… Je reviens dès que j’ai fini. J’aurai le droit de regarder la télé après ?

Sacha sort. Alexandre arrive.

Alex – Je viens d’avoir mon agent au téléphone. On me propose d’adapter mon roman pour le théâtre…

Fred – C’est ce dont tu avais toujours rêvé, non ?

Alex – J’ai vraiment dit mon roman ?

Fred – Ce n’est peut-être pas ton roman, mais c’est notre Goncourt.

Alex – Tu as raison. Ce succès nous appartient.

Fred – Oui.

Alex – J’ai même réécrit quelques passages. Au départ, ce n’était pas si bon que ça…

Fred – Et c’était bourré de fautes d’orthographe.

Alex – Tu lui as parlé ?

Fred – Oui.

Alex – Et qu’est-ce qu’elle veut ?

Fred – Un million. Pour solde de tout compte.

Alex – C’est cher… On les a ?

Fred – Oui. Sur une assurance-vie. On se passera d’assurance-vie. De toute façon, on n’a pas d’enfant.

Alex – Alors pour l’adaptation théâtrale, je dis oui ?

Fred – Il vaudrait mieux les faire patienter un peu. Je voudrais encore vérifier un détail…

Alex – D’accord. Je vais les rappeler.

Il sort. Fred sort aussi et revient avec le manuscrit.

Fred (lisant le titre) – Mémoire d’une amnésique… Dommage que la mémoire lui soit revenue… En tout cas, on a bien fait de changer le titre… Je vois pas un roman remporter le Goncourt avec un jeu de mots pareil…

Noir

Scène 5

Sacha feuillette le Prix Goncourt. Frédérique arrive.

Sacha – C’est fou ce qu’un roman, une fois imprimé, paraît beaucoup plus intelligent qu’en version manuscrite.

Fred – Alors quand le livre, en plus, porte la jaquette rouge d’un prix littéraire…

Sacha – Vous avez bien fait de changer le titre, le mien n’était pas très bon.

Fred – C’était quoi déjà ?

Sacha – Mémoire d’une amnésique. Vous essayez de me piéger ?

Fred – Vous avez la lettre que je vous ai demandée.

Sacha – La voilà.

Sacha lui tend la lettre.

Fred – D’accord…

Fred examine la lettre.

Sacha – Quelque chose vous tracasse ?

Fred – Ce serait plutôt un soulagement… J’avais un doute, mais maintenant j’en suis sûre. Cette écriture, la vôtre… Ce n’est pas l’écriture du manuscrit.

Sacha – Je croyais qu’il avait disparu ?

Fred – C’est moi qui l’ai mis en lieu sûr.

Sacha – Et quelle conclusion tirez-vous de cette analyse graphologique, inspecteur ?

Fred – Vous aussi vous êtes un imposteur. Ce n’est pas vous qui avez écrit ce roman.

Sacha – Si vous le dites…

Fred – Je m’en doutais. Le véritable auteur ne se serait jamais contenté d’une compensation financière.

Sacha – En effet, je ne suis pas celle que vous croyez.

Fred – Alors qui êtes-vous ?

Sacha – Peu importe qui je suis… J’ai rencontré l’auteur de ce livre en prison.

Fred – Elle y est toujours ?

Sacha – Je ne sais pas. Elle était malade. Elle est peut-être morte. Peut-être pas. Elle m’a raconté sa vie. Son roman. La perte de son manuscrit.

Fred – C’est elle qui vous envoie ?

Sacha – Non. Je travaille à mon compte.

Fred – Donc vous ne savez pas ce qu’elle est devenue…

Sacha – Elle a été transférée, je l’ai perdue de vue. Quelques années plus tard, par hasard, je suis tombée sur le Goncourt à la bibliothèque de la prison. Je l’ai lu. Je me suis souvenue de cette histoire, et j’ai compris.

Fred – Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?

Sacha – On m’a libérée la semaine dernière. Je suis venue directement chez vous.

Fred – Mais vous n’aviez pas lu le manuscrit. Vous n’étiez pas sûre.

Sacha – Non. Je n’étais pas sûre à cent pour cent. C’était un coup de poker. J’ai bluffé…

Fred – Donc la véritable auteure n’est au courant de rien.

Sacha – Elle le sera si je lui raconte tout ça. Ça ne change rien pour vous. Je veux mon fric en échange de mon silence.

Fred – Cela change que vous êtes un simple maître chanteur. Pas une artiste que nous aurions spoliée. Vous n’êtes même pas auteure. Et votre lettre de dix lignes est bourrée de fautes d’orthographe.

Sacha – Votre mari non plus n’est pas un véritable auteur. Nous sommes tous les trois des voleurs. Je veux seulement ma part du butin.

Fred – Oui, mais là, vous n’avez plus de preuves… Ce n’est pas votre vie qui est dans ce roman. C’est celle d’une autre.

Sacha – Je pourrais retrouver l’auteur, et vous dénoncer.

Fred – Vous l’avez dit, elle est peut-être morte.

Sacha – Et surtout, je pourrais révéler ce scandale à la presse.

Fred – Vous n’avez aucune preuve.

Sacha – Détrompez-vous. Maintenant, j’ai le manuscrit original. Et il n’est pas de la main de votre mari.

Fred – Le manuscrit ?

Sacha – Vous me prenez vraiment pour une idiote. Je vous ai vu venir avec votre lettre manuscrite. Vous êtes plus maligne que votre mari mais beaucoup moins que moi.

Fred – Comment auriez-vous mis la main sur ce manuscrit ?

Sacha – J’ai rédigé cette lettre en sachant que vous iriez directement comparer l’écriture avec celle du manuscrit. C’était pour moi un moyen de savoir si vous le cachiez chez vous, et à quel endroit. J’ai gardé un œil sur vos allées et venues, et je l’ai trouvé.

Fred – Vous bluffez encore.

Sacha – Allez voir dans le sous-sol s’il y est encore.

Fred – Je ne vous crois pas.

Sacha – Je vous l’ai dit, je sors de prison. Je sais trouver dans une maison où les gens cachent leur bien le plus précieux…

Fred – Espèce de garce.

Sacha lui tend un papier.

Sacha – Je vous ai préparé un RIB. Je veux cet argent sur mon compte avant la fin de la semaine.

Fred – Ne vous inquiétez pas. Vous l’aurez…

Frédérique sort. Alexandre arrive.

Alex – Vous êtes encore là ?

Sacha – Allez savoir, je vais bientôt être riche. Je pourrai habiter les beaux quartiers, moi aussi. J’ai vu qu’il y avait une belle maison à vendre juste en face de la vôtre.

Alex – Ne poussez pas le bouchon trop loin.

Sacha – Bien sûr, il y a aussi une autre solution… Beaucoup plus simple, dans un sens. Et bien moins chère pour vous.

Alex – Laquelle ?

Elle s’avance vers lui, séductrice.

Sacha – Épousez-moi ! On se marie sous le régime de la communauté, et je serai votre ayant droit.

Alex – Vous oubliez ma femme. Je ne suis pas sûr qu’elle soit d’accord. Et moi non plus…

Sacha embrasse Alexandre sur la bouche. Surpris, il ne la repousse pas.

Sacha – Laissez-vous faire… (Elle devient encore plus entreprenante) Vous verrez, je vais vous surprendre…

Alex – C’est déjà fait… Mais vous n’êtes pas du tout mon style.

Sacha – Vous avez pourtant signé mon roman. Pour quelqu’un qui n’aime pas mon style…

Alex – Je parlais de votre genre… Assez ambigu d’ailleurs…

Sacha – Allez savoir… Vous pourriez y prendre goût…

Frédérique arrive et surprend leur étreinte. Sacha éclate de rire.

Sacha – Rassurez-vous, je vous le laisse… Pour l’instant. Je vais faire un tour dans le jardin, ça sent vraiment trop le renfermé, ici. Mais demain, je veux mon fric.

Sacha sort.

Alex – Je suis désolé, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Fred – Je pensais t’entendre dire qu’elle t’avait arraché ce baiser par surprise. Donc, ça ne t’a pas déplu ?

Alex – Arrête, qu’est-ce que tu vas chercher.

Fred – C’est vrai qu’elle est plus jeune que moi. Et puis elle a le mérite de la nouveauté.

Alex – Je ne suis même pas sûr que ce soit vraiment une femme… Tu n’as rien à craindre, rassure-toi.

Fred – Peut-être. Mais toi, je te conseille de te méfier. Je serais prête à tuer pour te garder.

Noir

Scène 6

Frédérique est assise au bureau. Sacha arrive.

Sacha – Vous avez mon argent ?

Fred – Le voici.

Elle lui tend un chèque. Sacha le prend et l’examine.

Sacha – Dix euros… C’est une plaisanterie ?

Fred – C’est le montant du chèque que reçoit le lauréat du Prix Goncourt.

Sacha – Ne jouez pas à ça avec moi. Je vous rappelle que je sors de prison…

Fred – Vous n’auriez pas dû essayer de séduire mon mari.

Sacha – Qu’est-ce que vous allez faire ? Me tuer ? Même pour un crime passionnel, vous savez, la peine encourue est beaucoup plus lourde que pour un simple plagiat. J’en sais quelque chose.

Frédérique lui tend un papier.

Fred – Voici la moitié de votre argent. Un demi-million d’euros. C’est un avis de virement sur le compte que vous m’avez indiqué. Vous aurez l’autre moitié quand vous m’aurez rendu le manuscrit.

Sacha – Vous l’aurez. Mais j’attendrai d’abord que l’argent soit sur mon compte.

Sacha prend l’avis de virement que Frédérique lui tend.

Fred – Et qu’est-ce qui me garantit que vous ne viendrez pas nous faire chanter à nouveau ?

Sacha – Vous m’avez fait signer un engagement écrit.

Fred – Vous savez, ce genre de papier…

Sacha – En effet, rien ne vous garantit que je ne reviendrai pas quand je n’aurais plus d’argent. Il faut combien de temps pour dépenser un million ? Je n’ai pas l’habitude, vous comprenez.

Fred – Je ne supporterai pas de vivre pendant le restant de mes jours avec au-dessus de ma tête cette épée de Damoclès.

Sacha – Mais si, vous verrez. Vous avez du cran. Plus que votre mari. C’est vous qui portez la culotte, non ? Même si c’est lui qui porte les médailles…

Fred – Ça me convient très bien comme ça.

Sacha – Finalement, c’est vous qui auriez dû signer ce livre. Mais c’est lui qui continuera à se pavaner dans les salons parisiens et à la télé.

Fred – Je préfère tirer les ficelles. Je n’aime pas être dans la lumière.

Sacha – Dommage… La lumière vous va bien au teint…

Fred – Vous aimez vraiment les femmes ?

Sacha – En prison, vous savez, on n’a pas tellement le choix. Parfois on y prend goût…

Sacha s’approche de Frédérique, qui esquive sans pourtant la repousser.

Fred – Nous avons même un sauna. Si ça vous tente…

Sacha – Pourquoi pas.

Fred – Il se trouve dans la dépendance, au fond du jardin. Je viendrai vous déposer des serviettes.

Sacha – Merci… Si vous voulez m’y rejoindre…

Fred – J’y serai dans un quart d’heure.

Sacha – Je vous attends. Nous pourrons continuer cette charmante conversation.

Fred – Je ne doute pas qu’elle sera torride…

Frédérique sort.

Noir

Scène 7

Frédérique arrive, portable à l’oreille.

Fred – Oui, c’est exactement ça… Je vous demande d’annuler ce virement. Très bien, je vous envoie une confirmation par mail. Je vous remercie. Bonne journée…

Frédérique range son portable et sirote une tasse de café. Alexandre arrive, préoccupé.

Fred – Qu’est-ce qui se passe ? Tu as l’air inquiet. Ça ne va pas ?

Alex – Je remonte à l’instant du jardin. Je voulais faire mon sauna, comme tous les matins, après mon cardio-training…

Fred – Et…?

Alex – Tu ne vas pas le croire, mais cette horrible femme était déjà là.

Fred – Ah oui ?

Alex – Là, dans le sauna, complètement à poil.

Fred – Non ?

Alex – Et surtout complètement morte.

Fred – Vraiment ?

Alex – Tu n’as pas l’air surprise…

Fred – Je ne sais pas… Elle a dû succomber à une crise cardiaque. Ça arrive parfois, tu sais. Quand on a le cœur fragile, le sauna ce n’est pas recommandé.

Alex – Oui, c’est possible… Surtout qu’elle avait l’air d’y avoir passé toute la nuit.

Fred – Quelle drôle d’idée.

Alex – Son visage était écarlate, et elle gisait dans une marre de sueur.

Fred – Quelle horreur ! C’est pourtant inscrit sur la porte du sauna qu’il ne faut pas dépasser une demi-heure.

Alex – Oui… Je ne sais pas ce qui lui a pris de rester aussi longtemps dans ce sauna…

Fred – Va savoir…

Alex – Il faut dire que la porte était bloquée de l’extérieur avec une barre métallique.

Fred – Non ?

Alex – Qu’est-ce que tu as fait, Frédérique ?

Fred – J’ai fait ce que tu aurais dû faire toi-même depuis longtemps si tu avais des couilles.

Alex – Mais pourquoi ?

Fred – On n’en aurait jamais fini avec elle ! Elle nous aurait fait chanter toute notre vie. Même si en réalité, je viens de découvrir que ce n’est pas elle l’auteur de ce roman…

Alex – Ce n’est pas elle ? Mais alors c’est qui ?

Fred – Une autre femme, semble-t-il. Elle l’aurait rencontrée en prison.

Alex – Elle animait des ateliers d’écriture ?

Fred – Non. Elles partageaient la même cellule.

Alex – J’ai toujours su que cette fille n’avait pas la classe d’un écrivain.

Fred – Le manuscrit original était bourré de fautes de français. C’est pour ça que je ne me suis pas méfiée…

Alex – Mais alors pourquoi tu l’as tuée ? Si ce n’est pas elle l’auteur !

Fred – J’avais peur que tu me quittes. Que tu partes avec elle.

Alex – Enfin qu’est-ce que tu vas chercher ? Tu m’imagines avec cette…

Fred – Je plaisante. Mais même si ce n’est pas elle l’auteur, elle est au courant de tout. Elle nous aurait fait chanter de la même façon.

Alex – C’est un cauchemar… Je vais aller me livrer à la police.

Fred – Ce ne sont que des mots, comme d’habitude. Tu prends la pose en attendant que je te dise quoi faire.

Alex – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Fred – On pourrait essayer de maquiller ça en accident, mais c’est risqué…

Alex – Si on nous demande quels étaient nos liens avec cette femme, et ce qu’elle faisait dans notre sauna…

Fred – On va plutôt faire disparaître le corps.

Alex – Bon… Si tu crois que c’est mieux… Et après ?

Fred – Après ? Rien. On reprendra une vie normale.

Alex – Une vie normale ?

Fred – Assez bavardé. Je finis mon café, et on y va. On a du boulot…

Alex – Tout de même… Ça doit être une mort atroce.

Fred – Elle l’a bien cherché.

Alex – Et avant, tu l’as rejointe toute nue dans le sauna.

Fred – Il fallait bien que je la mette en confiance…

Alex – Donc tu sais maintenant si c’est un homme ou une femme.

Fred – Oui.

Alex – Et alors ?

Fred – Maintenant, quelle importance ? Les cadavres, c’est unisexe.

Alex – Une femme qui meurt reste-t-elle féminine ?

Fred – C’est drôle. C’est de toi ?

Alex – Toujours pas, malheureusement… C’est une chanson de Brigitte Fontaine.

Fred – Tu ne vas pas tarder à avoir la réponse… On y va…

Noir

Scène 8

Frédérique et Alexandre arrivent, portant le corps inerte de Sacha. Il la tient par les pieds et elle par les épaules. Ils la déposent sans ménagement sur le canapé.

Alex – Je ne la voyais pas aussi lourde… Pourtant, avec toute l’eau qu’elle a déjà perdu…

Fred – Tu connais l’expression « Ça pèse comme un âne mort ».

Alex – Et alors ?

Fred – Ça prouve qu’un mort, ça pèse toujours plus lourd qu’un vivant.

Alex – Tant que ça ne nous pèse pas sur la conscience…

Alex – Tu as sorti la voiture ?

Fred – Elle est en bas.

Alex – Comment on va se débarrasser de ce cadavre ?

Fred – On va l’emmener dans notre maison de campagne, en Bretagne. On la débitera en morceaux, on incinérera les restes dans le poêle à bois, et on dispersera les cendres du haut de la falaise.

Alex – Tu me fais peur, Frédérique. On dirait que tu as fait ça toute ta vie…

Fred – Fais ce que je te dis, et tout ira bien.

Alex – J’ai toujours eu en toi une confiance aveugle, mais je ne sais pas pourquoi, là j’ai un mauvais pressentiment.

Fred – Tu as une autre solution ?

Alex – Non…

Fred – Alors ne perdons pas de temps.

Alex – D’accord… Et puis la crémation, après une nuit dans le sauna, ce sera plus facile.

Fred – Tu crois vraiment que c’est le moment de faire des bons mots ?

Alex – En tout cas, cette fois, on se débarrasse aussi du manuscrit. C’est trop dangereux de le garder.

Fred – Je voudrais bien, mais il y a un problème.

Alex – Quoi ?

Fred – Le manuscrit a disparu.

Alex – Tu n’es pas encore en train de me mentir ?

Fred – Pourquoi je te mentirais ?

Alex – Pour garder encore ce manuscrit et t’en servir contre moi au cas où je veuille te quitter ? Je crois que là, on est assez liés comme ça par ce crime, non ?

Fred – Je ne te mens pas. Elle a trouvé l’endroit où je le cachais.

Alex – Merde… Qu’est-ce qu’elle a bien pu en faire ? Elle n’est pas sortie d’ici depuis qu’elle est arrivée.

Fred – Je ne sais pas… J’ai cherché partout.

Alex – Bon, on verra ça plus tard, non ? Là je crois qu’on a une autre urgence…

Fred – On n’a qu’à l’enrouler dans le tapis.

Alex – Pour quoi faire ?

Fred – Je ne sais pas. Dans tous les films, ils font ça.

Alex – OK…

Ils s’apprêtent à l’emballer dans le tapis.

Fred – J’ai l’impression que le tapis est trop petit.

Alex – On va l’emmener comme ça.

Fred – Cette fois, je vais la prendre par les pieds, ce sera moins lourd pour moi.

Alex – D’accord…

Ils saisissent à nouveau le corps et sortent avec.

Noir 

Scène 9

Alexandre et Frédérique sont confortablement installés dans le salon. Ils sirotent un verre, et sont peut-être déjà un peu éméchés.

Alex – Ça nous a fait du bien, ce petit séjour en Bretagne, non ? On a bien meilleure mine.

Fred – Oui… Marcher au bord de l’océan. Respirer le bon air. Retrouver le goût des choses authentiques.

Alex – Tu parles comme une publicité pour des saucisses industrielles ou des sardines en boîte.

Fred – À chaque fois que je retourne là-bas, j’ai l’impression de retrouver mes racines.

Alex – En Bretagne ? Pourtant, aussi loin que tu aies pu remonter ton arbre généalogique, ta famille n’a pas bougé du seizième arrondissement.

Fred – Les racines, c’est là où on se sent comme chez soi, et où on a les moyens d’acheter une maison de campagne.

Alex – Tu as raison. C’est ce qu’on appelle le droit du sol, je crois. D’ailleurs, avec tous ces Parisiens qui se sentent comme chez eux en Bretagne, l’immobilier a tellement augmenté que les Bretons n’auront bientôt plus les moyens d’y habiter.

Fred – Je te ressers un petit alcool de poire ? Je l’ai rapporté de là-bas. Je l’ai acheté à un petit paysan qui le distille en cachette dans sa cave.

Alex – Ce n’est pas très raisonnable, mais bon… Si c’est de l’alcool de contrebande alors…

Fred – Allez… On ne meurt qu’une fois.

Frédérique remplit les verres. Ils trinquent, et boivent cul-sec.

Alex – C’est curieux, j’ai l’impression que cette épreuve nous a encore rapprochés.

Fred – Moi aussi.

Alex – Et puis maintenant qu’on a plus rien à cacher, je me sens plus détendu, pas toi ?

Fred – Plus rien à cacher ? Entre nous tu veux dire ?

Alex – Bien sûr… On dîne toujours chez tes parents mardi ?

Fred – Oui, comme d’habitude.

Alex – Très bien. Ça me fera plaisir de les voir.

Fred – C’est vrai. Ça fait longtemps qu’on ne les a pas vus.

Alex – Deux semaines en fait.

Fred – Oui, c’est ce que je disais.

Alex (saisissant un journal) – Alors, comment va le monde ?

Alexandre déplie le journal, et commence à le feuilleter.

Fred – C’est la rentrée littéraire.

Alex – Hélas on ne risque pas de remporter un prix. On n’a rien à publier…

Fred – Pour l’instant…

Frédérique sort un manuscrit, et se met à le lire. Ils lisent un instant chacun dans leur coin. Puis Alexandre remarque le manuscrit.

Alex – Encore ce fichu manuscrit ?

Fred – Celui-là, c’est un autre.

Alex – Un autre ?

Fred – Je l’ai trouvé dans la chambre d’amis, sous une latte de parquet…

Alex – C’est donc elle qui l’aura planqué là… C’est un miracle… J’avais déjà trouvé sa Bible dans un train, et maintenant qu’elle est morte, elle nous laisse aussi son Nouveau Testament…

Fred – Je me suis aussi rendu compte en regardant sa carte d’identité dans son sac qu’elle ne s’appelait pas Sacha.

Alex – Et comment s’appelait-elle ?

Fred – Josette.

Alex – Ah oui… Je comprends qu’elle ait éprouvé le besoin de prendre un pseudo.

Fred – Les deux manuscrits sont de la même écriture.

Alex – Alors finalement, ce serait elle l’auteur ?

Fred – C’est possible…

Alex – Mais tu m’as dit que la lettre qu’elle t’avait remise n’était pas de la même main.

Fred – Elle a pu maquiller son écriture. Sur une simple lettre de quelques lignes, c’est facile.

Alex – Pourquoi elle aurait fait ça ?

Fred – Pour brouiller les pistes, j’imagine.

Alex – Si c’était pour brouiller les pistes, c’est réussi. Je t’avoue que je n’y comprends plus rien.

Fred – Ou alors c’était pour m’obliger à ressortir le manuscrit original afin de comparer les écritures, et en profiter pour me le reprendre.

Alex – Cette femme était vraiment diabolique.

Fred – Oui… On a bien fait de s’en débarrasser.

Alex – Mais alors c’est elle ou pas elle, l’auteur de ces deux manuscrits ?

Fred – Va savoir… Elle a peut-être vraiment rencontré l’auteur en prison, et elle en a profité pour lui voler son deuxième manuscrit, après lui avoir fait raconter comment elle avait perdu le premier.

Alex – Il y a beaucoup de gens malhonnêtes en prison.

Fred – En tout cas tous les gens malhonnêtes qui sont aussi assez cons pour se faire prendre la main dans le sac.

Alex – C’est incroyable. On raconterait cette histoire à quelqu’un, on ne nous croirait pas.

Fred – C’est pour ça qu’on ne va la raconter à personne.

Alex – Sauf à nos lecteurs éventuellement. C’est vrai, il y aurait de quoi écrire un roman, non ?

Fred – C’est déjà fait.

Alex – Comment ça ?

Fred – C’est le sujet de ce deuxième roman.

Alex – Décidément, je n’ai pas de chance. Toutes les bonnes idées ont déjà été exploitées par d’autres. Qu’est-ce qui me reste à part le plagiat ? (Un temps) Et il est bon, ce manuscrit ?

Fred – Encore meilleur que le premier…

Alex – Mon agent me tanne toujours pour que je publie autre chose.

Fred – Pourquoi ne pas signer celui-là ? Je t’assure, il est tout à fait digne de toi.

Alex – Puisqu’elle est morte, après tout. Disons que nous serons ses ayants droit…

Fred – Tu sais toujours trouver le mot juste, chéri. C’est sans doute ça qui fait de toi un auteur à succès. Oui, nous y avons droit. C’est comme ça. Nous faisons partie des gens qui ont tous les droits. Et ça n’est pas près de changer.

Alex – Tout de même. Imagine que quelqu’un d’autre soit au courant. Qu’elle ait raconté cette histoire à toutes ses codétenues. Tu as entendu ce qu’elle disait. Maintenant, on leur fait même lire le Prix Goncourt, en prison.

Fred – C’est un risque, évidemment…

Alex – Je me demande comment elle a bien pu finir en prison…

Fred – Une erreur judiciaire, sans doute…

Alex – C’est vrai qu’elle avait une fâcheuse tendance à rendre les autres responsables de tous ses malheurs.

Fred – Dire que quand elle est venue nous voir, elle n’avait aucune preuve. C’est moi qui avais le manuscrit. Si tu n’avais pas tout avoué…

Alex – C’est vrai. Je me suis laissé piéger. Je n’aurais pas dû. Mais elle m’a pris par surprise. Je te promets que la prochaine fois…

Fred – La prochaine fois ?

Alex – Maintenant, je m’attends à tout moment à ce qu’on sonne à la porte, et qu’un autre de mes milliers de lecteurs vienne m’accuser d’avoir trouvé ce livre dans un train.

Fred – Comme c’est d’ailleurs indiqué dans la préface de ton livre.

Alex – On ne peut quand même pas tous les tuer.

Fred – Il ne resterait personne pour acheter tes bouquins.

Alex – C’est quoi, le titre de mon nouveau roman ?

Fred – Plagiat.

Alex – Il faudra peut-être le changer avant que je remette le manuscrit à mon éditeur.

Fred – Ce cher Maxence… À propos, tu leur as confirmé, pour Megève, à Noël ?

Alex – Oui, oui… C’est d’accord. Tout est organisé aussi pour la séance de dédicace.

Fred – Parfait. L’air de la montagne, ça nous changera un peu. Parce qu’entre nous la Bretagne…

Le téléphone sonne.

Alex – Tu crois que c’est encore un maître chanteur ?

Fred – On ne va pas tarder à le savoir…

Alex – Au fait, comment on dit, pour une femme ? Maître chanteur ou maîtresse chanteuse ?

Fred – Décroche !

Il décroche.

Alex – Allô ? Oui… Oui, oui, c’est lui-même… D’accord… Bon… Si, si, je suis très honoré, bien sûr… Merci de m’avoir prévenu… (Il raccroche) C’était quelqu’un du ministère. On va me remettre la Légion d’Honneur… pour l’ensemble de mon œuvre.

Fred – Ah oui ?

Alex – Ça n’a même pas l’air de te surprendre.

Fred – Tu pourras remercier papa. Il en a touché un mot au Premier Ministre.

Alex – Il va encore falloir que j’écrive un discours.

Fred – C’est la rançon de la gloire.

Alex – Enfin… Tant qu’on ne me demande pas d’écrire des livres…

Fred – Eh oui… La vie est un mensonge.

Alex – Tu m’aimes ?

Fred – Que veux-tu que je te réponde ?

Alex – Oui ?

Fred – Alors je t’aime. Et toi ?

Alex – Oui… (Un temps) Je m’aime.

Ils se regardent en souriant.

Noir

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Mars 2018

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-223-3

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Comme un poisson dans l’air

Création Festival d’Avignon Off 2018 à l’Espace Alya

Le spectacle

Neuf monologues mettant en scène autant de personnages tourmentés, aussi à l’aise dans la vie qu’un poisson dans l’air… Une plongée drolatique dans les profondeurs de nos vies superficielles, pour explorer des thèmes aussi divers que la psychanalyse, le ménage, Dieu, l’ennui, la philo, l’amour, la politique… Un seul en scène humoristique à la manière de Desproges ou Woody Allen…

La vie, ce n’est pas la mer à boire, mais on s’en fait souvent une montagne. De ces montagnes à l’envers que sont les gouffres les plus profonds qui, alimentés par des cascades de rires et des torrents de larmes, en reviennent encore et toujours à la mer. Sans être philosophe, et sans s’allonger sur le divan d’un psy, à nos moments perdus ou pendant nos insomnies, chacun d’entre nous s’interroge sur le sens de la vie. En tout cas le sens de la sienne. L’existence ordinaire d’un être qu’on voudrait moins banal. À travers ces monologues croisés qu’on appelle dialogue, nous nous posons ainsi de petites questions sans grandes réponses. Ou même de grandes questions sans un petit début de réponse. À moins que le train train quotidien ne vienne soudain à dérailler pour nous précipiter, pris de vertige, au bord du vide insondable du sens. C’est en effet à partir d’un simple coq à l’âne qu’un fond tourmenté peut remonter à la surface, pour laisser entrevoir entre les vagues, tel un monstre marin, un sens interdit… qui constitue l’essence tragi-comique de nos existences ordinaires. 

 

La bande annonce

 

L’auteur

Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock. Après des études de linguistique (à l’École Pratique des Hautes Études en Sciences Sociale) et de marketing (à Science Po Paris), il devient sémiologue publicitaire. Il participe dans les années 80 aux travaux de recherches du chef de file de la sémiotique française, Algirdas Julien Greimas, qui lui confie la direction de l’Atelier de Sémiotique Publicitaire du Centre National de la Recherche Scientifique. Il exerce en même temps comme sémiologue consultant pour les plus grands instituts de conseil, notamment Ipsos.

Il entame ensuite une carrière de scénariste pour la télévision. Il a écrit une centaine d’épisodes de séries (cf. Avocats & Associés, Équipe Médicale d’Urgence, Enquêtes Réservées, Sur Le Fil, Extrême Limite, Studio Sud, Le Cap des Pins, La Vie Devant Nous, Indaba, La Dernière Réserve…). Il enseigne parallèlement l’écriture de scénario à Paris au Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuel.

Auteur de théâtre. Il a écrit plus de 70 comédies dont :

Vendredi 13, créée au Théâtre Montmartre Galabru à Paris en 2011 et jouée ensuite au Guichet Montparnasse en 2013 puis aux Blancs Manteaux en 2014, ainsi qu’à Broadway au Producers Club Theaters de New York en 2016. Cette pièce a été représentée en espagnol à Madrid, Dallas, Buenos Aires, Montevideo…

Strip Poker, créée au Théâtre de Ménilmontant à Paris en 2008, puis représentée à la Comédie Nation et au Théo Théâtre, ainsi qu’à Avignon au Théâtre des Vents. Cette pièce a été représentée en espagnol à Los Angeles, Miami, Madrid, Buenos Aires, Montevideo…

Les œuvres de Jean-Pierre Martinez sont représentées dans toute la francophonie, et notamment au Canada. Dix-sept de ses comédies, traduites en espagnol, sont aussi régulièrement montées en Espagne et en Amérique Latine. Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains français les plus joués en France et dans le monde.

Jean-Pierre Martinez ne met habituellement pas en scène ses propres textes. Après Elle et Lui, Monologue Interactif, créée à Paris au Théâtre Darius Milhaud en 2007, il signe avec Comme un poisson dans l’air  sa deuxième mise en scène.

 

Le comédien

Au théâtre, il a joué a joué à la fois les classiques comme Molière (Le Bourgeois Gentilhomme) ou Feydeau (La Puce à l’Oreille, Chat en poche, Ne te promène donc pas toute nue), et des auteurs contemporains comme Tonino Benacquista (Un Contrat). On l’a vu en 2016 au Festival d’Avignon dans une pièce de John Murrell adaptée par Eric Emmanuel Schmitt (Sarah ou le cri de la langouste).

À la télévision, il interprète régulièrement des rôles dans des séries (Caïn, Camping Paradis, Alex Hugo, La stagiaire, Candice Renoir…) et des téléfilms (La loi de Christophe, L’affaire de Me Lefort, Meurtres parfaits, Imposture…).

Au cinéma, on a pu le voir jouer avec José Garcia et Michaël Youn (dans le film Vive la France), ainsi qu’avec Alexandra Lamy (dans Vincent). Il sera bientôt à l’écran aux côtés de Virginie Ledoyen ou encore Daniel Auteuil.

 

La compagnie

L’association Libre Théâtre a été créée en mars 2015 par Ruth Martinez pour promouvoir la diffusion du théâtre, notamment en français. Elle est basée à Paris et à Avignon.

L’association a créé la même année le site Libre Théâtre qui met à disposition une bibliothèque numérique des oeuvres théâtrales du domaine public en téléchargement gratuit (plus de 750 œuvres recensées) : libretheatre.fr

La Compagnie Libre Théâtre a été créée début 2018 pour porter des projets, issus d’œuvres mises en valeur sur Libre Théâtre et des textes de Jean-Pierre Martinez. Selon les projets, elle pourra s’associer en tant que coproducteur aux montages de spectacles professionnels concernant le répertoire de La Comédiathèque, notamment dans le cadre du Festival Off d’Avignon.

 

Le texte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NOTE D’INTENTION

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El Último cartucho

Una comedia de Jean-Pierre Martinez

2 personajes : 2 hombres – 1 hombre y 1 mujer – 2 mujeres

Un dramaturgo al borde del abismo recibe a una periodista para una interviú que podría relanzar su carrera. Pero, a veces, en el teatro, las apariencias engañan…


Aquellos textos los ofrece gratuitamente el autor para la lectura. Sin embargo cualquier representación pública, sea profesional o aficionada (incluso gratuita), debe ser autorizada por la Sociedad de Autores encargada de percibir los derechos del autor en el país de representación de la obra. 


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El último cartucho

Una comedia de Jean-Pierre Martínez

PERSONAJES

Dramaturgo
Periodista

Estos dos personajes pueden ser interpretados por hombres o mujeres, según la siguiente distribución : 2 hombres, 1 hombre y 1 mujer, 2 mujeres.

© La Comédi@thèque

Salón en desorden. Un hombre (o una mujer) dormita en un sillón. El sonido del teléfono le sorprende. Descuelga como un sonámbulo.

Dramaturgo (antipático) – ¡Sí! (Sin tomarse el tiempo de escuchar) Supongo que me llama para decirme que se anula la cita, ¿no es así? (Algo más espabilado) ¿Bankia? (Mucho más suave) Perdone… Esperaba la llamada de un periodista que me quiere entrevistar y… Sí… Estoy en números rojos… Ya lo sé… No se preocupen. En este momento me estaba preparando para salir. Tengo que ingresar un talón que me acaba de llegar… Un adelanto por mi nueva comedia… ¿Suele usted ir al teatro? Sí… Ya sé que eso no tiene nada que ver con su llamada… ¿Oiga? No le escucho bien… Es la línea que está defectuosa… Debe ser eso… Perdone, pero están llamando a la puerta. Será el periodista que estoy esperando… Sí, debe ser él… Le vuelvo a llamar enseguida… Tendré que colgar porque no le oigo en absoluto…

Cuelga y suspira. Se levanta lentamente. Su aspecto y su ropa dejan mucho que desear. Vuelven a llamar. Duda por un instante. Se mira en un espejo, intenta poner orden en su ropa. Se peina. El timbre suena de nuevo.

Dramaturgo – Sí… Ahora voy…

Se dirige a la puerta y vuelve al momento seguido por una mujer (o un hombre) más joven, con ropa moderna y un aspecto mucho más en forma.

Periodista – Muchas gracias por recibirme, Don Ramón González

Dramaturgo – Dramón González, por favor.

A la periodista le sorprende el desorden.

Periodista – ¿Decía?

Dramaturgo – No Ramón, sino Dramón, Dramón González. Ese es mi nombre. Pensé que se habría documentado bien antes de venir.

Periodista – Lo siento… Supongo que se trata de un seudónimo…

Dramaturgo – Pues no… ¿Por qué lo dice?

Periodista – No sé… Dramón no es nombre para un escritor… En ese caso, si me permite decirlo, parece una predestinación.

Dramaturgo – Si se me ocurre elegir un seudónimo en algún momento, me llamaría Ultratumba. Al menos estoy seguro de que mis Memorias se venderían bien.

Periodista – Tiene razón… (Lanzando una mirada inquieta a su alrededor) Espero no haberle despertado…

Dramaturgo – ¿Despertarme? ¡Ni mucho menos! ¿Qué le ha hecho pensar que podría haberme despertado?

Periodista – Pues… No sé…

Dramaturgo – Además, ¿Qué hora es?

Periodista – Lo siento, pero no llevo reloj…

Dramaturgo – Por eso ha llegado tarde.

Periodista – ¿Tarde? Pero… Pero si usted no tiene ni idea de la hora que es…

Dramaturgo – Se nota que es usted periodista. Tiene respuesta para todo. Bueno… Vamos a lo nuestro… ¿Me hace la entrevista o qué? Rapidito, que tengo mucho trabajo…

Periodista (entre dientes) – Si usted lo dice…

Dramaturgo – ¿Perdón?

Periodista – Que sí, que tiene razón… Estoy aquí para eso.

Dramaturgo – En primer lugar he de decirle que ha tenido usted suerte. Nunca concedo entrevistas.

Periodista – ¿Se lo proponen con frecuencia?

Dramaturgo – Menos últimamente, es cierto… Pero… En otra época tuve que rechazar muchas entrevistas.

Periodista – De acuerdo…

Dramaturgo – Es usted de esas que piensan que la virtud de las mujeres es inversamente proporcional a su sexapil ¿No es eso?

Periodista – Ni mucho menos… Bueno, quizá sí, pero… No es lo que he querido insinuar…

Dramaturgo – Entonces ¿Qué es lo que ha querido insinuar?

Periodista – Nada en absoluto…

Dramaturgo – Usted ha dicho: “No es lo que he querido insinuar”. Luego, ha querido insinuar algo.

Periodista – Me habré explicado mal, eso es todo.

Dramaturgo – Una periodista que no sabe explicarse… Pues hemos empezado bien…

Periodista – Perdone.

Dramaturgo – Entonces ¿por qué me preguntó eso?

Periodista – ¿Qué es lo que le pregunté?

Dramaturgo – Me preguntó si seguían haciéndome entrevistas.

Periodista – Es posible… Pero soy yo la que debe hacerle las preguntas… Así son las entrevistas ¿O no?

Dramaturgo – Preguntas lógicas, sí… Pero no tonterías.

Periodista – Se refiere, sin duda, a las preguntas que hacen algunos periodistas.

Dramaturgo – No me gustan los periodistas

Periodista – En general, los famosos los detestan.

Dramaturgo – Así es y tiene su lógica.

Periodista – Sin embargo los desconocidos salen del anonimato gracias a la prensa.

Dramaturgo – Eso es lo que usted piensa

Periodista – Lo que piensan los periodistas.

Dramaturgo – También los famosos hacen que se vendan las revistas.

Periodista – Por supuesto que sí. La prensa debe hablar también de los famosos para que no se olviden.

Dramaturgo – ¿Ha venido aquí para hablar del mundo del espectáculo o para preguntarme sobre mi trabajo?

Periodista – No se preocupe… Vamos a ello (Echando un vistazo a la habitación) ¿Puedo sentarme?

Dramaturgo – Por supuesto…

Periodista – Gracias…

Se sienta. Silencio molesto.

Dramaturgo – Perdone. Creo que ambos hemos empezado con mal pie.

Periodista – Por mí no hay problema, se lo aseguro…

Dramaturgo – He perdido la costumbre de ver gente. Me parece que me he convertido en un oso solitario.

Periodista – No tiene que excusarse conmigo, se lo aseguro. Al fin y al cabo he sido yo la que ha irrumpido en su casa

Dramaturgo – ¿Desea algo?

Periodista – Pues si… Me gustaría preguntarle algunas cosas.

Dramaturgo – Me refería a si deseaba tomar algo.

Periodista – Perdón… Pues sí… No le pondría peros a un café.

Dramaturgo – No me queda café. Mejor dicho, sí que tengo café pero no tengo cafetera. Se estropeó hace… Bueno, hace bastante tiempo. Ahora hago café de puchero hirviendo el agua en un cacharro y colándolo después con un clínex. Y, cuando se me acaban los clínex, paso de tomar café.

Periodista – No se preocupe. No tiene importancia.

Dramaturgo – Puedo hacerle una tisana. ¿Le gusta la manzanilla? Claro que… no me queda ni una pizca de azúcar…

Periodista – Es muy tentadora su oferta, pero paso…

Dramaturgo – Pues bien… En ese caso, la escucho…

Periodista – De acuerdo… Mi primera pregunta será si escribe a mano o utiliza ordenador.

El hombre se queda un tanto confuso

Dramaturgo – Perdone, pero… No la he entendido bien. ¿Para qué periódico trabaja usted?

Periodista – La verdad es que no se trata precisamente de un periódico… Quiero decir que no es un periódico de papel, como por ejemplo El País.

Dramaturgo – ¿El País?

Periodista – Se trata más bien de un diario digital, como ahora se llaman.

Dramaturgo – Es decir, por internet…

Periodista – Más bien… La web de la revista Vivir el teatro.

Dramaturgo¿Vivir el teatro?

Periodista – Así se llama… ¿No le gusta el nombre?

Dramaturgo – Sí, sí… Parece más bien una revista para mayores, pero si no hay otra cosa… De cualquier forma tan sólo los viejos van al teatro.

Periodista – Estoy de acuerdo con usted…

Dramaturgo – Vivir el teatro… Por desgracia son pocos los autores que pueden vivir del teatro…

Periodista – La finalidad de nuestra revista es, precisamente, poner en valor a los autores contemporáneos. Esta entrevista hará que los lectores le conozcan mejor. Al menos, como dramaturgo…

Dramaturgo – Ya veo. Entonces su primera pregunta se refiere a si escribo a mano en con ordenador…

Periodista – Eso es.

Dramaturgo – Pues le daré una respuesta que, sin duda alguna, va a dejar perplejos a sus lectores.

Periodista – ¿Y?

Dramaturgo – Pues que, dada mi edad avanzada, siempre he escrito con pluma. Acababa de inventarse la imprenta, así es que el ordenador… ni le cuento.

Periodista – Comprendo.

Dramaturgo – Recuerdo mi primera pluma, una Mont Blanc de tinta que me regaló mi madrina por mi Primera Comunión. La plumilla estaba chapada en oro. Nunca me separaba de ella.

Periodista – De acuerdo. Un objeto transicional en cierto modo.

Dramaturgo – Pues sí… Un sustitutivo de la madre, si lo prefiere. Escribir es una especie de psicoanálisis.

Periodista – ¿De verdad?

Dramaturgo – Tan poco eficaz como el psicoanálisis pero en lugar de gastar dinero siempre se tiene la esperanza de ganarlo.

Periodista – Ya veo…

Dramaturgo – Comprendo que, al verme en este estado, piense que mi análisis no ha funcionado bien…

Periodista – No… Ni mucho menos.

Dramaturgo – ¿Le parece que tengo un aspecto mustio?

Periodista – Mustio no es precisamente el calificativo que se le podría aplicar a primera vista… Pero, sigamos…

Dramaturgo – Después, mi estilográfica se estropeó.

Periodista – Como la cafetera.

Dramaturgo – Así es… Pero, con los derechos de autor que recibí por mi primera obra, me compré una máquina de escribir, una como esas que se ven en las viejas películas en blanco y negro… ¿Ha visto usted “Sunset Boulevard”?

Periodista – Si… Bueno… Es posible… Hace tiempo de eso…

Dramaturgo – Yo no tuve la suerte de encontrar una famosa actriz que me   mantuviera a cambio de escribirle un buen texto.

Periodista – En cualquier caso es interesante… ¿Todavía conserva la máquina de escribir?

Dramaturgo – También se rompió.

Periodista – Pues, vaya…

Dramaturgo – Fue entonces cuando decidí comprar una de las primeras máquinas de escribir eléctricas… En su momento algo revolucionario. Estas máquinas tenían una pequeña pantalla, igual que el ordenador, pero tan sólo de dos o tres líneas y se podían hacer algunas correcciones antes de darle a la tecla definitiva. Con ello se ahorraban tinta y papel. La utilicé durante años, pero después…

Periodista – Se rompió y entonces fue cuando decidió comprar un Mac.

Dramaturgo – No, después fui yo el que se rompió y no tuve más remedio que pagar a un negro.

Periodista – ¿Un negro…? No sé a qué se refiere con lo del negro…

Dramaturgo – Él sí tenía ordenador. Al principio era yo el que le dictaba, pero poco tiempo después, se puso a escribir por su cuenta.

Periodista – ¿El ordenador?

Dramaturgo – ¡El ordenador no… El negro!

Periodista – No me diga…

Dramaturgo – Sabía mucho.

Periodista – Ya veo.

Dramaturgo – No sé si ha oído alguna vez la frase: el estilo, es el hombre.

Periodista – Más o menos…

Dramaturgo – Pues bien el negro en cuestión, tenía mi mismo estilo.

Periodista – ¡Qué suerte!

Dramaturgo – Era sueco.

Periodista – ¿Quién?

Dramaturgo – ¡Mi negro! ¿Quién va a ser?

Periodista – Usted perdone…

Dramaturgo – Cuando contesto a sus preguntas tengo la impresión de que no le interesa en absoluto lo que le digo.

Periodista – ¡Claro que me interesa! Me interesa mucho… ¿Sigue teniendo al negro?

Dramaturgo – Pues no… Y esa es la razón por la que no he escrito nada desde hace años…

Periodista – ¿Se volvió a Suecia?

Dramaturgo – No… Simplemente, se murió.

Periodista – ¡Coño…! Usted perdone… Debió ser triste.

Dramaturgo – Sí… Estábamos muy unidos. Pero… Las cosas son así… Lo cierto es que empezó a creerse un auténtico autor. Tuve que deshacerme de él.

Periodista – ¿Deshacerse?

Dramaturgo – Un poco de arsénico todos los días en su infusión de manzanilla. Murió como Madame Bovary.

Periodista – Pues si…

Dramaturgo – Flaubert decía: Madame Bovary soy yo mismo. Y, tenía razón. Un poco de mí murió con Antonio.

Periodista – ¿Antonio?

Dramaturgo – ¡Así se llamaba mi negro sueco! Nunca pude volver a encontrar mi estilo tras su muerte.

Periodista – Y fue entonces cuando dejó de escribir.

Dramaturgo – Me quedé bloqueado en mi obra número 124.

Periodista – ¡Cuánto lo siento!

Dramaturgo – Es cierto que fue difícil. Pensando que así recuperaría la inspiración de los primeros tiempos, con los pocos euros que me quedaban compré otra estilográfica Mont Blanc.

Periodista – Pero no fue suficiente…

Dramaturgo – Estaba al borde del suicidio… Además no me quedaba ni un céntimo para comprar los cartuchos.

Periodista – Para su escopeta…

Dramaturgo – ¡No, para la escopeta no…! Para la estilográfica…

Periodista – Lo siento

Dramaturgo – Conservaba una jeringuilla de mi época de heroinómano y con ella me sacaba sangre todas las mañanas para rellenar la estilográfica. Me habían encargado una comedia. Pero… la tinta roja tan sólo podía inspirar ideas negras (Ante la estupefacción de la periodista) ¿No toma nota de lo que le voy contando?

Periodista – Sí… Claro… Aquí tengo mi registradora… (Saca un magnetófono pequeño) Pero… La verdad es que no estoy segura de que deba grabar lo que me cuenta…

Dramaturgo – ¿Acaso ha creído todas las tonterías que acabo de contarla?

La periodista se da cuenta de que le ha estado tomando el pelo.

Periodista – Una broma… Claro… Muy ingenioso… Un negro sueco…. No conocía su faceta de autor cómico.

Dramaturgo – Seguramente por eso me han enviado una actriz cómica para hacerme la entrevista… ¿Sigue sin apetecerle una infusión de manzanilla?

Periodista – ¿Con o sin arsénico?

Risa forzada de la periodista.

Dramaturgo (muy serio) – ¿Quiere preguntarme algo más?

Periodista – Pues… Si… Me gustó mucho su primer trabajo. ¿Ha escrito más obras?

Dramaturgo – ¿Decía?

Periodista – Me refiero a obras salidas de su pluma, no de la del negro sueco. (Se rie de su broma) Estoy bromeando, claro…

El dramaturgo permanece serio.

Dramaturgo – He escrito un total de 123 piezas teatrales.

Periodista – ¡123! No está mal… ¿Y de qué tratan?

Dramaturgo (escandalizado) – ¿Que de qué tratan? ¿Ha venido a que le hable de mi teatro sin haber leído nada?

Periodista – No he leído las 123, pero…

Dramaturgo – ¿Cuántas ha leído exactamente?

Periodista – Quizá… Una… Precisamente la primera… Vamos, si acaso… las primeras páginas. Me pidieron que viniera a entrevistarle así, de repente… Estoy sustituyendo a un colega de Vivir el Teatro que se suicidó ayer.

Dramaturgo – ¿Cuántas páginas?

Periodista – Para ser sincera le diré que no he podido pasar de la página 5.

Dramaturgo – ¡Pero si el texto empieza en la página 6…!

Periodista – El título me gustó mucho…

Dramaturgo – ¿No me diga? (Irónico) Pues a ver… Dígame como se llamaba mi primera obra… En este momento tengo un lapsus…

Periodista – Yo tampoco me acuerdo, pero sí que sé que me gustó muchísimo.

Dramaturgo – ¿Me puede enseñar su carnet de prensa?

Periodista – Bueno… Sí… (Hace como si rebuscara en sus bolsillos) Es decir que… Me pregunto si…

Dramaturgo – Usted no es periodista…

Duda un instante antes de contestar.

Periodista – Pues no…

Dramaturgo – Ya veo. O sea que ha venido a robarme ¿no es así? Es lo habitual. El ladrón se hace pasar, por ejemplo, por empleado del gas y aprovecha un despiste del dueño de la casa para robar los ahorros escondidos bajo el colchón.

Periodista – Le aseguro que…

Dramaturgo – Claro… No puede ser… No habría elegido el hacerse pasar por una periodista literaria.

Periodista – En efecto, yo…

Dramaturgo – Hubiera sido más convincente como repartidora de pizzas.

Periodista – Tiene razón…

Dramaturgo – Pues si ha venido a mi casa en busca de dinero… Si quiere podemos buscar juntos.

Periodista – Soy actriz.

Dramaturgo – Pues si ha venido aquí en busca de un papel es que es usted todavía más tonta de lo que pensaba. Y puede creerme que había puesto el listón muy alto.

Periodista – Es la primera vez que interpreto el papel de periodista y no he tenido mucho tiempo para prepararlo.

Dramaturgo – Tampoco hay que dejar al lado la posibilidad de que sea usted una actriz mediocre. Ahora dígame, ¿Quién es el director de esa comedia tan mala?

Periodista – Su agente…

Dramaturgo – ¿Mi agente? No soy consciente de tener ningún agente…

Periodista – Pensó que una entrevista sería el medio idóneo para que recuperara su ego y se pusiera a escribir.

Dramaturgo – Ese tipo es más tonto de lo que pensaba…

Periodista – Su agente lleva casi un año esperando un nuevo manuscrito.

Dramaturgo – Qué quiere que le diga… He perdido la inspiración, como se suele decir. Para un autor, la falta de inspiración es como para un actor quedarse en blanco… Nunca se sabe cuándo va a llegar y mucho menos cuándo se va a recuperar.

Periodista – Un año… Demasiado tiempo para quedarse en blanco.

Dramaturgo – Usted, que no ha leído ni la primera de mis 123 comedias, no es la más indicada para pedirme que escriba la 124.

Periodista – Personalmente, a mí me da lo mismo. Pero su agente sigue interesado, tanto como para haberme pagado cien euros para que interpretara esta inocente y breve comedia.

Dramaturgo – ¿Cien euros? No pensé que mi agente me valorara tanto.

Pequeño silencio.

Periodista – Entonces, ¿Qué hacemos?

Dramaturgo – ¿Qué quiere decir con “qué hacemos?

Periodista – No soy periodista. Ahora que lo sabe, no creo que tengamos que seguir con la entrevista.

Dramaturgo – ¿Y por qué no? ¿Quizá otras preguntas apasionantes sobre mi obra teatral? Saber dónde guardo los calcetines y los calzoncillos… Si me gusta más el mar o la montaña… Los croissants o los churros…

Periodista – Entiendo que no está dispuesto a colaborar. No sé qué voy a decirle.

Dramaturgo – ¿A quién?

Periodista – A Jorge, su agente.

Dramaturgo – ¿Ese es su problema? Pues… Invéntese algo.

Periodista – Lo cierto es que me tenía que dar otros cien euros por la entrevista.

Dramaturgo – Ya veo… La mitad al pedido y la otra mitad a la entrega de la mercancía. Se ve que ha depositado en usted una confianza sin límites

Periodista – Tendría que haberle entregado la cinta grabada.

Dramaturgo – ¿No me diga que pretende hacerme ahora la entrevista?

Periodista – Podríamos ir a pachas

Dramaturgo – ¿A pachas… Con qué?

Periodista – Cien euros para cada uno.

Dramaturgo – Usted no está bien de la cabeza.

Periodista – Mire, tengo hambre, eso es todo. Y, según lo que me ha contado su agente, usted tampoco está muy boyante. Ya no escribe y nadie interpreta sus obras.

Dramaturgo – Gracias por haber tenido la delicadeza de recordármelo.

La periodista observa despreciativamente el entorno

Periodista – Con ese dinero podría, por lo menos, darle una pintadita a la casa.

Dramaturgo – ¿Con cien euros? Si conoce algún pintor que trabaje por ese precio y en negro, le agradecería que me diera su teléfono.

Periodista – Pues con cien euros podría, al menos, comprar la pintura y un rodillo.

Dramaturgo – ¿Lo haría usted misma?

Periodista – ¿Por qué no? Desde luego, cobrando…

Dramaturgo – Mire señorita, yo estoy al límite y usted pretende tomarme el pelo. Para escribir una comedia realmente no es necesario sentirse optimista, pero existen límites. Hay que seguir creyendo que burlarse de los tontos puede servir para que algunos mejoren.

Periodista – Me parece que se mira usted demasiado el ombligo.

Dramaturgo – ¿Eso cree?

Periodista – Pues si… Escribir teatro no es algo terrible… Hay oficios mucho peores ¿O no es así?

Dramaturgo – Sí… Seguramente…

Periodista – ¿Seguramente? ¿Acaso no sabe que hay gente que se ve obligada a levantarse cada mañana, pasar una hora en el metro para trabajar como cajeros en el Corte Inglés? Y todo eso por el sueldo mínimo interestatal.

Dramaturgo – ¿Es esa la razón por la que eligió trabajar como actriz a domicilio?

Periodista – Acepto lo que me ofrecen… Y mi agente todavía no me ha ofrecido ningún papel de importancia.

Dramaturgo – Debe ser tan inútil como el mío.

Periodista – Es el mismo…

Dramaturgo – De acuerdo… (Silencio) Quizá tenga razón, finalmente y visto el mundo que nos rodea, usted saldrá adelante con su trabajo chusquero mejor que yo con mis comedias.

Periodista – Gracias…

Dramaturgo – Pienso, luego existo. ¡Qué cretino el tal Descartes! Resulta evidente que para subsistir en este mundo de mierda, lo primero que hay que hacer es dejar de pensar.

Periodista – Tiene razón…

Dramaturgo – Pero claro… Dejar de pensar es como dejar de fumar. Resulta mucho más fácil cuando nunca se ha hecho.

Periodista – Si lo dice por mí… Yo nunca he fumado.

Dramaturgo – Sin ir más lejos, estoy pensando en que tengo que proponerle un trabajo.

Periodista – Estupendo… siempre y cuando esté dentro de mis competencias.

Dramaturgo – Visto así, quizá exceda un tanto sus posibilidades.

Periodista – ¿Entonces?

Dramaturgo – ¿Le gustaría ser mi negro?

Periodista – ¿Perdone?

Dramaturgo – Por una razón que desconozco, mi agente está empeñado en que escriba una comedia. Usted podría escribirla por mí.

Periodista – Pero… ¡Si yo no soy dramaturga!

Dramaturgo – Tampoco es usted una auténtica actriz.

Periodista – Bueno… Eso habría que verlo… ¿Y cuánto se gana como negro?

Dramaturgo – Depende de la importancia del autor que firmará en lugar de usted.

Periodista – Y, por lo que veo, no es como para tirar cohetes… Usted tampoco era tan conocido… Y, según su agente, ya nadie se acuerda de usted.

Dramaturgo – Y pensar que la ha contratado para remontarme la moral.

Periodista – Intento ser realista, eso es todo.

Dramaturgo – Bueno, ¿Le interesa o no le interesa?

Llaman a la puerta

Periodista – Si espera a alguien, yo me esfumo.

Dramaturgo – No espero a nadie.

Va a abrir. La periodista guarda la grabadora y se pone el impermeable con la intención de marcharse. Él vuelve con un sobre abierto y un papel en la mano.

Dramaturgo – Era el cartero…

Periodista – Yo ya me iba…

Dramaturgo (autoritariamente) – ¡Siéntese!

Se sienta, sorprendida por la actitud del hombre, mientras éste examina, perplejo, el papel que tiene en la mano

Periodista – ¿Es la factura del gas?

Dramaturgo – ¿El gas…? Me lo cortaron hace tiempo, de lo contrario podría no estar aquí hablando con usted.

Periodista – ¿Entonces?

Dramaturgo – Se trata de mi agente. Me manda un contrato de exclusividad para mi próximo trabajo.

Periodista – ¿Un contrato?

Dramaturgo – Me pide que lo firme y se lo haga llegar inmediatamente. Cada vez entiendo menos lo que está pasando. (Saca un cheque del sobre) Incluso me manda un adelanto…

Periodista – ¿De cuanto?

Dramaturgo – De 500.

Periodista – ¡500 euros! No puede tratarse de una broma.

Dramaturgo – La verdad es que no sé qué pensar… Desde que usted ha llegado ocurren cosas raras. No sé si me está tomando el pelo

Periodista – De cualquier forma, ahora que tiene el dinero, ya no puede dudar. No va a tener más remedio que escribir la comedia.

Dramaturgo – Podría devolver el cheque. Todavía no he firmado el contrato. Imagino que esta especie de entrevista estaba destinada a convencerme.

Periodista – Entonces ¿va a firmar?

Dramaturgo – No me gusta que me presionen cuando escribo… Pero este montón de facturas impagadas me obliga a reflexionar un poco. Si quiero suicidarme sin dolor, será mejor que pague la factura del gas.

Periodista – ¿Y mis 200 euros?

Dramaturgo – ¿No habíamos quedado en que los repartiríamos?

Periodista – Me parecería algo mezquino ahora que es usted un autor al que le hacen encargos.

Dramaturgo – No tan deprisa. Todavía tengo que encontrar un tema que me inspire.

Periodista – Le aseguro que, por 500 euros, yo sería capaz de escribir cualquier cosa.

El hombre se queda mirándola.

Dramaturgo – ¿Y por 250?

Periodista – ¿250?

Dramaturgo – ¡La mitad de 500! Por lo que veo usted no ha rechazado mi propuesta.

Periodista – ¿Qué propuesta?

Dramaturgo – La de ser mi negro.

Periodista – No… Ni hablar… No hablaba en serio. Dije que sería capaz de escribir cualquier cosa, pero nada que tuviera que ver con el teatro. Y, mucho menos con una obra maestra.

Dramaturgo – ¿Cualquier cosa? Eso es justamente lo que esperaba de usted.

Periodista – No le entiendo.

Dramaturgo – Yo, modestamente, le diré que lo único que sé escribir son obras maestras. No sé escribir sobre cualquier cosa. Eso es lo que me bloquea ¿Comprende? (Silencio) Cuando la miro veo en usted un ser básico y tengo la impresión de…

Periodista – Es decir que…

Dramaturgo – Mi agente me manda un adelanto para que escriba una comedia, pero resulta que he perdido la inspiración necesaria para escribir. ¿Me sigue?

Periodista – Creo que sí…

Dramaturgo – Podría escribir cualquier cosa para conservar el cheque, como lo haría alguno de mis compadres, pero yo no sé escribir sobre cualquier cosa.

Periodista – Y eso… ¿por qué?

Dramaturgo – Imagino que se trata de un antiguo resto de culpabilidad judeo-cristiana… Además, el muy cretino de mi agente sabe que yo no soy capaz de escribir cualquier cosa.

Periodista – ¿Y entonces…?

Dramaturgo – Entonces es a usted a quién corresponde escribir cualquier cosa.

Periodista – ¿Está seguro?

Dramaturgo – Tengo plena confianza en usted.

Periodista – Pero por qué no contrata a un negro auténtico, que sepa escribir.

Dramaturgo – Estaría bien si se pudiera encontrar uno por 250 euros. Entonces ya lo hubiera hecho.

Periodista – De acuerdo…

Dramaturgo – ¿Eso significa que está usted de acuerdo?

Periodista – No… De acuerdo significa que le comprendo…

Dramaturgo – ¿Y entonces?

Periodista – ¿Pero realmente está usted seguro de que podría escribir cualquier cosa?

Dramaturgo – De lo que estoy seguro es de que usted tan sólo podría escribir cualquier cosa.

Periodista – Pero su agente… es decir, nuestro agente, se va a dar cuenta de que usted ha escrito cualquier cosa.

Dramaturgo – ¿Mi agente? Pero si es él quien ha montado esta ridícula comedia para obligarme a escribir sobre algo que no me gusta escribir. No va a recibir más que la calderilla.

Periodista – Mejor diría yo que él tendrá su comedia y usted la pasta.

Dramaturgo – Se da cuenta de que cuando quiere hasta puede ser ingeniosa. ¿Entonces?

Periodista – Bueno… Después de todo no arriesgo nada…

Dramaturgo – Hacer el ridículo

Periodista – Pero el ridículo no mata.

Dramaturgo – Si el ridículo matara, créame, usted habría desaparecido de este mundo hace mucho tiempo.

Periodista – Okey… ¿Cuándo empiezo? Espere un momento… (Ojea su agenda) Esta semana no va a ser posible… Quizá pueda liberarme a partir del lunes próximo.

El hombre le arranca la agenda de las manos para comprobar lo que dice

Dramaturgo – Hay tantas páginas en blanco en su agenda que podría utilizarla para escribir la comedia. Perdón… No me había dado cuenta que tiene una cita con su oftalmólogo dentro de tres meses.

Periodista – Ya sabe lo que tardan los especialistas en dar una cita. (El hombre la mira con impaciencia) Vale… Entonces, ¿cuándo empiezo?

Dramaturgo – Pues… Ahora mismo, aprovechando que está aquí.

Suena el teléfono. No hace caso.

Periodista – ¿No va a contestar?

Dramaturgo – Supongo que es mi banco para recordarme que estoy en números rojos.

Periodista – Seguramente… Creo que debemos tener el mismo banco.

Dramaturgo – El mío es Bankia

Periodista – No pueden dejar en paz a los pobres.

Se escucha el mensaje dejado en el contestador

Voz – Buenos días, soy Juan María de Blancafort, presidente de la Fundación Reina de los Montes. Tengo el placer de comunicarle que nuestra Fundación ha decidido concederle el Gran Premio de la Reina de los Montes por el conjunto de su obra. Le ruego que nos llame lo antes posible para ultimar los detalles de la ceremonia.

Periodista – Podría tratarse de otro montaje de su agente.

Dramaturgo – Es una hipótesis posible, desde luego.

Periodista – ¿Qué otra cosa podría ser?

Dramaturgo – ¿Entonces usted no cree ni por un segundo que yo podría recibir una recompensa por el conjunto de mi obra?

Periodista – La verdad es que no se… Como no he leído nada suyo…

Dramaturgo – En todo caso es una pena que no sea usted realmente periodista. Sería la primera en entrevistar al nuevo Laureado de la Fundación Reina de los Montes.

Periodista – Lo siento, pero nunca he oído hablar de esa Fundación.

Dramaturgo – ¿Nunca ha oído hablar de ella? Pues el Premio de la Reina de los Montes es para los dramaturgos como el Pulitzer para los periodistas.

Periodista – Tampoco he oído hablar de eso.

Dramaturgo – Claro… como no es periodista… Le pondré otro ejemplo… Es como el de Princesa de Asturias…

Periodista – ¿Algo así como el Nobel de literatura?

Dramaturgo – Bueno… Tampoco hay que exagerar… Con una buena promoción en una librería famosa, se podría dar un impulso a la venta de mi nueva comedia.

Periodista – ¿Incluso si la comedia es mala?

Dramaturgo – Aunque su cultura deje mucho que desear no se le habrá pasado por alto que los mayores éxitos en las librerías rara vez son obras maestras. Incluso en pocas ocasiones han sido escritos por el propio autor. Muchos de ellos ni siquiera los han leído.

Periodista – O sea que, en general, los que firman este tipo de best-sellers son unos bestias, mientras que los que escriben son los auténticos autores.

Dramaturgo – Más bien al contrario.

Periodista – Pues eso no dice nada bueno de su agente.

Dramaturgo – Me parece que usted no ha entendido nada. Ese chorizo ha sabido antes que yo lo del premio. Por eso me manda un contrato para que lo firme a toda velocidad y tener así en exclusiva los derechos de mi próxima comedia. Y eso con un desembolso mínimo de 500 euros, cuando sabe que, con la publicidad que tendrá lo del premio, me voy a convertir en un autor de éxito. ¿Le parece honesto?

Periodista – Confieso en que no soy especialista en materia de honestidad.

Dramaturgo – Eso sin hablar del ridículo montaje de la entrevista para convencerme de que me pusiera a escribir.

Periodista – Es cierto que visto de esa forma…

Dramaturgo – ¿Entonces va a escribir esa comedia, sí o no?

Periodista (tras reflexionar por unos instantes) – Okey… Pero también quiero los 200 euros de la entrevista…

Dramaturgo – Habíamos quedado en compartir.

Periodista – Sí, pero ahora es usted un escritor de éxito.

Dramaturgo – De acuerdo. Pues, ¡manos a la obra!

Periodista – Ahora sí que le acepto una manzanilla.

Dramaturgo – Francamente, no se lo aconsejo… La tengo guardada junto al arsénico… Pero le puedo aconsejar algo que ayuda a muchos autores. (Saca una botella de whisky) He aquí una poción mágica para inspirarse. Yo lo he venido utilizando desde niño y ya no me hace efecto…

Periodista – De acuerdo… (Se sirve un vaso que apura hasta el fin, hace una mueca, y mira la etiqueta) ¿Whisky sueco? No estará intentando envenenarme a mí también…

Dramaturgo – No antes de que haya acabado mi comedia (Le entrega una pluma estilográfica) Le confío solemnemente mi estilográfica Mont Blanc. Que la fuerza la acompañe. Hay papel en la mesa. Siéntese y escriba.

Periodista (sentándose) – Aunque escriba sobre cualquier cosa no estoy segura de poder terminar un libro…

Dramaturgo – Se trata de una obra de teatro. Con unas cincuenta páginas, puede ser suficiente.

Periodista – ¿Cincuenta páginas?

Dramaturgo – Piense que se está examinando de bachillerato y que tiene que escribir una redacción algo más larga de lo habitual.

Periodista (avergonzada) – ¿El bachillerato?

Dramaturgo – ¿No ha hecho el bachillerato? Debería haberlo sospechado…

Periodista – Pude haberme examinado, pero perdí el tren.

Dramaturgo – Entonces piense en una carta muy larga.

Periodista – Siempre mando WhatsApps.

Dramaturgo – Se trata de diálogos. Punto y aparte después de cada frase y se salta una línea cada vez. La mitad de una obra de teatro es lo que hay entre líneas… Es decir, el blanco del papel.

Dramaturgo – Si le parece escribiremos la comedia a cuatro manos. Usted escribe las líneas y yo el interlineado.

Periodista – Y, claro, luego lo firmará Ramón González

Dramaturgo – Dramón, señorita, Dramón González… Pues sí, lo firmaré yo, como es lógico. ¿Acaso piensa que Miguel Ángel pintó todos los cuadros firmados por él? Pues se equivoca. Lo único que hacía era dar el último toque.

Periodista – De cualquier forma, yo no soy escritora.

Dramaturgo – ¡Todos podemos ser escritores! Sobre todo, dramaturgos. La prueba es que no existen escuelas para ello. Es uno de esos raros oficios, junto con el de repartidor de pizzas y el de psicoanalista, que se puede ejercer sin título alguno. Incluso tengo mis dudas si para repartir pizzas piden algo… Al menos hay que saber conducir una scooter.

Periodista – A pesar de todo es un trabajo de responsabilidad

Dramaturgo – Con un único cartucho de tinta tendrá suficiente para escribir la comedia. Si se tratara de una novela le harían falta 5 o 6.

Periodista – Está bien…

Dramaturgo – Es un oficio de vagos, se lo aseguro. Es muy sencillo. Tan sólo nos superan los poetas. Escriben cinco líneas con tres palabras en cada línea dejando todo el resto de la página en blanco. Y, la gente dice que son genios.

Periodista – Me pregunto si no hubiera sido mejor ser el negro de un poeta.

Dramaturgo – De eso nada… Ni lo sueñe. No existe un poeta capaz de poder pagarse un negro, incluso a plazos.

Periodista – De acuerdo… Pero, no sé por dónde empezar…

Dramaturgo – Sin duda el comienzo siempre es lo más duro. Sobre todo para una comedia de humor.

Periodista – O sea que se trata de hacer reír…

Dramaturgo – Tiene que ser una comedia popular, especial para la Fundación Reina de los Montes.

Periodista – Es curioso… Pero yo no le veo como autor cómico.

Dramaturgo – De eso hace mucho tiempo. Por eso ahora necesito un negro.

Periodista – Pues yo no sé si seré capaz de tener gracia escribiendo.

Dramaturgo – No la estoy pidiendo que sea ingeniosa. Tan sólo que ejerza su natural comicidad…

Periodista – Eso no me ayuda en absoluto

Dramaturgo – Veamos… Quizá hay en su vida alguien al quien le gustaría matar.

Periodista – ¿Matar?

Dramaturgo – Para eso sirve la comedia. Pongamos un ejemplo. La ley le impide desembarazarse de su suegra, por lo tanto usted va y escribe una comedia donde se le ofrece su cabeza en bandeja.

Periodista – No estoy casada. ¿Usted tiene suegra?

Dramaturgo – Ya no. Mi mujer me abandonó. Estoy tan desesperado que incluso echo de menos a mi suegra. ¿Cómo quiere que escriba una buena comedia en estas condiciones?

Periodista – No tengo ni idea… Déjeme pensar… Ah… Sí… Yo detestaba a mi hermana.

Dramaturgo – Bien…

Periodista – Por desgracia murió… Por lo tanto no creo que sirva…

Dramaturgo – Depende. También hay muertos divertidos. ¿Me puede decir cómo murió?

Periodista – De un cáncer.

Dramaturgo – Ya… En ese caso… No nos sirve. Es muy difícil hacer reír con el cáncer. Sobre todo cuando se trata de un familiar.

Periodista – Tiene razón… ¡Qué mala pata!

Dramaturgo – Hay asuntos, como ese, que, sin saber por qué, son totalmente negados para la comedia. Quizá sea porque son enfermedades largas. En el teatro, los muertos más divertidos son los que mueren de repente. Un hombre cuenta que a su mujer acaba de pasarle un tren por encima cuando volvía del peluquero. Eso puede tener cierta gracia. Sin embargo no se te ocurra hablar de un muerto por cáncer de vesícula tras tres años de quimio porque no le haría gracia a nadie. ¡Vaya usted a saber por qué! Pero, es así.

Periodista – ¿Y?

Dramaturgo – Ahora debe intentarlo…

Llaman a la puerta

Periodista – ¿Espera a alguien?

Dramaturgo – Debe ser un mensajero. Viene a por el contrato firmado. ¿Me deja la pluma, por favor?

Cogiendo el contrato

Periodista (inquieta) – ¿Está usted seguro?

Dramaturgo – No sé por qué pero creo en usted… (Firma el contrato y le devuelve la pluma) Si tiene una idea antes de que se marche el mensajero, no dude en decírmelo.

Sale. Suena el móvil de la periodista. Contesta.

Periodista – Sí… No, todavía estoy con él… Sí, sí, no se preocupe, acaba de firmar el contrato… Ahora tengo que colgar… Luego le llamo…

Se guarda el teléfono. Vuelve el hombre.

Dramaturgo – Bueno, pues ahora ya está todo hecho. Acabo de vender su alma al diablo por 500 euros. Ni en sus sueños más locos hubiera podido imaginar conseguir un precio tan alto.

Periodista – Tampoco es para tanto… Pensé que usted sería un autor responsable…

Dramaturgo – La mayor parte de los autores escriben para pagar los impuestos del año anterior con los adelantos que les corresponden por los libros que escribirán al año siguiente. El día en que los impuestos se paguen en el año corriente, bajará mucho el número de publicaciones.

Periodista – No entiendo nada de eso. Nunca he hecho una declaración de la Renta.

Dramaturgo – Pues ha tenido suerte… En cuanto entras en el engranaje, ya no te puedes salir. Pero… Vamos a lo nuestro. ¿Dónde estábamos?

Periodista – En ningún sitio. Tengo miedo…

Dramaturgo – Eso es lo que me temía.

Periodista – ¿Y si escribiéramos sobre un autor que ha perdido la inspiración?

Dramaturgo – Ya veo… Una chica llama a su puerta, diciendo que es periodista…

Periodista – ¿Y por qué no?

Dramaturgo – El teatro dentro del teatro… Me había prometido no caer tan bajo.

Periodista – Usted dijo que se podía escribir sobre cualquier cosa.

Dramaturgo – Bien… ¿Y cómo acabaría?

Periodista – No tengo ni idea…

Dramaturgo – ¿Le apetece otro whisky?

Dicho y hecho.

Periodista – No sé si debo…

Dramaturgo – ¡Vamos… Beba!

Vacía el vaso de un trago.

Periodista – Creo que necesito echarme un rato. Estoy segura que las ideas vendrán fácilmente si duermo.

Dramaturgo – ¡Vamos! ¡No la pago por dormir!

Periodista – De momento, todavía no he visto ni un céntimo… Quizá tenga razón. Seguramente un pequeño adelanto conseguiría motivarme un poco…

Dramaturgo – Aunque quisiera hacerlo dudo mucho que Bankia me conceda otro crédito con el que poder darle un adelanto. Además, es usted nula como negro. Le pido que escriba sobre cualquier cosa, y no se le ocurre nada.

Periodista – Yo también tengo que cuidar mi reputación. No quiero quedar en ridículo escribiendo cualquier cosa.

Dramaturgo – Pero si su nombre no aparecerá en ningún sitio! ¡Seré yo quien firme!

Periodista – Es posible, pero yo sí sabré quién lo ha escrito. A pesar de todo tengo mi amor propio.

Dramaturgo – Está bien… Pues nadie le impide escribir una obra de arte.

Periodista – ¿Y por qué no? Quizá soy menos tonta de lo que usted cree.

Dramaturgo – Adelante… ¡Asómbreme!

Periodista – ¡Adelante, adelante…! No sé cómo quiere que me ponga a trabajar con tanto whisky. Además empiezo a tener hambre. No tiene por ahí algo que echarse a la boca.

Dramaturgo – La he contratado para trabajar no para engullir.

Periodista – Ya sabe lo que se dice: el hambre es una mala consejera.

El hombre saca un paquete de galletas y se lo ofrece a la chica.

Dramaturgo – Tenga. Me quedan unas cuántas Marías.

Periodista – Gracias. (Coge uno y se lo lleva a la boca) Están un tanto caducas sus Marías.

Dramaturgo – ¿Quiere que bajea comprar otro paquete?

Periodista – Me arreglaré con éste (Se come otra galleta) Tengo una idea.

Dramaturgo (sobresaltado) – Me echo a temblar.

Periodista – Un chico se enamora de una chica, pero las familias se detestan.

Dramaturgo – Eso es Romeo y Julieta

Periodista – Pues entonces… Un chico se enamora de una chica pero el padre mata accidentalmente al de ésta.

DramaturgoEl Cid

Periodista – Un chico ama a una chica pero en realidad se trata de un hombre.

DramaturgoCon faldas y a lo loco.

Periodista – Pues esa obra no la conozco.

Dramaturgo – Es una película

Periodista – ¿Está seguro?

Dramaturgo – Totalmente

Periodista – Un chico ama a un chico pero en realidad se trata de una mujer

DramaturgoVictor o Victoria.

Periodista – Una mujer ama a una mujer pero en realidad se trata de un hombre.

DramaturgoTootsie.

Periodista – ¡Coño! No creí que fuera tan difícil ser autor contemporáneo. ¿Es que ya todo está escrito?

Dramaturgo – Todo…

Periodista – Sobre todo lo más ingenioso, supongo…

Dramaturgo – No nos han dejado ni las migas…

Periodista – Los muy cerdos.

Dramaturgo – Shakespeare, Lope de Vega… Para ellos era fácil… No se había escrito casi nada todavía. Las buenas ideas estaban al alcance de la mano. Por lo tanto, todos los que no eran analfabetos, como la mayor parte de sus contemporáneos, tenían muchas posibilidades de pasar a la posteridad.

Periodista – Es verdad… Ya no hay ni una rendija por donde colarse.

Dramaturgo – Por eso es por lo que no me siento en condiciones de escribir una obra de arte y le pido a usted que escriba cualquier cosa.

Silencio

Periodista – Me tomaría otro whiskicito.

Se lo bebe de un trago

Dramaturgo – Poco a poco, mujer.

Deja la botella y lanza un alarido de satisfacción.

Periodista – ¡Ya lo he encontrado!

Dramaturgo – No me diga.

Periodista – Y éste me juego de que no es ni de Calderón ni de Lope.

Dramaturgo – Soy todo oídos.

Periodista – Una pareja recibe en su casa a una amiga que acaba de perder a su marido en un accidente de avión. Mientras tratan de consolar a la viuda se enteran que les ha tocado el bonoloto.

Dramaturgo – ¡Fantástico!

Periodista – Es que cuando me pongo…

Dramaturgo – Acaba de resumir el contenido de mi primera comedia.

Periodista – ¿No me diga?

Dramaturgo – Esa que no ha leído.

Periodista – Los grandes genios se encuentran.

Dramaturgo – Eso si usted hubiera nacido antes que yo. Entonces podría haber escrito esa comedia que, por cierto, es uno de mis mayores éxitos.

Periodista – Quizá he leído el resumen en la Guía del Ocio.

Dramaturgo – Dejé de escribir el día en que empecé a plagiarme a mí mismo.

Silencio

Periodista – ¿No hay más galletas María?

Dramaturgo – Se las ha comido todas.

Periodista – El paquete estaba abierto desde Dios sabe cuándo. Espero no haberme intoxicado.

Dramaturgo – Si se intoxica puede pedir la baja por enfermedad. Pero le advierto que nosotros, los autores, cuando estamos enfermos y no podemos trabajar, no cobramos ni un céntimo. No le digo lo que pasa con los negros.

Periodista – La verdad es que me apetecería echarme algo al coleto.

Dramaturgo – Sólo piensa en comer.

Periodista – Eso es lo que suelen decir los que nunca han pasado hambre.

Dramaturgo – Echaré un vistazo al frigo a ver si queda algo…

Periodista – Y, otra cosa…

Dramaturgo – A ver qué se le ocurre ahora…

Periodista – No me gusta nada lo de… negro.

Dramaturgo – ¿Y eso?

Periodista – Lo encuentro degradante.

Dramaturgo – ¿Degradante para quién?

Periodista – Para mí.

Dramaturgo – ¿Entonces cómo quiere que la llame? ¿La doble del autor? Las grandes actrices tienen sus dobles para algunas escenas que no quieren rodar. ¿Por qué no podemos tener los autores un doble para las comedias que no nos apetece escribir?

Periodista – No tengo ni idea… Oficialmente yo podría ser… su secretaria particular.

Dramaturgo – ¿Mi secretaria?

Periodista – Si salimos juntos y tiene que presentarme a alguien no va a ir diciendo por ahí, aquí mi negro.

Dramaturgo – La verdad es que ni se me había ocurrido pensar que pudiéramos salir juntos…     

Periodista – En todo caso… necesitaré una cobertura legal.

Dramaturgo – ¿Una cobertura?

Periodista – Sí, un respaldo legal… Un negro trabaja en negro… ¿No es así? Y eso no es nada legal. Por lo tanto necesitaré una cobertura social. Además, tengo que pensar en mi jubilación.

Dramaturgo – ¿Y por qué no también tickets de restaurante?

Periodista – De acuerdo… Pero seré su secretaria particular.

Dramaturgo – Y en cuanto a los tickets de restaurante, miraré en el frigo a ver si queda algún resto de queso.

Suena el teléfono en el momento en que va a salir.

Periodista (descuelga) – Aquí la secretaria de don Dramón González… ¿Con quién tengo el gusto de hablar? (Él le hace ver que no quiere ponerse) No, no puede ponerse… ¿Que por qué? Porque… se ha muerto… Sí, estoy completamente segura. Acaba de llegar el forense… Ah… Sí… ¡Que buena noticia! Pero, en ese caso, será a título póstumo. Lo siento mucho. Tengo que dejarle porque van a hacerle ahora mismo la autopsia… Adiós…

Dramaturgo (estupefacto) – ¿Pero quién era?

Periodista – Don Juan Rodriguez de Gándazuelo, el presidente de la Unión de Autores de Teatro. Por lo visto el Ministro de Cultura quería imponerle la Medalla de Caballero de las Artes y las Ciencias.

Dramaturgo – ¿Y le ha dicho que me he muerto?

Periodista – Me dijo por señas que no quería hablar con nadie. Es lo primero que se me ocurrió.

Dramaturgo – Pues vaya…

Periodista – Además hay que ser realistas. No estoy preparada para escribir una comedia. Usted, tampoco.

Dramaturgo – ¿Y entonces?

Periodista – Por lo tanto estando usted muerto su agente nunca se atrevería a reclamarle los quinientos euros de adelanto por un trabajo que no ha realizado.

Dramaturgo – ¿Muerto? ¿No es una excusa un tanto excesiva para no tener que devolverle los 500 euros?

Periodista – Se me ocurre otra cosa…

Dramaturgo – Está visto que cuando quiere…

Periodista – Si está muerto y encima tiene un Premio Literario y una medalla póstuma, va a hacerse famoso.

Dramaturgo – Le pedí que me sorprendiera con sus propuestas, pero se ha pasado usted tres pueblos…

Periodista – Gracias.

Dramaturgo – No he intentado ser cortés. Hay muchas formas de sorprender a la gente.

Periodista – ¿Tiene algún familiar?

Dramaturgo – Tan sólo tenía a mi mujer… Pero no creo que ella siga considerándose como alguien de la familia.

Periodista – O sea que está solo en vida. Ni mujer, ni familia, ni amigos… Por lo tanto yo misma puedo ir a recoger el premio y la medalla.

Dramaturgo – Veamos… Le propongo un trabajo de negro y no sólo no es capaz de escribir ni una línea, sino que además quiere recibir todos los honores que me sean entregados. ¿Quiere también mi número de la Seguridad Social?

Periodista – Quizá sería lo más prudente… Considere que se le supone muerto.

Dramaturgo – Siempre puedo resucitar…

Periodista – Piense un poco. Por ahora le conviene mucho más estar muerto.

Dramaturgo – ¿Usted cree?

Periodista – Le apuesto cualquier cosa a que mañana todos los periódicos hablarán de usted. Quizá no en primera página. Tampoco es cuestión de soñar, pero seguro que el País Semanal se acordará de usted.

Dramaturgo – Podría ser tentador el leer mi esquela de defunción estando vivo.

Periodista – Todos se referirán a usted como el gran dramaturgo. Sus libros se venderán como churros… Al menos durante dos o tres días.

Dramaturgo – ¿Está usted segura?

Periodista – No soy periodista, pero gracias a mi brillante idea saldrá su nombre en toda la prensa.

Dramaturgo – Bueno… ¿Y ahora qué hacemos?

Periodista – Usted se hace el muerto y yo… Yo me quedo con el 20% de sus derechos de autor.

Dramaturgo – Mi agente tan sólo se quedaba el 10%.

Periodista – Pero con él no vendía usted ni un libro y sus comedias nunca se representaban.

Dramaturgo – Y yo que ya me estaba haciendo a la idea de jubilarme.

Periodista – ¿Jubilarse?

Dramaturgo – He decidido eliminar de mi vida todo lo que me moleste. Ya no escribo. Hablo lo menos posible. No comparto mis opiniones con nadie. Más bien, prefiero no opinar en absoluto.

Periodista – ¿Y cree que puede hacer algo así?

Dramaturgo – ¿No opinar?

Periodista – No hablo de eso pero, usted no puede jubilarse… No tiene dónde caerse muerto…

Dramaturgo – Desde luego Bankia no me daría ni un euro.

Periodista – Pues bien… Yo le propongo que finja su muerte en lugar de jubilarse.

Dramaturgo – Es tentador, la verdad… Le pido, al menos, cinco minutos para sopesar los pros y los contras.

Suena el teléfono. Él intenta cogerlo.

Periodista – ¿Está usted loco? Le recuerdo que es un autor muerto. ¿Sí…? ¿Bankia? No… Lo siento. Don Dramón González acaba de fallecer… Si…. Se ha suicidado… Se ha bebido un litro de desatascador. Si, en efecto, ese líquido que se utiliza para desatascar las cañerías… Un agujero enorme en el estómago. Sólo de pensarlo se me abren las carnes… La sosa también es muy caustica. En efecto, él también era muy caustico… Ya sabe, los artistas… Además nadie mejor que ustedes sabe que estaba de deudas hasta las cejas. Seguramente fue la única forma que tuvo para escapar de sus acreedores. No, por supuesto, el dinero no es lo más importante… En todo caso, gracias por haber llamado… Eso es. Hasta pronto. Por supuesto, transmitiré sus condolencias a la familia.

Cuelga

Dramaturgo (estupefacto) – Le ha costado arrancar pero una vez que se ha lanzado al ruedo, no hay quien la pare. O sea que ahora resulta que me he suicidado.

Periodista – Me dije que, para un escritor, sería más romántico el suicidio que no morir de cáncer de colon.

Dramaturgo – ¿Más romántico tras haberme bebido un litro de desatascador?

Periodista – Estaba improvisando… Es lo primero que se me ocurrió.

Dramaturgo – ¿Improvisando…? Es necesario que se ajuste al texto.

Periodista – ¿A qué texto se refiere? Usted es incapaz de escribir ni una palabra.

Dramaturgo – ¡Basta! No es necesario que se ponga desagradable… Resumamos… O sea que yo me he suicidado… Es posible. Últimamente estaba un tanto depresivo.

Periodista – ¡Lo ve!

Dramaturgo – ¿Qué hacemos ahora…? ¿Organizar unos funerales a nivel nacional?

Periodista – Si el autor fallece las ventas aumentan, al menos, en un 10%. Si se suicida pueden llegar el 20%. (Suena el teléfono) Parece que el negocio marcha.

Dramaturgo – Tiene razón. El teléfono no ha sonado tan seguido desde hace años.

Responde la mujer

Periodista – ¡Dígame! Le habla la secretaria de Don Dramón González. Sí señora, en efecto. Se lo confirmo. Su marido ha muerto esta mañana. Le presento mis condolencias, así como las condolencias de Bankia. Un tiro en la sien. Así es. Mejor que no le vea. No creo que pudiera reconocerle. Le falta la mitad superior de la cabeza… No es un espectáculo de gusto, se lo aseguro…. Muy bien, se lo diré… Quiero decir, sí, gracias… Hasta la vista señora. (Cuelga). Era su mujer.

Dramaturgo – ¿Mi mujer? ¿Pero qué es lo que quería?

Periodista – Al parecer rendirle el último homenaje.

Dramaturgo – Hace años que no la veo. Tiene gracia. Normalmente era ella la que me reprochaba que no le diera un buen homenaje de vez en cuando…

Periodista – En general los muertos son mucho más populares que los vivos. Ya se irá dando cuenta de las ventajas que tiene ser difunto.

Dramaturgo – Le ha dicho a mi mujer que me pegué un tiro en la sien…

Periodista – Intento mejorar, ya lo ve. (Suena el teléfono) Si esto sigue así tendrá que contratar a una telefonista…. Le habla la agente en exclusiva de Don Dramón González… Sí, en efecto, soy yo quien tiene los derechos de todos sus trabajos. Nos casamos pocos meses antes de su muerte. Por lo tanto, soy la heredera directa… Sí… Si… Sí… Si, acababa de terminar una comedia que le va a dejar boquiabierto… Según mi entender es una obra de arte. Totalmente inédita, si. Sí… Sí… Sí… De acuerdo. ¿Puedo apuntar su teléfono? Muy bien, voy a estudiar personalmente su dossier y le daré una respuesta lo antes posible. Hasta pronto.

Dramaturgo – O sea que ahora resulta que estamos casados….

Periodista – Es más sencillo.

Dramaturgo – ¿Más sencillo?

Periodista – Para justificar el hecho de que soy yo la que tiene los derechos de sus obras.

Dramaturgo – Es posible…

Periodista – Por lo cual, como soy su viuda, todo queda en la familia.

Dramaturgo – ¿Puedo, al menos, saber quién ha llamado esta vez?

Periodista – Un teatro de Madrid que quiere montar su último trabajo.

Dramaturgo – ¿Un teatro? ¿Qué teatro?

Periodista – Debería haber tomado nota inmediatamente, pero usted me interrumpió… Tenía algo que ver con una marquesina…

Dramaturgo – ¿Con una marquesina?

Periodista – Y al mismo tiempo, era algo muy marinero…

Dramaturgo – ¿No sería el teatro Marquina?

Periodista – Eso es… Teatro Marina…

Dramaturgo – Marquina, Teatro Marquina… Pero ahí sólo ponen obras de autores vivos.

Periodista – Pero su cadáver está todavía caliente, no vamos a discutir por eso…

Dramaturgo – ¿Y qué piensa hacer?

Periodista – Les voy a dar largas. Hacerles entender que no son los únicos que quieren su último trabajo.

Dramaturgo – Tendría que haberla contratado antes como Agente.

Periodista – También podría pensarse en una retrospectiva del conjunto de su obra ¿No le parece?

Dramaturgo – Por qué no… Pero, cuando se refiere a mi último trabajo, quiere decir que se trata de…

Periodista – La comedia que todavía no ha escrito.

Dramaturgo – Pero si estoy muerto…

Periodista – Habrá oído que les hablé de un trabajo inédito.

Dramaturgo – Sí… Pero…

Periodista – Pero podrá escribirlo porque no está realmente muerto.

Dramaturgo – Ya le dije que había perdido la inspiración.

Periodista – Eso era antes…

Dramaturgo – ¿Antes?

Periodista – Antes de haber vuelto a ser un autor de éxito

Dramaturgo – Ha querido decir un autor muerto.

Periodista – También pero… Ahora que tiene todo el tiempo del mundo al estar muerto, podrá escribir la comedia sin stress. Yo me ocuparé del resto.

Dramaturgo – Perdone, pero… ¿Tengo que estar muerto durante mucho tiempo?

Periodista – Digamos el tiempo de escribir su comedia número 124. Después… Ya veremos.

Dramaturgo – Pues no tendré más remedido que ponerme manos a la obra.

Periodista – ¿Le apetece una manzanilla?

Dramaturgo – Casi prefiero el whisky sueco… (Coge la botella y se sirve) ¿Usted se va a quedar aquí?

Periodista – Alguien tiene que velar el cuerpo y contestar al teléfono…

Dramaturgo – Pues… ¡A trabajar!

Sale. La chica se pone cómoda, saca el portátil y llama.

Periodista – ¿Georges? Esta vez va en serio. Creo que está a punto de ponerse a escribir su comedia 124… No sé si nos hemos pasado con lo del premio y la medalla de las letras… Seguro que se va a llevar un chasco cuando se entere que no existe ni uno ni otro… Pero, es por su bien… Tampoco sabemos si su nuevo trabajo será realmente bueno… Sí, tiene usted razón, eso si no se ha muerto antes… Por cierto, tengo que decirle que me he visto forzada a improvisar un poco…

Vuelve el autor.

Dramaturgo – Estoy seco.

Periodista – ¿Cómo?

Dramaturgo – Se me acabó la tinta. El último cartucho está vacío. Y no será fácil encontrar repuesto a estas horas y por la zona…

Periodista – ¿Y la máquina de escribir?

Dramaturgo – ¿La máquina de escribir? Está como yo, ya se lo dije… En las últimas…

La periodista saca un bolígrafo del bolso y se lo entrega.

Periodista – Puede utilizar esto mientras tanto.

El hombre parece decepcionado por no haber encontrado la excusa ideal. Sale. Ella vuelve al teléfono.

Periodista – Todavía no podemos cantar victoria… Tendré que seguir vigilándole. Quizá habría que darle un poco más de cuerda…

Se escucha una detonación

Periodista – ¡Vaya! ¡Al parecer ha encontrado los cartuchos…! Le llamo dentro de un rato. (Cuelga) Me parece que me va a tocar escribir a mí sola la comedia.

Vuelve el hombre con una botella de champán en la mano. Acaba de quitarle el tapón.

Dramaturgo – No queda ni una gota de whisky, pero he encontrado esto en el frigo. La guardaba para una gran ocasión. Y el que me hayan dado un premio y una condecoración el mismo día, bien se merece un brindis… ¿Le apetece?

Periodista – ¿Por qué no? Siempre que me prometa que después volverá al trabajo.

Dramaturgo – No se preocupe. Es curioso, pero el estar muerto me ha devuelto la moral.

Periodista – Tanto mejor… ¿Entonces ya tiene una idea…?

Dramaturgo – He pensado que siempre es mejor partir de la realidad. Por lo tanto irá sobre el teatro dentro del teatro. La historia de un autor que ha perdido la inspiración y de una periodista que llama a su puerta.

Periodista – Eso me recuerda algo… ¿Ya sabe cómo lo va a llamar?

Dramaturgo – Pues sí… ¿Por qué no llamarle “El último cartucho”?

Periodista – ¿Está libre ese título?

Dramaturgo – Posiblemente sí… Pero, si encima hay que ser original…

Periodista – Pues brindemos por “El último cartucho”.

Dramaturgo – Si la dicto iremos mucho más rápido ¿No es así? (Coloca una vieja máquina de escribir delante de la chica) He recuperado la inspiración…

Periodista – Le escucho…

El autor comienza a dictar, muy inspirado, como si estuviera presenciando la escena.

Dramaturgo – Un salón en desorden. Un hombre está amodorrado en un sillón. Suena el teléfono y le saca de su sopor. Descuelga como un sonámbulo. ¡Diga!

Oscuro

Fin

***

El autor

Jean-Pierre Martinez es autor teatral y guionista francés de origen español. Nacido en 1955 en Auvers-sur-Oise, sube al escenario primero como baterista en diversos grupos de rock, antes de hacerse semiológo para la publicidad. Luego trabaja como guionista para la televisión, y vuelve al teatro como autor. Ha escrito mas de 60 guiones para distintas series de la televisión francesa, y 61 comedias para el teatro (13 y Martes, Strip Poker, Bar Manolo, Ella y El, Muertos de la Risa, Breves del Tiempo Perdido, El Joker…). Actualmente es uno de los autores contemporaneos mas representados en Francia, y varias de sus obras han sido ya traducidas en español y en inglés. Es licenciado en literatura española e inglesa (Sorbonne), en linguística (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), en economía (Institut d’Études Politique de Paris), en escritura de guiones (Conservatoire Européen d’Ecriture Audiovisuelle). Jean-Pierre Martinez ha escogido ofrecer todos los textos de sus obras para descargar gratuitamente en su web : comediatheque.net.

 

Otras obras del autor

13 y Martes

Bar Manolo

Breves del Tiempo Perdido

Crisis y Castigo

Cuatro Estrellas

El Joker

Ella y El, Monólogo Interactivo

EuroStar

Foto de Familia

Milagro en el Convento de Santa María-Juana

Muertos de la Risa

Por Debajo de la Mesa

Pronóstico Reservado

Strip Poker

Un Ataúd para Dos

Zona de Turbulencias

 

Este texto está protegido por las leyes

relativas al derecho de propiedad intelectual.

Toda copia es susceptible de una condena,

hasta de 300 000 euros y 3 años de prisión.

 

París – Enero de 2018

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-182-3

http://comediatheque.net

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Ce n’est pas un drame

Il est là, semblant embarrassé. Elle arrive, prête à partir.

Elle – D’habitude, c’est toujours toi qui m’attends… Tu n’es pas encore prêt ?

Lui – Si, si, je… Je mets mon blouson.

Elle – Ton blouson en cuir…

Lui – Je l’avais déjà avant de te connaître… Un cadeau de ma grand-mère… Ça ne sert à rien que je le jeter maintenant, non ? Je veux dire… Elle est morte, de toute façon.

Elle – Ta grand-mère est morte ?

Lui – Pas ma grand-mère ! La vache ! C’est de la vache…

Elle – Ouais… Celle qu’on a écorchée dans un abattoir pour que tu puisses te couvrir avec sa peau…

Lui – Mon prochain blouson sera en cuir végétal, je te le promets. Il paraît qu’on fait de très belles imitations, maintenant, à base d’ananas ou de champignons.

Il met son manteau, sans entrain.

Elle – Alors ça y est, c’est le grand jour ?

Lui – Oui, on dirait…

Elle – Je vais enfin rencontrer tes parents… Je commençais à me demander si tu n’avais pas honte de moi.

Lui – Qu’est-ce que tu vas chercher ! Ce serait plutôt le contraire…

Elle – Le contraire ? Pourquoi ? Tu as honte de tes parents ?

Lui – Non, non, mais…

Elle – Tu as peur de quoi, alors ?

Lui – Mais de rien, je t’assure !

Elle – C’est plutôt moi qui devrais avoir peur. Tu me présentes à tes parents… Ça devient officiel. C’est presque des fiançailles, non ?

Lui – Oui…

Elle – Cache ta joie !

Lui – Écoute, j’ai quelque chose à te dire.

Elle – Tu me fais peur…

Lui – C’est au sujet de mes parents, justement.

Elle – Tes parents ? Quoi, tes parents ?

Lui – Ce n’est pas facile à dire…

Elle – Vas-y, je peux tout entendre… En tout cas, si c’est important, je préfère le savoir maintenant. J’aurais l’air moins conne…

Lui – Disons que ce repas, ça ne va pas être exactement ce que tu imaginais. Mes parents sont… Comment dire…

Elle – Ils sont sourds-muets. Ils s’expriment en langage des signes.

Lui – Non…

Elle – Aveugles ?

Lui – Non plus.

Elle – Ce sont des personnes de petite taille…

Lui – Pire que ça… Enfin pour toi, en tout cas.

Elle – Je vois… Ils votent à droite, et tu n’as pas osé me le dire ? C’est pour ça que tu ne voulais pas que je les rencontre avant…

Lui – Non, ce n’est pas ça.

Elle – Évidemment, je suis bête. Tu m’as dit qu’ils étaient libraires. On ne peut pas vendre des livres et voter à droite !

Lui – Rassure-toi, mes parents ne votent pas du tout.

Elle – Alors quoi ?

Lui – C’est au sujet de… Du repas… Enfin, de la nourriture, en général.

Elle – La nourriture…?

Lui – Je ne t’ai pas dit toute la vérité.

Elle – D’accord… Tes parents sont juifs, et ils mangent casher. Quel est le problème ? On peut être végans et manger casher ! C’est même beaucoup plus simple, en fait. C’est surtout la viande, qui doit être casher, non ?

Lui – Si… Enfin, je n’en sais rien…

Elle – Les fruits et légumes, c’est très œcuménique. Je suis sûr que le véganisme pourrait mettre fin à toutes les guerres de religion. À table, en tout cas, mais c’est déjà un début… En attendant de résoudre le conflit au Moyen-Orient.

Lui – C’est un peu plus compliqué que ça…

Elle – Quoi ? Le conflit au Moyen-Orient ?

Lui – Non, pour mes parents.

Elle – J’ai compris… Ils sont pratiquants. Pour leur faire plaisir, tu leur as laissé croire que leur future belle-fille était juive. Et maintenant, tu ne sais plus comment leur avouer que tu sors avec une goy…

Lui – Rassure-toi, personne n’est juif dans la famille.

Elle – Qu’est-ce qui te fait croire que ça pourrait m’inquiéter ? Tu me prends pour qui ?

Lui – Non, le problème c’est que…

Elle – Vas-y maintenant, ça devient flippant.

Lui – Mes parents ne sont pas vraiment libraires.

Elle – Comment ça, pas vraiment ? On est libraire ou pas. Comment peut-on ne pas être vraiment libraire ?

Lui – Ils ne sont pas libraires du tout… et ils ne sont pas aussi végans que je te l’avais dit.

Elle – Comment ça, pas aussi ?

Lui – Ils mangent des légumes, bien sûr, mais…

Elle – Ils sont seulement végétariens ? Bon, ce n’est pas un drame, non plus. Tu me crois sectaire à ce point ? Mais pourquoi tu m’as raconté qu’ils étaient végans ?

Lui – J’ai dit ça comme ça… Comme je savais que c’était important pour toi.

Elle – C’est avec toi que je vais vivre ! Tu partages les mêmes valeurs que moi, ça me suffit. On ne choisit pas sa famille, c’est bien connu. Alors sa belle-famille…

Lui – Je ne sais pas comment te dire ça…

Elle – Donc, tes parents ne sont pas libraires. Et alors ? Qu’est-ce qu’ils font, dans la vie ?

Lui – Ils tiennent la boucherie, juste au coin de la rue…

Elle (sidérée) – La boucherie…

Lui – La boucherie chevaline… Entre le cordonnier et bureau de tabac, tu vois ?

Elle – C’est une blague, c’est ça ?

Lui – Non.

Elle – Tu m’as dit que vous étiez tous végans dans la famille, à part ta grand-mère, et maintenant, tu m’annonces que je vais marier avec un garçon boucher ?

Lui – Je ne suis pas garçon boucher ! Je ne suis que le fils du boucher…

Elle – Et tu comptais me l’annoncer quand ? Le jour du mariage, pendant le repas de noces ! Entre le saucisson d’âne et le steak de cheval ?

Lui – Mais non ! Puisque je te le dis maintenant…

Elle – Je te rappelle que mes parents, eux, ils sont végans. Et ils sont très à cheval là-dessus.

Lui – À cheval ?

Elle – Si ça te fait rire, pas moi… Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Moi, je suis vraiment végan ! Enfin, je le suis devenu après t’avoir rencontrée… Ça ne change rien pour nous, si ?

Elle – Tu connais la chanson de France Gall… Ça ne veut peut-être rien dire pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup…

Lui – Tu m’en veux ?

Elle – Je vais avoir besoin de réfléchir à tout ça, en effet. (Elle hésite) Mais je ne vais faire ça maintenant. Ils nous ont invités, non ? Alors je vais y aller… Je ne suis pas du genre à me défiler, figure-toi. On reparlera de tout ça après. On y va ?

Lui – Le problème, c’est que…

Elle – Ah parce qu’il y a encore un problème ?

Lui – Je n’ai pas osé leur dire que tu ne mangeais pas de viande.

Elle – Non, dis-moi que ce n’est pas vrai…

Lui – Je ne suis pas sûr qu’ils auraient compris… Ils ne sont plus très jeunes… À l’âge qu’ils ont, ça ne sert à rien de les brusquer… Ça pourrait même les tuer, tu sais. Mon père a le cœur fragile…

Elle – Tu aurais très bien pu leur parler de ça, tout en les ménageant…

Lui – Disons que je n’ai pas su trouver le bon moment…

Elle – Bien sûr…

Lui – Tu pourras toujours manger les légumes… Tu n’auras qu’à dire que tu n’as pas très faim… Que tu es malade…

Elle – Tu sais quoi ? Je crois que c’est toi qui es un grand malade.

Elle retire son manteau.

Lui – Donc, tu ne viens pas…

Elle (horrifiée) – Une boucherie chevaline ?

Lui – Alors tu préfères abandonner à son triste sort un fils de boucher récemment converti au véganisme… Sans toi, je risque de replonger, tu sais…

Elle – Tu te fous de moi, en plus ?

Lui – Ne me regarde pas comme ça, j’ai l’impression que tu vas me tuer.

Elle – C’est vrai que là… Je t’avoue qu’il me prend des envies de meurtre..

Lui – Calme toi, je t’en prie ! Souviens-toi que tu es végane… et que pour toi le sixième commandement est le plus sacré des dix.

Elle – Le sixième…?

Lui – Tu ne tueras point !

Elle – Je vais t’étrangler, et j’irai me confesser après.

Elle s’approche de lui, menaçante.

Lui – Ne fais pas ça, je t’en prie.

Elle – Je ne sais pas ce qui me retient…

Lui – Alors tu as vraiment cru à cette histoire ?

Elle – Quoi ?

Lui – Mais enfin… les boucheries chevalines, ça n’existe plus depuis longtemps ! Au coin de la rue, entre le tabac et le cordonnier, c’est un Biocoop ! Si tu allais faire les courses plus souvent, tu le saurais…

Elle – Tes parents ne sont pas bouchers ?

Lui – Mes parents sont libraires, ils votent à gauche, et ils sont végans. Comme je te l’ai toujours dit.

Elle – Mais tu es dingue ! Pourquoi m’avoir raconté une histoire pareille ?

Lui – Pour voir jusqu’à quel point tu m’aimais… Maintenant, je suis fixé. Alors tu aurais refusé d’épouser le fils d’un boucher ?

Elle – Je ne sais pas… Non, probablement pas. Mais j’aurais fini par te tuer, ça sûrement.

Lui – Ça aurait pu être une tragédie, alors ? Les Capulet bouchers et les Montaigu végans…

Elle – Mais finalement, c’est encore une comédie de boulevard.

Lui – On ne se refait pas…

Elle – Ce n’est pas un drame.

Lui – Bon, on y va ? On va finir par être en retard.

Elle – Allons-y. Tu n’as pas oublié le gâteau à la carotte…

Lui – Rassure-toi, mon lapin, il est déjà dans la voiture.

Elle – Au fait, c’était une demande en mariage ?

Lui – Oui…

Elle – C’est sans doute la plus surprenante qu’une femme ait jamais entendue.

Lui – Je suis auteur de théâtre, après tout. Ça fait une semaine que je la travaille. Alors, quelle est ta réponse ?

Elle – Je vais quand même attendre d’avoir vu tes parents pour me prononcer.

Ils sortent.

Noir

Mélimélodrames

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En vers et contre tous

Ève est là, pianotant sur son téléphone portable. Alban arrive.

Ève
Alors  ?

Alban
Rien…

Ève
Rien  ?

Alban
Le poste était déjà pris.

Ève
Si tu n’avais pas mis une semaine à répondre à l’annonce, aussi…

Alban
C’était un poste de vigile. Je suis employé de banque.

Ève
Pour l’instant, tu es surtout un employé de banque au chômage. Qu’est-ce que tu comptes faire ? Trouver un job dans une autre banque ? Toutes les banques licencient, en ce moment ! Elles remplacent leurs employés par des boîtes vocales…

Alban
Merci de me le rappeler… Et toi, comment s’est passée ta journée  ?

Ève
Écoute, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

Alban
Je t’écoute…

Ève
Je suis allée voir mon gynéco ce matin.

Alban
Tu as un cancer ?

Ève
Je suis enceinte.

Alban
C’était la bonne ou la mauvaise nouvelle ?

Ève
Ça dépend un peu de toi en fait.

Alban
Un enfant… C’est ce qu’on voulait, non ?

Ève
Oui… Du temps où tu avais encore un boulot…

Alban
Alors qu’est-ce qu’on fait ? On le garde ?

Ève
Évidemment, on le garde ! En tout cas, moi je le garde…

Alban
Très bien ! Comme tu avais l’air de trouver que c’était un problème…

Ève
Le problème, c’est que le père de ce bébé soit au chômage. Je ne pourrai pas assumer un enfant toute seule… et avoir en plus une deuxième personne à charge.

Alban
Désolé d’être un boulet pour toi, mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Quand on a été employé de banque toute sa vie, on ne sait rien faire…

Ève
Il y a des tas de boulots qu’on peut faire en ne sachant rien faire.

Alban
Je sens que tu vas me reparler du vendeur que cherchent tes parents pour leur quincaillerie…

Ève
Et alors ? C’est une honte de travailler dans une quincaillerie ?

Alban
Excuse-moi de ne pas sauter de joie à la perspective de vendre des marteaux et des clous sous les ordres de ma belle-mère.

Ève
Mais personne ne t’y oblige, mon vieux. Si tu veux trouver un autre boulot plus digne de toi, rien ne t’en empêche.

Alban
Je vais réfléchir…

Ève
Pas trop longtemps… Mon père a besoin de quelqu’un d’urgence. Depuis que ma mère n’est plus assez en forme pour le remplacer au magasin quand il fait ses livraisons…

Alban
Bon…

Ève
Si c’est toi, bien sûr, il te cédera le magasin en gérance quand il prendra sa retraite.

Alban
Et là, pour moi, ce sera perpète…

Ève
Tu serais ton propre patron ! Au lieu d’être un employé de banque…

Alban
Le magasin ne serait pas à moi. Je serais l’employé de ton père.

Ève
Au moins, ça reste dans la famille. Et quand mon père ne sera plus là, tout le bazar sera à toi.

Alban
Tu veux dire à toi…

Ève
C’est un peu pareil, non ?

Alban
Au lieu d’être l’employé de mon beau-père, je serai l’employé de ma femme…

Ève
Tu compliques trop les choses, Alban, c’est ça ton problème. Parfois, il faut savoir se contenter de ce qu’on a.

Alban
On en reparle demain, d’accord ? Je suis fatigué, là.

Ève
Fatigué ? Parce que moi, après mes huit heures de boulot, je ne suis pas fatiguée, peut-être ? Non Alban, je veux une réponse tout de suite…

Alban
D’accord, je vais te donner ma réponse… Je peux quand même passer aux toilettes, d’abord ?

Il sort. Ève se sert un verre, et le vide cul sec. Alban revient.

Ève
Alors ? Qu’est-ce que tu as décidé ?

Alban
Je me suis retiré un temps pour réfléchir

et je suis résolu à ne pas contredire
et la femme qui m’aime et l’enfant que j’attends
ni la mère ni l’épouse, surtout pas ses parents.

Ève semble prise de court.

Ève
C’est-à-dire ?

Alban
J’accepte de bon coeur et je ferai sans faute

ce qu’on attend de moi et s’il faut que je saute
pour cela dans le vide et bien j’obéirai.
Sans le moindre regret désormais je serai
un papa pour mon fils, un mari pour ma femme.
En soldat inconnu je ranimerai la flamme
de nos passions noyées sous un torrent de larmes,
au nom de notre amour je reprendrai les armes.

Ève
Très bien… Je… Dois-je en conclure que tu acceptes ce poste de vendeur à la quincaillerie…?

Alban
Je vendrai des pinceaux et je vendrai des scies

chaque jour que Dieu fait et sans rien y connaître
j’irai même jusqu’à vendre pour gagner notre vie
des rustines de vélos et des boutons de guêtres.

Ève
C’est… C’est parfait… Papa et maman vont être contents… Justement, ils passent ce soir prendre l’apéritif… Je… Je te sers un verre avant qu’ils arrivent ?

Alban
Oui merci volontiers car j’aurai bien besoin

de quelque stimulant pour tenir le crachoir
à tes parents chéris et célébrer leur gloire.
À moins que par miracle ils remettent à demain
la visite vespérale dont ils nous gratifient
chaque jour en rentrant de leur quincaillerie.

Ève
Tu te fous de moi, c’est ça  ?

Alban
Pardon, moi me moquer de ma femme chérie ?

Ève
C’est quoi cette nouvelle façon de parler ? Tu te fiches de moi, et en plus tu te fiches de mes parents !

Alban
J’avoue ne pas saisir ma mie ce que vous dites

Aurais-je en quelque sorte manqué à mon devoir
en usant avec vous de propos illicites ?
Il me semblait pourtant vous avoir fait savoir
que je satisferai demain à vos désirs
et qu’importe les mots que j’emploie pour le dire.

Ève
Ok, j’avoue que c’est très drôle… Maintenant tu peux peut-être passer à autre chose, non ? Où est-ce que tu as appris à parler en alexandrins ? À Pôle Emploi ?

Alban
Ma chère amie je crains de bien vous décevoir,

Si mes mots vous irritent à mon grand désespoir,
je ne dispose hélas d’autre style que le mien
pour m’adresser à vous sans vous faire un dessin.

Ève
Bon… Le principal, c’est que tu acceptes de travailler au magasin. Je n’ai pas encore annoncé la nouvelle à mes parents. Je veux dire pour le bébé. C’est d’ailleurs pour ça que je les ai invités à prendre l’apéro. Ils vont être fous de joie. Et toi qui retrouves aussi du travail… Je crois que là, on peut sortir le champagne.

Alban
Je vais le mettre au frais et puis rincer les coupes

Trois suffisent car enfin en ce qui te concerne
Dans l’état où tu es même loin d’être à terme
Il n’est guère question que seulement tu y goûtes.

Elle lui jette un regard interloqué tandis qu’il sort. Le téléphone sonne. Elle répond machinalement, la tête ailleurs.

Ève
Allô oui c’est bien moi, si c’est vous sans ambages

veuillez bien s’il vous plaît laisser votre message.
Reprenant ses esprits.
Oui maman… Non, non, tout va bien, je t’assure… Oui, oui, je lui en ai parlé… Écoute, je suis assez surprise, mais cette fois, il a l’air d’accord pour accepter la proposition de papa… Non, non, il n’y a pas de mais… Mais… (Alban revient) Écoute, je te le passe, tu vas comprendre… (À Alban) C’est maman, tu veux lui dire un mot ?

Alban prend le combiné en souriant.

Alban
Le bonjour belle-maman, quand on parle du loup…

Nous parlions justement il y a peu de vous.
Votre fille m’a transmis les plans de votre époux.
Aurons-nous le plaisir de dîner avec vous ?
Un temps pendant lequel il écoute la réponse.
Je suis fort aise Madame de cet heureux accord
nous le célébrerons mais il faudra d’abord
que vous vous prépariez à un nouveau faire-part
qui pourrait je l’espère plus encore vous ravir.
Ma moitié s’impatiente de vous entretenir
et elle piaffe devant moi dans l’attente de vous voir.

Il repasse le combiné à Ève, et sort.

Ève
Oui maman… Quelque chose de changé ? Non, maman, ce n’est seulement pas sa voix… Oui, ce serait plutôt… Je ne pense pas que ce soit du rap non plus. C’est ça. Il parle en vers. Comme Molière. Non, je ne te dis pas que Molière parlait en vers. Je pense aussi que la plupart du temps, il parlait en prose, comme tout le monde…

Un temps pendant lequel elle écoute la réponse.

Ève
Maman je vous l’avoue, je suis au désespoir

Je pensais mon époux enfin digne d’être père,
en acceptant la charge d’employé du bazar
et voilà qu’il se met à réciter des vers.

Un temps pendant lequel elle écoute la réponse.

Ève
Je viens de te parler en alexandrins ? Alors moi aussi… Mais c’est atroce ! C’est sûrement une maladie. Je ne sais pas où il a attrapé ça. Tu crois que ça peut être contagieux ? Des vers qui sortent de notre bouche comme ça, sans aucun contrôle… C’est une véritable diarrhée… On va commencer par prendre tous les deux un puissant vermifuge. Oui, tu as raison, je vais aussi prendre rendez-vous chez un orthophoniste, et vérifier que tous nos vaccins sont bien à jour. Je sais, maman, pour être vendeur dans une quincaillerie, parler en alexandrins, ce n’est vraiment pas possible… Non, pour ce soir, il vaut mieux annuler. Tenez-vous éloignés de nous pendant quelque temps, on ne sait jamais. Tant qu’on n’a pas les résultats des examens, une quarantaine s’impose. La nouvelle que j’avais à vous annoncer ? Oh mon Dieu, c’est vrai… Et si lui aussi… Écoute, je vous rappelle, d’accord.

Elle raccroche, songeuse.

Ève
Jamais mère ne connut une telle avanie

depuis qu’Adam et Ève quittèrent le paradis
Nous étions ce matin des Français très moyens
et nous parlons ce soir en vers alexandrins.
Elle pose sa main sur son ventre.
Si les parents s’avèrent à ce point trop déments
ne vaudrait-il pas mieux ce serait plus honnête
de cet enfant maudit se défaire maintenant
avant qu’il ne devienne à son tour un poète ?

Noir

Alban et Ève

En vers et contre tous Lire la suite »