Religion

Le Pire Village de France

The worst village in England  –  El pueblo más cutre de EspañaA pior aldeia de Portugal

Comédie de Jean-Pierre Martinez

9 ou 10 personnages distribution très variable en sexe

presque tous les personnages pouvant être masculins ou féminins

Les quelques survivants d’un bled moribond, oublié par Dieu et contourné par l’autoroute, décident de créer l’événement pour attirer le chaland. Mais il n’est pas facile de faire du pire village de France la nouvelle destination touristique à la mode…


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LE PIRE VILLAGE DE FRANCE
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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Le Pire Village de France

Les quelques survivants d’un bled moribond, oublié par Dieu et contourné par l’autoroute, décident de créer l’événement pour attirer le chaland. Mais il n’est pas facile de faire du pire village de France la nouvelle destination touristique à la mode…

10 personnages

Robert (ou Roberta) : patron(ne) du café

Ginette : patronne du café

Charlie : instituteur (ou institutrice)

Félicien : curé du village

Honoré (ou Honorine) : maire du village

Jean-Claude (ou Jeanne-Claude) : idiot(e) du village

 Wendy : productrice de téléréalité

Laurence (ou Laurent) : journaliste

Ramirez : commissaire

Sanchez : inspecteur

Distribution très variable par sexe

presque tous les rôles pouvant être masculins ou féminins

Acte 1

Un bistrot de village, le Café du Commerce, à Beaucon-la-Chapelle. Derrière le comptoir, Robert, le patron style bidochon, feuillette le journal local, tandis que Ginette, la patronne un peu plus pimpante, essuie des verres avec un air absent. Arrive Honoré de Marsac, le maire, genre noble fin de race habillé avec une élégance désuète et des vêtements élimés.

Honoré – Bonjour Robert. Madame Ginette, mes hommages.

Robert, un peu renfrogné, se contente de lever un instant les yeux de son journal. Ginette semble sortir de sa rêverie et son visage s’éclaire un peu.

Ginette – Monsieur le Maire… Comment va ?

Honoré s’installe debout au comptoir.

Honoré – Ma foi… J’ai une légère céphalée, depuis ce matin. Je ne sais pas pourquoi…

Robert – Avec ce que tu tenais hier soir, ce n’est pas très étonnant. On appelle ça la gueule de bois…

Ginette lance à Robert un regard désapprobateur.

Ginette (très aimablement) – Qu’est-ce que je vous sers, Honoré ?

Honoré – Je vais prendre un Fernet-Branca. Ça me fera du bien…

Robert – Tu as raison… Il faut soigner le mal par le mal…

Ginette sert Honoré, qui la remercie d’un sourire.

Honoré – Vous êtes très en beauté, aujourd’hui, ma chère.

Ginette – Je me suis fait une couleur. Mon mari, lui, il n’a rien remarqué…

Honoré – Ah oui, c’est…

Robert – Bleu.

Honoré – Décidément, votre mari ne vous mérite pas, ma chère Ginette. En tout cas, cela vous sied à ravir.

Ginette – Ça change un peu…

Robert considère ce badinage d’un regard agacé.

Robert – La couleur de tes cheveux, c’est bien la seule chose qui change encore de temps en temps à Beaucon-la-Chapelle… (Il repose le journal sur le comptoir). C’est dingue ! Il ne se passe tellement rien, dans ce bled… On n’est même plus répertorié dans le sommaire du canard local.

Ginette – Sans blague ?

Robert – Tiens, regarde ! Avant, même si on ne parlait jamais de nous, Beaucon-la-Chapelle, c’était là, entre Beauchamp-la-Fontaine et Beaucon-les-deux-Églises. Maintenant plus rien. On ne figure même plus sur le menu !

Honoré (soupirant) – Eh oui, mon pauvre Robert… Qu’est-ce que tu veux ? Nous sommes des naufragés de l’exode rural. On nous raye du menu, en attendant de nous rayer de la carte. Bientôt, on ne figurera plus sur aucun plan, comme une île déserte perdue au milieu du Pacifique, à l’écart de toutes les routes maritimes.

Ginette – Si au moins on avait la plage… Vous avez raison, Honoré. Des naufragés au milieu des champs de patates, voilà ce qu’on est.

Honoré – En attendant que le petit bout terre auquel on s’accroche encore soit submergé par la montée des eaux…

Robert – Ici, on risquerait plutôt d’être emportés par une coulée de boue…

Honoré boit son Fernet-Branca.

Ginette – C’est bien triste… Mais qu’est-ce qu’on peut y faire, n’est-ce pas, Monsieur le Maire ?

Honoré – Maire… Je ne suis pas sûr de l’être encore très longtemps…

Robert – Tu as peur de ne pas être réélu ? Il n’y a jamais eu d’autres candidats que toi à Beaucon-la-Chapelle. Et vu le nombre d’électeurs qui restent ici, si tu votes pour toi, tu as déjà presque vingt pour cent des suffrages exprimés.

Honoré – Ce n’est pas ça… Mais je viens de recevoir une lettre à la mairie… Ils parlent de rattacher la commune au bourg d’à côté.

Robert – Beaucon-les-deux-Églises ?

Ginette – Mais c’est à plus de vingt kilomètres !

Honoré – Vingt-trois, à vol d’oiseaux… et vingt par la route.

Robert – C’est vrai qu’à travers champs, la route est tellement droite…

Ginette – Il n’y a tellement rien, par ici. On se demande ce que la route pourrait bien avoir à contourner pour justifier un virage ?

Robert – Si encore on avait une colline, un bois ou même un bosquet.

Honoré – Oui… Si la commune devait se doter d’un blason, je ne sais pas ce qu’on pourrait mettre dessus…

Robert – Une patate.

Honoré – Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le moment de pavoiser. Et c’est peut-être mon dernier mandat. L’intercommunalité, qu’ils appellent ça.

Robert – Toi qui étais maire depuis plus de trente ans…

Ginette – Alors comment on va vous appeler, maintenant, si on ne peut plus vous appeler Monsieur le Maire ?

Honoré – Monsieur de Marsac, je suppose… Mais vous, Ginette, vous pourrez toujours m’appeler Honoré…

Robert – On n’avait déjà plus de pissotières ni de cabine téléphonique. Maintenant, on n’aura même plus la mairie.

Honoré – C’est la mort du service public…

Ginette – Vous qui aviez tellement fait pour Beaucon-la-Chapelle…

Robert – Ouais, enfin…

Ginette – Quoi ?

Robert – C’est surtout tes petites affaires, que ça ne risque pas d’arranger, tout ça, hein, Honoré ?

Honoré – Mes affaires ? Quelles affaires ?

Robert – D’accord, en tant que Premier Magistrat, tu as fait beaucoup pour la commune. C’est sûrement pour ça qu’ils envisagent de la supprimer aujourd’hui…

Ginette – Là tu es injuste, Robert. Il faut avouer qu’on a peu d’atouts à mettre en avant, à Beaucon.

Robert – Toujours est-il que tu as bien profité de tes prérogatives de maire, non ?

Honoré – Je ne vois pas de quoi tu veux parler…

Robert – Je parle de la subvention que tu as réussi à obtenir du Conseil Général…

Honoré – Ah oui…

Robert – Pour restaurer un manoir dans lequel, selon une légende dont personne n’avait jamais entendu parler jusque là, Jeanne d’Arc aurait dormi une nuit en 1429.

Honoré – Je peux te montrer le livre où cette légende est mentionnée !

Robert – C’est toi qui l’as écrit !

Honoré – Si on n’a plus le droit d’écrire des livres d’histoires, maintenant…

Robert – Un manoir qui se trouve comme par hasard être à toi, et qui a été entièrement refait à neuf aux frais du contribuable soit disant pour en faire des chambres d’hôtes… Des chambres où personne n’a jamais dormi, évidemment. À part La Pucelle d’Orléans…

Honoré – Être propriétaire d’un monument historique, tu n’as pas idée de la charge que c’est, mon pauvre Robert…

Robert – Jeanne d’Arc… Si encore elle avait été dépucelée dans ton lit.

Ginette – Robert, je t’en prie…

Robert – Sans parler de la subvention pour restaurer la chapelle du village.

Honoré – Beaucon-la-Chapelle se devait quand même d’avoir une chapelle digne de ce nom !

Robert – Une chapelle dont ton propre cousin se trouve être le curé. Le presbytère a été entièrement restauré avec nos impôts. On dirait un ryad marocain. Il y a même un jacuzzi dans le patio…

Honoré – Un jacuzzi… Tout de suite les grands mots… C’est un simple bassin d’agrément.

Robert – On va dire un bassin à remous, alors.

Honoré – Franchement, Robert, je ne vois pas du tout où tu veux en venir…

Robert – Je ne sais pas, moi… Avec cet argent là, on aurait pu faire quelque chose pour la commune…

Honoré – Ah oui ? Quoi, par exemple ?

Robert – Tiens, on aurait pu installer des caméras de surveillance.

Honoré – Pour surveiller quoi ? Les champs de patates ?

Robert – On aurait pu restaurer l’école !

Arrive Charlie, l’instituteur, visiblement gay.

Charlie – Messieurs Dames…

Ginette – Ah, quand on parle du loup. Voilà l’instituteur, justement. Bonjour Charlie.

Charlie – Eh ben… Il y a foule, aujourd’hui, au Café du Commerce.

Robert – Eh oui… On est presque au complet.

Charlie – La noblesse et le tiers état. Il ne manque plus que le curé, et on pourra réunir les États Généraux…

Honoré – Vous ne croyez pas si bien dire, Charlie. La République est en danger.

Robert – Et Jeanne d’Arc n’est plus là pour la défendre…

Charlie (à Honoré) – Vous allez enfin être mis en examen, Monsieur le Maire ? Vous savez, en ce moment, c’est très tendance.

Ginette – Si ce n’était que ça…

Charlie – Vous allez devoir prononcer votre premier mariage gay ? Pourtant, que je me souvienne, personne ne m’a encore demandé ma main… Enfin, pas dans l’idée de me passer une bague au doigt, en tout cas…

Honoré – Beaucon-la-Chapelle va être annexé par le bourg d’à côté.

Charlie – Non ?

Ginette – Et ce n’est que le début, vous verrez.

Honoré – Le début de la fin, en tout cas.

Robert – Hitler a commencé par envahir la Pologne, et le reste a suivi. Si on ne réagit pas…

Charlie – Malheureusement, vous ne croyez pas si bien dire.

Charlie s’installe au bar, visiblement préoccupé.

Ginette – Vous avez reçu des mauvaises nouvelles, vous aussi ?

Charlie – Il est question de fermer l’école, figurez-vous.

Ginette – Non ?

Robert – En même temps, depuis qu’il n’y a plus aucun élève, il fallait s’y attendre. Quand on n’aura plus de clients, nous aussi il faudra bien qu’on ferme…

Ginette – Plus d’élèves ? Alors Jean-Claude a enfin réussi à décrocher son certificat d’études ?

Charlie – Le certificat d’études… ça n’existe plus depuis le siècle dernier, ma pauvre Ginette. Mais à 18 ans passés, je ne pouvais pas décemment le faire redoubler une année de plus en CM2.

Ginette – Ils ont aussi supprimé le certificat d’études ? Mais où est-ce qu’on va, je vous le demande ? Qu’est-ce que je te sers, Charlie ?

Charlie – Un perroquet, comme d’habitude.

Ginette le sert.

Ginette – Mais alors qu’est-ce qu’il va faire, Jean-Claude, maintenant ?

Charlie – Ça…

Ginette – D’ailleurs, on ne l’a pas encore vu ce matin. Je ne sais pas où il se cache encore, celui-là.

Robert – En tout cas, si ils ferment l’école, toi non plus tu n’es pas prêt de retrouver un poste dans l’Éducation Nationale, hein, Charlie ?

Honoré – Il paraît qu’on manque d’enseignants…

Robert – Peut-être, mais avec son casier judiciaire…

Charlie – Un casier… Tout de suite, les grands mots.

Robert – C’était une affaire de mœurs, malgré tout…

Charlie – Oui mais… Ça n’a rien à voir avec les enfants…

Ginette – Tout de même.

Charlie – J’aimais bien venir de temps en temps faire la classe habillé en femme. Ça ne faisait de mal à personne…

Ginette – Ça devait quand même les perturber un peu, les gamins. Un jour un maître, le lendemain une maîtresse…

Robert – Comment est-ce qu’ils t’appelaient, déjà ?

Charlie – Madame Doubtfire.

Honoré – C’est sûrement pour ça qu’ils t’ont muté dans une école sans élèves… En attendant de statuer sur ton cas.

Félicien, le curé, arrive à son tour. Il ressemble davantage à un vieux beau qu’à un prêtre, si ce n’est la croix qu’il porte discrètement au revers de sa veste.

Charlie – Ah Monsieur le Curé ! On n’attendait plus que vous pour prendre La Bastille.

Félicien – Bonjour mes enfants.

Robert – Mes enfants… Avec un curé comme ça, on se demande toujours si on ne doit pas prendre ça au pied de la lettre.

Ginette – Robert…

Robert – Tu vois, Charlie, la vie est mal faite. C’est toi qui aurait dû faire curé. Dans ce métier là au moins, un homme peut porter la robe sans être inquiété par la justice. Alors que celui-là, on ne l’a jamais vu en soutane.

Charlie – C’est dommage. Je suis sûr que cela vous irait très bien, Félicien.

Ginette – Qu’est-ce que je vous sers, mon Père ?

Félicien – Un petit blanc sec.

Honoré – Alors Monsieur le Curé ? J’espère que vous, au moins vous nous apportez de bonnes nouvelles.

Félicien – J’aimerais vous dire oui, Monsieur le Maire… Hélas…

Robert – Je ne te demande pas si quelqu’un est mort. À part Jean-Claude, tous les survivants de ce village fantôme sont ici.

Félicien – Pire que ça… L’évêché parle de supprimer ma paroisse…

Ginette – Non ?

Félicien – Hélas, Dieu est en cessation de paiement… Il paraît que nous aussi, on doit procéder à des restructurations.

Ginette – Quelle misère… Vous verrez que bientôt, les Chinois vont prendre des participations dans le capital du Vatican.

Félicien – Il faut dire que plus personne ne vient à la messe à Beaucon.

Robert – Malgré tout le mal que tu t’es donné pour repeupler la paroisse.

Ginette – Robert… Respecte au moins la religion…

Robert – Lui, ce n’est pas les pains qu’il multiplie, c’est les bâtards…

Honoré – Plus de mairie, plus d’école, plus d’église… Il ne nous reste plus que le Café du Commerce.

Robert – Et pour combien de temps ?

Charlie – Vous n’allez pas fermer, au moins ?

Ginette – Moi ça ne me dérangerait pas de vendre. Si on trouvait un repreneur…

Félicien – Allez, vous n’allez pas partir vous aussi… Qu’est-ce que vous feriez, Ginette, si vous n’aviez plus ce café ?

Ginette – Je commencerai par prendre des vacances, tiens. Vous n’allez pas le croire, mais je n’ai jamais vu la mer.

Robert – Autant attendre que la mer arrive jusqu’ici avec la fonte de la calotte glaciaire. Parce qu’avant de trouver un repreneur…

Charlie – Un pigeon, tu veux dire.

Robert – Qui pourrait bien acheter un bistrot dans un coin pareil ? On n’a plus aucun client…

Honoré – Les derniers agriculteurs consanguins et alcooliques qui restaient dans le coin, ils les ont remplacés par des drones pilotés depuis la Seine Saint Denis.

Ginette – Il faudrait pouvoir attirer quelques touristes, au moins à la belle saison.

Charlie – Mais qu’est-ce qui pourrait bien attirer les touristes dans un trou pareil ? Il n’y a rien strictement à visiter dans un rayon 100 kilomètres à la ronde.

Honoré – C’est sûr que pour se reposer, c’est l’endroit idéal.

Robert – Ouais… En attendant le repos éternel…

Félicien – Des champs de patates à perte de vue. Quelques corbeaux. C’est vrai qu’il faut vraiment avoir la foi pour rester dans le coin…

Charlie – Des champs de patates avec des corbeaux… On dirait le titre d’un tableau de Van Gogh…

Ginette – Si au moins Van Gogh était venu se suicider ici, ça nous aurait fait un peu de publicité.

Robert – Ça c’est une idée, remarquez. Si on en venait à légaliser le suicide assisté en France, sûr que Beaucon-la-Chapelle serait en pôle position pour l’implantation de la première officine.

Charlie – C’est vrai que si les dépressifs de la France entière affluaient ici pour se suicider en masse, ça pourrait redonner un peu de vie à notre charmante commune…

Félicien – Allons, mes enfants, gardons la foi. Dieu finira bien par nous venir en aide…

Robert – En attendant, c’est ma tournée. On va boire un coup pour oublier que le monde entier, même Dieu, nous a abandonnés au milieu d’un océan de patates… Tiens Ginette, sort une bouteille de mousseux.

Honoré regarde sa montre à gousset.

Félicien – Bon, mais vite fait, alors.

Honoré – Ouh la… Il est déjà cette heure-là.

Robert – Pourquoi, vous êtes surbookés à ce point, tous les deux ?

Ginette ouvre un placard et pousse un cri en voyant Jean-Claude recroquevillé à l’intérieur.

Ginette – Oh, non… Un jour, j’aurai une crise cardiaque…

Honoré – Ça lui arrive souvent ?

Ginette – Depuis qu’il est tout petit, iI a la manie de se cacher dans les endroits les plus inattendus.

Robert – Une fois, on l’a même retrouvé dans la machine à laver. Mais maintenant, il est trop grand…

Ginette – Je ne m’y ferai jamais… Sors de là, toi !

Jean-Claude sort du placard. Il a tout de l’idiot du village. Il est supposé avoir dans les dix-huit ans (mais peut aussi être joué par un adulte plus âgé habillé en plus jeune voire en garçonnet, ce qui accentuera son côté demeuré).

Jean-Claude (à Robert-) – Bonjour Tonton.

Robert répond par un hochement de tête.

Charlie – Bonjour Jean-Claude.

Honoré – Il ne s’arrange pas, ton cousin…

Félicien – Je croyais que c’était ton neveu.

Ginette – C’est un peu compliqué. Moi-même je m’y perds un peu…

Ginette sort une bouteille de mousseux et la met dans un seau à glace.

Charlie – Ah oui… Ça expliquerait son léger retard mental…

Robert – Comme je suis aussi son parrain, disons que c’est mon filleul.

Ginette – Enfin, on l’appelle Jean-Claude, c’est plus simple.

Charlie – Ou JC, c’est plus court.

Félicien – Heureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur appartient.

Honoré – Le dernier jeune qui reste au village…

Charlie – C’est sûr qu’il a l’air d’avoir une lourde hérédité…

Robert – Selon une légende dont j’ai découvert l’existence récemment, ce serait le descendant de Jeanne d’Arc en ligne directe…

Félicien – Je lui ai quand même fait faire sa communion, l’année dernière, au cas où…

Ginette – Maintenant que le certificat d’étude n’existe plus, c’est sûrement le seul diplôme qu’il décrochera dans sa vie…

Charlie – Selon une étude d’un sociologue du CNRS, les Jean-Claude qui sont nés après l’an 2000 ont seulement une chance sur cent d’avoir le bac avec mention.

Honoré – Alors qu’est-ce que tu vas faire maintenant, mon grand ?

Félicien – S’il s’en va aussi, je n’aurai même plus d’enfant de chœur…

Robert – Et maintenant que tu n’as plus de paroissiennes sous la main…

Jean-Claude – Je voudrais monter à Paris pour me présenter au concours.

Honoré – Au concours ? Quel concours ?

Charlie – Sciences Po ? L’ENA ?

Honoré – Peut-être qu’il veut devenir facteur, comme son père.

Félicien – Son père était facteur ?

Robert – Pourquoi ? Tu croyais qu’il était curé ?

Ginette – Non, il s’est mis en tête de participer à la sélection des candidats pour une émission de téléréalité.

Charlie – Quelle émission ?

Robert – La France a un Incroyable Talent.

Félicien – Non ?

Honoré – Mais quel talent il pourrait bien avoir, cet abruti ?

Ginette – Il est contorsionniste. Enfin c’est ce qu’il dit.

Robert – C’est vrai qu’un jour, les éboueurs l’ont retrouvé endormi dans une poubelle jaune. Pour un peu, il partait directement au recyclage dans la benne à ordures.

Ginette – Peut-être que ses parents voulaient se débarrasser des encombrants…

Jean-Claude s’éloigne un peu pour jouer aux fléchettes avec un certain manque d’habileté qui pourrait même être dangereux pour les autres. Honoré finit son verre.

Honoré – Bon, je crois que le mousseux, ce sera pour une autre fois… J’ai une affaire urgente à régler à la mairie.

Robert – Urgente ?

Honoré – Il faut que je réponde à ce courrier.

Charlie – Ah oui… L’OPA lancée par Beaucon-les-deux-Églises sur Beaucon-la-Chapelle…

Félicien – Je vous accompagne, Monsieur le Maire. Moi aussi, il faut que j’aille prêcher pour ma chapelle…

Le maire et le curé s’en vont. Ginette montre la bouteille de mousseux à Charlie.

Ginette – Un petit coup de mousseux ?

Ce dernier fait signe qu’il y renonce aussi.

Charlie – Merci, vraiment. Et puis il n’est même pas encore midi…

Ginette – Bon, je la garde au frais, alors. Pour une grande occasion…

Robert dirige son regard vers l’entrée du café, visiblement surpris.

Robert – Je me demande si ce jour n’est pas déjà arrivé…

Wendy et Laurence entrent. Leur look très bobos parisiens contraste totalement avec celui des habitants du cru. Wendy, genre star dépressive, se cache derrière des lunettes noires. Laurence est habillée de façon élégante mais un peu plus sobre et moins féminine. Laurence se montrera aussi volontairement positive et enthousiaste, que Wendy est pessimiste voire suicidaire. Wendy jette un regard autour d’elle.

Wendy – On se croirait dans le prégénérique d’un épisode de La Quatrième Dimension…

Laurence – Tu veux t’asseoir cinq minutes ?

Wendy ne répond pas mais se laisse choir sur une chaise.

Laurence – Bonjour Messieurs… Madame… Excusez-moi d’interrompre votre petite réunion, mais … je peux vous poser une question…

Ginette – Oui…?

Laurence – On est où, ici, exactement ?

Blanc.

Robert – Exactement ? Eh bien chère Madame, vous êtes très précisément à Beaucon-la-Chapelle.

Laurence – Ah oui, c’est…

Charlie – Au milieu de nulle part…

Laurence jette un regard à l’écran de son smartphone.

Laurence – En tout cas, je n’ai pas ça sur mon GPS…

Ginette – C’est un petit coin tranquille…

Laurence – C’est clair… Je pensais qu’on était à… En fait je crois qu’on s’est un peu perdues…

Charlie – C’est assez rare que quelqu’un arrive ici de son plein gré, vous savez…

Laurence lance un regard un peu effaré autour d’elle, notamment en direction de Jean-Claude, qui joue toujours aux fléchettes avec un certain manque de talent.

Robert – Je vous sers quelque chose ?

Laurence – Euh… Oui, pourquoi pas ? Wendy, tu veux boire quelque chose… (Wendy ne répond pas) On va prendre deux cocas. Sans glace, s’il vous plaît.

Ginette – Ça tombe bien, je n’ai pas encore rebranché le congélo. Avec le temps qu’il fait…

Robert – Oui, le printemps n’est pas très en avance, cette année.

Charlie – L’année dernière, ici, il est arrivé vers le 15 août, et après on est passé directement à l’automne.

Ginette leur sert deux cocas.

Robert (s’efforçant d’être aimable) – Vous êtes en vacances dans la région ?

Laurence – Oui… Enfin, disons que… On fait un petit break, plutôt… (Plus bas en aparté) Mon amie a eu… un petit coup de fatigue. On avait besoin de couper un peu les ponts…

Charlie – Dans ce cas, vous êtes bien tombées…

Ginette – Beaucon-la-Chapelle, c’est le lieu parfait pour se reposer un peu…

Charlie – Il faut dire qu’on n’a pas beaucoup de tentations…

Laurence – Oui, c’est… C’est charmant, hein Wendy ?

Wendy – Mmm… C’est le bon endroit pour finir ses jours…

Ginette – Oui, on a beaucoup de retraités, par ici…

Wendy – En fait, je voulais plutôt dire le bon endroit pour mettre fin à ses jours…

Un ange passe.

Ginette – Vous envisagez de vous installer à la campagne ?

Laurence – On n’a pas encore eu beaucoup le temps d’y penser mais… Pourquoi pas… C’est vrai qu’on ressent ici une forme de sérénité… Un peu comme dans une église…

Wendy – Oui… Ou un cimetière.

Robert – Nous n’avons qu’une chapelle, mais vous verrez, elle a été entièrement refaite à neuf. On dirait qu’elle a été construite hier…

Laurence – La vie à Paris, c’est tellement stressant… Parfois on se demande si on ne serait pas mieux dans un petit village loin de tout…

Wendy – C’est sûr que là on est loin de tout… On ne sait même pas où on est…

Wendy avale plusieurs cachets et prend une gorgée de Coca pour faire passer le tout.

Laurence – Tu sais ce qu’a dit le médecin ? Pas plus d’un cachet à la fois.

Wendy – Tu as raison… D’ailleurs, je crois que je vais aller vomir…

Charlie – Oui, ça m’a fait ça, moi aussi, la première que je suis arrivé ici… Et après on s’y fait, vous verrez…

Ginette, inquiète pour son carrelage, lui montre le chemin des toilettes.

Ginette – Par ici, je vous en prie…

Wendy sort. Laurence a l’air un peu gênée.

Laurence – Ça doit être le changement d’air…

Robert – C’est vrai qu’ici, on respire mieux qu’à Paris.

Laurence – Oui, nos poumons sont plutôt habitués au monoxyde de carbone. Il doit y avoir un temps d’adaptation…

Elle éternue.

Charlie – Ou alors c’est les pesticides dont ils bombardent les champs de patates. Quand on n’est pas habitué…

Laurence – Des pesticides ?

Charlie – Ah si vous avez l’occasion d’assister à ça, vous verrez, c’est spectaculaire. C’est une des rares attractions qui existent dans le coin. Quand les hélicos débarquent pour larguer leurs produits Monsanto, avec la musique à fond, on se croirait dans Apocalypse Now…

Laurence – Et ce n’est pas nocif ?

Charlie – Ils disent que non, mais… Je me demande si pour Jean-Claude, ce ne serait pas un peu à cause de ça aussi… En plus de la consanguinité, évidemment…

Robert lui lance un regard furibard. On entend à côté un bruit de vomissement bruyant. Léger embarras.

Robert – Et vous faites quoi, dans la vie, à Paris ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr…

Laurence – Je suis journaliste.

Robert – Journaliste ? Non ?

Ginette – Et vous allez faire un reportage sur la région ?

Laurence – On est en vacances, mais bon, qui sait ? Si je trouve un sujet intéressant… En fait, j’envisage plutôt d’écrire un livre…

Robert – Ah oui, un livre, c’est bien aussi…

Ginette – Nous avons un maire qui écrit des livres également.

Laurence – Tiens donc…

Robert – Enfin lui, c’est plutôt des livres d’histoire.

Ginette – Et votre dame ? Enfin, je veux dire, votre amie ? Elle est journaliste aussi ?

Laurence – Pas exactement… C’est une productrice de télévision. (Sur un ton confidentiel) WC Productions, c’est elle…

Ginette – WC ?

Laurence – Vous ne connaissez pas Wendy Crawford ? Ce sont ses initiales…

Robert – Alors elle travaille à la télé ?

Laurence – Vous connaissez l’émission La France a un Incroyable Talent, quand même ?

Ginette – Un Incroyable Talent, vous plaisantez ? Si on connaît ?

Laurence – Eh bien c’est elle ! C’est la productrice de l’émission.

Jean-Claude – Un Incroyable Talent ?

Tous les regards se tournent vers Jean-Claude, dont on avait oublié la présence. Mais il ne dit rien d’autre.

Laurence – Ça fait déjà dix ans que ce programme est à l’antenne. C’est une grosse pression, évidemment. Elle a fait un burn out.

Ginette – Un burn out…? C’est quoi ça ? Une brûlure au troisième degré ?

Robert – Un accident de barbecue ?

Charlie – Du temps où le certificat d’étude existait encore, on appelait ça une dépression nerveuse.

Laurence – En fait, la chaîne a décidé d’arrêter l’émission. Si elle ne veut pas mettre la clef sous la porte, Wendy doit leur proposer quelque chose de plus moderne. Malheureusement, sa dernière émission n’a pas tellement marché…

Robert – Ah oui…

Laurence – Sans parler de cet accident de sous-marin, dans la Mer Baltique… J’imagine que vous en avez entendu parler…

Robert – Oui je… Peut-être bien…

Laurence – C’était un nouveau concept d’émission… On avait réuni dans un sous-marin jaune une brochette de célébrités des années 70 souffrant toutes de claustrophobie, pour leur permettre de faire face à leurs angoisses et de les surmonter.

Ginette – Je crois avoir lu quelque chose là dessus chez le coiffeur.

Laurence – Hélas, le pilote du sous-marin était un ancien pilote de ligne un peu dépressif, et c’est lui qui n’a pas réussi à refaire surface…

Ginette – C’est terrible… Enfin, qu’est-ce que vous voulez, c’est la fatalité…

Charlie (avec emphase) – La grandeur de l’homme libre est d’accepter son destin, sans croire en sa fatalité.

Laurence – Vous êtes professeur ?

Charlie – Oui… Professeur des écoles… Mais là je suis en disponibilité…

Laurence – Bref, WC est dans la merde. Alors j’ai décidé de la mettre au vert pendant un moment, pour éviter qu’elle pète une canalisation…

Nouveau bruit de vomissement.

Charlie – J’espère au moins qu’elle va tirer la chasse.

Laurence – Peut-être qu’en s’éloignant un peu de Paris, elle trouvera son nouveau concept d’émission. Mais pour l’instant, elle a plutôt envie de tout plaquer, et de repartir à zéro.

Robert – Je comprends ça… Nous aussi, parfois, on aimerait bien repartir à Zéro.

Charlie – Mais comme on est déjà à zéro depuis longtemps. On aimerait juste repartir d’ici…

Laurence – En fait, j’ai le projet écrire un biopic.

Robert – Un biopic ?

Laurence – Sur WC. Pour raconter sa vie… C’est passionnant, vous savez, la vie d’une productrice de télé. Alors si on trouvait un endroit tranquille où se poser pendant quelques mois, loin du tumulte parisien…

Ginette – Ah ici vous pouvez être tranquille. Question mobile et internet, on est dans une zone blanche…

Charlie – Parfois, on se demande même si on n’est pas dans un trou noir…

Laurence – Ou une maison de campagne à acheter, pourquoi pas… Histoire de s’enraciner un peu.

Ginette – Vous verrez, ici, on prend vite racine… Et après on ne peut plus en repartir…

Jean-Claude – Je vous montre comment je peux me cacher dans un frigo ?

Ginette (sur un ton de reproche) – Jean-Claude…

Moment de flottement.

Laurence – C’est vraiment spécial, ici, hein ? Je n’ai jamais rien vu d’aussi…

Robert – Authentique.

Laurence – Ce n’est pas le mot que je cherchais, mais…

Robert – Pourquoi ne pas vous installer dans notre village pour quelques jours… ou même plus ?

Laurence – Vous faites hôtel, aussi ?

Robert – On peut toujours s’arranger….

Ginette et Charlie le regardent avec un air étonné. Wendy revient.

Laurence – Tu entends ça, Wendy ? Monsieur propose de nous louer une chambre au Café du Commerce. Qu’est-ce que tu en penses ?

Wendy – Ça me donne envie de retourner vomir…

Ginette – Qui sait, vous finirez peut-être par le racheter, ce bistrot…

Laurence – Ce café est à vendre ? Wendy, tu entends ça ? Ce serait cocasse, non ?

Wendy – Au moins, on ne serait pas dérangés par les clients…

Robert – Tout de suite, là, c’est un peu calme. Mais les touristes ne vont pas tarder à débarquer…

Ginette – C’est bientôt la haute saison…

Laurence (étonnée) – Au mois de mars ? À cause de…?

Robert (ne sachant pas quoi répondre) – C’est à dire que… au printemps…

Charlie – Les champs de pommes de terre sont en fleurs. C’est très romantique, vous verrez…

Laurence – Les pommes de terre… Comme c’est curieux… Tu entends ça, Wendy ?

Wendy – Je ne savais même pas que les patates faisaient des fleurs. Mais si tu veux un bouquet pour ton anniversaire…

Charlie – Ou même un parfum, pourquoi pas ? Patate de Givenchy. Il faut avouer que ce serait original.

Laurence – C’est vrai, on pense aux tulipes, en Hollande, mais les pommes de terre…

Charlie – À Beaucon-la-Chapelle.

Laurence – Mais alors la saison ne doit pas durer très longtemps, dites donc…

Ginette – Ça dépend des variété de patates.

Robert – En fait, ça fleurit un peu toute l’année.

Charlie – Surtout les patates transgéniques, qui sont la spécialité de Beaucon.

Ginette – Non, on ne peut pas dire qu’on ait vraiment une basse saison.

Jean-Claude approche.

Jean-Claude – J’arrive aussi à tenir dans une poubelle, vous voulez voir ?

Ginette – Voyons, Jean-Claude… Tu vois bien que tu embêtes la dame… Si tu allais t’entraîner dehors, hein ? Justement, je viens de la sortir, la poubelle.

Robert met Jean-Claude dehors.

Ginette – Excusez-le… Il est un peu simplet.

Robert – C’est une belle affaire, vous savez.

Laurence – Wendy a raison… C’est un peu mort, non ?

Charlie – C’est vrai que depuis qu’ils ont fait l’autoroute et la déviation…

Ginette – C’est parce que c’est l’heure de la sieste.

Wendy – Il n’est même pas encore midi… Ils font la sieste de bonne heure par ici…

Ginette – En tout cas, vous seriez venues il y a une heure, c’était le coup de feu…

Robert – Sinon, vous pouvez en faire une maison de campagne, pour recevoir vos amis de Paris. Il y a beau logement juste au dessus.

Laurence – Dans un authentique bistrot, c’est vrai que ce serait tordant, non ?

Wendy – Vous avez quelque chose de fort.

Ginette – Vous voulez goûtez une spécialité du pays ?

Robert – Ici, c’est l’alcool de pomme de terre.

Charlie – Croyez-moi, la première fois, c’est une expérience unique.

Robert – Comme l’amour.

Charlie – Et comme l’amour, ça rend parfois aveugle…

Wendy – Je crois que je me laisser tenter.

Robert la sert.

Laurence – Avec tes cachets, tu ne devrais pas…

Wendy – Il faut bien mourir de quelque chose…

Robert – Ça vous dit ?

Charlie – La recette a été inventée par un moine défroqué qui aurait dépucelé Jeanne d’Arc au fond d’une grange lors de son passage dans notre charmante commune en 1429.

Robert – La première tournée est offerte par la maison…

Ils vident leurs verres.

Laurence – Ah, oui, c’est du brutal…

Wendy – On sent bien le goût de la pomme de terre.

Charlie – Oui, quand ça ne vous tue pas tout de suite, ça file la patate.

Robert – Rien que des produits naturels.

Charlie – 100% bio… Biochimique, en tout cas…

Ginette les ressert.

Ginette – La deuxième tournée est offerte par l’Office de Tourisme de Beaucon-la-Chapelle.

Robert – Avec ça, croyez-moi, plus besoin de cachets.

Wendy – C’est sûr que pour se suicider, ça doit être beaucoup plus rapide.

Robert – Mais attention, c’est entièrement légal.

Charlie – C’est le maire qui distille cet élixir dans sa cave avec son alambic clandestin.

Honoré – Et ce divin breuvage est béni une fois par an par notre curé. Un Saint Homme…

Jean-Claude revient, l’air abruti, et couvert de détritus.

Jean-Claude – Je n’ai pas réussi à rentrer dans la poubelle, Tonton. Elle est déjà pleine.

Robert – Non mais il est con, celui-là…

Wendy – Il veut peut-être boire un coup de cette potion magique, lui aussi ?

Ginette – Pas question. Lui, il est tombé dedans quand il était petit.

Robert – Allez, retourne jouer dehors, toi. Tu vois bien qu’on discute !

Jean-Claude (désappointé) – Je m’en fous, un jour j’irai à Paris…

À la surprise de tous, Jean-Claude, désappointé, se met à entonner un couplet de la célèbre chanson de Charles Aznavour « Je m’voyais déjà », tout en esquissant quelques pas de danse façon music-hall :

Rien que sous mes pieds de sentir la scène

De voir devant moi un public assis j’ai le coeur battant

On m’a pas aidé, je n’ai pas eu d’veine

mais au fond de moi je suis sûr au moins que j’ai du talent…

Jean-Claude repart. Les autres ne commentent pas, pensant peut-être à une hallucination dû à l’alcool de pomme de terre.

Ginette – C’est une belle région, vous savez.

Robert (avec un regard appuyé à Laurence) – Qui ne dévoile pas ses charmes tout de suite, comme une belle femme.

Ginette – Et puis cafetier, c’est un beau métier. Le contact avec la clientèle, tout ça.

Roger (à Wendy) – Ça égaierait sûrement une dépressive comme vous, plutôt que de rester dans son coin à ruminer.

Laurence – C’est un peu dingue, mais ça pourrait être marrant, non ? Toi qui voulais changer de vie…

Wendy – Oui enfin… Tant qu’à faire, je parlais plutôt de changer pour une vie meilleure…

Tout le monde commence à être passablement bourré.

Ginette – Allez, je vous fais visiter le logement du dessus. Vous allez voir, c’est très coquet…

Charlie – Et très pratique. Zéro transport. Vous n’avez qu’à descendre l’escalier pour aller au boulot. Ça vous changera du RER.

Ginette entraîne Laurence et Wendy vers l’escalier qui monte à l’étage.

Ginette – Après vous, je vous en prie…

Robert – Attention, l’escalier est un peu raide.

Wendy (titubant) – Je crois que moi aussi, je suis un peu raide.

Elles sortent.

Robert – Là, c’est le Bon Dieu qui les envoie…

Charlie – C’est vrai que ça tient du miracle.

Robert – Et je crois qu’elles ne sont pas insensibles à la magie du lieu.

Charlie – Ou alors c’est l’effet de l’alcool de pomme de terre. Moi aussi, une fois, ça m’a donné des hallucinations.

Robert – Il faut absolument les retenir ici pour cette nuit.

Charlie – Bon allez, je te laisse. Je vais me changer…

Robert – Tu as raison, on a intérêt à faire bonne impression.

Charlie sort. Honoré et Félicien reviennent.

Honoré – C’est qui, ces deux charmantes jeunes femmes que j’ai vu entrer dans ton établissement ?

Félicien – Et qu’est-ce que tu en as fait ?

Robert – Des gens de Paris. Ginette leur fait visiter l’appartement du dessus.

Honoré – De Paris ?

Robert – Il y en a une qui est journaliste, et l’autre qui bosse pour la télé ! Vous vous rendez compte ?

Félicien – Et qu’est-ce qu’elles font là haut ?

Robert – Si elles s’installaient ici, elles pourraient faire de Beaucon-la-Chapelle ce que la Princesse de Monaco a fait avec Saint-Rémy-de-Provence ! La capitale de Boboland !

Honoré – Tu crois ?

Robert – En attendant, j’essaie de leur refourguer mon café.

Félicien – Ah oui, ça ce n’est pas gagné, quand même…

Honoré – Tu penses vraiment qu’elles pourraient avoir envie de s’installer ici ?

Robert – Celle qui bosse dans la téléréalité a l’air complètement à l’ouest, dans le genre dépressive. Et l’autre c’est pareil, mais c’est le contraire.

Félicien – Comment ça, c’est pareil mais c’est le contraire ?

Robert – Ben elle est complètement à la masse, comme l’autre, mais elle trouve tout formidable ! Même Beaucon-la-Chapelle ! Vous imaginez ?

Félicien – Mais comment elles ont fait pour atterrir ici ?

Robert – C’est le Bon Dieu qui nous les envoie, je vous dis. J’en ai presque retrouvé la foi ! Elles cherchent un coin tranquille pour se refaire une santé mentale et écrire leurs mémoires.

Honoré – Tranquille ? Ah oui, elles ne pouvaient pas mieux tomber. Alors tu crois vraiment que…

Un individu masqué en costume de Zorro pénètre alors dans le bistrot, un pistolet à la main (on apprendra peu après que c’est Jean-Claude).
Jean-Claude – Haut les mains. C’est un hold up.

Robert – Oh putain, il ne manquait plus que ça…

Honoré – Un hold-up, maintenant…

Félicien – Décidément, il s’en passe des trucs à Beaucon depuis ce matin…

Honoré – Et toi qui leur as dit que c’était un petit coin tranquille.

Robert – Qu’est-ce qu’il branle ce guignol ? Il va tout faire foirer.

Jean-Claude – Les biftons, et plus vite que ça…

Robert – Tout de suite, mon petit gars, ne t’énerve pas…

Robert se penche sous le comptoir, sort un fusil et le braque sur l’homme qui le met en joue avec un revolver.

Félicien – Ah… Bataille !

Jean-Claude – Eh, ne déconne pas ! Le mien c’est un jouet.

Robert – Je sais, c’est moi qui te l’ai offert pour ta première communion, imbécile ! Avec ta panoplie de Zorro et ta montre de plongée.

L’individu ôte son masque de Zorro. C’est Jean-Claude. Robert range son fusil.

Honoré – Non mais quel crétin…

Robert – Les bobos ne vont pas tarder à redescendre, qu’est-ce qu’on va faire de cet abruti ?

Jean-Claude – Je voulais juste un peu de tune pour prendre le train et me présenter au concours à Paris

Félicien – Au concours ?

Jean-Claude – Un Incroyable Talent…

Félicien – Il faudrait peut-être appeler la gendarmerie, non ?

Honoré – Ou l’asile psychiatrique…

Robert – On n’a pas le temps. Et puis on ne va pas effrayer ces dames avec l’arrivée de la maréchaussée…

Robert montre à Jean-Claude le congélo.

Robert – Rentre là-dedans toi !

Jean-Claude – Là-dedans ?

Robert – Tu es contorsionniste ou pas ?

Jean-Claude – Oui, mais…

Robert – Ça va sûrement beaucoup impressionner la dame de la télé que tu puisses te cacher dans un congélateur…

Jean-Claude – Tu crois ?

Robert – Tu veux participer à cette émission, oui ou non ?

Jean-Claude – Bon d’accord…

Félicien – Il n’est pas contrariant, au moins…

Honoré – Oui… Ça m’étonne moins maintenant que ses parents aient réussi à le faire entrer dans une poubelle jaune…

Jean-Claude entre dans le congélo.

Robert – Ne vous inquiétez pas, il est débranché. On y met les eskimos en été, mais ce n’est pas encore la saison.

Ginette redescend avec Laurence et Wendy. Robert s’empresse de refermer le couvercle du congélateur.

Robert – Mesdames, je vous présente Monsieur le Maire, qui tenait à vous souhaiter personnellement la bienvenue dans notre charmante commune…

Laurence – Monsieur… Très honorée.

Honoré – Ah ! C’est amusant parce que justement, je me prénomme Honoré…

Laurence – Ah, oui…

Robert – Et voici notre curé, qui…

Félicien – Ma sœur…

Robert – Qui passait par là.

Robert – Alors, ça vous plaît, ce petit nid d’amour ?

Laurence – Oui, c’est…

Wendy – Comment vous dites déjà ?

Ginette – C’est coquet.

Laurence – C’est ça… C’est coquet. Hein Laurence ?

Wendy – Oui, c’est… C’est tout à fait le mot…

Moment de flottement.

Robert – Ça doit vous changer de Paris, évidemment.

Laurence – D’un autre côté, puisque tu cherches un nouveau concept de téléréalité… Un petit séjour ici, ça te permettrait de renouer avec la France profonde.

Wendy – C’est sûr que là… Plus profond, il faut une pelle… Pour creuser sa tombe soi-même…

Ginette – Il y a quelques travaux de rafraîchissement à prévoir, bien sûr, mais…

Laurence – On peut réfléchir, hein Wendy ?

Wendy – C’est ça, on va réfléchir… En attendant, il faut qu’on trouve un endroit pour dormir… Je tombe de sommeil, moi…

Laurence – Vous savez s’il y a un hôtel, dans le coin ? Parce qu’ici, quand même…

Wendy – Comme vous disiez, il y a quelques travaux à prévoir… Comme l’installation d’une salle de bain, par exemple…

Honoré – Hélas… Pour l’instant, nous n’avons qu’un hôtel de ville… et quelques chambres d’hôtes. Mais je me ferai un plaisir de…

Félicien – Pour une nuit ou deux, je peux vous offrir l’hospitalité au presbytère.

Laurence – Au presbytère…? Qu’est-ce que c’est ça ?

Félicien – Je suis le modeste berger de ce troupeau de pauvres pécheurs.

Laurence – Un berger qui garde des pécheurs ?

Wendy – Monsieur essaie de t’expliquer qu’il est ecclésiastique…

Laurence – Curé, bien sûr ! Vous me l’avez dit tout à l’heure… Mais comme vous n’êtes pas habillé en…

Félicien – Ah… L’habit ne fait pas le moine…

Laurence – Mais c’est très galant de votre part… Enfin, je veux dire… Un presbytère… C’est génial, non ?

Wendy – Oui. Passer la nuit dans un presbytère, c’est sûrement un truc qu’une femme doit faire au moins une fois dans sa vie…

Félicien – Mais c’est tout naturel. Simple charité chrétienne.

Laurence – Et puis chez un curé, qu’est-ce qu’on risque ?

Robert – Ça… C’est vous qui voyez…

Honoré – Bon, alors c’est arrangé comme ça. Vous verrez, vous ne serez pas déçues…

Félicien – Si vous voulez bien me suivre…

Laurence et Wendy suivent Félicien. Et ils s’apprêtent à sortir tous les trois. Ils croisent Charlie qui revient, habillé en femme. Laurence ne le reconnaît pas. Wendy le regarde avec méfiance.

Laurence – Madame…

Charlie (à Wendy) – On dirait que l’air du coin vous a fait déjà du bien…

Wendy (à Laurence) – Tu es sûre qu’ils ne nous emmènent pas dans le motel de Psychose, plutôt ?

Ils sortent.

Robert – Une journaliste et une productrice de télé ! C’est inespéré !

Honoré – Tu crois vraiment que ces deux bobos vont acheter un bistrot en faillite à Beaucon-la-Chapelle ?

Ginette – C’est très courant les gens du show biz qui rachètent un bistrot pour en faire la cantine du show-biz.

Charlie – Depardieu a même acheté une boucherie.

Honoré – Sans parler de ceux qui s’installent à la campagne pour retrouver leurs racines paysannes…

Ginette – Jean Reno fait son huile d’olive. Et Depardieu son vin de pays.

Charlie – Mais bizarrement, on ne connaît aucune vedette qui cultive des patates transgéniques.

Ginette – Ce serait une première…

Robert – Bon, tu as raison, elles ne vont pas acheter ce bistrot pourri. Mais elles travaillent pour la presse et pour la télé ! Elles pourraient parler de notre village et le faire un peu connaître.

Honoré – Je ne vois pas trop ce qui pourrait les intéresser ici…

Ginette – On va bien trouver. Il y a des tas de village en France qui n’ont aucun charme particulier, mais qui sont connus pour quelque chose…

Honoré – Ah ouais ?

Robert – Tiens, Bethléem ou Colombey-les-deux-Églises, par exemple !

Honoré – Colombey-les-deux-Églises, ils avaient De Gaulle…

Ginette – Et à Bethléem, Jésus Christ.

Charlie – À Beaucon-la-Chapelle, on n’a que Jean-Claude…

Robert – L’important, c’est de trouver un moyen pour qu’on parle de nous ! Ça attirerait un peu de monde.

Ginette – Au moins, les gens sauraient où on se trouve sur la carte.

Charlie – Et il ne serait plus question qu’on se fasse annexer par le bourg d’à côté !

Honoré – On garderait notre maire, notre instituteur, notre curé…

Ginette – Et nous on récupérerait quelques clients !

Robert – Dans l’immédiat, ce qu’il faudrait, c’est trouver une idée pour les retenir ici.

Ginette – Au moins momentanément…

Charlie – Le temps de les convaincre que l’endroit le plus animé de Beaucon-la- Chapelle, ce n’est pas le cimetière une fois par an à la Toussaint…

Honoré – Oui… Il faudrait pouvoir attirer du monde pour mettre un peu d’ambiance… Mais comment ?

Ils réfléchissent.

Robert – Un happy hour ?

Charlie – Il n’y a pas un client à 20 kilomètres à la ronde… Qui ferait 40 bornes aller-retour pour boire un deuxième verre d’alcool de pomme de terre à l’œil ?

Charlie – S’il arrive à survivre au premier…

Ginette – Bon, ben je vous laisse réfléchir… Je vais faire mes courses, moi… Si on doit avoir du monde, il faut que je réapprovisionne… Et ce n’est pas la porte à côté…

Ginette s’en va. Félicien revient.

Honoré – Alors ?

Félicien – Je les ai laissées dans le jacuzzi…

Robert – Je croyais que c’était un bassin d’agrément…

Félicien – En tout cas, elles ont l’air de se plaire…

Honoré – De là à ce qu’elles s’installent ici, il ne faut pas rêver, non plus.

Robert – On a déjà les médias, il ne reste plus qu’à trouver quelque chose pour faire parler de Beaucon…

Félicien – On pourrait organiser une kermesse ?

Robert – Putain, avec ça… Et pourquoi pas une procession, aussi ?

Charlie – Non, ce qu’il faudrait, c’est un bon fait divers bien croustillant.

Honoré – Tu as raison ! Ça, ça pourrait attirer du monde si les journaux en parlaient.

Charlie – C’est vrai… Le port où a coulé le Costa Concordia ne désemplit pas depuis le naufrage. C’est devenu un véritable lieu de pèlerinage !

Robert – Ouais, mais il y a peu de chance qu’un paquebot vienne s’échouer à Beaucon…

Charlie – Aucune chance pour un crash aérien non plus. Même les avions ne survolent pas Beaucon-la-Chapelle.

Félicien – Sauf les avions qui déversent des pesticides sur les champs de patates.

Charlie – Et aucun pilote de ligne n’est assez déprimé pour venir s’écraser volontairement ici…

Honoré – Non, il faut voir les choses en face… Nous on est plutôt dans la catégorie film à petit budget. Il faudrait quelque chose de moins grandiose, mais de très insolite…

Félicien – Un accident…

Robert – Ou même un crime épouvantable…

Félicien – On ne va pas tuer quelqu’un, et le découper en morceau, juste pour faire venir du monde à Beaucon-la-Chapelle !

Honoré – On vient d’échapper à un hold up, c’est peut-être une piste.

Charlie – Un gogol armé d’un pistolet en plastoc et d’un masque de Zorro… J’ai peur que ça ne suffise pas pour faire la une des journaux nationaux…

Ils entendent des coups.

Robert – Merde, on a oublié Jean-Claude dans le congélo…

Robert ouvre la porte du congélateur et aide Jean-Claude à en sortir.

Jean-Claude – Alors ? J’étais comment ?

Robert – Bien, très bien…

Charlie – Heureusement que le congélo n’était pas branché.

Honoré – Ouais…

Robert – Nom de Dieu ! Ça me donne une idée !

Félicien – Tu me fais peur…

Robert – Vous pensez à ce que je pense ?

Charlie – C’est vrai qu’un cadavre retrouvé dans un congélateur…

Honoré – Ah oui, un congélo, c’est bien ça… Et puis ça reste dans nos moyens…

Félicien – Pour faire venir les touristes, un cadavre dans le congélateur d’un bistrot de pays… Vous êtes sûr que c’est vraiment vendeur ?

Charlie – Il suffit d’inventer une belle histoire autour.

Robert – Je vois déjà le gros titre du journal.

Honoré – Dramatique accident à Beaucon-la-Chapelle : Fan de l’émission Un Incroyable Talent, il meurt congelé en s’entraînant pour le concours !

Robert – Ça plairait à nos bobos qui travaillent pour la télé, ça !

Tous les regards se tournent vers Jean-Claude.

Jean-Claude – Quoi, qu’est-ce que j’ai ?

Félicien – Mais enfin, vous n’y pensez pas ! On ne va pas sacrifier ce pauvre innocent, simplement pour faire un peu de pub pour notre village…

Robert – Non, mais il ne serait pas vraiment mort. Enfin pas complètement.

Félicien – Comment ça, pas complètement ?

Robert – Jean-Claude, ça te dirait de devenir célèbre ?

Jean-Claude – Célèbre, Tonton ? Tu veux dire, passer à la télé, tout ça ?

Robert – Ouais… Peut-être même dans Ouest France ou Le Dauphiné libéré.

Jean-Claude – Et qu’est-ce que je dois faire ?

Honoré – Trois fois rien…

Charlie – Juste d’être mort.

Jean-Claude – Ah non, mais moi, je veux être connu de mon vivant !

Robert – Bon, tu préfères ça ou qu’on appelle les flics ? Attaque à main armée, tu sais dans les combien ça va chercher, ça ?

Jean-Claude – Non, combien ?

Robert – Je n’en sais rien, mais ce n’est pas la question.

Honoré – Et puis tu ne seras pas vraiment mort.

Robert – On ne mettra pas le congélo à fond.

Jean-Claude semble hésiter.

Jean-Claude – Et tu me donneras un peu d’argent pour acheter mon billet de train pour Paris ?

Robert – C’est promis Jean-Claude. Tu as confiance en ton parrain, oui ou non ?

Jean-Claude – D’accord… Mais je n’ai pas bien compris. Je serai mort pendant combien de temps ?

Honoré – Tu seras mort au début.

Robert – Mais après, non.

Jean-Claude – Comme Jésus alors, hein Monsieur le Curé ?

Félicien – C’est ça… Comme Jésus…

Charlie – Tout va bien se passer, tu verras…

Honoré – Et à la fin, tu ressusciteras, comme Jésus.

Charlie – On va tout filmer, et on mettra ça sur You Tube, ça va être mortel.

Félicien – Tu vas faire le buzz mon frère. Ça va être viral !

Robert – Jean-Claude, c’est le moment de nous montrer à tous ton incroyable talent…

Jean-Claude – Bon, d’accord…

Jean-Claude rentre à nouveau dans le congélateur. Charlie filme avec son téléphone portable. Robert rebranche le congélateur.

Félicien – Vous allez vraiment le brancher ?

Robert – Ne t’inquiète pas, on va le mettre au minimum. Il sera seulement en légère hypothermie, pour que ce soit plus crédible.

Honoré – Juste un peu givré, ça ne le changera pas beaucoup…

Robert – Je vais le mettre sur deux…

Félicien – Et si il meurt vraiment ? Vous y avez pensé ? C’est toi qui seras accusé de meurtre, Robert ! C’est ton congélo, quand même !

Honoré – Mais il ne va pas mourir ! Au pire il s’en sortira avec un gros rhume.

Charlie – Un ou deux doigts gelés au maximum. Comme ces alpinistes qui partent à la conquête de l’Himalaya. Quand on veut être un héros, il faut savoir faire des sacrifices…

Félicien – Oui enfin là, il s’agit simplement de rester enfermé dans un congélo…

Charlie – Entre nous, pour ce qu’il fait de ses doigts… Si on lui en coupe deux ou trois, il lui en restera bien assez pour se les mettre dans le nez…

Robert – C’est juste le temps de faire un peu de foin autour de ça et faire parler de notre village dans les médias.

Charlie – Mais les flics, ils vont bien voir qu’il n’est pas mort !

Robert – C’est vrai que là, c’est peut-être le point faible de notre plan.

Honoré – Les flics ? Tu les connais ! Avec un petit verre dans le nez, ils prendraient ta femme pour Miss France…

Robert lance à Honoré un regard menaçant.

Robert – Je ne sais pas comment je dois le prendre…

Charlie – Il veut dire qu’à jeun, ils la prendraient pour Miss Monde.

Robert – On mettra quelques glaçons par dessus, pour que ce soit plus crédible…

Jean-Claude ressort la tête du congélateur.

Jean-Claude – Ça va, je suis bien coiffé ?

Robert – Mais oui, ne t’inquiète pas.

Jean-Claude – Et mon T shirt, ça va ?

Charlie continue à filmer.

Robert – Allez, rentre dans ta boîte, toi. Ginette ne va pas tarder à rentrer…

Jean-Claude – Il ne fait pas très chaud là dedans.

Robert – C’est un congélateur, abruti !

Jean-Claude – Et il n’y a pas beaucoup de lumière…

Félicien – Je me suis toujours demandé si quand on fermait la porte d’un frigo, la lumière s’éteignait vraiment.

Charlie – Vous feriez mieux de vous demander s’il y a vraiment une vie après la mort…

Honoré – En tout cas, là, on aura un témoin oculaire… Enfin si on arrive à le décongeler…

Robert – Au pire, la journaliste pourra toujours faire un article là-dessus…

Charlie – J’entends déjà Jean-Pierre Pernaud au journal de 13 heures : Vous vous êtes toujours demandé si la lumière s’éteignait vraiment quand vous fermez la porte de votre congélo ? Un courageux habitant de Beaucon-la-Chapelle a accepté de se prêter à une curieuse expérience pour apporter une réponse définitive à cette angoissante question…

Jean-Claude – Le journal de 13 heures ? Ok, j’y retourne…

Jean-Claude rentre dans le congélateur. Robert prend le seau à glaçon et en déverse le contenu dans le congélateur.

Félicien – Vous allez le laisser combien de temps, là dedans.

Honoré – Une nuit, ça suffira.

Robert – On va laisser Ginette en dehors de ça, et c’est elle qui le découvrira demain matin. Ce sera plus crédible. Elle est très mauvaise comédienne…

Honoré – Ne t’inquiète pas Félicien. Tu vois bien, s’il y a un problème, il peut sortir tout seul…

Honoré – Bon, maintenant vous feriez mieux d’y aller avant que Ginette revienne. Je ne suis pas sûr que vous soyez très bons comédiens vous non plus…

Ils sortent tous. Ginette revient avec les courses, qu’elle commence à ranger.

Ginette – Je vais m’occuper des eskimos avant qu’ils fondent… (Elle met les glaces dans le congélateur sans voir Jean-Claude) Il faut que je rebranche le congélo… Ah, Robert y a déjà pensé… Mais il ne l’a pas mis assez fort… Je vais le mettre à 10… (Elle referme la porte du congélateur et pose dessus un sac de patates qu’elle a ramené) Bon, je m’occuperai des frites demain matin, je suis crevée, moi…

Elle s’apprête à partir, mais jette un dernier regard vers le congélo.

Ginette – C’est marrant, je me suis toujours demandé si la lumière du congélo s’éteignait vraiment quand on fermait la porte… Enfin…

Elle éteint la lumière et s’en va. On entend des coups dans le congélateur.

Noir. Ellipse de la nuit. Possible entracte.

Acte 2

Lumière. Ginette arrive en baillant, et met le bistrot en route, comme tous les matins. Elle prend le sac de patates sur le congélo et commence à en éplucher quelques unes en frites.

Ginette – Des frites, des frites, des frites…

Robert arrive.

Robert – Bonjour ma chérie, tu as bien dormi ?

Elle lui lance un regard interloqué.

Ginette – Ça ne va pas, tu es malade ?

Robert – Si, si, tout va très bien. Qu’est-ce que tu fais ?

Ginette – Ben tu vois, j’épluche des patates.

Robert – Ah oui…

Ginette – Je vais mettre des frites à congeler. On en aura pour tout l’été…

Robert – Tu veux que je t’aide à les éplucher ?

Ginette le regarde à nouveau avec un air soupçonneux.

Robert – Comme ça tu pourras préparer le breakfast des parisiennes…

Robert se met à éplucher les patates. Ginette le regarde avec stupéfaction.

Ginette – Tu es sûr que ça va ?

Robert – Ben oui, pourquoi ?

Ginette – Je ne sais pas… C’est la première fois que je te vois éplucher des patates.

Robert (avec un regard vers la porte) – Tiens, les voilà justement…

Ginette – Un breakfast… Et pourquoi pas un brunch, aussi…

Laurence et Wendy arrivent.

Robert – Bonjour Mesdames ! Alors ? Bien dormi ?

Laurence – Comme une souche !

Wendy ne répond pas, mais la nuit n’a pas l’air de lui avoir beaucoup profité.

Robert – Je vous l’avais dit, vous finirez par prendre racine.

Wendy – En attendant, je vais prendre un thé citron.

Laurence – La même chose pour moi.

Ginette – Je vous fais ça tout de suite…

Ginette prépare le thé.

Laurence – Vous avez des croissants ?

Ginette – Ah non… Mais je peux vous faire des frites, si vous voulez. Elles sont toutes fraîches…

Wendy – Merci, ça ira…

Ginette – Deux thés citron, ça roule… Mais je vous préviens, on n’a pas de citron.

Laurence – Du moment que l’eau est chaude, ce sera parfait…

Robert – Ne vous inquiétez pas… De toute façon, ici, on la fait toujours bouillir… C’est plus prudent…

Ginette – Pendant que l’eau chauffe, je vais voir si mon congélo est assez froid pour que je puisse surgeler mes patates…

Robert affiche un sourire idiot.

Robert – Asseyez-vous, je vous en prie. Ça ne va pas tarder…

Les deux parisiennes s’asseyent à une table.

Wendy (en aparté à Laurence) – Tu as raison, on ne va pas s’attarder ici… C’est typique, mais bon… Ils ont l’air un peu dégénérés, tous autant qu’ils sont…

Laurence – C’est vrai que quand le curé est venu nous rejoindre hier soir dans le jacuzzi, c’était un peu spécial…

Wendy – Si encore il avait mis un maillot de bain…

Robert continue d’éplucher ses patates.

Robert – Je crois que ça va être une belle journée.

Elles sourient poliment.

Wendy – Regarde-le, celui-là, avec son grand couteau, en train couper ses patates transgenre…

Laurence – Transgénique, tu veux dire.

Wendy – On se demande combien de clients de passage il a déjà égorgés avec… Comment ça s’appelle déjà, ce bistrot ? L’auberge Rouge ?

Laurence (riant nerveusement) – Arrête, tu vas finir par me faire peur…

Wendy – Je me demande où ils planquent les corps…

Laurence – Dans la cave, peut-être…

Wendy – Ou dans le congélateur.

Elles étouffent un rire nerveux.

Laurence – Allez… On avale notre thé, et on s’en va…

Laurence sursaute en entendant le cri que pousse Ginette en ouvrant le congélateur.

Ginette – Oh mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que cette horreur ?

Robert (feignant la surprise) – Qu’est-ce qui se passe ?

Ginette – Il y a un macchabée dans le congélo !

Robert – Quoi ?

Laurence lance un regard effaré à Wendy.

Robert (jouant mal la surprise) – Un macchabée ? Mais c’est qui ?

Ginette – Je ne sais pas… Je n’ai pas osé regarder ! J’ai juste aperçu deux yeux qui me regardaient fixement à travers les glaçons !

Charlie arrive.

Charlie – Qu’est-ce qui se passe ?

Robert – Ginette vient de trouver un cadavre dans le congélo !

Charlie – Pas possible ! Quelqu’un qu’on connaît ?

Robert – On ne sait pas encore…

Charlie filme avec son portable.

Laurence – C’est des dingues… Allez viens, on s’en va…

Wendy – Ah non, attends un peu ! Maintenant que ça commence à être intéressant…

Ginette – Il faut prévenir la police…

Robert – Quelle histoire…

Wendy – Je pourrais avoir mon thé, après ?

Robert – Je m’en occupe tout de suite… The tea must go on…

Ginette décroche le téléphone.

Ginette – Oui, le commissariat ? Il faut venir tout de suite. Il y a de la viande froide dans le congélo. Non, pas un bébé, vous pensez bien que je ne vous dérangerais pas pour si peu.

Robert sert le thé.

Robert – Un nuage de lait ?

Ginette – Oui, à Beaucon-la-Chapelle. Où c’est…? Disons, au kilomètre 22 entre Beaucon-les-deux-Églises et Beauchamp-la-Fontaine… Merci, on vous attend…

Robert – Alors ?

Ginette – Ils envoient tout de suite deux spécialistes de la police scientifique…

Laurence – La police scientifique ? On se croirait dans une mauvaise série télé à la française…

Charlie – Pourquoi est-ce que cette expression sonne comme un pléonasme…?

Wendy – Les Experts à Beaucon-la-Chapelle… Forcément, ça sonne moins bien que Les Experts à Miami…

Laurence – En tout cas, je crois qu’on va bientôt parler de ce bled dans le canard local…

Wendy – Comme disait Andy Warhol : tout le monde a droit à son quart d’heure de célébrité…

Honoré et Félicien arrivent.

Honoré – Alors Mesdames, tout se passe bien ?

Charlie – On vient de trouver un cadavre dans le congélateur.

Félicien – Un cadavre ? Tu veux dire un cadavre humain ?

Charlie – Ben oui, pas un cadavre de bœuf réparti en steaks hachés surgelés.

Ginette ouvre à nouveau la porte du congélateur.

Ginette – Regardez ! Il a laissé une lettre sur la porte du congélo, à l’intérieur…

Félicien – Une lettre ?

Robert – Non ?

Ginette – Enfin, c’est plutôt un message gravé sur la glace. Un lettre d’adieux, peut-être…

Honoré – Alors ce serait un suicide ?

Charlie – À ma connaissance, ce serait la première fois que quelqu’un se suicide en s’enfermant volontairement dans un congélateur.

Honoré – Oui… Dans un sauna, c’est déjà arrivé, je crois, mais dans un congélo…

Charlie s’approche du congélateur.

Charlie – Ou alors, il a laissé ce message pour désigner à la police le nom de son assassin…

Honoré – Non…

Robert (à Ginette) – Eh ben lis !

Ginette – C’est bourré de fautes d’orthographe…

Charlie – C’est curieux… Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne pas ?

Ginette – J’ai du mal à comprendre le début…

Félicien – L’instituteur saura peut-être mieux déchiffrer ces gribouillis, il a l’habitude.

Charlie regarde dans le congélateur.

Charlie – C’est curieux… Cette écriture m’est étrangement familière…

Robert – Alors ?

Charlie – Attendez que je regarde… Ah oui, ça y est : Robert m’a tué…? (Consternation de tous les autres, qui regardent Robert) Non, je déconne…

Ginette – Allons, Monsieur l’instituteur, ce n’est pas le moment de plaisanter.

Charlie – Voyons voir… (Lisant) J’ai un incroyable talent… mais je commence à me les geler.

Tous se regardent, consternés. On entend un bruit de retors d’hélicoptère.

Félicien – Qu’est-ce que c’est que ça ? Habituellement, Monsanto ne bombarde pas en cette saison ?

Ramirez et Sanchez, les deux flics, arrivent. Ils ont plutôt l’air de ploucs que de policiers d’élite. Ramirez, le commissaire, peut ressembler vaguement à Columbo.

Robert – Ah, voilà la police scientifique…

Ginette – Eh ben, ils sont rapides.

Charlie – C’est les forces spéciales. Ils ont dû les parachuter…

Ramirez – Commissaire Ramirez, et voici l’inspecteur Sanchez. On est venus en hélico, pour aller plus vite, mais on a eu du mal à le trouver, votre foutu bled.

Sanchez – De là haut, pour se repérer, on a suivi la route. Mais elle s’arrête au beau milieu d’un champ de patates.

Honoré – Ah oui, c’est l’ancienne route nationale. Elle a été déclassifiée en chemin vicinal il y a quelques années quand ils ont construit l’autoroute.

Robert – Ce qui a fait beaucoup de tort aux commerces de Beaucon, croyez-moi.

Ramirez – Des commerces ? Quels commerces ?

Sanchez – On ne savait même pas qu’il y avait encore des gens qui habitaient ici.

Félicien – Avant guerre, on avait encore une épicerie… Enfin, c’est ce qu’on dit…

Honoré – Maintenant, on va une fois par mois chez Carrefour et on met tout au congélateur.

Ramirez – Ah, justement… Alors ce congélateur ?

Sanchez – Where is the body ? Comme disent nos collègues américains…

Robert – C’est par là, mais vous avez bien le temps de prendre un petit remontant avant, non ?

Ginette – Parce que je vous préviens, ce n’est pas beau à voir…

Ramirez – Je ne sais pas si… À ce point-là ?

Honoré – Il est dans le congélo ! Il ne risque pas de s’abîmer…

Ramirez – Dans ce cas… Allez, un petit alors. Pour nous donner un peu de coeur à l’ouvrage, pas vrai Sanchez ?

Robert – Mesdames, ça vous tente ? Pour remplacer le citron dans votre thé ?

Wendy – Pourquoi pas…

Laurence – Au point où on en est.

Robert verse une dose dans chacune des tasses et repart. Laurence regarde sa tasse.

Laurence – Tu as vu ? Le thé est devenu transparent comme de l’eau.

Wendy – Ah oui…

Laurence – C’est peut-être toxique.

Wendy – On alors, c’est qu’ils ont oublié de mettre le thé dans l’eau chaude.

Laurence – En tout cas, l’eau s’est remise à bouillir…

Elles échangent un regard inquiet.

Ramirez – Ce n’est pas mauvais…

Sanchez – En tout cas, on le sent bien passer.

Ramirez – Ça réveille…

Sanchez – Je vois un peu trouble, c’est normal ?

Charlie – Ne vous inquiétez pas, en général, c’est passager.

Félicien – On a rapporté quelques cas de cécité permanente, mais c’est extrêmement rare.

Sanchez – Ah oui, c’est plutôt une drogue dure, dites donc.

Ramirez – Enfin, tant que ça reste légal…

Sanchez – Ça dégage bien les bronches, aussi.

Ramirez – Ce n’est pas inflammable, au moins ?

Charlie – Je connais un cracheur de feu qui utilisait ça à la place du super sans plomb parce que c’était moins cher.

Honoré – Moi-même j’en mets parfois un peu dans mon Quatre Quatre et je n’ai pas remarqué que ça marchait moins bien.

Ramirez – En effet… Je n’ai jamais bu de Diesel, mais je crois que ça doit avoir un goût similaire.

Félicien – C’est vrai que si on buvait du Destop après ça, on aurait sûrement l’impression de boire de l’eau bénite.

Ils finissent tous leurs verres.

Ramirez – Bon, alors ce cadavre humain ?

Robert – Par ici Commissaire, je vous en prie…

Ramirez – Allez-y, Sanchez. Vous savez que moi, je supporte très mal de voir un mort. (Aux autres) Je crois que si j’arrête ce métier un jour, ce sera à cause de ça…

Robert ouvre la porte du congélateur. L’instituteur filme.

Sanchez – Ah oui, dites donc, il est dur comme du bois.

Honoré – Pardon ?

Sanchez – Venez voir, Chef.

Ramirez – Non, non, je vous fais confiance.

Robert, Honoré et Félicien s’approchent pour vérifier.

Félicien – Nom de Dieu, il est vraiment congelé…

Ramirez – Vous avez l’air surpris, mon Père… Pourtant, vous, vous avez l’habitude d’en voir, des macchabées…

Robert – Je ne comprends pas ! Je l’avais mis au minimum…

Consternation de Robert, Honoré, Félicien et Charlie.

Ginette – C’est moi qui l’ai mis sur dix hier soir. Pour congeler les frites, ce matin…

Sanchez – Et si c’était une affaire de bébés congelés, chef ?

Ramirez – C’est un bébé ?

Sanchez – Non. Ça a plutôt l’air d’être un homme d’une vingtaine d’années…

Ramirez – Eh ben alors ?

Sanchez – Il a peut-être survécu jusqu’à cet âge-là en mangeant ce qu’il y avait dans le congélo. Et quand il n’y a plus rien eu il est mort de faim ?

Ramirez – C’est une piste intéressante, Sanchez… Qu’est-ce qu’il y avait dans ce congélo ?

Ginette – Rien. Il est resté débranché tout l’hiver…

Ramirez – Je vois…

Sanchez – Chef, je crois qu’il a aussi essayé de dessiner quelque chose sur le couvercle.

Ramirez – Non ? Là il faut quand même que je vois ça…

Ramirez s’approche.

Ramirez – Ah oui, dites donc… C’est la Grotte de Lascaux, là dedans… Qu’est-ce que ça veut dire ?

Sanchez – Je ne sais pas… On dirait des hiéroglyphes…

Ramirez – Prenez tout ça en photo, Sanchez. Et refermez la porte avant que ça fonde. On fera analyser ça par un égyptologue.

Sanchez – Pour quoi faire Chef ?

Ramirez – Pour cerner la personnalité de la victime.

Sanchez – Généralement, on cherche plutôt à cerner la personnalité de l’assassin…

Ramirez – Ne commencez pas à m’embrouiller, Sanchez. Vous voulez m’apprendre mon métier ?

Sanchez – Mais pas du tout, Chef. Je prends ça en photo tout de suite…

Ramirez – On demandera au labo une datation au carbone 14. Quand on saura quand il est mort, on pourra faire des hypothèses sur les circonstances du décès…

Robert – Vous nous soupçonnez, Commissaire ?

Ramirez – C’est quand même chez vous qu’on a retrouvé le corps.

Ginette – Mais c’est nous qui avons appelé la police !

Ramirez – Si vous saviez le nombre d’assassins qui appellent eux-mêmes la police après avoir commis leur crime, vous seriez surpris.

Honoré – Et à votre avis, Commissaire, la mort remonte à combien de temps ?

Ramirez – Le problème, avec les surgelés, c’est que c’est toujours difficile à dire. Ce type peut être là depuis hier comme depuis six mille ans.

Sanchez – J’espère que vous avez tous un bon alibi entre le Jurassique et le Crétacé…

Ginette – Puisque je vous dis que ce congélateur n’est branché que depuis hier soir…

Sanchez – Qu’est-ce qu’on fait, patron, on le sort du congélo ?

Ramirez – Pour l’instant il est bien là… Vous savez, avec les surgelés, il faut éviter toute rupture dans la chaîne du froid…

Sanchez – Alors qu’est-ce qu’on fait, Patron ?

Ramirez – Qu’est-ce qui vous prend, Sanchez ?

Sanchez – Quoi Patron ?

Ramirez – Jusqu’à maintenant, vous m’appeliez Chef. Pourquoi est-ce que vous vous mettez à m’appeler Patron. Je n’aime pas beaucoup ces familiarités.

Sanchez – Pardon Chef, vous avez raison.

Ramirez – On n’est pas dans un épisode de Navarro, Sanchez. Nous représentons l’élite de la Police : la police scientifique !

Sanchez se met au garde-à-vous.

Sanchez – Chef, oui Chef !

Ramirez – Repos.

Sanchez – Alors qu’est-ce qu’on fait, Patron ?

Ramirez – Fouillez-moi plutôt ce taudis… (En aparté) Et n’hésitez pas à foutre un maximum de bordel même si ce n’est pas nécessaire, ça impressionne toujours les suspects.

Sanchez – Bien, Chef.

Sanchez commence à fouiller le café en remuant un maximum de choses et en faisant un maximum de bruit.

Ramirez (à Ginette) – Alors comme ça, chère Madame, vous êtes la dernière personne a avoir vu la victime vivante ?

Ginette – Euh… non. Je suis la première à l’avoir vu morte.

Ramirez – Oui, c’est aussi ce que je voulais dire. Donc c’est vous qui avez découvert le corps. Ce qui fait de vous le suspect numéro un.

Robert – Mais enfin, Commissaire !

Ramirez – Vous, je vous conseille de la fermer. Vous l’ouvrirez quand on vous le demandera, d’accord ?

Sanchez – Chef, je crois que j’ai trouvé l’arme du crime.

Il sort de derrière le comptoir le pistolet en plastique que Robert a confisqué à Jean-Claude.

Ramirez – C’est un jouet, Sanchez. Vous voyez bien.

Sanchez – Vous avez raison, chef… Et puis la victime n’est pas morte par balle…

Ramirez – Ça, ce sera à l’autopsie de le confirmer. On a très bien pu le tuer avec ce revolver et le mettre ensuite au frais dans le congélateur.

Sanchez – Mais vous disiez vous même que c’était un pistolet en plastique…

Ramirez – Ne recommencez pas à m’embrouiller, Sanchez. (Il se fige comme en proie à une vision) Je viens d’avoir un flash… Et il me semble que cette affaire est beaucoup plus compliquée qu’elle n’en a l’air.

Sanchez – Pour moi, elle avait l’air déjà assez compliquée…

Charlie – Méfiez-vous, Commissaire, pour le flash, c’est peut-être un effet de l’alcool de patate…

Sanchez continue à fouiller.

Sanchez – Sinon, on a ça, aussi.

Il sort le fusil de chasse.

Ramirez – C’est à vous, ce fusil ?

Robert – Quoi, c’est interdit de chasser ?

Ramirez – Non… Mais c’est louche. Qui vole un oeuf, vole un boeuf. Qui tue un sanglier, est un meurtrier. Il y a un logement, au dessus ?

Robert – Oui.

Ramirez – Venez, Sanchez, on va jeter un coup d’œil là-haut… (Avec un regard vers les deux parisiennes) Ce bistrot m’a tout l’air d’être un hôtel de passe…

Sanchez – En attendant, personne ne bouge d’ici, d’accord ?

Ramirez – Vous la mère maquerelle, vous passez devant.

Ginette – Si vous voulez bien me suivre, Commissaire…

Ramirez désigne du menton les deux parisiennes.

Ramirez (à Sanchez) – On interrogera les deux putes tout à l’heure.

Laurence et Wendy échangent un regard consterné. Les deux policiers sortent avec Ginette. Robert, Honoré et Charlie sont emmerdés. Ils en oublient la présence des deux parisiennes qui depuis un bon moment assistent à tout ça sans rien dire.

Robert – Il ne manquait plus que ça… Maintenant, on a un mort sur les bras.

Honoré – On ? Moi je n’ai rien fait !

Robert – Quoi ? Mais on était tous d’accord !

Charlie – C’est vrai que c’était plutôt ton idée, Robert…

Stupéfaction de Wendy et Laurence.

Laurence – Mais alors vous êtes au courant ?

Wendy – Vous êtes tous complices !

Laurence – Complices d’un crime…

Les autres se tournent vers elles, pris en faute.

Honoré – Non mais… Ce n’est pas du tout ce que vous croyez…

Charlie – C’est vrai que les apparences sont trompeuses…

Félicien – Et que vous avez pu mal interpréter nos propos…

Honoré – Mais c’est tout au plus un homicide involontaire.

Robert – Pour ne pas dire un accident de travail.

Laurence – C’est vous qui avez mis ce type dans ce congélo, oui ou non ?

Charlie – C’est un peu plus compliqué que ça…

Robert – C’était juste pour mettre un peu d’ambiance.

Honoré – Pour vous montrer qu’il se passait aussi des choses à Beaucon-la-Chapelle.

Charlie – Pour que vous ayez matière à écrire un petit article sur nous.

Félicien – En fait, c’était plutôt pour vous rendre service, quoi.

Honoré – Malheureusement, les choses ont mal tourné.

Laurence – C’est des dingues, je te dis…

Robert – Mais vous n’allez pas nous dénoncer à la police, hein ?

Laurence – Viens, Wendy, on s’en va…

Elles se lèvent pour partir. Les flics redescendent alors avec Ginette.

Ramirez – Personne ne sort d’ici sans mon autorisation.

Les deux parisiennes se rasseyent.

Ramirez – Qu’est-ce que vous en pensez, Sanchez ?

Sanchez – Oui, c’est coquet…

Ramirez – Je ne vous parle pas de la déco, abruti ! Je vous parle de notre enquête !

Sanchez – Ah pardon… Ce que j’en pense, Patron… Franchement…

Ramirez – Je vois… Il va encore falloir que je trouve moi-même la clef de cette énigme, en m’en fiant à mon seul instinct.

Ramirez se tourne vers les autres et perçoit le malaise.

Ramirez – Et mon instinct me dit que tous ces abrutis ont tous de bonnes têtes de coupables. Croyez-en mon expérience, Sanchez.

Sanchez – Vous avez raison, Chef. Je dirais même plus : des têtes d’assassins…

Félicien – Mais enfin, Messieurs, je vous en prie ! Vous parlez à un ministre du culte.

Ramirez – Ne vous laissez pas impressionner, Sanchez. Le ministre du culte est à la hiérarchie catholique ce que le maréchal des logis est à la hiérarchie militaire : un titre ronflant pour désigner un simple sous-off du bas clergé.

Honoré – Enfin Commissaire, je suis, en ce qui me concerne, le premier magistrat de cette commune.

Sanchez – C’est ça. Et moi je suis un gardien de la paix. Pourquoi pas Casque Bleu, aussi ?

Ramirez (à tous les autres) – Bon assez rigolé. Si vous avez quelque chose à me dire, bande de ploucs, c’est maintenant.

Robert – Eh bien…

Honoré – C’est-à-dire que…

Charlie – Non, je ne vois pas…

Sanchez – Je pencherai pour le curé, Patron. On lui donnerait le Bon Dieu sans conviction, mais il a une belle tête de maquereau…

Ramirez – Très bien, puisque personne ne veut se mettre à table, on va procéder à la reconnaissance du corps. Ça vous rafraîchira peut-être les idées…

Il ouvre le couvercle du congélo.

Ginette – Attendez, je vais retirer les frites…

Ramirez (à Robert) – Viens un peu par ici, toi. Tu reconnais la victime, oui ou non ?

Robert – Avec la couche de glace qu’il a sur le visage, comment savoir ?

Sanchez – On ne va pas attendre le dégel, non plus…

Ramirez aperçoit les deux parisiennes.

Ramirez – Bon, alors on va procéder autrement… C’est qui, ces deux pouffes ?

Sanchez – Vous êtes proxénète à vos heures perdues, c’est ça ? Pour arrondir vos fins de mois.

Robert – Ce sont des touristes de passage dans la région, Commissaire.

Ramirez – Des touristes ? À qui tu voudrais faire avaler ça ? Les derniers touristes qu’on a vu dans le coin, c’était des allemands. Ils portaient des uniformes, et ils sont repartis d’eux-mêmes au bout d’une semaine tellement ils étaient déprimés.

Sanchez – Cette affaire est de plus en plus louche, chef.

Ginette – Ce qui est sûr c’est qu’avant l’arrivée de ces deux bonnes femmes, ici, c’était un petit village sans histoire.

Charlie – Et on pourrait presque dire sans géographie.

Laurence – Alors vous, vous ne manquez pas de culot !

Ramirez – Vous, les deux putes, amenez un peu votre cul par ici.

Laurence s’approche, suivie de Wendy. Ramirez force Laurence à mettre la tête dans le congélo.

Ramirez – Alors vous non plus, vous ne connaissez pas la victime ?

Laurence – Quelle horreur !

Wendy regarde aussi.

Wendy – C’est vrai que son visage me dit quelque chose…

Sanchez – Ça doit être quelqu’un du coin, Chef. Il a l’air un peu demeuré. Et puis on n’arrive pas dans un trou pareil par hasard.

Ramirez considère à nouveau les deux parisiennes.

Ramirez – Des touristes…

Robert – Je vous assure, Commissaire. Elles viennent de Paris. Il y en a une qui travaille pour la presse et l’autre pour la télé.

Ramirez – On peut très bien être une pute et travailler pour la télé. Qu’est-ce que vous en pensez, Sanchez ?

Sanchez – Moi je pencherai plutôt pour une affaire de fesse.

Ramirez (à Honoré) – C’était l’amant de ta femme, c’est ça ? C’est pour ça que tu l’as tué ?

Honoré – Je ne suis pas marié, Commissaire.

Sanchez – Dommage pour toi. Tu aurais pu plaider le crime passionnel…

Ramirez – Alors c’est toi, le cocu ?

Sanchez – C’est vrai qu’il a une belle tête de cocu.

Robert – Mais enfin pas du tout ! Enfin si, mais… C’est le curé, l’amant de ma femme !

Ramirez – Je vois… (Il se tourne vers les deux parisiennes) Et vous vous n’avez rien vu, évidemment ? Pour des journalistes, vous n’êtes pas très observatrices, dites-moi…

Laurence – En fait si… Depuis la fenêtre de l’appartement du dessus, j’ai cru voir un homme, genre Zorro, rentrer dans le café.

Sanchez – Zorro ?

Ramirez – Qu’est-ce que vous foutiez là-haut ?

Sanchez – Peut-être qu’elle se tapait le patron…

Wendy – Madame nous faisait visiter son appartement qui est à vendre.

Ramirez – Donc, vous avez vu Zorro rentrer dans le Café du Commerce… (Ironiquement) C’est peut-être lui l’assassin, hein Sanchez ? Regarde-moi voir si ce Don Diego de la Vega n’est pas déjà fiché par nos services…

Sanchez – Très bien chef… Vous pouvez me répétez le nom ?

Ramirez soupire.

Laurence – Je voulais dire un homme masqué, Commissaire.

Wendy – C’est peut-être un braquage qui a mal tourné ?

Laurence – Ils pourront toujours plaider la légitime défense.

Ramirez – Vous voulez faire l’enquête à ma place ?

Laurence – Pas du tout Commissaire.

Wendy – Même si je crois que l’enquête avancerait plus vite…

Ramirez – Bon, Sanchez, tu vas procéder à un prélèvement ADN pour identifier la victime…

Sanchez – Je m’en occupe tout de suite, Chef…

Ramirez – Il faudra aussi un prélèvement ADN de tous les suspects.

Sanchez – Pour quoi faire, Chef ?

Ramirez – À ton avis ?

Sanchez – Pour savoir qui est le père du bébé congelé qui a grandi dans ce congélo ?

Ramirez – Non, pour savoir lequel d’entre eux est Zorro, imbécile… Emmène-les à la mairie pour faire les prélèvements… et tu envoies les échantillons au labo.

Sanchez – Allez, suivez-moi…

Les deux parisiennes s’apprêtent à le suivre.

Ramirez – Non, pas vous… J’ai encore quelques questions à vous poser…

Les autres sortent.

Ramirez – Bon, maintenant que nous sommes seuls, si vous me disiez ce que vous faites vraiment dans le coin ? C’est rare que la presse soit là avant la police sur les lieux d’un crime. Surtout dans un coin pareil…

Laurence – C’est un pur hasard, Commissaire, je vous assure…

Ramirez – C’est ça, oui… Au mauvais endroit au mauvais moment… (À Wendy) Et vous vous n’avez rien d’autre à me dire ? Pour une productrice de télé, vous manquez sérieusement d’imagination. Vous travaillez pour quelle chaîne ?

Wendy – Principalement pour France Télévision…

Ramirez – Je vois… France 2, France 3, France 4, France 5… C’est vrai que l’imagination, apparemment, ce n’est pas ce qu’on demande à une productrice chez France Télévision.

Laurence – Ah oui ? Et qu’est-ce qu’on lui demande, à votre avis ?

Ramirez – Ses mensurations ?

Wendy – Là c’est vous qui versez dans le cliché, Commissaire. Si je puis me permettre.

Ramirez – Ne me dites pas que vous êtes venue ici pour un casting…

Laurence – Encore que, vous savez, il y a ici une galerie de portraits. Non mais vous avez vu ces gueules d’abrutis ?

Ramirez – Oui… Remarquez, ce n’est pas faux.

Wendy – Vous-même Commissaire… On vous a déjà dit que vous aviez un physique à faire de la télévision ?

Ramirez – Vous trouvez ?

Wendy – Ah oui… Du cinéma, peut-être pas, mais de la télé… Je vous laisserai ma carte, si vous voulez.

Ramirez observe un instant les deux femmes.

Ramirez – Je peux vous demander de quelle nature sont vos rapports à toutes les deux, exactement ?

Wendy – Nos rapports ?

Ramirez – Oui enfin… Vous voyez ce que je veux dire…

Laurence – Est-ce qu’il y a… un rapport avec votre enquête ?

Ramirez – Aucun, simple curiosité malsaine…

Robert, Honoré, Charlie et Félicien reviennent, l’air embarrassé.

Ramirez – Bon allez, vous pouvez circulez, mais vous ne quittez pas le territoire de la commune jusqu’à nouvel ordre…

Wendy et Laurence s’éloignent.

Honoré – Il faudrait qu’on vous parle, Commissaire… Et en tant que Premier Magistrat de cette commune…

Ramirez – Tu peux m’épargner les préliminaires…

Honoré – On est un peu dépassés par la situation… Et après en avoir discuté entre nous, nous pensons qu’il y a certaines choses que vous devriez savoir…

Ramirez – Voyez-vous ça…

Robert – Nous savons qui est la victime.

Ramirez – Tiens donc… Alors ça vous revient maintenant.

Félicien – C’est Jean-Claude, son neveu.

Honoré – Tu veux dire son cousin.

Robert – Bref mon filleul.

Honoré – Depuis des années, il s’entraîne pour un Incroyable Talent.

Félicien – Il est contorsionniste.

Robert – Un jour on l’a retrouvé dans une valise.

Ramirez – Oui ben maintenant, il pourrait jouer dans Hibernatus.

Charlie – En fait, c’est un accident…

Ramirez – C’est vous qui l’avez mis ce congélateur oui ou non ?

Robert – Oui…

Félicien – Enfin non…

Robert – Je pensais que le congélo était débranché.

Ramirez est sceptique.

Ramirez – Si vous étiez à ma place et qu’on vous racontait une histoire pareille, qu’est-ce que vous en penseriez ?

Sanchez revient, suivi de Ginette.

Ramirez – Bon, pour l’instant, on va tous vous embarquer en hélicoptère jusqu’au poste, et vous nous expliquerez tout ça. Vous serez peut-être un peu plus bavard après quelques coups de bottin sur la tronche.

Charlie – Vous croyez vraiment qu’on va tous tenir dans cet hélico, Commissaire ?

Honoré – Sinon, vous pouvez commencer par torturer les patrons de ce café. Après tout, il s’agit de leur congélateur.

Félicien – Et de leur filleul. Somme toute, c’est une affaire de famille..

Robert – Je n’en attendais pas moins de vous, mon Père. En ce qui concerne la vôtre, de famille, les De Marsac sont curés et collabos de père en fils.

Félicien – Monsieur le Commissaire, je vous demande de faire preuve d’humanité. Laissez-moi au moins donner à ce pauvre innocent une dernière bénédiction.

Ramirez – D’accord, mais vite fait alors.

Honoré s’approche de Ramirez avec un air de conspirateur.

Honoré – En attendant, on peut peut-être s’arranger pour éviter des complications. La justice est déjà tellement surchargée…

Ramirez – De mieux en mieux… Corruption de fonctionnaire ?

Honoré – Pas du tout, Commissaire ! Puisque nous sommes tous les deux au service de la République ! Techniquement, on ne peut se corrompre entre serviteurs de l’état. Je vous propose seulement un arrangement allant dans le sens des intérêts de la Nation…

Ramirez – C’est vrai que vu comme ça… Combien ?

Honoré – Disons…

Félicien ouvre le couvercle du congélateur, et esquisse un signe de croix.

Félicien – Oh mon Dieu !

Ramirez – Quoi encore ?

Félicien – Le cadavre… Il est ressuscité…

Sanchez examine le corps décongelé.

Sanchez – Ah oui, Chef. Il a ouvert un œil…

Robert – On dirait que la glace a fondu.

Ginette – Le congélo a dû tomber en panne. Heureusement que je n’y avais pas encore mis toutes mes frites.

Ramirez – Il n’a pas l’air très frais, tout de même.

Charlie – Comme vous disiez tout à l’heure… Quand il y a une rupture dans la chaîne du froid…

Jean-Claude sort du congélateur, comme Dracula de son cercueil.

Félicien – Seigneur Dieu ! (Il se signe) On dirait Jésus Christ se levant du tombeau…

Charlie – Revu et corrigé pour une publicité Findus.

Jean-Claude – Aboule le fric, Tonton !

Sanchez – Ça ce n’est pas très catholique, en revanche…

Ginette – Quel fric ?

Robert – Je t’expliquerai, Ginette…

Ramirez – C’est plutôt à la police que vous devriez expliquer cette farce.

Honoré – Excusez-nous, Commissaire, il s’agissait simplement d’un pari stupide.

Félicien – On voulait mettre la vidéo sur You Tube.

Ramirez – Et lui ? Il était consentant ?

Sanchez (à Jean-Claude) – Vous désirez porter plainte ?

Jean-Claude – Ce que veux, c’est passer à la télé.

Charlie – Non mais vous voyez bien qu’il n’a rien, Commissaire.

Sanchez – Il a quand même l’air un peu perturbé. Il pourrait garder des séquelles…

Ginette – Ah non, mais ça, c’est son air normal, Commissaire.

Honoré – Je dirais même plutôt qu’il a l’air plus éveillé que d’habitude, non ?

Robert – Un petit alcool de patate, ça va finir de le décongeler…

Ginette sert plusieurs verres.

Charlie – Moi-même, je m’en sers comme antigel, pour le radiateur de ma voiture. C’est très efficace.

Robert donne la bouteille à Jean-Claude, qui boit au goulot.

Ramirez – Bon, on n’a plus rien à faire ici, Sanchez… S’il n’y a plus de cadavre, il n’y a plus de crime…

Ginette – Je vous en ressers un aussi, Commissaire ?

Ramirez – Ma foi, ce n’est pas de refus.

Ginette donne un verre à Ramirez qui le vide d’un trait.

Ramirez – Ah oui, c’est sûr, ça réveillerait un mort.

De fait, Jean-Claude revient à la vie. Il fait quelques pas hésitants.

Félicien – Vous vous rendez compte ? Il marche ! C’est un miracle.

Charlie – Un miracle ? Vous croyez qu’il est homologable ?

Félicien – Un cas de décongélation miraculeuse ? Je ne sais pas…

Honoré – Mais oui… Un miracle ! C’est peut-être ça qu’il nous fallait !

Robert – Comme pour Jésus Christ ! Un type qu’on croyait mort, et qui ressuscite !

Ginette – Vous croyez que ça pourrait marcher ?

Laurence – La dernière fois qu’on a fait ça, c’était il y a 2000 ans, et ça se vend toujours très bien.

Robert – Là c’est du lourd, je le sens… JC revenu d’entre les morts…

Wendy – Là ce serait plutôt revenu d’entre les steaks surgelés, mais bon…

Honoré – Vous avez raison… C’est un signe du ciel. Le coup de pouce qu’on attendait du Très haut. On va faire de Beaucon-la-Chapelle un lieu de pèlerinage…

Ginette – Qu’est-ce que vous en pensez, mon Père ?

Félicien – Mais… c’est un faux miracle, on est bien placés pour le savoir.

Robert – D’un autre côté, les vrais miracles, ça n’existe pas, non ?

Félicien regarde Jean-Claude.

Félicien – Après tout vous avez raison. C’est Dieu qui nous l’envoie. Jésus n’a-t-il pas dit : Heureux les simples d’esprit…

Honoré – On va faire de ce demeuré un Saint. Saint Jean-Claude. Et on fera de ce village un nouveau Lourdes.

Charlie – Jean-Claude. Dit JC. C’était un nom prédestiné.

Honoré – Je vois déjà la Une de Vie Catholique et de VSD : Victime des pesticides et d’un accident de congélation, il revient miraculeusement à la vie !

Félicien – Monsanto Subito !

Robert – Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! Une nouvelle ère s’ouvre pour Beaucon-la-Chapelle !

Honoré – Mes amis, nous vivons un moment historique.

Charlie – L’An Un après J-C.

Félicien – Pour le pèlerinage, il faudrait prévoir de lui faire ériger une statue…

Charlie – Jean-Claude sortant de son congélateur, tel Jésus Christ sortant de son tombeau ? C’est vrai que ça aurait de la gueule.

Honoré – C’est sûr que si on avait la presse avec nous…

Robert – Et la presse est là !

Félicien – Grâce à Dieu, ce village va enfin connaître une deuxième vie !

Laurence et Wendy assistent à cette agitation, un peu dépassées.

Laurence – C’est un village de dingues, je te dis… Ils sont en plein délire sectaire… Viens on se barre avant qu’ils aient l’idée d’égorger un poulet ou de faire un sacrifice humain…

Mais Wendy semble revivre elle aussi.

Wendy – Tu es folle ! Tu te rends compte ? Tu devrais faire un article là dessus !

Laurence – Tu crois ?

Wendy – Fais-moi confiance. Dans trois jours, ici, c’est la grotte de Bethléem. Et on est les premiers sur les lieux. Tu imagines les tirages de la presse, si un journaliste avait été sur place à l’époque !

Laurence – Tu as raison… C’est un truc qui n’arrive qu’une fois tous les deux mille ans. On ne peut pas passer à côté de ça…

Laurence s’approche de Jean-Claude.

Laurence – Bonjour Jean-Claude. On vous appelle déjà le messie de Beaucon-la-Chapelle. Pensez-vous fonder une nouvelle religion ?

Jean-Claude – Je pourrais passer à la télé ?

Wendy – Et comment ! Si on s’y prend bien, vous pourrez même avoir votre propre émission.

Jean-Claude – Comme Michel Drucker ?

Laurence – Peut-être même votre propre chaîne…

Le téléphone de Sanchez sonne et il répond.

Sanchez – Inspecteur Sanchez, j’écoute… Affirmatif… D’accord, je transmets… (Il range son portable) On a le résultat des tests génétique, Chef.

Ramirez – Et alors ? On sait déjà qui est la victime. En tout cas on sait qui est son parrain.

Sanchez – Oui, mais grâce à la génétique, là on sait qui est le père…

Ginette – Le père de Jean-Claude ? Et c’est Qui ?

Sanchez – Apparemment, Monsieur le Curé…

Tous les regards se tournent vers Félicien.

Félicien – Je ne comprends pas… Ça doit être une erreur…

Ramirez – Ou un autre miracle…

Laurence soupire.

Laurence – C’est vraiment le pire village de France…

Wendy – Ça y est, moi aussi, j’ai trouvé !

Laurence – Quoi ?

Wendy – Mon nouveau concept de téléréalité !

Laurence – Bienvenue au Presbytère ?

Wendy – Le Pire Village de France ! Toutes les communes de l’hexagone pourront concourir. Et à la fin, on invitera des personnalités à passer un mois dans le bled qui aura été désigné comme le trou du cul du monde… Qu’est-ce que tu en penses ?

Laurence – Ah oui, ça pourrait cartonner encore plus que La Ferme des Célébrités.

Wendy – Alléluia ! WC Productions est sauvé de la faillite !

Laurence – Excuse-moi une minute, je crois que c’est le bon moment pour une autre interview exclusive…

Laurence s’approche de Félicien.

Laurence – On dit de vous que vous seriez le père du nouveau messie… Vous ne voulez pas vous mettre à votre compte, par hasard ?

Félicien – À mon compte ?

Wendy – Ça fait trente ans que vous travaillez pour la maison mère, le Vatican.

Félicien – Et en guise de remerciement, ils voulaient supprimer ma paroisse…

Wendy – En tant que père du messie, vous pourriez vous installer comme auto-entrepreneur…

Laurence – Et si c’est le cas, vous aurez besoin d’une bonne attachée de presse.

Jean-Claude regarde Félicien avec un air stupide.

Jean-Claude – Papa ?

Wendy – Et puis pour l’émission, lui, il va vraiment avoir besoin d’un coach…

Laurence – Vous êtes prêt à tenter l’aventure, mon Père ?

Félicien – En tout cas, ma sœur, pour vous, je suis prêt à me défroquer tout de suite.

Noir

Fin

 

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur :

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – mai 2015

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-61-1

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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Comme un poisson dans l’air

Like a fish in the air – Como un pez en el aire – Como um peixe no ar

Journal intime d’un comique ordinaire

Monologues poétiques, psychanalytiques et néanmoins humoristiques

La vie, ce n’est pas la mer à boire, mais on s’en fait souvent une montagne. De ces montagnes à l’envers que sont les gouffres les plus profonds et qui, alimentés par des cascades de rires et des torrents de larmes, en reviennent encore et toujours à la mer. Sans être philosophe, et sans s’allonger sur le divan d’un psy, à nos moments perdus, chacun d’entre nous s’interroge sur le sens de la vie. En tout cas le sens de la sienne. L’existence ordinaire d’un être qu’on voudrait moins banal. À travers ces monologues croisés qu’on appelle dialogue, nous nous posons ainsi de petites questions sans grandes réponses. Ou même de grandes questions sans un petit début de réponse. À moins que le train train quotidien ne vienne soudain à dérailler pour nous précipiter, pris de vertige, au bord du vide insondable du sens. Comme le décrit Freud dans son célèbre essai « Psychopathologie de la vie quotidienne », c’est à partir d’un simple coq à l’âne qu’un fond tourmenté peut remonter à la surface, pour laisser entrevoir entre les vagues, tel un monstre marin, un sens interdit… qui constitue l’essence tragi-comique de nos existences ordinaires.


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Festival d’Avignon Off 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


1 – Sans titre

2 – Richophobie

3 – Divan

4 – Les petites heures

5 – Salles obscures

6 – Auto-stop

7 – Il était une dernière fois

8 – Définition de l’amour (par défaut)

9 – La volupté de l’ennui

10 – Sur le fil

11 – Le ménage

12 – Comme avant

13 – Le remplaçant

14 – Parler du beau temps

15 – Notre père qui êtes en nous

16 – Faire tomber la neige

17 – Demi-vœux à la Nation

18 – Death Valley 

19 – Ici ou là

20 – Laissez-moi rire

21 – Soirée diapos

22 – L’opéra de Manaus

23 – Retour à Ithaque

 

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Des Beaux-Parents Presque Parfaits

Perfect In-Laws –  Los suegros idealesOs sogros Ideais

Comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes OU 3 hommes / 1 femme OU 1 homme / 3 femmes

Ayant invité le père et la mère du fiancé de leur fille afin de faire connaissance et de préparer le mariage, ils découvrent que les parents du gendre idéal  ne sont pas toujours des beaux-parents idéaux…


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Des Beaux-Parents Presque Parfaits

Personnages : Antoine – Juliette – Aymar – Jasmina

Un salon ordinaire d’aspect plutôt désuet, meublé principalement d’un canapé et d’une table basse. Antoine, la quarantaine passée pouvant aller jusqu’à l’aube de la soixantaine, en jogging d’intérieur, arrive de la chambre avec une pile de copies qu’il pose sur la table. Il met un 33 tours de musique classique ou de jazz sur un électrophone hors d’âge et s’installe sur le canapé pour corriger ses copies. Juliette, sensiblement le même âge, arrive depuis l’entrée, venant de l’extérieur. Elle porte un imperméable et tient un vieux cartable en cuir à la main. La musique étant assez forte, Antoine ne remarque pas l’arrivée de Juliette qui arrête l’électrophone pour se faire entendre.

Juliette – Mais qu’est-ce que tu fais ?

Antoine – Je corrige mes copies ! Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

Juliette – Je te rappelle qu’on a des invités… Ils arrivent dans une demi-heure ! Tu aurais pu commencer à préparer…

Antoine – Ah…

Juliette – Ne me dis pas que tu avais oublié ?

Antoine – Oublié ? Mais pas du tout ! Disons qu’à cet instant précis, ça m’était sorti de la tête… Mais ça me serait sûrement revenu à un moment donné…

Juliette pose son cartable et ôte son imperméable.

Juliette – Quand ils auraient sonné à la porte, par exemple.

Antoine – En même temps, ce n’est qu’un apéritif. Ça ne demande pas des heures de préparation. C’est bien pour se simplifier la vie qu’on ne les a pas invités à dîner, non ?

Juliette – Justement… Déjà qu’on ne se foule pas trop… Qu’ils aient au moins l’impression en arrivant qu’on a fait un minimum d’efforts pour les recevoir… Allez range tes copies, et aide-moi un peu !

Antoine range ses copies et commence à s’affairer lui aussi avec Juliette pour mettre un peu d’ordre dans la pièce et poser sur la table le nécessaire pour prendre l’apéritif.

Antoine – Ç’aurait quand même été plus simple que Sonia soit là avec nous pour les recevoir… Ce sont ses futurs beaux-parents, après tout ! C’est elle qui va devoir se les colleter pendant le restant de sa vie, pas nous.

Juliette – Elle s’est dit qu’on serait plus à l’aise pour faire connaissance si elle n’était pas là avec son fiancé, ça se comprend. Et puis ce n’est pas une corvée, non plus. On ne reçoit jamais personne…

Antoine – Avoue que c’est un peu embarrassant d’accueillir chez soi des gens qu’on n’a jamais vus de sa vie…

Juliette – Qu’est-ce que tu voulais qu’on fasse ? Qu’on les invite à prendre un pastaga au bistrot d’à côté, pour nous éviter le dérangement ?

Antoine – Ils auraient pu nous inviter, eux.

Juliette – Ils habitent à Lyon ! Si c’était eux qui nous avaient invités, on était bon pour quatre heures de TGV aller-retour. Je ne suis pas sûre qu’on aurait gagné au change…

Antoine – Ne me dis pas qu’ils font le déplacement depuis Lyon juste pour prendre l’apéro avec nous ?

Juliette – Ils ont eu la politesse de dire à Sonia qu’ils avaient prévu de passer le weekend à Paris de toutes façons, mais bon… Ça ne m’étonnerait pas qu’ils fassent le voyage spécialement pour nous rencontrer. Alors s’ils arrivent et qu’ils voient qu’on n’a même pas pris la peine de mettre quelques olives sur la table…

Antoine arrive avec des olives qu’il pose sur la table et un saucisson qu’il s’apprête à couper en rondelles.

Antoine – Tiens, les voilà, les olives…

Juliette – Je me demande si on ne ferait pas mieux d’éviter le saucisson…

Antoine – Pourquoi ? J’aime bien ça, le saucisson, moi… C’est de la Rosette de Lyon, justement. Je l’ai achetée à Auchan en leur honneur.

Juliette – Il y a cinq minutes, tu ne savais même pas qu’ils étaient de Lyon !

Antoine – Une intuition.

Juliette – Enfin, le problème n’est pas là…

Antoine – Parce qu’il y a déjà un problème ?

Juliette – Notre futur gendre s’appelle Djamel… Ses parents sont sûrement musulmans, comme lui…

Antoine – Djamel, c’est un prénom arabe ?

Juliette – Oui, quand même… Et puis il est assez typé, non ?

Antoine – Qu’est-ce que tu entends par typé ?

Juliette – Il est un peu… basané. Il est noir, quoi.

Antoine – Notre futur gendre est noir ?

Juliette – Tu n’avais pas remarqué ?

Antoine – Ça ne m’avait pas frappé, non.

Juliette – Enfin, noir… Pas comme un Africain… Comme Yannick Noah, si tu veux…

Antoine – Ah, oui, d’accord… Il n’est pas vraiment noir donc.

Juliette – Noir très clair… Il est métis, si tu préfères.

Antoine – Et son père, il s’appelle comment ?

Juliette – Omar, je crois…

Antoine – Ah, oui, ça c’est un prénom africain, c’est clair.

Juliette – D’Afrique du Nord, en tout cas.

Antoine – C’est marrant, jusqu’ici, je n’avais jamais envisagé cette union sous un angle ethnique…

Juliette – Ça prouve au moins qu’on n’est pas raciste.

Antoine – Oui… C’est sûrement un peu aussi parce que Sonia a rencontré Djamel à HEC… Si elle l’avait trouvé sur la dalle de la cité d’à côté, ça nous aurait peut-être frappé avant qu’il s’appelait Djamel et pas Jean-Baptiste…

Juliette – Tu crois ?

Antoine – C’est dingue comme les minorités visibles ont tendance à passer inaperçues à partir d’un certain niveau de diplômes, de revenus ou de célébrité… Prends Obama, par exemple. Franchement, il faut vraiment être américain pour remarquer qu’il est noir, non ?

Juliette – Le principal, c’est qu’il lui plaise. Et que ce soit un gentil garçon…

Antoine – Quand même… Pour des hussards de la République, comme nous… Avoir une fille qui sort d’une grande école commerciale… Tu crois qu’on a raté quelque chose dans son éducation ?

Juliette – Un hussard de la République ? C’est comme ça que tu te vois, toi ?

Antoine – Je déconne, rassure-toi… Tu sais bien que si on a fait ce métier, tous les deux, c’est pour avoir beaucoup de vacances, et pouvoir assurer notre Twingo à la MAIF…

Juliette – La MAIF…

Antoine – Et puis si notre fille peut se marier avec un Africain malgré tout, même un Africain du Nord, on culpabilisera moins d’en avoir fait un petit soldat du grand capital…

Juliette jette un regard sur le résultat de leurs préparatifs.

Juliette – Moi, c’est au sujet de notre canapé que je culpabilise… C’est la honte, non ?

Antoine – Qu’est-ce qu’il a ce canapé ?

Juliette – Il a que nous l’avons acheté juste après notre mariage à nous, Antoine ! Il a qu’il est vieux comme mes robes… Regarde-le, il est tout avachi ! Tu ne crois pas qu’il serait temps d’en acheter un autre en prévision du mariage de ta fille ?

Antoine – Je m’y suis attaché, moi, à ce vieux canapé tout avachi. Mais bon, si tu y tiens, on le changera… On l’avait acheté à la CAMIF, tu te souviens ? On pourrait regarder le catalogue, ils ont peut-être encore le même modèle…

Juliette – La CAMIF ! Mais mon pauvre ami, ça n’existe plus, la CAMIF.

Antoine – La CAMIF, ça n’existe plus ?

Juliette – Ils ont fait faillite, il y a déjà une dizaine d’années.

Antoine – Non ? Je ne savais pas… Ben tu vois, ça me fait quelque chose de savoir que la CAMIF a fait faillite…

Juliette – Mmm…

Antoine – Mais la MAIF, ça existe encore, rassure-moi ?

Juliette – Oui, mais ce n’est plus réservé aux enseignants…

Antoine – Ah bon ?

Juliette – C’est fou le nombre de gens qui pensent encore que la MAIF c’est réservé aux enseignants…

Antoine jette également un regard sur la table dressée pour l’apéritif.

Antoine – Je crois que cette fois, on est prêt à recevoir dignement les parents de notre futur gendre.

Juliette – Oui, mais le pire reste à venir…

Antoine – Quoi ?

Juliette – Le mariage ! C’est aussi pour ça qu’ils viennent, évidemment. Pour qu’on discute de la date et de l’organisation de la cérémonie.

Antoine – Rien que d’y penser, ça me déprime.

Il s’affale sur le canapé, et elle s’assied à côté de lui. Il la prend par l’épaule.

Juliette – C’est une étape, c’est sûr. Il y a vingt ans, on se mariait. Aujourd’hui, c’est notre fille qui se marie…

Antoine – Elle va quitter définitivement la maison, et on va rester là comme deux cons, assis sur notre vieux canapé fabriqué par une filiale de l’Education Nationale qui a fait faillite. En attendant que la maison mère suive le même chemin…

Juliette – Une époque qui s’achève. Le début d’une autre, peut-être… On va avoir plus de temps pour nous, maintenant.

Antoine – Et on aura moins de frais… Sa scolarité à HEC, ça nous coûtait un SMIC par mois. Heureusement qu’elle n’a jamais redoublé…

Juliette – On pourra voyager un peu plus.

Un temps.

Antoine – Qu’est-ce qu’ils font, dans la vie, les parents de Djamel ?

Juliette – Sonia m’a dit que son père travaillait dans le domaine de la sécurité…

Antoine – Un arabe qui travaille dans le domaine de la sécurité, ça c’est un progrès !

Juliette – Pourquoi ça ?

Antoine – Jusque là, le cliché, c’était arabe égal délinquant. Le fait que maintenant ils soient aussi flics ou vigiles, c’est une preuve d’intégration… Et puis comme ça, on peut dire que c’est une communauté qui génère ses propres emplois.

Juliette – Si tu pouvais éviter ce genre de plaisanteries devant les parents de notre futur gendre…

Antoine – Rassure-toi, je n’ai pas l’intention de faire capoter ce mariage. Depuis le temps qu’on attendait une occasion de se débarrasser de notre fille. Sans dote, de préférence… Et la mère, qu’est-ce qu’elle fait ?

Juliette – Sonia ne m’a pas dit.

Antoine – Bon, de toutes façons, ce n’est pas parce que notre fille va épouser leur fils qu’on est obligé de partir en vacances ensemble. D’ailleurs, tu as remarqué, il n’y a pas de nom pour décrire ce genre de relation.

Juliette – Quelle relation ?

Antoine – La relation de parenté entre la famille du marié et celle de la mariée. Pour Sonia, ce sera sa belle famille. Mais pour nous, ces gens ne seront jamais rien…

Juliette – Ça m’a l’air bien parti, cet apéritif. Arrête un peu de tout voir en noir ! Ils sont peut-être très sympas, après tout…

Antoine – Moi je dis : on les voit aujourd’hui pour l’apéritif, on les revoit pour le repas de mariage, et si on n’a pas d’atomes crochus, basta…

Juliette – Parlons-en, du mariage… Comment tu vois ça, toi ? Autant qu’on se mette d’accord entre nous, déjà…

Antoine – Nous on s’est mariés à la mairie devant quatre témoins, et on a fait le vin d’honneur dans notre garage…

Juliette – Oui, je me souviens, il pleuvait.

Antoine – Mariage pluvieux… Tu crois qu’ils vont vouloir un truc somptuaire ?

Juliette – J’espère que non… Surtout que la tradition, c’est que ce sont les parents de la fille qui paient le mariage…

Antoine – Non ? Tu plaisantes, j’espère ?

Juliette – Ça doit être ça qui remplace la dote de nos jours… Bon, il faudrait peut-être que tu te changes avant qu’ils arrivent, non ?

Antoine – Et comment je m’habille, moi, pour recevoir ces gens-là ? Je ne les connais pas ! Si je mets un costume et qu’ils arrivent en tenue décontractée, ça pourrait les embarrasser.

Juliette – Si tu restes en jogging, c’est moi qui risque d’être embarrassée.

Antoine – Qu’est-ce que je mets, alors ?

Juliette – Tu n’as qu’à mettre une djellaba. Pour leur faire honneur, ça me semble plus approprié que la Rosette de Lyon.

Antoine – Je ne suis pas sûr de retrouver celle que j’avais achetée à Marrakech.

Juliette – Je plaisante… En tout cas, tu ferais mieux de ranger ta collection de Charlie Hebdo… Si c’est des musulmans intégristes…

Antoine secoue la tête en soupirant.

Antoine – Quand même une invitation à l‘apéritif, ça fait un peu con, non ?

Juliette – Pourquoi ça ?

Antoine – Comment on va les mettre dehors au moment de passer à table ? Il faudrait qu’on mette au point un code entre nous…

Juliette – S’ils sont sympas, on pourra toujours les inviter à rester dîner…

Antoine – Voilà… C’est bien ce que je craignais… Je te dis qu’on a mis le doigt dans un engrenage infernal…

Juliette – On peut bien faire ça pour Sonia, c’est le minimum quand même. Et puis Djamel est un gentil garçon… pour le peu qu’on puisse en juger.

Antoine – C’est vrai, on ne le connaît pas tant que ça, en fait.

Juliette – Tu n’avais même pas remarqué qu’il était noir…

Antoine – On ne l’a vu qu’une fois ou deux !

Juliette – On se croirait dans un mauvais remake de cette pièce, là, avec Sidney Poitier…

Antoine – Devine qui vient dîner.

Juliette – Sauf que toi, tu as déjà vu ton gendre et que tu n’as pas percuté qu’il était noir…

Antoine – Désolé, moi je n’appelle pas ça noir…

Juliette – Bon, puisqu’on a encore un quart d’heure, moi je vais me changer, en tout cas.

Antoine – Je vais attendre que tu sois revenue, c’est plus prudent. S’ils sonnaient à la porte pendant qu’on est tous les deux à poil…

Elle sort. Antoine s’effondre accablé sur le canapé. On sonne. Antoine va ouvrir, mais revient seul au bout de quelques secondes. Juliette, qui ne s’est pas changée, revient en hâte.

Juliette – Je pensais que c’était eux… C’était qui ?

Antoine – Les témoins de Jéhovah.

Juliette – Les témoins de Jéhovah ? Et qu’est-ce que tu leur as dit ?

Antoine – Je leur ai dit qu’on n’était pas intéressés ! (On sonne à nouveau.) Et ils insistent, en plus…

Juliette (consternée) – Tu es vraiment sûr que c’était les témoins de Jéhovah ?

Antoine prend conscience de son erreur.

Antoine – Et merde…

Juliette part ouvrir après l’avoir fusillé du regard. Le téléphone sonne.

Antoine – Oui Sonia… Oui, oui, ils viennent d’arriver justement…

Juliette (off) – Je suis vraiment désolée… Mon mari vous a pris pour… Mais entrez donc…

Antoine – Tout va bien ma chérie, ne t’inquiète pas… Mais il faut que je te laisse, là. C’est ça, à plus tard…

Aymar et Jasmina arrivent avec un bouquet de fleurs et un paquet cadeau. Ils ont en effet un look assez proche de celui des témoins de Jéhovah.

Juliette – Oh, mais ce n’est pas raisonnable, il ne fallait pas. Ce n’est qu’un apéritif…

Juliette prend les fleurs et Antoine le paquet cadeau.

Antoine – Bonjour, bonjour… Vous avez fait bon voyage ?

Aymar – Très bon, merci…

Jasmina – Je me présente…

Juliette (l’interrompant) – On fera les présentations tout à l’heure… Venez d’abord vous déshabiller dans la chambre. Je veux dire poser votre manteau sur le lit. Mettez-vous à l’aise, je vous en prie. C’est par ici.

Aymar et Jasmina, un peu bousculés, n’ont même pas le loisir de dire un mot. Ils disparaissent une seconde dans la pièce d’à côté.

Juliette – Tu as déjà vu des témoins de Jéhovah sonner à la porte des gens avec un bouquet de fleurs ?

Antoine – Je n’avais pas vu le bouquet, ils devaient le cacher derrière leurs dos pour nous faire une surprise… Et puis c’est de ta faute, aussi… Tu m’avais dit qu’on attendait des gens de couleur… Ne me dis pas qu’ils sont noirs, quand même !

Juliette – Je ne sais pas, il me semble qu’il y a un petit quelque chose, non ?

Antoine – Tu es sûre que ce ne sont pas vraiment des témoins de Jéhovah ? Tu ne leur as même pas laissé le temps de se présenter !

Aymar et Jasmina reviennent sans leurs manteaux.

Juliette – Entrez, entrez, je vous en prie !

Antoine – J’ai connu quelqu’un qui s’appelait Omar autrefois, mais je ne me souviens plus du tout qui… Vous permettez que je vous appelle Omar ?

Aymar – Si vous y tenez, pourquoi pas… Mais mon véritable prénom, c’est Aymar…

Juliette – Tiens donc…

Jasmina (épelant) – A-Y-M-A-R.

Aymar – C’est vrai qu’on peut se tromper, ce n’est pas un prénom très courant…

Antoine – Je vois… Donc vous n’êtes pas noir non plus, j’imagine…

Aymar et Jasmina semblent un peu surpris par cette sortie.

Aymar – Et voici mon épouse Jasmina.

Jasmina – Enchantée de faire enfin votre connaissance.

Juliette – Jasmina… Ah, oui, ce n’est pas un prénom très courant non plus…

Jasmina – Vous, c’est Antoine et Juliette, je crois ?

Antoine – Tout à fait… Moi c’est Antoine, et elle c’est Juliette.

Aymar – Oui, c’est ce que je m’étais dit aussi…

Juliette – Nous sommes absolument ravis de vous rencontrer… Sonia nous a beaucoup parlé de vous… Donc vous habitez Lyon, n’est-ce pas ?

Aymar – Pour le moment, oui.

Juliette – Et vous avez fait bon voyage ?

Antoine – Je leur ai déjà demandé ça il y a une minute, chérie. Nos invités vont finir par croire que nous n’avons rien à leur dire…

Aymar – Oh, vous savez, Lyon maintenant avec le TGV, c’est la banlieue de Paris.

Juliette – Mais asseyez-vous, je vous en prie !

Aymar – Merci…

Aymar et Jasmina prennent place sur le canapé.

Juliette – Antoine tu fais le service ?

Antoine – Qu’est-ce qu’on vous sert à boire ? Pas d’alcool, j’imagine, comme Djamel…

Jasmina (un peu surprise) – Un jus de fruit, ça ira…

Antoine la sert.

Antoine – Omar ? Pardon, Aymar ?

Aymar – La même chose, merci…

Antoine – Je ne vous propose pas de saucisson non plus…

Juliette – Prenez des olives. Attention, elles ne sont pas dénoyautées.

Aymar et Jasmina se servent, et ne savent pas quoi faire de leurs noyaux. Antoine le remarque et leur indique une petite jardinière par terre.

Antoine – Vous pouvez mettre vos noyaux là-dedans. C’est de l’herbe à chats.

Jasmina – Ah, très bien…

Silence embarrassé.

Antoine – Vous connaissez la différence entre l’herbe à chats et l’herbe aux chats ?

Aymar – Ma foi non…

Antoine – En fait, ce sont des plantes complètement différentes, qui ont des vertus thérapeutiques tout à fait distinctes.

Jasmina – Vraiment ?

Antoine – L’herbe à chats a un effet thérapeutique. Elle permet au chat de se purger en régurgitant les poils qu’il a avalés en se léchant. L’herbe aux chats, en revanche, également appelé cataire, a des vertes aphrodisiaques et même hallucinatoires.

Aymar – Alors ça… Je l’ignorais complètement…

Jasmina – Donc, vous avez un chat…

Antoine – En fait non… C’est pour notre consommation personnelle… N’est-ce pas, chérie ?

Juliette le fusille du regard.

Juliette – Mon mari plaisante, évidemment… Djamel ressemble beaucoup à son père, tu ne trouves pas Antoine.

Antoine – Euh… Si… Si, si…

Jasmina – Votre fille, en tout cas, c’est tout le portrait de sa mère. N’est-ce pas Omar ? Aymar ! Voilà que je m’y mets aussi, moi…

Aymar – Oui, ça Sonia est bien votre fille. Vous ne pouvez pas la renier.

Jasmina – Les chiens ne font pas des chats.

Silence un peu embarrassé.

Aymar – Vous êtes enseignants tous les deux, je crois ?

Juliette – Oui, tout à fait…

Antoine – Il paraît qu’un français sur deux a rencontré son conjoint sur son lieu de travail. Chez les enseignants, la proportion doit monter jusqu’à 90 pour cent.

Juliette – Les 10 pour cent qui restent ont dû se rencontrer pendant les vacances scolaires…

Antoine – Et vous Aymar, vous faites quoi dans la vie ?

Aymar – Je travaille dans le domaine de la sécurité.

Juliette – Ah, oui, c’est-ce que nous avait dit Djamel.

Antoine – Mais quand vous dites sécurité, vous voulez dire… Transport de fonds ? Vigile ? Veilleur de nuit ?

Aymar – Un peu tout ça à la fois, en fait. Je dirige une société de 300 salariés.

Juliette – Ah oui, quand même…

Aymar – La sécurité, vous savez, c’est un secteur en pleine expansion.

Jasmina – Avec tout ce qu’on voit en ce moment…

Antoine – Oui… C’est justement ce que je disais à ma femme avant que vous n’arriviez. La sécurité, c’est un métier d’avenir, et un formidable outil d’intégration…

Juliette – Et vous, Jasmina ?

Jasmina – Je suis médecin.

Juliette – Ah, c’est bon à savoir… Un médecin dans la famille, ça peut toujours servir.

Jasmina – Je suis médecin légiste.

Antoine – Remarquez, ça peut-être pratique aussi… Si j’assassine ma femme un jour, et que j’ai besoin d’un certificat de complaisance, je viendrai vous voir…

Juliette – Médecin légiste… Ah, oui, c’est… Ça doit être passionnant, n’est-ce pas ?

Jasmina – Oh, vous savez, ce n’est pas aussi excitant que dans les séries policières qu’on voit à la télévision… Et vous enseignez quelle matière, Antoine ?

Antoine – Sciences de la Vie et de la Terre.

Jasmina – Très bien…

Antoine – Oui, ça laisse toujours un blanc dans la conversation. D’ailleurs, aucun scénariste, même parmi les plus alcoolisés, n’a encore jamais songé à faire une série télé sur les profs de SVT.

Juliette – Et moi je suis prof d’anglais.

Jasmina – C’est curieux, mais j’étais sûre que vous alliez dire ça.

Juliette – Ah oui ? Vous trouvez que j’ai une tête de prof d’anglais ? Je ne suis pas sûre de prendre ça pour un compliment, mais bon…

Antoine – Il faudrait peut-être mettre ces fleurs dans l’eau…

Jasmina – Vous n’ouvrez pas le paquet, avant ?

Juliette – Ah si, bien sûr.

Antoine – Ce n’est pas une bombe, au moins ?

Juliette ouvre le paquet et en sort un vase affreux et informe.

Antoine – Tiens, c’est curieux… Qu’est-ce que c’est ?

Juliette – Un porte-parapluies ?

Antoine – Un crachoir ?

Jasmina – C’est un vase.

Aymar – Pour mettre les fleurs.

Juliette – Ah d’accord… Ah ben oui, comme ça on va pouvoir mettre les fleurs dedans…

Antoine regarde par politesse le motif dessiné sur le vase.

Antoine – C’est joli… Ça représente quoi ?

Juliette – C’est la Bretagne, non ?

Aymar – Sonia nous a dit que vous étiez originaire de Brest.

Jasmina – C’est de l’artisanat local.

Juliette – Ah oui, chéri, regarde, c’est la rade de Brest.

Antoine – Non, fais voir…

Juliette lui passe maladroitement le vase qui tombe par terre et se casse. Consternation de leurs hôtes.

Juliette – Oh, mince… Ce que je peux être maladroite !

Antoine – C’est ce qui s’appelle un acte manqué… Je veux dire, ma femme a toujours détesté la Bretagne. D’ailleurs, nous n’y allons jamais. Nous passons toutes nos vacances dans le Sud de la France…

Juliette – Je suis vraiment désolée… Je ne sais pas quoi vous dire…

Aymar – Ne vous inquiétez pas pour ça, ce n’est pas si grave…

Juliette – Je vais ramasser tout ça.

Elle se penche pour ramasser les morceaux.

Jasmina – On va vous aider.

Juliette – Je vous en prie, restez assis.

Antoine l’aide à ramasser.

Juliette – On pourra peut-être recoller les morceaux…

Antoine – Pourquoi pas ? Et avec le motif, ça nous aidera beaucoup.

Juliette – Oui, ce sera comme un puzzle, mais en trois dimensions !

Antoine – Tiens, c’est curieux, il y avait un papier dedans… C’est vous qui l’avez écrit ?

Aymar – Ma foi non… C’est toi chérie ?

Jasmina – Pas du tout…

Juliette – Qu’est-ce que c’est ?

Antoine – Je ne sais pas… Ce n’est pas en français…

Aymar – C’est peut-être en breton ?

Jasmina – Ou en suédois…

Aymar – Ça doit être le mode d’emploi…

Juliette – Pour un vase ?

Antoine – On dirait plutôt du roumain…

Jasmina – Vous connaissez le roumain ?

Antoine – J’ai quelques notions…

Juliette – Je vais taper le texte sur Google Traduction… De toutes façons, c’est très court…

Juliette sort son portable et tape le texte.

Antoine – Je connaissais le message dans une bouteille, mais le message dans un vase…

Juliette – Ça y est, j’y suis… (Consternée) Oh, mon Dieu…

Aymar – Quoi ?

Juliette – C’est un appel au secours !

Jasmina – Un naufragé qui aurait glissé ce message dans un vase ?

Juliette – Pire que ça… Un petit orphelin roumain retenu en esclavage dans une fabrique de vase près de Bucarest…

Jasmina – Non…

Aymar – Mais c’est affreux.

Juliette – Nous parrainons justement un enfant roumain… Vous vous rendez compte ? Ce vase aurait pu être fabriqué par lui…

Jasmina – Nous sommes vraiment désolés, nous ne savions pas.

Aymar – Nous avons acheté ce vase chez Ikéa.

Jasmina – Nous pensions qu’au pire, ils étaient fabriqués par des petits Suédois bien nourris…

Antoine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Juliette – Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Il n’a pas laissé d’adresse ! Il dit qu’il ne sait même pas où se trouve cette usine clandestine dans laquelle on le retient contre son gré…

Antoine – En Roumanie… Pour fabriquer des vases bretons destinés à l’export… Mais franchement, où va-t-on ?

Juliette – On signalera ça demain à Orphelins Sans Frontières…

Antoine – Vous voyez un peu où nous conduit cette mondialisation, tellement à la mode dans les grandes écoles commerciales que fréquentent nos enfants…

Juliette – Désolée, on ne voudrait pas que cela vous gâche l’apéritif.

Jasmina – C’est nous qui sommes désolés. Si on avait su…

Aymar – Nous aussi, je vous assure, nous sommes tout à fait opposés à l’esclavage des enfants.

Jasmina – Même roumains…

Aymar lève son verre pour trinquer.

Aymar – Allez, on ne va pas se laisser abattre pour si peu ! À la bonne vôtre !

Ils trinquent. Avant de peiner à relancer la conversation.

Aymar – Bon… Alors pour les nôtres, on prévoit quoi ?

Juliette – Les nôtres ?

Jasmina – Nos enfants ! Pour leur mariage !

Juliette – Ah oui, c’est vrai… Il y a ça aussi…

Aymar – Vous n’avez rien contre un mariage religieux ?

Juliette – A priori, on n’a rien pour non plus, mais c’est surtout que ça risque d’être un peu compliqué…

Antoine – Moi j’ai été catholique dans une vie antérieure, ma femme est juive par sa mère et protestante par son père, si vous mêmes vous êtes musulmans…

Juliette – À moins de faire ça en terrain neutre dans un temple bouddhiste…

Antoine – On risque d’y passer la semaine…

Jasmina – Mais… Qu’est-ce qui vous fait penser que nous sommes musulmans ?

Moment de flottement.

Juliette – Bien sûr, désolée.

Antoine – C’est vrai, on pense toujours arabe égal musulman, mais il y en a aussi qui sont catholiques.

Nouveau flottement.

Antoine – Donc, vous n’êtes pas catholiques non plus ?

Aymar – C’est plutôt que…

Jasmina – Nous ne sommes pas arabes.

Antoine – Ah… Tu vois ? Qu’est-ce que je te disais ? Ils ne sont pas arabes ! Ils ne sont pas noirs non plus, tu vois bien…

Juliette – C’est évident.

Antoine – Ma femme me soutenait que votre fils était noir…

Juliette – Les noirs, on sait ce que c’est, on parraine aussi un orphelin au Mali…

Antoine – On l’aurait bien ramené en France, mais Orphelins Sans Frontière s’est aperçu au dernier moment qu’il avait déjà des parents…

Juliette – C’est vous qui avez raison, le racisme n’existera plus lorsque les Français de souche donneront volontairement à leurs enfants des prénoms maghrébins.

Antoine – Aujourd’hui les enfants de l’immigration sont obligés de franciser leurs prénoms pour avoir une chance que leurs CV soient lus.

Juliette – C’est vrai, il y a aussi de très jolis prénoms arabes. Je veux dire, pas Mohamed, Mouloud…

Antoine – Abdelkader ou Abdelkrim…

Juliette – Mais je ne sais pas moi… Djamel ou Jasmina, par exemple.

Antoine – Les gens donnent bien à leurs enfants des prénoms américains comme Steewie ou Pamela.

Juliette – C’est tout aussi ridicule.

Antoine – Alors pourquoi pas des prénoms nord-africains…

Un silence embarrassé suit cette logorrhée.

Jasmina – Jasmina est un prénom d’origine croate…

Aymar – Quant à Djamel, il avait déjà un an lorsque nous l’avons adopté. Alors évidemment, nous lui avons laissé son prénom.

Juliette – Bien sûr…

Jasmina – Nous comprenons votre méprise… Djamel ne vous avait sans doute pas dit que c’était un enfant adopté.

Juliette – Ce n’est pas quelque chose qu’on dit facilement…

Antoine – Donc notre futur gendre, en tout cas, est arabe, nous sommes bien d’accord là dessus ?

Aymar – C’est un peu plus compliqué que ça, mais…

Jasmina – J’espère que ce n’est pas un problème pour vous.

Juliette – Mais pas du tout, voyons, au contraire !

Silence embarrassé.

Aymar – D’ailleurs, il faut que nous vous disions quelque chose d’autre à propos de notre fils…

Jasmina – Une chose qu’il est important que vous sachiez…

Juliette – Ne vous inquiétez pas, personne n’est parfait.

Antoine – On a tous fait des erreurs de jeunesse, pas vrai ? Même s’il a fait un peu de prison pour trafic de stupéfiants avant d’entrer à HEC…

Jasmina – Rassurez-vous, le casier judiciaire de notre fils est vierge.

Antoine – Hélas, je ne peux pas vous en garantir autant de ma fille…

Juliette lui lance un regard réprobateur.

Aymar – En tant qu’enfant adopté, notre fils Djamel a des liens très forts avec ses parents.

Jasmina – Et bien entendu, nous avons des liens très forts avec lui…

Aymar – Nous sommes sa seule famille, vous comprenez ?

Jasmina – Et nous n’avons plus nous-mêmes aucun parent proche.

Aymar – Ils sont tous morts.

Blanc.

Juliette – Mon Dieu, mais c’est épouvantable.

Antoine – Comment est-ce que c’est arrivé ?

Aymar – C’est une histoire tragique.

Jasmina – Que nous vous raconterons peut-être un jour.

Aymar – Plus tard.

Jasmina – Lorsque nous nous connaîtrons un peu mieux…

Aymar – Après le mariage, en tout cas…

Jasmina – Nous ne voudrions pas gâcher cette fête avec le récit de nos drames familiaux…

Jasmina écrase une larme. Antoine et Juliette, embarrassés, échangent un regard inquiet.

Juliette – Je vous ressers quelque chose ?

Antoine – Un véritable apéritif, du coup ? Puisque vous n’êtes pas musulmans… Ça vous remontera…

Juliette – Pastis, Whisky, Porto ?

Jasmina – Je prendrai un doigt de Porto, alors.

Aymar – Moi aussi.

Juliette fait le service.

Antoine – Prenez un peu de saucisson ! C’est de la Rosette de Lyon. On l’a achetée exprès pour vous… Je veux dire au cas où vous auriez été des Lyonnais pas trop à cheval sur les principes de l’Islam…

Le portable de Jasmina sonne.

Jasmina – Excusez-moi, je suis vraiment désolée… (Elle répond) Oui ? (Plus bas) Je t’avais dit de ne pas m’appeler à ce numéro…

Aymar lui lance un regard suspicieux.

Jasmina – Vous permettez ?

Elle disparaît dans la chambre où ils ont posé leurs manteaux. Aymar se lève lui aussi et la suit.

Aymar – Non mais tu ne vas pas…

Jasmina – Oh, fiche-moi la paix !

Aymar – Excusez-nous un instant…

Il la suit dans la chambre, et on entend encore un peu leur conversation off.

Jasmina – Tu me surveilles ? C’est une déformation professionnelle, je sais, mais bon…

Aymar – Tu pourrais au moins avoir la décence de…

Jasmina – Tu peux parler moins fort, s’il te plaît ? Je te rappelle que nous ne sommes pas chez nous…

Aymar – Très bien, on reparlera de tout ça plus tard… Mais tu ne paies rien pour attendre, je te le garantis… Toi et ton moricaud…

Antoine et Juliette échangent un regard inquiet, sidérés par le ton de cette conversation.

Antoine – Je ne le trouve pas très sécurisant, pour quelqu’un qui travaille dans la sécurité, non ?

Aymar revient.

Aymar – Je suis vraiment confus.

Juliette – Mais pas du tout, voyons…

Aymar – Ma femme est un peu dépressive en ce moment.

Juliette – Oh vous savez, c’est un peu le cas de tout le monde. Il suffit d’ouvrir un journal ou de regarder autour de soi. On ne peut pas dire que tout ça porte tellement à l’optimisme…

Aymar – En fait, Jasmina a fait une tentative de suicide il y a trois mois.

Antoine – Ah oui, quand même…

Juliette – Nous sommes vraiment désolés de l’apprendre.

Aymar – Évidemment, je vous demande de ne pas mentionner ça devant elle…

Juliette – Bien sûr…

Jasmina revient.

Jasmina – Je vous prie de m’excuser… Vous parliez du mariage, j’imagine ?

Juliette – Euh… Oui… Entre autres choses…

Aymar – Je pense que vous serez d’accord avec nous qu’une simple formalité à la mairie, c’est quand même un peu triste…

Antoine – En ce qui nous concerne, à l’époque, nous nous en sommes contentés… Mais je n’irai pas jusqu’à dire que notre mariage était d’une folle gaîté, il faut bien l’avouer…

Juliette – Et vous songiez à quoi ?

Aymar – Un vrai mariage, c’est un mariage à l’église, non ?

Antoine – Donc votre fils est catholique ?

Jasmina – Nous l’avons fait baptiser lorsque nous l’avons adopté.

Aymar – On lui a laissé son prénom, mais tout de même. Il était préférable que nous ayons tous la même religion, n’est-ce pas ?

Juliette – Oui, c’est quand même plus pratique… Pour les repas, notamment…

Antoine – Et pour les fêtes de famille…

Juliette – Même si en l’occurrence vous n’en avez plus…

Un temps.

Antoine – Bon, je vous rassure, nous n’allons pas non plus en faire une question de principe…

Juliette – Notre fille n’est pas baptisée, mais si vous trouvez un curé qui n’y voit pas d’inconvénient…

Antoine – Comme disait Henri IV à sa fille : Mari vaut bien une messe !

Nouveau silence embarrassé.

Jasmina – C’est à dire que…

Juliette – Oui ?

Jasmina – Sonia a décidé de se faire baptiser pour pouvoir se marier à l’église avec Djamel…

Antoine échange un regard consterné avec Juliette.

Aymar – Elle ne vous l’avait pas dit ?

Antoine – Il faut croire qu’elle a oublié de mentionner ce détail.

Jasmina – J’ai l’impression que cela vous contrarie…

Antoine – Pensez-vous ! Elle est majeure, après tout. Si elle veut devenir mormon ou salafiste, nous ne sommes pas en mesure de l’en empêcher de toutes façons…

Juliette – Dans ce cas, nous sommes déjà d’accord là dessus. Nos enfants seront mariés devant Dieu…

Aymar écrase une larme et se lève.

Aymar – Vous ne pouvez pas savoir ce que ce mariage représente pour nous…

Jasmina – Une véritable renaissance…

Aymar – Je suis tellement ému… Vous permettez que je vous embrasse ?

Juliette se lève aussi.

Juliette – Mais bien sûr… À présent, nous sommes presque de la même famille, après tout…

Aymar étreint Juliette, avant de se tourner vers Antoine.

Aymar – Et vous aussi Antoine ?

Antoine – Si c’est absolument nécessaire…

Antoine se lève et Aymar l’étreint à son tour, longuement. Aymar essuie une nouvelle larme.

Aymar – Excusez-moi… Je peux vous demander où se trouvent les toilettes ?

Juliette – Bien sûr, c’est après la chambre, sur la gauche.

Aymar sort. Silence embarrassé.

Antoine – Nous les hommes, nous avons droit aussi à notre part de féminité.

Jasmina – J’imagine qu’il vous a raconté que j’étais dépressive…

Antoine et Juliette gardent un silence embarrassé.

Jasmina – Et même que j’avais fait une tentative de suicide…

Juliette – Je… Je ne sais plus s’il a mentionné ça…

Jasmina – En fait, c’est lui qui ne va pas bien. Il est très jaloux, de façon maladive. Depuis que nous sommes mariés, il me fait suivre en permanence par un de ses agents de sécurité au prétexte de me protéger…

Juliette – Il est peut-être tout simplement un peu trop… protecteur.

Jasmina – Et ensuite il me reproche d’avoir des aventures avec mes gardes du corps.

Juliette – C’est ridicule…

Jasmina – Qu’est-ce que vous voulez ? Quand on vous impose la présence d’un homme plutôt bien bâti à vos côtés toute la journée… Et parfois même la nuit, lorsque mon mari était en déplacement…

Juliette – Cela crée des tentations, évidemment.

Antoine – Un simple dérapage sans lendemain, j’imagine…

Jasmina – Aymar raconte partout que Djamel est un enfant adopté, mais en réalité, c’est le produit d’une de ces relations extraconjugales… Et mon mari le sait très bien, évidemment…

Juliette – Bien sûr…

Antoine – Il faut dire que Djamel ne lui ressemble pas du tout, malgré ce que nous avons dit tout à l’heure par politesse…

Juliette – C’est vrai que Djamel est assez typé.

Antoine – Sans aller jusqu’à dire qu’il est noir…

Jasmina – C’est pourquoi nous lui avons choisi ce prénom un peu exotique.

Antoine – Évidemment…

Jasmina – En fait mon mari ne peut pas avoir d’enfants… Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas pour cette raison qu’il m’a inconsciemment poussée dans les bras de tous ces étalons… Aymar ne pouvait pas se résoudre à l’idée de ne pas avoir de successeur, vous comprenez ?

Antoine – Dans ce cas, plutôt que d’enfant adultérin, on pourrait presque parler de procréation assistée… À l’ancienne…

Juliette – C’est le professeur de SVT qui parle…

Jasmina – Le problème c’est que mon mari n’assume pas vraiment cette situation…

Juliette – Et Djamel, il sait qui est son père biologique ?

Jasmina – Il sait seulement que c’est un des trois cents employés de mon mari. Tout comme moi, d’ailleurs… Pour éviter que des liens trop étroits ne se tissent entre nous, mon mari changeait tous les jours l’ange gardien chargé de me surveiller.

Juliette – Et vous ne vous souvenez plus qui était de garde ce soir-là…

Antoine – Un ange gardien… Là ce n’est plus de la procréation assistée… On n’est pas loin de l’immaculée conception…

Jasmina – Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’en raison de son métier, mon mari a un permis de port d’arme…

Juliette – Non ?

Jasmina – J’ai peur qu’un jour il ne fasse une bêtise.

Antoine – Quelle genre de bêtises ?

Jasmina – Qu’il se tue. Ou qu’il tue quelqu’un. Il ne faut surtout pas le contrarier, il est sujet à des accès de colère incontrôlable. Vous avez vu tout à l’heure ?

Antoine – Et… votre mari porte son arme sur lui ?

Aymar revient.

Aymar – Nous sommes vraiment très touchés par votre accueil.

Jasmina – Oui, vraiment…

Aymar – Nous formons une famille maintenant, n’est-ce pas ?

Jasmina – Je crois que cela va aussi nous aider à ressouder notre couple, après toutes les épreuves que nous avons traversées.

Aymar – D’ailleurs, nous avons décidé de déménager pour nous rapprocher de notre fils, et de nos futurs petits enfants. Nous envisageons d’acheter une maison en région parisienne.

Juliette – Vraiment ? Dans quel coin exactement ?

Jasmina – J’ai vu qu’il y avait une maison à vendre en face…

Juliette – En face de quoi ?

Jasmina – En face de chez vous !

Aymar – Je vous l’ai dit, nous n’avons plus aucun parent proche. Et nous nous sentons déjà tellement d’affinités avec vous…

Stupeur de Juliette et Antoine. Le téléphone sonne, mais ils ne l’entendent même pas.

Jasmina – Vous ne répondez pas ?

Juliette – Si, si, bien sûr…

Antoine décroche.

Antoine – Oui, ma chérie ? Je suis content de pouvoir te parler, justement. Je voulais savoir si tu comptais nous inviter à ton baptême, et ce qui te ferait plaisir comme cadeau ? Un montre de plongée ? Une gourmette en plaqué or avec ton prénom gravé dessus ? (Son visage se fige) Quoi ? Mais pourquoi ? Mais enfin… (Aux trois autres) Elle a raccroché…

Juliette – Mais qu’est-ce qui se passe ?

Antoine – Elle ne veut plus se marier… Elle dit que Djamel l’a trompée !

Juliette – Mais c’est affreux !

Antoine – Oui… Alors pourquoi est-ce que j’ai tendance à prendre ça comme une bonne nouvelle ?

Aymar – Djamel ? Tromper Sonia ?

Jasmina – Notre fils n’aurait jamais fait une chose pareille…

Juliette – Ça c’est quand même un peu difficile à affirmer aussi catégoriquement, non ?

Jasmina – Cela ne correspond pas du tout à l’éducation que nous lui avons donnée…

Aymar – Tel père tel fils…

Jasmina – Qu’est-ce que tu insinues ?

Aymar – Je me comprends…

Juliette (à Antoine) – Tu aurais pu me la passer, au moins !

Antoine – C’est elle qui a raccroché !

Juliette – Qu’est-ce qu’elle t’a dit au juste ?

Antoine – Je n’ai pas compris grand chose, elle était en larmes au téléphone. Mais je crois qu’elle a parlé d’un préservatif retrouvé sous le lit de Djamel dans sa chambre à HEC…

Jasmina – Usagé ?

Antoine – Ça elle ne m’a pas précisé… Vous voulez que je la rappelle pour lui demander ?

Jasmina – Et vous êtes sûr que ce n’est pas votre fille qui…

Aymar – C’est vrai qu’elle est quand même un peu…

Juliette – Un peu quoi ?

Jasmina – Un peu délurée.

Juliette – Délurée, ma fille ? Dites plutôt que c’est votre fils qui est un peu coincé… Enfin pas tant que ça, apparemment…

Antoine – Oui, ne renversons pas les rôles, hein ? C’est bien votre fils qui a trompé ma fille jusqu’à preuve du contraire !

Aymar – D’un autre côté, il vaut mieux que cela arrive avant le mariage, n’est-ce pas ?

Juliette – Quoi ? Mais c’est monstrueux ! C’est ça la morale hypocrite que vous avez inculquée à votre fils ? On voit le résultat !

Antoine – Quoi qu’il en soit, Sonia ne veut plus se marier. Et je vous avoue que ce n’est pas fait pour me déplaire…

Aymar – Et pourquoi ça, je vous prie ?

Antoine – Si ça peut lui éviter de se colleter des beaux parents psychopathes…

Jasmina – Quoi ?

Juliette – Moi non plus, je vous avoue que je ne le sentais pas ce mariage.

Jasmina – Ah oui ?

Antoine – Il faut bien avouer que nous n’avons pas grand chose en commun.

Juliette – Et nos enfants non plus probablement.

Antoine – Honnêtement, je ne pense pas que Sonia et Djamel soient faits pour vivre ensemble. C’est notre fille, tout de même, nous la connaissons bien.

Aymar – La preuve, vous ne saviez même pas qu’elle avait décidé de se faire baptiser.

Antoine – C’est votre fils qui a une mauvaise influence sur elle.

Antoine – Pour tout vous dire, quand vous êtes arrivés, je vous ai pris pour des témoins de Jéhovah…

Aymar – Vraiment ? Je croyais que vous nous aviez pris pour des noirs ?

Juliette – Des noirs, mais enfin c’est ridicule ! Cela se voit tout de suite que vous n’êtes pas noirs…

Jasmina – Ou en tout cas des arabes !

Aymar – Dites plutôt que si vous ne voulez pas de ce mariage, c’est parce que vous êtes racistes !

Antoine – Racistes, nous ? D’anciens sociétaires de la CAMIF !

Antoine prend son verre et en lance le contenu au visage de Aymar. Celui-ci, outré, le prend par le col et le pousse sans grande violence. Mais Antoine perd l’équilibre et tombe.

Juliette – Oh mon Dieu !

Juliette se précipite à son chevet.

Juliette – Antoine, ça va ? Il est inconscient !

Aymar – Je suis vraiment désolé, mais je l’ai à peine touché !

Juliette – Assassin ! (À Jasmina) Mais faites quelque chose ! Après tout, vous êtes médecin…

Jasmina – Je suis médecin légiste…

Juliette – Je ne sais pas ce qui me retient de…

Juliette commence à étrangler Jasmina. Le portable de Aymar sonne et il répond. Les deux femmes, revenant à la réalité, s’immobilisent.

Aymar – Oui, Djamel… Oui, nous sommes avec Julien et Antoinette… Antoine et Juliette, c’est ça… (Aux trois autres) Il dit qu’il n’a pas trompé Sonia. Il s’agit d’un malentendu. Ils se sont réconciliés, et ils se marient à nouveau… Non, je… Je ne peux pas te passer Antoine pour le moment, il… D’accord, on se rappelle…

Jasmina se penche vers Antoine.

Jasmina – En tout cas, en tant que médecin légiste, je peux vous affirmer que cet homme n’est pas mort.

Antoine reprend ses esprits et se relève. Tous semblent très embarrassés.

Antoine – Qu’est-ce qui s’est passé ?

Juliette – Rien, mon chéri, tu as dû glisser, c’est tout.

Aymar – Je crois que nos mots ont un peu dépassé notre pensée, n’est-ce pas ?

Juliette – Nous nous sommes laissés aller à quelques débordements, c’est clair.

Jasmina – On est parti sur la mauvaise pente, mais on va tout reprendre à zéro, d’accord ?

Antoine – Nos enfants vont se marier, après tout.

Aymar – C’est entièrement de notre faute, nous n’aurions pas dû…

Juliette – Mais non, voyons, c’est nous qui…

Antoine – Vous reprendrez bien quelque chose ?

Juliette – Je crois que ce ne serait pas très raisonnable. Nous n’avons presque rien mangé dans le TGV à midi…

Juliette – Vous allez bien rester dîner avec nous ?

Antoine lui lance un regard consterné.

Aymar – Nous ne voudrions pas abuser…

Juliette – Je n’ai rien prévu, mais je peux regarder ce qu’il me reste dans le congélateur. Ce sera à la bonne franquette…

Jasmina – Dans ce cas…

Juliette sort. Silence embarrassé.

Jasmina – J’aime beaucoup votre canapé…

Aymar – Oui, il est très confortable.

Jasmina – Il est en cuir, bien sûr. Le vrai cuir, ça se reconnaît tout de suite.

Aymar – Le cuir, ça vieillit très bien…

Antoine – Nous l’avons acheté à la CAMIF il y a déjà quelques années. Vous saviez que la CAMIF avait fait faillite…

Aymar – La CAMIF ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

Antoine – Une entreprise qui n’a pas su prendre le tournant de la mondialisation.

Aymar – Comme l’Éducation Nationale, alors…

Antoine – Enfin heureusement, nous les profs, on n’a pas encore trouvé le moyen de nous délocaliser.

Jasmina – Oh, ça viendra sûrement…

Juliette revient.

Jasmina – Je n’ai pas grand chose, mais comme on a déjà beaucoup grignoté, on peut passer directement au dessert, non ? J’avais une galette des rois dans le congélateur. Je l’ai réchauffée au micro-ondes…

Antoine – Une galette des rois ? Mais on est au mois de juin.

Juliette – Oui, et bien j’en avais acheté un lot de deux en promo à Auchan au mois de janvier, et comme on n’en avait mangé qu’une, j’ai congelé l’autre…

Aymar – Une galette des rois, ça nous va très bien. Nous adorons la galette, n’est-ce pas chérie ?

Jasmina – Et on a si rarement l’occasion d’en manger.

Aymar – C’est vrai, c’est tellement bon, la galette des rois. Pourquoi n’en manger qu’une fois par an pour l’épiphanie ?

Juliette coupe la galette en quatre.

Aymar – Normalement, c’est le plus jeune qui doit aller sous la table…

Jasmina – Mais cela nous obligerait à dire notre âge…

Antoine – Et puis la table est un peu trop basse, non ?

Juliette tend une part avec la pelle à découper.

Juliette – Pour qui ?

Antoine – Honneur aux dames.

Juliette sert les parts.

Juliette – Bon appétit !

Aymar – Excellente, vraiment !

Jasmina – Oui, elle est bien fourrée.

Ils mangent un moment leur galette en silence.

Aymar – Ah, on dirait que c’est moi qui ai la fève…

Juliette – Alors c’est vous le roi !

Antoine – Le roi de quoi, on ne sait pas…

Juliette tend la couronne à Aymar qui la place sur sa tête.

Aymar – Et voilà : Aymar Premier. Je choisis ma femme comme reine, évidemment.

Jasmina – C’est normal, après tout.

Juliette – Ah oui ?

Jasmina – Les parents du prince charmant sont forcément un couple royal !

Juliette – Bien sûr…

Aymar couronne sa femme et ils s’embrassent de façon très appuyée pendant un long moment. Embarras de Antoine et Juliette. Juliette toussote un peu pour les rappeler à la réalité.

Juliette – Vous désirez un café ?

Les deux autres mettent fin à leur étreinte.

Jasmina – Pourquoi pas ?

Aymar – Avec plaisir…

Jasmina – Vous permettez que j’aille me laver les mains ? La galette, c’est toujours un peu… lubrifiant.

Aymar – Je vais avec toi…

Juliette – Mais je vous en prie, vous connaissez le chemin… Je vais lancer la machine à café…

Aymar et Jasmina sortent, et Juliette à leur suite. Elle revient quelques secondes après.

Antoine – Si seulement il avait pu s’étrangler avec cette fève…

Juliette – Il faut avouer qu’ils sont graves…

Antoine – Pourquoi tu les as retenus à dîner, alors ?

Juliette – Ce n’est pas un dîner, c’est juste une galette des rois ! Et puis je te rappelle que Sonia va se marier avec leur fils…

Antoine – Il faut absolument faire capoter ce mariage, sinon ça va être un cauchemar…

Juliette – Ah, oui ? Et comment on fait ça ?

On entend Aymar et Jasmina glousser off.

Antoine – Ils avaient l’air très chauds, là… Tu crois qu’ils sont en train de copuler dans notre salle de bain ?

Juliette – Tu as vu, tout à l’heure, quand il a failli défourailler son pistolet ? Tu crois que je devrais appeler la police ?

Antoine – En tout cas, comme dit sa femme, on va essayer de ne pas le contrarier…

Aymar revient en pelotant aimablement sa femme. Ils chahutent comme des collégiens.

Jasmina – Oh non, arrête, enfin… Je t’en prie… Pas ici…

Juliette (embarrassée) – Je vais voir si le café est prêt.

Juliette sort. Jasmina et Aymar s’efforcent de reprendre leur sérieux et de relancer un bavardage de circonstances.

Jasmina – Sonia nous a dit que vous aviez une maison de vacances en Provence, n’est-ce pas ?

Antoine – Oui, à Tarascon… Nous y allons le plus souvent possible.

Aymar – C’est incroyable, nous passons nous-mêmes toutes nos vacances à Beaucaire ! Il n’y a que le Rhône à traverser !

Juliette revient avec le café.

Juliette – Non ? Mais c’est extraordinaire !

Antoine et Juliette échangent un regard consterné.

Aymar – Alors nous pourrons aussi nous voir pendant les vacances !

Jasmina – Et si on faisait le mariage là-bas ?

Aymar – C’est vrai qu’il nous reste à organiser les détails de la noce… Mais j’avais plutôt une autre idée en tête…

Antoine – Nous on voyait quelque chose d’assez intime. Et comme par chance vous n’avez pas de famille.

Aymar – Il faut quand même marquer le coup… Qu’est-ce que vous pensez de faire ça dans les locaux de ma société ? Pour inviter mes clients, ce serait plus pratique ?

Antoine – Vous avez beaucoup de clients ?

Aymar – Rassurez-vous, dans ce cas, je ferais passer ça en frais de représentation…

Antoine – Dans ce cas, évidemment, si c’est une opération commerciale…

Aymar – Djamel prendra ma succession à la tête de cette entreprise dans quelques années. Ce sera l’occasion de présenter mon dauphin à ses futurs employés… Je vous avoue que j’ai très envie de passer la main, et de profiter un peu de la vie.

Aymar écarte sa veste pour montrer son revolver.

Aymar – En tout cas, lorsque je serai à la retraite et que j’habiterai juste en face de chez vous, croyez-moi, côté sécurité, vous n’aurez plus rien à craindre… Je surveillerai personnellement votre domicile…

Juliette – Eh oui… Vous pourriez même organiser une milice avec les retraités du coin et faire des rondes dans le quartier ! Qu’est-ce que tu en penses Antoine ?

Antoine – Pourquoi pas ? Je n’aime pas trop le terme de milice, mais pendant la guerre, on appelait ça la protection civile… Après tout c’est un peu la même chose.

Juliette – Oui… Sauf que nous ne sommes pas en guerre…

Aymar – Vous oubliez nos ennemis de l’intérieur… La cinquième colonne !

Un temps.

Jasmina – Nous aimons vraiment beaucoup Sonia, et nous sommes ravis de cette union.

Antoine – Oui, c’est… C’est une belle revanche, pour elle aussi.

Juliette lui lance un regard étonné.

Aymar – Une revanche ?

Antoine – Sur la vie…

Jasmina – Vraiment ?

Juliette ne tarde pas à embrayer.

Juliette – C’est vrai qu’elle était plutôt mal partie.

Aymar – À ce point-là ?

Antoine – Elle ne vous a pas dit ? À la naissance, elle avait une santé très fragile. N’est-ce pas Juliette ?

Juliette – Une grande prématurée…

Antoine – Les médecins se demandaient même si elle n’en garderait pas des séquelles physiques et cérébraux.

Juliette – D’ailleurs pour ses études, au départ, il faut bien avouer qu’elle n’était pas vraiment précoce, pour le coup.

Antoine – Elle a redoublé son CM2.

Jasmina – N’empêche que maintenant, elle est à HEC…

Antoine – Oui, et au moins, elle s’est un peu stabilisée…

Juliette – On ne devrait pas vous le dire, mais… Vous n’aviez pas complètement tort tout à l’heure…

Antoine – Il faut bien avouer qu’elle est assez délurée, comme vous dites.

Juliette – Elle a eu beaucoup d’aventures avant de rencontrer votre fils.

Antoine – Ah, ça, on peut dire qu’on en a vu défiler…

Juliette – Et pas que des bonnes fréquentations…

Antoine – C’est pourquoi nous étions si ravis lorsqu’elle nous a présenté votre fils…

Juliette – Tu te souviens ? La fois où on a dû aller la récupérer au commissariat parce qu’elle avait volé quelque chose dans un supermarché… C’était quoi, déjà ?

Antoine – Du jambon, je crois.

Aymar et Jasmina échangent un regard étonné.

Aymar – Du jambon ?

Juliette – Ou du rouge à lèvre, je ne sais plus.

Antoine – Non, ça me revient maintenant… C’était une tente de camping !

Aymar et Jasmina échangent un regard consterné.

Juliette – Ah, oui, une chose quand même qu’il nous paraissait important de vous signaler à propos de Sonia…

Jasmina – Oui ?

Juliette – Sa grand mère maternelle avait une maladie génétique assez handicapante…

Antoine – Une maladie orpheline.

Juliette – Je ne sais plus trop laquelle, mais je vous redirai ça, c’est quand même important que vous le sachiez… Je n’en ai pas hérité, heureusement, et ma fille non plus. Mais il paraît que ça peut sauter une ou deux générations…

Antoine – Il ne s’agirait pas que notre fille vous donne des petits enfants qui ne soient pas à la hauteur de vos espérances…

Juliette – Il suffira de faire le test. Ils ne garderont l’enfant que s’il n’est pas atteint par la maladie…

Aymar – En effet, c’est… C’est très ennuyeux… Déjà que du côté de Djamel, on n’a pas de certificat d’appellation d’origine contrôlée…

Jasmina – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Aymar – Tu sais très bien ce que je veux dire !

Jasmina – Parce que de ton côté, tout le monde est parfaitement équilibré, peut-être ?

Aymar – Qu’est-ce que tu insinues ?

Jasmina – Ton neveu a assassiné toute la famille avec le fusil de chasse de son père pendant qu’ils dormaient !

Aymar – C’était un coup de folie, ça peut arriver à tout le monde !

Jasmina – À tout le monde ? Heureusement que cette année là, on n’avait pas pu partir à la neige avec eux pour fêter Noël…

Aymar – Salope ! Traînée ! Un jour je te tuerai…

Il porte sa main à son revolver. Antoine et Juliette sont tétanisés. Le téléphone portable de Jasmina sonne. Elle répond.

Jasmina – Oui, tout va bien Sonia… (À Juliette) C’est votre fille justement…

Juliette – Je vais débarrasser un peu.

Elle sort avec quelques objets pris sur la table.

Jasmina – D’accord… Entendu… Et ne vous inquiétez pas, ma petite Sonia. Nous vous prendrons comme vous êtes… Non, je faisais référence à votre maladie génétique.

Antoine (embarrassé) – Vous reprendrez bien un peu de café ?

Aymar – Volontiers, merci…

Juliette revient et s’adresse à voix basse à Antoine en aparté.

Juliette – J’ai appelé la police…

Jasmina – D’accord, je fais la commission. (Jasmina range son téléphone) Ils passeront pour le café…

Juliette – Très bien, dans ce cas, je vais en refaire…

Jasmina – J’espère que je n’ai pas gaffé en lui parlant de sa maladie orpheline… Elle avait l’air un peu gênée…

Antoine et Juliette échangent un regard coupable.

Aymar – Mais j’y pense, ça vous dirait de passer Noël avec nous à la montagne ? Après le drame qui nous a frappé, du coup, on a hérité d’un chalet dans les Alpes du côté du Grand Bornand.

Jasmina – On pourrait se réunir tous pour fêter notre premier Noël en famille !

Aymar – Notre nouvelle famille !

Antoine et Juliette ont l’air terrifiés. Le portable de Juliette sonne.

Juliette – Oui ma chérie ? Comment ça, quelle maladie génétique ? Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler… Je t’expliquerai tout à l’heure, d’accord…

Juliette range son portable.

Antoine – Nous avions préféré ne pas lui en parler jusqu’à aujourd’hui… Tu n’as pas entendu sonner, chérie ?

Juliette – Non, je n’ai rien entendu…

Antoine lui fait signe discrètement de faire semblant.

Juliette – Ah si, peut-être… C’est vrai qu’elle marche tellement mal, cette sonnette… Parfois on ne l’entend pas…

Antoine – Ça doit être eux. Tu viens avec moi pour les accueillir ?

Juliette – Je te suis…

Ils sortent en catimini. On entend une porte claquer. Aymar et Jasmina restent silencieux un moment.

Jasmina – On avait raison de se méfier, ils sont vraiment bizarres, non ?

Aymar – Et d’un chiant…

Jasmina – Un couple de profs, quoi…

Aymar – On ne devrait pas les laisser se reproduire entre eux, ces gens-là.

Jasmina – Qu’est-ce que tu veux ? On ne choisit pas sa belle-famille…

Aymar – Hélas…

Nouveau silence.

Jasmina – C’est curieux, on dirait qu’ils sont partis…

Aymar – Tu crois ?

Un temps.

Jasmina – Je ne le sentais pas ce mariage.

Aymar – Tu penses qu’on en a fait assez ?

Jasmina – La question, ce serait plutôt est-ce qu’on n’en a pas fait un peu trop.

Aymar – On n’aura peut-être pas réussi à empêcher ce mariage, mais en tout cas, je crois que du côté des beaux-parents, on peut être tranquille.

Jasmina – Oui, je crois qu’ils ne sont pas près de nous réinviter.

Aymar – Ou d’accepter les invitations qu’on serait obligés de leur faire par politesse…

Jasmina – Surtout pas pour Noël.

Ils se marrent. On entend la sirène d’une voiture de police qui se rapproche.

Aymar – Finalement, tu as raison… Je me demande si on n’en a pas fait un peu trop, quand même…

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Janvier 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-45-1

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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