Piège à Cons

King of fools –  El Rey de los Idiotas –  O Rei dos Idiotas – Trappola per Fessi  – Past na blby 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

6 personnages : 1H/5F, 2H/4F, 3H/3F, 4H/2F, 5H/1F
5 personnages : 1H/4F, 2H/3F, 3H/2F, 4H/1F

À l’approche des présidentielles, un parti en perdition dans les sondages désigne pour le représenter un con de service afin qu’il endosse la responsabilité du naufrage. Tout en promouvant en secret un candidat hors parti à qui se rallier après sa victoire. Mais le con s’avère imprévisible… et les électeurs aussi.


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King of fools –  El Rey de los Idiotas –  O Rei dos Idiotas – Trappola per Fessi  – PAST NA BLBY


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Piège à cons

Personnages 

Patrick Blanc : candidat du Parti Social
Vanessa Dos Santos : assistante
Dominique Riviera : chef du Parti Social
Alex Chatterton : conseil en communication
Claude de Casteljarnac: chef du Parti Français
Fred Uberman : candidate libre

Tous les personnages, à l’exception de Patrick et Vanessa, peuvent être masculins ou féminins. Si Alex est une femme on pourra l’appeler Alexandra. Si Fred est un homme on l’appellera Frédéric, et si c’est une femme Frédérique.

Acte 1

Le QG de campagne du Parti Social : un bureau meublé d’une table, de quelques chaises et d’un canapé. Arrivent Dominique, le chef du Parti, qui a le bras gauche en écharpe, et Alex, sa conseillère en communication.

Dominique – Je viens d’avoir le Président, sa décision est prise. Il ne se représente pas.

Alex – Est-ce qu’il a vraiment le choix ?

Dominique – Évidemment, en tant que Premier Ministre et chef de la majorité, je deviens le candidat naturel.

Alex – Mais tout le monde vous déteste…

Dominique – Merci de me le rappeler.

Alex – Je ne parlais pas de vous personnellement, mais du parti…

Dominique – Les électeurs sont des cons. Tous les cinq ans ils sortent les sortants pour ne pas avoir tenu leurs promesses. Et ils remettent en selle ceux qu’ils ont sortis cinq ans auparavant pour la même raison.

Alex – On appelle ça la démocratie…

Dominique – Moi j’appelle ça la démagogie.

Alex – Vous voulez mon avis ?

Dominique – Si je ne vous payais pas pour ça, je serais tenté de vous dire non…

Alex – C’est la fin de la Cinquième République…

Dominique – Surtout si c’est pour entendre des conneries pareilles.

Alex – Le bail de l’Élysée a été réduit de sept à cinq ans. Les présidents ont commencé par en faire deux. Après ils faisaient le deuxième en colocation…

Dominique – Les derniers n’ont pas vu leur bail renouvelé…

Alex – Maintenant, ils déménagent d’eux-mêmes au bout de cinq ans avant d’être expulsés.

Dominique – Il faudrait au moins voter une loi pour instaurer une trêve hivernale.

Alex – J’ai une meilleure idée.

Dominique – Je ne sais même pas pourquoi je vous écoute encore…

Alex – Est-ce que vous avez vraiment le choix ?

Dominique – Je me demande si ce n’est pas en suivant vos conseils qu’on s’est fourrés dans un tel merdier…

Alex – Je crois que pour ça, vous n’aviez besoin de personne…

Dominique – Pardon ?

Alex – De toute façon, ces primaires, c’est une épreuve de natation dans la piscine du Titanic.

Dominique – Où vous voulez en venir avec vos métaphores à la con ?

Alex – Quel que soit le vainqueur, ça finira par un naufrage ! Voilà ce que je veux dire.

Dominique – C’est vrai qu’on est mal. Très mal… Et alors ? Vous avez un plan B ?

Alex – Le plan B, c’était vous. Et il faut bien avouer que c’était un plan pourri.

Dominique – Je vous remercie.

Alex – Donc on en serait plutôt au plan C.

Dominique – Le plan C… Comme c, o, n ?

Alex – Vous ne croyez pas si bien dire…

Dominique – Vous avez réussi à exciter ma curiosité. Même si pour ma part, au point où j’en suis, j’aurais préféré un plan c, u, l… Histoire de me détendre un peu.

Alex – Les gens vous détestent. Ils ne veulent plus entendre parler du Parti Social.

Dominique – Après tout ce qu’on a fait pour eux… On a même changé le nom du parti.

Alex – Que voulez-vous… Les électeurs sont des ingrats. Ils ne se rendent pas compte de tous les sacrifices que vous avez déjà consentis.

Dominique – C’est ça, foutez-vous de moi, en plus…

Alex – On peut parler sérieusement cinq minutes ?

Dominique – Je vous écoute…

Alex – Le candidat qui sortira de vos primaires, même avec un score à la soviétique, n’aura aucune chance à la présidentielle.

Dominique – Il faudrait encore trouver quelques volontaires pour se présenter contre moi… Histoire de préserver les apparences de la démocratie. Parce qu’un candidat unique, ça la fout un peu mal…

Alex – Des volontaires qui, de préférence, ne soient pas déjà mis en examen…

Dominique – Et qui ne se présentent pas dans le seul but d’éviter la prison, grâce à l’impunité qui les protégerait s’ils étaient élus.

Alex – Vous voulez dire immunité, sans doute.

Dominique – Vous avez raison. Ça va être difficile de remonter la pente. Et alors, c’est quoi, votre plan C ?

Alex – Quand on ne peut pas remonter la pente, autant ramer dans le sens du courant.

Dominique – Tout à l’heure, c’était le naufrage du Titanic, maintenant vous me proposez de ramer… Je vous paye combien, déjà, pour entendre ça ?

Alex – C’est très simple, vous allez voir…

Dominique – La dernière fois que vous m’avez dit ça, j’ai fait 48 heures de garde à vue.

Alex – Mais je vous ai évité la détention provisoire.

Dominique – Je vous écoute…

Alex – On s’arrange pour que les primaires accouchent du pire des candidats possibles.

Dominique – Jusque là, malheureusement, ça ne devrait pas être trop difficile. Je suis le seul à me présenter.

Alex – L’idée c’est de couler définitivement le parti, qui de toute façon prend déjà l’eau de tous les côtés.

Dominique – D’où la métaphore du Titanic, j’ai compris… J’espère que vous avez prévu un canot de sauvetage pour moi.

Alex – J’ai beaucoup mieux, vous allez voir.

Dominique – Je suis curieux d’entendre ça…

Alex – En même temps qu’on envoie par le fond notre propre capitaine, on pousse discrètement un autre candidat à se présenter en dehors du parti.

Dominique – Un homme de paille, en quelque sorte…

Alex – Tout ce que veulent les électeurs, c’est sortir les sortants. Ils sont prêts à voter pour n’importe qui pourvu qu’il se prétende anti-système.

Dominique – Les gens sont des cons.

Alex – Quand notre vengeur masqué est élu, il tombe le masque, et il rentre dans le rang. Juste avant les législatives, on fonde un nouveau parti pour lui donner une majorité, et le tour est joué. On prend les mêmes, et on est reparti pour cinq ans.

Dominique – Astucieux… Mais il faudra encore changer de nom ?

Alex – Oui, quand même…

Dominique – Bon… Et vous avez déjà une idée pour un nouveau nom ?

Alex – Pourquoi pas… le Parti !

Dominique – Le Parti…? Le Parti quoi ?

Alex – Le Parti tout court. Pour bien signifier qu’il s’agit de dépasser les anciens clivages. La vieille opposition gauche-droite.

Dominique – Mouais…

Alex – Quand ceux d’en face ont décidé de s’appeler Les Français, tout le monde trouvait ça débile aussi.

Dominique – On voit où ça les a menés… Et puis vous oubliez la droite, justement… Hélas, nous ne sommes pas les seuls à présenter des candidats aux présidentielles. C’est un des rares inconvénients de la démocratie.

Alex – À droite aussi, leur candidat a tellement de casseroles au cul que s’il ouvrait une quincaillerie, il doublerait sa fortune.

Dominique – Qui est déjà assez conséquente compte tenu de tout l’argent public qu’il a déjà détourné.

Alex – Les gens ne veulent plus ni de la gauche, ni de la droite.

Dominique – Les gens sont des cons.

Alex – Je crois que vous l’avez déjà dit. Alors ? Qu’est-ce que vous pensez de mon idée ?

Dominique – Envoyer aux présidentielles un candidat libre, en lui donnant les sujets s’avance… Oui, il faut voir… Mais qui vous dit qu’à droite, ils n’auront pas la même idée ?

Alex – Ils ont la même idée.

Dominique – Ah oui ? Et… comment pouvez-vous en être aussi sûre ?

Alex – Parce que c’est moi qui leur ai vendue.

Dominique – Vous travaillez aussi pour la concurrence ?

Alex – La droite, la gauche… Tout ça, c’est dépassé, croyez-moi.

Dominique – Comme vous y allez…

Alex – Honnêtement, est-ce qu’il existe une telle différence entre vos deux programmes ?

Dominique – Je ne sais pas… Je ne suis pas sûr qu’on ait encore un programme. Et eux non plus.

Alex – Finalement, à quoi ça sert, l’alternance ?

Dominique – À entretenir le mythe de la démocratie, j’imagine…

Alex – À se partager les postes, surtout. Un coup c’est toi, un coup c’est moi. Pourquoi ne pas gouverner ensemble, tout simplement ?

Dominique – Mais qui nommera les ministres ? Eux ou nous ?

Alex – Vous n’aurez qu’à vous partager les portefeuilles !

Dominique – Une autre version de la parité, en quelque sorte.

Alex – Je suis sûre que celle-là, vous aurez beaucoup moins de mal à l’instaurer…

Dominique – Oui… mais on aura moitié moins de postes…

Alex – Pas forcément… Il suffit de doubler le nombre des ministres.

Dominique – Ce qui supposerait d’inventer de nouveaux ministères…

Alex – Je crois que pour ça, les gouvernements n’ont jamais manqué d’imagination. C’est bien le seul domaine où ils en aient fait preuve, d’ailleurs… Ministère du Temps Libre, Ministère de la Qualité de la Vie…

Dominique – Ministère du Redressement Productif…

Alex – Sinon on pourra toujours faire appel à un cabinet de consultants pour trouver de nouveaux noms en fonction du nombre de ministres à placer. Ou alors chaque ministre aura la charge d’inventer le nom de domaine du ministère qui lui sera alloué. Il faut bien qu’ils bossent un peu…

Dominique – C’est assez audacieux, mais bon… Et ce candidat libre, ce serait qui ?

Alex – Pourquoi pas Uberman ?

Dominique – Frédérique Uberman ? Je la vois tout à l’heure, justement.

Alex – Je sais. C’est moi qui lui ai demandé de prendre rendez-vous avec vous.

Dominique – Une bonne femme… Vous ne croyez pas que le costume est un peu grand pour elle ?

Alex – Elle a déjà été ministre.

Dominique – C’est vrai… Ministre de quoi, déjà ?

Alex – De l’éducation, je crois.

Dominique – C’est ça… Mais je ne sais plus très bien dans quel gouvernement.

Alex – Une femme, ça fera plus moderne, et ça éloignera les soupçons. Personne ne pensera sérieusement qu’on a pu investir en sous-main une femme pour la présidentielle.

Dominique – C’est clair.

Alex – Et puis elle sera plus facile à manipuler une fois élue.

Dominique – C’est sûr… Une femme… Et une centriste, en plus.

Alex – Pour ce qui est du costume, elle a déjà tellement retourné sa veste… On ne distingue plus l’envers de l’endroit. Ça la rendra plus crédible pour jouer les candidats sans étiquette.

Dominique – Oui, ça peut se tenter… Et pour nos primaires, qui vous verriez dans le rôle du capitaine qui coule avec son bateau ? Pas moi, j’espère…

Alex – Je pensais plutôt à quelqu’un qui ne soit pas du sérail. Un homme neuf, qui se présenterait contre vous.

Dominique – Un homme neuf ? Pourquoi pas une vierge, aussi ?

Alex – Vous ne croyez pas si bien dire.

Dominique – Vous voulez sacrifier une vierge, c’est ça ?

Alex – En fait, on pourrait prendre un peu n’importe qui…

Dominique – Et qui vous dit qu’il sera élu ?

Alex – Pour l’instant, ce ne sont que les primaires. On est en famille. On s’arrangera… L’idée, justement, c’est que ce tocard, en réalité, ne soit soutenu par personne, même au sein de notre propre parti.

Dominique – Bon, et vous avez un nom à me proposer ?

Alex – Le premier con de service fera l’affaire…

Dominique – Les cons, ce n’est pas ça qui manque, chez nous. Mais ils ont tous un casier.

Alex – Et puis ce sont des cons prétentieux. Non, ce qui nous faudrait, c’est le degré zéro du candidat. Un type loyal, qui n’ait aucune ambition personnelle. Et qui soit entièrement à notre service.

Dominique – En politique, autant dire le mouton à cinq pattes.

Alex – Exactement. Donc plutôt quelqu’un issu de la société civile.

Dominique – C’est vrai que c’est très à la mode, aujourd’hui.

Alex – Pourquoi pas votre chauffeur ?

Dominique – C’est une blague ?

Alex – Non. Patrick. Il s’appelle Patrick.

Dominique – Mon chauffeur s’appelle Patrick ? Comment vous savez ça ?

Alex – Je lui ai demandé comment il s’appelait, et il m’a répondu Patrick.

Dominique – Mon chauffeur… Mais personne ne le connaît. Même moi, je ne connaissais pas son prénom.

Alex – Justement ! Ce type est totalement transparent. Ce n’est personne. Il fera exactement ce qu’on lui dira, jusqu’au moment où on n’aura plus besoin de lui.

Dominique – Et c’est supposé en faire le candidat idéal pour nos primaires ?

Alex – En tout cas, c’est le profil idéal pour un bouc émissaire. Il n’est même pas membre du parti !

Dominique – Sympathisant, au moins ?

Alex – C’est le Parti qui paie son salaire. Il est forcément sympathisant. Reconnaissant, pour le moins.

Dominique – Moi en tout cas, je m’en méfie… (Montrant son bras en écharpe) Tenez ! Voilà le souvenir qu’il m’a laissé de la dernière course que j’ai faite avec lui, qui s’est terminée contre un platane !

Alex – Alors c’est ça, votre bras en écharpe…

Dominique – Il s’est endormi au volant . Il m’a expliqué qu’il était narcoleptique.

Alex – Comme ça, on n’aura qu’à le réveiller quand on aura besoin de lui…

Dominique – Ça me rassure beaucoup. Et vous ne pensez pas qu’avec ce demeuré qui s’endort au volant, on va droit dans le mur ?

Alex – Si ! Justement. C’est le parti qui va droit dans le mur. Et nous on en profite pour rebondir !

Dominique – Ouais… La dernière fois que j’ai rebondi contre un obstacle avec lui, je me suis foulé le poignet.

Alex – Évidemment, on arrangera un peu son CV et on lui enlèvera sa casquette, pour qu’il n’ait pas trop l’air d’un voiturier. Je ne sais pas moi. On dira qu’il était… chauffeur de taxi.

Dominique – Un chauffeur à l’Élysée… C’est l’ubérisation de la fonction présidentielle. Et vous croyez qu’il a la carrure ?

Alex – La carrure ? Vous plaisantez ! C’est le roi des cons…

Dominique – Et vous voulez confier la conduite de la France à un prétendu chauffeur qui ne sait même pas conduire ma voiture de fonction ?

Alex – Je vous rappelle encore une fois que l’idée, c’est qu’il ne soit pas élu Président de la République.

Dominique – C’est vrai… Il faut dire que votre plan C est particulièrement tordu… C’est sûrement pour ça qu’au fond, il ne me déplaît pas… Le roi des cons… Oui… Et pourquoi pas ma femme, plutôt ?

Alex – Votre femme ? En reine des connes, vous voulez dire ?

Dominique – Ce serait plus sûr que ça reste en famille, non ? Au cas où ça en vienne à déraper…

Alex – Justement. Pour les électeurs, il vaudrait mieux que ça sorte un peu du cercle familial. Et puis je vous rappelle que votre femme est déjà votre attachée parlementaire.

Dominique – C’est vrai, j’oublie tout le temps.

Alex – Je ne suis pas sûre qu’elle-même soit au courant.

Dominique – Et vous croyez que ça pourrait marcher ?

Alex – Croyez-en mon expérience : plus c’est gros, plus ça passe.

Dominique – Ouais…

Alex – Vous n’avez pas encore l’air complètement convaincu…

Dominique – Je cherche seulement à prévoir où ça pourrait merder.

Alex – Merci de votre confiance.

Dominique – Et s’il plaisait vraiment à notre électorat ?

Alex – Il y a longtemps que les sympathisants du Parti Social ne se reconnaissent plus dans les chauffeurs de taxi. Votre électorat, en tout cas le peu qu’il en reste, ce sont les bobos parisiens. Les classes moyennes supérieures, à la rigueur.

Dominique – C’est vrai qu’on n’est plus vraiment le parti de la France d’en bas…

Alex – En fait, vos électeurs, ce sont un peu les mêmes que ceux du camp d’en face, c’est bien ça le problème…

Dominique – Mon chauffeur…

Alex – Patrick.

Dominique – Bon… Et votre roi des cons, il sait déjà qu’il est appelé à un destin national ?

Alex – Pas encore. J’attendais votre accord.

Dominique – Si vous pensez que c’est la seule solution…

Alex – Vous avez une meilleure idée ?

Dominique – Si j’avais des idées, je ne vous paierais pas pour en avoir à ma place…

Alex – Alors ?

Dominique – Ok… Vous avez mon accord… Mais j’espère que je ne fais pas une connerie.

Vanessa arrive.

Vanessa – Bonjour.

Dominique – Ah ! Vous arrivez bien mademoiselle. Alexandra, je vous présente mon assistante, Sabrina de Sousa.

Vanessa – Vanessa Dos Santos, Monsieur Riviera.

Dominique – C’est ça… Vanessa de…

Alex – Bonjour Mademoiselle.

Dominique – Je peux tout à fait me passer de mon attachée parlementaire, et a fortiori de ma femme, mais sans Vanessa, je ne peux rien faire. Je ne sais même pas envoyer un email.

Alex – Oui… C’est pourquoi il me semble urgent de changer de logiciel.

Vanessa – Monsieur Riviera, il faudra que je vous vois au sujet de la conférence de presse. Les journalistes commencent à s’impatienter. Ils voudraient connaître le nom des candidats, pour nos primaires.

Dominique – Je suis à vous tout de suite. Je raccompagne Alexandra. (À Alexandra) Vous voulez que mon chauffeur vous ramène ?

Alex – Vous m’avez dit qu’il était narcoleptique… Vous voulez vous débarrasser de moi, c’est ça ?

Dominique – Vous en profiterez pour lui parler de… Sabrina, vous n’avez pas vu mon chauffeur ?

Vanessa – Patrick ? Non…

Alex – Alors vous aussi, vous savez qu’il s’appelle Patrick ?

Vanessa – Oui, bien sûr…

Dominique – Je ne sais pas où il est passé, cet abruti… Il a encore dû s’endormir quelque part… Ça commence bien…

Ils sortent. Vanessa s’installe à l’un des bureaux, ouvre son ordinateur portable et se met à pianoter sur le clavier. Son téléphone sonne.

Vanessa – QG de campagne du Parti Social, j’écoute… Non, Dominique Riviera ne peut pas vous parler pour le moment… Oui, je sais, nous sommes à quelques semaines des élections et… Je suis sûre que vous aurez des nouvelles très bientôt… C’est ça… Bonne journée…

Arrive Patrick. Il porte un uniforme de chauffeur assez mal taillé et une casquette.

Patrick – Coucou, Vanessa !

Vanessa – Patrick ? Vous m’avez fait peur. Monsieur Riviera vous cherche, justement.

Patrick – J’y vais, j’y vais… Je passais vous dire un petit bonjour en passant.

Vanessa – Eh bien… bonjour. Et au revoir !

Patrick – Dites-moi, Vanessa, vous… Vous déjeunez, de temps en temps ?

Vanessa – On est un peu débordés en ce moment… Comme vous le savez, on est en pleine campagne pour les primaires, et on n’a même pas encore la liste des candidats. Je prends juste un sandwich au bureau.

Patrick – Bon, mais… On pourrait prendre un café, un de ces jours… Je vous en apporte un ? C’est moi qui vous invite…

Vanessa – C’est gentil, mais… je n’ai pas trop le temps-là. Et puis Monsieur Riviera va vous attendre…

Patrick – Je ne sais pas ce qu’il veut… D’ailleurs, je me demande bien pourquoi il a un chauffeur. Il préfère prendre le taxi.

Vanessa – Oui, on se demande pourquoi, en effet… Mais c’est pour Madame Chatterton, je crois.

Patrick – Elle peut bien attendre deux minutes, elle aussi.

Le portable de Patrick sonne.

Vanessa – Apparemment, non…

Patrick (répondant à l’appel) – Oui, j’arrive tout de suite… (Il range son portable) Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir une réponse…

Vanessa – À quel sujet ?

Patrick – À propos de ce café qu’on doit prendre ensemble…

Vanessa – Vous allez vous faire virer.

Patrick – Et ce sera de votre faute.

Vanessa – Je vous promets d’y réfléchir… Maintenant, filez…

Patrick – Merci !

Patrick sort. Vanessa sourit. Le téléphone de Vanessa sonne à nouveau.

Vanessa – Oui ? Très bien, je le préviens dès qu’il arrive…

Dominique revient, l’air préoccupé.

Dominique – Vous avez retrouvé mon chauffard ? Je veux dire mon chauffeur…

Vanessa – Patrick sort d’ici à l’instant. Il va raccompagner Madame Chatterton…

Dominique – Très bien, très bien… Dites-moi, Vanessa, vous le connaissez, vous, mon chauffeur ?

Vanessa – Patrick ? Oui, enfin… Comme ça…

Dominique – C’est quel genre de type ?

Vanessa – Quel genre ?

Dominique – Vous pensez qu’on peut compter sur lui ? Je veux dire, à part pour conduire une voiture…

Vanessa – Il ne faut pas lui en vouloir, Monsieur. S’il était un peu en retard ce matin, c’est à cause de moi.

Dominique – Ne me dites pas que vous et lui…

Vanessa – Mais pas du tout ! Je… Je lui avais demandé de me poster une lettre et…

Dominique – Je vois…

Vanessa – Votre rendez-vous est arrivé. Elle attend en bas.

Dominique – Très bien. Faites-la monter.

Vanessa décroche à nouveau son téléphone.

Vanessa – Dites à Madame Uberman qu’elle peut monter…

Le portable de Dominique sonne et il répond.

Dominique – Oui ? Oui, Monsieur le Président. Bonjour Monsieur le Président. Oui, je sais, la situation est très préoccupante et… Très bien, Monsieur le Président… Oui, bien sûr, je m’en occupe… Écoutez, je me demande si pour une fois, Chatterton n’a pas eu un éclair de génie…

Il sort pour continuer sa conversation. Fred entre.

Fred – Je viens voir Dominique.

Vanessa – Monsieur Riviera est à vous dans un instant. Il est en ligne avec le Président… Je peux vous servir un café, en attendant ?

Fred – Sans sucre, s’il vous plaît.

Vanessa sort. Dominique revient.

Dominique – Ah, bonjour Frédérique.

Fred – Bonjour Dominique.

Dominique – J’étais avec le Président, là et…

Fred – J’imagine que tout ça le préoccupe, évidemment… Même si en ce qui le concerne, il a une place à vie qui l’attend au Conseil Constitutionnel.

Dominique – Eh oui… Maintenant que nos présidents sont trop jeunes pour mourir en fin de mandat, le Conseil Constitutionnel, c’est leur concession perpétuelle… Bon… Écoute, Fred, je ne vais pas y aller par quatre chemins, on gagnera du temps.

Fred – Je n’étais pas pressée à ce point, mais je t’écoute…

Dominique – Peut-être envisageais-tu de te porter candidate pour nos primaires, et dans ce cas, tu es la bienvenue, évidemment.

Fred – Merci, mais…

Dominique – Mais je vais être franc avec toi. Dans l’état où est le mouvement aujourd’hui, si tu te présentes sous l’étiquette Parti Social, tu n’as aucune chance.

Fred – C’est pourquoi ce n’était pas vraiment mon intention…

Dominique – Et actuellement, si tu te présentes sans étiquette, encore moins.

Fred – C’est encourageant. Et qu’est-ce que tu proposes ?

Dominique – Tu te présentes en candidat libre. Mais on te donne les sujets d’examen d’avance. Et on s’arrange pour que tous les autres candidats soient disqualifiés.

Fred – Pardon ?

Dominique – On torpille les autres postulants, et c’est toi qu’on soutient, mais en secret.

Fred – Et admettons que je gagne. Qu’est-ce qui se passe après ? Je n’aurais pas de majorité.

Dominique – Après, le Parti Social se rallie à toi comme un seul homme, sous l’étiquette majorité présidentielle. On prend les mêmes et on recommence. Il suffit de changer le nom du Parti.

Fred – Je vois… Et qui se présente au nom du Parti Social ?

Dominique – Le vainqueur des primaires.

Fred – Mais personne ne veut se présenter ! À part toi…

Dominique – On en a trouvé un.

Fred – Qui ça ? Le meilleur d’entre nous ?

Dominique – Le pire… Mon chauffeur.

Fred – C’est une blague ?

Dominique – Non.

Fred – Ton chauffeur… Et il s’appelle comment ?

Dominique – Patrick. Il s’appelle Patrick…

Fred – Patrick comment ?

Dominique – Aucune idée…

Vanessa revient avec un café qu’elle tend à Fred.

Dominique – Ah, Vanessa… Il s’appelle comment, mon chauffeur ? Je veux dire son nom de famille…

Vanessa – Blanc… Patrick Blanc.

Dominique – Blanc, il s’appelle Blanc. C’est pas mal, non ? Blanc. Ça fait propre.

Fred – Votez Blanc, c’est sûr. Ça va sûrement mobiliser l’électorat.

Dominique – Il n’est pas supposé aller au-delà des primaires. Viens dans mon bureau, je vais t’expliquer tout ça…

Dominique et Fred sortent. Patrick arrive.

Vanessa – Vous êtes encore là ?

Patrick – Chatterton n’a pas voulu que je la raccompagne… et le patron veut me voir. Je crois que cette fois, je vais me faire virer.

Vanessa – Pas à cause de moi, j’espère…

Patrick – De toute façon, j’en avais marre de faire le chauffeur. D’ailleurs, je n’ai même pas mon permis.

Vanessa – Vous êtes chauffeur, et vous n’avez pas le permis ?

Patrick – Si, bien sûr, rassurez-vous. J’ai le permis. Mais j’ai perdu tous mes points.

Vanessa – D’accord… Ça me rassure, en effet…

Patrick – Et encore, heureusement que je ne leur ai pas dit à la visite médicale du travail, que j’étais narcoleptique.

Dominique revient avec Alex.

Dominique – Puisque Monsieur Blanc est là, autant régler ça tout de suite avec lui.

Vanessa – Je vous laisse…

Vanessa sort.

Alex – Avant toute chose, Monsieur Blanc, je vais vous demander de signer ça.

Patrick – C’est quoi ? Mon solde de tous comptes ?

Dominique – Un contrat de confidentialité.

Patrick – Ah bon…? Non mais rassurez-vous, je n’ai pas l’intention d’écrire mes mémoires une fois que je serai au chômage. À l’école, déjà, je n’étais pas très bon en rédaction. Pourtant, c’est vrai, j’en ai entendu, des trucs…

Alex – C’est juste pour être certain que tout ce qui va se dire ici restera entre nous.

Patrick – Vous me faites peur. C’est si grave que ça ? Si vous voulez me virer, vous savez, je n’ai rien contre. Je vous demande seulement, si c’est possible, une rupture conventionnelle. Comme ça je touche le chômage quand même. Et puis faute grave, ça fait toujours mauvais effet sur un CV.

Alex – Signez…

Patrick – Oui patron…

Patrick signe. Les deux autres le regardent avec un air qui l’inquiète.

Dominique – Dites-moi, Cédric… Ça ne vous dérange pas que je vous appelle Cédric ?

Patrick – Je m’appelle Patrick…

Dominique – Bon, on ne va pas jouer sur les mots. Eh bien mon cher Patrick, figurez-vous qu’on m’a dit beaucoup de bien de vous.

Patrick – Ah oui ? Et qui ça ?

Dominique – Eh bien… Sabrina, par exemple.

Patrick – Connais pas…

Alex – Monsieur Riviera veut dire Vanessa.

Patrick – Ah bon ? Vanessa ?

Dominique – Bref, le Parti a besoin de gens comme vous. Ça vous dirait de faire de la politique ?

Patrick – De la politique ? Vous voulez dire… tracter sur les marchés, tout ça ?

Dominique – Nous pensions à quelque chose de plus en rapport avec vos capacités.

Patrick – Je vois… Coller des affiches la nuit, ce genre de trucs ?

Dominique – Comme vous le savez, le paysage politique est en pleine recomposition.

Alex – Pour ne pas dire en pleine décomposition.

Dominique – Nous avons besoin de sang neuf.

Alex – Si c’est pour un don du sang, je suis vraiment désolé. J’aurais bien aimé vous aider, mais je ne supporte pas les piqûres.

Dominique – Nous cherchons notre candidat pour les primaires.

Patrick – Les primaires ?

Dominique – Les primaires de la gauche, oui.

Alex – Du Parti Social, en tout cas.

Patrick – Ah oui.

Dominique – C’est le QG de campagne, ici. Vous êtes au courant tout de même ?

Patrick – Vous savez, moi, la politique…

Dominique – C’est parfait. Nous cherchons justement quelqu’un qui ait des idées neuves.

Patrick – Des idées ?

Alex – Oui, enfin, ne vous inquiétez pas pour ça. Des idées, je vous en donnerai. C’est mon métier.

Patrick – Moi, mon métier, jusque là, c’était chauffeur…

Dominique lui lance un regard agacé.

Alex – Bon, ça vous intéresse, oui ou merde ?

Patrick – Si ça peut vous rendre service…

Dominique – Oui, justement, ça… Ça pourrait nous rendre un grand service.

Alex – Et sans vouloir m’avancer, je crois que cela ferait très plaisir à Vanessa…

Patrick – Vous croyez ?

Dominique – Évidemment… Il faudra un peu adapter votre style…

Patrick – Mon style ?

Alex – Vous ne pouvez pas rester habillé… en larbin. Mais rassurez-vous, on vous paiera vos costumes.

Patrick – Mais… vous me gardez quand même comme chauffeur ?

Dominique – Ça me semble un peu difficile. On vous donnera une promotion. Je ne sais pas, moi. Trésorier du Parti, par exemple.

Patrick – Trésorier ? C’est-à-dire que… moi, les chiffres. Remarquez, les lettres ce n’est pas mieux…

Alex – Non, mais rassurez-vous, c’est très simple. En fait, c’est surtout… un titre honorifique.

Patrick – Honorifique…? Mais… et si je ne fais pas l’affaire.

Dominique – Dans ce cas, je vous reprends comme chauffeur, c’est promis.

Patrick – Bon…

Alex – Alors vous êtes d’accord ?

Patrick – Oui patron.

Dominique – Je vous ai déjà dit de ne pas m’appeler patron pendant les primaires du Parti Social. Mais quand vous serez candidat à la présidence de la République, il va vraiment falloir vous défaire de cette mauvaise habitude…

Patrick – Candidat à la…? Mais je n’avais pas du tout compris ça, moi…

Les deux autres échangent un regard navré.

Alex – Je vous réexplique une dernière fois.

Patrick – Oui, merci…

Alex – Donc, ce qu’on vous demande, c’est de…

Patrick tombe en catalepsie.

Dominique – Eh ben, ce n’est pas gagné…

Noir

 Acte 2

Vanessa pianote sur son ordinateur. Son téléphone sonne.

Vanessa – QG de campagne du Parti Social, j’écoute… Non, désolée Monsieur le Président, nous n’avons pas encore de résultats à vous communiquer pour la primaire… Bien sûr, dès que nous aurons une estimation, vous serez le premier informé… Mais je vous en prie, Monsieur le Président… À votre service, Monsieur le Président… (Elle repose le combiné) Sinon tu te fais livrer des pizzas et tu regardes la soirée électorale à la télé…

Claude arrive. Il porte une fausse moustache. Vanessa reste un instant interloquée.

Claude – Bonjour Mademoiselle.

Vanessa – Ah, Monsieur de Casteljarnac. Je ne vous avais pas reconnu…

Claude – Tant mieux, tant mieux… Cela veut dire que mon travestissement est efficace… D’ailleurs, si vous pouviez éviter de prononcer mon nom… Je suis venu incognito.

Vanessa – En effet, je ne m’attendais pas à vous voir… Vous savez qu’ici, c’est le QG de campagne du Parti Social, pas celui du Parti Français que vous présidez ?

Claude – Nous vivons une époque de grande confusion, mon enfant. Le moment est venu de nous rassembler. Nous serons bientôt appelés à nous fondre tous dans un grand parti qu’on appellera… le Parti Sans Laisser d’Adresse.

Vanessa – Je ne doute pas que tous ensemble, vous allez encore une fois sauver la France des périls qui la menacent.

Claude (lorgnant vers son décolleté) – Quand on a le sens de l’état, on ne peut pas rester insensible devant une telle situation. En tout cas, vous êtes très en beauté, aujourd’hui, ma chère.

Vanessa – Pourquoi « aujourd’hui » ? Dois-je comprendre que ce n’est pas toujours le cas ? La dernière fois que vous m’avez vue, j’avais l’air d’un boudin, c’est ça ?

Claude – Mais pas du tout !

Vanessa – Ou alors vous me confondez avec quelqu’un d’autre…

Claude – Chère Mademoiselle, croyez-moi, quand on vous a vue une fois, on ne peut vous confondre avec aucune autre.

Vanessa – Vous savez qu’en principe, Monsieur le Sénateur, vous ne pouvez plus m’appeler Mademoiselle ?

Claude – Ne me dites pas que vous vous êtes mariée, cela me briserait le cœur.

Vanessa – Non, mais maintenant on doit appeler toutes les femmes Madame, c’est la loi. Pour lutter contre les discriminations sexistes. Une loi que vous avez votée vous-même il n’y a pas si longtemps. Vous avez déjà oublié ?

Claude – Si je devais me souvenir de toutes les lois que je vote, le plus souvent en mon absence… Mais j’espère que cette loi ne m’interdit pas de vous dire que vous êtes jolie… Sinon, je déposerai immédiatement un projet pour la faire abroger.

Vanessa – Faites donc voter une loi qui autorisera les femmes à appeler les vieux messieurs Mon Damoiseau… Et puis je crois savoir que vous, Monsieur le Sénateur, vous êtes marié, non ?

Claude – Comme c’est cruel de votre part de me le rappeler, ma chère enfant…

Vanessa – Bon, j’imagine que vous n’êtes pas seulement venu pour me demander ma main en tant que seconde épouse…

Claude – En effet… Je viens voir… qui vous savez.

Vanessa – Si c’est bien celui auquel je pense, il sera là dans un instant.

Claude – Je vais aller me cacher dans un placard en attendant qu’il revienne. Personne ne doit me voir ici. Aucun journaliste, surtout. D’ailleurs si quelqu’un vous pose la question, vous ne m’avez jamais vu, d’accord ?

Vanessa – Rassurez-vous, pour moi, vous n’existez même pas.

Il sort avec un air de conspirateur. Alex arrive.

Alex – Riviera n’est pas là ?

Vanessa – Bonjour Madame Chatterton. Non, Dominique n’est pas encore arrivé. Il a suivi le dépouillement des primaires depuis le siège du parti. Mais il ne devrait pas tarder.

Alex – Je vais l’attendre… Il y a du café ?

Vanessa lui lance un regard interloqué.

Vanessa – Oui, j’imagine qu’il en reste. La machine à expresso est dans l’entrée. Vous avez dû l’apercevoir en arrivant, sur votre droite.

Alex (prise de court) – Ah oui…

Vanessa – Mais si vous ne savez pas vous en servir, je peux vous aider, bien sûr.

Alex – Un double. Sans sucre.

Vanessa – Très bien. Je dois avoir le mode d’emploi de cette machine quelque part dans un tiroir. (Commençant à chercher) Ça vous fera un peu de lecture en attendant Monsieur Riviera…

Alex – Ça ira, merci…

Vanessa – Très bien, alors pas de café…

Elle arrête de chercher et se remet à pianoter sur son portable. Alex fait les cent pas

Alex – Vous avez voté, vous ? Pour les primaires ?

Vanessa – Oui, bien sûr…

Alex – Et si ce n’est pas indiscret, vous avez voté pour qui ?

Vanessa – C’est indiscret, Madame Chatterton… Mais j’imagine que vous avez fait des sondages…

Alex – Les sondages, vous savez… On leur fait dire ce qu’on veut… Et aux électeurs aussi, d’ailleurs. Il suffit de savoir les manipuler…

Vanessa – Et pour ça, vous êtes une experte, je n’en doute pas.

Alex – Les Français sont des veaux, comme disait Churchill.

Vanessa – Je crois que c’était De Gaulle, plutôt. Qui les connaissait beaucoup mieux. Mais c’est vrai que c’est à Londres que le Général a dit ça.

Alex – Oui, oh…

Vanessa – Non, Churchill c’est : « La démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ».

Alex est un peu déstabilisée par ce sens de la répartie.

Alex – Ça vous dirait de travailler pour moi, après la campagne ? On a besoin de femmes comme vous.

Vanessa – De femmes qui sachent choisir leurs citations ailleurs que sur Facebook ? Pourquoi pas ? Mais, je me demande si moi, j’ai envie de travailler pour des gens comme vous. Je vais y réfléchir…

Alex – Ne réfléchissez pas trop longtemps, quand même…

Vanessa – C’était une façon de parler.

Alex – Et… Qu’est-ce que vous pensez de ce Patrick ?

Vanessa – Comme candidat ?

Alex – Évidemment, comme candidat !

Vanessa – Disons que… Ça change un peu.

Alex – C’est un imbécile. À moi, vous pouvez le dire.

Vanessa – Je n’aurais pas dit ça comme ça mais bon…

Alex – Je me suis engagée à le faire élire aux primaires, mais je crois que je l’ai encore surestimé, ce con. Pourtant, je l’avais déjà estimé très bas.

Vanessa – Alors pourquoi l’avoir poussé à se présenter ?

Alex – La politique a ses raisons, que les secrétaires doivent ignorer…

Vanessa – Aujourd’hui, on dit assistante.

Alex – C’est bien dommage… Les secrétaires, au moins, elles faisaient le café.

Alex sort. Vanessa prend une tasse posée sur son bureau et déguste son café.

Vanessa – Il est très bon, ce café…

Patrick arrive. Il a totalement changé de look. Il porte désormais un costume, avec une veste et une cravate à rayures.

Patrick – Bonjour Vanessa.

Vanessa – Bonjour Patrick. Ça va ? Vous avez l’air préoccupé…

Patrick – Vous m’avez vu, à la télé ?

Vanessa – Oui…

Patrick – Et comment vous m’avez trouvé ?

Vanessa – Bien…

Patrick – Non, mais franchement ! J’avais l’air complètement con, je sais bien…

Vanessa – Au moins, vous ne donnez pas dans la langue de bois.

Patrick – Vous trouvez ?

Vanessa – Quand ce journaliste vous a demandé : « Savez-vous combien il y a de chômeurs, en France »…

Patrick – Et que je lui ai répondu : « Je n’en ai aucune idée »…

Vanessa – Ça lui a cloué le bec. Et quand il vous a interrogé sur le budget de l’armée…

Patrick – Et que je lui ai dit : « Je n’en sais rien, et je m’en fous ».

Vanessa – Ça l’a laissé sans voix.

Patrick – Oh, je ne me fais pas d’illusion… C’est moi qui vais rester sans voix le jour du scrutin…

Vanessa – Vous voyez que vous pouvez être drôle, quand vous voulez. Croyez-moi, Patrick, seul l’humour peut encore sauver la France. Vous devriez jouer cette carte à fond. Dans ce pays, quand on met les rieurs de son côté, on a déjà gagné.

Patrick – On dit aussi que pour séduire une femme, il faut commencer par la faire rire… Vous croyez que j’ai encore une chance avec vous ?

Vanessa – En tout cas, à la télé, vous m’avez bien fait rire… Quand ils vous ont demandé ce que vous pensiez des programmes de vos concurrents et que vous vous êtes endormi d’un coup…

Patrick – Heureusement, c’était la fin de l’émission.

Vanessa – Vous êtes très à l’aise en public, et vous ne vous laissez pas démonter par les questions. Puisque vous ne répondez à aucune.

Patrick – Ça me fait plaisir, ce que vous me dites là…

Vanessa – J’ai malgré tout une petite critique constructive à vous faire.

Patrick – Je vous écoute.

Vanessa – Votre cravate. Elle ne va pas du tout avec votre veste.

Patrick – Vous trouvez ? C’est Alex qui…

Vanessa – Les rayures ne vont pas du même côté. Celles de la cravate partent sur la droite, tandis que celles de la veste vont vers la gauche.

Patrick – C’est vrai que j’ai l’air d’un drôle de zèbre…

Elle se rapproche de lui. Il est troublé. Elle dénoue sa cravate.

Vanessa – Et puis vous n’avez pas besoin de cravate… Voilà, comme ça vous avez l’air plus près de vos électeurs. Et vous respirerez beaucoup mieux.

Patrick – C’est vous que je devrais prendre comme conseillère en communication !

Vanessa – Je ne sais pas si Chatterton serait d’accord…

Patrick – De toute façon, je sais que je n’ai aucune chance. Ils m’ont dit que c’était seulement pour faire de la figuration.

Vanessa – Ah oui ?

Patrick – Ils manquent de candidats, vous comprenez ? Dans une primaire, évidemment, il faut qu’il y ait plusieurs candidats. Enfin, au moins deux ou trois…

Vanessa – C’est sûr… Et… même si vous n’êtes pas la tête d’affiche, ils vous payent, au moins, comme figurant ?

Patrick – J’ai toujours mon salaire de chauffeur ! Mais maintenant, il paraît que je suis le Trésorier du Parti. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire…

Vanessa – Ça veut dire que s’il y a le moindre problème avec les comptes de campagne c’est vous qui allez en prison.

Patrick – Ah oui ? On ne m’avait pas dit ça…

Vanessa – La bonne nouvelle, c’est que si vous êtes élu, vous n’irez en prison qu’après votre mandat.

Patrick – Je n’ai aucune chance de passer les primaires. Pour moi, ce sera la prison ferme.

Vanessa – Vous pourriez plaire aux militants du parti…

Patrick – Moi ? Non… Ce soir, ce sera fini, et je pourrai reprendre mon boulot de chauffeur.

Vanessa – Et Chatterton, elle vous a trouvé comment, à la télé ?

Patrick – Quand je l’ai vue juste après, elle ma dit : « Continuez comme ça, Patrick ». Mais je ne sais pas si c’était un compliment…

Vanessa – Moi j’ai confiance en vous. Je crois que vous allez les étonner.

Patrick – Dans ce cas, vous ne pouvez plus me refuser un café ! Vous me donnerez quelques conseils sur la façon de m’habiller pour mon prochain passage à la télé. Pour concéder ma défaite et féliciter le vainqueur…

Vanessa – D’accord… C’est l’heure de ma pause, de toute façon.

Ils sortent. Dominique arrive, avec Claude de Casteljarnac, qui porte la moustache.

Dominique – J’espère que personne ne vous a vu arriver ici.

Claude – Je suis entré par la porte de derrière. Et j’ai mis une fausse moustache.

Dominique – Ah, c’est ça… Je vous trouvais quelque chose de changé, aussi… En tout cas, félicitations pour votre victoire à la primaire de la droite.

Claude – Oh, vous savez, j’ai été élu par une petite moitié des derniers militants qui nous restent. Quelques nostalgiques du Maréchal et des grenouilles de bénitiers. Je sais bien que je n’ai aucune chance pour la présidentielle. Comme dit ma femme : « tu n’as aucun charisme. »

Claude – Tout est affaire de circonstances, vous savez. Pétain non plus n’était pas vraiment un meneur d’hommes.

Dominique – On se souvient quand même de sa moustache. Moi, malheureusement, que j’ai une moustache ou pas, personne ne s’en aperçoit…

Dominique – Que voulez-vous ? Les Français sont des veaux. Ils sont prêts à voter pour n’importe qui. Même pour le berger qui leur promet de les conduire sains et saufs à l’abattoir. Ils ne nous méritent pas, je vous dis.

Claude – Pourtant, au final, ils nous auront quand même… Comme d’habitude…

Dominique – Oui… Si notre plan se déroule comme prévu…

Claude – Mais dites-moi, vous n’y êtes pas allé un peu fort, avec ce Patrick ? Je l’ai regardé à la télé, lors du débat. Il a l’air un peu demeuré, non ? Il faut que ça reste crédible…

Dominique – À la primaire, on est entre nous. On peut bourrer les urnes. Après, l’idée c’est que ni lui ni vous ne soit en mesure de faire de l’ombre à notre candidate commune…

Claude – Frédérique Uberman… La chouchou des sondages… Et vous êtes sûr que ça ne va pas lui donner des idées d’indépendance ?

Dominique – Il lui faudra bien une majorité pour gouverner… Elle retournera voir ses vieux amis.

Claude – Vous avez raison, c’est avec les vieilles peaux qu’on fait les meilleurs gouvernements. D’ailleurs, il faudra qu’on se voit pour décider de la répartition des portefeuilles… Vous, par exemple, vous avez une préférence ?

Dominique – Je vous avoue que je me verrais bien à la culture. J’ai envie de me ranger un peu. Matignon, c’est trop fatiguant, à mon âge. Mais aller tous les soirs au Crazy Horse ou aux Folies Bergères…

Claude – Vous êtes sûr que ça dépend du Ministère de la Culture ?

Dominique – Je ne suis jamais allé au Festival de Cannes, et vous ?

Claude – Oh, moi, vous savez… Un portefeuille ou un autre. Du moment qu’il est bien garni !

Ils rient bruyamment tous les deux.

Dominique – Vous êtes impayable, cher ami.

Claude – Impayable, non, mais hors de prix, oui !

Ils rient à nouveau. Alex arrive.

Claude – Ah, Madame Chatterton… J’espère que nous n’aurons pas à regretter de vous avoir fait confiance.

Dominique – Chatterton… Un nom prédestiné. À droite comme à gauche, depuis plus de vingt ans, on n’arrive pas à s’en débarrasser.

Dominique et Claude rient à nouveau, sous le regard offusqué d’Alex. Les deux autres reprennent leur sérieux.

Claude – Alors, où en sommes-nous, ma chère ?

Alex – Je quitte à l’instant le Président. Il approuve notre projet. Bien évidemment, il ne se prononcera pas officiellement pour Uberman.

Claude – Ce serait le meilleur moyen de la faire perdre.

Alex – Mais après les législatives, il s’engage à soutenir une vaste recomposition du paysage politique français.

Dominique – En clair ?

Alex – Mitterand a fait l’union de la gauche. Le Président veut rester dans l’histoire comme celui qui aura fait l’union de la gauche et de la droite.

Claude – Il restera surtout comme celui qui a fait l’unanimité contre lui…

Ils se marrent.

Dominique – Soyez un peu charitable, mon cher… On ne tire pas sur un corbillard.

Claude – Vous avez raison. À propos, Alexandra, vous qui êtes toujours de bon conseil. Comment me trouvez-vous comme ça ?

Alex – Pardon ?

Claude – Vous voyez bien que j’ai quelque chose de changé !

Alex – Non, je ne vois pas…

Claude (à Dominique) – Vous voyez ? Je vous l’avais dit…

Dominique – Et ça se dit conseil en communication…

Claude – Bon, je me sauve. Sinon, je vais encore me faire engueuler par ma femme. On regarde le cirque à la télé, ce soir…

Dominique – Le cirque ? Vous êtes au courant que l’ORTF a été remplacée par le satellite et que La Piste aux Étoiles, ça n’existe plus ?

Claude – Rassurez-vous. Je parlais seulement de la soirée électorale.

Dominique et Claude se marrent à nouveau.

Dominique – Allez, salut mon vieux.

Claude s’en va. Dominique reprend aussitôt son sérieux.

Dominique – Quel con… Dès qu’Uberman aura été élue, on s’arrangera pour s’en débarrasser…

Alex – Vous avez déjà un plan ?

Dominique – J’ai mon idée, mais ce n’est pas à vous que je vais la dire. Maintenant que je sais que vous travaillez aussi pour lui.

Alex – On peut toujours s’arranger…

Dominique – Combien il vous a offert pour me trahir ?

Alex – Je vous assure qu’il ne m’a encore fait aucune offre.

Dominique – Je vous donnerai le double…

Alex – Ok…

Dominique – Ce qui est sûr, c’est qu’en perdant ces primaires, je me protège. Les électeurs ont la mémoire courte. Je me fais oublier un peu, façon De Gaulle à Colombay, et je redeviens un recours.

Alex – Un ticket avec Uberman ?

Dominique – On n’en est pas encore là. Mais oui, je pense avoir un ticket avec elle… Alors, ce Patrick ? Il ne va pas nous claquer dans les pattes ? Vous croyez qu’il a une chance de remporter nos primaires ?

Alex – En tout cas, on a tout fait pour. Il n’a que deux candidats en face de lui. Vous, le premier ministre démissionnaire dans tous les sens du terme, et un député poursuivi pour harcèlement sexuel par son attachée parlementaire âgée de quinze ans seulement, et qui se trouve être sa nièce.

Dominique – C’est pour ça que moi, j’ai pris ma femme. Au moins, je ne serai pas emmerdé de côté-là.

Alex – Et en plus c’est elle qui vous reverse son salaire.

Dominique – C’est ça, traitez-moi de maquereau, en plus… Et lui, il prend ça comment ?

Alex – Patrick ? Il est persuadé qu’il n’a aucune chance…

Dominique – Il faut dire qu’après sa prestation à la télé lors du débat.

Alex – C’est vrai qu’il était un peu décalé.

Dominique – Remarquez, ça ne manquait pas de fraîcheur. En tout cas, l’émission a fait un bon score.

Alex – C’est un imbécile, mais au moins il n’a pas de casier.

Dominique – Vous en êtes sûr, au moins ?

Alex – Je me suis renseignée auprès du Ministre de l’Intérieur. J’ai quand même découvert qu’il n’avait plus aucun point sur son permis de conduire.

Dominique – Ça ne m’étonne pas qu’il ait failli me tuer plusieurs fois…

Alex – Tant qu’à faire, maintenant qu’il est trésorier, on en profitera pour lui faire endosser les comptes douteux du parti avant de lui rendre sa casquette de chauffeur.

Dominique – Oui, parce que moi, j’ai déjà donné… On devrait avoir les résultats de la primaire d’une minute à l’autre. Vous avez déjà quelques retours ?

Alex – Pour l’instant, tout va bien, rassurez-vous.

Dominique – S’il est élu, notre parti n’a plus aucune chance pour les présidentielles. C’est curieux de dire que tout va bien, mais bon…

Alex – Avec ces deux tocards à droite et à gauche, c’est un boulevard qui s’ouvre au centre. Uberman passera dès le premier tour de la présidentielle.

Dominique – Le diable vous entende…

Le portable de Dominique sonne et il répond.

Dominique – Oui… D’accord… Non… Vous êtes sûr ? Ok…

Il range son portable.

Alex – Alors ?

Dominique – C’est fait. Patrick Blanc remporte les primaires… avec 83% des voix.

Alex – Je vous l’avais dit. Notre plan fonctionne à merveille…

Dominique – Oui… Mais 83%, c’est beaucoup, non ?

Alex – On y a peut-être été un peu fort sur le bourrage des urnes. On ne pensait pas qu’il recueillerait autant de suffrages spontanément.

Dominique – Je ne recueille moi-même que 7%. Je n’avais pas prévu de gagner mais tout de même, c’est assez vexatoire. Vous auriez au moins pu me donner un score à deux chiffres…

Alex – On peut encore recompter les voix… Vous voulez combien ?

Dominique – Et lui ? Je ne sais pas s’il est déjà au courant de sa victoire…

Alex – Ça risque de lui faire un choc. Je vais réfléchir à la meilleure manière de lui annoncer ça…

Dominique – Il va bien falloir qu’il apprenne un jour qu’il est candidat aux Présidentielles.

Ils sortent. Patrick revient avec Vanessa.

Patrick – De toute façon, je sais bien que je n’ai aucune chance.

Vanessa – Pourquoi vous présentez-vous, alors ?

Patrick – Parce que le patron me l’a demandé ! Pour que les deux autres aient l’air moins bêtes à côté de moi, j’imagine…

Vanessa – Ne vous dévalorisez pas, Patrick. Vous n’êtes pas aussi bête que vous en avez l’air… Je veux dire, vous êtes moins bête que vous le prétendez.

Patrick – C’est gentil, ce que vous venez de dire.

Vanessa – Vous trouvez ?

Patrick – Mais si j’ai accepté d’être candidat, c’est aussi pour une autre raison…

Vanessa – Ah oui ?

Patrick – Madame Chatterton m’a dit que vous aviez une bonne opinion de moi…

Vanessa – Elle vous a dit ça ?

Patrick – Et elle m’a dit aussi que vous seriez fière de moi si j’acceptais cette mission. Je sais que je n’ai pas beaucoup d’ambition dans la vie, mais de savoir que vous êtes fière de moi, ça me motive…

Vanessa – Tant mieux…

Patrick – Je n’ai jamais connu mes parents, vous comprenez… Vous au moins, vous avez toujours été gentille avec moi.

Vanessa – Mais je me demande si les gens qui vous manipulent sont aussi gentils que moi.

Patrick – C’est vrai que cette convocation au tribunal au sujet du financement occulte du parti, je ne m’y attendais pas…

Vanessa – Oui… On se demande pourquoi ça arrive maintenant.

Patrick – Si vous n’aviez pas été là pour me dire ce qu’il fallait que je raconte au juge.

Vanessa – Je crois qu’il a bien compris qu’on voulait vous faire porter le chapeau.

Patrick – Que voulez-vous ? Je n’ai pas une tête à chapeau…

Son téléphone sonne, elle répond.

Vanessa – Oui ? Très bien… Combien ? D’accord, je vous l’envoie tout de suite…

Patrick – Alors ?

Vanessa – Vous avez recueilli 83% des suffrages exprimés.

Patrick – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Vanessa – Ça veut dire que vous êtes en tête ! Et que les deux autres se partagent les 17% qui restent…

Patrick – Ce n’est pas possible… Ça doit être une erreur…

Vanessa – Dominique veut vous voir.

Patrick – De toute façon, je ne gagnerai jamais au deuxième tour.

Vanessa – Il n’y a pas de deuxième tour, Patrick. Vous avez la majorité absolue. Vous êtes candidat à l’élection présidentielle !

Patrick – Non ?

Vanessa – Je crois qu’il est temps que je prenne en charge personnellement votre campagne… Mais pour l’instant, Monsieur Riviera vous attend. Vous venez avec moi ?

Vanessa et Patrick sortent. Arrivent Alex et Claude.

Claude – Je me suis mis d’accord avec Uberman. Quand elle aura été élue, elle m’a promis le poste de Premier Ministre.

Alex (ironique) – Vous n’aviez pas dit que vous vous contenteriez du Ministère des Finances ?

Claude – Les Finances ? Dans l’état où sont les finances de la France, autant faire la manche dans le métro.

Alex – Et vous êtes sûr qu’Uberman n’a pas déjà promis Matignon à Riviera ?

Claude – Si bien sûr. C’est d’ailleurs pour ça que je voulais vous voir…

Alex – Tiens donc…

Claude – Depuis que vous travaillez pour lui, vous devez savoir des tas de choses, non ? Je veux dire… des choses qu’il préférerait que la presse continue à ignorer.

Alex – La presse sait déjà pas mal de trucs sur Riviera. Et il a déjà quelques ennuis avec la justice.

Claude – Je ne parle pas d’un simple abus de bien social ou de notes de frais non justifiées. Ce qu’il me faudrait, c’est… quelque chose qui le pousse à se retirer définitivement de la vie politique.

Alex – J’ai peut-être un truc qui pourrait vous intéresser. Mais qu’est-ce que j’y gagne.

Claude – Le prix de la trahison ? Je ne sais pas. À combien vous estimez votre honneur ? Si vous ne l’avez pas déjà vendu plusieurs fois…

Alex – Et pourquoi pas un ministère ? Ça ne vous coûtera rien. Et ça ferait tellement plaisir à ma mère…

Claude – Très bien. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?

Alex – Je pensais… au Ministère des Transports.

Claude – Là je dois dire que vous m’étonnez…

Alex – Quand j’étais petite, ma sœur jouait à la poupée. Moi, pour Noël, j’avais demandé un train électrique. Ma mère a refusé. J’ai eu la Maison de Barbie.

Claude – Moi c’était plutôt le Monopoly, mais bon… Soit, je vous donne les quatre gares. Et ce qui reste de la SNCF.

Alex – Merci.

Claude – Je vous écoute.

Alex – Je vous préviens, c’est du lourd…

Ils sortent.

Acte 3

Dominique arrive, avec Claude.

Dominique – Alors ? Comment se présente le bébé ?

Claude – En ce qui me concerne, ce sera une fausse couche. Les sondages me donnent à peine 3% des voix au premier tour.

Dominique – Très bien !

Claude – J’admire votre enthousiasme…

Dominique – C’est tout à fait conforme à notre plan, non ?

Claude – Le fameux plan C…

Dominique – Couler les porte-avions de la droite et de la gauche, pour faire émerger notre sous-marin nucléaire au centre.

Claude – Et après on se partage les portefeuilles des naufragés… Je ne sais pas pourquoi, mais ça me paraît un peu trop tordu pour marcher…

Dominique – Pourtant, les coups tordus, ça vous connaît…

Claude – Alors finalement, vous seriez intéressé par Matignon ?

Dominique – Après ces révélations sur ma vie privée, je ne suis plus en situation pour un poste aussi exposé… Je me contenterai des anciens combattants ou de l’outre-mer.

Claude – Sale affaire, en effet… Je me demande comment la presse a appris ça.

Dominique – Oui, moi aussi…

Claude – Attention, moi je ne juge personne ! Chacun a le droit de vivre sa sexualité comme il veut. Tant que ça ne dérange personne.

Dominique – Merci…

Claude – Remarquez, vous avez bien fait. Si vous étiez resté une femme, vous n’auriez pas fait une aussi belle carrière politique. Les Français sont tellement misogynes. Enfin, ils l’étaient encore plus à l’époque qu’aujourd’hui…

Dominique – Oui, bon…

Claude – Pour être élu, on est tous prêts à certains sacrifices, mais tout de même… De là à recourir à la chirurgie pour changer de sexe…

Dominique – Quoi ?

Claude – Voyez le bon côté des choses. Vous êtes devenu un symbole, Dominique. Une icône du mouvement LGBT. Vous aurez été le premier Premier Ministre transgenre de ce pays.

Dominique – Mais enfin, je ne suis pas transsexuel !

Claude – Ce n’est pas ce que dit la presse…

Dominique – Je me tue à leur expliquer. C’est une simple erreur de ma mère lorsqu’elle a déclaré ma naissance à la mairie ! Elle voulait tellement avoir une fille… C’est sûrement pour ça qu’elle m’a donné un prénom unisexe. Alors évidemment, Dominique… Personne n’a vu le problème.

Claude – À ce qu’on dit, jusqu’à votre première communion, elle vous mettait des robes…

Dominique – Seulement à la maison ! Et comme je n’ai pas fréquenté l’école publique… J’ai été éduqué par un précepteur… Un prêtre, qui portait la robe, lui aussi…

Claude – C’est cela, oui… Jusqu’à vos 18 ans… Quand pour intégrer Sciences Po, vous avez décidé de changer de sexe…

Dominique – Pas de changer de sexe ! De rétablir la vérité sur mon état civil.

Claude – Ça vous a au moins permis d’échapper au service militaire.

Dominique – Le temps de prouver qu’il s’agissait d’une méprise, et d’obtenir de nouveaux papiers… Vous connaissez les lenteurs de l’administration. Ce n’est qu’à 23 ans que je suis officiellement redevenu un homme.

Claude – Bon, enfin… C’est vous qui voyez… Et à propos de bonne femme, comment ça se passe, avec notre championne ?

Dominique – Uberman ? D’après les dernières estimations, elle est toujours en tête, avec 32% au premier tour.

Claude – Ce n’est pas une marge très confortable. Et c’était avant la désignation de Patrick Blanc comme candidat du Parti Social.

Dominique – Ce type a le charisme d’une huître. Ça ne devrait pas changer grand chose.

Claude – Allez savoir… Il y a pas mal de Français qui aiment les huîtres. Et il faut avouer que pour ce qui est des perles, il en sort d’assez grosses…

Alex arrive.

Dominique – Vous en faites une tête ? Qu’est-ce qui se passe ?

Alex – Je viens d’avoir les chiffres du dernier sondage.

Claude – Et alors ?

Alex – Il y a une petite surprise, mais on va corriger ça très vite.

Dominique – Une surprise ?

Alex – Pour l’instant, Patrick arrive en deuxième position.

Claude – C’est une blague ?

Alex – Ce n’est qu’un sondage. Et ce n’est que le premier tour.

Dominique – Combien ?

Alex – 25…

Claude – 25% d’intentions de vote !

Dominique – Et Frédérique ?

Alex – Elle s’est légèrement tassée, à 27…

Claude – Autant dire qu’on est dans la marge d’erreur…

Dominique – Et là, ce n’est plus la primaire. Ce serait beaucoup plus compliqué pour bourrer les urnes.

Claude – Vous nous aviez assuré que ce Patrick était un con !

Alex – Mais c’est un con ! Je vous le garantis. Qu’est-ce que j’y peux si les électeurs se reconnaissent en lui.

Dominique – Bêtement, je pensais que c’était votre boulot de prévoir ce genre de trucs…

Claude – Vous découvrez seulement aujourd’hui que les électeurs sont des cons ? Mais pour quoi on vous paie ?

Alex – Non mais il va s’effondrer. On va tout faire pour.

Dominique – Ah oui, et qu’est-ce que vous allez faire ?

Claude – Après son dernier passage à la télé, il a gagné 10 points.

Dominique – C’est vrai qu’il avait quelque chose de changé, non ?

Claude – Oui… On ne le reconnaît plus.

Alex – Il est presque drôle, parfois…

Dominique – Ce n’est pas encore un de vos coups tordus, au moins ? Ne me dites pas que vous le conseillez lui aussi, sous le manteau ?

Claude – Vous bouffez à tous les râteliers, Chatterton.

Alex – Mais pas du tout !

Dominique – Ou alors c’est avec vous, Casteljarnac, qu’il a passé un accord secret…

Claude – Je vous jure que non !

Dominique – Je vous conseille de ne pas me faire un enfant dans le dos. J’ai encore mes entrées à Matignon, et vous savez de quoi je suis capable…

Alex – Je m’en occupe…

Ils sortent. Patrick arrive avec Vanessa. Patrick a adopté un nouveau look, beaucoup plus moderne mais un peu décalé. Il porte dans une main un sac en papier à l’enseigne de Mac Donald, et dans l’autre un verre en carton dont il aspire bruyamment le contenu à l’aide d’une paille.

Vanessa – Merci pour cette invitation, Patrick. Mais vous avez dû vous ruiner…

Patrick – Je passerai ces deux menus Big Mac sur mes frais de campagne. Vous êtes ma conseillère, oui ou non ?

Vanessa – Pour l’instant, il vaut mieux que ça reste un secret entre nous.

Patrick – Moi, la politique, je n’y comprends rien. Mais avec vous, tout devient simple. C’est vous qu’ils auraient dû désigner comme candidate, pas moi !

Vanessa – Je crois que je n’avais pas l’air assez conne. Ils se méfiaient de moi. Désolée, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

Patrick – Oh, je sais que je n’ai pas vraiment le profil d’un candidat à la présidentielle. D’ailleurs, je ne comprends toujours pas pourquoi c’est moi qu’ils ont choisi…

Vanessa – Vous avez encore beaucoup à apprendre avant d’être tout à fait armé pour faire de la politique.

Patrick – Je sais bien que je ne serai jamais élu, mais en tout cas, cette aventure m’a ouvert sur des tas de choses que j’ignorais.

Vanessa – Vous avez des capacités, Patrick. Jusque-là, vous n’avez pas eu l’occasion de les exprimer, c’est tout.

Elle s’approche de lui, en déployant à charme envoûtant.

Patrick – Je serai votre élève, Vanessa…

Vanessa – Je serai toujours à vos côtés, Patrick. Mais il faudra bien m’écouter, d’accord…?

Patrick – Je boirai vos paroles.

Vanessa – Et bien faire ce que je vous dis.

Patrick – Je serai votre esclave… Commandez, et j’obéirai…

Il s’approche pour l’embrasser. Le téléphone sonne, interrompant ce moment d’égarement. Elle répond.

Vanessa – Oui ? Oui… Très bien, merci. Non, non, je lui dirai… (Elle met fin à l’appel) Les résultats viennent de tomber.

Patrick – Ne me dites pas que je suis en tête ?

Vanessa – Vous êtes en deuxième position.

Patrick – Ouf… Ça veut dire que je ne suis pas élu.

Vanessa – Pas au premier tour, évidemment, mais vous restez en lice pour le deuxième.

Patrick – Oh, non…

Vanessa – Je vais bien m’occuper de vous, ne vous inquiétez pas. Vous venez ?

Ils sortent. Arrivent Dominique et Fred.

Fred – Vous m’aviez promis qu’il ne tiendrait pas la distance.

Dominique – C’est ce qu’on croyait tous.

Fred – Vous ne seriez pas en train d’essayer de me baiser, au moins ?

Dominique – Je vous assure que…

Fred – Vous m’avez poussée à me présenter hors parti, en me disant que ce type n’était qu’un matelot sacrifié pour couler avec le navire.

Dominique – Mais… tout à fait ! C’est ce que je croyais, en tout cas…

Fred – Enfin, c’est qui cet abruti ?

Dominique – C’est mon chauffeur…

Fred – Vous vous foutez de moi ?

Dominique – C’était une idée de Chatterton.

Fred – Je vous avais dit de vous en méfier, de celle-là…

Dominique – Patrick Blanc, ça ne devait être qu’un bouc émissaire, pour assumer le passif du parti. Mais je me demande si cette créature n’est pas en train de nous échapper.

Fred – Bravo… Et maintenant, qu’est-ce que vous proposez ?

Dominique – Je vous avoue que je ne sais plus quoi faire. Quoi qu’on fasse pour le décrédibiliser, ça le rend encore plus sympathique auprès de l’électorat.

Fred – On ne peut tout de même pas laisser ce crétin devenir Président de la République.

Dominique – Je crois que le moment est venu d’envisager de l’éliminer définitivement de la course à l’Élysée…

Fred – Définitivement ?

Dominique – J’appelle le Ministre de l’Intérieur…

Noir.

Acte 4

Dominique arrive avec Alex.

Dominique – Non mais vous l’avez vu, hier, à la télé ? Il se fiche de nous !

Alex – Il faut reconnaître qu’il est assez étonnant.

Dominique – Supprimer le Sénat… C’est vous qui lui avez soufflé cette idée absurde ?

Alex – Mais pas du tout !

Dominique – Je vous rappelle que tous nos souteneurs de droite sont sénateurs !

Alex – Par souteneurs, vous entendez soutiens, j’imagine…

Dominique – Claude m’a appelé, il est hors de lui. C’est vrai que si on supprimait le Sénat, personne ne s’en apercevrait, mais bon…

Alex – Je ne sais pas où il est allé cherché ça… Il est peut-être moins con qu’il en a l’air, après tout…

Dominique – Vous m’aviez dit qu’il savait à peine lire et écrire !

Alex – Je ne sais pas ce qui lui est arrivé…

Dominique – Depuis qu’il a réchappé à cet attentat, c’est pire que tout. Il est passé en tête des intentions de vote au deuxième tour. Vous vous rendez compte ? Les deux tiers des Français se déclarent prêts à voter pour cet imbécile !

Alex – Il faut dire que les barbouzes de la DGSE se sont surpassés. Le sniper qui devait lui coller une balle dans la tête s’est tiré une balle dans le pied !

Dominique – Des tireurs d’élite ! Je ne comprends pas… Ce type a la baraka, ce n’est pas possible autrement. On dirait qu’il bénéficie d’une protection divine.

Alex – C’en est presque troublant. Il est même à l’épreuve des balles.

Dominique – Mais c’est quoi, son secret ?

Alex – Un grigri que lui aura fourni un marabout africain…

Dominique – Rien ne peut donc plus l’arrêter ?

Alex – J’aimerais vous dire le contraire, mais j’ai tout essayé. Pourtant vous savez que quand il s’agit de salir une réputation, je ne manque jamais d’imagination.

Dominique – Il doit bien avoir quelque chose à se reprocher ! On a tous, quelque chose à se reprocher ! Un emploi fictif, un compte en Suisse, un ami au Kremlin…

Alex – La vie de Patrick Blanc est un néant total. C’est à croire qu’avant d’être candidat à la présidentielle, il ne lui était rien arrivé du tout.

Dominique – Il a bien des parents, tout de même. Un père alcoolique. Une mère prostituée.

Alex – Une sœur comédienne, ça me suffirait. Mais c’est un enfant de la DASS. On ne sait pas qui sont ses parents. On ignore d’où il vient. Patrick Blanc, c’est l’immaculée conception.

Dominique – Bientôt vous allez me dire que c’est un extraterrestre… ou le messie.

Alex – Franchement je ne suis plus sûre de rien…

Dominique – Vous nous aviez promis un naufrage. Sur vos conseils, on a quitté le navire sur un radeau. Et voilà que le Titanic continue sa route vers l’Amérique en évitant soigneusement tous les icebergs !

Alex – Avec un dingo pour capitaine…

Dominique – On va finir par se bouffer entre nous, sur ce putain de radeau, vous allez voir…

Alex – Vous avez raison… On est fait comme des rats… Je veux dire… On va trouver une solution…

Dominique – Je vous retiens, avec votre plan C ! Et qu’est ce que vous allez nous suggérer maintenant ?

Alex – Un plan D ?

Dominique – Je vous préviens, je ne déclinerai pas toutes les lettres de l’alphabet…

Alex – Je suis sur le coup, je vous assure…

Dominique – Et c’est quoi, votre plan D ?

Alex – Négocier ?

Dominique – Négocier avec Patrick Blanc ? Je vous rappelle que c’est mon chauffeur…

Alex – Si on ne peut pas empêcher son élection… Après tout, c’est le candidat du parti, non ? Celui qui a été officiellement légitimé par nos primaires.

Dominique – Je ne suis pas sûr que la droite soit d’accord… Ce n’est pas tout à fait le plan qu’on leur avait vendu.

Claude arrive, furieux.

Claude – C’est quoi, ces conneries ? Vous pensez me faire un enfant dans le dos, c’est ça ?

Dominique – Mais enfin Claude, calme-toi. De quoi tu parles ?

Claude – Tu m’avais dit que votre candidat, c’était juste un épouvantail. Pour mieux faire élire cette bécasse de Frédérique, qu’on aurait pu ensuite manipuler comme on voulait. La dinde de la farce, tu disais…

Frédérique arrive et entend ces dernières paroles.

Fred – C’est bien de moi, la dinde dont vous parlez ?

Dominique – Ah, bonjour Frédérique.

Fred – Tu me prends vraiment pour une conne, Dominique. Mais je te préviens, si tu me fais ce coup-là, je t’arrache les couilles.

Claude – On n’est même pas sûr qu’il en ait… Un type capable de changer de sexe pour avoir plus de chance d’être élu ! Retourner sa veste, il n’est pas à ça près…

Dominique – Je vous assure que je n’y suis pour rien. Mais bon, ce qui compte maintenant, c’est de trouver un moyen d’en sortir. Tous ensemble…

Fred – Tous ensemble… Non mais écoutez-le, ce faux cul.

Claude – Patrick Blanc est en tête des intentions de vote ! Comment vous comptez vous y prendre pour changer ça ?

Dominique – Rassurez-vous, Alex a un plan D…

Fred – Et c’est ça qui est supposé nous rassurer ? C’est quoi encore, ces embrouilles ?

Alex – C’est… C’est encore un peu tôt pour en parler, mais j’y travaille, croyez-moi…

Claude – Vous avez intérêt, parce que nos patrons sont furieux.

Alex – Nos patrons ?

Claude – Ne jouons pas sur les mots. Je voulais dire… les patrons de la France. Ou les patrons français, si vous préférez.

Dominique – Oh, mon Dieu… Les patrons du CAC 40… Et qu’est-ce qu’ils disent ?

Claude – Ils menacent de nous couper les vivres…

Dominique – Il faut absolument trouver une solution… si demain on ne veut pas avoir à payer nous-mêmes nos costards sur-mesure.

Fred – Ou qu’on nous offre gratuitement un costume en sapin.

Alex – Je vais voir ce que je peux faire…

Dominique – Et je vous conseille de vous dépêcher, parce que les snipers de la DGSE ne se tireront pas toujours une balle dans le pied.

Claude – Heureusement, il n’a pas de programme…

Fred – Je commence à me demander si ce n’est pas pour ça qu’il est plébiscité par les électeurs…

Ils sortent. Patrick arrive avec Vanessa.

Vanessa – Après tout, si vous étiez élu président, vous ne pourriez pas faire pire que les autres…

Patrick – Je crois que vous me sous-estimez, Vanessa…

Vanessa – Apparemment, rien ne pourra empêcher les électeurs de voter pour vous, autant avoir un programme.

Patrick – Un programme, moi ? Mais quel programme ?

Vanessa – Je ne sais pas… Vous avez des idées ?

Patrick – Et si on demandait aux gens ce qu’ils veulent.

Vanessa – Parce que vous croyez qu’ils veulent tous la même chose, les gens ? Ce serait trop simple…

Patrick – Alors qu’est-ce qu’on peut faire ?

Vanessa – Jusqu’ici, tous les présidents se sont efforcés de ne déplaire à personne… en ne faisant rien du tout.

Patrick – Dans ce cas, autant supprimer le Président de la République.

Vanessa – Là, vous m’épatez, Patrick… C’est en effet une idée révolutionnaire. Après avoir proposé de supprimer le Sénat… Il ne reste plus qu’à supprimer aussi l’Assemblée, et on ne sera pas loin de la restauration.

Patrick – La restauration ? Vous voulez dire la restauration rapide ?

Vanessa – La restauration de la monarchie ! Mais une monarchie populaire, cette fois. Avec un souverain issu du peuple, comme vous. (Son téléphone sonne et elle répond) Oui ? Oui, il est avec moi justement. Très bien, je lui dis tout de suite… (Elle raccroche) Chatterton vous cherche.

Patrick (pas rassuré) – Vous ne voulez pas rester avec moi ?

Vanessa – C’est vous le candidat, Patrick. Maintenant, il va falloir faire face… (Alex arrive) Je vous laisse… Mais rassurez-vous, je ne serai pas loin…

Vanessa sort. Alex arrive.

Alex – Alors Patrick ? Vous ne regrettez pas votre boulot de chauffeur ?

Patrick – À vrai dire… si, un peu…

Alex – Je peux vous l’avouer maintenant, vous n’étiez pas mon favori dans cette élection. Mais la présidentielle, c’est la rencontre d’un homme avec un peuple, n’est-ce pas ?

Patrick – Euh… oui.

Alex – Et ce peuple, Patrick, il se reconnaît en vous. Pour le meilleur et pour le pire…

Patrick – Probablement pour le pire, j’en ai bien conscience.

Alex – Ne vous sous-estimez pas, mon cher ! Vous faites une bonne campagne.

Patrick – Je ne savais même pas que je faisais campagne…

Alex – Vous n’avez pas fait l’ENA. Et alors ? Il faut savoir reconnaître le talent là où il est, et l’encourager… Pour le bien du pays ! La France a besoin de renouveler son personnel politique, c’est évident. Et vous, Patrick, vous incarnez parfaitement ce renouvellement !

Patrick – Si vous le dites…

Elle s’approche de lui, et le prend par les épaules.

Alex – J’ai foi en vous, Patrick… Au fond de moi, j’ai toujours su que vous étiez appelé à un destin national. Vous saviez que c’est moi qui ai soufflé votre nom à Riviera pour la primaire ?

Patrick – Euh… non.

Elle se détache de lui.

Alex – Néanmoins, vous devrez être encadré par des gens plus aguerris, bien sûr. Vous n’avez aucune expérience de la vie politique. Si par malheur vous êtes élu, vous aurez besoin de conseils. Pourquoi ne pas faire un bout de chemin ensemble ?

Patrick – Oui, pourquoi pas ?

Alex – Vous connaissez la différence entre les politiques et les électeurs ?

Patrick – Non.

Alex – Les politiques, c’est « faites ce que je dis mais pas ce que je fais ».

Patrick – Et les électeurs ?

Alex – C’est pareil.

Patrick – D’accord… Donc, il n’y a pas de différence.

Alex – Voilà.

Patrick – Mais vous m’avez demandé si je connaissais la différence entre…

Alex – C’est une blague.

Patrick – D’accord.

Alex – Ça veut dire, si vous préférez, que… les gens attendent de leurs représentants une exemplarité qu’ils refusent de s’imposer à eux-mêmes.

Patrick – D’accord…

Alex – Venez avec moi, je vais essayer de vous expliquer…

Ils sortent. Dominique et Claude arrivent.

Dominique – Je me demande si on n’est pas au bout de quelque chose, quand même…

Claude – Vous croyez ?

Dominique – Après tout le mal qu’on s’est donné pour eux…

Claude – Oui… (Un temps) Vous parlez sérieusement ou bien…

Dominique – Je ne sais même plus… C’est ça le problème…

Claude – Ceci dit, je crois que c’est vous qui avez raison… La gauche, la droite… Tout ça, c’est dépassé.

Dominique – Ce sont les mêmes qui dénoncent le pouvoir de l’argent et qui réclament plus de pouvoir d’achat !

Claude – En tout cas, nos sponsors sont furax.

Dominique – Nos sponsors ?

Claude – J’ai dit ça ? Au temps pour moi… Je voulais dire nos souteneurs.

Dominique – À choisir, je préfère encore sponsors, remarquez… On emploie bien ce terme pour les sportifs qui courent après un titre et une médaille, pourquoi pas pour les politiques qui courent après un poste et une décoration.

Claude – Tout de même… Vous nous voyez porter des costards aux couleurs des sociétés qui nous les payent ?

Dominique – Vous avez raison, ce serait un peu voyant… et pas très élégant.

Ils sortent. Alex revient avec Vanessa.

Alex – Nous sommes parties sur un mauvais pied, toutes les deux, et je le regrette, croyez-le bien.

Vanessa – Et qu’est-ce que vous attendez de moi, au juste ?

Alex – Pour une raison qui m’échappe, vous semblez avoir une certaine influence sur Patrick. Vous ne voudriez pas collaborer avec nous ?

Vanessa – Collaborer ?

Alex – Lui faire comprendre que le costume est trop grand pour lui. Vous conviendrez que si cet abruti en arrivait à être élu président, la République serait en danger.

Vanessa – Tandis qu’avec vous, elle ne court aucun risque, bien sûr…

Alex – Nous saurions vous récompenser.

Vanessa – Ah oui ?

Alex – Vous n’allez pas rester secrétaire toute votre vie.

Vanessa – Je suis assistante.

Alex – Vous valez mieux que ça, Sabrina.

Vanessa – Je m’appelle Vanessa…

Alex – Vous n’aurez pas affaire à des ingrats, je vous assure… Ça vous dirait, un poste de secrétaire dans le prochain gouvernement ?

Vanessa – Je suis assistante, je viens de vous le dire.

Alex – Non, je voulais dire… secrétaire d’état. (Elle semble un peu déstabilisée) Je vous laisse réfléchir à ma proposition…

Alex sort. Patrick arrive.

Patrick – Ils me proposent un arrangement.

Vanessa – Tiens donc…

Patrick – Je me désiste en faveur de Uberman, et je serai secrétaire dans le prochain gouvernement. Secrétaire, moi, vous vous rendez compte ?

Vanessa – Vous préfériez ministre, c’est ça ?

Patrick – Pas du tout ! Chauffeur, déjà, j’avais du mal, mais secrétaire… Je ne suis pas sûr d’avoir le niveau. Je ne suis pas comme vous, moi. Je n’ai jamais été très bon en orthographe et je ne sais pas taper à la machine.

Vanessa – Rassurez-vous, pour être secrétaire d’état, il n’y a même pas besoin de savoir lire et écrire.

Patrick – Vous me conseillez d’accepter, alors ?

Elle s’approche de lui avec un sourire enjôleur.

Vanessa – Je crois que vous valez mieux que ça, Patrick…

Patrick – Mais alors qu’est-ce que je fais ?

Vanessa – Vous me faites confiance ?

Patrick – Une confiance aveugle, Vanessa.

Il tombe en catalepsie. Noir.

Acte 5 

Patrick et Vanessa arrivent. Vanessa s’efface pour le laisser passer.

Vanessa – Monsieur le Président, après vous…

Patrick – 97% des voix ! Ce n’est pas possible. Il doit y avoir une erreur quelque part…

Vanessa – Aucun candidat n’a jamais été élu en France avec une telle majorité !

Patrick – Je ne comprends pas ce qui m’arrive… Ça me fait peur, Vanessa…

Vanessa – C’est vrai qu’un score pareil… Ça ne fait pas de vous un président normal. Et ça donnerait des idées à n’importe quel apprenti dictateur…

Patrick – Je vous rappelle que j’ai promis de démissionner aussitôt élu.

Vanessa – Oui. Et de supprimer la fonction présidentielle.

Patrick – C’est même après avoir pris ce malheureux engagement que ma cote de popularité s’est envolée.

Vanessa – D’ailleurs, c’était votre seul argument de campagne.

Patrick – Moi qui pensais dissuader les électeurs de voter pour moi… Élire quelqu’un qui s’engage à démissionner s’il remporte les élections… Ça n’a pas de sens !

Vanessa – À l’évidence, les Français en ont assez des hommes providentiels.

Patrick – Ou alors, les Français sont des cons.

Vanessa – C’est aussi une hypothèse, hélas…

Patrick – Quoi qu’il en soit, j’ai promis. Demain, je ne serai plus président…

Vanessa – Pour éviter une vacance du pouvoir et une crise de régime, il serait plus responsable d’attendre jusqu’aux législatives…

Patrick – Vous croyez ?

Vanessa – C’est certain. Et même après… Si vous décidiez de rester encore un peu, vous ne seriez pas le premier à trahir vos promesses de campagne.

Patrick – C’est-à-dire que… J’ai donné ma parole… C’est la démocratie, non ?

Vanessa – Beaucoup de dictateurs ont commencé par être élus, vous savez…

Patrick – Maintenant, c’est vous qui me faites peur, Vanessa… Vous plaisantez, là, ou bien…?

Vanessa – Je vous avoue que je ne sais plus très bien…

Patrick – Moi non plus… Je n’étais pas préparé à ça… C’est normal que ça puisse monter à la tête.

Vanessa – C’est sûr… Être président, c’est une énorme responsabilité. Songez que maintenant, vous êtes le chef des armées.

Patrick – Je n’ai même pas fait mon service militaire… J’ai été réformé à cause de ma narcolepsie…

Vanessa – Heureusement, il n’y a aucune visite médicale pour être président de la république. Même si vous étiez fou à lier, vous pourriez quand même déclencher une guerre nucléaire ! À propos, on vous a déjà donné le code ?

Patrick – Le code…?

Vanessa – Le code secret ! Pour la bombe !

Patrick – Euh, non… Enfin, je n’ai pas vérifié mes SMS.

Il regarde son portable.

Vanessa – C’est vrai que parfois, on se dit que le monde vivrait mieux si on en supprimait la moitié.

Patrick – Oui… Mais laquelle ? Ma messagerie est complètement saturée…

Il range son portable.

Vanessa – Vous avez raison, c’est un peu radical… Sinon, vous avez aussi droit à un certain nombre d’assassinats ciblés.

Patrick – Pardon ?

Vanessa – Vous fournissez une liste à la DGSE, et elle s’occupe de tout.

Patrick – Vous avez raison, je crois que nous sommes en train de devenir fous…

Vanessa – Non mais c’est seulement un ou deux par mois.

Patrick – D’accord… Une sorte d’abonnement, en quelque sorte. Mais on ne doit pas dépasser le forfait…

Vanessa – Exactement…

Patrick – Ça me rassure, en effet…

Vanessa – Rien à signer. Aucun compte à rendre à personne. Ni vu ni connu.

Patrick – Oui… C’est sûrement comme ça que j’ai failli par deux fois être assassiné… Mais ils ont l’air tellement maladroits. C’est une chance qu’il n’y ait pas eu de dégâts collatéraux…

Vanessa – Moi j’ai bien une petite idée de qui je mettrais en tête de liste…

Patrick – On pourrait arrêter de parler de ça. Ça me rend un peu nerveux…

Vanessa – D’accord… Néanmoins, maintenant que vous êtes le commandant en chef du paquebot France, Patrick, vous allez traverser des tempêtes. Subir des pressions. Faire face à des mutineries, peut-être…

Patrick – Voilà pourquoi j’ai la ferme intention de quitter le navire dès que possible…

Vanessa – Bien sûr, mais avant les résultats du deuxième tour des législatives, il peut s’en passer, des choses, vous savez…

Patrick – C’est pour ça que j’ai encore besoin de vous à mes côté, Vanessa… Plus que jamais…

Ils se rapprochent, et sont sur le point de s’embrasser. Mais le téléphone sonne. Vanessa se reprend et répond.

Vanessa – Oui ? Oui, Monsieur le Président. Je vous le passe tout de suite… (À Patrick) Le Président…

Patrick – Ah, vous voyez bien que ce n’est pas moi !

Vanessa – L’ancien Président. Pour vous féliciter de votre élection…

Patrick – Ah… (Il prend le combiné) Oui, Monsieur le Président… Merci Monsieur le Président… Mais bien sûr, Monsieur le Président… Au revoir Monsieur le Président…

Il raccroche, incrédule.

Vanessa – Alors ? Il vous a donné le code ?

Patrick – Pour rentrer à l’Elysée, il y a un code ?

Vanessa – Le code nucléaire !

Patrick – Non, mais c’est une obsession…

Vanessa – Excusez-moi.

Patrick – Vous croyez que c’était vraiment lui ?

Vanessa – Qui ça, lui ?

Patrick – Le Président ! Ça pourrait être un canular ! Toute cette histoire pourrait être un gigantesque canular… Ou tenez : une pièce de théâtre !

Vanessa – Dans ce cas, c’est que le monde entier est un théâtre, comme disait Shakespeare.

Patrick – Donc, je ne rêve pas…

Vanessa – À moins que la vie ne soit un songe, comme disait Calderon.

Patrick – Vous pourriez arrêter avec vos citations ? Je ne suis pas sûr que ça m’aide beaucoup…

Vanessa – Pardon… En attendant, vous voilà officiellement Président de la République… Vous avez des souhaits particuliers, pour la cérémonie d’investiture ?

Patrick – Il va falloir que je jure sur la bible ?

Vanessa – On n’est pas aux États Unis…

Patrick – On jure sur quoi, en France, alors ?

Vanessa – Jusqu’à maintenant, c’était plutôt sur le bottin mondain… En revanche, si vous avez une chanteuse préférée, c’est l’occasion ou jamais de la voir en vrai.

Patrick – J’aime bien Céline Dion… Vous croyez que ce serait possible ?

Vanessa – Pourquoi pas ? De toute façon, vous n’en réchapperez pas. Autant vous faire un peu plaisir.

Patrick – D’accord… Alors va pour Céline Dion… Je démissionnerai, juste après… Et je compte sur vous pour veiller à ce que je tienne ma promesse !

Vanessa – J’y veillerai… Même si ça sera dur pour moi aussi… Je me voyais déjà en première dame…

Patrick – Je suis vraiment désolé, mais… (Comprenant) Première dame ? Vous voulez dire que… 

Vanessa – J’ai toujours rêvé d’avoir dans mon lit un homme doté de la puissance nucléaire.

Ils s’embrassent avec fougue. Il est même prêt à la prendre sur la table. Alex arrive.

Alex – Pardon, je ne voulais pas vous déranger.

Patrick – Non, non, vous ne nous dérangez pas du tout…

Vanessa – Ben si, un peu quand même… Qu’est-ce que vous voulez ?

Alex (à Patrick) – Tout d’abord vous féliciter pour cette éclatante victoire.

Patrick – Merci…

Alex – Une victoire à laquelle, il faut bien le dire, je ne suis pas tout à fait étrangère…

Vanessa – Patrick a échappé à deux tentatives d’assassinat…

Alex – J’étais pour ma part tout à fait opposée à cette malheureuse initiative, croyez-le bien.

Patrick – Bon, et alors ?

Alex – Alors, il va bien falloir préparer la suite… Vous ne pensez pas sérieusement à démissionner, n’est-ce pas ?

Patrick – Je m’y suis engagé devant les Français.

Alex – Bien sûr… Et il est important pour un élu de tenir ses promesses.

Patrick – Nous sommes d’accord.

Alex – Vous avez promis de démissionner, mais vous n’avez pas précisé quand. Après tout, rien ne vous empêche de vous démettre quelques semaines avant la fin de votre mandat.

Patrick – Ce n’est sûrement pas ça que mes électeurs avaient en tête quand ils ont voté pour moi.

Alex – Vous débutez, c’est normal… Mais vous savez, il va falloir apprendre à jouer un peu avec les mots. Tenir sa parole, oui. Mais les paroles, ce ne sont que des mots. Et les mots, avec un peu d’expérience, on leur fait dire ce qu’on veut.

Patrick – Vous croyez…

Alex – Bien sûr ! C’est un peu comme avec les femmes, si je peux me permettre. Vous connaissez les femmes, Patrick ? Quand elles vous disent non, c’est peut-être, et quand elles disent peut-être, c’est oui.

Vanessa – Et quand elles vous disent merde ?

Alex – Les hommes politiques, c’est l’inverse. Quand ils promettent, c’est peut-être, et quand ils disent peut-être, ça veut dire jamais.

Patrick – Je ne sais pas, je… Qu’est-ce que vous en pensez, Vanessa ?

Alex – Enfin, Patrick ! Vous êtes Président, maintenant. Vous n’allez pas demander conseil à… une secrétaire. Même si vous avez l’air assez intime, d’après ce que j’ai compris…

Vanessa – Je crois que vous êtes mal informée. Je suis la future première dame. Et à ce titre, j’entends bien tenir mon rang auprès de mon mari afin de l’aider à faire les bons choix. N’est-ce pas, Patrick ?

Patrick – Bien sûr, ma chérie.

Alex – Désolée, je ne savais pas, en effet. Cette demande en mariage est tout à fait récente, j’imagine. Je comprends que vous soyez encore un peu sous le coup de l’émotion… Nous reprendrons cette conversation un peu plus tard.

Elle sort.

Vanessa – Désolée d’avoir un peu anticipé votre demande en mariage… Mais je vous écoute…

Patrick – Voulez-vous m’épouser, Vanessa ?

Vanessa – Oui… (Ils s’embrassent) J’aime les hommes qui prennent l’initiative. Vous avez l’âme d’un chef, Patrick, je l’ai tout de suite compris quand je vous ai vu pour la première fois.

Patrick – Vraiment ?

Vanessa – Venez avec moi. Je vais vous apprendre deux ou trois petites choses que vous n’avez pas l’air de connaître encore…

Ils sortent, tendrement enlacés. Dominique arrive, avec Claude.

Dominique – Et si on déballait tout ?

Claude – Tout ?

Dominique – Que ce type n’est qu’un employé de maison. Un simple chauffeur ! On a même un contrat signé de sa main…

Claude – Oui… Mais ça voudrait dire qu’on a sciemment trompé nos électeurs !

Dominique – Vous avez raison… Donc, c’est foutu… La France est foutue… En tout cas, nous on est foutus…

Claude – Heureusement, cet imbécile n’a pas encore de majorité… On peut espérer se rattraper aux législatives.

Dominique – Ce n’est pas si facile. Maintenant, il a un programme.

Claude – Parlons-en, de son programme. Supprimer la fonction pour laquelle il vient d’être élu ! Avec 97% des voix…

Dominique – Je ne comprends toujours pas comment on a pu en arriver là… Mais bon, les électeurs vont bientôt s’en lasser, comme de tous les autres.

Claude lui montre un journal.

Claude – Pour l’instant, on n’en prend pas le chemin… Regardez ! Depuis son élection, le moral des Français s’est considérablement amélioré. Alors qu’il n’a encore rien fait !

Dominique – L’économie va s’effondrer, vous allez voir.

Claude – La bourse a gagné 10% hier…

Dominique – Le monde de la finance, ce n’est pas l’économie réelle.

Claude – Les chiffres du chômage viennent de tomber. Pour la première fois depuis des années, ils sont en nette amélioration. Il a inversé la courbe avant même d’être élu !

Dominique – Vous voulez dire que ce type est un sorcier ?

Claude – Pour être honnête, je commence à me demander si ce n’est pas avec le diable, qu’on a signé un contrat…

Ils sortent. Patrick et Vanessa arrivent, avec Alex. Patrick a l’air un peu débraillé, suite à la leçon de choses que vient de lui délivrer Vanessa.

Patrick – Ok, je vous écoute…

Alex – Il faut reconnaître que vous n’avez pas beaucoup l’expérience de la conduite de l’État.

Patrick – Jusqu’ici, la seule chose que je conduisais, c’était la voiture de Monsieur Riviera. Et en général, ça finissait contre un mur.

Alex – Si je peux être utile… Je suis prête à faire le don de ma personne à la France.

Vanessa – Mais quand vous dites le don, j’imagine qu’il s’agit seulement d’une façon de parler ?

Alex – Si vous ne souhaitez pas que mes émoluments apparaissent dans votre comptabilité, nous pourrons toujours trouver une façon de nous arranger…

Vanessa – Je vois…

Alex – Dans ce cas, je me mets dès maintenant à votre disposition. Qu’est-ce que je peux faire pour commencer ?

Vanessa – Pour commencer ? Allez me chercher un café. Vous savez où est la machine ?

Alex – Vous avez raison, le service public est d’abord une école d’humilité. Et nous l’avons tous oublié depuis trop longtemps…

Vanessa – Court, sans sucre, s’il vous plaît. (Alex s’apprête à sortir) Vous pourrez me rapporter la presse, aussi ?

Alex – Bien sûr…

Alex sort.

Patrick – Vous n’avez pas été un peu dure, avec elle ?

Vanessa – Je vous rappelle qu’elle a voulu vous tuer deux fois.

Patrick – C’est vrai, j’avais oublié…

Vanessa – Bon, maintenant au boulot, Patrick ! On a un pays à sortir de la crise.

Patrick – À mon tour de vous rappeler que j’ai promis de démissionner.

Vanessa – Pas avant les législatives. En attendant, on va en profiter pour essayer quelques trucs.

Patrick – Vous me faites peur, Vanessa… J’espère que vous ne faites pas référence au bouton nucléaire ?

Vanessa – Arrêtez de parler de ça, ça m’excite.

Ils s’enlacent à nouveau, mais Alex revient avec le café.

Alex – Voilà votre café… Je vous ai aussi rapporté les journaux… Vous allez voir, c’est édifiant…

Vanessa – Merci.

Elle jette un regard au journal, et son visage se fige.

Patrick – Vous en faites une tête…

Vanessa – Tenez, lisez.

Patrick jette un regard au journal, et son visage se décompose.

Patrick – Sourd-muet de naissance, il entend un discours de Patrick Blanc à la radio et se met à chanter La Marseillaise. C’est une blague…

Alex prend un autre journal et lit le titre.

Alex – Un aveugle retrouve la vue après avoir serré la main de Patrick Blanc lors de son dernier meeting de campagne.

Vanessa – Voyant passer Patrick Blanc dans la rue lors d’un défilé, il se lève de son fauteuil roulant et le suit jusqu’au bureau de vote.

Alex – Les catholiques réclament votre béatification. Regardez, les titres des journaux ! On vous appelle déjà Saint Patrick…

Patrick – Tout ça va trop loin… Les gens doivent savoir, maintenant…

Alex – Savoir quoi ?

Patrick – Que je ne suis qu’un imposteur !

Alex – Ne faites surtout pas ça, malheureux !

Patrick – Et pourquoi pas ?

Alex – Ils vous prennent pour le messie !

Vanessa – C’est vrai que ce serait cruel de les décevoir maintenant…

Alex – Ils ont foi en vous, Patrick !

Patrick – Je sens que tout ça va très mal finir.

Alex – Mais non…

Patrick – En tout cas, pour le messie, ça a très mal fini.

Alex – Tenez, lisez ! Ils ne veulent plus votre démission. Ils vous veulent comme président à vie !

Vanessa montre un autre journal.

Vanessa – Certains parlent même de restaurer la monarchie… Ils vous ont déjà baptisé Patrick Premier.

Patrick – C’est bien la première fois que je serai premier quelque part… C’est un cauchemar… Qu’est-ce que je vais faire ?

Alex – Là vous n’avez plus le choix, mon cher. Il faut continuer à faire des miracles. Sinon, ils vont vraiment vous crucifier…

Il sort.

Patrick – Vous croyez vraiment que je peux faire des miracles ?

Vanessa – Non… Mais on peut toujours procéder à des assassinats ciblés…

Patrick – Quel bande de cons…

Alex – Oui, mais ces cons, ils vous réclament comme roi, Patrick. On ne peut pas échapper à son destin. Et le vôtre était un destin national, de toute évidence. Au fond de moi, j’ai toujours cru en vous…

Ils se rapprochent l’un de l’autre.

Patrick – Bon… Alors je serai leur roi. Voulez-vous être ma reine, Vanessa ?

Vanessa – Ce serait un honneur, Patrick.

Lumière d’ambiance et musique nuptiale. Patrick et Vanessa sortent chacun une couronne façon galette des rois. Ils se couronnent l’un l’autre et s’embrassent.

Patrick – Le Roi des Cons et sa reine. Vous pensez vraiment que nous sommes légitimes, Vanessa ?

Vanessa – Croyez-moi, Patrick, les Français ont enfin le gouvernement qu’ils méritent.

Patrick tombe en catalepsie. Vanessa le regarde, un peu surprise.

Noir.

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.

Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces œuvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.

Pièces de théâtre du même auteur

Apéro tragique à Beaucon-les-Deux-Châteaux, Au bout du rouleau, Avis de passage, Bed and Breakfast, Bienvenue à bord, Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou, Coup de foudre à Casteljarnac, Crise et châtiment, De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le champagne, Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur, Euro Star, Flagrant délire, Gay Friendly, Le Gendre idéal, Happy Hour, Héritages à tous les étages, Hors-jeux interdits, Il était une fois dans le web, Le Joker, Ménage à trois, Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne, Les Monoblogues, Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire Village de France, Le Plus Beau Village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs, Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip Poker, Sur un plateau, Les Touristes, Un boulevard sans issue, Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias, Une soirée d’enfer, Vendredi 13, Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables

sur son site :

www.comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Mars 2017

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-086-4

Ouvrage téléchargeable gratuitement