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Fatal comique

Sur une table basse, une cafetière, deux tasses et un journal. Pierre entre en robe de chambre. Il se sert une tasse de café et prend le journal pour le lire. Marie, sa femme, arrive.

Marie – Ça va ?

Pierre – Ça va.

Marie se sert une tasse et observe Pierre.

Marie – Tu as l’air soucieux… Un problème ?

Pierre – Non… Enfin… Toujours pas d’idée pour ma nouvelle pièce.

Marie – Ne t’inquiète pas, ça va venir… Ça finit toujours par venir, non ?

Pierre – Oui… Jusqu’à maintenant…

Marie – Il n’y a pas une bonne histoire, dans le journal, dont tu pourrais t’inspirer ?

Il repose le journal.

Pierre – Les nouvelles sont de plus en plus déprimantes… Je crois que je vais arrêter de lire la presse. J’ai déjà arrêté de regarder la télé et d’écouter la radio…

Marie – C’est vrai que tout ça n’est pas très gai, mais bon. D’un autre côté… c’est pour ça qu’on aura toujours besoin d’auteurs comme toi.

Pierre – Ah oui ? Et c’est quoi, un auteur comme moi ?

Marie – Tu sais bien… Quelqu’un pour nous faire rire… Un comique !

Pierre – Un comique ? Alors c’est comme ça que tu me vois ? Comme un comique !

Marie – Il faut bien des auteurs pour nous écrire de bonnes comédies ! Oublier un peu nos soucis… Nous faire passer un bon moment en ne pensant à rien…

Pierre – En ne pensant à rien ?

Marie – Excuse-moi… Je veux dire… en pensant à autre chose.

Pierre – Je vois… Donc pour toi, je suis seulement un amuseur… Un type qui fait diversion… Qui détourne l’attention du peuple des vrais problèmes de la société…

Marie – Le peuple ! Tout de suite, les grands mots… Divertir le public, il n’y a pas de honte à ça, si ?

Pierre – Je ne sais pas… On peut aussi avoir envie d’autre chose…

Marie – Quoi, par exemple ?

Pierre – D’être utile…

Marie – Pour moi, distraire les gens, leur faire retrouver le sourire, c’est très utile. Et ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir ce talent.

Pierre – Ouais…

Marie – Quoi ?

Pierre – Des comédies, j’en ai déjà écrit près d’une centaine.

Marie – Et ça a toujours été de gros succès.

Pierre – Oui, mais je commence à être à court d’idées. Je me demande si je n’en ai pas fait le tour.

Marie – Tu veux arrêter d’écrire ?

Pierre – Ça je ne suis pas sûr d’y arriver non plus… Non, je me demandais si…

Marie – Quoi ?

Pierre – Et si j’essayais un autre genre ?

Marie – Un roman, tu veux dire ? Depuis des années, je te répète que tu devrais essayer. Il y a des romans très drôles, aussi…

Pierre – Malheureusement, je ne suis pas romancier, je le sais bien. Le théâtre, je ne sais rien faire d’autre.

Marie – Bon, alors il ne te reste plus qu’à trouver un bon sujet de comédie.

Pierre – Et si j’écrivais… un autre genre de pièces.

Marie – Un autre genre de pièce ?

Pierre – Un truc qui ne soit pas forcément drôle, tu vois ?

Marie – Une comédie pas drôle ?

Pierre – Non, pas une comédie, justement !

Marie – Tu veux dire… une comédie dramatique ?

Pierre – Je veux dire pas une comédie du tout !

Marie – Tu veux écrire un drame ?

Pierre – Un drame, une tragédie… Appelle ça comme tu veux.

Marie – Bon…

Pierre – Quoi ?

Marie – Je ne sais pas… (Silence) Tu es sûr que ça va ?

Pierre – Je n’ai plus d’idée de comédie. Je voudrais essayer d’écrire autre chose. C’est pas un drame, non plus !

Marie – OK… (Un temps) Tu veux encore du café ?

Pierre – Non, merci.

Marie – Bon, alors je te laisse réfléchir… à ta nouvelle pièce.

Elle sort. Il soupire et ouvre à nouveau son journal. Le téléphone sonne. Il répond.

Pierre – Oui ? Ah oui… Non, non, je voulais t’appeler justement… Écoute, je ne sais pas encore… Non, pour l’instant, je suis en panne d’inspiration. Oui, je sais, j’ai toujours dit que ça n’existait pas. Mais tu sais l’inspiration, c’est comme Dieu. On dit que ça n’existe pas jusqu’au moment où on en a vraiment besoin… Et toi, ça va ? Bon… Je vois… D’accord… Écoute, il va falloir que je te laisse, là… On s’appelle et on essaie de déjeuner ensemble la semaine prochaine ? OK, on fait comme ça… Salut, t’embrasse.

Marie revient, l’air un peu embarrassé.

Marie – Je dois faire quelques courses, je n’en ai pas pour longtemps. Ça va ?

Pierre – Euh… Oui. Depuis tout à l’heure, la situation n’a pas beaucoup évolué, mais oui. Ça va.

Marie – Bon, alors j’y vais.

Pierre – C’est ça. À tout à l’heure.

Elle sort. Il reprend la lecture de son journal, mais à peine a-t-il commencé que la sonnette de la porte d’entrée retentit. Il sort un instant pour aller ouvrir et revient accompagné d’une femme.

Alex – Je ne te dérange pas, j’espère ?

Pierre – Non, non, pas du tout, j’étais en train de… Tu veux un café ?

Alex – Merci, ça ira.

Pierre – C’est sympa de passer comme ça à l’improviste.

Alex – Quand on habite le même immeuble que son agent, c’est toujours un risque de le voir débarquer sans avoir été invité…

Pierre – Il va peut-être falloir que je déménage, alors…

Sourires, suivi d’un silence embarrassé.

Alex – Tu es sur quoi, en ce moment ?

Pierre – Rien… J’étais au téléphone avec… Comment elle s’appelle, déjà… Tu sais, cette comédienne qui jouait dans… Elle est devenue éditrice.

Alex – Éditrice ?

Pierre – Tu sais ce que c’est. La vie est cruelle pour les comédiennes. Surtout pour les jeunes premières. Passée la trentaine…

Alex – Tu cherches un nouvel éditeur ?

Pierre – Pas spécialement… C’est elle qui m’a appelé. Elle voulait juste prendre de mes nouvelles… Ça commence à m’inquiéter. Tout le monde me demande si ça va aujourd’hui…

Alex – Et… ça va ?

Pierre – Ça va, je te remercie… C’est dingue…

Alex – Quoi ?

Pierre – Je termine la conversation en lui disant : “on se rappelle et on déjeune…?” Ça m’est sorti comme ça. L’habitude. Finalement, on aurait aussi bien pu déjeuner ensemble à midi.

Alex – Qu’est-ce que tu veux… C’est Paris… On est tous débordés…

Pierre – Ou alors on a rien à foutre et on fait semblant…

Alex – Ouais…

Pierre – Toi, par exemple. Tu es particulièrement débordée, aujourd’hui ? (Silence) Non, évidemment, sinon, tu ne serais pas là. Tu imagines ? Tu acceptes de déjeuner comme ça à l’improviste… Le lendemain, tout Paris va savoir que tu n’as rien à foutre de tes journées. Que plus personne ne veut travailler avec toi. Que tu es au chômage. Ou pire que tu es sur liste noire… Du coup, plus personne ne t’appellerait, et tu serais vraiment total has been.

Alex – Ouais… (Silence) Et sinon, elle, ça va ?

Pierre – Qui ça ?

Alex – Ton éditrice !

Pierre – Je ne sais pas… Tu as raison… Finalement, c’est peut-être elle qui ne va pas bien. Elle m’a appelé parce qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un. Et moi, je lui ai presque raccroché au nez… J’aurais dû lui proposer de déjeuner avec elle à midi… Et toi, ça va ?

Alex – Ça va…

Pierre – Tu es sûre que tu ne veux pas du café ?

Alex – Sûre… (Silence) Tu écris un peu, en ce moment ?

Pierre – Non, pas vraiment. Je crois que je suis arrivé au bout de quelque chose là. Il faudrait que je change un peu de style.

Alex – Oui, je sais, j’ai croisé Marie dans l’escalier.

Pierre – Ne me dis pas que c’est pour ça que tu es passée me voir.

Alex – Alors comme ça, tu veux écrire un drame.

Pierre – Oui, enfin… Pourquoi pas ?

Alex – C’est une blague, c’est ça ?

Pierre – Tu vois, Alex, c’est ça mon problème. La simple idée que j’envisage d’écrire autre chose qu’une comédie, les gens prennent ça pour une blague.

Alex – Disons que… ce n’est pas sur ce terrain-là qu’on t’attend habituellement.

Pierre – Et ?

Alex – Ça risque de surprendre ton public… De le décevoir, peut-être…

Pierre – Le décevoir ? Je n’ai encore pas écrit une ligne, et tu me dis déjà que ce sera décevant. Merci de tes encouragements. Au moins, je sais pourquoi j’ai un agent.

Alex – Et… tu as déjà un sujet ?

Pierre – Non… C’est juste une idée…

Alex – Bon, donc c’est juste une idée.

Pierre – C’est ça…

Alex – Excuse-moi, je me suis peut-être emballée un peu vite.

Pierre – Je ne sais pas… Je pensais écrire quelque chose sur ces migrants qui viennent s’échouer sur nos côtes. Quand ils ne sont pas morts noyés pendant la traversée, évidemment…

Alex – Une comédie, tu veux dire ? (L’autre lui lance un regard navré) Excuse-moi, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça… Alors c’est sérieux, tu veux vraiment écrire quelque chose de…

Pierre – Je n’ai plus vingt ans… Toi non plus… Il serait peut-être temps qu’on commence à s’interroger sur le monde qui nous entoure, non ?

Alex – Le monde qui nous entoure ?

Pierre – Imagine qu’après notre mort, on soit réincarnés. Comme ça. Au hasard. Le monde est principalement peuplé de gens qui ont une vie de merde. Si on peut appeler ça une vie. Si on y réfléchit bien, à part une minorité de privilégiés, dont les plus chanceux vivent dans des paradis fiscaux, la Terre est un enfer.

Alex – Et alors ?

Pierre – Et alors ? Statistiquement, la réincarnation, c’est l’enfer assuré… Si on ne change pas le monde de notre vivant, on est à peu près certain de vivre un enfer quand on sera réincarnés !

Alex le regarde, estomaquée.

Alex – OK…

Pierre – Je te laisse réfléchir à ça. Je vais m’habiller…

Il sort. Marie revient.

Marie – Alors ?

Alex – Il va très mal.

Marie – Je te l’avais dit.

Alex – Il est en plein délire. Il parle de la mort. Du paradis. De l’enfer.

Marie – Non ?

Alex – Il veut écrire une pièce sur les exilés.

Marie – Les exilés fiscaux ?

Alex – Les exilés économiques !

Marie – Tu veux dire… les retraités qui vont s’installer au Portugal ou au Maroc, parce que la vie est moins chère là-bas ?

Alex – Les migrants ! En Méditerranée ! La jungle de Calais.

Marie – Ce n’est pas vrai… Il te l’a dit ?

Alex – J’ai essayé de lui parler, mais il ne veut rien savoir.

Marie – Il est où ?

Alex – Il est parti s’habiller.

Marie – Je ne comprends pas… Jusqu’à ce matin, il était tout à fait normal. Enfin… il était comme d’habitude, quoi…

Alex – Ce n’est peut-être que passager. Il doit être un peu déprimé. Mais il ne faut pas prendre ça à la légère.

Marie – C’est sûr… J’ai du mal à le dire mais… j’ai l’impression qu’il a des tendances suicidaires.

Alex – Il faudrait lui suggérer de voir un médecin.

Marie – Un psychiatre, tu veux dire ?

Alex – Je ne sais pas.

Marie – Parfois avec une simple cure de vitamines… Un homéopathe ?

Pierre revient.

Pierre – Ah, tu es revenue ?

Alex – Je vais vous laisser.

Pierre – Non, mais je ne te chasse pas.

Alex – J’allais partir, de toute façon. J’ai… Il faut que j’y aille. J’ai une grosse journée. On s’appelle et on déjeune ensemble ?

Il sort. Marie lance à Pierre un regard embarrassé.

Marie – Je lui ai simplement dit que tu étais là, et que si elle voulait monter prendre un café…

Pierre – Elle n’en a pas voulu.

Marie – Quoi ?

Pierre – Du café. Je lui en ai proposé, elle n’en a pas voulu.

Silence.

Marie – Mais qu’est-ce que tu cherches, Pierre, au juste ?

Pierre – Je ne sais pas…

Marie – On n’est pas bien, ensemble ?

Pierre – Mais si, ce n’est pas la question.

Marie – Tu as une maîtresse, c’est ça ?

Pierre – Mais non, pas du tout !

Marie – On a la vie qu’on voulait, non ? Tu fais le métier que tu aimes. Tu n’as pas de patron. Tu gagnes bien ta vie.

Pierre – Je sais.

Marie – Mais alors qu’est-ce qui se passe ?

Pierre – Tout ça n’a plus de sens pour moi. J’ai besoin… d’essayer autre chose.

Marie – Mais pourquoi ?

Pierre – Je ne sais pas… Pour qu’à mon enterrement, les gens ne se contentent pas de dire : celui-là, c’était un comique…

Silence.

Marie – Tu veux qu’on déménage ?

Pierre – Ailleurs, ce serait pareil.

Marie – Tu ne vas pas faire une bêtise, au moins ?

Pierre – Une bêtise ? Comme quoi ?

Marie tente de cacher son trouble.

Marie – Je te laisse travailler…

Elle sort. Il reste un instant perplexe. Il prend un cahier et un crayon et essaie d’écrire, mais visiblement, l’inspiration n’est pas au rendez-vous. Il décroche le téléphone et compose un numéro.

Pierre – Oui, pardon, c’est encore moi… Écoute, finalement, j’ai réussi à me libérer pour ce soir. Tu pourrais venir dîner à la maison ? Je voudrais te parler d’un nouveau projet… Oui, bien sûr, viens avec ton mari. OK, vingt heures, c’est parfait. Bon, alors à ce soir…

Il raccroche. Il reprend le cahier et le crayon, et il commence à écrire avec fébrilité. Il s’interrompt et s’adresse au public.

Pierre – Vous allez voir. Cette fois, vous n’allez pas rigoler.

Il se remet à écrire.

Noir.

Mélimélodrames

Fatal comique Lire la suite »

Mélimélodrames

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

4 à 16 personnages (hommes ou femmes)
Si le monde est un théâtre, la pièce n’est souvent qu’un navet. Son auteur reste anonyme, et les seconds rôles sont les plus vite oubliés. Entre absurde et boulevard se joue la tragicomédie de la vie. L’important est de ne pas rater sa sortie… Six saynètes d’un humour amer, sur le mélimélodrames de nos vies ordinaires.


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Mélimélodrames

1 – Fatal comique

2 – Ce n’est pas un drame

3 – Huis-clos

4 – Auteur anonyme

5 – Changement de décor

6 – Scène de crime


Fatal comique

Sur une table basse, une cafetière, deux tasses et un journal. Pierre entre en robe de chambre. Il se sert une tasse de café et prend le journal pour le lire. Marie, sa femme, arrive.

Marie – Ça va ?

Pierre – Ça va.

Marie se sert une tasse et observe Pierre.

Marie – Tu as l’air soucieux… Un problème ?

Pierre – Non… Enfin… Toujours pas d’idée pour ma nouvelle pièce.

Marie – Ne t’inquiète pas, ça va venir… Ça finit toujours par venir, non ?

Pierre – Oui… Jusqu’à maintenant…

Marie – Il n’y a pas une bonne histoire, dans le journal, dont tu pourrais t’inspirer ?

Il repose le journal.

Pierre – Les nouvelles sont de plus en plus déprimantes… Je crois que je vais arrêter de lire la presse. J’ai déjà arrêté de regarder la télé et d’écouter la radio…

Marie – C’est vrai que tout ça n’est pas très gai, mais bon. D’un autre côté… c’est pour ça qu’on aura toujours besoin d’auteurs comme toi.

Pierre – Ah oui ? Et c’est quoi, un auteur comme moi ?

Marie – Tu sais bien… Quelqu’un pour nous faire rire… Un comique !

Pierre – Un comique ? Alors c’est comme ça que tu me vois ? Comme un comique !

Marie – Il faut bien des auteurs pour nous écrire de bonnes comédies ! Oublier un peu nos soucis… Nous faire passer un bon moment en ne pensant à rien…

Pierre – En ne pensant à rien ?

Marie – Excuse-moi… Je veux dire… en pensant à autre chose.

Pierre – Je vois… Donc pour toi, je suis seulement un amuseur… Un type qui fait diversion… Qui détourne l’attention du peuple des vrais problèmes de la société…

Marie – Le peuple ! Tout de suite, les grands mots… Divertir le public, il n’y a pas de honte à ça, si ?

Pierre – Je ne sais pas… On peut aussi avoir envie d’autre chose…

Marie – Quoi, par exemple ?

Pierre – D’être utile…

Marie – Pour moi, distraire les gens, leur faire retrouver le sourire, c’est très utile. Et ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir ce talent.

Pierre – Ouais…

Marie – Quoi ?

Pierre – Des comédies, j’en ai déjà écrit près d’une centaine.

Marie – Et ça a toujours été de gros succès.

Pierre – Oui, mais je commence à être à court d’idées. Je me demande si je n’en ai pas fait le tour.

Marie – Tu veux arrêter d’écrire ?

Pierre – Ça je ne suis pas sûr d’y arriver non plus… Non, je me demandais si…

Marie – Quoi ?

Pierre – Et si j’essayais un autre genre ?

Marie – Un roman, tu veux dire ? Depuis des années, je te répète que tu devrais essayer. Il y a des romans très drôles, aussi…

Pierre – Malheureusement, je ne suis pas romancier, je le sais bien. Le théâtre, je ne sais rien faire d’autre.

Marie – Bon, alors il ne te reste plus qu’à trouver un bon sujet de comédie.

Pierre – Et si j’écrivais… un autre genre de pièces.

Marie – Un autre genre de pièce ?

Pierre – Un truc qui ne soit pas forcément drôle, tu vois ?

Marie – Une comédie pas drôle ?

Pierre – Non, pas une comédie, justement !

Marie – Tu veux dire… une comédie dramatique ?

Pierre – Je veux dire pas une comédie du tout !

Marie – Tu veux écrire un drame ?

Pierre – Un drame, une tragédie… Appelle ça comme tu veux.

Marie – Bon…

Pierre – Quoi ?

Marie – Je ne sais pas… (Silence) Tu es sûr que ça va ?

Pierre – Je n’ai plus d’idée de comédie. Je voudrais essayer d’écrire autre chose. C’est pas un drame, non plus !

Marie – OK… (Un temps) Tu veux encore du café ?

Pierre – Non, merci.

Marie – Bon, alors je te laisse réfléchir… à ta nouvelle pièce.

Elle sort. Il soupire et ouvre à nouveau son journal. Le téléphone sonne. Il répond.

Pierre – Oui ? Ah oui… Non, non, je voulais t’appeler justement… Écoute, je ne sais pas encore… Non, pour l’instant, je suis en panne d’inspiration. Oui, je sais, j’ai toujours dit que ça n’existait pas. Mais tu sais l’inspiration, c’est comme Dieu. On dit que ça n’existe pas jusqu’au moment où on en a vraiment besoin… Et toi, ça va ? Bon… Je vois… D’accord… Écoute, il va falloir que je te laisse, là… On s’appelle et on essaie de déjeuner ensemble la semaine prochaine ? OK, on fait comme ça… Salut, t’embrasse.

Marie revient, l’air un peu embarrassé.

Marie – Je dois faire quelques courses, je n’en ai pas pour longtemps. Ça va ?

Pierre – Euh… Oui. Depuis tout à l’heure, la situation n’a pas beaucoup évolué, mais oui. Ça va.

Marie – Bon, alors j’y vais.

Pierre – C’est ça. À tout à l’heure.

Elle sort. Il reprend la lecture de son journal, mais à peine a-t-il commencé que la sonnette de la porte d’entrée retentit. Il sort un instant pour aller ouvrir et revient accompagné d’une femme.

Alex – Je ne te dérange pas, j’espère ?

Pierre – Non, non, pas du tout, j’étais en train de… Tu veux un café ?

Alex – Merci, ça ira.

Pierre – C’est sympa de passer comme ça à l’improviste.

Alex – Quand on habite le même immeuble que son agent, c’est toujours un risque de le voir débarquer sans avoir été invité…

Pierre – Il va peut-être falloir que je déménage, alors…

Sourires, suivi d’un silence embarrassé.

Alex – Tu es sur quoi, en ce moment ?

Pierre – Rien… J’étais au téléphone avec… Comment elle s’appelle, déjà… Tu sais, cette comédienne qui jouait dans… Elle est devenue éditrice.

Alex – Éditrice ?

Pierre – Tu sais ce que c’est. La vie est cruelle pour les comédiennes. Surtout pour les jeunes premières. Passée la trentaine…

Alex – Tu cherches un nouvel éditeur ?

Pierre – Pas spécialement… C’est elle qui m’a appelé. Elle voulait juste prendre de mes nouvelles… Ça commence à m’inquiéter. Tout le monde me demande si ça va aujourd’hui…

Alex – Et… ça va ?

Pierre – Ça va, je te remercie… C’est dingue…

Alex – Quoi ?

Pierre – Je termine la conversation en lui disant : “on se rappelle et on déjeune…?” Ça m’est sorti comme ça. L’habitude. Finalement, on aurait aussi bien pu déjeuner ensemble à midi.

Alex – Qu’est-ce que tu veux… C’est Paris… On est tous débordés…

Pierre – Ou alors on a rien à foutre et on fait semblant…

Alex – Ouais…

Pierre – Toi, par exemple. Tu es particulièrement débordée, aujourd’hui ? (Silence) Non, évidemment, sinon, tu ne serais pas là. Tu imagines ? Tu acceptes de déjeuner comme ça à l’improviste… Le lendemain, tout Paris va savoir que tu n’as rien à foutre de tes journées. Que plus personne ne veut travailler avec toi. Que tu es au chômage. Ou pire que tu es sur liste noire… Du coup, plus personne ne t’appellerait, et tu serais vraiment total has been.

Alex – Ouais… (Silence) Et sinon, elle, ça va ?

Pierre – Qui ça ?

Alex – Ton éditrice !

Pierre – Je ne sais pas… Tu as raison… Finalement, c’est peut-être elle qui ne va pas bien. Elle m’a appelé parce qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un. Et moi, je lui ai presque raccroché au nez… J’aurais dû lui proposer de déjeuner avec elle à midi… Et toi, ça va ?

Alex – Ça va…

Pierre – Tu es sûre que tu ne veux pas du café ?

Alex – Sûre… (Silence) Tu écris un peu, en ce moment ?

Pierre – Non, pas vraiment. Je crois que je suis arrivé au bout de quelque chose là. Il faudrait que je change un peu de style.

Alex – Oui, je sais, j’ai croisé Marie dans l’escalier.

Pierre – Ne me dis pas que c’est pour ça que tu es passée me voir.

Alex – Alors comme ça, tu veux écrire un drame.

Pierre – Oui, enfin… Pourquoi pas ?

Alex – C’est une blague, c’est ça ?

Pierre – Tu vois, Alex, c’est ça mon problème. La simple idée que j’envisage d’écrire autre chose qu’une comédie, les gens prennent ça pour une blague.

Alex – Disons que… ce n’est pas sur ce terrain-là qu’on t’attend habituellement.

Pierre – Et ?

Alex – Ça risque de surprendre ton public… De le décevoir, peut-être…

Pierre – Le décevoir ? Je n’ai encore pas écrit une ligne, et tu me dis déjà que ce sera décevant. Merci de tes encouragements. Au moins, je sais pourquoi j’ai un agent.

Alex – Et… tu as déjà un sujet ?

Pierre – Non… C’est juste une idée…

Alex – Bon, donc c’est juste une idée.

Pierre – C’est ça…

Alex – Excuse-moi, je me suis peut-être emballée un peu vite.

Pierre – Je ne sais pas… Je pensais écrire quelque chose sur ces migrants qui viennent s’échouer sur nos côtes. Quand ils ne sont pas morts noyés pendant la traversée, évidemment…

Alex – Une comédie, tu veux dire ? (L’autre lui lance un regard navré) Excuse-moi, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça… Alors c’est sérieux, tu veux vraiment écrire quelque chose de…

Pierre – Je n’ai plus vingt ans… Toi non plus… Il serait peut-être temps qu’on commence à s’interroger sur le monde qui nous entoure, non ?

Alex – Le monde qui nous entoure ?

Pierre – Imagine qu’après notre mort, on soit réincarnés. Comme ça. Au hasard. Le monde est principalement peuplé de gens qui ont une vie de merde. Si on peut appeler ça une vie. Si on y réfléchit bien, à part une minorité de privilégiés, dont les plus chanceux vivent dans des paradis fiscaux, la Terre est un enfer.

Alex – Et alors ?

Pierre – Et alors ? Statistiquement, la réincarnation, c’est l’enfer assuré… Si on ne change pas le monde de notre vivant, on est à peu près certain de vivre un enfer quand on sera réincarnés !

Alex le regarde, estomaquée.

Alex – OK…

Pierre – Je te laisse réfléchir à ça. Je vais m’habiller…

Il sort. Marie revient.

Marie – Alors ?

Alex – Il va très mal.

Marie – Je te l’avais dit.

Alex – Il est en plein délire. Il parle de la mort. Du paradis. De l’enfer.

Marie – Non ?

Alex – Il veut écrire une pièce sur les exilés.

Marie – Les exilés fiscaux ?

Alex – Les exilés économiques !

Marie – Tu veux dire… les retraités qui vont s’installer au Portugal ou au Maroc, parce que la vie est moins chère là-bas ?

Alex – Les migrants ! En Méditerranée ! La jungle de Calais.

Marie – Ce n’est pas vrai… Il te l’a dit ?

Alex – J’ai essayé de lui parler, mais il ne veut rien savoir.

Marie – Il est où ?

Alex – Il est parti s’habiller.

Marie – Je ne comprends pas… Jusqu’à ce matin, il était tout à fait normal. Enfin… il était comme d’habitude, quoi…

Alex – Ce n’est peut-être que passager. Il doit être un peu déprimé. Mais il ne faut pas prendre ça à la légère.

Marie – C’est sûr… J’ai du mal à le dire mais… j’ai l’impression qu’il a des tendances suicidaires.

Alex – Il faudrait lui suggérer de voir un médecin.

Marie – Un psychiatre, tu veux dire ?

Alex – Je ne sais pas.

Marie – Parfois avec une simple cure de vitamines… Un homéopathe ?

Pierre revient.

Pierre – Ah, tu es revenue ?

Alex – Je vais vous laisser.

Pierre – Non, mais je ne te chasse pas.

Alex – J’allais partir, de toute façon. J’ai… Il faut que j’y aille. J’ai une grosse journée. On s’appelle et on déjeune ensemble ?

Il sort. Marie lance à Pierre un regard embarrassé.

Marie – Je lui ai simplement dit que tu étais là, et que si elle voulait monter prendre un café…

Pierre – Elle n’en a pas voulu.

Marie – Quoi ?

Pierre – Du café. Je lui en ai proposé, elle n’en a pas voulu.

Silence.

Marie – Mais qu’est-ce que tu cherches, Pierre, au juste ?

Pierre – Je ne sais pas…

Marie – On n’est pas bien, ensemble ?

Pierre – Mais si, ce n’est pas la question.

Marie – Tu as une maîtresse, c’est ça ?

Pierre – Mais non, pas du tout !

Marie – On a la vie qu’on voulait, non ? Tu fais le métier que tu aimes. Tu n’as pas de patron. Tu gagnes bien ta vie.

Pierre – Je sais.

Marie – Mais alors qu’est-ce qui se passe ?

Pierre – Tout ça n’a plus de sens pour moi. J’ai besoin… d’essayer autre chose.

Marie – Mais pourquoi ?

Pierre – Je ne sais pas… Pour qu’à mon enterrement, les gens ne se contentent pas de dire : celui-là, c’était un comique…

Silence.

Marie – Tu veux qu’on déménage ?

Pierre – Ailleurs, ce serait pareil.

Marie – Tu ne vas pas faire une bêtise, au moins ?

Pierre – Une bêtise ? Comme quoi ?

Marie tente de cacher son trouble.

Marie – Je te laisse travailler…

Elle sort. Il reste un instant perplexe. Il prend un cahier et un crayon et essaie d’écrire, mais visiblement, l’inspiration n’est pas au rendez-vous. Il décroche le téléphone et compose un numéro.

Pierre – Oui, pardon, c’est encore moi… Écoute, finalement, j’ai réussi à me libérer pour ce soir. Tu pourrais venir dîner à la maison ? Je voudrais te parler d’un nouveau projet… Oui, bien sûr, viens avec ton mari. OK, vingt heures, c’est parfait. Bon, alors à ce soir…

Il raccroche. Il reprend le cahier et le crayon, et il commence à écrire avec fébrilité. Il s’interrompt et s’adresse au public.

Pierre – Vous allez voir. Cette fois, vous n’allez pas rigoler.

Il se remet à écrire.

Noir.

2 – Huis clos

Un couple. Quatre chaises. Ils sont assis.

Elle – Ça va ?

Lui – Ça va… Et toi ?

Elle – Ça va… (Un temps) Tu veux boire quelque chose ?

Lui – Quoi ?

Elle – Un apéro ? Des cacahuètes ?

Lui – Merci, ça ira.

Un temps.

Elle – On est bien, ici, non ?

Lui – Ici ?

Elle – Dans cette maison.

Lui – Oui… (Un temps) Mais on n’est pas chez nous.

Elle – Ah, non ?

Lui – Non.

Elle – C’est vrai.

Lui – C’est une maison, ou un appartement ?

Elle – Un appartement, je crois. Je ne sais pas.

Un temps.

Lui – Tu te souviens où c’est, notre maison ?

Elle – Notre maison ?

Lui – Notre vraie maison. Chez nous !

Elle – Non… Et toi ?

Lui – Moi non plus. Je ne sais même plus à quoi ça ressemblait.

Elle – On a tellement déménagé.

Lui – C’est vrai. On déménage beaucoup.

Elle – Oui. De plus en plus.

Lui – Il faudrait qu’on arrive à se souvenir.

Elle – De quoi ?

Lui – Où on habite.

Elle – Toutes les maisons se ressemblent un peu.

Lui – Même quand c’est un appartement.

Elle – Il y a des chambres. Une salle à manger. Une cuisine.

Lui – Dans la cuisine, il y a un frigo, une cuisinière, une table, des tiroirs…

Elle – Dans les tiroirs, il y a des fourchettes, des couteaux, des petites cuillères.

Lui – Dans les chambres, il y a des enfants. Parfois…

Elle – Quand il n’y en a pas, c’est qu’ils sont déjà partis. Dans une autre maison.

Un temps.

Lui – Tu crois qu’ils reviendront un jour ?

Elle – Les enfants ?

Lui – Les propriétaires !

Elle – Va savoir… Ça fait combien de temps qu’on est là ?

Lui – Je ne sais pas… Pas mal de temps, non ?

Elle – Oui.

Lui – J’ai toujours peur qu’on sonne à la porte, et que ce soit eux.

Elle – Les enfants ?

Lui – Ceux qui habitent ici ! Les vrais propriétaires…

Elle – Ah oui…

Lui – Pas toi ?

Elle – Si. D’ailleurs, je me demande si elle marche.

Lui – Quoi ?

Elle – La sonnette ! On ne l’a jamais entendue.

Lui – De toute façon, quand les gens qui habitent ici reviendront, ils ne sonneront pas.

Elle – Pourquoi ça ?

Lui – C’est chez eux ! Ils auront la clef.

Elle – Bien sûr.

Lui – Quand les gens rentrent chez eux, ils ne sonnent pas. Ils n’ont aucune raison de penser qu’il y a quelqu’un à l’intérieur quand ils ne sont pas là.

Elle – C’est vrai… On a la clef, nous ?

Lui – Je ne sais pas. Tu as la clef, toi ?

Elle – Non.

Lui – Moi non plus.

Elle – Alors comment on est rentrés ici ?

Lui – Je ne me souviens plus.

Elle – On nous a peut-être ouvert.

Lui – Qui est-ce qui aurait bien pu nous ouvrir ?

Elle – Les propriétaires ?

Lui – Mais puisqu’on est seuls dans cet appartement.

Elle – Depuis combien de temps ?

Lui – Je ne sais pas…

Un temps.

Elle – C’est sûrement pour ça qu’on ne sort jamais. On ne pourrait plus rentrer.

Lui – Non. Puisqu’on n’a pas la clef.

On sonne. Ils échangent un regard inquiet.

Elle – Tu crois que c’est eux ?

Lui – On a dit que si c’était eux, ils ne sonneraient pas.

Elle – Alors qui ça peut bien être ?

Lui – Va savoir…

Elle – Qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Il faut aller ouvrir, non ?

Elle – Tu crois ?

Lui – Ils ont vu la lumière. Ils savent qu’on est là.

Elle – Cette fois, ça y est… On est foutus…

Lui – On va encore devoir déménager.

Elle – Mais où est-ce qu’on va aller ?

Lui – Je vais faire notre valise.

Elle – On a une valise ?

Lui – Tout le monde a une valise chez lui, non ?

Elle – Je vais leur ouvrir…

Lui – Qu’est-ce que tu vas leur dire ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – Il va bien falloir leur dire quelque chose, pour expliquer le fait qu’on est là. Chez eux.

Elle – Ils rentrent peut-être de vacances.

Lui – Je vais voir si on a une valise.

Elle sort. Il sort aussi. Elle revient avec un autre couple. Jean-Marc a une bouteille à la main, et Christelle un bouquet de fleurs. Il revient avec une valise.

Elle – C’est Jean-Marc et Christelle.

Lui – Ah, bonjour…

Jean-Marc – Salut. Ça va ?

Lui – Ça va, et vous ?

Christelle – Super. Vous partez en vacances ?

Lui – Non, pourquoi ?

Jean-Marc – Comme tu as une valise à la main…

Lui – Ah, oui, non, c’est… Je m’apprêtais à la ranger. Vous savez ce que c’est, les valises, on ne sait jamais où les mettre.

Elle – Et une valise vide, ça prend autant de place qu’une valise pleine.

Christelle – Oui. Mais c’est moins lourd.

Jean-Marc – C’est vrai. On devrait partir en vacances avec des valises vides. On voyagerait plus léger.

Ils rient tous les quatre d’un rire un peu forcé.

Christelle – Alors comment ça va ?

Lui – Ça va.

Jean-Marc – Tenez, j’ai apporté du champagne, pour fêter ça.

Lui – Fêter quoi ?

Jean-Marc éclate de rire.

Jean-Marc – Fêter quoi ? Toujours le mot pour rire, hein ?

Christelle – Il est drôle ! Tenez, moi j’ai apporté des fleurs.

Elle – Ah oui, c’est bien aussi.

Lui – Je vais aller chercher des flûtes.

Elle – Tu veux qu’on leur joue de la flûte ?

Jean-Marc – Des flûtes ! Pour le champagne !

Elle – Ah oui !

Ils rient à nouveau.

Christelle – Elle est drôle !

Elle – Et moi je vais chercher un vase. Pour les fleurs.

Christelle – Vous ne voulez pas qu’on vous aide ?

Lui – Pensez-vous !

Elle – Mais asseyez-vous donc !

Lui – Faites comme chez vous.

Elle – Vous connaissez la maison.

Ils sortent tous les deux.

Jean-Marc (souriant) – Qu’est-ce qu’ils sont drôles…

Christelle – Oui…

Jean-Marc – Ils n’ont pas changé. Toujours aussi…

Christelle – Tu trouves ?

Jean-Marc – Quoi ?

Christelle – Qu’ils n’ont pas changé.

Jean-Marc – Maintenant que tu le dis, c’est vrai que…

Christelle – Non, mais ils ne ressemblent pas du tout à…

Jean-Marc – Si, un peu quand même…

Christelle – Mouais…

Jean-Marc – Et puis tu sais, les gens… Ils changent…

Christelle – Pas à ce point là… Pas en une semaine…

Jean-Marc – C’était il y a une semaine ?

Christelle – C’était la semaine dernière. La dernière fois qu’on les a vus.

Jean-Marc – C’est vrai qu’ils ont beaucoup changé.

Un temps.

Christelle – Ou alors, ce n’est pas eux.

Jean-Marc – Pas eux ? Mais qu’est-ce qu’ils feraient ici ? Si ce n’est pas chez eux…

Un temps.

Christelle – Tu crois qu’on aurait pu se tromper de porte ?

Jean-Marc – Je ne pense pas… Et puis eux, ils ont l’air de nous connaître, non ? Si ils nous connaissent, c’est qu’on les connaît aussi.

Christelle – Oui, évidemment…

L’homme revient.

Lui – Je suis vraiment désolé, je n’ai pas trouvé les flûtes.

Christelle – Ah, les hommes…

Jean-Marc – Tu n’as qu’à demander à ta femme.

La femme revient aussi.

Lui – Tu sais où sont les flûtes, chérie ?

Elle – Non… Il n’y en a peut-être pas…

Christelle – Comment ça ? Vous n’avez pas de flûtes ? Tout le monde a des flûtes à champagne, non ?

Jean-Marc – Ce n’est pas grave. On va le boire dans des verres, ce champagne.

Christelle – Vous avez bien des verres à pied ? (Ils n’ont pas l’air sûrs) Des verres à moutarde ?

Lui – Je n’ai rien vu…

Elle – Je n’ai pas trouvé de vase non plus.

Christelle – Des verres, tout de même. Dans une cuisine…

Elle – Je n’ai pas trouvé la cuisine.

Moment d’embarras.

Jean-Marc – Bon… Vous savez quoi ? On le boira à la bouteille, ce champagne. Comme les Russes !

Christelle – Les Russes boivent le champagne à la bouteille ?

Jean-Marc – Les Cosaques, sûrement. Sans même descendre de leur cheval. En sabrant la bouteille avec…

Christelle – Avec leur sabre.

Elle – En attendant, asseyez-vous, je vous en prie.

Ils s’asseyent tous les quatre. Sourires. Silence embarrassé.

Lui – Et les enfants, ça va ? (Jean-Marc et Christelle, qui n’ont visiblement pas d’enfants, échangent un regard perplexe) Non, je voulais dire, les enfants en général. Pas spécialement les vôtres. Si vous n’en avez pas…

Elle – Ou plus… Je veux dire… Vous pourriez en avoir, et qu’ils soient morts.

Lui – On n’a pas dit que c’était le cas.

Malaise.

Elle – Je vais voir si je trouve des cacahuètes…

Elle sort.

Lui – En tout cas, c’est sympa d’être passés nous voir.

Christelle – On est amis, non ?

Lui – Bien sûr.

Jean-Marc et Christelle échangent un regard embarrassé. Christelle fait signe à Jean-Marc de se lancer.

Jean-Marc – Ma question va te paraître idiote, mais… vous habitez vraiment ici ?

Lui – Pourquoi vous me demandez ça ?

Christelle – Ben… Nos amis qui habitent ici ne vous ressemblent pas du tout.

Jean-Marc – En tout cas, la dernière fois qu’on est venus, ils ne ressemblaient pas du tout à ça…

Elle revient.

Elle – Ça y est, j’ai trouvé les cacahuètes !

Christelle – Vous avez trouvé la cuisine…?

Elle – J’ai même trouvé des verres.

Jean-Marc – Alors on peut boire l’apéro !

Christelle – Allez…

Jean-Marc débouche la bouteille, et remplit les verres. Ils trinquent.

Jean-Marc – À votre santé !

Lui – À l’amitié !

Ils boivent.

Elle – Prenez des cacahuètes.

Ils mangent des cacahuètes.

Christelle – Je n’ai jamais osé vous poser la question, mais…

Lui – Oui…?

Christelle – Vous vous êtes rencontrés où, tous les deux ? (Silence embarrassé) Excusez-moi d’avoir été aussi indiscrète. Je ne sais pas ce qui m’a pris…

Elle – Non, non, pas du tout, c’est juste que…

Lui – On ne sait plus très bien.

Christelle – Vous ne savez plus ?

Jean-Marc – Vous ne savez plus où vous vous êtes rencontrés ?

Un temps.

Elle – Je dirais ici, non ?

Christelle – Ici ?

Elle – Un jour, on s’est rendu compte qu’on habitait le même appartement.

Lui – Oui, c’est curieux… Je crois que ça s’est passé comme ça.

Elle – C’était il y a un certain temps, évidemment.

Lui – Oui… Une semaine, peut-être.

Elle – Oui, c’est ça, une bonne semaine.

Christelle – Ah oui, quand même…

Lui – Et vous ?

Jean-Marc – Nous ?

Elle – Vous vous connaissez depuis longtemps ?

Christelle – Non, pas très…

Jean-Marc – Je dirais… Oui, pas très longtemps.

Christelle – On s’est rencontrés dans le hall de l’immeuble, en bas.

Jean-Marc – J’avais une bouteille de champagne à la main.

Christelle – Et moi un bouquet de fleurs.

Jean-Marc – On s’est dit qu’on allait sûrement au même endroit.

Christelle – Comme je n’avais pas le code…

Jean-Marc – Moi non plus. J’ai sonné sur plusieurs boutons, au hasard. Vous êtes les premiers à nous avoir ouvert la porte.

Christelle – Comme il avait l’air de savoir où il allait, je l’ai suivi.

Lui – Ah, oui…

Elle – Oui, c’est… une belle histoire.

Lui – Très romantique.

Elle – Vous verrez que ça finira par un mariage.

Jean-Marc et Christelle échangent un regard gêné.

Jean-Marc – Donc, si je comprends bien, personne ici ne se connaît vraiment.

Elle – Apparemment non…

Christelle – Et personne n’a rien à faire dans cette maison.

Lui – Visiblement pas…

Jean-Marc – Mais alors on est chez qui ?

Silence.

Christelle – Vous reprendrez bien un peu de champagne ?

Elle – Merci, mais il est tard. On va peut-être vous laisser.

Lui – En tout cas, merci de votre hospitalité.

Jean-Marc – Mais de rien, je vous en prie.

Il prend la valise, et se dirige avec elle vers la sortie.

Christelle – Je vous raccompagne ?

Elle – Ne vous dérangez pas, on connaît le chemin.

Jean-Marc – Vous voulez que je vous aide avec la valise.

Lui – Non… Ça ne pèse rien… Elle est vide.

Christelle – Eh bien… À une autre fois, alors !

Jean-Marc – Et merci de votre visite !

Ils sortent. Jean-Marc et Christelle se rasseyent. Silence.

Christelle – Ça va ?

Jean-Marc – Ça va… Et toi ?

Christelle – Ça va… (Un temps) Tu veux reboire quelque chose ?

Jean-Marc – Merci, ça ira.

Christelle – Des cacahuètes ?

Il prend une poignée de cacahuète et commence à les mastiquer.

Christelle – On est bien, ici, non ?

Lui – Oui… (Un temps) Mais on n’est pas chez nous.

Elle – C’est vrai.

Lui – C’est une maison, ou un appartement ?

Elle – Un appartement, je crois.

Noir.

3 – Auteur anonyme

Elle est là, debout au milieu de la scène vide, et jette un regard autour d’elle. Il arrive.

Lui – Ah, tu es là ! Je te cherchais partout…

Elle – Ça y est, le dernier camion vient de partir avec les derniers cartons.

Lui – Tu as regardé partout ? Il ne reste plus rien dans la maison ?

Elle – Plus rien. À part nos souvenirs…

Il pose une main sur son épaule.

Lui – Allez… On va s’en fabriquer d’autres !

Elle – Bien sûr… Mais les projets, ça n’empêche pas la nostalgie.

Lui – Tu regrettes ?

Elle – Non…

Lui – Tu te souviens la première fois où on est entrés dans cette maison, pour la visiter ?

Elle – Elle était vide aussi.

Lui – Et entre ces deux vides, on a vécu. On a rempli cette maison. De meubles. De tableaux. D’enfants…

Elle – Et elle nous a remplis. De joie. De bonheur. De souvenirs.

Lui – On les emporte avec nous.

Elle – Et on laisse cet endroit presqu’aussi propre qu’on l’a trouvé en entrant.

Lui – Beaucoup plus propre, si tu veux mon avis.

Elle – Qui seront les suivants ? On ne sait rien d’eux.

Lui – Et iIs ne sauront rien de nous.

Elle – Comme nous ne savons rien de ceux qui nous ont précédés ici.

Lui – Les gens passent, les maisons restent.

Elle – Jusqu’à ce que les maisons s’écroulent elles aussi. Ou qu’on les démolisse. Pour construire des immeubles à la place.

Lui – Il y a aussi des maisons hantées par de mauvais souvenirs.

Elle – Oui… Toutes les maisons ont une histoire. Des histoires.

Lui – Comme l’histoire d’un crime, par exemple.

Elle – Un crime ?

Lui – Tous les crimes n’ont pas lieu en plein air, tu sais. La plupart sont perpétrés à domicile. En famille, souvent… Et quand ce crime fait la une des faits divers, la maison devient invendable. J’imagine que parfois, on doit même finir par la démolir, pour en reconstruire une autre à la place. Une maison sans histoire…

Elle – Merci, ça me remonte le moral, ce que tu dis.

Lui – On ne sait pas… Peut-être que cette maison, avant nous, n’a pas abrité que des moments heureux.

Elle – En tout cas, on n’a jamais trouvé de cadavres dans les placards.

Lui – Peut-être que si on avait creusé dans la cave…

Elle – Bon… Ben du coup, je préfère autant qu’on y aille, maintenant.

Lui – Tu vois ? Il suffisait de demander…

Elle – Merci… Je sais que je peux toujours compter sur toi dans les moments difficiles.

Ils se dirigent vers la sortie. Elle se baisse et ramasse quelque chose par terre.

Lui – Qu’est-ce que c’est ?

Elle – Un manuscrit, apparemment.

Lui – Un manuscrit ?

Elle – On dirait une pièce de théâtre.

Lui – À quoi tu vois ça ?

Elle feuillette le manuscrit.

Elle – Avec des gens qui parlent, si tu préfères. Pas comme un roman.

Lui – Je vois… Des dialogues…

Elle – Ou alors, c’est le scénario d’un film.

Lui – Ça parle d’un crime ?

Elle – Je ne sais pas.

Lui – Il avait dû rester coincé derrière un radiateur, et avec le déménagement, il est tombé par terre. Le papier est complètement jauni.

Elle – Mais ça reste lisible. Après toutes ces années. Tu te rends compte ?

Lui – C’est quoi ? Une comédie ? Un drame ?

Elle – Il faudrait le lire.

Lui – Qui a bien pu écrire ça ?

Elle – Quelqu’un qui habitait ici avant nous, j’imagine.

Lui – C’est dingue… Et si c’était un chef d’œuvre…

Elle – Ça peut aussi être un navet.

Lui – C’est signé ?

Elle – Non… Je ne vois pas le nom de l’auteur.

Lui – C’est peut-être inédit. Un manuscrit anonyme, tu te rends compte ? Tu pourrais le signer et le publier… Tu es éditrice. Pour toi, ce serait facile.

Elle – Ce serait un plagiat.

Lui – Si l’auteur est mort. Et que personne ne sait qu’il a écrit ça…

Elle – Je vais commencer par le lire…

Lui – C’est bizarre, non ?

Elle – Quoi ?

Lui – On quitte cette maison, et c’est l’histoire de quelqu’un d’autre qu’on emporte avec nous.

Elle – J’espère que ce n’est pas un drame…

Lui – Au moins, on n’a pas trouvé de cadavre.

Elle – Ça me donnerait presque envie de chercher…

Lui – Tu crois ?

Elle – L’auteur est peut-être enterré dans la cave…

Ils s’en vont.

Noir.

4 – Changement de décor

Le faisceau d’une lampe torche dans l’obscurité. Puis un deuxième. Le premier éclaire le visage de la deuxième.

Lui – Ah, c’est toi ! Tu m’as fait peur…

Elle – Alors ?

Lui – Ça y est, tout est dans le camion.

Elle – Ça s’est bien passé ?

Lui – La routine.

Elle dirige le faisceau vers le public.

Elle – Donc, il n’y avait personne…

Lui – Avec le vacarme qu’a fait le clébard quand je suis arrivé… S’il y avait quelqu’un dans la maison, il se serait déjà réveillé.

Elle – Ou alors, c’est qu’il est mort.

Lui – Ne parle pas de malheur. Tu imagines un peu ? Tu rentres dans une baraque la nuit pour la cambrioler, et tu tombes sur un macchabée…

Elle – Avec la poisse que j’ai en ce moment, ça ne m’étonnerait qu’à moitié.

Lui – Ouais… J’ai vu ça dans un film, une fois. Je ne sais plus comment ça s’appelait…

Elle – Tu me raconteras ça une autre fois. Et, le clébard… Ça va ?

Lui – Merci de t’inquiéter de savoir si je ne me suis pas fait mordre…

Elle – Tu t’es fait mordre ?

Lui – Il a déchiré mon pantalon. J’ai dû l’assommer…

Elle – S’il n’y a personne, on peut allumer, non ?

Lui – Vassy, les maisons tout autour sont inoccupées. C’est surtout des résidences secondaires. Sans parler de ceux qui ont déjà déménagé.

Elle – À cause des cambriolages, sûrement.

Lui – Si ça continue, il n’y aura plus que des maisons vides à cambrioler dans la région.

Elle actionne un interrupteur et la lumière se fait. Les vêtements de l’homme sont en lambeaux.

Elle – Ah oui, il t’a bien arrangé. Pauvre bête… Tu ne lui as pas fait trop mal, au moins ?

Lui – Pourquoi ? Tu veux faire un signalement à la SPA ?

Ils jettent un regard circulaire sur les lieux.

Elle – Tu as fait le grand nettoyage, dis donc. Il n’y a plus rien.

Lui – Tout est rentré dans le camion.

Elle – Des choses intéressantes ?

Lui – Des meubles surtout. Des bibelots. Plutôt de mauvais goût.

Elle – Je vois…

Lui – Genre nouveau riche.

Elle – Il vaut mieux être un nouveau riche qu’un nouveau pauvre.

Lui – En revanche, il y avait un coffre-fort.

Elle – Non ?

Lui – J’en suis venu à bout.

Elle – Combien ?

Lui – Tout est dans le camion. Je n’ai pas compté.

Elle – On verra ça tout à l’heure. On ne va pas traîner ici. Tu as regardé dans les autres pièces ?

Lui – J’ai tout vidé. Tu es venue avec Momo ?

Elle – J’ai piqué un roupillon dans la voiture en venant, je ne sais même pas où on est. (Elle regarde à nouveau autour d’elle) C’est fou ce qu’une maison vide peut ressembler à une autre.

Lui – Oui…

Elle – Tu es sûr que c’est la bonne maison ?

Lui – Tu as vu la croix, en bas, sur la façade. Momo a fait le repérage dans le coin la semaine dernière.

Elle – Ouais… Le genre de croix qui veut dire objets de valeurs, pas d’alarme, effraction facile…

Lui – Il ne s’était pas trompé. Sauf pour le chien. Il devait dormir quand il est passé.

Elle – C’est bizarre. Cette maison me dit vaguement quelque chose…

Lui – Des gens que tu connais, peut-être…

Elle – Peut-être…

Elle ramasse quelque chose par terre.

Lui – Qu’est-ce que c’est ?

Elle – Une quittance EDF.

Lui – Ça a dû tomber d’un tiroir.

Elle – Elle est à mon nom…

Lui – Non…?

Elle – Je me disais bien aussi…

Lui – Tu veux dire que…

Elle – On est chez moi ! Je rêve… Vous avez cambriolé chez moi !

Lui – Comment je pouvais savoir, moi ! Il y avait la croix sur le mur. Tu n’as pas dit à Momo où tu habitais ?

Elle – Non… Et toi ?

Lui – Ça ne m’est pas venu à l’idée…

Elle – Oh putain… Il y avait une chance sur mille…

Silence.

Lui – Bon… Ben le déménagement sera plus vite fait…

Elle – Je n’avais pas l’intention de déménager.

Lui – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Elle – Que veux-tu qu’on fasse ? On n’a plus qu’à remettre les meubles en place. Tu sais, les meubles et les bibelots de mauvais goût. Genre nouveau riche…

Lui – OK…

Elle – Et puis tu vas me rendre mon fric. J’aurai peut-être assez pour me payer un nouveau coffre-fort avec. Maintenant que t’as percé le mien…

Lui – Tu n’as rien à regretter de ce côté-là. C’était de la camelote. J’en suis venu à bout en cinq minutes…

Elle – C’est dingue. J’espère que le chien s’en sortira, au moins…

Lui – Tu te préoccupes encore de ce putain de clébard ?

Elle – C’est le mien ! C’est mon chien que tu as assommé !

Lui – Ah oui, c’est vrai, excuse-moi… Bon, ça va, il s’en remettra.

Elle – Oui… Il était allongé devant sa niche quand je suis passée. Je me demandais pourquoi il n’avait pas aboyé quand il m’a vue.

Lui – Il a reconnu sa maîtresse, forcément.

Elle – Ouais… Et moi, je n’ai même pas reconnu ma propre baraque…

Lui – Et après on va dire que les bêtes sont moins intelligentes que nous.

Elle – Bon, alors au boulot. Parce qu’on n’a pas fini, hein…

Lui – Sinon, on déclare le cambriolage, et tu te fais rembourser par l’assurance.

Elle – Tu crois ?

Lui – On se débarrasse de tout ce bazar, si on arrive à le refourguer à quelqu’un. Et tu en profites pour changer la déco…

Elle – Ouais… Et puis ça évitera un changement de décor au metteur en scène.

Lui – On sort par la cour ou par le jardin ?

Ils sortent.

Noir.

5 – Scène de crime

Ramirez, inspecteur de police, arrive, suivi par son adjoint Sanchez. Ils jettent un regard autour d’eux.

Ramirez – Vous n’avez touché à rien ?

Sanchez – Non… À quoi j’aurais bien pu toucher ?

Ramirez – C’est vrai que… je n’ai jamais vu une scène de crime aussi… désespérément vide.

Sanchez – Oui…

Ramirez – Pour trouver des indices, ça va être compliqué.

Sanchez – Je ne vois pas ce qu’on pourrait envoyer au labo… à part l’air qu’on respire.

Ramirez – Remarquez, c’est une idée…

Sanchez – Vous voulez que j’envoie un échantillon d’air au labo ?

Ramirez – On ne voit pas l’arme du crime… C’est peut-être une intoxication au gaz.

Sanchez – Seule une autopsie pourrait nous le dire…

Ramirez regarde à nouveau autour de lui.

Ramirez – Une autopsie, d’accord, mais… où sont les cadavres ?

Sanchez cherche aussi du regard.

Sanchez – Apparemment, il n’y a pas de cadavres non plus.

Ramirez – Comment ça, pas de cadavres ? S’il n’y a pas de cadavres, il n’y a pas de crime ! Et s’il n’y a pas de crime, il n’y a pas de scène de crime…

Sanchez – Il doit quand même bien y avoir des victimes. Sinon, on ne serait pas là.

Ramirez – Il y a des victimes, mais il n’y a pas de cadavres ?

Sanchez – Je n’en vois pas…

Ramirez – L’auteur de ce crime aurait fait disparaître les corps… Mais comment ?

Sanchez – J’imagine que nous sommes là pour le découvrir…

Ils jettent à nouveau un regard autour d’eux, puis par terre.

Ramirez – Je ne vois rien.

Sanchez – Ah, je crois que je tiens quelque chose.

Ramirez – Qu’est-ce que c’est ?

Sanchez – Un livre.

Ramirez – Un livre ?

Sanchez (feuilletant le bouquin) – Un livre de théâtre.

Ramirez – À quoi vous voyez que c’est un livre de théâtre.

Sanchez – C’est publié aux Éditions La Comédiathèque.

Ramirez – Vous croyez que ça peut faire avancer notre enquête ?

Sanchez – Allez savoir… (Il continue à lire) C’est troublant… Les personnages là-dedans portent les mêmes noms que nous…

Ramirez – Non ?

Sanchez – L’inspecteur Ramirez et son adjoint Sanchez…

Ramirez – Faites voir… (Il prend le livre et lit quelques pages) Et leur description correspond exactement à celles des victimes sur lesquelles on nous a chargés d’enquêter.

Sanchez – Mais alors… Si on retient cette hypothèse… Nous serions des personnages de théâtre ?

Ramirez – Plus grave que ça : nous serions morts…

Sanchez – Et on nous aurait chargé d’enquêter sur notre propre disparition…?

Ramirez – C’est l’affaire la plus étrange que j’ai eu à traiter au cours de ma longue carrière.

Sanchez – C’est quel genre de pièces ? Comique ? Dramatique ?

Ramirez – Vous savez, moi, le théâtre…

Sanchez – C’est quoi, le titre ?

Ramirez – C’est pas un drame.

Sanchez – Non, je ne dis pas ça, mais… c’est quoi le titre de la pièce ?

Ramirez – C’est pas un drame. C’est le titre de la pièce.

Ils échangent un regard interloqué.

Sanchez – Comment des personnages de théâtre pourraient-ils mourir. Puisqu’ils n’existent pas vraiment.

Ramirez – Tout ça n’est pas banal.

Sanchez – Mourir sur scène, en plus…

Ramirez – Ah parce qu’à votre avis… nous sommes sur une scène de théâtre ?

Sanchez se tourne vers le public.

Sanchez – Regardez tous ces gens, dans le noir… On dirait qu’ils sont venus pour nous voir…

Ramirez – Merde, c’est vrai… C’est qui à votre avis… Des témoins ?

Sanchez – Ils sont peut-être là pour assister à la reconstitution.

Ramirez – C’est dingue… Ne me dites pas qu’en plus, ils ont payé leur place.

Sanchez – Vous n’avez qu’à leur demander.

Ramirez – Vous croyez qu’on peut leur parler ?

Sanchez – Je ne sais pas…

Ramirez – Ça pourrait nous aider pour notre enquête…

Sanchez – Ils ont peut-être vu quelque chose…

Ramirez s’approche d’un spectateur.

Ramirez – Vous avez payé votre place, vous ?

Petite improvisation en fonction de la réponse ou de la non réponse du spectateur.

Sanchez – Et sinon… Vous avez vu quelque chose ?

Ramirez – On va devoir se débrouiller tout seuls, comme d’habitude.

Sanchez – Oui, parce que visiblement, nos personnages n’ont pas laissé un grand souvenir…

Ramirez – C’est hélas le lot du commun des mortels. Ne laisser aucun souvenir après son passage sur terre.

Sanchez – Tout de même… Nous, des personnages de théâtre…

Ramirez – C’est vrai… On aurait pu espérer que ça nous apporte une certaine notoriété…

Sanchez – La pièce était peut-être un navet. Quand c’est un chef d’œuvre, les gens se souviennent des personnages, non ?

Ramirez – Surtout des premiers rôles… Certains personnages deviennent même plus célèbres que leurs auteurs.

Sanchez – Prenez Sherlock Holmes, tout le monde se souvient de lui. Mais qui se souvient du nom de l’auteur de Sherlock Holmes ?

Ramirez – Élémentaire, mon cher Watson. C’est Conan Doyle.

Sanchez – Hélas, vous n’êtes pas Sherlock Holmes.

Ramirez – Ni vous le Docteur Watson.

Sanchez – Sinon, nous aurions déjà résolu cette énigme depuis longtemps.

Ramirez – Que voulez-vous… Nous ne sommes que des personnages secondaires.

Sanchez – Ceux dont personne ne se souvient une fois le rideau baissé… Qui disait que la vie est un songe ?

Ramirez – La vie… Ça paraît long, surtout au début. On commence à dire son texte au premier acte.

Sanchez – On ne se rend pas tout de suite compte que la pièce est écrite d’avance.

Ramirez – Et puis petit à petit, on se souvient des mots en les disant.

Sanchez – Jusqu’à ce qu’on s’en souvienne avant de les avoir dits.

Ramirez – Et quand l’histoire touche à sa fin… On espère seulement ne pas rater sa sortie…

Sanchez – Ça sent un peu le renfermé, ici, non ?

Ramirez – C’est l’odeur du théâtre.

Sanchez – La bonne nouvelle, c’est qu’on a réussi à retrouver les corps.

Ramirez – Oui… Et on dirait qu’ils commencent à sentir.

Sanchez – L’odeur des personnages en décomposition… Ceux de tous navets qui n’ont pas tenu l’affiche.

Sanchez – Les pièces qui n’ont pas su rencontrer leur public, comme on dit…

Ramirez – Celle dans laquelle on a joué ne devait pas être dans l’air du temps… Prélevez un échantillon de l’air ambiant. On l’enverra au labo pour vérification.

Sanchez sort une petite bouteille de sa poche, ouvre le bouchon, attend un instant, puis referme le bouchon et remet la bouteille dans sa poche.

Sanchez – Et voilà. La pièce est finie.

Ramirez – C’est le moment de quitter la scène. Définitivement. Pour nous, c’était la dernière séance…

Sanchez – On n’a qu’à sortir par là.

Ramirez – Dire que tous ces pauvres gens ont payé leur place…

Sanchez – C’est pas un drame.

Ramirez – On aurait dû appeler ça « Autopsie d’un four ».

Sanchez – J’aurais préféré jouer dans un chef d’œuvre… Pour passer à la postérité.

Ramirez – La prochaine fois, peut-être…

Ils sortent.

Noir. Fin.

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Critical but stable

A comedy by Jean-Pierre Martinez

English translation by Anne-Christine Gasc

Raymond is in a deep coma following an accident on a Boris Bike. His long lost relatives are called to his bedside to decide what to do and avoid prolonged therapeutic interventions. But this collective decision becomes even more difficult when the patient turns out not to be who everyone thought he was. And is the keeper of a secret that could make everyone very rich…

This character comedy’s main purpose is to ridicule the hypocrisy often associated with family ties, which can become evident when unexpected financial matters arise. The mask of social conventions then falls, revealing the grimacing face of greed…


This text is available to read for free. However, an authorization is required from the author prior to any public performance, whether by professional or amateur companies. To get in touch with Jean-Pierre Martinez and ask an authorization to represent one of his works : http://comediatheque.net


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A WORD FROM THE AUTHOR

The worse tragedies often make the best material for comedies… Euthanasia is an old socio-political chestnut that regularly finds its way in the news (and hospital rooms). I took this play on as a personal challenge to get laughter from an audience with the story of a man in a deep coma – I had to produce comedic content from a tragic situation. When a patient falls in a deep coma their relatives are asked whether to keep them on life support. In this comedy, two siblings are contacted by a doctor after an accident sent their brother in a coma, but since they haven’t spoken to their brother in a long time they aren’t sure what to do – especially since they don’t really care all that much and have their own problems to deal with. And then someone presumed to be the brother’s life partner shows up and provides more information about the circumstances of the accident. These new elements are given to the audience piece by piece and cause the siblings to cynically alternate between wishing to maintain life support and wanting to ‘unplug’ their brother. Life is a joke, and when someone dies or is about to die it becomes a tragicomedy whose components are defined by the social hypocrisy that governs our behaviours in such solemn circumstances. Society forces us to respect, even sacralise death. The problem of course, is that except for the Pope, the living do not become saints simply by taking their last breath, and when people die they tend to leave money. Sometimes even dirty money… This tragi-comic aspect of life makes it difficult to keep a straight face when confronted with death. The best fits of laughter are those you get at funerals. Or in a theatre. I hope I have written a comedy where you will laugh yourselves to death…


Jean-Pierre Martinez

A semiologist and a writer, Jean-Pierre Martinez has created a unique theatrical universe borrowing and blending elements from light comedy, black humour and the absurd. A powder-keg of a mix that is seducing an ever increasing audience. A script-writer for the French television series Avocats & Associés (France 2), he has written over a hundred television screenplays and seventy comedies for the theatre. He is one of the most frequently played contemporary playwrights in France and his plays have been translated in English, Spanish and Portuguese. Friday the 13th is his biggest play and has been performed in theatres all over the world, from Paris to Broadway and from Buenos Aires to Mexico. All his plays are published by La Comediathèque and are available online (http://comediatheque.net). Originally from Paris but in love with Provence, he spends the best part of the year in Tarascon where he registered the Compagnie Libre Théâtre, of which he is a director along with Ruth Martinez.


 Critical but stable

English translation by Anne-Christine Gasc

Raymond is in a deep coma following an accident on a Boris Bike. His long lost relatives are called to his bedside to decide what to do and avoid prolonged therapeutic interventions. But this collective decision becomes even more difficult when the patient turns out not to be who everyone thought he was. And is the keeper of a secret that could make everyone very rich…

6 characters (male or female)

Quentin: Raymond’s brother (or sister)

Beatrice: Raymond’s sister (or brother)

Peggy: Raymond’s partner

Doctor Killhem: the doctor

Nurse Diggold: the nurse

Detective McManigal: the police officer

© La Comédi@thèque

A hospital room. The body of a patient lies on a hospital bed, slightly reclined, with an IV drip and several machines and monitors. His face is covered by a sheet. Since this isn’t a speaking part, a mannequin will be used. Doctor Killhem (male or female) and Nurse Diggold (male or female) enter the room, both wearing white coats.

Killhem – Hospitals are always overheated. Makes me want to open a private clinic just for the air conditioning.

Diggold – No wonder germs thrive in hospital environments.

Killhem – They always go on about the cost of health care. Maybe if they stopped heating hospitals during the summer it would help.

Diggold – And it would reduce the chances of getting one of those hospital-acquired infections, Doctor Killhem.

Killhem – Actually, I think I may be incubating a nice little MRSA myself. Or maybe a tropical disease. You, on the other hand, Nurse Diggold, look like a picture of health.

Diggold – Thank you, Doctor. I’ve been eating carrots, for the carotene. I’m not too orange, am I?

Killhem – Not at all, my little bunny. So, what do we have here?

She hands him a medical file.

Diggold – Raymond Mariani, forty years old. He’s in a deep coma following an accident on a Boris Bike.

The doctor glances at the file.

Killhem – Helmets should be mandatory for push bikes.

Diggold – Actually, he was wearing a helmet. Unfortunately, it didn’t help when he was hit by a bus and met the pavement at forty miles per hour.

The nurse lifts the sheet and we can see the patient’s head in a full-face helmet.

Killhem – But now the only danger is falling off the bed, so why is he still wearing his helmet?

Diggold – It’s such a mess inside… We didn’t dare remove it for fear brain matter would spill all over the pillow.

Killhem – Hmm, then there’s little chance he’ll wake up soon …

Diggold – Respiratory arrest most likely triggering loss of oxygen to the brain.

The doctor looks at the file again.

Killhem – I see… Flat EEG… probably brain dead. Shouldn’t we ease his suffering?

Diggold – It would free up a bed for sure, but…

Killhem – You’re right, we should speak to his relatives first. Did you contact his family?

Diggold – Yes, they should be here soon.

Killhem – Perfect.

Diggold – No other recommendations for this patient, Doctor?

Killhem – Let me think… Leave the visor closed so the flies don’t get inside.

Diggold – Oh, Doctor Killhem, you’re really something else…

Killhem – Something else! Exactly! That’s why I will soon join the two-tier medical system my dear. The public sector doesn’t have the means to pay me what I am worth… Would you like to join me in my new private clinic, as head nurse?

Diggold – I would follow you to the ends of the Earth, Doctor Killhem… Even the university hospital in Scarborough if you wanted me to. So a nicely air conditioned private clinic in Belgravia sounds even better.

Killhem – I can feel we’ll do great things together, Nurse Diggold… I just need to find some generous donors to fundraise for my project!

Diggold – I think I have an idea…

Killhem – Really? You’re wonderful, Nurse Diggold.

She pulls the sheet over the helmet.

Killhem – Why cover his face with the sheet? When I came in I thought he was dead.

Diggold – Sometimes he opens his eyes. Must be a nervous reflex. It’s to protect them from the light.

Killhem – It’s true, strip lighting is so harsh on the eyes… In our private clinic I’ll have them install pearlescent lighting. It’s much more flattering on the complexion.

Diggold – Especially for those getting end of life care.

Killhem – Don’t worry, my private clinic will only admit patients that are credit-worthy and in perfect health. I’m thinking of transitioning to plastic surgery.

Diggold – The rich are also entitled to have access to medical care to solve their little problems… No one is perfect. (Looking down at her chest) In fact I was thinking of a bit and nip and tuck myself.

They make their way out.

Killhem – I’ll take a closer look later, Nurse Diggold. A very close look. Who’s the next patient?

Diggold – A homeless man that was found last night in an alcohol-induced coma. He probably won’t wake up either.

Killhem – In this heat we shouldn’t keep him here long, or he’ll stink up the place… Do they have room in the kitchen freezer? They could tuck him in behind the processed meats, that’d keep him cool.

Diggold – Oh Doctor, you’re too much! You make everything so funny… I’m the one who’s going to die of laughter!

Killhem – With the jobs we have, if we can’t laugh a little…

They leave the room. Immediately, Quentin (or Quentine), a boho chic man (or woman), enters with a mobile phone glued to their ear.

Quentin – Listen, I don’t know everything yet. I just got to the hospital, but I went to the wrong room. I found some poor guy suffering from hypothermia who didn’t smell very nice. But now I’ve found him, I’m standing right in front of him…

He notices the patient on the bed.

Quentin – He doesn’t look too well either, actually… He’s got tubes and wires everywhere… Like a mini substation. Actually, I’m not entirely sure it’s him. His face is covered by a sheet… Yes, I know, it’s not a good sign… Well, the doctor will be here soon, I’ll find out more…

Beatrice, a Sloane Ranger type, arrives.

Quentin – Sorry, I have to go. My sister just came in. Ok, I’ll call you when I know more, but don’t wait for me for lunch… Love you too…

He puts his mobile phone away and greets his sister (hugs or kisses).

Beatrice – Hi Quentin.

Quentin – Hello Beatrice.

She notices the patient with the sheet over his face.

Beatrice – Oh my God! Don’t tell me I’m too late… Is he dead?

Quentin – I think if he was dead they’d have unplugged all of this.

Beatrice – Are you sure it’s him? I got the wrong room at first…

Quentin – You too? I don’t know why they have a room 13 and a 13 a…

Beatrice – Maybe it will bring him luck.

Quentin – What will?

Beatrice – Number 13!

He looks at the chart at the foot of the bed.

Quentin – Raymond Mariani. Yes, that’s him.

Beatrice – Maybe we could remove this sheet from his face, no?

Quentin – It does look a little like a shroud, but… I don’t know if…

Beatrice – You’re right. It’s best not to touch anything until the police arrive.

Quentin – You mean the doctor…

Beatrice – I bumped into him in the hall, he said he would be here shortly.

Quentin – What an unbelievable story… It’s been so long since I heard from him… To see him again today, like this… in this state… And you? How are you?

Beatrice – I’m ok.

Awkward silence.

Quentin – Do you still live in Windermere?

Beatrice – I’ve never lived in Windermere.

Quentin – Really?

Beatrice – I live in Windsor.

Quentin – Oh, that’s right…

Another awkward silence.

Beatrice – Are you still working for that ad company?

Quentin – I’m in finance.

Beatrice – Oh, that’s right…

Quentin – How about Raymond, were you in contact?

Beatrice – No more than you… The last time I saw him was at Dad’s funeral. Which you didn’t attend, if I remember correctly.

Quentin – Something came up at the last minute. But you have to admit that our family… doesn’t really have a sense of family.

Beatrice – It’s awful… He never had any luck.

Quentin – No… Poor Raymond… Just his first name…

Beatrice – What about it?

Quentin – Don’t you think it’s strange that he’s named Raymond?

Beatrice – Plenty of people are called Raymond.

Quentin – Not people like us. And not his age.

Beatrice – That’s true … And to my knowledge we don’t have any grandparents or uncles that he could be named after.

Quentin – I don’t know… Maybe he was adopted…

Beatrice – It would explain a lot…

Quentin – He always was the ugly duckling…

Beatrice – That’s true… He doesn’t even look like us.

Quentin – There’s something Asian about him, don’t you think?

Beatrice – Asian?

Quentin – Just a touch, mind you.

Beatrice – You think he’s adopted and they let him keep his first name?

Quentin – I don’t think there’s a lot of Asians called Raymond…

Beatrice – No…

A beat.

Quentin – On the bright side, if it turned out we weren’t from the same family, if he needed a kidney we wouldn’t be compatible…

Beatrice – There’s that.

Quentin – Speaking of which… Here’s the doctor… (Quietly to Beatrice) And given his name, I’d be surprised if he brought good news…

The doctor and the nurse arrive with appropriately gloomy faces.

Killhem – Doctor Killhem. And this is Nurse Diggold.

Beatrice – Hello Doctor.

Quentin – Nurse…

Beatrice – We came as soon as the hospital contacted us.

Killhem – You’re the patient’s brother and sister, am I right?

Quentin – Yes, well…

Killhem – I am sincerely sorry for what happened to your brother.

Beatrice – Is it that bad?

Killhem – I won’t lie to you, his condition is extremely worrying. He’s in a critical state and we don’t know which way it’ll go.

Beatrice – You think there’s still hope?

Killhem – Mr Mariani suffered a catastrophic head trauma and unfortunately the skull has been severely damaged. He is currently in a deep coma, and is on life support. We are going to do more tests but it would seem he is already brain dead.

Quentin – You mean he’s a vegetable…

Killhem – I studied medicine for 14 years. I wanted to give you some context and more information to justify my astronomically high salary. But yes, that’s what he is. A vegetable.

Beatrice – So there’s no chance he’ll ever wake from his coma?

Killhem takes the x-ray that Diggold took out of a file, and shows it to them.

Killhem – This is an x-ray of Mr Mariani’s skull. As you can see, there are numerous lesions and several fractures.

Quentin and Beatrice look at the x-ray pretending they understand what they are looking at.

Beatrice – Indeed, it’s not pretty.

Quentin – But the skull looks intact… the curve is perfect…

Killhem – That’s not his skull, that’s his helmet.

Beatrice – His helmet?

Diggold – The skull is so damaged that we chose to leave the helmet to keep the brain in place.

Killhem – At least what’s left of it…

Quentin – Do you mean that without the helmet…

Killhem – Imagine spaghetti in a broken colander, in a saucepan. We felt it was safer to keep the saucepan under the colander so the spaghetti didn’t spill in the sink.

Quentin – Oh, now I understand.

Killhem puts the x-rays away.

Killhem – I am very sorry to have to ask you this so bluntly, but… Do you know whether Mr Mariani had made any provision for continued care and organ donation, particularly in the case where he would need to be kept artificially alive?

Beatrice – I don’t know… We never had the chance to discuss that particular subject… We didn’t see each other very often, you see… (To Quentin) Did he mention anything to you?

Quentin – No… The last time I saw him was at your wedding. I imagine he didn’t think the circumstances were ideal to bring it up. Although… Who hasn’t considered assisted suicide during the Birdie Song? Honestly?

Killhem – I don’t want to rush you of course. But you’ll need think about it now.

Diggold – And if it becomes relevant, there’s also a decision to be made regarding organ donation.

Quentin – Organ donation? Oh no, but… We need to tell you, Doctor… We have reason to think that Raymond is our adopted brother… Therefore we wouldn’t be compatible for an organ donation…

Diggold – I think Doctor Killhem was talking about donating Raymond’s organs…

Quentin – Raymond’s… Of course… Yes… Personally I am totally in favour, of course. If it can help save another life…

Killhem – In any case, we would also need Mrs Mariani’s agreement. She just called, she’ll be here soon.

Beatrice – Mrs Mariani…

Diggold – His wife. Your sister-in-law.

Quentin – Of course…

Killhem – I will leave you with your brother… You can talk to him, of course, but we’re not sure he can hear you.

Quentin – Thank you Doctor.

Killhem – Let me know if you have any other questions… And if you need anything you can ring and a nurse will come… or a priest.

The doctor and the nurse leave the room. Quentin and Beatrice turn toward the patient.

Beatrice – Did you know he was married?

Quentin – No…

Beatrice – He could have at least told us. I don’t know that I would have gone to his wedding but you know… Don’t you think?

Quentin – I don’t know why but I can’t picture him with a wife.

Beatrice – Yeah… I’m curious to see what she looks like…

Quentin – According to the doctor it won’t be long before we find out…

At that moment, Peggy, Raymond’s presumed wife, arrives. The character can be played by a woman who looks and moves in an unfeminine way, or by a man dressed as a woman.

Peggy – Oh my God! Raymond!

Quentin and Beatrice glance at each other, intrigued.

Peggy – Don’t tell me I’m too late?

Quentin – Don’t worry, he’s still alive. Well, so to speak…

Peggy – Peggy. I am Raymond’s partner. Who are you?

Quentin – I’m his brother…

Beatrice – And I’m his sister…

Peggy – Strange… He never mentioned either of you…

Quentin – He never told us he was married either…

Peggy – He always was very discreet. I mean… He’s still very discreet.

Quentin – For sure, in his condition, he couldn’t be more discreet.

Peggy – Did the doctor say whether there was still any hope?

Beatrice – He wasn’t very reassuring, actually… We are just as distraught as you are… Do you have children?

Peggy – Not yet, unfortunately… I would have had something left of him…

Beatrice – Of course.

Peggy – But they are going to fix him, aren’t they?

Quentin – I think they asked us here to see whether we were in agreement about putting him out of his misery…

Peggy – Putting him out of his misery?

Beatrice – Raymond is unfortunately in a deep coma following this accident.

Peggy – His accident? What happened, exactly?

Quentin – That’s true… What happened, exactly?

Beatrice – We forgot to ask…

Quentin – A traffic accident, maybe.

Peggy – Raymond didn’t drive.

Quentin – Regardless, I think that Doctor Killhem is waiting for the greenlight to unplug him…

Peggy – Unplug him? This isn’t a toaster you’re talking about! Raymond is your brother!

Beatrice – To be honest, it’s been years since we last saw him…

Quentin – I even wonder why they asked us to come.

Beatrice – We are his only family, apart from you, but to ask us to make such an important decision…

Quentin – I’m not a believer so I don’t have anything against euthanasia… In fact, don’t you think it’s a sign?

Peggy – A sign?

Quentin – Euthan-asia.

Beatrice – We think that Raymond might well have come from Asia.

Quentin – I think it’s a sign.

Beatrice – Maybe you should be the one to make the decision. After all, you knew him much better than we did…

Peggy starts sobbing in an unconvincing manner.

Peggy – No, I am not ready to… to unplug him… Not just yet anyway…

Beatrice – We totally respect your decision. Don’t we, Quentin?

Quentin – Of course… (He glances at his watch) Actually, I have to go soon… Since we can’t do anything for the moment…

Beatrice – Me too… I have guests for dinner tonight and…

Quentin – Actually, I don’t think that our presence makes a big difference, the state he’s in…

Peggy – I’ll stay with him, if that’s ok with you…

Beatrice – But of course… You are his wife after all…

Quentin and Beatrice are about to leave but the nurse comes back.

Diggold – Oh, you must be Mrs Mariani…

Peggy – Yes… Could you give me some more information on Raymond’s condition?

Diggold – We are waiting for the latest results, but to be honest we are not very optimistic.

Peggy – Is he getting worse?

Diggold – No, not really. His condition is stable.

Peggy – In that case maybe there’s still hope.

Diggold – Unfortunately, my dear, in this instance stable isn’t a positive.

Quentin – A vegetable is also in a stable condition.

Diggold – Mr Mariani is indeed in a vegetative state. There are very few chances of his condition improving.

Peggy – Are you sure?

Diggold – Unfortunately. I think you should start thinking about what would be best for him.

Beatrice – Do you think he’s in pain?

Diggold – Hard to tell, but… kept alive in this sort of state, that’s not much of a life, don’t you think?

Beatrice – The nurse is right, Peggy. I understand your pain, but we can’t leave him like this…

Diggold – Your sister-in-law is right. Of course the departure of a loved one is one of our Lord’s greatest tests, but at some point you must start the grieving process, get a move on and face things head on. There’s lots of paperwork to fill in. And the inheritance of course. There’s no need to drag things on.

Quentin – Inheritance?

Beatrice – But of course… the inheritance… We’d forgotten about that…

Quentin – Who are the beneficiaries?

Diggold – Well, typically… (To Peggy) You’re his wife, aren’t you?

Peggy – Yes, well, yes, I mean …

Diggold – If your husband came to die, you would inherit… Actually, since you’re the patient’s spouse I would need to get you to sign some forms while you’re here…

Peggy – Well… Actually, we weren’t married yet…

Diggold – Oh… And you didn’t have any children either?

Peggy – No…

Diggold – In that case, it’s his brother and sister who are the beneficiaries… But I don’t think that’s your main worry right now.

Quentin (dreamily) – No, of course not…

Diggold – I’ll let you talk it over as a family…

The nurse leaves the room.

Peggy – Sorry, nature’s calling.

Peggy leaves for the bathroom.

Quentin – So we’re the beneficiaries…

Beatrice – We are his only family if he isn’t married…

Quentin – That’s crazy…

Beatrice – Yes…

Quentin – Do you think he had a lot of cash?

Beatrice – I doubt it, but… Who knows… We hadn’t seen him for years.

Quentin – I don’t even know what he does for a living.

Beatrice – I’m going to guess he’s on benefits.

Quentin – I don’t know… maybe he does work.

Beatrice – Well, I doubt he makes it past the income tax threshold.

Quentin – We should ask his wife… I mean, Peggy… She would know…

Peggy comes back.

Beatrice – Feeling better?

Peggy seems to be looking for something.

Peggy – I’m ok… Do you know where they put his belongings?

Beatrice – His belongings?

Peggy – Didn’t he have a suitcase when they brought him in?

Quentin – If he was hospitalised following an accident, I wouldn’t have thought he’d had time to pack a suitcase…

Beatrice – It’s not as if he was heading for a stay in the maternity ward…

Quentin – Why do you want to know if he had a suitcase? I don’t think he’s going to need one for a while…

Peggy – No, of course… I’m sorry… I’m not myself…

Quentin – As you were living with him… could you tell us a little about his life? I mean, since we hadn’t seen him for a long time…

Beatrice – Yes, how were things going for him?

Peggy – What do you mean, things?

Beatrice – Business… Did he have a job?

Peggy (distracted) – A job? Raymond?

Quentin – I knew it…

Peggy seems preoccupied by something else.

Peggy – I’ll go ask the nurse if they stored his suitcase somewhere…

She leaves the room.

Quentin – She seems rather upset, doesn’t she?

Beatrice – That’s understandable.

Quentin – In any case, apparently he didn’t have a fortune… So for the inheritance…

Beatrice – He may not have earned a fortune… but three years ago when Mum died, he would have inherited his share of Mum and Dad’s estate.

Quentin – Shit, you’re right…

Beatrice – We could at least get that back… I mean, it makes sense that it should come to us. We’re his family after all.

Quentin – Especially since Raymond may not have actually been part of the family. If he was adopted from Bangladesh. Or even Birmingham.

Beatrice – I wouldn’t mind some money right now. We’ve just bought property in Provence, right next to Cliff Richard’s place…

Quentin – No, really? Provence is stunning. The light. The lavender…

Beatrice – The thing is there really is a lot of work to do before it looks like Cliffy’s house. Right now even Lulu wouldn’t take a summer holiday there.

Quentin – I see. And since he’s lying here like a vegetable…

Beatrice – Unplugging him would be the compassionate thing to do.

They are lost in thought for a moment.

Quentin – What if he’d already blown it all?

Beatrice – You think?

Quentin – This is Raymond we’re talking about…

Peggy returns.

Peggy – Apparently he didn’t have a suitcase…

Beatrice – But other than that, everything was good? He didn’t have any financial troubles?

Peggy – Financial troubles?

Quentin – I think he recently came into a small inheritance. I hope he would have managed the money sensibly.

Peggy – Sensibly? Raymond?

Beatrice – Oh, that’s right…

The nurse comes back.

Diggold – So? Have you been able to have a family discussion about the best course of action for your loved one?

Quentin – Well, actually…

Beatrice – We haven’t made a decision yet.

Quentin – And we’re not necessarily in agreement…

Beatrice – Peggy isn’t quite ready for…

Peggy is still looking for something.

Peggy – So, he didn’t have a suitcase when he arrived?

She even looks under the bed.

Diggold – Having said that, if Mr Mariani wasn’t married, it’s up to his brother and sister to decide what’s best for him.

Quentin – Actually… we would like a little more information.

Diggold – On his medical condition? Well, as I was telling you earlier…

Quentin – We were thinking more in terms of the finances.

Diggold – Don’t worry about that. Euthanasia is not covered by the NHS yet but we consider this medical procedure a charitable and Christian act that we perform without charge. However, if you insist on making a donation, Doctor Killhem is considering creating a foundation in Belgravia for…

Beatrice – We were thinking more about the inheritance aspect of the finances.

Diggold – The inheritance. I see. Well, of course.

Quentin – Did you know whether Mr Mariani was a man of means?

Diggold – He was comfortable enough to have a subscription to Boris Bikes… But you should really ask his most recent partner…

Peggy wasn’t paying attention but reacts when she hears her name.

Peggy – Pardon?

Diggold – You need to know that in accepting your brother’s inheritance you agree to take on his potential debts as well as his assets. That includes his hospital fees…

Beatrice – You’re kidding…?

Quentin and Beatrice consider for a moment the patient and all the medical apparatus that surrounds him.

Quentin – Private rooms costs a packet, right?

Diggold – A fortune, indeed. His care is covered under the NHS but by rights if he hasn’t got private healthcare he should have been out on the ward with the rest of the great unwell.

Beatrice – Did Raymond have private healthcare?

Diggold – I’ll have to check with accounts… But if you’re not sure you can always refuse the inheritance and make Doctor Killhem’s foundation the beneficiary…

Quentin – But of course… I see…

Diggold – In any case, with regards to the life support decision, I would advise you to carefully weigh the pros and cons… Because he could stay in a coma for years and who knows how much that will end up costing.

Beatrice – In that case we may have to put him quickly out of his misery. What do you think, Quentin?

Diggold – I’ll give you a few more minutes to decide…

She leaves the room.

Beatrice (to Peggy) – What do you think?

Peggy – Isn’t there a small chance that he could wake from his coma?

Quentin – After all, if we renounce the inheritance, whether he lives or dies…

Beatrice – True, we don’t need to rush his death. It’s not very Christian…

Quentin – I need to talk to my solicitor, but I wonder if the hospital bills aren’t the family’s responsibility even if we turn down the inheritance.

Beatrice – But we hardly even know Raymond!

They move close to the patient.

Quentin – You think he can hear us?

Peggy– Go figure…

Beatrice – What about the organ donation, what do you think about that?

Quentin – Donating his organs?

Beatrice – What? You want to sell them?

Quentin – I don’t know… How much do you think we could get for them?

Beatrice – It could go towards the hospital bills… I’m kidding, my nerves are shot.

Quentin – Are you sure he can’t hear us?

Beatrice (to Peggy) – Do you know where he stood on organ donation?

Peggy – No…

A beat.

Beatrice (to Peggy) – Would you consider marring Raymond, before we unplug him?

Quentin – And before we remove his organs, naturally.

Beatrice – That way you could have his name. Think of it as a souvenir.

Quentin – Since you don’t have children.

Beatrice – Post-mortem artificial insemination would be one step too far.

Quentin – I’m not sure you can marry someone in a coma… That’s another question for my solicitor.

Peggy – Yeah, right. I see what you’re up to… A few minutes ago I wasn’t part of the family and now you want me to marry him so I can foot the hospital bills.

Beatrice – That’s such a negative way to see things…

Doctor Killhem enters the room.

Killhem – So, everything good in here? I mean… Given the circumstances. Did someone offer you a coffee? Or a danish? Oops, I forget I’m still working for the NHS. A rich tea and a Nescafe perhaps?

Beatrice – Oh, Doctor! Perfect timing, we need your advice.

Killhem – Please, we are here to help.

Quentin – It’s about Raymond’s private health care.

Killhem – Unfortunately, your brother didn’t have private healthcare. And I don’t want to worry you but some sort of admin error means that he was placed in a private room and has already incurred some considerable expenses.

Beatrice – It’s ok, we’re already pretty worried anyway…

Killhem – I understand… Seeing your brother… Or your life partner in such a state… It’s difficult to comprehend, I know.

Peggy – But you think there’s a chance he might talk again one day?

Killhem – Talk? Dear God… A miracle is always possible, but you’ll have to send the request much higher than me (looks skyward). And while miracles are not guaranteed to work they are free… euthanasia on the other hand is a dead cert but not covered by the NHS.

Beatrice – Thank you for these comforting words, Doctor…

Killhem – Oh, before I forget, the police are waiting at reception.

Peggy – The police?

Killhem – I told them the patient wasn’t able to answer questions, but they are keen to talk to friends and family. I told the officer to come to the room… Anyway, if you change your mind about coffee and danish there’s always Deliveroo.

The doctor leaves.

Quentin – The police? Why are the police here?

Beatrice – Maybe they’re investigating the circumstances of the accident… it would make sense…

Quentin – Of course. Actually, we still don’t know anything about this accident.

Beatrice – The nurse said something about a Boris Bike…

Quentin – You don’t know what happened, do you?

Peggy – Well… I… No, not really.

Beatrice – Maybe this police officer will be able to tell us more.

Quentin (seeing Peggy very uncomfortable) – You don’t want to find out?

Peggy – Look, I don’t have time to explain, but please, don’t tell the police about me, ok?

Quentin – Why not?

Peggy – I… I’m not Raymond’s wife… I mean, I’m not his life partner either.

Beatrice – Really? So who are you?

Peggy – I’m his partner… His business partner.

Quentin – Business partner? What kind of business?

Beatrice – The kind of business that the police shouldn’t know about, apparently…

Someone knocks on the door.

Peggy – I’ll tell you later. I’ll go and hide in the bathroom until they leave.

Detective McManigal (man or woman) comes into the room.

McManigal – Detective McManigal (wiping his brow) It’s hot in here, isn’t it? You must be the family, I presume…

Quentin – His brother and sister, yes.

McManigal – I am investigating the case your brother is involved in.

Beatrice – A case? There’s more to this than an accident with a Boris Bike? Did he fail to return it within the two-hour limit?

McManigal – It’s a little more complicated than that, actually…

Quentin – Really?

McManigal – I thought you already knew… Your brother is in a coma following an armed robbery.

Beatrice – An armed robbery?

McManigal – The Post Office next to where he lived.

Quentin – I see. Raymond never did like banks.

Beatrice – Either that or he was picking up his benefits.

Quentin – He was riding by on his bike and was hit by a stray bullet, is that it?

Beatrice – Deep down I’m not surprised.

Quentin – Our brother never had any luck…

McManigal – Actually, that’s not what happened… Your brother is involved in the armed robbery… he was the robber.

The other two are dumbfounded.

Beatrice – Raymond? He robbed the Post Office?

McManigal – Yes, he did. With an accomplice.

Quentin – Armed robbery… That’s so unlike him.

Beatrice – An armed robbery on a Boris Bike? With a full helmet?

Quentin – Actually, that is more like him.

McManigal – Did you know anything about his illegal activities?

Beatrice – Of course not. It’s been years since we last saw him…

Quentin – On a Boris Bike… That must be grounds for an insanity plea, no? Either that or an award for inventing the eco-friendly robbery.

Beatrice – So it’s not a traffic accident?

McManigal – Yes and no… Your brother got hit by a bus after a police chase through London.

Quentin – A police chase? He was on a Boris Bike! What were the cops riding? Roller skates?

McManigal – This isn’t a joke, Mr Mariani. We’re talking about an armed robbery.

Beatrice – No one is taking this more seriously than we are, Detective. I will remind you that our brother is between life and death…

McManigal – I am genuinely very sorry… Especially since his accomplice escaped and he could have given us her name.

Quentin – Her name? So it’s a woman…

McManigal shows them a piece of paper.

McManigal – This is her e-fit. Have you seen this woman before?

Quentin – Unfortunately I don’t have my reading glasses… (He pretends to have difficulty reading) You know what it’s like when you get older…

McManigal (to Beatrice) – And you?

Beatrice – Who? Me? Oh you know… I’m terrible with faces… It’s very simple: I can’t tell people apart. I once went to a swinger’s club on the Kingsland Road and came home with my own husband. It was only when he took the dog out the following morning the penny dropped.

McManigal – I see…

Quentin – Lucky you…

McManigal steps closer to the bed.

McManigal – I spoke with the doctor earlier… According to him there’s little chance that Mr Mariani will wake from his coma any time soon.

Quentin – If he wakes up he’ll go to prison… That’s hardly a great motivator to step away from the light.

Beatrice – What will he get?

McManigal – If he were to give us the name of his accomplice, return the money and show remorse, the judge might be lenient…

Quentin – How much?

McManigal – Well, the gun was fake but that doesn’t make any difference. In theory, up to twenty years.

Quentin – No, I meant the money… How much?

McManigal – Three million.

Quentin – Three million pounds?

Beatrice – I see.

Quentin – And there I was thinking Raymond didn’t have any ambition… I’m almost impressed…

Beatrice – And you say you still haven’t found the money?

McManigal – Witnesses have confirmed that it was your brother who was holding the suitcase after the robbery… But when we found him after the accident, the suitcase had gone…

Quentin – So what happened, exactly?

McManigal – After the robbery, the two suspects split to make it harder to follow them. We lost her but your brother was later spotted near King’s Cross station.

Beatrice – Spotted…

McManigal – A bloke on a Boris Bike with a full helmet is easy to spot…

Quentin – Obviously not enough for the bus driver who ran him over…

McManigal – Regardless, before his accident he had time to get rid of the suitcase.

Beatrice – The suitcase…

McManigal – You know something about the suitcase?

Beatrice – No, no, nothing…

McManigal – In any case, know that your brother is under arrest. In principle I should stay here and stand guard in case he wakes up, but…

Quentin – The state he’s in, he’s not going to run away…

McManigal – And to be honest with you, hospitals depress me…

Quentin – I know what you mean… And they say they’re full of germs that resist all antibiotics these days.

Beatrice – Quite. There’s that saying about hospitals: you might know what you come in with but God only knows what you’re taking home.

Quentin – Same if you’re just visiting… I refused to attend all three of my children’s births for that very reason.

McManigal – Really?

Beatrice – Absolutely, in terms of germs and viruses, hospitals are one big, petri dish playpen.

Quentin – And you know the tropical disease ward is right next door. Doctor Killhem was just telling us that just last week they had the first case of malaria in over a century.

Beatrice – Didn’t he say ebola?

Quentin – Possibly…

McManigal – He told you that?

Beatrice – Just between us, I think this hospital is on the verge of being quarantined. Apparently, the nurses are dropping like flies.

McManigal now seems in a hurry to leave.

McManigal – Right, in that case I’ll leave you to it… I’ll come back to check on him once in a while…

Quentin – Thank you for your kindness, Detective.

Quentin holds out his hand that he can’t refuse to shake.

McManigal – Do you mind if I wash my hands before I leave?

Beatrice – Where?

McManigal – In the bathroom!

The other two are dismayed.

Quentin – Well, I mean…

Beatrice – No, no problem at all…

McManigal enters the bathroom. The other two exchange worried looks.

Quentin – We’ll just say that she threatened to kill us if we said anything…

Beatrice – With her fake gun?

Quentin – We didn’t know that then!

McManigal returns.

McManigal – You know, I’ve been feeling a little peaky since I’ve arrived. I hope I haven’t caught something nasty… You’ll let me know if your brother wakes up, won’t you?

Beatrice – Of course we will, Detective…

McManigal leaves.

Beatrice – How did she do that?

Quentin – Maybe she hid behind the shower curtain. They do that in horror films all the time.

Quentin – Well, I think that we can forget about the inheritance. If Raymond was reduced to robbing the Post Office on a Boris Bike, he obviously wasn’t flush.

Beatrice – But there’s the loot…

Quentin – Right… The suitcase…

Beatrice – That’s why Peggy didn’t want to unplug Raymond before he told her what he did with the money…

Quentin – Now I understand why she was so intent on finding out whether Raymond had any luggage when he arrived…

Peggy returns.

Peggy – Thank goodness the bathroom is shared between both rooms.

Quentin – The patient next door wasn’t surprised to see you?

Peggy – He’s in a coma, too…

Beatrice – Oh that’s right, room 13a…

Peggy – I overheard everything.

Beatrice – So?

Peggy – Yeah, ok, I’m the accomplice.

Quentin – No kidding… Actually the e-fit is a perfect likeness.

Beatrice – It’s going to be difficult to convince the Detective that we didn’t recognise you if he finds out we saw you here…

Peggy – Thank you for your discretion…

Quentin – We could still be in real trouble…

Beatrice – And what’s in it for us?

Peggy – Ok, if you help me find the money we’ll share. One million each…

Beatrice – We split it three ways?

Quentin – Now we just need Raymond to tell us where it is.

Peggy – In the state he’s in…

Beatrice – Precisely. It’s not going to be easy to get him to tell us what he did with the money.

Peggy – He might confide more easily if it’s his family asking.

Quentin – And then?

Peggy – If we can get him to spill the beans, we can unplug him right after. Rather than let him live like a vegetable. And three million split four ways that’s not a round number anyway…

Quentin – And he won’t be tempted to shop you to the cops, right?

Peggy – It’s my understanding that you weren’t very close. It would also ensure you don’t have to pay his medical bills for years to come…

Beatrice – I would really be more comfortable if I were sure he couldn’t hear us…

Quentin – You think he could be faking?

Peggy – Faking a deep coma? Is that possible?

Beatrice – He was always a natural. Do you remember when we were kids? Sometimes he would sleep so soundly… in the morning we often thought he had fallen in a coma.

They all come around the bed.

Peggy – Maybe this little shit wants to keep the money for himself…

Beatrice – Raymond, can you hear us?

Quentin – The helmet isn’t helping.

Beatrice – The doctor said that if we removed it, his brain may spill on the pillow…

Peggy – We could just open the visor.

She opens the visor.

Quentin – Raymond, this is your brother, Quentin…

Peggy shakes him a little roughly.

Peggy – Raymond? Raymond? Where the fuck is the fucking money?

Beatrice – Careful, you’ll kill him!

Quentin – He opened his mouth…

Peggy – Shit, he did.

Beatrice – It looks like he wants to tell us something…

Quentin – Maybe it’s a reflex…

Peggy – Look, it’s… there’s something in his mouth!

Beatrice – Yes there is…

Peggy sticks her hand through the visor.

Peggy – Spit it out god dammit!

Quentin – All right, gently.

Peggy – The fucker, he bit me.

Quentin – I hope for your sake he’s not contagious.

Beatrice – So, what is it?

Peggy removes a key from Raymond’s mouth which she holds for all to see.

Peggy – Fuck me! It’s a key!

Beatrice – A key?

Peggy – It looks like a key to a train station locker… Maybe he had time to hide the suitcase in a train station somewhere…

Beatrice – And he tried to swallow the key knowing the police would catch him.

Quentin – Great… It’s not like there’s only a couple of train stations with lockers in London…

Peggy – The detective said his accident happened near King’s Cross station.

Quentin – Wow… Do you think that’s where it might be? It’s like we’re in a whodunit movie.

Beatrice – Or a play…

Peggy – I can’t go. The police are looking for me, and they have my e-fit.

Quentin – And a very lifelike one, too.

Peggy (to Beatrice) – You should go.

Beatrice – Me?

Peggy – Yes, you. In that stuck up yummy mummy garb of yours you’ll blend right in.

Beatrice – Thanks a lot… What if I get arrested?

Peggy – Tell them it’s for the kid’s school fees.

Quentin – This is three million pounds we’re talking about… Think about all the home improvements you’ll be able to afford for your place in Provence.

Beatrice – Why don’t we go together?

Peggy – That’s right, so you can both leave with the money? Not a chance. (She takes out a gun and points it at them) He stays here with me.

Beatrice – Oh come on… The detective told us it was a fake gun.

Peggy – Alright, but screw me over and see what happens.

Quentin – And in any case, one of us should stay with Raymond, or it will be look odd.

Beatrice – I’m still not sure… You don’t think we should call the police?

Peggy – And send me to prison?

Quentin – And there might not be anything in that locker. If we do find something we can work out a plan from there.

Beatrice – Yeah, well whatever we find if we keep it that’s fencing…

Quentin – Just focus on what you could do with a million pounds.

Beatrice – Yeah…

Quentin – You could turn your wind mill ruin into a castle! With a swimming pool even bigger than Cliff Richard’s!

Beatrice – Alright, I’m going.

She leaves. The other two exchange embarrassed looks. Quentin’s mobile phone rings, he answers. Peggy steps closer to the patient.

Quentin – Yes… No, I’m still at the hospital… It’s just that… Let’s say it’s more complicated than we thought… Listen, silver lining and all that, it might just be good news in the end… Raymond? Oh no, he’s still in a coma… Listen, I’ll tell you more… I can’t talk now… No, no, don’t wait I won’t be home for dinner… OK, me too…

Peggy – Looks like he’s breathing better since we removed the key from his mouth, don’t you think?

Quentin – Maybe we saved his life…

Peggy – Let’s not get carried away.

Quentin – Shouldn’t we tell the doctor?

Peggy – So the cops can throw him in prison?

At that moment, the nurse shows up briefly.

Diggold – Everything ok?

Peggy – Well, it’s… stable.

Diggold – Do call me if you need anything.

She leaves.

Quentin – Right, so what do we do?

Peggy – For now, we wait.

They each sit in a chair and start to doze off. We assume they fall asleep for a short while. Ellipse can be suggested by the changing of the light. Quentin’s mobile phone rings again. He wakes suddenly. Peggy is still asleep.

Quentin – Ah, Beatrice… Did you find the locker? A suitcase! Wowzers… No, you’re right, better not open it on the tube, it’s full of pickpockets so if the suitcase is full of bank notes… Peggy? No, she’s asleep here… Listen, I don’t know if… I can’t just sneak out, like that, without saying anything? We made a deal with her… True, robbing a robber isn’t really robbing, but still…

Peggy wakes up and hears the last part of the conversation. Quentin notices and changes tone.

Quentin – I think you should come back here as soon as you can and we’ll sort this out together. Ok? See you soon…

He puts his mobile phone away. Peggy looks at him suspiciously.

Peggy – You’re not looking to double cross me, are you?

Quentin – Not at all! Beatrice has the suitcase! She’s on her way…

The doctor returns.

Killhem – What lovely family scene… Raymond is very lucky to have such caring relatives… Sadly, it’s not always the case you know…

Quentin – Yes, I… After all, you only die once, don’t you?

The doctor studies the machines that surround the patient.

Killhem – Sadly, there is no change. The EEG is still flat.

Quentin – What control data are you using? I’m not sure that before his accident Raymond’s brain showed more activity… I’m kidding.

Killhem – You’re right. Joking helps one cope. It’s like I always say to my patients in hospice care: we’re all dying…

Quentin – You such a way with words, Doctor Killhem. I’m sure it makes them feel so much better…

Killhem – Why, thank you. It’s not just a job but a God-given vocation… You know where to find me if you need me…

Peggy – Thank you doctor…

The doctor is about to leave. Beatrice returns with a suitcase and is face-to-face with the doctor. A moment of uncertainty.

Killhem – You went to get him some clothes. That’s very nice of you. Although I’m not sure that in the state he’s in… I’ll tell you what, I’ll leave you to it.

The doctor leaves the room. Beatrice puts the suitcase at the foot of the bed. They look at it, fascinated.

Quentin – So? Did you look inside…?

Beatrice – I wanted to wait to open it here, it’s safer, isn’t it?

Peggy – Good idea.

Beatrice – And there’s a code…

Quentin – A code? What a shit… He must have been wary of thieves.

Beatrice – What are we going to do?

Peggy – Don’t worry, I know the code.

Peggy takes the suitcase and enters the code.

Quentin – 007? So creative…

Peggy opens the suitcase. Deception on everyone’s face. Beatrice calls out the contents of the suitcase.

Beatrice – A few pieces of clothing… A bathing suit…

Quentin – And a book to learn Dutch.

Peggy – This bastard tried to double cross me. He must have planned to escape to Holland with the money.

Beatrice – From King’s Cross?

Peggy – Well the money isn’t there…

Quentin (to Beatrice) – You aren’t trying to double cross US, are you?

Beatrice – Me? But I didn’t even have the code!

Peggy – Come on, let’s keep calm… It’s your sister you’re talking about… And we’re almost family now…

Beatrice comes close to the patient.

Beatrice – He opened his eyes!

Quentin – There’s still hope.

Beatrice – To find the money, you mean?

Quentin – Yes, that too…

Peggy – Maybe it’s a reflex?

Beatrice – Raymond, can you hear us?

Quentin – He blinked!

Beatrice – Maybe that means yes…

Quentin – You’re right. That’s how they talk to patients in a coma. I saw it in a film. Once for yes, twice for no. Or the other way around, I can’t remember…

Beatrice – Raymond? Listen carefully and try to answer this question with either yes or now: is your name Raymond?

Quentin – That’s a stupid fucking question…

Beatrice – It’s just to check that he understands the code.

Quentin – Did he blink or not?

Peggy – It’s not easy to see with the helmet on. Maybe we could try and remove it?

Beatrice – You want to kill him, is that it?

Peggy – Of course not!

Quentin – And it could be very messy…

The nurse comes into the room. Peggy slams the helmet visor shut.

Diggold – I just wanted to let you know that Detective McManigal was downstairs. He’ll be here momentarily…

Beatrice – Very well, thanks for letting us know Nurse Diggold…

The nurse leaves.

Quentin – I think you should hide again.

Peggy – I’ll take the suitcase with me, so he doesn’t see it.

Beatrice – Why don’t we put it under the bed?

She takes the suitcase and slides it under the bed. Peggy looks resentful.

Beatrice – Alright, go! What are you waiting for?

Peggy goes to hide in the bathroom. McManigal walks into the room. He is covered with either red blotches or spots.

Quentin – Detective McManigal, how are you?

McManigal – Not very well to tell you the truth… I’m still having hot flushes…

Beatrice – Please, sit down…

McManigal – Actually, I came for a consultation with Doctor Killhem… You haven’t seen him by any chance?

Quentin – I’m sure he’s around. You should ask nurse Diggold, they seem very close.

Beatrice – Where do you get that from, that they’re very close?

Quentin – I don’t know… masculine intuition… And also when I arrived I walked in the wrong room and I thought I saw Doctor Killhem ploughing Nurse Diggold in 13a.

Beatrice – Disgraceful… Thankfully the patient in that room is also in a coma…

McManigal – And what about your brother, any change?

Beatrice – Not in the right way, to tell you the truth.

Quentin – If things continue the way they are we’re going to have to have him put down…

Beatrice – And what about your investigation, any progress?

McManigal – We’re not dealing with Bonnie and Clyde, here. I’m sure I won’t surprise you if I told you that you brother had the IQ of a carrot. It would appear that his accomplice organised everything. She was the brains.

Quentin – A carrot?

Beatrice – Fitting for someone now in a vegetative state…

McManigal – She set him up knowing he had limited chances of escaping and hoping to get her hands on the money. Unfortunately for her… and for your brother, things didn’t quite happen the way she planned.

Quentin – I see…

Beatrice – He never was the lucky one.

Quentin – Anything else?

McManigal – Witnesses say they saw Raymond drop off a suitcase in a locker at Kings Cross. We searched the lockers but didn’t find anything…

Beatrice – Kings Cross… Maybe that will bring him luck…

McManigal – How do you mean?

Beatrice – Kings Cross! Protected by the cross of Jesus Christ, our Lord and Saviour!

McManigal – Yes… Well, I’ll try and locate this Killhem doctor… (wiping his brow with his handkerchief) I’m feeling worse and worse by the minute… I’ll let you know if I find anything else…

Quentin – Thank you Detective… And do take care of yourself…

McManigal leaves. The nurse enters.

Diggold – I don’t want to rush you, but I’m going to need you to make a decision about your brother… We just received a request for a liver. He could save someone’s life…

Beatrice – Alright… I promise we’ll give you the answer you want to hear. Could you give us some privacy for a last goodbye with just the family?

Diggold – But of course…

She leaves the room. Beatrice loses it and shakes Raymond to wake him up.

Beatrice – God dammit Raymond, wake up! Do you really want to end up with just one lung?

The other two look at each other, a little worried.

Quentin – I think she said liver.

Peggy – Right, I’ll leave you to it, you’re his family after all… And I need to not be here when the cop comes back…

Quentin – Do you think he’s playing dead to avoid going to prison?

Beatrice – And keep the money for himself!

Peggy – I can take the suitcase with me if you want. For you it doesn’t represent anything, but for me it has great sentimental value…

Quentin – Sentimental value?

Peggy – This suitcase, it’s… it’s a gift from Raymond…

Beatrice – You’ve been after this suitcase from the very beginning.

Quentin – That’s right, even before we had the code.

Beatrice – So you knew the money was inside…

Peggy – But you can see for yourselves that it isn’t!

Beatrice – Maybe we didn’t look carefully enough…

Beatrice tries to grab the suitcase from Peggy, who doesn’t want to give it up. A tug of war ensues and the suitcase breaks in two pieces. Quentin comes closer.

Quentin – There’s a false bottom…

Beatrice – And the money’s inside.

Quentin – You knew it and you wanted to double cross us!

Peggy – Ok, so I did know… So what do we do now?

Beatrice – We split it, just like we said!

Peggy – Why should I share with you?

Quentin – I don’t know… to ensure we don’t report you to the cops? So that you don’t leave this hospital to serve at Her Majesty’s Pleasure for twenty years.

Peggy – Alright, you convinced me…

Quentin removes a few bank notes from the suitcase.

Quentin – Three million pounds.

Beatrice – I feel like I’ve just won the lottery…

Peggy – Can I remind you that this is still dirty money?

Quentin – Dirty, and in small used notes.

Beatrice – Just what I need to pay the renovations on my house on the black market…

The nurse returns with a syringe.

Diggold – Alright, I am ready…

Quentin – Ready?

Beatrice – Oh God, Raymond! He’s still our brother after all…

Diggold (with a scary face) – Don’t worry. I’ve never had a patient complain.

Black.

Peggy – What’s going on?

Diggold – Power cut. I don’t understand, the backup system should have kicked in… I’ll go check …

Quentin – Yes, please do. Because in the dark… You don’t want to inject the wrong person…

The nurse leaves the room.

Beatrice – Well, we’ll soon find out if he really needed all this equipment to stay alive…

Quentin – I’m not staying here in the dark with a living-dead. It gives me the heebie jeebies.

Beatrice – Me too.

Peggy – Let’s go.

They leave the room.

We hear music on hold, Vivaldi’s Four Season style. Ellipsis.

The lights come back on. Quentin, Beatrice and Peggy return to the room. Then the nurse.

Diggold (very upset) – Oh my God! The backup system also broke down. This shouldn’t ever happen… We fixed it now, but…

Quentin – What?

Diggold – Your brother’s life support depended on several machines… and they all need electricity…

Beatrice – And?

Diggold – And I’m afraid that the question of whether to unplug him or not doesn’t need an answer any longer.

Peggy – He’s dead?

Diggold – He hadn’t been very much alive for some time, but now… I’m afraid he’s completely dead. I’ll check anyway…

She comes to the bed and checks the patient quickly.

Diggold – Yes, it’s over… It didn’t happen exactly the way we would have wanted but perhaps it’s for the best after all? I’ll leave you alone. The doctor will be with you in a moment.

She leaves. The others are stunned.

Beatrice – How awful…

Quentin – He was our brother after all…

Peggy walk to the bed.

Peggy – I think we can remove his helmet now.

Quentin – I’m not sure… It’ll make a mess…

Beatrice – Well, we can’t bury him with his helmet…

Peggy – At least we can open the visor… So we can say our goodbyes…

She opens the visor.

Quentin – Did he have green eyes?

Beatrice – He would be the only one in the family…

Quentin – Which is just another proof that he isn’t actually part of the family…

Peggy looks as well.

Peggy – No!

Quentin – What now?

Peggy – This isn’t Raymond!

Beatrice – This isn’t Raymond? But a few moments ago it was Raymond.

Quentin comes closer.

Quentin – Yeah, well now it’s not Raymond.

Beatrice – So who is it?

Peggy – This bloke looks a lot like the living-dead I saw in the room next door.

Quentin – That’s right! I saw him too when I arrived at the hospital. It’s him!

Beatrice – He didn’t walk himself into this bed…

Peggy – So where’s Raymond?

Quentin looks under the bed.

Quentin – Raymond isn’t the only thing that’s disappeared…

Beatrice – The suitcase! It’s gone!

McManigal arrives.

McManigal – Doctor Killhem has decided to keep me in for observation and a checkup… You were right: hospitals, you know what you get admitted with…

McManigal turns and ends up face to face with Peggy.

McManigal – You look a lot like someone whose e-fit I have in my pocket.

Peggy – Did you grass me and hide the money too?

Beatrice – What? No!

Quentin – I assure you, Detective, we have no idea what she’s talking about.

McManigal (suspicious) – But you told me earlier you didn’t know her.

Beatrice – But we don’t know her. At all. This is the first time we see her. Isn’t it, Quentin? Actually, who is she?

Quentin – We’re very upset, Detective, you can understand that.

Beatrice – And I would ask that you respect our family’s privacy at this difficult time.

Quentin – Our brother has just died.

McManigal – Well he won’t go to prison, but this one is coming with me. And as for you two, I’ll deal with you later. I am going to ask you to drop by the police station to make a statement. For now, I offer my condolences.

Beatrice – Thank you Detective.

McManigal (to Peggy) – As for you, as they say in Hawaii Five O, you have the right to remain silent, everything you say can and will be held against you…

McManigal handcuffs Peggy and they leave.

Quentin – I don’t understand.

Beatrice – What do you think happened?

Quentin – Do you think he could have faked being in a coma all this time?

Beatrice – And he would have used the power cut to put the homeless corpse in his bed so to make us believe he was dead so we would leave and drop the whole thing?

Quentin – Well, that would explain why his eyes were a different colour…

Beatrice – It would also explain why the money’s gone…

Quentin – Maybe Raymond wasn’t so stupid after all…

Beatrice – Yes… that’s why I don’t buy it.

Quentin – What colour were his eyes?

Beatrice doesn’t seem to know.

Beatrice – He was ginger I think… They don’t have green eyes…

Quentin – Raymond was ginger?

Beatrice – Wasn’t he?

The doctor arrives.

Killhem – I am so very sorry for what happened. I want to present the hospital’s and my own heartfelt apologies and of course our deepest sympathies for your loss.

Beatrice – Thank you…

Killhem – Since you were already considering helping your brother leave this world sooner rather than later, I do hope we can rely on you to not take this minor mishap any further… After all, we saved you from making a very painful decision.

Quentin – Don’t worry. We have enough troubles as it is…

Killhem – Consider it fate… Or even the hand of God…

Quentin – Hang on a minute. Are you saying it’s the hand of God that cut off the electricity in the whole hospital?

Killhem – More like the workers’ union… I think it’s an unplanned strike.

Quentin – In exchange for our understanding, Doctor Killhem, perhaps you could agree that as a gesture of goodwil…

Killhem – A gesture of goodwill?

Quentin – In consideration of the hospital fees accrued by our dearly departed. Because if you had a ‘100% satisfaction or your money back’ guarantee …

Killhem – Yes, of course, we’ll waive the fees. Consider it done.

Beatrice – We would also like to ask you, if possible, to spare our brother an autopsy. We feel he has suffered enough.

Killhem – Of course, thank you for your understanding and please come and see us soon. There will always be room for you here.

The doctor leaves, relieved. The siblings turn their head towards the bed.

Beatrice – At least, as far as he’s concerned, all is well that ends well.

Quentin – But it’s not him!

Beatrice – I know! That means he’s not dead!

Quentin – You’re right. And since the cops think he’s dead they’ll leave him alone.

Beatrice – And with his three million they won’t find him any time soon.

Quentin – Shame, I was starting to like him…

Awkward moment. If desired, the song ‘He ain’t heavy he’s my brother’ by Neil Young can be played here: So on we go / His welfare is of my concern / No burden is he to bear / We’ll get there…

Beatrice – Well, he double crossed us, this brother whose welfare is our concern.

Quentin – Yep… It’s like they say: Only when the tide goes out do you discover who’s swimming naked.

Beatrice – Quentin Tarantino?

Quentin – Warren Buffet.

Beatrice – Never heard of this philosopher…

Quentin – He’s an American billionaire who earned his fortune playing the stock market… But aren’t the kings of the finance world the philosophers of the 21st century?

Beatrice – Still. Ripping off his siblings. How ungrateful can you be…?

Quentin – I’ve told you, he never had any family values.

They make for the door.

Quentin – So where exactly is your house in Provence, the one next to Cliff Richard?

Beatrice – Bidet-sur-Mer

Quentin – Never heard of it.

They leave. The doctor and the nurse return. She pushes a small medical cart covered by white linen.

Diggold – Good, they’re gone.

Killhem – At last. Can I see the baby?

The nurse uncovers the cart and we can see the suitcase full of bank notes.

Killhem – This is it! We can finally open our private clinic Nurse Diggold!

Diggold – Please call me Scarlet…

Killhem kisses her.

Killhem – Scarlet, you are my guardian angel! So you knew from the start he wasn’t in a coma?

Diggold – I struck a deal with Raymond as soon as he was admitted. We reported he was in a coma so he wouldn’t go to prison, and he would give us two thirds of the money.

Killhem – The helmet was a genius idea. It almost fooled me too, at first…

They laugh.

Diggold – But going to the train station that was too risky. So much better to get them to bring the cash to us!

Killhem – By dangling the locker key right under their noses…

Diggold – Or rather, on Raymond’s tongue!

Killhem – And what do we do about him now? I mean, the real Raymond, the one in the room next door…

Diggold – When he’s feeling better, and when the police have forgotten about him, we can hire him as a gardener in our new plastic surgery clinic in Belgravia.

Killhem – And we’ll give him a facial reconstruction for free, of course…

Diggold – He can be your first patient! You could use the practice…

Killhem – You’re right. Especially since we promised him he’d be a majority stakeholder.

They laugh.

Killhem – And your suggestion to fake a power cut, that was brilliant. Have you ever thought of writing thrillers?

Diggold – Or plays!

Killhem – I told you, together we’ll accomplish great things, Nurse Diggold.

Diggold – Please, call me Scarlet…

They kiss. Black.

Killhem – We don’t need another power cut now, it’s all over. You’re overdoing it a little, don’t you think?

Diggold – Doctor Killhem, I think this time it’s a real power cut.

Killhem – Poor Raymond is still under respiratory support…

Diggold – Indeed… If the power doesn’t come back soon… He won’t even be claiming his share…

Killhem – In that case, we should just wait a little longer…

They kiss again. We hear Vivaldi’s Four Seasons.

They leave the room.

Light.

For a happy ending, we can see Raymond with his helmet on (played by the actor playing Quentin, for example) in the room next door quickly poke his head through the bathroom and then run out in the corridor.

The author

Jean-Pierre Martinez is a French playwright and scriptwriter. He was born in 1955 in Auvers-sur-Oise, France. He wrote 62 comedies, three of them (Friday the 13th, Strip Poker and Him and Her), translated in English.

Jean-Pierre Martinez experienced first the stage as a drummer in various rock bands, before to become a semiologist in the field of advertising. He worked afterwards as television scriptwriter, and came back to the stage as a playwright. Today he is among the most played contemporaries playwrights in France, and several of his plays have already been translated in Spanish and English.

He graduated in Spanish and English litterature (Sorbonne), in linguistics (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), in economics (Institut d’Études Politique de Paris) and scriptwriting (Conservatoire Européen d’Ecriture Audiovisuelle).

Jean-Pierre Martinez made the choice to offer all the texts of his plays to free download on his website : comediatheque.net

Other plays by the same author in English

 Friday the 13th

Him and Her

Strip Poker

Casket for two

 

 This text is protected under copyright laws.

Criminal copyright infringement will be investigated

and may result in a maximum penalty of up to 3 years in prison

and a EUR 300.000 fine.

Paris – November 2017

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-113-7

http://comediatheque.net

Play available for free download

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L’Étoffe des Merveilles

Traduction, adaptation libre et création par Jean-Pierre Martinez à partir de l’intermède de Cervantès Le Retable des Merveilles.

Comment trois saltimbanques bernent des notables de village en leur faisant prendre des vessies pour des lanternes…


Ces traductions et libres adaptations des œuvres de Don Juan Manuel (le conte “El Conde Lucanor”) et Miguel de Cervantès (la courte pièce “El Retablo de las Maravillas” et l’épisode des moulins dans le roman “El ingenioso hidalgo Don Quijote de la Mancha”) que Jean-Pierre Martinez a eu l’idée de réunir et auxquelles il a ajouté des transitions entièrement de sa main pour en faire un texte théâtral, ne sont pas libres de droits. Toute représentation doit être autorisée par la SACD et des droits d’auteur sont à prévoir : FORMULAIRE DE CONTACT


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Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


Distributions possibles

Le comédien interprétant Cervantès peut aussi interpréter Don Quichotte.
Le comédien interprétant le journaliste peut aussi interpréter Sancho Panza.
Ces deux comédiens peuvent également interpréter un autre rôle
dans les deux tableaux du Retable des merveilles.
De nombreux rôles masculins peuvent être féminisés.
Au final, donc, ces 14 personnages peuvent être interprétés
par une distribution très variable en genre et en nombre :

De 10 à 14 personnages (variables en sexe)

À 14 : de 6 à 12 hommes et de 2 à 8 femmes.

À 13 : de 5 à 11 hommes et de 2 à 8 femmes.

À 12 : de 4 à 10 hommes et de 2 à 8 femmes.

À 11 : de 4 à 9 hommes et de 2 à 7 femmes.

À 10 : de 4 à 8 hommes et de 2 à 6 femmes.

La distribution peut éventuellement être ramenée à 9 en supprimant l’un des personnages de notables et en attribuant ses répliques à un autre. Enfin, il est aussi possible de faire jouer tous les rôles, ou certains seulement, par des marionnettes.


Présentation

Le Retable des merveilles est l’un des huit intermèdes écrits par Cervantès. Les qualités dramatiques de cette comédie de Cervantès n’échappèrent pas à Jacques Prévert, qui l’adapta et la mit en scène en 1936 avec le Groupe Octobre, sous le titre Le Tableau des Merveilles. Cependant, l’adaptation très libre de Prévert s’éloigne beaucoup de l’original, tant par la lettre que par l’esprit. Il en fait une pièce engagée, au didactisme un peu trop appuyé. Afin de remettre en lumière cette œuvre injustement oubliée et très peu jouée, cet ouvrage en propose une nouvelle traduction modernisée, pour rendre l’argument plus universel, et une adaptation plus théâtrale, afin de faciliter la mise en scène. À lui seul, l’intermède de Cervantès est un texte très court, destiné à être joué en entracte. Cependant, dans la mesure où il convoque à la fois la musique et la danse, il peut donner lieu à la création de nombreux tableaux susceptibles d’enrichir le spectacle. Pour étoffer encore la proposition théâtrale, cette œuvre est précédée d’un prologue intégrant une adaptation du conte de Don Juan Manuel (inclus dans son recueil Le Comte Lucanor) dont Cervantès s’est inspiré pour composer son intermède. Elle est suivie d’un épilogue, qui est une adaptation du célèbre épisode des moulins dans Don Quichotte.

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Comment écrire une pièce de théâtre

Écrire une comédie pour le théâtre

Comment écrire une pièce de théâtre et la faire jouer.
Manuel d’écriture et conseils destinés aux auteurs débutants.

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LIRE LE DÉBUT

PROLOGUE : Y a-t-il une recette pour réussir une comédie ?

Scène 1

Une méthode pour chacun et à chacun sa méthode

Il y a bien sûr plusieurs façons d’écrire une pièce de théâtre. Autant que d’auteurs, probablement. Pour ne pas dire autant que de pièces. Ceci n’est donc pas « la » bonne méthode pour écrire une comédie, mais une approche parmi d’autres, et en tout cas celle qui s’est imposée à moi pour rédiger en dix ans plus de cent scénarios de films pour la télévision, puis dans les douze ans qui ont suivi près de soixante-dix comédies pour le théâtre, faisant l’objet chaque année de plus de trois cents montages professionnels ou amateurs, en France et à l’étranger, notamment en français et en espagnol.

Quelle que soit la méthode utilisée, que cette méthode soit formalisée ou pas, et consciente ou non, chaque auteur s’appuie sur une façon de faire. C’est plus vrai encore dans le domaine de l’écriture de commande (comme le scénario de télévision), qui implique une grande rapidité d’exécution, et pour les genres les plus populaires (comme la comédie théâtrale), qui reposent sur des procédés bien répertoriés. Quoi qu’il en soit, pour écrire un scénario par mois ou une pièce de théâtre tous les deux mois, sur une période de plus de vingt ans, il faut un minimum d’organisation.

Écriture industrielle dira-t-on ? À l’évidence, pour ce qui est du théâtre de boulevard et des séries de télévision, il s’agit bien de pièces et de films de genre (par opposition aux pièces et aux films d’auteur). Mais pour parvenir à une écriture plus personnelle, il n’est pas inutile de connaître d’abord les grands principes universels de la dramaturgie, afin éventuellement de s’en éloigner, si ce n’est de s’en libérer. De la même façon que pour un romancier, il vaut mieux connaître parfaitement la syntaxe française avant d’inventer son propre style.

Et puis à tout prendre, si c’est là votre goût et votre talent, mieux vaut porter un genre à la perfection pour le sublimer (comme le firent Feydeau ou Guitry avec le boulevard), plutôt que d’écrire un théâtre pseudo-littéraire, ennuyeux, nombriliste, injouable et inregardable (comme tant de dramaturges contemporains hélas), en participant ainsi à discréditer le vrai théâtre d’auteur et à éloigner le public des salles qui défendent courageusement ce type de spectacles.

Molière aussi écrivait avec méthode. Et ce n’est en rien contester son génie que de reconnaître qu’il empruntait beaucoup au théâtre de genre (la commedia dell’arte, notamment), qu’il s’inspirait lui aussi de ses prédécesseurs (Tirso de Molina pour Dom Juan, le dramaturge espagnol ayant lui-même repris un thème très ancien), et qu’il lui arrivait même de se répéter un peu en reprenant certaines intrigues dans plusieurs de ses pièces (lorsqu’un valet ou une servante, par exemple, est chargé par des jeunes gens d’empêcher un mariage arrangé par leurs parents).

***

Mots clefs : écrire une pièce de théâtre, écrire une scène de théâtre, écrire un dialogue de théâtre

Comment écrire une pièce de théâtre Lire la suite »

Écrire une pièce de théâtre

Écrire une comédie pour le théâtre : la rédiger, la faire lire, la faire jouer.
Manuel à destination des auteurs débutants.
Près de 1000 exemplaires déjà vendus !

 

 

 

 

Écrire une comédie pour le théâtre

Auteur de théâtre et scénariste, Jean-Pierre Martinez a étudié et enseigné la narratologie (à l’École Pratique des Hautes Études en Sciences Sociales) et l’écriture de scénario (au Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle). Il connaît bien l’univers du théâtre et de la télévision, et les nombreux ouvrages sur l’écriture dramatique et scénaristique lui sont très familiers. En s’appuyant sur cette formation théorique et sur son expérience professionnelle, il a élaboré une méthode d’écriture, afin de formaliser sa pratique pour essayer d’en transmettre les principes. En sélectionnant les éléments qui vous sembleront utiles, et en ajoutant votre touche personnelle, à vous d’élaborer votre propre méthode pour réaliser plus facilement vos projets d’écriture.

 

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

Le mot de l’auteur

Prologue – Y a-t-il une recette pour réussir une comédie ? 

Acte 1 – Qu’est-ce qu’un auteur de théâtre ?

Acte 2 – Qu’est-ce qu’une comédie pour le théâtre ?

Acte 3 – Comment écrire une comédie pour le théâtre ?

Acte 4 – Comment faire lire une comédie pour le théâtre ?

Acte 5 – Comment faire jouer une comédie pour le théâtre ?

Épilogue – Être ou ne pas être un auteur de théâtre ?

Le mot de la fin

Écrire une pièce de théâtre

Pièce de théâtre, comédie, tragédie, drame, comédie dramatique, spectacle, auteur, dramaturge, scénariste, scénario, genres de la comédie, procédés comiques, humour, rire, dépôt d’un manuscrit, édition théâtrale, librairie théâtrale, édition à compte d’éditeur, édition à compte d’auteur, autoédition, idée, situation, histoire, schéma en 3 actes, situation initiale, élément perturbateur, élément déclencheur, péripéties, climax, fausse et vraie résolution, situation finale, personnages, caractérisation, point de vue, empathie, identification, suspens, mystère, high concept et low concept, personnel et universel, round character et flat character, préparation et paiement, lieu, temps, dialogues, didascalies, non-dits, écrire une pièce de théâtre…

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Un bref instant d’éternité

A brief moment of eternity –  Un breve instante de eternidad – Um breve instante de eternidade

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

3 hommes ou 2 hommes et 1 femme ou 2 femmes et 1 homme ou 3 femmes

Un chercheur vient de trouver le sérum de la vie éternelle. Conscient des conséquences imprévisibles d’une telle découverte, il est sur le point de renoncer à la rendre public. Mais sa femme, qui rêve de garder pour toujours sa jeunesse, et son amant, qui voudrait vivre à jamais, ne sont pas disposés à un tel sacrifice…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Un bref instant d’éternité

Pierre, chercheur, vient de trouver le sérum de la vie éternelle. Conscient des conséquences imprévisibles d’une telle découverte, il est sur le point de renoncer à la rendre publique. Mais sa femme, qui rêve de garder pour toujours sa jeunesse, et son amant, qui voudrait vivre à jamais, ne sont pas disposés à un tel sacrifice…

 Personnages

Pierre : le mari

Delphine : la femme

Vincent : l’amant

Un salon en partie transformé en laboratoire. Pierre, en blouse blanche, se livre à de mystérieuses expérimentations sur une table couverte d’éprouvettes et autres appareillages scientifiques. Une cage vide avec la porte ouverte trône aussi sur la table. Pierre éternue. Delphine arrive, un imperméable sur le dos.

Delphine – À tes souhaits…

Pierre – Merci. Tu as passé une bonne journée ?

Delphine retire son imperméable.

Delphine – La routine… Tu ne pourrais vraiment pas faire ça ailleurs ?

Pierre – Où ? Mon patron m’a interdit de continuer mes recherches au labo…

Delphine – On se demande pourquoi…

Pierre – Je n’en ai plus pour très longtemps, je t’assure.

Delphine – Je te rappelle qu’on mange, sur cette table. Tu vas finir par nous empoisonner !

Pierre – Je suis sur le point d’aboutir, je le sens.

Delphine – Un vaccin contre le rhume…

Pierre – Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! Autrefois, tu croyais en moi…

Delphine – L’homme que j’ai épousé voulait révolutionner la médecine moderne.

Pierre – Va savoir… C’est peut-être ce que je suis en train de faire.

Delphine – En découvrant un remède définitif contre le rhume ? Mon pauvre ami… Même si tes recherches aboutissent un jour, tu ne crois pas décrocher le prix Nobel de médecine avec ça ?

Pierre – Ce n’est pas vraiment mon but, mais… pourquoi pas ?

Delphine – Attends, Pierre… On ne parle pas de la malaria ou du sida, là ! Personne n’est jamais mort d’un gros rhume !

Pierre – C’est un virus comme un autre.

Delphine – Oui, mais beaucoup moins dangereux… Il y a des problèmes sanitaires plus graves à traiter, non ?

Pierre éternue à nouveau.

Pierre – Tu dis ça parce que tu n’es jamais enrhumée. Tu dois avoir développé une forme d’immunité. Je me demande si ce n’est pas toi que je devrais prendre comme cobaye.

Delphine – Merci.

Pierre – Enfin, ma chérie, tu es une scientifique, toi aussi !

Delphine – Une scientifique ? Non… Moi, je ne suis que pharmacienne. Tu me le répètes assez souvent. Et pour toi, j’ai l’impression que pharmacienne, c’est à peine au-dessus d’épicière.

Pierre – Tu sais très bien que quand on fait de la recherche, on ne sait jamais vraiment sur quoi ça va déboucher. Un vaccin contre le rhume, ce serait peut-être une étape vers d’autres découvertes plus importantes.

Delphine – En tout cas, pour ce qui est du rhume, les pharmaciens ne te diraient pas merci.

Pierre – Pourquoi ça ? Ce serait vous qui le vendriez, ce vaccin, après tout !

Delphine – Bien sûr… Et pour chaque vaccin vendu, ce serait un client de perdu pour la vie.

Pierre – Les gens feraient des économies ! Ils se porteraient mieux et ils seraient plus productifs au travail.

Delphine – Oui… Et nous, on verrait notre chiffre d’affaires s’effondrer ! Tu sais ce que ça représente, pour un pharmacien, en hiver, les produits anti-rhume ?

Pierre – Et tu voudrais que je ne vous considère pas un peu comme des épiciers…

Delphine – Oui… Mais c’est avec les revenus de l’épicerie qu’on paie le crédit de la maison…

Delphine sort.

Pierre – Tu vois, Joséphine, on est des incompris tous les deux. Un jour, ils comprendront, tu verras. Ils regretteront de nous avoir traités avec un tel mépris. Mais il sera trop tard… On abandonnera tous ces pauvres mortels à leur triste sort, et nous on sera les rois du monde… (Exalté) Et quand je dis les rois… Je devrais plutôt dire les dieux ! (Revenant à la réalité) Tu ne dis rien, mais tu n’en penses pas moins, pas vrai ? Joséphine ? (Il jette un regard vers la cage) Où est-ce qu’elle est passée, encore… (Il fait le tour de la pièce en appelant à voix basse) Joséphine ? Viens un peu par ici, ma chérie…

Delphine revient, et il s’interrompt, comme pris en faute.

Delphine – Tu m’as appelée ?

Pierre – Non, non, je…

Delphine – Avec qui tu parlais alors ?

Pierre – À personne, je… Je me parlais à moi-même.

Delphine – Ça ne s’arrange pas… Au fait, tu ne vas pas le croire, mais j’ai vu un rat, hier matin, dans la cuisine.

Pierre (mal à l’aise) – Non…?

Delphine – J’ai même pensé à ramener mon revolver de la pharmacie…

Pierre – Tu as un revolver, à la pharmacie ?

Delphine – Mais oui, tu sais bien ! C’est Vincent qui m’avait conseillé d’en acheter un. J’ai déjà été braquée trois fois, tu te souviens ?

Pierre – Ah oui…

Delphine – Malheureusement, je n’arrive plus à remettre la main dessus.

Pierre – Perdre un revolver, ce n’est pas banal… Ce n’est pas le genre de trucs qu’on égare facilement… Ou alors tu te l’es fait braquer aussi…

Delphine – Ça ne me fait pas rire, Pierre. J’ai la phobie des rats, tu le sais bien. Je me demande comment celui-là a pu arriver ici…

Pierre – Oui…

Elle lui lance un regard soupçonneux.

Delphine – C’est bizarre, j’ai l’impression que toi, tu ne te le demandes pas.

Pierre – Si… Si, si, je t’assure…

Delphine – Tu n’as pas même l’air surpris…

Il hésite avant d’avouer.

Pierre – Pardon. C’est Joséphine.

Delphine – Joséphine ?

Pierre – Mon rat de laboratoire. C’est une femelle… Apparemment, elle a réussi à ouvrir toute seule la porte de sa cage. Elle est très intelligente, tu sais…

Delphine – Un rat ? Et tu l’appelles Joséphine ? Attention, Pierre, tu es en train de devenir complètement fou !

Pierre – Je l’ai ramenée du labo… Parfois j’ai l’impression que c’est la seule qui croit encore en moi…

Delphine – On dirait que tu parles d’une collègue… C’est un rat !

Pierre – C’est avec sa grand-mère que j’ai commencé mes recherches, il y a quelques années. Alors c’est vrai que je me suis un peu attaché à la famille.

Delphine – Ah, non ! Pas ça, Pierre. Je n’accepterai pas de vivre avec un rat en liberté chez moi sous prétexte qu’il fait un peu partie de la famille.

Pierre – C’est juste une petite escapade…

Delphine – Tu n’avais qu’à fermer la cage, bon sang ! À clef, si nécessaire ! Je te préviens, Pierre : je ne passerai pas une nuit de plus ici avec un rat en liberté !

Pierre – Ne t’énerve pas. Ce n’est pas si grave.

Delphine – Je m’énerve si je veux, d’abord ! Je suis à bout, je t’assure… Alors maintenant, ta Joséphine… C’est elle ou moi, d’accord ?

Pierre – Quand elle aura faim, elle finira par revenir dans sa cage. Ce n’est pas un animal qui a l’habitude de trouver sa nourriture tout seul. Je vais la retrouver, je t’assure.

Delphine – Oui, eh bien je ne sais pas dans quel état. Parce que faute de revolver, je lui ai mis du blé empoisonné à l’arsenic dans la cuisine, ce matin.

Pierre – De l’arsenic ? Mais c’est barbare ! Pauvre Joséphine… Et puis où est-ce que tu as trouvé de l’arsenic, d’abord ?

Delphine – Je te rappelle que je suis pharmacienne.

Pierre – Le haschich reste interdit en France, mais n’importe quelle femme peut se procurer un revolver, et l’arsenic est en vente libre en pharmacie ?

Delphine – Sur ordonnance, seulement. Mais heureusement, même si je ne suis qu’épicière, j’ai quand même droit à un ordonnancier.

Pierre – J’ai l’impression de vivre avec Madame Bovary.

Delphine – Madame Bovary n’a pas empoisonné son mari. Elle s’est suicidée. Tu confonds avec Thérèse Desqueyroux.

Pierre – Eh ben… Tu as l’air d’en connaître un rayon, sur les empoisonneuses.

Delphine – J’ai toujours préféré Mauriac à Flaubert. En tout cas, si je devais choisir, pour échapper à mon mari, je préférerais l’empoisonner lui plutôt que de m’empoisonner moi-même…

Pierre – C’est rassurant… Mais c’est que j’y tiens beaucoup, moi, à Joséphine.

Delphine – Oui, depuis pas mal de temps déjà, tu fréquentes davantage les rats de laboratoire que ta femme et tes amis.

Pierre – Eux, au moins, ils ne m’ont jamais déçu… Et puis je te signale que c’est sur ce cobaye que j’expérimente mon vaccin… Si tu l’as empoisonné, je vais devoir reprendre toutes mes expériences depuis le début…

Delphine – Je n’aurai pas la patience d’attendre jusqu’à la fin, de toute façon. Il faut te reprendre, Pierre. Je ne serai pas toujours là…

Pierre – Ah bon ?

Delphine – Ce n’est pas exactement ce que j’ai voulu dire, mais…

Pierre – Ne t’inquiète pas, je sais très bien ce que tu voulais dire.

Il sort un instant. Delphine a l’air d’être abattue. Pierre revient avec un bouquet de fleurs qu’il tend à Delphine, très surprise.

Pierre – Pour me faire pardonner de ne pas avoir été à la hauteur ces derniers temps…

Delphine (plus embarrassée que ravie) – Merci, mais…

Pierre – Ce soir, je t’emmène dîner dans notre restaurant favori. Celui où je t’ai demandé ta main, il y a…

Delphine – Non…?

Pierre – Tu n’as pas oublié quel jour nous sommes ?

Delphine – Ah, d’accord…

Pierre – Tu avais oublié notre anniversaire de mariage.

Delphine – Jusqu’à maintenant, c’est plutôt toi qui oubliais ce genre de choses…

Pierre – Eh bien tu vois… Les choses peuvent changer… Même moi, je peux changer…

Delphine (prenant les fleurs) – Merci…

Pierre – J’ai réservé pour neuf heures, ça te va, ou tu veux que j’appelle pour dire qu’on arrivera un peu plus tard ?

Delphine – C’est-à-dire que… j’avais proposé à Vincent de passer prendre un verre.

Pierre – Pour l’apéritif ?

Delphine – On pourra toujours aller dîner ensuite.

Pierre (ironique) – Avec Vincent…?

Delphine préfère ne pas répondre.

Delphine – Je vais mettre les fleurs dans l’eau.

Elle sort. Pierre se remet en quête de son rat.

Pierre – Joséphine ? Viens un peu par ici, ma belle ! Si tu ne veux pas finir comme Madame Bovary… (Il cherche encore pendant un instant dans la pièce, avant de sortir tout en continuant à chercher) Joséphine ?

Delphine revient avec les fleurs dans un vase.

Delphine – Si tu préfères, je peux annuler Vincent…

Elle se rend compte que Pierre n’est pas là, soupire, et tente de trouver une place sur la table pour le vase.

On sonne. Elle pose le vase et va ouvrir. Elle revient avec Vincent, un homme bien habillé et très sûr de lui.

Vincent – Tu lui as parlé ?

Delphine – Non… Ce n’était pas le bon moment.

Vincent – C’est quoi, le bon moment, pour qu’une femme annonce à son mari qu’elle le quitte.

Delphine – C’est notre anniversaire de mariage… J’avais oublié.

Vincent – Je vois…

Delphine – Je ne vais pas lui annoncer que je le quitte pour partir avec son meilleur ami le jour de notre anniversaire de mariage.

Vincent – Ça commence à devenir urgent, non ? Je te rappelle que tu es enceinte…

Delphine – Merci… Ça, je n’avais pas oublié, rassure-toi…

Vincent – Tu es sûre qu’il est de moi, au moins ?

Delphine – C’est très délicat de ta part comme question.

Vincent – Désolé, mais…

Delphine – On n’a jamais réussi à avoir un enfant, avec Pierre. On n’a jamais vraiment cherché à savoir de qui ça venait, d’ailleurs…

Vincent – Eh bien maintenant, vous êtes fixés.

Delphine – Et puis de toute façon, les seules relations un peu intimes qu’il a depuis très longtemps, c’est avec ses rats de laboratoire…

Vincent – Justement, il va bientôt pouvoir s’y consacrer à plein temps, à ses travaux personnels.

Delphine – Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Vincent – Si tu n’es pas décidée à te séparer de lui, moi je le suis. Je le garde depuis des années au labo pour te faire plaisir, mais ce n’est vraiment plus possible.

Delphine – Pas aujourd’hui, Vincent. Pas ce soir, je t’en prie.

Vincent – Le labo ne va pas si bien que ça, figure-toi. Je ne dirige pas une ONG, moi. J’ai des comptes à rendre à nos actionnaires.

Pierre revient. Il s’est changé, sans pour autant être aussi élégant que Vincent.

Pierre – Ah, salut Vincent.

Vincent – Bonsoir Pierre. J’espère que je ne vous dérange pas.

Pierre – Pas du tout. Mais Delphine avait oublié de me dire que tu passais prendre un verre. Elle voulait me faire la surprise, sans doute…

Vincent jette un regard à la table encombrée par le matériel de recherche.

Vincent – Je vois que tu ramènes du travail à la maison…

Pierre – Oui…

Vincent – J’imagine que ce n’est pas sur le nouveau projet que je t’ai confié que tu fais des heures sup.

Pierre préfère esquiver, mais Delphine reprend la balle au bond.

Delphine – Ah oui… Cette nouvelle crème de nuit anti-âge totalement révolutionnaire… Alors, Pierre ? Tu vas trouver un produit miracle pour garantir aux femmes une éternelle jeunesse ?

Pierre – Les cosmétiques et moi, tu sais… Ce n’est pas vraiment ma spécialité…

Delphine – Dommage… Une crème anti-âge, moi, ça pourrait bientôt m’intéresser.

Pierre – Allons, ma chérie. Tu es encore beaucoup trop jeune pour ça.

Vincent – Alors tu n’as pas renoncé à ton fameux vaccin anti-rhume…

Pierre – C’est fou le nombre de gens que ça a l’air de déranger. Pour un projet de recherche aussi anodin. D’après vous en tout cas…

Vincent – Excuse-moi d’être aussi terre à terre… Mais le labo fait une part importante de son chiffre sur les produits de traitement symptomatique du rhume. Ne me demande pas de sauter de joie à la perspective de voir notre chiffre d’affaires s’effondrer. Si encore c’était pour sauver la planète d’une épidémie mortelle.

Pierre – Oui… C’est ce que me dit aussi Delphine.

Vincent – Ce que j’aimerais, c’est que tu t’intéresses un peu plus à la cosmétologie. C’est là-dessus qu’on marge le plus. Les actionnaires sont à cran, en ce moment, Pierre. Il n’est pas non plus impossible qu’on me demande de couper des branches mortes…

Pierre – Ça ressemble à un préavis de licenciement…

Delphine – Bon… on ne va pas non plus passer la soirée à parler boulot.

Vincent – Désolé, Delphine. Alors de quoi on parle ?

Pierre – Non, mais c’est toi qui as raison… J’ai un peu abusé de ton amitié, depuis quelques années. Je ne peux pas te demander de financer des recherches qui apparemment n’intéressent que moi.

Vincent – Tu laisses tomber, alors ?

Pierre – Je me donne jusqu’à la fin du mois. Je voudrais expérimenter un dernier prototype de vaccin. Si ça ne donne rien j’abandonne, et je me consacre uniquement aux produits de beauté. Et à toi, ma chérie. C’est promis.

Delphine – Très bien… Alors on boit un verre, oui ou non ?

Vincent – On est là pour ça, non ?

Pierre – Tu viendras dîner avec nous ? J’ai réservé pour deux, mais je peux les rappeler…

Vincent – Pas ce soir, Pierre. Delphine a raison, je pense que ce n’est pas le bon moment…

Pierre – Alors toi tu t’en souvenais ? Delphine avait oublié, tu te rends compte ?

Vincent – Elle devait avoir autre chose en tête…

Pierre – Ma femme oublie la date de notre mariage, mais mon meilleur ami s’en souvient.

Vincent – J’étais ton témoin, après tout…

Pierre – C’est vrai.

Delphine (mal à l’aise) – Bon, alors qu’est-ce que vous prendrez comme apéritif ?

Noir

Une machine à expresso trône sur la table, à côté du matériel d’expérimentation et de la cage. Pierre, une tasse à la main, vérifie quelques résultats d’expérience. Delphine arrive, et aperçoit la machine à café.

Delphine – Tu as acheté une machine à expresso ?

Pierre – Oui… Il y a la même au labo, mais comme maintenant je travaille aussi à domicile…

Delphine – Je vois… Autant garder ses petites habitudes… (S’approchant de la machine) Elle marche avec des pièces ou avec des jetons ?

Pierre – C’est gratuit. Mais il y a une petite corbeille juste à côté. On met ce qu’on veut. C’est pour racheter des capsules. C’est tellement cher… (Elle lui lance un regard incrédule.) Je plaisante, évidemment…

Delphine – Bon… Et elles sont où, les capsules ?

Pierre – Dans la corbeille, justement.

Delphine – Je vais essayer de ne pas confondre avec une de tes préparations létales.

Pierre – Pour le matin, je te conseille Fortissimo. Ça réveillerait un mort.

Delphine – Merci du conseil.

Elle place la capsule et fait partir la machine.

Pierre – Je ne devrais peut-être pas te le dire, mais j’ai été un peu déçu par le dîner d’hier. (Elle lui lance un regard étonné) Non, mais je ne parle pas de… nous deux. Je parle de ce restaurant italien. C’était meilleur avant, non ?

Delphine – Avant ? Tu veux dire… avant qu’on se marie ?

Pierre – On y est quand même retourné quelques fois après, non ?

Delphine – Ce n’est pas le restaurant qui a changé, Pierre. C’est nous. On était jeunes. On était amoureux.

Pierre – On avait faim…

Delphine – Oui. On n’avait pas besoin de trois apéritifs pour se mettre un peu en appétit.

Pierre – D’ailleurs, on n’avait pas les moyens de se payer trois apéritifs.

Delphine – Ni même un seul.

Pierre (imitant un serveur) – Vous prendrez un apéritif ?

Delphine – Non, merci…

Pierre – Un quart de rouge, s’il vous plaît.

Delphine – Il faut qu’on parle, Pierre.

Pierre – Oui…

Delphine – Je n’ai pas toute la vie, tu sais… Je ne rajeunis pas…

Pierre – Moi non plus…

Delphine – Mais moi je suis une femme… Je ne peux pas attendre, Pierre. Je ne peux plus t’attendre. Et tu vois bien que nous deux…

Pierre – Je n’ai pas vu le blé empoisonné que tu as mis dans la cuisine.

Delphine – C’est que le rat l’a mangé.

Pierre – Pauvre Joséphine.

Delphine – C’est un rat de laboratoire. Pas un animal domestique.

Pierre – Oui, mais je lui avais administré mon sérum.

Delphine – Ton sérum ?

Pierre – Je veux dire mon vaccin.

Delphine – C’est vraiment un vaccin contre le rhume ?

Pierre – Quoi ?

Delphine – Ce que tu cherches. C’est vraiment un vaccin contre le rhume ?

Pierre – Tu sais ce que disait Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. » Parfois on cherche une chose, et on en trouve une autre.

Delphine – Ça marche aussi pour les gens, Pierre. Parfois on cherche quelqu’un… et on trouve quelqu’un d’autre…

Pierre se remet à chercher.

Pierre – Même morte, elle est bien quelque part cette pauvre bête…

Delphine – Je vais me préparer.

Pierre – Tu voulais qu’on parle.

Delphine – Pas maintenant. J’ai l’impression que tu as la tête ailleurs. Quand tu auras fait le deuil de ta Joséphine, peut-être…

Delphine sort.

Pierre – Malheureusement, je crois que je vais devoir trouver un autre cobaye. (Pierre aperçoit quelque chose dans la cage, il se lève et va voir) Non ? Joséphine ! Alors tu es revenue ? Et tu as l’air en pleine forme, ma belle ! C’est incroyable. Tu as survécu au dîner que t’a servi ma charmante épouse hier soir. Tu as de la chance. Le mien m’est un peu resté sur l’estomac. Allez viens, on va se remettre au boulot. Sacrée Joséphine… Je crois que tu n’as pas fini de nous étonner, toi…

Pierre sort en emportant la cage. Delphine revient. Elle finit son café. On sonne. Elle va ouvrir et revient avec Vincent.

Vincent – Alors, ce petit dîner en amoureux…?

Delphine – Je t’en prie, ce n’est vraiment pas le moment.

Vincent – Ce n’était déjà pas le bon moment hier. Ce sera quand le bon moment, exactement ?

Delphine – Je ne sais pas…

Il la prend dans ses bras.

Vincent – Je t’aime, Delphine. Et je n’en peux plus d’attendre.

Delphine – Moi non plus, je t’assure. Mais j’ai toujours détesté les scènes de ménage.

Il l’embrasse. Elle se laisse faire puis se dégage de son étreinte.

Delphine – Tu es fou… Il pourrait nous surprendre…

Vincent – Tant mieux. Ça nous éviterait des explications, non ?

Delphine – Pas comme ça, Vincent. On a quand même été mariés pendant… Je vais lui parler, je te le promets…

Vincent – Quand ?

Delphine – Quand ce sera le moment.

Vincent – Très bien, alors écoute : on va dire que c’est moi qui décide quand c’est le moment, d’accord ?

Delphine – D’accord.

Vincent – Et pour moi, le bon moment, c’est tout de suite. Tu m’aimes, oui ou non ?

Delphine – Bien sûr…

Vincent – Et lui ? Tu l’aimes encore ?

Delphine – Non, je te le jure…

Vincent – Alors si tu ne lui dis pas, c’est moi qui vais m’en charger.

Delphine – Je vais lui dire. Il vaut mieux que ce soit moi.

Vincent – D’accord. Mais tu lui dis maintenant. Je t’attendrai en bas, au café. Tu me rejoins avec ta valise quand tu lui as parlé, et ce soir tu dors à la maison.

Delphine – C’est promis.

Vincent – On viendra chercher le reste de tes affaires après.

Delphine – Tu as raison, il faut en finir.

Vincent – Je comprends que ce n’est pas facile pour toi. C’est une page qui se tourne. Mais pour nous, c’est une nouvelle vie qui commence.

Delphine – Je sais… Maintenant, va-t’en.

Vincent – Et si ça se passe mal, tu m’appelles, et je monte. OK ?

Delphine – OK.

Vincent part. Pierre revient. Il semble très agité.

Pierre (ailleurs) – Ah, tu es là… Je te croyais déjà partie…

Delphine – Cette fois, il faut vraiment que je te parle, Pierre… (Pierre farfouille nerveusement dans ses notes d’expériences.) Tu ne pourras pas toujours te défiler. Tu écoutes ce que je te dis ?

Pierre – Je crois que j’ai trouvé quelque chose.

Delphine – Comment ça, quelque chose ?

Pierre – Je te rappelle que je suis chercheur. Il arrive aussi que les chercheurs trouvent quelque chose. Même moi…

Delphine – Ton vaccin contre le rhume ?

Pierre – Mieux que ça, crois-moi.

Delphine – Contre la grippe, ça existe déjà. Tu es au courant ?

Pierre – Je n’ai jamais cherché un vaccin contre le rhume, Delphine. C’était un prétexte.

Delphine – Un prétexte ?

Pierre – Une couverture, si tu préfères. Pour qu’on me fiche la paix au labo.

Delphine – Tu n’as jamais cherché un vaccin contre le rhume ?

Pierre – Enfin si, au tout début, mais… J’ai vite compris que c’était un moyen pour… Une porte d’entrée sur…

Delphine – Tu pourrais terminer tes phrases ?

Pierre – Ce n’est pas facile à dire, crois-moi.

Delphine – Essaie toujours.

Pierre – La vie est une arnaque, Delphine.

Delphine – Si c’est ça, ta découverte… Ça ne valait vraiment pas la peine de consacrer autant d’années de ta vie à ces recherches…

Pierre – Les cellules contiennent un dispositif d’obsolescence programmée. Comme les machines à laver ou les fours micro-ondes.

Delphine – Tu n’es pas obligé de me parler comme à une débile, non plus. J’ai fait des études de médecine, moi aussi. Avant de devenir épicière…

Pierre – Je me suis servi du virus du rhume pour pénétrer dans les cellules et les réparer.

Delphine – C’est-à-dire ?

Pierre – J’ai trouvé le moyen de neutraliser ce dispositif génétique qui conduit les cellules à leur mort programmée.

Delphine – Tu veux dire que…

Pierre – Je crois que j’ai découvert le sérum de la vie éternelle.

Delphine est sidérée.

Noir

 

On retrouve Pierre, nerveusement affairé sur son matériel d’expérience, et vérifiant ses notes. Delphine le regarde, passablement agitée. Pierre lève enfin le regard vers elle et se met à faire les cent pas.

Delphine – Et tu es vraiment sûr !

Pierre – C’était le dernier essai dont je vous parlais hier. Sur Joséphine.

Delphine – Joséphine ? C’est qui, Joséphine ?

Pierre – Mon rat, tu sais bien…

Delphine – Ah oui, c’est vrai.

Pierre – Je lui ai administré mon sérum hier matin. Je viens de vérifier les résultats. Il n’y a absolument aucun doute. Le patrimoine génétique de ce rat a été modifié. Son ADN lui permet de vivre éternellement.

Delphine – Malheureusement, à cette heure-ci, il est sûrement déjà mort d’autre chose que de vieillesse. Il a bouffé tout mon blé empoisonné à l’arsenic…

Pierre – Attends… C’est ça qui est encore plus extraordinaire. Joséphine a survécu à cet empoisonnement. Elle est là en train de pédaler dans sa cage, regarde !

Delphine – En plus de vivre éternellement, elle serait aussi protégée contre toutes les causes de mort prématurée ?

Pierre – Oui, c’est une possibilité… En tout cas, on sait déjà qu’elle est résistante à l’arsenic…

Delphine (regardant la cage) – C’est vrai qu’elle a l’air en pleine forme. Pour un rat qui vient de bouffer une dose de poison suffisante pour tuer un homme de quatre-vingt kilos.

Le portable de Delphine sonne. Elle regarde le numéro, mais ne prend pas l’appel.

Pierre – Tu ne réponds pas ? C’est peut-être important…

Delphine – Important ? Tu plaisantes ! Qu’est-ce qui pourrait bien être important après ce que tu viens de me dire ? (Le téléphone continue de sonner.) Excuse-moi, j’envoie juste un SMS, pour être tranquille… (Elle envoie nerveusement un SMS, tandis que Pierre pianote lui aussi sur son portable.) J’ai du mal à réaliser toutes les implications d’une telle découverte…

Pierre – Oui, moi aussi.

Delphine – En tout cas, pour l’instant, il ne faut en parler à personne.

Pierre – Tu es la seule personne à qui j’en ai parlé.

Delphine – Même pas à Vincent ?

Pierre – Pas encore…

Delphine – Et tu es sûr du protocole ? Je veux dire, tu es certain de pouvoir le reproduire ?

Pierre – Oui, je pense… Il ne me reste que très peu de sérum. Ce que m’a laissé Joséphine. Mais en principe, je sais comment en fabriquer.

Delphine – Bien entendu, tu as noté tout ça quelque part ?

Pierre (montrant son crâne) – Tout est là… Je préfère…

Delphine – Ah bon ? Je ne sais pas si c’est très prudent.

Pierre – Pourquoi ça ?

Delphine – Je ne sais pas… Au cas où il t’arrive quelque chose…

Pierre – Justement. Vu l’importance de cette découverte, je me demande si d’être le seul à connaître la formule, ce n’est pas ma meilleure assurance-vie.

Delphine – Je vois… Tu préfères garder la recette secrète… Tu es une sorte de druide Panoramix, alors… Mais donc, tu sais comment en refaire, de ta potion magique ?

Pierre – Évidemment, ça me prendrait un peu de temps mais…

Delphine – Combien ?

Pierre – Je ne sais pas… Deux ou trois semaines… Un peu moins si on me donne les moyens nécessaires. Jusque-là je travaillais dans le salon…

Delphine – Une fois que la nouvelle sera lancée, on ne pourra plus l’arrêter. Elle se répandra comme une traînée de poudre.

Pierre – Quand un labo sort une nouvelle version de vaccin avec des effets secondaires, les gens sont prêts à se battre pour qu’on leur rende l’ancienne formule. Tu imagines ce que ce serait pour un sérum de vie éternelle…

Delphine – Ce serait l’émeute.

Pierre – C’est bien pour ça que je veux prendre le temps d’y réfléchir… Tu te rends compte ? Ça pourrait avoir des conséquences encore plus catastrophiques que celles de la bombe atomique.

Delphine – Tout de même, ce n’est pas exactement la même chose.

Pierre – Laisser les gens vivre éternellement, pour la planète, c’est bien pire que de les faire mourir prématurément, crois-moi.

Delphine – Et il t’en reste quelle quantité, exactement, de ce sérum ?

Pierre – Je ne sais… Pas beaucoup.

Delphine – Mais suffisamment pour le tester sur des êtres humains ?

Pierre – Ce n’est encore qu’un sérum expérimental.

Delphine – Qu’est-ce qu’on risque ? (Hystérique) À part de devenir immortels… Alors ?

Pierre – Pour deux personnes tout au plus.

Delphine – Deux personnes…

Pierre – Franchement, je ne sais pas quoi faire… J’y avais pensé, bien sûr, mais maintenant que c’est là…

Delphine – C’est toi qui as raison… Il ne faut pas se précipiter.

Pierre – D’un autre côté, ça ne va pas être facile de garder secrète une nouvelle pareille pendant très longtemps… Surtout quand j’en aurais parlé à Vincent…

Delphine – Mais tu ne lui as pas encore dit… ?

Pierre – Non.

Delphine – Il y a peut-être une solution d’attente.

Pierre – Quoi ?

Delphine – On reste les deux seuls à tester le produit !

Pierre – Nous deux ?

Delphine – Comme Pierre et Marie Curie pour le radium !

Pierre – Je ne te reconnais plus… Il y a encore une heure tu me disais que je perdais mon temps, que je ferais mieux de travailler sur des crèmes anti-âge, et maintenant tu veux faire le don de ta personne à la science.

Delphine – Tu me disais que tu travaillais sur un vaccin anti-rhume ! Pas sur un sérum de vie éternelle…

Pierre – Ouais, évidemment…

Delphine – Ce serait provisoire, bien sûr… On teste le produit sur nous. Et on voit ensuite. On prend le temps de réfléchir. On aurait tout notre temps. On serait immortels !

Pierre – Je ne sais pas… Même pour nous, il faut réfléchir aux conséquences…

Delphine – Quelles conséquences ?

Pierre – Les conséquences… de vivre pour toujours !

Delphine – Je prends le risque. On verra après.

Pierre – C’est une décision importante. Le processus est sans doute irréversible.

Delphine – Mais enfin, Pierre, on parle de ne jamais mourir et de rester éternellement jeune ! N’importe quelle femme serait prête à tuer pour ça !

Pierre – Oui… C’est bien ce qui m’inquiète…

On sonne.

Delphine – Qui ça peut être ?

Pierre – C’est Vincent.

Delphine – Comment tu le sais ?

Pierre – Je lui ai envoyé un SMS tout à l’heure pour lui demander de passer.

Delphine – Ah bon ? Pourquoi ?

Pierre – C’est mon patron ! C’est lui qui dirige le labo. Même si objectivement, j’ai fait cette découverte à titre privé, je suis sous contrat. D’un point de vue légal, tout ce que je trouve appartient à la boîte.

Delphine – Tu es sûr de ça ?

Pierre – C’est dans mon contrat, j’ai vérifié… (On sonne à nouveau.) Je vais ouvrir. On ne va pas le laisser à la porte… C’est moi qui lui ai dit de venir…

Pierre sort pour aller ouvrir et revient avec Vincent.

Pierre – Tu as fait vite, dis donc. Tu étais dans le coin ?

Vincent – J’étais en bas, au café. Alors, on en est où ?

Pierre – Ce n’est pas très facile à dire. Tu dois te demander pourquoi je t’ai dit de passer comme ça, en urgence…

Vincent – Je m’en doute un peu…

Pierre – Ah bon ? (À Delphine) Tu lui as déjà dit ? Le SMS, c’était ça ?

Delphine – Non… Enfin, si… Je crois que c’est un malentendu…

Vincent – Un malentendu ? Écoute Pierre, on est amis, c’est vrai. Et on travaille ensemble. Après dans la vie, il y a des moments où…

Delphine – Je crois que le plus simple, c’est que tu écoutes ce que Pierre a à te dire.

Vincent – Je suis là pour ça.

Pierre – Tu es sûr que tu ne préfères pas t’asseoir ?

Vincent – Ça va merci…

Delphine – Non parce que je te préviens, c’est du lourd.

Vincent – Bon, si on en finissait avec cette comédie ?

Pierre – Très bien, tu as raison. Alors voilà. Depuis des années, je te raconte que je travaille sur un vaccin anti-rhume.

Vincent – Oui…

Pierre – Et bien c’est faux.

Vincent – Tiens donc…

Pierre – Je travaillais sur un projet beaucoup plus ambitieux, qui vient d’aboutir aujourd’hui.

Vincent – Et qu’est-ce que tu as trouvé, Einstein ? Une lotion pour faire repousser les cheveux ?

Pierre – Un sérum de vie éternelle.

Vincent – C’est une blague ? Alors c’est pour ça que vous m’avez fait venir tous les deux ? Pour vous foutre de ma gueule ?

Pierre – Calme-toi, c’est sérieux, je t’assure.

Vincent – Et toi, tu ne dis rien ?

Delphine – Ce n’est pas une plaisanterie, Vincent.

Pierre – Tu sais que depuis que je fais de la recherche, ça a toujours été mon idée. Travailler sur le processus de sénescence des cellules, pour parvenir à le bloquer en changeant leur code génétique. Et je ne suis pas le seul à travailler là-dessus.

Vincent – Non… Mais personne n’y est encore parvenu.

Pierre – Eh bien moi oui…

Vincent – Toi ? Ici ? Dans ta salle à manger ?

Pierre – Le virus du rhume, c’était juste un cheval de Troie. Je l’ai modifié pour pouvoir entrer dans la cellule, bloquer certains processus et en activer d’autres. J’étais presque arrivé au bout quand tu m’as demandé d’arrêter mes recherches.

Vincent – Pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Pierre – Je voulais être sûr que je tenais vraiment quelque chose. Et puis… je voulais prendre le temps de réfléchir. Prendre mes précautions…

Vincent – Tes précautions ?

Pierre – Je voulais protéger ma découverte. La mettre à l’abri. Avant de décider de ce que je voulais en faire. En conscience…

Vincent – En conscience ? Tu me dis que tu as trouvé le sérum de vie éternelle et tu me parles de conscience ?

Delphine – Science sans conscience n’est que ruine de l’âme…

Vincent – Le Pape François ?

Delphine – François Rabelais.

Pierre – Tu comprends que pour l’instant, tout ça doit rester entre nous trois.

Vincent semble commencer à y croire.

Vincent – Ce serait une découverte fantastique pour le labo, c’est sûr…

Delphine – Pour le labo ? Tu plaisantes ! Pas seulement pour le labo, Vincent. On parle de ne jamais mourir là. Mieux encore : de ne jamais vieillir. On ne parle pas de crèmes anti-âge ou ce genre de conneries…

Vincent – Tu as raison… C’est absolument énorme.

Delphine – Bravo, Pierre. Tu as toujours été le meilleur d’entre nous…

Vincent tique un peu.

Vincent – Tu as bien mis le protocole en sûreté, au moins ? Tout est au labo ?

Pierre – Tout est ici…

Vincent – Ici ?

Pierre – Tu m’as interdit de travailler là-dessus au labo !

Vincent – Il faut absolument qu’on fasse une communication sur le sujet, Pierre. Tout de suite. Qu’on dépose un brevet. Parce que si d’autres équipes sont aussi sur le coup.

Un temps.

Delphine – Pierre hésite à rendre publique sa découverte…

Vincent – Il hésite ?

Pierre – Ce truc-là, Vincent, ce n’est pas une simple découverte. Ce n’est pas une simple révolution. Tu te rends compte ? Vivre éternellement ! Ça changerait tout. Tout ! L’économie, la société, la philosophie, la religion…

Delphine – Quand on pense aux réactions qu’il y a eu pour l’immaculée conception in vitro. Vous imaginez un peu quand on va concurrencer l’Église sur la promesse de la vie éternelle.

Vincent – Et cette fois ici-bas, pas dans l’au-delà…

Pierre – Oui… C’est le risque, en effet… Qu’on devienne… des dieux.

Vincent – Moi, ça me va.

Pierre – Ce n’est pas si simple, Vincent. On parle d’une rupture totale de civilisation. Je ne suis pas sûr que le monde y soit prêt.

Vincent – Je comprends… C’est vrai qu’il faut prendre le temps de réfléchir avant de lâcher cette bombe atomique. Mais de là à… Et puis je te rappelle que cette découverte appartient aussi au labo.

Pierre – Je crois que tu ne saisis pas bien les enjeux, mon vieux.

Vincent – Je voulais juste te rappeler le cadre légal.

Pierre – Tu comptes me faire un procès pour récupérer le brevet, c’est ça ?

Vincent – Pourquoi pas ?

Delphine – Vu les lenteurs de la justice, il faudrait au moins être immortels pour espérer assister un jour au jugement.

Pierre – Quand je disais que tout était ici, Vincent, (montrant son crâne) je voulais dire que tout est là.

Vincent – Et si je te foutais mon poing sur la gueule pour t’aider à te rappeler qui a financé toutes tes recherches ?

Delphine – Enfin, calmez-vous ! C’est ridicule !

Pierre – Tu vois ? Ça commence. Je vais réfléchir, et je prendrai une décision en conscience. Mais ce n’est pas par la violence que tu obtiendras de moi le secret de la vie éternelle.

Delphine – Je ne pensais pas entendre un jour une telle phrase dans mon salon…

Vincent – Je vois… Tu es en négociation avec d’autres labos…

Pierre – Il ne s’agit pas de ça, Vincent. C’est un problème moral.

Vincent – Moral ? Depuis quand l’industrie pharmaceutique a quelque chose à voir avec la morale ?

Pierre – De toute façon, je te rassure, si je confie ma découverte à un labo, ce sera le tien.

Vincent – Ne me dis pas que tu envisages sérieusement de renoncer à exploiter cette découverte et à en priver le monde entier ?

Delphine – C’est vrai que ce serait un peu égoïste. Pense à moi, au moins… Enfin à nous…

Pierre – Si vous permettez, j’ai besoin d’un peu de calme pour faire le point…

Il sort.

Vincent – Tu crois vraiment qu’il peut faire ça ?

Delphine – Il y a des scientifiques qui travaillent là-dessus depuis longtemps… La vie éternelle… Personne n’y croyait, mais bon… Après tout… Oui, c’est possible.

Vincent – Ce que je te demandais, c’est si tu crois que cet abruti est assez con pour détruire le résultat de ses recherches ! Tu l’as entendu ! Il a tout dans la tête. Si tout à l’heure il a une crise cardiaque ou s’il se fait renverser par une voiture…

Delphine – C’est un idéaliste. Il l’a toujours été, tu le sais bien. Alors oui, il en est capable…

Vincent – Après tout ce que j’ai fait pour lui.

Delphine – N’exagère pas, tout de même… Tu couches avec sa femme et tu voulais le licencier…

Vincent – Et si on essayait de récupérer discrètement le sérum ? On pourrait le faire analyser…

Delphine – Je ne sais pas ce qu’il en a fait. J’imagine qu’il ne l’a pas laissé traîner. Tu l’as entendu ? Il a dit qu’il avait pris ses précautions…

Vincent – Ah, le fourbe…

Delphine – Et puis il a dit qu’il n’en restait presque pas. À peine pour le tester sur deux personnes.

Vincent – Ce serait suffisant pour nous deux…

Delphine – Oui…

Vincent – À moins qu’il préfère partager avec toi… Vous n’êtes pas en train de me faire un enfant dans le dos, au moins ?

Delphine – Si j’étais toi, j’éviterais d’utiliser ce genre d’expressions.

Vincent – Ah oui, c’est vrai… Excuse-moi…

Delphine – Tu crois que s’il savait pour nous deux, il aurait envie de partager avec nous ?

Vincent – Tu as raison… On ne lui dit rien pour l’instant…

Delphine – Tu vois que ce n’était pas le bon moment.

Vincent – Ça va… N’en rajoute pas, non plus.

Delphine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Vincent – Il faudrait pouvoir le convaincre. Lui proposer quelque chose. Un deal.

Delphine – Tu sais bien que le pouvoir et l’argent, ça ne l’intéresse pas.

Vincent – Quoi alors ?

Delphine – Et si tu me laissais faire. Je le connais mieux que personne, je suis sa femme. Je t’appelle quand j’ai réussi à le convaincre.

Vincent – Pour vous réconcilier sur l’oreiller, et conclure un petit arrangement sur mon dos ? Pas question, je reste ici.

Pierre revient.

Vincent – Alors ça y est, tu as réfléchi ?

Delphine lui lance un regard noir, pour lui signifier son manque de finesse.

Delphine – En tout cas, je tenais à te dire combien je suis fière de toi. C’est vrai, à certains moments, j’ai douté. Mais au fond, je savais qu’un jour tu nous étonnerais tous.

Elle esquisse un geste d’affection. Cette fois, c’est Vincent qui lui lance un regard noir.

Vincent – Tu te rends compte ? C’est le Nobel assuré ! Sans parler de ce que ça peut nous rapporter… Ce truc-là, c’est le jackpot, mon vieux ! On a touché le gros lot !

Pierre – Je venais juste me faire un café.

Il fait partir la machine expresso.

Vincent – Tiens, c’est marrant, on a exactement la même au labo.

Pierre – Rassure-toi, je ne te l’ai pas volée non plus, ta machine expresso. J’en ai acheté une autre, c’est tout… Avec mon argent à moi… Celui avec lequel j’ai aussi financé mes recherches depuis que tu m’as demandé de ne plus les poursuivre au labo…

Pierre prend sa tasse et repart.

Delphine – Alors là, bravo ! Quelle finesse…

Vincent – Et toi ? Tu peux parler ! Tu serais prête à te prostituer pour obtenir de lui ce que tu veux !

Delphine – Et en plus, tu sais parler aux femmes… Me prostituer ? Je te rappelle que c’est mon mari !

Vincent – Un mari que tu voulais quitter il y a encore quelques heures…

Delphine (exaltée) – N’importe quelle femme ferait n’importe quoi pour rester éternellement jeune…

Vincent – N’importe quoi ? Même à me quitter ?

Delphine (avec un air très inquiétant) – Même à tuer.

Vincent – Tu commences à me faire peur, Delphine. Je te redécouvre, je t’assure…

Elle fait un effort sur elle-même pour se reprendre.

Delphine – Excuse-moi… (Elle a un geste tendre à son égard) Je crois qu’on est en train de devenir fous avec cette histoire…

Vincent – Il y a de quoi.

Delphine – Il faut qu’on se calme et qu’on réfléchisse.

Vincent – Il y en a peut-être assez pour trois, finalement ?

Delphine – Il a dit à peine pour deux. Et puis il s’agit d’un traitement encore expérimental. Qui n’a encore été testé que sur Joséphine.

Vincent – Joséphine ? C’est qui Joséphine ? Ne me dis pas que lui aussi, il a une maîtresse !

Delphine – C’est un rat.

Vincent – Un rat ?

Delphine – Son rat de laboratoire. Il est devenu immortel. J’ai essayé de l’empoisonner à l’arsenic, mais il résiste à tout !

Vincent – Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, mais bon…

Delphine – Je ferais peut-être mieux d’être la seule à le tester, ce sérum, parce que ça peut aussi être dangereux…

Vincent – Alors tu accepterais de servir de cobaye ? Quel courage. Et quelle générosité. Je ne t’ai pas toujours connue aussi engagée au service de la recherche…

Delphine – Il faudrait des années avant une éventuelle autorisation de mise sur le marché. On sera morts avant…

Vincent – Oui… Et puis il est probable que l’État aura son mot à dire. Tu imagines les conséquences si personne ne mourrait plus.

Delphine – On arrive déjà pas à payer les retraites.

Vincent – D’un autre côté, les actifs pourraient travailler éternellement…

Delphine – Tu as raison. Ça risque de ne pas être simple…

Ils réfléchissent un instant en silence.

Vincent – Quelle heure il est ?

Il regarde sa montre.

Delphine – À quoi tu penses ?

Vincent – Tout de suite, là ? Je pense que j’ai la dalle. J’avais commandé un croque-madame au café, mais je n’ai pas eu le temps de le manger…

Delphine – Au moins, tout ça ne te coupe pas l’appétit… Je vais aller faire quelques sandwichs.

Delphine sort. Pierre revient.

Vincent – Delphine est en train de nous préparer des sandwichs…

Pierre – Tu verras, ce n’est pas un cordon bleu, mais elle fait très bien les clubs-sandwichs.

Vincent – Excuse-moi pour tout à l’heure… Je me suis un peu emporté. Mais évidemment, une telle découverte, ça peut vite monter à la tête.

Pierre – Et à part ça, tu n’as rien d’autre à me dire ?

Vincent – Si… En fait si… J’ai quelque chose à te dire… Je voulais t’en parler depuis longtemps, mais…

Pierre – Je t’écoute…

Vincent – J’ai… Enfin, je suis…

Pierre – Oui ?

Vincent – Ce n’est pas facile à dire.

Pierre – Ne t’inquiète pas, je suis déjà au courant.

Vincent – Ah bon ?

Pierre – Tu me prends vraiment pour un con.

Vincent – Je ne suis pas sûr qu’on parle de la même chose.

Pierre – Je ne sais pas. Tu parles de quoi ?

Delphine revient par derrière et ils ne la voient pas.

Vincent – Je suis… Enfin… J’ai un cancer, voilà.

Pierre – Grave ?

Vincent – Ben oui. Tu en connais qui ne sont pas graves, toi ?

Pierre – Je suis vraiment désolé de l’apprendre. Si je peux faire quelque chose pour toi…

Vincent – En fait, d’après les médecins, je n’en ai plus que pour quelques mois…

Pierre – Ah merde…

Vincent – Un an, tout au plus. Alors tu comprends bien que dans l’état où je suis… N’importe quel médicament, même encore expérimental. Au pire, cela ne ferait qu’abréger mes souffrances de quelques semaines.

Pierre – Vraiment ?

Vincent – Tu sais que si on respecte les procédures légales pour ce qui est de l’expérimentation sur des êtres humains, on est partis pour des années.

Pierre – Oui, ce n’est pas faux.

Vincent – Je prends le risque, Pierre.

Pierre – Pour l’amour de la science, donc.

Vincent – Oui, on peut dire ça comme ça. Évidemment, si tu veux le tester avec moi.

Pierre – Merci…

Vincent – Je t’ai toujours soutenu, pas vrai ? Et entre nous, on n’aura pas trop de plusieurs vies pour la développer cette découverte. Tu es un scientifique. Un génie, on peut le dire.

Pierre – Je t’en prie.

Vincent – Mais tu n’es pas un gestionnaire. Tu auras besoin de quelqu’un pour t’épauler… Pour te protéger…

Delphine – Tu ne manques pas d’air !

Ils se retournent et comprennent que Delphine a tout entendu.

Vincent – Ah tu étais là…

Delphine – Ne l’écoute pas, Pierre. Il n’a jamais eu de cancer. Il est en pleine forme, ce salopard. Un véritable étalon.

Vincent – Qu’est-ce que tu en sais, d’abord ? Je pourrais très bien être malade, et ne pas te l’avoir dit.

Delphine – Je ne sais pas… Une intuition. Il paraît que ce sont les meilleurs qui partent en premier. Alors toi, avec ou sans sérum, tu es assuré de vivre encore très longtemps.

Vincent – Espèce de salope.

Pierre – Je te rappelle que tu parles de ma femme, là.

Vincent – Ta femme, oui. Parlons-en. Elle te trompe avec tout ce qui bouge, ta femme.

Delphine – Ah oui ? Et avec qui, par exemple ?

Vincent se rend compte qu’il a parlé trop vite.

Pierre – Oui avec qui ?

Delphine – Eh bien avec ton meilleur ami ! Tu sais ? Celui qui est atteint d’une grave maladie en phase terminale.

Vincent – Espèce de garce !

Pierre – Ça va, je ne vous dérange pas trop ? J’apprends que ma femme me trompe, et en plus je devrais assister à vos scènes de ménage ?

Vincent – Excuse-moi, Pierre. C’était une erreur. Enfin, je veux dire… un accident. C’est elle qui…

Delphine – C’est ça, je t’ai violé. J’ai profité de son état de faiblesse. Avec sa maladie, tu comprends…

Vincent – OK, je ne suis pas malade. Mais je suis volontaire pour un essai thérapeutique. Même si je dois y laisser ma peau…

Delphine – Tu as toujours eu l’esprit de sacrifice…

Vincent – Je t’assure que je voulais rompre. Je n’en pouvais plus de cette situation. J’étais venu pour ça, d’ailleurs. Pour qu’on en parle.

Delphine – Ben voyons…

Vincent – Reconnais que contrairement à elle, moi j’ai toujours cru en toi. Et je t’ai toujours soutenu.

Delphine – Tu parles. Il était venu pour t’annoncer qu’il partait avec ta femme et qu’il te virait du labo.

Pierre – Je suis déçu… Très déçu… Ma femme… Mon meilleur ami…

Delphine – Je t’assure que…

Pierre – Taisez-vous ! Tous les deux.

Vincent – Écoute, Pierre…

Pierre – Sortez. J’ai besoin d’un peu d’air. Laissez-moi respirer.

Les deux autres sortent, un peu penauds. Pierre attend qu’ils soient partis, puis se met à siffloter avec insouciance.

Pierre – Je te l’avais dit, Joséphine. Les gens sont bien pires que les rats… Toi, au moins, je peux te faire confiance. Tu te rends compte que cette garce voulait t’empoisonner ? Heureusement pour toi, j’ai réussi à récupérer ce blé à l’arsenic avant que tu en fasses ton quatre heures. (Il sort un sachet de sa poche et en verse le contenu dans un moulin à café) Je me demande quel goût ça peut avoir l’arsenic, mélangé avec du café équitable…

Il moud les grains de blé avec le café, avant de placer soigneusement le mélange dans une capsule qu’il a vidée auparavant. Il referme avec soin la capsule. Vincent et Delphine reviennent.

Vincent – Excuse-nous, mais… on préfère ne pas te laisser seul.

Delphine – On veut être sûrs que tu ne vas pas faire une bêtise.

Vincent – Un geste désespéré, sur un coup de colère, que tu pourrais regretter.

Pierre – Si j’en venais à commettre un geste désespéré, je ne pense pas que j’aurais l’occasion de le regretter, non ?

Delphine – On pensait plutôt à… la possibilité que tu effaces les traces de cette fantastique découverte.

Pierre – D’accord… Je me disais aussi… Mais après tout puisque vous êtes encore là, finissons en. Je vais vous dire ce que j’ai décidé.

Vincent – Nous t’écoutons, et nous respecterons ta décision, quelle qu’elle soit. N’est-ce pas Delphine ?

Delphine – Tout à fait.

Pierre – Il y a des années que je travaille sur ce projet. J’ai eu le temps de réfléchir aux conséquences que l’immortalité pourrait avoir sur l’humanité.

Delphine – Et… ?

Pierre – Je pense que ce serait un enfer…

Vincent – Un enfer ? Tu exagères.

Pierre – Sans parler des bouleversements économiques et sociaux, qui seraient considérables, il n’y aurait plus aucun renouvellement des générations. Pourquoi faire des enfants quand on vit pour toujours ?

Vincent – Moi, des enfants, je m’en suis très bien passé jusque là. Toi aussi, non ? Alors quel est le problème ?

Pierre – On sera tous condamnés à vivre dans un monde de vieux, enfermés dans des corps de jeunes. Un monde sclérosé, où l’évolution n’aura plus aucune place.

Vincent – L’évolution, ça n’a pas que du bon. Surtout quand on évolue vers le pire.

Pierre – Non. La vie doit rester un cercle. Un cycle, si vous préférez. Pas une ligne droite infinie qui ne saurait conduire nulle part.

Delphine – Ça va te surprendre, Pierre, mais je ne suis pas loin de partager ton avis.

Vincent – Ah bon ?

Delphine – C’est pourquoi je pense qu’il vaut mieux garder cette découverte secrète, et la tester sur nous-mêmes. On aura tout le temps de réfléchir après à ce qu’on veut en faire.

Pierre – Non, Delphine. Vivre pour toujours, ce serait une condamnation à perpétuité. Même pour nous.

Vincent – À ce compte-là, moi je suis d’accord pour prendre perpète.

Pierre – Évidemment, comme ça, ça paraît merveilleux. Mais imaginez un peu ce que ça donnerait quand tous ceux qu’on connaît seront morts.

Delphine – Personnellement, je ne suis pas sûre d’en regretter tant que ça…

Vincent – Je te rejoins là-dessus.

Pierre – La plupart des gens, arrivés à la soixantaine, n’ont presque plus aucune envie. Plus aucune famille. Plus aucun ami.

Delphine – Parle pour toi.

Pierre – À quatre-vingts ans, en général, ils en ont assez de la vie.

Vincent – Pas tous…

Pierre – À cent ans, ils n’attendent plus que la mort qui leur donnera la délivrance. Alors imaginez le degré de lassitude après deux ou trois cents millions d’années.

Delphine – Deux ou trois cents millions ? J’ai l’impression d’avoir gagné au loto… Je m’en contenterais, je t’assure. Même si je devais mourir au bout de ce temps-là dans d’atroces souffrances.

Vincent – Et puis si les gens en ont marre de la vie, c’est parce qu’ils sont vieux et en mauvaise santé.

Delphine – Ton rat, lui, il a même survécu à l’arsenic !

Vincent – Quand on en aura marre, on pourra toujours se suicider !

Pierre – À l’arsenic ?

Silence.

Delphine – Bon, alors qu’est-ce que tu as décidé ?

Pierre – On joue aux apprentis sorciers, là. On touche à des choses qui ne sont pas du ressort des pauvres mortels que nous sommes. Quand l’homme veut égaler les dieux, ça se termine toujours mal. Les Grecs, qui ont inventé la tragédie, l’avaient déjà très bien compris…

Vincent – Et en français, qu’est-ce que ça donne ?

Pierre – Je vais détruire ce sérum, et personne ne l’utilisera. Seule Joséphine sera immortelle sur cette terre. Ceci dit, elle pourrait aussi évoluer. Avec le temps. Allez savoir, vous avez peut-être devant vous la prochaine divinité devant laquelle nos lointains successeurs se prosterneront un jour.

Delphine – Mais tu es complètement dingue !

Pierre – J’ai toujours pensé que ce n’était pas Dieu qui avait créé l’Homme… mais que l’Homme finirait par créer Dieu.

Vincent – Ou alors, il se fout de nous…

Pierre – Vous aviez dit que vous respecteriez ma décision… quelle qu’elle soit.

Delphine – On ne te laissera pas faire ça.

Vincent – Il est où, ce sérum ?

Pierre – Vous ne le trouverez pas. Il est caché dans un endroit où vous ne pourrez jamais le trouver.

Vincent – Que tu dis…

Delphine – Sois raisonnable, Pierre. Si toi tu as fait cette découverte, un jour ou l’autre, quelqu’un d’autre y arrivera.

Vincent – C’est vrai. Tu n’es pas un tel génie, non plus !

Delphine – Alors autant que ce soit toi qui restes dans l’histoire comme celui qui a apporté à l’Homme la vie éternelle. De son vivant.

Vincent – Bon allez, assez plaisanté. Il est où ce sérum ?

Pierre – Tu ne l’auras pas.

Vincent – Ça fait des années que je te paye pour rien. Maintenant, c’est le moment de rembourser…

Delphine – Sois raisonnable, Pierre.

Vincent – On va lui faire la peau. De toute façon, il n’y a pas de sérum pour trois, il l’a dit lui-même.

Delphine – Tu as raison. On va la garder pour nous cette découverte. Ça sert à quoi d’être immortels, si tout le monde l’est aussi ?

Vincent – Tu vas nous dire où elle est, ta potion magique. Et tu vas nous dire comment tu la fabriques.

Il s’avance, menaçant. Pierre sort un revolver. Vincent a un mouvement de recul.

Pierre – Je savais que ça pourrait se terminer comme ça. Je vous ai prévenus. J’ai pris mes précautions.

Delphine – Mais c’est mon revolver !

Vincent – Tu as un revolver, toi ?

Delphine – Celui de la pharmacie. C’est toi qui m’as conseillé d’en acheter un après mon troisième braquage.

Vincent – Ah oui, c’est vrai… mais je ne pensais pas que tu le ferais…

Delphine – Je croyais qu’on me l’avait volé. En fait, je ne me trompais pas.

Pierre – Je l’ai pris quand je suis passé te voir, la semaine dernière, pour déjeuner avec toi.

Delphine – Alors c’était pour ça. Ça m’étonnait, aussi, cette visite surprise. Ça ne te ressemblait pas.

Vincent – Allez, Vincent, ce n’est pas sérieux. Qu’est-ce que tu comptes faire ? Nous tuer tous les deux ?

Pierre – Pas si je peux éviter. Mais s’il faut en passer par là pour que le monde ne bascule pas dans l’apocalypse.

Vincent – Tu te prends pour Jésus-Christ, maintenant ? Lui aussi, il promettait la vie éternelle.

Pierre – Et lui non plus n’a pas tenu ses promesses.

Delphine – Allez, tout le monde va se calmer. Je crois qu’on a un peu perdu l’esprit, tous les trois…

Pierre – Arrête ton baratin. Je sais à quoi m’en tenir maintenant sur ton compte. Ça fait combien de temps que ça dure, entre vous ?

Delphine – Cinq ans.

Vincent – Tu étais vraiment obligée de lui dire ça ?

Delphine – Non mais par intermittence, je t’assure.

Vincent – Fais gaffe quand même, ça part tout seul ces engins-là. Et tu ne dois pas avoir beaucoup l’habitude.

Pierre – Ne t’approche pas, et tout ira bien. D’ailleurs, vous allez sortir d’ici tous les deux. C’est bien ce que vous vous vouliez, non ? Eh bien voilà. Vous voyez, j’ai les idées larges. Je vous rends votre liberté. Je vous laisse partir ensemble. Soyez heureux jusqu’à la fin de vos jours. Vous avez ma bénédiction. Et mon extrême-onction…

Delphine – Ça ne va pas se terminer comme ça, Pierre ?

Pierre – Pourquoi ? Tu as autre chose à me proposer ? Un ménage à trois, peut-être ?

Delphine – Mais tu seras tout seul, mon chéri. Pour toujours.

Pierre – Tu avais déjà oublié notre anniversaire de mariage, et tu voudrais qu’on soit mariés pour l’éternité ?

Delphine – Écoute, il y a quelque chose que je ne t’ai pas dit.

Pierre – Quoi encore ?

Delphine – Je suis enceinte.

Pierre – De moi ?

Delphine – Oui. J’en suis sûre.

Vincent – Super… Tu m’avais pourtant juré que…

Pierre – Alors je vais être papa ?

Surpris, Pierre glisse, trébuche, et laisse tomber le revolver. Vincent le ramasse, et le braque aussitôt sur Pierre.

Vincent – Assez plaisanté. Maintenant, tu vas nous dire où il est, ce sérum.

Pierre – OK… Mais il y a une chose que je ne vous ai pas dite.

Vincent – Quoi encore.

Pierre – J’en ai déjà absorbé une dosette.

Delphine – Une dosette ?

Pierre – Il n’en reste plus qu’une.

Vincent – Enfoiré.

Delphine – Et s’il disait ça pour nous diviser ?

Vincent braque le revolver sur elle.

Vincent – Et bien ce serait réussi…

Delphine – Tu ne vas pas faire, ça, Vincent ! Souviens-toi que je porte ton enfant…

Vincent – Il change de père toutes les cinq minutes, ce gosse. Est-ce que tu sais toi-même de qui il est ? De toute façon, je n’ai jamais eu la fibre paternelle… Alors, il est où ce sérum. C’est quoi cette cachette secrète qu’on ne pourrait jamais trouver ?

Pierre – Les capsules de Nespresso, dans la corbeille.

Vincent – Tu te fous de ma gueule.

Pierre – Non.

Vincent – Je te préviens, même si tu es immortel, tu n’es pas à l’épreuve des balles.

Pierre – Va savoir… Le rat a bien survécu à l’arsenic…

Vincent se rapproche de la corbeille.

Vincent – Laquelle ?

Pierre – Café équitable.

Vincent – Qu’est-ce qui me dit que tu ne mens pas ?

Pierre – Qu’est-ce que tu risques ? Au pire, tu auras bu un bon café, et tu auras fait un geste en faveur des pauvres paysans qui le cultivent en Amérique Centrale.

Vincent met la capsule dans la machine, et la met en route.

Vincent – J’espère pour toi que tu dis vrai…

Pierre – Ça… Tu le sauras dans une cinquantaine d’années.

Le café passe.

Vincent – Je peux te le dire, maintenant. Je t’ai toujours détesté.

Pierre – Dis plutôt que tu as toujours été jaloux de moi. C’est pour ça que tu tenais absolument à avoir Delphine, non ?

Vincent – Toi, le premier de la classe. Toi, l’idéaliste. Oui, c’est comme ça que tu l’as séduite. Mais elle a fini par se lasser de vivre avec un looser.

Pierre – J’ai trouvé le sérum de l’éternelle jeunesse…

Vincent – Oui, mais tu n’as jamais été capable de lui faire un enfant.

Pierre – Va savoir…

Vincent – Voilà, quand le café est passé, il faut le boire…

Vincent s’apprête à boire.

Delphine – Je t’en supplie, laisse m’en un peu ! Tu me disais que tu m’aimais.

Vincent – Ça c’était avant… À moi ce nectar des dieux.

Il pose imprudemment le revolver pour boire la tasse, elle s’en saisit, et le pointe vers lui.

Delphine – Pose cette tasse tout de suite, si tu ne veux pas avoir une vie plus courte que prévue.

Vincent repose prudemment la tasse.

Vincent – D’accord… Mais fais attention avec ça…

Delphine – Éloigne-toi.

Delphine se rapproche de la tasse. Vincent tente une man?uvre pour l’intercepter.

Vincent – Tu ne vas tirer sur le père de ton enfant…

Elle tire à bout portant. Il s’effondre.

Pierre – Qu’est-ce que tu as fait ?

Delphine – Je l’avais prévenu. C’était lui ou moi.

Elle pose le revolver et boit la tasse avec avidité.

Pierre – Et bien voilà. Maintenant nous sommes à nouveau réunis. Jusqu’à ce que la mort nous sépare. Et comme nous sommes immortels…

Delphine – Elle a un goût amer, cette potion.

Pierre – C’est un médicament.

Delphine – C’est efficace au bout de combien de temps ?

Pierre – Une dizaine de minutes.

Delphine – Alors ça y est ? On est éternels tous les deux.

Pierre – Comme notre amour.

Delphine – Je t’aimais vraiment, tu sais… Au début. Avec le temps, j’ai fini par me lasser. Si on avait eu un enfant, peut-être…

Pierre – C’est ballot. Tu ne m’aimes plus, nous voilà mariés pour toujours, et on n’est même pas capable de faire un enfant.

Delphine – Je suis déjà enceinte.

Pierre – Et quand il sera grand, tu lui diras quoi ? Que tu as tué son père ?

Delphine – Je ne suis pas obligée de le garder.

Pierre – D’accord.

Delphine – Et puis on n’est pas obligés de rester ensemble non plus.

Pierre – L’immortalité, ça crée des liens, tu sais. Pourquoi tu crois que les dieux grecs vivaient entre eux sur le Mont Olympe ?

Delphine – Eux aussi, ils faisaient parfois quelques entorses, pour venir se mélanger avec le commun des mortels.

Pierre – Au début, peut-être. Mais dans quelques centaines de millions d’années ? Quand l’homme aura disparu de cette terre en tant qu’espèce. Ou qu’il se sera transformé en autre chose. On ne sera plus que tous les deux de la même engeance. Pour l’éternité.

Delphine – On sera les nouveaux Adam et Ève. Pour toujours…

Pierre – Mais notre paradis pourrait bien être un éternel enfer.

Delphine (grimaçant) – Je ne me sens déjà pas très bien.

Pierre – C’est normal. Il y a toujours des effets secondaires. Et puis c’est un médicament expérimental.

Delphine – Toi tu y as bien survécu, non ?

Pierre – Oui…

Delphine – Tu crois que j’irai en prison pour avoir tué Vincent ?

Pierre – Qu’est-ce que tu risques ? Même condamnée à perpétuité, tu finiras bien par sortir un jour. Les gardiens seront morts avant toi.

Delphine – Tu as raison.

Delphine éternue.

Pierre – À tes souhaits…

Delphine – C’est le premier rhume que j’attrape de ma vie.

Pierre – Ça ne te réussit pas, l’immortalité…

Delphine – Maintenant, tu vas pouvoir te remettre sur ton vaccin anti-rhume.

Pierre – Je n’ai jamais arrêté, Delphine.

Delphine – Quoi ?

Pierre – Tu as vraiment cru à cette histoire d’élixir de jouvence ?

Delphine – Je ne me sens vraiment pas bien.

Pierre – C’est normal. Ce que tu viens d’absorber, c’est l’arsenic que tu destinais à Joséphine.

Delphine – Non…

Pierre – Pour la vie éternelle, c’est râpé. Mais il te reste toujours le repos éternel. Si Dieu te pardonne ton crime.

Delphine – Quoi ?

Pierre – Je n’ai rien découvert du tout, Delphine. Moi aussi je mourrai dans quelques années. Mais ma vengeance a fonctionné au-delà de toutes mes espérances.

Delphine – Alors tu savais pour Vincent et moi ?

Pierre – Tu me prends vraiment pour un imbécile…

Delphine – Tu mourras en prison… Ce sera ma vengeance à moi.

Pierre – Que veux-tu ? La vie est une comédie qui se termine toujours mal.

Delphine – Dis-moi que ce n’est pas vrai… Tu ne m’as pas empoisonnée ! Tu n’as pas empoisonné ta femme ?

Pierre – Tu me trompes depuis cinq ans.

Delphine – Pour toi, en tout cas, ce sera la perpétuité.

Pierre – Pas forcément.

Delphine – Et comment tu comptes t’en tirer ?

Pierre – Je vais te raconter ce qui s’est passé. Ça va te plaire, tu verras, c’est très romantique : elle tire sur son amant et s’empoisonne après.

Delphine – Tu crois les flics assez cons pour gober ça ?

Pierre – C’est ton revolver. Et c’est toi qui as pris à la pharmacie l’arsenic avec lequel tu viens de t’empoisonner.

Delphine – Tu es le diable en personne…

Pierre – À défaut d’être un dieu…

Delphine – Et en plus, tu es un chercheur minable. Finalement, je ne m’étais pas trompée sur ton compte. Tu n’as rien trouvé du tout, même pas un vaccin contre le rhume. Tu es vraiment un looser…

Vincent a un soubresaut d’agonie.

Pierre – Va savoir… Ce labo va avoir besoin d’un nouveau directeur… Lui qui voulait me virer, je vais prendre sa place…

Delphine éternue.

Pierre – À tes souhaits…

Delphine – Merci.

Delphine s’effondre.

Pierre – Et voilà… La messe est dite. Tu vois, Joséphine. Les histoires d’amour finissent souvent très mal. Allez, sois bien sage. Je laisse la porte de la cage ouverte, et il y a des sandwichs dans la cuisine, au cas où ça s’éterniserait un peu. Je vais raconter ce drame passionnel au commissariat. Ça devrait leur suffire. Et puis si par malheur je n’échappe pas à la perpétuité, tu m’accompagneras en prison. Les cages, tu as l’habitude.

Il sort. Vincent fait un mouvement pour se relever. Delphine aussi. Mais ils s’effondrent à nouveau.

Noir

 

L’auteur

Né en 1955 à Auvers-sur-Oise, Jean-Pierre Martinez monte d’abord sur les planches comme batteur dans divers groupes de rock, avant de devenir sémiologue publicitaire. Il est ensuite scénariste pour la télévision et revient à la scène en tant que dramaturge. Il a écrit une centaine de scénarios pour le petit écran et une soixantaine de comédies pour le théâtre dont certaines sont déjà des classiques (Vendredi 13 ou Strip Poker). Il est aujourd’hui l’un des auteurs contemporains les plus joués en France et dans les pays francophones. Par ailleurs, plusieurs de ses pièces, traduites en espagnol et en anglais, sont régulièrement à l’affiche aux États-Unis et en Amérique Latine.

Pour les amateurs ou les professionnels à la recherche d’un texte à monter, Jean-Pierre Martinez a fait le choix d’offrir ses pièces en téléchargement gratuit sur son site La Comédiathèque (comediatheque.net). Toute représentation publique reste cependant soumise à autorisation auprès de la SACD.

Pour ceux qui souhaitent seulement lire ces ?uvres ou qui préfèrent travailler le texte à partir d’un format livre traditionnel, une édition papier payante peut être commandée sur le site The Book Edition à un prix équivalent au coût de photocopie de ce fichier.

 

Pièces de théâtre du même auteur

 Alban et Ève, Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux, Au bout du rouleau, Avis de passage, Bed and breakfast, Bienvenue à bord, Le Bistrot du Hasard, Le Bocal, Brèves de trottoirs, Brèves du temps perdu, Bureaux et dépendances, Café des sports, Cartes sur table, Come back, Le Comptoir, Les Copains d’avant… et leurs copines, Le Coucou, Coup de foudre à Casteljarnac, Crash Zone, Crise et châtiment, De toutes les couleurs, Des beaux-parents presque parfaits, Dessous de table, Diagnostic réservé, Du pastaga dans le Champagne, Elle et lui, monologue interactif, Erreur des pompes funèbres en votre faveur, Eurostar, Flagrant délire, Gay friendly, Le Gendre idéal, Happy hour, Héritages à tous les étages, L’Hôpital était presque parfait, Hors-jeux interdits, Il était une fois dans le web, Le Joker, Ménage à trois, Même pas mort, Miracle au couvent de Sainte Marie-Jeanne, Les Monoblogues, Mortelle Saint-Sylvestre, Morts de rire, Les Naufragés du Costa Mucho, Nos pires amis, Photo de famille, Le Pire village de France, Le Plus beau village de France, Préhistoires grotesques, Primeurs, Quatre étoiles, Réveillon au poste, Revers de décors, Sans fleur ni couronne, Sens interdit – sans interdit, Série blanche et humour noir, Sketchs en série, Spéciale dédicace, Strip poker, Sur un plateau, Les Touristes, Un boulevard sans issue, Un cercueil pour deux, Un mariage sur deux, Un os dans les dahlias, Un petit meurtre sans conséquence, Une soirée d’enfer, Vendredi 13, Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur son site :

www.comediatheque.net

 

 Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Octobre 2017

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-109-0

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Un bref instant d’éternité Lire la suite »

Écrire une comédie pour le théâtre

Comment écrire une bonne comédie pour le théâtre. Comment la faire lire et la faire jouer. Manuel à destination des jeunes auteurs de tous âges. En cinq actes, un prologue et un épilogue.


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Écrire une comédie pour le théâtre

SOMMAIRE

Prologue – Y a-t-il une recette pour réussir une comédie ? 

Scène 1 – Une méthode pour chacun et à chacun sa méthode
Scène 2 – Ce que n’est pas une bonne comédie pour le théâtre
Scène 3 – La comédie, toute la comédie et rien que la comédie

Acte 1 – Qu’est-ce qu’un auteur de théâtre ?

Scène 1 – Une question d’organisation
Scène 2 – Une question de discipline
Scène 3 – Une question d’expérience

Acte 2 – Qu’est-ce qu’une comédie pour le théâtre ?

Scène 1 – Le théâtre
Scène 2 – La comédie
Scène 3 – Les genres de la comédie

Acte 3 – Comment écrire une comédie pour le théâtre ?

Scène 1 – L’idée, la situation et l’histoire 
Scène 2 – Les personnages, le lieu et le temps
Scène 3 – Les dialogues, les didascalies et les non-dits

Acte 4 – Comment faire lire une comédie pour le théâtre ?

Scène 1 – Le dépôt
Scène 2 – Être ou ne pas être édité ?
Scène 3 – L’édition théâtrale

Acte 5 – Comment faire jouer une comédie pour le théâtre ?

Scène 1 – Faut-il monter soi-même sa pièce ?
Scène 2 – Créer un spectacle
Scène 3 – Produire un spectacle

Épilogue – Être ou ne pas être un auteur de théâtre ?

Scène 1 – Soyez votre seul juge
Scène 2 – Ne soyez pas seulement auteur
Scène 3 – Vivre de son écriture

Le mot de la fin


Le mot de l’auteur

Avant d’être auteur de théâtre, j’ai étudié et enseigné d’abord la sémiologie du texte et de l’image (à l’École Pratique des Hautes Études en Sciences Sociales) et ensuite l’écriture de scénario (au Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle). J’ai bien sûr également lu de nombreux manuels concernant l’écriture dramatique et scénaristique. Cela m’a aidé à me bricoler peu à peu une méthode d’écriture, en partie universelle et en partie personnelle, et cela me permet aujourd’hui de formaliser cette pratique pour essayer de la transmettre, non pas comme un dogme, mais comme un partage d’expérience. En piochant ça et là les éléments qui vous paraîtront utiles, en laissant de côté les autres, et en ajoutant votre touche personnelle, à vous d’élaborer votre propre méthode, à partir de votre identité spécifique, de votre parcours singulier et de vos envies particulières d’écritures.


Mots-clefs

Écrire une pièce de théâtre, comédie, tragédie, drame, comédie dramatique, genres de la comédie, procédés comiques, humour, rire, idée, high concept et low concept, personnel et universel, situation, histoire, schéma en trois actes, situation initiale, élément perturbateur, élément déclencheur, péripéties, climax, fausse résolution, vraie résolution, situation finale, préparation (planting) et paiement (payment), personnages, caractérisation, point de vue, empathie, identification, suspens, mystère, round character et flat character, lieu, temps, dialogues, didascalies, silences, non-dits…

Écrire une comédie pour le théâtre Lire la suite »

Alban et Ève

Une comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez

Pour un ou plusieurs couples

Un homme et une femme en leur jardin. Sont-ils les premiers ou les derniers ? Sont-ils vraiment un couple ? Dieu seul le saurait s’il n’était déjà mort… Le couple, même si son statut traditionnel est aujourd’hui remis en question, reste la cellule de base sur laquelle repose notre organisation sociale. Premier chaînon de la vie ensemble et de la solidarité, il constitue aussi un rempart contre la violence des rapports sociaux. Mais le couple est aussi une société en miniature. Dans ce face à face entre soi-même et l’autre, le partenaire amoureux est tour à tour un allié et un adversaire. Un confident et quelqu’un à qui l’on ment. Parfois justement pour préserver le couple lorsque la trahison menace son existence même. Tantôt rassurant, tantôt étouffant, le couple est à la fois un refuge et un huis-clos. Un espace de liberté et une prison. Un havre de paix et un champ de bataille. Il n’y a rien qui ressemble plus à l’enfer que le jardin d’Eden. Comment s’étonner que le couple qui l’habitait ait préféré s’en évader ? Mais si l’on peut éventuellement s’enfuir d’une prison dorée, peut-on vraiment se libérer du couple sans tomber dans un autre enfer : celui de la solitude ? Les hommes et les femmes sont-ils vraiment faits pour vivre ensemble ? Mieux vaut en rire. Et au-delà de ces considérations sociologiques, c’est le principal propos de cette série de sketchs humoristiques sur la vie à deux…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

1 – Rejetons

2 – Tête-à-tête

3 – Viande

4 – Secret

5 – Repartie

6 – Alibi

7 – Farniente

8 – Zéro

9 – Atmosphère

10 – Vieux

11 – Permanence

12 – Terminus

13 – Trois

14 – En vers et contre tous


  1. Rejetons

 

Ce qui ressemble à un jardin, qui peut être un Eden ou un square. Ève est là. Alban arrive. Ils peuvent être en tenue d’Adam, ou pas. Il tourne un peu autour d’elle, et hésite avant de lui tendre la main.

Alban – Bonjour, je m’appelle Alban.

Elle lui sert la main.

Ève – Ève.

Un temps.

Alban – Tu baises ?

Ève – Je ne sais pas…

Alban – Tu ne sais pas comment on fait ?

Ève – Aussi, oui.

Alban – Remarque, moi non plus. Tu es la première femme que je rencontre.

Ève – Pour moi aussi… Tu es le premier…

Alban – Enfin quand je dis la première femme. Je devrais plutôt dire la première personne.

Ève – La première personne ?

Alban – Je ne savais pas que ce serait une femme.

Ève – Bon…

Alban – Alors ?

Ève – J’hésite un peu.

Alban – Tu hésites ?

Ève – Tu te rends compte de ce qu’on s’apprête à déclencher ?

Alban – Non…

Ève – C’est peut-être le début de quelque chose qu’on ne maîtrise pas du tout.

Alban – Le début de…

Ève – Une réaction en chaîne.

Alban – Un truc atomique, tu veux dire ?

Ève – Ça pourrait faire toute une histoire.

Alban – Quelle histoire ?

Ève – Celle de l’humanité ! Notre enfant, ce serait le début d’une interminable lignée.

Alban – Je parlais seulement de tirer un coup.

Ève – Des milliards et des milliards d’humains, qui vont devoir travailler pour gagner leur pain à la sueur de leur front. Parce qu’ici, entre nous, il y a tout juste assez à bouffer pour deux.

Alban – Et encore… Surtout de la salade et des pommes.

Ève – Alors évidemment, il faudra qu’ils se mettent à bosser, tous ces bâtards. À travailler la terre.

Alban – C’est sûr.

Ève – Et après, ils vont se battre entre eux pour la posséder, cette terre.

Alban – Ce n’est pas impossible.

Ève – Toute une lignée de petits salopards qui vont se massacrer joyeusement pendant les siècles des siècles.

Alban – Oui…

Ève – Et bien entendu, qui vont se mettre à forniquer, eux-aussi. À se multiplier. À proliférer, encore et encore.

Alban – C’est clair.

Ève – Et qui vont finir par détruire ce petit coin de paradis avec leurs déjections, leurs pets, leurs rots, et leurs gaz à effet de serre.

Alban – Vu comme ça, évidemment… Ce n’est pas très bandant.

Ève – Ben non.

Alban – Et tu es sûre que…

Ève – Ben oui.

Alban – Bon…

Ève – On va engendrer des générations et des générations d’enfants qui auront des problèmes d’?dipe avec leurs parents ! Et qui toutes les nuits, ne rêveront que d’une chose, c’est de les tuer. Avant pour certains de passer à l’acte.

Alban – Ah oui… Alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Je crois que je vais réfléchir encore un peu.

Alban – Bon, ben… Tiens-moi au courant… (Il s’apprête à repartir) Sinon… je peux faire attention.

Ève – Attention… Ils disent tous ça…

Alban – Tous ?

Ève – Tu ne crois pas que tu es vraiment le premier, quand même ?

Alban – Non, bien sûr, mais… En même temps, on n’est que deux.

Ève – Ah oui ?

Alban – Ben oui… Alban et Ève…

Ève – Je vois… Donc, c’était toi ?

Alban – Moi ?

Ève – La dernière fois. C’était déjà toi…

Alban – Oui, il faut croire.

Ève – Ça ne m’a pas laissé un grand souvenir.

Alban – Dans un sens, tant mieux…

Ève – Tu trouves ?

Alban – Non, je veux dire, que ça ne t’ait pas laissé un mauvais souvenir… Par rapport à ce que tu disais tout à l’heure… Notre premier enfant, tout ça… Et les milliards de rejetons qui s’ensuivraient.

Ève – C’est vrai que ça fout les jetons.

Alban – Oui.

Ève – Tu veux une pomme, en attendant ?

Noir

  1. Tête-à-tête

 

Le jardin peut avoir rapetissé. Ève est assise. Alban tourne un peu en rond.

Alban – Il n’est pas très grand, ce jardin, non ?

Ève – Il est bien assez grand pour nous deux.

Alban – Il n’était pas un peu plus grand, avant ?

Ève – Avant ?

Alban – Ou alors, c’est nous qui avons grandi.

Ève – Je ne sais pas.

Alban – Parfois, j’aimerais bien avoir un peu plus de place.

Ève – Pour quoi faire ?

Alban – Pour pouvoir étendre les jambes, déjà.

Ève – D’accord…

Alban – Et puis je ne sais pas moi… Qu’il reste quelque chose à explorer. Qu’il y ait encore des choses à découvrir…

Ève – Tu peux toujours découvrir… les détails.

Alban – Les détails ?

Ève – Les petites choses.

Alban – Mouais.

Ève – Ce qu’on ne voit pas tout de suite à l’?il nu.

Alban – Qu’est-ce qu’on ne voit pas à l’?il nu ?

Ève – Tiens, un trèfle à quatre feuilles, par exemple.

Alban – Ça existe, un trèfle à quatre feuilles ?

Ève – Je ne sais pas. Sûrement.

Alban – Parfois je me demande si la vie vaut la peine d’être vécue.

Ève – Tu pourrais chercher un trèfle à quatre feuilles.

Alban – Mais pour quoi faire, bordel ?

Ève – Pour me l’offrir, par exemple.

Alban – Mouais.

Ève – Ça nous porterait chance.

Alban – Tu crois ?

Ève – En tout cas, ça t’occuperait.

Alban – Je ne sais pas.

Silence.

Ève – En même temps, je me demande si ce n’est pas toi qui as raison…

Alban – Sur quoi ?

Ève – Ben… On s’emmerde, non ?

Alban – Oui, c’est bien ce que je disais.

Ève – C’est vrai que ce jardin, on le connaît par c?ur…

Alban – C’est sûrement pour ça qu’il nous paraît de plus en plus petit.

Ève – Si encore on pouvait partir en vacances, de temps en temps.

Alban – En vacances ? Où ça ?

Ève – Ailleurs…

Alban – Mais ailleurs, c’est…

Ève – Oui… On est entourés d’eau et on ne sait pas nager.

Un temps.

Alban – On n’était pas plus nombreux que ça, avant ?

Ève – Avant quoi ?

Alban – Je ne sais pas.

Ève – Plus nombreux ? Tu veux dire trois ?

Alban – Trois, quatre… Plusieurs, quoi.

Ève – Plusieurs toi, et plusieurs moi ? Je ne sais pas.

Alban – J’ai l’impression qu’il y avait plus de monde.

Ève – Où ça ?

Alban – Autour de nous !

Ève – Oui, peut-être.

Alban – Mais alors où ils sont passés ?

Ève – Plus de monde, tu es sûr ?

Alban – Je me demandais juste si…

Ève – Quoi ?

Alban – Est-ce qu’on est les premiers… ou les derniers ?

Ève – En tout cas, pour l’instant, on n’est que deux…

Un temps.

Alban – J’ai même l’impression qu’au début, j’étais tout seul.

Ève – Au début…

Alban – Je crois que toi, tu n’es arrivée qu’après.

Ève – Ah ouais ?

Alban – Ouais.

Ève – Donc, le premier, c’était toi.

Alban – Ouais.

Ève – Alors tu seras peut-être aussi le premier à partir.

Alban – Où ?

Ève – Je ne sais pas. Où j’étais avant d’arriver ici ?

Alban – Ça…

Ève – De l’autre côté de la mer, peut-être.

Alban – Ou au fond.

Ève – Je ne sais pas si c’est profond.

Alban – Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas marcher sur l’eau.

Ève – Quand on a essayé, on a failli se noyer.

Un temps.

Alban – C’est curieux, tout de même.

Ève – Quoi ?

Alban – Je n’ai jamais connu quelqu’un d’autre que toi ?

Ève – Connu, tu veux dire…

Alban – Connu, quoi !

Ève – Tu voudrais connaître quelqu’un d’autre que moi ?

Alban – Non, pas spécialement, mais… Savoir que c’est possible. Toi, tu n’aimerais pas connaître quelqu’un d’autre ?

Ève – Je n’y ai jamais réfléchi. Oui, peut-être.

Alban – Savoir qu’on a le choix.

Ève – Ne pas se limiter au premier choix… Préférer le deuxième choix, alors ?

Alban – Là, on ne s’est pas choisis. Puisqu’on n’est que deux.

Ève – Oui, évidemment.

Alban – Comment savoir si on est vraiment faits l’un pour l’autre…

Ève – On n’est que deux, on est forcément faits l’un pour l’autre.

Alban – Oui, c’est sûr…

Un temps.

Ève – À plusieurs, dans ce petit jardin…?

Alban – C’est vrai qu’on aurait du mal à tenir à trois.

Ève – On est déjà tellement à l’étroit.

Alban – À trois… Je crois que je commence à délirer.

Ève – Allez, va me chercher un trèfle à quatre feuilles, plutôt…

Noir

  1. Viande

Alban et Ève sont toujours là.

Alban – C’est dingue. Tout pousse dans ce jardin.

Ève – On n’a même pas besoin de semer des graines.

Alban – Ni d’arroser.

Ève – Et la récolte est miraculeuse.

Ève – On n’a qu’à tendre le bras pour cueillir les fruits.

Alban – Et se baisser pour ramasser les légumes.

Ève – Et tout est absolument bio.

Alban – Oui… Ça veut dire quoi, au fait ?

Ève – Quoi ?

Alban – Bio.

Ève – Aucune idée.

Alban – Qu’est-ce que ça pourrait être, des fruits et des légumes qui ne soient pas bio ?

Ève – Je ne sais pas.

Alban – En tout, c’est bio, et c’est bion.

Ève – Tu veux dire c’est beau et c’est bon…

Alban – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Un temps.

Ève – Parfois, j’en ai un peu marre de bouffer des légumes, pas toi ?

Alban – Si. Mais qu’est-ce qu’on pourrait bouffer d’autre ?

Ève – Qu’est-ce qui se mange, ici, à part les primeurs ?

Alban – On ne va pas bouffer de la terre…

Ève – On ne va pas bouffer de l’air.

Alban – On ne va pas boire l’eau de mer.

Ève – Et on ne va pas se bouffer entre nous.

Alban – Ben non…

Un temps.

Ève – On pourrait bouffer les animaux.

Alban – Les animaux ?

Ève – Non, mais je déconne.

Silence.

Alban – Remarque, c’est peut-être bon.

Ève – Tu crois ?

Alban – Ce n’est pas très appétissant

Ève – Mais c’est vrai que ça changerait un peu.

Alban – Comment on peut savoir que ce n’est pas bon…

Ève – On n’a jamais essayé.

Alban – Et… on les mangerait vivants ?

Ève – Qu’est-ce que ça veut dire, vivants ?

Alban – Comme les fruits.

Ève – Tu veux dire crus.

Alban – C’est ça. Nature, quoi. En salade.

Ève – Tu crois qu’ils se laisseraient bouffer tout cru ?

Alban – Tu as raison, il vaudrait peut-être mieux les tuer avant.

Ève – Les tuer ?

Silence embarrassé.

Alban – Tu as déjà tué quelqu’un, toi ?

Ève – Tu veux dire, un animal ?

Alban – Ben oui. Pas un homme. Comme on n’est que deux, si tu avais déjà tué quelqu’un, je ne serais plus là pour poser la question.

Ève – Non… Enfin, pas intentionnellement…

Alban – Si on ne le fait pas exprès, c’est moins grave, non ?

Ève – Oui, c’est… un homicide involontaire.

Alban – Si on tuait un animal. Sans le faire exprès. On pourrait le bouffer après. Pour voir quel goût ça a.

Ève – Oui… Si on ne le fait pas exprès…

Un temps.

Alban – Ça commence à me faire peur, cette conversation…

Ève – Moi aussi…

Alban – Et puis les animaux, c’est comme nous, il n’y en a qu’un couple de chaque espèce.

Ève – On en bouffe un chacun et aussitôt, c’est l’extinction de la race.

Alban – Je vais reprendre un peu de salade, plutôt.

Ils mâchouillent chacun une feuille de salade sans appétit.

Ève – Tu veux une pomme, pour ton dessert ?

Alban – Allez…

Ils mangent une pomme.

Ève – Je commence à en avoir un peu marre, des pommes.

Alban – Oui… Moi aussi…

Ève – Tiens, il y avait un asticot dans cette pomme.

Alban – Non ?

Ève – Ben j’en ai bouffé la moitié. Sans le faire exprès…

Alban – Et alors ?

Ève – Ce n’est pas mauvais…

Noir

  1. Secret

Alban et Ève se succèdent devant une urne dans laquelle ils insèrent chacun à leur tour un bulletin.

Ève – Alors, tu as voté pour qui ?

Alban – Je te rappelle que c’est un vote à bulletin secret…

Ève – Ce n’est pas un peu ridicule, non ?

Alban – Ridicule ? Pourquoi ça ?

Ève – On n’est que deux !

Alban – Et alors ?

Ève – Comme chacun de nous sait pour qui il a voté… Forcément, au moment du dépouillement, je saurai quel bulletin tu as choisi.

Alban – Oui, bon…

Ève – Et puis entre nous, ça sert à quoi d’élire un représentant ?

Alban – Pour qu’il nous représente tous les deux !

Ève – Auprès de qui ?

Alban – Auprès de l’autre !

Ève – Et tu as voté pour qui, alors ?

Alban – Pour moi. Et toi ?

Ève – Moi aussi.

Alban – Tu veux dire que tu as voté pour moi aussi ?

Ève – Non, j’ai voté pour moi.

Alban – Bon… dans ce cas, comme c’est à la proportionnelle, chacun de nous se représentera lui-même.

Ève – Ok… Ce n’est pas la peine qu’on dépouille, alors ?

Alban – Ben si, quand même.

Ève – Pourquoi faire ?

Alban – Je ne suis pas obligé de te croire.

Ève – Bon, alors allons-y.

Alban – Attends un peu !

Ève – Quoi encore ?

Alban – Il n’est pas tout à fait vingt heures…

Un temps.

Ève – Et c’est quoi, ton programme, à toi ?

Alban – Je propose qu’on ouvre des chambres d’hôtes.

Ève – Des chambres d’hôtes ? Pour quoi faire ?

Alban – Je ne sais pas. Pour développer le tourisme…

Ève – Mais on n’est que deux.

Alban – C’est vrai…

Ève – On pourrait ajouter une chambre d’ami.

Alban – Mais comme tu dis : on n’est que deux.

Ève – Tu pourrais aller y dormir de temps en temps…

Noir

  1. Repartie

Ève est là, dés?uvrée. Alban arrive, pas très à l’aise.

Alban – Salut… Tu habites dans le coin ?

Ève – On peut dire ça… Et toi ?

Alban – Je passais par là.

Silence.

Ève – Et… tu comptes prendre racine… dans le coin ?

Alban – Ça dépend.

Ève – Ça dépend de quoi ?

Alban – Je ne sais pas… Ici ou ailleurs.

Ève – Tu fais ce que tu veux. On est en république.

Alban – Qu’est-ce qui pourrait me donner envie de rester ? Dans le coin…

Ève (montrant son front) – Il n’y a pas marqué office de tourisme, là, si ?

Alban – Non.

Ève – Bon. Alors ?

Alban – Alors quoi ?

Ève – Tu pars, tu restes, mais il va falloir décider. Parce que là, tu commences à être un peu…

Alban – Ok, je reste… Pour l’instant…

Ève – Bien, alors qu’est-ce qu’on fait ?

Alban – Qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Tu ne vas pas rester planté là à me regarder, si ?

Alban – Ok, ok… Alors… Je ne sais pas, moi… On pourrait discuter…

Ève – Je t’écoute.

Alban – Tu fumes ?

Ève – Pourquoi ? Tu as une préférence pour les non-fumeuses ? C’est un entretien d’embauche ?

Alban – Pas du tout ! Au contraire. Je voulais seulement… savoir si tu avais une cigarette.

Ève – On vient à peine de se rencontrer, et tu veux déjà me taxer une cigarette.

Alban – Absolument pas ! D’ailleurs, je ne fume pas.

Ève – Moi non plus. Ça nous fait déjà ça en commun.

Silence.

Alban – Tu… Tu as un numéro ?

Ève – Un numéro ? Pourquoi ? Tu diriges un cirque ? Tu veux me faire passer une audition ?

Alban – Un cirque ? Ah oui, un… Un numéro de cirque.

Ève – Je me disais bien aussi que tu avais un petit côté nomade.

Alban – Nomade ?

Ève – Les gens du voyage, tu vois.

Alban – Non, mais je ne pensais pas à un numéro de cirque. Je pensais plutôt… à un numéro de téléphone.

Ève – D’accord…

Alban – Alors ?

Ève – J’ai un numéro, mais je n’ai pas de téléphone.

Alban – À quoi ça sert d’avoir un numéro, si tu n’as pas de téléphone.

Ève – Tu es un petit malin, toi… Ou alors tu es vraiment con, j’hésite encore. Je l’ai perdu, mon téléphone. Voilà pourquoi j’ai un numéro, et pas de téléphone. Mais toi, tu n’as qu’à me le laisser, ton numéro…

Alban – Mon numéro ? C’est-à-dire que…

Ève – Ne me dis pas que toi, tu as un téléphone, mais pas de numéro.

Alban – Non, mais…

Ève – D’accord… Tu n’as pas de téléphone, mais tu me demandes quand même mon numéro. Et tu comptais m’appeler comment ? D’une cabine téléphonique ?

Alban – Je ne sais pas… Je… Si, j’ai un téléphone, mais…

Ève – Tu veux un conseil ?

Alban – Non… Enfin si, oui…

Ève – Tu devrais te méfier. L’impro, ce n’est pas ton truc…

Alban – D’accord. Je…

Ève – Prépare un peu ton texte, la prochaine fois.

Alban – C’est ça…

Ève – Un canevas, au moins… Et puis tu brodes autour. Mais là, franchement. Tu ne peux pas te lancer comme ça, sans filet. Tu n’as pas le niveau…

Alban – D’accord… Un… Un canevas… Je vais y penser…

Ève – Et pourquoi tu voulais me téléphoner, au fait ?

Alban – Te téléphoner…? Je ne sais pas… Je…

Ève – Non, parce que comme on est tous les deux là, si tu as quelque chose à me dire… ce n’est pas être pas la peine de me téléphoner.

Alban – Non, bien sûr, mais…

Ève – Tu veux un autre conseil ?

Alban – Je ne sais pas… Oui…

Ève – Avec ou sans téléphone, essaie de conclure avant d’avoir bouffé tout ton crédit.

Alban – Mon crédit…?

Ève – Ça fait cinq minutes qu’on discute, et tu n’as encore rien dit. Non mais franchement, tu fais pitié, là !

Alban – D’accord…

Ève – Tu sais quoi ? (Elle sort un crayon et griffonne quelque chose sur un papier qu’elle lui tend) Le voilà mon numéro. Quand j’aurai retrouvé mon téléphone, et que tu auras trouvé une cabine, tu m’appelles, et on en parle, ok ?

Elle s’en va. Il la regarde partir, puis jette un coup d’?il au papier. Il semble hésiter, puis s’adresse à quelqu’un dans la salle.

Alban – Vous habitez dans le coin ? Vous ne savez pas où il y a une cabine téléphonique ? Je peux vous emprunter votre téléphone, deux minutes ? (Il prend le téléphone qu’on voudra bien lui donner et fait mine de composer le numéro qui est inscrit sur le papier.) Merci… (Ça sonne dans sa propre poche, et après un instant de surprise, il sort un autre téléphone et répond.) Allô ? Allô ? (Il reste un instant ahuri.) Je crois que je suis en train de me parler à moi-même… (Il rend son téléphone à la spectatrice, et s’adresse à elle.) C’est bien son numéro… Mais c’est moi qui ai son téléphone… (Un temps.) Je n’ai pas pensé à lui dire que je venais d’en trouver un, de téléphone… et que c’était peut-être celui qu’elle avait perdu… Et elle est déjà repartie… (Il reste un instant perplexe.) Je crois qu’elle a raison, je manque un peu de repartie… Repartie… ou répartie…?
Noir.

  1. Alibi

Dans un coin, un seau à champagne, une bouteille et deux flûtes. Ève attend et montre des signes d’impatience. La sonnette retentit.

Alban (off) – Ève ? C’est moi… Tu es là ? (Alban arrive depuis l’extérieur, une mallette à la main, et veut déposer sur les lèvres de sa femme un baiser auquel elle se dérobe) Excuse-moi… Une urgence avec un client…

Ève – Un client ou une cliente ?

Il préfère ne pas relever.

Alban – Ça ne va pas ?

Ève – Si, si… Ça va… C’est notre anniversaire de mariage, et mon mari a oublié, mais à part ça, ça va…

Alban se retourne et aperçoit la bouteille de champagne.

Alban – Et merde…

Ève – Merci… Au moins, tu ne fais pas semblant.

Alban – Excuse-moi, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

Ève – L’année dernière aussi, tu es arrivé à dix heures du soir. Mais au moins tu avais un bouquet de fleurs…

Alban – Je suis passé devant le fleuriste, c’était déjà fermé.

Ève – Tu as oublié notre anniversaire de mariage…

Alban – Mais non, je n’ai pas oublié ! J’y ai pensé toute la journée… Disons que… là tout de suite, ça m’était sorti de la tête.

Ève – Bien sûr…

Il pose sa mallette et ôte sa veste.

Alban – J’ai eu une journée de merde, je te dis… Un client qui a décalé un rendez-vous à la dernière minute. Cet Américain dont je t’ai parlé, tu sais ?

Ève – Un jour comme celui-là… Tu aurais très bien pu te faire remplacer.

Alban – J’étais le seul au bureau ! Et puis c’est un dossier important…

Ève – Tu pouvais m’appeler…

Alban – J’ai perdu mon portable.. En tout cas, je ne sais pas ce que j’en ai fait…

Ève – Comme d’habitude, tu as réponse à tout…

Alban – Je te dis la vérité, rien d’autre.

Ève – Écoute, Alban, ça fait dix ans qu’on est mariés, et on vit dans un appartement témoin…

Alban – C’est provisoire…

Ève – Oui… C’est ça le problème… Ça fait dix ans que toi et moi, on vit dans le provisoire.

Alban – Il est très bien, cet appartement. Et on n’est pas dérangé par les voisins…

Ève – C’est sûr, il n’y en a pas… On habite tout seuls au dernier étage d’une tour qui n’est même pas vraiment finie.

Alban – Au moins, l’ascenseur marche…

Ève – Le matin, avant de partir au boulot, on doit planquer toutes nos affaires personnelles. On ne peut rien laisser traîner pour ne pas déranger les visiteurs qui défilent toute la journée.

Alban – La journée, on travaille tous les deux…

Ève – Même la photo de ma mère, je dois la ranger dans un tiroir ! Des fois que ça fasse fuir les investisseurs…

Alban – Mais on n’a pas de loyer à payer…

Ève – Pour moi, c’est encore trop cher, Alban.

Alban – On a une terrasse ! (Se tournant vers la salle) Et regarde ! Quelle vue ! (Constatant qu’elle ne se déride pas) En tout cas, ça sent bon… Qu’est-ce que tu nous as mijoté ?

Ève – Tu arrives trop tard, Alban. Le champagne est chaud, et la dinde a refroidi.

Alban – Allez… Je suis là, maintenant ! (Il prend sa mallette.) Je vais poser ça à côté… et on va passer une bonne soirée, d’accord ?

Il sort. Elle prend la bouteille dans le seau, et la laisse retomber. Puis elle regarde côté salle, comme si son attention était attirée par quelque chose. Elle sort des jumelles de théâtre pour mieux voir. Le portable d’Alban, dans la poche de la veste, se met à sonner. Elle pose les jumelles, hésite, puis sort le portable et prend l’appel.

Ève – Allô…? Oui… Non, c’est sa femme. D’accord. Ah oui ? Non, non… Très bien, je lui dirai… (Elle met fin à la conversation mais, intriguée, explore la messagerie du portable.) Le salaud…

Alban revient.

Alban – Dix ans, déjà… Tu te rends compte ? J’ai l’impression que c’était hier…

Ève – Je croyais que tu avais perdu ton portable…

Alban – Oui, je… Je croyais aussi…

Ève – Tu me prends vraiment pour une conne…

Alban – Pourquoi tu dis ça ?

Ève – Il vient de sonner, ton portable. Il était dans la poche de ta veste…

Alban – Non ?

Ève – J’ai répondu. C’était ta secrétaire…

Alban – Ah oui… Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Ève – Elle cherche à te joindre depuis ce matin. C’est curieux, elle a passé tout l’après-midi au bureau, et elle ne t’a pas vu…

Alban – Je n’ai pas dit que j’avais vu mon Américain au bureau. Il m’a demandé de le rejoindre à…

Ève – Ne te fatigue pas. Si ta secrétaire voulait te joindre, c’était pour te prévenir que ton rendez-vous avec ton Américain était annulé. Il a eu un AVC hier soir…

Alban – Tu ne m’as pas laissé finir… Il m’a demandé de le rejoindre cet après-midi à l’hôpital.

Ève – C’est curieux, parce que d’après ta secrétaire, il est mort ce matin.

Alban – D’accord… Alors écoute, je vais t’expliquer…

Ève – Tu as une maîtresse… Et tu as attendu notre anniversaire de mariage pour me l’annoncer.

Alban – Mais pas du tout, je…

Ève – Et moi qui allais te dire que je suis enceinte !

Alban – Quoi ? Tu attends un enfant ? De moi ? Mais c’est fantastique !

Ève – Je te quitte, Alban !

Alban – Ce n’est pas du tout ce que tu crois, je t’assure…

Ève – Ah oui ? Et ces SMS que j’ai vus sur ton téléphone ?

Alban – Les SMS…

Ève – Oui, les SMS. Ceux que tu n’as pas eu le temps d’effacer… J’ai envie de toi, rejoins-moi où tu sais. C’est assez explicite, non ?

Il semble déstabilisé, mais se reprend.

Alban – C’est un code.

Ève – Pardon ?

Alban – C’est vrai, je te mens depuis des années, Ève. Je l’avoue.

Ève – Enfin…

Alban – Je mène une double vie, en effet. Mais je ne t’ai jamais trompée… avec une femme.

Ève – Tu ne vas pas me dire en plus, après toutes ces années, que tu es homosexuel ?

Alban – Non, rassure-toi. Encore une fois, ce n’est pas du tout ce que tu crois. En fait, je suis…

Ève – Oui ?

Alban – Ce n’est pas facile à dire…

Ève – Oui, j’imagine… Mais je peux t’aider, si tu veux. Je suis un connard ?

Alban – Je suis agent secret.

Ève – Agent secret ?

Alban – Enfin secret… jusqu’à aujourd’hui.

Ève – Tu as bu, c’est ça ?

Alban – Pas du tout.

Ève – Un agent secret ? Un espion, quoi ? C’est tout ce que tu as trouvé ?

Alban – Je n’avais pas le droit de te le dire, évidemment. Je n’avais le droit de le dire à personne. Mais bon… Maintenant, c’est notre couple qui est en jeu.

Ève – Très bien… Et tu travailles pour qui ? La CIA ? Ton Américain, c’était ton chef, et le KGB l’a éliminé en faisant passer son assassinat pour un AVC, je me trompe ?

Alban – Je travaille… pour le MOSSAD.

Ève – Le MOSSAD ?

Alban – Oui… Les services secrets israéliens, si tu préfères…

Ève – Tu n’es même pas juif !

Alban – Si un peu, quand même…

Ève – Si tu étais juif, depuis le temps, je le saurais, non ? Je suis ta femme !

Alban – Il ne faut pas se fier aux apparences, Ève… C’est un peu plus compliqué que ça. C’est ma grand-mère maternelle qui…

Ève – Alors c’est tout ce que tu as trouvé ? Mais c’est pathétique. Il faut te faire aider, Alban, je t’assure. Tu es un grand malade.

Alban – C’est vrai, Ève. Il faut que tu me crois.

Ève – Tu es un mythomane, Alban. Ça fait des années que tu me mens. Pour tout et n’importe quoi. Mais surtout pour couvrir tes liaisons. Et aujourd’hui tu m’annonces que tu es un espion israélien alors que tu n’es même pas circoncis ! Comment veux-tu que je te crois ?

Alban – Cette fois, je ne te mens pas, je te le jure.

Ève – Cette fois ? Tu me déçois, Alban. Tu me déçois beaucoup. Je ne pensais pas que tu me prenais à ce point pour une conne.

Alban – Tu sais, lors de notre voyage de noces à Eilat, sur la Mer Rouge, quand j’ai passé une heure au poste de police à la douane.

Ève – Parce que tu n’avais pas reconnu ta valise, qu’elle tournait depuis une heure toute seule sur le tapis roulant de l’aéroport, et que les démineurs sont venus pour la faire exploser ?

Alban – C’est ce jour-là où ils m’ont proposé de travailler pour eux.

Ève – Eux ? Qui eux ?

Alban – Le MOSSAD !

Ève montre le téléphone.

Ève – « J’ai envie de toi, on se retrouve où tu sais »… C’est un message de ton ami imaginaire du MOSSAD ?

Alban – C’est un code, je te dis. Pour un rendez-vous.

Ève – Un rendez-vous, oui, ça j’avais compris.

Alban – C’est pour ne pas attirer l’attention. Au cas où nos messages seraient interceptés. « J’ai envie de toi », ça veux dire j’ai besoin de te voir. « Où tu sais », ben ça veut dire…

Ève – Où tu sais.

Alban – Voilà.

Ève – Cette fois, ça ne va pas suffire, Alban.

Alban – Qu’est-ce que tu veux de plus ?

Ève – Des preuves, par exemple.

Alban – Désolé, je n’en ai pas.

Ève – Bien sûr.

Alban – Ce n’est pas un CDD ! Tout ça se fait sans laisser de trace, tu penses bien.

Ève – Mais tu ne travailles gratuitement, j’imagine. Un espion, ça doit bien gagner sa vie. Et tu me laisserais vivre dans un appartement témoin ?

Alban – L’argent est versé sur un compte numéroté, dont j’aurai la clef seulement quand je cesserai mes activités.

Ève semble tout à fait désemparée.

Ève – Et tu voudrais que j’avale ça ?

Alban – Oui, je t’en prie, Ève… Pour nous… Pour notre enfant… Une dernière fois. Je te supplie de me croire… Parce que c’est la vérité !

Elle hésite.

Ève – Je ne sais plus quoi te dire, Alban. Je suis fatiguée. Je vais me coucher…

Alban – Tu as raison. Je comprends que tu aies besoin d’un peu de temps pour digérer cette nouvelle. En attendant, tu n’en parles à personne, d’accord ? Même à ta mère. Il faut absolument que ça reste un secret entre nous, sinon…

Elle lui fait un doigt d’honneur, et sort. Il tombe sur les jumelles de théâtre qu’elle a oubliées sur la table. Il semble surpris. Il prend les jumelles et se met à scruter quelque chose côté salle. D’abord par simple curiosité. Puis avec une attention soutenue.

Noir

 

 

  1. Farniente

 

Alban et Ève.

Alban – Ça fait du bien d’être en vacances…

Ève – Enfin !

Alban – Ne penser à rien.

Ève – Ne rien faire.

Alban – Ne voir personne.

Ève – Le pied intégral.

Un temps.

Alban – C’est le bout du monde, ici.

Ève – C’est ce qu’on voulait, non ? Être tranquille.

Alban – Ça pour être tranquille, on est tranquille.

Alban – Pas d’ordinateur…

Ève – Pas de téléphone.

Alban – De toute façon, il n’y a pas de réseau.

Un temps.

Ève – Tu crois qu’on va tenir trois semaines ?

Alban – Les trois premiers jours seront peut-être un peu difficiles. Comme quand on arrête de fumer. Après, ça ira.

Ève – Il faut avouer que c’est magnifique.

Alban – Oui. C’est vraiment le paradis.

Ève – L’endroit idéal pour se reposer et tout oublier.

Alban – On se demande comment on fait pour vivre en ville toute l’année.

Ève – C’est vrai qu’un peu de verdure…

Alban – Au moins, on respire.

Ève – Et puis ce silence…

Silence.

Alban – Limite, ça ferait mal aux oreilles.

Ève – Quand on n’est plus habitués…

Alban – Et quel dépaysement.

Ève – C’est sûr.

Un temps.

Alban – On n’est pas déjà venus, ici ?

Ève – Ici ? On s’en souviendrait…

Alban – En même temps, la campagne… C’est partout pareil, non ?

Ève – Oui.

Un temps.

Alban – C’est vraiment isolé, quand même.

Ève – Ça, on ne va pas être dérangés par les voisins.

Alban – C’est limite inquiétant. Si on avait un problème.

Ève – Quel problème on pourrait bien avoir ? On est en vacances.

Alban – Je ne sais pas, moi… Un accident domestique…

Ève – Tu feras attention en lavant la salade.

Alban – Une hémorragie cérébrale… Un infarctus… Le temps que le SAMU arrive…

Ève – Tu as raison, on aurait dû apporter un défibrillateur.

Alban – Tu crois ?

Ève – On mène une vie de dingue toute l’année. Ce serait un comble qu’on ait un infarctus maintenant. On ne peut pas être plus au calme qu’ici !

Alban – Justement, le c?ur n’est plus habitué. Tout cet oxygène, d’un seul coup. J’ai l’impression d’avoir fumé un pétard.

Ève – Tout de même, ça fait du bien d’avoir un peu d’espace pour respirer. De ne plus être entassés au bureau comme des poulets dans un élevage en batterie.

Alban – Ou serrés comme des sardines dans le métro.

Ève – Même pas une vache à l’horizon.

Alban regarde par terre.

Alban – Nos seuls voisins immédiats, c’est les fourmis.

Ève jette un regard aussi vers le sol.

Ève – Et elles, elles ont l’air de bosser.

Alban – Oui, elles en mettent un coup.

Ève – Regarde, celle-là transporte le cadavre d’une libellule trois plus grosse qu’elle.

Alban – Peut-être une libellule en vacances ici qui est morte d’ennui.

Ève – Ou qui a succombé à un AVC avant que les secours ne puissent intervenir.

Alban – En tout cas, elles n’arrêtent pas.

Ève – C’est à se demander si elles n’en font pas un peu trop.

Alban – Les fourmis, ça ne prend jamais de vacances.

Ève – C’est clair. Les congés payés, c’est le propre de l’homme.

Alban – Remarque, ça dépend, il y a aussi des animaux très branleurs.

Ève – Ah oui ?

Alban – Je dirais que le mammifère en général est très branleur.

Ève – Le paresseux, c’est un mammifère ?

Alban – En tout cas, l’homme est un mammifère.

Ève – Ah oui…?

Alban – Tu ne ponds pas des ?ufs, si ?

Ève – Ce sont les insectes, surtout, qui ne pensent qu’à bosser.

Alban – Les insectes sociaux, comme on dit… Les fourmis, les abeilles, les termites…

Ève – Ouais… Elles bossent du soir au matin, 365 jours par an. Elles n’en ont rien à foutre qu’on soit en vacances ou pas.

Alban – En fait, elles n’en ont rien à foutre qu’on existe en général.

Ève – Elles vivent à côté de nous. Elles nous ignorent.

Alban – Je dirais même qu’elles nous méprisent. On ne les dérange pas quoi.

Ève – L’homme a réussi à exterminer presque tous les mammifères sauvages. Les autres, il en a fait des esclaves domestiques ou de la viande rouge. Mais les insectes, eux, ils sont toujours là, ils continuent leurs petites affaires. Ils font comme si on n’était pas là, en fait.

Alban – Sans parler des oiseaux.

Ève – Quoi, les oiseaux ?

Alban – Tu les entends chanter ? On dirait qu’ils nous narguent.

Ève – Si seulement on arrivait à comprendre ce qu’ils disent…

Alban – Je crois que j’ai une petite idée.

Ève – Quoi ?

Alban – Ils doivent dire quelque chose comme : On est des dinosaures, et on est toujours là.

Ève – C’est vous qui êtes en voie d’extinction, et nous on vous emmerde…

Alban – Tu crois que les dinosaures reprendront leur taille normale quand les hommes auront disparu.

Ève – Peut-être. Ils se font discrets, parce qu’on est là.

Alban – Ils attendent que le vent tourne, pour redevenir des monstres.

Ève – Heureusement, on ne sera plus là pour voir ça…

Un temps.

Alban – Je suis à peu près sûr qu’on est déjà venus là en vacances.

Ève – Quand ça ?

Alban – Ce n’était pas l’année dernière ?

Ève – Ah, oui, peut-être… Mais il y avait plus de monde, non ?

Alban – Et il y avait moins de fourmis…

Noir.

  1. Zéro

 

Alban lit un journal. Ève somnole.

Alban – Tu as vu ? Les Chinois ont renoncé à la politique de l’enfant unique.

Ève – Et c’est reparti… Comme si on n’était pas déjà assez nombreux comme ça.

Alban – Et tout ça, ça pollue, ça pollue.

Ève – Avec leurs centrales au charbon, en plus.

Alban – Le nucléaire, c’est dangereux, mais au moins c’est propre.

Un temps.

Ève – Tu te rends compte ? Si en Chine, au lieu de la politique de l’enfant unique, on adoptait la politique de l’enfant zéro, il n’y aurait plus de Chinois en l’espace d’une génération.

Alban – Il faudrait quand même attendre que tous les vieux Chinois soient morts.

Ève – Disons en l’espace d’une centaine d’années, alors.

Alban – Encore qu’il y a beaucoup de centenaires en Chine.

Ève – Même les centenaires finissent par mourir un jour.

Alban – Ce n’est au Japon, plutôt, qu’il y a beaucoup de centenaires ?

Ève – Oui, peut-être.

Alban – C’est sûr que s’il y avait moins de Chinois, il aurait moins de pollution.

Ève – Enfin, il resterait plus d’un milliard d’Indiens.

Alban – Il faudrait faire pareil en Inde.

Ève – Et en Afrique.

Alban – Et aux États-Unis.

Ève – En fait, il faudrait faire ça partout dans le monde.

Alban – S’il n’y avait plus d’hommes du tout, le problème de la pollution serait définitivement réglé. Et on respirerait mieux.

Ève – Pas d’enfant, comme nous, c’est la seule solution.

Alban – C’est ce que disaient déjà les Cathares.

Ève – Les Cathares, c’étaient des écolos ?

Alban – En tout cas, les Cathares étaient pour l’interdiction de se reproduire.

Ève – Ils avaient bien raison.

Alban – En fait, on est un peu des Cathares.

Ève – Oui… Ce n’est pas nos enfants qui pèseront sur le bilan carbone.

Alban – Le jour où on aura inventé des enfants économes en énergie…

Ève – Des enfants basse consommation.

Alban – Et entièrement recyclables.

Ève – Ce n’est pas demain la veille.

Alban – Je te ressers un peu de vin ? C’est du bio.

Ève – Si c’est du bio, alors…

Noir

 

  1. Atmosphère

 

Alban et Ève, en leur jardin.

Alban – On respire un peu mieux, aujourd’hui, non ?

Ève – Oui. J’ai presqu’envie de sortir sans masque à gaz.

Alban – Je ne sais pas si c’est très raisonnable, tout de même.

Ève – Qu’est-ce qu’ils disent à la radio ?

Alban – Léger rafraîchissement, de 48 à 52 dans la partie nord, vent d’est modéré aux particules fines, risque de pluies acides en fin de journée.

Ève – Je vais prendre un parapluie…

Alban – Ne reste pas trop longtemps dehors tout de même.

Ève – Tu te souviens de l’époque où on pouvait passer des journées allongés sur une pelouse, dans un parc ? Sans combinaison climatisée.

Alban – Je n’arrive pas à comprendre comment on en est arrivé là.

Ève – Je crois que ça s’est vraiment accéléré après l’élection de ce dingue, aux États-Unis.

Alban – Mais ça avait commencé bien avant.

Ève – La question, c’est : où est-ce que ça va finir…

Alban – Il faudrait faire quelque chose, mais quoi ?

Ève – On pourrait arrêter de respirer…

Alban – C’est vrai que ça résoudrait tous nos problèmes…

Ève – Je vais quand même prendre mon masque à gaz.

Alban – Tu as raison. Allez, bonne journée.

Ève – Bonne journée à toi aussi.

Ève s’en va.

Alban – On ne devrait pas plaisanter avec ça…

Noir

  1. Vieux

 

Alban et Ève.

Alban – Qu’est-ce qui nous arrive ?

Ève – Rien. Il ne nous est rien arrivé.

Alban – Qu’est-ce qui se passe, alors ?

Ève – Rien. C’est le temps qui a passé.

Alban – On est vieux ?

Ève – C’est ça.

Alban – Comment c’est arrivé ?

Ève – C’est venu progressivement.

Alban – Et c’est maintenant qu’on s’en rend compte.

Ève – C’est la première fois que ça nous arrive.

Alban – Quoi ?

Ève – Être vieux.

Alban – La prochaine fois, on fera plus attention.

Ève – Oui.

Alban – Tu crois que ça va passer ?

Ève – Je ne sais pas.

Alban – On n’a qu’à attendre.

Ève – Ça finira bien par passer.

Alban – Je n’ai plus de cheveux sur la tête.

Ève – L’année dernière, il n’y avait plus de feuilles sur les arbres et regarde !

Alban – Elles sont en train de repousser.

Ève – Nos cheveux aussi, ils finiront bien par repousser.

Noir

  1. Permanence

 

Alban et Ève.

Alban – On est encore là.

Ève – Où est-ce qu’on pourrait bien être ?

Alban – On pourrait ne plus être là.

Ève – Où est-ce qu’on serait ?

Alban – On ne serait pas.

Ève – Ou on serait quelqu’un d’autre.

Alban – Je serais toi, et tu serais moi ?

Ève – Mais on serait toujours là.

Alban – On est bien là.

Ève – On est au paradis.

Alban – On est en enfer.

Ève – On est sur la Terre.

Alban – Pour l’éternité.

Noir

  1. Terminus

 

Alban et Ève.

Alban – Cette fois, ça y est.

Ève – On est les derniers.

Alban – C’est le dernier soir de la dernière journée.

Ève – Il nous reste combien de temps ?

Alban – Encore une heure d’électricité.

Ève – Après la clim s’arrêtera.

Alban – On va mourir de chaud.

Ève – On meurt déjà de chaleur, non ?

Alban – Mais là, on va vraiment mourir…

Ève – J’ai soif. Il reste à boire ?

Alban – Il reste une pomme.

Elle prend la pomme et lui tend.

Ève – On partage ?

Alban – Je me laisse tenter…

Elle coupe la pomme en deux, et ils mangent chacun leur moitié en silence.

Ève – Notre dernier repas. En tête-à-tête.

Alban – La dernière pomme, du dernier pommier. Avant que le jardin ne soit englouti par les flammes de l’enfer.

Ève – On gardera le goût en bouche pendant quelques minutes. Puis un instant encore le souvenir de cette dernière pomme, partagée entre toi et moi.

Alban – Avant que l’idée même de la pomme et de la tentation ne disparaisse avec nous.

Ève – Et après ?

Alban – Après ?

Ève – Il n’y aura pas d’après…

Alban – Il y aura un après, ailleurs peut-être, mais sans nous.

Ève – C’est comme de mourir, alors. On n’est pas les premiers.

Alban – Non. On est les derniers.

Ève – Les derniers à vivre.

Alban – Les derniers à mourir.

Ève – Et c’est l’humanité qui meurt avec nous.

Alban – Et après ?

Ève – Il n’y aura plus d’avant.

Alban – Plus de souvenir.

Ève – Plus de témoin.

Alban – Plus de passé et plus d’avenir.

Ève – Juste le présent.

Alban – Le monde nous survivra, sans y penser.

Ève – Les planètes continueront de tourner.

Alban – Ce n’est pas la fin du monde.

Ève – C’est la fin d’une histoire. Notre histoire.

Alban – Une histoire qui a mal tourné. Qui a bien commencé et qui a mal fini.

Ève – Quand une histoire finit bien, c’est qu’une autre commence.

Alban – Notre histoire sera la dernière.

Ève – Il n’y a plus rien à raconter.

Alban – Et personne à qui le raconter.

Ève – Qui sera le dernier ?

Alban – Le dernier ?

Ève – Le dernier à rester. Le dernier à partir. Toi ? Moi ?

Alban – Il faut bien un dernier. L’autre suivra.

Ève – On a été heureux. On a été malheureux.

Alban – Il nous reste un passé décomposé.

Ève – Il nous reste une heure.

Alban – Si la clim tient jusque là.

Ève – Et après ?

Alban – Après…

Ève – Après nous le déluge.

Alban – Et aucune arche pour nous sauver des eaux et repeupler le monde. Après.

Ève – S’il y a un après.

Alban – On pourrait laisser un mot.

Ève – Le mot fin.

Alban – Une lettre.

Ève – La lettre Z.

Alban – Un testament.

Ève – Nous sommes les derniers, qui n’ont pas d’héritiers.

Alban – Avec nous s’éteint la lignée des hommes. Et des femmes.

Ève – Nous n’avons rien à léguer, pas même pas la vie.

Ève – Pas même un monde où être mort.

Alban – Le testament de l’humanité, alors. À une autre humanité à venir.

Ève – Qu’est-ce qu’on pourrait leur dire ? Qu’on n’a pas su rester vivants ?

Alban – Il nous reste un quart d’heure. Moins peut-être.

Ève – Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ?

Alban – Parler est inutile.

Ève – Penser ne sert à rien.

Alban – Il fait si chaud.

Ève – Qu’est-ce qu’on peut faire encore ?

Alban – L’amour ? Une dernière fois…

Ève – Il fait si chaud. Je ne sais même plus ton nom.

Alban – Alban. Et toi ?

Ève – Ève…

Alban – Il a fallu que ça tombe sur nous…

Ève – Oui.

Alban – Alors ?

Ève – Je ne sais pas. Je ne sais plus. Pourquoi ?

Alban – On aurait pu s’aimer. Se marier. Faire un enfant.

Ève – On peut encore faire un enfant.

Alban – Oui.

Ève – Mais ça n’aurait pas de sens.

Alban – Je ne parlais pas de faire un enfant. Seulement de…

Ève – Désolée… C’est un principe. Jamais le dernier soir.

Alban – Les principes, c’est tout ce qui nous reste d’humain.

Ève – Pour ne pas redevenir des animaux.

Alban – Avant de cesser tout à fait d’être des hommes.

Ève – Et commencer d’être des choses.

Alban et Ève se préparent à sortir.

Alban – Après toi.

Ève – Merci.

Alban – Nous allons quitter cette île pour nous enfoncer dans les profondeurs de la mer.

Ève – Ou c’est la mer qui nous submergera.

Alban – Avant de remonter lentement par palier à la surface.

Ève – Quand une éternité sera passée.

Alban – Par palier, nous quitterons le royaume des ténèbres.

Ève – Et nous resurgirons encore une fois des abysses pour remonter vers la lumière.

Alban – En ayant tout oublié.

Ève – Un monde disparaît.

Alban – Un autre renaîtra.

Ève – Sera-t-il meilleur que celui-ci ?

Alban – Où que nous soyons, je serai là pour toi.

Ève – Qui que nous soyons, nous serons au moins deux.

Alban – Pour commencer…

Noir.

 

  1. Trois

 

Alban fait les cent pas devant Ève, assise, avant de se décider à parler.

Alban – Tu sais quelque chose ?

Ève – Non.

Il marche à nouveau en long et en large, avant de s’arrêter encore une fois devant elle.

Alban – Si tu savais quelque chose, tu me le dirais.

Ève – Bien sûr… Et toi ? Tu sais quelque chose ?

Alban – Rien. Je ne sais rien.

Un temps.

Ève – Ne rien savoir, comme ça, c’est insupportable…

Alban – Mais si on savait, est-ce que ce ne serait pas pire.

Ève – Va savoir.

Alban – Tu as raison, après tout, il vaut peut-être mieux ne pas en savoir trop.

Ève – Oui… Mais de là à ne rien savoir du tout.

Alban – C’est pourtant vrai… On ne sait rien.

Ève – Absolument rien

Alban – On ne sait même pas nager.

Ève – Non…

Alban – Et on ne sait pas marcher sur l’eau.

Ève – On ne sait pas lacer nos chaussures.

Alban – On n’en a pas.

Ève – On ne sait pas quelle heure il est.

Alban – On ne sait pas quel jour on est.

Ève – On ne sait pas lire.

Alban – À quoi ça nous servirait ? On n’a pas de livres.

Ève – Si on voulait des livres, il faudrait les écrire nous-mêmes.

Alban – Et on ne sait pas écrire.

Ève – Et puis tout ça pour n’avoir qu’un seul lecteur.

Un temps.

Alban – Qu’est-ce qu’on sait au juste ?

Ève – On doit bien savoir quelque chose, quand même…

Alban – Laisse-moi réfléchir… Ah si… On sait compter.

Ève – Ah oui, c’est vrai. On sait compter.

Alban – On recompte ? Pour voir si on n’a pas oublié ?

Ève – Ok. Vas-y, commence.

Alban – Un.

Ève – Plus un.

Alban – Ça fait deux.

Ève – C’est vrai.

Un temps.

Alban – Et après deux, qu’est-ce qu’il y a ?

Ève – Je ne sais pas.

Alban – Deux… Ça suffit, non ?

Ève – Oui. Pour l’instant.

Elle se lève et on voit qu’elle est enceinte.

Alban – Tant qu’on n’est que deux…

Noir

  1. En vers et contre tous

Ève est là, pianotant sur son téléphone portable. Alban arrive.

Ève
Alors  ?

Alban
Rien…

Ève
Rien  ?

Alban
Le poste était déjà pris.

Ève
Si tu n’avais pas mis une semaine à répondre à l’annonce, aussi…

Alban
C’était un poste de vigile. Je suis employé de banque.

Ève
Pour l’instant, tu es surtout un employé de banque au chômage. Qu’est-ce que tu comptes faire ? Trouver un job dans une autre banque ? Toutes les banques licencient, en ce moment ! Elles remplacent leurs employés par des boîtes vocales…

Alban
Merci de me le rappeler… Et toi, comment s’est passée ta journée  ?

Ève
Écoute, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

Alban
Je t’écoute…

Ève
Je suis allée voir mon gynéco ce matin.

Alban
Tu as un cancer ?

Ève
Je suis enceinte.

Alban
C’était la bonne ou la mauvaise nouvelle ?

Ève
Ça dépend un peu de toi en fait.

Alban
Un enfant… C’est ce qu’on voulait, non ?

Ève
Oui… Du temps où tu avais encore un boulot…

Alban
Alors qu’est-ce qu’on fait ? On le garde ?

Ève
Évidemment, on le garde ! En tout cas, moi je le garde…

Alban
Très bien ! Comme tu avais l’air de trouver que c’était un problème…

Ève
Le problème, c’est que le père de ce bébé soit au chômage. Je ne pourrai pas assumer un enfant toute seule… et avoir en plus une deuxième personne à charge.

Alban
Désolé d’être un boulet pour toi, mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Quand on a été employé de banque toute sa vie, on ne sait rien faire…

Ève
Il y a des tas de boulots qu’on peut faire en ne sachant rien faire.

Alban
Je sens que tu vas me reparler du vendeur que cherchent tes parents pour leur quincaillerie…

Ève
Et alors ? C’est une honte de travailler dans une quincaillerie ?

Alban
Excuse-moi de ne pas sauter de joie à la perspective de vendre des marteaux et des clous sous les ordres de ma belle-mère.

Ève
Mais personne ne t’y oblige, mon vieux. Si tu veux trouver un autre boulot plus digne de toi, rien ne t’en empêche.

Alban
Je vais réfléchir…

Ève
Pas trop longtemps… Mon père a besoin de quelqu’un d’urgence. Depuis que ma mère n’est plus assez en forme pour le remplacer au magasin quand il fait ses livraisons…

Alban
Bon…

Ève
Si c’est toi, bien sûr, il te cédera le magasin en gérance quand il prendra sa retraite.

Alban
Et là, pour moi, ce sera perpète…

Ève
Tu serais ton propre patron ! Au lieu d’être un employé de banque…

Alban
Le magasin ne serait pas à moi. Je serais l’employé de ton père.

Ève
Au moins, ça reste dans la famille. Et quand mon père ne sera plus là, tout le bazar sera à toi.

Alban
Tu veux dire à toi…

Ève
C’est un peu pareil, non ?

Alban
Au lieu d’être l’employé de mon beau-père, je serai l’employé de ma femme…

Ève
Tu compliques trop les choses, Alban, c’est ça ton problème. Parfois, il faut savoir se contenter de ce qu’on a.

Alban
On en reparle demain, d’accord ? Je suis fatigué, là.

Ève
Fatigué ? Parce que moi, après mes huit heures de boulot, je ne suis pas fatiguée, peut-être ? Non Alban, je veux une réponse tout de suite…

Alban
D’accord, je vais te donner ma réponse… Je peux quand même passer aux toilettes, d’abord ?

Il sort. Ève se sert un verre, et le vide cul sec. Alban revient.

Ève
Alors ? Qu’est-ce que tu as décidé ?

Alban
Je me suis retiré un temps pour réfléchir
et je suis résolu à ne pas contredire
et la femme qui m’aime et l’enfant que j’attends
ni la mère ni l’épouse, surtout pas ses parents.

Ève semble prise de court.

Ève
C’est-à-dire ?

Alban
J’accepte de bon cœur et je ferai sans faute
ce qu’on attend de moi et s’il faut que je saute
pour cela dans le vide et bien j’obéirai.
Sans le moindre regret désormais je serai
un papa pour mon fils, un mari pour ma femme.
En soldat inconnu je ranimerai la flamme
de nos passions noyées sous un torrent de larmes,
au nom de notre amour je reprendrai les armes.

Ève
Très bien… Je… Dois-je en conclure que tu acceptes ce poste de vendeur à la quincaillerie…?

Alban
Je vendrai des pinceaux et je vendrai des scies
chaque jour que Dieu fait et sans rien y connaître
j’irai même jusqu’à vendre pour gagner notre vie
des rustines de vélos et des boutons de guêtres.

Ève
C’est… C’est parfait… Papa et maman vont être contents… Justement, ils passent ce soir prendre l’apéritif… Je… Je te sers un verre avant qu’ils arrivent ?

Alban
Oui merci volontiers car j’aurai bien besoin
de quelque stimulant pour tenir le crachoir
à tes parents chéris et célébrer leur gloire.
À moins que par miracle ils remettent à demain
la visite vespérale dont ils nous gratifient
chaque jour en rentrant de leur quincaillerie.

Ève
Tu te fous de moi, c’est ça  ?

Alban
Pardon, moi me moquer de ma femme chérie ?

Ève
C’est quoi cette nouvelle façon de parler ? Tu te fiches de moi, et en plus tu te fiches de mes parents !

Alban
J’avoue ne pas saisir ma mie ce que vous dites
Aurais-je en quelque sorte manqué à mon devoir
en usant avec vous de propos illicites ?
Il me semblait pourtant vous avoir fait savoir
que je satisferai demain à vos désirs
et qu’importe les mots que j’emploie pour le dire.

Ève
Ok, j’avoue que c’est très drôle… Maintenant tu peux peut-être passer à autre chose, non ? Où est-ce que tu as appris à parler en alexandrins ? À Pôle Emploi ?

Alban
Ma chère amie je crains de bien vous décevoir,
Si mes mots vous irritent à mon grand désespoir,
je ne dispose hélas d’autre style que le mien
pour m’adresser à vous sans vous faire un dessin.

Ève
Bon… Le principal, c’est que tu acceptes de travailler au magasin. Je n’ai pas encore annoncé la nouvelle à mes parents. Je veux dire pour le bébé. C’est d’ailleurs pour ça que je les ai invités à prendre l’apéro. Ils vont être fous de joie. Et toi qui retrouves aussi du travail… Je crois que là, on peut sortir le champagne.

Alban
Je vais le mettre au frais et puis rincer les coupes
Trois suffisent car enfin en ce qui te concerne
Dans l’état où tu es même loin d’être à terme
Il n’est guère question que seulement tu y goûtes.

Elle lui jette un regard interloqué tandis qu’il sort. Le téléphone sonne. Elle répond machinalement, la tête ailleurs.

Ève
Allô oui c’est bien moi, si c’est vous sans ambages
veuillez bien s’il vous plaît laisser votre message.
Reprenant ses esprits.
Oui maman… Non, non, tout va bien, je t’assure… Oui, oui, je lui en ai parlé… Écoute, je suis assez surprise, mais cette fois, il a l’air d’accord pour accepter la proposition de papa… Non, non, il n’y a pas de mais… Mais… (Alban revient) Écoute, je te le passe, tu vas comprendre… (À Alban) C’est maman, tu veux lui dire un mot ?

Alban prend le combiné en souriant.

Alban
Le bonjour belle-maman, quand on parle du loup…
Nous parlions justement il y a peu de vous.
Votre fille m’a transmis les plans de votre époux.
Aurons-nous le plaisir de dîner avec vous ?
Un temps pendant lequel il écoute la réponse.
Je suis fort aise Madame de cet heureux accord
nous le célébrerons mais il faudra d’abord
que vous vous prépariez à un nouveau faire-part
qui pourrait je l’espère plus encore vous ravir.
Ma moitié s’impatiente de vous entretenir
et elle piaffe devant moi dans l’attente de vous voir.

Il repasse le combiné à Ève, et sort.

Ève
Oui maman… Quelque chose de changé ? Non, maman, ce n’est seulement pas sa voix… Oui, ce serait plutôt… Je ne pense pas que ce soit du rap non plus. C’est ça. Il parle en vers. Comme Molière. Non, je ne te dis pas que Molière parlait en vers. Je pense aussi que la plupart du temps, il parlait en prose, comme tout le monde…

Un temps pendant lequel elle écoute la réponse.

Ève
Maman je vous l’avoue, je suis au désespoir
Je pensais mon époux enfin digne d’être père,
en acceptant la charge d’employé du bazar
et voilà qu’il se met à réciter des vers.

Un temps pendant lequel elle écoute la réponse.

Ève
Je viens de te parler en alexandrins ? Alors moi aussi… Mais c’est atroce ! C’est sûrement une maladie. Je ne sais pas où il a attrapé ça. Tu crois que ça peut être contagieux ? Des vers qui sortent de notre bouche comme ça, sans aucun contrôle… C’est une véritable diarrhée… On va commencer par prendre tous les deux un puissant vermifuge. Oui, tu as raison, je vais aussi prendre rendez-vous chez un orthophoniste, et vérifier que tous nos vaccins sont bien à jour. Je sais, maman, pour être vendeur dans une quincaillerie, parler en alexandrins, ce n’est vraiment pas possible… Non, pour ce soir, il vaut mieux annuler. Tenez-vous éloignés de nous pendant quelque temps, on ne sait jamais. Tant qu’on n’a pas les résultats des examens, une quarantaine s’impose. La nouvelle que j’avais à vous annoncer ? Oh mon Dieu, c’est vrai… Et si lui aussi… Écoute, je vous rappelle, d’accord.

Elle raccroche, songeuse.

Ève
Jamais mère ne connut une telle avanie
depuis qu’Adam et Ève quittèrent le paradis
Nous étions ce matin des Français très moyens
et nous parlons ce soir en vers alexandrins.
Elle pose sa main sur son ventre.
Si les parents s’avèrent à ce point trop déments
ne vaudrait-il pas mieux ce serait plus honnête
de cet enfant maudit se défaire maintenant
avant qu’il ne devienne à son tour un poète ?

Noir

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.
Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Alban et Ève Lire la suite »

Un petit meurtre sans conséquence

An innocent little murder –  Un pequeño asesinato sin consecuencias –  Um pequeno assassinato sem consequências –  Un picolo omicidio senza conseguenze –  VRAŽDIČKA BEZ NÁSLEDKŮ 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

3 personnages : 1 homme et 2 femmes OU 2 hommes et 1 femme

De l’adultère involontaire à l’homicide du même nom, il n’y a qu’un pas, aisément franchissable. Plus difficile est de faire disparaître le corps du délit…


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1 homme et 2 femmes
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Un petit meurtre sans conséquence

De l’adultère involontaire à l’homicide du même nom, il n’y a qu’un pas, aisément franchissable. Plus difficile est de faire disparaître le corps du délit…

Personnages

Alban – Ève – Christelle

Acte 1

Un salon bourgeois-bohème, quelque peu en désordre. Un téléphone portable abandonné par terre sonne dans le vide. Alban arrive, visiblement préoccupé. Il a du sang sur les mains. Il regarde le portable sans le prendre.

Alban – Et merde…

Le portable cesse de sonner. Il sort un mouchoir, prend délicatement le portable avec et le glisse dans sa poche. Il remet à la hâte un peu d’ordre dans la pièce. Il ramasse sur le sol une chemise maculée de sang, qu’il examine effaré.

Alban – Oh, non, ce n’est pas vrai…

On sonne. Il fourre la chemise sous un coussin du canapé. Nouvelle sonnerie.

Alban – J’arrive !

Il disparaît un instant pour aller ouvrir et revient à la suite d’Ève, sa femme.

Ève – Excuse-moi, j’ai encore oublié mes clefs. De toute façon, tout va de travers, aujourd’hui. J’étais commise d’office pour défendre une femme accusée d’homicide volontaire. Tu vas rire. Une bricoleuse qui a découpé son mari en trois morceaux à la scie-sauteuse. Et figure-toi que… (Elle s’interrompt en remarquant qu’Alban ne l’écoute pas) Ça n’a pas l’air d’aller, toi… Tu bloques toujours sur ta nouvelle idée de pièce ?

Alban – Oui, mais ce n’est pas le problème…

Ève – Tu commences à me faire peur. C’est quoi le problème ? Ne me dis pas que ta mère vient dîner ?

Alban – Non, non, rassure-toi…

Il s’assied sur le canapé.

Ève – Dans ce cas, ça ne peut pas être si grave que ça. À propos, qu’est-ce que tu veux manger ? Je n’ai pas trop envie de faire la cuisine… On pourrait commander des sushis, et les manger en regardant la télé, non ?

Alban – Oui… Enfin, non… Je n’ai pas trop la tête à ça, tu vois.

Ève – Je ne savais pas qu’il fallait avoir la tête à ça pour s’enfiler quelques sushis… (Elle s’assied à côté de lui sur le canapé et l’embrasse.) Ce n’est pas comme si je te proposais de me prendre sauvagement, là tout de suite, sur le tapis du salon. (Devant son manque d’entrain) Quel enthousiasme… Je vais commander deux menus d’abord. L’avantage avec les sushis, c’est que ça ne risque pas de refroidir…

Alban – Ce n’est pas comme les cadavres.

Ève marque son étonnement en entendant cette remarque morbide.

Ève – Bon… En attendant la livraison, tu me raconteras tes malheurs et je ferai l’impossible pour te rendre ta joie de vivre… (Elle prend son portable et commence à composer un numéro.) Sucrée ou salée ?

Alban – Quoi ?

Ève – La sauce, pour les sushis ! Sucrée ou salée ?

Alban – Je ne sais pas…

Il se lève et fait les cent pas dans la pièce.

Ève – Une de chaque, comme d’habitude… (À son correspondant) Oui, c’est pour une livraison à domicile. Deux menus California. C’est ça, 9 rue Jules Ferry… Alors une sucrée et une salée. Très bien, merci… (Elle range son portable.) Dans une demi- heure… Allez, viens t’asseoir à côté de moi. Maman va s’occuper de toi… (Elle déplace un coussin pour lui faire une place, aperçoit la chemise ensanglantée qui dépasse et la tire vers elle.) Qu’est-ce que c’est que cette horreur ? Qu’est-ce qui s’est passé ici ? (Voyant le sang sur ses mains) Tu t’es blessé ?

Alban – Non, je… Ce n’est pas ma chemise, et ce n’est pas mon sang non plus…

Ève – C’est le sang de qui, alors ?

Alban – Écoute, Ève, je crois que j’ai tué quelqu’un…

Ève (incrédule) – Tu crois ? Qu’est-ce que tu racontes ?

Alban – Non, en fait… je ne crois pas… J’en suis sûr…

Ève – Mais enfin, Alban, ce n’est pas possible. On ne tue pas quelqu’un comme ça. Regarde, moi par exemple. J’ai souvent eu envie de tuer ta mère, et je ne l’ai pas encore fait. Et tu sais pourquoi ?

Alban – Non…

Ève – Mais parce que je ne suis pas une criminelle, voilà pourquoi ! Je ne suis pas dans la pulsion. Je réfléchis. Je pèse le pour et le contre. Et je me dis que vingt ans de prison, ce serait quand même trop cher payer pour le plaisir que ça me procurerait sur l’instant d’étrangler ta mère.

Alban – Il faut croire que les hommes résistent beaucoup moins bien à leurs pulsions.

Ève – Écoute, Alban, j’en vois tous les jours, des criminels, au Palais de Justice. Et crois-moi, tu n’as pas du tout le profil pour le rôle…

Alban – Je croyais ça, moi aussi… Jusqu’à tout à l’heure.

Ève – C’est une idée pour ta nouvelle pièce !

Alban – Pardon ?

Ève – L’histoire d’une femme qui rentre chez elle après sa journée de boulot, et à qui son mari annonce qu’il a tué son amant ? Tu veux tester ton idée sur moi, c’est ça ?

Alban – Putain, Ève, j’ai tué quelqu’un, comment il faut te le dire pour que tu me crois ?

Ève – C’est qu’il ne suffit pas de se prétendre assassin, tu sais ? Il faut encore le prouver.

Alban – Ah oui… ?

Ève – Si tu savais le nombre de gens qui s’accusent à tort d’un crime qu’ils n’ont pas commis. Tiens, la semaine dernière, au tribunal, je défendais un scout accusé d’avoir assassiné un curé. Et bien tu vas rire, mais il y avait une demi-douzaine d’autres louveteaux qui se vantaient de l’avoir tué aussi… Il a fallu que je me batte pour réussir à convaincre le juge que c’était bien mon client le coupable.

Alban – Bon… Et comment tu t’y es prise ?

Ève – C’est très simple… Il n’y a que lui qui savait sous quel arbre il avait enterré le cadavre du saint homme.

Alban – Et alors ?

Ève – Et alors…? Where is the body ?

Alban – Il est à côté dans la cuisine.

Ève semble soudain se rendre compte de la gravité de la situation.

Ève – Dans la cuisine ? Tu plaisantes…

Alban – Tu veux aller voir ?

Ève regarde en direction de la cuisine, hésite, mais renonce.

Ève – Mais… qu’est-ce qui s’est passé ? Et puis c’est qui, d’abord ?

Alban – C’est… Patrick.

Ève – Patrick ?

Alban – Patrick.

Ève – Oh, non… Pas Patrick…

Alban – Tu aurais préféré que j’assassine quelqu’un d’autre ?

Ève – Oh mon Dieu, Alban… Dis-moi que ce n’est pas vrai…

Alban – J’aimerais bien… Malheureusement…

Ève – C’est une blague, c’est ça ?

Alban – C’est sa chemise que tu as entre les mains. Regarde… Il y a ses initiales gravées sur les boutons de manchette.

Ève jette un regard halluciné sur les boutons de manchette.

Ève – P. S. …

Alban – Patrick Sanchez. D’ailleurs, on ne connaît personne d’autre qui met encore des boutons de manchette à part le jour de son mariage.

Ève – Mais enfin Alban… pourquoi ?

Alban – C’était un accident…

Ève – Un accident ? Tu veux dire… un accident domestique ?

Alban – On peut appeler ça comme ça, oui…

Ève – Développe ! Tu taillais les haies dans le jardin, tu n’as pas vu qu’il était juste derrière en train de pisser, et tu lui as tranché… la carotide ? Si c’est quelque chose comme ça, t’inquiète pas, ce n’est pas un crime. Avec un bon avocat…

Alban – Hélas, ça ne s’est pas vraiment passé de cette façon-là…

Ève – Comment ça s’est passé, alors ?

Alban – Disons plutôt que c’était… un homicide involontaire.

Ève – Comment ça involontaire ?

Alban – On a eu une discussion.

Ève – Une discussion ? Tu veux dire une dispute ?

Alban – Oui, c’est ça… Une dispute, si tu veux…

Ève – Une violente dispute, donc…

Alban – Assez violente pour que je le tue, en tout cas. Mais j’ai déjà l’impression de répondre à un interrogatoire.

Ève – Pardon… Déformation professionnelle.

Alban – Ce qui est sûr, c’est que je l’ai tué.

Ève est effondrée.

Ève – Tout ça c’est de ma faute…

Alban – Quoi ?

Ève – Enfin, pas directement, mais bon…

Alban – Comment ça, c’est de ta faute ?

Ève – Je ne te laisserai pas tomber, Alban. Un crime passionnel, ça se plaide très bien, tu sais.

Alban – Un crime passionnel ? Tu veux dire… moi et Patrick ?

Ève – Tu l’as tué parce que j’ai couché avec lui, c’est ça ?

Alban (sidéré) – Tu as couché avec Patrick ?

Moment de flottement.

Ève – Ce n’est pas pour ça que tu l’as tué ?

Alban – Je ne savais pas que tu avais couché avec lui !

Ève – C’était il y a longtemps…

Alban – Combien de temps ?

Ève – Je ne sais plus… Six mois, environ…

Alban – C’est ça que tu appelles longtemps… Bientôt tu vas me dire qu’il y a prescription, aussi ?

Ève – C’était… un accident.

Alban – C’est ça… Un accident domestique ?

Ève – Ce n’était pas une liaison, Alban… Ça ne s’est produit qu’une fois. Je ne l’ai jamais aimé…

Alban – Ça me rassure beaucoup, en effet… Que tu puisses coucher avec des types que tu n’aimes pas.

Ève – Pas des types ! Il s’agit seulement de Patrick, je t’assure. C’était un simple malentendu ! Patrick ! Non mais tu m’imagines avec Patrick !

Alban – Je te rappelle que c’est mon meilleur ami.

Ève – Je te rappelle que tu l’as tué…

Alban – Et comment c’est arrivé, alors ?

Ève – C’était… un quiproquo.

Alban – Je vois… Un adultère involontaire, en quelque sorte…

Ève – Exactement !

Alban – Je n’ai jamais entendu une explication aussi pourrie. Alors c’est ça ta ligne de défense ?

Ève – Ne renversons pas les rôles, tu veux bien ? C’est toi qui as commis un crime, pas moi. Et maintenant, ça va être à toi de t’expliquer avec la police.

Alban – Parce que tu comptes me dénoncer à la police ?

Ève – Que veux-tu qu’on fasse d’autre ?

Alban – C’est ce que je voulais faire, en effet. Avant que tu arrives. Mais maintenant que je sais que Patrick est ton amant… on ne va jamais croire à l’homicide involontaire !

Ève – Ça va être de ma faute, maintenant ! Et puis ce n’est pas mon amant, comme tu dis. On n’a couché qu’une fois ensemble !

Alban – Quoi qu’il en soit, on croira à une vengeance. À un acte prémédité. Je prendrai perpète !

Ève – On leur expliquera…

Alban – Pour l’adultère involontaire, tu veux dire ?

Ève – Eh ! Moi, je n’ai tué personne, d’accord ?

Un temps.

Alban – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Comment ça, on ?

Alban – Tu ne vas pas me laisser tomber ? Tu me trompes avec mon meilleur ami, et maintenant que je l’ai tué, tu t’en laves les mains ?

Ève – Quand tu l’as tué, tu ne savais pas encore que j’avais couché avec lui !

Alban – Ne jouons pas sur les mots, tu veux ?

Ève – D’ailleurs, c’est vrai. Pourquoi tu l’as tué, Patrick, au fait ?

Alban – Une histoire stupide.

Ève – Je t’écoute…

Alban – Disons que… Il m’a avoué qu’il n’avait pas du tout aimé ma dernière pièce.

Ève – Ta dernière pièce ? Micro-ondes ?

Alban – D’accord, ce n’était peut-être la meilleure.

Ève – Elle a fait un four.

Alban – Je te remercie d’avoir la délicatesse de me le rappeler…

Ève – Je t’avais dit qu’il fallait changer le titre… Et c’est pour ça que tu l’as tué ? Parce qu’il t’a dit qu’il n’avait pas aimé cette pièce, que de toute façon, tout le monde a trouvé à chier ?

Alban – Il faut croire que ça a réveillé entre nous une rivalité latente depuis des années. On a toujours été en concurrence, avec Patrick. Pour ce qui est des filles, entre autres. Déjà, au lycée…

Ève – Bon, et après ?

Alban – On en est venus au main. Il a glissé et s’est cogné la tempe sur le coin de la table.

Ève – Vu tout ce sang sur la chemise, je pensais plutôt à une blessure par arme blanche.

Alban – Le sang giclait de partout. Par les yeux, par le nez, par les oreilles. Il a convulsé pendant un bon quart d’heure. Et puis plus rien.

Ève – Et tu n’as pas eu l’idée d’appeler le SAMU ?

Alban – Non mais je te dis un quart d’heure, c’était peut-être quelques minutes ou quelques secondes. J’étais paniqué. Tétanisé. Je ne me suis pas rendu compte. Quand je me suis décidé à appeler, c’était déjà trop tard… (On sonne, Alban a l’air inquiet.) Tu crois que c’est eux ?

Ève – Qui ? Le SAMU ?

Alban – La police !

Ève – Si tu ne les as pas appelés…

Alban – Les voisins ont peut-être entendu quelque chose.

Ève – Ah, non, ça doit être Christelle…

Alban – Christelle ? La femme de Patrick ? Mais comment elle serait déjà au courant ?

Ève – Elle n’est pas au courant. Elle m’a appelée il y a une heure. J’avais complètement oublié. Elle voulait me parler de quelque chose d’important. Je lui ai dit de passer…

Alban – On n’ouvre pas.

Ève – Elle va trouver ça bizarre. Je lui ai dit que j’étais là.

Alban – Tu as raison… Alors vas-y, toi. Moi je vais me planquer dans la cuisine.

Ève – Tu ne crois pas qu’on ferait mieux de tout lui dire ? Et qu’on en finisse…

Alban – Lui dire que le cadavre de son mari est allongé sur le carrelage juste à côté, dans une mare de sang ? Tu crois vraiment que c’est la bonne méthode pour lui annoncer qu’elle est veuve ?

La sonnette retentit à nouveau.

Ève – Ok… Je vais essayer de l’expédier, et on avise après.

Alban – Surtout, tu ne la laisses pas entrer dans la cuisine.

Alban part se cacher dans la cuisine. Ève va ouvrir, après avoir remis la chemise sous le coussin.

Ève – J’arrive !

Ève sort et revient un instant après avec Christelle.

Christelle – Excuse-moi de passer comme ça à l’improviste. Patrick n’est pas chez vous, au moins ?

Ève – Patrick ? Quelle drôle d’idée… Non, pourquoi ?

Christelle – Je croyais avoir aperçu son scooter en bas, mais bon. Un scooter ou un autre. Ils se ressemblent tous, non ?

Ève – Si… Oui…

Christelle – Et Alban ?

Ève – Si, si, il est là, mais… il est en train de travailler. Sur sa nouvelle pièce. Et tu le connais, quand il écrit…

Christelle – Je comprends… Surtout après le bide qu’il a fait avec sa dernière pièce… Comment ça s’appelait, déjà ?

ÈveMicro-ondes.

Christelle – C’était évident qu’elle allait faire un four.

Ève – J’imagine que tu n’es pas venue pour me parler de ça…

Christelle – Je suis vraiment désolée de vous déranger. Je sais que ce n’est pas le bon moment, mais c’est important.

Ève – Mais bien sûr, enfin ! Tu ne me déranges pas. Si on ne peut pas compter sur ses amis quand on a besoin d’eux… Tu veux boire quelque chose ?

Christelle – Non, merci, ça ira…

Ève – Tant mieux… (L’autre la regarde un peu surprise) Non, je veux dire… Je t’en prie, assieds-toi… (L’autre s’apprête à s’asseoir sur le canapé, près du coussin sous lequel est cachée la chemise) Euh… non, assieds-toi plutôt là, tiens.

Ève indique à Christelle un tabouret ou un pouf plutôt inconfortable.

Christelle (s’asseyant) – D’accord…

Ève – Non, parce que dans ces canapés, tu sais ce que c’est… On a vite fait de s’endormir. Je suis un peu crevée et… je veux absolument être concentrée pour t’écouter… (Elle prend un siège similaire et s’assied aussi.) Alors qu’est-ce que tu avais de si important à me dire ?

Christelle – Eh bien… Tu ne vas pas le croire… Je viens de découvrir que Patrick me trompe.

Ève – Non ? Et tu ne le savais pas ?

Christelle – Ben… non. Pourquoi, tu le savais, toi ?

Ève – Pas du tout ! Je voulais dire… Et tu sais avec qui ?

Christelle – Pas exactement.

Ève – Tant mieux, tant mieux…

Christelle – Comment ça, tant mieux ?

Ève – Non, je veux dire, est-ce que ce ne serait pas encore pire que tu saches avec qui ?

Christelle – Je ne sais pas…

Ève – Et puis quelle importance, après tout. L’essentiel, c’est qu’il te trompe, non ?

Christelle – Oui… Enfin si, tu as raison. Le pire, ce serait qu’il me trompe avec quelqu’un que je connais.

Ève – Ben oui…

Christelle – Tu imagines ? Tu apprends que ton mari te trompe avec ta meilleure amie ?

Ève – Mais qu’est-ce que tu racontes…?

Christelle – Non mais rassure-toi. Moi, je ne te ferais jamais un truc pareil.

Ève – Merci.

Christelle – En tout cas, c’est fini. Je vais divorcer.

Ève – Ne t’emballe pas trop vite non plus… Ce n’est pas un peu rapide, comme décision ? C’était peut-être un accident…

Christelle – Un accident ? Comment ça ? Tu crois qu’on rentre dans quelqu’un comme ça, toi ? Par inadvertance ? Parce qu’on avait la tête ailleurs ? Après on se contente de faire un constat, et c’est l’assurance qui paye ?

Ève – Non, évidemment, mais…

Christelle – Et en revenant le soir à la maison, le type dit simplement à sa femme : à propos, j’ai oublié de te dire, j’ai eu un petit accident, j’ai embouti la voisine.

Ève – Il a embouti la voisine ?

Christelle – Non, mais j’ai dit ça comme ça ! C’est un exemple. Tu es sûre que ça va, toi ? J’ai l’impression que cette histoire te bouleverse encore plus que moi.

Ève – Je me fais du souci pour toi. Vous étiez un couple tellement… Quand on disait Patrick et Christelle, c’était…

Christelle – Comme de dire Alban et Ève.

Ève – Alors imaginer que vous allez vous séparer…

Christelle – Comme quoi, tu vois ? Rien n’est éternel.

Ève – C’est vrai qu’Adam et Ève, déjà, ça ne s’est pas très bien terminé.

Christelle – En tout cas, plus jamais je ne dormirai sous le même toit que ce salopard.

Ève – Je comprends, bien sûr…

Christelle – Et je compte sur toi pour mon divorce, hein ?

Ève – Tu crois ? Je ne sais pas si… Je vous connais tous les deux, ça pourrait être embarrassant.

Christelle – Tu plaisantes ? C’est toi mon amie ! Patrick, c’est plutôt le pote d’Alban. Nous deux, on se connaissait bien avant de les rencontrer, non ?

Ève – C’est vrai…

Christelle – Tous des porcs, je t’assure… Enfin, je ne dis pas ça pour Alban, évidemment.

Ève – C’est clair.

Christelle – Encore que tous les deux, entre nous, ils font bien la paire, va…

Ève – N’exagère pas non plus… Je t’assure qu’Alban…

Christelle – Attends, il va le sentir passer, ce divorce. Tu es une tueuse, oui ou non ?

Ève – Pardon ?

Christelle – Comme avocate ! Tu es une tueuse, non ? En tout cas, c’est la réputation que tu as.

Ève – Ah bon ?

Christelle – C’est Paloma qui m’a dit ça. Tu sais, tu t’es occupée de son divorce.

Ève – Ah oui ?

Christelle – Mais si ! Elle était mariée avec un dentiste. Un gros cabinet dans le seizième. Apparemment, sur son fauteuil à bascule, ses patientes n’ouvraient pas seulement la bouche pour se faire soigner les dents… Bref, il paraît que son mari, tu l’as laissé à poil.

Ève – Il ne faut rien exagérer… Ce n’est pas exactement le rôle d’une avocate, tu sais… Un divorce, c’est d’abord l’échec d’un projet de vie commune. Nous sommes d’abord là pour rendre cette séparation moins douloureuse…

Christelle – Ne sois pas si modeste. Je sais que tu es une tueuse. Et je te préviens, Patrick, je veux le saigner à blanc.

Alban revient, avec un tablier taché de sang.

Alban – Bonjour.

Christelle – Je te croyais en train d’écrire ta nouvelle pièce à succès…

Alban – Je faisais un peu de cuisine en même temps…

Christelle – Tiens donc…

Alban – Tu sais, l’écriture, ça a beaucoup à voir avec la cuisine… De bon ingrédients au départ. Une bonne recette. Un peu de sel. Un peu de piment. Après, il suffit de laisser mijoter…

Christelle – D’accord… Je ne savais pas qu’en plus, tu étais un cordon bleu… Et c’est quoi, ta spécialité ?

Alban – Le pâté de sanglier.

Ève – Sa fameuse recette secrète. Quand il fait ça, personne n’a le droit d’entrer dans la cuisine…

Alban – Et toi, ça va ?

Ève – Patrick nous a quittés… Je veux dire, Christelle… Elle a décidé de quitter Patrick…

Alban – Non ?

Christelle – Je viens d’apprendre que ce salopard me trompait. Tu étais au courant de quelque chose, toi ?

Alban – Moi ? Mais pas du tout ! Pourquoi j’aurais été au courant de quelque chose ?

Christelle – La solidarité masculine, je sais ce que c’est. Quand il s’agit de fournir un alibi pour un copain. Ou même une chambre d’amis…

Alban – Je t’assure que tu fais fausse route, Christelle… Enfin ! On est amis. Comment tu peux croire que…

Christelle – Excuse-moi, c’est les nerfs… Je commence à dire n’importe quoi.

Ève – Tu vas rester ici un moment, le temps de te calmer un peu. Ensuite tu rentreras te coucher chez toi et on reparlera de tout ça demain. À tête reposée. D’accord ?

Christelle – Chez moi ? Je t’ai dit, il n’en est pas question ! D’ailleurs, je profite que vous êtes là tous les deux pour vous demander un service…

Alban – Oui…?

Christelle – Est-ce que cela vous dérange que je dorme ici, cette nuit ?

Ève – C’est-à-dire que…

Christelle – Demain, je trouverai une solution… Ou j’irai m’installer chez ma mère. Mais ce soir, là… (Elle se met à sangloter) J’ai besoin d’être un peu entourée… Et vous êtes mes seuls amis…

Ève s’approche d’elle pour la consoler.

Ève – Mais oui, évidemment…

Christelle – Je savais que je pouvais compter sur vous… Je me vois mal parler de ça à ma mère tout de suite. Elle détestait Patrick. Elle m’a toujours dit que c’était un homme à femmes. Malheureusement, elle avait bien raison. Mais je n’ai pas envie d’écouter ses leçons de morale pour l’instant. Tandis qu’avec vous…

Ève – Mais bien sûr, on est là. Hein, Alban ?

Christelle – Vous êtes de vrais amis. Ça me touche beaucoup…

Christelle tombe dans les bras d’Ève.

Ève – Ne t’inquiète pas, ça va s’arranger… Enfin, j’espère…

Alban – Je vous laisse entre filles, je vais finir mon pâté…

Ève le regarde partir, horrifiée.

Christelle – Si je l’avais là, en face de moi, je ne sais pas de quoi je serais capable, je te jure… Moi aussi, il me prend des envies de le réduire en chair à pâté, ce porc.

Ève – Allez, ne dis pas ça…

Christelle (essuyant ses larmes) – Je suis vraiment désolée de t’imposer cette épreuve.

Ève – Ça va mieux ?

Christelle – Un peu… Mais je veux bien quelque chose à boire maintenant…

Ève – Euh… Oui… Qu’est-ce que tu veux ?

Christelle – Un verre d’eau du robinet, ça ira très bien. Mais ne te dérange pas, je vais aller me servir à la cuisine.

Ève – Non !

Christelle (surprise) – Ah oui, c’est vrai, j’oubliais… Le pâté de sanglier.

Ève – Ce qu’il te faut, c’est quelque chose de fort, crois-moi.

Christelle – Je ne sais pas si…

Ève – Je t’accompagne. Moi aussi, j’ai besoin d’un petit remontant.

Christelle – Ah oui ?

Ève sort d’un buffet une bouteille et deux verres qu’elle remplit. Ève lève son verre pour trinquer.

Ève – Allez, on ne va pas se laisser abattre, hein ? (Se troublant) On va s’en sortir…

Elle éclate en sanglots, et c’est cette fois Christelle qui s’approche pour la consoler.

Christelle – Je savais que tu étais une amie, mais franchement, je ne pensais pas que ça t’affecterait comme ça…

Ève se reprend.

Ève – Allez, on va trinquer. Ça ne fera pas revenir Patrick, mais ça va nous détendre.

Elle vide son verre, cul sec. Christelle l’imite.

Christelle – Eh ben… Ça réveillerait un mort…

Ève – Si seulement…

Christelle – Qu’est-ce que c’est ?

Ève – De l’alcool de pomme de terre.

Christelle – Ah oui, c’est… On sent bien le… Ça n’a pas trop de goût, en fait, si ?

Ève – Non.

Christelle – En tout cas, ça dégage bien les bronches…

Ève (absente) – Oui…

Silence.

Christelle – Comment j’ai pu être aussi conne…?

Ève – Pardon ?

Christelle – Avec Patrick ! Je n’ai rien vu venir…

Ève – Il va peut-être revenir… C’est juste un cauchemar, tu vas voir, et on va tous se réveiller.

Christelle – Malheureusement, je ne crois pas… Tu me demandais tout à l’heure si je savais qui c’était…

Ève – Qui ?

Christelle – Celle avec qui Patrick m’a trompée !

Ève – Et alors ?

Christelle – Si encore il n’y en avait qu’une…

Ève – Comment ça ?

Christelle – J’ai découvert par hasard, en craquant le mot de passe de son ordinateur soi-disant de boulot, que Patrick avait un compte sur un site de rencontres…

Ève – Un site de…

Christelle – Rencontresanssurlendemain.com… Ce n’est pas avec une femme qu’il me trompe, Ève. C’est avec des centaines !

Ève – Non ?

Christelle – C’est un véritable obsédé sexuel, je te dis. Des vieilles, des jeunes, des grosses, des minces, des blondes, des brunes… Pour ça, il n’est pas difficile. Il tire tout ce qui bouge.

Ève – Ah oui…?

Christelle – Je le découvre, je t’assure… Et si tu voyais leurs chattes…

Ève – Ah parce qu’en plus, il met les photos de…

Christelle – Non, je voulais dire… leurs tchats. Sur ce site de rencontres.

Ève – Bien sûr. Il y a des limites, tout même.

Christelle – Ouais, ben les limites, je peux te dire que Patrick, il les repousse assez loin quand même…

Ève – Non ?

Christelle – Si tu lisais ces conversations, je te jure… Je le découvre, je te dis. Parce qu’avec moi, tu vois, c’est plutôt plan-plan…

Ève – Oui, avec moi aussi… Je veux dire, avec Alban.

Christelle – Méfie-toi. On croit les connaître, et puis un jour…

On entend un bruit de couteau électrique, de taille-haie ou de tronçonneuse…

Ève – Il est en train de tailler les haies…

Christelle – En faisant son pâté de sanglier ?

Le bruit redouble.

Ève – Je ferais peut-être mieux d’aller voir ce qu’il fait… Je te laisse t’installer dans la chambre d’amis ?

Christelle – D’accord. Ne te dérange pas, je connais le chemin… Et encore merci pour tout.

Christelle sort. Alban revient.

Alban – Où est-ce qu’elle est passée ?

Ève – Je l’ai étranglée et je l’ai mise dans la baignoire en attendant. Autant supprimer tous les témoins gênants.

Alban – Tu n’as pas fait ça ?

Ève – Mais non, évidemment ! Et toi ? Tu peux m’expliquer ce qui se passe ? C’est quoi, ce boucan ?

Alban – Je ne pouvais pas le laisser là au milieu de la cuisine.

Ève – Et alors ?

Alban – Je l’ai mis dans le congélo. Le temps qu’on décide ce qu’on fait du corps.

Ève – Et entre-temps, tu as taillé les haies ? Dans la cuisine ?

Alban – Non, mais… comme ça ne rentrait pas en un seul morceau…

Ève – Oh mon Dieu… Mais ce n’est pas possible… Comment on a pu en arriver là, Alban ? J’appelle la police tout de suite.

Elle sort son portable.

Alban – Tu veux m’envoyer en prison ?

Ève – C’est la place des criminels, non ?

Alban – Je te répète que c’était un accident.

Elle se ravise.

Ève – Tu es sûr qu’il est mort, au moins ?

Alban – Tu veux dire : est-ce que je suis sûr qu’il était vraiment mort avant que je le découpe en trois morceaux avec le taille-haie ?

Ève – Je n’aurais jamais pensé entendre ça un jour de la bouche de l’homme que j’ai épousé.

Alban – Tu connais la formule… Pour le meilleur et pour le pire… Il fallait y penser avant.

Ève – Avant quoi ?

Alban – Avant de me tromper avec Patrick, en tout cas…

Ève – Tu es devenu fou, Alban. Tu as besoin qu’on t’aide. Tu le dis toi-même, c’est un homicide involontaire. On plaidera la folie passagère.

Ève compose un numéro.

Alban – Ne fais pas ça…

Ève – C’est la seule solution, je t’assure.

Alban – Tu seras considérée comme complice.

Ève – Et pourquoi ça ?

Alban – Sa femme est là. Tu ne lui as rien dit.

Ève – Mais pourquoi est-ce que je t’aurais aidé à faire ça ?

Alban – Parce qu’il te trompait toi aussi ! Tu voulais te venger.

Ève – Comment ça, il me trompait ?

Alban – Je vous ai entendues tout à l’heure. Je le connais, moi, son compte sur ce site de rencontres…

Ève – Alors tu étais au courant ?

Alban – Tu sais, quand il s’agit de niquer, les hommes sont très vantards… Parfois on se demande même s’ils ne trompent pas leurs femmes juste pour le plaisir de pouvoir se vanter de leur tableau de chasse auprès de leurs copains. C’est leur côté chasseurs…

Ève – Et tu ne m’as rien dit ?

Alban – À quoi ça t’aurait servi de le savoir ? À part de te mettre dans une situation embarrassante par rapport à Christelle…

Ève – Je vois, c’était pour me protéger en somme. Quoi qu’il en soit, moi, je n’avais aucune raison de tuer Patrick.

Alban – Tu trouves…?

Ève – Pourquoi j’aurais fait ça ?

Alban – La jalousie, toi aussi. Comme Christelle…

Ève – Mais tu es dingue…

Alban – Tu croyais être la seule. Tu n’as pas supporté de découvrir que tu n’étais qu’une de ses nombreuses conquêtes. Et quand je t’ai dit que je voulais le tuer, tu m’as aidé. Pour effacer toute trace de ta faute, en quelque sorte.

Ève – Tu es vraiment fou, Alban !

Alban – On est fous tous les deux. Qui se ressemble s’assemble. Je vois d’ici les titres des journaux : « Le couple diabolique dépèce le cadavre du mari de leur meilleure amie, et le garde dans leur congélateur. Avant de dîner tranquillement dans la pièce d’à-côté avec la veuve… »

Ève – Tu raconterais une histoire pareille à la police ! Rien que pour m’entraîner avec toi dans ta chute. C’est monstrueux !

Alban – Mais ce n’est pas moi qui raconterais ça ! C’est ce que pensera le juge. Même si je soutiens que je suis le seul coupable, il sera convaincu que je veux te protéger.

Elle semble déstabilisée.

Ève – Tu crois ?

Alban – Quoi qu’il en soit, ce sera la fin de ta carrière d’avocate. Comment confier son divorce à quelqu’un qui découpe ses amants au taille-haie ?

Ève – Tu as raison, malheureusement…

Alban – Et puis tu te vois raconter au juge que tu m’as trompé par inadvertance ?

Ève – Mais c’est pourtant vrai, je t’assure !

Alban – Un adultère involontaire ? Raconte-moi ça, pour voir si moi, tu arrives à me convaincre…

Ève – C’était le week-end où tu étais parti à Lille pour la première de Micro-ondes, justement. Moi j’avais dû aller à Bordeaux pour un procès qui finalement a été reporté.

Alban – Dis plutôt que tu ne voulais pas assister à ce naufrage…

Ève – Quoi qu’il en soit, on n’était là ni l’un ni l’autre. Et la maison était supposée être vide.

Alban – Patrick m’avait demandé de lui laisser les clefs, pour retrouver une de ses conquêtes. Alors c’était toi ?

Ève – Mais pas tout ! Je suis rentrée en pleine nuit à l’improviste. Je ne savais pas que tu lui avais prêté la maison… et notre lit conjugal, pour coucher avec une de ses maîtresses !

Alban – C’est le seul lit à deux places de la maison… Et alors ?

Ève – Alors je me suis mise au lit directement en rentrant.

Alban – Avec Patrick…

Ève – J’ai bien vu qu’il y avait quelqu’un dans le lit, mais j’ai pensé que c’était toi ! Je me suis dit que finalement, tu avais décidé de rentrer dans la nuit aussitôt après ta première. Comme je savais que ce serait un bide, ça ne m’a pas étonnée…

Alban – Merci…

Ève – Je n’ai pas fait de bruit pour ne pas te réveiller.

Alban – Mais finalement, ton partenaire s’est réveillé malgré tout.

Ève – La pétasse de Patrick était repartie au milieu de la nuit, probablement. Et apparemment, lui, il avait envie de remettre le couvert.

Alban – Donc tu as joué les remplaçantes, en quelque sorte. Tu es rentrée sur le terrain à la mi-temps, quoi…

Christelle – Il a dû me prendre pour elle. Ce n’est que le lendemain matin que je me suis rendu compte que ce n’était pas toi, dans le lit. Même si ça m’avait quand même un peu étonnée.

Alban – Pourquoi, c’était mieux que d’habitude ?

Ève – Je n’ai pas dit ça… Disons que ce n’était pas pareil… Et puis je ne comprenais pas pourquoi tu tenais tellement à m’appeler Alexandra 69.

Alban – Il t’a sorti le grand jeu, c’est ça ?

Ève – Disons que… je n’étais plus habituée…

Alban – Tu te fous de moi, en plus…

Christelle revient.

Christelle – Excuse-moi… Tu pourrais me prêter une brosse à dents ? Je suis partie comme une folle. Je n’avais pas prévu…

Alban – En tout cas, cette nuit, évite de te tromper de lit… On ne sait jamais…

Christelle – Euh oui…

Alban – Je vous laisse… Vous devez avoir des tas de choses à vous raconter… Des expériences à partager…

Il sort.

Christelle – Qu’est-ce qu’il a voulu dire ?

Ève – Je ne sais pas… Enfin si…

Christelle – Quoi ?

Ève – Il m’accuse de l’avoir trompé.

Christelle – Et… c’est vrai ou pas ?

Ève – C’était un adultère… involontaire.

Christelle – Un adultère involontaire…? C’est une blague ?

Ève – Non.

Christelle – Ah bon…

Ève – Je suis rentrée chez moi un jour. Il y avait un homme dans mon lit. Ce n’est que le lendemain matin que je me suis rendu compte que ce n’était pas mon mari…

Christelle – Tu déconnes ?

Ève – Pas du tout.

Christelle – À qui tu veux faire croire ça, Ève ? Pas à ton mari, j’espère…

Ève – Tu as raison… C’est complètement invraisemblable.

Christelle – C’est dommage, d’ailleurs. Tu imagines ? Le plaisir sans la culpabilité.

Ève – Et sans le châtiment…

Christelle – Et ça valait le coup, au moins ?

Ève – Je…

Christelle – Tromper sans le savoir, ce n’est pas vraiment tromper. (Elles partent toutes les deux d’un rire nerveux, mais Christelle reprend soudain son sérieux) Oui… Mais si Patrick osait me raconter une histoire aussi débile, c’est qu’il me prendrait vraiment pour une conne…

Ève – Ah oui… Mais… Tu ne crois pas que dans un couple, il faut aussi savoir pardonner ?

Christelle – Pardonner ? Je t’assure que je pourrais le tuer.

Ève – C’est une façon de parler, j’imagine.

Christelle – Tu n’as jamais pensé à tuer quelqu’un, toi ?

Ève – Ma foi…

Christelle – Si Alban te trompait, par exemple, tu pourrais le tuer ?

Ève – Pourquoi ? Tu as des informations particulières à ce sujet ?

Christelle – Non, non, pas du tout…

Ève – Et… Et toi, alors, tu n’as jamais trompé Patrick ?

Christelle – Non… Enfin… Ça dépend ce qu’on appelle tromper.

Ève – Ah oui ?

Christelle – Je veux dire, techniquement…

Ève – Je vois… Est-ce que sucer, c’est tromper ? Ce genre de choses…

Alban revient.

Alban – Bon… On va pouvoir passer à table.

Ève – Passer à table ? Tu es décidé à faire des aveux complets ?

Alban – Je parlais seulement du dîner…

Christelle – Ah oui, c’est vrai… Le pâté de sanglier…

Ève – Je vais me rafraîchir un peu…

Ève sort. Silence embarrassé.

Christelle – Tu ne lui as pas dit ?

Alban – Quoi ?

Christelle – Pour notre petit dérapage, l’année dernière au Jour de l’An.

Alban – Mais pas du tout ! Pourquoi ?

Christelle – Je ne sais pas… Je la trouve bizarre…

Alban – Ce n’est pas ça, je t’assure.

Christelle – Non, parce qu’on n’en a jamais reparlé… J’étais un peu bourrée. Toi aussi… Mais ça ne voulait rien dire, on est bien d’accord ? C’était juste… un petit accident.

Alban – Oh, non… Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi, avec tes accidents…

Christelle – Excuse-moi d’avoir reparlé de ça, je n’aurais pas dû…

Alban – J’ai déjà oublié…

Ève revient, avec un air un peu perturbé.

Ève – Alors on le bouffe, ce sanglier ?

La sonnette retentit.

Alban – Qui ça peut bien être…?

Ève – La police ?

Christelle, intriguée par leur comportement bizarre, leur lance un regard inquiet.

Alban – J’y vais… Si je ne suis pas revenu dans cinq minutes, préviens mon avocate…

Ève lance un regard entendu à Christelle pour la rassurer.

Ève – C’est un petit jeu entre nous.

Christelle – D’accord…

Ève – Tu aimes le sanglier ?

Christelle – Oui, enfin…

Alban revient avec un paquet.

Alban – C’était les sushis.

Ève – Ah oui, c’est vrai, j’avais complètement oublié.

Christelle – Parce que vous avez aussi commandé des sushis ?

Moment d’embarras.

Noir.

Acte 2

Christelle – Félicitations pour ton pâté, Alban. C’était vraiment délicieux.

Alban – Merci… Désolé pour le plomb sur lequel tu as failli te casser une dent. On a beau faire attention, il en reste toujours un ou deux.

Christelle – Pas facile de faire disparaître toute trace de son crime, hein ? Mais je ne savais pas que tu étais chasseur…

Ève – Non, c’est curieux, moi non plus…

Alban – De nos jours, c’est une chose dont on évite de se vanter.

Christelle – Donc, c’est bien toi qui l’as tué, ce pauvre sanglier ?

Alban – Oh, tu sais, je débute… Je ne suis pas vraiment un bon coup.

Christelle – Oui, je confirme…

Alban – Je voulais dire, je ne suis pas un bon fusil. À la chasse…

Christelle – Remarque, un sanglier, c’est quand même assez gros. Il n’y a pas besoin d’être une fine gâchette, si ?

Alban – En fait, c’était plutôt… un accident.

Christelle – Un accident ? Tiens donc…

Alban – Je rentrais bredouille d’une partie de chasse… Avec Patrick, justement. Et en revenant, sur la route, ce sanglier a traversé juste sous mes roues.

Christelle – Un sanglier dépressif, peut-être. Il aura voulu en finir avec sa vie de porc…

Alban – Oui, sans doute…

Christelle – Eh ben… On peut dire que tu ne manques pas d’air…

Alban – Pardon ?

Christelle – Non, je veux dire, tu fais beaucoup d’activités de plein air… La chasse, le golf…

Ève – Tu joues aussi au golf ?

Alban – Oui, je m’y suis un peu remis…

Christelle – Et… tu joues vraiment au golf avec Patrick, ou c’est juste un alibi que tu lui fournissais pour ses galipettes avec ses maîtresses ?

Alban – Non, non, on joue vraiment au golf, je t’assure. C’est un très bon joueur, d’ailleurs…

Christelle – Oui… D’après ce qu’il me dit, il y a un très beau 18 trous en forêt de Fontainebleau…

Ève – Il faudra que tu m’emmènes, un jour, hein, Alban ? Je m’essayerais bien au golf, moi aussi.

Christelle – En tout cas, tu me donneras la recette de ton pâté de sanglier. Ah non, c’est vrai, pardon… Ça aussi, c’est un secret…

Silence embarrassé.

Ève – Encore un peu de salade ?

Christelle – Merci, vraiment… Je ne peux plus rien avaler…

Alban – Si tu veux aller te reposer, n’hésite pas.

Christelle – Avec ce qui m’arrive, je ne suis pas sûre d’arriver à dormir tout de suite… Mais ça fait du bien de savoir que dans des cas comme ça, on peut compter sur ses amis.

Ève – Tu es ici chez toi, Christelle…

Alban – Un petit dessert ?

Ève – On a des eskimos dans le congélo…

Christelle – Merci, ça ira… Je vais aller me laver les mains, si tu permets…

Elle se lève.

Alban – Dans la salle de bain, plutôt, la cuisine est un peu en désordre…

Elle sort. Alban se ressert du pâté.

Ève – Ça va, tu as l’air de prendre ça du bon côté… En tout cas, ça ne te coupe pas l’appétit…

Alban – Ça aiderait à quelque chose si je me laissais mourir de faim ?

Ève – Qu’est-ce qui t’as pris de lui dire que tu étais chasseur ?

Alban – Je ne sais pas… Ça m’est venu comme ça… Il fallait bien que j’invente quelque chose… pour éviter qu’elle aille dans la cuisine.

Ève – Et ce pâté ? C’est quoi, exactement ? Où est-ce que je ferais mieux de ne pas poser la question…

Alban – Non, non… Ça c’est vrai… C’est du pâté de sanglier…

Ève – Il faudra qu’on reparle du golf, aussi, parce que ce golf-là ne me semble pas très clair…

Alban – Mais je n’ai rien à cacher…

Ève – À part un cadavre… Je réitère ma question une dernière fois : ce n’est pas une blague ? Parce qu’elle serait vraiment de mauvais goût. Je te rappelle que la veuve est dans la pièce à côté…

Alban – Va jeter un œil dans le congélo, si tu veux. Mais je te préviens, ce n’est pas beau à voir.

Ève – Je ne veux rien voir. Et je ne veux rien savoir.

Alban – Tu pourras difficilement dire que tu ne savais pas… On ne parle pas de bébés congelés, là. Planqués entre deux piles de steaks hachés. Mais d’un type d’un mètre quatre-vingt-quinze, réparti en trois tronçons de soixante-cinq centimètres…

Ève – Mais tu es un monstre… Recel de cadavre, tu sais combien ça coûte ? Tu veux que je passe les plus belles années de ma vie en prison ?

Alban – On est dans la même galère, Ève. Il faut que tu m’aides !

Christelle revient.

Christelle – Je vais lui passer un coup de fil.

Ève – Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

Christelle – Il va bien falloir qu’il sache que je le quitte !

Ève – Tu ne veux pas réfléchir encore un peu ?

Christelle – C’est tout réfléchi, je t’assure. Jamais je ne lui pardonnerai ce qu’il m’a fait.

Alban – Mais pour ce qui est de lui parler, ça peut peut-être attendre demain, non ?

Christelle – S’il ne me voit pas rentrer ce soir, il va se demander où je suis passée. Il va prévenir la police.

Ève – Ah oui, dans ce cas… Il vaut peut-être mieux le prévenir.

Alban – Dans l’état où il est, ça m’étonnerait qu’il appelle la police, mais bon…

Christelle – Dans l’état où il est ?

Alban – Je veux dire… Il se doute peut-être déjà de quelque chose, et il n’est sûrement pas très à l’aise avec tout ça.

Ève – Tu ne préfères pas rentrer chez toi, tout simplement ? Demain, il fera jour…

Christelle – Jamais je ne pourrai dormir une nuit de plus sous le même toit que ce salaud.

Ève – Tu crois que tu es en état pour lui parler ?

Christelle – Non mais rassure-toi, je ne vais pas commencer à discuter avec lui de la vente de la maison et de la garde du chien. Je lui dirai de contacter mon avocate. C’est-à-dire toi.

Alban – Alors c’est toi qui vas t’occuper du divorce ?

Ève – Je ne sais pas… Oui… Christelle me l’a demandé…

Alban – Bon… Si tu tiens à lui téléphoner maintenant… tu veux qu’on te laisse seule ?

Ève – Si tu veux être tranquille, tu peux aller dans la…

Alban – Pas dans la cuisine en tout cas.

Christelle – Vous ne me dérangez pas, au contraire.

Elle compose le numéro. On entend sonner dans la pièce à côté.

Christelle – C’est curieux, on dirait que ça sonne à côté…

Alban – Ça doit être le mien.

Christelle – Eh bien tu ne réponds pas ?

Alban – Si, si… J’y vais…

Il sort, sous le regard intrigué d’Ève.

Christelle – Ça sonne dans le vide…

Ève – Oui… Ça ne m’étonne pas.

Christelle – Pourquoi tu dis ça ?

Ève – S’il a vu ton numéro s’afficher, et qu’il sait pourquoi tu l’appelles et… il préfère peut-être ne pas répondre.

Christelle – C’est lui… Patrick ? Je sais tout. Tout quoi ? Bien sûr, fais l’innocent, en plus. Oui, ton golf à 18 trous, c’est ça. Comment tu te fais appeler, déjà sur rencontresanssurlendemain.com ? Ah oui, Patrick 327. Il faut croire qu’il y déjà pas mal de connards de ton espèce sur ce site, qui ont aussi un prénom de beauf. Espèce de salaud ! Alors c’est tout ce que tu trouves à dire ? Pauvre type. C’est fini, Patrick 327. La prochaine fois que tu auras quelque chose à me dire, adresse-toi à mon avocate. Tu la connais très bien, c’est Ève. Oui, Ève ! La femme d’Alban, ton meilleur pote. Ça te la coupe, hein ? Allez, bonne soirée, connard ! (Elle range son portable) Ça fait du bien de vider son sac…

Ève est sidérée.

Ève – C’était qui ?

Christelle – Comment ça, c’était qui ? Ben lui. Qui veux-tu que ce soit ?

Ève – Patrick ? Et qu’est-ce qu’il a dit ?

Christelle – Pas grand chose. Que veux-tu qu’il dise ? Mais il avait une drôle de voix. Je crois que je vais prendre une aspirine. J’ai une migraine qui commence… Je peux te prendre un peu d’eau dans la salle de bain ?

Ève – Vas-y.

Christelle – Le salopard…

Christelle sort. Alban revient.

Alban – Ça va ? Qu’est-ce qui se passe ?

Ève – Tu t’es bien foutu de moi !

Alban – Quoi ?

Ève – Christelle. Elle vient de parler à Patrick au téléphone.

Alban – C’était moi.

Ève – Pardon ?

Alban – Le portable de Patrick ! Il était dans sa poche, alors évidemment, il y est resté… C’est moi qui ai répondu, pour ne pas éveiller les soupçons…

Ève – Non ? Alors c’est pour ça qu’elle me disait qu’il avait une drôle de voix.

Alban – J’ai fait comme à la télé. J’ai parlé à travers un mouchoir.

Ève – Tu es un grand malade…

Alban – Comme ça, on aura un alibi. Je ne peux pas l’avoir tué il y a une heure ici, puisqu’elle vient de lui parler au téléphone.

Ève – À moins que la police n’ait l’idée de géolocaliser l’appel. Et qu’ils découvrent qu’il venait de notre cuisine.

Alban – Tu crois qu’ils pourraient faire du zèle à ce point-là ?

Ève – On parle d’un crime quand même.

Silence. Alban fait mine de se mettre à pleurer.

Alban – Si tu savais comme je regrette… Si je pouvais revenir une heure en arrière… Malheureusement, ce n’est pas possible…

Christelle – Tu l’as vraiment tué parce qu’il n’avait pas aimé ta pièce ?

Un temps.

Alban – Non… Pas seulement…

Ève – Alors pourquoi ?

Un temps.

Alban – Il m’a avoué qu’il avait couché avec toi.

Ève – D’accord… Et pourquoi tu ne me l’as pas dit tout de suite ?

Alban – Je voulais voir si tu m’en parlerais spontanément…

Ève – Donc, tu ne l’as pas cru non plus lorsqu’il t’a dit que c’était un simple malentendu.

Alban – Patrick ne m’a pas dit que pour lui, c’était un malentendu. C’est bien ça le problème…

Ève – Le salaud… Je vais le tuer !

Alban – Je l’ai déjà fait… Je te demande seulement de m’aider à me débarrasser du corps. Si tu m’aimes… Tu m’aimes ?

Ève – Bien sûr que je t’aime. Comment tu peux en douter ?

Alban – Je te crois.

Ève – Et moi ? Tu me crois si je te dis que j’ai couché avec lui par erreur ?

Alban – J’essaie… Avoue que ce n’est pas facile…

Ève – Qu’est-ce que je pourrais faire pour te prouver à quel point je t’aime…

Alban – Tu en as déjà fait beaucoup. Mais tu as raison, je n’ai aucune chance de m’en sortir. Et je ne veux pas t’entraîner avec moi en prison comme complice. Je vais appeler la police.

Ève – Non, attends !

Alban – Quoi ?

Ève – Je ne veux pas que tu ailles en prison pour des années.

Alban – Mais alors qu’est-ce qu’on fait ?

Ève – Je vais t’aider à faire disparaître Patrick…

Alban – Et comment on fait ça ?

Ève – Crois-moi, en tant qu’avocate, beaucoup de clients m’ont confié leurs petits secrets. Et j’ai appris quelques méthodes assez simples pour faire passer le corps d’un type de presque deux mètres dans le tuyau d’évacuation d’une baignoire, après une bonne nuit dans un bain de soude.

Alban – Bon…

Ève – Mais il va d’abord falloir se débarrasser d’elle.

Alban – Se débarrasser d’elle ?

Ève – Je veux dire ne plus l’avoir dans les pattes !

Alban – Tu m’as fait peur…

Christelle revient.

Christelle – Vous en faites une tête. Il y a un problème ?

Ève – Non, non, pas du tout.

Christelle – J’ai essayé de m’allonger un peu, mais je n’arrive pas à dormir.

Alban – Et si on prenait un verre pour se détendre un peu ?

Christelle – Je ne sais pas, avec les cachets que j’ai pris… Il vaut mieux ne pas mélanger, non ?

Ève – Allez, un petit digestif, ça n’a jamais fait de mal à personne.

Christelle – C’est vrai que ce sanglier m’est un peu resté sur l’estomac… C’est bon, mais… c’est un peu lourd, non ?

Ève sert trois verres, et glisse discrètement un cachet dans l’un d’eux.

Alban – Ah tu as ressorti l’alcool à brûler…

Christelle – L’alcool de patate…

Ève – C’est une spécialité de Beaucon-les-deux-Châteaux.

Christelle – Beaucon-les-deux-Châteaux ?

Alban – Ève a un oncle qui habite là-bas. Un ecclésiastique. Il distille ça la nuit avec un alambic clandestin dans la crypte de son église.

Christelle, ailleurs, ne les écoute que d’une oreille.

Christelle – Je ne sais pas où il pouvait bien recevoir ses maîtresses.

Alban – Il y a des hôtels partout, tu sais.

Christelle – Il était tellement radin. Ça m’étonnerait. D’ailleurs, je suis persuadée que s’il s’est inscrit sur ce site, c’est juste pour ne pas avoir à payer des putes. Parce que crois-moi, à voir les photos de ses conquêtes, il n’était pas très regardant sur la marchandise…

Ève – Merci…

Christelle lui lance un regard intrigué.

Alban – Mais pourquoi tu parles de lui au passé ?

Christelle – Pardon ?

Ève – Tu as dit : il était tellement radin.

Christelle – Parce que pour moi, il est mort.

Ève – Allez, ne dis pas ça…

Christelle – Ou alors, c’est un ami qui lui prêtait son appartement… Dans ces cas-là, les hommes sont très solidaires, hélas. Je ne dis pas ça pour toi, Alban, bien sûr…

Alban lui ressert un verre.

Alban – Allez, tu te fais du mal… Bois un petit coup, plutôt.

Christelle – Je ne sais pas ce que j’ai… Tout à l’heure, je n’arrivais pas à fermer l’œil, mais là, j’ai un gros coup de barre… Je crois que je vais aller dormir…

Elle tombe par terre.

Alban – Ses cachets lui ont fait de l’effet, finalement…

Ève – C’est surtout les somnifères que j’ai rajoutés dans son verre.

Alban – Tu n’as pas fait ça ?

Ève – Maintenant on est tranquilles pour se débarrasser du corps.

Alban – Le sien ?

Ève – Celui de Patrick ! Aide-moi, on va la mettre dans la chambre d’amis. Elle se réveillera demain matin, et elle sera officiellement veuve.

Alban – On lui aura même évité les complications d’un divorce.

Ève – Finalement, c’est un service qu’on lui rend.

Ils la tirent par les pieds en coulisse, et reviennent aussitôt.

Alban – Et pour Patrick, comment on fait ?

Ève – La soude, ça risque d’être un peu long.

Alban – Surtout si Christelle veut prendre un bain demain matin…

Ève – Tu as raison…

Alban – On va répartir Patrick dans trois sacs poubelles. Et on va l’emmener faire un tour en forêt…

Ève – Ou dans un zoo. J’ai déjà vu faire ça dans un film… On le balance dans la cage aux fauves, et ni vu ni connu.

Alban – Tu te vois passer la sécurité du Zoo du Bois de Vincennes avec trois sacs poubelles ?

Ève – On pourrait enjamber la clôture de nuit ?

Alban – Le Bois de Vincennes, ça fera l’affaire. J’ai une pelle dans la cabane de jardin.

Ève – Et pour… Patrick, tu veux que je t’aide ?

Alban – J’ai déjà fait le plus gros, je m’en charge. C’est vraiment trop salissant…

Ève – Comme tu voudras…

Il sort.

Ève – J’espère que je ne suis pas en train de faire une bêtise, mais bon… Il est trop tard pour reculer. Allez, un petit dernier pour la route…

Elle se sert un nouveau verre et le vide cul sec. Son portable sonne.

Ève – Allo… (Interloquée) Patrick ? Si c’est une blague, elle est de très mauvais goût. C’est toi Alban ? Pardon, Patrick, c’est vraiment toi ? Non, non, je ne suis pas étonnée, mais… Enfin, si, un peu, quand même… Ah, tu as oublié ton portable ici. Oui, il m’a parlé de votre… discussion… Mais pourquoi tu as été lui raconter ça ? Bon, maintenant c’est fait… Il fallait bien que ça sorte un jour… Ok, je lui dirai… C’est ça. Merci d’avoir appelé. Au fait, tu as parlé à Christelle ? Oui, je crois qu’elle se doute de quelque chose. On peut dire ça comme ça… Ok, salut Patrick… (Elle raccroche) Le salopard, il s’est bien foutu de moi…

Alban revient, avec des sacs poubelles.

Ève (comme si de rien n’était) – Alors ça y est ?

Alban – Oui. Ça m’a pris un peu de temps, avec le gel, les morceaux commençaient à coller au fond du congélo… J’ai dû y aller au pic à glace…

Ève – Pauvre Patrick… Ça me fait tout drôle de le voir comme ça, en partance pour le grand recyclage…

Alban – En tout cas, je ne sais pas comment te remercier. C’est une preuve d’amour incroyable.

Ève – Tu me pardonnes pour cet adultère involontaire, alors ?

Alban – Bien sûr… Tu m’as montré à quel point tu m’aimais.

Ève – Et moi je te pardonne d’avoir mis ton meilleur pote dans mon lit, sans me le dire, d’accord ?

Alban – J’ai encore deux sacs à prendre.

Ève – Je vais t’aider…

Alban – Tu es sûre ?

Ève – Comme tu disais tout à l’heure… Pour le meilleur et pour le pire…

Ils sortent. Christelle arrive, dans un état second.

Christelle – Vous êtes là ? Qu’est-ce que j’ai foutu de mon téléphone, moi ?

Elle regarde les sacs poubelles avec curiosité. En cherchant son portable, elle trouve la chemise maculée de sang avec les boutons de manchette sous le coussin du canapé… Intriguée, elle sort peu à peu de sa torpeur. Elle ouvre un sac et le referme aussitôt, horrifiée… Les deux autres arrivent avec les deux autres sacs.

Alban – Christelle, mais qu’est-ce que tu fais là ?

Ève – Tu ne dors pas ?

Christelle – Non… Enfin, si… J’avais juste oublié mon portable…

Alban – On s’apprêtait à sortir les ordures…

Christelle – Je vais me recoucher. Ne vous occupez pas de moi…

Elle sort, visiblement apeurée.

Alban – Tu crois qu’elle se doute de quelque chose ?

Ève – On devrait peut-être la zigouiller aussi, non ?

Alban – Je ne te savais pas prête à tuer pour moi. Ça me ferait presque peur…

Ève (exaltée) – Tu connais la chanson de Piaf ? L’Hymne à l’Amour ! (Chantant) Je trahirais ma patrie, je renierais mes amis, si tu me le demandais.

Alban (inquiet) – Écoute, il faut que je t’avoue quelque chose…

Ève – Ne me dis pas que tu as encore tué quelqu’un !

Alban – Non, justement… Enfin, si, mais…

Ève – Pauvre Patrick… C’était un ami, tout de même. J’aimerais bien lui dire un dernier adieu. Dans quel sac tu as mis la tête ?

Alban – Si j’étais toi je ne ferais pas ça…

Ève – Je crois qu’il faut qu’on discute un peu, tu ne crois pas…?

Alban – Ok, ce n’est pas Patrick, dans les sacs poubelles.

Ève – Comment ça, ce n’est pas Patrick ? Parce que tu as tué quelqu’un d’autre ?

Alban – Non, je veux dire, je n’ai tué personne… Comment est-ce que tu as pu croire ça ?

Ève – Je commence à ne plus être sûre de rien… (Elle ouvre un sac et son sourire se fige) Non… Mais quelle horreur… Alors tu as vraiment tué quelqu’un ?

Alban – Mais non ! Enfin si, mais…

Ève – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Alban – Le sanglier…

Ève – Le sanglier ? Mais enfin, Alban, tu n’es pas chasseur… ou est-ce que c’est encore une chose que tu m’aurais cachée ?

Alban – Je ne chasse pas, je te rassure. Mais l’histoire du sanglier, c’était vrai.

Ève – Sans blague… Je serais curieuse d’entendre ça…

Alban – J’étais avec Patrick, justement. On avait joué au golf.

Ève – Le golf, maintenant… Ne me dis pas que pendant la partie, entre le dix-septième et le dix-huitième trou, tu as tué un sanglier avec une balle de golf ?

Alban – On rentrait du golf, en voiture. En pleine forêt, on a percuté un sanglier. On a même failli se tuer, figure-toi. Parce qu’un sanglier de 200 kilos, à 90 kilomètres heure, je peux te dire que ça fait des dégâts, même quand on a un gros quatre-quatre.

Ève – Oui, j’imagine…

Alban – On a fait une sortie de route… Patrick était légèrement sonné.

Ève – Et alors ?

Alban – Comme il était encore vivant, j’ai décidé de l’emmener chez un vétérinaire.

Ève – Patrick ?

Alban – Le sanglier ! On l’a mis dans le coffre. Seulement, en arrivant chez le véto, il avait succombé à ses blessures.

Ève – Qui ?

Alban – Le sanglier !

Ève – D’accord…

Alban – Comme il était dans le coffre de toute façon, on ne savait pas quoi en faire. C’est alors que Patrick a eu l’idée d’en faire du pâté…

Ève – Brillante idée… Mais alors pourquoi tout ce cirque ?

Alban – En découpant la bête, Patrick m’a avoué qu’il avait couché avec toi…

Ève – Dépecer cette carcasse de sanglier, ça a dû l’inspirer… Et qu’est-ce qu’il t’a raconté, alors ? Parce que lui, il savait qu’il était dans le lit de son copain, tout de même.

Alban – Oui, c’est pour ça qu’il culpabilisait. Il voulait soulager sa conscience.

Ève – Sa conscience ? Patrick ?

Alban – Tu as raison, je crois qu’il voulait surtout m’humilier… Tout en s’abritant derrière le fait que c’était un adultère involontaire… comme tu dis.

Ève – Et alors ?

Alban – Il a fini par m’avouer qu’il savait très bien ce qu’il faisait… et toi aussi, probablement…

Ève – Le salaud… Je te jure que…

Alban – Bref, on en est venus aux mains.

Ève – D’où le sang sur la chemise…

Alban – Non, ça c’est le sang du sanglier, quand on l’a mis dans le coffre…

Ève – Je vois…

Alban – Après, on s’est réconciliés. Je lui ai prêté une autre chemise et il est parti.

Ève – Et après ?

Alban – Quand tu es arrivée, c’est à toi que j’en voulais. De ne pas me l’avoir dit. Je me suis senti trahi. Trompé.

Ève – Pardon. Mais je te jure que moi, je ne savais pas…

Alban – C’est alors que j’ai eu cette idée. Ça m’est venu comme ça. Dépecer cette pauvre bête, ça m’a mis dans un état second. J’avais trouvé la recette dans Femme Actuelle

Ève – Dans Femme Actuelle ?

Alban – Pour te punir. Je t’ai dit que je l’avais tué. Pour voir comment tu réagirais. Et après, ça s’est enchaîné…

On entend une sirène de police. Ève voit la chemise qui dépasse d’un sac.

Ève – Ça doit être Christelle… Elle a vu les sacs et la chemise… Elle a dû appeler la police…

On frappe violemment à la porte. Christelle arrive, un grand couteau à la main.

Christelle – Ne m’approchez pas, bande de malades…

Ève – Calme-toi, on va tout t’expliquer. C’est juste une plaisanterie stupide…

Alban – Ce n’est pas Patrick, dans ces sacs poubelle, je t’assure.

Christelle – Pas un geste, ou je tire !

Alban – C’est un couteau…

Ève – J’en ouvre un, tiens, tu jugeras par toi-même.

Elle lui montre le contenu d’un sac.

Christelle – Mais qu’est-ce que c’est que cette horreur ?

Alban – C’est un sanglier ! Regarde ! Il y a plein de poils.

Christelle – Patrick aussi, il avait plein de poils !

Ève – Pas à ce point-là…

Christelle – Comment tu le sais ?

Voix off – Police !

Alban – C’est toi qui les as appelés. Il vaut mieux que ça soit toi qui leur expliques.

Ève – Ça ne va pas être facile…

Christelle – Ok…

Christelle sort.

Alban – Je suis désolé. C’était stupide de ma part. Mais je me sentais trahi…

Ève – C’est de ma faute… J’aurais dû tout te dire immédiatement. Mais bon, je craignais que tu ne me crois pas…

Alban – On a été idiots tous les deux.

Ève – Comme quoi ce n’est jamais une solution de mettre la poussière sous le tapis… Ça finit toujours par vous revenir dans la gueule…

Alban – Oui. C’est pour ça que tu ferais mieux de lui dire, toi aussi.

Ève – Quoi ?

Alban – À Christelle ! Pour Patrick.

Ève – De toute façon, il la trompe avec tout ce qui bouge.

Alban – Oui, mais toi, tu es sa meilleure amie…

Christelle revient.

Christelle – Tout est arrangé, ils sont repartis. Excusez-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Ève – On est tous un peu perturbés, ce soir… Ça doit être la pleine lune…

Christelle – Je ne savais pas que c’était la pleine lune.

Ève – En tout cas, si ça n’est pas la pleine lune, ça lui ressemble.

Alban – Je vous laisse, je crois que vous avez des choses à vous dire…

Alban sort.

Christelle – Qu’est-ce qu’il a voulu dire ?

Un temps.

Ève – J’ai couché avec Patrick.

Christelle – Quoi ?

Ève – Je te jure, c’était… totalement involontaire.

Christelle – Alors l’histoire que tu m’as racontée tout à l’heure, c’était toi… et Patrick ?

Ève – Je voulais te le dire depuis longtemps, mais je ne savais pas comment.

Christelle – Mais comment c’est possible ?

Ève – Ce salopard d’Alban lui prêtait notre lit conjugal pour ses rendez-vous galants…

Christelle – Ok, je te crois… Et je ne veux pas en savoir plus… Tu es ma meilleure amie, non ?

Ève – Merci, Christelle.

Christelle – Il nous arrive à toutes de faire des erreurs, quand on a un peu trop bu.

Ève – Moins j’étais tout à fait à jeun.

Christelle – Bon, ce n’est pas la question. C’est Patrick, le salaud. Il vaut mieux que je ne l’ai pas devant moi tout de suite, je serais capable de le tuer !

Ève – On ne tue pas quelqu’un comme ça, rassure-toi… Mais si tu as besoin d’une avocate, je suis là… Pour ton divorce, je veux dire…

Christelle – Merci… Bon, je crois que je ferais mieux de vous laisser. Vous devez avoir des choses à vous dire, vous aussi… Je vais dormir chez ma mère. Je lui dirai que j’ai oublié mes clefs.

Ève – Fais attention à toi… Demain, tu y verras plus clair… On y verra tous plus clair…

Christelle s’en va. Alban revient. Ils s’asseyent sur le canapé, et restent silencieux un instant.

Alban – C’était vraiment involontaire ?

Ève – Disons que c’était… inconscient, alors.

Alban – Ok, je vais faire semblant de le croire.

Ils s’enlacent.

Ève – Mais c’est vrai que depuis, ça a réveillé ma libido…

Alban – Oui, j’ai remarqué. Je me demandais à quoi c’était dû.

Ève – On devrait faire ça plus souvent.

Alban – Tu veux dire… ces rendez-vous à l’aveugle dans notre lit conjugal…?

Ève – Tu as d’autres amis à qui tu prêtes notre appartement pour baiser leurs maîtresses ?

Alban – Je pensais plutôt à la réciproque. Tu dois bien avoir aussi des amies qui trompent leurs maris… Je te rappelle que tu as un coup d’avance…

Ève – Désolée, je n’ai que des amies fidèles…

Ils s’embrassent.

Noir.

Épilogue

Trois valises sont rangées dans un coin du salon. Alban arrive depuis l’extérieur, et ôte son imper.

Alban – Chérie ! Tu es là !

Ève arrive.

Ève – Alors, comment ça s’est passé ?

Alban – Ils adorent la pièce. Ils ont décidé de la produire pour la rentrée.

Ève – Non ? Mais c’est fantastique !

Alban – Et ils ont trouvé le titre génial.

ÈveUn petit meurtre sans conséquence… Ça sonne quand même mieux que Micro-ondes

Alban – Il faut dire que c’est du vécu…

Ève – Ou presque…

Ils s’embrassent.

Alban – Alors finalement, tout est bien qui finit bien.

Ève – J’ai toujours cru en toi… Même quand tu me racontais des histoires à mourir debout.

Alban – Finalement, cette épreuve nous aura rapprochés. Je te promets de ne plus jamais te mentir.

Ève – Et moi de ne plus jamais rien te cacher.

Le regard d’Alban tombe sur les valises.

Alban (inquiet) – Qu’est-ce que c’est que ces valises ? Tu me quittes déjà ? Après tout ce que tu viens de me dire…

Ève – Ce sont les bagages de Christelle. Elle m’a demandé si elle pouvait venir passer la nuit ici. Je crois que ça ne s’est pas très bien passé, avec Patrick… Elle ne sait pas où aller.

Alban – Quelle emmerdeuse…

Ève – On lui doit bien ça…

Alban – Bon… Mais pas plus d’une nuit, alors…

On sonne.

Ève – Ça doit être elle…

Alban – Ok, je vais chercher le champagne.

Ève – Pour fêter le divorce de Christelle ?

Alban – Pour fêter le montage de ma pièce ! Tant pis, on le boira avec elle.

Alban sort. Ève va ouvrir et revient avec Christelle.

Ève – Ça n’a pas l’air d’aller. Vous vous êtes disputés, c’est ça ?

Christelle – Écoute, Ève… Je crois que j’ai fait une bêtise…

Ève – Tu me fais peur, Christelle… Quelle genre de bêtise ?

Christelle – Je crois que j’ai tué Patrick.

Ève – Ah non, on me l’a déjà faite, celle-là. Pas deux fois !

Christelle – On a eu une petite explication, tous les deux. Ça s’est vite envenimé. Et je lui ai dit de quitter la maison immédiatement.

Ève – Et après.

Christelle – Eh ben… Il est allé chercher ses valises. C’est après que ça a un peu dégénéré.

Ève – Un peu ?

Christelle – J’étais en train de découper un poulet… J’avais un couteau électrique à la main, et… je me suis un peu emportée.

Ève – Mais il est où ? À l’hôpital ?

Christelle – Malheureusement, il était déjà trop tard pour le SAMU. Je voulais juste lui faire peur. Il s’est approché pour me défier. J’ai eu un geste réflexe et… je lui ai tranché la carotide.

Ève – Oh mon Dieu… Le cauchemar continue. Mais il est où ?

Christelle lui désigne les valises du regard.

Christelle – Eh ben… Dans les valises…

Ève – Non ?

Christelle – Je vais avoir besoin de tes conseils, Ève.

Ève – Mes conseils d’avocate ? Ne te fais pas trop d’illusions, Christelle. J’ai beau être une tueuse… On ne pourra pas faire passer ça pour un accident domestique…

Christelle – Je pensais plutôt le faire passer par le siphon de la baignoire après un petit bain de soude…

Ève – Il va falloir que j’en parle avec Alban…

Alban revient, la mine réjouie, en brandissant une bouteille de champagne.

Alban – Champagne !

Les deux autres lui lancent un regard interloqué.

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Mai 2017

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-096-3

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