Voisin

Apéro Tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

14 à 17 comédiens 
14 : 9H/5F, 8H/6F, 7H/7F, 6H/8F
15 : 10H/5F, 9H/6F, 8H/7F, 7H/8F, 6H/9F
16 : 11H/5F, 10H/6F, 9H/7F, 8H/8F, 7H/9F
17 : 11H/6F, 10H/7F, 9H/8F, 8H/9F, 7H/10F, 6H/11F

Les Cassoulet ont invité dans leur château pour un concert dînatoire la bonne société de Beaucon dont ils rêvent de faire partie. Mais la tête du pianiste est retrouvée flottant dans la piscine. Et dire qu’on en n’est qu’à l’apéritif…


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Apéro Tragique

Roger Cassoulet
Brigitte Cassoulet
Samantha Cassoulet
Edmond de la Ratelière
Marianne de la Ratelière
Edouard de la Ratelière
Gregory Badmington
Conchita Badmington
Azkanouch Aznavourian
Fatima
Joseph
Lacordéon
Marc-Antoine
César
Rosalie
Rodriguez
Sanchez

Le patio d’un château en ruine, avec fausses colonnes en vrai carton, agrémentées de faux arbustes en vrai papier crépon. Roger et Brigitte Cassoulet, élégance faussement décontractée mais vraiment vulgaire, sont assis sur un banc, le regard dans le vague. On entend sonner sept heures au clocher d’une église.

Brigitte – Il est sept heures.

Roger – Oui… Peut-être…

Brigitte – Tu n’as pas entendu ?

Roger – J’ai bien entendu les cloches. Mais comment être absolument sûr qu’il est absolument sept heures ?

Brigitte – Mais puisque sept coups ont sonné au clocher de l’église de Beaucon-les-deux-Châteaux !

Roger – Ça ne prouve rien.

Brigitte – Ça ne prouve rien ?

Roger – C’est peut-être une erreur.

Brigitte – Comment l’église pourrait-elle se tromper à ce point ?

Roger – L’église s’est déjà beaucoup trompée…

Brigitte – En tout cas, elle ne s’est jamais trompée sur l’heure qu’il est ! Le clocher restera toujours pour les âmes dans le doute, ce que le phare est aux marins dans la tempête. Il y a des limites au scepticisme…

Roger – L’infaillibilité du pape ne s’étend pas aux cloches qui l’entourent.

Brigitte – Pour un bon chrétien, l’heure c’est l’heure. Et quand sept coups sonnent au clocher de Beaucon, c’est qu’il est sept heures.

Roger – C’est ce qu’on appelle la foi du charcutier.

Brigitte – Du charbonnier, tu veux dire.

Roger – Déformation professionnelle.

Brigitte – La vraie foi, ce n’est pas d’être certain que les cloches sonnent à la bonne heure.

Roger – C’est quoi alors ?

Brigitte – C’est de croire que la bonne heure, c’est quand on fait sonner les cloches.

Roger – Je vais quand même vérifier auprès de l’horloge parlante.

Il compose un numéro sur son portable.

Brigitte – Et puis on connaît le curé, tout de même.

Roger – Oui… Justement…

Brigitte – C’est vrai que pas mal de rumeurs courent sur son compte…

Roger – Il sort à peine de garde à vue pour exhibitionnisme.

Brigitte – On ne va pas le soupçonner en plus de diffuser de fausses nouvelles en ce qui concerne l’heure qu’il est !

Roger – Ça sonne.

Brigitte – Je me demande si tu ne devrais pas arrêter de lire tous ces livres de BHV…

Roger – BHV ? Je les ai achetés à la FNAC… Ah tu veux dire BHL !

Brigitte – BHV ou BHL… C’est toujours de la philosophie de bazar.

Roger range son portable.

Roger – En tout cas, il est bien sept heures.

Brigitte – Et aucun de nos invités n’est encore arrivé… Tu crois qu’ils vont venir ?

Roger – Quelle heure on avait mis, sur les cartons d’invitation ?

Brigitte – Sept heures.

Roger – Personne n’arrive à sept heures pour une invitation à sept heures.

Brigitte – Non ?

Roger – Dans le beau monde, ça ne se fait pas. D’ailleurs, je ne suis pas sûr non plus que ça se fasse d’inviter les gens à sept heures… Sept heures… Ce n’est pas chrétien…

Brigitte – Tu crois ?

Roger – Ils arriveront vers sept heures et demie.

Brigitte – C’est un apéritif, tout de même. Ils ne vont pas arriver à onze heures du soir.

Roger – On n’avait pas dit un apéritif dînatoire ?

Brigitte – Un apéritif dînatoire, ça fait moins peur qu’un dîner. Nos invités sont des gens de qualité. Ils ont une idée très particulière de ce que c’est que de passer une bonne soirée.

Roger – Tu as raison. En voyant apéritif dînatoire, ils se diront : si c’est ennuyeux à mourir, on ne sera pas obligés de rester…

Brigitte – Ces gens-là, il ne suffit pas de leur servir un verre de sangria et de faire griller quelques merguez au barbecue pour qu’ils nous disent en partant : on a passé une bonne soirée.

Roger – Et sur le carton, tu as bien précisé apéritif dînatoire ?

Brigitte – J’ai mis Apéro Bouffe. Je me suis dit que ce serait moins formel. Plus décontracté.

Roger – Et puis on ne peut prétendre organiser un dîner en ville. Nous ne sommes pas membre du Club Philanthropique des Dîners de Beaucon.

Brigitte – Pas encore, hélas. Et c’est bien tout l’enjeu de cette soirée : trouver un parrain pour nous faire admettre dans cette prestigieuse institution beauconardaise.

Roger – Beauconardaise, tu crois ?

Brigitte – Comment appelle-t-on les habitants de Beaucon-les-deux-Châteaux ?

Roger – Pas les Beauconards tout de même…

Brigitte – Peut-être les Beauconchâtelains. En tout cas, ça sonne bien.

Roger – Quoi qu’il en soit, si on avait mis dîner sur le carton d’invitation, personne ne serait venu.

Brigitte – C’est évident.

Roger – Nous ne sommes pas encore habilités pour les dîners en ville…

Brigitte – D’ailleurs, on a seulement mis Apéro Bouffe, et personne n’est là…

Roger prend un carton et le regarde.

Roger – Ah, je crois qu’il y a une petite faute de frappe. Au lieu de Apéro, c’est marqué Opéra. Regarde : Opéra Bouffe…

Brigitte – Ah oui, tu as raison… Remarque, c’est presque ça au fond, puisqu’en plus du traiteur, on leur paye un pianiste.

Roger – Ça on ne s’est pas foutu d’eux. On a bien fait les choses.

Brigitte – Et puis nous les recevons dans notre château.

Roger – C’est vrai. Tu te rends compte ? Les Beauconchâtelains, c’est nous. Maintenant que nous sommes les heureux propriétaires de l’un des deux châteaux de Beaucon-les-deux-Châteaux.

Brigitte – Il y a encore un peu de travail pour le rendre parfaitement habitable, mais bon. C’est vrai, après tout. Nous sommes les seigneurs de cette contrée.

Arrive Samantha, leur fille, look punk ou gothique.

Roger – Et voici notre princesse…

Brigitte – Enfin Samantha, tu aurais pu faire un effort de toilette pour nos invités… On a l’impression que tu sors d’un film de zombies.

Samantha – Quand est-ce qu’on bouffe ?

Roger – Juste après l’apéro.

Brigitte – Et après le concert.

Samantha – Le concert ? J’imagine que ce n’est pas du rap. C’est quoi ? Un groupe de jazz ?

Brigitte – C’est un ténor de première classe, venu spécialement de Paris en TGV.

Roger – Ça nous a coûté un bras.

Brigitte – Il nous chantera quelques grands airs d’opéra en s’accompagnant lui-même au piano.

Samantha – Ah ouais… Donc, on n’est pas prêt de bouffer, quoi…

Roger – Il s’agit de nous faire admettre dans la bonne société de Beaucon, Samantha.

Brigitte – En devenant membre bienfaiteur du Club Philanthropique des Dîners de Beaucon.

Roger – Le piano et l’opéra, c’est tout à fait approprié pour nous lancer dans le monde, ma chérie.

Brigitte – Et pourquoi pas en profiter pour te trouver un mari de bonne famille ?

Samantha – Un mari… Ah d’accord… J’ai l’impression de jouer dans une pièce de boulevard de la fin du 19ème siècle.

Roger – Et pourtant, celle-ci est du début 20ème.

Brigitte – Toi, au moins, tu peux toujours espérer changer de nom en te mariant…

Samantha – Cassoulet… C’est vrai qu’un patronyme pareil, ça donne tout de suite envie de se marier avec le premier venu.

Brigitte – Je n’ai jamais réussi à me faire à l’idée de m’appeler Madame Cassoulet.

Roger – Qu’est-ce que tu veux, Brigitte ? C’était le nom de mes parents, et avant eux de mes grands-parents, et avant eux…

Brigitte – Et je ne te le reproche pas, Roger. Mais c’est un fait qu’on n’invite pas dans le monde des gens qui s’appellent Roger et Brigitte Cassoulet. À moins qu’ils soient vraiment très riches.

Roger – Ou qu’ils donnent des récitals d’opéra.

Brigitte – Je ne suis pas sûre, Roger, mais je crois qu’on dit des récitaux…

Roger – Pourtant on dit des céréales, non ?

Samantha – Mais on est riche, nous ! On a même un château.

Brigitte – Oui… Un château en ruine…

Roger – Mais un château classé !

Brigitte – En plus de son nom difficile à porter, ton père a hérité de ses parents une fabrique de saucisses. Mais Roger Cassoulet, ce n’est pas non plus Bill Gates. On ne peut pas se permettre de jeter l’argent par les fenêtres.

Samantha – Si encore on avait des fenêtres…

Roger – Tout ça coûte une fortune, ma chérie… Et on n’installe pas des fenêtres de chez Leroy Merlin sur la façade d’un château où paraît-il le roi Louis-Philippe a passé une nuit.

Brigitte – Dans notre propre chambre, tu te rends compte, Samantha ? Louis-Philippe !

Samantha – Ah oui, d’ailleurs, je voulais vous dire : dans ma chambre à moi, il pleut. Heureusement que j’ai un lit à baldaquin… Mais si ça continue, c’est une tente Quetchua qu’il va me falloir.

Roger – D’accord. Je ferai venir le couvreur dès qu’on aura payé le traiteur.

Brigitte – Et le cachet de ce musicien hors de prix.

Samantha – Il s’appelle comment ce virtuose ?

Roger – Frédéric Lacordéon.

Samantha – Lacordéon ? Et il joue du piano ?

Brigitte – Ton père s’appelle bien Cassoulet et il vend des saucisses. (Soupirant) Fallait-il que je l’aime, ton père, pour accepter de devenir Madame Cassoulet…

Roger – Ne te plains pas, ça aurait pu être pire… Tu te souviens de cette bonne à tout faire qu’on a eue autrefois et qui s’appelait Madame El Baez ?

Brigitte – Oui, je te remercie d’avoir la délicatesse de me le rappeler… Elle portait tellement bien son nom que j’ai dû m’en séparer de cette Madame El Baez… Tu ne te souviens pas ?

Roger – La bonne à tout faire… Ah oui, peut-être…

Brigitte – À propos, ma chérie, nous avons invité Monsieur et Madame de la Ratelière de Casteljarnac. Et je crois qu’ils viendront avec leur fils Charles-Edouard…

Brigitte – Charles-Edouard ? C’est une blague ?

Roger – Il est étudiant à Sciences Po Châteauroux, mais il est en vacances chez ses parents en ce moment.

Samantha – Sciences Po Châteauroux, tu es sûr que ça existe ?

Roger – Ou Sup de Co Vierzon, je ne sais plus exactement.

Samantha – Et c’est ça que vous appelez un bon parti ? Allez, je me casse, les Cassoulet.

Brigitte – Et je t’en prie, ma chérie, mets une tenue un peu plus élégante pour la soirée.

Samantha – C’est ça. Vous me sifflerez quand vos invités seront là. Pour voir si la dinde est à leur goût…

Samantha sort.

Roger – Tu as prévu une dinde ?

Brigitte – Non…

Roger – Je me demande s’il n’y avait pas un message subliminal…

Brigitte – Tu te rends compte qu’en épousant Charles-Edouard, notre fille deviendrait Madame de La Ratelière de Casteljarnac ? Peut-être même un jour Madame La Baronne…

Roger – Oui… Mais je me demande si on a bien fait de la prénommer Samantha…

Brigitte – Pourquoi ça ?

Roger – Je ne sais pas… Madame La Baronne Samantha de la Ratelière de Casteljarnac…

Brigitte – Moi je préférais Jennifer. Jennifer de la Ratelière, au moins ça rime.

Roger – En tout cas, ce concert donnera aux Cassoulet la touche culturelle qui leur manque encore pour être acceptés dans la bonne société de Beaucon.

Brigitte – Le problème avec la grande musique, c’est que ça n’est pas donné.

Roger – J’espère au moins que ce type chante juste et qu’il joue bien du piano.

Brigitte – On nous a garanti que c’était un virtuose, non ?

Roger – Et puis on ne va pas leur donner un concert d’accordéon.

Brigitte – Remarque, Giscard d’Estaing en jouait très bien. Et ça plaisait beaucoup.

Roger – Oui… Mais Giscard jouait seulement pour les prolos. La preuve, il n’a plus jamais joué d’accordéon après la fin de son mandat.

Brigitte – Tout de même, Giscard d’Estaing et Anémone, c’est ce qui est arrivé de mieux à la France depuis qu’on a guillotiné Louis XVI et Marie-Antoinette.

Roger – S’il avait été réélu en 1981 au lieu de ce Mitterrand, le sort de la France aurait sans doute été bien différent.

Brigitte – On aurait peut-être même rétabli la monarchie.

Roger – Malheureusement, Giscard a dû abdiquer.

Brigitte – Et avec quel panache…

Roger pastiche le départ télévisuel de Giscard.

Roger – Dans ces temps difficiles où le mal rode et frappe dans le monde, je souhaite que la providence veille sur la France pour son bonheur, pour son bien, et pour sa grandeur. (Un temps) Au revoir…

On entend la Marseillaise. Roger se lève et part.

Brigitte – Quel comédien…

Roger revient.

Roger – Sans parler de sa femme et de ses deux filles, Valérie-Anne et Jacinte.

Brigitte – Quelle famille.

Roger – Un vrai bouquet de fleurs.

Brigitte – Il paraît qu’ils viennent de vendre leur château.

Roger – Et nous, on vient d’acheter le nôtre.

Brigitte – Malheureusement, Roger, il faut bien reconnaître que nous n’avons pas autant de classe que Valéry et Anne-Aymone.

Roger – C’est vrai, Brigitte. Il faut être lucide. Les Cassoulet n’ont pas encore toutes les qualités requises pour briller en société. Alors si nous voulons convaincre quelqu’un de parrainer notre candidature pour le Club…

Brigitte – Et trouver pour notre Samantha un gendre avec des mocassins à pompons et un nom à rallonge…

Brigitte – Il va falloir divertir un peu tout ce beau monde pour espérer les faire rester au-delà de l’apéritif.

Roger – C’est clair…

Brigitte – Heureusement, j’ai trouvé la solution.

Roger – Ah oui ?

Brigitte – J’ai invité Marc-Antoine.

Roger – Marc-Antoine ?

Brigitte – Tu sais, ce peintre dont nous ont parlé les Levi Strauss.

Roger – Levi Strauss ? Justement, BHV en parle dans son dernier livre sur Le Bricolage et la Question juive.

Brigitte – BHV ? Tu veux dire BHL ?

Roger – Je t’avoue que je me suis endormi avant la fin. Mais je pensais qu’il était mort, Levi Strauss.

Brigitte – Je crois que ces Levi Strauss là sont plutôt apparentés au fabriquant de pantalons.

Roger – Non ?

Brigitte – Ils habitent cette villa dans le style gréco-romain à la sortie de la ville !

Roger – Je ne vois pas…

Brigitte – Mais si, tu sais bien ! C’est Marc-Antoine qui leur a peint ce trompe-l’œil au fond de leur piscine.

Roger – Ah oui, je vois maintenant… Une reproduction du plafond de la Chapelle Sixtine…

Brigitte – Voilà. Et bien il paraît qu’il est très drôle.

Roger – Ah oui, il a l’air…

Brigitte – C’est un type très intelligent, et d’une immense culture. Enfin, d’après Levi Strauss.

Roger – J’espère quand même qu’il prend moins cher que le pianiste.

Brigitte – Ah non, mais lui il fait ça gratuitement. À mon avis, il ne sait même pas que les gens l’invitent seulement pour mettre un peu d’ambiance dans leurs soirées mondaines. On a eu de la chance qu’il soit libre, parce qu’il est très sollicité. Il y a tellement de dîners en ville.

Roger – Je vois. En somme, ces dîners de Beaucon, c’est l’inverse du dîner de cons.

Brigitte – Comment ça ?

Roger – On invite ce Marc-Antoine parce qu’il a de l’esprit. Et c’est nous les cons…

Brigitte – Tu sais que ce type a été l’assistant de Dali.

Roger – Non ? Celui qui avait ces grandes moustaches, et qui faisait de la publicité pour le chocolat Milka ?

Brigitte – On dit même que c’est ce Marc-Antoine qui a peint la plupart des tableaux du Maître. Le vieux Dali ne faisait que signer.

Roger – Non ?

Roger – D’après Madame Levi Strauss, sur les tableaux de Dali, il n’y a que la signature qui est vraie.

Fatima arrive, vêtue en maître d’hôtel. Grande tenue, maintien parfait et air cérémonial. Mais genre ambigu (le personnage pourra être joué par un homme ou une femme).

Brigitte – Ah Fatima ! Alors, nos premiers invités sont arrivés ?

Fatima – Non Madame. Mais Monsieur Lacordéon a téléphoné. Il fait dire à Monsieur et Madame qu’il sera un peu en retard…

Roger – Très bien, Fatima. Il a dit pourquoi ?

Fatima – Son TGV a été victime d’un incident voyageur au départ de la Gare de Lyon.

Brigitte – Je vois… C’est ce qu’ils disent quand un candidat au suicide est coupé en deux par un train…

Roger – C’est bien notre chance. Il ne pouvait pas se suicider un autre jour, celui-là…

Fatima – Ah, Monsieur Lacordéon fait aussi dire à Monsieur et Madame qu’il ne pourra pas rester très longtemps.

Brigitte – Et pourquoi ça ?

Fatima – Mais parce qu’il est attendu chez Monsieur et Madame Aznavourian.

Brigitte – Enfin Fatima, qu’est-ce que Monsieur Lacordéon irait faire chez les Aznavourian ?

Fatima – Madame n’est pas au courant ? Les Aznavourian aussi donnent un apéritif dînatoire aujourd’hui. Madame Aznavourian m’avait d’ailleurs demandé si je pouvais faire un extra chez elle ce soir…

Brigitte – Ce soir ?

Roger – La salope…

Fatima – Elle avait même proposé de doubler mes gages pour la soirée.

Brigitte – Et vous avez refusé de vous laisser corrompre, Fatima. Bravo ! Nous vous en serons éternellement reconnaissants. N’est-ce pas, Roger ?

Roger – Vu ce que nous coûte déjà cette soirée, je ne peux pas vous donner de prime pour ce soir, mais… (Il fouille dans ses poches) Tenez. J’avais pris un ticket de Loto au PMU ce matin. (Il lui tend le ticket) C’est pour vous. Même si c’est un ticket gagnant. La chance sourit aux audacieux, Fatima…

Brigitte – Et cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance !

Fatima (prenant le ticket) – Merci Monsieur.

Brigitte – Vous pouvez nous laisser, Fatima.

Fatima – Bien Madame.

Fatima sort.

Roger – Je n’ai toujours pas compris pourquoi cette bonne s’habille en homme.

Brigitte – Parce que nous l’avons engagée comme maître d’hôtel, Roger. Et je te rappelle que notre dernière bonne s’appelait Madame El Baez…

Roger – Aznavourian… Ça me dit quelque chose… Il travaille dans le show biz, non ?

Brigitte – Je crois que cette branche là est plutôt dans l’hôtellerie de luxe. Ce sont eux qui ont acheté l’autre château de Beaucon-les-deux-Châteaux…

Roger – C’est ça. Aznavourian. Encore un nom pas facile à porter… Eux aussi ils ont une fille à marier ?

Brigitte – Un fils… Mais c’est beaucoup plus grave que ça…

Roger – Plus grave ?

Brigitte – Je crois savoir que les Aznavourian cherchent également un parrain pour le Club Philanthropique des Dîners de Beaucon ?

Roger – Non ? Mais c’est impossible ! Les Aznavourian ! Et pourquoi pas les Levi Strauss pendant qu’on y est ? Le Club Philanthropique des Dîners de Beaucon c’est comme… Je ne sais pas moi… C’est comme l’Académie Française !

Brigitte – Exactement ! La culture en moins fort heureusement…

Roger – En tout cas, comme pour l’Académie, il faut que l’un de ses membres meure pour qu’un siège se libère.

Brigitte – Et pour l’instant, il n’y a qu’une place vacante.

Roger – Tu crois que les Aznavourian auraient l’idée de nous la prendre ?

Brigitte – Ça ne m’étonnerait pas de ces gens-là… Ils ne s’intéressent qu’à l’argent ! S’iIs veulent faire partie du Club, c’est pour obtenir du maire l’autorisation de transformer leur château classé en hôtel 4 étoiles, et de faire de leur parc à la française un golf 18 trous.

Roger – Non ? Le maire fait partie du Club ?

Brigitte – C’est lui le Président !

Roger – Tu l’as invité aussi, j’espère ?

Brigitte – Bien sûr ! C’est même d’abord en son honneur qu’on a organisé ce concert !

Roger – Oui, il paraît qu’il est très mélomane.

Brigitte – La salope… Tu crois qu’après avoir essayé de nous piquer la bonne, Aznavourian auraient osé soudoyer le même virtuose que nous ?

Roger – Lacordéon… Ce salopard espère sans doute se faire deux cachets dans la même soirée.

Brigitte – Comment faire confiance à un intermittent du spectacle. C’est un cauchemar…

Roger – Et si les Aznavourian avaient eu le culot d’inviter aussi chez eux les de La Ratelière de Casteljarnac ?

Roger – Eh bien tu vois, ça ne m’étonnerait pas plus que ça. D’ailleurs, entre nous, il paraît que les de La Ratelière sont complètement ruinés. Ils bouffent à tous les râteliers !

Fatima revient.

Fatima – Monsieur Marc-Antoine vient d’arriver, Monsieur. Qu’est-ce que j’en fais ?

Roger – Introduisez-le Fatima.

Fatima – Que je… ?

Brigitte – Faites-le entrer !

Fatima sort.

Roger – Au moins, Marc-Antoine est là. On va rire un peu.

Marc-Antoine arrive, déguisé en bouffon.

Marc-Antoine – Monsieur Cassoulet. Madame Cassoulet, mes hommages…

Roger – Bonjour Marc-Antoine… Votre réputation vous précède, on nous a dit beaucoup de bien de vous…

Marc-Antoine – J’aimerais vous assurer de la réciproque, mais hélas je n’ai jamais entendu parler de vous, Monsieur Cassoulet.

Roger – Je fabrique des saucisses sans marque pour la grande distribution.

Marc-Antoine – Ça doit être pour ça que votre nom m’est inconnu… J’ai d’ailleurs été très surpris de recevoir votre invitation, et je vous en remercie. Cela m’a beaucoup touché.

Roger – Mais je vous en prie, Marc-Antoine. Et appelez-moi Roger !

Marc-Antoine – Bonsoir Madame Cassoulet.

Brigitte – Si vous permettez, je préfère aussi que vous m’appeliez Brigitte.

Roger considère la tenue de Marc-Antoine.

Roger – Dites-moi, cher ami… On vous a certes invité pour distraire un peu nos invités en attendant le concert, mais là vous êtes sûr que vous n’en faites pas un peu trop ?

Marc-Antoine – C’est un apéro-concert ? Je pensais que c’était une soirée costumée…

Brigitte – Une soirée costumée ?

Marc-Antoine – Comme sur le carton, c’était marqué Opéra Bouffe…

Brigitte – Donc vous êtes venu en bouffon.

Roger – Il est drôle…

Brigitte – Il s’agit d’un simple malentendu, mais cela n’a pas d’importance.

Marc-Antoine – En tout cas, c’est gentil de m’avoir invité Je suis tellement déprimé en ce moment. Avec ce qui m’arrive…

Roger – Ce qui vous arrive ? Et qu’est-ce qui vous arrive, mon vieux ?

Marc-Antoine – Ma femme vient de me quitter.

Brigitte – Ah, ah, ah, très drôle !

Roger – Il est impayable, non ?

Mais ils comprennent à la tête de Marc-Antoine qu’il ne plaisante pas.

Roger – Sans blague ?

Marc-Antoine – Je savais bien que ça se terminerait comme ça un jour ou l’autre, mais bon… J’espérais encore un miracle… Nous nous apprêtions à fêter notre anniversaire de mariage, vous vous rendez compte ?

Roger (en aparté à Brigitte) – Tu es sûre que c’est le bon Marc-Antoine ?

Brigitte – La première chose qui te viendrait à l’esprit, si on te parlait d’un Marc-Antoine habitant Beaucon-les-deux-Châteaux, c’est de te demander s’il pourrait y en avoir deux ?

Roger – Je vais essayer de me renseigner discrètement… Et la peinture, mon vieux ? Comment ça marche en ce moment ? Parce que si c’est comme la saucisse…

Marc-Antoine – La peinture ? Mon Dieu oui, vous avez raison. Je pourrais faire refaire les peintures chez moi. Ça me changerait les idées. Vous connaissez un bon peintre ?

Roger – Donc vous n’êtes pas artiste peintre.

Marc-Antoine – Artiste peintre ? Quelle drôle d’idée. Non… Je suis expert-comptable.

Brigitte – Oh non… Roger… Un expert-comptable… La soirée est foutue… Qu’est-ce qu’il y a de plus déprimant dans une soirée qu’un expert-comptable ?

Roger – Je ne sais pas… Un informaticien ou un dentiste ?

Fatima revient.

Fatima – Les premiers invités de Monsieur et Madame viennent d’arriver.

Roger – Les premiers invités ? C’est qui ?

Fatima – Je n’ai pas demandé… Il fallait ?

Brigitte – Introduisez, Fatima, introduisez ! C’est une catastrophe…

Arrivent Edmond et Marianne De la Ratelière de Casteljarnac, précédés de Fatima qui les annonce avec pompe.

Fatima – Monsieur le Baron de La Ratelière de Casteljarnac et Madame la Baronne.

Roger – Au moins, ceux-là ne sont pas chez les Aznavourian… Mais entrez donc, je vous en prie.

Marianne – Nous nous sommes permis de venir avec notre fils, Charles-Edouard.

Roger – Ah oui, Charles-Edouard, très bien.

Brigitte – Mais qu’est-ce que vous en avez fait ?

Marianne – Il est en train de garer la Bentley. Vous savez ce que c’est, ces voitures-là, c’est très confortable, mais pour faire un créneau…

Edmond – Et malheureusement, nous n’avons plus les moyens de nous offrir un vrai chauffeur avec une casquette.

Marianne – Un type qui s’emmerderait pendant toute la soirée à nous attendre dans la bagnole sur le parking pendant qu’on s’empiffrerait à l’œil avec vos petits fours.

Brigitte – Eh oui, c’est la crise pour tout le monde.

Marianne – Pour nous, en vérité, la crise a commencé dès 1789…

Edmond – Le début de la fin des privilèges…

Roger – C’est un des grands travers de la Révolution Française.

Brigitte – En tout cas, vous avez bien fait d’amener votre fils. Notre fille Samantha sera ravie de faire sa connaissance…

Edmond – Vous avez un bien beau château, Monsieur Cassoulet. Un château qui m’est très familier. À défaut d’être resté dans la famille…

Roger – Oui, ce tas de gravas m’a coûté une burne, mais je crois que j’ai fait une bonne affaire.

Brigitte – Mais nous ne savions pas que…

Marianne – Hélas, nous ne le possédons plus qu’en peinture…

Edmond – On ne vous a pas dit qu’il avait appartenu à mes ancêtres ?

Roger – Ma foi non, je l’ignorais…

Brigitte – Dans ce cas, il ne tient qu’à vous de le réintégrer dans le patrimoine de votre famille…

Marianne – Tiens donc…

Brigitte – Après tout nous avons des enfants du même âge, et de sexes différents…

Roger – Et puis nous sommes voisins !

Edmond – Comme quoi on peut être voisins et ne pas être du même monde…

Marianne remarque Marc-Antoine.

Marianne – Mais vous ne nous avez pas présenté Monsieur…

Roger – Ah oui, c’est vrai, je l’avais presque oublié celui-là…

Brigitte (en aparté à Roger) – Comment se débarrasser de cet abruti et faire venir le vrai Marc-Antoine ?

Roger – Le vrai ?

Brigitte – Celui qui est drôle !

Roger – Je vous présente Marc-Antoine… Il est expert comptable…

Marc-Antoine – Bonjour Monsieur Le Baron. Madame La Baronne.

Edmond – Vous avez l’air d’être au bord du suicide, mon vieux. Simple déformation professionnelle, ou c’est qu’on s’ennuie à ce point chez les Cassoulet ? Si c’est le cas, on ne va pas rester très longtemps !

Marianne – Mon mari plaisante, bien sûr…

Edmond – Alors mon brave ? Qu’est-ce qui peut bien rendre un expert comptable aussi dépressif ? Votre calculette vient de tomber en panne, c’est ça ?

Marc-Antoine – Ma femme vient de me quitter.

Marianne – Ah oui…

Brigitte – C’est une catastrophe…

Roger – Je vous fais visiter le château ?

Edmond – Oui, j’aurais plaisir à le revoir… Saviez-vous que le Maréchal Pétain y avait dormi une nuit avant d’aller prendre les eaux à Vichy ?

Roger – Tiens donc ? On m’avait dit Louis Philippe…

Marianne – Louis Philippe, Philippe Pétain… On raconte tellement de conneries, vous savez.

Edmond – En tout cas, si c’est l’agent immobilier qui vous a raconté ça, vous vous êtes fait avoir, mon vieux.

Roger – Par ici, je vous en prie…

Brigitte – Vous m’excusez ? J’ai encore quelques préparatifs à terminer…

Roger – Vous êtes au courant bien sûr. Ce n’est qu’un apéritif dînatoire, pas un dîner.

Brigitte – On ne se serait pas permis.

Roger – Pas encore.

Roger s’en va avec Edmond et Marianne. Brigitte sort son portable et compose un numéro.

Brigitte – Madame Levi Strauss ? Oui, c’est Brigitte… C’est ça, Madame Cassoulet… Je vous appelle à propos de ce Marc-Antoine, que vous nous aviez recommandé… Le vôtre était bien artiste peintre, pas expert-comptable ? Je vois, c’est une épouvantable méprise…

Elle sort avec son portable. Fatima revient accompagnée de Charles-Edouard, look Polo Lacoste, pantalon à plis et mocassins à pompons.

Fatima – Je suis désolée, cher Monsieur, Madame Cassoulet était là il y a un instant…

Edouard – Je vais l’attendre ici.

Fatima – Très bien. Je préviens Monsieur et Madame…

Fatima sort. Le portable de Charles-Edouard sonne.

Edouard – Oui… Oui Madame Aznavourian… Non, c’est à dire que… Écoutez, présentement nous sommes chez les Cassoulet et… Oui bien sûr, nous vous remercions pour votre invitation mais… Très bien, nous essayerons de faire un saut chez vous après le concert… Comment vous n’êtes pas au courant ? Monsieur Lacordéon donne un récital ce soir chez les Cassoulet… Ah, chez vous c’est un digestif dînatoire ? Bon alors très bien… C’est ça, à tout à l’heure…

Il range son portable. Arrive Samantha. Elle a changé sa tenue gothique pour une tenue plus sexy, limite vulgaire. Samantha est surprise de se retrouver nez à nez avec Charles-Edouard.

Samantha – Ah… Pardon… Je cherchais mes parents…

Edouard – Charles-Edouard de la Ratelière de Casteljarnac. Mais si vous préférez, vous pouvez m’appeler Edouard… ou Ed.

Samantha – Samantha Cassoulet. Mais si vous préférez vous pouvez me siffler…

L’autre est un peu pris de court.

Edouard – Je suis confus, je… Le dressing code n’était pas indiqué sur votre carton d’invitation.

Samantha – Ah… On ne vous a pas dit… Je suis désolée, ce n’est pas une soirée costumée…

Edouard – Mais je…

Samantha – D’accord, je viens encore de faire une gaffe… Donc vous n’êtes pas costumé… Je pensais que vous vous étiez déguisé en joueur de mini golf ou quelque chose comme ça

Edouard – Il ne faut pas trop m’en vouloir, vous savez… Je suis né comme ça…

Samantha – Je comprends… Longue lignée est souvent synonyme de lourde hérédité.

Edouard – Et vous-même ? On ne vous avait pas prévenue non plus ?

Samantha – De quoi, mon cher ?

Edouard – Que ça n’était pas une soirée costumée.

Samantha – Et bien non… Je m’étais déguisée en pute, mais si vous préférez, je vais aller me changer…

Edouard – Non, non, ça vous va très bien… Enfin, je veux dire…

Les Cassoulet et les De la Ratelière reviennent.

Brigitte – Ah, c’est très bien. Alors vous avez déjà fait connaissance…

Samantha – Bonjour. Oui, votre fils est très galant. Il était en train de me complimenter sur ma tenue…

Roger – Bonjour Mademoiselle. Quelle tenue ravissante.

Marianne – Oui. C’est de très bon goût, vraiment.

Edmond – Et que fait-elle dans la vie, cette jeune fille ?

Marianne – Elle va reprendre l’usine à saucisses de papa ?

Samantha – Je fais des études de thanatopraxie.

Edmond – Ah oui… Thanatopracteur… C’est bien, ça…

Marianne – C’est un peu comme chiropracteur, non ?

Samantha – En fait, c’est plutôt comme croque-mort.

Edmond – Tiens donc…

Brigitte – Je vous abandonne un instant, je vais voir ce que fait la bonne avec les petits fours…

Samantha – Je vais t’aider… (En aparté à sa mère) Tout plutôt que de rester un instant de plus avec ces dégénérés. Mais pourquoi est-ce qu’on n’a pas guillotiné leurs ancêtres à la Révolution ?

Brigitte et Samantha sortent.

Edmond – Alors Roger ? Comme ça, vous êtes dans le cassoulet.

Roger – Euh, non… Dans la saucisse…

Edmond – D’accord… Saucisse de Toulouse, saucisse de Strasbourg, saucisse de Morteau ?

Roger – Nous travaillons aussi à l’international.

Edmond – Je vois Francfort, merguez, chipolatas…

Roger – Et vous même Monsieur Le Baron ?

Edmond – On peut dire que… je suis dans l’immobilier.

Roger – Vous avez une agence en ville ?

Edmond – En fait, je ne vends que mes propres biens fonciers et autres bijoux de famille… Malheureusement, nous allons bientôt être en rupture de stocks…

Roger – Je vous abandonne un instant… Comme vous le savez, nous attendons un virtuose… Je ne sais pas ce qu’il fait…

Marianne – Mais je vous en prie.

Roger sort.

Marianne – Je te l’avais dit. Ils sont cocasses, non ?

Edmond – Un marchand de saucisses… Il ne manquait plus que cela… Ils sont riches, au moins ?

Marianne – Pas tant que ça, à ce qu’il paraît.

Edouard – Ils ont quand même eu les moyens de racheter le château de tes ancêtres.

Marianne – Mais pas de le restaurer…

Edmond – Tu crois qu’on peut quand même espérer lui taper un peu d’argent à cette andouille qui vend des saucisses ?

Marianne – Tu penses lui proposer d’investir dans ton affaire d’éoliennes ?

Edmond – Le vent, c’est tout ce qui nous reste à vendre. À part notre nom, bien sûr. En la personne de notre cher fils…

Edouard – Merci pour moi…

Edmond – Bon, opérons une translation vers le buffet… Vous n’avez pas faim ?

Marianne – Heureusement qu’il reste les buffets, sinon les de La Ratelière de Casteljarnac seraient déjà tous morts de malnutrition depuis longtemps…

Marc-Antoine revient.

Marc-Antoine – Je vous ai dit pourquoi ma femme m’avait quitté ?

Edmond – Ma foi non, mon brave, mais cela nous amuserait assez de l’apprendre.

Marc-Antoine – Ma femme est atteinte de nymphomélomanie.

Marianne – Tiens donc ? C’est la première fois que j’entends parler de cette maladie. C’est grave ?

Marc-Antoine – C’est surtout très embarrassant pour les proches…

Edouard – Et quels sont les symptômes, si je peux me permettre ?

Marc-Antoine – Eh bien lorsqu’elle va au concert, et malheureusement elle ne peut pas s’empêcher d’y aller toutes les semaines, ma femme est prise d’une envie irrépressible.

Marianne – Une envie ?

Marc-Antoine – Surtout quand le concert est bon, évidemment.

Edouard – Mais vous voulez dire une envie de… ?

Marc-Antoine – De coucher avec les musiciens, oui. Surtout les virtuoses, évidemment.

Marianne – Une mélomane que la musique classique rendrait nymphomane ?

Marc-Antoine – D’où le nom de cette étrange affection.

Edmond – La nymphomélomanie…

Marianne – Et vous avez consulté ? Enfin, je veux dire, pour votre épouse…

Marc-Antoine – C’est absolument incurable, hélas. Et comme le pronostic n’est pas mortel, la médecine ne prend pas cette maladie très au sérieux, comme vous pouvez l’imaginer.

Edmond – Nom d’un chien…

Marc-Antoine – Le problème c’est que certains en abusent.

Edmond – De quoi, mon brave ?

Marc-Antoine – De ma femme ! Au début, c’était seulement des orchestres de chambre.

Marianne – Des orchestres ?

Marc-Antoine – Ma femme a commencé par me tromper avec un quatuor à cordes, puis un quintet puis un sextet. Maintenant ça peut être aussi bien le Philharmonique de Vienne, ou le Grand Orchestre de la Garde Républicaine…

Edmond – Nom d’une pipe…

Marc-Antoine – Elle m’a quitté hier pour partir en tournée avec les Chœurs de l’Armée Rouge.

Marianne – Les Chœurs de… Ah oui, quand même…

Marc-Antoine – Ce qui fait que moi aussi, je suis désormais atteint d’une phobie.

Marianne – Une phobie, voyez-vous ça. Et laquelle, cher ami ?

Marc-Antoine – Dès que je vois un musicien, ou que j’entends de la musique classique, ça me donne des envies de meurtres.

Edouard – Vraiment ?

Marc-Antoine – Je voue une haine particulière aux contrebassistes. Quand j’en vois un avec son instrument entre les jambes en train de lui tripoter les cordes avec son archet, je sens se réveiller en moi la bête qui sommeille.

Edouard – Nom de Dieu…

Marc-Antoine – Mais je déteste surtout les pianistes, je ne sais pas pourquoi. Surtout lorsqu’ils jouent du piano à queue. Il me prend une envie soudaine de leur couper.

Marianne – La queue ?

Marc-Antoine – La tête !

Marianne – Ah, oui bien sûr.

Marc-Antoine – J’ai toujours une tronçonneuse dans mon coffre.

Edmond – Bon…

Marianne – Bien…

Edmond – Enchanté d’avoir fait votre connaissance, cher Monsieur.

Marianne – Nous allons faire un tour du côté de la piscine, je crois que c’est là où se trouve le buffet, et nous n’avons rien mangé depuis trois jours.

Marc-Antoine – Je vous rejoins dans un instant. En tout cas, merci de m’avoir écouté, ça m’a fait beaucoup de bien. Mais il faut quand même que je pense à prendre mes médicaments…

Marianne – Très bien, alors à tout à l’heure, mon brave.

Edmond – Finalement, je crois que cette soirée devrait être assez animée.

Edmond et Marianne sortent. Marc-Antoine reste là, un peu hébété. Il sort de sa poche une boîte de pilules, mais il tremble tellement que la boîte lui échappe des mains et finit sa course derrière un arbuste. Marc-Antoine passe derrière l’arbuste pour récupérer sa boîte. Roger et Brigitte reviennent. Ils ne voient pas tout de suite Marc-Antoine.

Brigitte – Alors, tu as réussi à joindre le vrai Marc-Antoine ?

Roger – Oui, et je l’ai invité à nous rejoindre. Au débotté, comme ça, c’était un peu cavalier, mais bon. Il n’a pas eu l’air de s’en offusquer. Il sera là dans un instant.

Brigitte – Bon et bien tout s’arrange alors.

Roger – Oui, la soirée est bien engagée, non ?

Brigitte – Reste encore à nous débarrasser de l’autre boulet ?

Roger – Qui ça ?

Brigitte – L’expert-comptable !

Marc-Antoine s’avance vers eux.

Marc-Antoine – Ah Monsieur et Madame Cassoulet…

Les Cassoulet sursautent.

Brigitte – Vous nous avez fait peur…

Marc-Antoine – Je vous ai dit que ma femme souffrait d’une épouvantable maladie ?

Brigitte – Écoutez, mon vieux, vous voyez bien que ce n’est pas le moment. Votre femme vous a quitté, bon. Voyez le bon côté des choses !

Brigitte – Maintenant, vous êtes célibataire ! Essayez de vous distraire un peu !

Roger – Profitez de la piscine !

Marc-Antoine – Je ne sais pas nager.

Brigitte – Oh le boulet…

Samantha arrive.

Brigitte – Tiens, tu tombes bien, toi. Tu veux montrer le buffet à Monsieur ? (En aparté à Samantha) Si tu pouvais le pousser dans la piscine au passage pour qu’il se noie, je double ton argent de poche ce mois-ci…

Samantha – Je vais voir ce que je peux faire.

Marc-Antoine (à Samantha) – Bonsoir Mademoiselle. Je vous ai dit que ma femme me trompait avec les Chœurs de l’Armée Rouge ?

Samantha – Non. Je vous ai dit que j’étais croque-mort ?

Samantha sort avec Marc-Antoine.

Brigitte – Et le virtuose ?

Roger – Il n’est toujours pas là. Je ne sais pas ce qu’il fout…

Brigitte – Dire qu’il a exigé de voyager en première. J’espère au moins qu’il n’a pas raté son TGV.

Fatima revient avec Frédéric Lacordéon.

Roger – Ah tiens, justement, le voilà…

Brigitte – Il a l’air plus gros que sur la photo, non ?

Roger – Monsieur Lacordéon ! On n’attendait plus que vous pour que la fête commence…

Frédéric – Bonsoir Monsieur Cassoulet. Madame, mes hommages. (Il lui fait un baisemain) Je suis désolé, je suis un peu en retard.

Brigitte – J’espère au moins que vous avez fait bon voyage ?

Frédéric – Très bon, je vous remercie. Même si je suis littéralement harcelé depuis quelque temps par une admiratrice.

Brigitte – Ce que c’est que la célébrité…

Frédéric – Elle m’a poursuivi jusqu’à la Gare de Lyon. Elle menaçait de se jeter sous les rails de mon TGV si je n’acceptais pas de céder à nouveau à ses avances…

Roger – À nouveau ?

Frédéric – Je ne devrais pas vous le dire, mais presque tout l’orchestre lui est déjà passé sur le corps.

Roger – Vous m’en direz tant ?

Frédéric – Ça a commencé par les cuivres, les cordes puis les percussions…

Brigitte – Je pensais qu’il n’y avait que dans les concerts de rock que les femmes jetaient leur string aux musiciens. Alors ça se passe comme ça aussi à l’opéra ?

Frédéric – Elle m’a poursuivi jusque dans les toilettes du TGV. Elle voulait que je la prenne sauvagement contre le sèche-mains électrique. Mais je suis pianiste, moi. Pas contorsionniste !

Roger – Non ?

Frédéric – Il a fallu l’intervention de trois contrôleurs pour la faire redescendre sur le quai… Enfin, on a réussi à partir, mais le train a pris un peu de retard évidemment. D’où ce léger contretemps dont je vous prie de m’excuser.

Brigitte – Le principal, c’est que vous soyez là.

Frédéric – À ce propos, je…

Roger – Mais vous n’êtes pas venu avec votre instrument ?

Frédéric – Comment voulez-vous que je transporte un piano à queue dans un TGV ?

Roger – Ah oui, bien sûr…

Frédéric – Vous n’avez pas de piano ? Voilà qui va régler définitivement la question, parce que justement…

Roger – Je plaisante, bien sûr… Évidemment que nous avons un piano ! (À Brigitte) Il va falloir lui trouver un piano… Je n’avais pas du tout pensé à ça…

Brigitte – Ah oui, moi non plus.

Roger – Lacordéon… Ça doit être son nom qui m’a induit en erreur…

Frédéric – Quoi qu’il en soit, je suis vraiment désolé, mais… je ne vais pas pouvoir rester très longtemps.

Roger – Comment ça ?

Frédéric – J’avais promis à Madame Agopian, qui est une vieille amie à moi…

Brigitte – Je croyais qu’il s’agissait de Madame Aznavourian.

Frédéric – Aznavourian, c’est ça… Agopian, c’est mon dentiste… Bref, j’avais complètement oublié… Je lui avais promis de jouer chez elle ce soir et…

Roger – Promis ?

Brigitte – Combien ?

Frédéric – C’est à dire que…

Il se penche pour murmurer le chiffre à l’oreille de Roger.

Roger – Je vous offre le double.

Frédéric – Je ne sais pas si…

Roger – Le triple.

Frédéric – Je vais appeler Madame Manoukian tout de suite pour me décommander…

Il dégaine son téléphone portable et compose un numéro.

Frédéric – Oui ! Madame Assadourian ?

Il sort.

Brigitte – Le triple de quoi, déjà ?

Roger lui chuchote quelque chose à l’oreille.

Brigitte – Ah oui, quand même…

Fatima arrive.

Fatima – Monsieur Marc-Antoine, le deuxième du nom, est arrivé.

Roger – Et bien introduisez, introduisez.

Fatima sort.

Brigitte – Marc-Antoine, nous sommes sauvés ! La soirée va enfin pouvoir commencer…

Le deuxième Marc-Antoine, qui s’appelle en réalité César, arrive, genre artiste, suivi de son amie Rosalie, style éthéré.

César – Mon cher Cassoulet, vous me reconnaissez ?

Roger – Non.

César – Moi non plus. J’en conclus que nous nous voyons pour la première fois.

Roger – Mais comment vais-je vous appeler pour ne pas vous confondre avec l’autre ?

César – L’autre ?

Brigitte – L’autre Marc-Antoine.

César – Vous n’avez qu’à m’appeler César.

Roger – Pourquoi est-ce que je vous appellerais César ?

César – Parce que je m’appelle César.

Roger – Vous vous appelez César ? Mais vous êtes bien artiste peintre ?

César – Ah oui, quand même.

Brigitte – Vous nous avez fait peur.

Roger – César… Je comprends mieux. C’est moi qui ai dû confondre… César, Marc-Antoine…

César – Je vous présente Rosalie, l’auteure de la pièce de théâtre que nous sommes en train de jouer en ce moment.

Roger – Ah oui, ravi de vous rencontrer.

Rosalie – Monsieur Cassoulet, très honorée. J’adore ce que vous faites.

Roger – Je fais des saucisses.

Rosalie – Oui, c’est bien ce que je disais. Monsieur Cassoulet, la réputation de vos saucisses vous précède. J’espère que vous nous ferez l’honneur de nous en faire goûter quelques-unes ce soir…

Roger – Ma foi, si vous y tenez, on pourra toujours improviser un barbecue.

Rosalie – Je parie aussi que vous êtes homme à apprécier une bonne sangria.

Brigitte – C’est à dire que… Nous n’avions pas prévu, mais…

Rosalie – Ah oui mais la sangria, ça ne s’improvise pas. C’est comme les fosses septiques ou les dîners mondains. Pour que le mélange révèle tout son arôme, il faut que les ingrédients macèrent un bon bout de temps dans leur jus.

Roger – Je vais voir ce que je peux faire pour la sangria.

Rosalie – Ah oui, sinon nous serions très déçus.

César – Vous pensez bien que ce n’est pas pour écouter la Castafiore que nous sommes ici ce soir.

Roger – La Castafiore ?

César – Lacordéon !

Rosalie (à César) – Ils sont vraiment très cons.

Brigitte (à Roger) – Avoue qu’ils sont drôles, non ?

Roger – Plus que l’expert-comptable, en tout cas…

Brigitte – Plus drôles qu’eux tu meurs, c’est texto ce que m’a dit à leur sujet Levi Strauss…

Rosalie – Vous avez personnellement connu Levi Strauss ?

Roger – Oui, j’ai eu ce privilège. Quelqu’un de très amusant, vous ne trouvez pas ?

Rosalie – Ce n’est pas la qualité principale qu’on lui reconnaissait de son vivant, mais bon…

Brigitte – Nous parlons bien de celui qui a fait peindre le plafond de la Chapelle Sixtine au fond de sa piscine !

César – Je ne sais pas… J’essaie d’imaginer Levi Strauss en maillot de bain au bord de sa piscine…

Rosalie – Je sens qu’on va vite s’emmerder ici.

César – Monsieur Cassoulet, en tant que peintre, permettez-moi de vous dire que vous avez un visage très expressif.

Roger – Merci…

César – Quant à vous Madame Cassoulet, le vôtre reflète une noblesse naturelle qui dément catégoriquement le côté ridicule de votre patronyme.

Brigitte – Merci.

César – Cela vous plairait-il que je fasse un portait de vous et de votre famille.

Brigitte – Notre famille ?

César – Vous avez bien une fille, n’est-ce pas ?

Brigitte – Oui.

Rosalie – Un portrait de la famille Cochonou.

Roger – C’est Cassoulet.

César – Vous pourriez l’accrocher dans le grand escalier de votre château à côté de ceux de vos ancêtres.

Roger – Je ne sais pas si… C’est cher ?

César – Ce serait une œuvre unique. Entièrement déductible de votre ISF.

Fatima revient.

Fatima – Monsieur et Madame Badmington sont là. Comme vous m’aviez dit de les introduire.

César – Ce cher Badmington. Vous savez qu’il a été Ambassadeur du Panama au Vatican ?

Brigitte – C’est même pour cela que nous l’avons invité.

Monsieur et Madame Badmington arrivent. Lui tout en blanc avec un panama. Elle style latino.

Brigitte – Soyez les bienvenus dans notre modeste demeure en ruine.

Gregory – Merci. C’est un château d’époque, n’est-ce pas ?

Roger – Tout à fait.

Gregory – Mais de quelle époque, exactement ?

Roger – Alors là vous me posez une colle. En tout cas, le Maréchal Pétain a dormi dans mon lit.

Conchita – Pas avec votre femme, j’espère…

Brigitte – Madame Badmington, je présume.

Conchita – Bonjour. Mais appelez-moi Conchita, je vous en prie.

Roger – Quelle drôle d’idée… Pourquoi est-ce que je vous appellerai Conchita ? Vous cherchez à faire des heures de ménage ?

Brigitte – Nous en avons déjà une bonne qui s’appelle Fatima.

Conchita (pincée) – Conchita, parce que c’est mon prénom ! Conchita de Bourbon Badmington. Monsieur Cassoulet, nous descendons en ligne directe de Louis XIV.

Rosalie – Par les soubrettes, sans doute…

Roger – Louis XIV ? Vous voulez dire le Roi Soleil ? Tu te rends compte Brigitte ?

Brigitte – Ah oui, quand même…

Conchita – Le Roi d’Espagne est un cousin éloigné de mon père.

Brigitte – C’est vrai que l’Espagne, ce n’est pas la porte à côté.

Gregory – Ma femme est très chatouilleuse pour tout ce qui touche à son pedigree.

Brigitte – Je vois… Et vous-même, Monsieur Badmington ? J’imagine que ce sont vos ancêtres qui ont inventé ce noble jeu ?

Gregory – Quel jeu ?

Brigitte – Le jeu de raquette.

Gregory – Eh bien vous ne croyez pas si bien dire, Cassoulet. Il est vrai que racket et Panama sont des mots qui vont très bien ensemble. Et cette noble activité, comme vous dites, n’est pas tout à fait étrangère à la fortune amassée par mon père sous le règne du Général Noriega.

Roger – Noriega, ce nom me dit quelque chose…

Conchita – C’est un trafiquant de drogue qui a reçu la Légion d’Honneur des mains de votre Président François Mitterrand lui-même.

Brigitte – Ah très bien…

Gregory – Qui lui-même avait reçu la Francisque des mains du Maréchal Pétain en personne…

Roger (en aparté à Brigitte) – Je t’avais dit que c’était des gens très bien…

Conchita – Mais dites-moi Monsieur Cassoulet, est-ce qu’au moins vous avez un fantôme dans votre château ?

Brigitte – Pas encore, Madame Badmington…

Roger – En tout cas pas à notre connaissance…

Conchita – Comme c’est dommage. Un château hanté… Ça donnerait davantage de prix à cette ruine.

Brigitte – Un fantôme… Je ne sais pas… Il faudrait qu’un crime horrible s’y produise.

Conchita – On ne sait jamais, c’est peut-être pour ce soir.

Gregory – En tout cas, si vous vendez votre château un jour, faites-moi signe.

Brigitte – Vous souhaitez vous installer définitivement dans la région ?

Gregory – Non, c’est pour mettre toutes ces vieilles pierres en caisse, les ramener par bateau au Panama et reconstruire votre château classé dans le parc de notre ranch à Panama City.

Roger rit bruyamment.

Roger – Très drôle.

Mais apparemment, les Badmington ne plaisantent pas..

Gregory – En tout cas, merci pour cette invitation. Nous sommes très impatients d’entendre Monsieur Lacordéon.

Conchita – Mais vous ne nous avez rien dit du programme…

Brigitte – Le programme de la soirée ? Et bien on va commencer par prendre l’apéro…

Gregory – Le programme du concert ! Le Maître ! Que va-t-il nous chanter ?

Brigitte – Ah… Eh bien… Je crois que c’est une surprise.

Roger – Mais je pense que vu le montant de son cachet, il jouera les plus grands tubes de l’opéra.

Samantha arrive.

Brigitte – Et voici notre fille Samantha.

Gregory – Bonsoir Mademoiselle Cassoulet.

Roger – Elle va vous conduire jusqu’à vos places pour le concert, autour de la piscine.

Samantha – Les pourboires sont autorisés. Vous n’oublierez pas l’ouvreuse ?

Brigitte – Nous avons dressé la scène sur la plateforme du plongeoir de cinq mètres. Comme ça tout le monde verra bien.

Conchita – Dans ce cas… le Maître n’a plus qu’à se jeter à l’eau.

Roger – Samantha, tu as vu le virtuose ?

Samantha – Non…

Brigitte – Pourtant il est assez gros.

Samantha – Par ici Monsieur. Madame… Vous désirez faire l’acquisition du programme ?

Samantha sort avec Gregory et Conchita.

Roger – Mais qu’est-ce qu’il fout, Lacordéon ?

Rosalie – On s’emmerde déjà.

Roger – Je vous rappelle quand même que c’est vous qui êtes supposés nous distraire !

Brigitte – Je vais aller voir…

César – Vous savez, les Badmington sont des gens très influents.

Roger – Vous pensez qu’ils pourraient parrainer notre candidature pour le Club Philanthropique des Dîners de Beaucon ?

César – Certainement. On dit même que les Badmington jouent au tennis avec les Obama.

Roger – Non ? En double mixte ?

César – Le père de Conchita bien connu le Général Pinochet. Elle m’a même montré un jour une photo dédicacée de Mussolini que lui a laissé son grand-père.

Roger – C’est fantastique.

Brigitte revient accompagnée de Madame Azkanouch Aznavourian.

Brigitte – Madame Aznavourian nous fait l’honneur d’une petite visite de courtoisie…

Roger – Madame Aznavourian, quelle surprise !

Azkanouch – Bonsoir, bonsoir… Mais je vous en prie appelez-moi Azkanouch.

Brigitte – Azkanouch ? Je pensais que le diminutif d’Aznavourian c’était Aznavour…

Azkanouch – Non, Azkanouch, c’est mon prénom. Azkanouch Aznavourian.

Brigitte (en aparté à Roger) – Tu parles d’un nom à coucher dehors… Quel bon vent vous amène Azkanouch ?

Azkanouch (entre ses dents) – Un vent mauvais salope…

Brigitte – Pardon ?

Azkanouch – Non, je disais… Je passais juste en coup de vent pour vous saluer. Nous sommes voisins, après tout. D’un château l’autre, entre Beauconchâtelains, on peut bien se rendre de petits services, non ?

Brigitte – Bien sûr !

Roger – Mais je vous en prie, restez un peu avec nous. Nous avons invité Monsieur Lacordéon à jouer pour nous quelques grands airs. Vous le connaissez, je crois…

Azkanouch – Oui, tout à fait… D’ailleurs, je ne comprends pas. C’est chez moi qu’il devait jouer ce soir…

Brigitte – Non ? Ah oui c’est étonnant. Ça doit être un petit malentendu…

Azkanouch prend soudain Brigitte par le col.

Azkanouch – Morue ! Je te prédis un avenir sombre si tu ne me rends pas Lacordéon tout de suite. Et je te préviens : je suis prête à tuer pour obtenir la place qui vient de se libérer au Club Philanthropique des Dîners de Beaucon…

Brigitte – Voyons, la violence n’a jamais rien résolu… Nous allons sans doute trouver un arrangement.

Azkanouch lâche Brigitte, reprend son sang-froid et revient à un ton plus doucereux.

Azkanouch – En attendant, si vous permettez, j’ai deux mots à dire à Monsieur Lacordéon…

Brigitte – Mais je vous en prie… Le concert va bientôt commencer. Allez-y, c’est par ici.

Ils sortent.

Rosalie – Entre les anciens riches et les nouveaux, je ne sais pas ce que je préfère.

César – Au moins les nouveaux riches ont de l’argent. Sinon, Cassoulet n’aurait jamais pu nous offrir un récital de Frédéric Lacordéon.

Rosalie – Remarque, ils ont du flair les Cassoulet. C’est vrai que Lacordéon est un virtuose au sommet de son art.

César – Les cochons truffiers aussi ont du flair, mais où irait-on si on leur laissait manger les truffes. (Soupirant) Au sommet de son art…

Rosalie – En tout cas, pour l’instant, il est au sommet du plongeoir.

Ils sortent. Roger et Brigitte reviennent.

Roger – Ça y est, j’ai demandé à ce qu’on nous livre un piano.

Brigitte – Comment tu as fait ?

Roger – Piano Presto. J’ai trouvé ça sur internet. Les deux livreurs devraient être là d’une minute l’autre. C’est dingue, maintenant, tu peux te faire livrer un piano comme tu te ferais livrer une pizza.

Brigitte – Parfait. Mais où est-ce qu’il est passé, ce virtuose ?

On entend un bruit de tronçonneuse.

Brigitte – Qu’est-ce que c’est que ce vacarme ?

Roger – Fatima !

Fatima arrive.

Fatima – Monsieur ?

Roger – Dites au jardinier que ce n’est pas le moment de couper les arbres du parc à la tronçonneuse ou de tailler les haies. Le concert va commencer.

Fatima – Bien Monsieur, je vais aller voir…

Brigitte – Je ne savais pas que nous avions un jardinier.

Roger – Moi non plus, c’est bien ça qui m’inquiète…

Samantha revient.

Brigitte – Alors ma chérie, tout va bien ?

Samantha – Ça va, merci.

Brigitte – Je voulais dire… avec Charles-Edouard ? Comment le trouves-tu ?

Samantha – Qu’une chose soit bien claire entre nous, maman. Je n’ai rien contre les unions arrangées, mais je n’accepterai jamais un mariage forcé avec un type qui porte des mocassins à pompons.

Roger – Enfin, ma chérie, c’est un de La Ratelière de Casteljarnac ! Ses parents sont membres du Club !

Fatima revient.

Fatima – On a retrouvé Lacordéon.

Roger – Ah ! Tant mieux ! Et où est-il ?

Fatima – Dans la piscine !

Brigitte – Il a piqué une tête dans la piscine ?

Roger – Depuis le plongeoir de cinq mètres ?

Brigitte – Le concert doit commencer dans un instant ! Ce n’est pas le moment de faire trempette !

Fatima – Hélas, Lacordéon a rendu son dernier soupir, Madame.

Roger – Comment ça son dernier soupir. Vous voulez dire qu’il est mort ?

Rosalie passe comme un zombie.

Rosalie – Il est sûrement mort d’ennui.

Fatima – Il est dans la piscine, le corps d’un côté et la tête de l’autre. L’eau est rouge de sang. On dirait une sangria géante…

Brigitte – Oh mon Dieu, non ! On avait dit pas de sangria !

Roger – Allons voir ça de plus près… Il est peut-être encore temps de recoller les morceaux…

Ils sortent. Marc-Antoine, une tronçonneuse à la main, et Azkanouch, la robe tachée de sang, reviennent.

Marc-Antoine – Je crains de m’être un peu laissé emporter.

Azkanouch – Un peu ? Vous l’avez décapité !

Marc-Antoine – C’est quand même vous qui le teniez par les pieds…

Azkanouch – Je voulais juste le forcer à honorer son contrat !

Marc-Antoine – Vous aussi vous couchiez avec lui ?

Azkanouch – Il devait donner un concert chez moi ! Maintenant, ça va être beaucoup plus difficile, évidemment !

Marc-Antoine – C’est vous qui m’avez demandé de vous aider…

Azkanouch – À l’attraper, oui ! Je ne pensais pas que vous vouliez le couper en deux ! Pourquoi vous avez fait ça ?

Marc-Antoine – Je l’ai reconnu tout de suite. C’est l’amant de ma femme. Enfin lui et une bonne moitié de l’orchestre de l’Opéra de Paris.

Azkanouch – Lacordéon, vous êtes sûr ?

Marc-Antoine – Si ce n’est lui, c’est donc son frère. Un bon musicien est un musicien mort, croyez-moi.

Azkanouch – Très bien… Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?

Marc-Antoine – On pourrait peut-être profiter du buffet ? Un petit verre de vin, ça nous remettra de nos émotions. Je ne sais pas si ça se marie très bien avec mes médicaments, mais bon…

Azkanouch – Remarquez, vous avez raison. Au point où on en est.

Marc-Antoine – Faisons comme si de rien n’était.

Azkanouch – Comme si de rien n’était ? Ça s’est passé sur le plongeoir de cinq mètres, tous ces gens qui étaient réunis pour le concert nous ont vus !

Marc-Antoine – On dira que c’était un accident.

Azkanouch (désignant la tronçonneuse) – Vous feriez quand même mieux d’aller ranger ça avant d’aller au buffet.

Marc-Antoine – Vous avez raison… Je vais la remettre dans mon coffre… Ça peut encore servir…

Ils sortent. Les Badmington reviennent.

Gregory – Alors ? Qu’est-ce que tu penses du charcutier et de son boudin ?

Conchita – Monsieur et Madame Cassoulet ? Un peu… gras, non ?

Gregory – Le cassoulet, c’est toujours un peu gras…

Conchita – C’est à la graisse d’oie… En tout cas, ils ont un très beau château…

Gregory – Oui. Je le verrai bien dans le parc de notre ranch à Panama City. Qu’est-ce que tu en penses ?

Conchita – On ne savait pas quoi s’offrir pour notre anniversaire de mariage ! Ça nous rappellera la France !

Gregory – Le château est déjà en ruine, ce sera plus facile à démonter. Tu crois qu’ils accepteraient de nous le vendre ?

Conchita – Si nous acceptions de les parrainer pour le Club Philanthropique des Dîners de Beaucon, ça les mettrait de bonne humeur.

Gregory – Ils t’en ont parlé ?

Conchita – Ils seraient prêts à vendre leur fille pour faire partie du Club !

Gregory – On ne peut quand même pas accepter ces gens-là parmi nous.

Conchita – Tu imagines ? Roger Cassoulet, fabricant de saucisses, membre du Club Philanthropique des Dîners de Beaucon !

Gregory – Si encore il en vendait beaucoup…

Conchita – Tu as raison. Passé les 100 millions de chiffres d’affaires, la saucisse ou le steak haché deviennent des produits nobles.

Gregory – C’est un fait qu’aujourd’hui, Herta ou Mac Donald sont pratiquement devenus des titres de noblesse.

Cassoulet – Mais tout de même… Cassoulet…

Gregory – Ils ne font pas partie de notre monde, c’est évident. Tu as vu comment ils sont habillés ?

Conchita – Je suis bien d’accord avec toi…

Gregory – Ces gens sont d’une vulgarité…

Conchita – Mais alors pour le château, qu’est-ce qu’on fait ? Pour délocaliser ce monument historique chez nous au Panama, il faudrait pour le moins obtenir l’autorisation du maire.

Gregory – Le maire fait partie du Club, non ?

Conchita – C’est même le président d’honneur !

Gregory – Entre membres bienfaiteurs, on peut bien se rendre de petits services. Au nom de l’amitié entre la France, le Panama et le Vatican…

Conchita – Et si on demandait au maire de faire classer cette ruine comme logement insalubre ?

Gregory – On fait exproprier les Cassoulet et après on rachète le château à la mairie à un prix d’amis.

Conchita – La place de ces nouveaux riches n’est pas dans un château d’époque, c’est évident. Alors qu’est-ce qu’on fait, Gregory ?

Gregory – Et si nous filions à l’anglaise, Conchita ?

Conchita – Après tout ce n’est pas un dîner, c’est seulement un apéritif. Je te suis…

Mais Brigitte revient, passablement perturbée, leur coupant la route.

Conchita – Tout va bien, Madame Cassoulet ?

Brigitte – Oui, oui, ça baigne. À propos, si vous voulez profiter de la piscine. Euh non, pardon, on vient de mettre le robot, il y avait quelques feuilles mortes…

Gregory – En cette saison ?

Brigitte – Mais je vous en prie, allez dans la chambre à coucher.

Conchita – Pardon ?

Brigitte – Louis XVI a dormi dedans juste avant d’être guillotiné.

Gregory – Louis XIV, vraiment ? Je l’ignorais. C’est pourtant mon ancêtre en ligne directe…

Brigitte – Ou Valéry Giscard d’Estaing, je ne sais plus.

Conchita – Si nous allions voir ça, Gregory ?

Gregory – Je te suis, Conchita.

Les Badmington sortent. Roger revient.

Brigitte – Qu’est-ce qu’on fait de Lacordéon ? On ne peut pas le laisser comme ça ! Après avoir piqué une tête dans la piscine, en oubliant le reste du corps sur le plongeoir…

Roger – J’ai récupéré la tête avec l’épuisette, et je l’ai mise dans notre chambre en attendant.

Brigitte – Dans notre chambre ?

Roger – Il y a du monde plein le château ! En principe, c’est le dernier endroit où les gens iront regarder…

Brigitte – C’est clair…

Samantha revient.

Samantha – Eh ben… Moi qui pensais que cette soirée serait ennuyeuse à mourir… Finalement, c’est un remake de Meurtre à la Tronçonneuse…

Roger – Un meurtre… Tout de suite les grands mots… C’est peut-être un simple accident… Ce sont des choses qui arrivent…

Samantha – Comment peut-on mourir accidentellement décapité par une tronçonneuse ?

Brigitte – Un meurtre, tu crois ? Mais qui ? Et pourquoi ?

Samantha – Quelqu’un prêt à tout pour échapper à un concert de musique classique, peut-être…

Brigitte – Oh mon Dieu, c’est vrai… Le concert ! On n’avait déjà pas de piano, maintenant on a un pianiste sans tête…

Roger – Ne te fais pas de soucis, ma chérie. Après tout, il y a des choses plus importantes dans la vie, non ?

Samantha – Je vous rappelle qu’on vient de trouver un mort. Il faudrait quand même songer à appeler la police…

Roger – La police ? Tu crois ?

Brigitte – Ça risque de plomber l’ambiance.

Samantha – Et une tête sans corps flottant au milieu de la piscine, tu ne crois pas que ça risque de plomber l’ambiance ?

Roger – Et toi, tu ne pourrais pas faire quelque chose ? Je veux dire, avec ton métier…

Samantha – Je suis thanatopracteur, pas chirurgien ! Et puis recoller une tête, c’est très délicat. Si je savais faire ça, vous pensez bien que je vous aurais déjà trouvé un donneur pour une greffe de cerveau.

Roger – Ok, je vais appeler la police.

Roger sort. Arrive Joseph en soutane.

Joseph – La porte était ouverte, je me suis permis d’entrer…

Brigitte – Ah, bonjour.

Samantha – Pour les derniers sacrements, vous arrivez trop tard, mon Père…

Joseph – Quelqu’un est mort, ma soeur ?

Brigitte – Euh… Oui, mais rassurez-vous. Ce n’est peut-être que provisoire…

Joseph – Provisoire ?

Samantha – Un petit accident domestique, trois fois rien. L’important c’est de garder la tête sur les épaules, pas vrai ?

Joseph – En tout cas, si quelqu’un a besoin du secours de la religion, je suis là.

Brigitte – Merci mon Père, mais on a déjà appelé Police Secours.

Joseph – Mademoiselle Cassoulet, je présume.

Brigitte – Samantha, voici le Père Joseph.

Joseph reluque Samantha avec un air lubrique.

Joseph – Je ne crois pas vous avoir encore vue à confesse…

Roger revient.

Roger (en aparté à Brigitte) – Qu’est-ce qu’il fait là, celui-là ?

Brigitte – C’est moi qui l’ai invité pour donner à cette soirée une touche de respectabilité… Mon père, je vous présente mon mari, Roger.

Joseph – Bonjour mon fils.

Samantha (à Brigitte) – Drôle de curé… Il m’appelle ma sœur, et il appelle papa mon fils…

César et Rosalie arrivent, passablement éméchés.

Brigitte – Et voici nos amis César et Rosalie. Vous verrez, ils sont très drôles. En tout cas, c’est pour ça qu’on les a invités…

Rosalie – Bonjour Mon Père. Alors cette garde à vue, pas trop éprouvante ?

Joseph – Mon Dieu… Quand on a sa conscience pour soi…

Brigitte – Ah mais vous vous connaissez !

Rosalie – Le Père Joseph est un ami du théâtre contemporain.

César – Et de l’art moderne !

Joseph – Il faut bien vivre avec son temps. Et reconnaissons que la religion n’a pas toujours su s’adapter assez vite aux idées nouvelles.

César – Vous avez raison, mon Père. La religion, c’est comme la royauté, ces vieilles choses-là ça rassure, mais il faut bien admettre un jour ou l’autre que ça ne sert à rien.

Rosalie – Si on avait guillotiné le pape en même temps que Louis XVI, le problème du catholicisme, en tout cas, serait résolu depuis longtemps.

Brigitte – Elle est drôle…

Joseph – Vous croyez qu’elle plaisantait ?

César – Je ne suis pas sûr… C’est son grand truc ça, surtout quand elle a un peu bu. Elle est persuadée que si on guillotinait la moitié de la planète, l’autre moitié s’en sortirait mieux.

Joseph – Ah oui…

César – Je serais assez d’accord avec elle sur le principe, mais nos avis divergent parfois sur le choix de la moitié à guillotiner…

Charles-Edouard arrive.

Rosalie – Commençons par raccourcir tous ceux qui portent des chemises Lacoste.

César et Rosalie sortent.

Edouard – Ah, bonjour Monsieur le Maire.

Samantha – Monsieur le Maire ?

Joseph – Désolé, Monsieur et Madame Cassoulet, je manque à tous mes devoirs. Je me présente : François Joseph Martin Duval. Oui, je le confesse, j’ai trouvé un autre moyen de cumuler les mandats. Je suis à la fois le curé et le maire de cette petite ville.

Edouard – C’est aussi une façon assez radicale de résoudre le problème de la séparation de l’Église et de l’État…

Samantha – Et comme ça, le curé peut confesser le maire pour ses turpitudes sans risquer de voir le confessionnal branché sur écoute par des juges de gauche.

Edouard – Monsieur le Curé-Maire est aussi le Président d’Honneur du Club Philanthropique des Dîners de Beaucon.

Joseph – Pour vous servir.

Edouard – À propos, Monsieur le Maire, vous avez un candidat pour le Club ? Vous savez qu’une place vient de se libérer suite au décès du marquis de Karlsberg Kronenbourg.

Joseph – Comment ne le saurais-je pas ? C’est moi qui lui ai administré les derniers sacrements.

Brigitte pousse Roger du coude.

Roger – Monsieur le Curé, je veux dire Monsieur le Maire, mon épouse et moi-même serions très honorés si…

Arrivent les policiers Ramirez et Sanchez (hommes ou femmes).

Roger – Ah voilà les livreurs… Messieurs, je ne sais pas si ce sera nécessaire de décharger le piano du camion, le pianiste a…

Brigitte – Le pianiste a perdu la tête.

Ramirez – Le piano ?

Sanchez – C’est à dire que… Nous ce serait plutôt le violon…

Ramirez – Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez.

Roger – Pardon Commissaire, je vous avais pris pour des livreurs…

Brigitte – Nous donnons un récital de piano, ce soir, et mon mari a oublié le piano.

Roger – Mais je vous en prie, soyez les bienvenus. Et si vous pouviez mener votre enquête discrètement pour ne pas trop perturber nos invités.

Brigitte – Ce sont des gens d’un certain niveau, vous comprenez ? Ils sont venus pour un concert, pas pour un Cluedo…

Roger – On ne voudrait pas leur gâcher la soirée, vous voyez ?

Sanchez – Maintenant, si le pianiste est mort, ils vont bien s’apercevoir tôt ou tard qu’il n’y a pas de concert, non ?

Roger – Oui en même temps ce n’est pas faux…

Brigitte – À tout hasard, vous ne jouez pas de piano, vous, Commissaire.

Ramirez – Ma foi non. Mon adjoint joue un peu avec des trombones à ses heures perdues. C’est son violon d’Ingres.

Brigitte – Je vais téléphoner aux livreurs pour annuler le piano.

Ramirez – D’ailleurs, c’est amusant, on parle toujours du violon d’Ingres, mais qu’est-ce qu’il faisait dans la vie ce Monsieur Ingres, quand il ne jouait pas de violon ?

Roger – Ma foi, je n’en ai aucune idée…

Ramirez – Bon assez bavardé. Alors Monsieur Cassoulet, si vous m’expliquiez exactement ce qui se passe ici ?

Roger – Je vais tout vous dire Commissaire Ramirez.

Ramirez – D’accord. Mais avant toute chose, dites-moi, Cassoulet.

Roger – Oui Commissaire ?

Ramirez – Cassoulet… Vous avez dû morfler étant jeune avec un nom pareil.

Roger – Ah Commissaire, si vous saviez…

Ramirez – Racontez-moi ça.

Roger – Oh le plus souvent c’était… Cassoulet, il pète plus haut que son cul.

Sanchez – Comprends pas…

Ramirez – Voyons, Sanchez, le cassoulet…

Sanchez – Ah oui, je vois.

Roger – Et je ne vous parle même pas de ma femme.

Sanchez – Votre femme ?

Roger – Madame Cassoulet…

Ramirez – Fallait-il qu’elle vous aime pour accepter de devenir Madame Cassoulet. C’était quoi votre nom de jeune fille ?

Brigitte – Mademoiselle Fayot.

Ramirez – Le destin… Vous étiez faits pour vous rencontrer…

Sanchez – Je me doute de ce que vous avez subi tous les deux. Les moqueries, les quolibets. Moi, je m’appelle Sanchez, alors vous comprenez…

Roger – Ma foi non, mais vous allez nous expliquer ça. Asseyez-vous Sanchez… (Sanchez se fige, vexé, et le fusille du regard) Ah non mais… Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire…

Les Badmington reviennent affolés.

Gregory – Oh mon Dieu, nous venons d’apercevoir le fantôme de Marie-Antoinette !

Ramirez – Marie-Antoinette ?

Conchita – Je vous assure ! Elle tenait la tête de Louis XVI entre ses mains !

Roger – Comme vous nous avez dit qu’ils avaient dormi dans votre chambre, nous les avons tout de suite reconnus !

Conchita – Dans la chambre !

Roger – Ah non, c’est juste que…

Sanchez – Marie-Antoinette ? C’est qui ça encore ?

Ramirez – Dites donc, Cassoulet, c’est une véritable boucherie, chez vous…

Roger – Pour la tête, je plaide coupable, Commissaire… C’est moi qui l’ai posée sur le guéridon dans la chambre, pour ne pas effrayer nos invités.

Brigitte – Une tête sanguinolente, flottant dans la piscine, vous comprendrez aisément que…

Roger – Mais pour ce qui est de Marie-Antoinette, je vous assure que je ne suis au courant de rien…

Ramirez – Allons voir ça de plus près, Sanchez…

Ils sortent. Edmond et Marianne reviennent.

Edmond – J’imagine déjà les gros titres de La Provence demain matin : Apéro tragique à Beaucon-les-deux-Châteaux. Bilan un mort.

Marianne – Finalement, on ne s’ennuie pas chez les Cassoulet.

Edmond – Et dire qu’on n’en est qu’à l’apéro.

Charles-Edouard arrive.

Edouard – Je commence à avoir faim, pas vous ?

Edmond – Malheureusement, il va falloir attendre. Pour l’instant, on ne peut pas accéder au buffet.

Edouard – Et pourquoi ça ?

Marianne – Mais parce qu’il fait partie de la scène de crime ! Tu n’as pas vu les rubans jaunes que viennent de déployer Starsky et Hutch ?

Edmond – C’est bien notre chance.

Marianne – Tu as parlé à Cassoulet de ton projet d’éolienne ?

Edmond – Je n’ai pas encore eu l’occasion, figure-toi. Et avec ce qui vient de se passer, ça ne va pas être évident de trouver une transition habile…

Edouard – Tu crois ?

Marianne – Et toi, avec la petite Cassoulet, comment ça se présente ?

Edouard – Malheureusement, j’ai bien peur de ne pas être son genre.

Marianne – Pas son genre ? Un de La Ratelière de Casteljarnac ? Elle ne manque pas de toupet !

Edmond – Et c’est quoi, son genre ?

Edouard – Va savoir… Le genre féminin, peut-être.

Marianne – Non ?

Edmond – Comme quoi… Il n’y a pas besoin d’avoir un nom de famille à particule pour appartenir à une famille de dégénérés…

Ils s’apprêtent à sortir.

Marianne – Edmond, je crois qu’il serait temps de trouver d’autres moyens de subsistance que les dîners de Beaucon…

Edouard – Au fait, j’ai oublié de vous dire, Madame Aznavourian nous invite chez elle à un digestif dînatoire.

Edmond – Apéritif dînatoire, digestif dînatoire… C’est bien beau tout ça, mais quand est-ce qu’on mange ?

Ils sortent. Roger et Brigitte reviennent.

Brigitte – C’est une catastrophe.

Roger – Maintenant évidemment, ça va être beaucoup plus difficile de nous trouver un parrain pour le Club Philanthropique des Dîners de Beaucon.

Brigitte – Et de dénicher le gendre idéal pour notre fille !

Samantha revient.

Brigitte – Alors ma chérie ? Qu’est-ce que tu penses de Charles-Edouard ?

Samantha – Non mais vous êtes des malades ! On vient de retrouver un cadavre sans tête dans notre piscine, et votre souci de savoir à qui accorder ma main ?

Roger – Dis-nous au moins comment tu le trouves !

Samantha – Écoutez… Je crois que ça ne va pas être possible.

Roger – Pourtant c’est un gentil garçon.

Samantha – Oui mais… Je suis lesbienne, voilà !

Brigitte – Non…

Roger – Oh mon Dieu, Samantha, mais c’est épouvantable ! Et qui est le père ?

Brigitte – Elle a dit lesbienne, Roger… Pas enceinte…

Roger – Lesbienne ? Comment ça, lesbienne ? Non ? Tu veux dire… Mais c’est une catastrophe.

Brigitte – C’est sûr que maintenant ça va être beaucoup plus difficile de la marier.

Roger – Et tu as rencontré quelqu’un ? Je veux dire… Une femme…

Samantha – Oui.

Brigitte – Est-ce qu’elle est de bonne famille, au moins.

Roger – Après tout un gendre ou une belle-fille. Si elle est baronne.

Samantha – Elle n’est pas baronne, c’est… C’est la bonne !

Brigitte – Oh mon Dieu, Roger, la bonne…

Roger – La bonne ? Celle qui s’habille en homme ?

Brigitte – Je me disais bien qu’elle n’était pas catholique. On aurait dû se méfier.

Roger – Se méfier ? C’est parce que tu te méfiais de moi que tu as engagé une bonne qui s’habille en homme.

Brigitte – Ça y est, ça va être de ma faute maintenant.

Roger – Ce n’est pas ce que je voulais dire, tu sais bien…

Brigitte – Mais tu as raison… On aurait mieux fait d’engager une bonne portugaise.

Roger – Fatima n’est pas portugaise ?

Brigitte – Pourquoi Fatima serait-elle portugaise ?

Roger – Je ne sais pas, moi… À cause de ses moustaches…

Ramirez revient.

Roger – Commissaire, vous ne devinerez jamais ce qui nous arrive…

Ramirez – Quoi encore ?

Brigitte – Notre fille est lesbienne.

Ramirez – Écoutez Monsieur Cassoulet, je ne pense que ce soit du ressort de la police… Nous ne sommes pas en Iran !

Sanchez – Je vous rappelle que nous avons deux morts sur les bras.

Brigitte – Deux ? Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié. Louis XVI et Marie-Antoinette…

Roger – Alors c’est qui, cette Marie-Antoinette ?

Sanchez – D’après les papiers que j’ai retrouvés sur elle, elle s’appellerait plutôt Rosalie.

Brigitte – Rosalie ? L’auteure de théâtre ?

Sanchez – Ce nom me dit quelque chose, chef.

Ramirez – Bien sûr, c’est l’auteure de la pièce que nous jouons en ce moment.

Sanchez – Voilà, c’est ça !

Ramirez – Mais qui pourrait bien avoir envie d’assassiner une auteure de théâtre.

Sanchez – Pour ne pas avoir à payer les droits d’auteur, chef ?

Ramirez – C’est une piste sérieuse, en effet, Sanchez… Il faudra penser à interroger le producteur et le metteur en scène de ce spectacle.

Samantha – C’est vraiment n’importe quoi, cette pièce…

Rosalie réapparaît, air fantomatique avec un drap sur elle et une tête à la main…

Brigitte – Ciel, le fantôme de Marie-Antoinette, avec la tête de son mari entre les jambes ! Je veux dire entre les mains…

Rosalie regarde la tête qu’elle a entre les mains.

Rosalie – J’ai l’impression d’avoir déjà vu cette tête quelque part…

César arrive derrière elle.

César – Mais oui Rosalie, c’est Frédéric Lacordéon, nous l’avons croisé l’année dernière à un dîner chez les De La Ratelière de Casteljarnac. On avait très mal mangé d’ailleurs…

Ramirez – Si je comprends bien, le deuxième cadavre n’est pas mort.

César – Excusez-la, Commissaire. Je lui ai pourtant déjà dit de ne pas mélanger l’alcool avec la cocaïne.

Ramirez – Sanchez, mettez-la sous scellés.

Sanchez – Que je mette l’auteure de la pièce sous scellés, chef ?

Ramirez – Pas elle ! La tête ! C’est une pièce à conviction.

Sanchez – Ah oui… C’est même une partie de la victime…

Gregory et Conchita Badmington arrivent.

Gregory – Mais enfin qu’est-ce qui se passe ici ?

Ramirez – C’est qui ce guignol, encore ?

Roger – Gregory et Conchita Badmington, Commissaire. Monsieur Badmington est ambassadeur du Panama au Vatican, ou l’inverse, je ne sais plus très bien.

Brigitte – C’est aussi le Vice Président du Club Philanthropique des Dîners de Beaucon.

Roger – Et à ce qu’on dit, les soirées de l’Ambassadeur sont toujours un succès…

Ramirez – Bon nous allons interroger tout ce beau monde… Que personne ne sorte d’ici sans mon autorisation.

Gregory – Mais enfin… Je suis ambassadeur ! Je peux violer une bonne soeur et tuer un commissaire de police, ou l’inverse, en toute impunité. À quoi ça servirait sinon d’avoir un passeport diplomatique ?

Ramirez – Attachez-moi celui-là à un radiateur et mettez lui quelques coups de bottin mondain sur le crâne pour le calmer un peu. On l’interrogera plus tard.

Gregory – Vous ne savez pas ce que vous faites, Commissaire. Je me plaindrai au Quai d’Orsay !

Sanchez – Faites voir votre passeport…

Gregory lui tend son passeport.

Sanchez – Panama… Le Vatican… Ça sent le trafic international de stupéfiants à plein nez, chef… C’est sûrement lui qui fournit sa coke à l’auteure de la pièce.

Ramirez – Comment savez-vous que l’auteure de cette pièce est cocaïnomane, Sanchez ?

Sanchez – Chef, comment pourrait-on écrire une histoire aussi délirante sans être sous l’emprise de produits stupéfiants comme la caféine ou la cocacolaïne ?

Ramirez – Ce n’est pas faux, Sanchez… Et Conchita, elle a un permis de séjour ?

Conchita – Je n’ai pas pris mon passeport ! Je ne pensais pas être interrogée par la police en venant passer la soirée chez les Cassoulet. Je m’en souviendrai…

Brigitte – C’est une catastrophe, Roger…

Ramirez – Vous dites que vous êtes la femme de l’ambassadeur et que vous vous appelez Conchita.

Conchita – Oui !

Ramirez – C’est ça, Conchita… Et ma femme de ménage, elle s’appelle Marie-Chantal. Mettez-moi tout ça au frais, Sanchez. Encore une bonne Portoricaine qui vient travailler chez nous au black.

Joseph arrive.

Joseph – Mon fils, au nom du Seigneur, je vous demande de faire preuve d’un peu plus de compassion.

Ramirez – Mais je le connais, celui-là…

Sanchez – Vous allez à la messe, chef ?

Ramirez – On l’a coffré hier à la sortie du lycée pour exhibitionnisme. Vous ne vous souvenez pas, Sanchez ?

Sanchez – Ah oui, maintenant que vous me le dites… Ça doit être le costume… Tout habillé, je ne le remettais pas…

Ramirez – Embarquez-moi ce pervers et attachez-le avec les autres au radiateur.

Sanchez – J’espère que le radiateur va être assez grand…

Joseph – Mais enfin… J’en référerai au Pape. Vous serez excommunié…

Ramirez (parlant de la tête) – Et débarrassez-moi de cette tête. J’ai l’impression qu’elle me regarde avec un drôle d’air, ça me met mal à l’aise…

Sanchez s’apprête à partir mais examine la tête.

Sanchez – Chef, vous avez remarqué ? Il manque le dentier…

Ramirez – Je ne suis pas sûr que le vol de râtelier soit le mobile du crime, mais on verra ça. On va d’abord interroger la bonne. Croyez en mon expérience, Sanchez : dans une maison, ce sont toujours les domestiques qui sont les mieux informés.

Sanchez part avec les Badmington et Joseph, tandis que Roger leur lance une dernière proposition.

Roger – En attendant, il y a quand même une bonne nouvelle : avec l’aimable autorisation du Commissaire, le buffet est ouvert… Si vous voulez en profiter…

Brigitte – Mais ce n’est pas un dîner, hein ? Tant que nous ne sommes pas encore membre du Club, nous ne nous permettrions pas, n’est-ce pas Roger ?

Roger – C’est juste un buffet. Il n’y a que de la viande froide…

Sanchez sort avec les Badmington et Joseph.

Roger – Monsieur le Commissaire, nous nageons en plein mélodrame.

Ramirez – Dites-moi, Cassoulet, vous avez déjà fait du théâtre ?

Roger – Du théâtre ? Vous voulez dire…? Ma foi non, Commissaire.

Ramirez – C’est bien ce qui me semblait…

Sanchez revient avec Fatima.

Ramirez – Ah voilà Blanche-Neige.

Sanchez – Blanche-Neige ? Je pensais qu’elle s’appelait Fatima…

Ramirez – C’est de l’humour, Sanchez. Blanche-Neige et les trois petits cochons, vous ne connaissez pas ?

Sanchez – Les trois petits cochons ?

Ramirez – Laissez tomber… Bon, à nous deux Fatima. Alors comme ça, vous êtes transsexuelle ?

Fatima – Quoi ?

Ramirez – Vous pouvez tout nous dire, vous savez. Nous avons l’esprit très ouvert, dans la police.

Sanchez – Moi même avant d’entrer dans cette noble institution, j’étais aux Alcooliques Anonymes.

Fatima – Vous avez cessé de boire ?

Sanchez – Non, mais depuis que je suis dans la police, je n’ai plus à me cacher.

Ramirez – C’était un alcoolique anonyme, maintenant qu’il est policier c’est un alcoolique notoire.

Sanchez – Comme vous, chef.

Ramirez – Bon, revenons à nos moutons. Alors Fatima, depuis combien de temps êtes vous gouine ?

Sanchez – On dit lesbienne, chef. Méfiez-nous, elle pourrait nous faire un procès.

Fatima – Mais je ne suis pas lesbienne.

Ramirez – Alors pourquoi vous habillez-vous en homme ?

Fatima – Mais… parce que j’en suis un !

Sanchez – Comment ça ? Fatima, ce n’est pas un nom de femme, peut-être ?

Fatima – Si ! Mais je ne m’appelle pas Fatima…

Ramirez – Mais vos patrons vous appellent bien Fatima, non ?

Fatima – Je n’ai jamais compris pourquoi, et je n’ai pas osé les contredire. Et puis comme j’ai un prénom un peu difficile à porter, je me suis dit que Fatima, ce serait plus facile pour me faire embaucher.

Ramirez – Et comment vous appelez-vous ?

Fatima – Je m’appelle Oussama.

Sanchez – C’est vrai que Oussama, pour un transsexuel, ce n’est pas un nom facile à porter…

Fatima – Mais je ne suis pas transsexuel !

Sanchez – Bon, et en ce qui concerne ce pianiste qu’on a retrouvé coupé en deux dans la piscine, vous savez quelque chose ?

Fatima – Je crois que Madame Aznavourian voulait aussi qu’il joue ce soir chez elle.

Ramirez – Aznavourian ? Un nom plutôt louche, pour un citoyen français, Sanchez. Nous l’interrogerons aussi… Allez me chercher le témoin suivant.

Sanchez sort.

Ramirez – Vous pouvez disposer, Monsieur Fatima.

Fatima – Bien Commissaire.

Fatima s’apprête à sortir.

Ramirez – Ah une dernière chose… Vous prenez combien pour la nuit ?

Fatima – Je vous dis que je ne suis pas un travesti !

Ramirez – Je cherche seulement une femme de ménage !

Fatima – Pour la nuit ?

Ramirez – Comme je suis souvent de service de nuit, je cherche quelqu’un qui puisse passer l’aspirateur chez moi entre trois et cinq heures du matin. La journée, je dors, vous comprenez ? Ça me dérangerait…

Fatima – Excusez-moi, Commissaire. Je suis un peu sur les nerfs. Tenez, voici ma carte. Appelez-moi…

Ramirez – Oussama… Drôle de nom pour une femme de ménage…

Fatima sort. Sanchez revient avec la baronne de Casteljarnac.

Marianne – Je vous préviens, je suis la Baronne de Casteljarnac, et je descends en ligne directe d’Henri IV par ma mère.

Ramirez – C’est ça, et moi je descends en ligne direct de Rosny 2 par le TGV. Je viens d’être muté dans la région. Sanchez, fouillez-moi la Baronne de La Tronche en Biais.

Marianne – Je proteste !

Sanchez fouille la baronne.

Ramirez – Qu’est-ce que c’est que tout ça ?

Sanchez – Chef, des petites cuillères en argent, un cendrier publicitaire, des apéricubes… Il y a même un dentier !

Ramirez – Le dentier de Lacordéon !

Sanchez – Vol et recel de râtelier… vous savez dans les combien ça va chercher ça, Madame de La Ratelière ?

Marianne – Désolée… Je suis cleptomane…

Sanchez – Bien sûr. C’est ce que nous racontent tous les voleurs de dentiers qu’on arrête.

Ramirez – Et pour le pianiste, évidemment, vous allez nous dire que vous n’avez rien vu ?

Marianne – Vous voulez dire pour le happening ?

Sanchez – Le happening ?

Marianne – Ben oui. Ces artistes contemporains qui faisaient une intervention artistique au bord de la piscine des Cassoulet !

Ramirez – Qu’est-ce que vous avez vu au juste ?

Marianne – Eh bien… Ça se passait sur la plateforme du cinq mètres. Une femme a poussé le pianiste sur le plongeoir comme s’il s’agissait de la planche d’une guillotine, et un homme lui a coupé la tête avec une tronçonneuse. Je ne sais pas comment ils ont fait pour le trucage, mais c’était criant de vérité !

Ramirez – Et après ?

Marianne – La tête est tombée dans la piscine. Le corps est resté suspendu au plongeoir par les bretelles. Il montait et il descendait comme un pantin accroché à un élastique. C’était assez spectaculaire à voir, croyez-moi. Là je dois dire que les Cassoulet marquent un point. Moi qui les prenais pour des ploucs totalement étrangers à l’art contemporain…

Ramirez – On ne doit pas avoir la même notion de ce qu’est l’art moderne…

Sanchez – Chef, alors il suffit d’identifier les deux suspects et notre enquête sera terminée.

Ramirez – Méfions-nous des apparences, Sanchez. Pour l’artiste comme pour l’escroc, il n’y a de réalité que l’apparence de la réalité…

Sanchez – Euh… Oui, chef…

Le baron arrive.

Edmond – On ne traite pas une femme ainsi, Commissaire. Vous m’en rendrez raison. Je vous enverrai mes deux témoins demain matin. Je vous laisse le choix des armes.

Ramirez – Très bien… Je vous propose le pistolet à flèches à trente mètres…

Edmond – Parfait. Je fournirai les arbalètes.

Ramirez – Il est drôle.

Sanchez – Je ne suis pas sûr qu’il plaisantait, chef…

Ramirez – Vous croyez ?

Edmond (à Marianne) – Tout va bien, ma chérie ?

Marianne – Oui, oui… J’ai même réussi à sauver quelques apéricubes…

Ramirez – En tout cas, cette histoire semble plus compliquée qu’il n’y paraît. Il ne faut pas exclure une affaire d’espionnage, Sanchez. Lacordéon voyageait beaucoup avec son métier. Surtout à l’Est. C’était peut-être un espion à la solde du Pape.

Sanchez – Il paraît que ce Badmington joue au mini-golf avec sa Sainteté…

Ramirez et Sanchez sortent.

Roger – Monsieur de La Ratelière De Casteljarnac, quand vous aurez un moment…

Edmond – Oui mon ami ?

Roger – Vous pourriez nous parrainer pour le Club ? Nous savons qu’une place vient de se libérer…

Edmond – Il faut que j’en parle au Président… Mais si vous investissiez dans mon affaire d’éoliennes, cela faciliterait les choses, c’est sûr.

Roger – Et pourquoi ça ?

Edmond – Ne me dites pas Cassoulet que vous ne vous préoccupez pas de l’avenir de notre planète ?

Roger – Si bien sûr, mais…

Edmond – Comme vous le savez, le Club Philanthropique des Dîners de Beaucon a une sensibilité écologique très affirmée. Dans la mesure du possible, nous nous goinfrons essentiellement avec des produits bios, et notre caviar est issu de l’aquaculture équitable.

Roger – Vraiment ?

Marianne – Vous avez votre carnet de chèque sur vous ?

Ils sortent. Ramirez et Sanchez reviennent.

Ramirez – Qu’en pensez-vous Sanchez ?

Sanchez – L’affaire est bouclée, chef. Ce Marc-Antoine et cette Madame Aznavourian ont avoué.

Ramirez – Mobile ?

Sanchez – Lacordéon ne parvenait pas à choisir entre les deux châteaux pour le concert. Aznavourian l’a coupé en deux.

Ramirez – Le jugement de Salomon en quelque sorte… Et le complice ?

Sanchez – D’après plusieurs témoignages concordants, ce Marc-Antoine voue une haine maladive aux virtuoses du piano à queue.

Ramirez – La musique de chambre m’ennuie à mourir, moi aussi, mais de là à se laisser aller à de tels excès…

Sanchez – Comme quoi, la musique n’adoucit pas toujours les mœurs, chef. En tous cas, voilà une affaire promptement résolue.

Ramirez – Pas si vite, Sanchez ! Il pourrait aussi s’agir d’un accident domestique.

Sanchez – Un accident domestique ?

Ramirez – Voilà comment je vois les choses. La bonne veut couper la branche d’un buisson avec un taille-haie électrique. Elle coupe accidentellement la tête de Lacordéon qui était discrètement en train de se soulager la vessie dans le parterre de bégonias. Après quoi, la bonne camoufle ce malencontreux accident en meurtre…

Sanchez – Habituellement, c’est plutôt un meurtre qu’on camoufle en accident, chef.

Ramirez – D’où la difficulté de cette enquête, Sanchez…

Fatima revient avec Roger.

Fatima – Commissaire, on vient de retrouver Madame Badmington dans la chambre froide du château, en état d’hypothermie avancé.

Roger – Quelqu’un qui aura voulu libérer une deuxième place pour le Club ?

Ramirez – Vous peut-être…

Roger – Commissaire ! Mais je vous assure que…

Sanchez – Chef, c’est moi qui l’avais mise dans la chambre froide.

Ramirez – Mais pourquoi ça ?

Sanchez – Vous m’aviez dit de la garder au frais…

Ramirez – Là c’est la bavure, Sanchez…

Roger – Je dirais même plus, Commissaire, c’est l’incident diplomatique ! Vous voulez donc déclencher une guerre entre la France et le Panama ? Ou pire, avec le Vatican !

Ramirez – Voilà au moins deux guerres que l’Armée Française serait encore en mesure de gagner malgré les restrictions du budget de la Défense.

Sanchez – Je suis vraiment désolé, chef.

Ramirez – J’accepte de passer l’éponge pour cette fois, Sanchez. Mais si vous voulez faire carrière dans la police, il va falloir apprendre à ne pas interpréter tout ce que je dis au pied de la lettre…

Sanchez – Oui, chef…

Ils sortent. Joseph arrive avec Gregory.

Gregory – Ce château est insalubre, Monsieur le Maire, j’espère que vous en êtes à présent convaincu.

Joseph – C’est une évidence, Monsieur l’Ambassadeur. La police, dont je viens de reprendre le contrôle en tant que Procureur Général de cette ville, vient de trouver de la viande avariée dans la chambre froide.

Gregory – C’était ma femme, Monsieur le Curé.

Joseph – Non ? En plus ces gens seraient des anthropophages ? Je vais ordonner immédiatement leur expulsion de la commune et leur excommunication de notre Sainte Mère l’Église.

Gregory – Allons, cher ami, soyons magnanimes. Attendons au moins la fin de cet apéritif dînatoire.

Joseph – Vous avez raison. Ne sommes-nous pas tous deux membres d’un Club Philanthropiques ? Mais ne vous inquiétez pas, cher ami, vous pourrez emmener votre château au Panama, avec la bénédiction de la mairie et du Vatican.

Joseph se signe.

Gregory – Il y a quand même un problème, Monsieur le Maire.

Joseph – Lequel ?

Gregory – Beaucon-les-deux-Châteaux avec un seul château…

Joseph – Je passerai un arrêté municipal pour changer le nom de la ville. Que pensez-vous de Beaucon-le-Château ?

Gregory – Et pourquoi pas Beaucon-tout-Court ?

Joseph – C’est vendu, cher ami !

Ramirez et Sanchez emmènent Marc-Antoine et Aznavourian menottes aux mains.

Ramirez – Et voilà le travail, Monsieur Le Procureur…

Joseph – Bien joué Commissaire. Rassurez-vous, je saurai m’en souvenir. Je m’occupe de votre promotion…

Ramirez – Merci Mon Père.

Roger – Merci à vous, Monsieur le Commissaire. Grâce à votre intervention, notre petite soirée va pouvoir se poursuivre dans la joie et la bonne humeur.

Ramirez – À votre service. Nous sommes là pour protéger les honnêtes citoyens.

Sanchez – Messieurs dames… Passez une bonne fin de soirée.

Brigitte – Mais je vous en prie, vous allez bien prendre un verre avec nous. Nous sommes des amis de la police.

Ramirez – Vous connaissez la formule, chère Madame. Jamais pendant le service.

Brigitte – On a fait une sangria géante dans la piscine. Elle est très légère…

Ramirez – Bon, alors juste un verre pour nous deux. Sanchez, je boirai la sangria, et vous mangerez les fruits, d’accord ?

Sanchez – Bien chef…

Samantha leur apporte deux verres de sangria. César arrive avec un tableau.

César – Voici votre portrait de famille, Monsieur Cassoulet.

Rosalie – Monsieur et Madame Cochonou et son andouillette.

Brigitte – Merci, mais…

Roger – Je ne me reconnais pas tellement.

César – C’est de l’art contemporain, cher ami.

Brigitte – Et c’est combien ?

César – Voyons Cassoulet ! En matière d’art, l’argent ce n’est pas le plus important. C’est une œuvre unique !

Roger – Combien ?

César lui murmure quelque chose à l’oreille.

Roger – Ah oui, quand même… Je ne sais pas si on va le prendre alors…

Brigitte – Enfin, Roger ! C’est comme pour la photo de classe de Samantha dans son école de thanatopraxie. On est obligé de la prendre…

Ramirez approche.

Ramirez – J’ai bu beaucoup de sangria dans ma vie, mais celle-ci est vraiment excellente. Vous me donnerez la recette.

Brigitte – C’est un secret Commissaire. Sachez seulement que cette sangria-ci porte très bien son nom…

Ramirez – Vous m’intriguez, chère Madame.

Brigitte – Je vous en prie, goûtez aussi le barbecue.

Elle lui tend une assiette et il goûte une brochette.

Ramirez – Excellent ! C’est la meilleure brochette que j’ai jamais mangée.

Sanchez – Oui, ça fond dans la bouche.

Roger – En tout cas, pour le concert, je crois que cette fois c’est foutu.

Brigitte – Avec un pianiste sans tête et pas de piano à queue.

Roger – Dire que ce type nous a coûté une fortune. Enfin, on a quand même réussi à en tirer quelque chose.

Ramirez – Ah oui ?

Brigitte – Il était gras comme un cochon, et sans la tête, on peut le prendre pour un porc.

Roger – Après tout on l’a payé.

Brigitte – On l’a fait au barbecue.

Ramirez – Il est drôle.

Sanchez – Je ne suis pas sûr qu’elle plaisantait, chef.

Joseph revient, avec un accordéon.

Joseph – On n’a pas de piano à queue… mais iI reste le piano à bretelles !

Joseph se met à jouer et à chanter. Ambiance guinguette.

Joseph – Accordéa, cordéa, cordéon…

Brigitte – Quelle classe !

Roger – On dirait Giscard…

Edmond – C’est le Président.

Ramirez – Le Président ?

Marianne – Le Président du Club des Dîners de Beaucon !

Edmond – N’oubliez pas qu’en plus d’être curé, maire et procureur de cette aimable bourgade, il est aussi instituteur, agent immobilier, inspecteur des impôts, et médecin.

Brigitte – Mon Dieu ! C’est l’homme orchestre, alors !

Marc-Antoine fait une apparition avec sa tronçonneuse.

Ramirez – S’il n’y a plus de cadavre, alors il n’y a plus de crime. Allons, soyons magnanime. Relâchons tout ce beau monde !

Sanchez – Il y a quand même eu un meurtre, chef… Et nous savons que c’est l’expert-comptable qui a porté le coup de tronçonneuse mortel ?

Ramirez – Ne soyez pas aussi rigide, Sanchez. Même si personnellement, je pense qu’on devrait mettre tous les experts comptables en prison.

Joseph – Le Seigneur l’a déjà pardonné.

Ramirez – On fera passer ça pour un accident de barbecue.

Rosalie – Comme quoi il est toujours utile d’avoir des amis dans la police.

Brigitte pousse Roger du coude.

Brigitte – Et pour notre adhésion au Club, Monsieur le Maire, vous pourriez faire quelque chose ?

Joseph – Écoutez, cher ami, passez donc me voir demain après ma messe à la mairie. Nous discuterons de tout cela plus tranquillement…

Joseph s’éloigne.

César – Finalement, cette soirée est très réussie.

Roger – Vous faites partie du Club, vous ?

César – Pensez-vous ! Les bouffons ne font pas partie du club, mais ils ont le droit de se restaurer gratuitement au buffet tout en se payant la tête de leurs hôtes.

Roger – Ah oui.

César – Et puis je partage assez l’avis de Marx : Je ne ferai jamais partie d’un club qui m’accepterait pour membre.

Roger – Je ne savais pas que Karl Marx avait dit ça.

Rosalie – Pas Karl, mon vieux. Groucho !

César et Rosalie s’éloignent.

Édouard – Vous êtes vraiment homosexuelle ?

Samantha – Pourquoi ? Vous voulez tenter votre chance au tirage ?

Édouard – J’aimerais d’abord être sûr que c’est une chance.

Elle l’embrasse par surprise, il se laisse faire et semble y prendre goût. Elle relâche son étreinte.

Samantha – Qu’est-ce que vous en pensez ?

Edouard – Voulez-vous devenir ma femme, Samantha ?

Samantha – Je vous préviens, mon père vend des saucisses.

Édouard – Je vous préviens, mon père n’a plus que moi à vendre.

Ils s’embrassent à nouveau.

Roger (à Sanchez) – Vous croyez qu’on a quand même encore une chance d’en faire partie ?

Sanchez – De quoi ?

Brigitte – Mais enfin ! Du Club Philanthropiques des Dîners de Beaucon !

Joseph arrive avec l’écharpe tricolore ceignant sa soutane.

Joseph – Faute d’extrême onction, je me propose de célébrer ce mariage sur le champ.

Samantha – Mariage civil et religieux à la fois. C’est la double peine, mais ce sera plus vite envoyé !

Fatima revient avec un plat de brochettes.

Fatima – Madame est servie !

Brigitte – C’est juste un apéritif…

César – On est venu là pour bouffer, alors bouffons !

Gregory – C’est bon, qu’est-ce que c’est ?

Roger – C’est Lacordéon.

Gregory – Je parlais du barbecue.

Roger – Oui, oui, moi aussi…

Fatima repart. Ils continuent à manger.

Joseph – Avec tout ça, on n’a toujours pas de candidat sérieux pour remplacer l’éminent membre du Club qui vient de nous quitter…

Fatima arrive une valise à la main.

Brigitte – Mais que faites-vous avec cette valise, Fatima ?

Roger – Vous partez en vacances au Portugal ?

Brigitte – La soirée n’est pas encore terminée.

Fatima – Je vous donne ma démission, Monsieur Cassoulet.

Brigitte – Ne me dites pas que finalement, vous avez accepté d’être soudoyée par cette garce d’Aznavourian.

Fatima – Non Madame, rassurez-vous.

Roger – Eh bien alors mon petit ? Vous n’êtes pas bien, chez nous ?

Fatima – Si mais le ticket de loto que m’a donné Monsieur est un ticket gagnant.

Roger – Combien ?

Fatima – 63 millions.

Brigitte – De dirhams ?

Fatima – D’euros.

Joseph – Bienvenue au Club, Fatima.

Roger – Comment ?

Joseph – À partir de 50 millions, on est automatiquement admis comme membre d’honneur du Club Philanthropique des Dîners de Beaucon.

Brigitte – Mais enfin, Monsieur le Maire… Je veux dire Monsieur le Curé… Fatima est arabe. Et probablement musulmane de surcroît…

Joseph – Nous sommes animés par un esprit très oechuménique.

Edmond – Un bon parti pour toi Edouard, au lieu de la croquemort.

Edouard – Mais enfin, on n’est même pas sûr que ce soit une femme !

Edmond – Personne n’est parfait…

Marianne (à Edouard) – Et bien vas-y !

Joseph se remet à jouer de l’accordéon. Edouard invite Fatima à danser. Ils se mettent tous à danser par couple. Sauf César et Rosalie.

Rosalie (à César) – Cher ami, le monde est un dîner de Beaucon.

César – Et dire qu’on n’en est qu’à l’apéritif.

Ils se mettent à danser eux aussi.

Fin

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Août 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-58-1

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Avis de Passage

Open Letters – Aviso de pasoAviso de passagem – NEZASTIŽENÝ ADRESÁT

Comédie à sketchs

Distribution variable en nombre et sexe : une trentaine de rôles masculins ou féminins, un même comédien peut interpréter plusieurs rôles.

Dans le hall d’un immeuble, entre les boîtes à lettres et le digicode, d’étranges personnages se croisent sans toujours se comprendre…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


 

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TEXTE INTÉGRAL

Avis de Passage

25 personnages

Chaque comédien peut interpréter plusieurs rôles et la plupart des rôles peuvent être masculins ou féminins.

1 – Code d’accès

2 – Lettres d’insulte

3 – Les encombrants

4 – Lettre morte

5 – Diabolique

6 – Colis piégé

7 – Mauvaise adresse

8 – Invitation

9 – Lettre d’amour

10 – Squatteur

11 – Don contre don

12 – Avis de passage


1 – Code d’accès

Une femme arrive dans le hall, le traverse et, perplexe, se place devant le digicode de la porte donnant accès à l’escalier. Un homme arrive à son tour et se dirige vers la même porte pour composer le code.

Femme – Excusez-moi… Je peux entrer avec vous… Je n’ai pas le code…

Homme – Euh… Oui… Enfin… Vous voulez dire que vous n’avez pas le code ?

Femme – Oui… C’est ce que je viens de vous dire, non ?

Homme – C’est à dire que… En principe, on doit avoir le code pour rentrer dans cet immeuble. C’est justement ça le principe…

Femme – Le principe ?

Homme – Ceux qui ont le code ont le droit d’entrer, les autres non. À quoi ça sert d’avoir un code, sinon ?

Femme – Ah, d’accord…

Homme – Ben ouais…

Femme – Donc vous ne voulez pas me laisser entrer ?

Homme – Ben non…

Femme – Vous me prenez pour une voleuse, c’est ça ?

Homme – Je ne sais pas, moi… Si vous habitiez dans cet immeuble, pourquoi est-ce que vous n’auriez pas le code ?

Femme – Pourquoi ? Le code pourrait avoir changé sans que j’en sois avertie.

Homme – Le code n’a pas changé depuis vingt ans.

Femme – Je pourrais l’avoir oublié !

Homme – C’est le genre de code qu’on n’oublie pas, croyez-moi. Beaucoup de personnes âgées habitent dans cet immeuble, alors on a choisi quelque chose de facile à mémoriser. Même un Alzheimer en stade terminal oublierait sa date de naissance avant d’oublier le code de cet immeuble…

Femme – 1515 ? 14-18 ? 16-64 ?

Homme – 16-64 ?

Femme – 16-64, ça ne vous dit rien ?

Homme – Donc, vous n’habitez pas dans cet immeuble…

Femme – Et votre date de naissance, vous vous en souvenez ?

Homme – Puisque vous n’habitez pas ici, qui venez-vous voir ?

Femme – Mais enfin, ça ne vous regarde pas ! Vous êtes de la police ?

Homme – Non. Mais c’est mon immeuble.

Femme – Cet immeuble vous appartient ?

Homme – J’en suis copropriétaire. Je veille sur la sécurité des gens qui l’habitent. Et sur l’intégrité de leurs biens.

Femme – Je vois… Vous êtes une sorte de milicien, en somme. Méfiez-vous. À la libération, certains pourraient avoir envie de vous tondre.

Homme – Dites-moi seulement ce que vous venez faire ici.

Femme – Je viens pour assassiner quelqu’un, ça vous va ?

Homme – À quel étage ?

Femme – Parce que ça change quelque chose ?

Homme – C’est juste pour vérifier que vous n’êtes pas encore en train de mentir.

Femme – La petite vieille du cinquième.

Homme – Au cinquième, c’est un couple d’homos et une fille mère.

Femme – Une fille mère ? Mais vous vivez à quelle époque ? À la fin du 19ème ?

Homme – Oui, bon, ça va… Je voulais dire une mère célibataire…

Femme – Une mère célibataire… Aujourd’hui, on dit une famille monoparentale, figurez-vous !

Homme – En tout cas, on ne dit pas la petite vieille du cinquième ! Donc vous mentez !

Femme – Évidemment, que je mens. Si j’étais venue pour assassiner quelqu’un, vous croyez vraiment que je vous préciserais l’étage ?

Homme – Ça ne me dit toujours pas ce que vous venez faire ici.

Femme – Au départ, je n’étais pas venue pour tuer quelqu’un, c’est vrai. Mais je dois avouer qu’après vous avoir rencontré, ça me donne des envies de meurtre…

Homme – Très bien, ironisez tant que vous voudrez. Mais tant que je ne saurai pas ce que vous venez faire ici, pas question de vous laisser entrer.

Femme – Ok… Je viens voir quelqu’un, ça vous va ?

Homme – Ah oui ? Et qui ça ?

Femme – Le dentiste.

Homme – Vous avez mal aux dents ?

Femme – C’est plus compliqué que ça…

Homme – Quel dentiste, d’abord ? Il y en a au moins trois ou quatre, dans l’immeuble.

Femme – Je ne connais pas son nom. Je veux dire son vrai nom.

Homme – C’est commode…

Femme – Non, justement, ce n’est pas commode. C’est quelqu’un que j’ai rencontré sur le net. Je connais seulement son pseudo.

Homme – Un pseudo ?

Femme – Il m’a donné rendez-vous chez lui, mais il a oublié de me donner le code.

Homme – Il vous donne rendez-vous chez lui, mais il ne vous donne pas le code…

Femme – Il a oublié, je vous dis !

Homme – Hun, hun… Vous n’avez qu’à lui téléphoner.

Femme – Je n’ai pas son numéro.

Homme – Ah, il ne vous a pas donné son numéro non plus. Apparemment, c’est quelqu’un qui tient beaucoup à préserver son intimité… Vous êtes vraiment sûre qu’il vous a invitée à venir chez lui ? Je veux dire, il ne vous a pas donné le code…

Femme – Il m’a donné l’adresse, il m’a dit qu’il habitait au troisième et qu’il était dentiste. Je pense que s’il ne voulait pas me voir…

Homme – Dentiste ? Au troisième… Donc c’est l’adresse de son cabinet. Pas de chez lui.

Femme – Et alors ?

Homme – Cela explique le fait qu’il ait oublié de vous donner le code.

Femme – Et pourquoi ça ?

Homme – Parce que dans la journée, il n’y a pas de code.

Femme – Donc il y a bien un dentiste au troisième.

Homme – Oui.

Femme – Alors vous voyez bien que je ne mens pas.

Homme – En même temps, c’est indiqué sur la plaque.

Femme – Quelle plaque ?

Homme – La plaque qui se trouve dehors à l’entrée de cet immeuble.

Femme – D’accord… Donc, vous ne voulez toujours pas me laisser entrer ?

Homme – Ça dépend… C’est quoi, votre pseudo, à vous ?

Femme – Pardon ?

Homme – Vous avez dit que vous ne connaissez ce dentiste que sous son pseudo. J’imagine qu’il ne vous connaît vous aussi que sous un nom de code.

Femme – Et pourquoi est-ce que je vous donnerais mon numéro de code ? C’est très personnel, non ? Plus que le code d’accès à un immeuble, en tout cas…

Homme – Disons que c’est donnant donnant.

Femme – Alex343.

Homme – Alex343 ?

Femme – Quoi ? Ça ne vous plaît pas non plus ?

Homme – Si, si… Alex343, c’est un très joli nom. (Changeant de ton) Pour une bien jolie personne… Ça donne envie de connaître les 342 autres Alex.

Femme – Vous me draguez, maintenant ? Vous ne manquez pas d’air ?

Homme – Nous sommes partis sur un mauvais pied, mais permettez-moi de me présentez : Domi459.

Femme – Domi459 ? Alors c’est vous ?

Homme – J’espère que vous n’êtes pas trop déçue…

Femme – Non, non, mais… Je ne vous imaginais pas comme ça…

Homme – Excusez-moi pour le code, mais comme en journée, il n’y en a pas…

Femme – Bien sûr.

Homme – Et puis on ne sait jamais à qui on a à faire.

Femme – Vous avez raison. On n’est jamais trop prudent.

Homme – Vous avez trouvé facilement ?

Femme – Oui, oui… Jusqu’à ce que j’arrive devant cette porte en tout cas…

Il lui montre la porte.

Homme – Mais allez-y, je vous en prie…

Femme – Euh…

Homme – Ah oui, c’est vrai… Vous n’avez pas le code… Attendez, je passe devant vous… 39-45, c’est facile à se rappeler…

Femme – Oui, c’est pratique…

Homme – Mais au fait, j’ai oublié de me présenter… Comme vous ne me connaissez que sous mon pseudo…

Femme – Votre nom est inscrit sur la plaque à l’entrée de l’immeuble.

Homme – Ah oui, c’est vrai ! Et vous, votre vrai nom, c’est quoi ?

Femme – Si vous permettez, j’attendrai de vous connaître un peu mieux avant de vous donner le code d’accès…

Ils sortent.

Noir.

 

2 – Lettres d’insulte

Une femme arrive, ouvre une boîte à lettres et constate, déçue, qu’elle est vide. Un homme arrive.

Homme – Pas de courrier aujourd’hui ?

Femme – Il y a quelques années, il m’arrivait encore de recevoir un faire-part de temps en temps. Et puis peu à peu, plus rien. J’ai l’impression d’être la seule survivante de ma génération.

Homme – Si je meurs avant vous, je vous promets de vous envoyer un faire-part.

Femme – C’est gentil… Je descends quand même tous les matins voir si j’ai du courrier. Ça me fait un peu d’exercice…

L’homme ouvre sa boîte qui déborde de lettres.

Homme – Je vous donnerais bien un peu du mien, mais ce sont principalement des lettres d’insultes.

Femme – D’insultes ? Ah oui… C’est vrai que votre femme vous a quitté…

Homme – Je crois qu’elle n’a pas trop supporté que je change de métier. Mais ce n’est pas elle qui m’envoie toutes ces lettres, vous savez.

Femme – Vous n’êtes plus professeur de français ?

Homme – J’ai démissionné il y a quelques mois. Maintenant je travaille dans une boucherie chevaline.

Femme – Ça doit vous changer.

Homme – C’est plus salissant.

Femme – Ah oui, c’est quand même une sacrée reconversion.

Homme – Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours eu envie de travailler dans la viande. Certains rêvent de devenir pompiers, moi je rêvais de devenir boucher.

Femme – Il faut de tout pour faire un monde, pas vrai ?

Homme – Mes parents étaient agrégés de philo tous les deux. Autant vous dire qu’ils n’étaient pas très favorables à ce projet. Je crois qu’ils auraient encore préféré si je leur avais dit que j’étais homosexuel et que je voulais devenir comédien. Alors j’ai d’abord fait des études de lettres, pour leur faire plaisir, et j’ai épousé une agrégée de latin. Mais finalement, c’est la passion qui a été la plus forte. J’ai pris des cours du soir, j’ai passé mon CAP, accessoirement j’ai divorcé, et me voilà enfin boucher !

Femme – La boucherie, c’est un beau métier. Mais pourquoi les chevaux ?

Homme – Je crois que les bœufs et les veaux, ça m’aurait trop rappelé mon ancien boulot de prof…

Femme – Je comprends… Avec tout ce qu’on voit maintenant… Mais toutes ces lettres d’insultes ? J’imagine que ce ne sont pas les chevaux qui vous écrivent pour se plaindre…

Homme – Ah, ça ? En fait, ça n’a rien à voir avec ma nouvelle profession. Ce sont mes anciens élèves qui continuent à m’écrire. J’ai arrêté en juin, et ils ne savent pas encore que j’ai démissionné.

Femme – Et vous allez lire tout ça ?

Homme – Pensez-vous ! Si encore c’était bien rédigé. Mais le vocabulaire est pauvre, la syntaxe déplorable et c’est bourré de fautes d’orthographe. Tenez, j’en ouvre une au hasard…

Il ouvre une enveloppe et lit.

Homme – Nique ta mère, bouffon d’enculé d’ta race, je t’attrape, j’te crève… Des veaux, je vous dis…

Femme – Vous savez quoi ? Ils ne vous méritaient pas…

Homme – Je vais mettre ça directement au recyclage.

Femme – Dans ce cas, donnez-les moi. Ça m’occupera.

Homme – Si vous y tenez… (Il lui tend le tas de lettres qu’elle saisit) Mais je vous aurais prévenue…

Femme – Si j’en vois une qui est plus intéressante que les autres d’un point de vue littéraire, je vous la mettrais de côté.

Homme – Parfait ! Et moi je vous mets un petit steak de cheval de côté pour midi ! C’est excellent pour la santé, vous verrez. Le cheval, c’est beaucoup moins gras que le bœuf, et c’est plein de fer.

Femme – De fer ? Pas de fer à cheval, j’espère.

Homme – Ah, n’oubliez pas qu’un fer à cheval, ça porte chance ! Allez, bonne journée à vous ! La viande, ça n’attend pas ! Comme disait Boris Vian : Faut que ça saigne !

Femme – Merci, bonne journée à vous !

Il s’en va. Elle regarde le paquet de lettres.

Femme – Voyons voir ça…

Elle repart elle aussi en lisant la première lettre qu’elle vient de décacheter.

Noir.

 

3 – Les encombrants

La scène est vide à l’exception d’une grande poubelle à roulettes au couvercle jaune. Une femme arrive en tirant une autre poubelle du même type mais au couvercle vert. Habillée avec élégance et juchée sur des talons hauts, elle tente de conserver un semblant de dignité dans cet exercice dégradant qu’est en temps de crise, pour une bobo divorcée qui n’a plus les moyens de se payer une bonne même défiscalisée, celui de sortir elle-même la poubelle. Son portable sonne, et elle répond.

Femme 1 – Allo, oui ? Ah, bonsoir Jacques ! Non, non, vous ne me dérangez pas. J’étais en train de ranger quelques papiers et je m’apprêtais à prendre un bain… Ce soir à dix-neuf heures trente ? Ah, oui, c’est absolument parfait ! Mais vous êtes sûr que… Votre dernière patiente ? Très bien ! Dans ce cas, nous aurons peut-être le temps de prendre un verre après, histoire de faire un peu connaissance ? Ah oui, ou de dîner si vous préférez… Je connais un très bon japonais du côté de… Ah, vous détestez les sushis… Non, non, pas du tout… J’aime beaucoup la choucroute aussi… Parfait, alors à tout à l’heure… Non, non, j’ai bien l’adresse de votre cabinet… Ah, il y a un code à partir de 19 heures… Attendez, je prends de quoi noter… Je suis dans la salle de bain, et je n’ai rien sur moi… Je veux dire pour écrire…

Elle sort un crayon mais, se rendant compte qu’elle n’a pas de papier, ouvre le couvercle de la poubelle jaune. La trouvant vide, elle laisse le couvercle ouvert et ouvre le couvercle de sa propre poubelle dont elle sort au hasard un paquet de céréale basses calories.

Femme 1 – Voilà, je vous écoute… Ouh, là, en effet, c’est compliqué… (Essayant de plaisanter) Vous ne pouviez pas choisir 1515, 14-18 ou 39-45, comme tout le monde ? Ah, c’est la date de décès de votre belle-mère… Oui, vous avez raison, pour un cambrioleur, évidemment, c’est plus difficile à deviner… Mais vous pouvez me redire ça moins vite ? Juste une seconde, je m’installe un peu plus confortablement…

Elle se contorsionne pour essayer de noter d’une main sur le carton tout en tenant le téléphone de l’autre, avant de prendre le parti de poser le carton sur le bord de la poubelle jaune dont elle a laissé le couvercle ouvert. Le carton tombe par terre et en essayant de le rattraper, elle laisse tomber son portable au fond de la poubelle vide.

Femme 1 – Oh, non, ce n’est pas vrai… (Elle parle en direction du fond de la poubelle) Allo ? Jacques ? Vous m’entendez ? (Elle se penche vers le fond de la poubelle pour tenter de récupérer le téléphone) Allo ? Je vous entends très mal…

Elle finit par basculer complètement dans la poubelle. Seules ses jambes dépassent, qu’elle agite en poussant des cris étouffés. Un homme arrive, un portable à la main.

Homme – Allo ? Allo ? Vous m’entendez ?

Sa femme arrive derrière lui.

Femme 2 – Jacques ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Jacques range immédiatement son portable. Craignant probablement d’être surprise dans cette position embarrassante, la prisonnière de la poubelle rentre ses jambes et se calme également aussitôt.

Homme – Eh bien, je… Je venais chercher la poubelle pour la remonter… Le coiffeur n’a pas pu te prendre, finalement ?

Femme 2 (sèchement) – Si. J’en sors.

Homme – Ah, très bien…

Femme 2 – Tu n’as pas oublié que ce soir, je vais au pot de départ de mon chef de service ?

Homme – Non, non, rassure-toi… J’en profiterai pour faire ma comptabilité en retard au cabinet.

La femme aperçoit la boîte de céréales par terre.

Femme 2 – Les gens sont d’une saleté… (Elle ramasse l’emballage et le remet dans la poubelle) Et j’ai l’impression que les derniers arrivés sont les pires… À propos, tu as fait connaissance avec la nouvelle voisine ?

Homme – Quelle voisine ?

Femme 2 – Ne me dis pas que tu ne l’as pas remarquée… Celle avec la forte poitrine…

Homme – Ah, celle-là…

Femme 2 – Tu vois que tu t’en souviens.

Homme – C’est vrai que c’est plutôt une belle femme.

Femme 2 – Moi, je la trouve plutôt vulgaire, mais bon…

Homme – Vulgaire ?

Femme 2 – Elle est divorcée, je crois…

Homme – Elle t’a dit ça ?

Femme 2 – Une femme qui sort elle-même la poubelle vit forcément seule… Et comme elle est trop âgée pour être encore célibataire, j’en conclus qu’elle est divorcée… ou veuve.

Homme – Elle n’est pas si vieille que ça…

Femme 2 – Elle doit avoir à peu près mon âge.

Homme – Ah, oui ? Ça ne se voit pas…

Femme 2 – Quand elle sort la poubelle le matin en peignoir avant de s’être maquillée, ça se voit, crois-moi… Mais dis donc, on dirait vraiment qu’elle t’a fait forte impression…

Homme – C’est toi qui m’en as parlé ! (Un temps) Et puis elle a téléphoné au cabinet aujourd’hui pour un détartrage…

Femme 2 – Un détartrage… Quand ça ?

Homme – Ce soir.

Femme 2 – Ah, d’accord… Il faut croire que c’était une urgence. Elle devait être sacrément entartrée…

Homme – Elle a peut-être un rendez-vous important…

Femme 2 – C’est ça, oui… Enfin… Tant que tu ne la ramènes pas à la maison… Parce que là, je te préviens, je suis capable de tout…

Homme – La ramener à la maison… Qu’est-ce que tu vas chercher…?

Ils commencent à s’éloigner.

Femme 2 – Eh bien tu ne remontes pas la poubelle  ?

Homme – Si, si… (Il prend la poubelle à roulettes par la poignée et suit sa femme) Mais quand tu dis capable de tout… Pas à tuer quand même ?

On entend la sonnerie d’un téléphone en provenance de la poubelle.

Noir.

4 – Lettre morte

Un personnage (homme ou femme) arrive, pour relever son courrier dans sa boîte à lettres. Il ouvre la boîte, sort quelques enveloppes et les examine rapidement.

Locataire – Facture, impôts, appel à cotisation, facture…

Un autre personnage (homme ou femme) arrive à son tour, en facteur. Il examine les boîtes à lettres sans trouver ce qu’il cherche.

Facteur – Excusez-moi… Monsieur Martin, ça vous dit quelque chose ?

Locataire – Oui…

Facteur – Je ne vois pas son nom sur la boîte. C’est à quel étage ?

Locataire – Septième. Mais il est mort la semaine dernière.

Facteur – Ah merde… Alors en somme… Il a déménagé.

Locataire – On peut dire ça comme ça, oui…

Facteur – Non, parce que j’ai un recommandé pour lui…

Locataire – Ah, ouais… C’est ballot…

Facteur – Alors qu’est-ce que je fais ?

Locataire – Je ne sais pas…

Facteur – Il n’a pas laissé une adresse ?

Locataire – Il est mort, je vous dis.

Facteur – Ah ouais… Mais qui est-ce qui va le signer, mon recommandé ?

Locataire – Ça…

Facteur – Donc il ne va pas revenir…

Locataire – C’est peu probable.

Facteur – Ça ne m’arrange pas.

Locataire – Il y a toujours des emmerdeurs, vous savez… Mais je ne suis pas sûr qu’il soit mort simplement pour vous compliquer la vie…

Facteur – Mmm… Alors je ne sais pas moi… Et vous ne pourriez pas signer à sa place ?

Locataire – Pourquoi je ferais ça ?

Facteur – Entre voisins… On peut se rendre de petit services… Ça m’éviterait de revenir.

Locataire – Revenir ? Pourquoi faire ?

Facteur – Pour lui remettre ce recommandé !

Locataire – Mais puisque je vous dis qu’il est mort ! Mort, vous comprenez ? Et il y a au moins un avantage à être mort, c’est qu’on devient totalement et définitivement inaccessible aux recommandés en tous genres !

Facteur – Je comprends.

Locataire – Vous pouvez toujours lui laisser un avis de passage !

Facteur – Vous croyez ?

Locataire – D’ailleurs, c’est quoi, ce recommandé ? Avis d’imposition ? Avis d’expulsion ? Avis de radiation ?

Le facteur jette un regard à l’enveloppe.

Facteur – Ça vient de la Française des Jeux.

Locataire – La Française des Jeux ?

Facteur – Ça ne peut pas être une mauvaise nouvelle.

Locataire – Vous croyez vraiment que quand on est mort, on peut encore faire la différence entre une bonne et une mauvaise nouvelle ?

Facteur – Évidemment… Mais quand même…

Le locataire prend le recommandé de la main du facteur.

Locataire – Faites voir… Ah oui, la Française des Jeux, dites donc…

Facteur – Vous savez si il jouait au loto ?

Locataire – Je ne sais pas… Je le connaissais très peu… On se croisait de temps en temps… Il avait un chien…

Facteur – Et qu’est-ce qu’il est devenu ?

Locataire – Il est mort, je vous dis.

Facteur – Le chien aussi, il est mort ?

Locataire – Non, pas le chien, lui !

Facteur – Et le chien, qu’est-ce qu’il est devenu ?

Locataire – Le chien ? Je ne sais pas…

Facteur – C’est triste, un chien qui se retrouve tout seul dans la vie, comme ça… Je ne comprends pas tous ces gens qui prennent un animal et qui l’abandonnent. Prendre un animal, c’est une responsabilité. Les gens ne se rendent pas compte…

Locataire – Vous croyez qu’il a gagné le gros lot ?

Facteur – Si c’est le cas, il ne faudrait pas qu’il tarde à se manifester. Parce qu’il y a une date butoir. Si on ne vient pas chercher son chèque avant, on perd tout et la somme est remise en jeu…

Locataire – C’est vrai que ce serait dommage…

Facteur – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Locataire – On ?

Facteur – Comme vous dites, ce serait dommage…

Locataire – Ok. Je vais signer.

Facteur – Ça m’évitera de repasser.

Le locataire signe le reçu que lui tend le facteur, ouvre fébrilement l’enveloppe et lit.

Facteur – Alors ?

Locataire – C’est un solde de tous comptes…

Facteur – Ce n’est pas un chèque ?

Locataire – Il travaillait à la Française des Jeux. C’est juste un avis de fin de contrat.

Facteur – Alors en plus, il a perdu son travail… C’est quand même malheureux. Parce que pour retrouver du travail en ce moment, ce n’est pas évident.

Locataire – Surtout quand on est mort.

Facteur – Et avec la crise, en plus. Les délocalisations, tout ça.

Locataire – Je sais ce que c’est, je suis au chômage moi aussi.

Facteur – Ah oui, ce n’est pas de veine… Et évidemment, ce n’est jamais les gens comme vous qui gagnent au loto, hein ? Ceux qui en auraient vraiment besoin.

Locataire – Non…

Facteur – J’ai lu un article hier dans le journal : Il gagne 60 millions au loto et il continue à vivre exactement comme avant… Je vais vous dire, moi : il y a des gens, ils ne méritent pas de gagner !

Locataire – C’est clair…

Facteur – Bon ben ce n’est pas tout ça, mais il faut que je continue ma tournée.

Il s’apprête à partir. Le locataire brandit la lettre.

Locataire – Qu’est-ce que je fais de ça, moi ?

Facteur – Ça c’est vous qui voyez… Moi du moment que vous avez signé le reçu.

Le facteur s’apprête à s’en aller

Facteur – Mais si j’étais vous, je leur écrirais.

Locataire – À qui ?

Facteur – À la Française des Jeux ! Puisqu’un poste vient de se libérer…

Le facteur s’en va. Le locataire regarde à nouveau le recommandé, perplexe.

Noir.

 

5 – Diabolique

Un personnage (homme ou femme) entre en portant un carton visiblement très lourd. Un autre personnage arrive à son tour.

Un – Ça a l’air lourd… Vous déménagez ?

Deux – Ça se voit tant que ça ?

Il pose le carton sur un autre carton déjà là.

Un – Je vous donnerais bien un coup de main, mais avec mon dos…

Deux – Merci quand même…

Il s’assied sur les cartons pour souffler un moment. L’autre sort un paquet de cigarettes.

Un – Vous en voulez une ?

Deux – Merci, je suis déjà au bord de l’apoplexie…

L’autre range son paquet.

Un – Vous avez raison, moi aussi je ferais mieux d’arrêter… Je vais prendre un Cachou plutôt.

Il sort une boîte de Cachous

Un – Vous en voulez un ?

L’autre fait signe que non.

Deux – Merci, non. J’ai déjà très soif.

Un – J’ai tout essayé, même l’acupuncture, mais je n’arrive pas à décrocher complètement.

Deux – Hun, hun…

Un – C’est curieux, je ne vous ai jamais vu dans l’immeuble… et on fait connaissance justement le jour où vous déménagez…

Deux – Vous trouvez qu’on a fait connaissance ?

L’autre se contente de le regarder en souriant, tout en mâchonnant son Cachou.

Un – Et où est-ce que vous allez, comme ça, avec vos cartons ?

Deux – Je m’installe dans le 19ème.

Un – Le 19ème arrondissement ?

Deux – Euh, oui… Pas le 19ème siècle.

Un – Ça va vous changer.

Deux – Oui… Remarquez, le 19ème, ça ne doit pas être si différent que ça du 20ème.

Un – Mais nous n’aurons plus l’occasion de nous revoir…

Deux – Je vous dirais bien que vous allez me manquer, mais comme on ne s’était jamais croisé jusqu’ici. Vous habitez cet immeuble depuis longtemps ?

Un – Ah, non, mais je n’habite pas ici.

Deux – Ah oui… Ça explique sûrement pourquoi on ne se croisait pas plus souvent…

Un – J’ai mon cabinet au troisième.

Deux – Je vois. Le dentiste.

Un – Euh, non… Moi c’est juste en face. L’exorciste.

Deux – L’exorciste…?

Un – Évidemment, ce n’est pas marqué sur la porte.

Deux – Bien sûr.

Un – Je consulte surtout le soir. Ou même la nuit, c’est plus discret.

Deux – C’est sûrement pour ça qu’on ne s’est jamais rencontré…

Un – Les gens qui viennent me voir n’ont pas toujours envie qu’on les reconnaisse…

Deux – Je ne suis pas sûr non plus que j’aimerais croiser vos patients dans l’escalier après la tombée de la nuit…

Un – Vous n’y croyez pas.

Deux – Ça se voit tant que ça ?

Un – Je ne vous en veux pas, mais vous avez tort.

Deux – Peut-être, oui… Et ça marche ?

Un – Regardez autour de vous… Et surtout au dessus… Je veux dire ceux qui nous gouvernent. Vous ne croyez pas que le marché est immense ?

Deux – Oui, remarquez, ce n’est pas faux. Dommage que vous ne pouviez pas me citer le nom de quelques-uns de vos clients.

Un – En tout cas, ceux qui ne sont pas encore venus me voir, vous n’aurez pas de mal à les reconnaître. Prenez qui vous savez. Celui dont le nom rappelle l’autre pays du fromage. Si le candidat avait pris soin de se faire désenvoûter à temps, nous aurions peut-être aujourd’hui un président normal.

Deux – Peut-être, oui… Mais vous, avec tout ça, vous n’avez pas réussi à arrêter de fumer ?

Un – Je n’ai pas encore trouvé la formule magique qui me libérerait des puissances maléfiques de la nicotine.

Deux – Marlboro, sors de ce corps !

Un temps.

Un – Et vous déménagez pourquoi, si je peux me permettre ?

Deux – Eh bien… Pour me rapprocher de mon travail, d’abord.

Un – En déménageant du 19ème au 20ème arrondissement ?

Deux – Et aussi… Comment dire ? Parce que je sentais comme une présence diabolique dans l’appartement que j’occupe au dernier étage de cet immeuble.

Un – Vraiment ? Vous auriez dû m’en parler avant…

Deux – Malheureusement, je ne vous connaissais pas encore.

Un – Et par présence diabolique, qu’est-ce que vous entendez, exactement ?

Deux – J’entends principalement… ma femme (ou mon mari).

Un – Je vois… J’ai beaucoup de cas comme le vôtre…

Deux – Bon, ce n’est pas tout ça, mais il va falloir que je m’y remette. Puisque vous ne voulez pas m’aider…

Un – Je pourrais toujours essayer de désenvoûter votre conjoint.

Deux – Vous pourriez faire ça ?

Un – C’est à quel étage ?

Deux – Huitième.

Un – Vous avez descendu ces cartons du huitième étage, sans ascenseur ?

Deux – Et j’en ai encore beaucoup plus à descendre…

Un – Ah, oui… Huitième sans ascenseur… C’est vraiment diabolique…

Deux – Oui…

Un – Désolé, mais je crois que là… Je ne peux rien pour vous…

Il passe son chemin, et l’autre reste là avec ses cartons, un peu déstabilisé. Il se décide à repartir quand un autre personnage (joué par celui qui vient de partir) portant un masque de carnaval (au choix) arrive. Il fait mine de chercher quelque chose, comme un nom sur une boîte aux lettres ou une plaque professionnelle.

Trois – Excusez-moi, l’exorciste, c’est à quel étage ?

Deux – Troisième. En face du dentiste.

Trois – Évidemment, il n’y a pas de plaque en bas.

Deux – Ni sur la porte.

Trois – Merci…

Il sort. L’autre reste là, assis sur son carton.

Deux – Je crois qu’il était temps que je déménage, moi…

Noir.

6 – Colis piégé

Un facteur (homme ou femme) arrive avec un paquet et croise un locataire (homme ou femme) qui arrive aussi.

Facteur – Ah justement, j’avais un paquet pour vous.

Locataire – Merci.

Le facteur lui donne le paquet.

Facteur – Une petite signature…

Locataire – Bien sûr…

Encombré, le locataire rend le paquet au facteur afin de signer le reçu qu’il lui tend.

Locataire – Excusez-moi, je vous rends ça une seconde.

Le locataire signe le reçu et sourit.

Locataire – J’espère que ce n’est pas un colis piégé…

Le facteur répond sur le même ton de la plaisanterie.

Facteur – Ah, ah, ah ! C’est vrai qu’on entend comme un tic tac, là dedans.

Locataire – Ah, ah, ah ! On voit tellement de choses, maintenant ! (Cessant de rire brusquement) C’est vrai ?

Le facteur, pris au mot, colle son oreille contre le paquet.

Facteur – Vous allez rire mais… Oui, on dirait…

Le locataire semble soudain inquiet. Il colle à son tour son oreille sur le paquet.

Locataire – Mais oui… Je l’entends aussi… Vous pensez que ça pourrait…

Le facteur change également de ton.

Facteur – Vous connaissez des gens qui auraient des raisons de vous en vouloir à ce point ?

Locataire – Je ne sais pas… À part ma belle-mère… Mais on a tous des ennemis, non ?

Facteur – Tout de même.

Le locataire hésite.

Locataire – Du coup, je ne suis pas sûr de vouloir le prendre…

Facteur – Alors qu’est-ce que j’en fais ?

Locataire – Vous n’avez qu’à le ramener à la Poste.

Facteur – C’est que je n’ai pas fini ma tournée, moi… Et si ça me pète à la gueule en cours de route ? Et puis maintenant, vous avez signé le reçu…

Il tend le paquet à l’autre qui refuse de le prendre.

Locataire – Et si on appelait la police ?

Facteur – La police ?

Locataire – Comme quand on trouve un paquet suspect dans un hall de gare ou dans un train.

Facteur – Vous voulez dire… une brigade de démineurs ?

Locataire – Eux, ils sauront quoi faire…

Facteur – Et si la bombe explosait avant qu’ils arrivent ?

Locataire – Je ne sais pas moi… On n’a qu’à jeter le paquet dans la rue…

Facteur – Et si des passants étaient blessés ? Des enfants, peut-être… C’est l’heure de la sortie de l’école… On ne peut pas faire ça !

Locataire – Vous avez raison… Il ne reste plus qu’à nous préparer à mourir dans la dignité, avec la seule consolation que notre sacrifice aura permis de sauver quelques vies innocentes…

Facteur – Notre sacrifice ? Qu’est-ce que vous proposez, au juste ?

Locataire – Il faut agir, et vite !

Il prend le paquet des mains du facteur, le jette contre le sol, et le piétine violemment.

Facteur – Non mais ça ne va pas ?

Locataire – Ça n’a pas explosé…

Facteur – Non…

Ils se penchent tous les deux pour examiner le paquet.

Facteur – Ah, oui… C’était bien une pendule… Mais je ne vois pas de bombe…

Locataire – Non, c’est bizarre…

Facteur – Mais j’y pense, c’est qui l’envoyeur ?

Locataire – L’envoyeur ?

Facteur – En principe, c’est marqué sur l’accusé de réception !

Locataire – Ah oui…

Le facteur regarde le reçu.

Facteur – Ça vient de Suisse… C’est curieux…

Locataire – Oui, c’est sûrement le pays au monde qui compte le moins de terroristes…

Facteur – Madame Mansard… Vous connaissez ?

Locataire – C’est ma belle-mère.

Le facteur fouille dans les décombres du paquet.

Facteur – Regardez… Il y a une lettre de revendication…

Il tend la feuille à l’autre qui la lit.

Locataire – Bon anniversaire mon chéri… C’est pour l’anniversaire de son fils (ou sa fille).

Facteur – Son fils (ou sa fille) ?

Locataire – Mon mari (ou ma femme) !

Facteur – Une pendule… C’est un drôle de cadeau, pour un anniversaire, non ?

Locataire – Mon beau-père est horloger.

Facteur – Et ça ne vous a pas mis la puce à l’oreille ? Je veux dire quand vous avez entendu le tic tac…

Ils contemplent tous les deux les restes défoncés du paquet.

Facteur – C’est votre mari (ou votre femme) qui va être content(e)… Ça va lui faire quel âge, au fait ?

Locataire – On dirait que ça sent quand même un peu la poudre, non ?

Facteur – Je dirais plutôt le chocolat…

Locataire – Ah, oui, regardez, il y avait aussi des chocolats avec. (Il prend la boîte défoncée, et la tend au facteur) Vous en voulez un ?

Facteur – Et si ils étaient empoisonnés ?

Ils échangent un regard perplexe.

Noir.

7 – Mauvaise adresse

Un personnage (homme ou femme) arrive, ouvre sa boîte à lettres et constate sans surprise mais avec une certaine tristesse qu’elle est vide. Un autre personnage (homme ou femme) arrive, ouvre également sa boîte et, après un mouvement de surprise, en sort un paquet de lettres.

Un – On dirait que vous avez du courrier, aujourd’hui…

Deux – Oui, je ne comprends pas… D’habitude, à part de la pub… Voyons voir…

Son visage s’assombrit.

Un – Pas de mauvaises nouvelles, j’espère…

Deux – Pas de nouvelles du tout… C’est le courrier de mes voisins de palier… Le facteur s’est encore trompé…

Un – Ah…

Deux – Je vais les remettre dans leur boîte aux lettres.

Un – Oui…

Deux – Alors vous non plus…

Un – Non, pas de courrier aujourd’hui…

L’autre s’apprête à remettre le courrier dans une autre boîte mais laisse tomber la pile par terre.

Deux – Zut !

Un – Attendez, je vais vous aider.

Les deux personnages se baissent pour ramasser les enveloppes et en profitent pour les examiner.

Deux – Tiens, je ne savais pas qu’il était abonné à Plongée Magazine…

Un – C’est vrai qu’on est assez loin de la mer…

Deux – Il doit faire de la plongée sous-marine en piscine.

Un – Ou dans sa baignoire…

Deux – Il y a aussi une lettre à entête des Pompiers de Paris.

Un – Il est peut-être pompier volontaire.

Deux – Ou alors, c’est pour l’inviter au bal…

Rires. Embarras.

Deux – C’est un peu indiscret, ce qu’on fait, non ?

Un – Oui, un peu… Quoi d’autre ?

Les deux personnages se mettent à examiner les enveloppes.

Un – Une carte postale.

Deux – Ça vient d’où ?

Un – Les Baléares. Ibiza.

Deux – Qu’est-ce que ça dit ?

Un – Quand même…

Deux – Ça ne compte pas, c’est une carte postale ! Même le facteur a pu la lire…

Un – Un petit coucou des Baléares où nous passons une semaine de vacances. Les paysages sont magnifiques et le beau temps au rendez-vous. À très bientôt. Bises. Maurice et Jacques.

Deux – C’est d’un banal…

Un – Les gens ne savent plus écrire.

Deux – Mais tout de même.

Un – Quoi ?

Deux – C’est signé Maurice et Jacques.

Une – Des camarades de plongée ?

Deux – Ou des amis pompiers…

Les deux personnages se replongent dans l’examen du courrier.

Deux – Tiens, une lettre dont l’adresse est écrite à l’encre rose…

Un – Ah oui…

Deux – Je me demande qui ça peut bien être…

Un – Il est marié, non ?

Deux – Séparé, je crois.

Un – Il n’y a pas l’adresse du destinataire, au dos ?

L’autre retourne la lettre.

Deux – Gérard…

Un – Pourquoi un Gérard lui écrirait-il à l’encre rose ?

Deux – Ça expliquerait que sa femme l’ait quitté.

Un – Comment savoir ?

Deux – J’ai ma petite idée…

Il ouvre l’enveloppe.

Un – Non ?

Deux – Désolé, je n’ai pas pu résister. Une pulsion, comme disent les serial killers.

Un – Bon ben maintenant, autant la lire.

Deux – Bonjour Alain. Excuse-moi de t’écrire avec un stylo rose, mais c’est tout ce que j’avais sous la main. D’autant que c’est pour t’annoncer une bien triste nouvelle. Tante Adèle est morte hier…

Un – Un faire-part de décès à l’encre rose… Comment on aurait pu se douter aussi.

Deux – C’est d’un décevant, ce courrier. Je me demande si cela vaut le coup de continuer.

Un – Vous avez raison. Ce type est d’un banal.

Deux – Complètement transparent.

Un – C’est bien simple, je le croiserais dans l’escalier, je ne suis même pas sûr que je le reconnaitrais.

Deux – On va remettre tout ça dans sa boîte.

Il remet le courrier dans la boîte de son destinataire, et regarde sa montre.

Deux – Ouh la… Déjà ! Je vais rater mon feuilleton, moi.

Un – Ah vous le regardez aussi ?

Deux – Heureusement qu’il y a la télé pour nous changer un peu les idées…

Ils sortent.

Noir.

8 – Invitation

Une femme passe en tirant une poubelle à roulettes de laquelle dépassent des pieds masculins et/ou féminins. Une autre femme arrive pour relever son courrier et salue la première.

Un – Bonjour !

Deux – Ah, bonjour ! Comment allez-vous ?

L’autre remarque les pieds qui dépassent de la poubelle.

Un – C’est les encombrants, aujourd’hui ? Je pensais que c’était la semaine prochaine ?

Deux – C’était une urgence…

Un – Le grand nettoyage de printemps, alors ?

Deux – Oui, on peut dire ça comme ça…

Elle remet les pieds dans la poubelle afin qu’ils ne dépassent plus.

Un – Moi aussi, il faudrait que je m’y mette quand j’aurai le temps. On accumule tellement de bazar au fil des années.

Deux – Vous pouvez me tenir la porte ?

Un – Mais bien sûr, ne bougez pas…

Elle s’avance en coulisse pour tenir une porte qu’on ne verra pas forcément.

Deux – C’est gentil !

Un – Il n’y a pas de quoi, je vous en prie. Bonne journée, alors !

Deux – Merci ! Vous aussi.

L’autre sort avec sa poubelle.

Une autre femme arrive pour relever son courrier.

Un – Ah, bonjour ! Très heureuse de vous rencontrer. Je suis votre voisine de palier. Je vous ai aperçue de loin, pendant que vous emménagiez…

Trois – Vous avez raison, mieux vaut rester à distance, dans ces cas-là. Je plaisante…

Un – Je suis ravie que… Et bien je voulais juste vous dire… Bienvenue dans l’immeuble !

Trois – Merci, c’est très aimable à vous.

Un – Entre voisins…

Trois – Oui…

Un – Vous verrez, les gens de l’immeuble sont très sympas. Et surtout, si vous avez besoin de quelque chose…

Trois – Merci.

Un – Il va falloir que j’y aille… Je vais chercher ma fille à son cours de violon. Vous avez des enfants ?

Trois – Oui… Enfin, non. Je veux dire… Maintenant, j’en suis débarrassée, heureusement.

Un – Débarrassée…?

Trois – Oui… Je les ai mis dans le congélo, pour être tranquille.

Un – Ah, oui…

Trois – Je plaisante.

Une – Bien sûr.

Trois – Ils sont grands, maintenant. Ils n’habitent plus à la maison.

Un – C’est vrai que ça fait un vide, quand ils sont partis. Sur la fin, on n’a qu’une hâte, c’est qu’ils débarrassent le plancher. Et puis finalement… Ça fait un vide.

Trois – Mais votre fille habite toujours avec vous, non ? Je veux dire, si vous allez la chercher à son cours de violon…

Un – Oui… Mais j’imagine. Ça a dû vous faire un vide, non ?

Trois – Quand mon dernier est parti, j’ai d’abord hésité à prendre un chien à la SPA, et puis finalement, c’est ma belle-mère qui est venue s’installer à la maison.

Un – C’est vrai qu’un chien, il faut le sortir trois fois par jour pour qu’il fasse ses besoins. C’est quand même contraignant.

Trois – Vous avez raison. Une belle-mère, c’est beaucoup plus pratique.

Un – Oui…

Trois – Il y a les couches…

Un – Oui…

Trois – Je plaisante…

Un – Bien sûr… Bon, et bien je vais vous laisser… Sinon ma fille va m’attendre…

Trois – Excusez-moi de ne pas avoir été plus bavarde. Mais je suis un peu débordée en ce moment. Avec ce déménagement…

Un – Je comprends.

Trois – De toutes façons, on aura sûrement l’occasion de se revoir, puisque nous sommes voisins de palier.

Un – Mais j’y pense… Pourquoi ne viendriez-vous pas prendre l’apéritif ce soir ?

Trois – Euh… Oui, pourquoi pas ?

Un – Vers 19H30 ?

Trois – Très bien. (Elle regarde sa montre) Maintenant, c’est moi qui dois vous laisser. Sinon, c’est mon premier patient va m’attendre. Alors à ce soir !

Un – Parfait !

L’autre s’en va. Un autre personnage arrive.

Un – Tu sais quoi ? Je viens de croiser notre nouvelle voisine de palier. Je l’ai invitée à venir prendre l’apéritif ce soir.

Quatre – Tu l’as invitée ?

Un – Ben oui, pourquoi ?

Quatre – J’ai croisé son mari ce matin, moi aussi, et tu sais quoi ?

Un – Quoi ?

Quatre – Il est inspecteur des impôts.

Un – Inspecteur des… Tu veux dire contrôle fiscal, et tout ça…

Quatre – Oui.

Un – En même temps, on n’a rien à se reprocher, non ?

Quatre – Tu parles… Et les étagères de mon bureau que j’ai fait installer au noir par le type du cinquième ?

Un – Ils ne viennent pas pour inspecter la maison…

Quatre – C’est une deuxième nature, chez ces gens-là !

Un – Tu crois ?

Quatre – Et puis même. Tu imagines, il faudra faire attention à tout ce qu’on dit.

Un – Qu’est-ce qu’on pourrait dire ? À part au sujet de tes étagères ?

Quatre – Imagine qu’on se fâche avec eux.

Un – Pourquoi est-ce qu’on se fâcherait avec eux, on ne les connaît pas ?

Quatre – Justement ! On ne sait pas ce qui peut les heurter. On ne connaît pas leurs opinions religieuses ou politiques ?

Un – C’est un peu le principe quand on invite des gens pour faire connaissance.

Quatre – Oui, mais lui, si on dit quelque chose qui ne lui plaît pas, il a les moyens de nous coller un contrôle fiscal. Et crois-moi, ces gens-là, quand ils cherchent ils trouvent…

Un – Oh mon Dieu, tu as raison… Pourquoi est-ce que je l’ai invitée ? On pourrait peut-être décommander ?

Quatre – Ils vont trouver ça suspect ! Ce serait encore pire. Ou alors ils vont penser qu’on ne les aime pas…

Un – Tu as raison… Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Quatre – Dans quelle merde tu nous as fourrés, encore…

Un – Et elle, je ne sais même pas ce qu’elle fait. J’ai complètement oublié de lui demander… En tout cas, elle a l’air un peu perturbée…

Quatre – Elle est psychanalyste…

Un – Non ? Mais comment tu sais ça ? C’est son mari qui te l’a dit ?

Quatre – Je l’ai vue visser sa plaque devant l’immeuble ce matin.

Un – Psychanalyste ? Alors c’est pour ça qu’elle m’a posé des tas de questions…

Quatre – Quelle genre de questions ?

Un – Ben… Sur les cours de violon, par exemple.

Quatre – Les cours de violon ?

Un – Tu crois que ça a une signification particulière pour un psychanalyste, les cours de violon ?

Quatre – En tout, ça en a pour un inspecteur des impôts. Surtout si tu les paies au black…

Un – Mais c’est épouvantable…

Quatre – Non mais tu imagines le calvaire, cet apéritif ? Entre un inspecteur des impôts et une psychanalyste !

Un – Tu as raison, il va falloir faire attention à tout ce qu’on dit…

Quatre – On essaiera d’en dire le moins possible.

Un – Oui…

Quatre – Mais ça ne va pas être évident.

Un – Non, c’est sûr… Quand on invite des gens à prendre l’apéritif pour faire connaissance…

Moment de flottement.

Quatre – C’est aujourd’hui, les encombrants ?

Un – La semaine prochaine… Au fait, j’ai croisé aussi la voisine du cinquième qui descendait sa poubelle, et tu sais quoi ?

Quatre – Ne me dis pas que tu l’as invitée à prendre l’apéritif, elle aussi ?

Un – Non, mais j’ai cru voir des restes humains qui dépassaient de la poubelle.

Quatre – Non mais tu ne crois pas qu’on a plus urgent à traiter, comme problème, non ?

Un – Tu as raison… Et si on mettait un truc dans leur apéro ? Genre somnifères, tu vois. Histoire d’abréger la soirée…

Quatre – Tu crois ?

Ils sortent.

Noir.

9 – Lettre d’amour

Le facteur arrive et cherche un nom sur une boîte aux lettres qu’il ne trouve pas. Une locataire arrive.

Facteur – Excusez-moi, Mademoiselle Lelièvre, vous connaissez ?

Locataire – Lelièvre ? Non… Enfin, si… C’était mon nom de jeune fille. Mais plus personne ne m’appelle comme ça… Et je suis mariée depuis vingt ans…

Facteur – Pourtant, c’est la bonne adresse…

Locataire – Faites voir…

Le facteur lui tend l’enveloppe.

Locataire – C’est curieux, on dirait un timbre de collection… Mais regardez, le cachet de la Poste indique le 21 mars 1985… Il y a près de trente ans !

Le facteur regarde l’enveloppe.

Facteur – Ah oui, dites donc… C’est incroyable.

Locataire – Qu’est-ce que ça pouvait bien être ?

Facteur – Vous n’avez qu’à l’ouvrir, puisque c’est pour vous.

Locataire – Vous croyez ?

Facteur – Mademoiselle Lelièvre, c’est bien vous ?

Locataire – Oui… Enfin c’était…

Elle ouvre l’enveloppe et la parcourt du regard.

Facteur – Alors ?

Locataire – C’est une lettre de mon petit ami de l’époque… Mon premier amour.

Facteur – Qu’est-ce qu’il dit ? Si ce n’est pas indiscret, bien sûr…

Locataire – Il s’excuse de ne pas avoir pu venir à notre dernier rendez-vous, mais il s’est cassé la jambe. Il est bloqué à l’hôpital…

Facteur – Ce sont des choses qui arrivent, je sais de quoi je parle. Et ben ça, Mademoiselle Lelièvre !

Locataire – Et moi qui croyais qu’il m’avait posé un lapin…

Facteur – C’est vrai qu’à l’époque, il n’y avait pas encore internet. Il n’y avait même pas de téléphone portable. Et qu’est-ce qu’il dit d’autre ?

Locataire – Il dit qu’il m’aime… Vous vous rendez compte ? Si j’avais su…

Facteur – C’est incroyable ! Cette lettre a mis 30 ans à vous parvenir…

Locataire – Oui… Et je ne vous félicite pas !

Facteur – Pardon ?

Locataire – Si cette lettre m’était parvenue à temps, ma vie aurait pu être très différente !

Facteur – Oui, bien sûr, mais…

Locataire – J’aimais beaucoup ce garçon… Je suis sûr qu’il a dû devenir quelqu’un dans la vie…

Facteur – Peut-être, mais…

Locataire – Vous savez que je pourrais porter plainte contre vous ?

Facteur – Contre moi ?

Locataire – Contre la Poste !

Facteur – C’est le destin, non ?

Locataire – En tout cas, je serais curieuse de savoir ce qu’il est devenu…

Facteur – Comment s’appelait-il ?

Locataire – C’est marqué au dos de l’enveloppe, non ?

Le facteur regarde.

Facteur – Non ? Ce n’est pas vrai !

Locataire – Quoi ?

Facteur – Mais c’est moi qui vous ai envoyé cette lettre ! Je ne m’en souvenais plus du tout !

Locataire – Vous ? Vous êtes certain ?

Facteur – Absolument ! C’est mon nom, et c’est l’adresse de mes parents. Là où j’habitais à l’époque…

Locataire – Je ne vous aurai pas du tout reconnu, dites donc…

Facteur – Ça fait quand même trente ans… Je n’ai pas oublié ton prénom, bien sûr, mais ton nom de famille…

Locataire – Alors comme ça, vous êtes devenu facteur.

Facteur – Oui… J’étais tellement déprimé que tu n’aies pas répondu à ma lettre… En y repensant, je crois que c’est pour ça que je suis devenu facteur. Pour avoir le bonheur d’apporter aux autres les réponses que je n’ai jamais reçues.

Locataire – Et votre jambe, ça va mieux ?

Facteur – On peut se tutoyer, non ?

Locataire – C’est à dire que… Là, je suis un peu pressée. Mon mari m’attend dehors avec la voiture.

Facteur – Bien sûr…

Il la regarde partir presque en courant.

Facteur – Mademoiselle Lelièvre…

Noir.

 

10 – Squatteur

Un type arrive, hésite un instant, et s’assied par terre devant les boîtes aux lettres. Il commence à somnoler. Une locataire arrive à son tour et l’aperçoit.

Locataire – Allez, réveillez-vous mon brave ? Je comprends que vous soyez fatigué, mais il ne faut pas rester, ici, hein ?

L’autre se réveille.

Homme – Et pourquoi ça ?

Locataire – Mais… parce que c’est un hall d’immeuble, pas un hôtel social. Vous ne savez vraiment pas où aller, c’est ça ?

Homme – Non… En ce moment, je suis sans domicile fixe.

Locataire – Et bien raison de plus, mon ami ! Si vous êtes sans domicile fixe, pourquoi diable vouloir vous fixer ici ?

Homme – Vous avez raison…

Le type se relève.

Locataire – Merci pour votre compréhension, mon ami. Mais vous savez quoi ? Au fond, je vous envie.

Homme – Vraiment ?

Locataire – Parfois, moi aussi, j’aimerais être sans domicile fixe. Ne pas avoir à rentrer tous les soirs chez moi. Retrouver la même personne qui m’attend à la maison.

Homme – Dans ce cas, vous pourriez peut-être m’accueillir chez vous pour une nuit ? Ça vous ferait un peu de distraction…

Locataire – Chez moi ?

Homme – Il fait tellement froid dehors.

Locataire – Oui, je sais, j’ai dû mettre mon Damart ce matin… Et malgré ça, je me suis gelée au bureau toute la journée.

Homme – Si je passe la nuit dehors, je ne suis pas sûr de me réveiller demain matin.

Locataire – Vous êtes sûr que vous ne dramatisez pas un peu là ?

Homme – Vous voudriez vraiment avoir ma mort sur la conscience ?

L’autre hésite, puis sort un billet de sa poche.

Locataire – Allez, c’est votre jour de chance. Prenez ça et allez dormir à l’hôtel.

Homme – Dix euros ? Comment voulez-vous que je trouve une chambre d’hôtel à ce prix-là ?

Locataire – Bon, en voilà trente, et vous fichez le camp, d’accord ? Je suis sûr que vous trouverez un Formule 1 ou quelque chose dans le genre. Vous ne voudriez pas dormir dans un palace, non plus ?

Homme – Ça ira. Merci Monseigneur.

Locataire – Et puis si vous ne trouvez pas d’hôtel qui veuille bien vous accueillir, vous pourrez au moins vous acheter quelques litrons pour vous réchauffer.

Locataire – Vous me sauvez la vie. Dieu vous le rendra…

Une femme arrive.

Femme – Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

Homme – Je n’avais pas le code, et j’ai perdu ton numéro de portable. Comme je savais que tu n’allais pas tarder à arriver. Mais Madame venait de me proposer très gentiment d’attendre chez elle.

Femme – Merci, c’est très aimable à vous.

La femme accuse le coup mais n’en laisse rien paraître.

Locataire – Mais de rien. Entre voisins, c’est bien naturel…

Femme – C’est vrai qu’avec ce froid… Je vous présente mon frère. Il passe quelques jours chez moi avant de repartir à Bucarest pour un tournage. Il est comédien…

Locataire – Ravi d’avoir fait votre connaissance, alors.

Homme – Les saltimbanques ont toujours eu mauvaise réputation. Au Moyen-Age on les tenait pour des voleurs de poules et on refusait même de les enterrer dans les cimetières avec les bons chrétiens.

Femme – Heureusement, on n’est plus au Moyen-Âge… Je ne devrais pas dire ça devant lui, mais c’est un excellent acteur. Vous verrez, il fera une grande carrière…

Locataire – Je n’en doute pas…

Homme – N’embête pas Madame avec ça, voyons, elle a sûrement hâte de rentrer chez elle pour retrouver son mari.

Locataire – Bien alors je vous laisse.

Homme – Merci encore.

Locataire – Mais de rien.

Homme – Vraiment sympa, non ?

Femme – Oui, il y a une bonne ambiance, dans cet immeuble, on dirait.

Ils sortent.

Noir.

 

11 – Don contre don

Le premier (ou la première) arrive, l’air affligé, et s’assied quelque part. Le (ou la) deuxième arrive à son tour et, voyant que l’autre n’a pas l’air d’aller bien, l’aborde avec sollicitude.

Un – Ça va ?

Deux – Je viens d’enterrer mon père.

Un – Enterrer ?

Deux – Oui, enfin… je n’ai pas fait ça moi-même. J’ai fait appel à des spécialistes. Il paraît qu’on ne peut pas faire autrement. Ce n’est pas donné, d’ailleurs.

Un – Ah oui…

Deux – Bref, je reviens de l’enterrement.

Un – Je suis vraiment désolé. Je vous présente mes plus sincères condoléances…

Deux – Vous pouvez garder vos condoléances. Je détestais mon père.

Un – On a toujours de bonnes raisons de détester son père.

Deux – Vous savez ce que je trouve vraiment insupportable lors des enterrements ?

Un – Non…

Deux – Tous ces gens qui ne font même pas partie de la famille, qu’on n’a souvent jamais vu de sa vie avant la cérémonie, et qui devant le cercueil se mettent à sangloter plus bruyamment que les propres enfants du défunt. Comme pour les faire culpabiliser de ne pas avoir eux-mêmes le chagrin plus démonstratif. C’est parfaitement déplacé, vous ne trouvez pas ?

Un – Vous avez raison… Il devrait y avoir un ordre de préséance. Un seuil de décibels autorisés en fonction de la proximité de chacun avec la personne qu’on enterre.

Deux – Si les héritiers en ligne directe ne jugent pas nécessaire de pleurer devant le cercueil de leur très cher disparu, les autres aussi devraient s’en abstenir, non ?

Un – Pourtant, on dirait que le décès de votre père ne vous laisse pas complètement indifférent…

Deux – En effet… Sa disparition est pour moi un coup dur.

Un – Malgré vos différends, vous n’aviez donc pas rompu toute relation avec lui…

Deux – Non… La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans le bureau du juge…

Un – Du juge ?

Deux – J’étais sur le point de gagner le procès que j’avais engagé contre mon père… Maintenant qu’il est mort, évidemment, ça va être beaucoup plus difficile…

Un – Ah oui…

Deux – J’ai peur que l’affaire soit classée sans suite.

Un – C’est à craindre. Mais… pourquoi ce procès, si je peux me permettre ?

Deux – Ce serait un peu long à vous expliquer, mais en gros… je reproche à mon père, après m’avoir fait naître, de me laisser complètement démuni devant la misère du monde…

Un – Et pourquoi ne pas faire le même reproche à votre mère aussi ?

Deux – Je suis né de mère inconnue.

Un – De mère inconnue ? Tiens donc… Je ne savais même pas que c’était matériellement possible. De mon temps… Mais c’est vrai qu’à présent, avec les nouvelles technologies…

Deux – Je suis né en terre inconnue, d’une mère porteuse sans papier, payée en liquide, et qui a préféré garder l’anonymat.

Un – Donc vous reprochiez à votre père de vous avoir privé de l’affection d’une mère…

Deux – Ah non, pas du tout !

Un – Mais alors pourquoi lui faire un procès pour vous avoir mis au monde ? Vous n’avez pas l’air d’avoir de malformations particulières…

Deux – Mon Dieu non.

Un – Je dirais même que vous êtes plutôt bien fait de votre personne…

Deux – Merci.

Un – Alors pourquoi ?

Deux – Non mais vous avez vu le monde dans lequel on vit ?

Un – Oui, ce n’est pas faux… Avec toutes ces guerres un peu partout sur la planète. Le terrorisme. La famine. Le réchauffement climatique…

Deux – Sans parler de l’ISF et du cancer de la prostate.

Un – Vous en voulez à votre père de vous avoir fait naître dans cette vallée de larmes qu’est notre monde moderne…

Deux – En fait, c’est un peu plus compliqué que ça…

Un – Vous commencez à m’intriguer.

Deux – Avant de mourir, mon père a légué une grosse partie de sa fortune à une fondation qui lutte contre la faim dans le monde

Un – Ah oui, c’est… C’est bien ça.

Deux – Oui, mais ma part d’héritage, elle, en est diminuée d’autant.

Un – Bien sûr… Mais… c’est tout de même très généreux de sa part.

Deux – Mais pas du tout ! Il a fait ça exprès pour m’emmerder !

Un – Comment ça, pour vous emmerder ? La faim dans le monde, tout le monde est contre, non ? Ne me dites pas que vous êtes pour…

Deux – Je vous dis qu’il a fait ça dans le seul but de me déshériter.

Un – Oui, je comprends bien mais… Tout de même… Cela profitera à des gens qui ont vraiment besoin de cet argent.

Deux – Voilà ! C’est bien pour ça que je lui fais un procès.

Un – Pardon ?

Deux – S’il avait laissé sa fortune à son plombier ou à son contrôleur fiscal, son intention de me nuire n’aurait fait aucun doute. Mais là, c’est particulièrement vicieux, non ?

Un – Vicieux ?

Deux – En me déshéritant au profit de la lutte contre la faim dans le monde, il se donne le beau rôle, vous comprenez ! Et moi, si je m’y oppose, je passe pour un égoïste. Un fils à papa qui voudrait continuer à bouffer du caviar avec l’héritage de son père, plutôt que d’y renoncer joyeusement pour que les déshérités aient un peu de riz dans leur assiette.

Un – Quand ils ont une assiette…

Deux – Ah mais non, je ne vais pas me laisser faire !

Un – Bien sûr… Enfin, je veux dire… Je comprends… Mais ça risque de ne pas être facile.

Deux – À qui le dites-vous…

Un – Comme vous disiez, devant les juges, vous aurez le mauvais rôle…

Deux – Et voilà… Mais je reste confiant… J’ai un bon avocat…

Un – Et que ferez-vous si vous obtenez malgré tout gain de cause ?

Deux – Que voulez-vous que je fasse ? Je reverserai aussitôt cet argent à cette même fondation.

Un – Pardon ?

Deux – Je n’ai pas le choix ! Si je garde tout ce fric pour moi, je passerai pour un salaud. C’est ce que vous penseriez, vous, non ?

Un – C’est à dire que… Oui, évidemment…

Deux – Et voilà ! Quand je vous disais que mon père était un grand pervers, vous comprenez, maintenant…

Un – Euh… Oui… J’essaie… Mais… vous êtes sûr que ce n’est pas un peu compliqué, tout ça ?

Deux – Et pourquoi ça ?

Un – Si cet argent doit finalement aller à cette fondation…

Deux – Ah oui, mais ce n’est pas du tout pareil ! Là c’est moi qui donnerait.

Un – Qui donnerait… l’argent de votre père.

Deux – Si j’en hérite avant, ce sera mon argent ! Et j’aurais démontré que ce n’est pas par générosité qu’il a fait tout ça, mais simplement pour m’emmerder. Et le bienfaiteur de l’humanité, ce sera moi !

Un – Bien sûr… Enfin… Si cela peut vous faire du bien à vous aussi…

Deux – Oui… Mais il y a quand même une chose qui me chagrine.

Un – La mort de votre père…

Deux – Non, le fait que même si je gagne ce procès, il n’en saura jamais rien…

Un – C’est toujours beaucoup plus difficile de se venger des gens qui sont déjà morts.

Deux – Oui… Et c’est beaucoup moins gratifiant…

Noir.

 

12 – Avis de passage

Le facteur (homme ou femme) glisse des livres dans chaque boîte aux lettres. Un locataire (homme ou femme) arrive.

Locataire – Vous ne savez pas lire ?

Facteur – Si justement ! Et vous ?

Locataire – Stop Pub, c’est marqué là sur ma boîte !

Facteur – Ah mais ce n’est pas de la pub ! Je suis votre nouveau facteur.

Locataire – Ah oui ? (Désignant ce que le facteur a dans la main) Et ça qu’est-ce que c’est ? Du courrier, peut-être ?

Facteur – C’est une opération que nous venons de mettre en place à La Poste. Vous savez maintenant, avec le développement d’internet, on est obligé de diversifier nos missions…

Locataire – Et alors ?

Facteur – Pour ceux qui ne reçoivent plus de courriers, nous avons décidé de distribuer des lettres libres de droit.

Locataire – Libres de droit ?

L’autre montre ce qu’il a dans sa sacoche.

Facteur – Les Lettres de Mon Moulin, Les Lettres Persanes, Les Lettres de Madame de Sévigné…

Locataire – Pourquoi faire ?

Facteur – Mais pour réenchanter le monde ! Et réenchanter La Poste ! Le courrier traditionnel a disparu, très bien. Cela économise du papier. Et donc ça évite de couper des arbres. Mais les gens ne lisent plus ! Et ça, c’est terrible, n’est-ce pas ?

Locataire – Oui, bien sûr.

Facteur – La littérature, c’est la mémoire du monde ! Vouloir sauver les forêts, c’est parfait. Mais il faut aussi préserver ce qui fait notre vraie richesse ! Notre patrimoine culturel : les livres ! Vous savez combien de lettres il y a dans notre alphabet ?

Locataire – À peu près 26, non ?

Facteur – Vous vous rendez compte ?

Locataire – Quoi ?

Facteur – Avec 26 lettres seulement, en les combinant, l’homme peut tout exprimer.

Locataire – Oui…

Facteur – Et encore, quand je dis 26… Vous savez quelle est la langue au monde qui comprend le moins de lettres ?

Locataire – Ma foi non…

Facteur – Le Rotokas. Une langue parlée dans les îles Salomon. Son alphabet ne compte que 12 caractères.

Locataire – Vraiment ?

Facteur – Une douzaine de lettres pour exprimer toutes les pensées des hommes.

Locataire – Oui, c’est… Vous avez du courrier pour moi ?

Facteur – Une dizaine de chiffres pour comprendre la mécanique de l’univers.

Locataire – Je peux avoir mon courrier ?

Facteur – Et sept notes pour composer toute la musique du monde.

Locataire – Donc pas de courrier…

Facteur – Et qu’est-ce qui restera de tout ça, dans quelques milliards d’années ? Quand le soleil dans son grand bouquet final nous aura tous réduit en cendres ?

Locataire – Je ne sais pas…

Facteur – Quelques hiéroglyphes gravés sur les pierres qui n’auront pas encore fondu. Quelques propos lapidaires comme aux premiers temps de l’écriture. En vérité, je vous le dis : les premiers balbutiements de l’humanité seront aussi ses derniers soupirs.

Locataire – Oui…

Facteur – Quand La Poste aura disparu, les épitaphes de nos ancêtres nous survivront un instant. Comme un avis de passage. Mais souvenez-vous d’une chose. (Avec emphase) Seul le souvenir de la musique des sphères nous survivra pour toujours.

Le facteur lui tend un CD.

Facteur – Tenez… Voici La Lettre à Élise…

L’autre prend le CD.

Locataire – Merci.

Le facteur s’éloigne et l’autre le regarde partir, interloqué.

Locataire – Je n’ai rien compris…

On entend la Lettre à Élise.

Noir.

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Janvier 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-53-6

 

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Strip Poker

Strip Poker (english) –  Strip Poker (español) –  Strip Poker (portugués) –  Strip Poker (deutsch) –  Strip-Poker (italiano) – STRIP POKE( czech)

Comédie de Jean-Pierre Martinez 

2 hommes – 2 femmes

Inviter ses nouveaux voisins pour faire connaissance : un pari risqué qui peut coûter cher et donner lieu à une comédie poker où chacun doit mettre carte sur table…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Ayant déjà fait l’objet de plus d’une centaine de montages professionnels ou amateurs, en France et à l’étranger, en français ou en espagnol, Strip Poker a notamment été représenté à Paris (Théâtre de Ménilmontant, Comédie Nation, Theo Théâtre), Avignon (Théâtre Pixel), Nice (Théâtre de l’Alphabet), Miami (Akuara Teatro), Buenos Aires (Teatro El Piccolino), Montevideo (Teatro Sala Bardo), Sofia (Little City Theatre Off the Channel), Bucarest (Teatrul în Culise)…


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Strip Poker

 

Personnages : Pierre – Marie – Jacques – Céline

ACTE 1

Dans son salon, Marie, blonde plutôt sexy ayant fait un effort de toilette, dresse une table de fête pour quatre. Son portable sonne. Elle répond.

Marie (aimable) – Allo oui…? (Agacée) Ah, non, désolée, ce n’est pas Pierre, c’est Marie, sa femme… Vous êtes sur mon portable, là… Je peux lui laisser un message…? Très bien… Non, non, ce n’est pas grave…

Elle se remet à ses préparatifs avec une gaîté un peu survoltée. Son portable sonne à nouveau.

Marie (encore plus agacée) – Allo oui…? (Aimablement) Ah, salut Jérôme… Si, si, ça va… Mais je t’ai dit que j’avais arrêté de fumer…? Eh ben depuis ce matin… Non, je ne suis pas enceinte, rassure-toi… Mais j’étais quand même à deux paquets par jour. Au prix où sont les cigarettes, j’ai calculé que dans un an, je pourrai me payer un safari au Kenya. Si je ne tiens qu’une semaine, je pourrai toujours m’acheter une carte orange deux zones. En tout cas, avec ce que j’ai déjà économisé aujourd’hui, je me suis payé un grand pot de Nutella… (Soupirant) Je ne pensais pas que ce serait aussi dur… Mais qu’est-ce que tu veux… Maintenant, même au cimetière, tu n’as plus le droit de fumer… Eh bien Pierre, ça va. En attendant mieux… Non, je parlais de son boulot… Bon, excuse-moi, mais il va falloir que je te laisse, mon porc aux pruneaux est en train de dessécher. On se rappelle ? Tchao tchao…

Marie raccroche, hume l’air, et jette un regard inquiet vers les spectateurs.

Marie – Ça sent le gaz, non…?

Elle fonce à la cuisine s’occuper de son porc aux pruneaux. Pierre, look plutôt intello, arrive de l’extérieur en sifflotant, un imper sur le dos et Le Parisien sous le bras. Il enlève son imper, s’assied sur le canapé et feuillette Le Parisien dont le gros titre est : Le Portable Cancérigène ? Tandis que Marie revient, il repose le journal sur la table en hâte et se compose une mine tragique.

Marie (gaiement) – Salut !

Pierre (sinistre) – Salut…

Marie (voyant sa tête) – Ça ne va pas ?

Pierre – Je vais être licencié…

Marie – Licencié ! Mais pourquoi ?

Pierre – Délocalisation…

Marie – Oh, mince… Je suis désolée…

Il s’effondre sur le canapé.

Pierre (pathétique) – Tu ne vas pas me quitter, dit ?

Marie vient le rejoindre et le prend dans ses bras pour le consoler.

Marie – Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je travaille, moi ! Tiens, je viens d’arrêter de fumer. Avec les économies qu’on va faire, tu pouvais déjà presque passer à temps partiel… Et puis s’il faut se serrer la ceinture, on se serrera la ceinture. (Une main sur le ventre) Je vais arrêter le Nutella…

Pierre (en rajoutant) – Je ne veux pas être à ta charge, tu sais… Je préférerais encore en finir…

Marie – Mais enfin, ne dis pas de bêtises… On est mariés, Pierre ! C’est pour le meilleur et pour le pire ! On gardera le meilleur pour la fin… Mais c’est dingue, qu’ils vous délocalisent comme ça, sans prévenir…

Pierre – Tu sais, maintenant… Avec la mondialisation…

Marie – Tout de même… Délocaliser la Bibliothèque Nationale… Mais où est-ce qu’ils vont la mettre ? C’est énorme, comme bâtiment…

Pierre – En Chine… Ils vont mettre tout ça en caisse, et la reconstruire dans une zone industrielle de la banlieue de Canton. Ils ont déjà commencé à démonter une tour…

Marie (catastrophée) – Non ?

Pierre – Si…

Marie – Mais qu’est-ce qu’ils vont faire de tous ces bouquins, les Chinois ? Ils ne vont rien y comprendre ? Ils ne pourront même pas les ranger par ordre alphabétique…

Pierre – Toute la littérature française va être convertie en espéranto avec des traducteurs automatiques, et puis ils vont numériser tout ça et le stocker sur un énorme ordinateur central en forme de pagode. Évidemment, pour accéder aux données, il faudra payer un abonnement, comme pour Canal Plus. Quant au papier, il sera recyclé. Ça permettra au moins de ne pas couper les derniers hectares de forêt d’eucalyptus qui restent en Chine. (Soupirant) Enfin, si mon sacrifice permet de sauver quelques pandas…

Marie (anéantie) – Ce n’est pas vrai…

Pierre essaie encore un peu de garder son sérieux, puis se marre.

Pierre – Mais, non, évidemment ! Tu as vraiment cru une ineptie pareille ?

Marie, à la fois furieuse et soulagée, le frappe avec les coussins du canapé.

Marie – Tu ne devrais pas plaisanter avec ça…

Pierre – C’est vrai que c’est pas le moment que je perde mon boulot. Ce n’est pas trop mal payé… et ça a me laisse tout mon temps pour écrire… Tiens, d’ailleurs, j’ai une bonne nouvelle à t’annoncer. Les Editions Confidentielles sont d’accord pour publier ma pièce !

Marie (feignant l’enthousiasme) – Les Editions Confidentielles ? Génial !

Pierre – Oui… Enfin, à compte d’auteur, hein… Il faut que j’en vende au moins quatre mille pour rembourser les frais d’impression… Quatre mille exemplaires, c’est vite parti, non ?

Marie – Entre tes parents et les miens… S’ils en prennent mille chacun !

Pierre se frotte les mains avec un sourire de satisfaction.

Pierre – Bon, on mange ? Ce soir, il y a Strip Poker…

Marie (désarçonnée mais peut-être tentée) – Tu veux qu’on fasse un strip poker tous les deux ?

Pierre – Strip Poker, ce reality-show à la télé, tu sais bien !

Marie – Non…

Pierre – Ils invitent des couples. Chaque fois que l’un des conjoints juge plus prudent de ne pas répondre à la question que lui a posée l’autre, il doit enlever un vêtement !

Marie (soupirant) – Je ne comprends pas comment tu peux regarder des idioties pareilles…

Pierre – Oh, écoute… C’est la finale, ce soir !

Marie – Oui, eh ben finale ou pas, ça ne va pas être possible…

Pierre – La télé est en panne ?

Marie – Non… Mais tu ne vas pas pouvoir la regarder…

Pierre – Tu me prives de télé…?

Pierre aperçoit la table mise, pour quatre.

Pierre – Ne me dis pas que tu as invité tes parents ?

Marie – Les voisins.

Pierre – Les voisins ? Ils ont déménagé il y a un mois…

Marie – Les nouveaux voisins !

Pierre – Les nouveaux voisins ? Mais on ne les connaît pas !

Marie – Justement. J’ai croisé la dame à l’espace poubelles… Je me suis dit que ce serait l’occasion de faire connaissance.

Pierre – Pour quoi faire ?

Marie – Pour les connaître, c’est tout.

Pierre – Pour quoi faire, les connaître ?

Marie – C’est toujours bien de connaître ses voisins… On peut avoir des petits services à se rendre…

Pierre – Des services…? Quel genre de services ?

Marie – Je ne sais pas, moi… Arroser les plantes quand on n’est pas là…

Pierre – La seule plante verte que j’avais dans mon bureau, ton chat l’a bouffée dimanche dernier pendant qu’on déjeunait chez tes parents.

Marie – Eh ben justement ! S’il y avait eu quelqu’un pour nourrir mon chat, il n’aurait pas bouffé ta plante verte… Tiens, d’ailleurs, c’est bizarre, je ne l’ai pas vu de la journée, ce chat…

Pierre soupire.

Pierre (inquiet) – Ils ont des enfants, non ?

Marie – Trois, je crois…

Pierre – Ne me dis pas que tu les as invités aussi ?

Marie – Ils préfèrent sûrement rester tranquillement chez eux. (Ironique) Pour ne pas rater la finale de Strip Poker…

Pierre – Ne remue pas le couteau dans la plaie, tu veux…?

Marie – Et puis c’est juste à côté…

Pierre – Tu ne me parlais pas des voisins d’en face ?

Marie – Les voisins d’en face, ils se sont suicidés il y a six mois ! Tu ne te rappelles pas, tous ces camions de pompiers, en pleine nuit, les gyrophares, les sirènes ?

Pierre – Non…

Marie – Eh ben moi, ça m’avait réveillée. J’en fais des cauchemars, depuis… Ils avaient ouvert le gaz… Tout le quartier a failli sauter…

Pierre – Il y a vraiment des gens qui ne pensent pas aux autres… Et pourquoi, ils se sont suicidés, comme ça ? En couple ?

Marie – Va savoir… Il n’y avait peut-être rien de bien à la télé, ce soir-là… (Insinuant) Peut-être que si on les avait invités…

Pierre (consterné par cette mauvaise foi) – Ne me dis pas que tu as invité les voisins à dîner pour ne pas te sentir responsable au cas où ils décideraient de se suicider justement ce soir…?

Elle hausse les épaules.

Marie – Tiens, au fait, c’est bizarre, aujourd’hui, j’ai reçu plusieurs appels pour toi sur mon portable…

Pierre – Ah oui, excuse-moi, je ne sais pas ce que j’ai fait du mien… Alors j’ai laissé ton numéro sur mon répondeur, au bureau… Au cas où un producteur essaie de me joindre, pour ma pièce… Il vaut mieux que je reste joignable à tout moment, tu comprends…

Marie (sidérée) – Le numéro de mon portable ? Ç’aurait pas été plus simple que tu t’en rachètes un directement ?

Pierre – Bof… Finalement, je me suis dit qu’on pouvait très bien vivre sans portable, non ?

Marie – Ah, oui… Quand on a une femme sous la main pour faire la standardiste…

Pierre – Écoute, toi tu essaies d’arrêter de fumer, moi j’ai décidé d’arrêter le portable. On verra bien qui tiendra le plus longtemps.

Marie (exaspérée) – Oui, mais moi je ne te demande pas de fumer mes cigarettes à ma place !

Au lieu de répondre, Pierre se replonge dans la lecture du Parisien, dont les spectateurs peuvent voir le gros titre (Le portable cancérigène ?), mais pas Marie. Marie lui jette un regard excédé.

Marie – Bon, tu pourrais peut-être aller te changer avant qu’ils arrivent, non ?

Pierre – Qui ?

Marie – Les voisins !

Pierre – Ah, oui, c’est vrai ! Je les avais oubliés, ceux-là…

Pierre, résigné, s’apprête à aller se changer.

Marie – Moi je vais allez voir si mon four ne se serait pas éteint. Ça sent un peu le gaz… Tu ne trouves pas ?

Pierre hausse les épaules et sort en direction de la chambre. Marie sort aussi un instant et revient avec des bouteilles et des verres pour préparer l’apéritif. Pierre revient également au bout d’un instant dans une tenue pour le moins décontractée.

Marie (n’en croyant pas ses yeux) – Tu t’es mis en pyjama ?

Pierre – Ce n’est pas un pyjama ! C’est… un jogging d’intérieur.

Marie – Et tes charentaises, là, ce n’est pas des chaussons, non plus…?

Pierre – Ecoute, si on est appelés à devenir intimes avec les voisins, autant se mettre à l’aise tout de suite, non…?

Marie – Imagine qu’il arrive en costume cravate et elle en robe du soir… Je ne leur ai pas dit que c’était une pyjama party, moi…

Il repart en soupirant. Elle continue ses préparatifs. Il revient dans une tenue plus passe-partout.

Pierre(ironique) – Ça va, comme ça ?

Marie (pas très emballée) – Ça ira…

Pierre regarde le courrier posé sur la table basse.

Pierre – L’Avant-Scène, Acte Sud, Les Éditions Théâtrales…

Elle lui lance un regard intrigué.

Pierre – Je déconne, malheureusement… (Repassant les trois lettres en revue) France Telecom, EDF, Générale des Eaux… (Soupirant) Le tiercé gagnant…

Marie (pour lui remonter le moral) – La Poste est peut-être encore en grève. Dans ces cas-là, c’est le service minimum. Ils n’acheminent que les factures…

Le téléphone portable de Marie sonne, et elle répond.

Marie – Oui…? (Avec une amabilité affectée) Non, c’est le standard, mais ne quittez pas, je vous mets en relation. (Lui tendant son portable, excédée) Ton copain Patrick…

Il prend le téléphone comme si de rien n’était.

Pierre – Oui, salut Patrick… Comment ça va… Oui, hein ? Ça fait un bout de temps… Mardi ? Écoute, oui, pourquoi pas… Mais il faut quand même que je vois ça avec Marie. Elle est occupée, là. Tu me rappelles demain ? Euh, oui, si je ne suis pas à la maison, tu essaies sur le portable…

Regard excédé de Marie.

Pierre – Ok, salut, Patrick…

Il raccroche.

Pierre – Quel emmerdeur.

Marie – Qu’est-ce qu’il voulait ?

Pierre – Nous inviter à dîner mardi. C’est l’anniversaire de sa femme…

Marie – Je croyais que c’était ton meilleur ami…?

Pierre – Ça me déprime les anniversaires… Est-ce que je l’invite à tes anniversaires, moi ?

Marie – Il faudrait encore que tu te souviennes de la date…

Pierre – Non, je serai vraiment plus tranquille sans portable. Bon, qu’est-ce qu’ils foutent, ces voisins, là… Ils ne vont pas nous raconter qu’ils ont été bloqués dans les embouteillages, ils habitent en face !

Marie – À côté…

Pierre – Ben justement, ils n’ont même pas à traverser la rue !

Marie – Ça va, il n’est que neuf heures…

Pierre – À cette heure-là, on a déjà dîné, d’habitude. Je commence à avoir les crocs, moi… (Étonné) Surtout que ça sent bon. (Incrédule) Qu’est-ce que tu nous as mijoté ?

Marie (fièrement) – Porc aux pruneaux. J’ai trouvé la recette dans Femme Actuelle…

Pierre – Ah oui… Je me demande si c’était vraiment le moment de tenter de nouvelles expériences, mais bon…

Un temps.

Pierre – Je ne sais même pas comment ils s’appellent, ces gens-là…

Marie – Elle c’est Céline, et lui c’est Jacques, je crois…

Pierre – Ah, vous êtes déjà intimes, dis donc… Et leur nom de famille ?

Marie (réfléchissant) – Oh, je ne me souviens plus. C’est un nom de lessive…

Pierre – Paic ?

Dénégation de Marie.

Pierre – Bonux ?

Nouvelle dénégation de Marie.

Pierre – Pas Omo, quand même.

Marie (trouvant enfin) – Ariel ! (Plus très sûre) Ou Mariel…

Pierre – Attends, Mariel ou Ariel ?

Marie – Je ne sais pas. Elle a dit « Madamariel »… On verra bien… Ça a une importance ?

Pierre – Un peu oui ! Parce que si c’est Ariel, ton porc aux pruneaux… Ils pourront toujours manger les pruneaux, remarque. C’est bon pour le transit…

Marie (catastrophée) – Mince, je n’avais pas pensé à ça…

Pierre – Eh oui… Quand on invite des gens qu’on ne connaît pas…

Marie – Ben oui, mais comment j’aurais pu me douter, moi ? Jacques et Céline, c’est pas…

Pierre – Tous les musulmans ne s’appellent pas Mohamed…

Marie – Ah parce que tu crois qu’ils sont musulmans…?

Pierre – Bon, écoute, de toutes façons, pour le porc aux pruneaux, ça revient au même, hein ?

Marie – Ils ne sont peut-être pas pratiquants…

Pierre – Tu ferais quand même bien de prévoir une pizza surgelée… Végétarienne, de préférence…

Marie soupire. On sonne à la porte. Elle se fige, paniquée.

Marie – Qu’est-ce qu’on fait ?

Pierre – Ben… Je crois que tu n’as plus qu’à aller ouvrir. C’est ce qu’on fait en général, quand on a invité des gens et qu’ils sonnent à la porte… (Plein d’espoir) Ou alors, on éteint toutes les lumières, et on va regarder Strip Poker dans la salle de bain…

Marie – J’y vais…

Elle disparaît dans le vestibule pour ouvrir la porte et accueillir les voisins.

Marie (off) – Bonsoir, Bonsoir… Entrez, entrez… (Prenant le présent que lui donnent les voisins) Oh, il ne fallait pas, il ne fallait pas…

Pierre (in, en aparté, soupirant) – Le cadeau Bonux… Ou Ariel…

Marie revient dans la salle à manger, un bouquet de fleurs à la main, suivie par les voisins.

Pierre (imitant ironiquement l’amabilité affectée de Marie) – Bonjour, bonjour… Comment ça va, comment ça va…?

Marie – C’est quoi ? Des marguerites ? Les pétales sont énormes !

Céline (gênée) – Des tulipes…

Marie – Ah oui, elles sont magnifiques !

Céline – Elles ont peut-être un peu souffert de la chaleur…

Les fleurs sont effectivement sérieusement avachies.

Marie – On va les mettre dans l’eau tout de suite…

Pierre – Ça va peut-être les ressusciter…

Les voisins entrent. Céline, brune, la cinquantaine bien conservée, plutôt mince, est habillée de façon élégante mais stricte, genre tailleur et chignon. Jacques, plus enrobé et plus lourdaud, une bouteille à la main, porte un costume aussi avachi que les fleurs. Bref, un couple d’allure conventionnelle tranchant avec le style plus jeune et plus décontracté formé par Pierre et Marie. Marie fait les présentations.

Marie (à Jacques) – Alors je vous présente mon mari (en insistant sur le nom de famille) Pierre Safran…

Les deux maris se serrent la main.

Pierre (sinistre) – Enchanté…

Marie (à Jacques) – Et vous c’est…?

Jacques (souriant) – Jacques…

Marie – Jacques tout court, très bien…

Jacques tend sa bouteille à Pierre.

Jacques – Tenez, vous devriez la mettre au frigo…

Pierre – De la Blanquette de Limoux…! Eh ben merci, Jacques…

Jacques – Bien frais, c’est aussi bon que du Champagne, non ?

Pierre (ironique) – Alors pourquoi se ruiner ? Je vais la mettre au congélateur… Pour qu’elle soit encore meilleure…

Pierre emporte la bouteille à la cuisine.

Marie (embarrassée) – Vous avez trouvé facilement ?

Têtes des voisins qui habitent à côté.

Marie (se reprenant) – Non, je sais que vous habitez à côté… Je veux dire, euh… Vous avez trouvé facilement… (improvisant) pour faire garder vos enfants…?

Céline – Oh, oui ! La grande garde les petits… Et puis si ça ne vous dérange pas, on ira jeter un coup d’oeil tout à l’heure…

Pierre revient.

Marie – Et comment s’appellent vos enfants ?

Céline – Sarah, Esther et le plus jeune c’est Benjamin.

Marie essaie visiblement d’en tirer une conclusion quant aux préférences confessionnelles des voisins, mais sans grand succès.

Marie – Ah oui, Benjamin… C’est logique… Le petit dernier…

Céline – Vous n’avez pas d’enfants, je crois…?

Petite gêne.

Marie – Pas encore… (Se lançant) Pardon, mais votre nom de famille, c’est Mariel, comme l’acteur ou Ariel…?

Pierre – Comme la lessive…

Jacques – Mariel.

Marie (soulagée) – Ouf ! On n’avait peur que vous soyez juifs !

Malaise des invités. Marie, pétrifiée, se reprend.

Marie – Excusez-moi, c’est juste que j’avais prévu un rôti de porc aux pruneaux… Mais on peut s’arranger. Je dois bien avoir une quiche lorraine qui traîne au fond du congélo… Ce sera à la bonne franquette…

Pierre – Sinon, on peut remettre cette invitation à plus tard…

Marie le fusille du regard.

Céline (se détendant) – Oh, mais ne changez rien pour nous. Le rôti de porc, ça ira très bien…

Jacques (pince sans rire) – En revanche, vos pruneaux… Ils sont casher ? (Satisfait de voir l’air embarrassé de Marie) Je plaisante… Du moment qu’ils sont dénoyautés ! Non, comme je dis toujours, c’est pour les dents… Et vous, votre nom de famille, c’est quoi déjà ? Curry ?

Marie – Safran…

Jacques – Ah, dommage…

Pierre et Marie ne comprennent pas.

Jacques (content de lui) – Non, parce que… Pierre et Marie… (Les autres ne comprennent toujours pas) Pierre et Marie Curie !

Céline aussi trouve la plaisanterie de son mari un peu lourde.

Marie (se forçant un peu à sourire) – Je suis content de voir que vous avez le sens de l’humour… Et puis juifs ou musulmans, hein ?

Pierre – Oui, ça aurait pu être pire ! Vous pourriez être dentiste ou informaticien…

Nouveau malaise…

Marie (pour détendre l’atmosphère) – On va peut-être prendre l’apéritif…?

Noir.

ACTE 2

Les deux couples prennent l’apéritif. Pierre et Marie ont déjà l’air de s’emmerder ferme, mais écoutent attentivement les propos insipides de Jacques.

Jacques – Le problème, pour nous les dentistes, c’est que maintenant, on passe plus de temps à remplir des papiers qu’à soigner les dents. Et comme tout ça se fait par ordinateur… Comme je dis toujours, on m’a appris à magner la roulette, pas la souris. Heureusement que ma femme me donne un coup de main. L’informatique, c’est son métier, mais moi…

Pierre et Marie opinent aimablement du bonnet.

Jacques – Non, et puis aujourd’hui, les professions libérales sont écrasées par les charges… À propos, vous ne connaissez pas cette blague ?

Pierre et Marie prennent un air poliment intéressé.

Jacques – C’est un dentiste qui fait une croisière dans le Pacifique avec sa femme. Naufrage ! Le bateau coule…

Marie éclate bruyamment d’un rire forcé. Consternation des trois autres.

Jacques – Euh, non, c’est pas là…

Marie reprend son sérieux.

Jacques – Ils dérivent pendant une semaine avant d’échouer sur une île déserte. La femme, évidemment, est très inquiète. Elle dit à son mari : ils ne vont jamais nous retrouver !

Marie éclate à nouveau de rire.

Jacques – Euh, non, c’est pas là…

Marie reprend son sérieux.

Jacques – Le mari lui demande : tu as pensé à payer l’URSSAF avant de partir ? La femme : non ! Son mari lui répond : alors ne t’inquiète pas, ils vont nous retrouver !

Jacques éclate bruyamment de rire à sa propre blague. Marie, échaudée, ne rit pas.

Jacques – C’est là…

Marie s’efforce de sourire avec un air idiot. Jacques sort un paquet de cigarettes, et en propose une à Pierre.

Jacques – Cigarette ?

Pierre – Merci, je ne fume pas…

Jacques tend alors le paquet à Marie.

Marie – J’ai arrêté ce matin…

Céline lance un regard noir à Jacques, qui range son paquet de cigarettes.

Jacques – Bon… Ben je ne vais pas vous enfumer, alors… Remarquez, on dit toujours, les cigarettes, mais le téléphone portable, ce n’est pas très bon pour la santé non plus, hein ? J’ai lu un article là-dessus dans Le Parisien, ce matin. Il paraît qu’au-delà d’un quart d’heure par jour, c’est la tumeur au cerveau assurée…

Marie, intriguée, attrape le Parisien de Pierre qui traîne sous la table basse, et jette un regard au titre : Le Portable Cancérigène ?

Jacques – Vous avez intérêt à ne pas dépasser le forfait !

Marie jette un regard incendiaire à Pierre, qui fait l’innocent.

Jacques – Moi je fume, mais je n’ai pas de portable !

Marie (ironique) – Mon mari non plus. Il préfère que j’attrape une tumeur à sa place…

Jacques – Vous savez ce qu’il y a de plus pénible, dans notre métier ?

Pierre et Marie font mine de se le demander.

Jacques – D’avoir à se laver les mains tout le temps, entre deux clients. Regardez les mains que j’ai. Elles sont toutes sèches ! Je pourrais mettre des gants, vous me direz, mais… Vous imaginez, un peu… C’est un travail très minutieux, vous savez, la dentisterie ? Vous avez déjà essayé d’enfiler une aiguille avec des gants de boxe ?

Pierre – Jamais… D’ailleurs, je couds très peu… Je préfère le tricot…

Jacques – Remarquez, comme je dis toujours, nous les dentistes, on a un avantage par rapport aux psychanalystes : Chez moi aussi le patient arrive, il s’allonge, il ouvre la bouche… Mais il a seulement le droit de m’écouter !

Céline – Tu les embêtes, avec tes histoires…

Marie – Ah, mais pas du tout…!

Céline – Parlez-nous plutôt de vous… (À Marie) Vous êtes professeur, c’est ça ?

Marie – De solfège, oui… Mais je ne suis pas sûre que ce soit franchement plus passionnant…

Pierre lui lance un regard pour lui faire remarquer sa nouvelle bourde.

Céline – Ah, le solfège… J’en ai fait pendant plus de 10 ans, étant jeune…

Marie (essayant de s’intéresser) – Vous jouiez d’un instrument ?

Céline – Non, même pas… Mes parents devaient croire que c’était une langue morte, le solfège. Comme le latin ou le grec. Alors quand j’ai eu 18 ans, j’ai dit stop.

Pierre (feignant d’être impressionné) – Eh ben… Vous étiez une adolescente un peu rebelle, dites-moi…

Céline – Après, je me suis inscrite à un cours de danse de salon.

Marie – Ah, oui, ça fait un sacré changement…

Jacques (attendri) – C’est là que nous nous sommes rencontrés, Céline et moi…

Marie (feignant de s’intéresser) – Non ?

Jacques – Si, si… Je dansais très bien, à l’époque, vous savez… Je me défends encore pas mal… Il paraît que 40% des hommes ont connu leur femme en l’invitant à danser. (À Pierre) C’est comme ça que vous avez séduit votre charmante épouse, vous aussi…

Pierre – Ah, non… Non, moi j’ai commencé par la prendre sauvagement sous une porte cochère, un jour d’orage, après lui avoir proposé de s’abriter sous mon parapluie… Il paraît que c’est très rare, les couples qui se sont connus comme ça…

Silence embarrassé.

Marie – Mon mari plaisante, bien entendu…

Pierre – Elle déteste que je raconte ça…

Marie – Je vous sers un autre apéritif ?

Céline – Bon… Un doigt, alors…

Pierre – Avant ou… après l’apéritif ?

Marie fusille Pierre du regard, et ressert ses invités.

Céline – On a inscrit Benjamin, notre petit dernier à la maternelle d’à côté… Vous savez si elle a bonne réputation ?

Marie – Je ne sais pas, je n’ai pas d’enfants.

Céline – Ah oui, c’est vrai. Excusez-moi…

Pierre – Oh… Ce n’est pas vraiment de votre faute, hein ?

Un temps.

Céline – Et vous, Pierre ? Qu’est-ce que vous faites, dans la vie…

Pierre – Moi ? Rien…

Tête de circonstance des voisins.

Céline (compatissante) – Demandeur d’emploi…?

Pierre – Ah, non, je ne demande rien… Non, je dirais plutôt… salarié inactif. C’est très difficile, d’en arriver là, vous savez ? Avoir l’air de travailler alors qu’on n’a rien à faire… Il faut être très bon comédien.

Céline (embarrassée) – Dans ce cas… qu’est-ce que vous faites quand vous ne travaillez pas…? Enfin je veux dire, euh… En dehors de vos heures de bureau…

Pierre – Eh bien… Je suis comédien, justement ! Enfin, par intermittence…

Céline (intriguée) – Comédien ? Ah, oui, votre tête me disait quelque chose, aussi… Vous avez joué dans quoi ?

Pierre – Vous regardez Les Feux de l’Amour, à la télé ?

Jacques (épaté) – Moi oui, parfois ! C’est l’heure de ma sieste…

Pierre – Alors vous avez vu la pub pour les conventions obsèques juste avant ?

Jacques n’a pas l’air de trop savoir.

Pierre – Mais si ! C’est entre la pub pour les appareils auditifs et celle pour les fauteuils monte-escalier.

Jacques – Euh… Oui, peut-être…

Pierre – Eh ben le type, dans le cercueil, c’est moi…

Jacques (désarçonné) – Non…?

Pierre – Un rôle de décomposition, en quelque sorte…

Regard furieux de Marie en direction de Pierre, content de son effet.

Céline (embarrassée) – Et sinon, vous avez d’autres projets…?

La sonnette de la porte se fait entendre.

Jacques – Ah, vous attendez encore des invités ?

Marie – Non, non… On n’attend personne d’autre…

Pierre va ouvrir.

Pierre (off) – Déjà… Bon ben, excusez-moi, je reviens tout de suite…

Pierre revient avec un paquet de calendrier des Postes.

Pierre (embarrassé) – C’est le facteur, pour les étrennes…

Jacques – Eh ben, ils sont en avance, cette année… Vous êtes sûr que c’est un vrai facteur…?

Pierre – Ben, c’est un type avec une veste bleu et jaune, qui ressemble beaucoup à celui qui m’apporte mon courrier tous les jours…

Jacques – Ah…

Pierre – Dites-moi, vous n’auriez pas un billet de dix, je n’ai vraiment pas de monnaie, là… Je vous rendrai ça tout à l’heure…

Jacques, réticent, fouille ses poches sans entrain.

Pierre – Ah, c’est bête, j’ai donné le dernier billet de cinq que j’avais pour acheter le mousseux. J’ai une pièce de deux, si vous voulez…

Pierre – Bon ben… Je vais lui donner la bouteille que vous avez amenée… Ça ne vous dérange pas ?

Jacques – Non… Pensez-vous…

Pierre tend la pile de calendriers à Jacques.

Pierre – Eh ben vous n’avez qu’à choisir, alors…

Pendant que Pierre va récupérer la bouteille dans le frigo, Jacques sort ses lunettes de presbyte et regarde les calendriers avec un sérieux un peu surjoué.

Jacques – Tiens, je vais prendre les trois petits chats, là… Ils sont sympa… Hein, Céline ?

Céline ne répond pas. Pierre revient avec la bouteille de mousseux.

Pierre – Vous pourrez garder le calendrier, hein… Comme le facteur repart avec votre bouteille…

Jacques – Merci…

Pierre s’éloigne avec la pile de calendriers restant et la bouteille de mousseux.

Pierre (off) – Voilà, il est bien frais… Eh ben Joyeux Noël, alors…

Pierre revient.

Céline – Joyeux Noël… En plein mois d’octobre… Ils sont gonflés, quand même…

Pierre – Ça doit être le réchauffement climatique… Il n’y a plus de saison… Même les facteurs sont complètement déboussolés…

Marie – Je vais peut-être aller voir où en est mon porc aux pruneaux. J’ai l’impression que ça sent le gaz…

Jacques (se levant) – Je vais en profiter pour aller jeter un coup d’oeil à la maison pour voir si tout va bien avec les enfants. Avant qu’on passe à table…

Marie – Mais je vous en prie…

Jacques – Ne vous dérangez pas, je connais le chemin.

Céline (se levant aussi) – Vous pourriez me dire où je peux me laver les mains… Les cacahuètes… C’est toujours un peu gras…

Marie – Mais bien sûr. Au fond du couloir, en face…

Jacques et Céline sortent.

Marie – Qu’est-ce qui t’as pris de leur raconter que tu faisais le mort dans la pub pour les conventions obsèques ? (Imitant ironiquement Pierre) Un rôle de décomposition, en quelque sorte…

Pierre – Oh, écoute, c’était pour mettre un peu d’ambiance, parce que là, c’est mortel, non ? Et on n’en est qu’à l’apéritif… Moi je ne vais pas tenir comme ça jusqu’au dessert, je te préviens… Il faut inventer quelque chose pour les faire fuir…

Marie – C’est vrai qu’il ne sont pas très passionnants, mais bon… Il est un peu tard pour décommander. On ne les réinvitera pas, c’est tout.

Pierre – Attends, mais c’est eux qui vont nous réinviter, la prochaine fois, tu verras… Tu ne crois pas t’en tirer comme ça. Non, tu as mis le doigt dans un engrenage infernal, là. Tu ne te rends pas compte !

Marie se rend compte, mais tente de minimiser.

Marie – Oh, tu exagères… Bon, je vais essayer d’accélérer un peu le service… Tiens, ouvre la bouteille de vin, en attendant…

Pierre – Au moins, j’ai réussi à me débarrasser de sa bouteille de mousseux. Ça me donne des gaz…

Marie s’en va vers la cuisine. Pierre saisit la bouteille de vin. Céline revient.

Céline – C’est vraiment gentil de nous avoir invités pour faire connaissance… J’ai habité dans le coin, il y a très longtemps, quand j’étais au collège, mais je ne connais plus personne… Et puis entre voisins, on peut se rendre des petits services…

Pierre – Oui, c’est ce que dit ma femme… (Une idée germe dans sa tête) D’ailleurs, je suis content que vous disiez ça… Parce qu’en fait, j’avais quelque chose à vous demander.

Pierre lui tend la bouteille.

Pierre – Tenez, ça ne vous dérange pas de l’ouvrir, je ne sais pas si j’ai encore la force…

Céline, intriguée, entreprend maladroitement d’ouvrir la bouteille. Elle fait des efforts surhumains pour extraire le bouchon.

Pierre – Je ne voulais pas plomber la soirée, mais… J’ai un cancer…

Du coup, Céline extrait le bouchon d’un coup, en tirant violemment sur le tire-bouchon. Pierre récupère la bouteille et fait le service en poursuivant ses explications.

Pierre – Je viens d’apprendre que j’avais une tumeur… J’ai dû dépasser le forfait…

Céline – Le forfait…?

Pierre – Le portable, vous savez… Les… Les radiations. Ça devait être un modèle ancien…

Céline (compatissante) – Le cerveau…

Pierre – Pire…

Céline le regarde, se demandant ce qu’il y a de pire.

Pierre – Les testicules…

Céline (horrifié) – Non…!

Pierre – Le kit mains libres, vous savez, ça protège la tête, mais ça ne fait que déplacer le problème…

Céline – Je suis vraiment désolée…

Pierre (levant son verre pour trinquer) – Allez, à la vôtre… On ne va pas le laisser perdre…

Ils trinquent dans une ambiance sinistre.

Céline – Mais… Il y a quand même des traitements, maintenant…

Pierre – Oui… En fait, mon chirurgien envisage une greffe… (Un temps) Et c’est pour ça que j’ai demandé à ma femme de vous inviter… Vous et votre mari…

Consternation de Céline.

Pierre – Encore un peu de vin ?

Céline, qui a bien besoin d’un petit remontant, ne dit pas non. Il lui verse un grand verre qu’elle vide d’un trait.

Céline – Ah, c’est du bon, hein ?

Pierre – Prenez des cacahuètes…

Céline se sert.

Pierre – Alors voilà… Il me faudrait un donneur…

Céline – Un donneur…?

Pierre se rapproche d’elle et la prend par les épaules.

Pierre – On peut très bien vivre avec un seul testicule, vous savez… L’opération est bénigne, et une semaine après, vous n’y pensez plus. La cicatrice ne se voit même pas…

Céline (perplexe) – C’est à dire que… Il faudrait que j’en parle à mon mari… Je ne sais pas si…

Marie revient et les aperçoit dans cette position ambiguë.

Céline (embarrassée) – Je vais aller voir si Jacques s’en sort avec les enfants… Vous savez comment sont les hommes…

Elle sort précipitamment.

Marie – Eh ben… On dirait que vous sympathisez, finalement…

Pierre – Arrête, c’est un cauchemar, il faut trouver un moyen de s’en débarrasser…

Marie – Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? On ne va pas les jeter dehors, c’est nous qui les avons invités !

Pierre – Nous…

Marie – D’accord, j’ai fait une connerie, mais bon… Quand le vin est tiré… Zut, j’ai oublié le pain…

Avant de repartir à la cuisine, Marie jette un coup d’oeil à son porc aux pruneaux.

Marie (déçue) – Ça n’a pas aussi bonne allure que sur la photo dans la fiche cuisine de Femme Actuelle…

Pierre – Si tu crois que toutes les femmes, dans la rue, ressemblent aux mannequins qu’on voit dans les magazines… Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas pareil pour ton porc aux pruneaux…

Marie hausse les épaules et s’en va, contrariée, mais se retourne vers Pierre avant de disparaître dans la cuisine.

Marie – Essaie quand même d’être un peu aimable avec eux…

Pierre – Pour qu’ils s’incrustent ?

Marie – En tant que voisins, ils sont peut-être là pour vingt ans. Ce serait dommage de se fâcher avec eux dès leur arrivée…

Pierre (désespéré) – La meilleure façon de rester en bons termes avec ses voisins, c’est de ne jamais leur adresser la parole…

Marie s’apprête à retourner à la cuisine mais se retourne pour une dernière question.

Marie – Au fait, tu n’as pas vu le chat ?

Pierre (un peu embarrassé) – Pas depuis ce matin, non…

Marie – J’espère que ta plante verte n’était pas toxique.

Marie sort. Jacques revient.

Jacques – Céline couche le petit dernier, et elle arrive. Les deux autres regardent la télé…

Pierre – Strip Poker…?

Jacques – Rabbi Jacob… Mon film préféré… Mmmm… Ça sent drôlement bon, dites moi !

Jacques prend Pierre par les épaules.

Jacques – Je suis sûr qu’on va sympathiser… Et puis l’avantage des invitations entre voisins, c’est qu’on n’a pas de route à faire après… On a tout notre temps… et on ne risque pas d’avoir à souffler dans le ballon !

Pierre (pris d’une inspiration) – Dites-moi Jacques… Je peux vous appeler Jacques ?

Jacques – Mais bien sûr, Pierre. Entre voisins…

Pierre – Vous m’êtes tellement sympathique. J’avais une petite proposition à vous faire. Enfin, moi et ma femme…

Jacques (intrigué) – Oui ?

Pierre – Vous avez entendu parler de… l’échangisme ?

Jacques (sidéré) – Vaguement…

Pierre – Eh ben voilà, ma femme et moi… Enfin si vous voulez… Il n’y a pas d’obligation, hein ? En général, ça se passe entre le dessert et le café… Alors si vous n’êtes pas intéressés… Il vous suffira de partir au moment du fromage. Moi et ma femme, on comprendra…

Jacques, interloqué, n’a pas le temps de répondre. Céline revient.

Céline – Et voilà ! On va pouvoir passer une soirée tranquille tous les quatre…

Tête de Jacques, que remarque Céline.

Céline – Ça ne va pas ?

Jacques (embarrassé) – Si, si… Nous parlions… du libre échange. De la mondialisation, des délocalisations, tout ça… Vous savez que ma femme aussi est une adepte du libre échangisme…?

Céline (rectifiant, gênée) – Du libre échange…

Silence gêné. Marie arrive de la cuisine avec son porc aux pruneaux

Marie – Bon, eh bien si vous n’avez rien contre le cochon, on va pouvoir passer à table…

Ils prennent place à table, dans un silence embarrassé.

Marie – Céline, je vous mets à côté de mon mari…?

Céline obtempère sous le regard inquiet de Jacques. Marie sert ses invités.

Céline – Oh, mais dites-moi, c’est très appétissant…

Marie s’apprête à servir Pierre.

Pierre – Non merci…

Marie – Tu n’as pas faim ?

Pierre – Pas très… Et puis la viande, ça m’a toujours un peu dégoûté. Pas vous…?

Jacques et Céline le regardent, un peu estomaqués.

Pierre – Vous savez que génétiquement, le porc est l’animal qui se rapproche le plus de l’être humain ? En fait, l’homme ne se distingue du cochon que par quelques gènes. (Avec un regard vers Jacques) Et encore, pas tous…

Les invités, démotivés par cette entrée en matière, mangent avec moins d’appétit. Marie tente de changer de sujet.

Marie – Et vous, Céline ? Vous ne nous avez pas dit ce que vous faisiez…

Céline – J’hésite toujours un peu à le dire… Ce n’est pas très bien vu, par les temps qui courent…

Pierre – Vous êtes strip-teaseuse… ou garagiste ?

Céline – Pire… Je suis… (Emphatique) Cost Killer.

Incompréhension de Pierre et Marie.

Jacques – Chasseur de coûts, en français… Mais coût « c-o-u-accent circonflexe-t », hein ? Ou coupeur de têtes, si vous préférez…

Marie – Et ça consiste en quoi, exactement ?

Céline – Eh bien… Je suis appelée en tant que consultante dans des entreprises en difficulté pour couper les branches mortes, afin que les jeunes pousses puissent s’épanouir en toute liberté…

Jacques – Comme je dis toujours, chasseurs de coûts, c’est le contraire de chasseurs de têtes… Ma femme, les têtes, elle les fait tomber… En coupant les cous !

Marie (se touchant la gorge, impressionnée) – Ça a l’air intéressant…

Jacques – Mon épouse est une sorte de Robespierre de la Révolution Libérale… Une passionaria du libre échangisme…

Céline (rectifiant) – Du libre échange…

Jacques – Euh… Oui, bien sûr…

Marie – Et sur quels cous avez-vous décidé de jouer de la tronçonneuse, ces temps-ci ?

Céline – Jusqu’à maintenant, c’était surtout les entreprises privées qui faisaient appel à moi. Mais maintenant, je suis très sollicitée aussi par le secteur public. D’ailleurs, on vient de me confier une nouvelle mission…

Marie (essayant de plaisanter, un peu inquiète) – Rassurez-moi, vous n’allez pas vous attaquer à l’Éducation Nationale… Parce que j’imagine qu’on commencerait par guillotiner les profs de solfège…

Céline – Ne riez pas, ça viendra sûrement. Mais non, cette fois, c’est un autre mammouth que j’ai pour mission de dépecer.

Marie – Pas le Parti Socialiste, quand même ?

Céline (avec un air satisfait) – La Bibliothèque Nationale…

Pierre s’étrangle.

Pierre – La Bibliothèque Nationale…!

Céline – Évidemment, tout ça reste entre nous… Je commence demain matin, et personne n’est encore au courant. Je ferai une sélection parmi les employés, et je ne garderai que les éléments les plus productifs… Les autres, on les remplacera par des ordinateurs…

Jacques – Ma femme est une tueuse. C’est simple, dans le métier, on la surnomme Oussama. Quand elle en aura fini avec la Bibliothèque Nationale, je vous garantis qu’il y aura au moins deux tours en moins…

Marie en reste sans voix, et Pierre est au bord de l’évanouissement. Mais leurs invités ne se rendent compte de rien.

Céline – Mais je vous embête, avec tout ça… Votre porc aux pruneaux est vraiment excellent. Vous me donnerez la recette ?

Jacques se lève.

Jacques – Excusez-moi… Je vais passer aux toilettes avant qu’on attaque la suite… Ça doit être les pruneaux…

Céline – Je vais en profiter pour aller voir si les enfants ne regardent pas des cochonneries sur Canal Plus. On n’est pas abonnés, mais même en cryptée…

Pendant que Jacques et Céline sortent.

Pierre (catastrophé) – Alors là, je suis bon. Je vais être de la première charrette pour l’échafaud…

Marie – Si tu ne t’étais pas vanté d’être payé à ne rien faire, aussi… (L’imitant) Il faut être très bon comédien…

Pierre (outré) – Attends, comment je pouvais deviner qu’elle était coupeuse de têtes, moi ? Elle avait l’air inoffensive, comme ça… Et puis je te rappelle que c’est toi qui l’a invitée ! Si tu m’avais dit que Madame Pol Pot venait dîner ce soir à la maison, je me serai méfié…

Marie – Maintenant, je ne sais pas trop comment on peut redresser la barre…

Pierre – Surtout que j’ai proposé une partie carré à son mari pour le dessert…

Marie – Pardon ?

Pierre – C’était pour les faire fuir plus vite…

Marie (vexée) – Merci, c’est gentil pour moi… Alors non seulement elle va te prendre pour un paria mais aussi pour un détraqué sexuel… Et si ils avaient accepté…

Pierre – Je n’en ai parlé qu’à son mari… Remarque, il n’a pas encore dit non… C’est que maintenant, il faut tout faire pour les retenir, et essayer de rattraper le coup…

Marie, au bord de la crise de nerfs, allume une cigarette.

Marie – Je crois que ce n’était pas le bon jour pour arrêter.

Marie aspire une bouffée goulûment.

Marie (voluptueusement) – Ah, c’est bon…

Pierre la regarde, perturbé, mais se reprend.

Pierre – Bon, écoute, au point où on en est, je ne vois qu’une solution…

Marie – Le gaz, comme les voisins d’en face…?

Pierre – Elle ne sait pas encore que je travaille à la Bibliothèque Nationale… Il faut profiter du restant de la soirée et trouver un truc pour la compromettre…

Marie – Et comment tu comptes faire ça ? Tu ne vas quand même pas me demander d’accepter la proposition cochonne que tu as faite à son mari pour pouvoir les faire chanter et garder ton boulot ?

Pierre – Bon, pas si on peut éviter… Déjà, on pourrait la pousser un peu à boire… Elle doit bien avoir quelque chose à cacher, celle-là, avec son air de ne pas y toucher…

Marie – La faire boire…? Tu crois vraiment que ça va suffire pour qu’elle monte sur la table et qu’elle nous fasse une confession publique, façon Révolution Culturelle…? Non, pour la faire parler… À part lui mettre la tête dans le four, je ne vois pas… (Délirant) Il faudrait que je puisse l’attirer dans la cuisine pendant que tu neutraliserais son mari…

Pierre ne l’écoute pas et poursuit sa pensée…

Pierre – Une confession publique… Ça me donne idée…

Marie – Oui…?

Pierre – Strip Poker !

Marie – Tu veux leur proposer un strip poker, maintenant ?

Pierre – Strip Poker, l’émission de téléréalité ! Quand elle aura bien picolé, on lui propose une partie.

Marie (inquiète) – Quelle genre de partie ?

Pierre – Comme gage, le perdant doit répondre à une question indiscrète. Un jeu de la vérité, quoi ! C’est une battante, je suis sûre qu’avec quelques verres dans le nez, elle acceptera…

Marie (inquiète) – C’est que je ne sais pas vraiment bien jouer au poker, moi…

Pierre (étonné) – Tu as des choses à cacher ?

Marie – Pas spécialement, mais…

Pierre – Eh ben alors !

Jacques et Céline reviennent.

Jacques – Ah, ça va mieux !

Marie – Bon, eh bien on va pouvoir passer au dessert…

Embarras de Jacques.

Jacques – Il commence à être tard, non ? On ne va peut-être pas vous déranger plus longtemps…

Céline (étonnée) – Enfin, Jacques, on ne va pas partir comme des voleurs…

Pierre, voulant désormais retenir les voisins pour rattraper le coup, change d’attitude du tout au tout.

Pierre (aimablement) – Mais vous ne nous dérangez pas du tout ! Après on fera un jeu de société… Vous aimez, les jeux de société ?

Céline – Là, vous avez trouvé mon point faible ! Je suis très joueuse… Hein, Jacques ?

Noir.

ACTE 3

Ambiance tripot enfumé. Ils sont assis tous les quatre, clop au bec et un peu débraillés, autour de la table de poker, éclairée par une lampe, comme dans les films. Sous le regard impressionné de Jacques et Céline, Marie bat les cartes avec la virtuosité d’un croupier de casino.

Pierre – Alors c’est bien compris ? À la fin de chaque partie, celui qui a le plus de boutons a le droit de poser une question à celui qui en a le moins…

Les autres opinent.

Jacques (essayant de plaisanter) – Tant que c’est pas les boutons qui tiennent mon pantalon. À part ce que j’ai en dessous, je n’ai rien à cacher…

Pierre (inquiétant) – On a tous quelque chose à cacher… En cherchant bien… Il suffit de poser les bonnes questions…

L’atmosphère devient plus lourde. Le jeu commence. Les quatre joueurs misent. Jacques coupe. Marie distribue les cartes (cinq à chacun). Pendant ce temps, Pierre tend vers Céline une bouteille.

Pierre – Je vous ressers un peu de digestif…?

Céline (déjà un peu éméchée) – Allez, un petit excès, de temps en temps…

Jacques – Ce n’est peut-être pas très raisonnable, non ? (Essayant de plaisanter) Vous savez que maintenant, on peut être poursuivi, si on laisse ses invités repartir de chez soi complètement bourrés…

Pierre – Vous l’avez dit vous-même : vous n’avez pas de route à faire. Vous habitez en face…

Jacques – À côté…

Pierre – Comme ça, vous ne risquez même pas de vous faire écraser en traversant la rue… (Avec une allusion, à Jacques) Mais si vous préférez, vous pouvez rester dormir avec nous…

Air embarassé de Jacques.

Céline (vidant son verre cul sec) – Ah… On sent bien le goût de la poire…!

Sourire figé de Jacques. Marie a fini de distribuer. Chacun regarde ses cartes et observe les autres.

Pierre – Deux cartes…

Marie lui donne ses cartes.

Céline – Trois…

Jacques – Une…

Marie – Servie…

Ils regardent à nouveau leurs cartes. Se regardent par en dessous. Et parlent chacun leur tour.

Pierre – J’abandonne…

Jacques – Moi aussi…

Céline – Deux de mieux.

Marie – Pour voir…

Céline abat ses cartes avec une excitation enfantine.

Céline – Carré d’as ! Qui dit mieux ?

Marie (défaite) – Brelan de valets…

Céline ramasse la mise. Chacun regarde les boutons qui lui restent.

Céline – À moi de poser une question…

Malaise des autres, comptant leurs boutons. Tête de Marie, qui en a le moins.

Céline – À Marie, donc !

Soulagement de Pierre et Jacques.

Céline – Vous devez nous dire la vérité…

Marie (inquiète) – Allez-y…

Céline – Est-ce que vous avez déjà volé, dans un magasin ?

Marie est presque soulagée.

Marie – Oui… Une fois… Une tente…

Jacques – Vous avez volé de l’argent à votre tante dans un magasin ?

Marie – Mais non ! Une tente !

Céline – Un homosexuel…?

Marie – Une tente de camping !

Jacques – Eh ben… Je n’aurais jamais pensé à voler un truc comme ça ! C’est plutôt voyant, non, une tente de camping ?

Céline – Une tente…? C’était… poussée par la nécessité ? Vous ne saviez pas où dormir…

Marie – C’était pour partir camper ! J’étais dans un centre commercial… Je suis allée à une caisse pour payer. On m’a dit que ce n’était pas la bonne caisse. Je suis allée un peu plus loin, et je me suis rendu compte que j’avais franchi les portiques de sécurité, sans m’en apercevoir. Alors comme j’étais déjà dehors…

Pierre – Ce n’était pas vraiment un vol… Puisque tu n’avais pas vraiment l’intention de voler cette tente…

Marie – Disons que ne suis pas revenue sur mes pas pour payer… En fait, j’avais surtout peur que là, le portique se mette à sonner. Ç’aurait vraiment été trop con de me faire arrêter en essayant de réintroduire dans le magasin une tente que je venais de voler par inadvertance… Vous m’imaginez en train d’expliquer ça aux vigiles ? En général, ce n’est pas le genre à avoir beaucoup d’imagination…

Têtes des autres imaginant la situation.

Céline – C’est vraiment la seule fois ?

Marie – Oui…

Céline – Vous êtes plutôt une femme honnête, alors…

Marie – Vous savez, la plupart des gens ne sont honnêtes que parce qu’ils n’ont pas le courage d’être malhonnêtes… Disons que le risque m’a toujours paru disproportionné par rapport aux satisfactions que ça aurait pu me procurer…

Jacques (que l’alcool décoince) – Comme de tromper son mari…?

Marie – Là, c’est une autre question…

Jacques – D’accord…

La nouvelle partie commence. Même manège. Ils misent. C’est Pierre qui donne.

Céline – Une carte…

Jacques – Servi…

Marie – Servie…

Pierre – Deux carte…

Ils misent à nouveau.

Céline – Je suis…

Jacques – Plus un…

Marie – J’abandonne…

Pierre – Pour voir…

Ils abattent leurs cartes.

Pierre (triomphant) – Full !

Jacques – Flush !

Le sourire de Pierre se fige. Marie lui lance un regard ironique.

Marie – Eh ben… Ça commence bien…

Jacques rafle la mise.

Jacques – À moi de poser une question…

Les trois autres, sur la défensive, comptent leurs boutons.

Jacques – À Pierre…

Air résigné de Pierre.

Jacques – Est-ce que vous avez déjà eu envie de tuer quelqu’un ?

Pierre – Avant ce soir, vous voulez dire ?

Jacques – Avec un début de passage à l’acte, évidemment… Sinon, ça ne compte pas… Si on enfermait tous les maris qui ont envie de tuer leur femme au moins une fois par semaine… Les prisons sont déjà surpeuplées…

Regard assassin de sa femme Céline. Pierre essaie de se souvenir.

Pierre – Non, je ne vois pas… (Se marrant) Ah si… Enfin, ce n’était pas vraiment prémédité, mais… C’était au collège… Il y avait une grosse à lunettes qu’on arrêtait pas d’emmerder. Un jour, à la piscine, on a balancé ses lunettes dans le grand bain. Elle ne savait pas nager. Mais dans la panique, elle a oublié. Elle s’est jetée à l’eau pour récupérer ses lunettes. Nous, on se marrait comme des baleines. Évidemment, au bout de cinq minutes, comme on ne la voyait toujours pas remonter, on a fini par appeler le maître nageur… Qu’est-ce qu’on s’est marré… Je ne me souviens plus comment elle s’appelait, cette pauvre fille…

Céline – Céline Robert…

Pierre (figé) – Ah oui, peut-être bien…

Céline – La grosse à lunettes. C’était moi…

Pierre – Non…!?

Céline – Je savais bien que votre tête me disait quelque chose…

Jacques intervient pour détendre l’atmosphère.

Jacques – Bon… On s’en refait une petite.

Autre partie. Sans entrain. Et dans un silence pesant. Céline distribue les cartes.

Jacques – J’abandonne.

Marie – Servie…

Pierre – J’abandonne aussi.

Céline – Dix de plus…

Marie – Je suis. Et je remise vingt…

Céline (misant) – Pour voir.

Céline et Marie abattent leur carte. Sourire satisfait de Marie. Tête défaite de Céline.

Marie – Ah, cette fois, c’est à moi de poser une question… À Céline…

Inquiétude de Céline.

Marie – Est-ce que vous avez déjà commis une faute professionnelle lourde, que vous n’auriez jamais révélée à personne ?

Céline est très mal. Elle se dirige vers le devant de la scène comme pour une confession. Mais au lieu de parler, elle enlève le haut.

Noir.

La lumière se rallume, et Céline est toujours sur la sellette, au devant de la scène. On comprend qu’elle a une nouvelle fois perdu.

Marie – Je réitère ma question… Est-ce que vous avez déjà commis une faute professionnelle lourde…?

Céline s’apprête à enlever le bas… avant de renoncer et de parler d’une voix presque inaudible.

Céline (très bas) – Oui…

Marie – Pardon ?

Céline – Oui !

Marie – Laquelle ?

Céline – Eh bien… Ça ne sortira pas d’ici…? Vous me le promettez…?

Pierre et Marie opinent hypocritement du bonnet.

Pierre – Considérez que vous êtes dans une église, et que nous sommes vos confesseurs…

L’ambiance de tripot enfumé est assez loin de cette image.

Jacques (amusé) – Une église…?

Marie – Ou une synagogue, si vous préférez.

Céline – Il y a un confessionnal, dans les synagogues ?

Pierre (s’impatientant) – Je ne sais pas, moi… Imaginez que vous êtes sur le plateau de C’est mon Choix…

Céline – Bon, eh bien… C’était il y a six mois, environ… Lors d’une de mes missions, j’ai fait licencier un cadre et sa compagne, qui travaillaient tous les deux dans l’entreprise que j’étais chargée d’auditer… J’étais certaine qu’ils piquaient dans la caisse… Le type n’a pas supporté. Il avait vingt ans de boîte. Il s’est suicidé… Avec sa femme…

Échange de regards satisfaits entre Pierre et Marie. Ils ont de quoi compromettre Céline.

Céline – En ouvrant le gaz…

Pierre (effarée) – Les voisins d’en face…!

Céline – Pardon ?

Pierre – Non, rien…

Céline – Juste après l’enterrement, je me suis rendu compte qu’ils n’étaient pas coupables… J’avais seulement fait une erreur d’addition… Je n’ai jamais rien dit à personne… Je n’ai rien fait pour les réhabiliter, ces pauvres gens… J’avais trop honte… (En larmes) D’habitude, je ne fais jamais d’erreur d’addition…

Jacques la console.

Jacques (à Pierre et Marie) Elle est toujours bouleversée quand on parle de ça… (Essayant de consoler sa femme) Tu veux qu’on rentre, chérie…?

Pierre et Marie échangent un regard signifiant qu’ils seraient assez pour, puisqu’ils ont obtenu ce qu’ils voulaient.

Marie – Oui, ça suffit, peut-être…

Céline (se reprenant) – Non, non, je ne veux pas vous gâcher la soirée… Ça va aller… (Tenant à sa revanche) Et puis on n’arrête pas une partie de poker comme ça… (Avec un air inquiétant) Tout le monde n’a pas encore parlé…

Céline vide son verre d’un trait pour oublier ses remords.

Pierre – Bon…

Jacques distribue les cartes… Ils se remettent à jouer en silence. L’ambiance est de plus en plus lourde.

Marie – Carte…

Pierre – Servi…

Céline – Je suis…

Jacques – Pour voir…

Ils abattent leurs cartes.

Céline – J’ai une paire…

Jacques – Brelan…

Marie – Carré de dames…

Pierre (triomphant) – Carré de roi !

Malaise des autres.

Pierre – Jacques…

Masque de Jacques.

Pierre – Est-ce que vous savez ce qui est arrivé au chat que j’ai vu dans la poubelle de l’immeuble ce matin…

Stupéfaction de Marie. Embarras de Jacques et de Céline.

Pierre – Vous devez nous dire la vérité…

Jacques se dirige vers le devant de la scène comme pour une confession. Mais au lieu de parler, il enlève son pantalon et se retrouve en caleçon.

Noir.

La lumière se rallume, et Jacques est toujours sur la sellette, au devant de la scène. On comprend qu’il a une nouvelle fois perdu.

Pierre – Alors, ce chat ?

Jacques s’apprête à enlever son caleçon, mais c’est Céline qui répond à sa place.

Céline – Il m’avait déjà bouffé trois plantes vertes sur mon balcon… Alors la quatrième, je l’ai arrosé la veille avec de l’arsenic.

Marie fond en larmes.

Pierre – Oh, mon dieu ! Le petit chat est mort…

Malaise.

Jacques (pour détendre l’atmosphère) – Une petite dernière ? Pour me refaire…

Céline – Bon, mais après, on va tous se coucher.

Tête des autres ne sachant pas comment interpréter cette dernière réplique.

Nouvelle partie. Mise. Marie distribue à nouveau. Remise. Les visages sont encore plus tendus.

Pierre – Carte.

Céline – Carte.

Jacques – Servi.

Marie – Carte.

Jacques mise tous ses boutons.

Jacques – Banco !

Marie – J’abandonne…

Pierre – J’abandonne…

Céline – Moi aussi…

Jacques ramasse la mise. Le visage de Jacques s’illumine. Marie constate avec horreur que c’est elle qui a le moins de boutons.

Jacques – À moi de poser une question…

Marie (paniquée) – Vous ne nous avez pas montré ce que vous avez dans les mains…!

Jacques – Je ne suis pas obligé ! Vous vous êtes tous couchés !

Il regarde les trois autres tour à tour pour maintenir le suspense.

Jacques – C’est Marie qui a le moins de boutons… Alors je me lance…

Malaise de Marie.

Jacques (sans pitié) – Est-ce que vous avez déjà trompé votre mari ?

Marie reste sans voix. Pierre la regarde, inquiet.

Céline – On a tous joué le jeu. Vous nous devez la vérité…

Marie s’avance à son tour vers le devant de la scène. Elle ôte le haut.

Noir.

Lumière.

Jacques (sans pitié) – Est-ce que vous avez déjà trompé votre mari ?

Marie, de plus en plus gênée, ôte le bas, pour se retrouver en combinaison.

Noir.

Lumière.

Jacques (sans pitié) – Est-ce que vous avez déjà trompé votre mari ?

Marie esquisse un geste pour ôter sa combinaison, puis préfère parler.

Marie – Une fois… Juste une petite fois… C’était… une erreur.

Pierre est décomposé.

Céline (cruelle) – Une erreur ? Comme pour la tente ?

Marie – Si on veut, oui…

Jacques (enfonçant le clou) – Tout de même… On ne se trompe pas de mari comme on se trompe de numéro au téléphone.

Céline – Et puis même quand on fait un faux numéro, on peut toujours couper court avant d’engager la conversation…

Marie – Disons que je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui raccrocher au nez pendant qu’il était encore temps… Je suis du genre bavarde, au téléphone…

Céline – Vous l’aviez dit à votre mari, avant ce soir ?

Marie – Non…

Céline – Pourquoi ?

Marie – J’avais réussi à passer les barrières de sécurité sans déclencher le système d’alarme… et je n’ai pas eu le courage de revenir sur mes pas pour payer l’addition…

Malaise. Pierre et Marie évitent de se regarder.

Jacques – Bon… On va peut-être vous laisser…

Pierre (à Jacques) – Vous avez bluffé ?

Jacques, content de lui, montre ses cartes.

Jacques – Je n’avais qu’une petite paire…

Autre silence. Céline et Jacques se lèvent et s’apprêtent à partir…

Jacques (à Pierre) – Moi aussi j’ai une dernière question à vous poser…

Pierre – La partie est finie.

Jacques – Je vous ai montré ma paire…

Pierre – Allez y toujours…

Jacques – Vous êtes vraiment comédien ?

Pierre – Non, mais j’écris des pièces de théâtre. Pendant mes heures de travail… (Regardant Céline) à la Bibliothèque Nationale…

Céline – Je vois… Je peux compter sur votre discrétion…?

Pierre (innocemment) – À propos des voisins d’en face…? Si vous mettez dans votre rapport que je suis l’employé le plus productif de la maison, et qu’on ne pourrait en aucun cas me remplacer par un ordinateur…

Céline encaisse le coup.

Céline – Vous permettez que j’aille prendre un peu d’eau à la cuisine ? Je ne me sens pas très bien…

Marie – Mais je vous en prie…

Céline s’éloigne vers la cuisine.

Jacques – La prochaine fois, c’est nous qui vous invitons… On fera un scrabble, pour changer un peu…

Céline revient.

Jacques – Alors à bientôt ?

Pierre (à Céline) – À demain…?

Les voisins s’en vont. Pierre et Marie restent seuls. Ils osent à peine se regarder. Ils contemplent l’appartement en désordre.

Le portable de Marie se met à sonner.

Pierre – Tu ne réponds pas ?

Marie – Je ne sais même pas si c’est pour toi ou pour moi. Tu as donné mon numéro de téléphone à tous tes copains…

Pierre – C’est parce que j’ai confiance en toi…

Embarras de Marie.

Pierre (plus gravement) – C’était qui… ton faux numéro ?

Marie (mal) – Jérôme…

Pierre – Ah, tiens… Je ne m’en serais pas méfié, de celui-là…

Marie enlace Pierre pour lui demander pardon.

Marie – Alors, on le fait, ce strip-poker ?

Pierre – Banco !

Musique suggestive. Elle commence un strip-tease. Il la regarde, émoustillé. Il s’assied pour la regarder faire son show et sort un gros cigare qu’il s’apprête à allumer avec une allumette qu’il sort d’une boîte.

Un instant, on voit apparaître le visage de Céline qui les espionne… un masque à gaz de la dernière guerre sur le visage. Puis Céline disparaît.

Marie s’interrompt soudain, en même temps que la musique..

Marie (inquiète) – Tu ne trouves pas que ça sent le gaz.

Il fait un signe d’ignorance et craque l’allumette pour son cigare.

Noir suivi d’un flash et d’un bruit d’explosion.

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-06-2

Ouvrage téléchargeable gratuitement

www.sacd.fr

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