Famille

Héritages à tous les étages

Neighbours’ DayEl infierno son los vecinosUma herança pesada 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

14 personnages très variable en sexe

3H/11F, 4H/10F, 5H/9F, 6H/8F, 7H/7F, 8H/6F, 9H/5F…

Antoine vient d’hériter d’une vieille tante dont il ignorait l’existence un superbe appartement dans les beaux quartiers de Paris. Il vient faire le tour du propriétaire avec son amie Chloé. Mais les secrets de famille, c’est comme les cadavres, ça finit toujours par remonter à la surface…


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Héritages à tous les étages


14 PERSONNAGES

Antoine, directeur littéraire

Chloé, professeur d’anglais

Madame Sanchez, concierge

Madame Cassenoix, syndic

Docteur Brisemiche, médecin

Maître Fouinard, avocat

Sam, prostituée ou travesti

Colonel Gonfland, officier de cavalerie

Père Dessaint, curé défroqué

Mme Durand de la Cour, baronne

Madame Zarbi, psychanalyste

Angela, artiste peintre

Un salon avec une baie vitrée qu’on imagine donner sur les toits de Paris, côté salle. Le côté jardin est supposé ouvrir sur une terrasse, et le côté cour sur un couloir conduisant à une entrée. Les meubles et la décoration sont vieillots ou kitch. En fond de scène, dans un cadre monumental, un tableau d’avant-guerre représentant un militaire jeune, avec des faux airs du Maréchal Pétain.

Antoine (off) – Attends un peu, je retire l’alarme. Si je ne le fais pas dans les trente secondes, on va réveiller tout l’immeuble et on sera embarqués par les flics comme des voleurs… Merde, c’est quoi le code, déjà… Ah oui, 14-18…

Chloé arrive. Depuis le seuil, elle jette un regard sur l’ensemble et pousse une exclamation entre admiration et effarement.

Chloé – Ouah !

Elle s’avance dans la pièce et Antoine arrive à son tour.

Antoine – Je t’avais prévenue, il y a un peu de rafraichissement à prévoir…

Chloé – Tu parles comme un agent immobilier. Je te rappelle que tu es le propriétaire.

Antoine – J’ai encore un peu de mal à réaliser… Mais attends de voir ça…

Il l’accompagne jusqu’au devant de scène pour contempler la vue par la baie vitrée. Cette fois, l’exclamation de Chloé est franchement émerveillée.

Chloé – Ouah !

Antoine – Tu verras. De la terrasse, en se penchant un peu, on aperçoit même la Tour Eiffel.

Chloé – Ah oui, ça va nous changer… De chez nous, sans avoir à se pencher, on voit le cimetière de La Garenne-Colombes.

Antoine s’approche et l’enlace.

Antoine – Alors ? Tu consens à passer ta première nuit avec moi dans notre nouvelle demeure ?

Chloé – C’est vrai que tout ça est très excitant… Mais je vais attendre d’avoir vu le lit de ton arrière-grand-mère avant de te donner une réponse définitive.

Antoine – Ce n’est pas mon arrière-grand-mère, c’est ma grand-tante Germaine.

Chloé – Ta tante germaine ? Je pensais qu’il n’y avait que les cousins qui pouvaient être germains…

Antoine – Ah non, Germaine c’est son prénom. C’était la sœur aînée de ma grand-mère.

Chloé – La mère de ton père ?

Antoine – De ma mère. Enfin, à ce qu’il paraît…

Chloé fait le tour de la pièce.

Chloé – Et tu ne l’as jamais rencontrée ?

Antoine – Je ne savais même pas que ma grand-mère avait une sœur.

Chloé – C’est dingue…

Antoine – Quoi ?

Chloé – Que tes parents ne t’aient jamais parlé de cette tante Germaine…

Antoine – Ouais…

Chloé – Et aujourd’hui, tu hérites de son appartement.

Antoine – Apparemment, elle n’avait pas d’enfants. Et comme mes parents sont morts aussi. Le notaire a dit que j’étais son seul héritier…

Chloé – C’est triste quand même… Tu te rends compte ? Pendant toutes ces années, elle vivait là. À deux stations de métro de la maison d’édition pour laquelle tu bosses. Et tu apprends son existence par un faire-part…

Antoine – Un faire-part ? Même pas… Quand j’ai reçu la lettre du notaire, l’enterrement avait déjà eu lieu.

Chloé prend une photo dans un cadre, trônant sur un guéridon.

Chloé – C’est elle ?

Antoine – Ouais, j’imagine…

Chloé – Elle était belle… quand elle était jeune.

Antoine – Ouais.

Chloé – C’est tout ce que ça te fait ?

Antoine – Quoi ?

Chloé – Je ne sais pas moi… Elle n’est plus là, et tu ne la connaîtras jamais… Il ne te reste plus qu’une photo…

Antoine – Et l’appartement.

Chloé – Ça ne te fait rien de savoir qu’elle est morte, la tante Germaine ?

Antoine – Ah si. Si, ça me fait quelque chose, je t’assure.

Chloé – Quoi ?

Antoine – Franchement ? J’ai l’impression d’avoir gagné au loto.

Chloé repose la photo.

Chloé – C’est clair… On ne va pas non plus regretter notre deux pièces à La Garenne-Colombes.

Antoine – Non mais tu te rends compte ? Fini le RER. Je pourrai aller bosser à pied !

Chloé – Et moi en vélo. J’ai juste la Seine à traverser pour aller au lycée.

Antoine – Pas de loyer à payer. En plein centre de Paris. Un appartement avec terrasse, au dernier étage avec ascenseur, dans un bel immeuble haussmannien.

Chloé – Ça y est, tu recommences à parler comme un agent immobilier.

Antoine – Il y a même un parking !

Chloé – On n’a pas de voiture…

Antoine – Tu rigoles ! Tu sais combien ça se loue, un parking, dans un quartier comme ça ?

Chloé – Non. Combien ?

Antoine – Je ne sais pas exactement, mais… au moins la moitié de mon salaire actuel, sûrement.

Chloé – Tu n’as qu’à louer le parking et passer à mi-temps. Tu pourras commencer à écrire ton premier roman. Tu ne vas pas publier toute ta vie les bouquins des autres.

Antoine – Il faudrait d’abord que je trouve un sujet…

Chloé – Tiens, tu pourrais écrire l’histoire de cette mystérieuse grand-mère.

Antoine – C’est ma grand-tante.

Chloé – Une femme qui était presque centenaire, qui devait avoir dans les vingt ans pendant la dernière guerre. Il y a sûrement de quoi écrire un roman.

Chloé jette un nouveau regard sur la pièce.

Antoine – C’est vrai que l’atmosphère est chargée…

Chloé – Oui… Je dirais même oppressante. On dirait que le fantôme de Germaine hante encore cet appartement.

Antoine – Il faudra peut-être le faire désenvoûter avant d’emménager.

Chloé – Tu crois ?

Antoine – On commencera par se débarrasser de toutes ces vieilleries, et on refera les peintures.

Chloé – Il faut avouer que c’est assez sombre.

Antoine s’approche à nouveau de la baie vitrée.

Antoine – Ouais… Mais regarde un peu cette vue ! Ces milliers de toits qui s’étendent devant nous.

Chloé – Et derrière chacune de ces fenêtres, des hommes et des femmes, avec chacun leur histoire. Chacun leur destin.

Antoine – C’est vrai que c’est très romanesque.

Chloé – Paris…

Antoine – La plus belle ville du monde…

Chloé – Et la plus romantique.

Antoine – Des milliers d’appartements comme celui-là. Des millions de gens. Des milliards d’histoires en train de s’écrire.

Chloé – Oui… Tu imagines ? En ce moment même, certains sont en train de faire une demande en mariage.

Antoine – D’autres sont en pleine scène de rupture.

Chloé – Des bébés sont en train de naître, un peu partout.

Antoine – Et des vieux sont en train de calancher, comme la tante Germaine.

Chloé – Certains sont en train de faire la vaisselle.

Antoine – Et d’autres sont en train de faire l’amour…

Ils commencent à s’enlacer. Ils sont interrompus par la sonnerie de la porte.

Chloé – Qui ça peut bien être ?

Antoine – Je ne sais pas… Je ne connais personne dans cet immeuble…

Chloé – Le fantôme de la tante Germaine ?

Antoine – J’y vais…

Chloé – Tu veux que je vienne avec toi ?

Antoine – Ça ira. Mais si je ne suis pas revenu dans cinq minutes, tu appelles un exorciste, d’accord ?

Antoine sort. Chloé examine le tableau, intriguée.

Antoine (off) – Ah oui… Non, non, pas du tout… Mais je vous en prie, entrez…

Antoine revient, suivi par Madame Cassenoix.

Cassenoix – Je ne voudrais pas vous déranger. C’est Madame Sanchez, la concierge, qui m’a dit qu’elle vous avait vu monter avec votre dame. (Apercevant Chloé) Enfin, je ne sais pas si c’est votre épouse… Bonjour Mademoiselle.

Chloé – Bonjour Madame.

Antoine – Chloé, je te présente Madame Cassenoix, une voisine, qui est aussi la syndic de l’immeuble.

Cassenoix (avec un air de circonstance) – Cher Monsieur, au nom de tous les copropriétaires de cet immeuble que j’ai l’honneur de représenter, je vous prie d’accepter nos plus sincères condoléances.

Antoine – Merci, mais vous savez…

Cassenoix – Votre tante était un être exceptionnel. Une femme de caractère, il faut bien le dire. Mais tout à fait charmante. Les résidents de l’immeuble étaient très attachés à Germaine.

Antoine – Je suis très heureux de l’apprendre, vraiment.

Cassenoix – Pour nous tous, Germaine, c’était beaucoup plus qu’une voisine, vous savez. On se rendait de petits services. On lui faisait ses courses à l’occasion. On s’occupait de ses démarches administratives au besoin…

Chloé – Vraiment ?

Cassenoix – Bref, nous faisions tout notre possible pour qu’elle se sente moins seule. Elle recevait très peu de visites, comme vous le savez. Nous l’entourions tous les jours de notre affection. Et elle nous le rendait bien, croyez-moi.

Antoine – Ah oui, c’est… C’est bien…

Cassenoix – En fait, ses voisins, pour Germaine, c’était un peu une famille. D’ailleurs, je ne savais pas qu’elle en avait une autre… En tout cas, elle ne m’en avait jamais parlé.

Antoine – Ça ne m’étonne pas… En fait, je connaissais très peu ma tante Germaine…

Cassenoix – Ah oui… D’ailleurs, je ne me souviens pas vous avoir aperçu à l’enterrement…

Antoine – Pour tout vous dire je…

Chloé, agacée par cet interrogatoire, intervient.

Chloé – Mais j’imagine que vous n’êtes pas seulement venue pour bavarder, et nous ne voudrions pas vous retenir trop longtemps. Vous aviez peut-être… quelque chose à nous demander ? Entre voisins. Un tire-bouchon, du gros sel, des allumettes…?

Antoine – Un casse-noix…?

Cassenoix – Ah, pour le tire-bouchon, vous n’êtes pas tombé loin… Enfin, c’est un peu embarrassant… Vu les circonstances…

Chloé – Dites toujours.

Cassenoix (toussotant) – Excusez-moi, j’ai un chat dans la gorge.

Antoine – Vous voulez boire quelque chose ?

Chloé lance à Antoine un regard réprobateur.

Chloé – Je ne sais pas si on a quelque chose à vous offrir.

Cassenoix – Juste un verre d’eau, ça ira, merci.

Chloé – Je ne sais même pas où est le frigo…

Cassenoix – Ne vous embêtez pas, de l’eau du robinet, ça fera l’affaire. Elle est de très bonne qualité dans le quartier, vous verrez. Alors pourquoi s’embêter à charrier des packs d’eau minérale. Surtout quand on habite au dernier étage, comme vous. Même avec l’ascenseur. (Antoine et Chloé attendent qu’elle en vienne au fait.) Le robinet se trouve dans la cuisine. La deuxième porte à gauche dans le couloir. Vous trouverez des verres dans le placard juste au-dessus.

Chloé sort, un peu froissée.

Cassenoix – Alors voilà… C’est aujourd’hui la Fête des Voisins, et depuis que cette fête existe, votre tante a toujours insisté pour qu’elle soit organisée chez elle.

Antoine – Tiens donc…

Cassenoix – Une tradition, en quelque sorte. À cause de la grande terrasse et de la vue sur Paris, sans doute.

Antoine – Sans doute…

Cassenoix – Il faut bien dire que cet appartement est le plus beau de l’immeuble. Et puis comme Germaine était toute seule, ça lui faisait un peu de compagnie.

Antoine – Hélas, elle est morte, n’est-ce pas…

Cassenoix – Bien sûr… Mais elle aurait sûrement été très heureuse de nous voir tous là ce soir, réunis une dernière fois…

Antoine – C’est-à-dire que… Nous n’avions pas prévu.

Cassenoix – Pour ça ne vous inquiétez pas, on s’occupera de tout. Comme d’habitude. Enfin, je veux dire, comme nous le faisions avec votre tante Germaine.

Chloé revient avec un verre d’eau qu’elle tend à Madame Cassenoix.

Cassenoix – Merci beaucoup.

Chloé – Je vous en prie…

Cassenoix pose le verre sans le boire.

Cassenoix – Comme je le disais à votre mari…

Chloé – Nous ne sommes pas encore mariés, si c’est cela que vous vouliez savoir.

Antoine intervient pour faire baisser la tension.

Antoine – Madame Cassenoix est venue nous inviter à la Fête des Voisins.

Chloé – Ah oui ? C’est… C’est très aimable de sa part. (Étonnée) Mais quand ?

Cassenoix – Eh bien… Mais aujourd’hui !

Antoine – Enfin… l’idée c’est que ça se passe chez nous…

Chloé – Chez nous ? Comment ça chez nous ? Tu veux dire ici ?

Cassenoix – Disons que… Ce sera une sorte de… pot de départ.

Antoine – Nous, on vient à peine d’arriver.

Cassenoix – Je veux dire un pot d’adieu. Pour Germaine. Comme vous n’avez pas pu assister à l’enterrement…

Antoine – Bien sûr…

Cassenoix – Bon, alors puisque vous êtes d’accord, c’est entendu. Je ne sais pas comment vous remercier, vraiment.

Antoine et Chloé, pris de court, échangent un regard embarrassé.

Antoine – Mais… de rien, je vous en prie.

Cassenoix – Et donc vous… Vous avez le projet de venir vous installer dans cet appartement ?

Antoine – Euh… Oui… Enfin…

Cassenoix – Eh bien comme ça, vous ferez connaissance avec tous vos nouveaux voisins… Ça fera d’une pierre deux coups.

Antoine – Oui, pourquoi pas…

Cassenoix – Bon, allez, je me sauve. J’ai encore quelques préparatifs à terminer… Pour cette petite réception, je veux dire… Alors à tout à l’heure ?

Antoine – À tout à l’heure…

Antoine s’apprête à la suivre.

Antoine – Je vous raccompagne.

Cassenoix – Ne vous dérangez pas, je connais le chemin.

Antoine – Très bien…

Cassenoix s’en va. Antoine et Chloé se regardent, interloqués.

Antoine – J’ai l’impression qu’elle nous a un peu forcé la main, non ?

Chloé – Tu crois ? Il faut dire que tu ne t’es pas beaucoup défendu…

Antoine – Tu m’as laissé tout seul avec elle !

Chloé – C’est toi qui m’a envoyé lui chercher un verre d’eau à la cuisine ! Un verre qu’elle n’a même pas bu, d’ailleurs…

Antoine – On n’habite même pas encore l’immeuble, on ne va pas déjà se fâcher avec tous les voisins…

Chloé – De là à se laisser envahir dès le premier jour.

Antoine – Tu as raison… Elle nous a bien embobinés avec sa Fête des Voisins.

Chloé – Ouais… D’autant que la Fête des Voisins, normalement, c’est en juin…

Antoine – Non ?

Chloé – Je pensais que tu le savais !

Antoine – Comment veux-tu que je le sache ?

Chloé – Tout le monde sait que la Fête des Voisins, ce n’est pas fin décembre. Fin décembre, c’est Noël  ! Ça tu es au courant, quand même ?

Antoine – C’est dingue… Pourquoi ils font la Fête des Voisins au mois de décembre ?

Chloé – Une autre tradition, sans doute… Comme celle de fêter ça chez nous… Ça commence bien…

Antoine – Bon… Voyons le bon côté des choses… Ça nous permettra de faire connaissance avec tous nos voisins en une seule fois.

Chloé – Il n’y avait pas urgence, non plus. On vient à peine d’arriver.

Antoine – Qu’est-ce que tu veux ? Maintenant, on est copropriétaires. Ça implique aussi certaines contraintes…

Chloé – Tu es copropriétaire.

Antoine – Quoi qu’il en soit, on aura affaire à eux à l’avenir pour la gestion de l’immeuble. Et c’est Madame Cassenoix le syndic. Je ne pouvais pas la rembarrer comme ça.

Chloé – Madame Cassenoix… Un nom prédestiné…

Antoine – Ça nous évitera d’avoir à pendre la crémaillère. Elle a dit qu’ils s’occupaient de tout.

Chloé – C’est vrai qu’ils ont l’air d’avoir une fâcheuse tendance à s’occuper de tout, y compris de ce qui ne les regarde pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je la sens mal, cette copropriété.

Antoine – On verra bien… S’ils ne sont pas sympas, on ne les réinvitera pas.

Chloé – C’est eux qui se sont invités !

Antoine (la prenant dans ses bras) – Allez… On ne va pas se disputer pour si peu.

Chloé – Tu as raison… L’essentiel, c’est qu’on soit enfin chez nous.

Antoine – Si on continuait notre tour du propriétaire ?

Chloé (se tournant vers le tableau) – C’est qui, celui-là ? Ton grand-oncle ? Le mari de Germaine ?

Antoine – Aucune idée…

Ils regardent tous les deux le tableau.

Chloé – Il a des faux airs du Maréchal Pétain, non, avec sa moustache ?

Antoine – Tous les militaires se ressemblent… Et la moustache était très à la mode à l’époque. Mais il paraît un peu jeune, non ?

Chloé – Même Pétain a été jeune…

Antoine – C’est vrai… On a du mal à imaginer que tous les dictateurs ne sont pas nés avec une moustache. Que Pétain a été un jeune homme imberbe, Staline un ado boutonneux et Hitler un bébé joufflu.

Chloé – En tout cas, ce n’est sûrement pas une toile de maître… contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant le cadre.

Antoine – Dommage… Ça m’aurait aidé à payer les frais de succession.

Chloé – Les frais de succession ?

Antoine – Cet appartement ne va quand même pas être gratuit. Avec ce degré de parenté éloignée, le taux d’imposition est assez élevé. Et comme Germaine n’a rien laissé à la banque en plus de ce bien immobilier…

Chloé – Et ces impôts, ça va chercher dans les combien ?

Antoine – Le notaire ne m’a pas encore donné les chiffres exacts. Au pire, je prendrai un crédit. C’est tout de même mieux que de payer un loyer.

Chloé  – Je ne sais pas pourquoi, mais je commence à me demander si tout ça va vraiment être aussi simple qu’on le pensait…

Antoine – Je te montre la terrasse ?

Chloé (avec un sous-entendu) – Et si tu me montrais la chambre, d’abord ?

Antoine – OK…

Il lui prend la main et s’apprête à l’entraîner vers le couloir. Ils sont coupés dans leur élan par la sonnette qui retentit à nouveau.

Chloé – Encore ?

Antoine – On n’a qu’à laisser sonner. On n’est pas obligés d’ouvrir.

Chloé – Tu viens d’inviter tout l’immeuble pour la Fête des Voisins ! On ne peut pas les laisser dehors…

Antoine – Tu crois que c’est déjà eux ?

Chloé – Qui ça pourrait être à ton avis ? Le Père Noël ?

Antoine – J’y vais…

Chloé – Laisse… Cette fois, je m’en occupe.

Antoine (un peu inquiet) – Tu essaies de rester aimable, quand même.

Chloé – Je vais jouer la maîtresse de maison idéale, je te promets.

Antoine – OK.

Chloé sort. Antoine reste là et soupire. Il examine à son tour le tableau, intrigué. Le téléphone fixe, un modèle d’un autre âge, sonne. Antoine hésite, puis répond.

Antoine – Allô… Oui, c’est bien ici… Non, je suis son petit-neveu… La Fête des Voisins ? Euh, oui, c’est bien ici… Enfin… Bon, d’accord, alors à tout de suite…

Il raccroche. Chloé revient suivie de Madame Cassenoix, qui porte une bassine de sangria, et de Madame Brisemiche, qui porte une tarte.

Cassenoix – Et voilà la sangria !

Brisemiche – Bonjour, bonjour ! Moi, j’ai fait une flamiche aux oignons !

Cassenoix – Ah, l’année dernière, c’était une flamiche aux poireaux, non ?

Brisemiche – Je me suis dit que ça changerait. Et pour tout vous dire, je n’avais pas de poireaux sous la main. J’espère que vous aimez les oignons !

Cassenoix – Mais enfin, Docteur ! Tout le monde aime les oignons ! Et puis c’est très bon pour la santé, les oignons. Moi, j’en mets partout.

Brisemiche – J’espère que vous n’en n’avez pas mis dans la sangria.

Elle rient toutes les deux stupidement, sous les regards atterrés d’Antoine et de Chloé.

Cassenoix – Mais voyons, je manque à tous mes devoirs ! Je vous présente le Docteur Brisemiche, qui a son cabinet juste en dessous. Avouez que c’est pratique d’avoir un médecin dans l’immeuble. On a un dentiste, aussi, mais il est actuellement décédé. Je veux dire, il a pris sa retraite le mois dernier, et son remplaçant n’est pas encore arrivé.

Brisemiche – Madame, Monsieur… Enchantée.

Antoine – Docteur…

Brisemiche – Je vous en prie, appelez-moi Anne-Marie. Mais… je ne suis pas sûre d’avoir retenu vos prénoms…

Chloé – Chloé.

Antoine – Et moi c’est Antoine.

Brisemiche – Si vous voulez bien débarrasser cette table, ma petite Chloé. On va installer le buffet ici.

Chloé, machinalement, ôte le vase chinois qui trône sur la table.

Cassenoix – Antoine, si cela ne vous dérange pas, il doit y avoir une nappe dans le petit meuble, là. Ce sera quand même plus convenable…

Antoine ouvre le meuble, mais ne semble pas trouver.

Brisemiche – Tout en bas.

Antoine sort la nappe et l’étend sur la table. Cassenoix y pose la bassine de sangria, et Brisemiche la tarte.

Cassenoix – Voilà. Les invités viendront se servir au salon. D’ailleurs, je ne sais pas ce qu’ils font… Mais si vous voulez profiter de la terrasse en attendant.

Antoine – Très bien…

Brisemiche – Après tout, vous êtes ici chez vous.

Chloé – Merci de nous le rappeler…

On sonne à nouveau.

Brisemiche – Ah, vous voyez, vous étiez médisante. Pour une fois, ils sont à l’heure.

Cassenoix – J’y vais… Mais après, je vais laisser la porte ouverte, parce que sinon, on ne va pas en finir…

Elle sort. Échange de sourires un peu embarrassés.

Brisemiche – C’est moi qui ai assisté votre tante pendant ses derniers instants…

Antoine – Ah oui. Malheureusement, je n’ai pas eu le plaisir de… Enfin, je veux dire…

Chloé – Et… elle est morte de quoi, exactement.

Brisemiche – Mon Dieu, vous savez… Passé 90 ans… Faut-il vraiment mourir de quelque chose en particulier ? En tout cas, je peux vous assurer qu’elle n’a pas souffert.

Monsieur et Madame Crampon arrivent, l’un avec un taboulé et l’autre une salade d’endives. Suivis de Cassenoix.

Mr Crampon – Bonjour tout le monde… Vous m’excuserez de ne pas vous serrer la main, mais je suis un peu encombré… Où est-ce que je peux poser ça ?

Mme Crampon – Tu vois bien que le buffet est là ! Comme d’habitude…

Monsieur Crampon pose son plat et Madame Crampon en fait de même. Ils se retournent vers Antoine et Chloé.

Mr Crampon – Jacques Crampon, courtier en assurances. Et voici Josiane, mon épouse.

Mme Crampon – Vous c’est Antoine et Chloé, je crois.

Chloé – Oui… Les nouvelles vont vite, je vois.

Mr Crampon – Avant de venir travailler dans cet immeuble comme concierge, Madame Sanchez travaillait en Allemagne de l’Est pour la Stasi.

Mme Crampon – Je pensais qu’elle était portugaise…

Mr Crampon – Je plaisante, Josiane ! Je plaisante !

Mme Crampon – J’ai fait un taboulé et une salade d’endives.

Mr Crampon – J’espère que vous aimez les endives.

Mme Crampon – Pourquoi tu dis ça ?

Mr Crampon – Moi, personnellement, je déteste les endives.

Mme Crampon – Oui, c’est pour ça que j’ai fait aussi un taboulé. Mais les endives c’est très bon. Et puis c’est la saison. Vous aimez les endives, Antoine ?

Antoine – Oui, enfin…

Mr Crampon – Je ne savais même pas qu’il y avait une saison pour les endives… Je pensais que les endives, c’était toute l’année…

Mme Crampon– Ce sont des endives au Roquefort. C’est excellent, vous verrez. Et c’est très bon pour la santé. N’est-ce pas Docteur ?

Brisemiche – En tout cas, dans toute ma carrière, je n’ai encore rencontré personne qui soit mort après avoir mangé des endives au Roquefort.

Mr Crampon – C’est qu’aucun de vos patients n’avaient encore goûté celles de ma femme.

Madame Crampon le fusille du regard.

Mr Crampon– Mais enfin, Josiane, je plaisante ! On est là pour passer un bon moment ensemble, pas vrai ? Entre voisins !

Chloé – Oui… Et ça m’a l’air bien parti…

Le téléphone fixe sonne. Avant même qu’Antoine n’ait le temps de réagir, Cassenoix décroche, machinalement.

Cassenoix – Allô oui ? Ah c’est vous, mon Père… Oui, oui, je comprends… Non, non, pas de problème, on vous attend… D’accord, à tout de suite.

Elle raccroche sous le regard médusé de Chloé et d’Antoine.

Cassenoix – C’était le Père Dessaint. Il va nous rejoindre, mais il a été retenu par une urgence. Une extrême-onction.

Chloé – Le Père Dessaint ?

Cassenoix – Oui, je sais, c’est un nom prédestiné. Le Père Dessaint est en effet un saint homme.

Mr Crampon – Il habite au rez-de-chaussée. Depuis que son presbytère a été revendu par l’évêché à un couple d’homosexuels pour en faire des chambres d’hôtes gay friendly…

Brisemiche – Il paraît que l’Église est en crise, elle aussi… Elle est obligée de vendre les bijoux de famille.

Cassenoix – Vous ne croyez pas si bien dire… Hélas, aujourd’hui, nous avons parfois l’impression de vivre au royaume de Sodome.

Blanc.

Brisemiche – Je vous sers quelque chose, histoire de nous mettre en train ?

Mr Crampon – Allez ! Que la fête commence…

Cassenoix – Sangria ?

Mme Crampon – Sangria.

Cassenoix – Très bien… Alors Sangria pour tout le monde !

Mr Crampon – Et au moins, pour la sangria, il n’y a pas besoin de tire-bouchon !

Tous éclatent de rire, sauf Antoine et Chloé.

Brisemiche – C’est une blague entre nous, parce que Germaine ne savait jamais ce qu’elle avait fait de son tire-bouchon.

Ils rient tous à nouveau. Antoine et Chloé se forcent à sourire, mais échangent un regard un peu inquiet.

Cassenoix – Dans les derniers temps, votre pauvre tante perdait un peu la tête, vous savez…

Brisemiche – À près de cent ans, c’est tout à fait normal de ne plus avoir une aussi bonne mémoire… Sinon, pour son âge, elle était encore très en forme, croyez-moi…

Chloé – En somme, elle est morte en bonne santé, n’est-ce pas Docteur ?

Moment d’embarras, dissipé par l’arrivée du Père Dessaint, accompagné de la Baronne Durand de la Cour.

Dessaint – Bonjour tout le monde ! Et bienvenue aux nouveaux arrivants !

Mr Crampon – Ah, voilà Monsieur Tuc.

Antoine – Monsieur Tuc, bonjour.

Tous les voisins se marrent à nouveau.

Brisemiche – Ils sont impayables…

Cassenoix – Non, c’est une autre blague entre nous, parce que tous les ans, systématiquement, il arrive à la Fête des Voisins avec un paquet de Tuc.

Dessaint – Et les voici ! Pourquoi déroger à la tradition ?

Il sort un paquet de Tuc qu’il pose sur le buffet, avant de serrer la main d’Antoine et de Chloé.

Dessaint – Je suis le Père Dessaint. Et voici la Baronne Durand de la Cour.

Mme Crampon – Qui conformément à la tradition aussi, n’a rien amené, j’imagine…

Baronne – Il y a toujours trop, de toutes façons. Et chacun doit repartir avec les restes. Autant manger directement les restes !

Nouvel éclat de rire.

Cassenoix – Je sens qu’on va bien s’amuser !

Dessaint – Sans oublier que cette année, la Fête des Voisins a pour nous tous une résonance toute particulière…

Cassenoix – C’est vrai, excusez-moi. J’avais oublié un instant que cette pauvre Germaine nous avait quittés.

Dessaint – Oui, c’est émouvant d’être tous rassemblés chez elle ce soir. J’ai l’impression à tout moment qu’elle va entrer par cette porte pour nous gratifier de ce succulent gâteau aux noix, dont elle tenait tant à garder la recette secrète…

Mme Crampon – Votre tante était très cachotière…

Antoine – Ce n’est pas moi qui pourrais dire le contraire. Toute sa vie, elle a réussi à me cacher sa propre existence.

Dessaint – J’ai eu le privilège d’administrer les derniers sacrements à votre tante avant que Dieu ne la rappelle à lui. Soyez au moins assuré qu’elle ne nous a pas quittés sans le secours de la religion.

Antoine – Ah oui, c’est… C’est tout à fait rassurant en effet.

Chloé – J’en conclus que Germaine était très croyante…

Dessaint – Croyante ? Je dirais même militante.

Cassenoix – Quand ils ont fait passer la loi sur le mariage pour tous, croyez-moi, ce n’était pas la dernière à protester dans la rue. Elle avait une sainte horreur des homosexuels !

Chloé – Vraiment ?

Consternation d’Antoine et Chloé.

Brisemiche – Eh oui… C’était le bon temps…

Mme Crampon – L’occasion de se retrouver tous ensemble autour de valeurs communes.

Cassenoix – Et surtout le prétexte d’un joyeux pique-nique sur les pelouses du Trocadéro, arrosé de cet excellent vin de messe. N’est-ce pas mon Père ?

Dessaint – Je pense que Germaine aurait souhaité que cette année encore nous célébrions dans la joie ce moment de convivialité et de partage. (Il lève son verre.) À la mémoire de cette femme exceptionnelle !

Ils lèvent leurs verres et boivent. L’arrivée d’Angela, look gothique, jette un froid.

Cassenoix – Ah, chers amis, voici Angela.

Angela – Salut vieux débris. Il y a quelque chose à boire ? Je suis en manque…

Cassenoix – Angela est artiste peintre, et elle a son atelier au rez-de-chaussée.

Brisemiche – Madame Crampon, voulez-vous avoir l’amabilité de servir un verre de sang à Mademoiselle Angela ?

Mme Crampon – Vous voulez dire un verre de sangria, sans doute.

Brisemiche – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Madame Crampon sert un verre qu’elle tend à Angela, qui le vide d’un trait sous le regard réprobateur des autres voisins.

Angela – Ah… J’avais soif…

Chloé – Et vous peignez quel genre de tableaux ? Abstrait ? Figuratif ?

Angela – En ce moment, je suis dans ma période rouge.

Antoine – Ah très bien… Comme Picasso, alors. Enfin je veux dire, sa période bleue.

Angela – Ah non, je voulais juste dire qu’en ce moment, je carbure au gros rouge. Sinon, je peins très peu.

Rires forcés.

Cassenoix – Vous savez comment sont les artistes…

Dessaint – Et si nous passions sur la terrasse ?

Mr Crampon – Volontiers…

Ils sortent, laissant Antoine et Chloé seuls avec Angela.

Angela – Ne vous inquiétez pas, contrairement aux apparences, je ne suis pas un vampire. Les suceurs de sang, ce serait plutôt eux…

Chloé – Vraiment ?

Angela – Vous savez comment est morte votre grand-mère ?

Antoine – C’était ma grand-tante… Elle était très âgée. À vrai dire, je ne me suis pas posé la question.

Angela – Germaine était en pleine forme, croyez-moi. Elle aurait fait une centenaire.

Chloé – Je crois déceler derrière ce conditionnel une once de soupçon…

Antoine – Quelqu’un avait-il des raisons d’en vouloir à ma tante ?

Angela esquive la réponse par un sourire mystérieux.

Angela – Vous aimez ce tableau ?

Antoine – Mon Dieu… C’est très pompier, non ?

Angela – C’est moi qui l’ai peint.

Chloé – Non mais il est très bien ce tableau, je lui trouve même quelque chose de…

Angela – Ne vous fatiguez pas. C’était juste une commande de Germaine.

Antoine – Vraiment ?

Chloé – C’est son fiancé de l’époque ?

Angela – En tout cas, pour le réaliser, elle m’a fourni une photo du Maréchal Pétain. À l’époque où il n’était encore que Colonel…

La baronne revient.

Baronne – Ne vous occupez pas de moi.

La baronne remplit son sac de différentes victuailles présentes sur le buffet. Avant de se servir un verre qu’elle porte à ses lèvres, avec un air de dégoût.

Baronne – De la sangria… C’est d’une vulgarité…

La baronne repart.

Chloé – Elle est vraiment baronne ?

Angela – En fait, on ne sait pas trop si elle porte un nom à particule, ou si on l’appelle Durand de La Cour seulement parce qu’elle s’appelle Durand et qu’elle habite au fond de la cour…

Blanc.

Chloé – Vous savez quelque chose à propos de la mort de Germaine qu’on devrait savoir ?

Antoine – Je pensais qu’elle était morte d’une crise cardiaque ou quelque chose comme ça.

Angela – Je n’ai aucune certitude, mais apparemment, tout le monde n’est pas d’accord sur les circonstances et les causes de sa mort…

Chloé – Et quels sont les différents scénarios ?

Angela – D’après la concierge, on l’aurait retrouvée dans la cour.

Antoine – Je pensais qu’elle était morte chez elle, dans son lit.

Angela – Sept étages…

Chloé – L’ascenseur était peut-être en panne… Si elle a pris l’escalier, à son âge… Vous croyez que le cœur aurait pu lâcher ?

Angela – Vu l’état du corps quand on l’a retrouvée, elle ne semble avoir pris ni l’escalier, ni l’ascenseur pour descendre depuis son appartement jusque dans la cour.

Antoine – Ah oui…

Angela – D’après Madame Sanchez, ce n’était pas beau à voir. Vous ne l’auriez pas reconnue.

Antoine – D’autant que je ne l’ai jamais vue.

Chloé (songeuse) – Une chute ? Depuis la terrasse…

Antoine – La rambarde est quand même assez haute. À moins de l’enjamber volontairement.

Angela – Ou que quelqu’un vous aide à passer par-dessus…

Chloé – Un meurtre ? C’est une accusation très grave…

Antoine – Mais je ne comprends pas… Le Docteur Brisemiche m’a dit que c’était elle qui avait accompagné ma tante dans ses derniers instants…

Angela – En tout cas, c’est elle qui a signé le certificat de décès. Ce qui explique sans doute qu’il n’y ait pas eu d’enquête. À plus de 90 ans, de toute façon, ça n’intéresse plus la police…

Chloé – Mais c’est monstrueux…

Angela – Je vais prendre un peu l’air sur la terrasse moi aussi… Mais si on me retrouve dans la cour, vous saurez que ce n’est pas un suicide…

Elle sort. Antoine et Chloé échangent un regard atterré.

Antoine – Je commence à me demander si cet héritage est une si bonne affaire que ça…

Chloé – Peut-être que c’est elle qui affabule.

Antoine – Qui ?

Chloé – Cette Angela ! Elle a quand même l’air pas très nette…

Antoine – Disons qu’elle tranche sur les autres.

Chloé – Mais comme les autres ne sont pas très nets non plus… Tu crois vraiment qu’ils auraient pu assassiner la tante Germaine ?

Antoine – Pourquoi ils auraient fait ça ? Ils avaient l’air de bien l’aimer.

Chloé – En tout cas, c’est ce qu’ils disent… Quant à ce curé, c’est curieux, sa tête me dit quelque chose…

Sam, prostituée éventuellement travesti, arrive derrière eux sans qu’ils s’en aperçoivent.

Sam – Bonjour.

Ils sursautent.

Chloé – Vous m’avez fait peur…

Sam – Désolée… C’était ouvert, alors je suis rentrée. La Fête des Voisins, c’est bien ici, n’est-ce pas ?

Antoine – Oui, enfin…

Sam – Vous êtes sans doute Antoine et Chloé.

Chloé – Et vous êtes ?

Sam – Sam. Je viens d’emménager dans l’appartement du premier étage. Oui, je sais, je crains de faire un peu tache dans l’immeuble. Ici, c’est surtout des professions libérales, apparemment.

Antoine – J’en déduis que vous n’êtes ni avocate ni médecin…

Sam – Et pourtant, je suis au forfait, moi aussi. Pour ce qui est de la fiscalité, je veux dire…

Monsieur Crampon revient avec Cassenoix et Dessaint.

Cassenoix – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Sam – Je suis la nouvelle locataire du dessous.

Cassenoix – L’appartement du dessous ?

Sam fait la bise à Crampon.

Sam – Ça va, chéri ?

Mr Crampon (troublé) – Heureusement que ma femme n’est pas là…

Cassenoix – L’appartement du dessous est inoccupé depuis des années…

Sam – Eh bien maintenant, il ne l’est plus. J’ai appris par la concierge que vous célébriez la Fête des Voisins. Alors comme je suis nouvelle, moi aussi, je me suis dit que ce serait l’occasion de…

Mr Crampon – Mais vous avez fort bien fait !

Madame Crampon arrive à son tour.

Mme Crampon – C’est quoi, ça ?

Mr Crampon – Chère Madame, je vous présente ma femme, Jeanine.

Mme Crampon – Je m’appelle Josiane.

Mr Crampon – C’est vrai, excusez-moi. Jeanine c’est ma secrétaire. Je confonds tout le temps…

Sam – Bonjour Josiane, enchantée. Vous permettez que je vous appelle Josiane ?

Mme Crampon – Madame… Vous permettez que je vous appelle Madame ?

Sam – Mais je vous en prie, appelez-moi Sam.

Mme Crampon – Et Sam, c’est le diminutif de…

Sam – Non, non… Sam tout court.

Mme Crampon – Sam tout court… Je vois… Vous préférez garder votre part de mystère…

Mr Crampon – En tout cas, on compte sur vous pour mettre un peu d’ambiance. Parce que pour l’instant, c’est mortel… (Avisant Antoine et Chloé) Excusez-moi, je ne disais pas ça pour Germaine… C’est vrai que sa disparition nous a tous bouleversés…

Mme Crampon – Oui, ça fait quelque chose de se retrouver ici, au milieu de ses meubles et de ses bibelots. D’ailleurs, je ne sais pas si c’est le moment, mais Germaine m’avait toujours dit qu’à sa mort, elle me laisserait cette petite commode…

Chloé – Vraiment ?

Mr Crampon – En tant qu’assureur, j’ai l’habitude d’expertiser les meubles anciens et autres antiquités, et je peux vous dire que cette commode n’a qu’une valeur sentimentale…

Antoine – Nous avions de toute façon l’intention de changer un peu la déco avant d’emménager, alors pourquoi pas ?

Chloé – Et si c’était les dernières volontés de Germaine…

La Baronne revient.

Baronne – Oui… Et puis elle n’est plus là pour dire le contraire, pas vrai ? D’ailleurs, il semble que la Tante Germaine voyait venir sa fin, parce qu’à moi, elle m’avait promis ce vase chinois…

Mme Crampon – À vous ? Elle vous connaissait à peine…

Baronne – On n’a pas toujours besoin de connaître les gens depuis longtemps pour se faire une idée sur leur compte…

Madame Sanchez, la concierge, arrive.

Sanchez – Le vase chinois ? C’est à moi qu’elle voulait le donner !

Mr Crampon – Voici Madame Sanchez, notre concierge.

Sanchez – Non mais pour qui elle se prend, celle-là ?

Baronne – Vous mettez en doute ma parole ?

Sanchez – Pas la peine de prendre vos grands airs avec moi. Les Sanchez sont concierges dans cet immeuble depuis trois générations.

Baronne – Concierge depuis trois générations… Tu parles de quartiers de noblesse… Si vous retourniez dans votre loge, plutôt ?

Sanchez – Parce que Madame la Baronne habite un château, peut-être ? Vous n’habitez que le rez-de-chaussée… (Ironique) Madame Durand… de la cour.

Baronne – En tous cas, ce vase est à moi. C’est la vieille qui m’en a fait cadeau. Elle appréciait beaucoup ma conversation, figurez-vous.

La baronne s’empare du vase.

Sanchez – Il est à moi, je vous dis ! Germaine me l’avait promis. J’ai fait le ménage chez elle pendant trente ans, et je n’ai jamais rien cassé.

La concierge tente d’arracher le vase à la baronne.

Dessaint – Mesdames, je vous en prie… Un peu de retenue…

Baronne – Lâche ça, salope !

Dessaint – Enfin, Madame la Baronne, à vous de donner l’exemple. Saint Martin n’a-t-il pas donné la moitié de son manteau à un pauvre ?

Baronne – Il est con, celui-là ! C’est un vase ! Comment voulez-vous que je lui donne la moitié d’un vase ?

Le vase finit par tomber par terre, sous le regard atterré de Chloé et d’Antoine. La tension retombe aussitôt.

Dessaint – Et voilà…

Sanchez – Je suis vraiment désolée…

Baronne – Non, c’est de ma faute, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Mr Crampon (à Chloé et Antoine) – Excusez-nous… Tout le monde est un peu nerveux…

Mme Crampon – L’émotion, sans doute. Nous avons tous un peu de mal à faire le deuil de l’héritage de Germaine.

Cassenoix – Vous voulez dire le deuil de Germaine, sans doute…

Mr Crampon – Comme je vous l’ai dit, tout ce bric-à-brac n’a aucune valeur marchande. Ce sont juste des souvenirs…

Cassenoix – Et les souvenirs, ça n’a pas de prix, n’est-ce pas ?

Dessaint – Souvenons-nous du vase de Soissons.

Sam – Allons prendre un peu l’air sur la terrasse, ça nous fera du bien…

Ils sortent en laissant seuls Antoine et Chloé.

Chloé – Ce sont des fous dangereux, je te dis…

Antoine – C’est vrai qu’à un moment donné, j’ai vraiment cru qu’elles allaient s’entretuer.

Chloé – Tout ça pour un vase…

Antoine – On fera l’inventaire de ce musée des horreurs, et on verra… Mais après tout, s’ils pouvaient tous emporter quelque chose…

Chloé – Ça nous éviterait de mettre le tout à la décharge.

Antoine – C’est vrai, c’est une idée. On pourrait proposer à chacun de repartir avec un objet de son choix. En souvenir de notre chère disparue…

Chloé – Dans ce cas, il vaudrait mieux tirer les lots au sort, pour éviter une émeute…

Antoine – Tu crois que la vieille a fait exprès de promettre ce vase à deux personnes différentes ?

Chloé – Pourquoi elle aurait fait ça ?

Madame Zarbi arrive.

Zarbi – Beaucoup de gens aiment partir en se disant qu’ils laissent un gros merdier derrière eux… Que ce soit un pot de chambre à se partager en deux ou la Palestine. Au Moyen-Orient, ça fait 5 000 ans que ça dure. J’imagine que pour nos chers aînés, c’est une façon d’accéder à l’immortalité. En continuant à être présents parmi nous après leur disparition, à travers la somme d’emmerdements qu’ils nous laissent en partant… Au moins, comme ça, ils sont sûrs qu’on ne les oubliera pas tout de suite… Madame Zarbi, psychothérapeute. Je suis votre voisine du cinquième…

Chloé – Psychanalyste ? Mais je vous en prie, entrez. Plus on est de fous, plus on rit…

Antoine – J’en conclus que vous connaissiez bien la Tante Germaine. C’était une de vos patientes ?

Zarbi – Si c’était le cas, je ne pourrais pas vous le dire. Secret professionnel. Mais non. Germaine appartenait à une génération qui préférait confier ses secrets dans un confessionnal plutôt que sur un divan.

Antoine – Il est vrai que cela coûte beaucoup moins cher.

Zarbi – Et c’est beaucoup moins douloureux. Chez moi, on ne s’en sort pas avec deux Notre Père…

Chloé – Eh oui… Quand on va voir un psy, le but c’est plutôt d’arriver à tuer le sien…

Zarbi – Avez-vous réussi à tuer le vôtre ?

Embarras de Chloé.

Antoine – Donc, quoi qu’il en soit, vous connaissiez Germaine ?

Zarbi – Je l’observais, de loin… Simple déformation professionnelle…

Chloé – Puisque ce n’était pas une de vos patientes, vous pouvez nous en parler un peu.

Zarbi – Oh… Ce ne sont que des rumeurs… que votre tante semblait prendre plaisir colporter elle-même.

Antoine – Quel genre de rumeurs ?

Zarbi – D’après cette légende urbaine, votre tante avait chez elle un trésor caché.

Chloé – Un trésor ?

Zarbi – Si l’on en croit la concierge, le défunt mari de Germaine avait amassé une fortune en faisant du marché noir pendant la guerre. Avec la bénédiction des Allemands.

Antoine – D’où le besoin de cacher cet argent sale après la Libération…

Zarbi – Elle aurait acquis cet appartement pendant cette période trouble, sans que l’on sache très bien ce que sont devenus les anciens propriétaires, arrêtés du jour au lendemain par la Gestapo sur dénonciation…

Chloé – Vraiment…?

Antoine – Donc on ne sait pas exactement ce qu’était ce trésor, ni évidemment où il serait dissimulé.

Zarbi – À moins que tout cela ne soit qu’un mythe, bien sûr…

Chloé – Mais vous dites que cette légende était entretenue par Germaine elle-même. Pourquoi aurait-elle éprouvé le besoin de se faire passer pour une collabo ?

Zarbi – Qui sait ? Elle trouvait peut-être intérêt à faire courir le bruit qu’elle possédait une fortune cachée, dont elle pourrait éventuellement faire profiter après sa mort tous ceux qui se seraient montrés aimables avec elle de son vivant…

Chloé – Je vois…

Zarbi – Je vais rejoindre les autres sur la terrasse… J’imagine que c’est là où ça se passe, comme tous les ans…

Zarbi sort.

Chloé – Décidément, ta tante Germaine me semble de plus en plus sympathique…

Antoine – Et son héritage de plus en plus sulfureux.

Chloé – Pas étonnant que le reste de la famille ait rompu avec elle.

Antoine – Et s’ils étaient tous venus pour mettre la main sur le trésor de la vieille ?

Chloé – C’est pour ça qu’ils veulent tous partir avec quelque chose.

Antoine – Va savoir, il y avait peut-être quelque chose de caché dans ce vase…

Chloé – On s’en serait rendu compte, non ?

Antoine – La commode a peut-être un double-fond…

Chloé – À moins qu’un chef d’œuvre ne se cache sous la croûte de cet infâme tableau.

Antoine – Ou alors l’un d’entre eux a déjà trouvé le trésor…

Chloé – Et ils ont décidé de se débarrasser de la vieille après ça pour se partager le butin.

Antoine – Mais alors pourquoi seraient-ils là aujourd’hui ?

Chloé – Ils n’ont pas encore réussi à mettre la main sur l’appartement…

Antoine – On les gêne dans leurs plans, c’est sûr.

Un temps.

Chloé – Ils vont peut-être nous dénoncer à la police, nous aussi.

Antoine – Mais on n’a rien à se reprocher.

Chloé – Et les Juifs que ta tante a dénoncés, tu crois qu’ils avaient quelque chose à se reprocher ?

Antoine – Tu crois qu’ils étaient juifs ?

Chloé – C’est probable.

Antoine – Quoi qu’il en soit, on n’est plus gouvernés par des nazis ! Et puis on n’est pas juifs.

Chloé – Parle pour toi.

Antoine – Tu es juive ?

Chloé – Pourquoi, ça te dérange ?

Antoine – Pas du tout, je ne savais pas, c’est tout.

Chloé – Disons que j’ai… des origines juives.

Antoine – Comment ça, des origines ? On a tous des origines juives, non ? Je veux dire, avant d’être catholiques, on était tous juifs. Comme Jésus-Christ.

Chloé – Alors pour toi, tous les Gaulois étaient juifs.

Antoine – Mais non… Je veux dire… Alors comme ça, tu as des origines juives ? Je ne savais pas…

Chloé – Oui, enfin… Il y a une semaine, tu ne savais pas non plus que tu avais des origines antisémites…

Antoine – Non mais tu délires ! Je ne suis pas responsable de ce que ma tante a fait pendant la dernière guerre. Je n’étais même pas né !

Chloé – Bon, en tout cas, de savoir que ta tante Germaine a dénoncé des Juifs pendant la guerre pour s’approprier leur appartement. Et que nous, on pourrait vivre dans cet appartement après en avoir hérité… Ça, ça me dérange, tu vois.

Blanc.

Antoine – Je crois surtout qu’on nage en plein délire, là…

Chloé – Tu as raison. Ce n’est que la Fête des Voisins, après tout.

Antoine – Ou alors ils ont mis quelque chose dans la sangria…

Chloé – Allons faire un tour sur la terrasse pour voir ce qu’ils complotent.

Antoine – Tu crois ?

Chloé – On est chez nous, non ?

Antoine – Si tu le dis…

Ils sortent. Sam arrive et se met à fouiller la pièce. Sanchez revient et la surprend.

Sanchez – Eh bien ne vous gênez pas…

Sam – Ah, Madame Sanchez… Vous vous méprenez, je vous assure. Je ne suis pas celle que vous croyez…

Sanchez – Ça, je m’en doutais un peu, vous voyez…

Sam – À vous je peux bien le dire… Vous êtes presque du métier…

Sanchez – Quel métier ? Ne vous gênez pas, traitez-moi de pute, aussi  !

Sam lui met sous le nez une carte de police.

Sam – Inspecteur Ramirez.

Sanchez – Inspecteur ?

Sam met un doigt sur ses lèvres pour lui signifier que cette information doit rester secrète.

Sam – Je suis ici… undercover.

Sanchez – Under quoi ?

Sam – Déguisée ! Infiltrée ! Sous une fausse identité, si vous préférez.

Sanchez – Ah oui…

Sam – Nous avons de bonnes raisons de soupçonner que la vieille… Comment s’appelait-elle déjà ?

Sanchez – Germaine.

Sam – C’est ça… Nous pensons que Germaine n’est pas morte de mort naturelle…

Sanchez – Ah oui ?

Sam – Il pourrait s’agir d’un meurtre, mais nous n’avons pas de preuve… Je suis là pour enquêter.

Sanchez – Ah bon…

Sam – Vous n’êtes pas très bavarde, pour une concierge, dites-moi…

Sanchez – Non…

Sam – Et à part ça vous savez quelque chose ?

Sanchez – Ben non…

Sam – Je sens que vous allez m’être d’une aide précieuse. Vous connaissez les circonstances exactes de la mort de Germaine ?

Sanchez – C’était un accident, non ?

Sam – Allez savoir… Quand c’est un des meurtriers potentiels qui délivre le certificat de décès, et un autre l’extrême onction dans la foulée…

Sanchez – Ah oui…

Sam – Et à propos de ce trésor que la vieille aurait caché chez elle, j’imagine que vous ne savez rien non plus…

Sanchez – Non.

Sam – Bon… Allons nous mélanger un peu sur la terrasse, sinon on va finir par attirer l’attention. Et si de votre côté vous apprenez quelque chose d’intéressant, vous venez aussitôt me faire un rapport, d’accord ?

Sanchez – Très bien…

Sam – Considérez désormais que vous êtes mon adjointe, Sanchez…

Elles sortent. Arrive le Colonel Gonfland accompagné de Maître Fouinart, avocat.

Fouinart – Personne…

Gonfland – Mais le buffet est bien là, comme tous les ans…

Fouinart – Ils doivent être sur la terrasse…

Gonfland – Profitons-en pour nous servir un verre.

Fouinart – Sangria ?

Gonfland – Volontiers…

Fouinart – De toute façon, je ne vois rien d’autre…

Ils trinquent et boivent.

Gonfland – La sangria de la mère Cassenoix est toujours aussi imbuvable.

Fouinart – Oui, comme tous les ans…

Ils re-boivent une gorgée.

Gonfland – Je me demande quand même si ce putain de moine ne saurait pas quelque chose.

Fouinart – Le Père Dessaint ? Vous croyez ?

Gonfland – C’était le confesseur de la vieille, non ?

Fouinart – Vous pensez que ce Tartuffe pourrait essayer de nous doubler ?

Gonfland – Comment faire confiance à un curé ?

Fouinart – Surtout un curé défroqué…

Gonfland – Pourquoi est-ce que son évêque l’a contraint à quitter l’Église, au fait ? Il prétend que c’est lui qui a démissionné, mais je n’y crois pas trop.

Fouinart – Vous savez, pour que l’Église se résigne à se séparer d’un curé, avec la crise actuelle des vocations… Il faut vraiment qu’il ait fait quelque chose de très grave.

Gonfland – C’est clair. On ne les vire pas pour une simple affaire de pédophilie.

Fouinart – Peut-être parce qu’il voulait continuer à dire la messe en latin, ou quelque chose de ce genre.

Gonfland – Mais vous êtes son avocat, vous devez bien savoir quelque chose.

Fouinart – Ah… Secret professionnel…

Gonfland – Eh, oh, pas à moi…

Fouinart – Je n’étais que son avocat, pas son confesseur.

Gonfland – En tout cas, je suis sûr qu’il sait où elle a planqué le magot. Je vais le confesser, moi, vous allez voir…

Fouinart – N’y allez pas trop fort quand même. On a déjà la mort de la vieille sur les bras…

Gonfland – Ne vous inquiétez pas, je saurai faire preuve de psychologie. En tout cas, ça ne laissera pas de traces…

Fouinart – Qui d’autre pourrait savoir quelque chose à propos de l’argent de la vieille ?

Gonfland – L’assureur ?

Fouinart – Ça m’étonnerait. Germaine avait de bonnes raisons de ne pas lui faire confiance.

Gonfland – Vous savez pourquoi il a fait de la prison, au fait ?

Fouinart – Il encaissait les primes de ses clients, dont il était supposé assurer les biens, mais l’argent allait directement dans sa poche…

Gonfland – En somme, c’est un type dans mon genre. Lui aussi, il est dans la cavalerie.

Fouinart – Il s’est fait pincer après un incendie. Son client espérait être remboursé, et il s’est rendu compte qu’il n’était pas assuré.

Gonfland – Ah oui, c’est ballot.

Fouinart – Le pire c’est que le type avait mis le feu lui-même à sa maison de campagne, parce qu’il n’arrivait pas à la revendre… Il espérait faire une bonne affaire en touchant l’assurance…

Gonfland – Quel con… Mais vous semblez bien connaître le dossier…

Fouinart – Oui… Le con, c’était moi…

Gonfland – Je vois… En tout cas, on n’a plus beaucoup de temps… Quand ces deux crétins habiteront ici à plein temps, ce sera beaucoup plus difficile pour fouiller l’appartement.

Gonfland se met à ouvrir quelques tiroirs et à fouiner un peu partout. Fouinart l’imite. Monsieur Crampon revient, avec Dessaint.

Mr Crampon – Vous cherchez quelque chose ?

Fouinart – La même chose que vous, probablement…

Gonfland – Vous étiez son assureur, vous avez dû faire un inventaire de ses biens, non ?

Mr Crampon – Il faut croire que si elle avait vraiment un trésor, elle a préféré ne pas l’inclure dans l’inventaire…

Gonfland – Et vous mon Père ? Vous étiez son confesseur  !

Dessaint – Hélas, mon fils, Germaine ne me disait pas tout… Et quand bien même, je vous rappelle que je suis tenu au secret de la confession…

Mr Crampon – Tant que vous n’essayez pas de nous faire un enfant dans le dos…

Fouinart et Crampon se mettent à chercher partout.

Dessaint – Restons confiants, mes enfants. La Bible ne dit-elle pas : Cherche et tu trouveras, demande et il te sera donné, frappe et on t’ouvrira…

Mr Crampon – Et en plus, il se fout de nous !

Gonfland s’approche de Dessaint avec un air menaçant.

Gonfland – Vous êtes sûr de ne pas avoir quelque chose à nous confesser, mon Père ? Confiez-vous à moi, et je vous donnerai l’absolution. Mais si vous préférez le martyr, je délivre aussi les derniers sacrements…

Antoine et Chloé reviennent et les aperçoivent. Gonfland relâche le curé qu’il avait saisi par le col, et les deux autres, pris en faute, cessent aussitôt leurs recherches.

Fouinart – Ah, chers amis… Nous nous apprêtions à vous rejoindre, justement… Je me présente, Maître Fouinart, avocat au barreau.

Gonfland – Inutile de préciser lequel. Tous ses clients finissent derrière les barreaux…

Fouinart – Et voici le Colonel Gonfland.

Gonfland – Chers voisins…

Antoine – Vous… avez perdu quelque chose ?

Fouinart – Euh… Oui… Le Colonel ne sait plus ce qu’il a fait de son téléphone portable.

Chloé – Eh bien vous n’avez qu’à l’appeler.

Fouinart – Pourquoi l’appellerais-je ? Puisqu’il est à côté de moi…

Chloé – Pour savoir où se trouve son téléphone.

Fouinart – Ah oui, bien sûr, mais… Je ne suis pas sûr d’avoir son numéro…

Antoine – Eh bien vous n’avez qu’à lui demander. Puisqu’il est à côté de vous, justement.

Fouinart – Bien sûr, mais… Ah voilà, je crois que je l’ai…

Il appuie sur une touche de son portable. Celui de Gonfland sonne aussitôt dans sa poche.

Gonfland – C’est idiot, je le cherche toujours partout, et il est dans ma poche…

Fouinart – Bon, eh bien… maintenant que les présentations sont faites…

Moment d’embarras.

Gonfland – Vous m’accompagnez sur la terrasse, mon Père ? J’ai une petite question à vous poser. Un cas de conscience, en quelque sorte…

Dessaint (méfiant) – Si je peux vous éclairer, mon fils…

Ils sortent.

Fouinart – Je vais mettre un peu de musique…

Il met de la musique. On entend des cris. Fouinart met la musique plus fort.

Fouinart – J’adore ce passage. C’est Chopin, n’est-ce pas ?

Chloé – C’est Wagner.

Fouinart – Voilà, je l’avais sur le bout de la langue… (Bruits de lutte) Je vais voir ce qu’ils font… Le colonel a un tempérament un peu sanguin. Lorsqu’il parle théologie avec le Père Dessaint, il a tendance à s’enflammer un peu…

Il sort. Chloé baisse la musique.

Chloé – C’est curieux, il a vraiment une tête qui me dit quelque chose, ce curé.

Antoine – Où est-ce que tu aurais bien pu rencontrer un curé ?

Chloé – J’ai quand même fait ma première communion…

Antoine – Tu m’as dit tout à l’heure que tu étais juive !

Chloé – Je n’ai pas dit que j’étais juive ! Disons que… C’est un peu plus compliqué que ça.

Zarbi revient et se sert de la sangria.

Chloé – Vous le connaissez bien, vous, le Père Dessaint ?

Zarbi – Les curés entreprennent très rarement une psychanalyse. C’est fort dommage, d’ailleurs. Ce sont pourtant ceux qui en auraient le plus besoin.

Chloé – J’ai l’impression de le connaître, mais je n’arrive pas à me souvenir dans quelles circonstances j’aurais bien pu le rencontrer…

Zarbi – Il y a parfois des choses dont on préfère ne pas se rappeler. On appelle ça le refoulement.

Antoine – C’est vrai… C’est comme à propos de la Tante Germaine. Je ne savais pas que j’avais une tante, et pourtant, quand j’ai appris son existence, ça ne m’a pas vraiment surpris. Il faut croire que j’en avais quand même entendu parler, quand j’étais enfant.

Zarbi – Les secrets de famille… C’est comme les cadavres qu’on jette à l’eau avec un boulet autour du pied. Avec le temps, et la putréfaction aidant, ça finit toujours par remonter à la surface.

Antoine – La Tante Germaine…

Zarbi – Bannie pour collusion avec la Germanie.

Blanc.

Chloé – Quand j’étais adolescente, tout le monde se moquait de moi parce que j’avais déjà une forte poitrine. Je ne sais pas pourquoi ça me revient comme ça, maintenant.

Zarbi – Le Père Dessaint… Ça devrait vous mettre la puce à l’oreille…

Nouveau blanc. Trouble de Chloé.

Chloé – Ça y est, je me souviens maintenant… La première communion… Le catéchisme… C’était lui !

Antoine – Lui ?

Chloé – Je voulais passer ma première communion, comme toutes mes copines. Pour être comme elles. J’ai fait toutes mes études dans une école catholique…

Antoine – Tu ne m’avais jamais parlé de ça non plus. Tu ne jures que par l’école publique !

Zarbi – Il faut vous faire une raison, mon pauvre ami. Les femmes ne vous disent pas tout. Pas même votre sainte mère. D’ailleurs, elle vous avait caché l’existence de la tante germanophile.

Chloé – Le curé savait que j’avais des origines juives. Il m’a dit qu’il pouvait fermer les yeux… à condition que je ferme aussi les miens.

Elle sort précipitamment. Fouinart revient et remonte le son.

Fouinart – J’adore ce passage…

La baronne revient.

Baronne – On ne s’entend plus, ici.

Zarbi – Au contraire, on s’entend de mieux en mieux, je vous assure.

Fouinart – Ne dit-on pas que la musique adoucit les meurtres ? Je veux dire les mœurs…

Gonfland revient aussi.

Gonfland – Madame la Baronne, mes hommages. M’accorderez-vous cette danse ?

Baronne – Désolée, Colonel, mais en dessous de Général de Brigade, je n’inscris personne sur mon carnet de bal. Alors un colonel. À moins qu’il soit très jeune…

Gonfland – En même temps, Baronne, c’est le grade le moins élevé chez les sang bleu, non ?

Baronne – Et puis à moins d’être militaire, on ne danse pas sur du Wagner…

Fouinart – Puisque personne ne danse, je vais baisser un peu la musique…

Il baisse la musique.

Gonfland – Et si nous allions féliciter Madame Cassenoix pour sa sangria…

Zarbi – Oui, d’ailleurs, il faudra qu’elle nous donne la recette.

Fouinart – Vous savez qu’elle a toujours refusé de nous en livrer le secret.

Gonfland – Cher Maître, vous oubliez que j’ai fait la guerre d’Algérie. Je saurai comment la faire parler.

Fouinart – Il est impayable…

Fouinart et Gonfland sortent. Chloé revient.

Antoine – Ça va ? Tu es toute pâle…

Chloé – Oui, oui… Ça va mieux… Ça ne devrait pas, mais ça va mieux… Enfin, je veux dire… C’est vrai que ça soulage…

Antoine n’a pas l’air de comprendre.

Zarbi – Je crois qu’elle a enfin tué le Père.

Zarbi sort.

Antoine – C’est des malades, je te dis…

Chloé – Et je commence à me demander si leur folie n’est pas contagieuse…

Antoine (ailleurs) – Ah oui…?

Chloé – Je crois que je me suis un peu laissée emporter tout à l’heure, avec le Père Dessaint… Il a encore essayé de me toucher la poitrine, alors je l’ai repoussé un peu violemment…

Antoine – N’empêche qu’il y a bien un trésor dans cette maison. Tu as vu ? Ils étaient tous en train de fouiner partout…

Chloé – On n’a qu’à chercher nous aussi…

Antoine – Mais par où commencer ?

Chloé – En tout cas, il faudra tous les fouiller avant qu’ils ne s’en aillent…

Antoine – Il y a dix minutes, on voulait les laisser partir chacun avec quelque chose, pour débarrasser…

Chloé – Il n’en est plus question. (Un peu hystérique) Il est à nous, ce trésor, et on va le trouver !

Ils se mettent à fouiller. Madame Sanchez, la concierge, revient. Ils s’interrompent en voyant qu’elle les observe.

Antoine – Ah, Madame Sanchez…

Chloé – Vous êtes la concierge, n’est-ce pas ?

Sanchez – Je cherche cette dame, là. Sam… Vous ne l’avez pas vue, par hasard ?

Chloé – Pas vue…

Antoine – Alors comme ça, c’est vous la concierge…

Sanchez – Hun, Hun…

Chloé – Donc, c’est à vous que nous donnerons des étrennes tous les ans au mois de janvier.

Antoine – J’espère que ma tante se montrait généreuse avec vous…

Sanchez – Germaine… On ne peut pas dire, non. Je faisais pourtant le ménage chez elle toutes les semaines. Jamais un pourboire en trente ans.

Antoine – Je crains malheureusement que nous n’ayons pas les moyens de continuer à vous employer pour faire le ménage.

Chloé – Nous ne possédons pas de trésor caché, nous. Comme la tante Germaine…

Sanchez – Non, ça, Germaine n’était pas très généreuse…

Antoine – Pourtant, elle avait l’air très appréciée dans l’immeuble…

Sanchez – C’est sûr… Elle avait fait miroiter à tout le monde qu’elle ne nous oublierait pas sur son testament.

Antoine – Son testament ? Ma tante avait rédigé un testament ?

Sanchez se sert un verre de sangria.

Sanchez – En tout cas, personne n’a rien retrouvé après sa mort… Mais allez savoir… Il finira peut-être par remonter un jour à la surface, lui aussi… Excusez-moi, il faut absolument que je parle au commissaire… Je veux dire à cette pute.

Sanchez sort.

Antoine – Un testament… Tu te rends compte, ça changerait tout !

Chloé – Pourquoi ça ?

Antoine – Je ne suis que l’arrière petit-neveu ! Si j’hérite de cet appartement, c’est parce qu’on n’a pas retrouvé de testament qui désignerait spécifiquement quelqu’un d’autre comme légataire.

Chloé – Mais puisque tu es la seule famille qui lui reste.

Antoine – Je ne suis qu’un héritier par défaut ! Si elle a fait un testament, elle a très bien pu léguer son appartement à quelqu’un d’autre ! À ses voisins, par exemple.

Chloé – Je vois… Donc, si on en retrouvait ce document…

Antoine – On n’aurait plus qu’à retourner à La Garenne-Colombes.

Chloé – Alors tu crois que c’est ça qu’ils cherchent : le testament.

Antoine – En tout cas, si ce papier existe, il serait bon de mettre la main dessus avant eux.

Chloé – On ne peut pas les mettre dehors maintenant…

Antoine – Où est-ce qu’elle aurait bien pu le planquer, ce putain de testament ?

Chloé – Allons voir dans sa chambre…

Ils sortent. Sam revient et se remet à fouiller la pièce. Elle est interrompue par l’arrivée de Sanchez.

Sanchez – Ah, Commissaire, je vous cherchais. Il semblerait que le Père Dessaint ait lui aussi été victime d’un accident domestique… Je viens de voir son corps écrasé en bas dans la cour.

Sam – Décidément, cette rambarde a l’air dangereuse. Il faudrait veiller à la faire réparer, Madame Sanchez. J’en toucherai un mot au syndic.

Sanchez – Je vous dis que quelqu’un est mort, et c’est tout ce que ça vous inspire ?

Sam – Vous avez raison, je vais aller jeter un coup d’œil.

Ils sortent. Madame Cassenoix revient avec Maître Fouinart et le Colonel Gonfland.

Cassenoix – Vous manquez vraiment de doigté, Colonel. On n’avait pas besoin d’un deuxième cadavre sur les bras.

Fouinart – Ça va finir par sembler louche, c’est sûr…

Gonfland – Mais ce n’est pas moi, je vous jure ! Je l’ai juste un peu secoué. Avant de le laisser en compagnie de la maîtresse de maison.

Cassenoix – Bon, quoi qu’il en soit, arrangez-vous pour faire disparaître le corps. Vous n’avez qu’à le mettre à la cave pour l’instant. On verra après…

Gonfland – Je m’en occupe…

Fouinart – Un curé… Personne ne s’inquiétera de sa disparition… Plus personne ne va à la messe…

Gonfland – Surtout les messes en latin.

Cassenoix – Bon, eh bien allez-y, Colonel, qu’est-ce que vous attendez ?

Gonfland – J’y vais…

Gonfland sort.

Fouinart – Et dire que le curé était peut-être le seul à savoir où se trouve le testament de Germaine…

Cassenoix – Vous êtes sûr qu’il existe, au moins ?

Fouinart – C’est moi-même qui lui ai suggéré d’en rédiger un. Elle m’a juré qu’elle l’avait fait.

Cassenoix – Pourtant aucun document n’a été déposé chez son notaire.

Fouinart – Elle a pu faire un testament olographe.

Cassenoix – Olographe ?

Fouinart – Une déclaration manuscrite, sur papier libre. Qu’elle aura caché quelque part chez elle. C’est tout aussi légal. À condition de le retrouver…

Cassenoix – Ça sert à quoi de faire un testament, si c’est pour le planquer et que personne ne le trouve ?

Fouinart – Allez savoir ? Elle avait peut-être peur que ce document tombe entre les mains de personnes mal intentionnées…

Cassenoix – Il doit être bien être quelque part, ce foutu papier…

Fouinart – Évidemment, un testament remettrait en cause l’héritage de ce neveu éloigné.

Cassenoix – À condition que cette vieille folle ait testé en notre faveur, bien sûr.

Fouinart – Tiens, ils sont passés où, d’ailleurs, ces deux crétins ?

Madame Sanchez arrive.

Fouinart – C’est vous qui faisiez le ménage chez Germaine, vous ne sauriez pas où elle rangeait ses papiers importants ?

Sanchez – Qu’est-ce que vous croyez ? Ce n’est pas parce qu’on est femme de ménage qu’on fouille partout…

Zarbi arrive. Suivie de Gonfland.

Cassenoix – Et vous Madame Zarbi ? Vous avez une idée ?

Zarbi – Je suis psychanalyste, pas médium.

Fouinart – Tout de même, vous connaissez les mystères de l’âme humaine…

Zarbi – Vous avez lu La Lettre d’Edgar Poe ?

Cassenoix – Je ne savais même pas qu’il nous avait écrit une lettre. C’est un nouveau locataire ?

Zarbi – Lorsqu’on veut cacher quelque chose, c’est parfois plus simple de le mettre bien en évidence, là où ceux qui cherchent ne pensent pas à regarder…

Elle repart.

Gonfland – Je déteste ses airs mystérieux et son côté donneur de leçon.

Cassenoix – Bien en évidence… Elle a peut-être raison. Qu’est-ce qui est le plus en évidence, ici ?

Ils regardent tous autour d’eux, perplexes, sans s’arrêter sur le tableau qui trône pourtant au centre de la pièce. Ils se mettent tous à fouiner. Madame Crampon arrive.

Mme Crampon – Je crois que j’ai trouvé quelque chose.

Tous les autres la regardent. Elle brandit une perruque.

Cassenoix – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Mme Crampon – Une perruque.

Gonfland – Et alors ?

Cassenoix – Vous allez nous dire que finalement, Germaine était un travesti ?

Sanchez – Ça doit être un souvenir.

Fouinart – Un souvenir ?

Sanchez – La perruque qu’elle a dû mettre à la libération après avoir été tondue…

Sanchez met la perruque. Antoine et Chloé reviennent.

Antoine – Qu’est-ce que vous faites avec ça ?

Cassenoix – Quoi ? On n’a pas le droit de s’amuser ?

Gonfland – C’est vrai, ça. Ça finit par être agaçant. Vous nous surveillez ou quoi ?

Chloé – Nous, on vous surveille ?

Antoine – On est chez nous, non ?

Fouinart – Pour l’instant, oui…

Chloé – Pour l’instant ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Gonfland – Vous le savez très bien. Vous n’avez aucune légitimité à être ici. Vous ne connaissiez même pas Germaine.

Antoine – Peut-être, mais les liens du sang, ça existe. Et la loi, c’est la loi. Que cela vous plaise ou non, c’est moi qui hérite de cet appartement.

Sanchez – On ne vous a même pas vu à l’enterrement de Germaine !

Chloé – Et vous ? Vous ne vous occupiez d’elle que dans l’espoir d’être couchés sur son testament !

Cassenoix – Votre tante détestait les gauchistes. Elle n’aurait jamais légué tous ses biens à des gens comme vous.

Antoine – Vous, vous commencez vraiment à nous casser les noix…

Gonfland – Ne manquez pas de respect à Madame Cassenoix, jeune impertinent. Vous voulez finir comme votre tante ?

Antoine – Alors c’est vrai, c’est vous qui avez assassiné Germaine ?

Fouinart – Allons, Colonel, reprenez votre sang froid… Vous savez bien que la tante Germaine est morte accidentellement…

Brisemiche arrive, suivie de Sam.

Chloé – Je croyais que c’était une crise cardiaque. N’est-ce pas, Docteur ?

Brisemiche – À vrai dire, on ne sait pas très bien…

Antoine – C’est pourtant vous qui avez émis le certificat de décès, non ?

Brisemiche – La médecine légale n’est pas une science exacte, vous savez…

Chloé – Tout de même, vous devez bien savoir si elle est morte d’un arrêt du cœur, d’une chute depuis le septième étage, d’une balle dans le dos…

Antoine – D’une absorption massive de barbituriques ou des suites d’une strangulation…

Mme Crampon – En fait, c’est un peu tout ça à la fois…

Un ange passe.

Sanchez (en aparté à Sam) – Qu’est-ce que vous attendez pour les arrêter ?

Sam – J’attends d’avoir plus de preuves… Croyez-moi, laissez faire la police…

Sam repart, suivie de Sanchez.

Fouinart – Je crois que Madame Crampon a un peu abusé de cette excellente sangria. Et si son mari l’emmenait prendre un peu l’air sur la terrasse.

Mr Crampon – Allez viens, chérie…

Mme Crampon – Tout de même, je tiens encore debout…

Monsieur Crampon sort en emmenant sa femme. Zarbi revient et se sert un verre de sangria.

Fouinart – Je crois que nous avons tous un peu trop fait honneur à ce délicieux élixir que nous a concocté Madame Cassenoix.

Brisemiche – Oui, d’ailleurs, vous devez toujours me donner le secret de votre recette…

Zarbi – Le secret de la sangria, comme d’une bonne réunion de famille, c’est de laisser bien mariner tout ça dans son jus pendant un certain temps.

Elle repart d’un pas mal assuré, passablement bourrée.

Fouinart – Bref, je crois que nous devons tous reprendre un peu nos esprits. Nous sommes seulement là pour célébrer la Fête des Voisins, et la mémoire de notre chère disparue.

Mr Crampon – Oui, très chère…

Brisemiche – Et… Qu’est-ce que vous faites, dans la vie, mon petit Antoine ?

Antoine – Je travaille pour une maison d’édition. Je suis directeur de collection. J’édite des guides de voyage…

Cassenoix – Des guides de voyage, voyez-vous ça… Mais c’est passionnant…

Fouinart – Donc, vous êtes un grand voyageur.

Antoine – On peut écrire des romans policiers sans être un flic ou un voyou, vous savez.

Chloé – Malheureusement, aujourd’hui, on peut même écrire des romans sans être romancier…

Brisemiche – Et vous Mademoiselle ?

Chloé – Je suis professeur d’anglais.

Cassenoix (ailleurs) – Ah, c’est bien ça…

Brisemiche – Et j’imagine que pour être professeur d’anglais, il faut quand même parler anglais.

Chloé – Oui… Encore que, on a tellement de mal à trouver des professeurs, aujourd’hui. Peut-être que bientôt, ce ne sera plus obligatoire.

Cassenoix – C’est comme les médecins. Il n’y en a plus ! On est obligé d’en faire venir de l’étranger. Figurez-vous que le mien est noir…

Fouinart – Non ?

Brisemiche – Et c’est pareil pour les curés. Avec la crise des vocations… Vous allez voir que d’ici peu, il ne sera plus nécessaire de croire en Dieu pour dire la messe.

Fouinart – Ou même d’être catholique. Ne dit-on pas qu’on va transformer nos églises en synagogues ?

Brisemiche – Il me semble que c’était plutôt des mosquées, non ?

Fouinart – Oui, enfin, ça revient au même.

Monsieur Crampon revient.

Mr Crampon – Je vous ressers un peu de sangria ?

Cassenoix – Allez…

L’atmosphère est un peu lourde.

Antoine – Non merci…

Chloé – Moi non plus, je crois que j’ai assez bu.

Antoine – D’ailleurs, il commence à être un peu tard, non ?

Cassenoix – Allons, un petit dernier. Pour la route…

Mr Crampon – On ne va pas se quitter comme ça, on vient à peine de faire connaissance…

Cassenoix donne un verre de sangria à Antoine et Chloé, qui se forcent à boire encore un peu.

Brisemiche – Elle est bonne, n’est-ce pas ?

Chloé – Oui… Je crois que je vais aller vomir…

Antoine – Je t’accompagne.

Ils s’apprêtent à sortir précipitamment.

Cassenoix – Vous savez où se trouvent les toilettes ?

Brisemiche – Au fond du couloir en face.

Antoine et Chloé sortent.

Fouinart – C’est vraiment infect. Mais qu’est-ce que vous mettez là-dedans ?

Mr Crampon – Vous ne cherchez pas à nous empoisonner nous aussi, afin de garder l’héritage pour vous toute seule ?

Brisemiche – Allons, voyons… Vous savez bien que pour Germaine, c’était un regrettable accident.

Fouinart – Tout au plus un homicide involontaire, au regard de la loi.

Cassenoix – On pourrait presque dire un accident domestique suivi d’une erreur médicale.

Mr Crampon – Il n’empêche, si on ne retrouve pas ce testament, on ne touchera rien.

Cassenoix – Elle nous a bien baladé, la vieille.

Brisemiche – Est-ce qu’il existe, au moins, ce testament ?

Sanchez – On a cherché partout.

Fouinart – Et si c’était eux qui l’avaient trouvé avant nous ?

Brisemiche – Eux ?

Fouinart – Ces deux fouille-merde !

Cassenoix – Et qu’ils l’avaient fait disparaître ?

Brisemiche – C’est dans leur intérêt, non ?

Gonfland – On n’a qu’à les interroger.

Brisemiche – Mais sans violence inutile, alors.

Gonfland – On va attendre qu’ils reviennent.

Cassenoix – On a déjà cherché partout ici…

Mr Crampon – Profitons-en pendant qu’ils sont dans la salle de bain pour fouiller le reste de l’appartement…

Cassenoix – Vous voyez qu’elle a du bon ma sangria.

Ils sortent. Antoine et Chloé reviennent.

Antoine – Tu crois qu’ils se sont barrés ?

Chloé – Ça m’étonnerait… Tant qu’ils n’ont pas trouvé ce testament…

Antoine – Où est-ce que la vieille a bien pu planquer ça ?

Chloé – Dans un coffre ?

Antoine – Dans les films, souvent, les coffres, c’est derrière les tableaux…

Ils se mettent à deux pour décrocher le tableau.

Antoine – Putain, c’est lourd…

Ils posent le tableau contre un meuble.

Chloé – Pas de coffre derrière le tableau.

Antoine semble voir quelque chose derrière le tableau.

Antoine – En revanche, regarde…

Ils retournent le tableau et voient que le dos de la toile est couvert par un texte.

Chloé – Le testament de la tante Germaine…

Comme effrayés, ils retournent le tableau pour ne plus voir le dos.

Antoine – Ça fait un drôle d’effet, quand même.

Chloé – Oui… On dirait un message laissé par un fantôme.

Antoine – Qu’est-ce qu’on fait ?

Chloé – On pourrait faire comme si on n’avait rien trouvé.

Antoine – Ou même le détruire, pour plus de sécurité, et faire comme si ce testament n’avait jamais existé…

Chloé – Peut-être qu’elle te lègue quand même l’appartement, finalement… Toi tu ne connaissais pas son existence, mais elle elle savait qu’elle avait un petit-neveu, non ?

Antoine – Ça arrangerait tout, mais bon… Il ne faut pas rêver, tout de même…

Chloé – On ne sait jamais. Autant regarder ce qu’il y a dedans avant de décider si on le détruit.

Antoine – C’est vrai que ça nous éviterait un cas de conscience plutôt délicat à résoudre…

Chloé – Si on peut récupérer cet appartement haussmannien sans avoir à bafouer les volontés d’une vieille antisémite.

Antoine – Tu as raison… Il sera toujours temps de m’arranger avec ma conscience si ce testament me dépossède de mon héritage légitime.

Chloé – Un héritage accumulé en spoliant mes ancêtres israélites après les avoir fait déporter.

Antoine – D’un autre côté, ça te permettrait de récupérer tout ça.

Chloé – En somme, ce serait une œuvre de justice, tu veux dire… Un juste retour des choses…

Antoine – C’est un peu jésuite, mais bon… Ça se tient…

Chloé – Et puis c’est quand même un bel appartement…

Antoine – OK. Je regarde, essaie de les retenir un moment par là-bas…

Chloé part vers le couloir. Antoine retourne à nouveau le tableau et lit ce qui est écrit au dos.

Antoine – La salope…

Il remet le tableau en place. Chloé revient, suivie de Monsieur Crampon.

Mr Crampon (un peu pressant) – Alors comme ça, nous allons être voisins…

Chloé – Oui… Enfin peut-être… Mais… j’ai croisé Sam tout à l’heure, et je crois qu’elle voulait vous dire deux mots en privé…

Mr Crampon – En privé ?

Chloé – Je ne voudrais pas m’avancer, mais je crois que vous lui avez fait une grosse impression. Elle est sur la terrasse.

Mr Crampon – J’y vais…

Monsieur Crampon sort.

Chloé – Alors ?

Antoine – Les voisins n’héritent que des meubles et des bibelots.

Chloé – Et l’appartement ?

Antoine – Elle le lègue à des associations.

Chloé – Une façon de se racheter une virginité avant le grand départ, pour compenser ses turpitudes passées avec le Maréchal Pétain.

Antoine (embarrassé) – Ouais, enfin…

Chloé – Quelles associations ?

Antoine – Il faut que je relise ce passage, j’ai juste eu le temps de voir ça dans les grandes lignes…

Chloé – Bon… En tout cas, on n’a plus trop le temps. Il faut se décider.

Antoine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Antoine hésite.

Chloé – C’est quand même les dernières volontés de la tante Germaine.

Antoine – Sans compter que ça ne va pas être évident d’escamoter ce tableau…

Chloé – Et si jamais quelqu’un a l’idée un jour de regarder derrière…

Antoine – Alors on laisse tomber ? On leur dit qu’on a retrouvé le testament de Germaine ?

Chloé – Tu nous imagines vivre dans cet appartement ? Entourés de ces voisins psychopathes, qui ont peut-être assassiné ta tante après l’avoir torturée pour lui extorquer son l’héritage.

Antoine – On pourrait être les prochains sur la liste…

Moment de flottement.

Chloé – Et puis il n’est pas si terrible que ça, cet appartement.

Antoine – N’exagère pas, il faut que ça reste crédible…

Chloé – Putain, un appartement en plein centre de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Antoine – Bon, d’un autre côté, on aurait dû payer pas mal de frais de succession.

Chloé – Tu as raison, mieux vaut laisser tomber.

Antoine – Allons quand même voir une dernière fois la Tour Eiffel…

Chloé – On va se faire du mal là…

Antoine – On peut encore changer d’avis.

Ils sortent. Cassenoix revient accompagnée de tous les autres voisins, sauf Sam et la baronne.

Cassenoix – Rien…

Mr Crampon – Elle s’est bien foutue de nous, la charogne.

Brisemiche – Je crois qu’il va falloir se faire une raison. Nous ne percevrons jamais la juste récompense de toutes ces années d’abnégation au service d’une ingrate.

Gonfland – Ouais. On a fumé la vieille pour rien.

Antoine et Chloé reviennent également.

Fouinart – Et bien entendu, vous allez nous dire que vous non plus, vous n’avez rien trouvé ?

Antoine – C’est-à-dire que…

À la surprise d’Antoine, Chloé joue les innocentes.

Chloé – Trouvé quoi ?

Mais le tableau, mal raccroché, se casse la figure. Ils voient tous ce qui est écrit au dos..

Fouinart – Le testament de Germaine…

Brisemiche – Dieu soit loué…

Mr Crampon – Comme quoi il ne faut jamais désespérer de son prochain.

Cassenoix – Au dos d’un tableau ?

Mme Crampon – Est-ce que c’est valable ?

Fouinart – La loi précise que le testament doit être écrit à la main, mais elle ne précise pas sur quel support. Une fois on en a même validé un rédigé avec du sang sur le côté d’une machine à laver.

Sanchez – Et alors ? Qu’est-ce que ça dit ?

Fouinart – Je vais vous en faire la lecture…

Il sort ses lunettes, et se racle la gorge. Antoine et Chloé échangent un regard résigné.

Fouinart – Ceci est mon testament authentique, écrit de ma main, et qui annule tous les autres…

Sam – Bon, on pourrait peut-être sauter les préliminaires…

Fouinart – Je lègue l’appartement dont je suis propriétaire à Paris, pour moitié à la Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme, et pour l’autre moitié à l’Association pour la Réhabilitation de la Mémoire du Maréchal Pétain.

Zarbi – C’est ce qui s’appelle couper la poire en deux.

Mr Crampon – S’ils décident de partager les locaux, la cohabitation ne va pas être facile…

Déception générale.

Brisemiche – C’est tout ?

Fouinart – Le tableau revient au syndic, Madame Cassenoix, en tant que représentante de la copropriété. Il devra être placé dans le hall de l’immeuble, afin que tous puissent en profiter.

Cassenoix – Génial…

Fouinart – Suit une liste exhaustive des autres objets sans valeur se trouvant dans cet appartement, jusqu’à la dernière petite cuillère, légués nommément à chacun d’entre nous. Le vase chinois revient en indivision à la baronne et à la concierge.

Chloé – Finalement, c’était une comique, la tante Germaine.

Cassenoix considère le tableau.

Angela – Pour que tous puissent en profiter… Cette croûte… Et en plus, elle se paie notre tête, cette vieille bique.

Antoine – Je vous en prie, vous parlez de ma tante, tout de même…

Fouinart – Qui par ce testament, vous déshérite.

Mme Crampon – La salope…

Sanchez – On ne va pas mettre ça dans l’entrée.

Cassenoix – Remarquez, ça pourrait faire fuir les voleurs.

Mr Crampon – Bon. Je crois qu’on n’a plus rien à faire ici.

Antoine – Et le testament, qu’est-ce qu’on en fait ?

Brisemiche – Faites-en ce que vous voulez, de toute façon, dans un cas comme dans l’autre, nous on n’hérite de rien.

Mme Crampon – Sauf de tout ce bric-à-brac sans valeur.

Mr Crampon – Vous n’avez qu’à le brûler, ce testament. Comme ça l’appartement vous reviendra de plein droit.

Brisemiche – Vous ou d’autres, comme voisins, qu’est-ce que ça change.

Cassenoix – Et puis vous êtes un peu de la famille, déjà.

Fouinart – Oui, on est appelés à se revoir…

Ils s’apprêtent tous à sortir.

Mme Crampon – Merci pour cette charmante soirée, vraiment…

Cassenoix – Et encore une fois, toutes nos condoléances…

Ils sortent tous les uns après les autres en passant devant Antoine et Chloé pour leur serrer la main ou les embrasser avec un air de circonstance, comme à un enterrement. Antoine et Chloé soupirent lorsque le dernier est sorti.

Antoine – Retour à la case départ.

Chloé – Pas tout à fait… Il faut encore qu’on décide ce qu’on fait de ce testament.

Antoine – Trop tard pour le faire disparaître, il y a trop de témoins. Ils nous tiendraient par les couilles…

Chloé – Alors ?

Antoine – Je ne sais pas…

Chloé – En tout cas, je n’ai plus du tout envie de dormir ici cette nuit…

Antoine – Non, moi non plus… Qu’est-ce qu’on fait du tableau. Je veux dire du testament…

Chloé – On ne peut pas l’emmener. C’est trop lourd.

Antoine – Prenons la nuit pour réfléchir, et on verra demain.

Chloé – On va rentrer dans notre banlieue, à La Garenne-Colombes. On n’a pas la vue sur la Tour Eiffel, mais au moins c’est chez nous.

Antoine – Ouais, décidément, c’était trop beau.

Chloé – Tu pourras toujours en faire un roman.

Antoine – Ou une pièce de théâtre…

Chloé – Si c’est un best-seller, on pourra quand même s’acheter un appartement avec tes droits d’auteur…

Antoine raccroche le tableau et y jette un dernier regard.

Antoine – Tu avais raison, c’était bien le Maréchal Pétain.

Chloé – Quand il n’était encore que lieutenant…

Antoine – Je remets l’alarme en partant ?

Chloé – Pour ce qu’il y a à voler ici…

Antoine – Je la remets.

Ils s’en vont.

Noir.

Le rayon lumineux d’une lampe de poche, explorant les lieux. Puis un deuxième. Les rayons se croisent. L’un des deux personnages actionne un interrupteur et la lumière revient. On découvre deux personnes, habillées en Père Noël.

Sam – Ah, bataille…

Baronne – Qu’est-ce qu’on fait ?

Sam – On ne va pas appeler la police…

Elles retirent leurs barbes. C’est Sam et la baronne.

Baronne – J’en déduis que vous n’êtes pas vraiment policier…

Sam – Pas plus que vous n’êtes vraiment baronne…

Baronne – En fait, vous êtes un type dans mon genre.

Sam – Quel genre ?

Baronne – Du genre à changer plus souvent d’identité que de slip.

Sam – Mais qui vous a dit que j’étais policier ? Enfin que j’étais supposée l’être…

Baronne – Quand on veut garder un secret, mieux vaut éviter de se confier à une concierge. (Avec un regard sur le déguisement de la baronne) C’est curieux qu’on ait eu la même idée.

Sam – Un Père Noël, en cette saison, ça attire moins l’attention. Surtout la nuit…

Baronne – Je dirais même que ça inspire confiance.

Sam – J’imagine que vous non plus, vous n’êtes pas venue déposer des cadeaux au pied du sapin ?

Baronne – Non… Alors on partage ?

Sam – S’il y a quelque chose à partager…

Elles inspectent l’appartement.

Baronne – Le butin a l’air plutôt maigre.

Sam – J’avais pourtant de bons renseignements. Vous aussi, j’imagine…

Baronne – On disait que la vieille avait de l’argent chez elle. Mais apparemment, c’était juste une rumeur…

Sam – Un coffre-fort ?

Ils regardent derrière le tableau.

Baronne – Rien derrière le tableau.

Sam – Et le tableau ?

Ils l’examinent.

Baronne – Une croûte.

Sam – Tous ces efforts pour rien.

Baronne – Moi qui comptais là dessus pour redorer mon blason.

Sam – Et moi pour me dorer la pilule. Sous les tropiques…

Baronne – Hélas, le Père Noël n’existe pas.

Sam – Allez on s’en va.

Baronne – Je vais rester encore un peu… Mieux vaut ne pas partir en même temps.

Sam – Vous avez raison… Deux Pères Noël ensemble, ça attire davantage l’attention.

Baronne – Oui… On se demande lequel est le vrai.

Sam s’en va. La baronne attend qu’elle se soit éloignée et gratte le cadre avec son ongle. Sam revient, méfiante, et la voit faire.

Sam – C’est ce que je me disais aussi, à la réflexion… Tout de même, le cadre est très lourd, pas vrai ?

Baronne – C’est de l’or massif.

Sam – Vous le saviez ?

Baronne – Je prenais le thé avec elle de temps en temps. Un jour, j’ai versé une petite pilule dans son Earl Grey. Sous ecstasy, c’était une femme charmante.

Elles regardent le tableau.

Sam – Un beau cadeau de Noël.

Baronne – Oui. Même partagé en deux…

Sam – Et on ne sera pas trop de deux pour l’emporter.

Baronne – Je crois que finalement, on peut dire merci à la tante Germaine.

Sam – Et maintenant, à nous de faire mentir le célèbre adage…

Baronne – Quel adage ?

Sam – Bien mal acquis ne profite jamais.

Baronne – Oh… Je ne suis pas superstitieuse.

Elles décrochent le tableau. Une sonnerie d’alarme se met à retentir. Elles se regardent, consternées.

Sam – C’était vraiment une salope…

Noir

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédiathèque – ISBN 979-10-90908-67-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Antoine – Ça arrangerait tout, mais bon… Il ne faut pas rêver, tout de même…

Chloé – On ne sait jamais. Autant regarder ce qu’il y a dedans avant de décider si on le détruit.

A

 

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Le Comptoir

Comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez 

Distribution très variable en nombre et sexe

Sur le zinc d’un comptoir, à l’heure des bilans, une femme qui se dit auteur raconte à la patronne des séquences marquantes de son existence. Ces récits fantasmatiques prennent vie sur la scène dans la salle du bistrot.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Le Comptoir

Dans cette version : 18 personnages tous féminins. Mais la distribution est très variable en nombre et en sexe.

Soirée poésie

Deux demis

Les pigeons

Mention passable

Entretien d’embauche

Friday wear

La peur de gagner

Le coccyx

Comme un vieux film

Une belle mort

Soirée poésie

Deux femmes (ou bien un couple ou encore deux hommes) arrivent dans un bistrot. Elles jettent un regard en direction de la salle et s’approchent avec quelques hésitations d’un comptoir derrière lequel la patronne se tient debout, impassible, en train d’essuyer des verres à pied.

Un – Qu’est-ce que tu prends ?

Deux – Je ne sais pas… Un petit ballon ?

Un – Rouge ? Blanc ?

Deux – Rouge…

Un – Deux ballons de rouge, s’il vous plaît.

Patronne – Bordeaux ? Côtes du Rhône ?

Un – Côtes du Rhône…

Patronne – Et deux côtelettes.

La patronne leur sert les deux ballons.

Un – On va peut-être aller s’asseoir, pendant qu’il y a encore des tables de libre…

Deux – Ok.

Les deux femmes vont s’asseoir à une table. La première boit une gorgée, et fait la grimace.

Un – Je ne sais pas si on a fait le bon choix…

Deux – Pour le spectacle ?

Un – Pas pour le vin, en tout cas…

La deuxième trempe à son tour les lèvres dans son verre.

Deux – Ah, oui… Ce n’est pas du Château Margaux…

Un – C’est quoi, cette soirée, au juste ?

Deux – Je n’ai pas très bien compris… (Elle sort un flyer de sa poche et y jette un coup d’œil) Petits Vers sur le Zinc… C’était à zéro euro sur billetreduc. Ça doit être une soirée cabaret…

Un – Cabaret ?

Deux – One man show, j’imagine.

Un – En bon français, on devrait dire des seuls en scène.

Deux – Apparemment on est aussi les seuls dans la salle.

Un – Petits Verres sur le Zinc… Fais voir… (Il regarde le flyer) Attends, mais c’est vers, V-E-R-S !

Deux – Ouais, tu as vu ? C’est marqué : le premier vers est offert. C’est dingue, non ? Maintenant, tu vas au spectacle, c’est gratuit, et en plus on te paye un verre. Bientôt, on te donnera un peu d’argent en repartant si tu restes jusqu’au bout…

Un – V-E-R-S ! Pas V-E-R-R-E-S ! Oh, putain ! C’est une soirée poésie !

Deux – Tu déconnes ! (Elle lui reprend le flyer et regarde à nouveau) Merde, tu as raison !

Un – Jusqu’à quelles tragiques méprises peut conduire la dyslexie…

Deux – Tu m’étonnes que c’était gratuit…

Transition musicale. Une cliente, arrive. Avant d’entrer, elle tire une dernière bouffée de sa cigarette.

Un – Malheureusement, je crois qu’il est trop tard pour se barrer.

La cliente écrase sa cigarette, et jette un regard sur la salle avant de déclamer :

Au comptoir des fumeurs dissipés,

auprès d’un parisien froissé,

une blonde, une brune sur le zinc écrasées

du tabac froid racontent encore l’odeur.

Les volutes ne sont plus que vapeurs.

Aux sifflements d’un italien percolateur,

de la main du serveur dans une tasse allongé,

un grand noir remplace un petit blanc.

Au bar il ne faut plus mégoter.

Reste le goût amer du café.

Les deux femmes assises à la table restent un instant déconcertées.

Deux – Bravo, c’est… (Prenant son ami à témoin) Ah, oui, hein ? C’est très original.

Un – Ça change, c’est sûr…

Cliente – Merci…

Deux – Et… vous en connaissez beaucoup, comme ça ?

Cliente – Pas mal.

Un – Ah, merde… Je veux dire super…

Cliente – Vous en voulez un autre ?

Un – Ah ben oui, tiens, pourquoi pas… Mais cette fois, je vais plutôt essayer le Bordeaux, moi.

Cliente – Je voulais dire… un autre poème.

Deux – Ah, oui, bien sûr…

Un – Et comment ! (En aparté) De la poésie… Putain, c’est un traquenard.

Deux – Je crois que c’est le moment de se barrer…

Pendant que les deux femmes s’éclipsent discrètement, la cliente déclame :

Sur le zinc du comptoir quelques verres oubliés.

Quelques vers à douze pieds m’accompagnent ce soir.

J’ai laissé le brouillard aux dehors endeuillés,

la pipe du condamné à fumer dans le noir.

 Deux demis

La cliente se plante devant comptoir, mais ne dit rien.

Patronne – Qu’est-ce que je lui sers à la petite dame ?

Cliente – Je ne sais pas… Je n’ai envie de rien…

Patronne – Rien ? Désolée, on n’a pas ça ici…

Cliente – J’ai juste envie de me jeter sous un train.

Patronne – Ah oui, mais là, vous êtes pas au bon endroit. Vous voyez, je n’ai pas de casquette de chef de gare. Alors si vous voulez rester, il va falloir consommer.

Cliente – Bon ben je vais prendre… une bière. Quand on a des idées suicidaires, une bière, ça me paraît tout à fait approprié, non ?

Patronne – Quoi comme bière ?

Client – Une Mort Subite.

Patronne – Je n’ai pas de bière belge.

Cliente – Qu’est-ce que vous avez ?

Patronne – De la pression.

Cliente – Qu’est-ce que vous avez comme pression ?

Patronne – De la pression ordinaire…

Cliente – C’est tout ?

Patronne – Tout à l’heure, vous ne saviez pas quoi prendre, et maintenant vous trouvez qu’il n’y a pas assez de choix ?

Cliente – Une pression ordinaire, ça ira très bien.

Patronne – Ce que les gens viennent chercher ici, ce n’est pas de la bière, vous savez. De la bière, ils en ont chez eux au frigo.

Cliente – Vous avez raison. Ils viennent sûrement chez vous pour trouver un peu de chaleur humaine…

Patronne – Qu’importe le flocon, pourvu qu’on ait l’Everest.

Cliente – Un demi, alors. (La patronne s’apprête à lui servir son demi) Non, deux…

La patronne lui sert ses deux demis.

Patronne – Et voilà… Deux demis…

Cliente – Deux demis. Ça fait un entier… Enfin c’est ce que j’ai appris à l’école…

Patronne – Vous êtes une marrante, vous… Vous attendez quelqu’un ?

Cliente – Si j’attendais ma moitié, j’irai m’asseoir à une de ces tables, et je me referais une beauté. Je ne serais pas là, debout, ébouriffée, à parler toute seule.

Patronne – Merci.

La cliente pousse le deuxième demi vers la patronne pour lui offrir.

Cliente – Vous ce n’est pas pareil… (Elles trinquent) Un patron de bistrot, c’est un peu comme un psychanalyste ou un curé. On peut tout lui raconter, mais on ne peut rien lui demander. Surtout pas s’il a un problème avec sa mère ou si ça lui arrive aussi d’avoir des mauvaises pensées…

Patronne – Vous avez un problème avec votre mère ?

Cliente – Ça vous arrive d’avoir des mauvaises pensées ?

Patronne – Ça ne vous regarde pas !

Cliente – Ah, vous voyez bien…

Patronne – Vous êtes venue ici pour chercher les ennuis ?

Cliente – Je suis venue pour chercher l’inspiration.

Patronne – Ah, ouais…?

Cliente – Les poètes vont souvent au bistrot pour chercher l’inspiration. Vous ne saviez pas ?

Patronne (ironique) – Si, si. Tous mes clients sont des poètes.

Cliente – Il paraît que chaque jour, en France, deux bistrots mettent la clef sous la porte. C’était dans le journal de ce matin.

Patronne – Je ne lis pas les journaux.

Cliente – Pourtant, vous en vendez !

Patronne – Je vends aussi des pipes. Et je ne fume pas.

Cliente – Où iront les poètes pour chercher l’inspiration quand tous les bistrots auront été remplacés par des Mac Donald ?

Patronne – Qu’ils aillent au diable.

Cliente – Quand le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain se sera définitivement tu, les derniers Prévert auront disparu.

Patronne – Des prés verts ? Dans le coin, à part quelques mauvaises herbes sur le bitume des trottoirs…

Cliente – Non, croyez-moi, quand il n’y aura que des fast food au coin des rues, les poètes n’écriront plus que de la littérature de gare.

Patronne – C’est pour ça que vous voulez vous jeter sous un train ?

Cliente – Ou peut-être parce que j’ai peur de ne pas trouver l’inspiration.

Patronne – Vous croyez vraiment que c’est ici que vous allez trouver quelque chose à raconter ?

Cliente – Si les comptoirs pouvaient parler, ils auraient des tas de choses à dire, non ?

Patronne – Sûr… Mais je ne sais pas qui ça pourrait intéresser.

Cliente – Tenez, c’est dans un café comme celui-là que j’ai appris mes résultats du bac.

Patronne – Sans blague…

Cliente – Le bac, le permis de conduire… Ce sont des étapes, dans la vie, non ? Des rites de passage…

Patronne – Le seul bac que j’ai passé, c’était pour traverser la Loire, et monter à Paris… Et je crois que le seul permis que j’aurai jamais, c’est le permis d’inhumer…

Cliente – Je pourrais toujours raconter ma vie… Ou la vôtre…?

Patronne – On peut être payée pour raconter sa vie ? Tous mes clients font ça gratuitement…

Cliente – Pas très cher…

Patronne – Des cacahuètes ?

Client – Oui, à peu près.

Patronne – Non, je veux dire… Vous voulez des cacahuètes ? Avec vos deux demis…

Les pigeons

Un bistrot. Une table à laquelle sont assises deux jeunes filles. Les deux filles regardent à travers la vitrine située côté spectateurs.

Une – Qu’est-ce qu’ils foutent là, tous ces pigeons…?

Deux (ailleurs) – Quoi ?

Une – Les pigeons ! Pourquoi il n’y en a qu’en ville ? (L’autre a l’air préoccupée par tout autre chose) C’est pas vraiment des animaux domestiques. Je veux dire comme des chiens ou des chats. C’est des oiseaux. Ils sont libres, eux, ils ne sont pas en cage, et ils peuvent voler. Ils pourraient se barrer.

Deux – Où veux-tu qu’ils aillent ?

Une – Je ne sais pas, moi. À la campagne. Pourquoi ils ne se barrent pas à la campagne, tous ces pigeons ?

Deux – À la campagne…? Ils n’auraient rien à becqueter…

Une – Ça me donne envie de vomir, de les regarder.

Deux (ailleurs) – Ouais…

Une – Regarde, ils sont coprophiles.

Deux – Hein ?

Une – T’as pas vu ce qu’ils bouffent…?

Deux – Quoi ?

Une – Des crottes de chiens.

Deux (regardant pas très intéressée) – Ah, ouais…

Une – Ce n’est pas ça qu’on appelle un écosystème…?

Deux – Pourquoi ils restent ici à bouffer de la merde, alors qu’à la campagne, ils pourraient bouffer des cerises.

Une – Le temps des cerises, c’est pas toute l’année. (Son portable sonne et elle répond) Ouais… Ouais… Ouais… Ok…

Elle raccroche.

Deux – Alors ?

Une – C’est pas encore affiché…

Deux – Et si on l’avait raté ?

Une – Je préfère pas y penser… (Inquiète) Pourquoi on l’aurait raté ?

Deux – Je ne sais pas. La peur de gagner. Le cheval de concours qui refuse l’obstacle au dernier moment. Ça arrive aux plus grands champions.

Une – Attends, on n’est pas des bourrins. Et puis le bac, c’est pas un concours. C’est comme le permis de conduire. C’est pas parce qu’il y en a beaucoup qui l’ont que t’as moins de chance de l’avoir.

Deux – Ouais ben justement. Le permis, je l’ai déjà raté deux fois… Pourquoi ça s’appelle comme ça, au fait ?

Une – Le permis ?

Deux – Le bac !

Une – Parce que si on rate le bac, on reste sur le quai, j’imagine…

Deux – Moi, ça me rappelle mes cours de latin. Tu sais, ce fleuve que les morts doivent traverser pour aller aux Champs Élysées. En barque…

Une – Quel rapport ?

Deux – La barque… Le bac… Pour traverser un fleuve…

Une – Ouais, ben moi, c’est si je rate le bac, que je suis morte. Mes parents me tueraient… Ils m’ont foutue dans cette boîte de curés parce qu’il y avait 100% de réussite. Ça leur coûte un SMIC par mois. Si je ne leur en donne pas pour leur fric… (Un temps) Et puis qu’est-ce qu’on irait foutre en barque aux Champs Élysées ? Le Quartier Latin, c’est sur la rive gauche…

Deux – Il y a quand même eu des années où c’était 99%. Ça veut bien dire qu’il y en a un qui le rate de temps en temps. C’est rare, mais ça peut arriver.

Une – Je ne sais pas moi… Le type avait peut-être raté son train… Ou son bac, tiens, si il habitait sur une île.

Deux – Arrête, tu vas nous porter la poisse.

Une – Pourquoi ?

Deux – Nous aussi, on habite sur une île…

Une – Notre-Dame, c’est sur une île ?

Deux – En tout cas, si tu comptais sur la géo pour l’avoir, ton bac, tu ferais bien d’y aller faire brûler un cierge, à Notre-Dame.

Le portable sonne à nouveau. La première prend l’appel aussitôt.

Une – Ouais… Ouais… Ouais… Ok…

Elle raccroche, avec un visage impassible. La deuxième l’interpelle avec une anxiété encore plus grande.

Deux – Alors ?

Une (avec un air sinistre) – Ça y est, ils viennent d’afficher les résultats.

Deux (tétanisée) – Et alors ?

La première, cessant de jouer la comédie, laisse éclater sa joie.

Une – Et alors, on l’a ! Putain, on l’a, je te dis !

Les deux se tombent dans les bras l’un de l’autre.

Deux – T’aurais pas dû me mener en bateau. J’ai le cœur qui bat à cent à l’heure.

Une – Tu veux dire à la minute, parce que cent pulsations à l’heure, tu serais déjà morte.

Deux – Quelle mention ?

Un – Attends, c’est déjà une bonne nouvelle… Faut pas demander un miracle, non plus. Oh, putain… Il va falloir fêter ça…

Deux – Ouais… En même temps, le bac, tout le monde l’a, maintenant…

Une – Mmm… C’est le début des emmerdes.

Deux – C’est pour ça que ça me rappelle mes cours de latin.

Une – Le latin ?

Deux – Le bac… pour traverser le fleuve et aller en enfer.

Une – Allez, tu peux oublier le prof de latin, maintenant. T’es sûre de ne plus jamais le revoir ! Ouah…! J’ai une bouffée de chaleur, tout d’un coup… Ça me donne envie de piquer une tête dans la Seine.

Deux – Moi aussi. Ça me donne envie de me jeter dans la Seine…

Une – La vie est belle ! C’est l’été !

Deux – T’as raison. Allons nous plonger dans le fleuve de l’oubli…

Les deux jeunes filles s’en vont.

Mention passable

Un bistrot. Au bar la patronne et une cliente.

Patronne – Et vous l’avez eu ?

Cliente – Quoi ?

Patronne – Le bac.

Cliente – Mention passable.

Patronne – Vos parents devaient être contents.

Cliente – En tout cas, ils ne m’ont rien dit.

Patronne – Il y a des gens pas bavards.

Cliente – J’aurais aimé au moins une fois dans ma vie que mes parents me disent qu’ils étaient fiers de moi. Même si ce n’était pas vrai. Pas vous ?

Patronne – Ce que j’aurais aimé, c’est pouvoir dire à mes parents que j’étais fière d’eux…

Cliente – Vous avez des enfants ?

Patronne – Non. Et je ne suis pas sûre qu’ils auraient été fiers de moi…

Cliente – Pourquoi ?

Patronne (éludant) – Donc, vous ne vous êtes pas jetée dans la Seine…

Cliente – J’aurais peut-être dû. Parce que c’est après que les ennuis ont commencé.

Patronne – Vous n’avez pas trouvé de boulot ?

Cliente – Si. Un petit boulot, comme on dit.

Patronne – C’est toujours mieux que de faire le trottoir.

Cliente – Encore que… Le bac c’est la fin de l’innocence, mais le premier job, c’est comme un dépucelage. On se rend compte que là, on est vraiment baisé. On sait qu’il n’y a que la première fois où ça fait un peu mal, et qu’on va s’habituer. Mais on se doute qu’il va falloir pas mal d’imagination pour y prendre un peu de plaisir… Ça s’est passé comment, pour vous ?

Patronne – Mon dépucelage ?

Cliente – Votre premier job ! Qu’est-ce que vous faisiez avant de vous mettre à votre compte ?

Patronne – Je faisais le tapin rue Saint Denis.

Cliente – Ah… Alors vous savez de quoi je parle…

Entretien d’embauche

Un bistrot. Une table à laquelle est assise une femme genre cadre commercial. Une jeune fille blonde style étudiante arrive. La femme se lève et lui sert la main.

Femme – Asseyez-vous, je vous en prie… (Un peu étonnée) Vous êtes bien Mademoiselle…?

Jeune fille – Ben Salah. Aïcha Ben Salah…

Femme – C’est ça… (La regardant) Et… vous êtes blonde…

Jeune fille – Oui je sais, on me le dit souvent… En fait, c’est mon arrière-grand-père qui… Mais d’habitude, cela rassure plutôt mes employeurs. Quand je parviens jusqu’à l’entretien d’embauche, bien sûr… Ça pose un problème…?

Femme – Pas du tout…

Jeune fille – L’annonce disait que vous cherchiez un chasseur de primes…?

Femme – De primes d’assurance, oui… Nous vendons des conventions-obsèques. Un marché déjà très saturé… Nous recrutons quelqu’un pour démarcher en banlieue…

Jeune fille – Pourquoi pas une blonde ?

Femme – Pour du porte à porte dans les cités… Nous nous disions qu’une blonde… Enfin, ça susciterait moins d’empathie…

Jeune fille (lui tendant une feuille) – J’ai un casier, vous savez ! Euh, je veux dire un CV…

Femme (prenant le CV sans le lire) – Il faut être très habile, pour placer ce genre de produits. Quand on ne sait pas comment on va payer son loyer à la fin du mois, évidemment, on ne pense pas tous les matins en prenant son café à prendre un crédit sur 50 ans pour financer sa dernière demeure…

Jeune fille – C’est sûr…

Femme – Au début, nous étions dans l’édition… Ce n’était pas facile non plus… Vendre une encyclopédie en 28 volumes à des gens qui pour beaucoup ne savent pas lire…

Jeune fille – Il y a quand même des illustrations, dans les encyclopédies…

Femme – Après, on a tâté un peu de la complémentaire-santé. Mais avec la concurrence… Non, la conventions-obsèques, aujourd’hui, c’est encore ce qu’il y a de plus porteur… C’est l’avenir…

Jeune fille – On n’est pas sûr de tomber malade, mais on est sûr de mourir un jour… Tous… Même les analphabètes…

La femme semble prise d’inquiétude.

Femme – Ce n’est pas une opération de testing, au moins ?

Jeune fille – Pardon…?

Femme – Vous ne vous êtes pas fait teindre en blonde pour nous accuser ensuite de discrimination ?

Jeune fille – Rassurez-vous, je suis une vraie blonde…

Femme – Nous ne sommes pas racistes, vous savez… C’est seulement qu’en l’occurrence… Pour tout vous dire, nous comptions vous confier le développement d’un nouveau marché : ce que nous appelons dans notre jargon la convention obsèques halal. Un secteur en très forte expansion. La conséquence logique des grands flux d’immigration des années cinquante.

Jeune fille – Je peux prendre l’accent arabe…

Femme – Vous sauriez faire ça…?

Jeune fille – Avec un petit stage de remise à niveau…

Femme – Vous croyez que ça marcherait ?

Jeune fille – Si je mets une djellaba…

La femme réfléchit.

Femme – Bon… Vous m’avez convaincue… Quand on postule comme vendeuse, il faut commencer par savoir se vendre… Et croyez-moi, me vendre une blonde, ce n’était pas gagné. (Se levant) Bravo ! Je vous prends à l’essai.

Jeune fille – Merci.

Femme – Et si vous faites l’affaire, dans trois mois, vous passez en concession perpétuelle…

Jeune fille – Vous voulez dire en contrat à durée indéterminée ?

La femme se lève pour partir et la jeune fille la suit.

Femme (souriant, satisfaite) – Ça fait plaisir de voir des jeunes qui ont encore envie de travailler !

Elles sortent.

Friday wear

Un bistrot. Une femme, genre cadre en tenue soignée mais en jean, est s’assise à une table. Elle ouvre son attaché case et en sort un catalogue qu’elle feuillette en buvant son café. Son portable sonne. Elle répond.

Cadre – Oui…? Ah, oui… Oui, oui, je vous attends. Non, non, je crois que c’est moi qui suis un peu en avance. On a rendez-vous à quelle heure exactement ?

Une femme arrive, sa directrice, en tailleur, genre executive woman, le portable vissé à l’oreille. Elle a l’air très speedée, comme si elle avait pris de la coke. Elle s’installe à la même table.

Directrice – Dix heures quarante-cinq. Vous avez les visuels de la nouvelle campagne ?

Elles continuent à se parler à travers leurs portables, comme si elles n’étaient pas assises l’une en face de l’autre.

Cadre – Oui, oui, bien sûr. Vous verrez, elle est superbe…

La femme tourne une nouvelle page du catalogue. Sa directrice lui prend le catalogue des mains et l’examine à son tour.

Directrice – Ah, oui, c’est…

Cadre – Ça change…

Directrice – Oui…

Cadre – Les créatifs ont vraiment fait du bon boulot.

Directrice – Pour une fois, ils ont fait preuve de créativité.

La femme cadre se rend compte la première du ridicule de la situation en semblant apercevoir enfin sa directrice en face d’elle.

Cadre – Vous voulez un café ?

En levant les yeux du catalogue, la directrice aperçoit à son tour son interlocutrice.

Directrice – Euh, non, merci. J’ai arrêté le café. Ça me noircit les dents et ça me donne envie de pisser.

La directrice examine l’autre femme, comme si quelque chose dans sa tenue la surprenait, sans qu’elle parvienne tout de suite à savoir quoi.

Directrice – Vous n’avez pas de soutien-gorge… ?

Cadre – Euh… Non. Ça pose un problème ?

Directrice – Non, non… Enfin… D’habitude, vous en mettez un, non ?

Cadre – Comme on est vendredi, je me suis dit que… Ce serait plus cool…

Directrice – Plus cool ?

Cadre – Le… Le friday wear, vous voyez…?

Directrice – Le friday wear…?

Cadre – Aux States, le vendredi, tous les cadres s’habillent comme ça. De façon un peu moins formelle. Propre, mais décontractée…

Directrice – Aux States…?

Cadre – Sans soutien-gorge.

Directrice (chiffonnée) – Bon…

Silence un peu embarrassé.

Cadre – Je peux vous parler franchement ?

Directrice (un peu inquiète) – Je me demande si je ne préférais pas quand vous mettiez un soutien-gorge, finalement…

Cadre – Notre société a une image un peu guindée auprès de ses clients, vous le savez. Toutes les études le montrent. Un peu ringard, quoi. En plus du nouveau catalogue, je me suis dit qu’en adoptant le friday wear… On apparaîtrait plus… dans le move.

La directrice semble totalement prise au dépourvu. Elle hésite un instant avant de se décider.

Directrice – Oh, et puis après tout, vous avez raison. Allez…

Elle se tourne dos au public, et se contorsionne un instant, puis fait face à nouveau en brandissant son soutien-gorge.

Directrice – Si c’est assez bon pour les Américains…

L’autre a l’air un peu surprise.

Directrice (soulagée) – Ah… C’est vrai qu’on respire mieux… Vous trouvez que j’ai l’air plus cool, comme ça ?

Cadre – Beaucoup plus cool.

Directrice – La prochaine fois, j’enlève le bas…

Mais la directrice paraît encore un peu préoccupée.

Directrice – Mais… ce n’est pas un peu gênant…? Par rapport à notre client, je veux dire…

Cadre – Non, pourquoi…?

Directrice – Ben… Des soutiens-gorge… C’est ce qu’ils vendent, non ?

Cadre – Ah…! Oh, non ! Pourquoi ? Et puis ce n’est que le vendredi.

La directrice semble se faire une raison.

Directrice (se décontractant un peu) – Bon, eh ben il va quand même falloir que je vous emmène au client… (Contente de son bon mot) Comme la fermière emmène la vache au taureau…

Air un peu décontenancé de la cadre. Elles se lèvent toutes les deux pour aller à leur rendez-vous.

Directrice – On a rendez-vous avec qui déjà ?

Cadre – Avec la nouvelle PDG.

Directrice – La nouvelle ?

Cadre – L’ancienne s’est suicidée vendredi dernier. Vous n’étiez pas au courant ?

Directrice – Mon Dieu non… Quelle drôle d’idée.

Cadre – Elle s’est pendue au porte-manteau de son bureau. Avec la bretelle de son soutien-gorge, justement…

Directrice – Comme quoi, c’est du solide… Pour supporter un pareil poids… (Riant de sa propre plaisanterie) Faites-moi penser de fournir un kit anti-suicide à la patronne de notre agence avec ses stock-options.

La cadre a l’air un peu surprise et inquiète de voir sa directrice aussi décontractée.

Directrice – Je plaisante. On a dit qu’on était cool, non ?

Elles sortent.

La peur de gagner

Un bistrot. Deux femmes sont assises à une table. La première regarde droit devant elle.

Femme 1 – Qu’est-ce que tu regardes ?

Femme 2 – J’attends les résultats du loto. Ils vont bientôt les afficher, sur l’écran, là…

Femme 1 – Tu joues au loto ?

Femme 2 – J’ai eu envie d’essayer.

Femme 1 – Pourquoi pas…

Silence.

Femme 1 – Combien, la super cagnotte ?

Femme 2 – 115 millions.

Femme 1 – 115 millions…

Femme 2 – T’es en train de calculer combien ça fait en anciens francs…?

Femme 1 – À partir d’une certaine somme, on n’a plus de référence, de toute façon. Quand on te dit qu’une étoile est à 115 millions d’années lumière, tu ne te demandes pas combien ça fait en kilomètres ou en miles.

Femme 2 – Ni combien ça te coûterait en gasoil pour y aller avec ta Twingo…

Femme 1 – Qu’est-ce que t’as joué, comme numéro ?

Femme 2 – Mon numéro de sécu. Avec mon dernier versement ASSEDIC.

Femme 1 – La chance sourit aux audacieux… Tu te rends compte, si on gagnait…

Femme 2 – J’ai un peu de mal à imaginer.

Femme 1 – Plus besoin de se lever le lundi pour aller bosser. 365 jours de RTT par an…

Femme 2 – Ouais… Tout plaquer…

Femme 1 (un peu inquiète) – Tout ?

La deuxième reste polarisée sur la télé.

Femme 1 – Qu’est-ce que tu ferais, si tu avais 115 millions, là, tout de suite ? Enfin 57 millions et demi… (La deuxième le regarde) Attends, on est pacsées non ? Pour le meilleur et pour le pire…

Femme 2 (soupirant) – Je ne sais pas… Tu gagnes 10.000 euros, tu es contente. Tu te payes un petit extra. Je veux dire, ça ne te change pas la vie. Mais 115 millions… Il y a un avant, et un après. Là tu deviens carrément quelqu’un d’autre. C’est comme une deuxième naissance. Ça fait presque peur, non ?

Femme 1 – Moi, je commencerais par dire à mon patron tout le bien que je pense de lui… et après je foncerais chez le concessionnaire Mercedes pour m’acheter une voiture plus grosse que la sienne. Gagner au loto, c’est une autre façon d’instaurer la dictature du prolétariat, non ? À titre individuel…

Femme 2 – Ça doit secouer, quand même. Ne plus avoir aucune limite à ses désirs, du jour au lendemain. Plus aucune contrainte. Pouvoir faire ce qu’on veut. Tout ce qu’on veut…

Femme 1 – Je pense que je pourrais gérer.

Femme 2 – Pas sûr… Il n’y a qu’à lire les journaux. Le nombre de gagnants du loto qui finissent complètement ruinés…

Femme 1 – Si tout ce qu’on risque en gagnant au loto, c’est de finir ruiné… On n’a pas grand chose à perdre, non ?

Femme 2 – Sans parler des divorces… Tu crois que notre couple y résisterait ?

Silence.

Femme 1 – En même temps, je ne sais pas trop… Comment donner un sens à une vie de milliardaire qui vous tombe dessus comme ça, par hasard ?

Femme 2 – Tu crois que les filles de milliardaires se posent ce genre de questions métaphysiques ?

Femme 1 – Ouais, mais elles, elles sont nées comme ça. Elles ont eu le temps de s’habituer. Elles ne connaissent rien d’autre. Quand tu gagnes au loto, ça te tombe dessus d’un seul coup. Une chance sur 20 millions, tu te rends compte…

Femme 2 – Le nombre moyen de spermatozoïdes lors d’une éjaculation est de 300 millions.

Femme 1 – Et alors ?

Femme 2 – Alors si on est là toutes les deux, c’est qu’on est déjà sacrément veinardes. Notre vie de prolos aussi, elle nous est tombée dessus par hasard. Disons que là, on donne une deuxième chance au tirage. Histoire de rectifier le destin, qui nous a pas fait naître avec une cuillère en argent dans la bouche.

Femme 1 – Je ne sais pas… Ça me fait un peu peur quand même… Et puis ça voudrait dire que notre vie d’aujourd’hui ne vaut rien… Qu’elle ne valait pas la peine d’être vécue… C’est ce que tu penses ? C’est pour ça que tu joues au loto ? Parce que tu crois que notre vie ne vaut rien ?

Femme 2 – Mais qu’est-ce que tu racontes… Et puis c’est la première fois que je joue. C’est juste pour rigoler.

Femme 1 – La plupart des gagnants sont des gens qui jouaient pour la première fois. La chance du débutant, c’est connu…

Soudain, elles semblent toutes les deux presque inquiètes.

Femme 2 (tendue) – Ça y est, ils vont donner les résultats…

Elles regardent, scotchées, le tirage.

Femme 1 – Alors ?

Femme 2 (vérifiant sur son ticket) – On n’a aucun bon numéro. C’est très rare, tu sais. J’ai un peu oublié mes cours de statistiques au lycée, mais je me demande si la probabilité de n’avoir aucun numéro n’est pas presque aussi élevée que celle de les avoir tous.

Femme 1 – Alors dans en sens, on peut dire qu’on a eu de la chance…

Elles se regardent avec complicité et ont un geste de tendresse.

Femme 2 – Et dire que tout ce bonheur aurait pu nous échapper d’un coup…

Femme 1 – Ça fait froid dans le dos…

Le coccyx

Un bistrot. Au comptoir, deux femmes regardent au loin droit devant elles. La deuxième a sur la tête un bonnet dont ne dépasse aucune chevelure.

Une – Tu as vu, cet arbre, comme il est beau ?

Deux (avec l’air de s’en foutre) – Ouais.

Une – Il fait tellement partie du paysage… On finit par ne plus le voir.

Deux – Mmm…

Une – C’est un chêne. On n’était pas encore nées, il était déjà là.

Deux – Comment tu le sais ? Puisqu’on n’était pas nées…

Une – On avait accroché une balançoire à une de ses branches, quand on était petites. Il était déjà aussi grand. Tu ne te souviens pas ?

Deux – Non.

Une – Moi, oui. Je m’étais cassé le bras en tombant de cette putain de balançoire.

Deux – Tu t’es cassé tellement de trucs. Comment veux-tu que je me souvienne…? Une fois, tu t’es même cassé le cul.

Une – Le coccyx.

Deux – En tombant d’une chaise. C’est dingue. Je me demande quel os tu ne t’es pas fracturé. (Un temps) Le coccyx… Je ne savais même pas que ça existait, à l’époque. Et même maintenant, je ne suis pas sûre de savoir comment ça s’écrit.

Une – Tout ce que je peux te dire, c’est que ça rapporte un paquet de points au Scrabble…

Deux – C’est simple, quand je t’imagine petite, je te revois avec un plâtre… Même sur les photos de classe, tu as toujours un bras en écharpe, une paire de béquilles ou un gros pansement. C’est à se demander comment tu as fait pour arriver entière jusqu’ici.

Une – Toi, tu ne t’es jamais rien cassé. Comme cet arbre, là…

Deux – Pourtant j’ai fait les mêmes bêtises que toi… Moi aussi j’ai vécu dangereusement. Ça m’est même arrivé d’ouvrir des huîtres à Noël. Et je ne me suis jamais transpercé la main avec le couteau…

Une – Tu as toujours eu plus de chance que moi. Je t’en ai souvent voulu, pour ça…

Deux – Tu crois vraiment que c’est moi qui ai eu de la chance…?

Une – C’est ça, traite moi d’empotée.

Deux – Où est-ce que tu veux en venir, avec ton arbre ?

Une – Il a résisté à toutes les tempêtes. Pas une branche de cassée. Comme toi. Dans une centaine d’années, il sera encore là.

Deux – Même si il est encore debout, il est peut-être déjà rongé de l’intérieur. Regarde, il n’a plus une feuille sur le caillou. Comme moi, justement.

Une – C’est normal. On est en automne…

Deux – Ah, oui, c’est vrai. Je n’ai pas vu passer l’été… De ma fenêtre, à l’hôpital, j’avais la vue sur le parking d’Auchan.

Une – Ça va repousser au printemps, tu verras.

Un temps.

Deux – Et mes cheveux, tu crois qu’ils vont repousser, au printemps ?

Une (lui tendant la main) – Tiens. J’en mets ma main à couper…

Comme un vieux film

Un bistrot. Deux femmes (une jeune et une vieille) sont assises chacune à une table. La jeune fait mine de travailler en tapotant sur une calculette et en notant des chiffres sur une feuille. La vieille semble désœuvrée.

Jeune (avec une convivialité un peu forcée) – Alors, ça y est ? C’est la dernière…

Vieille – Oui…

Jeune – Quel effet ça fait ?

Vieille – C’est comme un vieux film qu’on s’est repassé trop souvent. À la fin, on n’y comprend plus rien…

Jeune – On vous regrettera... Vous allez faire un pot ?

Vieille – Un pot ?

Jeune – Un pot de départ !

Vieille – Ah… Je ne sais pas… Je devrais…? (La jeune ne répond pas et continue à travailler). Vous savez ce qui me manquera le plus ? Le petit goût amer du café, le matin. La journée qui commence… À midi, c’est déjà foutu…

Jeune – Qu’est-ce que vous allez faire… après ?

Vieille – Me reposer…? C’est ce qu’on fait, j’imagine…

Jeune – Et vous restez dans le coin, ou…?

Vieille – Où voulez-vous que j’aille…?

Air perplexe de la jeune, interrompue par la sonnerie de son portable.

Jeune – Oui… Non… Oui, oui… Non, non…

La jeune raccroche et griffonne quelque chose sur un papier.

Vieille – Elle arrive bientôt ?

Jeune – Qui ?

Vieille – Ma remplaçante !

Jeune – Ah… Lundi, je crois…

Vieille – Je ne la verrai pas, alors… Vous la connaissez ?

Jeune – Non… (Un peu embarrassée) En fait, c’est moi qui vous remplace…

Vieille (sans hostilité) – Ah, d’accord… Félicitation…! Et la petite nouvelle vous remplacera… C’est logique…

Le portable sonne à nouveau. La jeune prend l’appel.

Jeune – Oui… Non… Oui, oui… Non, non…

Vieille – Vous voulez un café ?

Jeune – Pourquoi pas.

La vieille lui apporte une tasse.

Vieille – Je vous laisserai la cafetière, si vous voulez… Au bureau, je veux dire…

Jeune – Ça fait combien de temps que vous étiez ici ?

Vieille – Trop longtemps… (Un temps) Et vous ?

Jeune – J’arrive à peine…

Vieux – Vous comptez rester ?

Jeune (satisfaite) – Je termine ma période d’essai aujourd’hui… Demain, je passe en contrat à durée indéterminée… C’est automatique…

Vieux – Dans ce cas… Vous êtes contente, alors ?

Jeune – Ça va…

Elles sirotent leur café.

Vieille – Il est bon, non ? (Un peu inquiète) Il n’est pas trop fort ?

Jeune – Il est parfait…

Vieille – On se connaît à peine, en fait. Vous êtes mariée ?

Jeune – Pas encore... Et vous ?

Vieille – Non…

Jeune (s’excusant) – Bon… Faut que je m’y remette…

Vieux – Oui, pardon. Moi, c’est ma dernière journée, alors je ne risque plus grand chose. Mais vous… Si votre période d’essai ne s’achève que ce soir… Vous aurez tout le temps de ne rien faire quand vous serez là pour de bon…

La jeune regarde l’autre, se demandant si elle plaisante. Puis elle se remet au travail. La vieille à siffloter ou à chantonner. La jeune, visiblement dérangée par ce bruit, lui lance à la dérobée un regard réprobateur.

Vieille – Excusez-moi… (La jeune se remet au travail). Vous pourrez vous installer à ma place, si vous voulez. Quand je serai partie. La table est un peu plus grande, non…

Jeune – Oui… C’est ce qui est prévu…

Vieille – C’est vrai, je suis bête… Et la nouvelle prendra la petite table. (La présence oisive déconcentre visiblement la jeune). Excusez-moi, je vais essayer de m’occuper quand même. D’ailleurs, il faudrait que je songe à faire mes cartons… (Elle farfouille dans un grand sac). Enfin, quand je dis mes cartons… Je crois que tout tiendra dans un sac en plastique… C’est fou… Toute une vie, et qu’est-ce qui reste…? Quelques chemises vides dans un placard… On ne peut pas dire qu’on laisse quelque chose derrière nous, hein ? Vous n’auriez pas un sac en plastique, par hasard ? (La jeune lui lance un regard pour lui faire comprendre que non). Et dire que c’est moi qui occupais votre bureau quand je suis entrée ici... Vous savez à quoi je rêvais, à l’époque ? (Tête de la jeune pour dire non). Écrire… Non… Pas noircir des pages de comptes-rendus, comme je l’ai fait toute ma vie… Ecrire… Pour ne pas avoir de comptes à rendre justement… Je me disais qu’en prenant un petit boulot tranquille, j’aurais le temps de m’y mettre… Et puis voilà, les années ont passé, et je ne m’y suis jamais mise…

Jeune – Vous allez avoir le temps, maintenant…

Vieille – Oui. L’éternité… Mais pour raconter quoi ? Ma vie ? Je vous l’ai dit, elle tiendrait dans un petit sac en plastique…

Sonnerie du téléphone.

Jeune – Oui… Non…

Vieille – Peut-être même dans un préservatif…

Jeune – Oui, oui… Non, non… (La jeune raccroche). Vous disiez…?

Vieille – Rien…

Jeune – Vous savez ce que je me disais ?

Vieille (pleine d’espoir) – Non…

Jeune – Et si j’en profitais pour demander qu’on nous pose de la moquette ?

Vieille (interloquée) – De la moquette ?

Jeune – Pour pas déranger ceux d’en dessous ! Le parquet, c’est joli, mais… Ça grince…

Vieille – Ils se sont déjà plaints… ceux d’en dessous ?

Jeune – Non… Mais il y a quand même pas mal d’allées et venues, ici…

Vieille – C’est moi qui vais habiter en dessous.

Jeune – Ah oui…?

Vieille – Faut bien habiter quelque part… C’est un peu sombre, mais… Je connais bien le quartier… Je ne serai pas dépaysée…

Jeune – Et de nous entendre marcher, comme ça, au dessus de vous… Toute la journée… Vous êtes sûre que ça ne va pas vous déranger ?

Vieille – Ça me fera une distraction… Je me dirai… Ils sont en train de bosser, là-haut, pendant que moi… Je peux rester couchée toute la journée…

Jeune – Bon… Pas de moquette, alors…

La jeune se remet au travail.

Vieille – C’est quoi, vos rêves, à vous ?

Jeune – Mes rêves ?

Vieille – Vous êtes jeune. Vous devez bien avoir encore des rêves… Si vous touchiez le gros lot, qu’est-ce que vous feriez ?

Jeune – Je prendrai un peu de vacances, j’imagine…

Vieille – Et après…?

Jeune – Après…? Peut-être que j’ouvrirai ma boîte…

Vieille – Pour…?

Jeune – Pour ne pas avoir de patron !

Vieille – Ouvrir sa boîte pour ne pas avoir de patron… Autant ne pas travailler du tout… C’est plus simple, non ?

Jeune – Oui, peut-être… (Elle est interrompue par la sonnerie du téléphone). Non… Oui, oui… Non, non… (Elle raccroche). Bon, j’en étais où, moi…

Vieille – Tirez-vous…

Jeune – Pardon ?

Vieille – Tirez-vous ! Pendant qu’il est encore temps !

Jeune – Pour aller où ?

Vieille – Vous avez quel âge, vingt ans ? Vous tenez vraiment à finir comme moi ?

Jeune – Faut bien vivre… Qu’est-ce que vous proposez…?

Vieille (prise de court) – Rien… Vous avez raison…

La jeune se remet à travailler.

Jeune – Vous savez ce que je crois ?

Vieille – Non…

Jeune – Ils vont fermer la boîte.

Vieille – Comment ça, fermer la boîte ?

Jeune – Vous savez ce qu’on fabrique…

Vieille – Non…

Jeune – Toute votre vie, vous avez travaillé ici, et vous ne savez pas ce qu’on fabrique ?

Vieille – Au début, je crois que je le savais… Mais ça a tellement changé… On a été racheté au moins dix fois. Je ne savais même pas qu’on fabriquait encore quelque chose… Qu’est-ce qu’on fabrique ?

Jeune – Des urnes !

Vieille – Des urnes ?

Jeune – Le marché est en train de s’effondrer.

Vieille – L’abstention…?

Jeune – Des urnes funéraires !

Vieille – Ah…

Jeune – Le papy-boom est derrière nous…

Vieille – C’est si grave que ça ?

Jeune – Ils vont fermer la boîte… et ils vont en ouvrir une autre…

Vieille – Délocalisation ?

Jeune – Même pas. En fait, on gardera probablement les mêmes locaux…

Vieille – Et le personnel ?

Jeune – À part les départs naturels, comme vous, on finira sûrement par reclasser tout le monde… Il se pourrait même qu’on réembauche… Il suffira de changer le nom de la société, pour fabriquer autre chose… On n’a que l’embarras du choix… Avec la reprise de la natalité…

Vieille – Alors qu’est-ce que ça change ?

Jeune – En fait, pas grand chose.

La jeune se remet au travail. La vieille reste pensive.

Vieille – Il n’y a vraiment aucun moyen d’arrêter tout ça…

Jeune – Quoi ?

Vieille – Je ne sais pas… D’ailleurs, je suis sûre que si on se mettait en grève, personne ne s’en apercevrait, là haut…

Jeune – Vous êtes une originale, vous…

Vieille – Oui… Une vieille originale… Vous avez remarqué ? On ne dit jamais une jeune originale… C’est normal d’être originale, quand on est jeune… C’est toléré… C’est même recommandé… Presque hygiénique. Mais en vieillissant… C’est supposé vous passer… Les cheveux rouges… ou les anneaux dans le nez. Passé trente ans, c’est ringard. Alors à plus de cinquante, c’est carrément louche… Vous savez ce que c’est, vieillir ? C’est de ne plus savoir comment inventer sa vie tous les matins, passée l’heure du café… En fait, on meurt par manque d’imagination. Vous n’êtes pas très… anneaux dans le nez, vous…?

Jeune – Vous avez des enfants ?

Vieille – Non…

Jeune – Vous auriez aimé en avoir ?

Vieille – Pourquoi faire ?

Jeune – Pour ne pas vieillir toute seule, par exemple.

Vieille – J’ai des voisins. Ils vieillissent avec moi.

Jeune – C’est assez déprimant, de parler avec vous…

Vieille (amusée) – Vous trouvez…?

Jeune – C’est pas si grave que ça.

Vieille – Que je sois déprimante ?

Jeune – Peut-être que vous demandez trop.

Vieille – Oui… C’est ce qu’on m’a dit là haut, la dernière fois que j’ai osé demander une augmentation…

Jeune – C’était il y a combien de temps…?

Vieille – Je ne sais plus…

Jeune – Il n’y a plus personne, là haut… Vous n’étiez pas au courant non plus ?

Vieille – Comment ça, plus personne ?

Jeune – On a été racheté par les fonds de pension.

Vieille – Vous voulez dire… les retraités ?

Jeune – Leurs veuves, en tout cas.

Vieille – Alors après mon départ, je serai le patron de ma boîte ?

Jeune – Eh, oui… Vous voyez, il n’y a même pas besoin de jouer au loto. Il suffit d’attendre…

La vieille, anéantie, reste silencieuse.

Vieille – Si je fais un pot de départ, vous viendrez ?

Jeune – Pourquoi pas ? Envoyez-moi un faire-part…

On entend au loin le mugissement d’une sirène.

Vieille – C’est l’heure… Il va falloir que j’y aille… (Elle commence à s’en aller). Pendant des années, en entendant la sirène, à midi, j’avais le réflexe de me précipiter aux abris… Pourtant je n’ai même pas connu la guerre… Mais le bombardement ne venait pas. Alors je me contentais d’aller déjeuner… (Elle se retourne une dernière fois vers la jeune). Je vous laisserai mes tickets-restaurant…

Elle s’en va. La jeune la suit peu après.

Une belle mort

Un bistrot. Une table à laquelle une femme est assise. Aucune consommation devant elle. Une autre arrive.

Une (se levant) – Ah, tu es venue…

Deux – J’avais le choix ?

Mal à l’aise, elles hésitent à s’embrasser, mais y renoncent. Elles s’asseyent.

Une – Tu prends quelque chose ?

Deux – J’ai commandé un café en passant.

Une – On a beau savoir qu’on n’est pas là pour toujours… Ça fiche un coup…

Deux – À son âge… On savait qu’il était en période de préavis, non ?

Une – Apparemment, c’est arrivé pendant son sommeil.

Deux – Ah, oui…?

Un – Au moins, il n’a pas souffert… Il ne s’est même vu partir.

Deux – Une belle mort, comme on dit… Ça ne remplace pas une belle vie, mais c’est toujours mieux que rien…

Un – Il a toujours fait ce qu’il a voulu…

Deux – Est-ce que ça suffit à faire une belle vie…?

Un – C’était une autre époque.

Deux – Ouais…

Silence embarrassé. La deuxième se lève.

Deux – Je vais voir ce qu’ils foutent avec mon café… On dirait qu’ils m’ont oubliée… Tu reprends quelque chose ?

Un – Ils ne m’ont toujours pas apporté ce que j’avais commandé non plus…

La deuxième s’approche du comptoir dans le noir. La première se fait un raccord de maquillage. L’autre revient avec deux tasses de café et se rassied.

Deuxième – Ils les avaient préparés, mais ils avaient oublié de nous les apporter…

Un – J’espère qu’il est encore chaud…

Deux (prenant une gorgée) – En tout cas, il est fort… Ça réveillerait un mort…

L’autre lui lance un regard étonné, se demandant s’il s’agit d’une plaisanterie ou pas.

Un – On n’aura même pas pu lui dire au revoir.

Deux – Au revoir ?

Un – Adieu, si tu préfères…

Deux – Je ne sais pas ce que je préfère, mais bon…

Un – Quand même… Si on avait su…

Deux – Même si on avait su la date et l’heure… Entre nous, qu’est-ce que ça aurait changé

Un – On aurait pu lui dire un dernier mot…

Deux – Un dernier mot ? Comme quoi, par exemple ?

Un – Je ne sais pas…

Deux – En ce qui me concerne, je ne suis pas sûr que le dernier mot que j’aurais pu lui dire lui aurait été d’un grand réconfort…

Un – Ça ne sert plus à rien de ruminer le passé… Maintenant qu’il n’est plus là….

Deux – Tu as raison… Tournons-nous résolument vers l’avenir… Alors qu’est-ce qu’on fait du corps ?

Un – Tu parles comme si c’était nous qui l’avions assassiné…

Deux – Je me disais que l’incinération…

Un – Tu crois que c’est ça qu’il aurait voulu ?

Deux – Alors là… Je ne me souviens pas d’avoir eu ce genre de conversation avec lui… D’ailleurs, je ne me souviens pas d’avoir jamais eu une véritable conversation avec lui… Et toi ?

Un – Non, moi non plus…

Deux – Dans ce cas, c’est à nous de décider. Personnellement, je n’ai été très fan du côté mausolée. Sauf pour les grands hommes, évidemment. On ne va pas le faire embaumer comme Staline… Et comme je n’ai pas l’intention d’aller lui porter des fleurs tous les ans à La Toussaint.

Un – Je ne sais pas…

Deux – Je parle pour moi… Mais je ne voudrais surtout pas te priver du plaisir d’aller fleurir sa tombe une fois par an… Si tu crois qu’il vaut mieux investir dans la pierre… On fera comme tu voudras.

Un temps.

Un – Et qu’est-ce qu’on ferait des cendres ?

Deux – On partage. Comme c’est tout ce qu’il nous a laissé.

Un – On ne peut pas faire ça…

Deux – Si tu préfères le répandre en entier sur ta pelouse entre le barbecue et la piscine, je suis prête à te laisser ma part, rassure-toi…

Silence.

Un – Comment tu peux être aussi dure…?

L’émotion prend le dessus.

Deux – Comment on a pu en arriver là ? C’est ça la question…

Une – C’est comme ça… Ce n’est la faute de personne…

Deux – C’est forcément la faute de quelqu’un !

Une – Il est trop tard, de toute façon.

Silence.

Un – Et toi, comment ça va ?

Deux – Ça va.

Un – C’est tout ?

Deux – Ce serait trop long…

Son portable sonne, elle répond.

Deux – Oui ? Ah, c’est toi… Non, non… Si, si, mais… Écoute, je suis en réunion là. Enfin… une réunion de famille, plutôt. Non, ce n’est pas vraiment une fête de famille non plus, je te raconterai. Je peux te rappeler ? Ok, à toute à l’heure… Moi aussi…

Elle range son portable.

Deux – Excuse-moi… Et toi, comment ça va ?

Un – Ça fait tellement longtemps… Je ne sais pas par où commencer…

Le portable de l’autre sonne à nouveau.

Deux – Pardon… (Elle prend l’appel) Oui ? Ah, d’accord. Non, non, ce n’est pas grave. Non ? Mais je vous avais dit de… Ok, je serai là-bas d’ici une heure.

Elle range son portable.

Deux – Je suis vraiment désolée… Qu’est-ce qu’on disait ?

Un – Rien d’important.

Deux – Écoute, franchement, si tu peux t’en occuper pour… Moi, c’est au dessus de mes forces… Fais comme tu le sens, pour moi, il n’y a pas de problème… Et bien sûr, on partage les frais…

Elle se lève.

Deux – Il faut vraiment que j’y aille, là… Je n’avais pas prévu de… Mais on peut déjeuner ensemble un de ces jours…

Un – Pourquoi pas.

Elle commence à sortir un billet de son sac pour payer.

Deux – Laisse, je paierai en partant. Tu as mon numéro, tu me tiens au courant ?

Un – D’accord…

Cette fois elles s’embrassent, maladroitement. La deuxième s’en va. La première se rassied, et termine son café.

Deux – Et voilà, maintenant il est froid…

Noir.

 

Scénariste et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une soixtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger :

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables  sur

http://comediatheque.net 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-20-8

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Le Comptoir Lire la suite »

L’Hôpital Était Presque Parfait

L’Hôpital Était Presque Parfait
(ou Série Blanche, Humour Noir )

Comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 personnages : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir. 

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L’Hôpital Était Presque Parfait Lire la suite »

Série Blanche et Humour Noir

ou « L’Hôpital Était Presque Parfait »

White Coats Dark Humour – Batas blancas y humor negro (español)Batas brancas e humor negro (português)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 comédiens et/ou comédiennes

10 : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 1H/9F, 10F
11 : 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 1H/10F, 11F
12 : 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 1H/11F, 12F
13 : 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F, 1H/12F, 13F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Série Blanche et Humour Noir

L’hôpital était presque parfait…

Personnages :

Le docteur : Gunter
Les 2 infirmières : Sœur Emmanuelle et Barbara
Les 3 patients (ou patientes) : Thelma, Louis(e), Berthe (ou Bertrand)
Les 5 visiteurs (ou visiteuses) : Jack, Sandy, Fred, Angela (ou Angelo), Alex
Les 2 policiers (ou policières) : Commissaire Ramirez et Adjoint Sanchez
Patients, visiteurs et policiers peuvent indifféremment être masculins ou féminins.

Le petit salon de réception de l’hôpital, destiné à recevoir les visiteurs. Sœur Emmanuelle, brune à la beauté discrète en tenue d’infirmière religieuse, décore en chantonnant un sapin de Noël malingre posé dans un coin sur une table. Devant le sapin, sur la table, est installée une crèche. Derrière Emmanuelle arrive Gunter, beau médecin genre play boy, blouse blanche et stéthoscope autour du cou. Ambiance Série Blanche Harlequin.

Gunter – Bonjour Sœur Emmanuelle, tout va bien ?

Emmanuelle sursaute, surprise et un peu troublée.

Emmanuelle – Bonjour Docteur Müller. Vous m’avez fait peur…

Gunter – Je suis vraiment désolé. Mais appelez-moi Gunter…

Emmanuelle – Et pourquoi cela, Docteur Müller ?

Gunter – Mais parce que c’est mon prénom, Emmanuelle !

Emmanuelle – Bien sûr… Mais si vous permettez, je continuerai à vous appeler Docteur Müller. Cela me semble plus convenable. Et je préférerais que vous m’appeliez Sœur Emmanuelle…

Gunter – Comme vous voudrez, ma sœur… Ah, mais vous avez fait des merveilles avec ce sapin ! Il est vraiment magnifique…

Emmanuelle considère avec satisfaction l’arbre de Noël en fin de vie que quelques guirlandes en mauvais état ont du mal à égayer un peu.

Emmanuelle – Nos patients ont bien besoin d’un peu de réconfort, en cette période de fête où ils ne sont pas tous entourés de l’amour de leur famille…

Gunter – Bien sûr…

Emmanuelle – À ce symbole laïc qu’est le sapin de Noël, je me suis permis d’ajouter une crèche. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient, Docteur ?

Gunter – Cela fait aussi partie de la magie de Noël ! Même les grands magasins du Boulevard Haussman ont une crèche, pourquoi pas notre hôpital ? Après tout, nous aussi nous sommes une entreprise commerciale !

Emmanuelle – Il est important que tous nos patients qui n’ont pas de famille sachent qu’ils peuvent compter malgré tout sur l’amour de notre Seigneur…

Gunter – C’est clair…

Emmanuelle se penche vers la crèche pour installer les figurines dedans.

Emmanuelle – Voulez-vous m’aider à mettre le petit Jésus dans la crèche ?

Gunter – Euh… oui.

Gunter s’approche d’Emmanuelle pour lui donner un coup de main et ils se frôlent.

Emmanuelle – Tenez, voilà le bœuf et l’âne… Bien dans le fond…

Gunter – Parfait.

Emmanuelle – Et voilà la Sainte Vierge.

Arrive Barbara, aussi blonde qu’Emmanuelle est brune, et vêtue d’une blouse mettant ses charmes beaucoup plus en avant.

Barbara (ironique) – J’imagine que ce n’est pas de moi dont vous parliez, ma sœur…

Gunter – Ah, Barbara, je vous cherchais, justement…

Barbara – Ce n’est pas dans une crèche que vous me trouverez…

Gunter – Voilà, ma sœur… J’ai réussi à les caser tous, mais j’ai eu du mal…

Barbara – Ce n’est pas toujours facile de trouver une place en crèche…

Gunter – Bonjour Barbara. J’allais commencer ma visite. Vous me suivez ?

Barbara – Comme les Rois Mages suivaient l’Étoile du Berger, Gunter. Vous le savez bien, où vous irez, j’irai…

Gunter – Je vous laisse Emmanuelle… Je veux dire Sœur Emmanuelle…

Barbara lance à Emmanuelle un regard jaloux. Emmanuelle, embarrassée, juge préférable de s’éclipser.

Emmanuelle – J’ai à faire, moi aussi…

Emmanuelle sort.

Gunter – On y va, Barbarella ? Je veux dire Barbara…

Gunter et Barbara sortent. Poussée par Angela, habillée de façon gothique, Louise arrive assise dans un fauteuil roulant surplombé par une poche de perfusion.

Angela – Alors Joyeux Noël, Tante Louise !

Louise – Merci, Angela… Je ne sais pas si je verrai le prochain…

Angela – Allez, ne dis pas ça… (Elle sort de son sac une bouteille de Champagne et deux coupes). Tiens, j’ai amené de quoi trinquer pour célébrer ça…

Louise – Oh, mais c’est de la folie…

Angela ouvre la bouteille et emplit les coupes. Puis elle sort un paquet de biscuit de son sac.

Angela – Je t’ai aussi apporté des langues de chat, je sais que tu aimes bien…

Louise – Tu es vraiment un ange, Angela, mais avec mon estomac. Enfin ce qui m’en reste… J’aurais préféré des biscuits à la cuillère…

Angela – Tu n’auras qu’à les tremper dans ton champagne pour les ramollir. Tiens, voilà ton cadeau…

Angela tend à Louise une enveloppe.

Louise – Merci ! Qu’est-ce que c’est ?

Angela – Surprise !

Louise – Une enveloppe… Ce n’est pas de l’argent, au moins… C’est bien la seule chose dont je ne manque pas… À mon âge, ce qui me manque, c’est plutôt le temps pour le dépenser…

Angela – Eh oui… (Plus bas) Comme quoi la vie est mal faite… Moi du temps, je n’ai que ça…

Louise, qui n’a pas entendu, entreprend avec difficulté d’ouvrir le paquet. Pendant ce temps, Angela verse le contenu d’une petite fiole dans la coupe de sa tante. Louise parvient enfin à extraire de l’enveloppe un papier.

Louise – Qu’est-ce que c’est que ?

Angela – Un abonnement d’un an au magazine Pleine Vie !

Louise – Un an ! Je ne sais pas si j’en profiterai jusqu’au bout…

Angela (à mi-voix) – Oui, je ne suis pas sûre non plus.

Louise – Comment ?

Angela sort de son sac un exemplaire du magazine qu’elle tend à Louise.

Angela – Tiens, voilà le premier numéro… Ça te fera de la lecture…

Louise – Merci Angela !

Angela – Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir aussi, ma tante…

Elles se font la bise.

Angela – Alors on trinque ?

Louise – Je ne sais pas si c’est très raisonnable ?

Angela – Allez, un petit verre pour Noël, ça ne peut pas faire de mal !

Louise – Oh, mais tu m’en as mis beaucoup trop…

Angela – Mais non !

Louise – Tu peux me passer mon châle, s’il te plaît ?

Angela se retourne pour prendre le châle sur un fauteuil. Louise en profite pour intervertir les verres afin d’avoir celui qui est le moins rempli.

Angela – Tiens le voilà…

Louise – Merci, c’est gentil… Heureusement que tu es là, toi au moins… Sinon personne ne viendrait me voir…

Angela – Mais c’est normal, je suis ta nièce… (Grand sourire) Alors Tata, tu as réfléchi à ce qu’on s’était dit la dernière fois ?

Louise – Quoi ?

Angela – Au sujet de ton testament, tu sais… Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de tout laisser à l’Abbé Pierre…

Louise – Ce n’est pas l’Abbé Pierre, c’est le Docteur Müller ! Enfin sa fondation ! Une fondation qui s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents…

Angela – Oh tu sais, maintenant, tout le monde a sa fondation, même les tueurs en série… Et puis moi aussi, je serai un peu orpheline quand tu ne seras plus là…

Louise – Toi tu as tes parents, tout de même. Ils ne sont pas dans le besoin, ils sont dentistes tous les deux… Et puis tu sais bien que ta mère a toujours eu une dent contre moi… D’ailleurs, elle ne vient jamais me voir…

Angela – Mais moi je suis là !

Louise – C’est pour ça que j’avais d’abord rédigé ce premier testament en ta faveur… Il est dans le tiroir de ma table de nuit… Mais le Docteur Müller m’a convaincue de… Et puis je sais bien que si tu viens me voir, ce n’est pas pour mon argent…

Angela – Bien sûr…

Louise – Tu as une famille, toi. Tu peux faire des études. Et être dentiste, comme tes parents. Tandis que ces pauvres orphelins. Si ce bon Docteur Müller n’avait pas les moyens de s’occuper d’eux…

Angela – Écoute, fais ce que tu voudras… Après tout c’est ton argent ! Mais ce nouveau testament, tu l’as déjà rédigé ?

Louise – Pas encore… Je vais m’en occuper tout à l’heure…

Sourire d’Angela.

Angela – Parfait… Allez, à ta santé !

Elles boivent.

Louise – Il est bien frais…

Angela – Oui, c’est du bon…

Louise jette un regard à l’étiquette en plissant les yeux.

Louise – La Veuve Tricot… Tiens, je ne la connaissais pas, celle-là…

Angela – Une langue de chat, pour faire passer tout ça ?

Louise – Merci, je les goûterai peut-être tout à l’heure quand tu seras partie…

Angela – C’est ça… En lisant Pleine Vie… Bon, je vais te laisser, Tata… Tu dois sûrement être un peu fatiguée…

Louise – Ça va… Tu ne veux pas faire un Cluedo avant de partir ?

Angela – Désolée, mais je n’ai vraiment pas le temps… Je reviendrai pour te souhaiter la bonne année…

Elles se font la bise.

Louise – Allez, amuse-toi bien… Et merci d’être passée voir ta vieille tante pour Noël… Ah, au fait, moi aussi j’ai un cadeau pour toi ! Tiens, il est sous la table là…

Angela prend le paquet, l’ouvre et en sort un truc en laine.

Angela – Qu’est-ce que c’est ?

Louise – Ben c’est une écharpe ! Je l’avais tricoté pour une amie, mais elle est morte avant de pouvoir la porter. Elle te plaît ?

Angela – Beaucoup… Allez, à bientôt Tata… Et Joyeux Noël !

Angela s’en va.

Louise – Drôle de look, quand même… À chaque fois qu’elle vient me voir, j’ai l’impression d’être déjà en enfer… (Soupir) Alors, voyons voir ça…

Louise ouvre Pleine Vie et se met à le feuilleter tout en trempant une langue de chat dans son champagne. Elle plisse les yeux.

Louise – Qu’est-ce que j’en ai encore fait de mes lunettes, moi…? J’ai dû les laisser dans ma chambre…

Louise repart dans sa chaise roulante. Sœur Emmanuelle arrive, tenant Berthe par le bras. Elle l’aide à s’installer dans le fauteuil.

Emmanuelle – Tenez, installez-vous un peu ici, Berthe. Ce n’est pas bon de rester toute la journée allongée…

Berthe – Oh, vous savez, le Boulevard des Allongés, ce sera ma prochaine adresse, alors…

Emmanuelle – Et bien raison de plus, vous avez bien le temps. Vous voulez faire un scrabble, pour vous dégourdir un peu ?

Berthe – Me dégourdir quoi ?

Emmanuelle – Les méninges !

Berthe – D’accord…

Emmanuelle dispose le jeu.

Emmanuelle – Tenez, voilà vos lettres… Vous commencez ?

Berthe – Oh vous savez, je ne sais pas si je vais y arriver, je n’ai plus toute ma tête…

Emmanuelle – Essayez toujours…

Berthe – Bon, je vais faire ça alors… (Berthe aligne toutes ses lettres sur le plateau) OXYDIEZ du verbe oxyder. Alors, 35 avec le x qui compte double 45 multiplié par 2 égale 90 plus 50 qui font 120…

Emmanuelle – Eh ben… Vos neurones, au moins, elles ne sont pas encore trop oxydées…

Un couple débarque, Sandy et Jack, fille et gendre de Berthe.

Emmanuelle – Ah, je crois que vous avez de la visite, Berthe… Je vous laisse en famille… Messieurs Dames…

Sandy (à Emmanuelle) – Bonjour ma sœur…

Berthe – C’est votre sœur ?

Emmanuelle (avec indulgence) – Non Berthe, c’est votre fille…

Emmanuelle échange un sourire avec Sandy et sort.

Sandy – Alors maman, comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Oh, tu sais, à mon âge…

Jack – Bonjour belle-maman…

Berthe – C’est qui celui-là ?

Sandy – Mais enfin, maman, c’est Jack, mon mari !

Berthe – Tu es mariée ? Depuis quand ?

Sandy – Ça va faire une vingtaine d’années.

Berthe – Tu aurais au moins pu m’envoyer un faire-part…

Sandy – Mais tu as assisté à notre mariage, maman ! (Elle sort une photo de son portefeuille) Tiens regarde, c’est toi là, sur la photo, à la sortie de la mairie.

Berthe – Ah, oui… Et celui qui te tient par le bras, là, avec son costume trop grand, c’est qui ?

Jack – C’est moi, belle maman. Jack, votre gendre !

Berthe le regarde.

Berthe – Ouh là… Qu’est-ce qu’il a vieilli ! Ça ne m’étonne pas que je ne l’ai pas reconnu…

Jack – Eh oui, on vieillit tous…

Sandy tend à sa mère une boîte.

Sandy – Tiens je t’ai apporté une boîte de pâtes de fruits.

Berthe – Merci… Ce n’est pas trop dur au moins ? Parce qu’avec mes dents…

Jack – Ce sont des pâtes de fruits, belle-maman… C’est tout mou…

Berthe (en aparté à Sandy) – Pourquoi est-ce qu’il m’appelle belle-maman ?

Jack préfère changer de sujet..

Jack – Alors Berthe, on a bien dormi, cette nuit ?

Berthe – J’ai fait un rêve bizarre…

Jack – Ah oui ? Quoi donc ?

Berthe – Oh, ça n’a plus grande importance, maintenant…

Sandy – Dis toujours… (Plus bas) Ça nous fera au moins un sujet de conversation…

Berthe – J’ai rêvé de ces lingots que ma mère m’avait offerts pour Noël juste avant de mourir…

Sandy et Jack, sidérés, échangent un regard.

Sandy – Des lingots ?

Jack – Vous voulez dire des lingots d’or, belle-maman ?

Berthe – Comment ?

Sandy – Ta mère t’a donné des lingots ? Tu ne nous avais jamais parlé de ça avant !

Berthe – Ça ne vous regardait pas… Et puis comme je ne savais plus du tout ce que j’en avais fait… C’est cette nuit, seulement, que ça m’est revenu…

Jack – Et alors ?

Berthe – Vous savez comment c’est, les rêves, dès qu’on se réveille, on en oublie la moitié.

Sandy – Et de quelle moitié tu te souviens ?

Berthe – Je me souviens de la boîte… Et de tous les lingots à l’intérieur.

Sandy – Tous les lingots ? Parce qu’en plus, il y en avait beaucoup ?

Jack – Et cette boîte, vous ne vous souvenez plus où vous l’avez cachée ?

Berthe – Cachée ?

Jack – Faites un effort, belle maman !

Sandy – Tu les as peut-être enterrés quelque part dans le jardin ?

Berthe – Quoi donc ?

Jack (pétant les plombs) – Les lingots, putain ! Les putains de lingots !

Berthe – Ah, ça, j’ai complètement oublié…

Sandy – Essaie de te souvenir…

Berthe – Oui, je me souviens bien de la boîte. (Désignant la boîte de pâtes de fruits) Un peu plus grosse que celle-là, quand même.

Le Docteur Müller repasse par là. Sandy et Jack paraissent embarrassés par l’arrivée de ce témoin gênant.

Gunter – Bonjour Berthe, alors comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Bonjour Docteur.

Gunter – Ah, mais je vois qu’on est allé chez le coiffeur pour le réveillon ! Ça vous va très bien…

Berthe – Flatteur…

Gunter – Messieurs Dames… Tout va bien ?

Jack – Bonjour Docteur Müller…

Sandy – Oui, oui, tout va bien. Hein, maman ? (Plus bas) Elle perd de plus en plus la mémoire, mais à part ça, ça va…

Gunter – Votre mère est solide, croyez-moi. Elle nous enterrera tous ! N’est-ce pas Berthe ?

Jack – Et pour la mémoire, vous n’avez pas quelque chose de…

Sandy – Même si l’effet n’était que passager.

Gunter – Pour la mémoire, voyons voir, j’essaie de me souvenir… Si, je prends moi-même quelque chose de très efficace, mais… Je n’arrive pas du tout à me rappeler le nom de ce médicament… (Sandy et Jack le regardent interloqués) Je plaisante, bien sûr… Ici, il faut bien rigoler un peu, vous savez, sinon… On aurait vite fait de se suicider. Non, malheureusement, pour les pertes de mémoire, il n’existe aujourd’hui aucun remède…

Jack – Je vois… Il s’agit sans doute d’une maladie dégénérative…

Dans sa chaise roulante, Berthe s’assoupit lentement.

Gunter – Et voilà ! Une longue maladie dégénérative dont hélas nous souffrons tous dès notre naissance…

Jack – Et qui s’appelle ?

Gunter – La vie, cher Monsieur ! La vie ! Une maladie génétique dont l’issue est toujours fatale à plus ou moins longue échéance. (Le bip du Docteur retentit) Et bien chers amis, le devoir m’appelle. Je vous souhaite un Joyeux Noël !

Sandy secoue un peu sa mère pour la réveiller.

Sandy – Réveille-toi, on va aller faire un petit tour dans le parc…

Jack – L’air frais, ça va peut-être lui rafraîchir la mémoire…

Sandy – Allez, maman ! Lève-toi et marche !

Sandy, Jack et Berthe sortent. Louise revient en chaise roulante et se remet à lire Pleine Vie. Thelma arrive, marchant avec difficulté, agrippée d’une main au portique à roulettes de sa perfusion, et tenant de l’autre un ordinateur portable.

Thelma – Alors Louise, vous n’êtes pas encore morte ?

Louise – Sacrée Thelma, toujours le mot pour rire… Quand vous ne serez plus là, on va s’ennuyer…

Thelma – Avec un peu de chance, vous partirez avant moi… Qu’est-ce que vous lisez ?

Louise – Pleine Vie. C’est un cadeau de ma petite nièce…

Thelma – Au moins, elle a le sens de l’humour… Et c’est intéressant ?

Louise – Oui, mais qu’est-ce qu’il y a comme pubs… Sonotones, fauteuils monte-escalier, conventions obsèques…

Thelma – Ça a l’air sympa…

Thelma s’assied dans un fauteuil, et ouvre le capot de son ordinateur portable.

Louise – Il y a le wifi, ici ?

Thelma – Ça capte mieux du côté de la chambre mortuaire, mais là c’est occupé.

Louise – Ah, oui ? Par qui ?

Thelma – Je croyais que c’était vous, mais apparemment non…

Thelma allume son ordinateur.

Louise – C’est peut-être Berthe…

Thelma – Vous croyez ?

Louise – C’est toujours les meilleurs qui partent les premiers…

Thelma – Je préfère être une peau de vache… Ça conserve…

Louise – Pauvre Berthe… Pourtant, elle n’avait pas l’air si mal en point… Je n’aurais pas parié que ce serait elle qui nous quitterait en premier.

Thelma – Moi oui…

Louise – Pardon ?

Thelma – J’avais parié sur elle.

Louise – Non ?

Thelma – Cinquante euros… Puisque ce n’est pas vous, dans la chambre mortuaire, ça me laisse encore une chance…

Louise – Tant que vous ne pariez pas que je serai la prochaine sur la liste…

Thelma examine le dossier médical suspendu au fauteuil roulant de Louise.

Thelma – Voyons voir… Ah oui, quand même… Sans vouloir vous flatter, vous avez plutôt un bon dossier…

Louise lui lance un regard inquiet.

Louise – Vous trouvez ?

Thelma se met à pianoter sur son clavier

Thelma – Ça va… J’ai deux barres…

Louise – Deux barres ?

Thelma – Pour le wifi !

Louise – Ah, oui…

Thelma continue de pianoter sur son ordinateur. Louise se remet à sa lecture.

Thelma – Ouah ! Il est pas mal, celui-là ! Regardez ça !

Thelma tourne un instant l’écran vers Louise.

Louise – Vous êtes sur quel genre de site ?

Thelma – Un site de rencontre… Mon pseudo, c’est Thelma…

Louise – Thelma, ce n’est pas votre vrai nom ?

Thelma – Mon vrai nom, c’est Henriette… Mais pour rencontrer quelqu’un sur le net, Henriette, ce n’est pas un prénom facile.

Louise – Vous croyez vraiment que dans notre état, on peut encore rencontrer quelqu’un ?

Thelma – À part quelqu’un qui soit chargé de nous administrer les derniers sacrements, de constater le décès ou de procéder à l’autopsie, vous voulez dire ? On peut toujours rêver… Mais là, je dois dire que j’ai un coup de cœur…

Louise – Avec la tension que vous avez… Un coup de cœur, ça tourne vite à la crise cardiaque..

Thelma se remet à pianoter.

Thelma – J’hésite…

Louise – Dans l’état où on est, il vaut mieux ne pas hésiter trop longtemps.

Thelma – Allez, je tente ma chance…

Louise – Je ne voudrais pas vous décourager, mais quand il va voir votre photo…

Thelma lui montre à nouveau l’écran.

Thelma – Tenez, la voilà, ma photo…

Louise – Mais… c’est Sœur Emmanuelle !

Thelma – Elle n’est pas super sexy, mais c’est tout ce que j’avais sous la main… Je l’ai prise avec mon portable hier en lui disant que je voulais avoir une photo d’elle sur ma page d’accueil…

Louise – J’espère qu’elle ne surfe pas sur le net, elle aussi…

Thelma – Une religieuse… En tout cas, elle ne doit pas fréquenter des sites de rencontre… Et puis comme ça au moins, ça fait plus crédible…

Louise – Quoi ?

Thelma – La photo ! Il ne faut pas exagérer, non plus, les hommes savent bien que quand on a le physique d’une femme de footballeur, on n’a pas besoin d’aller sur ce genre de site pour avoir le ballon…

Louise – Remarquez, vous avez raison… Ce petit air niais et un peu naïf, il y en a que ça peut attendrir…

Thelma – On lui donnerait le bon Dieu sans confession…

Louise – Ah, quand on parle du loup…

Sœur Emmanuelle arrive. Thelma ferme précipitamment le capot de son ordinateur.

Thelma – Bonjour ma sœur !

Emmanuelle – Thelma et Louise ! Toujours inséparables, alors ! Comment ça va, aujourd’hui ?

Louise – Comme dit le Docteur Müller, la vie est une longue maladie dégénérative…

Thelma – Disons que nous on serait plutôt au stade terminal…

Emmanuelle – Ici ou ailleurs, nous ne sommes que de passage sur terre… Et le Seigneur nous attend tous en son paradis.

Thelma – Vous vous rendez compte, ma sœur ? Avec nous, c’est la première génération internet qui va arriver là-haut… Vous croyez qu’il y a du réseau, au paradis ?

Emmanuelle – Si c’est le paradis, il y a sûrement du wifi…

Thelma – C’est sûrement pour ça que ça capte déjà mieux du côté de la chambre mortuaire…

Emmanuelle – Est-ce que je peux faire quelque chose pour votre bien être, Mesdames ?

Thelma – Le haschich n’est toujours pas admis dans cet établissement même à usage thérapeutique ?

Emmanuelle – Je crains que non…

Thelma – Alors tant pis.

Emmanuelle – Bien, alors je repasserai tout à l’heure pour votre cours de gym… Bonne journée, Mesdames.

Louise – Bonne journée à vous, ma sœur.

Thelma – Et encore merci pour la photo… Je l’ai mise aussitôt sur ma… page d’accueil.

Emmanuelle – Si cela peut vous être d’un petit réconfort…

Thelma – Croyez-moi, ma sœur, grâce à vous, plusieurs de mes prières ont déjà été exaucées…

Emmanuelle sort. Louise range sa revue et commence à rouler son fauteuil pour partir.

Louise – Allez, ce n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais il faut que j’aille faire mes devoirs…

Thelma – Vos devoirs ? Vous avez repris des cours ?

Louise – Non, mais c’est pour ne pas être prise de court, justement. Je dois rédiger mon testament…

Thelma – C’est vous qui avez raison, Louise, à nôtre âge, c’est plus facile de coucher quelqu’un sur son testament que dans son lit… Et qui est l’heureux élu ?

Louise – Je ne me suis jamais très bien entendu avec ma famille… Alors je me demande si je ne vais pas tout léguer au Docteur Müller… Il est tellement gentil…

Thelma – Et plutôt bel homme…

Louise – À tout à l’heure, Thelma.

Thelma rouvre le capot de son ordinateur.

Thelma – Adieu, Louise.

Louise sort. Thelma se remet à pianoter sur son ordinateur. Arrive un jeune homme, façon rappeur.

Alex – Salut Mémé, ça roule ?

Thelma ferme à nouveau le capot de son ordinateur.

Thelma – Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Mémé.

Ils se font la bise.

Alex – Qu’est-ce que tu mates sur ton ordi ?

Thelma – Rien de spécial, pourquoi ?

Alex – Tu fermes la page quand j’arrive, c’est chelou.

Thelma – Tu es passé à la pharmacie pour mon ordonnance ?

Alex – T’inquiètes, j’ai ça là…

Il ouvre une poche de son blouson et tend à Thelma un petit truc dans une feuille d’aluminium.

Thelma – Ce n’est pas un générique au moins ?

Alex – Je me fournis directement chez un herboriste afghan… (Comme Thelma s’apprête à prendre la chose, il l’en empêche) Pas si vite ! Je ne fais pas le tiers payant.

Thelma lui tend un billet de cinquante.

Thelma – Tiens, je les ai honnêtement gagnés.

Alex – Ah ouais, comment ?

Thelma – J’ai gagné un pari.

Thelma range son petit paquet en aluminium et sort un joint qu’elle allume.

Alex – Tu as parié sur quoi ?

Thelma – Tu ne le croirais pas…

Thelma tire sur le joint.

Alex – Tu penses qu’un jour ils vont légaliser la beuh, Mémé ?

Thelma – Pour les vieux, peut-être. En soins palliatifs.

Alex – C’est relou.

Thelma – Et tes parents, comment ça va ?

Alex – Ça roule. Tu fais tourner ?

Thelma – Eh, je suis ta grand-mère quand même ! Je ne vais pas te pousser à te droguer.

Alex – Parce que toi, tu me donnes le bon exemple, peut-être ?

Thelma – Moi c’est différent, c’est pour soulager mes douleurs…

Alex – C’est ça, ouais…

Thelma est surprise par le retour de Sœur Emmanuelle. Elle refile le joint à Alex qui fait de son mieux pour le planquer.

Emmanuelle – Ah bonjour Alex ! C’est gentil de venir rendre visite à votre grand-mère.

Alex – Oui, je… Bonjour ma sœur…

Emmanuelle – Ça sent l’eucalyptus ici, non ? C’est vous qui fumez des cigarettes à l’eucalyptus, Thelma ?

Thelma – C’est à dire que…

Emmanuelle – Vous savez que c’est strictement interdit de fumer dans l’enceinte de l’établissement, même si ce sont des cigarettes pour dégager les bronches… Allez, je vous laisse en famille. Au revoir Alex…

Alex – Au revoir ma sœur…

Thelma – Allez on s’arrache.

Alex – Où est-ce qu’on peut-être tranquille ?

Thelma – Suis-moi, tu verras. Et en plus, c’est un endroit où on capte très bien le wifi…

Alex – Cool…

Ils sortent, mais Thelma oublie son ordinateur portable. Gunter, le médecin, repasse en compagnie de Barbara.

Gunter – Bon, et bien cela ne va pas trop mal, ce matin, n’est-ce pas Barbara ?

Barbara – Tous nos patients répondent à l’appel. Ça n’arrive déjà pas si souvent que ça. Cela tiendrait presque du miracle…

Gunter – C’est curieux, j’avais pourtant cru apercevoir quelqu’un dans la chambre mortuaire…

Barbara – Un oubli, peut-être… Il y a aussi des morts que personne ne vient réclamer…

Gunter – Je vais m’occuper de ça…

Barbara (provocante) – Vous ne voulez pas vous occuper de moi, plutôt ?

Gunter – C’est à dire que… On ne peut pas laisser un corps abandonné, comme ça…

Barbara – Un corps abandonné… Vous en avez un devant vous, Docteur Müller… Êtes-vous aveugle à ce point ?

Gunter aperçoit l’ordinateur et saisit le prétexte pour se dégager.

Gunter – Mais que vois-je ?

Barbara – Quoi ?

Gunter – Un ordinateur à la pomme…

Barbara (déçue) – Cruel, je vous lancerai bien cette pomme à la figure…

Gunter – An Apple a day, keep the doctor away…

Barbara – Vous parlez anglais, Gunter ? Je pensais que vous étiez allemand…

Gunter – Mon grand-père a émigré en Argentine à la fin de la guerre, mais j’ai été élevé dans un collège anglais en Suisse.

Barbara – Je vois…

Gunter – Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le genre de chose à laisser traîner… C’est à vous ?

Barbara – Non…

Gunter – Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de voleurs ici, mais bon…

Le regard de Barbara est attiré par l’image sur l’écran.

Barbara – Ah oui, comme vous dites… C’est d’autant moins à laisser traîner quand on surfe sur ce genre de site…

Gunter – Quel genre de site ?

Barbara – Un site de rencontre !

Gunter – Ce ne sont quand même pas nos patients qui…

Barbara – Mais… c’est la photo de Sœur Emmanuelle !

Gunter – Vous plaisantez…

Barbara – Si ce n’est pas elle, cela lui ressemble beaucoup…

Gunter – Faites voir…

Barbara – Elle se fait appeler Thelma.

Gunter – Non ?

Barbara – C’est clair que quand on s’appelle Sœur Emmanuelle, sur ce genre de site, il vaut mieux prendre un pseudo pour ne pas risquer de tomber sur des pervers…

Sœur Emmanuelle arrive. Gunter et Barbara, stupéfaits, la regardent avec d’autres yeux.

Emmanuelle – Tout va bien ?

Gunter – Très bien…

Barbara – Très, très bien…

Emmanuelle – Parfait…

Barbara – Vous êtes sûre que vous n’oubliez rien, ma sœur ?

Emmanuelle – Je ne vois pas, non ? Alors à plus tard…

Sœur Emmanuelle continue son chemin, un peu gênée par le regard insistant des deux autres, et elle sort.

Gunter – Je n’aurais jamais cru ça d’elle… Elle a l’air tellement…

Barbara – Eh oui… On croit connaître les femmes…

Gunter – Elle n’a pas repris son ordinateur…

Barbara – Elle n’a pas osé… Cette Sainte Nitouche…

Gunter – C’est vrai que ç’aurait été un peu gênant.

Barbara – Tu m’étonnes…

Gunter – On va le laisser ici, elle viendra le reprendre discrètement…

Barbara s’apprête à sortir.

Barbara – Vous venez ?

Gunter – Oui, oui, je vous rejoins tout de suite…

Barbara sort. Gunter hésite un instant, puis se met à pianoter fébrilement sur l’ordinateur. Thelma revient. Gunter s’éclipse.

Thelma – Ouah… C’est de la bonne… (Elle aperçoit l’ordinateur) Ah, il me semblait bien aussi que je l’avais oublié là…

Berthe revient accompagnée de Sandy et Jack.

Thelma – Berthe ? Je croyais que vous étiez décédée !

Berthe – Et bien non, vous voyez…

Thelma – Encore cinquante euros de perdu… Mais alors c’est qui dans la chambre mortuaire ?

Le regard de Thelma est attiré par l’écran de l’ordinateur.

Thelma – Tiens, une nouvelle proposition… Décidément, je suis très sollicitée… (Elle pianote sur le clavier et regarde l’écran) Non, le Docteur Müller…

Thelma sort tout en regardant son écran. Arrive Fred, la deuxième fille (ou le deuxième fils) de Berthe.

Fred – Bonjour maman… (Plus froidement) Sandy… Jack…

Berthe (à Sandy) – Tiens voilà ta mère.

Sandy – C’est toi ma mère. Elle c’est ma sœur…

Berthe – Tu es sûre ? Elle a l’air tellement vieille…

Jack – On va vous laisser, hein, Sandy ?

Fred – Je ne vous chasse pas, j’espère…

Sandy – On allait partir.

Sandy embrasse Berthe.

Fred – Tiens, je t’ai amené des pâtes de fruits…

Berthe – Ah, merci… Ce n’est pas ta sœur qui m’en aurait apportées… Elle ne m’apporte jamais rien…

Sandy – On t’en a apporté une boîte, maman, elle est là…

Jack – À la prochaine, Berthe…

Jack et Sandy sortent, après avoir échangé un regard hostile avec Fred. Fred lui tend la boîte qu’elle a apportée.

Fred – Prends donc une pâte de fruits…

Berthe – Merci… (Elle prend une pâte de fruits et la mange) Elles sont moins bonnes que celles de ta sœur…

Fred – Alors, maman, tu as réfléchi à ce que je t’ai demandé la dernière fois ?

Berthe – Quoi ?

Fred – Au sujet de cette boîte contenant des lingots, que tu aurais caché quelque part dans la maison…

Berthe – Ah, ça…

Fred – Tu te souviens de ce que tu en as fait ?

Berthe – Oui.

Fred – Et alors ?

Berthe – Alors quoi ?

Fred – Qu’est-ce que tu en as fait ?

Berthe – Ben je l’ai mise dans le grenier, je crois.

Fred – Non ?

Berthe – Si, mais je viens de le dire à ta sœur…

Fred – La salope…

Fred sort en trombe. Louise arrive.

Louise – Vous voulez un chocolat ? C’est le Docteur Müller qui me les a offerts parce que je viens de lui léguer toute ma fortune…

Berthe – C’est vraiment très gentil de sa part… Qu’est-ce que c’est comme chocolat ?

Louise – Des lingots.

Berthe – Ah oui, je vais en prendre un. Ça me rappellera ma jeunesse. Ma mère m’en offrait souvent quand j’étais petite. Je me souviens, j’ai encore toutes les boîtes dans le grenier…

Thelma arrive à son tour. Par derrière, elle coupe avec une pince à linge le tuyau du goutte à goutte de Louise. Berthe la voit. Tout en affichant un sourire hilare, Thelma lui fait signe d’un geste de se taire.

Thelma – Je ne devrais pas, je sais, mais je trouve ça tellement marrant…

Berthe commence à tourner de l’œil. Sœur Emmanuelle revient, dans une tenue de gymnastique très voyante, avec un gros lecteur de CD sur l’épaule façon rappeur des rues. Comme une collégienne prise en faute, Thelma retire discrètement la pince à linge et Louise recouvre ses esprits.

Emmanuelle – Allons Mesdames, il faut bouger un peu ! C’est l’heure de votre cours de gymnastique.

Thelma – Oh, non, pas la gym…

Sœur Emmanuelle appuie sur la touche du lecteur et lance une bande son entraînante façon step.

Emmanuelle – Allons, tous avec moi !

Emmanuelle, un peu exaltée, se met à faire des mouvements de step de façon assez spectaculaire, que les patientes mal en point imitent mollement.

Emmanuelle – Allez, un peu plus d’entrain !

Thelma coupe à nouveau avec la pince à linge la perfusion de Louise, qui recommence à tourner de l’œil.

Berthe – Sœur Emmanuelle… On dirait que Louise a un peu forcé…

Emmanuelle – Bon, d’accord, on va peut-être arrêter là pour aujourd’hui, alors…

Thelma retire la pince à linge la perfusion de Louise, qui recouvre peu à peu ses esprits.

Thelma – On s’en sort bien…

Emmanuelle – Ça va mieux, Berthe ?

Berthe – Ça va… J’ai dû faire un petit malaise…

Les trois patientes sortent. Gunter arrive et découvre la tenue plutôt moulante et flashy de Sœur Emmanuelle, en train d’éteindre son lecteur de CD pour partir.

Gunter – Et bien… Décidément, je vous découvre sous un autre jour, Emmanuelle…

Emmanuelle – C’est une tenue de gymnastique… Vous trouvez que c’est un peu trop…?

Gunter – Je ne pensais pas que sous votre blouse blanche se cachait un tel feu d’artifice… Vous avez bien reçu mon message ?

Emmanuelle – Quel message ?

Le bip de Gunter se fait entendre.

Gunter – Excusez-moi, on m’a bipé… Mais nous reprendrons cette conversation tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Gunter s’en va. Barbara arrive.

Barbara – Alors, Sœur Emmanuelle, on mouille le maillot ?

Emmanuelle – Je sais, je ne devrais pas trop les surmener, mais en même temps…

Barbara – Vous devriez surtout être un peu plus discrète…

Emmanuelle – Discrète ?

Barbara – Nous nous comprenons, n’est-ce pas… Mais je vous préviens, pour ce qui est de Gunter, c’est chasse gardée !

Sœur Emmanuelle sort. Gunter revient catastrophé, en poussant un chariot devant lui sur lequel est allongé un corps recouvert d’un drap blanc.

Gunter – Je viens de découvrir un cadavre dans la salle mortuaire !

Barbara – Ça n’a rien de très extraordinaire, non ? En moyenne, on en dénombre deux ou trois tous les matins…

Gunter – Non mais là ce n’est pas un de nos patients. J’en suis même à me demander si c’est vraiment un être humain. On dirait un zombie. Regardez…

Gunter lève un coin du drap et on reconnaît Angela, la gothique. Louise revient en chaise roulante et aperçoit le cadavre.

Louise – Angela !

Barbara – Vous la connaissez ?

Louise – C’est ma nièce, elle est venue me voir tout à l’heure !

Barbara – Où est-ce que vous l’avez trouvée, Docteur ?

Gunter – Dans la chambre mortuaire, je vous dis !

Barbara – Astucieux, pour dissimuler un cadavre. C’est le dernier endroit on penserait à regarder…

Gunter recouvre à nouveau le corps avec le drap.

Gunter – Vous pensez qu’il pourrait s’agir d’un meurtre ?

Barbara – Allez savoir… Oh, mon Dieu ! Le criminel se trouve peut-être encore parmi nous ! Il faut prévenir la police !

Gunter – C’est fait, je viens d’appeler le commissariat… D’ailleurs les voilà…

Le (ou la) commissaire arrive, avec son adjoint (ou adjointe).

Commissaire – Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez… J’espère que personne n’a touché à rien.

Gunter – J’ai seulement transporté le corps jusqu’ici sur ce chariot à roulettes…

Commissaire – Très bien, cela nous évitera un changement de décor inutile. (Soulevant le drap pour jeter un coup d’œil) Ouh là… Ce n’est pas beau à voir… Le producteur n’a pas lésiné sur les effets spéciaux…

Adjoint – Ah oui, cette bave verte qui lui sort de la bouche… On se croirait dans l’Exorciste…

Commissaire – Le décès remonte à combien de temps, Docteur ?

Gunter – Je n’en ai aucune idée. Je ne suis pas médecin légiste…

Adjoint – Ne vous inquiétez pas, ça viendra sûrement…

Commissaire (apercevant Louise) – Ça va Mémé, la soupe est bonne, ici ? J’espère que pour Noël, on améliore un peu l’ordinaire à la cantine ? Vous avez eu droit à une bûche glacée au moins ?

Barbara – C’est la tante de la victime, Commissaire. Elle doit être sous le choc…

Commissaire – Ah, très bien… Donc nous connaissons déjà l’identité du cadavre… Ça nous fera gagner du temps. Sanchez, soyez gentil, roulez-moi ce chariot de viande froide un peu plus loin, j’ai l’impression que ça commence déjà à cocoter un peu…

Louise – Pauvre petite… Elle est venue me voir il y a à peine une heure, vous vous rendez compte ?

Commissaire – Donc c’est encore tout frais… Remarquez, peut-être qu’elle sentait déjà mauvais de son vivant…

Louise – Vous êtes sûrs qu’elle est morte, au moins ?

Sanchez s’apprête à rouler le cadavre dans les coulisses.

Adjoint – Ou alors, c’est bien imité… La dernière fois que j’ai vu quelqu’un baver comme ça, c’était un pauvre type mordu par sa belle-mère atteinte de la rage…

Commissaire – Allons, Sanchez, je vous prie de respecter le deuil de cette pauvre femme qui vient de perdre sa nièce dans des conditions particulièrement atroces.

Sanchez – Pardon, Commissaire. Autant pour moi…

Sanchez sort avec le corps sur le chariot à roulettes.

Commissaire – Donc, chère Madame, votre nièce est la dernière personne à vous avoir vue vivante…

Louise – Ce ne serait pas plutôt le contraire, Commissaire ? Je ne suis pas encore tout à fait morte…

Commissaire – N’essayez pas de m’embrouiller, je connais mon métier… Ce n’est pas vous qui l’avez tuée, au moins ? Ça ça nous ferait gagner encore plus de temps…

Louise – C’est une animation, pour le réveillon de Noël, Docteur Müller ? Un Cluedo en live ? Monsieur est comédien ?

Gunter – Je crains que non, ma chère Berthe… Ou alors c’est un très mauvais comédien…

Le commissaire prend Gunter à part.

Commissaire – Remarquez, Docteur, ce n’est pas une si mauvaise idée que ça…

Gunter – Quoi ?

Commissaire – Et si vous faisiez croire à vos patients qu’il s’agit d’un jeu de rôles ? Ce serait moins traumatisant pour eux, non ? D’un point de vue psychologique…

Gunter – Enfin… Je pense quand même que Louise se rendra compte à un moment donné que sa nièce est vraiment morte.

Commissaire – Pensez-vous… Dans l’état où elle est ! Dans un quart d’heure elle aura même oublié qu’elle avait une nièce… Enfin, c’est vous qui voyez. Mais c’est important, la psychologie, vous savez…

Adjoint – Voilà, commissaire, c’est fait.

Commissaire – Très bien. Et qu’est-ce que vous avez fait du corps ? Que je sache où vous l’avez fourré si je veux mettre la main dessus un peu plus tard ?

Adjoint – Je l’ai mise dans la chambre froide.

Commissaire – Ah, vous avez une chambre froide ? Très bien, c’est pratique. Nous aussi on a ça à l’institut médico-légal…

Barbara – Oui, enfin, nous c’est dans les cuisines…

Adjoint – Je me disais aussi… Pourquoi est-ce que qu’ils stockent autant de carcasses d’animaux dans une morgue ?

Commissaire – Bon, on essayera de faire l’autopsie avant que la victime soit complètement congelée, sinon il va falloir y aller au pic à glace…

Adjoint – Ou au micro-onde…

Commissaire – Et donc, vous ne savez pas du tout de comment elle a été assassinée ?

Barbara – Comment le saurions-nous, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi… Vous êtes médecins, vous avez l’habitude de tuer des gens, non ? Je blague…

Adjoint – Qui a bien pu faire ça ?

Commissaire (lui posant la main sur l’épaule) – Nous sommes ici pour le découvrir, Sanchez…

Adjoint – Vous avez un plan, Commissaire ?

Commissaire – Virez-moi tout ce petit monde d’ici, sauf la vioque. On va l’interroger tout de suite, et après elle pourra aller déjeuner. Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. Nous savons que les personnes âgées ont l’habitude de déjeuner tôt…

Barbara (à mi-voix) – On la nourrit par perfusion, Commissaire, nous avons dû lui enlever l’estomac la semaine dernière…

Commissaire – Eh bien comme, au moins, elle n’a plus de problème de digestion… Allez, tout le monde dehors, on vous appellera par votre numéro quand ce sera votre tour, comme aux ASSEDIC.

Gunter et Barbara sortent.

Commissaire – Sanchez, pendant que j’interroge Madame, vous allez me perquisitionner cette taule de la cave au grenier. Et vous mandatez quelqu’un d’ici comme médecin légiste pour procéder à l’autopsie. On ne va pas y passer les fêtes, non plus…

Adjoint – Bien Commissaire.

Sanchez sort.

Commissaire – Alors Mémé ? Vous ne voulez pas avouer tout de suite ? Ça soulagerait votre conscience, et moi je pourrais réveillonner ce soir en famille.

Louise – Je lui avais fait cadeau d’une écharpe en laine. C’est avec ça qu’elle s’est pendue ?

Commissaire – Ça ressemble plutôt à un empoisonnement, si j’en crois la couleur de la bave qui lui sort de la bouche… Vous avez mangé quelque chose ensemble, quand elle vous a rendu visite ?

Louise – On a mangé des langues de chat…

Commissaire – Apparemment, ça ne lui a pas réussi… Pauvres bêtes… Des chats noirs, je parie… Mais c’était quoi, un repas de Noël ou un rite satanique ?

Louise – Enfin ce n’était pas des vraies langues de chat… Elles venaient de chez Auchan. Et puis on a bu un peu de Champagne…

Commissaire – Eh ben, on ne se refuse rien ! Si vous croyez qu’avec ma retraite, moi, j’aurai de quoi me payer du Champagne…

Louise – Nous aussi, on a cotisé ! Et puis ce n’est pas Noël tous les jours… Et dans l’état où je suis, je ne suis même pas sûre de fêter le prochain…

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez… Moi, Noël, ça m’a toujours foutu un peu le bourdon… Déjà, quand j’étais petit…

Louise – Bon, ça va, vous n’allez pas me raconter votre enfance malheureuse, non plus…

Commissaire – Bien… Est-ce que vous diriez que vous aviez des relations conflictuelles avec votre nièce, chère Madame ?

Louise – Oh… Elle venait me voir dans l’espoir de toucher l’héritage, mais bon… Quand on n’a plus que quelques mois à vivre, et qu’on a quelques millions sur son compte, vous savez, ça devient difficile de croire aux visites désintéressées…

Commissaire – Ça pourrait expliquer qu’elle ait voulu abréger vos souffrances, mais pas l’inverse… Et vous l’avez effectivement couchée sur votre testament pour la remercier de son dévouement ?

Louise – Tu parles d’un dévouement…

Commissaire – Reconnaissez que d’aller voir des mourants à l’hosto, ce n’est quand même pas une partie de plaisir ! Sans parler des frais : fleurs, confiseries, magazines… Ça mérite bien une petite compensation, non ?

Louise – J’ai tout légué au Docteur Müller.

Commissaire – Et vous avez bien raison… Ce Docteur Müller m’a l’air d’être un Saint Homme…

Sanchez revient.

Adjoint – Commissaire, on vient d’identifier le véhicule de la victime. Une voiture noire de couleur grise, garée dans le parking de l’hôpital sur une place handicapé…

Commissaire – Et quelles conclusions en tirez-vous, Sanchez ?

Adjoint – Eh bien… La victime n’était pas handicapée…

Commissaire – Ça c’est l’autopsie qui nous le dira… À propos, vous avez mis quelqu’un là dessus.

Adjoint – Oui, Commissaire… Le Docteur Müller s’en occupe…

Sanchez reste là.

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – Je me disais que… On tenait peut-être le mobile du crime…

Commissaire – Quel mobile ?

Adjoint – Un handicapé qui aurait voulu se venger qu’on lui ait pris sa place de parking ?

Commissaire – Bravo Sanchez, nous ne manquerons pas d’exploiter cette piste. En attendant, vous me débarrassez de la vieille, et vous m’envoyez le témoin suivant…

Adjoint – Quel témoin, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi ! Celui qui vous tombera sous la main… (Sanchez embarque Louise). Ces jeunes, il faut tout leur expliquer…

Le commissaire examine les lieux. Il ramasse par terre une fiole, et essaie vainement de lire l’étiquette. Sanchez revient avec Sœur Emmanuelle.

Commissaire – Qu’est-ce que vous lisez là dessus, Sanchez, je ne sais pas ce que j’ai fait de mes lunettes…

Adjoint – Poison, Commissaire… Vous pensez que cela pourrait avoir quelque chose à voir avec cette affaire d’empoisonnement ?

Commissaire – Franchement, ça m’étonnerait… Mais on va quand même envoyer ça au labo pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un produit toxique…

Adjoint – Bien Commissaire…

Sanchez prend la fiole et repart.

Commissaire – Alors, ma sœur, à nous… Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir religieuse. Une belle fille comme vous…

Emmanuelle – Je suis mariée avec Notre Seigneur… Je consacre ma vie à aider les autres…

Commissaire – Dans ce cas, nous faisons un peu le même métier.

Emmanuelle – Par d’autre voies, tout de même…

Commissaire – Les voies du Seigneur sont impénétrables… Auriez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel dans le coin, ces temps-ci…

Emmanuelle – Par exemple ?

Commissaire – Vous même, vous ne pratiqueriez pas la sorcellerie : messes noires, sacrifices humains, exorcismes ?

Emmanuelle – Non, Commissaire.

Commissaire – Une petite euthanasie de temps en temps, peut-être…?

Emmanuelle – C’est tout à fait contraire aux principes de ma religion, Commissaire.

Commissaire – Tiens donc ? Je l’ignorais. Il faudra que je relise le Coran, un de ces jours…

Emmanuelle – Et puis ce n’est pas un de nos patients en fin de vie qui est décédé, mais une jeune femme qui venait rendre visite à l’un d’entre eux…

Commissaire – On croit abréger les souffrances d’un mourant et on cueille une jeune vie dans la fleur de l’âge. Personne n’est à l’abri d’une erreur médicale…

Emmanuelle – Je suis infirmière diplômée…

Commissaire – Allons ma sœur… Ne me dites que ce n’est jamais arrivé ici qu’un patient vienne pour se faire enlever les hémorroïdes et reparte avec une jambe en moins…

Emmanuelle – Vous avez d’autres questions à me poser, Commissaire ? Mes malades ont besoin de moi…

Commissaire – Ce sera tout pour l’instant, mais je vous demanderais de rester à la disposition de la police jusqu’à nouvel ordre.

Emmanuelle – C’est à dire ?

Commissaire – On va essayer d’éviter le bracelet électronique pour l’instant, mais si vous aviez prévu un petit voyage dans un pays n’ayant pas d’accord d’extradition avec la France, comme Les Bahamas ou les Îles Caïman, je vous demanderais de le reporter…

Emmanuelle – J’avais juste prévu un pèlerinage à Lourdes pour le Nouvel An…

Commissaire – C’est dans l’espace Schengen ?

Emmanuelle – C’est en France, en tout cas…

Commissaire – Très bien, on vous fera un ausweis pour aller saluer Bernadette Soubirous…

Emmanuelle – Merci Commissaire.

Commissaire – Allez dans la paix du Seigneur, belle enfant.

Emmanuelle sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors, cette perquisition, qu’est-ce que ça donne, Sanchez ?

Adjoint – La routine, Commissaire… Un peu de marijuana, des armes de poing, du liquide sous les matelas… J’ai même trouvé de la morphine…

Commissaire – De la morphine… Où va-t-on ? Dans un hôpital, vous vous rendez compte ? Mais quand vous dites du liquide sous les matelas…?

Adjoint – Je parle de cash, Commissaire : Euros, Francs Suisse, Lires Italiennes… J’ai même trouvé quelques Pesetas…

Commissaire – Ah, les pesetas ! C’était le bon temps, n’est-ce pas, Sanchez ? La Costa Brava à un prix encore abordable, les gardes civils avec leurs drôles de tricornes, le Général Franco à la télé avec ses lunettes de soleil… Quel orateur, tout de même ! Ça ne nous rajeunit pas, Sanchez…

Adjoint – Mais ce qui m’inquiète, Commissaire, c’est plutôt ça…

Il sort et revient avec dans les bras une pile de boîtes.

Commissaire – Qu’est-ce que c’est que ça, Sanchez ? Vous croyez que c’est le moment de faire vos courses de Noël ? On a une enquête à résoudre, bon sang !

Adjoint – Des pâtes de fruits, Commissaire. Vingt-quatre boîtes exactement…

Commissaire – Je vois le topo… Et vous avez trouvé ça où ?

Adjoint – Sous le lit d’une patiente. La dénommée Berthe. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un pseudo… Plus personne ne s’appelle Berthe, de nos jours…

Commissaire – Je suis de votre avis, Sanchez… Là je crois qu’on tient une piste sérieuse. Vous m’envoyez ça au labo aussi… Ça ne risque pas d’exploser, au moins ?

Adjoint – En tout cas la plupart de ces produits ont dépassé la date limite de consommation.

Commissaire – Et cette Berthe, vous l’avez interrogée ?

Adjoint – Une vrai tête de mule, je n’ai rien pu en tirer… Je me suis dit que vous, vous sauriez davantage y faire… Tout le monde connaît vos qualités de psychologue lorsqu’il s’agit d’interroger les témoins les plus retors… Je vous l’ai amenée…

Commissaire – Vous avez bien fait, Sanchez… Introduisez Madame…

Sanchez sort un instant et revient avec Berthe.

Commissaire – Asseyez-vous là, Berthe, je vous en prie…

Sanchez repart. D’entrée, le commissaire flanque une baffe à Berthe.

Berthe – Mais ça ne va pas, non ?

Commissaire – Je préférais les bottins, mais de nos jours, avec internet, c’est devenu très difficile à trouver… Alors, vous allez parler ?

Berthe – Vous ne m’avez même pas encore posé de questions !

Commissaire – C’est ça… Et ces pâtes de fruits, bien sûr, vous allez me dire que c’était pour votre consommation personnelle ?

Berthe – Tout le monde s’entête à m’amener des pâtes de fruits, Commissaire… J’ai horreur de ça… Vous aimez ça vous, les pâtes de fruits…

Commissaire – Ma foi… (Il en prend une et la goûte) Oui, ce n’est pas si mauvais que ça…

Berthe – Ce que j’aime, moi, c’est les lingots… Ma mère m’en donnait quand j’étais petite. Vous aimez les lingots, Commissaire…

Commissaire – Les lingots ?

Fred, la fille de Berthe, arrive.

Fred – Ah, maman… Pardonnez-moi de faire irruption, Monsieur le Commissaire, mais il fallait que je vous parle… (Elle le prend à part et s’adresse à lui à mi-voix) Vous êtes parvenu à lui faire cracher le morceau ?

Commissaire – À propos de quoi, chère Madame…

Fred – Les lingots ! Elle vous a dit où elle les avait planqués, oui ou non ?

Commissaire – Pas encore, mais ça ne saurait tarder. Faites confiance à la police…

Fred – N’hésitez pas à employer des méthodes un peu… musclées. Je pensais que c’était ma sœur qui les avait trouvés, mais elle m’assure que non…

Commissaire – Vraiment ?

Fred – Je vous laisse faire votre travail… Vous me tenez au courant ?

Commissaire – Je n’y manquerais pas, chère Madame.

Fred sort.

Commissaire – Quelle cupidité, tout de même… S’entredéchirer comme ça en famille… Tout ça pour des chocolats…

Sanchez revient.

Adjoint – J’ai pris la liberté d’interroger moi-même quelques témoins, Commissaire, et toutes les déclarations concordent : on mange très mal dans cet établissement…

Berthe – Ah, oui, ça je vous le confirme ! C’est infect !

Adjoint – J’ai même trouvé de la viande avariée dans le frigo.

Commissaire – En plus de notre cadavre, vous voulez dire ? Je rigole…

Adjoint – J’y retourne et je vous préviens s’il y a du nouveau…

Commissaire – Bon, débarrassez-moi de cette sorcière, et amenez-moi la Poupée Barbie.

Adjoint – Barbara, l’infirmière ?

Commissaire – C’est ça…

Sanchez sort avec Berthe. Barbara arrive.

Commissaire – Ah, chère Madame… Asseyez-vous, je vous en prie…

Barbara – Vous pouvez m’appeler Barbara. (Barbara s’assied en face de lui en croisant les jambes, ce qui déstabilise évidemment son interlocuteur). Vous aviez une question à me poser, Commissaire ?

Commissaire – Euh… oui. Mais bizarrement, là tout de suite, ça ne me revient pas…

Barbara – J’ai tout mon temps…

Commissaire – Ah si, voilà… Avez-vous des raisons de soupçonner votre patron, le Docteur Müller, de se livrer sur ses patients à des essais médicaux prohibés ?

Barbara – Comme les médecins nazis, vous voulez dire ?

Commissaire – Il a un nom à consonance germanique… et il est médecin. Reconnaissez que c’est une hypothèse à ne pas négliger… Même si ça n’est qu’une hypothèse…

Barbara – Le Docteur Müller ? Je ne crois pas Commissaire. D’ailleurs Gunter est Suisse…

Commissaire – Il y avait aussi des nazis en Suisse… En Suisse Allemande, en tout cas…

Barbara – C’est une page de l’histoire que j’ignorais complètement, Commissaire…

Commissaire – Admettons… Mais le Docteur Müller pourrait aussi administrer à ses patients à leur insu du maïs transgénique pour voir s’ils développent des tumeurs ? On connaît bien les liens parfois incestueux que le corps médical entretient avec les laboratoires pharmaceutiques…

Barbara – Il est vrai que presque tous nos patients ont déjà des tumeurs… Mais cela ne cadre guère avec le personnage, Monsieur le Commissaire… Le Docteur Müller est un médecin tout à fait désintéressé. Vous avez entendu parler de sa fondation au profit des orphelins qui n’ont pas de parents ?

Commissaire – Oublions ça, chère amie… Il s’agissait d’un simple interrogatoire de routine et je ne vous retiendrai pas plus longtemps… (Barbara se lève et s’apprête à sortir) Ah Barbara, une dernière petite question…

Barbara – Oui Inspecteur Colombo…

Commissaire – Surtout après avoir mangé des plats épicés, comme du couscous ou du chorizo, j’ai de terribles démangeaisons… à un endroit que la bienséance m’empêche de nommer dans une pièce de théâtre… Vous sauriez de quoi il peut s’agir ?

Barbara – De votre postérieur, j’imagine…

Commissaire – Non, je veux dire, de quelle maladie… Vous pensez que c’est grave ?

Barbara – Simple petit problème d’hémorroïdes probablement… Je vais vous arranger un rendez-vous avec le Docteur Müller pour après les fêtes. En attendant, évitez les excès…

Commissaire – Merci, Barbara, je me sens déjà soulagé…

Barbara sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors Sanchez, que donnent vos investigations ?

Adjoint – Cet hôpital est un vrai foutoir, Commissaire : trafic de stupéfiants, paris clandestins, abus de faiblesse, blanchiment d’argent, call girls recrutées sur le net…

Commissaire – Et l’autopsie ?

Adjoint – De ce côté-là, on a pas mal avancé aussi. L’autopsie révèle que la victime avait absorbé des langues de chat en grande quantité.

Commissaire – Pas de pâtes de fruits, vous êtes sûr ?

Adjoint – Uniquement des langues de chat, dont la date limite de consommation était dépassée de plus d’une semaine… J’ai retrouvé l’emballage dans une poubelle.

Commissaire – Bravo Sanchez ! C’est sûrement la raison du décès… Les langues de chat pas fraîches, ça ne pardonne pas. Reste à savoir s’il s’agit d’un empoisonnement ou d’une simple intoxication accidentelle…

Adjoint – Il y a autre chose Commissaire…

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – L’autopsie a révélé que la victime n’était pas vraiment morte avant l’autopsie…

Commissaire – Et alors ?

Adjoint – Ben… Le Docteur Müller a essayé de tout remettre à peu près en place…

Commissaire – La victime a été découverte dans une chambre mortuaire… C’est sûrement ça qui a induit les médecins en erreur. Comme quoi, Sanchez, il faut toujours se méfier des conclusions hâtives…

Adjoint – Une dernière chose, Commissaire… J’ai procédé à l’examen des ordinateurs…

Commissaire – Et ?

Adjoint – Bingo ! Je viens d’arrêter un type qui avait rendez-vous avec un membre du personnel de cet hôpital rencontré sur Internet…

Commissaire – Introduisez, Sanchez, introduisez…

Sanchez introduit Gunter et Emmanuelle.

Commissaire – Vous, Docteur Müller ? Et vous ma sœur ?

Gunter – Je peux tout vous expliquer Commissaire…

Commissaire – Confessez-vous à moi, Docteur…

Gunter – Je suis secrètement amoureux de Sœur Emmanuelle depuis son arrivée dans notre établissement. Lorsque j’ai appris par hasard qu’elle s’était inscrite sur un site de rencontre, j’ai pris un pseudo et je lui ai proposé un rendez-vous… Elle a accepté sans savoir qui j’étais… (Se tournant vers Emmanuelle) Emmanuelle, j’espère que vous n’êtes pas trop déçue…

Emmanuelle – Mais cela ne peut être qu’une machination du Diable, Commissaire ! Je ne fréquente pas de sites de rencontre, je vous l’assure !

Commissaire – Allons, ma sœur, inutile de jouer les vierges effarouchées… Vous savez, on a tous un jour où l’autre surfé sur ce genre de sites…

Sanchez arrive.

Adjoint – Je vous amène la victime, Commissaire… Croyez-moi, c’est une véritable résurrection… J’ai assisté moi-même à l’autopsie, il y avait des organes aux quatre coins de la pièce…

Commissaire (à Gunter) – Bravo ! Le Docteur Frankenstein n’aurait pas fait mieux…

Arrive Angela plus zombie que jamais, et la bave colorée au coin de la bouche.

Gunter – J’ai fait ce que j’ai pu, mais si vous voulez l’interroger, je vous conseille de ne pas trop traîner…

Commissaire – Vous avez raison… Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’interroger la victime d’un meurtre…

Angela (voix d’outre-tombe) – Allez tous brûler en enfer !

Emmanuelle sursaute.

Emmanuelle – C’est l’Antéchrist, et le Seigneur m’a désignée pour l’affronter. (Elle ouvre sa blouse sous laquelle elle a sa tenue fluo de gymnastique, et se met en position de karaté avant d’esquisser quelques mouvements d’intimidation). Vade retro Satanas !

Emmanuelle décoche un coup fatal à Angela. Sanchez se penche vers le corps.

Adjoint – Cette fois, je crois qu’elle est vraiment morte, Commissaire…

Emmanuelle – Les Forces du Bien ont triomphé des Forces du Mal… Maintenant, vous pouvez faire de moi ce que vous voudrez…

Commissaire – Ne me tentez ma sœur… Mais pour ce qui est du cadavre que vous venez d’assassiner, on en restera à la version officielle… On dira que la victime était déjà morte avant l’autopsie…

Adjoint – Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. On ne va pas mettre en prison une religieuse.

Commissaire – Surtout une religieuse qui vient de rencontrer le grand amour grâce à internet…

Barbara arrive, furieuse, suivie de Thelma.

Thelma – Mais puisque je vous dis que Thelma, c’est moi !

Barbara (à Emmanuelle) – Salope. Je t’avais dit de ne pas t’approcher de Gunter !

Barbara se jette sur Emmanuelle et elles se crêpent le chignon.

Adjoint – Vous ne croyez pas qu’on devrait les séparer, Commissaire ?

Commissaire (fasciné) – Attendez encore un peu…

Berthe et Louise arrivent.

Thelma – Je parie sur la brune et vous ?

Berthe – Cinquante euros sur la blonde…

Fred, Jack et Sandy arrivent, en pleine rixe eux aussi.

Fred – Qu’est-ce que tu as fait des lingots, morue ?

Sandy – Attends, je vais t’étrangler, garce !

Jack – Ne vous inquiétez pas Commissaire, c’est juste un petit différend familial…

Jack se joint à la rixe.

Commissaire – Je crois que nous pouvons considérer cette affaire comme résolue, Sanchez. Nous représentons ici les forces de l’ordre, et je crois qu’on peut dire que l’ordre est rétabli.

Adjoint – Bravo Commissaire. Encore une enquête rondement menée. Beau travail…

Commissaire – Merci Sanchez. Vous réveillonnez en famille, ce soir ?

Adjoint – Hélas, Commissaire, je suis un orphelin de la police. Je n’ai plus de famille.

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez, Sanchez…

Adjoint – Mon père est mort en service. Je peux vous l’avouer maintenant, il servait sous vos ordres, et il en était fier… C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à rejoindre votre unité, Commissaire.

Commissaire – Ce que vous me dites me bouleverse, Sanchez. Je vous considère comme un fils, vous le savez, et je ne vous laisserai pas tomber un jour comme celui-là.

Adjoint – Je savais que je pouvais compter sur vous, Commissaire…

Commissaire – Tenez, voici le Docteur Müller. Avec sa Fondation, financée par de généreux donateurs en fin de vie comme Berthe, il s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents, comme vous. Il a sûrement une solution pour que vous ne restiez pas seul un soir de réveillon. N’est-ce pas, Docteur ?

Adjoint – Merci Commissaire.

Commissaire – Je vous abandonne, Sanchez… On m’attend à la maison. Et c’est moi qui suis chargé de fourrer la dinde… Joyeux Noël à tous !

Le commissaire sort tandis que la moitié de ceux qui restent continuent à se battre, et les autres à les regarder. Sirènes d’ambulance et de police mêlées…

Noir. Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-42-0

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Bienvenue à bord

Welcome aboard – Bienvenidos a bordo – Bem-vindos a bordo – Benvenuta a bordo 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

8 personnages : 2H/6F, 3H/5, 4H/4F
9 personnages : 2H/7F, 3H/6F, 4H/5F
10 personnages : 2H/8F, 3H/7F, 4H/6F, 5H/5F

Première sitcom théâtrale dont l’action se situe dans une maison de retraite médicalisée…

Si la vieillesse est un naufrage (comme disait Chateaubriand en citant De Gaulle), la vie peut être comparée à une croisière sur Le Titanic. Certains se prélassent dans des transats sur le pont, pendant que les autres rament dans la soute. Mais tout le monde finira par servir de nourriture aux poissons. Alors en attendant l’inévitable rencontre avec un iceberg, pour ceux qui le peuvent, au son de l’orchestre, autant faire tinter les glaçons dans son verre.


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8 personnages : 2H/6F

8 personnages : 3H/5F

8 personnages : 4H/4F

9 personnages : 2H/7F ou 3H/6F

9 personnages : 4H/5F

10 personnages : 2H/8F, 3H/7F, 4H/6F, 5H/5F

 

 


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Welcome aboard –  Bienvenidos a bordo –  Bem-vindos a bordo –  Benvenuta a bordo 


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Bienvenue à bord

10 personnages

(2H/6F, 2H/7F, 3H/6F, 2H/8F, 3H/7F, 4H/6F)

Les jeunes
Nathalie : directrice

Roberto : médecin
Christiane : fille de Blanche
Dominique : ami(e) de Christiane
Caroline : aide soignante

Les vieux
Blanche : nouvelle pensionnaire

Honoré : pensionnaire
Claude : pensionnaire (homme ou femme et optionnel)
Henriette : pensionnaire
Solange : pensionnaire

Les « jeunes » et les « vieux » pourront bien sûr être interprétés par des comédiens du même âge, différenciés par leur maquillage, leur costume et leur comportement.

Matin

Un salon, meublé principalement de quatre fauteuils et une table basse, le tout ressemblant à une salle d’attente plutôt désuète. Deux personnages, entre quarante et cinquante ans, Dominique et Christiane, patientent. Dominique peut être indifféremment un homme, ou une femme un peu masculine (physique ou style vestimentaire). On supposera dans les deux cas qu’ils forment un couple. Dominique vérifie ses mails sur son téléphone portable. Christiane feuillette nerveusement le magazine qu’elle a saisi au hasard sur la table basse.

Christiane – J’espère qu’ils vont nous la prendre, parce que sinon je ne sais vraiment pas ce qu’on va en faire…

Dominique (la tête ailleurs) – On croirait que tu parles d’un animal à fourguer à la SPA avant de partir en vacances…

Christiane – Je suis sûre qu’un chenil, c’est plus facile à trouver en région parisienne… En tout cas, c’est sûrement moins cher, parce que dans le privé… Non, c’est notre dernière chance, je t’assure… Il ne faut pas se louper, là…

Dominique – Il y a d’autres établissements quand même…

Christiane – Elle s’est fait virer de partout dans un rayon de cinquante kilomètres à la ronde ! On ne va pas la coller en pension dans la Creuse ! Tu imagines les temps de transports pour aller la voir de temps en temps…

Dominique (pianotant toujours sur son portable) – Mmm…

Christiane – Tu peux arrêter un peu avec ton portable ! J’ai l’impression de parler à ma mère !

Dominique – Ta mère a un portable ?

Christiane – Elle, tu sais… Elle n’a même pas besoin de portable pour avoir l’air d’un zombie quand on lui parle…

Dominique range son portable à regrets, examine un peu l’endroit, et fait mine de s’intéresser.

Dominique – Ça a l’air pas mal, non ?

Christiane – On n’a plus tellement le choix, de toute façon.

Dominique – Qu’est-ce qu’elle t’a dit, la directrice ? Qu’elle avait une place ?

Christiane – Elle m’a dit qu’on était sur liste d’attente… Mais qu’elle avait bon espoir, hélas, qu’une place se libère bientôt…

Dominique – Hélas…?

Christiane – Et tu ne fais pas de gaffes, hein ? C’est un établissement catholique… Ce n’est pas des intégristes, mais bon… Autant mettre toutes les chances de notre côté…

Dominique – Je vois… Donc inutile de préciser qu’elle est juive.

Christiane – Est-ce qu’elle s’en souvient elle-même…? Personne dans la famille n’a jamais été vraiment pratiquant…

Dominique – Quand même… elle doit s’en souvenir. Ce n’est pas un truc qui s’oublie facilement…

Christiane (cassante) – Oui, ben, non !

Arrive Nathalie, la directrice, entre trente et quarante ans, look BCBG catho un peu coincée.

Christiane – Ah, bonjour Madame la Directrice !

Nathalie – Désolée de vous avoir fait attendre.

Christiane – Mais pas du tout, voyons… Je vous présente Dominique, mon… ami.

Dominique serre la main de Nathalie avec une amabilité un peu forcée.

Nathalie – Nathalie Saint Maclou.

Dominique – Comme la moquette ?

Nathalie – Avant d’être un magasin de bricolage, Maclou était un saint, vous savez.

Dominique – Saint Maclou, évidemment.

Christiane lui lance un regard consterné et s’empresse d’en arriver au sujet qui l’occupe.

Christiane – Dans ce cas, il aura peut-être entendu nos prières… J’espère que vous avez de bonnes nouvelles pour nous, Madame la Directrice…

Nathalie – Oui, oui, rassurez-vous… Enfin, quand je dis bonnes nouvelles… Comme on dit, le malheur des uns…

Christiane – Vous ne pouvez pas imaginer le soulagement que c’est pour nous… Merci de lui donner encore une chance…

Nathalie – C’est vrai qu’elle est assez… tonique, mais bon… À cet âge-là, c’est toujours mieux que le contraire, n’est-ce pas ?

Dominique – Du temps de mes parents, ce n’était pas du tout comme ça… Ils étaient beaucoup plus… dociles. Enfin… Ça doit être la nouvelle génération…

Nathalie – Les derniers contrecoups fâcheux de mai soixante-huit, probablement.

Christiane – Mais… n’hésitez surtout pas à être un peu ferme avec elle dès le début, hein ? Pour la cadrer tout de suite. Sinon, vous ne vous en sortirez pas, croyez-moi…

Nathalie – Rassurez-vous, nous avons l’habitude… C’est notre métier, après tout… Elle sera très bien chez nous…

Dominique – Oh, mais ce n’est pas pour elle que nous étions inquiets, je vous assure…

Nathalie – Bon, et bien vous allez pouvoir la faire entrer, maintenant…

Christiane – Tu vas la chercher, Dominique ?

Dominique – Bien sûr…

Christiane – Alors vous pouvez l’accueillir dès ce soir, n’est-ce pas…?

Nathalie – Si elle a ses petites affaires avec elle… Vous pourrez toujours amener le reste après…

Christiane – Vous pensez bien qu’on avait fait sa valise, au cas où vous auriez pu nous en débarrasser tout de suite… Je veux dire… nous la prendre tout de suite.

Dominique revient en tenant d’une main une valise, et de l’autre la main de Blanche, une vieille dame.

Nathalie – Blanche, je vous souhaite la bienvenue à la maison de retraite médicalisée Les Sapins.

Blanche – Je me disais bien aussi : ça sent le sapin…

Nathalie (gentiment sévère) – Mais il va falloir être bien sage si vous voulez rester avec nous, Blanche, n’est-ce pas ? Il me semble avoir lu entre les lignes dans votre dossier que vous aviez un caractère un peu… enflammé.

Christiane – Tu as entendu, ce qu’a dit la dame, maman ?

Dominique – Pas question de mettre le feu aux Sapins comme vous l’avez fait aux Acacias. (À Nathalie) C’est le nom de la maison de retraite dont elle vient de se faire exclure pour raisons disciplinaires…

Nathalie semble un peu surprise, et Christiane lance à Dominique un regard incendiaire.

Christiane – Sa responsabilité n’a jamais été formellement établie dans le déclenchement de ce début d’incendie, mais bon… Il suffit de ne pas laisser jouer avec des allumettes…

Nathalie – Merci de me le signaler, quoi qu’il en soit…

Christiane – Sinon, vous verrez, elle peut aussi se montrer très agréable. Très sociable. Et même très drôle, parfois.

Dominique – C’est important, l’humour.

Christiane – Vous verrez, elle va vous surprendre.

Nathalie – En tout cas, vous avez eu de la chance… Vous seriez venus il y a un mois, je n’avais pas une place de libre… Et là, j’en ai trois qui se libèrent coup sur coup…

Christiane – Ah, oui, c’est curieux…

Nathalie – La loi des séries, malheureusement… Mais qu’y pouvons-nous ? Le Seigneur les a rappelés à lui…

Dominique – Espérons que là haut, ce ne soit pas complet non plus…

Christiane le fusille du regard.

Nathalie – Saint Pierre a aussi ses listes d’attente pour les cas litigieux, vous savez… Nous appelons ça le purgatoire…

Blanche – Je croyais que ça s’appelait Les Sapins…

Christiane – Voyons, maman, ici c’est une maison de retraite médicalisée…

Nathalie – Alors, Blanche… Votre fille m’a dit que vous étiez comédienne, n’est-ce pas ? Enfin, je veux dire, avant…

Christiane – Comédienne, vous verrez… Elle l’est restée encore un peu, malheureusement…

Dominique – Mais disons que même dans la vie courante, maintenant, elle a tendance à oublier un peu ses répliques, hein Blanche ?

Blanche – Alors si je meurs, je n’aurais pas le droit d’être enterrée avec les autres ?

Christiane – Mais voyons, maman, pourquoi tu dis ça… ?

Blanche – Les comédiens, vous les catholiques, vous refusez de les enterrer dans vos cimetières, non ?

Nathalie – Voyons, Blanche, l’Eglise a considérablement évolué sur ce point, vous savez… Comme sur beaucoup d’autres… Nous considérons maintenant que même un mauvais comédien peut être un bon catholique…

Blanche – Même les Juifs ?

Dominique – Voyons, Blanche, il n’est pas question d’enterrement pour l’instant…

Christiane – Et puis tu n’es juive que par ton père, ça ne compte pas.

Blanche – Ce n’était pas l’avis de la Gestapo pendant la guerre.

Christiane – Ne l’écoutez pas, elle a passé toute la guerre dans une ferme à Vichy chez sa grand-mère maternelle. Les seuls nazis qu’elle a jamais vus, c’est à la télé, dans La Grande Vadrouille. Mais il faut toujours qu’elle en rajoute. Les comédiennes…

Blanche (à Nathalie) – Vous n’êtes pas de la Gestapo, vous ?

Christiane – Enfin Maman ! Tu vois bien que Madame n’est pas de la Gestapo. Et je suis sûre que s’il le fallait, en cas d’urgence, elle ne te refuserait pas les derniers sacrements…

Dominique – Et puis vous êtes en pleine forme, Blanche !

Christiane – C’est elle qui nous enterrera tous, croyez-moi.

Silence embarrassé.

Dominique – Voilà, voilà…

Christiane – Bon ben alors euh…

Dominique – On va peut-être y aller, hein, Christiane ? Avant que Madame la Directrice ne change d’avis…

Christiane – Maintenant qu’on sait que ma mère est entre de bonnes mains.

Nathalie – Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.

Christiane – Allez, au revoir maman, on revient te faire une petite visite bientôt, d’accord ?

Très émue malgré tout, elle embrasse sa mère. Dominique en fait autant.

Dominique – Au revoir Blanche. Et soyez bien sage…

Christiane – Merci encore… Et à très bientôt…

Christiane et Dominique s’éclipsent discrètement. Blanche les regarde partir, impassible. Puis elle se tourne vers Nathalie.

Blanche – C’est qui celle-là ? Pourquoi elle m’appelle maman ?

Nathalie la regarde un peu embarrassée.

Nathalie – Mais voyons, Blanche, c’est Christiane, votre fille.

Blanche – Évidemment, je vous fais marcher…

Nathalie (soulagée) – Allez, suivez-moi, je vais vous montrer votre chambre…

Nathalie prend la valise et elles commencent à s’éloigner.

Blanche – L’autre, en revanche, sa tête de faux jeton ne me dit rien du tout… C’est qui ? Mon gendre ?

Nathalie lance un regard vers elle, se demandant si elle plaisante encore ou pas. Elles sortent.

Henriette, une vieille dame, arrive avec un train de sénateur, voire avec un déambulateur. Elle s’assied dans un fauteuil et commence à lire un magazine : Votre Temps. Une autre personne âgée arrive à son tour, Claude, qui pourra être un homme ou une femme, et qui est aussi en piteux état.

Henriette – Bonjour Claude, comment ça va, ce matin ?

Claude – Ah, ma pauvre Henriette, Vous savez ce qu’on dit. Passé quatre-vingts ans, si un matin vous vous réveillez et que vous n’avez mal nulle part, c’est que vous êtes mort.

Henriette – Ah, c’est bien vrai, ça… À propos, vous avez su pour Adèle ?

Claude – Adèle ? Non, il lui est arrivé quelque chose ?

Henriette – Ça on peut dire qu’il lui est arrivé quelque chose, oui… C’est même la dernière chose qui lui arrivera. Elle est morte !

Claude – Non ? Elle est morte, Adèle ?

Henriette – Pendant son sommeil… Ils l’ont retrouvée ce matin dans son lit, raide comme un bout de bois…

Claude – Ça alors… Et moi qui l’avais encore vue hier soir. Je lui ai même souhaité bonne nuit !

Henriette – Ah ben ça ne lui a pas réussi, hein, Claude ? Si je vous croise ce soir, évitez de me souhaiter bonne nuit.

Claude – Oh, mais vous, vous êtes encore jeune, Henriette. Combien ça vous fait maintenant ?

Henriette – C’est que je vais sur mes quatre-vingt seize. Pas vite, mais j’y vais…

Claude – Ah tiens, je pensais que vous étiez plus jeune que moi.

Henriette – Eh oui… Il fallait bien que ça arrive un jour.

Claude – Quoi ?

Henriette – Pour Adèle ! Elle avait quand même cent trois ans.

Claude – On venait de fêter son anniversaire.

Henriette – On ne voyait même plus le gâteau sous les bougies.

Claude – Qu’est-ce qu’on peut encore espérer de la vie à cent trois ans ?

Henriette – À part figurer dans le Guiness des records…

Claude – Quand même, ça fait un choc.

Henriette – Qu’est-ce que vous voulez, on n’est pas éternel.

Claude – Pas encore, malheureusement…

Henriette – Pas encore ?

Claude – Vous n’avez pas lu cet article, dans Votre Temps…

Henriette – Quel article ?

Claude – À propos de cette race de méduses qui ne meurt jamais.

Henriette – Des méduses ?

Claude – La Turritopsis Nutricula.

Henriette – Une tartine de Nutella ?

Claude lui prend la revue, cherche l’article et le trouve.

Claude – Écoutez ça (lisant) : D’après les scientifiques, à ce jour, c’est le seul être vivant connu pour être immortel. Cette méduse serait capable de reconfigurer ses cellules vieillissantes en cellules neuves, conservant ainsi une éternelle jeunesse. Inconnues jusqu’à présent, ces méduses évoluent en eaux profondes. Comme elles ne meurent jamais, elles se multiplient à travers les océans, provoquant une panique surnaturelle dans la communauté scientifique, au point qu’un spécialiste a déclaré : « Il faut que le monde se prépare à faire face à cette invasion silencieuse. »

Henriette – Une invasion ? Et il s’appelle comment le type qui a rencontré ces envahisseurs ? David Vincent ?

Claude – Vous vous rendez compte ? Peut-être qu’un jour, en nous greffant un ou deux gènes de cette bestiole, on pourra nous rendre immortels nous aussi !

Henriette – Ou alors on nous mettra dans des aquariums en pisciculture pour faire des sushis éternellement frais… Il paraît que les japonais en raffolent, des sushis à base de méduses.

Claude – C’est peut-être pour ça qu’ils vivent aussi vieux…

Henriette – Non mais redescendez un peu sur terre, Claude ! On nous rabâche à longueur d’années que si notre système de retraite est en faillite, c’est à cause de la multiplication des centenaires ! Pour eux, c’est nous les envahisseurs ! Nous les vieux ! Et vous croyez qu’ils vont nous greffer des cellules de méduse pour qu’on vive éternellement !

Claude – On peut bien rêver un peu. À notre âge, c’est tout ce qui nous reste, pas vrai ?

Henriette – Rêver d’être transformée en ectoplasme… Ça ressemble à quoi, une méduse ?

Claude – Comment ?

Henriette (plus fort) – Une méduse, ça ressemble à quoi ?

Claude – C’est tout mou, tout flasque… Ça voit très mal, ça n’entend rien et c’est très irritant…

Henriette – Dans ce cas… Tout espoir n’est pas perdu pour vous, Claude… Je me demande si on ne vous en a pas déjà greffé un bon morceau sans vous le dire.

Claude – Sacrée Henriette… Toujours le mot pour rire…

Henriette se remet à sa lecture, pendant que Claude s’assied dans son fauteuil.

Une autre vieille arrive, Solange, dans le même état de décrépitude que les deux autres.

Henriette – Ah, tiens, voilà Solange.

Claude – Bonjour Madame Solange ! Bien dormi ?

Henriette – Ça vous va bien cette nouvelle coiffure, Solange…

Solange – Comment ?

Henriette (plus fort) – Je dis : ça vous va bien cette nouvelle coiffure ! (À Claude) Je ne peux pas la voir, celle-là…

Claude – Elle, apparemment, elle ne peut pas vous entendre…

Solange ôte un écouteur qu’elle avait dans l’oreille.

Henriette – Si en plus elle retire son sonotone, ça ne risque pas de s’arranger…

Solange – Ce n’est pas un sonotone ! C’est le iPod que m’a offert mon petit-fils pour mon anniversaire.

Claude – Ah, d’accord…

Henriette – C’est quoi un iPod ?

Claude – Aucune idée…

Solange – Vous connaissez la nouvelle ?

Henriette – Quelle nouvelle ?

Claude – Qu’est-ce qui s’est passé ?

Henriette – Il s’est passé quelque chose ?

Claude – Il ne se passe jamais rien, ici.

Solange – La nouvelle ! Celle qui vient d’arriver !

Henriette – Ah, celle qui remplace Adèle.

Solange – Adèle est partie ?

Henriette – Ah oui, c’est même un départ définitif.

Claude – Et précipité.

Henriette – Elle n’a même pas eu le temps de passer à la réception pour dire qu’elle s’en allait.

Claude – C’est vrai qu’il lui arrivait déjà d’avoir quelques absences.

Henriette – Eh ben là, elle s’est absentée définitivement.

Claude – Elle est morte.

Solange – Elle est morte, Adèle ?

Claude – Cette nuit, il paraît… Et dire que je l’avais encore vue hier soir… Je lui avais même souhaité…

Henriette – Tiens ben la voilà, justement…

Solange – Adèle ?

Claude – La nouvelle !

Solange – Comment vous savez que c’est la nouvelle ?

Henriette – Ben parce qu’on ne l’a jamais vue avant, pardi !

Blanche arrive. Les trois autres affichent une amabilité un peu affectée.

Claude – Bonjour Madame, bienvenue parmi nous.

Blanche (renfrognée) – Mmm…

Claude – Asseyez-vous donc un peu avec nous.

Tandis que Claude se lève pour lui rapprocher un fauteuil, Blanche s’assied à sa place. Henriette et Solange échangent un regard inquiet. Claude se retourne et se rend compte que Blanche lui a piqué sa place.

Claude – C’est à dire que… ici c’est ma place.

Blanche – Je n’ai pas vu votre nom marqué sur le dossier…

Claude a l’air désemparé, mais Blanche reste assise.

Henriette – C’est son siège fétiche…

Blanche – Changer de fauteuil dans une maison de retraite, c’est comme changer de transat sur le Titanic, non ?

Solange – J’y étais…

Blanche – Où ça ?

Solange – Sur le Titanic !

Claude – Si vous la branchez là dessus, vous n’avez pas fini…

Henriette – Elle ne se souvient pas de ce qu’elle a mangé ce matin au petit déjeuner, mais elle peut vous raconter en détail le naufrage du Titanic.

Claude – Y compris le menu à la soirée du capitaine et le programme de l’orchestre.

Blanche – Le Titanic… Vous aviez quel âge ?

Solange – Trois mois. Quand on perd la mémoire, vous savez, ce sont les souvenirs les plus anciens qui remontent à la surface.

Henriette – Encore une année ou deux, et elle va pouvoir nous raconter l’accouchement de sa mère,

Blanche – Et sur son lit de mort elle nous décrira l’accouplement de ses parents…

Claude – Vous avez entendu parler, vous, des méduses immortelles ?

Blanche – La Turritopsis Nutricula…

Claude (à Solange) – C’est dans Votre Temps. Et vous avez vu ? En répondant à trois questions sur les méduses, on peut gagner une croisière. Bon, il y a un tirage au sort, évidemment…

Solange – Une croisière ? En bateau ?

Blanche – Bah oui, en bateau ! Une croisière ! Pas en autocar…

Henriette regarde le magazine.

Henriette – Nager avec les méduses… C’est vrai que c’est original, comme croisière à thème… Vous savez nager, vous ?

Solange – Je repartirai bien en croisière, moi. Ça m’avait bien plu.

Blanche – Vous êtes déjà partie en croisière ?

Solange – Ben oui ! Sur Le Titanic !

Un vieux monsieur très élégant arrive, Honoré.

Honoré – Bonjour à tous ! Mesdames, mes hommages du matin…

À part Blanche, les trois autres s’animent à l’arrivée de ce vieux beau portant un peu mieux que les autres, et qui visiblement ne les laisse pas indifférents.

Solange – Bonjour capitaine !

Honoré – Ah, mais je vois que nous avons une petite nouvelle… Je me présente, Honoré de Montélimar.

Blanche – Blanche… de Bruges.

Henriette – C’est ça… Et moi, c’est Henriette, du Mans…

Honoré – De Montelimar, c’est mon nom.

Claude (servile) – Honoré est un peu baron.

Blanche – Il a l’air un peu barré, surtout.

Honoré – Mon nom est de Montélimar.

Blanche – Ça va, j’ai compris. Vous commencez déjà à me casser les nougats, de Montélimar.

Les autres semblent plutôt choqués.

Henriette – Voyons, Blanche, Honoré était capitaine dans l’armée.

Solange – Il commandait un bateau.

Honoré – J’étais capitaine dans l’infanterie.

Blanche – Un militaire… Alors c’est pour ça que vous avez l’air moins délabré que les autres. Parce que vous n’avez jamais travaillé de votre vie…

Honoré – J’ai pris ma retraite du service actif à quarante huit ans. C’est un des avantages de l’armée.

Blanche – Et puis ici, ça ne doit pas vous changer beaucoup de la caserne, hein ?

Caroline, aide-soignante d’une trentaine d’années, genre super-bimbo en blouse blanche, arrive.

Honoré – Ah, Caroline ! Quel plaisir de vous voir. Même si je ne vous cache pas que c’est très mauvais pour ma tension…

Caroline – Allons, capitaine, je ne voudrais pas vous briser le cœur.

Honoré – Hélas, il arrive un âge où ce genre d’expression retrouve tout son sens…

Caroline – Je vois que vous vous êtes déjà fait des amis, Blanche, c’est très bien… Blanche occupera la chambre de… D’une pensionnaire qui malheureusement vient de nous quitter.

Blanche – Elle a bien de la chance… Une évasion réussie ?

Caroline – On peut dire ça comme ça. Alors, vous avez tout ce qu’il vous faut dans votre chambre ? Sinon, n’hésitez pas à me demander.

Blanche – Eh bien… J’ai commencé à creuser un tunnel, mais je suis tombée sur une dalle en béton. Vous ne pourriez pas me fournir un marteau piqueur ?

Caroline – Sacrée Blanche, je sens qu’on ne va pas s’ennuyer, avec vous… Bon, et bien ça va être l’heure d’aller vous préparer pour le déjeuner…

Blanche – Le déjeuner ? Il est dix heures et demie ? Je viens à peine de prendre mon café !

Caroline – L’après-midi appartient à ceux qui déjeunent tôt ! C’est la devise de la maison.

Blanche – Tu parles d’une devise à la con…

Solange – Le déjeuner est servi à midi.

Henriette – À notre âge, il nous faut au moins une heure pour nous préparer à l’idée de manger… et une bonne sieste de deux ou trois heures pour digérer avant le dîner.

Claude – On ne voit pas les journées passer…

Honoré – Vous allez déjeuner à ma table, Blanche, n’est-ce pas ? Cela nous permettra de faire un peu connaissance…

Henriette – À notre table ?

Claude – À la table du capitaine ?

Honoré – Eh bien… comme Adèle nous a quittés, il y a une place de libre, non ?

Solange – C’est à dire que… J’avais prévu de la prendre.

Claude – C’était prévu comme ça…

Henriette – Il y a une liste d’attente…

Honoré – Dans ce cas, l’une d’entre vous va bien céder sa place à Blanche, n’est-ce pas ? C’est un devoir pour nous de lui faire sentir qu’elle est la bienvenue parmi nous…

Les autres lancent un regard assassin en direction de Blanche. Honoré tend son bras à Blanche qui, rien que pour emmerder les autres, l’accepte.

Honoré – Vous permettez ?

Honoré quitte le salon avec Blanche à son bras.

Henriette – D’abord elle prend le fauteuil de Claude. Maintenant elle nous prend notre place à la table du capitaine…

Solange – Il paraît que c’est une ancienne comédienne.

Henriette – On sait ce que ça veut dire…

Claude – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Henriette – Une comédienne, tu parles…

Solange – Celle-là, elle ne va pas faire de vieux os ici…

Les pensionnaires s’apprêtent à quitter le salon, quand Claude, qui retape un peu son fauteuil, trouve quelque chose par terre.

Claude – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Solange – Faites voir…

Henriette – Ça ne me dit rien…

Claude – Un thermomètre jetable ?

Henriette – Ça ne ressemble à rien que je me sois déjà mis dans les fesses.

Solange – Un thermomètre ? Il n’y a pas d’indication de température…

Claude – Pas un sex-toy, quand même…

Henriette – Ça ne serait pas un test de grossesse, plutôt…

Claude – Ah, oui… Il y a deux traits…

Solange – Deux traits ? Ça veut dire en cloque ?

Henriette – Allez savoir…

Claude – C’est la première fois que je vois un truc comme ça…

Solange – De notre temps, on n’avait pas besoin de tout ça pour se rendre compte qu’on avait un polichinelle dans le tiroir…

Claude – Faudrait avoir le mode d’emploi…

Henriette – Ou demander à quelqu’un.

Claude – Qui est-ce qui peut bien être enceinte ici ?

Solange – Dans une maison de retraite, ça élimine déjà pas mal de monde…

Henriette – À part les aides-soignantes et la directrice…

Claude – Et le père, ce serait qui alors…?

Arrive le médecin, Roberto, un bel italien d’une trentaine d’années, à la mine enjôleuse.

Roberto – Bonjour tout le monde… Alors, comment allez-vous ce matin ?

Claude – Ça peut aller, Docteur…

Roberto – Et vous, mesdames ? Mais quels teints de rose ! Vous avez l’air de vraies jeunes filles ! Quel est le secret de votre éternelle jeunesse ?

Solange – On nous a greffé des cellules de méduses.

Henriette – Ne vous approchez pas trop, vous pourriez vous piquer. C’est très urticant…

Roberto – Et cette nouvelle hanche, Henriette ?

Henriette – Ça peut aller…

Roberto – On va pouvoir faire la deuxième, alors ? Vous savez qu’en ce moment, dans ma clinique, les hanches artificielles sont en promotion. La deuxième est à moitié prix. Mais il faut vous dépêcher de vous décider, mesdames.

Solange – À notre âge, vous savez…

Henriette – C’est comme sur une vieille voiture.

Claude – Il faut bien réfléchir avant de se lancer dans de nouvelles réparations.

Henriette – Vous changez les freins, la semaine d’après c’est le moteur qui lâche…

Roberto – Mais voyons, mesdames, ça se voit tout de suite que vous, vous en avez encore sous le capot ! Vous êtes carrossées comme des Ferrari !

Les pensionnaires commencent doucement à se mettre en mouvement pour partir.

Solange – Malheureusement, on n’est plutôt des voitures de collection que personne ne veut plus sortir du garage…

Henriette – De peur qu’elles ne tombent en panne à peine tourné le coin de la rue…

Claude – Qu’est-ce que vous voulez, on a fait notre temps.

Henriette – Et encore, nous on a pu profiter un peu du marché de l’occasion avant de finir ici à la casse.

Claude – Vous avec vos quarante cinq ans de cotisation obligatoire, vous passerez directement de l’école au boulot et du boulot à la maison de retraite médicalisée.

Solange – Ou directement du boulot au cimetière, comme ça ça coûtera encore moins cher…

Henriette – Surtout qu’avec vos études de médecine, vous n’avez pas dû commencer de bonne heure à cotiser.

Claude – Au moins, vous, vous n’aurez pas loin à aller pour passer de l’autre côté de la barrière.

Solange – On appelle ça la dépendance, il paraît. Parce que travailler dix heures par jour pour un patron pendant un demi-siècle, c’est la liberté, peut-être ?

Les pensionnaires s’en vont, en abandonnant un Roberto un peu décontenancé malgré tout.

Roberto – Je ne vous chasse pas, au moins.

Claude – C’est bientôt le déjeuner.

Henriette – On va aller se pomponner un peu pour avoir l’air à peu près présentables.

Solange – Et ne pas couper l’appétit aux autres.

Claude – Ce n’est déjà pas toujours très appétissant ce qu’on a dans l’assiette…

Roberto – Eh bien… Bon appétit, alors !

Les pensionnaires sortent. La directrice arrive.

Nathalie (préoccupée) – Ah, Roberto, je voulais vous voir, justement…

II s’approche d’elle et essaie de l’enlacer.

Roberto – Vous êtes très en beauté ce matin, Nathalie !

Nathalie (se dégageant) – Allons, voyons, soyez un peu sérieux, Roberto… On pourrait nous voir…

Roberto – Quelle importance ! Puisque nous allons nous marier.

Nathalie – Ce n’est pas encore officiel…

Roberto – Nous nous aimons, c’est le principal. Et puis je vous l’ai dit. Avec votre maison de retraite et ma clinique privée, nous allons faire un malheur, Nathalie !

Nathalie – Bien sûr… Même si notre première mission est de faire le bonheur de nos chers anciens.

Roberto – Cela va de soi, évidemment. Et qu’est-ce que vous aviez à me dire de si important, ma chère ?

Nathalie – Eh bien… C’est un peu embarrassant à vrai dire… Je ne suis pas encore complètement sûre…

Roberto – Vous êtes libre pour dîner ?

Ils commencent à s’en aller tous les deux.

Nathalie – On en reparle plus tard, d’accord…

Ils sortent.

Noir.

Après-midi

Au salon, Claude a retrouvé son fauteuil, et observe Solange qui tricote avec un air un peu renfrogné.

Claude – Allez, ne faites pas votre mauvaise tête, Solange… Je suis sûr qu’une autre place se libérera bientôt à la table du capitaine…

Solange – J’y compte bien…

Claude – Qu’est-ce que vous tricotez ? Une écharpe ?

Solange – C’est une surprise…

Claude – Et c’est pour qui ?

Solange – Pour vous peut-être…

Blanche arrive avec Honoré.

Claude – Alors Blanche, comment avez-vous trouvé le restaurant ?

Blanche – Le restaurant ? Je ne sais pas, j’ai mangé à la cantine…

Honoré – Ici, on appelle ça le restaurant…

Blanche – Ça fait longtemps que vous n’êtes pas allé au restaurant, alors. (À Solange) Qu’est-ce qu’elle tricote, la morue ? Un filet ? Vous comptez aller à la pêche au gros ?

Claude – C’est une écharpe, je crois.

Blanche – Pas pour moi, j’espère.

Solange – Allez savoir…

Claude – C’est une surprise.

Honoré – Ça ressemble plutôt à une corde, non ?

Claude – Une corde en laine ?

Honoré – Au moins, celui qui se pendra avec ne risquera pas de s’enrhumer.

Caroline arrive avec le nouveau numéro de Votre Temps.

Caroline – Et voilà, un peu de lecture… Le nouveau numéro de Votre Temps, comme tous les mercredi…

Blanche intercepte le magazine au grand dam de Claude qui s’apprêtait à le prendre.

Blanche – Je vais enfin savoir si j’ai gagné…

Caroline se met à faire un peu de ménage.

Caroline – C’est joli, ce que vous tricotez… C’est quoi ?

Honoré – On ne sait pas.

Caroline – En tout cas, ça a l’air bien chaud.

Solange – L’important, c’est que ce soit solide…

Caroline – Ah, oui, aussi, bien sûr.

Henriette arrive.

Henriette – Après, vous devriez attaquer une brassière pour le bébé…

Caroline – Le bébé ? Qui va avoir un bébé ?

Henriette – Ça, on aimerait bien le savoir…

Blanche feuillette le magazine, et soudain son visage s’illumine.

Blanche – C’est moi !

Henriette – C’est vous quoi ?

Blanche – Le concours, dans Votre Temps ! C’est mon numéro qui est sorti ! J’ai gagné la croisière !

Claude – Le premier prix ? La croisière dans le Pacifique ? Sur Le Cuesta Mucho ?

Blanche – Le deuxième prix ! La croisière en Antarctique ! Sur le Cuesta Poco !

Honoré – Fantastique ! Vous en avez de la chance !

Solange – Heureux au jeu…

Blanche – C’est pour deux… Je peux emmener la personne de mon choix… Ça vous en bouche un coin…

Henriette – Qu’est-ce qu’on peut bien faire sur un paquebot en Antarctique ?

Claude – Il n’y a sûrement pas de piscine…

Solange – Il y a peut-être une patinoire.

Caroline – Pourquoi voulez-vous partir en vacances ? Ici, vous êtes toujours en vacances, non ?

Blanche – Pour changer d’atmosphère ! Ça sent le renfermé, ici…

Henriette – Et qui allez-vous inviter à partir avec vous, Blanche ?

Blanche – Allez savoir…

Honoré – Si vous avez besoin d’un chevalier servant…

Blanche – Servant ? À quoi vous pourriez encore bien servir, vieux débris. Est-ce qu’au moins vous seriez encore capable de porter ma valise ?

Roberto arrive et, discrètement, essaie d’embrasser ou de peloter Caroline, qui se dégage.

Roberto – Vous m’avez l’air bien gais ! Qu’est-ce qui se passe ?

Claude – Blanche a gagné une croisière. En Antarctique.

Roberto n’a pas l’air de prendre ce projet très au sérieux.

Roberto – Très bien, très bien…

Henriette – Ah, Docteur, je peux vous demander quelque chose.

Roberto – Mais bien sûr, Henriette, je vous écoute.

Henriette – En privé…

Roberto – Hun, hun…

Elle l’entraîne un peu à l’écart, et lui montre le test de grossesse.

Henriette – C’est positif ou négatif ?

Roberto (estomaqué) – Vous êtes enceinte, Henriette ?

Henriette – Pas moi ! On a trouvé ça sur le fauteuil de Claude, ce matin…

Roberto – Claude ?

Henriette – Bon, ça ne lui appartient pas non plus, vous vous en doutez bien…

Roberto semble inquiet.

Roberto – Vous pouvez me laisser ça, Henriette ? Je vais mener ma petite enquête…

Henriette – Vous me tenez au courant…

Caroline – Allez, c’est l’heure de la sieste. Tout le monde au lit !

Blanche – La sieste ? J’ai pas sommeil, moi.

Caroline – C’est le règlement…

Honoré – Oui, mon adjudant… Vous aviez raison, Blanche, c’est un peu comme à l’armée, ici.

Blanche – Ah oui ? La sieste crapuleuse est obligatoire aussi, dans l’infanterie de marine ?

Les pensionnaires s’en vont. Henriette oublie son châle sur un fauteuil.

Roberto – C’est vous qui êtes enceinte, Caroline ?

Caroline – Pardon ?

Roberto – Ce n’est pas à vous ça ?

Il lui montre le test.

Caroline – Et si ça l’était ?

Roberto – Ne me dites pas que vous comptez le garder ?

Caroline – Non, je compte en faire don au Secours Catholique. Pour les plus nécessiteux que moi.

Roberto – Ecoutez, Caroline, ce qui s’est passé entre nous, c’était… un dérapage.

Caroline – Un dérapage incontrôlé, alors, si j’en juge par les résultats de ce test de grossesse.

Nathalie arrive. Caroline s’en va.

Roberto – Ah, justement, je voulais vous parler.

Nathalie – Oui, moi aussi…

Roberto – Vous êtes enceinte ?

Nathalie – Mon Dieu, non ! Pourquoi ?

Roberto – Pardon, je ne sais pas ce qui m’a pris…

Henriette revient chercher son châle. Ils ne la voient pas, et elle en profite pour écouter la conversation.

Nathalie – Non, ce qui me préoccupe, c’est que… le taux de mortalité dans notre établissement a augmenté dans des proportions curieuses ces derniers temps. Vous ne trouvez pas ?

Roberto – Vous avez raison… Dans une maison de retraite, il est normal que le nombre de décès soit supérieur à celui des naissances, mais tout de même…

Nathalie – Quelle naissance ?

Roberto – Et puis généralement, dans ce genre d’établissements, on est relativement plus à l’abri des morts violentes que dans un lycée ou un commissariat de banlieue…

Nathalie – Vous m’inquiétez, Roberto. Si vous savez quelque chose, je vous écoute…

Roberto – C’est à propos d’Adèle.

Nathalie – Adèle ?

Roberto – Il semblerait que sa mort… ne soit pas vraiment naturelle.

Nathalie – Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?

Roberto – Je ne peux rien affirmer, bien sûr, mais j’ai tout de même quelques indices qui me laisse à penser que…

Nathalie – Quels indices ?

Roberto – Eh bien… Les traces de strangulation que j’ai constatées autour de son cou, pour commencer.

Nathalie – Non…?

Roberto – Ensuite… la fourchette de cantine que j’ai retrouvée plantée dans son abdomen.

Nathalie – Oh, mon Dieu…!

Roberto – Il faudrait pouvoir effectuer une autopsie pour savoir si en plus, elle n’a pas été empoisonnée.

Nathalie – Qui pourrait bien avoir envie d’assassiner quelqu’un de cent trois ans.

Roberto – À part quelqu’un de cent deux ans dans l’espoir de devenir doyen de l’humanité à sa place…

Nathalie – Tout cela est très fâcheux, Roberto. C’est la réputation de notre établissement qui est en jeu. Vous vous rendez compte ? Si tout cela parvenait aux oreilles des médias !

Roberto – Après le travail remarquable que vous avez fait pour obtenir un aussi bon classement dans le Guide Michelin des Maisons de Retraite.

Nathalie – Nous perdrions immédiatement notre troisième couronne, qui récompense un établissement comptant plus de vingt centenaires.

Roberto – Et probablement aussi notre troisième fourchette…

Nathalie – Vous pensez qu’il faut prévenir la police malgré tout ?

Roberto – Je ne sais pas… La loi considère déjà que d’ôter la vie à un fœtus de moins de trois mois n’est pas un crime. En extrapolant un peu… on pourrait considérer que d’achever l’interminable agonie de quelqu’un de cent trois ans n’est pas vraiment un crime non plus…

Nathalie – La loi de la République, Roberto ! Pas celle de l’Église…

Roberto – Alors qu’est-ce qu’on fait ? On se tire une balle dans le pied ?

Nathalie – Vous avez raison… Il vaut mieux que nous menions nous-mêmes notre petite enquête en interne dans un premier temps…

Roberto – Je suis d’accord avec vous, Nathalie… Vous pouvez compter sur moi. Après tout, nous allons nous marier, n’est-ce pas ?

Nathalie – Pour le meilleur et pour le pire…

Roberto – Reste à savoir qui a fait ça et pourquoi.

Nathalie – Vous pensez que le coupable pourrait être un membre du personnel ?

Roberto – C’est une hypothèse… Mais pourquoi ?

Nathalie – Euthanasie ? C’est très à la mode, en ce moment…

Roberto – Je vois mal une infirmière étrangler d’une main une petite vieille tout en lui plantant une fourchette dans le ventre avec l’autre. En général, l’euthanasie est un acte d’amour envers son prochain, non ?

Nathalie – Comme vous y allez… Vous savez pourtant que le pape n’est pas du tout favorable ce genre de choses.

Roberto – L’Église évoluera sans doute là dessus, comme sur bien d’autres sujets… Dans cinq ou dix siècles en tout cas… Euthanasie… C’est le mot qui n’est pas très vendeur déjà…

Nathalie – Vous trouvez ?

Roberto – Dans euthanasie, il y a nazi… C’est d’ailleurs eux qui ont industrialisé le concept les premiers, malheureusement. Alors allez rattraper le coup, maintenant…

Nathalie – Et comment voudriez-vous appeler ça pour rendre cette pratique plus agréable ?

Roberto – Je ne sais pas, moi… Il faudrait trouver quelque chose de moins… Enfin de plus…

Blanche passe, une valise à la main. Henriette déguerpit, de crainte d’être découverte.

Nathalie – Mais vous allez où, Blanche ?

Blanche – Ben je pars en croisière.

Nathalie – Non, mais attendez, vous ne pouvez pas partir comme ça.

Blanche – Pourquoi pas ?

Nathalie – Je dois prévenir votre mère. Je veux dire votre fille…

Roberto – Il faut signer une décharge.

Blanche – Une décharge ? Allez-y, traitez-moi de déchet, pendant que vous y êtes !

Nathalie (à Roberto) – Je vais prévenir la famille…

Roberto – Allons, Blanche, vous n’allez pas nous quitter comme ça. Ça peut attendre demain, non ? Prenez donc un peu l’air sur le pont, et pendant ce temps-là, je vais remettre votre valise dans votre cabine…

Blanche – Vous essayez de me mener en bateau, c’est ça ?

Roberto – Et puis il y a tellement de vieux, sur ces paquebots, vous savez… Je ne suis pas sûr que vous verriez vraiment la différence avec une maison de retraite.

Blanche s’assied à regret. Roberto part avec sa valise.

Honoré, Claude et Solange arrivent.

Honoré – Ça n’a pas l’air d’aller, Blanche, qu’est-ce qui se passe ?

Claude – On peut faire quelque chose pour vous ?

Blanche – J’ai quatre vingt six ans, vous pouvez faire quelque chose contre ça ?

Honoré – Quatre vingt six ans ! Je vous jure que vous ne les faites pas du tout.

Claude – On vous donnerait à peine quatre-vingts.

Henriette arrive.

Henriette – Vous connaissez la nouvelle ?

Claude – Ben oui, elle est ici avec nous.

Henriette – Adèle a été assassinée !

Claude – Non !

Henriette – Je le tiens de la direction…

Solange – Ils vous l’ont dit ?

Henriette – Disons que j’étais au bon endroit au bon moment. En tout cas, il y a un tueur en série parmi nous.

Honoré – Comment sait-on qu’il s’agit de quelqu’un d’entre nous ?

Henriette – Qui pourrait bien avoir l’idée de venir spécialement dans une maison de retraite pour assassiner des vieux ?

Claude – C’est vrai… Dans une colonie de vacances encore, on comprendrait, mais dans une maison de retraite…

Solange – Un tueur en série ?

Henriette – Depuis quelques temps, les centenaires tombent comme des mouches, ici, vous n’avez pas remarqué ?

Claude – Qui ça pourrait bien être…?

Honoré – Un membre du personnel, peut-être…

Caroline arrive.

Caroline – Une petite tisane, pour digérer ? Camomille ? Tilleul ? Verveine ?

Henriette – Un tueur… ou une tueuse.

Claude – Non, merci, ça ira.

Henriette – Moi non plus merci…

Caroline – Ah, pas d’amateurs aujourd’hui ? Bon tant pis…

Caroline repart.

Henriette – Une tisane, tu parles… Un bouillon de onze heures, oui…

Blanche – Et c’est moi qu’on traite de folle.

Henriette – Vous vous en fichez, vous, bien sûr, vous partez en croisière !

Honoré – Alors, Blanche, qui allez-vous emmener avec vous ?

Claude – Vous dites ça parce que vous avez peur de rester ici, capitaine ?

Solange – Pourtant, le capitaine devrait toujours être le dernier à quitter le navire ! Je me souviens, pendant le naufrage du Titanic…

Blanche – Je vois que tout d’un coup, la croisière en Antarctique a le vent en poupe.

Henriette – Plutôt que de rester ici à attendre de se faire zigouiller.

Blanche – On n’a qu’à tirer ça au sort…

Henriette – On met tous nos noms sur des petits papiers dans le chapeau d’Honoré. Et on procède au tirage.

Honoré – Très bien…

Honoré ôte son chapeau. Ils griffonnent chacun quelque chose sur un bout de papier qu’ils placent dans le chapeau dans un silence religieux, en se surveillant les uns les autres avec un air méfiant.

Claude – Une main innocente ?

Blanche – Vous devrez vous contenter de la mienne.

Tension générale. Elle tire un papier du chapeau et le déplie.

Blanche – Claude.

Claude semble soulagé.

Claude – Il ne me reste plus qu’à souhaiter bonne chance à ceux qui restent…

Caroline revient, suivi de près par Roberto.

Caroline – Qu’est-ce qui se passe ici ? C’est quoi ces mines de conspirateurs ?

Henriette – On faisait un Cluedo… Vous savez ce que c’est. C’est toujours propice aux débordements.

Caroline – Ah… Et qui était le coupable ? Le Capitaine Moutarde ? Le Docteur ?

Solange – La partie n’est pas encore terminée. On sait juste que le crime a eu lieu dans la chambre avec une fourchette.

Henriette – Ah, tiens, je ne me souvenais pas vous avoir dit ça aussi…

Honoré remet son chapeau sur sa tête et tout le monde s’en va.

Roberto reprend, à voix basse, sa discussion interrompue avec Caroline.

Roberto – Mais enfin, Caroline, vous ne pouvez pas le garder…

Caroline – Et pourquoi pas ?

Roberto – Vous savez que je vais épouser Nathalie.

Caroline – Il fallait y penser avant… Et si je lui disais que vous allez être papa ?

Roberto – Combien ?

Caroline – Je n’ai pas dit que c’était des triplés, non plus.

Roberto – Combien… pour que vous ne le gardiez pas ?

Caroline – Vingt mille ?

Roberto – Dix mille.

Caroline – Ok. Mais je veux le fric maintenant.

Roberto sort son chéquier, remplit un chèque et lui tend.

Roberto – J’ai votre parole ?

Caroline – Si ce n’est pas un chèque en bois…

Caroline s’en va.

Roberto – Voilà au moins une affaire de réglée… Et c’est toujours moins cher qu’une pension alimentaire…

Il s’en va aussi. Retour de Blanche, suivie de Christiane et Dominique.

Christiane – Mais enfin, maman, c’est quoi encore cette histoire de croisière ?

Dominique – Voyons, Blanche, vous n’avez plus l’âge de partir en expédition en Antarctique.

Blanche – Les croisières, c’est spécialement fait pour les vieux ! Vous croyez qu’on en ferait la promo dans Votre Temps, sinon ?

Dominique – Oui, mais… Il y a vieux, et vieux…

Christiane – Et puis, c’est dangereux les croisières, parfois les bateaux font naufrage.

Dominique – Il en coule au moins un par mois, quelque part dans le monde.

Blanche – À mon âge, c’est tous les jours qu’on espère échapper au naufrage. Avec de moins en moins de chance de s’en sortir vivant, malheureusement.

Christiane – Il faut toujours que tu voies le mauvais côté des choses.

Dominique – Vous n’êtes pas bien, ici ?

Blanche – Quoi ? Vous n’êtes pas au courant ?

Christiane – Au courant de quoi ?

Blanche – C’est un véritable film d’horreur, ici ! Le docteur se livre à des manipulations génétiques sur les pensionnaires et l’aide-soignante est une tueuse en série !

Nathalie arrive.

Nathalie – Écoutez, j’ai vérifié dans le magazine Votre Temps, les résultats du concours n’ont même pas encore été promulgués…

Christiane – Vous êtes sûre ?

Nathalie – Je leur ai même passé un coup de fil pour vérifier…

Christiane (à Blanche) – Mais enfin, maman, pourquoi tu es allée inventer une histoire pareille ?

Blanche – Je ne sais pas moi… on s’emmerde à mourir, ici… Pour mettre un peu d’ambiance…

Dominique – Ah, oui, c’est réussi.

Nathalie – Je suis désolée de vous avoir fait déplacer pour rien…

Christiane – Mais non, c’est moi, je vous assure…

Dominique – Enfin, on vous avait prévenu… Elle est encore un peu comédienne…

Nathalie – Je vais la raccompagner dans sa chambre.

Christiane embrasse sa mère.

Christiane – Allez, au revoir, maman…

Blanche (à voix basse) – Mais pour la tueuse en série, c’est vrai, je t’assure… Il faut absolument que tu me fasses sortir d’ici…

Christiane – Bien sûr, maman…

Dominique embrasse à son tour Blanche.

Blanche (toujours à voix basse) – Prévenez la police… Mais ne dites rien devant la directrice, elle est de l’Opus Dei…

Dominique – On va faire comme ça…

Nathalie – Allez venez Blanche, on va s’occuper de vous…

Nathalie prend Blanche par le bras et l’emmène.

Christiane se tourne vers Dominique.

Christiane (soupirant) – Elle nous aura tout fait…

Dominique – Ça va aller, ne t’inquiète pas. Ils vont lui faire une petite piqûre, et elle va dormir tranquillement comme un bébé jusqu’à demain matin.

Christiane – Ils leur font des piqûres pour les faire dormir, tu crois ?

Dominique – Je ne sais pas, j’imagine… Moi, c’est ce que je ferais…

Dominique enlace Christiane pour la réconforter.

Christiane – À propos de dormir comme un bébé, je ne sais pas si c’est le bon moment et le bon endroit, mais j’ai quelque chose à t’annoncer.

Dominique – Quoi ?

Christiane – Ben, toi, dans l’année qui vient, tu risques de ne pas faire tes nuits…

Dominique (aux anges) – Non ?

Christiane – Ça a marché ! Je suis enceinte.

Dominique – Mais c’est merveilleux !

Christiane – À mon âge, ça tient même du miracle… J’attendais les résultats de la prise de sang pour être tout à fait sûre. D’ailleurs, je ne sais pas ce que j’ai fait du test de grossesse. J’ai dû le perdre ici ce matin…

Dominique – Une fille ? Un garçon ?

Christiane – Ça c’est encore un peu tôt pour le dire, mais le médecin m’a dit qu’il était à peu près certain que c’était un être humain ! Tu vas être papa !

Dominique – Alors ça, ça se fête ! Je t’invite au restaurant !

Ils s’apprêtent à s’en aller. Dominique sort un cigare.

Christiane – Tu ne vas pas l’allumer ici…

Dominique – Oh, à leur âge, un peu de tabagisme passif, ça ne peut quand même pas écourter leur vie de beaucoup.

Christiane – Je pensais au bébé…

Dominique range son cigare.

Dominique – Tu as raison, je vais attendre qu’on soit dehors pour l’allumer.

Christiane – Et dire que maintenant, il va falloir se mettre à chercher une place en crèche…

Dominique – Déjà ?

Christiane – Là aussi, il y a une liste d’attente, figure-toi !

Dominique – Ok, je vais m’en occuper aussi…

Christiane – Comment ça aussi… ?

Dominique et Christiane s’en vont.

Roberto et Nathalie arrivent.

Nathalie – Vous soupçonnez quelqu’un en particulier ?

Roberto – Une aide-soignante…

Nathalie – Caroline…?

Roberto – Pourquoi pas ?

Nathalie – Vous m’avez dit ne pas croire à la thèse de l’euthanasie, en raison du mode opératoire. C’est vrai qu’une injection de sodium, c’est quand même moins salissant…

Roberto – Elle a peut-être utilisé une fourchette pour brouiller les pistes.

Nathalie – Tout de même… Une fourchette de cantine… Pour abréger les souffrances de quelqu’un par compassion…

Roberto – Elle aurait pu agir sur ordre. Pour de l’argent.

Nathalie – Une tueuse à gage ?

Roberto – J’ai de bonnes raisons de penser que cette Caroline est parfaitement capable de tuer pour de l’argent.

Nathalie – Qui pourrait en vouloir à ce point à une centenaire ? Ses héritiers ? Ils savaient qu’elle n’en avait plus pour très longtemps… Ils ne sont pas à quelques mois près.

Roberto – Mais ceux qui attendent qu’une place se libère ici pour se débarrasser de leur mère, si. La plupart des gens seraient prêts à tuer pour avoir une place en crèche. Alors en maison de retraite, vous imaginez…

Nathalie – La fille de Blanche…?

Roberto – Ou son… compagnon.

Nathalie – C’est vrai qu’il a un drôle de genre.

Roberto – Mmm… Je dirais même un genre plutôt indéterminé.

Nathalie – Bon, il ne faut quand même pas négliger les autres pistes… Vous avez des éléments nouveaux au sujet de la victime ?

Roberto – L’autopsie sommaire que j’ai réalisée avec les moyens du bord révèle qu’Adèle est morte après avoir ingéré des spaghettis bolognaise.

Nathalie – Vous pensez qu’elle aurait pu aussi succomber à une intoxication alimentaire ?

Roberto – Je ne crois pas… J’en ai moi-même mangé hier soir, et j’ai survécu.

Nathalie – Autre chose d’intéressant ?

Roberto – Oui… Avant qu’on lui plante une fourchette de cantine dans l’estomac, Adèle a été étranglée avec une écharpe tricotée à la main… J’ai retrouvé un morceau de laine incrusté dans son cou…

Nathalie – Le tricot, c’est une piste intéressante, en effet… Je crois qu’il faudrait interroger aussi les autres pensionnaires.

Roberto – Après le dîner, alors… Là, ils sont tous au restaurant…

Nathalie – Quel est le menu, ce soir ?

Roberto – Spaghettis.

Nathalie – Encore !

Roberto – Il restait de la bolognaise d’hier soir. Et comme la plupart ne se souviennent pas de ce qu’ils ont mangé la veille.

Nathalie – On va peut-être commander chinois, alors.

Noir.

Soir

Ambiance de commissariat voire de gestapo. Comme dans les séries américaines, Roberto mange un plat chinois avec des baguettes dans un pot en carton. Nathalie joue les bad cop et procède à l’interrogatoire musclé d’Henriette, en pyjama rayé, assise si possible dans une chaise roulante, avec une lampe de bureau dans la figure. Nathalie s’est transformée en véritable tortionnaire. Elle brandit la fourchette qui constitue la principale pièce à conviction.

Nathalie – Donc, vous avouez avoir déjà vu cette fourchette de cantine auparavant.

Henriette – Ben oui.

Nathalie – Sur les lieux du crime ?

Henriette – Ben non.

Nathalie – Ah, oui ? Où ça alors ?

Henriette – Ben à la cantine !

Nathalie – Ne te fous pas de ma gueule, Henriette.

Henriette – C’est une fourchette de cantine ! Regardez, il y encore de la sauce bolognaise dessus.

Roberto (intervenant) – Ça ma petite Henriette, c’est tout sauf de la bolognaise, croyez-moi.

Henriette (baillant) – J’irais bien me coucher, moi, maintenant, je commence à avoir sommeil…

Nathalie – Je ne suis pas pressée, vous savez. J’ai toute la nuit devant moi, s’il le faut.

Henriette – D’habitude, à vingt heures trente, on est déjà couché.

Nathalie – Alors on reprend tout depuis le début. Nom, prénom, profession, date et lieu de naissance…

Henriette – Je peux avoir ma tisane maintenant ? Je la prends toujours en regardant ma série policière à la télé.

Nathalie (pétant les plombs) – Tu vas parler, salope !

Roberto tente de la calmer d’un geste et, jouant les good cop, prend le relai.

Roberto – Allez, Henriette. Vous me connaissez ? Je ne vous veux pas de mal. Je suis votre médecin. Si vous nous disiez tout simplement ce que vous savez…

Henriette – À propos de quoi ?

Roberto – Est-ce que par exemple, vous auriez vu quelqu’un tricoter, ces temps-ci ?

Henriette – J’ai vu Solange tricoter une écharpe en laine… qui ressemblait beaucoup à une corde.

Roberto échange un regard entendu avec Nathalie.

Roberto – Solange…

Nathalie – Mais pourquoi aurait-elle fait ça ?

Roberto (à Henriette) – Est-ce que Solange avait une raison particulière d’en vouloir à Adèle ?

Henriette – Ben… Il y a longtemps que Solange attend qu’une place se libère à la table du capitaine.

Roberto – Bon sang, mais c’est bien sûr… Adèle morte, Solange passe à table, c’est logique…

Nathalie – Solange… Je lui aurais donné le Bon Dieu sans confession, à celle-là.

Roberto – Eh bien maintenant, il va falloir la faire avouer. Avec ou sans confessionnal…

Nathalie – Vous pouvez aller vous coucher, maintenant, Henriette… Vous avez fait votre devoir…

Henriette s’en va en râlant.

Henriette – J’espère que mon feuilleton n’est pas encore fini… Ça fait des semaines que j’attends de savoir qui est le coupable…

Roberto – Allons chercher Solange… avant qu’elle ne fasse une autre victime.

Nathalie et Roberto s’en vont. Claude arrive, s’assied dans son fauteuil et lit Votre Temps. Solange arrive avec son écharpe à la main.

Solange – Alors, Claude, vous en avez de la chance. Vous êtes l’heureux élu. Pour partir en croisière avec Blanche…

Claude – Je vous avoue que je suis soulagé, oui. J’ai tellement peur qu’on nous empoisonne… Je crois que les spaghettis bolognaises me sont un peu restés sur l’estomac.

Solange – Oui, Adèle aussi, ça lui était un peu resté sur l’estomac…

Claude – Pourtant, j’adore ça… Dommage qu’ils ne nous en servent pas plus souvent… Alors ça y est, c’est fini cette écharpe ?

Solange – Oui.

Claude – C’est pour qui ?

Solange – Pour vous ! Vous en aurez besoin pour cette croisière en Antarctique. Je vais vous la passer pour l’essayer.

Solange se lève et étrangle Claude par derrière, mais elle est interrompue par le retour de Nathalie et Roberto qui voient la scène, ce qui confirme leurs soupçons.

Roberto – Là on tient notre flag…

Nathalie – Claude, laissez-nous un instant, s’il vous plaît.

Claude – Mais enfin…

Roberto – Casse-toi, on te dit.

Claude s’en va.

Roberto – Claude, maintenant… Et pourquoi ?

Solange – Pour partir en croisière à sa place. J’ai toujours aimé les croisières. Je vous ai dit que j’étais sur le Titanic quand il a sombré ?

Roberto – Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire ?

Nathalie – Je ne sais pas.

Roberto – La livrer à la police, à son âge ?

Nathalie – Même si c’est vrai que de tricoter l’arme du crime, on peut quand même appeler ça une certaine préméditation.

Solange – La démence sénile, ça se plaide très bien, vous savez…

Roberto – On va peut-être plutôt régler ça en interne…

Nathalie – Vous avez quel âge Solange ?

Solange – J’ai fêté mes cent ans la semaine dernière…

Nathalie – Sans elle, il ne nous en reste plus que dix-neuf… On perd notre troisième couronne au Michelin des Maisons de Retraite Médicalisées…

Roberto – Tu t’en tires bien salope…

Nathalie – Au moins jusqu’à ce qu’un autre pensionnaire souffle ses cents bougies…

Solange – S’il ne lui arrive pas malheur avant…

Nathalie et Roberto lui lancent un regard inquiet.

Noir.

Un an après

Trois des fauteuils sont occupés par Nathalie, Roberto et Caroline, passablement fatigués voire prématurément vieillis.

Nathalie – Je n’en peux plus…

Roberto – Et il est à peine midi…

Caroline – Ils finiront par avoir notre peau…

Nathalie – Vivement la retraite…

Arrivent les cinq pensionnaires, sérieusement rajeunis.

Henriette – Eh ben alors ? Vous avez l’air de morts-vivants !

Roberto – Vous en revanche, ça vous a fait un bien cette croisière.

Blanche – Ah, oui, on est en pleine forme, n’est-ce pas capitaine ?

Honoré – On a rajeuni de vingt ans.

Claude – Ça se terminera par un mariage, vous verrez…

Solange – Et ces produits anti-âge à base de méduses que vous nous avez ramenés…

Claude – Ah, oui, c’est spectaculaire !

Christiane et Dominique arrivent avec un couffin contenant supposément un bébé.

Christiane – Bonjour, bonjour…

Nathalie – Messieurs dames…

Dominique – Madame la Directrice…

Christiane – Comment allez-vous ? Vous avez l’air un peu fatiguée…

Nathalie – C’est vous qui aviez raison. C’est eux qui nous enterreront tous…

Dominique – Votre petit-fils, Blanche.

Blanche – Ah, oui… Mais pourquoi il est tout fripé…

Henriette – C’est vrai, on dirait qu’il a encore plus de rides que nous.

Honoré – Pourtant, il vaudrait mieux qu’il soit en forme.

Solange – C’est lui qui va payer notre retraite…

Honoré – Ah ben vous aussi, vous avez l’air fatigués, hein ?

Dominique – C’est qu’il ne fait pas encore ses nuits, le bougre…

Claude – Ne faites pas autant de bruit, vous voyez bien qu’il dort.

Honoré – Il ressemble à sa mère, non ?

Solange – Et c’est qui le père ? (Moment de flottement) Je déconne…

Claude – Bon ben qu’est-ce qu’on peut lui souhaiter alors à cet enfant ?

Henriette – Capitaine, un mot de bienvenue ?

Honoré s’éclaircit la voix puis commence son speech.

Honoré – Si la vieillesse est un naufrage, comme disait Châteaubriand en citant De Gaulle, c’est que la vie est une croisière sur le Titanic. Certains se prélassent sur le pont dans des transats, pendant que les autres rament dans la soute. Mais tout le monde finira par servir de nourriture aux méduses. Alors en attendant l’inévitable rencontre avec un iceberg, pour ceux qui le peuvent, au son de l’orchestre, autant faire teinter ses glaçons dans son verre.

Ils trinquent.

Tous ensemble (en direction du couffin) – Bienvenue à bord !

Musique. Ils entament quelques pas de valse.

Noir. Fin.

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une vingtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011 © La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-25-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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Diagnostic réservé

Critical but stable – Pronóstico Reservado –  Prognóstico reservado –  Prognosi Riservata –  OPATRNĚ S DIAGNÓZOU 

Comédie de Jean-Pierre Martinez

5 ou 6 personnages (hommes et/ou femmes)

Patrick est dans un coma profond suite à un accident de Velib. Ses proches depuis longtemps perdus de vue sont appelés à son chevet pour décider de son sort afin d’éviter tout acharnement thérapeutique. Mais cette décision collégiale est d’autant plus difficile à prendre que le patient s’avère ne pas être exactement celui qu’on croyait et qu’il est détenteur d’un secret qui pourrait rapporter gros…


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LE MOT DE L’AUTEUR SUR LA PIÈCE

Pour espérer faire la meilleure des comédies, il faut prendre pour sujet le pire des drames… Il y a un sujet de société qui revient régulièrement sur le tapis (ou en l’occurrence sur le billard), c’est celui de l’euthanasie. Je me suis donné comme défi, avec cette pièce, de faire rire en prenant comme point de départ un homme qui est dans un coma profond. À partir de là, bien sûr, il faut trouver le biais pour produire du comique avec une situation aussi tragique. Quand quelqu’un est dans le coma, ses proches sont consultés pour savoir s’il faut ou non maintenir le patient artificiellement en vie. Dans cette comédie, ce sont le frère et la soeur qui sont convoqués par le médecin. Mais ces proches supposés n’étaient en fait plus en relation avec cette victime collatérale depuis longtemps. Ils ne savent donc pas trop quoi décider. D’autant qu’ils s’en foutent un peu, et qu’ils ont d’autres soucis en tête. Par là-dessus arrive la présumée compagne du patient dans le coma et, par elle, on va en apprendre un peu plus sur les circonstances de l’accident qui a conduit le patient à l’hôpital. Ces éléments nouveaux, distillés au goutte à goutte, vont très cyniquement faire pencher les proches tantôt vers le maintien en vie du patient, tantôt vers la décision de précipiter sa fin. La vie est une farce. Et quand quelqu’un meurt ou qu’il est sur le point de mourir, il semble que cet événement cristallise tous les éléments de cette tragi-comédie, à travers l’hypocrisie sociale à laquelle nous sommes tous contraints de nous conformer en des moments aussi solennels. La société, en effet, nous oblige à respecter voire à sacraliser la mort. Le problème c’est que tous les vivants, à l’exception des papes, ne deviennent pas automatiquement des saints du simple fait de leur passage de vie à trépas. D’autant plus que quand les gens meurent, ils laissent souvent de l’argent derrière eux. Parfois aussi de l’argent sale… Cet aspect tragi-comique de la vie fait qu’il est parfois difficile de garder son sérieux devant la perspective de la mort. Les meilleurs fous rires sont ceux qu’on peut avoir à un enterrement. Ou encore au théâtre. J’espère avoir écrit une comédie à mourir de rire…


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL

Diagnostic Réservé

6 personnages (masculins ou féminins) :

Alban(e) : le frère (ou la sœur) de Patrick
Louise : la sœur (ou le frère) de Patrick
Josiane : la compagne de Patrick
Docteur Mahler : le (ou la) médecin
Lajoie : l’infirmière (ou l’infirmier)
Sanchez : le commissaire

Une chambre d’hôpital. Sur un lit à roulettes repose le corps d’un patient en position inclinée, relié à un goutte à goutte ainsi qu’à de multiples appareillages électriques. Son visage est couvert d’un drap. Ce rôle n’étant que de figuration, le patient sera un mannequin. Le Docteur Mahler (homme ou femme) et Mademoiselle (ou éventuellement Monsieur) Lajoie, son infirmière (ou infirmier) entrent, tous deux en blouses blanches.

Mahler – Il fait une chaleur, dans ces hôpitaux. Ça donne envie d’ouvrir une clinique privée rien que pour avoir la clim.

Lajoie – Et après on s’étonne que les microbes prolifèrent.

Mahler – On nous rebat les oreilles avec le déficit de la Sécurité Sociale. Si on commençait déjà par arrêter le chauffage en été dans les hôpitaux publics, on réduirait déjà notre facture de fioul.

Lajoie – Et on ralentirait aussi la propagation des maladies nosocomiales, (prononcer Malheur) Docteur Mahler.

Mahler – D’ailleurs, je me demande si je ne couve pas un petit staphylocoque doré, moi. À moins qu’il ne s’agisse d’une maladie tropicale. En tout cas vous, Mademoiselle Lajoie, vous avez une mine resplendissante.

Lajoie – Merci Docteur. C’est la carotène. Je ne suis pas trop orange au moins ?

Mahler – Mais non, mon lapin. Alors, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ?

Elle lui tend un dossier médical.

Lajoie – Patrick Mariani, quarante ans. Le patient est dans un coma profond suite à un accident de Velib.

Le médecin jette un regard au dossier.

Mahler – Le port du casque, en vélo, ça devrait être obligatoire.

Lajoie – Dans le cas présent, la victime portait bien un casque. Malheureusement, cela n’a pas suffit. Il a percuté un bus de plein fouet.

L’infirmière relève le drap et on découvre que la tête du patient est couverte d’un casque intégral.

Mahler – Mais ici, il ne risque plus rien, à part tomber de son lit. Pourquoi ne lui a-t-on pas retiré son casque ?

Lajoie – C’est tellement en vrac là-dedans… On n’a pas osé lui enlever de crainte que le cerveau ne se répande sur l’oreiller.

Mahler – J’en conclus qu’il y a peu de chance pour qu’il se réveille prochainement…

Lajoie – Arrêt respiratoire ayant probablement entraîné un manque d’oxygénation du cerveau.

Le médecin regarde à nouveau le dossier.

Mahler – Je vois… Encéphalogramme plat. Mort cérébrale apparente. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux abréger ses souffrances tout de suite ?

Lajoie – C’est vrai que ça libérerait un lit, mais…

Mahler – Vous avez raison, il vaudrait mieux consulter les proches avant. La famille a été prévenue ?

Lajoie – Oui, ils ne devraient pas tarder.

Mahler – Parfait.

Lajoie – Pas d’autres recommandations au sujet de ce patient, Docteur ?

Mahler – Laissez-moi réfléchir… Veillez à laisser la visière du casque bien fermée pour éviter que les mouches ne puissent entrer à l’intérieur.

Lajoie – Vous êtes impayable, Docteur Mahler…

Mahler – Impayable, c’est le mot ! C’est pourquoi je vais bientôt opter pour la médecine à deux vitesses, ma chère. Le public n’a plus les moyens de rémunérer mon talent à sa juste valeur… Ça vous dirait de me suivre dans ma nouvelle clinique, si j’avais besoin d’une bonne infirmière en chef ?

Lajoie – Je vous suivrais jusqu’au bout du monde, Docteur Mahler… Même dans un dispensaire gratuit au fin fond de l’Afrique. Alors pourquoi pas dans une clinique bien climatisée à Neuilly ?

Mahler – Je sens que nous allons faire de grandes choses ensemble, Mademoiselle Lajoie… Il ne me reste plus qu’à trouver quelques généreux donateurs pour rassembler les fonds nécessaires à la réalisation de mon projet !

Lajoie – J’ai peut-être une idée à ce sujet…

Mahler – Vraiment ? Vous êtes merveilleuse, Mademoiselle Lajoie.

Elle replace le drap sur le casque intégral.

Mahler – Mais pourquoi est-ce que vous lui couvrez la tête avec ce drap ? Tout à l’heure, j’ai cru qu’il était déjà mort…

Lajoie – Parfois, il ouvre les yeux. Ça doit être nerveux. C’est pour le protéger de la lumière…

Mahler – C’est vrai que ces néons, c’est très agressif… Dans notre clinique, je ferai installer une lumière d’ambiance. C’est beaucoup plus agréable.

Lajoie – Surtout pour ces pauvres gens en fin de vie.

Mahler – Rassurez-vous, ma clinique n’accueillera que des patients solvables et en parfaite santé. Je pense plutôt me recycler dans la chirurgie esthétique…

Lajoie – Les gens riches aussi ont le droit qu’on s’occupe un peu de leurs petits défauts… Moi même, je sais bien que je ne suis pas tout à fait parfaite. Qu’est-ce que vous pensez de ma poitrine, Docteur ?

Ils commencent à partir.

Mahler – Le plus grand bien, Mademoiselle Lajoie. Le plus grand bien. Mais si vous le souhaitez, je regarderai cela de plus près tout à l’heure, n’est-ce pas ? Patient suivant ?

Lajoie – Un SDF que le Samu Social a retrouvé dans la rue cette nuit en coma éthylique. Lui non plus, il n’y a guère de chances pour qu’il se réveille maintenant.

Mahler – Avec la chaleur qu’il fait ici, il ne faudrait pas le garder trop longtemps, sinon ça ne va pas tarder à sentir… Il ne reste pas une petite place dans le congélateur à la cuisine ? Au moins, lui, il serait au frais…

Lajoie – Vous allez me faire mourir de rire, Docteur ! Avec vous, au moins, on ne s’ennuie pas…

Mahler – Avec le métier qu’on fait, il faut bien rigoler un peu…

Ils quittent la chambre.

Aussitôt après, Alban (ou éventuellement Albane selon les besoins de la distribution), un homme (ou une femme) au look bobo, entre dans la pièce, téléphone portable vissé sur l’oreille.

Alban – Écoute, je ne sais pas du tout. Je viens juste d’arriver à l’hôpital, mais je me suis trompé de chambre. Je suis tombé sur un pauvre type en hypothermie qui ne sentait pas très bon. Mais là ça y est, je suis devant lui…

Il aperçoit le patient sur son lit.

Alban – Et il n’a pas l’air d’aller très bien non plus, dis donc… Il y a des fils et des tuyaux partout… On dirait un transformateur électrique. Remarque, je ne suis encore complètement sûr que c’est lui. Il y a un drap qui recouvre son visage… Oui, tu as raison, souvent ce n’est pas très bon signe… Enfin, le médecin ne va pas tarder à passer, j’en saurai un peu plus…

Louise, look bcbg, arrive à son tour.

Alban – Excuse-moi, je vais devoir te laisser. Ma sœur vient d’arriver. D’accord, je t’appelle quand j’ai du nouveau, mais ne m’attends pas pour déjeuner… Moi aussi, je t’embrasse…

Il range son portable et fait la bise à sa sœur.

Louise – Bonjour Alban.

Alban – Bonjour Louise.

Elle aperçoit le patient sur son lit recouvert d’un drap.

Louise – Oh mon Dieu ! Ne me dis pas que j’arrive trop tard… Il est mort ?

Alban – Je pense que s’il était mort, ils auraient débranché tout ça.

Louise – Tu es sûr que c’est lui, au moins ? J’ai commencé par me tromper de chambre…

Alban – Ah toi aussi ? Il faut dire qu’entre la chambre 13 et la 13 bis…

Louise – Espérons que ça lui portera chance quand même…

Alban – Quoi ?

Louise – Le numéro 13 !

Il regarde la feuille de soin accroché au pied du lit.

Alban – Patrick Mariani. Oui, c’est bien ça.

Louise – On pourrait peut-être lui enlever ce drap qu’il a sur la tête, non ?

Alban – C’est vrai que ça ressemble un peu à un suaire, mais bon… Je ne sais pas si…

Louise – Tu as raison. Il vaut mieux ne toucher à rien avant que la police arrive.

Alban – Tu veux dire le médecin…

Louise – Je l’ai croisé dans le couloir, il m’a dit qu’il venait tout de suite.

Alban – Quelle histoire… Ça fait tellement longtemps que je n’avais pas de ses nouvelles… Le retrouver aujourd’hui comme ça… Dans cet état… Et toi, ça va ?

Louise – Oui, oui, ça peut aller…

Silence embarrassé.

Alban – Tu habites toujours à Fontenay-sous-Bois ?

Louise – Je n’ai jamais habité à Fontenay-sous-Bois.

Alban – Sans blague ?

Louise – C’est Fontenay-aux-Roses

Alban – Ah oui, bien sûr…

Nouveau silence embarrassé.

Louise – Et toi, toujours dans la publicité ?

Alban – Je suis dans la finance.

Louise – Ah oui, c’est vrai…

Alban – Et Patrick, tu avais de ses nouvelles ?

Louise – Pas plus que toi… La dernière fois que je l’ai vu, c’est à l’enterrement de papa. Auquel tu n’es pas venu, si ma mémoire est bonne.

Alban – Un empêchement de dernière minute. Mais il faut bien reconnaître que dans la famille… on n’a jamais trop eu le sens de la famille.

Louise – C’est terrible… Décidément. Il n’aura jamais eu de chance.

Alban – Non… Pauvre Patrick… Déjà avec son prénom…

Louise – Quoi ?

Alban – Tu n’as jamais trouvé ça curieux qu’il s’appelle Patrick ?

Louise – Plein de gens s’appellent Patrick.

Alban – Pas des gens de notre milieu. Et pas des gens de son âge.

Louise – C’est vrai… Et à ma connaissance, on n’a aucun grand-père ou aucun oncle qui s’appelle Patrick.

Alban – Je ne sais pas… Il a peut-être été adopté…

Louise – Remarque, ça expliquerait pas mal de choses…

Alban – C’est vrai que ça a toujours été le vilain petit canard…

Louise – Oui… On ne peut pas dire qu’il nous ressemble beaucoup.

Alban – Il a un petit côté asiatique, non ?

Louise – Asiatique, tu crois ?

Alban – Non mais léger, hein.

Louise – Tu crois qu’il aurait été adopté, et qu’on lui aurait laissé son prénom d’origine ?

Alban – En même temps, des Chinois qui s’appellent Patrick…

Louise – Ah oui…

Un temps.

Alban – L’avantage, si finalement on n’était pas vraiment de la même famille, c’est que s’il avait besoin d’un rein, on ne serait pas compatible…

Louise – Oui…

Alban – Ah, tiens… Voilà le médecin, justement… (En aparté) Et vu son nom à lui, ça m’étonnerait qu’il soit porteur de bonnes nouvelles…

Le médecin et l’infirmière entrent avec une mine de circonstances.

Mahler (prononcé Malheur) – Docteur Mahler. Et voici mon infirmière, Mademoiselle Lajoie.

Louise – Bonjour Docteur.

Alban – Mademoiselle…

Louise – Nous sommes venus dès que l’hôpital nous a prévenus.

Mahler – Vous êtes ses frère et sœur, je crois ?

Alban – Oui, enfin…

Mahler – Je suis vraiment désolé pour votre frère.

Louise – Alors c’est si grave que ça ?

Mahler – Je ne vous cacherai pas que son état est extrêmement préoccupant, et que le pronostic vital est engagé.

Louise – Vous pensez qu’il y a encore un espoir ?

Mahler – Monsieur Mariani a subi un traumatisme très violent à la tête. Hélas, la boîte crânienne est gravement endommagée. Il se trouve actuellement plongé dans un coma profond, et il est maintenu en vie artificiellement. Nous allons poursuivre les examens, mais il est à craindre qu’il soit d’ores et déjà en état de mort cérébral.

Alban – C’est un légume, quoi…

Mahler – J’ai fait 14 années d’études supérieures. Je me devais de développer un peu en employant ce jargon médical pour justifier mon salaire astronomique. Mais oui, on peut résumer ça comme ça.

Louise – Donc il n’y a aucune chance qu’il sorte un jour du coma ?

Mahler prend la radio que Lajoie vient de sortir d’un dossier, et leur montre.

Mahler – Voici une radio du crâne de Monsieur Mariani. Comme vous pouvez le constater, les lésions sont nombreuses et les fractures multiples.

Alban et Louise font mine de regarder et d’y comprendre quelque chose.

Louise – Ah oui, en effet, ce n’est pas beau à voir.

Alban – Pourtant, le crâne a l’air en bon état… La courbe est parfaite…

Mahler – Non, ça ce n’est pas le crâne. C’est son casque.

Louise – Son casque ?

Lajoie – La boîte crânienne est tellement endommagée que nous avons préféré lui laisser son casque pour l’instant afin de maintenir le cerveau en place.

Mahler – Enfin ce qu’il en reste…

Alban – Vous voulez dire que sans ça…

Mahler – Imaginez un tas de spaghettis contenu dans une passoire fêlée, le tout contenu dans un casserole. Disons que nous avons jugé plus prudent de laisser la casserole sous la passoire pour éviter que les spaghettis ne se répandent dans l’évier.

Alban – Ah oui, je comprends beaucoup mieux comme ça…

Mahler range ses radios.

Mahler – Je suis vraiment désolé de vous demander ça aussi brutalement, mais… À votre connaissance, Monsieur Mariani avait-il émis des souhaits particuliers pour ce qui est de la marche à suivre dans l’hypothèse où, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, il en viendrait à être maintenu artificiellement en vie ?

Louise – Je ne sais pas… Nous n’avions jamais eu l’occasion d’aborder ce sujet ensemble… Il faut dire qu’on ne se voyait pas très souvent… (À Alban) Il t’en avait parlé à toi ?

Alban – Non… La dernière fois que je l’ai vu, c’était à ton mariage. J’imagine que les circonstances n’étaient pas très favorables pour aborder ce genre de sujet. Encore que… Au moment de la danse des canards, qui peut affirmer sans mentir n’avoir jamais songé au suicide assisté…

Mahler – Je ne vous presse pas, bien sûr. Mais il faudra que vous y pensiez pour ce qui est de votre frère.

Lajoie – Et le cas échéant, il y aura aussi un choix à faire en ce qui concerne un éventuel don d’organe.

Alban – Un don d’organe ? Ah non, mais… Il faut vous préciser, Docteur… Nous avons de bonnes raisons de supposer que Patrick n’est que notre frère adoptif… Nous ne sommes donc probablement pas compatibles pour un don d’organe…

Lajoie – Je crois que le Docteur Mahler pensait plutôt au fait de donner les organes de Patrick…

Alban – Les organes de… Bien sûr… C’est évident… Et personnellement, j’y suis tout à fait favorable. Si cela peut sauver une vie…

Mahler – Quoi qu’il en soit, évidemment, il faudra aussi prendre l’avis de Madame Mariani. Elle vient de nous appeler, et elle ne devrait pas tarder à arriver.

Louise – Madame Mariani…

Lajoie – Son épouse. Votre belle-sœur.

Alban – Bien sûr…

Mahler – Je vous laisse avec votre frère… Vous pouvez lui parler, évidemment, mais je ne peux pas vous garantir qu’il soit en mesure de vous entendre…

Alban – Merci Docteur.

Mahler – Je reste à votre entière disposition… Et en cas de besoin, vous pouvez aussi sonner. Une infirmière viendra… Ou le cas échéant un prêtre…

Le médecin et l’infirmière sortent. Alban et Louise jettent un regard vers le patient.

Louise – Tu savais qu’il était marié ?

Alban – Non…

Louise – Il aurait au moins pu nous envoyer un faire-part. Je ne sais pas si je serai allée à son mariage, mais bon… Ça se fait, non ?

Alban – C’est curieux, je ne l’imagine pas marié.

Louise – Ouais… Je serai curieux de savoir à quoi ressemble sa femme…

Alban – D’après ce que dit le médecin, on ne devrait pas tarder à le savoir…

Justement Josiane, l’épouse présumée de Patrick, arrive. Le personnage peut être incarné par une femme au look et à l’attitude peu féminine, ou encore par un homme travesti en femme.

Josiane – Oh mon Dieu ! Patrick !

Alban et Louise échangent un regard intrigué.

Josiane – Ne me dites pas que j’arrive trop tard ?

Alban – Rassurez-vous, il est encore en vie. Enfin si on peut dire…

Josiane – Josiane. Je suis la compagne de Patrick. Mais qui êtes-vous ?

Alban – Je suis son frère…

Louise – Et moi sa sœur…

Josiane – C’est curieux… Il ne m’avait jamais parlé de vous…

Alban – Il ne nous avait pas dit non plus qu’il était marié…

Josiane – C’était un garçon très discret. Enfin, je veux dire… C’est toujours un garçon très discret.

Alban – C’est sûr que dans l’état où il est, pour la discrétion.

Josiane – Le médecin vous a dit s’il y avait encore un espoir ?

Louise – Il ne nous a guère rassuré, à vrai dire… Croyez bien que nous sommes aussi désolés que vous… Vous aviez des enfants ?

Josiane – Pas encore, hélas… J’aurais au moins pu garder un souvenir de lui…

Louise – Bien sûr.

Josiane – Mais ils vont essayer de le soigner, quand même ?

Alban – Je crois qu’ils nous ont surtout fait venir pour savoir si on était d’accord pour abréger ses souffrances…

Josiane – Abréger ses souffrances ?

Louise – Patrick est malheureusement plongé dans un coma profond suite à son accident.

Josiane – Son accident ? Mais qu’est-ce qui s’est passé, au juste ?

Alban – C’est vrai, ça… Qu’est-ce qui lui est arrivé, au fait ?

Louise – On a oublié de demander…

Alban – Un accident de la route, peut-être.

Josiane – Patrick n’avait pas son permis.

Alban – Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression que le Docteur Mahler n’attend plus que notre feu vert pour le débrancher…

Josiane – Le débrancher ? On dirait que vous parlez d’un grille-pain. C’est votre frère, tout de même…

Louise – Pour tout vous dire, cela fait des années qu’on ne se voyait plus…

Alban – Je me demande même pourquoi on nous a fait venir.

Louise – Certes, nous sommes sa seule famille à part vous, mais prendre une décision pareille…

Alban – Moi je ne suis pas croyant, alors l’euthanasie, je n’ai rien contre. C’est le mot qui n’est pas très vendeur. Surtout la deuxième moitié.

Josiane – La deuxième moitié ?

Alban – Nazi !

Louise – C’est vrai que les Allemands ne nous ont pas laissé un bon souvenir de l’euthanasie…

Alban – Ce qui nuit beaucoup à l’image de cette pratique pourtant bien utile dans des cas comme celui-ci.

Louise – Il vaudrait peut-être mieux que ce soit vous qui preniez la décision. C’est vrai, vous le connaissiez mieux que nous, au fond…

Josiane se met à sangloter de façon assez peu convaincante.

Josiane – Non, je ne suis pas prête à… le débrancher comme vous dites… Pas pour l’instant en tout cas…

Louise – Nous respectons tout à fait votre décision, croyez-le. N’est-ce pas Alban ?

Alban – Évidemment… (Il jette un regard à sa montre) D’ailleurs, je ne vais pas tarder à vous laisser… Puisqu’on ne peut rien faire pour l’instant…

Louise – Moi aussi… J’ai un dîner ce soir et…

Alban – Je ne pense pas que dans l’état où il est, de toute façon, notre présence fasse une grande différence…

Josiane – Je vais rester auprès de lui, si vous le permettez…

Louise – Mais bien sûr… Vous êtes sa femme après tout…

Alban et Louise s’apprêtent à décamper mais l’infirmière revient.

Lajoie – Ah, vous devez être Madame Mariani, je présume…

Josiane – Oui… Vous pouvez me donner quelques précisions sur l’état dans lequel se trouve Patrick ?

Lajoie – Nous attendons les derniers résultats d’analyses, mais je ne vous cacherais pas que nous ne sommes pas très optimistes.

Josiane – Son état empire ?

Lajoie – Non, on ne peut vraiment pas dire ça. Disons que son état est stationnaire.

Josiane – Dans ce cas, il y a peut-être encore un espoir.

Lajoie – Malheureusement, chère Madame, stationnaire dans le cas présent ne signifie rien de bon.

Alban – L’état d’un légume aussi peut être stationnaire.

Lajoie – Monsieur Mariani se trouve en effet dans un état végétatif. Et il y a hélas peu de chances pour qu’il en sorte un jour.

Josiane – Vous êtes sûre ?

Lajoie – Malheureusement, je crois qu’il faudrait aussi que vous envisagiez ce qui vous paraît le mieux pour lui.

Louise – Vous croyez qu’il souffre ?

Lajoie – C’est difficile à dire, mais… vous conviendrez que survivre dans ces conditions… ce n’est pas une vie.

Louise – Madame a raison, Josiane. Je comprends votre douleur, mais on ne peut pas le laisser comme ça…

Lajoie – Il y a un moment où il faut faire son deuil. Le départ d’un être cher, c’est une épreuve que le Seigneur nous envoie, bien sûr. Mais quand le moment est venu, autant ne pas retarder l’échéance et affronter les choses en face. Il y a des tas de paperasses à remplir. Et puis il y a la succession, évidemment. Mieux vaut ne pas laisser traîner tout ça inutilement.

Alban – La succession ?

Louise – C’est vrai, la succession, on avait oublié ça…

Alban – Et les héritiers, c’est qui ?

Lajoie – Eh bien au premier chef… (À Josiane) C’est vous sa femme, non ?

Josiane – Oui, enfin…

Lajoie – Si votre mari venait à décéder, c’est vous qui hériterez, bien sûr… D’ailleurs, en tant qu’épouse du patient, j’aurais quelques papiers à vous faire signer dès maintenant…

Josiane – C’est à dire que… En fait, on n’était pas encore mariés…

Lajoie – Ah… Et vous n’aviez pas d’enfants non plus ?

Josiane – Non…

Lajoie – Dans ce cas, ce sont ses frère et sœur qui hériteront… Mais je me doute que ce n’est pas votre principal souci en ce moment…

Alban (rêveur) – Non, bien sûr…

Lajoie – Je vous laisse réfléchir à tout ça en famille…

L’infirmière s’en va.

Josiane – Je crois que j’ai besoin de me rafraîchir un peu…

Josiane sort vers la salle de bain.

Alban – Alors ce serait nous, les héritiers…

Louise – On était sa seule famille, alors s’il n’est pas marié…

Alban – C’est dingue…

Louise – Oui…

Alban – Tu crois qu’il avait beaucoup de fric ?

Louise – Ça m’étonnerait, mais bon… Va savoir… On ne l’avait pas vu depuis des années…

Alban – Je ne sais même pas ce qu’il faisait comme métier, Patrick.

Louise – Je ne sais pas pourquoi, mais je l’imagine plutôt au chômage, pas toi ?

Alban – Si… Et même en fin de droit, non ?

Louise – Certainement pas redevable de l’ISF, en tout cas.

Alban – Il faudrait demander à sa femme… Enfin à Josiane… Elle doit bien savoir, elle…

Josiane revient.

Louise – Ça va mieux ?

Josiane semble chercher quelque chose. 

Josiane – Ça va… Vous savez où ils ont rangé ses affaires ?

Louise – Ses affaires ?

Josiane – Il n’avait pas une valise, en arrivant ici ?

Alban – S’il a été hospitalisé à la suite d’un accident, je ne pense pas qu’il ait eu le temps de faire sa valise…

Louise – Comme dans le cas d’un accouchement…

Alban – Pourquoi voulez-vous savoir s’il a une valise ? Je ne crois pas qu’il en ait beaucoup besoin en ce moment…

Josiane – Non, bien sûr… Excusez-moi, c’est les nerfs…

Alban – Et sinon… vous qui viviez avec lui, vous pourriez nous donner un peu de ses nouvelles ? Je veux dire, comme on ne l’avait pas vu depuis très longtemps…

Louise – Oui, comment ça marchait pour lui ?

Josiane – Comment ça marchait ?

Louise – Les affaires… Il avait un métier ?

Josiane (ailleurs) – Un métier ? Patrick ?

Alban – Je me disais aussi…

Josiane semble préoccupée par autre chose.

Josiane – Je vais quand même demander à l’infirmière s’ils ont rangé sa valise quelque part…

Elle sort.

Alban – Elle a l’air passablement perturbée, non ?

Louise – On le serait à moins.

Alban – En tout cas, apparemment, il n’avait pas fait fortune… Alors question succession…

Louise – Il n’a peut-être pas fait fortune… mais il y a trois ans, quand notre mère est morte, il a quand même touché sa part de l’héritage de nos parents.

Alban – Merde, c’est vrai, tu as raison…

Louise – Ça nous permettrait de récupérer ça… Je veux dire, c’est normal que ça nous revienne. Après tout, pourquoi est-ce que ça sortirait de la famille ?

Alban – Surtout que Patrick n’était peut-être même pas vraiment de la famille. Si nos parents l’ont adopté en Chine. Ou même dans le Treizième arrondissement.

Louise – Je t’avoue que moi, en ce moment, ça m’arrangerait assez, une petite rentrée d’argent. On vient d’acheter une maison en Provence, juste à côté de celles de Charles Aznavour…

Alban – Non ? Ah oui, c’est très beau la Provence.

Louise – Le problème c’est qu’il y a pas mal de travaux avant que ça ressemble à la maison de Charles Aznavour, tu vois. Pour l’instant, ça ressemblerait plutôt à un moulin en ruines…

Alban – C’est sûr que là, il est comme un légume…

Louise – Ce serait un geste de compassion, en somme.

Ils restent pensifs un instant.

Alban – Et s’il avait déjà tout claqué ?

Louise – Tu crois ?

Alban – C’est Patrick, quand même…

Josiane revient.

Josiane – Non, apparemment, il n’avait pas de valise…

Louise – Mais sinon, ça allait ? Il n’avait de problèmes financiers au moins ?

Josiane – Des problèmes financiers ?

Alban – Je crois qu’il avait récemment touché un petit héritage. J’espère qu’il l’a géré en bon père de famille…

Josiane – En père de famille ? Je vous ai dit qu’on n’avait pas d’enfants.

Louise – Ah oui, c’est vrai…

L’infirmière revient.

Lajoie – Alors ? Vous avez pu débattre en famille de ce qui serait le mieux pour la fin de vie de l’être aimé ?

Alban – C’est à dire que…

Louise – Nous n’avons pas encore pris notre décision.

Alban – Et nous ne sommes pas forcément tous d’accord…

Louise – Madame n’est pas encore tout à fait prête à ce que…

Josiane semble toujours chercher quelque chose.

Josiane – Donc, il n’avait pas de valise en arrivant ici, nous sommes bien d’accord ?

Elle regarde même sous le lit.

Lajoie – Ceci dit, si Monsieur Mariani n’était pas marié, c’est à ses frère et sœur qu’il revient de décider de ce qui est le mieux pour lui.

Alban – En fait… nous aimerions avoir encore quelques informations supplémentaires.

Lajoie – Vous voulez dire… sur son état médical, j’imagine. Et bien comme je vous le disais tout à l’heure…

Alban – Nous pensions aussi à l’aspect financier.

Lajoie – Ne vous inquiétez pas pour ça. L’euthanasie n’est pas encore remboursée par la Sécurité Sociale, mais nous considérerons cet acte médical comme un geste de charité chrétienne entièrement désintéressé. Maintenant, si vous tenez absolument à faire un don, le Docteur Mahler a le projet de créer une fondation à Neuilly pour…

Louise – Nous pensions plutôt à l’aspect successoral…

Lajoie – La succession, je vois… Et c’est bien normal.

Alban – Vous savez si Monsieur Mariani était à l’aise financièrement ?

Lajoie – En tout cas, il était suffisamment à l’aise pour se payer un abonnement Velib… Mais il faudrait plutôt demander cela à sa dernière compagne…

Josiane a la tête ailleurs, mais réagit en entendant qu’on parle d’elle.

Josiane – Pardon ?

Lajoie – Maintenant, il faut que vous sachiez qu’en acceptant l’héritage de votre frère, vous acceptez aussi de prendre en charge ses dettes éventuelles. Notamment ses frais d’hospitalisation…

Louise – Sans blague ?

Alban et Louise considèrent un instant le malade et tout le dispositif médical qui l’entoure.

Alban – Ça doit coûter un max ces soins intensifs, non ?

Lajoie – Ah oui, une fortune. En principe, c’est assez bien remboursé. Mais quand on n’a pas une bonne mutuelle…

Louise – Et Patrick, il a une bonne mutuelle ?

Lajoie – Il faudra que je vois cela avec la comptabilité… Mais en cas de doute, vous pouvez toujours refuser l’héritage, et vous désister au profit de la fondation du Docteur Mahler…

Alban – Ah, oui, évidemment…

Lajoie – En tout cas, pour ce qui est de son maintien en vie, je vous conseille quand même de bien peser le pour et le contre… Car bien sûr s’il restait des années dans le coma, ça ne fera qu’augmenter la facture…

Louise – Dans ce cas, il faudrait peut-être songer à abréger rapidement ses souffrances. Qu’est-ce que tu en penses, Alban ?

Lajoie – Je vous laisse réfléchir encore un peu…

Elle sort.

Louise (à Josiane) – Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Josiane – Il y a encore une petite chance qu’il sorte du coma, non ?

Alban – Après tout, si on refuse l’héritage, qu’il reste en vie ou pas…

Louise – Oui, on ne va peut-être pas précipiter sa fin. Ce n’est pas très chrétien…

Alban – Il faudra que je demande à mon avocat, mais même si on refuse l’héritage, je me demande si les frais d’hospitalisation ne restent pas à la charge de la famille. Ils appellent ça le devoir d’assistance.

Louise – Le devoir d’assistance ? Mais on le connaît à peine, Patrick !

Il s’approche du patient.

Alban – Vous croyez qu’il nous entend ?

Josiane – Allez savoir…

Louise – Et pour ce qui est de donner ses organes, qu’est-ce que vous en pensez ?

Alban – Donner ses organes ?

Louise – Quoi ? Tu veux les vendre ?

Alban – Je ne sais pas… On pourrait en tirer combien ?

Louise – Ça pourrait peut-être rembourser les frais d’hospitalisation… Je déconne. C’est les nerfs.

Alban – Tu es sûre qu’il ne nous entend pas ?

Louise (à Josiane) – Vous savez quelle position il avait en ce qui concerne les dons d’organes ?

Josiane – Non…

Moment de flottement.

Louise (à Josiane) – Et ça vous dirait d’épouser Patrick, avant qu’on le débranche ?

Alban – Et avant qu’on lui retire ses organes, bien sûr.

Louise – Comme ça vous pourriez porter son nom. Ça vous ferait un souvenir.

Alban – À défaut d’enfants.

Louise – Oui, je pense qu’il ne serait pas raisonnable d’aller jusqu’à l’insémination post mortem.

Alban – Maintenant, je ne sais pas si on peut épouser quelqu’un dans le coma… Il faudrait aussi que je pose la question à mon avocat…

Josiane – C’est ça, oui… Je vous vois venir avec vos gros sabots… Tout à l’heure, je ne faisais pas partie de la famille. Et maintenant vous voulez que je l’épouse pour que ce soit moi qui règle la facture de l’hosto…

Louise – Il ne faut pas voir les choses comme ça, voyons…

Le Docteur Mahler arrive.

Mahler – Alors ? Tout va bien, ici ? Enfin je veux dire… Compte tenu des circonstances. On vous a proposé un café ? Une viennoiserie ?

Louise – Ah Docteur ! Justement, nous aurions bien besoin de vos conseils…

Mahler – Mais je vous en prie. Nous sommes là pour vous aider.

Alban – C’est au sujet de la mutuelle de Patrick.

Mahler – Hélas, votre frère n’avait pas de mutuelle. Et sans vouloir vous affoler, il n’était plus couvert non plus par la Sécurité Sociale depuis plus de six mois. Mais je ne voudrais pas vous inquiéter avec ça pour l’instant…

Louise – Je vous rassure, nous sommes déjà passablement inquiets…

Mahler – Je comprends… Voir son frère… ou son compagnon dans un état pareil… C’est très difficile à vivre, je le sais.

Josiane – Mais vous pensez qu’il y a encore une chance pour qu’il puisse reparler un jour ?

Mahler – Reparler ? Mon Dieu… Un miracle est toujours possible. Mais pour les miracles, je le crains, il faudra vous adresser plus haut. Les miracles, c’est moins sûr que l’euthanasie, mais contrairement aux soins intensifs, c’est pris en charge à cent pour cent par l’Église…

Louise – Merci pour ces paroles réconfortantes, Docteur…

Mahler – Ah j’oubliais, un policier vient de se présenter à l’accueil.

Josiane – Un policier ?

Mahler – Je lui ai dit que le patient n’était pas en état de répondre à ses questions, mais il souhaiterait entendre les proches. Je lui ai dit de monter… En tout cas, si vous changez d’avis pour le café et les viennoiseries, n’hésitez pas à sonner le room service…

Le médecin s’en va.

Alban – Un policier ? Pourquoi un policier ?

Louise – Ils font peut-être une enquête pour établir les circonstances exactes de l’accident, c’est normal…

Alban – C’est vrai. On ne sait toujours pas comment c’est arrivé, cet accident.

Louise – L’infirmière a parlé d’un abonnement Velib…

Alban – Alors vous non plus, vous savez comment ça s’est passé ?

Josiane – C’est à dire que… Enfin non, pas exactement.

Louise – Ce policier nous en dira sûrement plus.

Alban (voyant le malaise de Josiane) – Vous n’avez pas envie de savoir ?

Josiane – Écoutez, je n’ai pas le temps de vous expliquer, mais s’il vous plaît, ne parlez pas de moi à la police, d’accord ?

Alban – Et pourquoi ça ?

Josiane – Je… Je ne suis pas la femme de Patrick… Je veux dire, je n’étais pas vraiment sa compagne non plus.

Louise – Ah bon ? Mais alors vous êtes qui ?

Josiane – Disons que… nous étions en affaires, voilà.

Alban – En affaires ? Quelles genres d’affaires ?

Louise – Le genre d’affaires dont la police ne doit pas être au courant, apparemment…

On frappe à la porte.

Josiane – Je vous expliquerai tout à l’heure. Je vais me planquer dans la salle de bain en attendant que le flic soit parti…

Le commissaire Sanchez (homme ou femme) arrive.

Sanchez – Commissaire Sanchez. (S’épongeant le front) Il fait une chaleur ici, non ? Vous devez être la famille, j’imagine…

Alban – Son frère et sa sœur, oui.

Sanchez – J’enquête sur l’affaire dans laquelle votre frère est impliqué.

Louise – L’affaire ? C’est un accident de Velib, non ? Ce n’est quand même pas le naufrage du Costa Concordia…

Sanchez – C’est un peu plus compliqué que ça, en fait…

Alban – Vraiment ?

Sanchez – Je pensais que vous étiez déjà au courant… Votre frère est dans le coma à la suite d’un braquage.

Louise – Un braquage ?

Sanchez – Le braquage du Crédit Mutuel près duquel il habitait.

Alban – Je vois. Patrick a toujours eu l’esprit mutualiste.

Louise – Surtout lorsqu’il s’agissait de nous taper de l’argent.

Alban – Il passait par là en vélo, et il a pris une balle perdue, c’est ça ?

Louise – Quelque part, ça ne m’étonne pas.

Alban – Notre frère n’a jamais eu de chance…

Sanchez – En fait, ça ne s’est pas passé exactement comme ça… Votre frère a bien été impliqué dans une affaire de braquage mais… c’était lui le braqueur.

Sidération des deux autres.

Louise – Patrick ? Il a braqué Le Crédit Mutuel ?

Sanchez – Oui. Enfin, avec un complice.

Alban – Un braquage… Ça ne lui ressemble pas…

Louise – Un braquage en Velib ? Avec un casque intégral sur la tête ?

Alban – Ah oui remarquez ça, ça lui ressemblerait davantage…

Sanchez – Vous saviez quelque chose de ses activités illicites ?

Louise – Ça fait des années qu’on ne le voyait plus…

Alban – En Velib… Il devrait avoir les circonstances atténuantes, non ? Somme toute Patrick vient d’inventer le braquage écolo…

Louise – Donc ce n’est pas un accident de la route ?

Sanchez – Oui et non… Votre frère a heurté un bus de plein fouet après une course poursuite avec la police dans les rues de Paris.

Alban – Une course poursuite ? Il était en Velib ! Et les policiers ? Ils étaient en rollers ?

Sanchez – Ce n’est pas une plaisanterie Monsieur Mariani. Nous parlons d’une attaque à main armée.

Louise – Nous en sommes bien conscients, Monsieur l’Inspecteur. D’ailleurs je vous rappelle que notre frère est entre la vie et la mort…

Sanchez – J’en suis désolé, croyez-le bien… Surtout que sans cet accident, il aurait pu nous donner le nom de sa complice…

Alban – Sa complice ? Donc c’est une femme…

Sanchez leur met une feuille sous les yeux.

Sanchez – Voici son portrait robot. Ce visage vous dit quelque chose ?

Alban – Malheureusement, je n’ai pas sur moi mes lunettes pour voir de près… (Il fait semblant d’avoir des difficultés à lire) Vous savez ce que c’est, quand on devient presbyte…

Sanchez (à Louise) – Et vous ?

Louise – Qui ? Moi ? Alors là, vous savez… Il n’y a pas moins physionomiste que moi… Les gens, je les confonds tous. C’est bien simple. Vous m’emmèneriez dans un club échangiste, je serais fichu de coucher avec mon mari parce que je ne l’aurais pas reconnu…

Sanchez – Je vois…

Alban – Vous avez bien de la chance…

Sanchez s’approche du lit.

Sanchez – Je me suis entretenu tout à l’heure avec le médecin… D’après lui, il y a peu de chances que le suspect sorte du coma dans un avenir prévisible.

Alban – S’il en sort, c’est pour aller en prison… Ça ne risque pas de le motiver beaucoup pour sa résurrection.

Louise – Qu’est-ce qu’il risque au juste ?

Sanchez – S’il nous donnait le nom de sa complice et qu’il rendait le butin, les juges seraient peut-être enclin à la clémence, mais bon…

Alban – Combien ?

Sanchez – L’arme était factice, mais sur le papier, c’est le même tarif. En théorie, ça va chercher dans les vingt ans.

Alban – Non, je voulais le butin… Combien ?

Sanchez – Trois millions.

Alban – Trois millions d’euros ?

Louise – Ah oui, quand même…

Alban – Moi qui pensais que Patrick n’avait aucune ambition… Il remonterait presque dans mon estime…

Louise – Et vous dites qu’on n’a pas retrouvé ces trois millions d’euros ?

Sanchez – Des témoins ont confirmé que c’est bien votre frère qui avait la mallette après le braquage au Crédit Mutuel… Mais quand on l’a retrouvé après son accident, la mallette n’était plus là…

Alban – Comment ça s’est passé, exactement ?

Sanchez – Les deux complices se sont enfuis chacun de leur côté après le braquage pour brouiller les pistes. Elle, on a perdu sa trace. Votre frère, on a fini par le localiser du côté de la Gare Saint Lazare.

Louise – Le relocaliser…

Sanchez – Un type en Velib avec un casque intégral, c’est quand même assez visible…

Alban – Apparemment pas assez pour le chauffeur de bus qui lui est passé dessus…

Sanchez – En tout cas, avant son accident, il a eu le temps de se débarrasser de la valise.

Louise – La valise…

Sanchez – Vous savez quelque chose à propos de cette valise ?

Louise – Non, non, rien…

Sanchez – Quoi qu’il en soit, sachez que votre frère est sous mandat d’arrestation. En principe, je devrais rester ici faire le planton au cas où il se réveille, mais…

Alban – Dans l’état où il est, il ne risque pas de s’échapper…

Sanchez – Et puis pour tout vous dire, je déteste les hôpitaux… Ça me déprime.

Alban – Oui… Et il paraît que c’est bourré de microbes résistants à tous les antibiotiques.

Louise – Vous connaissez le proverbe : L’hôpital, on sait quand on y entre, on ne sait jamais si on en sortira vivant.

Alban – Même quand on vient seulement pour rendre visite à un malade… ou même à une femme qui vient d’accoucher. Personnellement, rien que pour çà, j’ai refusé d’assister à la naissance de mes trois enfants.

Sanchez – Non ?

Louise – C’est clair qu’en termes de microbes et de virus, l’hôpital, c’est un véritable bouillon de culture.

Alban – Le service des maladies tropicales est juste à côté. Le Docteur Mahler me racontait que la semaine dernière, ils ont même eu un cas de Malaria.

Louise – Il n’a pas dit la fièvre Ébola ?

Alban – Ah oui, peut-être…

Sanchez – Il vous a dit ça ?

Louise – Gardez-le pour, mais à mon avis, cet hôpital devrait déjà être en quarantaine. Il paraît que les infirmières tombent comme des mouches…

Sanchez semble maintenant pressé de partir.

Sanchez – Bon, dans ce cas, je vais vous laisser… Je reviendrai prendre des nouvelles de temps en temps…

Alban – Merci de votre sollicitude, Inspecteur.

Alban lui tend une main qu’il ne peut pas refuser de serrer.

Sanchez – Vous permettez que je me lave les mains avant de partir ?

Louise – Où ça ?

Sanchez – Dans la salle de bain !

Consternation des deux autres.

Alban – C’est à dire que…

Sanchez – Il y a un problème ?

Louise – Non, non, aucun problème…

Sanchez entre dans la salle de bain. Les deux autres échangent un regard inquiet.

Alban – On n’aura qu’à dire qu’elle a menacé de nous tuer si on parlait d’elle…

Louise – Avec son arme factice ?

Alban – On n’était pas supposé savoir !

Sanchez revient.

Sanchez – J’ai vraiment très chaud depuis que je suis arrivé ici. J’espère que je n’ai pas déjà attrapé une saloperie… En tout cas, vous me prévenez si votre frère se réveille, d’accord ?

Louise – Nous n’y manquerons pas, Inspecteur…

Sanchez s’en va.

Louise – Comment elle a fait ?

Alban – Elle s’est peut-être planquée derrière le rideau de douche. J’ai vu faire ça dans un film d’horreur…

Alban – En tout cas, je crois que côté héritage, on peut oublier. Si Patrick en était à braquer Le Crédit Mutuel en Velib, c’est que la période ne devait pas être très faste.

Louise – Reste le butin du braquage…

Alban – Ah oui… La valise…

Louise – Voilà pourquoi Josiane refuse de débrancher Patrick avant qu’il lui ait dit ce qu’il avait fait du fric…

Alban – Je comprends maintenant pourquoi elle tenait absolument à savoir si Patrick avait des bagages en arrivant ici…

Josiane revient.

Josiane – Heureusement, la salle de bain communique avec la chambre d’à côté.

Alban – Le patient qui l’occupe n’a pas été surpris de vous voir ?

Josiane – Il est dans le coma, lui aussi…

Louise – Ah oui, la 13 bis…

Josiane – Ok, j’ai tout entendu…

Louise – Alors ?

Josiane – D’accord, la complice c’est moi.

Alban – Sans blague… D’ailleurs, votre portrait robot est d’une ressemblance saisissante.

Louise – On va avoir du mal à expliquer à l’inspecteur qu’on ne vous ait pas reconnue s’il apprend qu’on vous a rencontrée ici…

Josiane – Alors merci pour votre discrétion…

Alban – Il n’empêche qu’on pourrait avoir de gros ennuis…

Louise – Et qu’est-ce qu’on gagne ?

Josiane – D’accord, si vous m’aidez à remettre la main sur ce fric on partage. Ça fait un million chacun…

Louise – On partage en trois ?

Alban – Et qu’est-ce qu’on fait de Patrick ?

Josiane – Dans l’état où il est de toute façon…

Louise – Justement. Ça ne va pas être facile de lui faire dire ce qu’il a fait du magot.

Josiane – Il se confiera peut-être plus facilement à sa famille.

Alban – Et ensuite ?

Josiane – Si on arrive à lui faire cracher le morceau, on peut toujours le débrancher après. Plutôt que de le laisser vivre comme un légume. Et puis trois millions divisés en quatre… Vous conviendrez que ça ne fait pas un compte rond…

Alban – Sans compter que ça lui éviterait de vous dénoncer à la police, pas vrai ?

Josiane – J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas très liés. Vous ça vous évitera de payer ses frais médicaux pendant des années…

Louise – J’aimerais être vraiment sûre qu’il ne nous entend pas…

Alban – Tu crois qu’il pourrait simuler ?

Josiane – Simuler un coma profond ? C’est possible ?

Louise – Il avait quand même des dispositions naturelles, non ? Tu te souviens quand on était gamins ? Parfois il avait le sommeil tellement profond… Le matin on se demandait s’il n’était pas dans le coma.

Ils s’approchent tous les trois du lit.

Josiane – Peut-être que ce salopard veut garder le fric pour lui tout seul…

Louise – Patrick, tu nous entends ?

Alban – Avec le casque intégral, ce n’est pas très commode.

Louise – Le médecin a dit que si on lui enlevait, le cerveau risquait de se répandre sur l’oreiller…

Josiane – On n’a qu’à simplement ouvrir la visière.

Elle ouvre la visière.

Alban – Patrick, c’est moi ton frère, Alban…

Josiane le secoue un peu rudement.

Josiane – Patrick ? Mais putain, tu vas parler ! Où est-ce que tu as foutu l’oseille ?

Louise – Doucement, vous allez le tuer !

Alban – Il a ouvert la bouche…

Josiane – Merde, c’est vrai.

Louise – On dirait qu’il veut nous dire quelque chose…

Alban – C’est peut-être nerveux…

Josiane – Regardez, on croirait… Il a quelque chose dans la bouche !

Louise – Ah oui, en effet…

Josiane met sa main dans la fente du casque.

Josiane – Mais crache, bon sang !

Alban – Doucement quand même.

Josiane – Ah le salaud, il m’a mordu…

Alban – J’espère pour vous qu’il n’est pas contagieux…

Louise – Et alors, qu’est-ce que c’est ?

Josiane sort de la bouche de Patrick une clef qu’elle brandit.

Josiane – Oh putain ! Une clef !

Louise – Une clef ?

Josiane – Ça ressemble à une clef de consigne… Il a peut-être eu le temps de planquer la mallette dans une consigne de gare…

Louise – Et il a essayé d’avaler la clef en voyant qu’il allait être rattrapé par la police.

Alban – Les gares, ce n’est pas ça qui manque à Paris…

Josiane – Le flic a dit qu’il avait eu son accident près de la Gare Saint Lazare.

Alban – C’est dingue… On se croirait dans un film policier.

Louise – Ou dans une pièce de théâtre…

Josiane – Moi je ne peux pas y aller. Les flics me recherchent, et ils ont mon portrait robot.

Alban – Très ressemblant, d’ailleurs.

Josiane (à Louise) – Vous n’avez qu’à y aller, vous.

Louise – Moi ?

Josiane – Avec votre look de bourgeoise coincée, vous passerez plus inaperçue.

Louise – Merci bien… Et si je me fais arrêter ?

Alban – On parle de trois millions d’euros, là… Pense à tous les travaux que tu pourrais faire au noir dans ta maison en Provence.

Louise – Et pourquoi on n’y va pas tous les deux ?

Josiane – C’est ça, pour que vous partiez avec l’oseille. Pas question. (Elle sort un flingue et le braque sur eux) Lui il reste ici.

Louise – Ouais oh ça va, pas à nous… Le flic a dit que c’était une arme factice.

Josiane – Ok, mais n’essayez pas de m’embrouiller, hein ?

Alban – Et puis il faut bien que l’un de nous reste au chevet de Patrick. Sinon, ça paraîtrait bizarre.

Louise – Je ne sais pas trop, quand même… Vous ne pensez pas que ce serait mieux de prévenir la police ?

Josiane – Pour que j’aille en taule ?

Alban – Et puis il n’y a peut-être rien dans cette consigne. Si on trouve quelque chose, il sera toujours de temps de savoir ce qu’on en fait.

Louise – En attendant, ça s’appelle du recel…

Alban – Pense à tout ce que tu pourrais faire avec un million d’euros.

Louis – Ouais…

Alban – Tu pourrais faire de ton moulin en ruine un château ! Avec une piscine encore plus grande que celle de Charles Aznavour !

Louise – J’y vais.

Elle sort. Les deux autres échangent un regard embarrassé.

Le portable de Alban sonne, il répond. Josiane s’approche du patient.

Alban – Oui… Non, je suis toujours à l’hôpital là… C’est à dire que… Disons que c’est un peu plus compliqué que prévu… Écoute, à toute chose malheur est bon, ça pourrait aussi être une bonne nouvelle, finalement… Patrick ? Ah, non, lui il est toujours dans le coma… Écoute, je te raconterai… Je ne peux pas te parler, là… Non, non, ne m’attends pas pour dîner… Ok, moi aussi…

Josiane – On dirait qu’il respire mieux, depuis qu’on lui a retiré cette clef de la gorge, non ?

Alban – On lui a peut-être sauvé la vie…

Josiane – Ne nous emballons pas, quand même.

Alban – Il faudrait prévenir le médecin, non ?

Josiane – Pour que les flics le mettent en taule ?

Justement, l’infirmière fait une brève apparition.

Lajoie – Tout va bien ?

Josiane – Disons que… c’est stationnaire.

Lajoie – N’hésitez pas à sonner si vous avez besoin de moi.

Elle repart.

Alban – Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?

Josiane – Pour l’instant on attend.

Ils s’installent chacun sur une chaise et commencent à somnoler. On suppose qu’ils s’assoupissent pendant un moment. Ellipse qui peut être suggérée par un changement de lumière. Le portable de Alban sonne à nouveau. Il se réveille en sursaut. Josiane continue à dormir.

Alban – Ah Louise… Alors ça y est, tu as trouvé la consigne ? Une mallette ! Oh putain… Non, tu as raison, il vaut mieux ne pas l’ouvrir dans le métro, c’est bourré de pickpockets. Alors si la valoche est pleine de billets de banque… Josiane ? Non, elle roupille, là… Écoute, je ne sais pas si… Je ne peux filer à l’anglaise, comme ça, sans rien lui dire ? On a passé un deal avec elle, quand même… Ok, voler une voleuse, ce n’est pas vraiment voler, mais…

Josiane se réveille et entend la fin de la conversation. Alban s’en rend compte et change de ton.

Alban – Je crois qu’il vaut mieux que tu rappliques ici, et on verra ça tous ensemble, d’accord ? Ok, à tout de suite…

Il range son portable. Josiane lui lance un regard méfiant.

Josiane – Vous ne cherchez pas à me doubler, au moins ?

Alban – Mais pas du tout ! Louise a la mallette ! Elle arrive…

Le médecin revient.

Mahler – Quel touchant tableau de famille… Patrick a vraiment de la chance d’avoir des proches aussi aimants pour le veiller comme ça… Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, vous savez…

Alban – Oui, je… Mais après tout, on ne meurt qu’une fois, n’est-ce pas ?

Le médecin examine un peu les appareils entourant le patient.

Mahler – Hélas, je ne vois guère d’évolution. L’encéphalogramme est toujours plat.

Alban – Remarquez, je ne suis pas sûr qu’avant son accident son encéphalogramme avait beaucoup plus de reliefs, mais bon… Je plaisante.

Mahler – Vous avez raison. Ça aide à dédramatiser. Et puis comme je dis toujours à mes patients en soins palliatifs : Nous ne sommes que de passage sur terre…

Alban – Comme vous savez trouver les mots qui apaisent, Docteur Mahler. Ça doit sûrement beaucoup leur remonter le moral, en effet…

Mahler – C’est un métier… Presque un sacerdoce… Vous savez où me trouver si vous avez besoin de moi…

Josiane – Merci Docteur…

Le médecin s’apprête à sortir. Louise revient avec une mallette et tombe nez à nez avec lui. Moment de flottement.

Mahler – Ah, vous êtes allé lui chercher quelques affaires. C’est très gentil. Je ne suis pas sûr que dans son état… Mais je vous laisse en famille.

Le médecin sort. Louise pose la mallette sur le lit au pied du patient. Ils la regardent, fascinés.

Alban – Alors ? Tu as regardé ce qu’il y avait dedans…

Louise – Je préférais l’ouvrir ici, c’est plus prudent, non ?

Josiane – Vous avez bien fait.

Louise – Et puis il y a un code…

Alban – Un code ? Ce con de Patrick… Il devait avoir peur des voleurs…

Louise – Comment on va faire ?

Josiane – Rassurez-vous, je connais le code.

Josiane prend la mallette et marque le code.

Alban – 007 ? Quelle imagination…

Josiane ouvre la mallette. La déception se lit sur les visages. Louise fait l’inventaire du contenu de la mallette.

Louise – Quelques fringues… Un maillot de bain…

Alban – Et une méthode Assimil pour apprendre le Wallon…

Josiane – Ce salopard a essayé de me doubler. Il voulait sûrement partir en Belgique avec le fric.

Louise – De la Gare Saint Lazare ?

Josiane – En tout cas, le fric n’est pas là…

Alban (à Louise) – Ce n’est pas toi qui essaie de nous doubler, au moins ?

Louise – Moi ? Mais puisque je t’ai dit que je n’avais pas le code !

Josiane – Allons, voyons, restons calmes… C’est votre sœur, tout de même… Et nous sommes presque une famille…

Louise s’approche du patient.

Louise – Il a ouvert les yeux !

Alban – Tout espoir n’est pas perdu.

Louise – Pour retrouver le fric, tu veux dire ?

Alban – Aussi, oui…

Josiane – C’est peut-être nerveux…

Louise – Patrick, tu nous entends ?

Alban – Il a cligné des yeux !

Louise – C’est peut-être pour dire oui…

Alban – Ah oui, tu as raison. C’est comme ça qu’on fait pour parler au gens qui sont dans le coma. J’ai vu ça dans un film. Une fois pour oui, deux fois pour non. Ou l’inverse, je ne sais plus…

Louise – Patrick ? Écoute-moi bien et essaie de répondre à cette question par oui ou par non : Est-ce que tu t’appelles Patrick ?

Alban – C’est con, comme question…

Louise – C’est juste pour savoir si il a compris le code.

Alban – Il a cligné des yeux ou pas ?

Josiane – C’est vrai qu’à travers le casque, c’est pas très pratique. On pourrait essayer de lui enlever…

Louise – Vous voulez l’achever, c’est ça ?

Josiane – Mais pas du tout !

Alban – Et puis ça pourrait être très salissant…

L’infirmière arrive dans la chambre. Josiane rabat brusquement la visière du casque.

Lajoie – Je voulais juste vous prévenir que l’Inspecteur Sanchez est en bas. Il sera là dans un instant…

Louise – Très bien, merci de nous avoir prévenu Mademoiselle Lajoie…

L’infirmière s’en va.

Alban – Je crois qu’il vaut mieux aller vous planquer.

Josiane – Oui, je vais prendre la mallette, pour qu’il ne la voit pas.

Louise – On va la mettre sous le lit, plutôt.

Elle prend la mallette et la glisse sous le lit. Josiane semble dépitée.

Louise – Bon ben allez !

Josiane sort se planquer dans la salle de bain.

Sanchez arrive. Il peut être couvert de plaques rouges ou de boutons.

Alban – Inspecteur Sanchez, comment allez-vous ?

Sanchez – Pas très bien, à vrai dire… J’ai toujours des bouffées de chaleur…

Louise – Mais je vous prie, asseyez-vous Sanchez…

Sanchez – En fait je suis revenu pour consulter le Docteur Mahler… Vous ne l’auriez pas aperçu, par hasard ?

Alban – Il doit être dans les parages. Vous devriez demander à Mademoiselle Lajoie, ils ont l’air très liés.

Louise – D’où tu tiens qu’ils sont très liés ?

Alban – Je ne sais pas… L’intuition masculine… Et puis en arrivant, je me suis trompé de porte, et j’ai cru voir le Docteur Mahler besogner Mademoiselle Lajoie dans la chambre 13 bis.

Louise – Quelle honte… Heureusement que le patient qui occupe cette chambre est lui aussi dans le coma…

Sanchez – Et votre frère, comment ça évolue ?

Louise – À vrai dire, ça n’évolue pas dans le bon sens.

Alban – Je crois que si ça continue, on va être obligé de le faire piquer…

Louise – Et de votre côté, cette enquête, ça avance ?

Sanchez – C’est clair qu’on est loin de Bonny and Clyde. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que votre frère avait le QI d’une huître. Il semble se confirmer que c’est la complice qui a tout organisé. C’est elle le cerveau de la bande.

Alban – Le cerveau ? Oui. Ça ne m’étonne pas beaucoup, remarquez.

Louise – Son cerveau à lui, même avant son accident…

Sanchez – Cette garce l’a envoyé au feu en espérant récupérer le butin juste après. Malheureusement pour elle… et pour votre frère, les choses ont mal tourné.

Alban – Je vois…

Louise – Décidément, il n’aura jamais eu de chance.

Alban – Autre chose ?

Sanchez – Des témoins auraient vu Patrick déposer une mallette dans une consigne Gare Saint Lazare. On a fouillé. Mais on n’a rien trouvé de ce côté là…

Louise – Saint Lazare… Espérons que cela lui portera bonheur…

Sanchez – Pardon ?

Louise – Saint Lazare ! Ressuscité d’entre les morts par Jésus Christ, Notre Seigneur !

Sanchez – Bien sûr… Bon et bien je vais essayer de trouver ce médecin de malheur… (S’épongeant avec son mouchoir) Parce que j’ai de plus en plus chaud, moi… Je vous tiens au courant si j’ai du nouveau…

Alban – Merci Inspecteur… Et surtout, prenez soin de vous…

Sanchez sort. L’infirmière arrive.

Lajoie – Je ne voudrais pas vous brusquer, mais il va falloir prendre une décision au sujet de votre frère… Nous venons de recevoir une demande pour un foie. Cela pourrait sauver une vie…

Louise – Très bien… Je vous promets que nous allons vous donner une réponse positive. Laissez nous seulement lui faire un dernier adieu en famille…

Lajoie – Mais bien sûr…

Elle sort.

Louise, pétant les plombs, secoue Patrick pour le réveiller.

Louise – Mais bon sang, Patrick, réveille-toi ! Tu veux vraiment finir avec un poumon en moins ?

Les deux autres la regardent un peu inquiets.

Alban – Elle a dit le foie, je crois bien, non ?

Josiane – Bon, je vais vous laisser en famille… Et puis autant que je file avant que ce flic revienne…

Alban – Peut-être qu’il fait le mort pour ne pas aller en prison ?

Louise – Et pour garder le magot pour lui tout seul !

Josiane – Vous permettez que j’emmène la mallette ? Pour vous, ce n’est rien, et pour moi, elle a une valeur sentimentale…

Alban – Une valeur sentimentale ?

Josiane – Cette mallette, c’est… C’est un cadeau de Patrick…

Louise – Depuis le début, vous vous intéressez à cette mallette.

Alban – Oui, avant même qu’on en retrouve la clef.

Louise – Donc vous saviez que l’argent était dedans…

Josiane – Mais vous avez bien vu qu’il ne l’est plus !

Louise – Est-ce qu’on a bien regardé, au moins…

Louise tente de saisir la mallette. Josiane résiste. Elle tire chacune de leur côté et la mallette se casse en deux morceaux. Alban s’approche.

Alban – Il y a un double fond…

Louise – Le fric est dedans.

Alban – Vous le saviez, et vous avez voulu nous rouler !

Josiane – Ok, je le savais… Et alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Louise – On partage, comme prévu !

Josiane – Pourquoi est-ce que je partagerais avec vous ?

Alban – Pour éviter qu’on vous dénonce à la police, par exemple. Et que vous sortiez de cet hôpital pour aller croupir pendant vingt ans à La Santé.

Josiane – Bon d’accord…

Alban sort quelques billets de la mallette.

Alban – Trois millions d’euros.

Louise – J’ai l’impression d’avoir gagné au loto…

Josiane – Je vous rappelle quand même que c’est de l’argent sale.

Alban – Sale mais en petites coupures usagées.

Louise – Pour payer mes travaux au noir dans ma villa en Provence, ce sera parfait…

L’infirmière revient avec un piqûre. Josiane remet en hâte le fric dans la mallette.

Lajoie – Voilà, la piqûre est prête…

Alban – La piqûre ?

Louise – Mon Dieu, Patrick ! C’est notre frère quand même…

Lajoie (avec un air inquiétant) – Ne vous inquiétez pas. Personne ne s’est jamais plaint de mes piqûres…

Noir.

Josiane – Qu’est-ce qui se passe ?

Lajoie – Une panne d’électricité. Je ne comprends pas, le système de secours aurait dû prendre la relève aussitôt… Je vais voir ce qui se passe…

Alban – Oui, je crois que c’est plus prudent. Parce que dans l’obscurité… Il ne s’agirait pas que vous vous trompiez de patient pour la piqûre…

L’infirmière sort.

Louise – En tout cas, on ne va pas tarder à savoir s’il avait vraiment besoin de tous ces appareils électriques pour rester en vie…

Alban – Moi je ne reste pas là dans le noir avec un mort-vivant, ça me fout les jetons.

Louise – Moi aussi.

Josiane – Allons-nous en…

Ils sortent.

On entend un message d’attente genre les Quatre Saisons de Vivaldi. Ellipse.

La lumière revient. Alban, Louise et Josiane reviennent. L’infirmière aussi.

Lajoie (bouleversée) – Oh mon Dieu ! Le circuit de secours aussi est tombé en panne. Normalement, cela ne devrait jamais arriver… Maintenant, c’est résolu, mais…

Alban – Quoi ?

Lajoie – Votre frère était maintenu en vie grâce à plusieurs appareils… qui bien entendu fonctionnent tous à l’aide du courant électrique…

Louise – Et ?

Lajoie – Et bien je crains fort que la question de l’euthanasie ne se pose plus vraiment.

Josiane – Il est mort ?

Lajoie – On ne peut pas vraiment dire qu’il était encore très vivant, mais là… Je crains en effet qu’il ne soit complètement mort. Je vais quand même vérifier…

Elle s’approche du patient et l’ausculte rapidement.

Lajoie – Oui, c’est fini… Cela ne s’est pas passé exactement comme nous le prévoyions, mais après tout, c’est aussi bien comme ça, non ? Je vous laisse. Le médecin passera vous voir dans un instant…

Elle sort. Les autres sont interloqués.

Louise – C’est terrible…

Alban – C’était notre frère, malgré tout…

Josiane s’approche du lit.

Josiane – Je crois que maintenant, on peut lui retirer son casque.

Alban – Je ne sais pas si c’est très prudent… On va en mettre partout…

Louise – On ne pourra quand même pas l’enterrer avec un casque intégral…

Josiane – Je vais au moins ouvrir la visière… Pour qu’on puisse lui faire un dernier adieu…

Elle ouvre la visière.

Alban – Tu te souvenais qu’il avait les yeux verts ?

Louise – Ce serait bien le seul de la famille…

Alban – Ce qui tendrait aussi à prouver qu’il n’est peut-être pas vraiment de la famille…

Josiane s’approche et regarde à son tour.

Josiane – Non !

Alban – Quoi encore ?

Josiane – Ce n’est pas Patrick !

Louise – Ce n’est pas Patrick ? Mais tout à l’heure, c’était Patrick.

Alban s’approche.

Alban – Ouais ben là ce n’est plus Patrick.

Louise – Mais alors c’est qui ?

Josiane – Ce type ressemble beaucoup au mort-vivant que j’ai vu dans la chambre d’à côté tout à l’heure.

Alban – Ah oui, en effet, je l’ai aperçu aussi en arrivant. C’est bien lui !

Louise – Il n’est quand même pas venu ici tout seul…

Josiane – Alors où est Patrick ?

Alban regarde sous le lit.

Alban – Il n’y a pas que Patrick qui a disparu…

Louise – La mallette ! Elle n’est plus là !

Sanchez arrive.

Sanchez – Le Docteur Mahler a décidé de me garder en observation pour un check up… C’est vous qui aviez raison : L’hôpital, on sait quand on y entre…

Sanchez tombe nez à nez avec Josiane.

Sanchez – C’est curieux, vous ressemblez beaucoup à quelqu’un dont j’ai le portrait dans ma poche…

Josiane – C’est vous qui m’avez donné aux flics ? Et qui avez planqué l’oseille ?

Louise – Mais pas du tout !

Alban – Je vous assure qu’on ne sait absolument pas de quoi elle parle.

Sanchez (soupçonneux) – Vous m’aviez dit tout à l’heure que vous ne la connaissiez pas.

Louise – Mais on ne la connaît absolument pas. C’est la première fois qu’on la voit. Hein Alban ? D’ailleurs c’est qui ?

Alban – Nous sommes un peu bouleversés, Inspecteur, vous pouvez le comprendre.

Louise – Et je vous demanderais de respecter notre douleur.

Alban – Notre frère vient de mourir.

Sanchez – Lui au moins, il n’ira pas en prison. Mais celle-là, je l’embarque. Ok, en ce qui vous concerne, on verra ça plus tard. Je vous demanderais de passer au poste pour faire une déposition. Pour l’instant, je vous présente toutes mes condoléances.

Louise – Merci, Inspecteur.

Sanchez (à Josiane) – Quant à vous, comme on dit dans les séries policières américaines, vous avez le droit de garder le silence, mais tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous…

Sanchez passe les menottes à Josiane, et s’en va avec elle.

Alban – C’est à n’y rien comprendre.

Louise – Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Alban – Tu crois qu’il aurait pu faire semblant d’être dans le coma pendant tout ce temps ?

Louise – Et il aurait profité de la panne d’électricité pour mettre le cadavre du SDF à sa place, pour qu’on croit qu’il était mort et qu’on l’oublie ?

Alban – Ça expliquerait que ses yeux aient changé de couleur…

Louise – Ça expliquerait surtout que le fric ait disparu…

Alban – Finalement, il n’était peut-être pas si con que ça, Patrick.

Louise – Oui, c’est ça qui m’étonne un peu, d’ailleurs.

Alban – Il avait les yeux de quelle couleur, exactement ?

Louise n’a pas l’air de savoir.

Louise – Il était roux, je crois… Je ne vois pas un roux avec les yeux verts…

Alban – Patrick était roux ?

Louise – Non…?

Le médecin arrive.

Mahler – Je suis vraiment désolé pour ce qui s’est passé. Et je tiens à vous présenter au nom de l’hôpital, toutes nos excuses . Et bien sûr toutes nos condoléances.

Louise – Merci…

Mahler – Comme une aide au départ était de toute façon envisagée dans le cas de votre frère, j’espère que vous ne porterez pas plainte contre l’hôpital pour ce petit désagrément… qui après tout vous a épargné d’avoir à prendre une décision bien douloureuse…

Alban – Rassurez-vous. On a déjà assez de soucis comme ça…

Mahler – Considérons que c’est le destin… Pour ne pas dire la main de Dieu…

Alban – N’exagérons pas. Ce n’est quand même pas la main de Dieu qui a coupé le compteur électrique de l’hôpital, non ?

Mahler – Celle de la CGT, plutôt… Je crois qu’il s’agit d’une grève sauvage à EDF…

Alban – En contrepartie de notre mansuétude, Docteur Mahler, vous conviendrez avec nous qu’un geste commercial serait le bienvenu…

Mahler – Un geste commercial ?

Alban – Pour ce qui est des frais d’hospitalisation de notre cher défunt. Reconnaissez que si on s’en tenait à la formule satisfait ou remboursé…

Mahler – Bien entendu. C’est offert par la maison, cela va sans dire.

Louise – Nous vous demandons aussi, si c’est possible, d’épargner à notre frère une autopsie. Je crois qu’il a déjà assez souffert comme ça, non ?

Mahler – Bien sûr. Merci pour votre compréhension, et revenez quand vous voulez. Vous êtes ici chez vous.

Le médecin s’en va, soulagé. Ils tournent tous les deux le regard vers le lit.

Louise – Enfin, pour lui au moins tout est bien qui finit bien.

Alban – Mais puisque ce n’est pas lui !

Louise – Justement ! Ça veut dire qu’il n’est pas mort !

Alban – Tu as raison. Mais comme la police le croit mort, on lui foutra la paix.

Louise – Et avec ses trois millions, il y a peu de chance qu’on le revoit bientôt.

Alban – C’est dommage, je commençais presque à le trouver sympathique…

Moment de flottement. On pourra éventuellement passer ici en bande son un extrait de la chanson de Maxime Le forestier : Toi le frère que je n’ai jamais eu, sais-tu si tu avais vécu ce que nous aurions fait ensemble…

Louise – En tout cas, il nous a bien roulé dans la farine, ce frère qu’on n’a jamais eu.

Alban – Et oui… Comme dirait l’autre : C’est quand la mer se retire qu’on voit les gens qui se baignent à poil.

Louise – Michel Audiard ?

Alban – Warren Buffet.

Louise – Un nouveau philosophe…

Alban – Un milliardaire américain qui a fait fortune en spéculant en bourse… Mais les rois de la finance ne sont-ils pas les philosophes du 21ème siècle ?

Louise – Tout de même. Faire ça à ses frère et sœur. Quelle ingratitude…

Alban – Ce type n’a jamais eu le sens de la famille, je te dis.

Ils commencent à s’en aller.

Alban – C’est où exactement ta maison en Provence, à côté de celle de Charles Aznavour ?

Louise – À Beaucon-Les-Deux-Châteaux.

Alban – Tiens, c’est marrant, je ne connais pas…

Ils sortent.

Le médecin et l’infirmière reviennent. Elle pousse un petit chariot médical recouvert d’un linge blanc.

Lajoie – Ça y est, ils sont partis.

Mahler – Ce n’est pas trop tôt… Je peux voir le bébé ?

L’infirmière ôte le linge qui recouvre le chariot et apparaît la mallette pleine de billets.

Lajoie – Je crois que cette fois, on va pouvoir l’ouvrir notre clinique privée, Mademoiselle Lajoie !

Mahler – Je crois qu’à présent, vous pouvez m’appeler Joséphine…

Mahler l’embrasse.

Mahler – Joséphine, vous êtes mon ange gardien ! Alors comme ça, vous saviez depuis le début qu’il n’était pas dans le coma ?

Lajoie – J’ai passé un deal avec Patrick dès qu’on l’a admis ici. On validait le diagnostic du coma pour lui éviter d’aller en taule. Et en échange on partageait le magot en trois.

Mahler – Le coup du casque intégral, c’était une idée de génie. Moi-même, j’ai bien failli m’y laisser prendre, au début…

Ils rient.

Lajoie – Mais aller à la gare, c’était vraiment trop risqué. Il valait mieux se faire livrer le cash à domicile !

Mahler – En leur mettant la clef de la consigne sous le nez…

Lajoie – Ou plutôt bien en évidence sur la langue de Patrick !

Mahler – Et lui, qu’est-ce qu’on en fait, maintenant ? Je veux dire le vrai Patrick, celui qui est dans la chambre d’à côté…

Lajoie – Quand il sera d’aplomb, et que la police l’aura un peu oublier, on pourra toujours lui donner un poste de jardinier dans notre nouvelle clinique de chirurgie esthétique à Neuilly.

Mahler – Après lui avoir refait le visage à l’œil, bien sûr…

Lajoie – Ce sera notre premier patient ! Vous pourrez vous faire un peu la main sur lui…

Mahler – Vous avez raison. Après tout, on lui a quand même promis qu’il serait actionnaire minoritaire…

Ils rient.

Mahler – Et votre idée de la fausse panne de courant, alors là ! Non, vraiment, vous auriez dû écrire des romans policiers !

Lajoie – Ou des pièces de théâtre !

Mahler – Je vous le disais, on va faire de grandes choses ensemble, Mademoiselle Lajoie.

Lajoie – Joséphine, je vous en prie…

Ils s’embrassent. Noir.

Mahler – Mais là, ce n’est plus la peine, pour les pannes d’électricité, non ? Vous êtes sûre que vous n’en faites pas un peu trop ?

Lajoie – Je crains que cette fois, Docteur Mahler, ce soit une vraie panne.

Mahler – Et ce pauvre Patrick qui était encore sous assistance respiratoire…

Lajoie – Oui… Pour peu que le courant ne revienne pas tout de suite… Je crois que finalement, on n’aura pas à partager avec lui…

Mahler – Dans ce cas-là, il n’y a plus qu’à attendre…

Ils s’embrassent à nouveau. On entend Les Quatre Saisons de Vivaldi.

Ils sortent.

Lumière.

Pour un happy end, on peut voir Patrick avec son casque intégral sur la tête (joué par exemple par le comédien qui incarnait Alban) faire une apparition dans la chambre en provenance de la salle de bain avant de s’enfuir vers le couloir.

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Février 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-54-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

 

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Un Os dans les Dahlias

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes

Alban et Delphine sont sur le point de vendre leur maison à des amis, avant de partir à l’étranger pour commencer une nouvelle vie. Mais à peine la promesse signée, ils découvrent qu’il y a un os. Assez gros pour faire capoter la vente…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Un os dans les dahlias

Personnages : AlbanDelphineJérômeChristelle

Le salon d’un pavillon de banlieue, seulement meublé de quelques cartons de déménagement. La pièce donne sur un jardin (côté salle). Delphine arrive avec un carton de taille moyenne, sous le poids duquel elle semble crouler. Elle le pose par terre avec difficulté et pousse un soupir de soulagement.

Delphine (off) – C’est gentil de m’avoir laissé le petit carton, mais qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? Ça pèse une tonne…

Alban arrive avec un énorme carton qui semble très léger et qu’il porte sans effort.

Alban – Je ne sais plus… Ça doit être marqué dessus… J’ai tout noté pour qu’on puisse s’y retrouver quand il faudra déballer tout ça…

Delphine regarde sur le carton.

Delphine (lisant) – Assiettes… Ah d’accord… C’est le service en faïence que nous a offert ta mère quand on s’est marié. On ne s’en est jamais servi…

Alban – Un service de 24 pièces en faïence de Sarreguemines… Il faut avoir une grande famille…

Delphine – Je suis fâchée avec la mienne… et de ton côté, ils sont tous morts ou disparus.

Alban – Mmm…

Delphine – Ta mère devait nous imaginer avec beaucoup d’enfants…

Alban – Pour tous les deux, c’est un peu surdimensionné, c’est sûr… Ou alors il faut avoir beaucoup d’amis…

Alban pose sans effort son gros carton à côté du petit.

Delphine – On aura peut-être davantage l’occasion de s’en servir là-bas… Et dans le tien, qu’est-ce qu’il y a ?

Alban fait mine de découvrir ce qu’il y a d’écrit sur son carton.

Alban – Garnitures de couettes.

Delphine – Ah oui… Ça prend plus de place, mais c’est nettement moins lourd…

Alban – C’était les deux derniers cartons.

Delphine – On va en garder quelques-uns ici pour pouvoir s’asseoir et prendre l’apéro.

Alban – Et surtout pour signer la promesse de vente… Ils viennent à quelle heure ?

Delphine – Ils devraient déjà être là… Ils ne vont sûrement pas tarder.

Alban – J’espère qu’ils n’ont pas changé d’avis…

Alban s’affale sur un carton, l’air épuisé.

Alban – Je suis crevé.

Delphine – Pas autant que moi…

Delphine s’apprête à s’asseoir sur un autre carton.

Alban – Attends… (Il jette un regard sur le carton) Non pas celui-là, c’est la télé…

Delphine s’immobilise.

Delphine – Et tu crois qu’une télé ne pourrait pas supporter mon poids ?

Alban – C’est un écran plat…

Delphine pose une main sur son ventre, un peu inquiète.

Delphine – Mon ventre aussi, il est plat… Pour l’instant…

Alban – Assieds-toi plutôt là-dessus, c’est mes bouquins. Ça ne craint rien.

Delphine (ironique) – Merci… (Elle s’assied) Ça fait drôle d’être là au milieu de tous ces cartons… Savoir qu’on ne dormira plus jamais dans cette maison…

Alban – Mmm…

Delphine regarde en direction du jardin.

Delphine – Tu as vu, les dahlias sont en fleurs.

Alban – Mmm…

Delphine – Je ne savais même pas qu’il y avait des dahlias dans le jardin.

Alban – Il y en avait avant. Je pensais qu’ils étaient tous morts…

Delphine – Ça ne te fait pas quelque chose, à toi ?

Alban – Quoi ? Que les dahlias connaissent une nouvelle jeunesse ?

Delphine – De quitter cette maison ! Cette vie…

Alban – Tu regrettes ?

Delphine – Non, pas du tout ! Mais on a passé de bons moments, ici, non ?

Alban – Ouais…

Delphine – Cache ta joie…

Alban va s’asseoir sur le même carton qu’elle et la prend par l’épaule.

Alban – Mais oui, bien sûr… Je ne regrette pas une seule seconde les années qu’on a passées ensemble dans cette maison. Mais bon, je crois qu’il était temps de passer à autre chose…

Delphine – Je sais…

Alban – On n’a pas d’enfant, pas de chien, même pas un poisson rouge… On n’a rien qui nous retient ici.

Delphine – Moi aussi, je suis très heureuse de démarrer une nouvelle vie… Avec toi…

Alban – C’est un peu le saut dans le vide, mais bon. Avec un élastique quand même…

Delphine – Un élastique, tu crois ?

Alban – Qu’est-ce qu’on risque ? Si on ne se plaît vraiment pas là-bas, on peut toujours revenir.

Delphine – On n’aura plus de maison…

Alban – On en achètera une autre ! Ou un appartement à Paris. De toutes façons, cette maison était trop grande pour nous deux.

Delphine – On avait un jardin… Si près de Paris, c’est rare…

Alban – On n’y mettait jamais les pieds, dans le jardin ! Vu le temps qu’il fait dans la région parisienne… Une terrasse, ça nous suffirait largement.

Delphine – C’est vrai qu’on n’a pas la main verte…

Alban – À chaque fois qu’on a essayé de planter quelque chose dans ce jardin, ça a crevé…

Delphine – Mais les dahlias ont brusquement ressuscité…

Alban – Ah non ! Tu ne vas pas me dire que c’est un miracle ! Le signe que Dieu nous envoie pour nous indiquer qu’il préférerait qu’on reste ici !

Delphine – Tu as raison, si on ne bouge pas maintenant, on ne le fera jamais.

Alban – Et puis je n’en pouvais plus, moi, de cette baraque… Elle est trop chargée de souvenirs.

Delphine – De souvenirs ?

Alban – Je parle de ma famille… Et là, ce n’est pas que des bons souvenirs, crois-moi…

Delphine – Je comprends…

Alban – Et puis quand bien même… Bons ou mauvais, on ne peut pas vivre en permanence avec ses souvenirs… C’est mortifère. Mes grands parents habitaient déjà ici. Moi j’ai passé toute mon enfance dans cette maison avant d’en hériter. Je suis pratiquement né dans cette baraque. Je ne préférerais ne pas y mourir, tu comprends ?

Delphine – Ce départ, ça nous donnera un nouvel élan… À tous les deux.

Le portable de Delphine sonne. Elle regarde l’écran mais ne prend pas l’appel.

Alban – Tu ne réponds pas ? C’est peut-être eux…

Delphine – C’est un numéro masqué, ça doit être de la pub. Depuis qu’on a résilié notre abonnement à Canal Plus, ils n’arrêtent pas de me harceler… Pas toi ?

Alban – Non.

Semblant un peu embarrassée, Delphine se lève.

Delphine – Bon, il faut quand même le préparer un peu cet apéro… Je vais aller voir ce qu’il y a dans la cuisine…

Alban – Tu as besoin d’aide ?

Delphine – Non, non, ce n’est pas la peine. J’ai mis une bouteille de blanc au frigo et il nous reste un peu de liqueur de cassis. Ce sera kir pour tout le monde, et puis voilà…

Elle part.

Alban – Ok.

Alban sort son portable pour consulter ses messages.

Delphine (off) – En revanche, je n’ai pas pensé à garder un tire-bouchon pour ouvrir la bouteille de blanc…

Alban (sans se détourner de son écran) – Ce n’est pas grave, on pourra toujours boire le cassis…

Delphine (off) – Non, sérieux… Cherche un peu ! Je les ai invités pour l’apéritif, pas pour le digestif…

Alban – Je ne sais pas où il est, ce tire-bouchon, moi !

Delphine (off) – Tu veux qu’ils la signent, cette promesse de vente, oui ou non ?

Alban abandonne à regret son portable.

Alban – D’accord, je vais voir…

Il va directement au bon carton. Il l’ouvre et en sort un tire-bouchon qu’il brandit sous le nez de Delphine, de retour de la cuisine avec un plateau sur lequel est posé tout ce qu’il faut pour prendre l’apéritif.

Delphine – Bravo ! Tu peux ouvrir la bouteille de blanc…

Alban – On n’attend pas qu’ils soient là ?

Delphine – Débouche la bouteille, je te dis, ça les fera venir.

Alban débouche la bouteille.

Alban – Ils n’avaient pas dit qu’ils viendraient un peu en avance pour nous donner un coup de main avec le déménagement ?

Delphine – Ils ont dû avoir un empêchement…

Alban – Ils n’ont rien foutu, mais il faut encore leur offrir l’apéro…

Delphine – Ils nous achètent la maison… Il faut bien marquer le coup…

Alban – Elle est prof de quoi, déjà ?

Delphine – Christelle ? Prof de gym.

Alban – Ah oui, je me disais aussi…

Delphine – Quoi ?

Alban – Non, non, je… Je me demandais ce qu’elle pouvait bien enseigner… (Delphine préfère ne pas relever) Et Jérôme ? Je sais qu’il est VRP, mais je ne sais plus ce qu’il vend ?

Delphine – On dit commercial, maintenant… VRP, c’est légèrement méprisant, tu vois…

Alban – Ah oui ?

Delphine – Il travaille chez Gillette, il me semble…

Alban – D’accord… Donc, il vend des lames de rasoirs. Ça doit être pour ça qu’il l’est autant…

Delphine – Autant quoi ?

Alban – Rasoir !

Delphine – Si tu pouvais éviter ce genre de blagues, tout à l’heure… J’ai l’impression qu’inconsciemment, tu ne veux pas la vendre, cette maison de famille…

Alban – Non, non, tu as raison… Je vais faire un effort pour me montrer aimable…

Delphine – Je crains le pire…

Alban – En même temps, s’ils nous achètent cette baraque, ce n’est pas seulement pour nous faire plaisir…

Delphine – C’est un fait que ça nous rend bien service.

Alban – N’empêche… Ils ne font pas une mauvaise affaire.

Delphine – Tu trouves qu’on ne leur vend pas assez cher ?

Alban – Je pense qu’on aurait pu en tirer un peu plus, oui.

Delphine – On était pressés… Et puis ce sont des amis…

Alban – Oui, enfin, des amis… Christelle, c’est juste une collègue de travail, non ?

Delphine – Même à ce prix-là, les acheteurs ne se sont pas bousculés.

Alban – Mouais… C’est vrai que c’est plus simple comme ça…

Delphine – C’est juste un apéro… Le temps de signer la promesse… Après on quitte la France… De toutes façons, on ne les reverra plus…

Alban – Ok. Mais je me demande vraiment de quoi je pourrais bien parler avec lui… Pas de littérature, en tout cas. Et comme je m’intéresse très peu au foot, aux chiens et aux bagnoles…

Delphine – Tu n’auras qu’à parler de politique. Bizarrement, maintenant, c’est devenu un sujet très consensuel : tout le monde est contre la politique du gouvernement, même si c’est pour des raisons totalement opposées.

Alban – Finalement, notre président aura réussi à faire l’union nationale… contre lui.

On entend la sonnerie de la porte d’entrée.

Delphine – Ah les voilà !

Alban – Ce n’est pas trop tôt…

Delphine sort pour aller ouvrir.

Delphine (off) – Bonjour, bonjour…

On entend un chien aboyer.

Alban – Oh putain, ils ont amené leur clébard en plus…

Jérôme (off) – Milou, tais-toi !

Christelle (off) – Je t’avais dit de le laisser dans la voiture…

Delphine (off) – Pauvre bête… Vous n’avez qu’à le laisser gambader dans le jardin, il sera mieux.

Jérôme – Allez va, Milou !

Delphine revient avec Jérôme (allure générale d’un beauf) et Christelle (du genre blonde à la fois sexy et sportive).

Christelle – Tu es sûre que ça ne vous dérange pas ?

Delphine – Mais pas du tout. Et puis après tout, cette maison est déjà presque la vôtre…

Jérôme (plaisantant) – Ah, on n’a pas encore signé la promesse de vente…

Alban – Bonjour Christelle, bonjour Jérôme…

Christelle – Bonjour, bonjour…

Jérôme – Salut Alban. J’ai lâché Milou dans le jardin, ça ne craint pas ?

Alban – Mais pas du tout ! Il faut bien qu’il visite la maison, lui aussi.

Christelle – C’est un luxe d’avoir un jardin si près de Paris.

Jérôme – C’est sûr que pour Milou, ce sera mieux.

Alban – Qu’est-ce que c’est comme marque chien ?

Jérôme – Un fox terrier à poil dur.

Alban – Ah ben oui, forcément… Milou !

Jérôme – Dis donc, Alban, en parlant de poils durs… Tu pourrais te raser quand tu as des invités !

Alban – Ah oui, j’ai… Avec ce déménagement, je n’ai même pas eu le temps de…

Jérôme – Je rigole… (Jérôme brandit un paquet qu’il tend à Alban). Tiens, cadeau ! Au cas où tu ne trouves pas de lames de rasoirs dans le pays de sauvages où vous allez vous installer…

Christelle – Certains arrivent avec des fleurs, lui c’est des rasoirs…

Alban – Eh bien merci, Jérôme.

Delphine – J’espère que ce n’est pas en t’offrant un rasoir qu’il t’a séduite…

Christelle (n’ayant pas l’air de comprendre) – Ah oui…

Delphine – Ça peut-être vexant d’offrir un rasoir à une fille…

Christelle (riant bruyamment) – Ah oui !

Alban – Ça me gêne un peu… Je ne sais pas ce que je pourrais t’offrir, moi. (Il regarde autour de lui et prend un livre dans un carton qu’il tend à Jérôme) Tiens, c’est mon dernier roman.

Jérôme – Merci…

Alban – Tu verras, c’est tout aussi rasoir…

Jérôme (lisant le titre) – Je ne comprends même pas le titre, dis donc…

Delphine juge préférable de changer de sujet.

Delphine – Mais asseyez-vous, je vous en prie ! Faites comme chez vous…

Jérôme et Christelle jettent un regard sur les cartons, se demandant sur quoi ils pourraient bien s’asseoir.

Christelle – Ah oui, désolée, toutes les chaises sont déjà en caisse en prévision du déménagement…

Alban – Mais vous verrez, les cartons sont très confortables.

Ils s’asseyent.

Delphine – Je vous préviens, on n’a que du kir…

Jérôme – Bon ben… Un kir, alors !

Delphine – Allez…

Elle commence à faire le service.

Christelle – Juste de l’eau, pour moi, merci. J’ai arrêté l’alcool…

Delphine – Je te laisse te servir…

Alban – Des cacahuètes ?

Jérôme – Merci…

Il en prend une poignée dans le bol que lui tend Alban, qui présente ensuite le bol à Christelle.

Christelle – Non merci… Les cacahuètes, ce n’est que du gras et du sel… J’essaie d’éviter…

Delphine – Tu crois ?

Christelle – Tu devrais faire attention, toi aussi… Tu n’as pas un peu pris ?

Delphine – Je ne sais pas…

Jérôme est très occupé à consulter sa messagerie sur son portable. Alban et Delphine échangent un regard consterné.

Christelle – Oh dis donc, ça me fait penser à la fille qui te remplace au collège…

Delphine – Quoi ?

Christelle – Non mais tu n’as pas idée… Elle est énorme ! Alors elle, elle a dû s’en enfiler, des kilos de cacahuètes…

Delphine – Ah oui ?

Christelle – Non mais je ne sais pas, moi, quand on est comme ça, on essaie de faire un peu d’exercice, au moins… J’ai cru qu’elle n’allait pas passer par la porte de la classe…

Alban – Parfois, c’est génétique…

Christelle – Génétique ou pas, un peu de sport et un petit régime, ça n’a jamais fait de mal à personne…

Alban – Tout à fait… D’ailleurs, c’est pour vous donner l’occasion de faire un peu d’exercice qu’on vous attendait un peu plus tôt…

Jérôme lâche enfin son portable.

Jérôme – Ah oui, désolé de ne pas avoir pu te donner un coup de main pour les cartons, mais j’avais plein de boulot. C’est de la folie, à la boîte, en ce moment.

Alban – Eh oui, crise ou pas, les gens doivent bien continuer à se raser… Même les chômeurs. Si ils veulent espérer retrouver du travail…

Jérôme – Ah ouais, c’est clair…

Moment de flottement

Delphine – En tout cas, on est vraiment ravis que ce soit vous qui rachetiez cette maison. Vous êtes toujours décidés au moins ?

Christelle – Jérôme trouvait que c’était un peu grand, mais j’ai réussi à le convaincre. Et puis on ne sait jamais, la famille pourrait s’agrandir…

Jérôme, à nouveau concentré sur son écran de portable, ne percute pas.

Delphine – Ah oui ?

On entend le chien aboyer.

Alban – Vous envisagez d’adopter un deuxième chien ?

Delphine le fusille du regard.

Delphine – En tout cas, le jardin a l’air de plaire à Milou ?

Alban – Et Tintin, qu’est-ce qu’il en pense ?

Delphine lui lance à nouveau un regard noir.

Jérôme – Hein ?

Delphine – Vous voulez la revoir une dernière fois ?

Christelle – Non, ça va… On la connaît par cœur, cette maison. On a déjà l’impression d’être chez nous… Hein Jérôme ?

Jérôme abandonne à regret son portable.

Jérôme – Ah, oui, elle est très bien cette maison… Moi je trouvais ça un peu grand, mais…

Alban fait un signe discret à Delphine.

Delphine – Bon… Alors, on la signe cette promesse ? Comme ça ce sera fait…

Christelle – Allez…

Delphine sort les papiers qu’elle a préparés et les pose sur le carton servant de table. Jérôme fouille dans ses poches.

Jérôme – Ah, je n’ai pas de stylo…

Christelle – Moi non plus.

Alban (à Delphine) – Et toi ?

Delphine – J’en avais un tout à l’heure… Je ne sais pas ce que j’en ai fait… Tu n’en as pas un, toi ?

Jérôme – Un écrivain, ça a toujours un stylo sur lui, non ?

Alban – Moi, j’écris sur ordinateur.

Christelle – C’est vrai que maintenant, avec tous ces écrans… Les stylos, on n’en verra bientôt plus que dans les musées…

Delphine – Dans quel carton tu as mis les stylos ?

Alban – Je ne sais plus… Ça m’étonnerait que j’ai fait un carton pour les stylos… Ah, si, il doit y en avoir un dans le carton où il y a les feuilles d’impôts. Mes déclarations de revenus, c’est un des derniers trucs que j’écris encore à la main… (À Christelle) Pardon, je crois que tu es assise dessus…

Christelle se lève. Il ouvre le carton et en sort un stylo.

Alban (triomphant) – Et voilà !

Il tend le stylo à Jérôme. Jérôme prend le stylo et fait mine de signer.

Jérôme – Ah, on dirait qu’il ne marche pas… (Alban et Christelle se figent) Mais non, je déconne.

Il signe, et passe le stylo à Christelle, qui signe également. En deux exemplaires. Alban tend un exemplaire à Jérôme.

Alban – Et voilà, un pour vous, un pour nous…

Jérôme – Très bien.

Delphine – Bon… Et bien on va pouvoir arroser ça ! Je vous ressers ?

Jérôme – Allez !

Delphine fait le service.

Delphine – À votre nouvelle vie dans cette maison qui est désormais la vôtre.

Jérôme – À votre nouvelle vie là-bas de l’autre côté du Pacifique.

Christelle – C’est l’Atlantique.

Ils trinquent et boivent.

Jérôme – Quand même, le Paraguay… Je ne sais même pas où c’est, exactement…

Alban – C’est l’Uruguay.

Jérôme – Vous êtes vraiment sûrs de ne pas faire une connerie ?

Alban – Non, en fait, on n’est pas sûr du tout, mais bon…

Delphine – Alban avait envie de changer de vie… De trouver de nouvelles sources d’inspiration, et moi…

Christelle – C’est vrai qu’écrire des romans, on peut le faire partout.

Alban – Voilà…

Delphine – Et enseigner le Français aussi.

Jérôme – Moi, la littérature, ça s’arrête à Tintin…

Christelle – Il les a tous lus.

Alban – Et tu les as tous lus ?

Delphine lui jette à nouveau un regard réprobateur.

Jérôme – Et ça t’est venu d’où, cette idée d’écrire des bouquins ? C’est vrai, ce n’est pas banal…

Christelle – C’est une tradition familiale, ou bien… Ton père était déjà écrivain ?

Jérôme – Attends, Christelle, écrivain, ce n’est pas comme épicier ou garagiste, non plus. Ce n’est pas du petit commerce, c’est du grand art. On ne se refile pas le métier de père en fils, comme ça, comme une boucherie…

Alban – Mon père était cascadeur pour le cinéma.

Christelle – Ah, remarque… Du cinéma à la littérature… Il y avait déjà quelque chose, quand même… Tu étais très proche de ton père ?

Alban – Je ne l’ai presque pas connu, en fait. Il était toujours à l’étranger pour des tournages.

Christelle – Ça n’a pas dû être évident pour ta mère.

Alban – Non… Surtout qu’il la trompait avec tout ce qui bouge.

Christelle – Quand on est séparé trop longtemps comme ça, évidemment… Surtout que dans le monde du cinéma, il y a beaucoup de tentations…

Alban – Eh oui… Il faut croire que lui, il ne savait pas trop résister à la tentation… Un jour, il est parti et il n’est plus revenu… J’étais très jeune… Je ne sais même pas s’il est encore vivant.

Jérôme – Super… Mais pourquoi l’Uruguay ? Vous connaissiez déjà, ou bien…?

Delphine – Pas du tout… Mais j’ai trouvé un poste là-bas, au Lycée Français de Montevideo.

Jérôme – Montevideo…?

Alban – La capitale de l’Uruguay.

Jérôme – Ah oui…

Alban – On avait envie de partir en Amérique Latine… Alors on s’est dit pourquoi pas l’Uruguay ?

Delphine – Alban est un passionné de littérature latino-américaine…

Alban – Et puis il y a tous les sites d’archéologie précolombienne.

Delphine – C’est un projet un peu fou… Ça fait un moment qu’on en parlait… Et puis on s’est décidés comme ça… Très rapidement… Mais si on réfléchit trop, on ne fait jamais rien, non ?

Jérôme – Ouais…

Alban – Maintenant, il y en a aussi qui ne réfléchissent jamais et qui ne font rien non plus.

Delphine – C’est l’aventure, évidemment, mais en même temps, c’est ce qu’on voulait.

Alban – En tout cas, on est très excités à l’idée de partir…

Jérôme – Et vous avez déjà un logement là-bas ?

Delphine – Le lycée nous fournit un appartement de fonction, le temps de nous organiser un peu.

Alban – Ensuite on essayera de trouver une maison… Il paraît que c’est très facile, là-bas.

Christelle – Pour trois fois rien, tu peux avoir une villa avec vue sur la mer.

Jérôme – Il y a la mer, en Uruguay ?

Alban – Il faut croire… Ou alors c’est que les maisons sont très hautes…

Delphine – Vous viendrez nous voir !

Alban lui lance un regard réprobateur.

Christelle – Pourquoi pas ? Hein, Jérôme ?

On entend à nouveau le chien aboyer.

Christelle – Qu’est-ce qu’il veut encore, ce chien ?

Jérôme – Tu vas voir ce qu’il a, chérie ?

Christelle – Vas-y, toi ! C’est ton chien, après tout !

Alban – Tu l’as mal dressé, Jérôme… Je parlais du chien, évidemment…

Jérôme se lève et sort.

Christelle – Il me rend dingue, ce clébard… Moi, je n’en voulais pas… Mais Jérôme l’avait déjà quand on s’est marié.

Delphine – Ah, les familles recomposées, ce n’est pas toujours évident…

Alban – Mais vous êtes mariés depuis pas mal de temps, non ? Il n’a pas l’air si vieux que ça, ce chien…

Christelle – Ah non, mais ce n’était pas celui-là. Celui-là, c’est le troisième.

Alban – Le troisième de la même marque ?

Delphine – Pour un chien, on dit « de la même race », Alban…

Christelle – Que des fox à poil dur…

Alban – Et ils s’appellent tous Milou ?

Christelle – Celui-là, c’est Milou numéro 3… Mais on l’appelle Milou, comme les autres…

Jérôme revient avec un os dans la main.

Christelle – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Jérôme – Un os, apparemment.

Christelle – Et où est-ce que tu as trouvé ça ?

Jérôme – Ce n’est pas moi qui l’ait trouvé, c’est Milou ! Il l’avait dans la gueule quand je suis allé le voir. C’est pour ça qu’il aboyait. Il voulait nous le montrer…

Delphine – C’est vrai qu’un os comme ça, ça n’arrive qu’une fois dans la vie d’un chien…

Alban – Ah oui… Je suis sûr que les deux premiers Milou n’ont jamais déniché un os de cette taille… Bravo, Milou ! Champion du monde…

Christelle – C’est incroyable ! Et il a trouvé ça dans le jardin ?

Jérôme – Où veux-tu qu’il l’ait trouvé ?

Christelle – C’est énorme, pour un os de gigot…

Jérôme – Tu as fait griller un sanglier dans ton jardin récemment ? Tu aurais pu nous inviter au barbecue !

Christelle – On ne fait jamais de barbecue…

Moment de flottement.

Christelle – C’est curieux… Cet os ressemble furieusement à un tibia humain, vous ne trouvez pas ?

Delphine – Tu déconnes ?

Christelle – Non…

Alban – Tu as déjà vu un tibia humain, toi ? Je veux dire, sans la viande autour ?

Christelle – Tu sais, pour faire prof de sport, on a quand même quelques cours d’anatomie… C’est un peu loin, tout ça, et je séchais souvent les cours, mais oui… Ça ressemble beaucoup à ça…

Delphine – C’est dingue… Oh non, ça ne peut pas être un tibia, quand même…

Jérôme – Attendez, je vais regarder sur Wikipedia…

Il sort son portable et pianote dessus. Il regarde l’os avec un air sceptique.

Jérôme – Ah non, un tibia, ça ne ressemble pas du tout à ça…

Delphine – Ouf… Je me disais aussi…

Jérôme continue de pianoter sur son portable.

Jérôme – En revanche, cet os ressemble comme deux gouttes d’eau à un fémur…

Les autres le regardent avec consternation. Il brandit l’écran de son portable en leur direction pour leur montrer l’image.

Delphine – Merde… C’est vrai…

Moment de stupeur.

Jérôme – C’est dingue…

Christelle – Vous saviez que vous aviez des ossements humains dans votre jardin ?

Delphine – Non…

Christelle – Et dire qu’on vient de signer la promesse…

Alban – Attends, ce n’est qu’un tibia !

Jérôme – Un fémur, je te dis.

Alban – Et encore, on n’en est même pas sûr…

Jérôme montrant à nouveau son écran de portable.

Jérôme – Là, je crois qu’il n’y a pas photo.

Christelle – Mais d’où il peut bien venir cet os ?

Delphine – Je ne sais pas… La maison a peut-être été bâtie sur un ancien cimetière…

Christelle – Ce n’est pas très vendeur, comme argument. Si on avait su…

Delphine – Tu as entendu parler de quelque chose comme ça, toi, Alban ?

Alban – Un cimetière, ici ? Non.

Delphine – Ça doit être beaucoup plus ancien, alors.

Jérôme – Tu veux dire un cimetière romain, ou un truc dans le genre ?

Delphine – Va savoir…

Jérôme – Oh putain ! Tu imagines ? Si on trouve le squelette de Toutankhamon dans le jardin.

Alban – Oui, enfin… Toutankhamon, c’est plutôt l’Egypte…

Jérôme – En tout cas, les Monuments Historiques vont nous tomber dessus…

Christelle – C’est clair.

Jérôme – Je connais quelqu’un à qui s’est arrivé… Ils sont venus avec des pelleteuses pour retourner tout le jardin…

Christelle – Et comment ça s’est terminé ?

Jérôme – Finalement, ils n’ont trouvé que quelques amphores qu’ils ont mises dans un musée, et ils leur ont rendu la maison…

Alban – Tu es sûr que tu n’as pas lu ça dans Tintin plutôt ?

Jérôme – En attendant, ils n’ont pas pu habiter leur baraque pendant des années…

Christelle – Non ?

Delphine – Non, mais c’est quand même très improbable que ce soit une nécropole romaine… Il n’a pas l’air si vieux, cet os.

Christelle – Ah bon, et à quoi tu vois ça, toi ?

Delphine – Tu sais ce qu’il y avait, ici, avant que ton grand-père fasse construire la maison ?

Alban – Des champs, probablement. Des champs qui ont été labourés pendant des siècles. S’il y avait des ossements ou des restes archéologiques, on les aurait trouvés depuis longtemps.

Christelle – Donc c’est beaucoup plus récent…

Delphine – Ça date peut-être de la dernière guerre…

Jérôme – Un pote du soldat inconnu, tu veux dire ?

Delphine – Il y a eu des combats, ici, pendant la dernière guerre ?

Alban – Pas à ma connaissance…

Christelle – Alors c’est encore plus récent…

Delphine – Plus récent que la guerre ? On n’enterre pas quelqu’un dans son jardin comme ça, c’est interdit. Des cendres à la rigueur, mais pas un cadavre.

Christelle – Dans ce cas, il ne reste qu’une hypothèse.

Delphine – Quoi ?

Christelle – Un crime.

Alban – Un crime ?

Jérôme – Tu vois une autre raison d’enterrer quelqu’un dans son jardin ?

Alban – Je ne sais pas… Je n’avais encore jamais réfléchi à ça jusqu’à aujourd’hui, figure-toi… Maintenant, c’est vrai que les Pompes Funèbres pratiquent des prix tellement indécents… Peut-être quelqu’un qui aura voulu faire des économies sur les obsèques d’un de ses proches…

Christelle – Qu’est-ce qu’on fait, on appelle la police ?

Delphine – On ne va pas s’emballer trop vite, quand même…

Alban – C’est sûr que ça risque de faire des complications.

Jérôme – Ben oui mais maintenant qu’on sait…

Christelle – On ne peut pas faire comme si on ne savait pas…

Jérôme – Ce serait du recel de cadavre.

Alban – De cadavre… Vous êtes sûr que vous n’exagérez pas un peu ? Ce n’est qu’un os…

Christelle – On ne perd pas un tibia comme ça…

Jérôme – Un fémur.

Christelle – Oui bon un fémur.

Jérôme – C’est que le reste du squelette n’est pas loin…

Christelle – On ne peut pas acheter une maison avec un cadavre enterré dans le jardin…

Alban – En même temps… On a déjà signé le compromis…

Delphine – Et nous on est sur le départ !

Jérôme – Vous peut-être, mais nous on n’est pas si pressés.

Delphine – Vous ne pouvez pas nous faire ça !

Alban – Vous n’avez pas le droit !

Delphine – Vous avez signé la promesse…

Christelle – Ah ben oui, mais là… Ce n’est pas évident…

Jérôme – C’est un cas de force majeure pour casser une promesse de vente, non ?

Christelle – Des ossements humains…

Jérôme – C’est plus grave que si on n’avait pas réussi à obtenir notre crédit ou quelque chose comme ça…

Christelle – Allez savoir… Il y en a peut-être d’autres aux quatre coins du jardin.

Jérôme – Et le jardin est grand…

Delphine – Quelle histoire… Je ne sais pas quoi vous dire…

Christelle – Je ne sais pas… Je ne me vois pas habiter une maison avec un cadavre dans le jardin…

Jérôme – Peut-être plusieurs…

Delphine – Plusieurs ?

Jérôme – Et vous vous n’avez jamais rien remarqué ?

Delphine – On ne va jamais dans le jardin…

Alban – Et on n’a pas de chien qui déterre les os…

Delphine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Alban – Je vais aller voir.

Jérôme – Je ne sais pas s’il faut toucher à quoi que ce soit…

Christelle – Si c’est une scène de crime…

Delphine – Votre chien, en tout cas, il ne s’est pas gêné…

Alban – C’est ça, on dira que c’est le chien. J’y vais. Il faut qu’on en ait le cœur net.

Jérôme – Je t’accompagne.

Alban – Tu n’as pas confiance, c’est ça ? Tu as peur que je fasse disparaître les preuves ?

Jérôme – Je t’accompagne, c’est tout…

Alban et Jérôme sortent. Christelle lance à Delphine un regard embarrassé.

Christelle – Il faut nous comprendre, aussi… On préférerait être rassurés…

Delphine – Non, non, mais je comprends, je t’assure. C’est normal…

Le portable de Delphine sonne. Après une hésitation, elle répond.

Delphine – Je t’avais dit de ne pas m’appeler sur mon portable… Non encore moins sur mon fixe ! C’est ça, je t’avais dit de ne pas m’appeler du tout !

Elle range son portable, furieuse.

Christelle – C’était lui ?

Delphine – Oui… Merci de n’avoir rien dit à Alban au sujet de mon petit dérapage lors de la soirée de fin d’année avec le prof de philo…

Christelle – On est amies, non ? Mais rassure-moi, ce n’est pour ça que tu pars, quand même ?

Delphine – Disons que c’est pour ça que je ne me suis pas opposée à ce départ, et que j’ai tout fait pour accélérer les choses…

Christelle – Non parce que changer d’établissement, c’était quand même plus simple que de vendre la maison et de partir en Uruguay, non ? C’est si sérieux que ça avec ce prof de philo ?

Delphine – Mais non, pas du tout ! C’était juste un petit accident. J’étais un peu déprimée ce soir-là… et pas mal bourrée. Mais il n’arrête pas de me coller depuis. Je te jure, je ne sais pas comment m’en débarrasser.

Alban revient.

Alban – Se débarrasser de qui ?

Delphine – Le… Le type de Canal Plus…

Christelle – Et Jérôme ?

Alban – Je m’en suis débarrassé, moi aussi. Je l’ai assommé d’un coup de pelle, et je l’ai enterré dans le jardin à côté de l’autre.

Moment de stupeur, interrompu par l’arrivée de Jérôme.

Jérôme – On n’a rien trouvé. Le chien a creusé un trou dans le massif de dahlias, mais on ne voit pas de squelette…

Christelle – Il faut peut-être creuser plus profond.

Alban – On n’a qu’à faire ça, le week-end prochain, on loue un tractopelle et on retourne le jardin…

Delphine – Et si on disait qu’on ne l’a jamais trouvé, cet os ? Et on maintient la vente…

Christelle – Mmm…

Jérôme – Faut voir…

Christelle – Qu’est-ce que tu en penses, Jérôme ?

Jérôme – Ouais… Je ne sais pas… Mais avec un sérieux rabais alors…

Alban – Quoi ?

Delphine – Un rabais ?

Alban – Mais c’est du chantage !

Delphine – Et puis on a déjà fixé le prix sur la promesse.

Alban – Vous avez signé !

Jérôme – Une promesse, ce n’est qu’un bout de papier… On peut toujours en signer une autre… J’avais amené un exemplaire vierge au cas où…

Alban – Ah d’accord… Monsieur avait tout prévu…

Lourd silence.

Delphine – Et combien vous proposeriez, par curiosité ?

Christelle – Je ne sais pas, moi…

Jérôme – Il me semble qu’un rabais de 25%…

Delphine – 25% !

Alban – Il n’est pas marchand de tapis pour rien.

Jérôme – Oh ça va, toi, avec tes grands airs ! On n’est peut-être pas aussi intellos que vous, mais on n’est pas assez cons pour acheter une baraque avec une scène de crime au milieu du jardin…

Christelle – C’est vrai qu’on parle d’un cadavre, quand même…

Alban – Un cadavre… Ce n’est qu’un os !

Jérôme – Oui, ben justement. Je crois que là, il y a un os. Et un gros…

Christelle – Et puis entre nous, vous ne nous avez pas fait un prix d’amis, non plus…

Alban – Ah d’accord… Il n’y a pas de petit profit, hein ? Il ne perd pas le nord, celui-là…

Moment de tension.

Delphine – Bon… Je vais aller rechercher des amuse-gueule, on va tous se calmer, et on va trouver une solution, d’accord ?

Jérôme – Ok…

Alban – Tu viens m’aider, Alban…

Alban – Tu n’as pas peur qu’ils volent l’argenterie, pendant qu’on a le dos tourné ? Ou le service en porcelaine de Sarreguemines…

Delphine (autoritaire) – Viens je te dis !

Ils sortent.

Christelle – 25% tu ne crois pas que tu exagères un peu ?

Jérôme – On peut toujours essayer, on verra bien…

Christelle – À ce prix-là on faisait déjà une bonne affaire.

Jérôme – Oui, ça me paraissait suspect, d’ailleurs. Je pensais que ta copine t’avait fait ce prix d’ami parce qu’elle te devait quelque chose.

Christelle – Mais non, je t’assure…

Jérôme – Tu sais quand même qu’elle se tape le prof de SVT, c’est toi qui m’as dit que tu les avais vus en train de se tripoter dans la salle de bain le jour de la fête de fin d’année…

Christelle – C’est le prof de philo, pas le prof de SVT.

Jérôme – Ouais bon, ça revient au même, non ?

Christelle – Et tu crois qu’elle me ferait un prix d’ami pour ça ?

Jérôme – Tu aurais pu la dénoncer à son mari…

Christelle – Non, je ne crois pas qu’elle a accepté notre proposition pour ça.

Jérôme – Ouais, ben maintenant je comprends mieux pourquoi… Dans cette maison, il n’y a pas seulement un amant dans le placard, il y a aussi un cadavre dans le jardin…

Christelle – N’empêche que 25%… Il ne faudrait pas y aller trop fort, non plus… Il ne s’agirait pas qu’ils changent d’avis…

Jérôme – Tu crois ?

Christelle – Le mieux est l’ennemi du bien, Jérôme. Si on déchire la promesse et qu’ils décident de vendre à quelqu’un d’autre…

Jérôme – Ils ont l’air pressés, non ? Surtout elle…

Christelle – Une maison comme ça… On n’en retrouvera pas une de si tôt.

Jérôme – Qu’est-ce que tu veux ? Une négo, c’est toujours une partie de poker menteur…

Christelle – Mais j’y tiens à cette maison, moi !

Jérôme – Même avec un cadavre enterré dans le jardin ?

Ils se taisent en voyant arriver Alban et Delphine.

Delphine – Ok, on est d’accord pour vous faire 10%.

Christelle – 10%… Jérôme ?

Jérôme – Alors vous avouez…

Alban – Quoi ? Mais pas du tout !

Delphine – C’est juste… un geste commercial.

Jérôme – 10% pour complicité de meurtre, ce n’est pas lourd…

Delphine – Vous ne croyez pas que vous abusez un peu de la situation, là ?

Christelle – Ça y est… Ça va être de notre faute, maintenant.

Jérôme – Oh et puis d’ailleurs, je ne sais pas si on va signer tout court…

Christelle – Une maison qui a peut-être appartenu à un serial killer…

Alban – C’est une maison de famille !

Jérôme – Ça… C’est toi qui connais ta famille…

Christelle – À moins que ce crime soit beaucoup plus récent…

Delphine – Tu accuses mon mari d’être un serial killer ?

Christelle – Il n’y a pas de fumée sans feu…

Jérôme – Et il n’y a pas de fémur sans cadavre…

Jérôme – De toute façon, je trouvais ça bizarre, ce départ précipité…

Alban – Quoi ?

Jérôme – C’est vrai, pourquoi vous êtes si pressés de partir à l’étranger ?

Christelle – Et de vendre la maison à des « amis »… Plutôt que de passer par une agence, comme tout le monde.

Jérôme – En Uruguay, en plus, un pays qui n’a pas d’accord d’extradition avec la France.

Alban – N’importe quoi, non mais on nage en plein délire, là !

Delphine – Ça fait des années qu’on en parlait de ce projet de départ !

Jérôme – Ça rajoute juste la préméditation…

Delphine – D’accord… Alors on est soi-disant amis, et cinq minutes après, parce que votre chien a trouvé un os dans le jardin, vous nous accusez d’être des criminels ?

Jérôme – Ouais, oh, amis…

Moment d’extrême tension.

Christelle – Bon… Je crois qu’on s’est tous un peu laissés emporter… On va respirer un bon coup et on va se calmer, d’accord ?

Delphine – Mouais…

Christelle – Et puis on n’a pas dit que c’était vous… (À Alban) Tu as dit que c’était une maison de famille. C’est peut-être ton père. Puisqu’il a disparu, lui aussi… Il n’a pas disparu ?

Alban – Si…

Christelle – Il s’est peut-être enfui à cause de ça… Pour échapper à la justice…

Alban – Mon père ?

Christelle – Ou ton grand-père ! Tiens, il a peut-être tué un allemand pendant la guerre et il l’a enterré dans le jardin. Si ça se trouve, ton grand-père est un héros ! Et il sera décoré de la Légion d’Honneur à titre posthume…

Alban – Mon grand père était un grand admirateur du Maréchal… Et la seule médaille qu’il ait reçue, c’est la Francisque…

Jérôme – Ah d’accord…

Alban – De toutes façons, tout ça est parfaitement ridicule… Et on n’a pas de compte à vous rendre… Vous êtes de la police ?

Jérôme – Tu veux qu’on l’appelle, la police ?

Christelle – Jérôme, je t’en prie… On va régler ça entre nous, non ?

Alban – Non mais c’est vrai. Il se prend pour qui, Tintin ?

Delphine – Alban, n’en rajoute pas, toi non plus…

Alban – Et après tout, pourquoi il ne viendrait pas de chez vous cet os ?

Jérôme – De chez nous ?

Alban – C’est ton chien qui l’a apporté. Il l’a peut-être trouvé dans ton jardin, il l’a mis dans la voiture et il est venu l’enterrer ici.

Delphine – Ah tiens, c’est vrai ça… Pourquoi pas ?

Jérôme – Non mais tu entends ça, Christelle ? Ça y est, ça va être de la faute de Milou, maintenant…

Alban – Dans ce cas, le serial killer, ce serait toi !

Delphine – C’est peut-être dans votre jardin, qu’il faudrait creuser avec un tractopelle !

Christelle – On n’a pas de jardin de toutes façons !

Jérôme – Ils n’aiment pas les animaux, ça se voit. Et les bêtes elles le sentent, quand on ne les aime pas.

Christelle – C’est sûrement pour ça qu’il est allé déterrer cet os dans leur jardin…

Jérôme – N’empêche que sans lui, on n’aurait jamais su, pour le cadavre…

Delphine – Non, mais vous voyez bien que tout ça est absurde ! Enfin, réfléchissez un peu ! Si Alban avait tué quelqu’un et l’avait enterré dans le jardin, je le saurais.

Jérôme – Tu le savais peut-être…

Alban – Mais j’y pense… Pourquoi ce ne serait pas Tintin qui l’aurait apporté volontairement ici cet os ?

Christelle – Pourquoi on aurait fait ça ?

Delphine – Pour obtenir un rabais…

Jérôme – Quoi ?

Alban – Je trouvais ça louche, aussi, qu’il sorte immédiatement de sa manche un deuxième exemplaire vierge de la promesse de vente. On dirait qu’il avait tout prévu, le salopard…

Jérôme se lève et défie Alban.

Christelle – Enfin, vous n’allez pas vous battre, quand même !

Delphine – Toi la fausse blonde, ça va !

Christelle – La fausse blonde ?

Delphine – Vous nous accusez d’être un couple diabolique, et on ne devrait rien dire !

Jérôme – Et vous, vous nous accusez d’être des escrocs !

Christelle – Et puis après tout, Alban n’est peut-être au courant de rien. Pourquoi ce ne serait pas toi, Delphine ?

Delphine – Moi ?

Christelle – Peut-être que tu tues tes amants, et que tu les enterres dans le jardin pour t’en débarrasser quand ils deviennent trop encombrants !

Alban – Quels amants ?

Jérôme – C’est vrai. Ça fait un moment qu’on ne l’a pas vu, ce prof de SVT.

Alban – Il n’y a que moi qui ne sois au courant de rien, si je comprends bien.

Delphine – Ce n’est pas le prof de SVT, c’est le prof de philo ! Il s’est mis en congé maladie. Il est en dépression !

Alban – Ça ne vous dérange pas trop que je participe à la conversation ?

Delphine – Christelle était là quand il m’a appelé tout à l’heure ! Comment son squelette pourrait être enterré dans le massif de dahlias ?

Alban – Qui a appelé ? Attendez, ça me regarde un peu quand même…

Christelle – Tu n’auras qu’à demander à ta femme…

Alban se tourne vers Delphine.

Delphine – Non mais elle dit n’importe quoi, tu vois bien…

Jérôme – Bon, on va vous laisser régler vos problèmes en famille…

Christelle – Et pour la maison, vous trouverez un autre acheteur !

Jérôme – Moi je n’étais pas pour, de toute façon. Je la trouvais trop chère. Je l’avais dit à Christelle, mais elle ne voulait pas marchander avec des amis…

Alban – Eh ben comme ça, on n’est plus amis, c’est beaucoup plus simple.

Jérôme – Allez viens Christelle. On s’en va…

Jérôme et Christelle sortent. Alban et Delphine restent là, sonnés.

Alban – Bon… Alors c’est quoi cette histoire avec le prof de philo ?

Delphine – Mais rien… Elle invente n’importe quoi pour se venger, tu n’as pas compris !

Alban – Elle dit que ce type t’a téléphoné, tout à l’heure… Il ne s’appellerait pas Canal Plus, par hasard, ton amant ? C’est lui qui te harcèle ?

Delphine – Écoute Alban, tu ne crois pas qu’il y a plus urgent qu’une crise de jalousie, là ? Si on ne vend pas cette maison avant de partir en Uruguay, on est dans la merde ! On comptait sur cet argent pour s’installer là-bas !

Alban – C’est vrai…

Delphine – Et ce n’est pas avec les ventes phénoménales de ton dernier roman qu’on va pouvoir se payer une villa avec vue sur la mer à Montevideo !

Alban – Merci de me le rappeler…

Delphine – Ben oui, excuse-moi !

Alban – Mais quand on aura réglé ce problème, il faudra quand même qu’on reparle de ton abonnement Canal Plus.

Delphine – Bon, en attendant, comment on va faire avec la maison ?

Alban – Je ne sais pas moi… On peut trouver un nouvel acheteur…

Delphine – En si peu de temps… Ça ne va pas être évident.

Alban – Ouais… Et en espérant que ces collabos ne nous dénoncent pas à la police entre temps…

Delphine – Tu crois qu’ils pourraient aller jusque là ?

Alban – Pendant la guerre, je suis sûr que c’était le genre à dénoncer les Juifs à la Gestapo pour récupérer un appartement plus grand.

Delphine – On devrait peut-être devancer l’appel et se dénoncer nous-mêmes pour montrer notre bonne foi…

Alban – Comment ça, se dénoncer ? Mais on n’est pas coupable !

Delphine – Non, bien sûr… Je veux dire… On devrait peut-être prévenir la police nous-mêmes, pour montrer qu’on a rien à se reprocher.

Alban – Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée…

Delphine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Alban – Je ne sais pas…

Alban remplit deux verres.

Alban – Tiens, on va boire un coup, ça va nous éclaircir les idées…

Ils boivent en silence.

Delphine – Et pour l’os, tu n’as pas une petite idée ?

Alban – Tu ne vas pas m’accuser toi aussi ?

Delphine – Non évidemment, mais ce fémur n’est pas venu là tout seul à pied non plus !

Alban – Et pourquoi ce serait à moi de trouver l’explication de ce mystère ? De ce côté-là Christelle a raison. Ça pourrait aussi bien être toi !

Delphine – Non mais tu me vois en train de tuer quelqu’un et l’enterrer dans le jardin ?

Alban – Tu m’y vois bien, toi !

Delphine – Je ne sais pas moi… C’est ta maison de famille… Les secrets de famille, ça existe. Tu ne me cacherais pas quelque chose ?

Alban – Mais pas du tout !

Delphine – Tu n’as jamais su mentir…

Alban – Contrairement à toi, tu veux dire ?

Delphine – Je suis sûre que tu me caches quelque chose.

Alban – C’est curieux, j’ai exactement la même impression avec toi… Mais pas sur le même sujet…

Delphine – Tu es vraiment sûr que tu ne sais rien ?

Un temps.

Alban – C’est vrai qu’on a déjà trouvé des os dans le jardin…

Delphine – Quoi ?

Alban – Mais il y a des os partout, non ? La vie est apparue sur terre il y trois milliards d’années. On vit sur un tas d’os !

Delphine – Pas des ossements humains !

Alban – Je ne savais pas que c’était des ossements humains, moi…

Delphine – Mais qui ça peut-être ?

Alban – Je ne sais pas…

Delphine – Après tout, Jérôme a peut-être raison… Et si c’était ton père ?

Alban – Mon père ? S’il avait tué quelqu’un, la police aurait fini par le retrouver, non ?

Delphine – Pas si c’est lui la victime.

Alban – Qui aurait bien pu vouloir tuer mon père et l’enterrer dans son propre jardin ?

Delphine – Ta mère.

Alban – Ma mère ?

Delphine – Une femme a toujours une bonne raison de vouloir tuer son mari…

Alban – Et vice versa…

Delphine – Tu m’as dit qu’il avait disparu pas très longtemps après ta naissance. C’est peut-être ta mère qui l’a tué lors de sa dernière visite et elle l’a enterré ici…

Alban – Pourquoi elle aurait fait ça ?

Delphine – Tu dis toi-même qu’il la trompait avec tout ce qui bouge.

Alban – Heureusement, l’adultère ne conduit pas forcément au crime…

Delphine – Et les os que tu as trouvés, ça ne t’as pas fait réfléchir ?

Alban – Je ne sais pas… J’ai pensé que c’était des os de vache…

Delphine – Des vaches, dans la banlieue parisienne ?

Alban – Du temps de mon grand-père, il y avait encore des fermes, par ici.

Delphine – Quand je pense que tu as vu un psychanalyste deux fois par semaine pendant plus de dix ans ! Et que pendant ce temps-là, tu ne t’es pas douté qu’avec tous les os que tu trouvais dans ton jardin, tu aurais pu reconstituer le puzzle de ton père disparu… Franchement, si j’étais toi, je demanderai à être remboursé.

Alban – Oui, ben je vais faire ça tiens…

Delphine – Non mais tu te rends compte ? À 50 euros la séance ! On n’aurait même pas eu à vendre la maison pour partir en Uruguay !

Alban – Si on n’avait pas vendu la maison, on ne serait jamais parti !

Delphine – D’ailleurs, elle n’est pas encore vendue…

Alban – Et puis tu crois que c’est si facile que ça d’envisager que ta mère ait pu tuer ton père et l’enterrer dans le massif de dahlias ?

Delphine regarde vers le jardin.

Delphine – En tout cas, les dahlias, ça a l’air de leur avoir profité…

Alban – Il faut croire que mon père, il n’avait pas que la main verte.

Moment de flottement. Ils se rasseyent, abattus.

Delphine – C’est quoi le truc le plus gros que tu aies tué dans ta vie ?

Alban – Je ne sais pas… Je ne suis pas chasseur… Une araignée…

Delphine – Une araignée ?

Alban – Non, mais une grosse…

Delphine – Je parlais au moins d’un mammifère… Les insectes, ça ne compte pas…

Alban – Non, je ne vois pas… Ah si, c’est vrai… Je crois qu’un jour j’ai roulé sur un hérisson qui traversait la route.

Delphine – Tu ne t’es pas arrêté ?

Alban – Un hérisson ! Ce n’est pas comme un chat ou… C’est un animal sauvage.

Delphine – J’espère au moins qu’il est mort sur le coup.

Alban – C’était un homicide involontaire… Et puis c’était un petit hérisson… Tu me vois arriver chez un vétérinaire avec un hérisson à moitié aplati.

Delphine – Pauvre petit hérisson…

Alban – C’était sur l’autoroute. J’aurais pu me tuer, en roulant sur ce hérisson ! Un pneu qui éclate, à cette vitesse-là, tu imagines. Ça ne pardonne pas. Et toi, tu ne penses qu’au hérisson ?

Delphine – Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?

Alban – Un vétérinaire, ça me donne une idée ! Et si on allait montrer l’os à Pierre ?

Delphine – Pierre ?

Alban – Le libraire d’à côté !

Delphine – Pourquoi un libraire s’y connaîtrait plus que nous en matière d’os ? Il est spécialisé dans les livres de religion et de mythologie… Si c’était un os de licorne, encore…

Alban – Avant d’être libraire, il était vétérinaire.

Delphine – Ah bon ? Je ne savais pas. Quelle drôle d’idée…

Alban – Bon, ce n’est pas le problème. Lui, il saura nous dire avec certitude si c’est un os de vache ou pas.

Delphine – En même temps… On est en ville, il ne devait soigner que des chats ou des chiens… Peut-être des perroquets, de temps en temps…

Alban – Il a fait des études, quand même. On doit leur apprendre à reconnaître un fémur d’homme et un fémur de vache.

Delphine – Tu crois ?

Alban – Il faut en avoir le cœur net. On ne va pas vendre la maison sans savoir… Imagine que les nouveaux propriétaires découvrent d’autres ossements en bêchant le jardin…

Delphine – Tu as raison… Et puis ta mère est morte, si c’est elle qui a tué ton père, elle ne risque plus rien…

Alban – Oui, bon, j’aimerais autant pas, quand même… Ça la fiche mal, non ?

Delphine – De toute façon, on s’en va en Uruguay… Alors les voisins…

Alban – Mmm… Et puis après tout, même si le libraire nous confirme que c’est un os humain… On pourra toujours garder le secret pour nous…

Delphine – Sauf si ton vétérinaire nous dénonce à la police…

Alban – Ils sont tenus au secret médical, non ?

Delphine – Pas en cas de meurtre… Ce sont les médecins, qui sont tenus au secret médical. Pas les vétérinaires. Et puis il est libraire, maintenant…

Alban – Il est très catho…

Delphine – Dans ce cas, on peut toujours miser sur le secret de la confession…

Alban – Je vais plutôt lui envoyer une photo avec mon portable, ce sera moins compromettant… (Il regarde autour de lui) Au fait il est où cet os ?

Delphine – Il était là tout à l’heure…

Alban – C’est peut-être ces salopards qui l’ont emmené comme pièce à conviction…

La sonnette d’entrée retentit.

Delphine – Ça y est… C’est la Gestapo… Ils viennent nous chercher…

Alban – Tu veux dire la police…

Delphine – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Alban – Ce n’est pas ce que j’ai entendu…

Delphine – De toute façon, il est trop tard pour s’enfuir. Où veux-tu qu’on aille ?

Alban – En Uruguay ? Jérôme dit qu’il n’y a pas d’accord d’extradition avec la France… (Elle le regarde avec un air interloqué) Ok, je vais voir…

Il sort et revient un instant après avec Jérôme et Christelle qui affichent un air penaud.

Christelle – Je crois qu’on vous doit des excuses…

Jérôme – C’est vrai qu’on s’est peut-être un peu emballé.

Delphine – On est tous nerveux, c’est normal. Avec notre départ. La vente de cette maison…

Jérôme – Je crois que les mots ont un peu dépassé notre pensée.

Christelle – On ne va pas se fâcher pour ça, ce serait dommage…

Alban reste prudemment silencieux. Jérôme lui fait face et lui tend la main. Alban accepte de lui serrer.

Jérôme – On ne veut pas vous attirer des complications.

Christelle – Et puis on y tient à cette maison…

Jérôme – On va s’en tenir à ce qu’il y a dans cette promesse de vente, d’accord ?

Alban – Alors c’est pour ça que vous êtes revenus ?

Jérôme – Oui…

Christelle – Et puis on est venu aussi vous rapporter ça.

Elle sort l’os de son sac à main.

Christelle – On l’a retrouvé dans la voiture…

Jérôme – C’est sûrement le chien qui l’a emporté sans qu’on s’en rende compte…

Christelle – Comme quoi… Les os ça peut voyager loin, avec un chien.

Jérôme – C’est vrai… Après tout, on ne sait pas d’où il vient cet os… Il peut venir de n’importe où…

Alban – Oui, c’est justement ce que je disais tout à l’heure… Je vous trouve bien conciliants, tout d’un coup… Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Delphine – Il y a autre chose ?

Jérôme et Christelle échangent un regard embarrassé.

Jérôme – Milou avait un peu rongé l’os, alors j’ai regardé de plus près à l’endroit où il avait fait une entaille avec ses dents…

Delphine – Et alors ?

Christelle – En fait… C’est un os en plastique.

Delphine – Pardon ?

Jérôme – C’est bien un fémur humain, mais c’est un fémur en plastique.

Alban – Vous êtes sûrs ?

Jérôme – J’ai mis mon briquet en dessous pour vérifier, et il n’y a pas de doute. C’est du plastique. (Il tend l’os) Tenez, on sent encore l’odeur.

Delphine met son nez sur l’os.

Delphine – Ah oui, dites donc. On sent bien le plastique. (À Alban) Tu veux sentir ?

Alban – Ça ira, merci…

Delphine – Un os en plastique ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Christelle – Quelqu’un qui aura voulu vous faire une farce ?

Alban – Je ne sais pas…

Jérôme – Ça vient peut-être d’un de ces squelettes qu’on utilisait autrefois dans les écoles pour enseigner l’anatomie aux enfants…

Christelle – Mais pourquoi enterrer un squelette en plastique dans son jardin…

Delphine – Il y avait une école autrefois dans le coin ?

Alban – Mon grand père était instituteur…

Jérôme – Eh ben voilà !

Alban – Maintenant, je me souviens… Quand j’étais gamin, je voyais souvent ce squelette à la maison. On l’appelait Martin…

Delphine – Eh ben tu vois… Finalement, ta psychanalyse aura donné quelques résultats… Mais tu n’aurais pas pu t’en souvenir plus tôt ? Ça nous aurait épargné ce petit malentendu…

Alban – Ça me revient seulement maintenant. Je n’avais pas fait le rapprochement. Et puis je n’étais pas complètement sûr que ce soit un souvenir réel. J’en parlais souvent à mon psy… Mais je pensais que Martin, c’était un ami imaginaire…

Christelle – Un squelette ?

Alban – On ne choisit pas toujours ses amis… Même ses amis imaginaires…

Jérôme – Mais pourquoi ton grand-père a hérité de ce squelette, si c’était celui de l’école ?

Alban – Peut-être qu’on lui a offert en souvenir comme cadeau de départ à la retraite.

Christelle – Oui…

Jérôme – Ça n’explique pas pourquoi il l’a enterré dans le jardin…

Delphine – Pour s’en débarrasser, peut-être.

Alban – Ou pour nous faire une farce… Comme vous disiez tout à l’heure… Mon grand-père était très farceur…

Jérôme – Je croyais que c’était un grand ami du Maréchal.

Alban – Mitterrand aussi… Ça n’empêche pas d’avoir de le sens de l’humour…

Moment de perplexité.

Christelle – Et où est passé le reste ?

Alban – Le reste ?

Christelle – Le reste du squelette en plastique !

Alban – Ça…

Jérôme – Si on le retrouve, on vous le mettra de côté.

Delphine – Comme ça au moins tu retrouveras un ami.

Alban – Enfin, le principal, c’est que ce n’est pas vraiment un os.

Delphine – Sans os, pas de cadavre. Et sans cadavre pas de crime.

Christelle – Oui, tout est bien qui finit bien…

Soulagement général, mêlé d’une certaine gêne.

Delphine – Bon, alors on s’en tient à cette promesses de vente ?

Jérôme – Une promesse est une promesse.

Christelle – Et puis on est toujours amis, non ?

Silence un peu embarrassé.

Delphine – Un dernier verre, pour célébrer ça ?

Jérôme – Je crois que ce ne serait pas très raisonnable…

Christelle – On va y aller. On a eu assez d’émotions comme ça pour aujourd’hui.

Jérôme – Alors à bientôt, pour la signature définitive ?

Alban – On a donné procuration à notre notaire. On part en Uruguay la semaine prochaine…

Christelle – Bon… Alors bon voyage…

Jérôme – On viendra vous voir, comme on a dit ?

Alban – C’est ça…

Jérôme et Christelle partent dans une ambiance glaciale.

Delphine – Je vous raccompagne…

On entend des aboiements. Delphine revient.

Delphine – Ouf…

Alban – Oui… J’ai cru qu’on n’arriverait jamais à s’en débarrasser…

Delphine – Tu parles de la maison ou de Jérôme et Christelle.

Alban – Les deux…

Ils s’asseyent sur un carton, épuisés.

Delphine – C’est incroyable, cette histoire de squelette en plastique…

Alban – Oui… Incroyable, c’est le mot…

Delphine – Je ne savais pas que ton grand-père était instituteur…

Alban – Mon grand-père était charcutier.

Delphine – Quoi ?

Alban – Il a acheté cette maison avec le fric qu’il a gagné pendant la guerre en vendant des saucisses au marché noir.

Delphine – Mais pourquoi tu leur as dit que…?

Alban – Il fallait bien trouver quelque chose. On veut la vendre cette maison ou pas ?

Delphine – Mais je ne comprends pas… L’os est bien en plastique, regarde !

Alban – Oui. Mon père avait un fémur en plastique.

Delphine reste un instant interloquée.

Delphine – C’était une sorte de cyborg ou bien…?

Alban – Je t’ai dit qu’il était cascadeur… À la suite d’un grave accident, on lui a posé un fémur en plastique…

Delphine – Alors tu crois que…

Alban – Je ne sais pas… Peut-être que ma mère a versé de la chaux sur le cadavre pour le faire disparaître et que seul le fémur en plastique a résisté…

Delphine – Mais pourquoi elle aurait fait ça ?

Alban – À cause de ses nombreuses infidélités, j’imagine… Tu sais qu’il y a des gens très jaloux qui sont prêts à tuer quand ils apprennent qu’ils sont cocus ?

Delphine – Alors tu crois que c’est ça ? C’est le fémur de ton père ?

Alban – Après pas mal de galipettes, ma mère lui a fait faire sa dernière cascade…

Ils contemplent l’os, songeurs.

Delphine – Tu as raison, il vaut mieux oublier tout ça…

Alban (brandissant l’os) – Au moins, maintenant, j’aurais un souvenir de papa…

Delphine – La victime et son assassin sont morts.

Alban – Et il y a prescription depuis longtemps.

Delphine – Ce n’est pas toujours bon d’aller fouiller dans le passé… Déterrer les cadavres… Il faut savoir pardonner… Oublier… Il faut aller de l’avant !

Alban – Mmm…

Delphine – En tout cas, bravo pour cette histoire d’instituteur et de cours d’anatomie… Tu n’es pas romancier pour rien. Et ce squelette qui s’appelait Martin… Où est-ce que tu vas chercher tout ça ?

Alban – Tu n’as jamais vu Les Disparus de Saint Agil ?

Delphine – Ah oui, c’est vrai… Il y a un squelette dans la salle de classe…

Alban – Et le squelette s’appelle Martin.

Delphine – J’espère que Jérôme et Christelle n’ont pas vu le film…

Alban – Et puis va savoir… Ce n’est peut-être pas le fémur en plastique de mon père…

Delphine – Mais alors d’où viendrait cet os ?

Alban – C’est peut-être ici qu’on a tourné Les Disparus de Saint Agil…

Delphine – Mouais…

Alban – Si tu permets, je préfère laisser ouverte cette possibilité.

Le portable de Delphine sonne.

Alban – Tu ne réponds pas ?

Delphine – Non…

Alban – C’est encore Canal Plus…

Delphine – Oui…

Alban – Et tu es allée jusqu’où, avec Canal Plus… Tu avais un abonnement ? Ou c’était à la demande ?

Delphine – C’était juste un petit dérapage d’un soir, je te jure.

Alban – Pourquoi tu ne m’en as pas parlé. On s’était promis de tout se dire, si quelque chose comme ça devait nous arriver à l’un ou à l’autre. Tout plutôt que de se mentir.

Delphine – Oui, mais le moment était mal choisi.

Alban – Je ne sais pas s’il y a un bon moment pour s’avouer ce genre de choses. Mais pourquoi ?

Delphine – Parce que j’avais une autre nouvelle à t’annoncer.

Alban – Tu me quittes ?

Delphine – Je suis enceinte…

Alban – De qui ?

Delphine – Voilà… C’est pour ça que je disais que le moment était mal choisi… Je voulais éviter d’entendre cette question…

Alban – Elle est quand même un peu légitime, non ?

Delphine – Il n’y a absolument aucune chance que quelqu’un d’autre que toi soit le père, je te le jure sur la tête de cet enfant que je porte.

Alban – Elle doit être encore toute petite, cette tête… Et comment tu peux être aussi sûre ?

Delphine – Parce je n’ai pas couché avec… Canal Plus. Je te jure !

Alban – Ok, admettons… Mais ne me dis pas que c’est pour t’éloigner de la scène de crime que tu as précipité notre départ en Uruguay ?

Delphine – Non… Même s’il y a aussi un peu de ça…

Alban – Si on a décidé de partir, c’est parce qu’on avait rien pour nous retenir ici. Peut-être qu’avec un enfant, on aurait décidé de rester…

Delphine – C’est aussi pour ça que je ne t’ai rien dit avant la signature… Pour que ça ne nous empêche pas de commencer une nouvelle vie, justement. Je ne veux pas que cet enfant représente un renoncement… Je veux que ce soit un nouveau départ.

Alban – Alors notre enfant va naître en Uruguay… Ça ne te fait pas peur ?

Delphine – Il y a des hôpitaux aussi en Uruguay. Des tas d’enfants y naissent tous les jours… Avec toi à mes côtés, je n’ai peur de rien…

Alban – Vu mes antécédents familiaux… Tu n’as pas peur de finir au fond d’un jardin dans un massif de dahlias…

Delphine – Je te fais confiance… Je sais que tu n’as pas la main verte…

Alban – Alors tu m’as trompé ou tu ne m’as pas trompé ?

Delphine – Techniquement non, je t’assure…

Alban – Techniquement ? Je ne sais pas si ça me rassure. Ça commence où, tromper, pour toi ?

Delphine – Viens, je vais te montrer où ça commence, de tromper son mari… Avant que je ne sois grosse comme une vache…

Elle l’enlace et commence à l’entraîner vers les coulisses.

Alban – Excuse-moi mais… Je te rappelle qu’on n’a plus de lit.

Delphine – Parfait… Comme ça… Ça ressemblera encore plus à un adultère….

Ils sortent.

Noir.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-60-4

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

Un Os dans les Dahlias Lire la suite »

Le Gendre Idéal

The perfect son-in-law –  El yerno ideal –  O genro perfeito  

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes

Quand on a abandonné sa fiancée un an auparavant à la veille du mariage  en lui laissant pour toute explication un post it sur le frigo,  mieux vaut ne jamais revenir…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Le gendre idéal

Personnages : ValentineStéphaneMauriceFrançoise 

La salle de séjour d’un petit appartement, dans un savant désordre suggérant la présence d’un nourrisson. Dans un berceau, un bébé pleure. Au dessus du berceau, un mobile musical émet un de ces airs connus supposés endormir les bébés, tout en projetant sur le mur du fond des ombres kaléidoscopiques et colorées. Une jeune femme, Valentine, arrive et prend le bébé dans ses bras pour le calmer.

Valentine – Allez, c’est l’heure de dormir, maintenant… Pourquoi tu pleures comme ça ? Tu n’as aucune raison de pleurer ! Moi, oui, j’aurais de bonnes raisons de pleurer, mais toi ? Quelles raisons tu pourrais bien avoir pour chialer comme ça ? Tu as l’estomac plein, les fesses propres. Tu passes tes journées à regarder des images psychédéliques au plafond en écoutant de la musique planante. Qu’est-ce que tu veux encore ? Ton doudou ? Je t’ai déjà expliqué : maman a oublié ton ourson hier sur le toit de la Twingo de mamy, il s’est envolé sur l’autoroute et un gros camion a roulé dessus. On a réussi à retrouver une jambe, mais le reste a dû être broyé en passant sous les roues. Tu veux que je donne la jambe quand même ?

Toujours avec le bébé dans les bras, Valentine va chercher la jambe de la peluche et lui donne.

Valentine – Tiens, mais je te préviens, ce n’est pas beau à voir… C’est plein de cambouis et ça sent le gasoil…

Le bébé cesse de pleurer.

Valentine – Alléluia ! Si je pouvais enfin avoir un peu la paix…

Elle replace le bébé dans le berceau délicatement.

Valentine – Ça a l’air de le calmer, les vapeurs d’essence…

La sonnerie stridente du téléphone réveille soudain les pleurs du bambin.

Valentine – Non mais ce n’est pas vrai, c’est un cauchemar !

Elle décroche, de mauvaise humeur.

Valentine (excédée) – Oui maman… Oui, je sais que vous venez tout à l’heure, tu m’as déjà téléphoné trois fois pour me le dire… Mais évidemment que je suis là, où veux-tu que je sois ? En train de me bronzer sur une plage aux Seychelles ? Une surprise… Je n’aime pas beaucoup les surprises, mais bon… Si, si, j’ai hâte de savoir ce que c’est, bien sûr… Ok, à tout à l’heure, maman… Moi aussi, je t’embrasse… Ah, maman ! Surtout, vous ne sonnez pas à la porte en arrivant ! Au cas où j’aurais réussi à l’endormir d’ici là… Eh ben vous frappez doucement, je vous entendrai ! Dans un deux pièces, tu sais, on ne risque jamais de s’éloigner beaucoup de la porte. D’accord, à tout à l’heure…

Valentine raccroche. Le bébé pleure toujours. Elle le prend dans ses bras.

Valentine – Qu’est-ce que tu veux ? Que je te remette un peu de gasoil sur ton doudou ? Désolé, je n’en ai pas ! Ça pourrait peut-être marcher avec du White Spirit, mais il faudra que tu me promettes de ne pas fumer au lit, comme ton père en avait la mauvaise habitude… Et surtout, ne me demande pas où est passé ton père, hein ? Maman aussi, elle a perdu son doudou. Et elle n’a même pas pu récupérer une jambe… Tu veux que je te chante une chanson ? Je ne suis pas sûre d’en connaître beaucoup… Je n’ai aucune mémoire pour les paroles… Mais si tu veux, je peux te jouer un morceau qu’aimait beaucoup ton papa. Ça s’appelle Smoke On The Water. En français, « fumer sur les waters ».

Valentine commence à imiter avec sa bouche les premières mesures légendaires de Smoke On The Water de Deep Purple. Sans doute sidéré par cette prestation inattendue, le bébé se calme immédiatement.

Valentine – C’est dingue ! On dirait qu’il préfère Deep Purple à Chantal Goya…

La sonnette bruyante de la porte retentit, réveillant les pleurs du bambin. Valentine manque de s’étrangler, avant de se diriger vers la porte, exaspérée.

Valentine – Je vais l’étrangler…

Valentine ouvre la porte et semble très surprise d’apercevoir sur le seuil un jeune homme en costume, chemise blanche et cravate.

Stéphane – Tu me reconnais, quand même…?

Valentine – Stéphane ?

Les pleurs du bébé se sont tus.

Stéphane – Il faut absolument que je te parle.

Valentine – Il n’en est pas question. Tu te casses, je ne veux plus te voir !

Elle essaie de refermer la porte, mais il l’en empêche.

Stéphane – Je comprends ta réaction, Valentine… Mais il faut que tu m’écoutes. Je t’en supplie, laisse-moi entrer cinq minutes…

Valentine – Non mais ça ne va pas, de débarquer comme ça sans prévenir. Au bout d’un an !

Stéphane – Si je t’avais prévenue, tu ne m’aurais même pas ouvert…

Valentine – Fous le camp, je te dis ! Pour moi, tu es mort, tu comprends ?

Stéphane – Très bien, je ne veux pas forcer ta porte. Mais si tu refuses de me laisser entrer, je m’assieds sur ton paillasson, et je ne bouge plus d’ici. Jusqu’à ce que tu acceptes d’entendre ce que j’ai à te dire…

Valentine hésite, visiblement dépassée par la situation.

Valentine – Ok, mais donne-moi trente secondes d’abord. C’est le bazar ici… Et après, tu t’en vas, d’accord ?

Stéphane – D’accord.

Valentine referme la porte.

Valentine – Oh, non, ce n’est pas vrai…

Valentine fait disparaître de la pièce tout ce qui pourrait trahir la présence d’un bébé : vêtements, couches, jouets… Puis elle se penche sur le berceau.

Valentine – Si tu restes tranquille, maman t’achètera un autre ours avec une tête et des bras, d’accord ?

Elle emporte le berceau dans la pièce d’à côté, revient, remet un peu d’ordre dans sa tenue et va ouvrir à nouveau la porte.

Stéphane – Merci, Valentine…

Valentine – On a dit cinq minutes. (Elle regarde sa montre) Dans cinq minutes, tu dégages, je te préviens.

Stéphane – Ok.

Stéphane entre dans la pièce, jette un regard circulaire, puis regarde Valentine.

Stéphane – Tu n’as pas changé…

Valentine – On ne peut pas en dire autant de toi… La dernière fois que je t’ai vu tu avais les cheveux longs, une barbe, un cuir et des santiags…

Stéphane – On dit que l’habit ne fait pas le moine, mais ce n’est pas toujours vrai. J’ai changé, je t’assure…

Valentine – Qu’est-ce que tu veux, Stéphane ?

Stéphane – Je comprends que tu m’en veuilles…

Valentine – Moi ? Mais pourquoi je t’en voudrais ? Il y a un an exactement, à cette époque-là, on était à une semaine de notre mariage, tu te souviens de ça, quand même ? Les invitations étaient envoyées. Le plan de table était déjà fait.

Stéphane – Je sais…

Valentine – Tu sais…? En tout cas, ça ne t’a pas empêché de disparaître du jour au lendemain sans un mot d’explication…

Stéphane – Tu exagères… Je t’ai quand même laissé un mot… Tu l’as eu au moins ?

Valentine – Ah, oui, pardon… Le post it sur le frigo… Tiens, d’ailleurs, je l’ai gardé en souvenir. (Elle ouvre un tiroir et en sort un post it qu’elle lit) Tu es trop bien pour moi. Je ne te mérite pas. Oublie-moi. Trois phrases et autant de fautes d’orthographe (Elle lui lance un regard assassin) C’est supposé suffire pour que douze mois après, je t’accueille à bras ouverts ?

Il fait profil bas.

Stéphane – Je vais t’expliquer…

Valentine – Finalement, tu n’as pas réussi à trouver une fille moins bien que moi, c’est ça ? Après un an de recherche, ce n’est pas très flatteur pour moi, mais bon.

Stéphane – Je ne t’ai pas tout dit, Valentine.

Valentine – Attends, je crois deviner… Tu t’es fait enlever par des extraterrestres. Ils t’ont emmené sur leur planète pour faire des expériences scientifiques sur toi, et ils viennent tout juste de te relâcher, c’est ça ?

Stéphane – Tu n’es pas loin de la vérité, tu sais.

Valentine – Sans blague ?

Stéphane – Je me suis coffrer après avoir braqué une supérette… J’ai pris un an ferme…

Après un moment de stupeur, Valentine applaudit avec un air ironique.

Valentine – Alors là, chapeau l’artiste… Je suis bluffée…

Stéphane – Je me doutais que tu ne me croirais pas…

Valentine – Ah, quand même !

Stéphane soulève sa manche de chemise pour montrer ce qui est supposé ressembler à un bracelet électronique.

Stéphane – Je suis en liberté conditionnelle. Je dois porter un bracelet électronique. Pendant quelques jours encore…

Valentine, impressionnée, passe de l’ironie à la surprise.

Valentine (méfiante) – Ça ne se porte pas à la cheville, d’habitude ? J’ai vu ça à la télé.

Stéphane – Dans les séries américaines, peut-être… En France, c’est au poignet. C’est pour ça qu’on appelle ça un bracelet…

Valentine – Mais qu’est-ce qui t’a pris de braquer une supérette ?

Stéphane – J’avais besoin d’argent… Pour payer notre mariage, notamment…

Valentine – Alors c’est à ça que tu estimais le prix de notre amour ? Le contenu du tiroir caisse d’une supérette. Champion ? Casino ?

Stéphane – C’était plutôt une épicerie arabe, en fait…

Valentine – Quitte à finir en prison, tu aurais au moins pu braquer une banque ! Mais tu n’as jamais eu aucune ambition, Stéphane. Tu n’es qu’un looser. Finalement, c’est toi qui avais raison : je suis trop bien pour toi…

Stéphane – C’était l’épicerie juste en bas de chez moi… Le type m’a reconnu et il a téléphoné à la police. J’ai juste eu le temps de passer chez toi pour te laisser ce message. Avant que les flics viennent m’arrêter…

Valentine – Et pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Stéphane – J’ai voulu t’éviter une explication pénible avec tes parents !

Valentine – C’est vraiment très délicat de ta part.

Stéphane – Avec ton père, surtout. Comme il est gendarme… Tu imagines la honte pour lui s’il avait dû raconter à ses collègues que ce mariage ne pourrait pas avoir lieu parce que son futur gendre était en prison ?

Valentine – Hun, hun…

Stéphane – Déjà qu’il ne m’aimait pas beaucoup… Il ne m’a jamais fait confiance, ton père…

Valentine – On se demande pourquoi, en effet…

Stéphane – Mais pendant cette année passée derrière les barreaux, j’ai eu le temps de réfléchir, Valentine, crois-moi. Et il y a une chose que j’ai comprise : l’avenir est un plat qui se mange froid.

Elle reste un instant sidérée par la profondeur de cet aphorisme.

Valentine – Et il t’a fallu un an pour trouver ça ?

Stéphane – Maintenant, fini les conneries, je te le jure. Tiens, sur la tête de nos futurs enfants…

Valentine – Tu as aussi arrêté la musique ?

Stéphane fait un geste pour montrer sa nouvelle tenue de cadre.

Stéphane – C’est un nouveau Stéphane que tu as devant toi, Valentine.

Valentine – Je vois ça… Quand j’ai ouvert la porte j’ai cru que c’était les témoins de Jéhovah.

Stéphane – Ne me dis pas que tu préférais l’autre Stéphane.

Valentine – Laisse-moi le temps de m’habituer…

Stéphane – J’ai même trouvé un vrai boulot !

Valentine – Et tu bosses dans quoi, exactement ? Dans les pompes funèbres ?

Stéphane – Je travaille… dans l’agro-alimentaire.

Stéphane prend les mains de Valentine.

Stéphane – Fais-moi confiance, Valentine. J’ai mûri, tu sais. J’ai envie de me ranger, maintenant. De tout partager avec quelqu’un…

Valentine – Tu n’as rien ! Qu’est-ce que tu veux partager ? Même pour acheter nos alliances, tu as dû braquer un épicier arabe !

Stéphane – Je veux dire… partager ma vie avec quelqu’un. Avec toi si tu veux…

Valentine (ironique) – C’est ça… Jusqu’à ce que la mort nous sépare… Tu sais toujours aussi bien parler aux femmes, toi.

Stéphane – Je peux t’embrasser ?

Elle se dégage subitement.

Valentine – Ok, les cinq minutes sont passées, Stéphane. J’ai tenu ma parole. Je t’ai écouté. Maintenant à toi de tenir la tienne. Tu te casses.

Stéphane – J’ai essayé de t’écrire depuis ma cellule, je te jure. Mais tu avais déménagé sans laisser d’adresse. Les lettres me sont revenues. Et vu la situation, je n’ai pas osé demander à tes parents…

Valentine – Pour ça, au moins, je crois que tu as bien fait.

Stéphane – Après ce qui s’est passé, il m’a fallu du courage pour venir sonner à ta porte, tu sais.

Valentine – En somme, tu es vraiment un héros…

Stéphane – Laisse-moi encore une chance, Valentine.

Valentine – Je n’ai pas le temps, Stéphane.

Stéphane – Je comprends que tu ne puisses pas me pardonner tout de suite. Qu’il te faille un peu de temps. J’attendrai. Autant qu’il le faudra. J’ai tout mon temps, maintenant…

Valentine – Oui ben pas moi ! Non mais tu ne comprends pas ce que je te dis ? Je n’ai pas le temps, là ! J’attends quelqu’un, voilà !

Stéphane – Tu as quelqu’un dans ta vie, c’est ça ?

Valentine – Voilà, c’est ça. Il ne va pas tarder à arriver. Et je voudrais éviter qu’il ne te croise ici, tu comprends ?

Stéphane – Je comprends… Tu as refait ta vie… Tu n’allais pas m’attendre pendant des mois… Tu m’as oublié, et puis voilà…

Valentine reprend le post it et lui montre.

Valentine – C’est ce que tu voulais, non ? Regarde, c’est marqué ici : Oublie-moi ! Et ben c’est ce que j’ai fait. Tu ne fais plus partie de ma vie, Stéphane…

Stéphane – Dans ce cas, je m’en vais… Tu n’entendras plus jamais parler de moi, Valentine… Sauf si tu changes d’avis, bien sûr… Je vais quand même te laisser mon numéro de portable, au cas où… (Il sort un crayon) Tu as un morceau de papier ?

Elle lui tend le vieux post it.

Valentine – Tiens, tu n’as qu’à rajouter ça sur le post it… Et après tu dégages, d’accord ?

Tandis qu’il griffonne un numéro sur le post it, on frappe à la porte.

Valentine – Et merde !

Stéphane – C’est lui ? Ne t’inquiète pas, je ne veux pas te mettre dans l’embarras. Je lui expliquerai. Je suis sûr qu’il comprendra.

Valentine – C’est mes parents !

Stéphane (inquiet) – Tes parents ? Tu veux dire ta mère… et ton père.

Valentine – Oui, c’est habituellement ce que j’entends par mes parents.

Stéphane (reprenant espoir) – Alors c’était eux que tu attendais… En réalité, tu es toujours célibataire, c’est ça ?

Valentine est complètement paniquée.

Valentine – Il ne faut absolument pas qu’ils te voient ici, tu comprends ?

Stéphane – C’est vrai qu’ils ont quelques raisons de m’en vouloir, eux aussi, mais bon… Je trouverai bien quelque chose à leur dire, et je suis sûr qu’ils comprendront.

Valentine – Ça, ça m’étonnerait, Stéphane.

Stéphane – Bon, pour mon séjour en prison, si on peut éviter. Surtout devant ton gendarme de père… Mais j’essayerai d’inventer autre chose. Tu me fais confiance ?

Valentine – Oui, mais non, ce n’est vraiment pas possible, je t’assure.

Stéphane – Mais pourquoi ?

Valentine – Mais… parce que ça va leur faire un choc…

Stéphane – J’avoue que ton père m’a toujours fait un peu peur… Mais ta mère, elle m’aimait plutôt bien, non ? Je vais tout leur expliquer…

Valentine – Je te dis que non, bordel !

La sonnette de la porte retentit.

Stéphane – Mais pourquoi ?

Valentine – Parce que je leur ai dit que tu étais mort, voilà !

Stéphane accuse le coup. La sonnette de la porte retentit à nouveau.

Stéphane – Tu n’as pas fait ça !

Valentine – Sur le moment, c’est ce qui m’a semblé le plus simple pour éviter des explications plus humiliantes pour moi, si tu vois ce que je veux dire… Et je te rappelle que tu m’avais dit de t’oublier pour toujours. Tu n’étais pas supposé revenir…

Stéphane – Ton père va me tuer…

Valentine – Eh ben comme ça, au moins, tu seras vraiment mort.

Stéphane – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Valentine – Il est trop tard pour te barrer. Il n’y a pas de sortie de secours. C’est un deux pièces. Et mes parents sont du genre intrusifs.

Stéphane – Les placards ? C’est là où on cache les cadavres, habituellement…

Valentine – On n’est pas dans une pièce de boulevard, Stéphane… Et puis les placards, c’est le premier endroit où ma mère se précipite en arrivant pour examiner ma garde-robe.

Stéphane – Pas sous le lit, en tout cas. Je suis allergique. La moindre poussière me fait éternuer.

Nouvelle sonnerie insistante à la porte.

Valentine – Il faut que j’ouvre, sinon mon père va défoncer la porte. Pour l’instant, tu vas dans la chambre. Le temps que je trouve quelque chose de convainquant à leur raconter pour expliquer ta résurrection…

Stéphane – Ma résurrection… J’espère que tu es inspirée, parce qu’on a écrit la bible pour moins que ça…

Valentine indique à Stéphane la direction de la chambre.

Valentine – Tu la fermes, et tu ne sors pas de là avant que je vienne te chercher, d’accord ?

Stéphane – Ok.

Stéphane disparaît dans la chambre. On entend aussitôt le bébé qui se remet à pleurer.

Valentine – Et merde… J’avais oublié ça…

Nouvelle sonnerie. Valentine se précipite pour ouvrir la porte. Ses parents entrent : Maurice, look de gendarme en civil, et Françoise, genre baba cool attardée. Maurice, qui tient un paquet cadeau à la main, jette un regard suspicieux sur les lieux.

Maurice – On commençait à se demander s’il ne t’était pas arrivé quelque chose.

Valentine – Qu’est-ce que vous voulez qu’il m’arrive ?

Françoise embrasse sa fille.

Françoise – Bonjour ma chérie ! Ça va ? Tu as l’air un peu fatiguée…

Valentine – Non, non, ça va… Enfin…

Valentine embrasse aussi son père.

Françoise – Tu ne devineras jamais ce qu’il y a dans ce paquet. Crois-moi, ça va te faire un choc.

Valentine – Ah, oui…?

Françoise – Et ben vas-y, donne-lui !

Maurice tend le paquet à sa fille.

Maurice – Tiens, ma chérie.

Valentine commence à ouvrir le paquet.

Valentine – Ce n’est pas un colis piégé, au moins…

Elle sort du paquet un ours en peluche passablement informe et avec un bras en moins.

Valentine – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Françoise – Mais c’est Toto !

Valentine – Toto ?

Françoise – Heureusement, j’avais eu le réflexe de prendre le numéro d’immatriculation du camion. Ton père a demandé à ses collègues de lancer un avis de recherche, et hier bingo !

Maurice – On a intercepté le véhicule suspect sur l’autoroute un peu avant Marseille. L’ours était encastré dans le radiateur du camion.

Françoise – Je ne t’en avais pas parlé avant pour ne pas te donner de faux espoirs…

Maurice – Évidemment, il a un peu souffert, mais bon… Tu as gardé le membre arraché, au moins ?

Valentine – Bien sûr.

Françoise – Si tu l’as conservé dans la glace, on va pouvoir le recoudre. Je plaisante…

Valentine – Ah, oui, il va être content…

On entend alors à nouveau le bébé pleurer.

Françoise – Tu veux que j’aille le chercher ? Comme ça on pourra lui donner tout de suite.

Valentine intercepte sa mère.

Valentine – Non, attends, il faut que je t’explique quelque chose, d’abord.

Françoise – Mais on ne va pas le laisser pleurer comme ça.

Maurice (à sa femme) – En même temps, si tu te précipites pour le prendre dans tes bras aussitôt qu’il se met à chouiner un peu… Tu vas en faire une mauviette…

Françoise – Oui, oh, ça va, hein ? Ce n’est toi qui m’obligeais à me lever vingt fois par nuit quand Valentine était bébé ? Tu disais qu’il ne fallait pas la laisser pleurer !

Maurice – C’était une fille, ce n’est pas pareil…

Françoise – Oui… C’était ta fille, surtout… Allez, je vais le chercher…

Valentine s’interpose à nouveau.

Valentine – Il faut vraiment que je vous dise quelque chose avant.

Françoise – Quoi ?

Valentine – Je ne suis pas seule…

Françoise – Mais évidemment, ma chérie, que tu n’es pas seule ! On sera toujours là pour toi ! Hein, Maurice ?

Maurice – Je crois que ce n’est pas exactement ce qu’elle voulait dire.

Françoise – Oh, mon Dieu ! Il lui est arrivé quelque chose ! Le médecin est là, c’est ça ? Pas le SAMU quand même…

Valentine – Rassure-toi, tout va bien, mais… il y a un homme dans la chambre.

Les parents restent un instant stupéfaits.

Françoise – Un homme ? Mais c’est merveilleux, ma chérie ! On savait bien que tu n’allais pas passer le reste de ta vie toute seule ! On n’est pas au Portugal, hein Maurice ? Tu ne vas pas t’habiller en noir et porter le deuil de ton mari jusqu’à la fin de tes jours !

Maurice – Surtout qu’ils n’étaient même pas encore mariés…

Valentine – C’est un peu plus compliqué que ça, maman…

Françoise – Deux mois après avoir accouché, en effet, tu n’as pas perdu de temps, mais bon… Je suis sûre que c’est quelqu’un de bien.

Maurice – Pour qu’il s’occupe déjà de torcher des gosses qui ne sont pas de lui, c’est même un très gentil garçon… Tu es sûre que ce n’est pas une tante au moins…

Françoise – Maurice, je t’en prie. Garde tes plaisanteries de corps de garde pour tes collègues à la caserne…

Maurice – Ce n’était pas une plaisanterie…

Françoise – Tu lui dis de venir, tu nous le présentes et puis c’est tout.

Maurice – Mais c’est qui ? Tu l’as connu comment ?

Françoise – Tu veux que j’aille le faire sortir de sa cachette. Il nous racontera ça lui-même.

Valentine – C’est le frère de Stéphane.

Françoise – Le frère de Stéphane ?

Maurice – Alors ce n’est pas une tante, c’est un oncle…

Françoise – Je ne savais pas que Stéphane avait un frère !

Valentine – C’est même son frère jumeau.

Maurice – Ton nouveau petit ami, c’est le frère jumeau de Stéphane.

Françoise – Elle n’a pas dit que c’était son petit ami, c’est nous qui… Ce n’est pas ton petit ami, si ?

Valentine – Mais non, évidemment. Il vient d’arriver ce matin à Paris… Mais il vous expliquera ça lui même.

Valentine va ouvrir la porte de la chambre.

Valentine – Stefano, tu peux venir ?

Françoise – Il s’appelle Stefano ?

Stéphane revient dans la pièce.

Valentine – Je vous présente Stefano, le frère jumeau de Stéphane. Il vient d’arriver de Rome ce matin…

Tête de Stéphane, quelque peu interloqué.

Stéphane – Buon giorno..

Les parents sont sous le choc.

Valentine – Il est italien, mais il parle parfaitement notre langue, n’est-ce pas Stefano ?

Stéphane – J’ai fait toutes mes études à Paris.

Françoise s’avance vers lui et le prend dans ses bras.

Françoise – Toutes nos plus sincères condoléances, Stefano. Je sais ce que c’est que de perdre un frère.

Maurice – Ton frère est mort ?

Françoise – Non, mais j’imagine la douleur que je ressentirais si cela devait arriver.

Maurice – Vous parlez sans aucun accent. Vous êtes d’où, exactement ?

Françoise – Vous verrez que tout à l’heure, il va vous demander vos papiers… Mon mari est gendarme.

Valentine – C’est un peu compliqué, en fait… Stefano est français, mais il est né à Rome.

Françoise – Mais Stéphane était né à Paris, non ?

Valentine – Si, oui…

Maurice – C’est un peu curieux, pour des jumeaux, tu ne trouves pas ?

Valentine – Je comprends votre étonnement.

Stéphane – Oui, ça étonne toujours les gens quand je raconte ça.

Maurice – Et alors ?

Valentine – Stefano va vous expliquer ça.

Stéphane – Non, non, vas-y, je t’en prie.

Valentine – C’est ton histoire, quand même. Et celle de ta famille…

Stéphane – Une histoire assez douloureuse… C’est pour cela que je n’aime pas trop en parler, mais bon…

Françoise – Vous n’êtes pas obligé, vous savez…

Maurice – Ah, quand même… On a beau être dans l’espace de Schengen, je serai curieux de savoir comment des jumeaux peuvent naître dans deux capitales européennes distantes de deux mille kilomètres.

Stéphane – Eh bien… C’est très simple, en fait… Mon frère et moi, nous sommes nés dans un avion, pendant un vol Paris-Rome.

Maurice – Tiens donc…

Stéphane – Et…

Valentine – Stefano est né au décollage, et Stéphane à l’atterrissage.

Françoise – Ah, d’accord… Alors vous êtes l’aîné !

Stéphane – Et c’est pour ça que je suis italien…

Valentine – Et Stéphane français. Enfin était…

Maurice – Je vois…

Françoise – Mais tu ne nous avais jamais dit que Stéphane avait un frère.

Valentine – Mais… c’est parce que Stéphane ne le savait pas non plus. Il ne connaissait même pas ses parents ! C’est pour ça qu’il ne vous les avait jamais présentés, d’ailleurs.

Maurice – Sans blague… Racontez-moi ça…

Valentine – Eh bien… C’est une histoire épouvantable… et à peine croyable.

Maurice – J’imagine…

Valentine – Le père de Stéphane était très pauvre, à l’époque.

Stéphane – C’est pour ça qu’il avait décidé d’émigrer en France avec sa femme pour essayer de trouver du travail comme maçon…

Maurice – En avion…?

Valentine – C’était une compagnie low cost, évidemment.

Maurice – Évidemment…

Valentine – Bref, comme je vous l’ai déjà dit, sa femme a accouché de Stefano peu après le décollage de Rome. Elle a été prise en charge par le personnel de bord, et tout s’est bien passé.

Stéphane – Et pourtant, ce n’était pas un accouchement facile. Je suis né par le siège…

Françoise – Et j’imagine que ce n’était pas un siège de première classe.

Valentine – Mais au moment de l’atterrissage, la mère de Stefano a eu envie d’aller aux toilettes, et c’est là qu’elle a accouché de Stéphane.

Françoise – Non ?

Valentine – Comme ses parents n’avaient pas un sou, ils ont décidé de ne garder qu’un enfant sur les deux.

Stéphane – Moi…

Valentine – C’est le pilote en personne qui a découvert le bébé dans les toilettes de l’appareil quand il a voulu les nettoyer avant de redécoller pour Rome.

Maurice – Le pilote…

Stéphane – Vous savez comment ça se passe dans les compagnies low cost. Tout le monde doit mettre la main à la pâte…

Maurice – Et après ?

Valentine – Le bébé a été élevé pendant quelques années par des hôtesses de l’air.

Stéphane – De braves femmes qui le nourrissaient avec les plateaux repas qui leur restaient sur les bras.

Valentine – Et puis quand il a eu l’âge d’aller à l’école…

Stéphane – Il a quand même fallu qu’elles le confient à la DASS.

Valentine – Vous imaginez le déchirement pour elles.

Stéphane – Évidemment, elles avaient eu le temps de s’attacher à lui…

Valentine – Bref, il y a quelques années, Stéphane avait entamé des démarches auprès de la DASS pour essayer de savoir qui étaient ses parents…

Stéphane – Et c’est quelques jours après avoir enfin retrouvé la trace de sa famille qu’il est mort des suites de cette longue maladie…

Valentine – Enfin, de cette noyade.

Stéphane – Ah, il est mort noyé ?

Valentine – Oui, enfin ça, c’est une autre histoire…

Françoise – C’est dingue.

Maurice – Complètement ouf…

Françoise – Le plus incroyable, c’est qu’ils se ressemblent à ce point, non ?

Maurice – Oui, on dirait…

Françoise – Des jumeaux.

Maurice – On lui remet une barbe et des cheveux longs.

Françoise – On change le costume cravate pour un vieux jean et un blouson noir…

Maurice – Et ces yeux pétillants d’intelligence pour un sourire idiot…

Françoise – Bon, maintenant, c’est vrai que si on y regarde de plus près…

Maurice – Quoi ?

Françoise – Stéphane était un peu plus petit, non ? Enfin, je veux dire, un peu moins grand…

Valentine – Quand on est nourri dès son plus jeune âge avec des plateaux repas d’une compagnie low cost, évidemment… Ça ne favorise pas la croissance…

Maurice – Et qu’est-ce qu’il fait, dans la vie, ce jeune homme ?

Valentine – Stefano… a un poste à haute responsabilité dans l’agro-alimentaire.

Françoise – Ah, oui…

Maurice – C’est quand même plus rassurant que batteur dans un groupe de rock, c’est sûr…

Françoise – Maurice, je t’en prie…

Valentine – J’ai toujours su ce que tu pensais de Stéphane, papa, ne t’inquiète pas.

Françoise – Tu nous l’as assez répété : musicos, c’est un truc de looser. Mais tant qu’à faire, autant être le chanteur.

Valentine – Bref, être le leader du groupe…

Maurice – Le batteur, c’est toujours le plus con de la bande ! Il n’y a qu’à voir Ringo Star ou Charlie Watts.

Stéphane (vexé) – Le groupe de Stéphane ne marchait pas si mal, d’après ce qu’on m’a dit…

Françoise – Comment ça s’appelait, déjà ?

Stéphane – Les Rebelles…

Maurice – C’est ça… Les Rebelles… Tu parles d’un nom à la con… Avec des rebelles comme ça, les gendarmes peuvent dormir tranquille, croyez-moi… Ça prend le métro sans billet et ça se prend pour la bande à Baader.

Stéphane – Ils avaient quand même une tournée de prévu, je crois.

Maurice – Une tournée ! Une tournée des bars, peut-être…

Stéphane – Allez savoir… Si le batteur n’était pas mort prématurément, ils auraient peut-être réussi à percer…

Françoise – Mon mari ne comprend rien à la musique moderne, Stefano. Moi, j’aimais beaucoup votre frère. Et sa disparition m’a fait beaucoup de peine…

On entend à nouveau les pleurs du bébé.

Stéphane – Et c’est qui, ce bébé ? Tu fais du baby-sitting, Valentine ?

Maurice – Ce bébé ?

Françoise – Mais c’est votre neveu, Stefano !

Maurice – Et oui, mon vieux, vous voilà tonton…

Tête de Stéphane.

Stéphane – Mon neveu ?

Françoise – Ben oui, le fils de Stéphane !

Maurice – Il n’est pas au courant ?

Valentine – Il vient d’arriver… Je n’ai pas encore eu le temps de lui annoncer cet heureux événement…

François – C’est quand même triste de penser que cet enfant ne connaîtra jamais son père…

Stéphane – Et pourquoi ça ?

Valentine – Mais parce qu’il est mort !

Stéphane – Ah, oui, c’est vrai… Et il est mort comment, exactement ?

Françoise – Valentine ne vous a pas raconté ça non plus ?

Valentine – Il débarque, je vous dis…

Françoise – Je sais que c’est une faible consolation, Stefano, mais sachez que votre frère est mort en héros.

Stéphane – Non ?

Valentine – Ça n’est peut pas la peine de rentrer dans les détails… Tout ça est encore très frais pour Stefano. Ça risquerait de faire un peu trop d’un coup, non ?

Stéphane – Au point où on en est…

Françoise – Stéphane a succombé en sauvant de la noyade une mère et ses deux enfants.

Stéphane – Sans blague ?

Françoise – Il a réussi à les ramener tous les trois sur le bord du rivage, mais épuisé par son exploit, il a été entraîné par les courants à son tour…

Stéphane – Alors Stéphane était un héros…

Maurice – Et de plus un héros très discret.

Françoise – Avant de disparaître dans les flots, il a eu le temps de crier à la famille qu’il avait sauvée qu’il ne voulait pas que son sacrifice soit relaté par les médias…

Maurice – C’est pour ça que la presse n’en a pas parlé.

Françoise – Sinon, je suis sûre qu’on lui aurait accordé la Légion d’Honneur.

Maurice – On la donne à tout le monde.

Stéphane – J’en ai les larmes aux yeux… Valentine, ça doit être un réconfort pour toi de savoir que tu as porté pendant neuf mois la progéniture de cet être exceptionnel. Et qu’elle te rappellera à jamais par sa présence l’amour que tu portais à Stéphane.

Françoise – Ma fille a même écrit au Président de la République pour avoir l’autorisation d’épouser Stéphane à titre posthume, mais elle n’a pas encore de réponse…

Stéphane – Ah, oui…?

Maurice – On a fait une petite collecte pour la couronne.

Françoise – Mais il n’y a même pas eu d’enterrement, puisqu’on n’a pas retrouvé le corps…

Maurice – Et comme on ne connaissait pas sa famille…

Françoise – Juste une petite cérémonie entre nous, dans la plus stricte intimité… C’était très émouvant…

Stéphane – J’imagine… C’est difficile de faire son deuil dans ces conditions.

Françoise – Et dire que vous non plus vous ne connaîtrez jamais votre frère…

Soupirs.

Maurice – Enfin, cet enfant a perdu un père, mais il a retrouvé un oncle.

Françoise – Un oncle qui par miracle ressemble comme deux gouttes d’eau à son père.

Un ange passe.

Valentine – Je vous sers quelque chose à boire ?

On entend à nouveau les pleurs du bébé.

Françoise – Je crois que c’est d’abord à lui qu’il faudrait donner quelque chose à boire…

Valentine – Je vais voir ça…

Elle sort.

Françoise – Je t’accompagne…

Françoise sort avec elle.

Maurice – Ça me gêne un peu de parler de ça avec vous, mais… j’avais avancé à votre frère l’argent nécessaire pour payer son mariage avec ma fille. Comme il n’avait pas un sou…

Stéphane – Ah, oui…?

Maurice – Le vin d’honneur… Le restaurant… Même la robe de mariée… Autant vous dire que tout ça, ce n’est pas donné… Et comme le mariage n’a jamais eu lieu, je me disais que…

Stéphane – Je vois…

Maurice – Vous ne sauriez pas ce qu’il a bien pu faire de cet argent ?

Stéphane – Franchement, je n’en ai aucune idée… Mais bien entendu, si…

Maurice – Quinze mille euros, c’est quand même une somme.

Stéphane – Eh, oui…

Maurice – Presque le prix d’une voiture neuve… Et comme je dois bientôt changer la mienne justement…

Stéphane – Je verrai ce que je peux faire, je vous le promets…

Maurice – J’aimerais bien, oui… Après tout, maintenant, c’est vous qui allez hériter de votre frère.

Stéphane – Eh, oui… Sous bénéfice d’inventaire, en tout cas…

Françoise et Valentine reviennent.

Françoise – Il voulait juste sa tétine… Ça doit être les dents. (À sa fille) Tu n’as pas un peu maigri, toi ?

Valentine – Je ne sais pas…

Françoise – En tout cas, tu as bonne mine. La maternité, ça te réussit. N’est-ce pas, Stefano ? Vous ne trouvez pas qu’elle est resplendissante, ma fille ?

Stéphane – Si, tout à fait…

Françoise – La vie continue, n’est-ce pas ? Il ne faut pas se laisser abattre par l’adversité.

Maurice – C’est comme le cheval. Après avoir fait une chute, il faut remonter aussitôt, sinon…

Françoise – Vous êtes marié, Stefano.

Stéphane – Euh… non. Pas à ma connaissance. Je veux pas dire… pas encore.

Maurice – Et puis ce Stéphane, entre nous, on peut bien le dire maintenant qu’il n’est plus là, ce n’était pas vraiment un homme pour toi.

Françoise – Allons, Maurice… Un peu de respect pour les morts.

Maurice – Vous savez, dans mon métier, on voit toutes sortes de gens… On finit par développer un sixième sens… Et lui… j’ai toujours pensé qu’il finirait en prison…

Stefano tire sur sa manche pour cacher son supposé bracelet électronique.

Françoise – Il est quand même mort en héros…

Maurice – C’est bien de mourir en héros, mais c’est encore mieux de vivre en honnête homme. La vérité, c’est qu’il a engrossé ma fille, et qu’il s’est défilé juste avant le mariage !

Françoise – Mais… puisqu’il est mort !

Maurice – Oui, oh, c’est un peu facile, tu ne crois pas…? Vous, en revanche, vous me paraissez un garçon sérieux, Stefano. Et un homme de parole…

Stéphane – Merci…

Maurice – Pourquoi tu n’épouses pas celui-là, Valentine ? C’est le gendre idéal !

Françoise – Maurice, je t’en prie… Un peu de délicatesse… Même si c’est vrai que Stefano est très bel homme… N’est-ce pas, Valentine ?

Valentine – Que j’épouse le frère jumeau du père de… Ce serait un peu bizarre, non ?

Françoise – D’un autre côté, tu ne serais pas trop dépaysée. C’est le même !

Maurice – En mieux…

Valentine – Non, franchement, Stefano n’est pas du tout mon genre d’homme.

Stefano – Ce n’est pas très gentil pour moi…

Valentine – Désolée, mais… j’ai traversé pas mal d’épreuves ces temps-ci. Je crois que je ne suis pas encore prête à…

Maurice – Dans ce cas, ce jeune homme plairait peut-être à ta sœur… Qu’est-ce que tu en dis, Françoise ?

Françoise – Mais enfin Maurice, ce n’est pas à moi d’en dire quelque chose ! On croirait un vendeur de chameaux en train d’essayer de se débarrasser d’une partie de son troupeau…

Maurice – Tu peux quand même lui montrer la photo de la sœur de Valentine, qu’il fasse un peu connaissance avec la famille de son neveu !

Elle sort une photo de son sac et la montre à Stefano.

Françoise – J’ai toujours une photo de mes enfants sur moi… Tenez, la voilà en maillot de bain sur la plage de Saint Brévin les Pins. C’est là que nous passons nos vacances au Camping des Flots Bleus.

Valentine – Maman…

Stefano – Ah, oui, c’est vrai que le monokini la met bien en valeur.

Françoise – Vous savez qu’elle a été Miss Camping ?

Stefano – Mais ça ne m’étonne pas du tout…

Maurice – On pourrait peut-être lui passer un coup de fil, qu’elle vienne prendre le thé avec nous ?

Françoise – Comme ça elle ferait la connaissance de Stefano…

Maurice – Et comme le mariage est déjà payé…

Valentine – Quel mariage ?

Stefano – Je t’expliquerai…

Maurice – Hein ? Qu’est-ce que vous en dites, Stefano ? Je peux vous appeler Stefano ?

Stefano – Mais bien sûr.

Maurice – Après tout vous faites déjà un peu partie de la famille, non ? Alors ?

Stefano – C’est vrai qu’elle est très jolie…

Valentine – Oui, bon, ça va, hein… Et puis je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui, elle serait réélue Miss Camping au premier tour de scrutin. Ou même qu’elle serait en ballotage favorable. Cette photo date d’il y a dix ans, et elle a pris au moins un kilo par an depuis…

Françoise – Tu exagères…

Maurice – Tu ne serais pas un peu jalouse, plutôt ? Je croyais que Stefano n’était pas du tout ton type d’homme…

Valentine – Bon, en tout cas, ça me paraît un peu prématuré pour organiser une grande réunion familiale. La situation est assez compliquée comme ça, non ? Je vous rappelle que Stefano vient à peine d’apprendre que son frère est mort…

Françoise – Tu as raison, ma chérie…

On entend à nouveau les pleurs d’un bébé.

Françoise – Je vais m’en occuper… (Avec un sous entendu) Tu viens avec moi, Maurice ?

Maurice – Pour quoi faire ?

Françoise – Ces deux jeunes gens doivent avoir des tas de choses à se dire…

Françoise et Maurice quittent la pièce.

Maurice – Ne faites pas de bêtises, hein ?

À peine sont-ils sortis que Valentine se tourne vers Stéphane avec un air excédé.

Valentine – Alors maintenant, tu veux aussi te taper ma sœur ?

Stéphane – J’ai juste dit ça pour voir comment tu réagirais. C’est avec toi que je veux passer le restant de mes jours, Valentine. Et maintenant que nous avons un enfant…

Valentine – Nous ?

Stéphane – C’est bien mon fils, non ?

Valentine – C’est un peu tard pour t’en préoccuper, tu ne crois pas ?

Stéphane – Ok, j’ai déconné. Mais maintenant, je suis là. J’ai un vrai travail et…

Valentine – Je n’aurais plus jamais confiance en toi, Stéphane, alors dès que mes parents sont repartis, tu fous le camp d’ici et tu ne reviens plus jamais, d’accord ?

Stéphane – Je ne peux pas vivre sans toi, Valentine. Je préfèrerais encore en finir.

Valentine – Et bien vas-y !

Stéphane – Tu ne me prends pas au sérieux, hein ?

Valentine – Avoue que jusque là, tu ne m’as pas donné beaucoup de raisons de te croire sur parole.

Stéphane se dirige vers la porte.

Stéphane – Très bien, tu n’entendras plus jamais parler de moi… Sauf dans la rubrique faits divers, peut-être. Puisque Stéphane est mort noyé, je vais me jeter dans la Seine. Comme ça tu n’auras même plus besoin de mentir à tes parents… Adieu Valentine…

Valentine le rattrape brusquement par le poignet pour l’empêcher de partir.

Valentine – Non, attends…

Stéphane – Ce serait mieux pour tout le monde si j’étais vraiment mort, Valentine, je t’assure…

Valentine – Reste… Je t’en prie…

Stéphane tente de partir malgré tout et dans le mouvement, le prétendu bracelet électronique reste dans la main de Valentine. Valentine, stupéfaite, examine l’objet.

Valentine – Qu’est-ce que c’est que ça ? Non mais tu te fous de moi !

Stéphane – Je vais t’expliquer…

Valentine ramasse l’objet et le brandit.

Valentine – Ça un bracelet électronique ? Ce ne serait pas un antivol de vélo, plutôt ?

Stéphane – Ce qui est vrai, c’est que je t’aime, Valentine. Regarde, le code de l’antivol, c’est ta date de naissance !

Valentine – Alors tu n’es jamais allé en prison, hein ?

Stéphane – Je suis parti en tournée avec le groupe, mais je me suis embrouillé avec le chanteur.

Valentine – Marco ?

Stéphane – Tu le connais ?

Valentine – Oui, enfin, comme ça… C’est toi qui me l’a présenté, non ?

Stéphane – Et puis je me suis rendu compte que tu me manquais, surtout. Et qu’il était temps d’abandonner mes rêves d’adolescent pour construire quelque chose de solide avec toi.

Valentine – Je suis ravie de savoir que te marier avec moi symbolise la fin de tous tes rêves… Un vrai conte de fée…

Stéphane – Écoute, comprends-moi aussi ! Je ne suis qu’un homme, après tout… La perspective de ce mariage… Ça m’a fait flipper. J’ai été pris de panique, et j’ai choisi la fuite. Je sais, ce n’est pas très glorieux, et je t’ai fait beaucoup de mal. Mais j’ai mûri, je t’assure.

Valentine – Partir, c’est mûrir un peu…

Stéphane – Je pense toujours que je ne te mérite pas, Valentine, mais maintenant que nous avons un enfant ensemble… C’est un signe, non ?

Valentine – Tu appelles ça un signe, toi ?

Stéphane – Donne-moi une seconde chance, Valentine… Il faut bien que cet enfant ait un père, quand même !

Valentine – Pour l’instant, je te rappelle que pour mes parents, cet enfant est supposé être orphelin…

Stéphane – J’avais oublié ça…

Valentine – Même mort en héros, mon père te considère comme un traître, alors si tu reviens en déserteur… Pour peu qu’il ait son arme de service sur lui…

Stéphane se décompose.

Stéphane – On peut peut-être éviter de leur dire qu’on leur a menti…

Valentine – Ah, oui ? Et comment on fait ça ?

Stéphane – Puisque tes parents y tiennent tant, tu n’as qu’à épouser Stefano ! C’est le gendre idéal !

Valentine – Tu ne crois pas que le costume de gendre idéal est un peu trop grand pour toi ? Sur le long terme, en tout cas… Surtout qu’évidemment, j’imagine que tu ne travailles pas non plus comme cadre dans l’agro-alimentaire.

Stéphane – Disons que j’ai un peu enjolivé…

Valentine – Enjolivé ?

Stéphane – Je suis livreur de pizzas. Mais c’est provisoire…

Valentine – On reste dans l’alimentaire, remarque… Et alors qu’est-ce que tu proposes ?

Il réfléchit.

Stéphane – J’ai une idée !

Valentine – Je ne sais pas si ça doit me rassurer…

Maurice et Françoise reviennent, interrompant la discussion.

Françoise – C’est incroyable ce qu’ils vous ressemblent …

Maurice – Tu trouves…?

Françoise – Ah, oui, quand même un peu… Vous êtes sûr que ce n’est pas vous le papa, au moins ?

Stéphane feint de répondre à son portable.

Stéphane – Excusez-moi, j’ai un appel… Buon giorno. Si. Pronto. Mamma mia… Excusez-moi, un coup de fil important.

Il sort sur le palier.

Maurice – J’espère que ce n’est pas un nouveau drame dans la famille…

Pleurs de bébé.

Françoise – Je crois que c’est l’heure du biberon…

Valentine – J’y vais…

Valentine sort.

Maurice – Tu y crois à cette histoire de jumeaux, toi ?

Françoise – Pas toi ?

Maurice – Non, mais qu’est-ce qu’on se marre…

Françoise – Pourquoi tu n’as rien dit, alors ?

Maurice – On va les laisser s’enfoncer pour voir jusqu’où ils peuvent aller avant de toucher le fond…

Françoise – En tout cas, cet enfant ne peut pas être de Stéphane. Il est né dix mois après sa disparition.

Maurice – Ah, oui ?

François – Et puis ce bébé ressemble quand même plus au chanteur du groupe qu’au batteur, non ?

Maurice – Marco ?

Françoise – Tu as raison, dans un groupe de rock, le mâle dominant, c’est le chanteur…

Maurice – D’un autre côté, si cet abruti peut endosser le rôle de père…

Françoise – Ce n’est pas le gendre idéal, mais c’est le seul qu’on ait sous la main.

Maurice – Et on n’est pas sûrs que cette gourde en trouvera un autre de si tôt pour lui placer le bracelet électronique à la cheville

Françoise – Pardon ?

Maurice – Pour lui passer la bague au doigt, si tu préfères…

Stéphane revient, en affichant un drôle d’air.

Maurice – Tout va bien, Stefano ? On dirait que vous venez de voir un revenant…

Stéphane – Vous y êtes presque…

Maurice – Sans blague…?

Stéphane – Je viens de recevoir un coup de fil incroyable.

Françoise – De…?

Stéphane – De mon frère, Stéphane !

Maurice – Stéphane ?

Françoise – Non ? Mais puisqu’il est mort !

Maurice – Ne me dites pas, que maintenant, il y a du réseau jusque dans l’au-delà ?

Stéphane – Figurez-vous que Stéphane n’est pas mort !

Maurice – Non ?

Françoise – Mais comment est-ce possible ?

Maurice – C’est vrai qu’on n’avait jamais retrouvé son corps…

Françoise – Mais où est-il ?

Stéphane – En bas, au café. Il attend pour monter que j’apprenne la nouvelle en douceur à Valentine. Vous imaginez le choc que cela va lui faire…

Maurice – Ah, oui, c’est sûr… Ça va lui faire un choc…

Retour de Valentine de la chambre.

Valentine – Eh bien vous en faites une tête, qu’est-ce qui se passe ?

Stéphane – Il vaudrait mieux que tu t’asseyes, Valentine…

Valentine – Je suis très bien debout… Qu’est-ce que vous avez à me dire de si important ?

Françoise – Il va falloir que tu sois courageuse, ma chérie.

Stéphane – Stéphane est vivant…

Valentine – Tu… Tu veux dire qu’il n’est pas mort.

Stéphane – Oui, c’est exactement ça.

Valentine – Oh, mon Dieu, mais c’est affreux… Je veux dire, c’est merveilleux… Tu es sûr ?

Stéphane – Je viens de lui parler au téléphone…

Valentine – Je sens que je vais m’évanouir…

Elle fait mine de défaillir, mais Stéphane la récupère dans ses bras. Leurs lèvres se frôlent, mais Valentine se reprend.

Valentine – Non, Stefano, ce n’est plus possible…

Stéphane – Tu as raison…

Les parents échangent un regard consterné.

Valentine – Je veux dire… Mais comment est-ce possible ?

Françoise – Oui, c’est ce que j’ai demandé aussi…

Stéphane – Il vous expliquera tout ça lui même. Il attend en bas que je lui fasse signe pour monter.

Maurice – Vous voulez que je lui passe un coup de fil ? C’est quoi, son numéro ?

Stéphane – Je vais le chercher, ce sera mieux…

Stéphane sort.

Valentine – C’est incroyable, non ?

Maurice – Ah, oui, incroyable… Je crois que c’est le mot du jour…

Valentine – J’ai hâte de savoir comment une chose pareille a pu arriver…

Françoise – Quel feuilleton ! On se croirait dans Plus Belle La Vie !

Maurice – Tu es sûre que ça va aller ?

Valentine – Je ne sais pas… J’espère qu’il n’a pas trop changé…

Maurice – Eh oui… S’il a passé un an dans l’eau…

Françoise – Ah parce que tu crois que…

Maurice – Je ne sais pas… J’essaie d’imaginer…

Françoise – Il doit bien y avoir une explication…

Maurice – Et j’avoue que je suis assez curieux de la connaître…

Stefano revient en Stéphane, avec un jeans, un blouson en cuir et une fausse moustache.

Stéphane – Bonjour Valentine…

Valentine – C’est vraiment toi, Stéphane ?

Stéphane – C’est bien moi, je t’assure…

Françoise – Ce n’était pas une barbe, qu’il avait ?

Valentine tombe dans les bras de Stéphane, ne se mettant un peu à l’écart.

Valentine (en aparté) – Tu n’en fais pas un peu trop là ? C’est carrément le gang des postiches…

Stéphane – Il y a un magasin de farces et attrapes en bas, je me suis dis que ça ferait plus réaliste…

Valentine – C’est fou ce que tu as changé…

Maurice – Oui, et pas en bien…

Françoise – C’est vrai que la barbe, ça lui allait quand même mieux.

Les parents sont atterrés.

Françoise – Mais où est Stefano ?

Stéphane – Il a préféré s’éclipser… J’ai compris à demi-mots qu’il était tombé amoureux de votre fille, et qu’il s’apprêtait à la demander en mariage.

Françoise – C’est terrible…

Maurice – Le bonheur des uns…

Stéphane – Il a le cœur brisé. Mais bien sûr, il a décidé de s’effacer devant son frère.

Valentine – On ne le reverra peut-être jamais…

Maurice – Quel dommage…

Françoise – C’est une tragédie…

Maurice – Un vrai mélo, en tout cas.

Françoise – Vous devriez écrire une pièce de théâtre, je suis sûre que ça pourrait avoir du succès…

Maurice – Mais vous ne nous avez toujours pas dit comment un homme déclaré noyé peut réapparaître vivant douze mois après.

Stéphane – Je reconnais que c’est très étonnant…

Maurice – Au point où on en est, vous savez, je crois que plus rien ne peut nous étonner…

Stéphane – J’ai été repêché inconscient à l’embouchure de la Seine, à Dieppe.

Françoise – Je croyais que la Seine avait son embouchure au Havre.

Maurice – C’est sans doute ça qui contribue à rendre cette histoire encore plus étonnante…

Stéphane – En tout cas, j’étais complètement amnésique. J’ai été recueilli dans un couvent par des bonnes sœurs. Je viens tout juste de recouvrer la mémoire… Évidemment, je me suis aussitôt précipité ici.

Maurice – Bon, et bien tout est bien qui finit bien, alors !

Françoise – Vous allez enfin pouvoir vous marier !

Maurice – Et oui, tout finira par un mariage, comme dans les conte de fée. Et comme la noce est déjà payée d’avance. Rassurez-moi, Stéphane, vous avez perdu la mémoire, mais vous n’avez pas perdu l’argent que je vous avais donné pour épouser ma fille ?

Stéphane – C’est à dire que…

Valentine – C’est quoi, cette histoire ?

Stéphane – Je t’expliquerai, chérie…

Maurice – Du moment que vous lui passez la bague au doigt, tout va bien. (En aparté à Stéphane) Sinon, c’est moi qui pourrais bien vous passer les bracelets aux poignets…

Françoise – En tout cas, ça va être curieux de voir les deux jumeaux au mariage.

Stéphane – Vu la situation, je ne sais pas si Stefano voudra assister à la cérémonie…

Valentine – Bon, maintenant, vous comprendrez qu’on a besoin de se retrouver un peu…

Françoise – Bien sûr, ma chérie… Viens, on y va, Maurice…

Maurice – Alors à bientôt… Stéphane.

Les parents s’en vont.

Valentine – C’est quoi, cet argent que mon père t’aurait avancé pour payer notre mariage ?

Stéphane – C’est à dire que…

Valentine – Ne me dis pas que c’est avec ce fric que vous êtes partis en tournée avec Les Rebelles ?

Stéphane – Je suis prêt à rembourser, Valentine. Même si pour ça je dois travailler à plein temps pendant quarante deux annuités…

Pleurs de bébé.

Valentine – Tu ne paies rien pour attendre…

Valentine sort, et revient avec un couffin.

Stéphane (attendri) – Comment s’appelle-t-il, au fait ? Tu ne m‘as pas dit…

Valentine – Celui-là c’est Orphée.

Un autre bébé pleure, et elle va chercher un autre couffin.

Valentine – Et celle-là Eurydice… Ce sont des jumeaux. Un truc de famille, sûrement…

Stéphane – Orphée et Eurydice… Oh, putain… C’est l’enfer… Enfin, je veux dire, c’est merveilleux.

Pleurs de bébés à deux voix.

Noir.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Mai 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-38-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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Des Beaux-Parents Presque Parfaits

Comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes OU 3 hommes / 1 femme OU 1 homme / 3 femmes

Ayant invité le père et la mère du fiancé de leur fille afin de faire connaissance et de préparer le mariage, ils découvrent que les parents du gendre idéal  ne sont pas toujours des beaux-parents idéaux…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL

Des Beaux-Parents Presque Parfaits

Personnages : Antoine – Juliette – Aymar – Jasmina

Un salon ordinaire d’aspect plutôt désuet, meublé principalement d’un canapé et d’une table basse. Antoine, la quarantaine passée pouvant aller jusqu’à l’aube de la soixantaine, en jogging d’intérieur, arrive de la chambre avec une pile de copies qu’il pose sur la table. Il met un 33 tours de musique classique ou de jazz sur un électrophone hors d’âge et s’installe sur le canapé pour corriger ses copies. Juliette, sensiblement le même âge, arrive depuis l’entrée, venant de l’extérieur. Elle porte un imperméable et tient un vieux cartable en cuir à la main. La musique étant assez forte, Antoine ne remarque pas l’arrivée de Juliette qui arrête l’électrophone pour se faire entendre.

Juliette – Mais qu’est-ce que tu fais ?

Antoine – Je corrige mes copies ! Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

Juliette – Je te rappelle qu’on a des invités… Ils arrivent dans une demi-heure ! Tu aurais pu commencer à préparer…

Antoine – Ah…

Juliette – Ne me dis pas que tu avais oublié ?

Antoine – Oublié ? Mais pas du tout ! Disons qu’à cet instant précis, ça m’était sorti de la tête… Mais ça me serait sûrement revenu à un moment donné…

Juliette pose son cartable et ôte son imperméable.

Juliette – Quand ils auraient sonné à la porte, par exemple.

Antoine – En même temps, ce n’est qu’un apéritif. Ça ne demande pas des heures de préparation. C’est bien pour se simplifier la vie qu’on ne les a pas invités à dîner, non ?

Juliette – Justement… Déjà qu’on ne se foule pas trop… Qu’ils aient au moins l’impression en arrivant qu’on a fait un minimum d’efforts pour les recevoir… Allez range tes copies, et aide-moi un peu !

Antoine range ses copies et commence à s’affairer lui aussi avec Juliette pour mettre un peu d’ordre dans la pièce et poser sur la table le nécessaire pour prendre l’apéritif.

Antoine – Ç’aurait quand même été plus simple que Sonia soit là avec nous pour les recevoir… Ce sont ses futurs beaux-parents, après tout ! C’est elle qui va devoir se les colleter pendant le restant de sa vie, pas nous.

Juliette – Elle s’est dit qu’on serait plus à l’aise pour faire connaissance si elle n’était pas là avec son fiancé, ça se comprend. Et puis ce n’est pas une corvée, non plus. On ne reçoit jamais personne…

Antoine – Avoue que c’est un peu embarrassant d’accueillir chez soi des gens qu’on n’a jamais vus de sa vie…

Juliette – Qu’est-ce que tu voulais qu’on fasse ? Qu’on les invite à prendre un pastaga au bistrot d’à côté, pour nous éviter le dérangement ?

Antoine – Ils auraient pu nous inviter, eux.

Juliette – Ils habitent à Lyon ! Si c’était eux qui nous avaient invités, on était bon pour quatre heures de TGV aller-retour. Je ne suis pas sûre qu’on aurait gagné au change…

Antoine – Ne me dis pas qu’ils font le déplacement depuis Lyon juste pour prendre l’apéro avec nous ?

Juliette – Ils ont eu la politesse de dire à Sonia qu’ils avaient prévu de passer le weekend à Paris de toutes façons, mais bon… Ça ne m’étonnerait pas qu’ils fassent le voyage spécialement pour nous rencontrer. Alors s’ils arrivent et qu’ils voient qu’on n’a même pas pris la peine de mettre quelques olives sur la table…

Antoine arrive avec des olives qu’il pose sur la table et un saucisson qu’il s’apprête à couper en rondelles.

Antoine – Tiens, les voilà, les olives…

Juliette – Je me demande si on ne ferait pas mieux d’éviter le saucisson…

Antoine – Pourquoi ? J’aime bien ça, le saucisson, moi… C’est de la Rosette de Lyon, justement. Je l’ai achetée à Auchan en leur honneur.

Juliette – Il y a cinq minutes, tu ne savais même pas qu’ils étaient de Lyon !

Antoine – Une intuition.

Juliette – Enfin, le problème n’est pas là…

Antoine – Parce qu’il y a déjà un problème ?

Juliette – Notre futur gendre s’appelle Djamel… Ses parents sont sûrement musulmans, comme lui…

Antoine – Djamel, c’est un prénom arabe ?

Juliette – Oui, quand même… Et puis il est assez typé, non ?

Antoine – Qu’est-ce que tu entends par typé ?

Juliette – Il est un peu… basané. Il est noir, quoi.

Antoine – Notre futur gendre est noir ?

Juliette – Tu n’avais pas remarqué ?

Antoine – Ça ne m’avait pas frappé, non.

Juliette – Enfin, noir… Pas comme un Africain… Comme Yannick Noah, si tu veux…

Antoine – Ah, oui, d’accord… Il n’est pas vraiment noir donc.

Juliette – Noir très clair… Il est métis, si tu préfères.

Antoine – Et son père, il s’appelle comment ?

Juliette – Omar, je crois…

Antoine – Ah, oui, ça c’est un prénom africain, c’est clair.

Juliette – D’Afrique du Nord, en tout cas.

Antoine – C’est marrant, jusqu’ici, je n’avais jamais envisagé cette union sous un angle ethnique…

Juliette – Ça prouve au moins qu’on n’est pas raciste.

Antoine – Oui… C’est sûrement un peu aussi parce que Sonia a rencontré Djamel à HEC… Si elle l’avait trouvé sur la dalle de la cité d’à côté, ça nous aurait peut-être frappé avant qu’il s’appelait Djamel et pas Jean-Baptiste…

Juliette – Tu crois ?

Antoine – C’est dingue comme les minorités visibles ont tendance à passer inaperçues à partir d’un certain niveau de diplômes, de revenus ou de célébrité… Prends Obama, par exemple. Franchement, il faut vraiment être américain pour remarquer qu’il est noir, non ?

Juliette – Le principal, c’est qu’il lui plaise. Et que ce soit un gentil garçon…

Antoine – Quand même… Pour des hussards de la République, comme nous… Avoir une fille qui sort d’une grande école commerciale… Tu crois qu’on a raté quelque chose dans son éducation ?

Juliette – Un hussard de la République ? C’est comme ça que tu te vois, toi ?

Antoine – Je déconne, rassure-toi… Tu sais bien que si on a fait ce métier, tous les deux, c’est pour avoir beaucoup de vacances, et pouvoir assurer notre Twingo à la MAIF…

Juliette – La MAIF…

Antoine – Et puis si notre fille peut se marier avec un Africain malgré tout, même un Africain du Nord, on culpabilisera moins d’en avoir fait un petit soldat du grand capital…

Juliette jette un regard sur le résultat de leurs préparatifs.

Juliette – Moi, c’est au sujet de notre canapé que je culpabilise… C’est la honte, non ?

Antoine – Qu’est-ce qu’il a ce canapé ?

Juliette – Il a que nous l’avons acheté juste après notre mariage à nous, Antoine ! Il a qu’il est vieux comme mes robes… Regarde-le, il est tout avachi ! Tu ne crois pas qu’il serait temps d’en acheter un autre en prévision du mariage de ta fille ?

Antoine – Je m’y suis attaché, moi, à ce vieux canapé tout avachi. Mais bon, si tu y tiens, on le changera… On l’avait acheté à la CAMIF, tu te souviens ? On pourrait regarder le catalogue, ils ont peut-être encore le même modèle…

Juliette – La CAMIF ! Mais mon pauvre ami, ça n’existe plus, la CAMIF.

Antoine – La CAMIF, ça n’existe plus ?

Juliette – Ils ont fait faillite, il y a déjà une dizaine d’années.

Antoine – Non ? Je ne savais pas… Ben tu vois, ça me fait quelque chose de savoir que la CAMIF a fait faillite…

Juliette – Mmm…

Antoine – Mais la MAIF, ça existe encore, rassure-moi ?

Juliette – Oui, mais ce n’est plus réservé aux enseignants…

Antoine – Ah bon ?

Juliette – C’est fou le nombre de gens qui pensent encore que la MAIF c’est réservé aux enseignants…

Antoine jette également un regard sur la table dressée pour l’apéritif.

Antoine – Je crois que cette fois, on est prêt à recevoir dignement les parents de notre futur gendre.

Juliette – Oui, mais le pire reste à venir…

Antoine – Quoi ?

Juliette – Le mariage ! C’est aussi pour ça qu’ils viennent, évidemment. Pour qu’on discute de la date et de l’organisation de la cérémonie.

Antoine – Rien que d’y penser, ça me déprime.

Il s’affale sur le canapé, et elle s’assied à côté de lui. Il la prend par l’épaule.

Juliette – C’est une étape, c’est sûr. Il y a vingt ans, on se mariait. Aujourd’hui, c’est notre fille qui se marie…

Antoine – Elle va quitter définitivement la maison, et on va rester là comme deux cons, assis sur notre vieux canapé fabriqué par une filiale de l’Education Nationale qui a fait faillite. En attendant que la maison mère suive le même chemin…

Juliette – Une époque qui s’achève. Le début d’une autre, peut-être… On va avoir plus de temps pour nous, maintenant.

Antoine – Et on aura moins de frais… Sa scolarité à HEC, ça nous coûtait un SMIC par mois. Heureusement qu’elle n’a jamais redoublé…

Juliette – On pourra voyager un peu plus.

Un temps.

Antoine – Qu’est-ce qu’ils font, dans la vie, les parents de Djamel ?

Juliette – Sonia m’a dit que son père travaillait dans le domaine de la sécurité…

Antoine – Un arabe qui travaille dans le domaine de la sécurité, ça c’est un progrès !

Juliette – Pourquoi ça ?

Antoine – Jusque là, le cliché, c’était arabe égal délinquant. Le fait que maintenant ils soient aussi flics ou vigiles, c’est une preuve d’intégration… Et puis comme ça, on peut dire que c’est une communauté qui génère ses propres emplois.

Juliette – Si tu pouvais éviter ce genre de plaisanteries devant les parents de notre futur gendre…

Antoine – Rassure-toi, je n’ai pas l’intention de faire capoter ce mariage. Depuis le temps qu’on attendait une occasion de se débarrasser de notre fille. Sans dote, de préférence… Et la mère, qu’est-ce qu’elle fait ?

Juliette – Sonia ne m’a pas dit.

Antoine – Bon, de toutes façons, ce n’est pas parce que notre fille va épouser leur fils qu’on est obligé de partir en vacances ensemble. D’ailleurs, tu as remarqué, il n’y a pas de nom pour décrire ce genre de relation.

Juliette – Quelle relation ?

Antoine – La relation de parenté entre la famille du marié et celle de la mariée. Pour Sonia, ce sera sa belle famille. Mais pour nous, ces gens ne seront jamais rien…

Juliette – Ça m’a l’air bien parti, cet apéritif. Arrête un peu de tout voir en noir ! Ils sont peut-être très sympas, après tout…

Antoine – Moi je dis : on les voit aujourd’hui pour l’apéritif, on les revoit pour le repas de mariage, et si on n’a pas d’atomes crochus, basta…

Juliette – Parlons-en, du mariage… Comment tu vois ça, toi ? Autant qu’on se mette d’accord entre nous, déjà…

Antoine – Nous on s’est mariés à la mairie devant quatre témoins, et on a fait le vin d’honneur dans notre garage…

Juliette – Oui, je me souviens, il pleuvait.

Antoine – Mariage pluvieux… Tu crois qu’ils vont vouloir un truc somptuaire ?

Juliette – J’espère que non… Surtout que la tradition, c’est que ce sont les parents de la fille qui paient le mariage…

Antoine – Non ? Tu plaisantes, j’espère ?

Juliette – Ça doit être ça qui remplace la dote de nos jours… Bon, il faudrait peut-être que tu te changes avant qu’ils arrivent, non ?

Antoine – Et comment je m’habille, moi, pour recevoir ces gens-là ? Je ne les connais pas ! Si je mets un costume et qu’ils arrivent en tenue décontractée, ça pourrait les embarrasser.

Juliette – Si tu restes en jogging, c’est moi qui risque d’être embarrassée.

Antoine – Qu’est-ce que je mets, alors ?

Juliette – Tu n’as qu’à mettre une djellaba. Pour leur faire honneur, ça me semble plus approprié que la Rosette de Lyon.

Antoine – Je ne suis pas sûr de retrouver celle que j’avais achetée à Marrakech.

Juliette – Je plaisante… En tout cas, tu ferais mieux de ranger ta collection de Charlie Hebdo… Si c’est des musulmans intégristes…

Antoine secoue la tête en soupirant.

Antoine – Quand même une invitation à l‘apéritif, ça fait un peu con, non ?

Juliette – Pourquoi ça ?

Antoine – Comment on va les mettre dehors au moment de passer à table ? Il faudrait qu’on mette au point un code entre nous…

Juliette – S’ils sont sympas, on pourra toujours les inviter à rester dîner…

Antoine – Voilà… C’est bien ce que je craignais… Je te dis qu’on a mis le doigt dans un engrenage infernal…

Juliette – On peut bien faire ça pour Sonia, c’est le minimum quand même. Et puis Djamel est un gentil garçon… pour le peu qu’on puisse en juger.

Antoine – C’est vrai, on ne le connaît pas tant que ça, en fait.

Juliette – Tu n’avais même pas remarqué qu’il était noir…

Antoine – On ne l’a vu qu’une fois ou deux !

Juliette – On se croirait dans un mauvais remake de cette pièce, là, avec Sidney Poitier…

Antoine – Devine qui vient dîner.

Juliette – Sauf que toi, tu as déjà vu ton gendre et que tu n’as pas percuté qu’il était noir…

Antoine – Désolé, moi je n’appelle pas ça noir…

Juliette – Bon, puisqu’on a encore un quart d’heure, moi je vais me changer, en tout cas.

Antoine – Je vais attendre que tu sois revenue, c’est plus prudent. S’ils sonnaient à la porte pendant qu’on est tous les deux à poil…

Elle sort. Antoine s’effondre accablé sur le canapé. On sonne. Antoine va ouvrir, mais revient seul au bout de quelques secondes. Juliette, qui ne s’est pas changée, revient en hâte.

Juliette – Je pensais que c’était eux… C’était qui ?

Antoine – Les témoins de Jéhovah.

Juliette – Les témoins de Jéhovah ? Et qu’est-ce que tu leur as dit ?

Antoine – Je leur ai dit qu’on n’était pas intéressés ! (On sonne à nouveau.) Et ils insistent, en plus…

Juliette (consternée) – Tu es vraiment sûr que c’était les témoins de Jéhovah ?

Antoine prend conscience de son erreur.

Antoine – Et merde…

Juliette part ouvrir après l’avoir fusillé du regard. Le téléphone sonne.

Antoine – Oui Sonia… Oui, oui, ils viennent d’arriver justement…

Juliette (off) – Je suis vraiment désolée… Mon mari vous a pris pour… Mais entrez donc…

Antoine – Tout va bien ma chérie, ne t’inquiète pas… Mais il faut que je te laisse, là. C’est ça, à plus tard…

Aymar et Jasmina arrivent avec un bouquet de fleurs et un paquet cadeau. Ils ont en effet un look assez proche de celui des témoins de Jéhovah.

Juliette – Oh, mais ce n’est pas raisonnable, il ne fallait pas. Ce n’est qu’un apéritif…

Juliette prend les fleurs et Antoine le paquet cadeau.

Antoine – Bonjour, bonjour… Vous avez fait bon voyage ?

Aymar – Très bon, merci…

Jasmina – Je me présente…

Juliette (l’interrompant) – On fera les présentations tout à l’heure… Venez d’abord vous déshabiller dans la chambre. Je veux dire poser votre manteau sur le lit. Mettez-vous à l’aise, je vous en prie. C’est par ici.

Aymar et Jasmina, un peu bousculés, n’ont même pas le loisir de dire un mot. Ils disparaissent une seconde dans la pièce d’à côté.

Juliette – Tu as déjà vu des témoins de Jéhovah sonner à la porte des gens avec un bouquet de fleurs ?

Antoine – Je n’avais pas vu le bouquet, ils devaient le cacher derrière leurs dos pour nous faire une surprise… Et puis c’est de ta faute, aussi… Tu m’avais dit qu’on attendait des gens de couleur… Ne me dis pas qu’ils sont noirs, quand même !

Juliette – Je ne sais pas, il me semble qu’il y a un petit quelque chose, non ?

Antoine – Tu es sûre que ce ne sont pas vraiment des témoins de Jéhovah ? Tu ne leur as même pas laissé le temps de se présenter !

Aymar et Jasmina reviennent sans leurs manteaux.

Juliette – Entrez, entrez, je vous en prie !

Antoine – J’ai connu quelqu’un qui s’appelait Omar autrefois, mais je ne me souviens plus du tout qui… Vous permettez que je vous appelle Omar ?

Aymar – Si vous y tenez, pourquoi pas… Mais mon véritable prénom, c’est Aymar…

Juliette – Tiens donc…

Jasmina (épelant) – A-Y-M-A-R.

Aymar – C’est vrai qu’on peut se tromper, ce n’est pas un prénom très courant…

Antoine – Je vois… Donc vous n’êtes pas noir non plus, j’imagine…

Aymar et Jasmina semblent un peu surpris par cette sortie.

Aymar – Et voici mon épouse Jasmina.

Jasmina – Enchantée de faire enfin votre connaissance.

Juliette – Jasmina… Ah, oui, ce n’est pas un prénom très courant non plus…

Jasmina – Vous, c’est Antoine et Juliette, je crois ?

Antoine – Tout à fait… Moi c’est Antoine, et elle c’est Juliette.

Aymar – Oui, c’est ce que je m’étais dit aussi…

Juliette – Nous sommes absolument ravis de vous rencontrer… Sonia nous a beaucoup parlé de vous… Donc vous habitez Lyon, n’est-ce pas ?

Aymar – Pour le moment, oui.

Juliette – Et vous avez fait bon voyage ?

Antoine – Je leur ai déjà demandé ça il y a une minute, chérie. Nos invités vont finir par croire que nous n’avons rien à leur dire…

Aymar – Oh, vous savez, Lyon maintenant avec le TGV, c’est la banlieue de Paris.

Juliette – Mais asseyez-vous, je vous en prie !

Aymar – Merci…

Aymar et Jasmina prennent place sur le canapé.

Juliette – Antoine tu fais le service ?

Antoine – Qu’est-ce qu’on vous sert à boire ? Pas d’alcool, j’imagine, comme Djamel…

Jasmina (un peu surprise) – Un jus de fruit, ça ira…

Antoine la sert.

Antoine – Omar ? Pardon, Aymar ?

Aymar – La même chose, merci…

Antoine – Je ne vous propose pas de saucisson non plus…

Juliette – Prenez des olives. Attention, elles ne sont pas dénoyautées.

Aymar et Jasmina se servent, et ne savent pas quoi faire de leurs noyaux. Antoine le remarque et leur indique une petite jardinière par terre.

Antoine – Vous pouvez mettre vos noyaux là-dedans. C’est de l’herbe à chats.

Jasmina – Ah, très bien…

Silence embarrassé.

Antoine – Vous connaissez la différence entre l’herbe à chats et l’herbe aux chats ?

Aymar – Ma foi non…

Antoine – En fait, ce sont des plantes complètement différentes, qui ont des vertus thérapeutiques tout à fait distinctes.

Jasmina – Vraiment ?

Antoine – L’herbe à chats a un effet thérapeutique. Elle permet au chat de se purger en régurgitant les poils qu’il a avalés en se léchant. L’herbe aux chats, en revanche, également appelé cataire, a des vertes aphrodisiaques et même hallucinatoires.

Aymar – Alors ça… Je l’ignorais complètement…

Jasmina – Donc, vous avez un chat…

Antoine – En fait non… C’est pour notre consommation personnelle… N’est-ce pas, chérie ?

Juliette le fusille du regard.

Juliette – Mon mari plaisante, évidemment… Djamel ressemble beaucoup à son père, tu ne trouves pas Antoine.

Antoine – Euh… Si… Si, si…

Jasmina – Votre fille, en tout cas, c’est tout le portrait de sa mère. N’est-ce pas Omar ? Aymar ! Voilà que je m’y mets aussi, moi…

Aymar – Oui, ça Sonia est bien votre fille. Vous ne pouvez pas la renier.

Jasmina – Les chiens ne font pas des chats.

Silence un peu embarrassé.

Aymar – Vous êtes enseignants tous les deux, je crois ?

Juliette – Oui, tout à fait…

Antoine – Il paraît qu’un français sur deux a rencontré son conjoint sur son lieu de travail. Chez les enseignants, la proportion doit monter jusqu’à 90 pour cent.

Juliette – Les 10 pour cent qui restent ont dû se rencontrer pendant les vacances scolaires…

Antoine – Et vous Aymar, vous faites quoi dans la vie ?

Aymar – Je travaille dans le domaine de la sécurité.

Juliette – Ah, oui, c’est-ce que nous avait dit Djamel.

Antoine – Mais quand vous dites sécurité, vous voulez dire… Transport de fonds ? Vigile ? Veilleur de nuit ?

Aymar – Un peu tout ça à la fois, en fait. Je dirige une société de 300 salariés.

Juliette – Ah oui, quand même…

Aymar – La sécurité, vous savez, c’est un secteur en pleine expansion.

Jasmina – Avec tout ce qu’on voit en ce moment…

Antoine – Oui… C’est justement ce que je disais à ma femme avant que vous n’arriviez. La sécurité, c’est un métier d’avenir, et un formidable outil d’intégration…

Juliette – Et vous, Jasmina ?

Jasmina – Je suis médecin.

Juliette – Ah, c’est bon à savoir… Un médecin dans la famille, ça peut toujours servir.

Jasmina – Je suis médecin légiste.

Antoine – Remarquez, ça peut-être pratique aussi… Si j’assassine ma femme un jour, et que j’ai besoin d’un certificat de complaisance, je viendrai vous voir…

Juliette – Médecin légiste… Ah, oui, c’est… Ça doit être passionnant, n’est-ce pas ?

Jasmina – Oh, vous savez, ce n’est pas aussi excitant que dans les séries policières qu’on voit à la télévision… Et vous enseignez quelle matière, Antoine ?

Antoine – Sciences de la Vie et de la Terre.

Jasmina – Très bien…

Antoine – Oui, ça laisse toujours un blanc dans la conversation. D’ailleurs, aucun scénariste, même parmi les plus alcoolisés, n’a encore jamais songé à faire une série télé sur les profs de SVT.

Juliette – Et moi je suis prof d’anglais.

Jasmina – C’est curieux, mais j’étais sûre que vous alliez dire ça.

Juliette – Ah oui ? Vous trouvez que j’ai une tête de prof d’anglais ? Je ne suis pas sûre de prendre ça pour un compliment, mais bon…

Antoine – Il faudrait peut-être mettre ces fleurs dans l’eau…

Jasmina – Vous n’ouvrez pas le paquet, avant ?

Juliette – Ah si, bien sûr.

Antoine – Ce n’est pas une bombe, au moins ?

Juliette ouvre le paquet et en sort un vase affreux et informe.

Antoine – Tiens, c’est curieux… Qu’est-ce que c’est ?

Juliette – Un porte-parapluies ?

Antoine – Un crachoir ?

Jasmina – C’est un vase.

Aymar – Pour mettre les fleurs.

Juliette – Ah d’accord… Ah ben oui, comme ça on va pouvoir mettre les fleurs dedans…

Antoine regarde par politesse le motif dessiné sur le vase.

Antoine – C’est joli… Ça représente quoi ?

Juliette – C’est la Bretagne, non ?

Aymar – Sonia nous a dit que vous étiez originaire de Brest.

Jasmina – C’est de l’artisanat local.

Juliette – Ah oui, chéri, regarde, c’est la rade de Brest.

Antoine – Non, fais voir…

Juliette lui passe maladroitement le vase qui tombe par terre et se casse. Consternation de leurs hôtes.

Juliette – Oh, mince… Ce que je peux être maladroite !

Antoine – C’est ce qui s’appelle un acte manqué… Je veux dire, ma femme a toujours détesté la Bretagne. D’ailleurs, nous n’y allons jamais. Nous passons toutes nos vacances dans le Sud de la France…

Juliette – Je suis vraiment désolée… Je ne sais pas quoi vous dire…

Aymar – Ne vous inquiétez pas pour ça, ce n’est pas si grave…

Juliette – Je vais ramasser tout ça.

Elle se penche pour ramasser les morceaux.

Jasmina – On va vous aider.

Juliette – Je vous en prie, restez assis.

Antoine l’aide à ramasser.

Juliette – On pourra peut-être recoller les morceaux…

Antoine – Pourquoi pas ? Et avec le motif, ça nous aidera beaucoup.

Juliette – Oui, ce sera comme un puzzle, mais en trois dimensions !

Antoine – Tiens, c’est curieux, il y avait un papier dedans… C’est vous qui l’avez écrit ?

Aymar – Ma foi non… C’est toi chérie ?

Jasmina – Pas du tout…

Juliette – Qu’est-ce que c’est ?

Antoine – Je ne sais pas… Ce n’est pas en français…

Aymar – C’est peut-être en breton ?

Jasmina – Ou en suédois…

Aymar – Ça doit être le mode d’emploi…

Juliette – Pour un vase ?

Antoine – On dirait plutôt du roumain…

Jasmina – Vous connaissez le roumain ?

Antoine – J’ai quelques notions…

Juliette – Je vais taper le texte sur Google Traduction… De toutes façons, c’est très court…

Juliette sort son portable et tape le texte.

Antoine – Je connaissais le message dans une bouteille, mais le message dans un vase…

Juliette – Ça y est, j’y suis… (Consternée) Oh, mon Dieu…

Aymar – Quoi ?

Juliette – C’est un appel au secours !

Jasmina – Un naufragé qui aurait glissé ce message dans un vase ?

Juliette – Pire que ça… Un petit orphelin roumain retenu en esclavage dans une fabrique de vase près de Bucarest…

Jasmina – Non…

Aymar – Mais c’est affreux.

Juliette – Nous parrainons justement un enfant roumain… Vous vous rendez compte ? Ce vase aurait pu être fabriqué par lui…

Jasmina – Nous sommes vraiment désolés, nous ne savions pas.

Aymar – Nous avons acheté ce vase chez Ikéa.

Jasmina – Nous pensions qu’au pire, ils étaient fabriqués par des petits Suédois bien nourris…

Antoine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Juliette – Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Il n’a pas laissé d’adresse ! Il dit qu’il ne sait même pas où se trouve cette usine clandestine dans laquelle on le retient contre son gré…

Antoine – En Roumanie… Pour fabriquer des vases bretons destinés à l’export… Mais franchement, où va-t-on ?

Juliette – On signalera ça demain à Orphelins Sans Frontières…

Antoine – Vous voyez un peu où nous conduit cette mondialisation, tellement à la mode dans les grandes écoles commerciales que fréquentent nos enfants…

Juliette – Désolée, on ne voudrait pas que cela vous gâche l’apéritif.

Jasmina – C’est nous qui sommes désolés. Si on avait su…

Aymar – Nous aussi, je vous assure, nous sommes tout à fait opposés à l’esclavage des enfants.

Jasmina – Même roumains…

Aymar lève son verre pour trinquer.

Aymar – Allez, on ne va pas se laisser abattre pour si peu ! À la bonne vôtre !

Ils trinquent. Avant de peiner à relancer la conversation.

Aymar – Bon… Alors pour les nôtres, on prévoit quoi ?

Juliette – Les nôtres ?

Jasmina – Nos enfants ! Pour leur mariage !

Juliette – Ah oui, c’est vrai… Il y a ça aussi…

Aymar – Vous n’avez rien contre un mariage religieux ?

Juliette – A priori, on n’a rien pour non plus, mais c’est surtout que ça risque d’être un peu compliqué…

Antoine – Moi j’ai été catholique dans une vie antérieure, ma femme est juive par sa mère et protestante par son père, si vous mêmes vous êtes musulmans…

Juliette – À moins de faire ça en terrain neutre dans un temple bouddhiste…

Antoine – On risque d’y passer la semaine…

Jasmina – Mais… Qu’est-ce qui vous fait penser que nous sommes musulmans ?

Moment de flottement.

Juliette – Bien sûr, désolée.

Antoine – C’est vrai, on pense toujours arabe égal musulman, mais il y en a aussi qui sont catholiques.

Nouveau flottement.

Antoine – Donc, vous n’êtes pas catholiques non plus ?

Aymar – C’est plutôt que…

Jasmina – Nous ne sommes pas arabes.

Antoine – Ah… Tu vois ? Qu’est-ce que je te disais ? Ils ne sont pas arabes ! Ils ne sont pas noirs non plus, tu vois bien…

Juliette – C’est évident.

Antoine – Ma femme me soutenait que votre fils était noir…

Juliette – Les noirs, on sait ce que c’est, on parraine aussi un orphelin au Mali…

Antoine – On l’aurait bien ramené en France, mais Orphelins Sans Frontière s’est aperçu au dernier moment qu’il avait déjà des parents…

Juliette – C’est vous qui avez raison, le racisme n’existera plus lorsque les Français de souche donneront volontairement à leurs enfants des prénoms maghrébins.

Antoine – Aujourd’hui les enfants de l’immigration sont obligés de franciser leurs prénoms pour avoir une chance que leurs CV soient lus.

Juliette – C’est vrai, il y a aussi de très jolis prénoms arabes. Je veux dire, pas Mohamed, Mouloud…

Antoine – Abdelkader ou Abdelkrim…

Juliette – Mais je ne sais pas moi… Djamel ou Jasmina, par exemple.

Antoine – Les gens donnent bien à leurs enfants des prénoms américains comme Steewie ou Pamela.

Juliette – C’est tout aussi ridicule.

Antoine – Alors pourquoi pas des prénoms nord-africains…

Un silence embarrassé suit cette logorrhée.

Jasmina – Jasmina est un prénom d’origine croate…

Aymar – Quant à Djamel, il avait déjà un an lorsque nous l’avons adopté. Alors évidemment, nous lui avons laissé son prénom.

Juliette – Bien sûr…

Jasmina – Nous comprenons votre méprise… Djamel ne vous avait sans doute pas dit que c’était un enfant adopté.

Juliette – Ce n’est pas quelque chose qu’on dit facilement…

Antoine – Donc notre futur gendre, en tout cas, est arabe, nous sommes bien d’accord là dessus ?

Aymar – C’est un peu plus compliqué que ça, mais…

Jasmina – J’espère que ce n’est pas un problème pour vous.

Juliette – Mais pas du tout, voyons, au contraire !

Silence embarrassé.

Aymar – D’ailleurs, il faut que nous vous disions quelque chose d’autre à propos de notre fils…

Jasmina – Une chose qu’il est important que vous sachiez…

Juliette – Ne vous inquiétez pas, personne n’est parfait.

Antoine – On a tous fait des erreurs de jeunesse, pas vrai ? Même s’il a fait un peu de prison pour trafic de stupéfiants avant d’entrer à HEC…

Jasmina – Rassurez-vous, le casier judiciaire de notre fils est vierge.

Antoine – Hélas, je ne peux pas vous en garantir autant de ma fille…

Juliette lui lance un regard réprobateur.

Aymar – En tant qu’enfant adopté, notre fils Djamel a des liens très forts avec ses parents.

Jasmina – Et bien entendu, nous avons des liens très forts avec lui…

Aymar – Nous sommes sa seule famille, vous comprenez ?

Jasmina – Et nous n’avons plus nous-mêmes aucun parent proche.

Aymar – Ils sont tous morts.

Blanc.

Juliette – Mon Dieu, mais c’est épouvantable.

Antoine – Comment est-ce que c’est arrivé ?

Aymar – C’est une histoire tragique.

Jasmina – Que nous vous raconterons peut-être un jour.

Aymar – Plus tard.

Jasmina – Lorsque nous nous connaîtrons un peu mieux…

Aymar – Après le mariage, en tout cas…

Jasmina – Nous ne voudrions pas gâcher cette fête avec le récit de nos drames familiaux…

Jasmina écrase une larme. Antoine et Juliette, embarrassés, échangent un regard inquiet.

Juliette – Je vous ressers quelque chose ?

Antoine – Un véritable apéritif, du coup ? Puisque vous n’êtes pas musulmans… Ça vous remontera…

Juliette – Pastis, Whisky, Porto ?

Jasmina – Je prendrai un doigt de Porto, alors.

Aymar – Moi aussi.

Juliette fait le service.

Antoine – Prenez un peu de saucisson ! C’est de la Rosette de Lyon. On l’a achetée exprès pour vous… Je veux dire au cas où vous auriez été des Lyonnais pas trop à cheval sur les principes de l’Islam…

Le portable de Jasmina sonne.

Jasmina – Excusez-moi, je suis vraiment désolée… (Elle répond) Oui ? (Plus bas) Je t’avais dit de ne pas m’appeler à ce numéro…

Aymar lui lance un regard suspicieux.

Jasmina – Vous permettez ?

Elle disparaît dans la chambre où ils ont posé leurs manteaux. Aymar se lève lui aussi et la suit.

Aymar – Non mais tu ne vas pas…

Jasmina – Oh, fiche-moi la paix !

Aymar – Excusez-nous un instant…

Il la suit dans la chambre, et on entend encore un peu leur conversation off.

Jasmina – Tu me surveilles ? C’est une déformation professionnelle, je sais, mais bon…

Aymar – Tu pourrais au moins avoir la décence de…

Jasmina – Tu peux parler moins fort, s’il te plaît ? Je te rappelle que nous ne sommes pas chez nous…

Aymar – Très bien, on reparlera de tout ça plus tard… Mais tu ne paies rien pour attendre, je te le garantis… Toi et ton moricaud…

Antoine et Juliette échangent un regard inquiet, sidérés par le ton de cette conversation.

Antoine – Je ne le trouve pas très sécurisant, pour quelqu’un qui travaille dans la sécurité, non ?

Aymar revient.

Aymar – Je suis vraiment confus.

Juliette – Mais pas du tout, voyons…

Aymar – Ma femme est un peu dépressive en ce moment.

Juliette – Oh vous savez, c’est un peu le cas de tout le monde. Il suffit d’ouvrir un journal ou de regarder autour de soi. On ne peut pas dire que tout ça porte tellement à l’optimisme…

Aymar – En fait, Jasmina a fait une tentative de suicide il y a trois mois.

Antoine – Ah oui, quand même…

Juliette – Nous sommes vraiment désolés de l’apprendre.

Aymar – Évidemment, je vous demande de ne pas mentionner ça devant elle…

Juliette – Bien sûr…

Jasmina revient.

Jasmina – Je vous prie de m’excuser… Vous parliez du mariage, j’imagine ?

Juliette – Euh… Oui… Entre autres choses…

Aymar – Je pense que vous serez d’accord avec nous qu’une simple formalité à la mairie, c’est quand même un peu triste…

Antoine – En ce qui nous concerne, à l’époque, nous nous en sommes contentés… Mais je n’irai pas jusqu’à dire que notre mariage était d’une folle gaîté, il faut bien l’avouer…

Juliette – Et vous songiez à quoi ?

Aymar – Un vrai mariage, c’est un mariage à l’église, non ?

Antoine – Donc votre fils est catholique ?

Jasmina – Nous l’avons fait baptiser lorsque nous l’avons adopté.

Aymar – On lui a laissé son prénom, mais tout de même. Il était préférable que nous ayons tous la même religion, n’est-ce pas ?

Juliette – Oui, c’est quand même plus pratique… Pour les repas, notamment…

Antoine – Et pour les fêtes de famille…

Juliette – Même si en l’occurrence vous n’en avez plus…

Un temps.

Antoine – Bon, je vous rassure, nous n’allons pas non plus en faire une question de principe…

Juliette – Notre fille n’est pas baptisée, mais si vous trouvez un curé qui n’y voit pas d’inconvénient…

Antoine – Comme disait Henri IV à sa fille : Mari vaut bien une messe !

Nouveau silence embarrassé.

Jasmina – C’est à dire que…

Juliette – Oui ?

Jasmina – Sonia a décidé de se faire baptiser pour pouvoir se marier à l’église avec Djamel…

Antoine échange un regard consterné avec Juliette.

Aymar – Elle ne vous l’avait pas dit ?

Antoine – Il faut croire qu’elle a oublié de mentionner ce détail.

Jasmina – J’ai l’impression que cela vous contrarie…

Antoine – Pensez-vous ! Elle est majeure, après tout. Si elle veut devenir mormon ou salafiste, nous ne sommes pas en mesure de l’en empêcher de toutes façons…

Juliette – Dans ce cas, nous sommes déjà d’accord là dessus. Nos enfants seront mariés devant Dieu…

Aymar écrase une larme et se lève.

Aymar – Vous ne pouvez pas savoir ce que ce mariage représente pour nous…

Jasmina – Une véritable renaissance…

Aymar – Je suis tellement ému… Vous permettez que je vous embrasse ?

Juliette se lève aussi.

Juliette – Mais bien sûr… À présent, nous sommes presque de la même famille, après tout…

Aymar étreint Juliette, avant de se tourner vers Antoine.

Aymar – Et vous aussi Antoine ?

Antoine – Si c’est absolument nécessaire…

Antoine se lève et Aymar l’étreint à son tour, longuement. Aymar essuie une nouvelle larme.

Aymar – Excusez-moi… Je peux vous demander où se trouvent les toilettes ?

Juliette – Bien sûr, c’est après la chambre, sur la gauche.

Aymar sort. Silence embarrassé.

Antoine – Nous les hommes, nous avons droit aussi à notre part de féminité.

Jasmina – J’imagine qu’il vous a raconté que j’étais dépressive…

Antoine et Juliette gardent un silence embarrassé.

Jasmina – Et même que j’avais fait une tentative de suicide…

Juliette – Je… Je ne sais plus s’il a mentionné ça…

Jasmina – En fait, c’est lui qui ne va pas bien. Il est très jaloux, de façon maladive. Depuis que nous sommes mariés, il me fait suivre en permanence par un de ses agents de sécurité au prétexte de me protéger…

Juliette – Il est peut-être tout simplement un peu trop… protecteur.

Jasmina – Et ensuite il me reproche d’avoir des aventures avec mes gardes du corps.

Juliette – C’est ridicule…

Jasmina – Qu’est-ce que vous voulez ? Quand on vous impose la présence d’un homme plutôt bien bâti à vos côtés toute la journée… Et parfois même la nuit, lorsque mon mari était en déplacement…

Juliette – Cela crée des tentations, évidemment.

Antoine – Un simple dérapage sans lendemain, j’imagine…

Jasmina – Aymar raconte partout que Djamel est un enfant adopté, mais en réalité, c’est le produit d’une de ces relations extraconjugales… Et mon mari le sait très bien, évidemment…

Juliette – Bien sûr…

Antoine – Il faut dire que Djamel ne lui ressemble pas du tout, malgré ce que nous avons dit tout à l’heure par politesse…

Juliette – C’est vrai que Djamel est assez typé.

Antoine – Sans aller jusqu’à dire qu’il est noir…

Jasmina – C’est pourquoi nous lui avons choisi ce prénom un peu exotique.

Antoine – Évidemment…

Jasmina – En fait mon mari ne peut pas avoir d’enfants… Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas pour cette raison qu’il m’a inconsciemment poussée dans les bras de tous ces étalons… Aymar ne pouvait pas se résoudre à l’idée de ne pas avoir de successeur, vous comprenez ?

Antoine – Dans ce cas, plutôt que d’enfant adultérin, on pourrait presque parler de procréation assistée… À l’ancienne…

Juliette – C’est le professeur de SVT qui parle…

Jasmina – Le problème c’est que mon mari n’assume pas vraiment cette situation…

Juliette – Et Djamel, il sait qui est son père biologique ?

Jasmina – Il sait seulement que c’est un des trois cents employés de mon mari. Tout comme moi, d’ailleurs… Pour éviter que des liens trop étroits ne se tissent entre nous, mon mari changeait tous les jours l’ange gardien chargé de me surveiller.

Juliette – Et vous ne vous souvenez plus qui était de garde ce soir-là…

Antoine – Un ange gardien… Là ce n’est plus de la procréation assistée… On n’est pas loin de l’immaculée conception…

Jasmina – Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’en raison de son métier, mon mari a un permis de port d’arme…

Juliette – Non ?

Jasmina – J’ai peur qu’un jour il ne fasse une bêtise.

Antoine – Quelle genre de bêtises ?

Jasmina – Qu’il se tue. Ou qu’il tue quelqu’un. Il ne faut surtout pas le contrarier, il est sujet à des accès de colère incontrôlable. Vous avez vu tout à l’heure ?

Antoine – Et… votre mari porte son arme sur lui ?

Aymar revient.

Aymar – Nous sommes vraiment très touchés par votre accueil.

Jasmina – Oui, vraiment…

Aymar – Nous formons une famille maintenant, n’est-ce pas ?

Jasmina – Je crois que cela va aussi nous aider à ressouder notre couple, après toutes les épreuves que nous avons traversées.

Aymar – D’ailleurs, nous avons décidé de déménager pour nous rapprocher de notre fils, et de nos futurs petits enfants. Nous envisageons d’acheter une maison en région parisienne.

Juliette – Vraiment ? Dans quel coin exactement ?

Jasmina – J’ai vu qu’il y avait une maison à vendre en face…

Juliette – En face de quoi ?

Jasmina – En face de chez vous !

Aymar – Je vous l’ai dit, nous n’avons plus aucun parent proche. Et nous nous sentons déjà tellement d’affinités avec vous…

Stupeur de Juliette et Antoine. Le téléphone sonne, mais ils ne l’entendent même pas.

Jasmina – Vous ne répondez pas ?

Juliette – Si, si, bien sûr…

Antoine décroche.

Antoine – Oui, ma chérie ? Je suis content de pouvoir te parler, justement. Je voulais savoir si tu comptais nous inviter à ton baptême, et ce qui te ferait plaisir comme cadeau ? Un montre de plongée ? Une gourmette en plaqué or avec ton prénom gravé dessus ? (Son visage se fige) Quoi ? Mais pourquoi ? Mais enfin… (Aux trois autres) Elle a raccroché…

Juliette – Mais qu’est-ce qui se passe ?

Antoine – Elle ne veut plus se marier… Elle dit que Djamel l’a trompée !

Juliette – Mais c’est affreux !

Antoine – Oui… Alors pourquoi est-ce que j’ai tendance à prendre ça comme une bonne nouvelle ?

Aymar – Djamel ? Tromper Sonia ?

Jasmina – Notre fils n’aurait jamais fait une chose pareille…

Juliette – Ça c’est quand même un peu difficile à affirmer aussi catégoriquement, non ?

Jasmina – Cela ne correspond pas du tout à l’éducation que nous lui avons donnée…

Aymar – Tel père tel fils…

Jasmina – Qu’est-ce que tu insinues ?

Aymar – Je me comprends…

Juliette (à Antoine) – Tu aurais pu me la passer, au moins !

Antoine – C’est elle qui a raccroché !

Juliette – Qu’est-ce qu’elle t’a dit au juste ?

Antoine – Je n’ai pas compris grand chose, elle était en larmes au téléphone. Mais je crois qu’elle a parlé d’un préservatif retrouvé sous le lit de Djamel dans sa chambre à HEC…

Jasmina – Usagé ?

Antoine – Ça elle ne m’a pas précisé… Vous voulez que je la rappelle pour lui demander ?

Jasmina – Et vous êtes sûr que ce n’est pas votre fille qui…

Aymar – C’est vrai qu’elle est quand même un peu…

Juliette – Un peu quoi ?

Jasmina – Un peu délurée.

Juliette – Délurée, ma fille ? Dites plutôt que c’est votre fils qui est un peu coincé… Enfin pas tant que ça, apparemment…

Antoine – Oui, ne renversons pas les rôles, hein ? C’est bien votre fils qui a trompé ma fille jusqu’à preuve du contraire !

Aymar – D’un autre côté, il vaut mieux que cela arrive avant le mariage, n’est-ce pas ?

Juliette – Quoi ? Mais c’est monstrueux ! C’est ça la morale hypocrite que vous avez inculquée à votre fils ? On voit le résultat !

Antoine – Quoi qu’il en soit, Sonia ne veut plus se marier. Et je vous avoue que ce n’est pas fait pour me déplaire…

Aymar – Et pourquoi ça, je vous prie ?

Antoine – Si ça peut lui éviter de se colleter des beaux parents psychopathes…

Jasmina – Quoi ?

Juliette – Moi non plus, je vous avoue que je ne le sentais pas ce mariage.

Jasmina – Ah oui ?

Antoine – Il faut bien avouer que nous n’avons pas grand chose en commun.

Juliette – Et nos enfants non plus probablement.

Antoine – Honnêtement, je ne pense pas que Sonia et Djamel soient faits pour vivre ensemble. C’est notre fille, tout de même, nous la connaissons bien.

Aymar – La preuve, vous ne saviez même pas qu’elle avait décidé de se faire baptiser.

Antoine – C’est votre fils qui a une mauvaise influence sur elle.

Antoine – Pour tout vous dire, quand vous êtes arrivés, je vous ai pris pour des témoins de Jéhovah…

Aymar – Vraiment ? Je croyais que vous nous aviez pris pour des noirs ?

Juliette – Des noirs, mais enfin c’est ridicule ! Cela se voit tout de suite que vous n’êtes pas noirs…

Jasmina – Ou en tout cas des arabes !

Aymar – Dites plutôt que si vous ne voulez pas de ce mariage, c’est parce que vous êtes racistes !

Antoine – Racistes, nous ? D’anciens sociétaires de la CAMIF !

Antoine prend son verre et en lance le contenu au visage de Aymar. Celui-ci, outré, le prend par le col et le pousse sans grande violence. Mais Antoine perd l’équilibre et tombe.

Juliette – Oh mon Dieu !

Juliette se précipite à son chevet.

Juliette – Antoine, ça va ? Il est inconscient !

Aymar – Je suis vraiment désolé, mais je l’ai à peine touché !

Juliette – Assassin ! (À Jasmina) Mais faites quelque chose ! Après tout, vous êtes médecin…

Jasmina – Je suis médecin légiste…

Juliette – Je ne sais pas ce qui me retient de…

Juliette commence à étrangler Jasmina. Le portable de Aymar sonne et il répond. Les deux femmes, revenant à la réalité, s’immobilisent.

Aymar – Oui, Djamel… Oui, nous sommes avec Julien et Antoinette… Antoine et Juliette, c’est ça… (Aux trois autres) Il dit qu’il n’a pas trompé Sonia. Il s’agit d’un malentendu. Ils se sont réconciliés, et ils se marient à nouveau… Non, je… Je ne peux pas te passer Antoine pour le moment, il… D’accord, on se rappelle…

Jasmina se penche vers Antoine.

Jasmina – En tout cas, en tant que médecin légiste, je peux vous affirmer que cet homme n’est pas mort.

Antoine reprend ses esprits et se relève. Tous semblent très embarrassés.

Antoine – Qu’est-ce qui s’est passé ?

Juliette – Rien, mon chéri, tu as dû glisser, c’est tout.

Aymar – Je crois que nos mots ont un peu dépassé notre pensée, n’est-ce pas ?

Juliette – Nous nous sommes laissés aller à quelques débordements, c’est clair.

Jasmina – On est parti sur la mauvaise pente, mais on va tout reprendre à zéro, d’accord ?

Antoine – Nos enfants vont se marier, après tout.

Aymar – C’est entièrement de notre faute, nous n’aurions pas dû…

Juliette – Mais non, voyons, c’est nous qui…

Antoine – Vous reprendrez bien quelque chose ?

Juliette – Je crois que ce ne serait pas très raisonnable. Nous n’avons presque rien mangé dans le TGV à midi…

Juliette – Vous allez bien rester dîner avec nous ?

Antoine lui lance un regard consterné.

Aymar – Nous ne voudrions pas abuser…

Juliette – Je n’ai rien prévu, mais je peux regarder ce qu’il me reste dans le congélateur. Ce sera à la bonne franquette…

Jasmina – Dans ce cas…

Juliette sort. Silence embarrassé.

Jasmina – J’aime beaucoup votre canapé…

Aymar – Oui, il est très confortable.

Jasmina – Il est en cuir, bien sûr. Le vrai cuir, ça se reconnaît tout de suite.

Aymar – Le cuir, ça vieillit très bien…

Antoine – Nous l’avons acheté à la CAMIF il y a déjà quelques années. Vous saviez que la CAMIF avait fait faillite…

Aymar – La CAMIF ? Qu’est-ce que c’est que ça ?

Antoine – Une entreprise qui n’a pas su prendre le tournant de la mondialisation.

Aymar – Comme l’Éducation Nationale, alors…

Antoine – Enfin heureusement, nous les profs, on n’a pas encore trouvé le moyen de nous délocaliser.

Jasmina – Oh, ça viendra sûrement…

Juliette revient.

Jasmina – Je n’ai pas grand chose, mais comme on a déjà beaucoup grignoté, on peut passer directement au dessert, non ? J’avais une galette des rois dans le congélateur. Je l’ai réchauffée au micro-ondes…

Antoine – Une galette des rois ? Mais on est au mois de juin.

Juliette – Oui, et bien j’en avais acheté un lot de deux en promo à Auchan au mois de janvier, et comme on n’en avait mangé qu’une, j’ai congelé l’autre…

Aymar – Une galette des rois, ça nous va très bien. Nous adorons la galette, n’est-ce pas chérie ?

Jasmina – Et on a si rarement l’occasion d’en manger.

Aymar – C’est vrai, c’est tellement bon, la galette des rois. Pourquoi n’en manger qu’une fois par an pour l’épiphanie ?

Juliette coupe la galette en quatre.

Aymar – Normalement, c’est le plus jeune qui doit aller sous la table…

Jasmina – Mais cela nous obligerait à dire notre âge…

Antoine – Et puis la table est un peu trop basse, non ?

Juliette tend une part avec la pelle à découper.

Juliette – Pour qui ?

Antoine – Honneur aux dames.

Juliette sert les parts.

Juliette – Bon appétit !

Aymar – Excellente, vraiment !

Jasmina – Oui, elle est bien fourrée.

Ils mangent un moment leur galette en silence.

Aymar – Ah, on dirait que c’est moi qui ai la fève…

Juliette – Alors c’est vous le roi !

Antoine – Le roi de quoi, on ne sait pas…

Juliette tend la couronne à Aymar qui la place sur sa tête.

Aymar – Et voilà : Aymar Premier. Je choisis ma femme comme reine, évidemment.

Jasmina – C’est normal, après tout.

Juliette – Ah oui ?

Jasmina – Les parents du prince charmant sont forcément un couple royal !

Juliette – Bien sûr…

Aymar couronne sa femme et ils s’embrassent de façon très appuyée pendant un long moment. Embarras de Antoine et Juliette. Juliette toussote un peu pour les rappeler à la réalité.

Juliette – Vous désirez un café ?

Les deux autres mettent fin à leur étreinte.

Jasmina – Pourquoi pas ?

Aymar – Avec plaisir…

Jasmina – Vous permettez que j’aille me laver les mains ? La galette, c’est toujours un peu… lubrifiant.

Aymar – Je vais avec toi…

Juliette – Mais je vous en prie, vous connaissez le chemin… Je vais lancer la machine à café…

Aymar et Jasmina sortent, et Juliette à leur suite. Elle revient quelques secondes après.

Antoine – Si seulement il avait pu s’étrangler avec cette fève…

Juliette – Il faut avouer qu’ils sont graves…

Antoine – Pourquoi tu les as retenus à dîner, alors ?

Juliette – Ce n’est pas un dîner, c’est juste une galette des rois ! Et puis je te rappelle que Sonia va se marier avec leur fils…

Antoine – Il faut absolument faire capoter ce mariage, sinon ça va être un cauchemar…

Juliette – Ah, oui ? Et comment on fait ça ?

On entend Aymar et Jasmina glousser off.

Antoine – Ils avaient l’air très chauds, là… Tu crois qu’ils sont en train de copuler dans notre salle de bain ?

Juliette – Tu as vu, tout à l’heure, quand il a failli défourailler son pistolet ? Tu crois que je devrais appeler la police ?

Antoine – En tout cas, comme dit sa femme, on va essayer de ne pas le contrarier…

Aymar revient en pelotant aimablement sa femme. Ils chahutent comme des collégiens.

Jasmina – Oh non, arrête, enfin… Je t’en prie… Pas ici…

Juliette (embarrassée) – Je vais voir si le café est prêt.

Juliette sort. Jasmina et Aymar s’efforcent de reprendre leur sérieux et de relancer un bavardage de circonstances.

Jasmina – Sonia nous a dit que vous aviez une maison de vacances en Provence, n’est-ce pas ?

Antoine – Oui, à Tarascon… Nous y allons le plus souvent possible.

Aymar – C’est incroyable, nous passons nous-mêmes toutes nos vacances à Beaucaire ! Il n’y a que le Rhône à traverser !

Juliette revient avec le café.

Juliette – Non ? Mais c’est extraordinaire !

Antoine et Juliette échangent un regard consterné.

Aymar – Alors nous pourrons aussi nous voir pendant les vacances !

Jasmina – Et si on faisait le mariage là-bas ?

Aymar – C’est vrai qu’il nous reste à organiser les détails de la noce… Mais j’avais plutôt une autre idée en tête…

Antoine – Nous on voyait quelque chose d’assez intime. Et comme par chance vous n’avez pas de famille.

Aymar – Il faut quand même marquer le coup… Qu’est-ce que vous pensez de faire ça dans les locaux de ma société ? Pour inviter mes clients, ce serait plus pratique ?

Antoine – Vous avez beaucoup de clients ?

Aymar – Rassurez-vous, dans ce cas, je ferais passer ça en frais de représentation…

Antoine – Dans ce cas, évidemment, si c’est une opération commerciale…

Aymar – Djamel prendra ma succession à la tête de cette entreprise dans quelques années. Ce sera l’occasion de présenter mon dauphin à ses futurs employés… Je vous avoue que j’ai très envie de passer la main, et de profiter un peu de la vie.

Aymar écarte sa veste pour montrer son revolver.

Aymar – En tout cas, lorsque je serai à la retraite et que j’habiterai juste en face de chez vous, croyez-moi, côté sécurité, vous n’aurez plus rien à craindre… Je surveillerai personnellement votre domicile…

Juliette – Eh oui… Vous pourriez même organiser une milice avec les retraités du coin et faire des rondes dans le quartier ! Qu’est-ce que tu en penses Antoine ?

Antoine – Pourquoi pas ? Je n’aime pas trop le terme de milice, mais pendant la guerre, on appelait ça la protection civile… Après tout c’est un peu la même chose.

Juliette – Oui… Sauf que nous ne sommes pas en guerre…

Aymar – Vous oubliez nos ennemis de l’intérieur… La cinquième colonne !

Un temps.

Jasmina – Nous aimons vraiment beaucoup Sonia, et nous sommes ravis de cette union.

Antoine – Oui, c’est… C’est une belle revanche, pour elle aussi.

Juliette lui lance un regard étonné.

Aymar – Une revanche ?

Antoine – Sur la vie…

Jasmina – Vraiment ?

Juliette ne tarde pas à embrayer.

Juliette – C’est vrai qu’elle était plutôt mal partie.

Aymar – À ce point-là ?

Antoine – Elle ne vous a pas dit ? À la naissance, elle avait une santé très fragile. N’est-ce pas Juliette ?

Juliette – Une grande prématurée…

Antoine – Les médecins se demandaient même si elle n’en garderait pas des séquelles physiques et cérébraux.

Juliette – D’ailleurs pour ses études, au départ, il faut bien avouer qu’elle n’était pas vraiment précoce, pour le coup.

Antoine – Elle a redoublé son CM2.

Jasmina – N’empêche que maintenant, elle est à HEC…

Antoine – Oui, et au moins, elle s’est un peu stabilisée…

Juliette – On ne devrait pas vous le dire, mais… Vous n’aviez pas complètement tort tout à l’heure…

Antoine – Il faut bien avouer qu’elle est assez délurée, comme vous dites.

Juliette – Elle a eu beaucoup d’aventures avant de rencontrer votre fils.

Antoine – Ah, ça, on peut dire qu’on en a vu défiler…

Juliette – Et pas que des bonnes fréquentations…

Antoine – C’est pourquoi nous étions si ravis lorsqu’elle nous a présenté votre fils…

Juliette – Tu te souviens ? La fois où on a dû aller la récupérer au commissariat parce qu’elle avait volé quelque chose dans un supermarché… C’était quoi, déjà ?

Antoine – Du jambon, je crois.

Aymar et Jasmina échangent un regard étonné.

Aymar – Du jambon ?

Juliette – Ou du rouge à lèvre, je ne sais plus.

Antoine – Non, ça me revient maintenant… C’était une tente de camping !

Aymar et Jasmina échangent un regard consterné.

Juliette – Ah, oui, une chose quand même qu’il nous paraissait important de vous signaler à propos de Sonia…

Jasmina – Oui ?

Juliette – Sa grand mère maternelle avait une maladie génétique assez handicapante…

Antoine – Une maladie orpheline.

Juliette – Je ne sais plus trop laquelle, mais je vous redirai ça, c’est quand même important que vous le sachiez… Je n’en ai pas hérité, heureusement, et ma fille non plus. Mais il paraît que ça peut sauter une ou deux générations…

Antoine – Il ne s’agirait pas que notre fille vous donne des petits enfants qui ne soient pas à la hauteur de vos espérances…

Juliette – Il suffira de faire le test. Ils ne garderont l’enfant que s’il n’est pas atteint par la maladie…

Aymar – En effet, c’est… C’est très ennuyeux… Déjà que du côté de Djamel, on n’a pas de certificat d’appellation d’origine contrôlée…

Jasmina – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Aymar – Tu sais très bien ce que je veux dire !

Jasmina – Parce que de ton côté, tout le monde est parfaitement équilibré, peut-être ?

Aymar – Qu’est-ce que tu insinues ?

Jasmina – Ton neveu a assassiné toute la famille avec le fusil de chasse de son père pendant qu’ils dormaient !

Aymar – C’était un coup de folie, ça peut arriver à tout le monde !

Jasmina – À tout le monde ? Heureusement que cette année là, on n’avait pas pu partir à la neige avec eux pour fêter Noël…

Aymar – Salope ! Traînée ! Un jour je te tuerai…

Il porte sa main à son revolver. Antoine et Juliette sont tétanisés. Le téléphone portable de Jasmina sonne. Elle répond.

Jasmina – Oui, tout va bien Sonia… (À Juliette) C’est votre fille justement…

Juliette – Je vais débarrasser un peu.

Elle sort avec quelques objets pris sur la table.

Jasmina – D’accord… Entendu… Et ne vous inquiétez pas, ma petite Sonia. Nous vous prendrons comme vous êtes… Non, je faisais référence à votre maladie génétique.

Antoine (embarrassé) – Vous reprendrez bien un peu de café ?

Aymar – Volontiers, merci…

Juliette revient et s’adresse à voix basse à Antoine en aparté.

Juliette – J’ai appelé la police…

Jasmina – D’accord, je fais la commission. (Jasmina range son téléphone) Ils passeront pour le café…

Juliette – Très bien, dans ce cas, je vais en refaire…

Jasmina – J’espère que je n’ai pas gaffé en lui parlant de sa maladie orpheline… Elle avait l’air un peu gênée…

Antoine et Juliette échangent un regard coupable.

Aymar – Mais j’y pense, ça vous dirait de passer Noël avec nous à la montagne ? Après le drame qui nous a frappé, du coup, on a hérité d’un chalet dans les Alpes du côté du Grand Bornand.

Jasmina – On pourrait se réunir tous pour fêter notre premier Noël en famille !

Aymar – Notre nouvelle famille !

Antoine et Juliette ont l’air terrifiés. Le portable de Juliette sonne.

Juliette – Oui ma chérie ? Comment ça, quelle maladie génétique ? Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler… Je t’expliquerai tout à l’heure, d’accord…

Juliette range son portable.

Antoine – Nous avions préféré ne pas lui en parler jusqu’à aujourd’hui… Tu n’as pas entendu sonner, chérie ?

Juliette – Non, je n’ai rien entendu…

Antoine lui fait signe discrètement de faire semblant.

Juliette – Ah si, peut-être… C’est vrai qu’elle marche tellement mal, cette sonnette… Parfois on ne l’entend pas…

Antoine – Ça doit être eux. Tu viens avec moi pour les accueillir ?

Juliette – Je te suis…

Ils sortent en catimini. On entend une porte claquer. Aymar et Jasmina restent silencieux un moment.

Jasmina – On avait raison de se méfier, ils sont vraiment bizarres, non ?

Aymar – Et d’un chiant…

Jasmina – Un couple de profs, quoi…

Aymar – On ne devrait pas les laisser se reproduire entre eux, ces gens-là.

Jasmina – Qu’est-ce que tu veux ? On ne choisit pas sa belle-famille…

Aymar – Hélas…

Nouveau silence.

Jasmina – C’est curieux, on dirait qu’ils sont partis…

Aymar – Tu crois ?

Un temps.

Jasmina – Je ne le sentais pas ce mariage.

Aymar – Tu penses qu’on en a fait assez ?

Jasmina – La question, ce serait plutôt est-ce qu’on n’en a pas fait un peu trop.

Aymar – On n’aura peut-être pas réussi à empêcher ce mariage, mais en tout cas, je crois que du côté des beaux-parents, on peut être tranquille.

Jasmina – Oui, je crois qu’ils ne sont pas près de nous réinviter.

Aymar – Ou d’accepter les invitations qu’on serait obligés de leur faire par politesse…

Jasmina – Surtout pas pour Noël.

Ils se marrent. On entend la sirène d’une voiture de police qui se rapproche.

Aymar – Finalement, tu as raison… Je me demande si on n’en a pas fait un peu trop, quand même…

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Janvier 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-45-1

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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Des Beaux-Parents Presque Parfaits Lire la suite »

Gay Friendly

Gay friendly (english) – Gay Friendly (español)Gay Friendly (português)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

4 hommes

3 hommes et 1 femme
2 hommes et 2 femmes
1 homme – 3 femmes
4  femmes

Trouver dans le métro un sac plein de billets de banque, ça peut aider pour offrir à son fils un beau mariage gay. Mais bien mal acquis ne profite jamais… 


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Gay Friendly

Un sac plein de billets de banque, ça peut aider pour offrir à son fils un beau mariage gay. Mais bien mal acquis ne profite jamais…

Personnages :

Gaby : femme (ou homme)
Alex : femme (ou homme)
Sam : homme
Vic : femme

Gaby et Alex peuvent être des femmes ou des hommes, mais s’agissant d’un couple gay ils doivent être du même sexe.

Les distributions possibles pour cette version sont 1H/3F ou 3H/1F
Autres versions disponibles : 4 hommes ou 2H/2F ou 4 femmes.

Sur le canapé, Gaby feuillette un catalogue de voyage en sirotant un cocktail. À côté une télévision, dont on ne voit pas l’écran, est allumée avec le son coupé. Gaby s’arrête sur une page du catalogue avec un large sourire.

Gaby – La Californie ? Las Vegas ! Le Caesar Palace… (Son sourire se fige) Cinq mille euros pour une semaine ! Pour se ruiner, en tout cas, l’avion c’est plus rapide que le casino…

Son regard est soudain attiré par l’écran de télévision. Gaby appuie sur la télécommande pour remettre le son.

Présentateur – Les numéros qu’il fallait jouer pour empocher le Jackpot de l’Euromillion étaient donc le 5, le 9, le 12, le 17 et le 24. Pour les étoiles le 6 et le 11. L’heureux gagnant emportera la modique somme de 50 millions d’euros…

Gaby coupe à nouveau le son.

Gaby – Je me demande pourquoi je continue à jouer…

Son portable sonne. Gaby répond.

Gaby – Sam, mon chéri, comment vas-tu ? C’est ton jour de lessive, c’est ça ? Malheureusement, tu ne viens nous voir que quand il ne te reste plus aucun caleçon à te mettre… Mais oui, j’exagère, évidemment… C’est mon côté mère juive… Alors, tu as retrouvé du boulot ? Quelque chose à m’annoncer ? (Avec l’accent pied noir) Popopo, dis… Ne me dis pas que tu te maries, quand même ! (Reprenant sa voix normale) En quelque sorte ? Là tu en as trop dit ou pas assez… Bon, bon, d’accord, si tu préfères nous faire la surprise… Ok, à tout à l’heure… Moi aussi je t’embrasse.

Gaby range son portable et soupire.

Gaby – En quelque sorte… Comment est-ce qu’on peut se marier en quelque sorte ?

Alex arrive avec à la main un sac Vuitton et le pose discrètement dans un coin avant d’aller déposer un baiser sur la bouche de Gaby.

Alex (avisant le cocktail) – Eh ben, on ne se refuse rien…

Gaby – Ça ne coûte pas cher, et ça me donne l’illusion d’être en vacances à l’autre bout du monde… Je t’en prépare un aussi ?

Alex – Tout à l’heure peut-être…

Gaby – Tu as passé une bonne journée, mon amour ?

Alex – Une journée assez… riche. Je vais te raconter ça.

Gaby – Et bien moi, j’ai trouvé où nous pourrions aller en voyage de noces.

Alex – J’en conclus que tu as décidé de me demander ma main. Je te rappelle que je n’ai pas encore dit oui…

Gaby – Allez… Je ne sais pas si tu es au courant, Alex, mais maintenant c’est possible…

Alex – Ce n’est pas parce que c’est possible qu’on doit le faire…

Gaby – C’est un droit !

Alex – Mais personne n’a dit que c’était une obligation !

Gaby – On s’est battu pendant des années pour obtenir ça !

Alex – Si c’est un acte militant, alors… On nage en plein romantisme ! On a déjà parlé de ça, Gaby… Moi, le mariage gay… Excuse-moi, mais je trouve ça un peu ridicule…

Gaby – Ridicule ?

Alex – Tiens, qui serait en blanc, par exemple ?

Gaby – Moi, évidemment !

Alex – À ton âge… Ce n’est pas un tout petit peu midinette, non ?

Gaby – Merci pour mon âge, c’est très délicat de ta part…

Alex – Excuse-moi…

Gaby – Et puis on peut très bien être gay et midinette, tu sais…

Alex – Partir en lune de miel, en plus…

Gaby – J’ai toujours rêvé d’aller dans un de ces casinos à Las Vegas, avec des rangées de machines à sous à perte de vue… Je sens qu’il y en a une qui m’attend quelque part avec le Jackpot…

Alex – Le Jackpot…

Gaby (soupirant) – Malheureusement, pour Las Vegas, je ne sais pas si on a les moyens en ce moment… Surtout si notre fils, au chômage, a décidé de convoler lui aussi…

Alex – Pardon ?

Gaby – Sam vient d’appeler. Il doit passer tout à l’heure. Il m’a dit qu’il allait se marier… en quelque sorte.

Alex – Tu vois bien ? On ne va pas se marier en même temps que lui !

Gaby – Pourquoi pas ?

Alex – Un double mariage, ce serait encore plus ridicule, enfin ! (Un temps) Attends, qu’est-ce que tu entends par se marier… en quelque sorte ?

Gaby – C’est ce qu’il a dit…

Alex – Et à ton avis, qu’est-ce qu’on doit comprendre par là ?

Gaby – Peut-être qu’il est gay…

Alex – Tu crois ?

Gaby – Les chiens ne font pas des chats.

Alex – Surtout quand c’est deux mâles ou deux femelles…

Gaby – On ne l’a jamais vu avec une fille.

Alex – On ne l’a jamais vu avec un garçon non plus.

Gaby – Peut-être qu’il n’osait pas nous les présenter.

Alex – Quand on a été élevé par des parents gays, je ne pense pas qu’un coming out soit franchement quelque chose d’insurmontable, non ?

Gaby – Ou alors, c’est l’inverse… Il est hétéro, et il n’a jamais osé nous l’avouer, par peur de nous décevoir…

Alex – Nous décevoir ? Mais tu délires…

Gaby – Quand on a des parents homos, ce n’est peut-être pas si évident que ça de leur annoncer qu’on est hétéro, va savoir…

Alex – Tu crois qu’on aurait pu le traumatiser à ce point, ce pauvre enfant ? Je me demande si ce n’est pas le pape qui a raison, finalement. On ne devrait pas nous laisser élever des enfants…

Gaby – Et moi, je commence à me demander si on ne peut pas être à la fois homo et homophobe… Tu étais déjà contre le mariage gay, alors maintenant tu es aussi contre l’adoption !

Alex – Je ne suis pas contre le mariage gay, je suis contre le mariage tout court ! J’ai le droit de trouver ça ringard, non !

Gaby se met à humer l’air avec un air soupçonneux.

Gaby – Ça sent bizarre, ici, depuis ton arrivée…

Alex – Tu trouves ?

Gaby – Une odeur d’eau de toilette de mauvais goût… (Reniflant à nouveau) Je dirais même une eau de toilette… (Dramatique) Tu me quittes pour une personne du sexe opposé !

Alex – Mais non ! Qu’est-ce que tu vas chercher…

Gaby – Tu as quelque chose à me cacher, Alex… Je te connais… Qu’est-ce qui se passe ?

Alex (après une hésitation) – Il se pourrait qu’on ait quand même les moyens de partir à Las Vegas, voilà.

Le visage de Gaby s’illumine d’un sourire.

Gaby – On a touché le Jackpot de l’Euromillion ? (Son sourire se fige) Mais c’est impossible, je viens d’écouter les résultats à la télé… On a encore perdu !

Alex – C’est un peu plus compliqué que ça…

Gaby – Dis toujours…

Alex va chercher le sac Vuitton et le pose sur la table basse.

Gaby – Alors c’est ce sac qui empeste l’eau de Cologne ! Mais qu’est-ce que tu transportes là dedans ?

Alex – J’ai trouvé ça dans le métro…

Gaby – Un sac Vuitton ? Super… Mais je croyais que tu trouvais ça vulgaire…

Alex – Tout dépend de ce qu’il y a dedans…

Gaby – Et alors ?

Alex – Regarde…

Gaby ouvre le sac, y plonge la main et en ressort une liasse de billets.

Gaby – Ne me dis pas que c’est des vrais…

Alex – Moi non plus, je n’y ai pas cru au début… J’ai même pensé que c’était pour un vidéo gag… Que le sac était relié à une alarme qui allait se déclencher dès que j’aurais saisi la poignée… Ou attaché à un élastique… Ou à un seau d’eau disposé au dessus de ma tête. Mais non…

Gaby – Et il y a combien de liasses, comme ça ?

Alex – Je n’ai pas eu le temps de compter… Mais ce qui est sûr, c’est que le sac en est plein.

Gaby – Et tu as trouvé ça dans le métro ? (Avec un air soupçonneux) Mais quand tu dis trouvé… Tu ne l’as pas volé, au moins ?

Alex – Le sac était posé à côté de moi sur la banquette… Je pensais qu’il appartenait à une des deux fausses blondes assises en face de moi… Je trouvais même ça assez grossier de monopoliser une place assise pour un sac… Même un sac Vuitton… La rame était bondée… Mais non, les deux blondasses sont descendues à la station d’après, et le sac est resté sur la banquette.

Gaby – Et alors ?

Alex – Comme une petite vieille voulait s’asseoir, machinalement, j’ai pris le sac et je l’ai mis sur mes genoux…

Gaby – Machinalement…

Alex – Bref… Au moment de descendre, comme personne ne me réclamait le sac, je suis descendu(e) avec… Sur le quai, je me suis dit que j’allais regarder dedans pour voir s’il y avait une adresse ou un numéro de téléphone pour contacter la propriétaire.

Gaby – Et ?

Alex – Les seuls numéros qu’il y a là dedans, crois-moi, ce sont les numéros de série des billets…

Gaby – C’est dingue… Mais qu’est-ce que tu comptes faire avec ça ?

Alex – Je ne sais pas… Pour l’instant, j’ai l’impression d’avoir gagné au loto… Laisse-moi savourer un peu…

Gaby – Oui, enfin… Cet argent appartient bien à quelqu’un…

Alex – Il n’y a aucune adresse, je te dis ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Qu’on passe une petite annonce dans Libé : Trouvé sac Vuitton plein de billets de banque, merci à sa propriétaire de contacter ce numéro pour récupérer le tout… Le téléphone n’a pas fini de sonner…

Gaby – Il reste la police…

Alex – Évidemment, j’y ai bien pensé aussi… Mais tu avoueras que ça fait mal au cœur, non ?

Gaby – Enfin Alex, on ne peut quand même pas garder cet argent… Il n’est pas à nous !

Alex – Et qu’est-ce qui nous garantit que la police retrouvera la véritable propriétaire du sac ? Peut-être qu’elle n’osera même pas se manifester !

Gaby – Pour récupérer un sac bourré de fric ?

Alex – Si c’est de l’argent qu’elle dissimulait au fisc, par exemple, et qu’elle s’apprêtait à emmener en Suisse.

Gaby – En métro ?

Alex – Je ne sais pas… Qu’est-ce que tu proposes, toi ?

Gaby – C’est vrai que ça fait rêver, mais on ne peut pas garder cet argent. A fortiori si c’est de l’argent sale !

Alex – L’argent, c’est toujours un peu sale, tu sais… N’importe quel psychanalyste te le dira… Et puis celui-là sent plutôt bon, non ?

Gaby – Quand on dit que l’argent n’a pas d’odeur… C’est vrai que ce parfum-là est plutôt entêtant…

Alex – Ça mérite d’y réfléchir cinq minutes, non ?

Gaby – Et si c’était des faux billets quand même… Tu te rends compte ? On se ferait pincer dès qu’on essaierait de les refourguer…

Alex – En tout cas, il faut se décider vite… Si on ne prévient pas la police maintenant, on pourrait être accusé de recel.

Gaby – Une chose est sûre, c’est que ce fric n’a pas été déposé devant toi dans le métro par un bienfaiteur anonyme…

Alex – Et pourquoi pas après tout ? Par Joséphine Ange Gardien, va savoir… Pour qu’on puisse offrir à notre fils un beau mariage gay…

Gaby – Malheureusement, comme tu dis, on a passé l’âge de croire aux miracles… Et je ne sais pas si les anges sont très favorables au mariage gay.

Alex – Va savoir… Maintenant, il y a peut-être un paradis gay friendly…

Bruit de sonnette.

Gaby – Oh mon Dieu, ça doit être Sam…

Alex – Je remballe ça pour l’instant, et on en reparle après, d’accord ?

Alex remet la liasse dans le sac, et le referme. Gaby s’apprête à aller ouvrir.

Gaby – J’ai hâte de savoir si c’est un garçon ou une fille…

Alex – Sa copine est déjà enceinte ?

Gaby – Mais non ! De savoir si Sam va nous présenter un garçon ou une fille !

Alex – Ah oui, c’est vrai… Excuse-moi, j’ai un peu la tête ailleurs…

Alex met le sac dans un coin de la pièce. Sam arrive, lui aussi un sac à la main, suivi de Gaby.

Sam – Bonjour papa, bonjour maman.

Gaby – Ah, c’est très fin…

Sam fait la bise à Alex.

Alex – Bonjour Sam.

Sam – Ça va ?

Gaby – Ben, oui, pourquoi ?

Sam – Je ne sais pas, vous avez l’air bizarres…

Alex et Gaby échangent un regard embarrassé.

Alex (pour changer de sujet) – Et ben alors, tu es tout seul !

Sam – Euh, oui…

Gaby prend le sac de Sam.

Gaby – Donne-moi ton linge sale, va, je vais m’en occuper.

Alex – On l’a vraiment mal élevé, Gaby ! Tu n’as pas honte, à ton âge, de ramener encore ton linge à laver à tes parents ?

Sam – Ça me fait au moins une occasion de passer vous voir régulièrement.

Gaby – C’est gentil…

Alex – Tu veux qu’on t’offre une machine à laver pour ton anniversaire ?

Gaby – Sinon tu pourras l’inscrire sur ta liste de mariage…

Sam – Ma liste de mariage ?

Alex – Alors ? Où est l’heureuse élue ?

Gaby – Ou devrais-je dire l’heureux élu ?

La prononciation ne faisant aucune différence, Alex lance à Gaby un regard consterné.

Sam – C’est à dire que…

Alex – Décidément… Tu fais durer le suspens…

Sam – À propos de quoi…?

Alex – Gaby craignait que…

Gaby – Laisse tomber, c’est complètement ridicule…

Alex – Et puis l’important c’est que tu sois heureux, pas vrai ?

Sam – Je vois… Donc vous vous doutiez déjà de quelque chose…

Gaby – Quand tu m’as dit que tu allais te marier… en quelque sorte.

Sam – Oui, c’est… C’est une sorte d’union, en effet. Mais dans le célibat…

Alex – Pardon…?

Sam – Mais je pensais que vous aviez compris…

Gaby – Une union dans le célibat ?

Alex – On dirait une définition de mots croisés.

Gaby – Tu veux dire un PACS, c’est ça ? Non mais rassure-toi, ça ne nous dérange pas du tout…

Sam – Tant mieux.

Gaby – Alors ?

Sam – Alors oui, je vous l’annonce solennellement : J’ai décidé de devenir prêtre.

Stupeur des parents.

Gaby – Tu peux répéter ça ?

Sam – J‘y ai mûrement réfléchi, mais ma décision est prise. J’entre au petit séminaire.

Gaby – Dis-moi que c’est une blague…

Sam – Je savais que vous réagiriez comme ça, mais ma foi est inébranlable. Et la foi peut soulever des montagnes…

Alex – Ta foi ? Mais la dernière messe à laquelle tu as assisté c’est la Fête de l’Huma !

Sam – Les voies du Seigneur sont impénétrables… Il est vrai que ma conversion est soudaine et tardive, mais elle est sincère. J’ai eu une révélation…

Gaby – Une révélation ?

Alex – Tu as vu la vierge ?

Gaby – Tu te souviens, quand il était petit, il a eu sa période mystique.

Alex – C’est vrai… Il entendait des voix… Comme Jeanne d’Arc…

Gaby – Je me demande si je n’aurais pas préféré qu’il soit gay, finalement…

Alex – Attends un peu… Curé et gay, ce n’est pas forcément incompatible..

Sam – Bon, ce n’est pas comme si je vous annonçais que j’avais un cancer, non plus.

Gaby – Ça au moins, parfois ça peut se soigner.

Alex – Alors je vais devoir t’appeler mon père ?

Gaby – Curé… C’est pour nous punir, c’est ça ?

Sam – Enfin, on ne devient pas prêtre pour punir ses parents, mais pour se mettre au service du Très Haut.

Gaby – Eh oui…

Alex – Qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ?

Gaby – Au moins, il pourra nous marier à l’église.

Alex – Je te rappelle que l’Église est contre le mariage gay…

Gaby – Il fera peut-être une exception pour nous, hein Sam ? Un mariage à l’église, ça a quand même plus d’allure, non ?

Sam – Ça sent la cocotte, ici, non ? Vous avez renversé un flacon d’eau de Cologne ?

Gaby – Ah oui, c’est vrai, j’avais presque oublié ça…

Sam – Oublié quoi ?

Alex – Au moins, si on se laissait aller à commettre un gros péché, on aurait quelqu’un de confiance à qui se confesser…

Gaby – Mais je ne sais pas, moi… Tu ne veux pas être pasteur, plutôt ? Au moins tu pourrais te marier.

Alex – Pasteur mormon, tiens… Tu pourrais même avoir plusieurs femmes…

Gaby – Enfin, tu pourrais avoir une vie sexuelle normale, quoi…

Alex – Autant que faire se peut pour un pasteur mormon.

Gaby – Il paraît même qu’en Amérique, il y a des pasteurs gays.

Alex – Bon, on n’est pas en Amérique, non plus…

Sam – C’est tentant, bien sûr… Mais je reste fidèle à l’Église Catholique et Romaine.

Alex – Essayons de voir les choses positivement. Sam était demandeur d’emploi… Curé, c’est un job en CDI, non ? C’est comme pour le CAPES, il paraît même qu’il n’y a pas assez de candidats. Il faut dire qu’enseignant, c’est devenu un véritable sacerdoce. Finalement, c’est Sam qui a raison. De nos jours, il vaut mieux être curé de campagne que prof de banlieue. Tu ne comptes t’installer où ?

Sam – J’irai où Dieu m’appellera…

Alex – Si j’étais toi, prêtre ouvrier, j’éviterai, quand même. Avec tous les plans sociaux dans l’industrie en ce moment. Mais bon. Avec la crise des vocations, je ne crois pas que Dieu soit en position de licencier en ce moment…

Gaby, totalement dépassé(e), cherche un dérivatif.

Gaby – Je vais mettre ton linge sale par là-bas, et me passer un peu d’eau sur le visage…

L’air abattu, Gaby part avec le sac de linge sale.

Alex – Et à part ça, ça baigne ?

Sam – Ça va…

Alex – Je vais aller nous chercher quelque chose à boire, je crois qu’on a tous besoin d’un petit remontant. Qu’est-ce que je te sers ? Whisky, Ricard, Porto… Désolé, je crois qu’on est en rupture sur le vin de messe…

Sam – Ce que vous avez, ça ira… Je vais prier un peu pour le salut de votre âme en attendant…

Alex – Bien sûr…

Alex sort. Le portable de Sam sonne et il répond. Sans que Sam l’aperçoive, Gaby revient pour prendre le sac Vuitton discrètement. Mais Gaby, s’apprêtant à partir, entend le début de la conversation et reste pour écouter la suite.

Sam – Oui ? Oui, oui, j’y suis déjà, tu as l’adresse ? Ok, je t’attends… (Il se marre) Non, non, c’est juste que… Écoute, tu ne vas pas le croire, mais je leur ai raconté que je rentrais dans les ordres et… Je ne sais pas, ça m’est venu comme ça, pour déconner… Ouais ! C’est dingue, non ? Ça me fout presque les jetons que mes parents me croient capable de devenir curé… Tu te rends compte ? Mais quelle image ils peuvent bien avoir de moi ?

Alex revient aussi avec des bouteilles et des verres, et écoute également.

Sam – Non, je te jure, c’était à mourir de rire… Tu aurais dû voir leurs têtes… Je ne sais pas, il y a une ambiance pas ordinaire ici aujourd’hui… Sinon comment on peut gober un truc pareil… J’espère que ce n’est pas un problème d’argent… Je me demande si c’est vraiment le bon jour pour…

Il se retourne et aperçoit Alex et Gaby qui l’observent avec un air réprobateur.

Sam – Ok, je t’attends, à tout de suite…

Sam range son téléphone.

Gaby – Tu t’es bien foutu de nous, hein ? Tu n’as pas honte ?

Sam – Désolé, mais je n’ai pas résisté à la tentation… Vous aviez tellement l’air de tenir à ce que j’ai un heureux événement à vous annoncer…

Alex – Tu veux nous faire avoir une crise cardiaque, c’est ça ? Pour hériter plus vite !

Sam se marre.

Sam – Non mais c’est incroyable ! Vous ne marchiez pas, vous courriez !

Gaby – Et donc, ton amie arrive bientôt ?

Sam – Oui, je viens de l’avoir au téléphone.

Alex – Mais quand tu dis ton amie, tu veux dire…

Gaby – Ton ami ou… ton amie ?

On entend le bruit de la sonnette.

Sam – J’y vais…

Alex – On va enfin savoir…

L’amie arrive, habillée en motard, jean et cuir, et la tête recouverte d’un casque, si bien qu’on ne peut pas encore savoir si c’est un garçon ou fille. Elle a une bouteille de champagne à la main qu’elle tend à Sam.

Sam – Je vous présente Vic, la personne qui… habite avec moi.

Gaby – Et Vic, c’est pour…

Vic retire son casque.

Gaby – Victoire, c’est une fille !

Alex sert la main de Vic et grimace.

Alex – Quelle poigne… (À Sam) Toi qui est tellement douillet…

Sam – Vic est ceinture noire de judo…

Gaby – Que Dieu me parfume, mon fils n’est pas gay…

Sam et Vic échangent un regard embarrassé.

Alex – Ce n’est pas une tare, tu sais… Des fois, je me demande si tu n’es pas plus homophobe que moi…

Vic – Enchantée de faire enfin votre connaissance.

Gaby – Enfin ? Si je comprends bien Sam, il y a longtemps que tu nous la caches alors…

Vic (embarrassée) – C’est à dire que…

Sam – En tout cas, réjouissez-vous, bientôt vous n’aurez plus à laver mon linge sale.

Alex (à Vic) – Alors c’est vous qui allez vous coller à la lessive ? Je ne vous félicite pas, mademoiselle, ce n’est pas franchement un progrès pour la cause féministe…

Gaby – Ne vous laissez pas faire, Vic. On lui a donné de très mauvaises habitudes, vous savez…

Sam – Je voulais plutôt dire que nous allions acheter une machine… Et même plusieurs.

Alex – Plusieurs ?

Sam – Je vous raconterai ça tout à l’heure…

Gaby – Mais je vous en prie, Vic, asseyez-vous. Vous êtes ici chez vous.

Sam tend la bouteille à Gaby.

Sam – Vic ne voulait pas arriver les mains vides…

Alex – Super ? Après tout, on a des tas de choses à fêter…

Sam – Ah bon ? Vous aussi ?

Gaby – Et bien… Nous aussi, nous allons nous marier. N’est-ce pas Alex ?

Vic – Vous aussi ?

Sam – Vous marier… Vous voulez dire… ensemble ?

Alex – Très drôle…

Vic – Enfin nous, nous sommes juste colocataires et associés.

Alex – Tu vois ? Qu’est-ce que je te disais ? Eux aussi, ils trouvent que le mariage, c’est ringard ! Ils préfèrent le concubinage…

Gaby – Concubinage… Rien qu’avec le mot, j’ai toujours eu un peu de mal…

Alex – C’est vrai que ça évoque davantage une feuille d’impôt qu’une lettre d’amour, mais bon…

Gaby – Si tu t’occupais de nos invités, plutôt…

Alex (à Vic) – Mettez-vous à l’aise, mademoiselle. Voulez-vous que je prenne votre vestiaire ?

Vic – Merci, ça ira…

Gaby – J’espère que vous avez trouvé facilement pour venir chez nous.

Vic – Oui, oui… Je suis un peu en retard, désolée, mais il y a plein de flics en bas…

Sam – Ah, oui, la rue est complètement bloquée…

Gaby – Tiens donc ?

Sam aperçoit le sac.

Sam – C’est à qui, ce sac Vuitton ? Je croyais que vous trouviez ça vulgaire ? Attention, je crois que vous vous embourgeoisez… Alors si en plus vous vous mariez…

Gaby – On lui dit ?

Sam – Me dire quoi ?

Alex (avec inquiétude) – Et c’est quoi, tous ces flics, en bas ?

Vic – Un cambriolage dans un hôtel particulier du Marais, je crois. Chez la veuve d’un riche milliardaire…

Alex – Sans blague…

Sam – Un riche milliardaire, vous dites ? Je ne savais pas qu’il y avait des milliardaires pauvres… Enfin, c’est la crise…

Vic – Les voleurs se sont enfuis en métro, il paraît.

Gaby – En métro ?

Sam – En tout cas, ils ont fermé la station Saint Paul…

Vic – Heureusement que je suis venue en moto.

Gaby (à Alex) – Saint Paul, c’est là où tu descends, non ?

Alex – J’ai dû passer juste avant…

Gaby tente de pousser du pied le sac Vuitton derrière le canapé.

Sam – Qu’est-ce que vous vouliez me dire, au fait ?

Alex – Je ne sais plus… Ça n’avait sans doute aucune importance… Ça me reviendra peut-être tout à l’heure…

Vic s’assied sur le canapé derrière lequel est planqué le sac.

Vic – Ça sent bon, chez vous…

Sam – Oui, on se croirait chez Sephora. Ça vient d’où cette odeur ?

Alex et Gaby échangent un regard embarrassé.

Alex – Alors, on le débouche ce champagne ou pas ?

Sam – Ah oui, c’est vrai…

Vic – Je ne sais pas s’il est très frais.

Gaby – Je vais aller chercher des coupes.

Sam – Laissez, on va s’en occuper… Vic, tu me donnes un coup de main ?

Sam et Vic sortent.

Alex – La bonne nouvelle, c’est que ce sont de vrais billets…

Gaby – La mauvaise c’est qu’il s’agit bien de billets volés…

Alex – Il faut vraiment planquer ça quelque part en attendant de décider quoi faire…

Gaby – Je crois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage, Alex. Regarde-nous ! On est déjà dans le mensonge et la dissimulation… Même avec notre propre fils…

Alex – S’il ne nous avait pas amené cette motarde, encore, on aurait pu réunir un conseil de famille pour en parler, mais là… On ne la connaît pas, cette Vic, après tout ! On ne sait même pas si c’est vraiment une femme…

Gaby – Tu as raison. Et on ne sait pas ce qu’elle fait. Elle pourrait aussi bien être gardien de la paix ou inspecteur des impôts…

Alex – Gardien de la paix ? Tu as de ces expressions, parfois…

Gaby – Quoi ?

Alex – C’est très désuet, comme mot. Ça doit dater de l’époque où on appelait les blacks des hommes de couleur et les gays des invertis… Je ne sais même pas si ça existe encore, les gardiens de la paix…

Gaby – Tu peux parler, toi, avec ton concubinage ! Je te rappelle que maintenant, on dit union libre ! C’est quoi un gardien de la paix, pour toi ?

Alex – Je ne sais pas, moi… Un casque bleu…

Sam et Vic reviennent les mains vides.

Sam – Vous n’êtes pas encore en train de vous disputer au moins ? Désolé, je n’ai pas trouvé les coupes…

Gaby – Ah, oui, j’ai fait du rangement dans les placards il y a quelques jours… Je les ai mises autre part…

Alex – Cette manie de changer sans arrêt les choses de place… Tu vois, après on ne retrouve plus rien….

Gaby – Ne bougez pas, j’y vais…

Sam fait quelques pas et butte dans le sac Vuitton.

Sam – En tout cas, ce sac, vous feriez mieux de le ranger, il est un peu dans le passage. J’ai failli me casser la figure… (Il prend le sac à la main) Ça pèse une tonne… Vous partez en voyage ?

Gaby – On ne sait pas encore…

Sam – Mais il est à qui, ce sac, au fait ?

Alex et Gaby échangent un regard embarrassé.

Gaby – On ne sait pas encore…

Sam – Comment ça vous ne savez pas encore ?

Alex tente de faire diversion.

Gaby – Vous allez bien grignoter quelque chose avec le champagne…

Vic – Pourquoi pas ?

Sam – Si vous avez des biscuits à la cuillère ou des langues de chat…

Gaby – Désolé, on n’a que des cacahuètes et des Tucs.

Sam – Ça va moins bien avec le champagne, mais bon…

Gaby sort.

Alex (pour dire quelque chose) – Et qu’est-ce que vous faites, dans la vie, mademoiselle ?

Vic – Je suis livreur de pizzas.

Alex – Ah, c’est bien ça…

Silence.

Vic – Je sais, quand on dit qu’on est livreur de pizzas, c’est toujours suivi d’un blanc dans la conversation… Mais c’est provisoire, je vous rassure… Dès que nous aurons lancé notre affaire avec Sam…

Alex jette un regard inquiet vers Sam qui tient toujours le sac Vuitton à la main.

Alex (ailleurs) – Ne vous inquiétez pas… Nous sommes très tolérants à l’égard de toutes les minorités… De toute façon, il est évident que vous n’avez pas un look de gardien de la paix ou d’inspecteur des impôts. Je vais donner un coup de main à Gaby.

Alex sort. Sam pose le sac dans un coin.

Sam – Alors que tu penses de mes parents ?

Alex – Je ne sais pas. Je les trouve un peu… bizarres.

Sam – Bizarres… Tu veux dire gay ?

Vic – L’air d’avoir quelque chose à cacher, plutôt ?

Sam – Mmm… On dirait qu’un truc les chiffonne…

Vic – C’est peut-être ton coming out hétéro. Tes parents sont contrariés que tu ne sois pas gay…

Sam – Tu sais ce que c’est, les parents espèrent toujours que leur progéniture perpétuera les traditions familiales.

Gaby revient pour déposer quelques amuse-gueules sur la table.

Gaby – Tout va bien, les tourtaux ? Je veux dire les tourtereaux ?

Sam – Ça baigne…

Gaby – Je retourne aider Alex…

Gaby repart.

Vic – J’ai quand même l’impression d’être tombée dans un traquenard… Tu m’avais dit que tu voulais me présenter tes parents pour leur parler de notre projet. Tu ne m’as pas dit que tu allais me présenter comme… ta fiancée.

Sam – Je n’ai rien dit, moi !

Vic – Tu n’as rien dit pour les détromper non plus !

Sam – Ça avait l’air de leur faire tellement plaisir… Et puis après tout, si on est en couple, ça présente mieux pour leur taper du fric, non ? Ça leur inspirera confiance…

Vic – Tu as raison, ils n’auront qu’à déposer le chèque de caution dans la corbeille de mariage… Non mais tu te rends compte que ça risque de poser problème, quand même…

Sam – Pourquoi ça ?

Vic – Mais parce qu’on est gay tous les deux !

Sam – Eh oui… On est des gays de deuxième génération… Tu vois, on a pourtant tout fait pour s’intégrer, et on est encore victime de discrimination…

Alex arrive avec un seau à champagne et met la bouteille dedans. Gaby suit avec les coupes.

Alex – On va le mettre à rafraîchir pendant cinq minutes.

Gaby – Prenez des cacahuètes et des Tucs en attendant.

Vic – Merci.

Silence un peu embarrassé. Ils mangent tous des cacahuètes et des Tucs. Vic fait un signe à Sam pour qu’il se lance.

Sam – Donc, si je suis venu avec Vic, en fait, c’est pour… vous parler du projet que nous avons en commun…

Gaby – De votre projet… de mariage, tu veux dire ?

Vic lance à Sam un regard incendiaire.

Sam – D’association, plutôt… Voilà, je… Nous avons en tête un projet très innovant…

Alex – Une start up ?

Vic – Mieux que ça…

Sam – Une chaîne de laveries !

Gaby – Des laveries ?

Vic – Enfin, une ou deux pour commencer…

Sam – On verra après si ça marche…

Alex – Hun, hun…

Gaby – Ah, oui, c’est… C’est original comme idée…

Alex – Pour quelqu’un qui amène son linge sale à laver toutes les semaines chez ses parents.

Sam – C’est justement ça qui m’a inspiré ce concept, figure-toi.

Gaby – Quel concept ?

Sam – La lessive et le lien familial !

Vic – L’idée, en fait, c’est de réenchanter la lessive. De réinjecter dans la laverie toute la charge symbolique et émotionnelle dont était chargé autrefois le lavoir.

Sam – Comme lieu de rencontre et de socialisation.

Vic – Les lavomatics sont devenus des lieux complètement anonymes et impersonnels.

Sam – Nous, ce qu’on voudrait, c’est en faire des lieux de rencontres.

Un temps.

Alex – C’est encore une blague, c’est ça ?

Gaby – Comme quand tu nous as annoncé que tu voulais devenir curé.

Sam – Mais pas du tout ! C’est très sérieux.

Vic – Même si en effet, ce n’est pas sans rapport avec l’idée de resacraliser l’endroit où on lave son linge sale. En famille, en quelque sorte…

Vic – Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on viendrait dans nos lavomatics comme autrefois on allait à l’église, pour se retrouver et communier ensemble, mais il y a un peu de ça.

Alex – Bien sûr…

Sam – Et puis entre nous, une laverie, c’est génial. Ça tourne tout seul ! Tu as juste à passer une fois par semaine pour relever les compteurs…

Alex – Comme pour les putes ou les machines à sous… Là, je comprends mieux la métaphore… C’est vrai que patron de laverie, c’est le job idéal ! Mieux que curé, en tout cas. C’est un peu comme maquereau, quoi…

Sam – Sauf que c’est tout à fait légal !

Un temps.

Gaby – Mais des laveries, il y en a déjà beaucoup, non ?

Sam – C’est là où intervient notre concept original de laverie gay friendly.

Vic – Pour surfer sur la vague du communautarisme, segmenter le marché, et exploiter une niche encore inexploitée…

Sam – Après, éventuellement, c’est un concept qui peut se décliner.

Vic – Laverie bio, laverie écolo…

Alex – Laverie casher, laverie halal…

Gaby – Et c’est en livrant des pizzas que vous est venue cette idée géniale ?

Vic – J’ai aussi un BTS d’action commerciale…

Alex – Ah, voilà…

Sam – Vous savez quelle proportion de couples gays se sont rencontrés au lavomatic ?

Alex – Non…

Sam – Moi non plus, mais sûrement beaucoup.

Vic – En tout cas, c’est là où nous nous sommes rencontrés Sam et moi !

Moment de flottement.

Sam – Bref, vous l’avez compris, notre concept, ce n’est pas une simple laverie. C’est un véritable club de rencontre.

Vic – Une sorte de speed dating, le temps d’une machine.

Sam – Le temps d’une machine ! Ça pourrait même être le nom de cette nouvelle enseigne.

Alex et Gaby échangent un regard consterné.

Gaby – Très bien, on est ravi pour vous…

Alex – Et nous vous souhaitons beaucoup de succès…

Gaby – Mais… en quoi est-ce que cela nous concerne très directement ?

Sam – Et bien… Vous n’allez pas le croire, mais bizarrement, notre banquier n’est pas très chaud pour financer ce projet prometteur…

Vic – Vous savez que les banques sont très frileuses en ce moment.

Alex – C’est la crise…

Gaby – On n’encourage pas assez l’esprit d’entreprise dans notre pays, c’est clair.

Sam – Donc… Nous avons pensé à vous mettre dans le coup aussi…

Vic – Vous faire profiter de cette opportunité exceptionnelle.

Sam – Comme associés minoritaires…

Vic – Une caution morale et financière, en quelque sorte…

Sam – Je sais que vous n’avez pas beaucoup d’économies, mais…

L’attention de Gaby est attirée par l’écran de la télé.

Gaby – On dirait qu’ils reparlent de ce cambriolage…

Alex – Remets le son, vite !

Gaby – Vous permettez ?

Gaby remet le son, au grand étonnement de Sam et Vic.

Speaker – Après avoir forcé le coffre de cet hôtel particulier du Marais, les braqueurs se seraient enfuis dans le métro avec leur butin dans un ou peut-être deux sacs Vuitton. Butin récupéré à la station Saint Paul par une complice, comme semblent le montrer les caméras de surveillance… Peu d’indices pour l’instant si ce n’est un flacon d’eau de toilette cassé retrouvé sur le lieu du cambriolage…

Alex coupe à nouveau le son.

Alex – On ne va pas regarder la télé alors qu’on a des invités, quand même.

Gaby – Vous pensez que la police va les retrouver ?

Vic – Ça dépendra des éléments qu’ils ont, j’imagine… Un signalement, par exemple…

Sam – C’est sûr que pour financer notre projet, le contenu du coffre d’une vieille milliardaire, ça arrangerait bien nos affaires…

Vic – C’est clair…

Sam – Tiens, un sac Vuitton comme celui-là par exemple, bourré de billets de banque…

Vic – Même la moitié, ça nous suffirait…

Alex et Gaby fixent le sac avec un air inquiet.

Sam – Alors, qu’est-ce que vous pensez de notre idée ?

Gaby – Quelle idée ?

Sam – Notre idée de laveries gay friendly ! Il faut faire vite, vous savez ? Avant que quelqu’un d’autre nous pique le concept…

Mais Gaby et Alex ont visiblement la tête ailleurs.

Alex – Ah oui, bien sûr…

Sam – Alors ?

Gaby – Pourquoi pas, hein Alex ? Au moins, ce serait pour la bonne cause…

Alex – Il faut voir… Justement, nous venons d’avoir une rentrée d’argent inattendue…

Vic observe le comportement étrange de Gaby et Alex.

Vic – Une rentrée d’argent ? Vous avez gagné au loto ?

Alex – Peut-être…

Sam – Comment ça, peut-être ?

Gaby – On attend le tirage.

Sam – Ah oui, c’est un peu mince comme garantie bancaire…

Gaby – Alors on le boit, ce champagne ?

Alex s’apprête à déboucher la bouteille.

Alex – Allez, on trinque.

Gaby – À tous nos projets !

Au moment où retentit la détonation du bouchon, la scène est soudain plongée dans le noir.

Charlie – Merde, une panne d’électricité !

Sam – Ou alors, tu as dégommé l’ampoule avec le bouchon de champagne.

Charlie – C’est le compteur qui est trop faible. Dès qu’on met à la fois le four et le grille-pain, ça disjoncte.

Sam – Il faudrait rappuyer sur le bouton. Vous avez des bougies ?

Gaby – Je ne sais plus où je les ai mises… Ah, si je me souviens…

Gaby farfouille dans le noir, et finit par allumer une bougie.

Gaby – Le compteur est dans la cuisine…

Alex – Restez là, j’y vais…

Sam – Vic, tu es toujours là ?

Vic – Où veux-tu que je sois…

Gaby – Il a toujours eu peur du noir.

Sam – N’importe quoi…

Vic – Ça me rappelle un film d’horreur que j’ai vu sur Canal il n’y a pas très longtemps… Ça démarre par une panne d’électricité, justement et…

Sam – Excuse-moi, mais je ne suis pas sûr de vouloir connaître la suite…

La lumière revient.

Sam – Ah !

Gaby – Tu vois mon chéri, il ne t’est rien arrivé…

Sam – Oh ça va…

Alex revient et souffle la bougie.

Alex – Allez, cette fois, on trinque.

Alex remplit les coupes. Ils boivent.

Sam – Donc, vous seriez d’accord pour investir un peu d’argent dans cette affaire ? C’est cool…

Gaby – Je ne sais pas… Alex ?

Alex – Oui, bien sûr… Pourquoi ne pas placer une partie de nos… économies dans un projet familial innovant.

Sam – J’ai toujours pensé que vous aviez une âme de business angels…

Vic – En tout cas vous êtes des anges…

Alex – La preuve, comme eux, on a du mal à nous ranger dans un genre bien déterminé…

Gaby – Qu’est-ce que tu en penses Alex ? Il faudrait qu’on puisse en discuter un peu avant de nous décider.

Sam échange avec Vic un regard entendu.

Sam – Je vais aller fumer une cigarette sur le balcon…

Vic – Je t’accompagne…

Alex – Par ici, je vais vous donner un cendrier…

Ils sortent.

Gaby – Ouf ! On va enfin pouvoir planquer le magot. Où est-ce que je vais bien pouvoir mettre ça…

Gaby s’approche du sac.

Alex (off) – Où est-ce que tu as mis les cendriers ?

Gaby – Dans le placard de l’entrée !

Gaby regarde dans le sac et son visage se fige.

Gaby – Ce n’est pas vrai ! Le fric a disparu… (Gaby commence à chercher partout) Ce n’est pas possible…

Alex revient.

Alex – Quoi ?

Gaby se met à retourner les coussins du canapé.

Gaby (hurlant) – Le sac Vuitton ! Il est vide ! Quelqu’un a profité de la panne pour nous piquer l’oseille !

Alex ne peut pas répondre, car Sam et Vic reviennent à leur tour.

Sam – J’ai entendu crier… Qu’est-ce qui se passe ?

Gaby – Rien, j’ai… J’ai perdu la télécommande, voilà !

Vic saisit la télécommande restée bien en vue et la tend à Gaby avec un air ironique.

Vic – Tenez, la voici…

Sam – Rien ne lui échappe…

Gaby (soupçonneuse) – Je vois ça…

Ils se rasseyent autour de la table.

Alex – Encore un peu de champagne ?

Vic – Volontiers…

Sam – Donc, pour notre projet, vous seriez partant ? C’est génial !

Gaby – C’est à dire que… Nous ne savons pas encore avec certitude si nous pourrons disposer ou non de cet argent et…

Sam – Mais tout à l’heure, vous disiez que…

Alex – Et puis tu ne sais même pas te servir d’une machine à laver ! Reconnais que passer sans transition à une chaîne de laveries…

Gaby – Pourquoi ne pas vous faire sponsoriser par une grande marque de lessive, plutôt ?

Sam – Une marque de lessive ? Laquelle ?

Alex – Omo…

Sam – Ah, ok… Je vois…

Gaby – Désolée, mais… On s’est un peu emballé…

Sam (froissé) – Ça ne fait rien, on va se débrouiller autrement… Hein Vic ?

Vic semble aussi surprise par ce revirement.

Vic – Vous avez quelque chose à nous dire, peut-être ?

Sam – Vous avez des problèmes en ce moment ?

Alex – Pas du tout, qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Vic saisit la télécommande et remet le son de la télé.

Vic – Ah, on dirait qu’ils reparlent de ce cambriolage… (Ironique) Comme j’ai remarqué que cela vous passionnait.

Speaker – Voici le portrait-robot de la personne qui se serait enfuie avec le butin dans le métro, portrait réalisé à partir des images des caméras de télésurveillance.

Sam – C’est drôle, on dirait Alex…

Vic – Oui, c’est frappant.

Gaby coupe à nouveau le son.

Gaby – Allez, on ne va pas passer la soirée devant la télé…

Vic – C’est marrant, ça me rappelle le scénario d’un film que j’ai vu récemment…

Gaby – Encore ? Vous êtes vraiment une cinéphile, dites-moi…

Vic – C’est quelqu’un qui trouve une valise pleine de fric dans le métro…

Alex – Ah oui ?

Gaby – Et comment ça se termine ?

Vic – En prison… Parce que tous les billets étaient numérotés…

Alex – Ah, oui c’est con…

Vic – Oui…

Sam se lève, sentant que l’ambiance commence à être tendue.

Sam – Allez, on ne va pas vous déranger plus longtemps.

Gaby se plante devant Vic, avec agressivité.

Gaby – Mais vous n’allez pas partir comme ça !

Vic toise Gaby, qui finit par s’écarter.

Vic – Non, on va débarrasser d’abord…

Alex – Mais non, laissez…

Sam – Je vais t’aider.

Sam et Vic sortent avec les coupes.

Gaby – On est dans la merde…

Alex – Ne t’inquiète pas, tout va rentrer dans les ordres… Je veux dire dans l’ordre…

Gaby – Mais où est le fric ? C’est sûrement cette salope qui nous l’a piqué. Et en plus, elle se fout de nous !

Alex – C’est moi qui ai pris l’argent, et je l’ai mis en lieu sûr…

Gaby – Toi ?

Alex – Après avoir tout branché dans la cuisine pour faire sauter les plombs.

Gaby – Où est-ce que tu as mis l’oseille ?

Alex – Là où même un flic ne penserait pas à chercher, rassure-toi…

Gaby – Dans le micro-onde ?

Alex – Dans la machine à laver.

Gaby – Mais ça ne va pas ! J’aurais pu la faire partir !

Alex – Personne n’aura l’idée de regarder là. Et certainement pas Sam.

Sam revient, suivi de Vic, le sac de linge sale à la main.

Sam – Vous allez être fiers de moi.

Gaby – Ah oui ?

Sam – J’ai réussi à mettre la machine en route !

Alex – Non ?

Sam – Enfin Vic m’a un peu aidé… Mais c’est vrai que si on doit lancer une chaîne de laveries, il faut bien que je commence à mettre un peu la main à la pâte…

Consternation de Gaby et Alex.

Gaby – Quel programme ?

Vic – Cycle long. Linge très sale.

Alex et Gaby sortent en catastrophe.

Sam – Je ne sais pas ce qui leur arrive…

Vic – Moi oui… (Sam lui lance un regard étonné) Le fric de ce cambriolage qui a eu lieu à côté… Il est ici…

Sam (incrédule) – Tu accuses mes parents d’avoir fait un casse ?

Vic – Les cambrioleurs ont sûrement dû abandonner leur butin dans le métro, et Alex est tombé dessus par hasard.

Sam – Non ?

Vic – Tu n’as pas reconnu Alex sur le portrait-robot à la télé ?

Sam digère cette information.

Sam – Trouvé, tu dis ? Mais alors ce n’est pas comme si c’était un vol…

Vic – Tu crois ça toi ? Ça s’appelle du recel, figure-toi.

Sam – Moi, j’appelle ça un coup de bol.

Vic – Fais le guet…

Sam – Le gay ?

Vic – Regarde si quelqu’un vient.

Sam – Ah d’accord…

Vic renifle l’air.

Sam – Avec toi, plus besoin de chiens policiers… Mais tu as des preuves de ce que tu avances, à part ton flair de berger allemand ?

Vic s’approche en reniflant du sac Vuitton.

Vic – C’est le sac qui a servi à transporter le butin.

Sam – Bravo, Rantanplan. (Sam ouvre le sac). Mais le sac est vide !

Vic montre le contenu du sac de linge sale.

Vic – J’ai sorti ça de la machine avant de la mettre en route…

Sam – Non…

Vic – Avant, les gens planquaient leur oseille dans une lessiveuse…

Sam – On n’arrête pas le progrès.

Retour de Alex.

Alex – Un petit problème avec la machine à laver…

Vic – C’est de ma faute ?

Alex – Pas du tout… Mais quand il y a trop de liquide, ça déborde…

Sam – Trop de liquide…

Alex – C’est une vieille machine…

Alex repart aider Gaby.

Sam – On garde tout ou on partage ?

Vic – Mais c’est du vol, je te dis ! On risque de gros ennuis…

Sam – En même temps, si on le prend, c’est à mes parents que j’évite de gros ennuis.

Vic – Il y a des flics partout en bas… C’est ça qui m’inquiète…

Sam – Remets le son, ils en parlent à la télé…

Vic appuie sur la télécommande.

Speaker – La police vient d’arrêter les coupables du cambriolage dans cet hôtel particulier du Marais. Et le butin a été retrouvé, caché dans un sac Vuitton : des lingots d’or, quelques diamants et autres bijoux. Ainsi que quelques boîtes de pastilles Ricola, le célèbre bonbon suisse… Gageons que la milliardaire a dû tousser un peu en apprenant qu’on avait retrouvé cette partie de sa fortune un instant occultée…

Vic coupe le son.

Sam – Mais alors c’est quoi, ce fric qu’Alex ont trouvé dans le métro ?

Vic – Je ne sais pas, moi… Il y avait peut-être deux sacs… Pour vider le coffre d’une milliardaire, il faut croire qu’un seul sac, ça ne suffit pas… Mais c’est vrai que ça réduit la pression…

Sam – C’est à dire ?

Vic – Si cet argent n’est pas légal ou n’est pas supposé exister pour le fisc, personne n’ira porter plainte pour récupérer le deuxième sac… Ni les propriétaires, ni les voleurs non plus.

Sam prend une liasse et la regarde.

Sam – C’est vraiment des billets numérotés ?

Vic – Non, des petites coupures usagées…

Sam – Si personne ne vient le réclamer dans un an et un jour… On n’a qu’à se dire qu’on a gagné le jackpot !

Vic – Ou que c’est un redressement fiscal et que c’est nous les percepteurs.

Sam – Une sorte d’impôt sur la fortune, quoi…

Vic – Après tout, nous aussi, on le vaut bien !

Bruits bizarres en provenance de l’autre côté, comme si on tapait avec un marteau sur quelque chose de métallique. Retour de Gaby.

Gaby – C’est presque réglé… Mais croyez-moi, c’est difficile d’arrêter une machine quand elle est lancée…

Gaby repart.

Vic – Reste à savoir comment blanchir cet argent ?

Sam – On va monter une chaîne de laveries !

Vic – Blanchir de l’argent en achetant des blanchisseries ?

Sam – C’est ce que faisait Al Capone pendant la prohibition… C’est même de là où vient l’expression blanchiment d’argent

Vic – Al Capone ? Mais je croyais que tu étais communiste… Tu vas à la Fête de l’Huma tous les ans !

Sam – Est-ce qu’un aveugle qui retrouve la vue continue à aller à Lourdes chaque année ? Si tu y tiens, on pourra un don à une œuvre de charité.

Vic – Les orphelins de la police ?

Sam – Tu m’as bien dit que tu n’avais plus tes parents, non ?

Vic – Oui.

Sam – Et ben tu vois ! Même pas besoin de faire un don !

Vic – Et tes parents à toi ?

Sam regarde le catalogue de voyage.

Sam – Ils auraient sûrement tout perdu à Las Vegas de toute façon…

Vic – Tu as raison. Mieux vaut investir dans des machines à laver que dans des machines à sous…

Sam – Barrons-nous tout de suite pour éviter la fouille au corps.

Vic – Ok.

Sam – Allez, ça me fait mal au cœur. On leur laisse quand même un pourboire.

Vic – Bon, mais juste une liasse alors…

Vic jette une liasse dans le sac.

Vic – Pour le personnel, comme on dit au casino…

Sam – On ne peut pas partir comme ça sans dire au revoir… Je vais quand même leur mettre un petit mot…

Sam griffonne quelque chose sur un papier qu’il pose sur la table et ils sortent. Gaby et Alex reviennent, catastrophé(e)s avec le linge qu’elles étendent sur un fil.

Alex – Je ne comprends pas, cet argent n’a pas pu fondre complètement à la machine et partir dans les canalisations…

Gaby – Va savoir… On appelle ça de l’argent liquide… Et puis tu sais ce qu’on dit : Bien mal acquis ne profite jamais…

Alex – Où ils sont passés…?

Gaby – Les billets ?

Alex – Sam et sa motarde !

Gaby – Je ne sais pas…

Alex – Ils sont partis comme des voleurs…

Gaby – Ça m’en fiche un coup qu’il se marie quand même… Il ne viendra plus laver son linge sale en famille…

Alex – Il nous reste le sac Vuitton. (Alex regarde dans le sac et son visage s’illumine) J’ai oublié une liasse dedans !

Gaby – On a au moins de quoi s’acheter deux billets d’avion pour Las Vegas. À nous les machines à sous ! Je sens que la chance est en train de tourner…

Alex – Il y a un mot sur la table… (Alex prend le mot et lit) Je suis gay. C’est signé Sam…

On entend une sirène de police et Gaby lance un regard inquiet à Alex.

Gaby – Tu crois que ça existe, les prisons gay friendly ?

Noir.

Alex – Merde, les plombs ont encore sauté…

Le bruit de la sirène se fait plus fort. Avant de s’arrêter d’un coup. Fin

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une vingtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur :

www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-41-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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