.

Mauvais goût

Un personnage habillé avec des couleurs criardes, et n’allant pas du tout ensemble, se présente devant un autre, vêtu d’une blouse blanche.

Un – Bonjour Docteur.

Deux – Alors, qu’est-ce qui vous amène, chère madame ?

Un – Eh bien voilà, Docteur, j’ai perdu le sens du goût.

L’autre jette un coup d’œil à sa tenue.

Deux – Le sens de l’odorat, aussi ?

Un – Euh, non… Juste le sens du goût. Mais c’est déjà très contrariant.

Deux – J’imagine…

Un – Vu mon métier, je dirais même que c’est très handicapant.

Deux – Vous travaillez dans un restaurant, peut-être ? Ou bien vous êtes critique gastronomique ?

Un – Pas du tout… je suis styliste.

Deux – D’accord… (Il lui tend une boîte.) Vous voulez un bonbon ?

L’autre semble surprise.

Un – Pourquoi pas ?

Elle prend un bonbon, le met dans sa bouche et commence à le mâchouiller.

Deux – J’ai toujours des bonbons sur mon bureau. Pour les enfants, vous comprenez ? Ça les rassure…

Un – Bien sûr…

Deux – C’est un bonbon à la menthe.

Un – Oui, je vois ça…

Deux – Donc, vous sentez bien le goût de la menthe ?

Un – Oui, pourquoi ?

Deux – Comme vous m’avez dit que vous aviez perdu le sens du goût…

Un – Ah, oui… mais non ! Pas du tout ! Je me suis mal fait comprendre… Quand je parlais du goût, je voulais dire… le bon goût.

Deux – C’est bien ce que je pensais…

Un – Ce matin, par exemple, j’ai ouvert la porte de mon dressing et… voilà ce que je me suis mis sur le dos.

Deux – Je vois…

Un – Vous trouvez que c’est de bon goût ?

Deux – Non, en effet, on ne peut pas dire ça…

Un – Voilà, c’est ce que je vous disais : j’ai complètement perdu le sens du goût.

Deux – C’est évident.

Un – Et vous pouvez me prescrire quelque chose, Docteur ?

Deux – Si c’était le symptôme d’une maladie infectieuse, peut-être, mais là…

Un – Vous ne pouvez pas me laisser comme ça !

Deux – Ou alors, il s’agit d’un nouveau virus, encore inconnu.

Un – Le virus du mauvais goût ?

Deux – Et… vous avez une idée de l’endroit où vous auriez pu attraper ça ?

Un – Je ne sais pas… J’ai fait un voyage en Angleterre il n’y a pas très longtemps…

Deux – Bon, on va commencer par vous mettre en quarantaine pendant deux semaines, au cas où.

Un – En quarantaine ?

Deux – On ne peut pas vous laisser sortir comme ça !

Un – Et pourquoi ça ?

Deux – Mais… parce que vous pourriez sans le vouloir lancer une mode ! Vous avez vraiment envie de voir dans la rue tout le monde habillé comme ça ? Et vous dire que vous êtes responsable de cette catastrophe ?

Un – Non, bien sûr…

Deux – Donc, vous ne sortez pas de chez vous pendant une quinzaine de jours.

Un – Bien Docteur…

Deux – Et ensuite vous revenez me voir. (Il jette un dernier regard à la tenue de l’autre.) On verra si ça va mieux.

Un – Bien Docteur. Merci Docteur…

Le personnage sort. L’autre s’apprête à partir aussi et soupire.

Deux – Décidément, j’aurai tout vu… Heureusement, c’était mon dernier rendez-vous… J’espère au moins que ce n’est pas trop contagieux…

Il sort un instant, et revient sans sa blouse blanche. Il porte la même tenue de très mauvais goût que l’autre.

Brèves de confinement

Mauvais goût Lire la suite »

Retour à la vie

Un personnage en blouse blanche en croise un autre portant la même tenue, et avec un dossier à la main.

Un – Ça va ?

Deux – Ouais…

Un – On dirait que tu viens de voir un mort.

Deux – Un mort ? Ce serait plutôt le contraire…

Un – Et c’est quoi le contraire d’un mort ?

Deux – En l’occurrence, il s’agirait plutôt d’une résurrection.

Un – Tu as vu un de tes anciens patients sortir de son tiroir à la morgue ?

Deux – Presque… Le patient de la chambre 301, il vient de se réveiller.

Un – La chambre 301 ?

Deux – Un type qui est là depuis au moins dix ans. Tu ne te souviens pas ?

Un – Je ne savais même pas qu’il y avait une chambre 301. Je pensais qu’il n’y avait que 300 chambres dans cet hôpital.

Deux – Il a été hospitalisé à la suite d’un accident. Et il n’est jamais sorti du coma.

Un – Bon… Et alors ?

Deux – Eh bien il vient de se réveiller.

Un – Ah merde…

Deux – Oui, je sais… Ça devrait être une bonne nouvelle, mais…

Un – Ouais…

Un temps.

Deux – Il y a dix ans, il a quitté un monde où on pouvait sortir de chez soi sans attestation, pour aller boire un verre au café avec des amis, pour aller voir un film au cinéma… ou simplement pour flâner sur les boulevards. Et tout ça sans masque.

Un – Oui… Le réveil va être brutal. Quand tu vas lui dire que de nos jours, tout ça n’existe plus…

Deux – Plus de cafés, plus de restaurants, plus de cinémas, plus de théâtres…

Un – Il vaut peut-être mieux ne rien lui dire…

Deux – Il va bien finir par s’en rendre compte.

Un – Ouais…

Deux – Tant qu’il est à l’hôpital, ça va…

Un – Mais quand il va sortir dans la rue…

Deux – Ça va lui faire un choc.

Un – Qu’est-ce qu’il faisait comme métier ?

L’autre jette un œil au dossier, avant de regarder à nouveau son collègue avec un air dramatique.

Deux – Intermittent du spectacle…

Un – Ah merde… Et en plus son métier n’existe plus…

Deux – Je ferais peut-être mieux de le débrancher, non ?

Un – Tu m’as dit qu’il venait de se réveiller !

Deux – Il est encore sous assistance respiratoire…

Un temps.

Un – Je ne sais pas… Écoute ta conscience…

Deux – Oui.

Un temps.

Un – Non, mais je plaisantais, évidemment.

Deux – Bien sûr… Moi aussi…

Ils ont l’air de ne pas trop savoir jusqu’où ils plaisantent ou pas.

Un – Allez… Je suis sûr que tu prendras la bonne décision.

Il donne à son collègue une tape dans le dos et s’éloigne. L’autre reste perplexe.

Brèves de confinement

Retour à la vie Lire la suite »

Conversation virale

Deux personnages dans des costumes suggérant qu’ils personnifient des virus. Ils semblent attendre, et feignent de s’ignorer, avant que le premier ne se décide à saluer timidement l’autre.

Un – Bonjour.

Deux – Bonjour.

Un – Vous êtes nouveau, dans le coin ?

Deux – On peut dire ça, oui.

Un – Et vous êtes comme moi, vous attendez que quelqu’un passe.

Deux – Ça ne devrait pas tarder. C’est une rue assez passante. Enfin, c’était…

Le premier lui tend la main.

Un – Je suis le virus de la grippe, et vous ?

Après une légère hésitation, l’autre lui serre la main.

Deux – Covid 19.

Un – Je m’en doutais ! Le fameux Covid 19 ?

Deux (faussement modeste) – Oh, fameux…

Un – Attendez, vous plaisantez !

Deux – La grippe espagnole a fait 100 millions de morts.

Un – Mais vous avez fait un milliard de chômeurs ! Le confinement, l’état d’urgence, l’hécatombe dans les maisons de retraite, le report d’une semaine du Black Friday… C’est vous !

Deux – C’est vrai…

Un – Non, franchement, respect ! Je vous assure, vous êtes mon idole.

Deux – Et vous, comment ça va ? La saison automne-hiver, ça se présente bien ?

Un – Oh, vous savez, nous ça bricole.

Deux – Je suis navré de l’entendre…

Un – Et puis il faut bien reconnaître que vous nous avez fait beaucoup de tort… Les gens ne sortent plus de chez eux.

Deux – Je suis vraiment désolé…

Un – Ne vous excusez pas. Et profitez-en bien. Parce que tout ça n’aura qu’un temps, vous savez…

Deux – Vous croyez ?

Un – Dès qu’ils auront trouvé un vaccin efficace…

Deux – On peut toujours muter. Vous par exemple, vous revenez tous les ans. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre…

Un – C’est vrai. On fait partie des indémodables.

Deux – Contrairement à tous ceux qui ont été purement et simplement éradiqués, ou presque : la peste, le choléra, le tétanos… et tant d’autres qui se croyaient invincibles.

Un – Le choléra se défend encore assez bien, il paraît…

Deux – Oui, mais son heure de gloire est derrière lui. C’est la maladie du pauvre…

Un – Pour la lèpre, en revanche, les carottes sont cuites.

Deux – Encore une espèce en voie d’extinction. C’est triste mais c’est comme ça… Place aux jeunes !

Un – Aux jeunes… c’est-à-dire vous.

Deux – Vous l’avez dit vous-même, ce ne sera pas éternel, alors autant en profiter.

Un – Ah, en voilà un qui arrive… Je vous le laisse ? Vous me montrerez ce que vous savez faire…

Deux – Je vous proposerais bien de partager, mais… regardez. Il porte un masque, et il tient son gel hydroalcoolique à la main, prêt à dégainer.

Un – Je vous le dis, vous avez tapé trop fort. Maintenant, ils se méfient.

Deux – Et si on reste plantés là pendant une heure, on est morts.

Un – Je vais aller faire un tour à la crèche.

Deux – C’est déjà Noël ?

Un – La crèche ! Pour les bébés.

Deux – Ah oui, bien sûr… Vous avez raison, la crèche, c’est l’avenir. Parce que les maisons de retraite…

Un – Ce n’est pas l’avenir, c’est sûr…

Conversation virale Lire la suite »

Effets secondaires

Deux personnages, potentiellement en couple.

Un – Tu crois qu’on a bien fait ?

Deux – Si ça peut aider.

Un – Oui… Et puis est-ce qu’on avait vraiment le choix…?

Deux – C’est sûr.

Un – Après tout, ce n’est jamais qu’un vaccin.

Deux – Si on peut faire avancer la recherche.

Un – Oui… Et comme on n’est pas médecins…

Deux – On peut toujours servir de cobayes.

Un temps.

Un – Je n’ai pas très bien compris, c’est quoi ce vaccin, exactement ?

Deux – Je ne sais pas… C’est nouveau… C’est encore expérimental…

Un – Nouveau, d’accord, mais c’est un vaccin contre quoi ?

Deux – Je ne pense pas qu’ils nous l’aient dit.

Un – On s’en souviendrait, non ?

Deux – Oui, sûrement…

Un – Ils n’ont pas dû nous le dire.

Deux – Non.

Un – De toute façon, même s’ils nous l’avaient dit…

Deux – Ils auraient pu nous dire n’importe quoi.

Un – C’est sûr.

Un temps.

Deux – Avant, ils commençaient par faire des essais sur les animaux.

Un – Mais maintenant qu’il n’y a plus d’animaux.

Deux – Les animaux sauvages ont tous disparu.

Un – Et l’élevage a été remplacé par la culture cellulaire.

Deux – Du coup, ils font les essais directement sur l’homme.

Un temps.

Un – Tu crois qu’il y aura beaucoup d’effets secondaires ?

Deux – Je ne sais pas.

Un temps.

Un – Tu as déjà remarqué quelque chose, toi ?

Deux – Quelque chose ?

Un – Des effets secondaires.

Un temps.

Deux – Quand j’ai pris ma douche ce matin, j’ai remarqué que mes ongles de pied s’étaient transformés en griffes.

Un – En griffes ? Comme un chat, tu veux dire.

Deux – Plutôt comme un loup.

Un – Ah oui…

Deux – J’ai aussi remarqué que j’avais beaucoup plus de poils sur le dos.

Un – Non ?

Deux – Et les dents de devant qui poussent, aussi.

Un – D’accord…

Deux – Et toi ?

Un – Moi j’ai remarqué que mes pieds s’étaient transformés en sabots ?

Deux – Comme un cheval, tu veux dire ?

Un – Plutôt comme une brebis. Parce que moi, sur le dos, ce serait plutôt de la laine.

Deux – Ça doit être un effet secondaire.

Un – Oui…

Un temps.

Deux – Ou alors, c’est l’effet principal.

Un – L’effet principal ?

Deux – Un loup et une brebis…

Un – Je vois ce que tu veux dire.

Deux – Ah oui…?

Un – Il s’agit peut-être de reconstituer la faune de cette planète.

Deux – Si on peut participer à la réintroduction d’espèces disparues.

Un – Oui.

Deux – Mais alors ici, dans notre salon…

Un – Comment va se passer la cohabitation ?

Deux – C’est sûr… Un loup et une brebis…

Un temps.

Un – Pourquoi ils ont fait ça ?

Deux – Je ne sais pas.

Un – Le loup va bouffer la brebis…

Deux – Et quand il n’y aura plus de brebis, les loups devront se bouffer entre eux.

Un – Ce sera la fin de notre espèce.

Un temps.

Deux – Mais alors c’est un vaccin contre quoi, exactement ?

Un – Je ne sais pas.

Deux – Contre l’espèce humaine ?

Un – C’est peut-être un complot.

Deux – Organisé par qui ?

Un – Par des virus ?

Un temps.

Deux – On avait raison de se méfier des vaccins.

Brèves de confinement

Effets secondaires Lire la suite »

Retour à la nature

Un personnage est là, un autre arrive.

Un – Alors ? L’internet est revenu ?

Deux – Non…

Un – Ça fait déjà trois jours ! On est complètement coupés du monde.

Deux – Oui…

Un – Plus d’internet, plus de télévision, plus de téléphone… Même les piles de la radio viennent de nous lâcher. Il pourrait se passer n’importe quoi, on ne serait pas au courant…

Deux – Non…

Un – On ne va même pas pouvoir écouter l’intervention du Président sur l’évolution de la crise sanitaire…

Deux – Non…

Un – Ça va ?

Deux – J’hésitais à t’en parler pour ne pas te démoraliser, mais…

Un – Quoi ?

Deux – Avant que les piles de la radio nous lâchent aussi, j’ai pu capter pendant quelques minutes une station qui émet encore depuis Limoges.

Un – Et quelles sont les nouvelles…?

Deux – Elles ne sont pas bonnes…

Un – Je m’en doute.

Deux – La pandémie est totalement hors de contrôle. Le virus mute toutes les deux heures, et il est de plus en plus virulent. Plus aucun vaccin n’est efficace.

Un – Il y a beaucoup de victimes ?

Deux – Un tiers de la population mondiale a déjà disparu. Un autre tiers est contaminé. Le reste ne devrait pas échapper à la contagion.

Un – Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Deux – Pas grand chose, hélas. On vit sur une île, heureusement, alors on est relativement protégés.

Un – Ça n’est que l’Ile de la Cité…

Deux – C’est maintenant une île déserte. Tous les autres habitants sont déjà morts.

Un – La moyenne d’âge était déjà très élevée…

Deux – Mais de quoi on va vivre ? Qu’est-ce qu’on va manger ?

Un – Il nous reste des provisions pour un mois environ, en se rationnant un peu. Mais après…

Deux – On ne pourra compter que sur la cueillette et la chasse.

Un – Au moins, de ce côté là, on ne risque pas de manquer. La faune et la flore réinvestissent peu à peu les territoires abandonnés par la République… Les banlieues retournent à l’état sauvage.

Deux – On a même vu des lions et des éléphants dans Paris.

Un – Ils ont dû s’échapper du zoo de Vincennes.

Deux – Il n’y en a encore que quelques-uns, mais s’ils se reproduisent…

Un – Chassez le naturel, il revient au galop. Cinq ou dix mille ans de civilisation qui seront peut-être oubliés d’ici quelques années.

Deux – Un virus aura suffi à remettre l’Homme à sa place.

Un – Et c’est quoi, sa place ?

Deux – Je ne sais pas. En tout cas, ce n’est pas toute la place.

Un – C’est dingue.

Deux – Oui.

Un – Il paraît même qu’on a aperçu un troupeau de licornes sur les Champs-Élysées.

Ils se regardent et se marrent.

Deux – On ne devrait pas plaisanter avec ça.

Un – Non. (Il regarde son téléphone) Ah, ça y est, l’internet est revenu.

Deux – Alors qu’est-ce qu’il dit, notre cher Président ?

Un – C’est toujours le bordel… Les maisons closes vont rouvrir, mais on ne laissera sortir que ceux qui sont vaccinés.

Deux – Et toi, tu vas te faire vacciner ?

Un – Je ne sais pas, j’hésite encore…

Deux – Tu as raison, on ne connaît pas encore les effets secondaires…

Retour à la nature Lire la suite »

Candidat vaccin

Un personnage est déjà là. Un autre arrive, dans une combinaison suggérant l’idée qu’il personnifie un vaccin.

Un – Bonjour… Alors, c’est vous le candidat vaccin ?

Deux – C’est moi.

Un – Mais dites-moi… J’ai regardé votre CV, il n’y a strictement rien dessus.

Deux – En effet, je suis nouveau. Donc je n’ai aucune expérience.

Un – Je vois… Et qu’est-ce que vous pourriez me dire pour me convaincre de vous employer ?

Deux – Je suis efficace à 95%.

Un – Bien sûr… Mais vous savez, ils disent tous ça… Qu’est-ce qui m’oblige à vous croire ?

Deux – Si j’avais voulu vous mentir, je vous aurais dit 100%.

Un – Oui… mais 95% c’est plus crédible, non ? C’est comme pour les élections. Aucun dictateur ne recueille jamais 100% des voix.

Deux – Dans ce cas, j’aurais pu vous dire efficace à 51,64 %. Ç’aurait été encore plus crédible.

Un – Mais moins convainquant… C’est le score obtenu par François Hollande quand il a été élu. On a vu le résultat…

Deux – C’est pour ça que 95%, ça me semblait bien.

Un – D’accord. Et pour les effets secondaires ?

Deux – Aucun effet secondaire.

Un – Aucun ? Là ce n’est pas crédible du tout, avouez le…

Deux – On a relevé un ou deux cas de cannibalisme, mais le lien avec le vaccin n’a pas été formellement établi.

Un – Bon…

Deux – J’ajouterai que je ne coûte presque rien, et que je peux rapporter le double.

L’autre réfléchit un instant.

Un – OK… On vous prend à l’essai.

Deux – À l’essai ?

Un – À l’essai thérapeutique !

Deux – Merci de votre confiance, vous ne serez pas déçu, je vous le promets…

Un – J’espère. Et dans quelques mois, s’il n’y a pas trop de victimes, vous serez le candidat élu. Vous avez quelque chose à ajouter ?

L’autre se met au garde-à-vous.

Deux – Vive la République et vive la France.

Un – N’en faites pas trop quand même…

Brèves de confinement

Candidat vaccin Lire la suite »

Click and collect

Un personnage est là, semblant chercher son chemin. Un autre arrive et l’interpelle, tout en le gratifiant d’un salut militaire.

Un – Bonjour monsieur. Attestation, s’il vous plaît.

Deux – Tout de suite, monsieur l’agent… (Il fouille dans ses poches et finit par en sortir un papier froissé.) Ah, la voici !

L’autre examine le papier, et s’arrache les yeux pour essayer de lire ce qui est inscrit dessus.

Un – Qu’est-ce que vous avez marqué, là ? Je n’arrive pas à lire…

Deux – Faites voir… (L’autre lui tend le papier.) Ah c’est curieux, moi non plus… Attendez voir… Qu’est-ce que j’ai encore fait de mes lunettes…

Il finit par trouver ses lunettes, qu’il a accrochées autour du cou, et examine le papier avec un air dubitatif.

Un – Alors ?

Deux – Non, décidément, je n’arrive pas à déchiffrer…

Un – C’est vous qui l’avez remplie, cette attestation, non ? Vous devriez savoir ce qu’il y a dessus…

Deux – D’accord, j’avoue, monsieur l’agent : c’est illisible parce que… c’est en langage codé.

Un – En langage codé ?

Deux – Au cas où je perde ce papier, vous comprenez, pour que personne ne sache où je suis allé.

Un – Mais vous, vous connaissez le code…

Deux – Eh bien… Oui, je devrais… Mais tout de suite, là, je ne m’en souviens pas… Vous savez ce que c’est, avec les codes.

Un – Dans ce cas, je vais devoir vous verbaliser. Ça fait 135 euros si vous payez tout de suite.

Deux – 135 euros ! Et si je paie plus tard ?

Un – Pareil… 135 euros.

Il sort son carnet à souche.

Deux – Ça y est ! Ça me revient maintenant.

Un – Tiens donc…

Deux – Je vais acheter une télé.

Un – Une télé ?

Deux – Oui, une télé.

Un – Ce n’est pas un achat essentiel.

Deux – Ça dépend.

Un – Ça dépend de quoi ?

Deux – Si c’est pour du télétravail.

Un – Du télétravail ?

Deux – Je suis en télétravail. Comme nous l’a recommandé le Chef de l’État…

Un – Et votre travail, c’est de regarder la télé ?

Deux – Absolument.

Un – Et c’est quoi, votre travail ?

Deux – Je fais de la télésurveillance.

Un – De la télésurveillance ?

Deux – De la télésurveillance.

Un – C’est-à-dire ?

Deux – Vous êtes policier, et vous ne savez pas ce que c’est que la télésurveillance ?

Un – Si, évidemment.

Deux – Alors si vous savez, pourquoi vous me demandez ce que c’est ?

Un – La télésurveillance, ça ne veut pas dire regarder la télé, si ?

Deux – Pourquoi pas ? Si les gens qu’on vous a demandé de surveiller travaillent à la télévision…

Un – Et qui pourrait vous demander de surveiller les gens qui travaillent à la télévision…?

Deux – Là, si vous permettez, monsieur l’agent, cela relève du secret professionnel. Pour ne pas dire du secret d’État… voire du secret défense. Vous êtes un militaire, vous aussi.

Un – Non.

Deux – Quoi qu’il en soit, vous êtes au service de la République, comme moi. Alors entre collègues…

Un – Collègues ?

Deux – Vous vous souvenez du Ministère de l’Information ?

Un – Non.

Deux – Le temps béni de l’ORTF. À l’époque, l’État n’avait pas besoin de surveiller les journalistes, c’est lui qui les embauchait. Mais maintenant… il faut bien les garder à l’œil d’une façon ou d’une autre, vous ne croyez pas ?

Un – Si… Enfin, je ne sais pas…

Deux – Vous êtes un patriote, n’est-ce pas ?

L’autre hésite.

Un – C’est bon, vous pouvez circuler…

Deux – La patrie vous en sera éternellement reconnaissante… Et si ce n’est pas abuser, vous pourriez m’indiquer où se trouve le magasin d’électroménager le plus proche ?

Un – Tout droit, première à gauche, vous avez Darty.

Deux – Merci monsieur l’agent.

L’autre le gratifie d’un nouveau salut militaire.

Un – À votre service.

Il lui rend son salut militaire.

Deux – Merci pour votre collaboration, monsieur l’agent. En ces temps difficiles, vous êtes la fierté de notre Nation, et le dernier rempart contre cet envahisseur invisible qui nous menace tous.

Un – Merci.

Deux – Comme on dit chez vous : « Sauver ou périr » !

Un – Ça c’est les pompiers.

Deux – Bon, je vous laisse… Le devoir n’attend pas… Et comme on dit chez nous : « Click and collect ! »

Il s’éloigne, laissant l’autre perplexe.

Brèves de confinement

Click and collect Lire la suite »

Cœurs en chœur

Le patron est derrière le bar. Elle arrive. C’est la même femme que dans la première scène.

Patron – Vous êtes revenue me demander en mariage ?

Elle – Ça ne fait pas encore dix ans…

Patron – Cinq.

Elle – Et vous vous souvenez encore de moi ?

Patron – Je vous l’ai dit, j’ai mes têtes… La vôtre est de celles qu’on n’oublie pas facilement. Toujours pas de calva ?

Elle – Je n’en aurai plus besoin. Enfin j’espère…

Patron – Tant mieux.

Elle – Vous vous rappelez ? Vous m’aviez lu mon horoscope…

Patron – « Vous donnerez votre cœur à un inconnu ». (Montrant le journal) C’est encore dans le journal d’aujourd’hui.

Elle – Ils reprennent souvent les mêmes formules.

Patron – Cette fois, c’est bien à la rubrique amour.

Elle – Ils ne se sont pas trompés. J’ai rendez-vous avec lui.

Patron – Ici ?

Elle – Dans cinq minutes.

Un temps.

Patron – Vous avez rencontré un inconnu sur un site de rencontre ?

Elle – C’est mon ex-mari. On a divorcé il y a quelques années.

Patron – Ah oui… Donc, ce n’est pas tout à fait un inconnu…

Elle – On a vécu ensemble pendant dix ans. J’avais l’impression de vivre avec un étranger. C’est moi que je ne connaissais pas. C’est moi qui n’allais pas bien.

Patron – Pourquoi maintenant ?

Elle – Il a subi une transplantation cardiaque il y a un an.

Patron – Alors vous vous êtes dit qu’avec un cœur tout neuf…

Elle – Quand il a appris qu’il était malade, il ne m’a rien dit. Ça n’allait déjà plus entre nous. Il ne voulait pas que je reste avec lui par pitié, j’imagine.

Patron – Et vous l’avez quitté…

Elle – Il m’a raconté qu’il avait rencontré quelqu’un d’autre…

Patron – Mais ce n’était pas vrai…

Elle – Il avait une chance sur deux d’y rester. Il ne voulait pas faire de moi une veuve éplorée…

Patron – Il a préféré faire de vous une joyeuse divorcée… Et donc, il a survécu…

Elle – Je travaille à l’hôpital… J’ai appris par hasard qu’il avait subi une transplantation. C’est moi qui l’ai appelé… Je lui ai demandé s’il voulait qu’on se revoit.

Patron – Dans l’espoir que son cœur tout neuf se remette à battre pour vous… Attention… dans votre jargon, on pourrait appeler ça de l’acharnement thérapeutique !

Elle – Vous pensez qu’on ne peut pas aimer deux fois la même personne ?

Patron – En tout cas, on peut épouser deux fois le même homme, et on peut divorcer deux fois d’avec la même femme.

Elle – Ce n’est plus tout à fait le même homme. Vous l’avez dit, il a un cœur tout neuf…

Patron – Tout neuf, pas tout à fait… Celui ou celle à qui il a appartenu était peut-être déjà très malheureux en amour.

Elle – Finalement, vous êtes encore plus pessimiste que moi.

Patron – Je suis jaloux, c’est tout. Je vous l’ai dit, vous êtes de celles qu’on n’oublie pas…

Elle – J’espère que lui non plus ne m’aura pas oubliée… (Au bord des larmes) Et qu’il m’aura pardonnée…

Il pose sa main sur la sienne pour la réconforter.

Lui – Ayez confiance en vous.

Elle tourne son regard vers la vitrine du café, côté public.

Elle – Le voilà… J’ai le cœur qui bat…

Patron – Aussi fort que quand vous l’avez rencontré ?

Elle – Beaucoup plus fort…

Patron – Espérons que le sien ne lâchera pas maintenant, ce serait trop bête…

Elle – Finalement, je le prendrais bien, ce petit calva.

Il lui sert un verre, qu’elle boit cul sec.

Patron – Ça va aller.

Elle – Merci.

Elle lui presse la main une dernière fois, et s’éloigne vers le public pour aller à la rencontre de son ex-mari.

À cœurs ouverts

Cœurs en chœur Lire la suite »

Un cœur tout neuf

Le patron est derrière le bar, le client (ou la cliente) arrive.

Patron – Monsieur, qu’est-ce que je vous sers ?

L’autre – Vous ne me reconnaissez pas ?

Patron – On voit tellement de monde… Qu’est-ce que je vous mets ?

L’autre – Pas un Viandox, en tout cas…

Patron – Non…? Je ne vous avais pas reconnu. Eh ben… On dirait que ce Viandox vous a fait du bien finalement. Vous paraissez vingt ans de moins.

L’autre – Oui… le Viandox. Et aussi le cœur tout neuf qu’on m’a transplanté il y a quelques mois.

Patron – Vous avez enfin trouvé un donneur ?

L’autre – Vous aviez raison, cette rue est vraiment très dangereuse…

Patron – Allez, c’est ma tournée. Qu’est-ce que je vous sers ?

L’autre – Une limonade…

Patron – Vous n’avez plus droit à l’alcool…

L’autre – Si… mais j’ai décidé d’y renoncer. Un sacrifice que je m’impose… pour remercier le destin.

Patron – Le destin ?

L’autre – Quelqu’un est mort pour que je puisse vivre. Je dois prendre soin de son cœur.

Patron – Mais vous ne savez même pas qui c’est…

L’autre – Non… et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. Mais après tout, c’était peut-être un musulman. Raison de plus pour ne plus boire d’alcool.

Patron – Alors vous ne mangez plus de jambon non plus ?

L’autre – Je suis devenu vegan, c’est encore plus simple. Et vous, comment ça va ?

Patron – Ma femme vient de me quitter.

L’autre – Elle est morte ? Ne me dites pas que c’est son cœur qui bat dans ma poitrine…

Patron – J’aurais préféré. Ça me coûterait moins cher. Veuf, vous êtes deux fois plus riche. Divorcé, vous êtes deux fois plus pauvre.

L’autre – Ça fait quatre bonnes raisons de préférer le veuvage…

Patron – Il va falloir que je vende le café, pour lui donner sa part.

L’autre – Désolé…

Patron – Au fond, c’est mieux comme ça. Vendre de l’alcool et du tabac… Le tabac, il m’a déjà coûté un poumon.

L’autre – Alors qu’est-ce que vous allez faire ?

Patron – Je ne sais pas…

L’autre – Vous devriez faire du théâtre.

Patron – Du théâtre ?

L’autre – On ne vous a jamais dit que vous aviez une tête à faire du théâtre ?

Patron – Non… Remarquez, pour rester derrière un comptoir toute la journée, et donner la réplique à toutes sortes de clients, il faut déjà être un peu comédien…

L’autre – C’est vrai… Moi-même, je vais souvent au café pour écrire.

Patron – Qu’est-ce que vous écrivez ?

L’autre – Des pièces de théâtre.

Patron – J’en ai tellement entendu, des histoires. Il y aurait de quoi faire. Des comédies, des drames, des tragédies…

L’autre – Il faudra me raconter ça.

Un temps.

Patron – Il y a encore quelque chose qui vous tracasse ?

L’autre – On était deux à attendre une transplantation. Il n’y avait qu’un seul donneur disponible. J’ai appris que l’autre était mort quelques jours après mon opération…

Patron – Ah oui…

L’autre – Il paraît que j’avais un meilleur dossier.

Patron – Comme vous dites… C’est le destin.

L’autre – Oui… C’était peut-être un brave type.

Patron – Ou alors une crapule… Allez savoir…

L’autre se lève pour partir.

L’autre – Merci pour la limonade… Tenez, voici ma carte. Je cherche quelqu’un comme vous pour un petit rôle dans ma prochaine pièce. Un patron de bistrot. Ce sera vos débuts sur les planches…

Il part. Le patron regarde la carte.

À cœurs ouverts

Un cœur tout neuf Lire la suite »

De bon cœur

Le patron attend derrière son comptoir. Un homme genre mafieux ou dealer arrive et s’installe au bar.

Le patron – Qu’est-ce que ce sera ?

L’autre – Un déca. Allongé. Avec une goutte de lait, s’il vous plaît.

Le patron jette un regard au client, dont l’aspect ne cadre pas bien avec sa commande.

Le patron – Je vais voir ce que je peux faire…

Il lui prépare son café.

L’autre – C’est dangereux, cette rue. J’ai failli me faire écraser par un bus.

Le patron – Oui… Une femme s’est fait renverser hier…

L’autre – C’est grave ?

Le patron – Elle est morte… Enfin, c’est tout comme.

L’autre – Vous la connaissiez ?

Le patron – C’était une cliente… Elle sortait juste de chez moi, et d’après les analyses, elle avait trois grammes d’alcool dans le sang.

L’autre – Dans votre métier comme dans le mien, les clients, il vaut mieux pas trop s’attacher.

Le patron – Vous êtes nouveau dans le quartier ?

L’autre – Je suis de passage.

Le patron – On est tous de passage sur la Terre…

L’autre – J’ai peur que le mien se termine plus tôt que prévu.

Le patron – Si vous faites bien attention en traversant la route...

L’autre – Je sors de l’hôpital. J’attends une greffe de cœur…

Le patron – Ah vous aussi…

L’autre – Pardon ?

Le patron – Non rien, une histoire que j’ai entendue… J’espère que vous êtes tombé sur le bon chirurgien…

L’autre – Oui…

Le patron pose le café sur le comptoir.

Le patron – Tenez, votre déca-noisette.

L’autre – Ça marche, les affaires ?

Le patron – C’est calme. Et vous ?

L’autre – Moi aussi… C’est plutôt calme en ce moment…

Le patron – Vous êtes dans quelle branche ?

L’autre – Trafic de drogue. Héroïne, plutôt.

Le patron – Ah oui… Donc vous savez ce que c’est que de perdre un client.

L’autre – Heureusement que les dons d’organes sont anonymes, parce que je ne sais pas qui voudrait bien donner son cœur à un dealer.

Le patron – Ou à un buraliste.

L’autre – Vous avez raison. Finalement, on fait un peu le même métier, tous les deux…

Le patron – Mmm…

L’autre – Ils viennent de rentrer un donneur, à l’hôpital.

Le patron – C’est votre jour de chance, alors.

L’autre – Je ne sais pas… On est deux sur l’affaire.

Le patron – Ah…

L’autre – Vous me donneriez votre cœur, vous ? Si vous étiez mort, je veux dire… Et sachant ce que je fais.

Le patron – Pourquoi pas ? Entre dealers, si on ne se serre pas un peu les coudes.

L’autre – J’ai promis une valise de billets à mon chirurgien s’il me trouvait un palpitant tout neuf. Des billets usagers et en petites coupures. Vous croyez que ça peut aider ?

Le patron – Ça dépend du chirurgien, j’imagine.

L’autre – Celui-là a la réputation de sauter sur tout ce qui bouge.

Le patron – Je vois… Je vous remets un déca-noisette ? C’est ma tournée.

L’autre – Allez… On ne vit qu’une fois…

Le patron – Et si votre cœur lâche en sortant, ce ne sera pas à cause de ce que vous aurez bu ici…

À cœurs ouverts

De bon cœur Lire la suite »