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Immaculée conception

Un homme en pyjama rayé est couché dans un lit. Il se réveille peu à peu. Il se redresse, s’assied et regarde autour de lui, semblant ne pas savoir ce qu’il fait là. Une femme arrive. Elle paraît vingt ans de moins (vêtements plus jeunes, rouge à lèvres, allure décidée). Elle apporte sur un plateau un petit déjeuner sommaire.

Femme – Bonjour !

L’homme a visiblement un peu de mal à émerger.

Homme – Bonjour…

Femme – Comment ça va ?

Homme – Ça va… Je crois.

Femme – Tiens, voilà ton petit déjeuner.

Homme – Un petit déjeuner au lit ? Merci, mais… c’est en quel honneur ?

Elle ne répond pas, sourit avec indulgence, et s’assied à son chevet.

Femme – Je ne sais pas ce que vaut le café. Ce n’est sûrement pas un expresso.

Homme – Ça ne fait rien, je le boirai quand même… J’ai l’impression d’avoir la gueule de bois.

Il commence à boire son café et à manger une biscotte.

Femme – Désolée, je crois que ce sont des biscottes sans sel…

Il sourit et continue à mastiquer sa biscotte.

Homme – Tu sais ce que je me disais ?

Femme – Non…

Homme – Je ne pense pas qu’on puisse vraiment changer les choses.

Femme – Les choses ? Tu veux dire…

Homme – Ou les gens.

Femme – Ah oui…

Homme – Moi, par exemple, avec ma famille… J’ai tout de suite compris que ça ne pourrait pas marcher.

Femme – Ta famille ? Je te rappelle que je suis ta femme…

Homme – Non mais je ne parle pas de ça, bien sûr. Toi, c’est autre chose… (Un temps) Et tu es sûre qu’on est mariés ?

Femme – Pourquoi tu me demandes ça ?

Homme – Je ne sais pas… Je dors dans un lit à une place…

Femme – Ah oui…

Homme – Je ne me souviens même pas que je suis marié, tu te rends compte ? Le médecin m’a dit que c’était normal. Je n’ai pas encore recouvré la mémoire immédiate.

Femme – On est mariés depuis vingt ans…

Homme (ailleurs) – Oui, c’est bizarre, hein ? Vous n’avez pas encore recouvré la mémoire immédiate. C’est la dernière chose que j’ai entendu, et je ne me souviens que de ça… (Un temps). Je ne sais pas… Ça me vient peut-être de là…

Femme – Quoi ?

Homme – Ce besoin que j’ai toujours eu de tout gâcher… Pour ne pas risquer d’être déçu… (Il prend la pomme et la regarde.) Quand le ver est dans la pomme, ça ne peut se terminer bien pour personne.

Femme – Sauf pour le ver… (Il la regarde étonné, et elle se reprend aussitôt.) Excuse-moi, je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça…

Homme – Non, tu as raison, c’est vrai… On ne pense jamais au ver.

Femme – Et puis tu n’es pas une pomme.

Homme – Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Femme – Tu as bien pris tes médicaments ?

Homme – Quels médicaments ?

Femme – Je vais te chercher un verre d’eau.

Elle sort. Il croque à nouveau dans la pomme. Elle revient avec quelque chose de changé, dans le vêtement (un accessoire) ou la coiffure (une perruque). Rien d’extravagant, mais quelque chose de très voyant et d’un peu étrange. Il semble ne rien remarquer. Elle lui tend un verre d’eau, comme si de rien n’était.

Homme – Merci.

Il prend les cachets qu’elle lui tend et les avale. Elle le regarde fixement.

Homme – Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que j’ai ?

Femme – Il faut que je te dise quelque chose.

Homme – OK.

Femme – Ce n’est pas facile.

Homme – Tu me fais peur…

Femme – Non mais, ce n’est pas à propos de toi. Enfin si, mais…

Homme – Bon…

Femme – Eh bien voilà, je… Je ne suis pas exactement… celle que tu crois.

Homme – Comment ça ? Mais je ne crois rien, moi.

Femme – Quand même, je suis ta femme.

Homme – Tu veux dire que… tu me trompes ?

Femme – Non, ce n’est pas du tout ça. Enfin…

Homme – Enfin quoi ?

Femme – Je ne te trompe pas, au sens où… Mais je t’ai trompé.

Homme – Quand ? Avec qui ?

Femme – Pas avec un autre homme, en tout cas, rassure-toi.

Homme – Je n’étais pas inquiet.

Femme – Non, par… je t’ai trompé, je veux dire que je ne t’ai pas dit la vérité. Je t’ai menti.

Homme – À propos de quoi ?

Femme – À propos de tout. Depuis toujours. En fait, je ne suis pas tout à fait une femme…

Homme – Je suis marié avec un homme et je ne m’en suis jamais rendu compte ?

Femme – Je ne suis pas un homme non plus.

Homme – D’accord… Entre les deux, donc.

Femme – Je dirais plutôt ni l’un ni l’autre.

Homme – Bon… alors c’est pour ça qu’on n’a jamais eu d’enfant, j’imagine.

Femme – Oui… Entre autre…

Homme – Parce qu’il y a autre chose ?

Femme – Je ne suis pas d’ici.

Homme – Ici ? Mais où est-ce qu’on est, au juste ?

Femme – Je viens d’un autre monde que le tien.

Homme – Tu es une sorcière… Tu t’appelles Samantha et je m’appelle Jean-Pierre.

Femme – Les sorcières, ça n’existe pas. Tout le monde le sait.

Homme – Donc tu n’es pas une sorcière non plus.

Femme – Tu te souviens de ma mère ?

Homme – Non.

Femme – Elle a accouché de moi après avoir reçu la visite d’un extraterrestre.

Silence. Il la regarde, semblant chercher quoi répondre.

Homme – J’ai l’impression d’avoir déjà entendu une histoire comme ça quelque part.

Femme – Dans une église, peut-être. À propos de la grossesse de la Vierge Marie.

Homme – Oui… Ou alors c’est à cause des médicaments…

Même pas Mort

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Lève-toi et marche

Un homme est couché dans le lit, en pyjama rayé. Il dort. Entre une femme qui pourrait être sa mère (vêtements vieillots, absence de maquillage, démarche peu dynamique). Elle s’approche du lit.

Femme – C’est l’heure… (Comme il ne répond pas, elle hausse le ton en le secouant énergiquement.) C’est l’heure !

L’homme se réveille en sursaut et la regarde, un peu perdu.

Homme – Maman ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Femme – C’est l’heure, mon grand.

Homme – L’heure ? Quelle heure ?

Femme – Je ne sais pas. Mais c’est l’heure.

Homme – Mais enfin… L’heure de quoi ?

Il fait un effort pour se relever, avant de s’interrompre pour reprendre des forces.

Femme – Allez, fainéant ! Fais un effort, bon sang ! Lève-toi et marche !

Il reprend un peu ses esprits.

Homme – J’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part.

Femme – Malheureusement, il faut que je te le répète tous les matins. (L’homme regarde sa mère avec un air étonné.) Ça va ? Tu as l’air bizarre…

Homme – C’est toi qui me dis ça ? Écoute maman, ne le prends pas mal, mais…

Femme – Quoi ?

Homme – Je te croyais morte…

Femme – Mais… je le suis.

Un temps.

Homme – Je me disais bien aussi que tu avais quelque chose de changé.

Femme (avec un air pincé) – Ah oui ?

Homme – Non mais… en mieux, je t’assure ! Et papa ?

Femme – Il est mort aussi. Et toi, tu es sûr que tu n’es pas mort ?

Homme – Je ne crois pas…

Femme – Donc tu n’es pas sûr.

Homme – J’imagine que quand on est mort, on le sait, non ?

Femme – Oh, ça… Tu manges bien, au moins ?

Homme – Je ne sais pas… Pourquoi ?

Femme – Si tu manges, c’est que tu n’es pas mort.

Elle fouille dans la poche de son manteau, et en sort une pomme, qu’elle lui tend.

Femme – Tiens, je t’ai apporté ça.

Il prend la pomme avec une certaine méfiance.

Homme – Une pomme… Comme la sorcière dans Blanche-Neige…

Femme – Tu te prends pour Blanche-Neige ?

Homme – Je me méfie, c’est tout.

Femme – Tu te méfies de ta propre mère ?

Homme – Je te rappelle que tu es censée être morte.

Femme – Tu me prends pour une sorcière, c’est ça ?

Homme – Je me méfie de l’eau qui dort. Alors de la mère morte…

La femme regarde autour d’elle.

Femme – Ce n’est pas très gai, cet endroit…

Il semble découvrir à son tour les lieux.

Homme – Non… Où est-ce qu’on est ?

Femme – Ça ressemble à un asile d’aliénés.

Homme – J’imagine que si j’étais fou, on m’aurait mis une camisole.

Femme – Et ta femme ? Elle vient te voir, de temps en temps ?

Homme – Non… Enfin, je ne me souviens pas bien… Je suis marié ?

Femme – Et tes amis ? Tu as des amis, au moins ?

Homme – Je ne sais pas. Je n’ai vu personne.

Femme – Qu’est-ce que tu veux, c’est comme ça… Depuis que tu es tout petit… Tu n’as jamais été très populaire…

Homme – Merci… Ça me remonte le moral…

Femme – Même moi, je me demande pourquoi je suis venue. Tu n’es même pas mort !

Homme – Désolé de te décevoir encore une fois.

Femme – Décidément, tu auras tout raté, dans ta vie. (Elle se lève, commence à partir mais se retourne une dernière fois.) Même ton décès.

Elle sort. Il regarde la pomme. Il croque dedans et repose le reste sur la table de nuit. Il mastique un moment avant d’avaler le morceau.

Homme – Donc, je ne suis pas mort…

Même pas Mort

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Retour

Fred arrive d’un côté, Cécile de l’autre.

Cécile – Fred ? Qu’est-ce que tu fais ici ?

Fred – Eh bien tu vois, je… Je suis revenu.

Cécile – Revenu ?

Fred – J’habite à Paris, maintenant.

Cécile – Super… Ça me fait plaisir de te voir.

Fred – Moi aussi… Comment ça va ?

Cécile – Ça va… Ça va mieux.

Fred – Je suis vraiment désolé.

Cécile – C’est la vie. Mais c’est dur…

Fred – Je comprends.

Cécile – Pour vous aussi, j’imagine. C’était votre ami.

Fred – Oui.

Cécile – Et toi, comment ça va ?

Fred – Ça va.

Cécile – Tu vas rester longtemps à Paris ?

Fred – J’ai acheté une maison.

Cécile – Tu as réussi à trouver une maison à Paris ?

Fred – Je travaille dans l’immobilier, tu sais.

Cécile – Ah oui, c’est vrai.

Fred – Parc Montsouris.

Cécile – Parc Montsouris… C’est le Sud, non ?

Fred – Le Sud de Paris, oui. C’est la première fois que j’achète une maison. Jusque là… j’étais plutôt du genre nomade.

Cécile – Et Max, tu l’as revu ?

Fred – Je le quitte à l’instant, là. Il m’a filé un coup de main pour mon déménagement.

Cécile – Les copains, c’est fait pour ça, non ?

Fred – Oui… Et toi, tu les vois toujours ? Je veux dire… depuis qu’ils sont divorcés.

Cécile – Bien sûr. Alice est une amie…

Fred – Ah oui, c’est vrai… Je crois même que sans toi…

Cécile – Quoi ?

Fred – Non, rien… Et donc toi… tu vas rester dans le coin.

Cécile – Pour l’instant, oui. Après on verra. Je ne sais pas très bien où j’en suis.

Fred – Je comprends… Alors on se reverra ?

Cécile – Peut-être. Mais là, je vais devoir y aller…

Fred – Bien sûr. D’ailleurs moi aussi.

Cécile – À bientôt, peut-être…

Ils s’apprêtent à partir chacun de leur côté. Il la rappelle.

Fred – Cécile ?

Cécile – Oui ?

Fred – Si je t’avais demandé de partir avec moi aux États-Unis, ce soir-là, tu m’aurais suivi ?

Cécile – Tu ne me l’as pas demandé.

Elle sourit et s’en va. Il reste là un instant, et part à son tour.

Les Rebelles

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Demande

Alice prend un café. Max arrive.

Alice – Ça va ?

Max – J’ai un peu mal aux cheveux, mais ça va. Je crois que j’ai un peu forcé sur le champagne…

Alice – Ce n’est pas tous les jours qu’on marie son meilleur copain.

Max – Non…

Alice – C’était sympa.

Max – Oui.

Alice – Ça fait longtemps qu’on ne s’était pas retrouvé comme ça, tous ensemble.

Max – Oui… Enfin… presque tous…

Alice – Il faudrait faire ça plus souvent.

Max – Oui. Il faudra trouver une autre occasion.

Un temps.

Alice – J’ai bien une idée, mais…

Max – Ah oui ?

Alice – Pas toi ?

Max – Je ne sais pas…

Un temps.

Alice – Ça fait déjà un moment qu’on est ensemble. Je suis enceinte…

Max (feignant la surprise) – Tu es enceinte ? (Elle n’a pas l’air de trouver ça drôle.) Je plaisante…

Alice – Je sais, traditionnellement… ce serait plutôt à toi de me faire ta demande, mais… comme ça ne vient pas.

Max – Je suis désolé, je ne pensais pas que… c’était important pour toi.

Alice – Je n’ai pas dit que c’était important, mais… ce serait logique, non ?

Max – Logique ?

Alice – Je veux dire, ce serait dans l’ordre des choses. On habite ensemble, on va avoir un enfant…

Max – Bien sûr.

Alice – Cache ta joie.

Max – Excuse-moi, c’est juste que… Je ne pensais pas qu’on aurait cette conversation ce matin. Je te l’ai dit, j’ai la gueule de bois…

Elle se lève.

Alice – Ce n’était déjà pas évidemment pour moi de t’en parler, mais là, tu vois, je me sens… vraiment mal.

Il se lève et la prend dans ses bras.

Max – Excuse-moi, je suis vraiment désolé. Bien sûr, on va se marier… On s’aime, non ?

Alice – C’est moi qui suis désolée. Pardon. Je n’ai pas été très… C’est ma première demande en mariage, tu comprends.

Max – Oui… Ça se voit un peu.

Alice – Mais il ne faut pas que ce soit une obligation, non plus… Si tu n’as pas envie…

Max – Alice, est-ce que tu veux être ma femme ?

Alice – Oui, je le veux

Max – Alors je nous déclare unis par les liens du mariage.

Alice – Vous pouvez embrasser la mariée…

Ils s’embrassent.

Les Rebelles

Demande Lire la suite »

Désaccord

Max est là avec une guitare basse qu’il est en train d’accorder. Vincent arrive avec une guitare.

Max – Tu as jeté un coup d’œil dans la salle ?

FredOuais…

Max – C’est plein à craquer, tu te rends compte ! Il y en a même qui essaient d’entrer par la sortie de secours, il paraît.

Fred – Ah ouais ?

Max – Tu ne vas pas le croire, il y a une nana qui m’a demandé un autographe…

Fred – Tu lui as laissé ton numéro ?

Max – Même pas…

Fred – Elle n’était pas terrible…?

Max – Elle avait quatorze ans…

Fred – D’accord…

Max – Non mais tu entends ça ?

Fred (la tête ailleurs) – Quoi ?

Max – Ils s’impatientent. Ils sont déjà en train d’applaudir. Notre public nous réclame !

Fred – Ah ouais…

Max – Fred ? Je sens qu’il se passe quelque chose, là. Tu verras, mon vieux. Dans quelques années, quand on sortira notre troisième album, et qu’on fera notre premier Olympia, on se souviendra de ce concert, et on se dira que c’est là où tout a commencé.

Vincent a l’air de chercher quelque chose.

Fred (préoccupé) – Ouais…

Max – Ça va ? Tu n’es pas trop défoncé, au moins ?

Fred – Non, non… Enfin si, mais…

Max – Qu’est-ce qui se passe ?

Fred – J’ai cassé une corde.

Max – Tu as largement le temps de la changer. Et puis si on se fait attendre un peu… Ça fera monter la pression.

Fred – Le problème c’est que… je n’ai pas la corde de rechange.

Max – Tu n’as pas de cordes de rechange ?

Fred – J’en ai, mais… pas celle-là.

Max – Comment ça pas celle-là ?

Fred – La corde de si. Je n’ai pas la corde de si.

Max – C’est une blague ?

Fred – Non…

Max – Putain Vincent…

Fred – Tu n’en aurais pas une, toi ?

Max – Si. J’ai deux jeux de cordes de rechange pour ma basse. Pourtant les cordes de basse, ça ne casse pas souvent, tu vois.

Fred – Désolé…

Max – Il n’y a pas un magasin de musique, dans le coin ?

Fred – On est dimanche.

Max – Putain… Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Fred – Ben… je ne jouerai pas avec cette corde-là, voilà.

Max – Super…

Fred – Il m’en reste quand même cinq.

Max – Si tu n’en casses pas une autre d’ici là…

Fred – Qu’est-ce que tu veux ? C’est mon côté destroy. Jimi Hendrix cassait bien sa guitare sur scène…

Max – Ouais, mais lui il attendait la fin du concert. Et je suis sûr que lui, il avait toujours un jeu de cordes de rechange. Pourquoi tu n’as pas de cordes de rechange ?

Fred – Je n’avais pas de thune.

Max – C’est ça… Mais pour acheter de la beuh, là tu as toujours des thunes.

Fred avance vers lui, menaçant.

Fred – Eh, oh, tu te prends pour ma mère, ou quoi ?

Max – C’est toi qui me prends pour ta mère, Fred. Alors c’est moi qui devrais avoir des cordes de rechange pour ta gratte de merde, c’est ça ? J’en ai ras le bol de jouer avec une bande de loosers.

Fred – Personne ne te retient, Max. Tu fais chier tout le monde. Nous on est là pour s’éclater, pas pour entendre tes leçons de morale…

Fred s’en va. Vincent arrive.

Vincent – Tu as vu le monde qu’il y a dans la salle ?

Max – Ouais.

Vincent – Depuis qu’on a une chanteuse, on a beaucoup plus de succès, tu as remarqué ?

Max – Elle chante faux.

Vincent – Apparemment, les mecs ne viennent pas seulement pour l’écouter… Il faut dire que… Il y a un problème ?

Max – Fred a pété une corde.

Vincent – Et alors…?

Max – Il n’a pas de corde de rechange.

Vincent – Ah merde… (Il sort un joint, l’allume, tire une bouffée et le tend à Max.) Tu en veux ? C’est du Libanais…

Max – Non merci, je préfère rester lucide…

Vincent (hilare) – Lucide ?

Max – Alors toi aussi, tu es défoncé.

Vincent – Complètement. Bon, on y va ? Je crois que notre public nous réclame…

Max – Putain, Vincent, tu ne comprends pas ! Fred joue déjà comme un manche avec six cordes, alors avec cinq. Le public va nous massacrer…

Vincent – Le public ? Ne t’inquiète pas. C’est nos potes ! Et ils sont encore plus défoncés que nous…

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Entrée de secours

Il est debout, les bras croisés, devant une porte imaginaire. Elle arrive.

Cécile – Excusez-moi, c’est bien ici, l’entrée des artistes ?

Tom – Affirmatif.

Cécile – Donc c’est bien par là qu’ils vont sortir.

Tom – Qui ça ?

Cécile – Les membres du groupe ! Les Rebelles !

Tom – Ah, je ne crois pas, non.

Cécile – Vous venez de me dire que c’était là.

Tom – Je vous ai dit que c’était l’entrée des artistes.

Cécile – Et alors ?

Tom – Je ne vous ai pas dit que c’était la sortie des artistes.

Cécile – Parce qu’il y a aussi une sortie des artistes ?

Tom – Ça je n’en sais rien, mademoiselle. Moi on m’a dit de surveiller cette porte, je la surveille, c’est tout…

Cécile – Mais regardez, à côté du panneau « entrée des artistes », c’est aussi marqué « sortie de secours ».

Tom – Ah oui…

Cécile – Ça veut dire qu’ils peuvent aussi sortir par là.

Tom – S’il y a un incendie, oui.

Cécile – Vous pensez qu’ils ne sortiront par là que s’il y a un incendie ?

Tom – Un incendie ou…

Cécile – S’il y a une sortie de secours… il y a peut-être aussi une entrée de secours.

Tom – Pour quoi faire ?

Cécile – Je ne sais pas… Au cas où il y aurait un incendie dehors.

Tom – Peut-être.

Cécile – Donc vous ne savez pas par où ils vont sortir ?

Tom – Non.

Cécile – Vous n’êtes pas au courant de grand chose. Pour un vigile…

Tom – Je ne fais que mon boulot.

Cécile – Et c’est quoi votre boulot ?

Tom – De surveiller l’entrée des artistes.

Cécile – Pour ?

Tom – Pour que personne ne rentre.

Cécile – Sauf les artistes, donc.

Tom – Sauf les artistes.

Cécile – Bon, mais moi, je ne veux pas entrer. Je veux juste leur demander un autographe quand ils vont sortir.

Tom – Pour sortir, il faudrait déjà qu’ils soient rentrés.

Cécile – Ah parce qu’ils ne sont pas encore entrés ?

Tom – Non.

Cécile – Vous auriez pu me le dire avant.

Tom– Vous ne me l’avez pas demandé.

Cécile – D’accord…

Tom – Du coup, vous pourrez toujours leur demander quand ils vont rentrer.

Cécile – Leur demander quoi ?

Tom – Leur demander par où ils vont sortir.

Cécile – Ce serait plus simple que je leur demande un autographe directement quand ils vont entrer, non ?

Tom – Ça c’est vous qui voyez.

Cécile – Et si vous me laissiez entrer ?

Tom – Pour quoi faire ?

Cécile – Pour les attendre à l’intérieur. J’ai l’impression qu’il va pleuvoir…

Tom – Ah, ça, ça ne va pas être possible, mademoiselle. À moins que…

Cécile – À moins que…?

Tom – À moins que vous ne me laissiez votre numéro de téléphone.

Cécile – Vous ne manquez pas de culot, vous…

Tom – Non, mais je vous fais marcher.

Cécile – Quoi ?

Tom – Évidemment qu’ils sont déjà là, le concert commence dans un quart d’heure.

Cécile – D’accord… Vous êtes un comique, vous. Pour un vigile…

Tom – C’est sûrement parce que je ne suis pas vigile.

Cécile – Vous êtes qui, alors ?

Tom – Je viens pour le concert, comme vous. J’étais sorti fumer un pétard en attendant que ça commence. C’est un groupe du quartier, vous savez. Ce n’est pas les Rolling Stones. Vous croyez vraiment qu’ils ont les moyens de se payer un vigile ?

Cécile – Je ne sais pas…

Tom – En tout cas, ils ont déjà une fan. D’ailleurs, vous êtes la seule. Ça va leur faire plaisir.

Cécile – Je vous faisais marcher moi aussi. En fait, si je cherchais l’entrée des artistes, c’était pour pouvoir entrer sans payer. Comme je vous ai pris pour un vigile…

Tom – Je vois…

Cécile – Vous croyez que c’est possible de rentrer par là ?

Tom – Sûrement. J’ai bien réussi à sortir.

Cécile – Bon, ben j’y vais alors…

Tom – Mais je ne comprends toujours pas pourquoi vous tenez absolument à entrer par la sortie de secours.

Cécile – Je vous l’ai dit. Pour ne pas payer.

Tom – Payer ? Le concert est gratuit. Vous croyez vraiment que quelqu’un accepterait de payer pour écouter Les Rebelles ?

Elle semble interloquée.

Cécile – Vous avez raison, j’ai dû confondre avec un autre groupe…

Tom – Laissez-moi votre numéro. Quand il y aura un groupe qui vaut vraiment le coup, je vous appellerai…

Cécile – Bien sûr…

Il allume un joint et lui tend.

Tom – Vous en voulez ? C’est du Libanais.

Elle prend le joint, tire une bouffée, et fait la grimace.

Cécile – Ça vient du Liban, ça ?

Tom – En tout cas, le type qui me l’a vendu était libanais. Enfin c’est ce qu’il m’a dit…

Les Rebelles

 

Entrée de secours Lire la suite »

Pour finir

Un homme et une femme sont assis sur ce qui sʼavérera être des fauteuils de théâtre. Au choix du metteur en scène, les deux comédiens pourront aussi être assis dans la salle. La femme somnole. Lʼhomme la secoue un peu pour la réveiller.

Homme – Réveille-toi, le spectacle est fini. Les gens commencent à partir. Si on ne veut pas se faire remarquer...

La femme reprend peu à peu ses esprits.

Femme – Je suis vraiment désolée. Alors je me suis endormie ?

Homme – Je te poussais du coude de temps en temps quand tu commençais à ronfler, mais tu dormais tellement profondément… Je nʼai pas osé te réveiller.

Femme – Alors je nʼai rien vu de la pièce ?

Homme – Je ne sais pas si tu as raté grand chose. Je crois que moi aussi, jʼai piqué du nez à certains moments…

Femme – Cʼest curieux, jʼai fait des rêves bizarres.

Homme – Quels rêves ?

Femme – Je ne sais plus… De drôles dʼhistoires… Je ne pensais pas quʼon pouvait rêver autant en si peu de temps. Ça durait quoi, cette pièce ? Une heure ?

Homme – Une heure, en temps réel. Mais ça mʼa paru durer une éternité…

Femme – Moi, mes rêves, cʼétait du délire… Il y avait lʼinspecteur Colombo et Einstein qui arrivaient au paradis. Deux flics qui enquêtaient sur la mort de Van Gogh…

Homme – Dommage que tu ne tʼen souviennes plus. Tu aurais pu en faire une comédie à sketchs.

Femme – Ça me reviendra peut-être…

Homme – Mais pour lʼinstant, il faut y aller… Les gens commencent à nous regarder avec un drôle dʼair…

Femme – En tout cas, merci, jʼai passé un très bon moment.

Homme – Je suis content que ça tʼait plu.

Femme – Oui, on devrait aller plus souvent au théâtre…

Ils se lèvent pour sortir.

Drôles d’histoires

 

Pour finir Lire la suite »

Noir corbeau

Deux personnages.

Vincent – Tu sais pourquoi Van Gogh s’est coupé l’oreille ?

Paul – Qui ?

Vincent – Van Gogh !

Paul – Le peintre ?

Vincent – Pourquoi? Tu connais un Van Gogh qui serait coiffeur, charcutier ou coureur cycliste ?

Paul – Non…

Vincent – Bizarre, quand même…

Paul – Qu’il n’y ait aucun charcutier qui s’appelle Van Gogh ?

Vincent – De se couper l’oreille !

Paul – Pourquoi il a fait ça ?

Vincent – C’est ce que je viens de te demander…

Paul – Et comment je le saurais ?

Vincent – Il paraît qu’il l’a offerte à Gauguin, emballée dans du papier journal.

Paul – Il aurait mieux fait de l’offrir à Beethoven.

Vincent – Beethoven n’était pas peintre.

Paul – Non. Mais il était sourd. Tu n’as pas lu les pièces de Roland Dubillard ?

Vincent – Non…

Paul – Remarque, il n’a pas vendu une toile de son vivant.

Vincent – S’il écrivait des pièces de théâtre.

Paul – Van Gogh ! C’est peut-être pour ça qu’il s’est coupé l’oreille.

Vincent – Par dépit ?

Paul – C’est vrai que je ne connais personne qui ait tenté de se suicider en se tranchant l’oreille…

Vincent – Il a peut-être essayé de se trancher la gorge, il a raté son coup, et c’est l’oreille qui a tout pris. Il y a des gens maladroits.

Paul – Et il aurait inventé tout ça pour éviter de passer pour un manchot ? Un peu tiré par les cheveux, non ?

Vincent – D’ailleurs Van Gogh n’était pas encore né quand Beethoven est mort. Je ne vois pas comment il aurait pu lui donner son oreille…

Paul – Ou alors il s’est coupé en se rasant. Et après on en a fait tout un fromage, parce que c’était Van Gogh.

Vincent – Moi, quand je me coupe l’oreille, personne n’en parle…

Paul – C’est pas mal, ses tableaux, mais bon… Est-ce que ça vaut vraiment ce que ça coûte ?

Vincent – Si personne ne lui achetait de toiles de son vivant, ce n’est peut-être pas par hasard.

Paul – C’est sûrement eux qui avaient raison. Van Gogh, ça ne vaut pas un clou. Le clou pour accrocher le tableau…

Vincent – Ni la corde pour le pendre.

Paul – Il s’est pendu ?

Vincent – Qui ?

Paul – Van Gogh !

Vincent – Non, pourquoi ?

Paul – Laisse tomber…

Vincent – Et Beethoven ? Les gens lui achetaient sa musique, de son vivant?

Paul – Ouais, mais bon, Beethoven… Il faisait plutôt de la musique classique…

Vincent – Ça se vend toujours, la musique classique.

Paul – C’est jamais très à la mode, mais du coup ça vieillit moins vite.

Vincent – C’est ce que je dis toujours à ma femme. Le classique, c’est indémodable.

Paul – Mais Van Gogh…

Vincent – Ça vieillit mal.

Paul – Comme Picasso.

Vincent – Qui adorait la corrida…

Paul – C’est normal, il était espagnol.

Vincent – On dit que finalement, c’est peut-être Gauguin qui lui aurait coupé l’oreille, à Van Gogh. D’un coup d’épée… C’est même pour ça qu’il se serait taillé, à Tahiti.

Paul – Gauguin aussi aimait la corrida ?

Vincent – Pourquoi ? Il y a des corridas, à Tahiti ?

Paul – À cause de l’oreille ! Et de l’épée…

Vincent – Tu crois que dans un moment de folie, Gauguin, se prenant pour Picasso, aurait pu confondre Van Gogh avec un taureau…?

Paul – Gauguin n’était pas fou. C’est Van Gogh, qui l’était.

Vincent – La preuve, il s’est suicidé…

Paul – On peut se suicider sans être fou…

Vincent – Il s’est tiré une balle dans les champs.

Paul – Il ne s’est pas tiré une balle dans le cœur ?

Vincent – Si, dans les champs. Avec les corbeaux. C’est même le dernier tableau qu’il a peint.

Paul – Et sur le tableau, on voit Van Gogh se suicider ?

Vincent – On voit juste les corbeaux qui lui tournent autour.

Paul – Comme des vautours…

Vincent – Ils sentent ces choses-là… C’est l’instinct… Tu sais que ça vit très longtemps…

Paul – Les vautours ?

Vincent – Les corbeaux !

Paul – Plus longtemps qu’un artiste peintre, en tout cas…

Vincent – Ça dépend. Regarde Picasso. Il a vécu jusqu’à près de cent ans.

Paul – Bon, c’est pas le tout, mais j’ai du boulot. Qu’est-ce que je te fais, aujourd’hui, Vincent…?

Vincent – Comme d’habitude, Paul.

Paul – Bien dégagé derrière les oreilles ?

Vincent – Pas trop quand même…

Paul – Disons que je te laisse les oreilles.

Vincent – Voilà.

Paul – Mais si je dois en couper une, tu préfères que je te laisse laquelle ?

Vincent – Quelle oreille il s’était coupée, Van Gogh ?

Paul – La gauche.

Vincent – Bon ben laisse-moi la droite, alors… Si je veux avoir une chance de passer à la postérité. Tu as le journal ?

Paul – Pour emballer ton oreille ?

Vincent – Pour le lire…

Paul – Si je te coupe une oreille, tu crois que ce sera dans le journal ?

Vincent – Non…

Paul – Et si je te coupe les deux.

Vincent – Pas forcément…

Paul – Et si je te coupe les deux oreilles et la queue ?

Vincent – En Espagne, peut-être…

De toutes les couleurs

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La dernière séance

Deux personnages font face au public.

Un – Être…?

Deux – Ou ne pas être ?

Un – Le monde quoi qu’il en soit ne sera pas éternel.

Deux – Et pour toute chose un jour viendra la dernière fois.

Un – Le dernier match.

Deux – Le dernier concert.

Un – Le dernier ballet.

Deux – La dernière représentation

Un – Un jour, le rideau tombera sur la dernière représentation de la dernière pièce de théâtre devant un public.

Deux – En présentiel.

Un – La lumière s’éteindra pour toujours, et les comédiens regagneront leurs loges.

Deux – Pour la dernière fois.

Un – Le public sortira de la salle pour se fondre dans la nuit.

Deux – Ce sera la dernière séance.

Un – Il n’y aura plus d’acteurs et plus de spectateurs.

Deux – Il n’y aura plus de lumière.

Un – Il n’y aura plus que la nuit.

Deux – Alors profitons encore un instant d’être là ensemble.

Un – Avant que la lumière ne s’éteigne.

Deux – Définitivement.

Brèves de confinement

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Déjà vu

Deux personnages se croisent.

Un – Excusez-moi mais… il me semble vous avoir déjà vu quelque part.

Deux – Oui, c’est curieux, moi aussi…

Un – Je ne vois pas où on aurait pu se croiser.

Deux – Non, moi non plus…

Un – Vous allez trouver ça étrange mais… en vous voyant, j’ai l’impression de me voir dans un miroir.

Deux – Pourtant on ne se ressemble pas du tout.

Un – Non.

Un temps.

Deux – J’ai été hospitalisé à l’étranger pendant quelque temps.

Un – Ah oui…? Moi aussi…

Deux – C’est peut-être là où on s’est croisés.

Un – C’était pour une opération aux yeux. Une greffe, en réalité. Et vous ?

Deux – Moi, c’était une greffe de visage.

Un – Je vois. À la suite d’une brûlure, sans doute.

Deux – Non… Mais le mien commençait vraiment à être un peu trop ridé. C’est que je vais sur mes 153 ans, tout de même.

Un – Félicitations…

Deux – Donc nous ne sommes jamais rencontrés.

Un – Probablement pas.

Deux – Mais si nous avons le même donneur…

Un – C’est peut-être avec ses yeux que je regarde à présent son visage…

Brèves de confinement

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