Mort

Come Back

Back to stage – Regreso a la escenaDe volta aos palcos

Titre alternatif : Les copains d’avant… et leurs copines

Comédie de Jean-Pierre Martinez

3 hommes – 1 femme

Dix ans après le bac, elle fait son come-back… En conviant chez lui ses deux ex « meilleurs potes » qu’il n’a pas revus depuis le bac, un comédien au bout du rouleau provoque leurs improbables retrouvailles avec une ex « bonne copine » de lycée à qui ils ont laissé un mauvais souvenir…

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Les copains d’avant… et leurs copines

Back to stage – Regreso a la escenaDe volta aos palcos

Titre alternatif : Come Back

Comédie de Jean-Pierre Martinez

3 hommes et 1 femme OU 2 hommes et 2 femmes

Il y a de vieux amis qu’il vaudrait mieux ne jamais revoir… Vous connaissez tous ce fameux site permettant de retrouver d’anciens amis d’école perdus de vue… Hélas, les soirées nostalgie peuvent aussi tourner au cauchemar. Ayant invité chez lui un couple d’ex-camarades de lycée qu’il n’a pas revus depuis dix ans, un looser sympathique provoque leurs retrouvailles inattendues avec une « bonne copine » qui a des comptes à régler avec eux…


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Le mot de l’auteur sur la pièce

 

 

 

 

 

 

 


SSS

TEXTE INTEGRAL DE LA PIÈCE

Les copains d’avant… et leurs copines

Personnages : Nicolas – Antoine – Estelle – Brigitte

 ACTE 1

Un appartement sentant la vie de bohème, meublé principalement de cartons, apparemment en prévision d’un déménagement. Nicolas, la trentaine, look de looser sympathique, fait les cent pas, pensif. Il se décide, décroche le téléphone, et attend nerveusement pendant que ça sonne à l’autre bout du fil.

Nicolas (avec une amabilité surjouée) – Allo, Brigitte Paradis ? Vous avez bien fréquenté l’École Saint-Sulpice de Villiers-sur-Marne dans les années 90…? (Se laissant aller petit à petit) Vous êtes brune, avec des yeux noisette, et une poitrine plutôt…? (Brusquement) Excusez-moi, j’ai dû faire un faux numéro. Je cherche une rousse aux yeux gris avec des petits seins…

Il raccroche et pousse un soupir de soulagement satisfait, interrompu par la sonnerie de la porte d’entrée. Nicolas va ouvrir. Antoine arrive, la trentaine aussi, look de professeur d’éducation physique en civil.

Nicolas – Salut Antoine ! Entre… Estelle n’est pas avec toi ?

Antoine – Si, si, elle est en train de garer la bagnole. Pas facile de trouver une place, dans ton quartier, hein ? Ça fait trois fois qu’on fait le tour. Alors je lui ai dit de me déposer, pour que j’ai le temps d’acheter une bouteille, histoire de pas arriver les mains vides…

Nicolas (ne voyant pas la bouteille) – Ah, ok…

Antoine (regardant Nicolas) – Nicolas ! Eh ben… Si je t’avais croisé dans la rue, je ne t’aurais pas reconnu… Ça fait au moins dix ans, non ?

Nicolas – Neuf.

Antoine – Eh oui ! L’année du bac… Tu te souviens ? Les grèves ! On avait passé tout le mois de mai à draguer sur les pelouses… Ce n’était pas soixante-huit… ni même soixante-neuf, mais bon… On n’avait rien foutu, et ils ont donné le bac à tout le monde…

Nicolas – Oui… Je dois être le seul à l’avoir raté, cette année-là…

Antoine – Je suis désolé, je n’ai rien amené, du coup… Je voulais prendre une bouteille de mousseux en passant, mais la supérette d’en bas était déjà fermée…

Nicolas – Ah ouais…? Normalement, ils ferment à huit heures…

Antoine jette un coup d’oeil sur l’appartement sordide de Nicolas.

Antoine (faux-cul) – Tu es bien installé, dis donc…

Nicolas – C’est un pote qui me prête son appart pendant qu’il n’est pas là, pour me dépanner… L’avantage, c’est qu’il n’y a même pas de loyer à payer. Ça vient d’être classé logement insalubre.

Antoine (ne relevant pas) – Toujours célibataire ?

Nicolas – Ouais…

Antoine – Veinard ! Tu ne sais pas la chance que t’as… Et tu fais quoi, maintenant ?

Nicolas – Je suis comédien…

Antoine – Ce n’est pas vrai ? T’as continué, alors ?

Nicolas – Quand on a le virus… Et toi ? Tu as laissé tomber ?

Antoine (emphatique) – Errare humanum est, perseverare diabolicum !

Nicolas – T’es prof de latin ?

Antoine – De gym… J’ai deux gosses, mon vieux. Alors le théâtre, tu penses bien… Et toi, ça marche ?

Nicolas – Tu as vu le dernier épisode de Navarro ?

Tête d’Antoine signifiant qu’il ne sait pas trop.

Nicolas – Dans la scène avec le légiste, là, c’est moi…

Antoine – Le légiste de Navarro, c’est toi ?

Nicolas – Pas le légiste… Le cadavre…

Antoine – Ah ouais, d’accord… Je ne t’aurais pas reconnu, dis donc… Je me suis toujours demandé comment ils faisaient pour ne pas bouger, comme ça… Ça ne doit pas être évident, hein ?

Nicolas – C’est un métier… Enfin, c’est surtout le maquillage, qui prend beaucoup de temps…

Antoine – Et Navarro, il est sympa… Enfin, je veux dire Roger Hanin…

Nicolas – Tu sais, je ne l’ai pas beaucoup vu, hein… Comme j’avais les yeux fermés…

Antoine – Ah, ouais… Et sinon, tu as d’autres projets…?

Nicolas – Pour l’instant, je suis en arrêt maladie…

Antoine – Ah… (Tentant de plaisanter) Ce n’est pas contagieux, au moins…?

Nicolas (sinistre) – Non, non, rassure-toi… C’est mortel, mais c’est pas contagieux…

Antoine prend évidemment cela comme une blague à froid. Il jette un regard intrigué autour de lui et constate l’absence de tout autre invité et de tout préparatif de fête. Il remarque aussi les cartons…

Antoine (inquiet) – Tu déménages…?

Nicolas – Euh… Non… Enfin, pas tout de suite… Mais comme on risque d’être expulsés à tout moment, je préfère ne pas déballer les cartons…

Antoine – J’ai eu peur… J’ai cru que tu nous avais fait venir pour charger le camion…

Nicolas ne dit rien et semble préoccupé. Antoine commence à se demander ce qu’il fait là. Il regarde Nicolas en essayant de faire bonne figure, mais ne sait plus très bien quoi dire.

Antoine – Ça sent le fauve, ici, non…? Tu as un chat ?

Nicolas – Un iguane.

Antoine – Ah, ouais…

Nicolas – C’est mon pote qui me l’a laissé en partant. Il me prête son appart, et en échange, je nourris son iguane…

Silence embarrassé.

Antoine – Dis-moi, c’est vraiment très sympa de nous avoir invités, mais on fête quelque chose, là…? C’est ton anniversaire, ou…? On est peut-être un peu en avance…?

Nicolas (ailleurs) – Euh… Non, non… On n’attend personne d’autre… Enfin, à part Estelle…

Antoine – Bon…

Nicolas – Ça me fera plaisir de la revoir… On s’est croisé, une fois ou deux… Qu’est-ce qu’elle fait, maintenant…?

Antoine – Elle est dans la communication…

Silence embarrassé.

Antoine – Et c’est sympa, un iguane ?

Nicolas – Quand c’est petit, c’est très affectueux… Enfin, ça ne bouge pas. Mais en grandissant, il paraît que ça peut devenir agressif.

Antoine – En grandissant…

Nicolas – Ça peut atteindre dans les deux mètres. Non, mais rassure-toi, je l’ai enfermé dans la salle de bain…

Nouveau silence.

Antoine – Alors, comme ça, tu as eu l’idée de nous réunir tous les trois ? Pour se rappeler le bon vieux temps…

Nicolas – En fait, j’avais quelque chose à vous demander. Mais je préfère attendre qu’Estelle soit là…

La sonnette de la porte se fait à nouveau entendre.

Antoine – Ah… Quand on parle du loup…

Nicolas va ouvrir.

Nicolas – Salut Estelle…! Entre…

Nicolas revient, suivi d’Estelle, la trentaine également, et plutôt belle fille. À son absence de maquillage et à son look soigné mais un peu sévère, on devine cependant qu’elle a désormais d’autres priorités que de séduire… même son mari. Estelle a une bouteille de Champagne Moët et Chandon à la main.

Antoine – Ben qu’est-ce que t’as foutu ? Ça fait un quart d’heure qu’on t’attend…

Estelle lance un regard agacé à Antoine, avant de l’ignorer pour s’adresser à Nicolas.

Estelle – Je n’arrivais pas à trouver une place… (Elle tend à Nicolas sa bouteille de Champagne) Tiens, j’ai pris ça à la supérette d’en bas…

Nicolas – C’était pas fermé, finalement…?

Embarras d’Antoine.

Estelle (pas très enthousiaste) Alors c’est une réunion nostalgie, c’est ça ? Les Trois Mousquetaires du Lycée Saint Sulpice, dix ans après…

Nicolas – Neuf… Je vais sortir des coupes…

Nicolas pose la bouteille sur la table et farfouille dans divers cartons à la recherche de coupes, pendant qu’Antoine et Estelle échangent un regard perplexe, se demandant visiblement pourquoi ils sont là.

Nicolas – Je ne sais plus dans quel carton c’est… (À Estelle) Tu as dû en faire du chemin, toi aussi, depuis qu’on a quitté le lycée… Tu es dans quoi, exactement ?

Estelle – Dans la pub… Je suis assistante de direction…

Antoine (ironique) – C’est le nom qu’on donne aux secrétaires, maintenant.

Air renfrogné de Estelle.

Antoine – Remarque, c’est peut-être ce que j’aurais dû faire, moi, secrétaire bilingue, parce que prof, tu sais… On n’est pas payé lourd… Non, et puis il n’y a plus aucune discipline… Tu ne peux pas savoir ce que les jeunes de maintenant peuvent être violents… Remarquez, nous, on était pas mal non plus, hein ? (À Nicolas, en se marrant) Tu te souviens de ce gamin, en sixième, qu’on avait accroché par le col au portemanteau ? On appelait ça jouer au pendu. Si un autre élève n’était pas passé par là et ne l’avait pas décroché… Il était déjà tout bleu…

Nicolas – Oui, je m’en souviens très bien… C’était moi…

Antoine – C’est toi qui l’a décroché…?

Nicolas – Non le… le pendu… C’était moi…

Antoine (gêné) – Ah ouais… Ah je ne me souvenais plus du tout que c’était toi, dis donc, c’est marrant… Je crois que c’est comme ça qu’on a fait connaissance, d’ailleurs…

Nicolas – Ouais…

Antoine – Ah, la, la… C’était le bon temps…

Nicolas préfère changer de sujet.

Nicolas – Alors comme ça, c’est toi qui a fini par épouser la belle Estelle ? Petit veinard… Après avoir brisé les coeurs de tous les autres garçons du lycée…

Estelle élude modestement.

Antoine – On n’est pas encore mariés, en fait.

Estelle (piquée) – Mais on a quand même deux enfants ensemble. Ça crée des liens…

Nicolas – Et tu es retourné enseigner au Lycée Saint-Sulpice ? Tu ne milites plus à la Ligue Communiste Révolutionnaire, alors…

Antoine – Je suis chez les Verts, maintenant… Qu’est-ce que tu veux… Il faut voir la réalité en face… Je reviendrai enseigner dans le public quand on aura réformé l’école…

Nicolas pose sur la table les seuls verres qu’il a trouvés : des verres à moutarde genre Disney.

Nicolas – Désolé, c’est tout ce que j’ai trouvé… Les coupes doivent être dans un autre carton (À Estelle, sinistre) Je te laisse déboucher la bouteille… Je ne sais pas si j’ai encore la force…

Antoine et Estelle échangent un regard inquiet, un peu interloqués par cette dernière remarque. Antoine laisse peu élégamment Estelle prendre la bouteille pour l’ouvrir. Antoine tente de relancer la conversation.

Antoine – Alors, petit cachottier… Pourquoi tu nous as fait venir ? Tu te maries, c’est ça ? Tu as besoin de deux témoins, alors tu t’es souvenu de tes vieux amis du lycée…?

Estelle commence à enlever les fils de fer qui retiennent le bouchon de la bouteille.

Nicolas – Euh… Non… Malheureusement, ce n’est pas ma vie de garçon que j’enterre…

Antoine et Estelle sont à nouveau surpris par le ton grave de cet aveu.

Antoine – Attends, ce n’est pas si grave, hein… Tu sais la vie à deux, ça n’a pas que des avantages…

Air offusqué de Estelle.

Nicolas – Vous vous souvenez de cette pièce que j’avais écrite, en terminale ?

Les deux autres, pensant qu’il a changé de sujet, se détendent un peu.

Antoine (hilare) – Ah, oui ! Qu’est-ce qu’on a rigolé, avec ça ! Comment ça s’appelait, déjà ?

Nicolas (très sérieusement) – Premier Amour…

Antoine (se marrant) – C’est ça ! Premier Amour… Quel daube c’était… Heureusement qu’on n’a jamais pu la jouer… Tu l’as toujours ? Ça me ferait marrer de relire ça maintenant…

Nicolas – Évidemment, je l’ai un peu adaptée… Maintenant, ça s’appelle Premier Amour… et Dernière Volonté.

Estelle – Dernière Volonté…?

Un temps.

Nicolas – Je ne savais pas trop comment vous annoncer ça mais… Je n’en ai plus que pour six mois…

Le bouchon de la bouteille saute et Estelle, pétrifiée, laisse le Champagne s’écouler par terre. Antoine aussi s’est figé. Seul Nicolas a le réflexe de placer un verre sous le goulot pour éviter que la bouteille ne se vide complètement. Il récupère la bouteille et termine le service en poursuivant ses explications.

Nicolas – J’ai appris la semaine dernière que j’étais atteint d’une maladie incurable.

Malaise.

Antoine – Et pourtant à te voir, comme ça…

Estelle – T’as l’air en pleine forme… Hein Antoine ?

Antoine – Enfin, t’as l’air comme d’habitude, quoi…

Nicolas – Il n’y a presqu’aucun symptôme, mais ça perturbe les flux électriques qui circulent dans le cerveau. Et un beau jour, c’est comme si les plombs sautaient… Ça disjoncte… (Pour signifier ce court-circuit il fait un grand geste avec les bras en envoyant ainsi gicler sans s’en rendre compte le contenu du verre qu’il tient à la main). Il n’y a plus de réseau… Ça peut arriver à n’importe quel moment…

Les deux autres se regardent, ne sachant pas quoi dire.

Nicolas – Eh oui… Je n’ai jamais réussi à décrocher mon bac, mais je suis quand même au stade terminal… (Un temps) L’avantage, c’est que je ne souffrirai pas.

Estelle – Désolée pour le Champagne…

Nicolas – Tu ne pouvais pas savoir… Mais la prochaine fois, amène plutôt des fleurs… (Levant son verre pour trinquer) Allez, à la vôtre… On ne va pas le laisser perdre…

Ils trinquent dans une ambiance sinistre.

Estelle – Mais c’est quoi, cette maladie, exactement…

Nicolas se lève et revient avec une grande enveloppe dont il sort une radio.

Nicolas – C’est une anomalie très rare. Les médecins appellent ça une maladie orpheline…

Antoine – Au moins, toi, tu ne laisseras pas d’orphelins derrière toi… À part ton iguane…

Estelle lance à Antoine un regard étonné à la mention de l’iguane.

Nicolas – On n’est que trois dans le monde à être frappés de cette maladie génétique. Et encore, sur les deux autres, il y a un Malgache et un Srilankais. Vous pensez bien que les labos n’ont pas très envie d’investir dans la recherche… (Désignant un endroit sur la photo) Vous voyez, les deux taches, là…?

Les autres regardent, ne voient rien, mais acquiescent poliment.

Antoine – Ah, oui, c’est moche…

Estelle – Et il n’y a vraiment aucun espoir…?

Nicolas – Un grand chirurgien de Los Angeles a déjà tenté ce genre d’opération… Mais évidemment, ça coûte très cher… Vous imaginez bien que je n’ai pas les moyens… Je n’arrive déjà pas à payer un loyer…

Antoine et Estelle échangent un regard inquiet.

Nicolas – Je crois qu’il me reste des cacahuètes, quelque part. Je vais aller les chercher…

Nicolas sorti, Antoine et Estelle échangent un regard consterné.

Antoine – Le pauvre…! Il n’aura jamais eu de chance… Trois malades dans le monde, et il fallait que ça tombe sur lui…

Estelle – Bon d’accord, c’est triste, mais… On ne va pas non plus faire le Téléthon à nous deux… On ne le voit pas pendant dix ans, et comme ça, tout d’un coup…

Antoine – Surtout qu’entre nous, Nicolas… Même à l’époque… On n’était pas si copains que ça, non ?

Estelle – C’est pour ça que je n’ai pas très bien compris quand il nous a téléphoné…

Nicolas revient avec un énorme sac de cacahuètes non décortiquées, qu’il dépose sur la table. Antoine et Estelle sont évidemment étonnés.

Antoine – Eh, ben…

Estelle – Je crois que je n’ai jamais vu autant de cacahuètes en même temps…

Nicolas – Ah, ouais… Non, c’est parce que… J’avais tourné une pub il y trois ans, pour des cacahuètes, justement. Et on nous avait laissé emmener un sac, à la fin…

Antoine (hilare) – C’est vraiment ce qui s’appelle être payé des cacahuètes…

Estelle lui lance un regard pour le rappeler à la décence en présence d’un grand malade.

Nicolas – Le pire, c’est que je ne peux même pas en manger. Je suis allergique.

Estelle – T’es allergique aux cacahuètes ?

Nicolas – À l’arachide en général… Mais allez-y, servez-vous…

Estelle et Antoine se mettent à décortiquer et à bouffer les cacahuètes, pour meubler un silence embarrassé.

Antoine – Écoute, Nicolas, ça nous aurait fait plaisir de t’aider pour ton opération, mais tu sais… Avec mon salaire de prof… et le salaire de secrétaire d’Estelle…

Estelle – Assistante.

Nicolas – Ah, non, c’est très gentil de votre part, mais je ne vous demande pas d’argent, hein…

Têtes des deux autres, soulagés, mais qui se demandent alors où il veut en venir.

Nicolas – Non… J’ai renoncé à me faire opérer. C’est trop risqué… Je suis allergique à la pénicilline…

Estelle – En plus des cacahuètes…!

Nicolas – Je risquerais de ne pas supporter l’anesthésie et de finir dans le coma…

Antoine – Ah, oui, si c’est pour finir dans le coma…

Nicolas – Non, je sais que je n’en ai plus pour longtemps… Quelques mois, peut-être… Et je voulais juste réaliser un dernier rêve… C’est pour ça que je vous ai demandé de venir…

Estelle (incrédule) – Ton rêve, c’était de nous revoir une dernière fois avant de mourir ?

Nicolas – Pas seulement… Je vous ressers ?

Antoine et Estelle, qui ont bien besoin d’un petit remontant, ne disent pas non. Nicolas les ressert, et ils vident leurs verres en silence.

Antoine – Ah, c’est du bon, hein ?

Approbation générale, donnant le temps à chacun de reprendre ses esprits.

Nicolas – Prenez des cacahuètes…

Antoine se sert, tandis que Estelle reste prudemment sur la défensive.

Nicolas – Non, c’est à propos de ma pièce. Celle qu’on n’a jamais pu jouer…

Antoine – Eh, oui, vous vous souvenez ? Le second rôle féminin avait disparu à une semaine de la générale… (Nostalgique) Brigitte Paradis…

Nicolas – Et si je vous proposais de m’aider à la monter… Dix ans après…?

Antoine (mort de rire) – De monter Brigitte Paradis ?

Estelle (méfiante) – De t’aider…? Financièrement, tu veux dire ?

Nicolas – Non, qu’on la joue ensemble ! Comme on voulait le faire il y a dix ans. Qu’est-ce que vous diriez…?

Blanc.

Antoine (anéanti) – Eh oui… Qu’est-ce qu’on dirait…?

Estelle – Tu plaisantes, là…

Nicolas (pathétique) – Je voudrais absolument jouer cette pièce avant de mourir… Après, je pourrai partir en paix… Avec un peu de chance, je mourrai sur scène…

Antoine – Eh oui… Comme Molière…

Estelle – Oui, mais… Tu n’es pas Molière…

Nicolas – J’ai complètement réécrit la pièce, vous verrez… Quand vous l’aurez lue, vous serez emballés !

Antoine – Mais… On n’est pas comédiens… Enfin, on ne l’est plus…

Estelle – On ne l’a jamais vraiment été…

Nicolas – Je ne suis pas vraiment auteur non plus… Je vous demande seulement de m’aider à réaliser ce dernier rêve. Au nom de notre amitié…

Les deux autres se regardent, se demandant comment ils vont s’en sortir.

Estelle – Notre amitié…?

Nicolas se prend la tête entre les mains, comme s’il était en proie à un soudain mal de tête.

Nicolas – Excusez-moi, c’est l’heure de mes cachets. Malheureusement, en tant que comédien, c’est les seuls que je prenne régulièrement…

Nicolas quitte la pièce.

Antoine – Oh, putain…!

Estelle – Comme tu dis…

Antoine – Et si on essayait de le convaincre de se faire opérer quand même…

Estelle – Tu l’as entendu… Il a peur de finir comme un légume… Remarque, il n’en était déjà pas très loin… Je ne suis pas sûre qu’on verrait la différence…

Antoine – Qu’est-ce qu’on fait, alors ?

Estelle – Tu nous vois monter sur scène pour jouer sa pièce à l’eau de rose d’adolescents boutonneux ?

Antoine – Avec un peu de chance, il clabotera avant la première.

Estelle – On n’est jamais à l’abri d’une rémission…

Nicolas revient en pleine forme, avec deux textes, qu’il leur distribue.

Nicolas – Je vous en ai fait un exemplaire chacun. J’ai changé la fin, vous verrez… La pièce y gagne beaucoup… Bon, vous n’êtes pas obligés de lire ça tout de suite, hein… Je vous laisse le temps de réfléchir… Enfin, pas trop longtemps quand même… Je vous ressers ?

Nicolas prend la bouteille de Champagne pour une dernière tournée. Se servant en dernier, il vide la dernière goutte dans son verre.

Antoine – Ah, marié dans l’année…

Estelle lui lance un regard consterné.

Estelle – Écoute, Nicolas, on aimerait bien t’aider, mais tu sais… Antoine et moi, on a deux enfants, maintenant. Et puis on a chacun notre boulot… Comédien, c’est un métier… C’est le tien, mais ce n’est pas le nôtre… Et puis il faudrait trouver un théâtre… Avec des têtes d’affiches comme nous…

Nicolas – Non, mais attendez, je ne demande pas la Comédie Française, hein… Toi, Antoine, avec ton lycée, tu pourrais nous trouver une salle… Et toi Estelle, qui est dans la pub, tu pourrais nous faire les affiches…

Les deux autres commencent à être à court d’arguments.

Estelle – Mais il y avait un deuxième rôle féminin, dans ta pièce, non…?

Antoine (se souvenant, grivois) – Eh, eh, eh… Eh oui…! La pulpeuse Brigitte…

Estelle lui lance un nouveau regard pour le rappeler à plus de mesure.

Estelle – Tu avais même écrit la pièce pour elle…

Antoine – Dans le seul but de lui rouler un patin dans la dernière scène…

Estelle – On ne peut pas la jouer sans elle, cette pièce… Ça n’aurait pas de sens…

Antoine – Eh oui… Malheureusement, elle a complètement disparu de la circulation à quelques semaines du bac… C’est même pour ça qu’on n’a jamais pu la jouer, ta pièce… Heureusement, dans un sens… Vous vous souvenez… On n’a plus jamais entendu parler d’elle…

Nicolas (ravi) – Eh ben justement…

Les deux autres le regardent, inquiets.

Estelle – Justement quoi…?

Nicolas (triomphant) – Je l’ai retrouvée !

Estelle – Tu as retrouvé Brigitte Paradis ?

Antoine – La Brigitte Paradis ?

Nicolas – Elle-même !

Estelle – Mais comment tu as fait…?

Nicolas – Les Copains d’Avant ! Vous savez…

Antoine – Les Copains d’Avant…?

Nicolas – Sur Internet ! Ce site qui permet de retrouver la trace des gens avec qui on était à l’école.

Estelle – Ah, ouais… Il suffisait d’y penser…

Nicolas – De temps en temps, je faisais une recherche en tapant son nom… Sans résultat… Et puis la semaine dernière, Bingo ! Elle habite dans le Quinzième…

Estelle – Et tu es sûr que c’est elle ? Il ne doit pas y avoir qu’une Brigitte Paradis, à Paris…

Antoine (se souvenant) – Pas des Brigittes avec des roberts comme ça…

Estelle – Tu l’as appelée ?

Nicolas – Non… Pas vraiment…

Regards perplexes des deux autres.

Nicolas – Enfin suffisamment pour être sûr que c’est bien elle…

Estelle – Et tu crois qu’elle va accepter de jouer dans ta pièce ? Je ne sais pas, moi… Elle a dans les 30 ans, maintenant… Elle est peut-être mariée…

Antoine – Enfin, vu son physique, ce n’est pas le plus probable, mais bon… On ne sait jamais… Elle a pu tomber sur un pervers…

Nicolas – Elle porte toujours son nom de jeune fille…

Estelle – Ça, ça ne veut rien dire, hein ? Moi aussi…

Antoine – Et au sujet de… ta maladie, tu comptes lui dire aussi…?

Nicolas – Non, je ne préfère pas… Enfin pas tout de suite… Je ne voudrais pas qu’elle accepte le rôle par pitié…

Estelle – À nous, tu nous l’as bien dit…

Nicolas – Vous, je savais que sinon, vous n’accepteriez jamais.

Silence embarrassé.

Estelle – Alors qu’est-ce que tu vas lui raconter ? J’ai retrouvé la pièce que j’avais écrite pour toi quand on avait dix-sept ans… On recommence les répétitions ce soir, après un petit intermède de dix ans ?

Antoine – Neuf…

Nicolas – C’est-à-dire que… Je comptais un peu sur vous pour essayer de la convaincre… Elle vous aimait bien, vous aussi… On était très proches, tous les quatre, non…?

Embarras des deux autres.

Nicolas (à Antoine) – Tu ferais ça pour moi…?

Antoine – Tu sais, on ne se connaissait pas tant que ça… (À Estelle) Tu ne veux pas l’appeler, toi ?

Estelle (outrée) – Moi ? Pourquoi moi ?

Nicolas – Tu es une fille, elle se méfiera moins… Et puis tu bosses dans la pub… Le baratin, ça doit te connaître, non ?

Tête renfrognée de Estelle.

Estelle – Non, excuse-moi Nicolas, mais je ne peux vraiment pas faire ça… Qu’est-ce que je pourrais bien lui raconter, à cette pauvre fille ?

Antoine – Elle ne doit même plus se souvenir de nous. Enfin, j’espère…

Nicolas se lève.

Nicolas – Bon…

Pensant qu’il renonce, les autres paraissent un peu soulagés.

Nicolas – Ben c’est moi qui vais l’appeler, alors… Je vais téléphoner de la chambre, je serai plus tranquille.

Nicolas sort vers la chambre. Les deux autres se regardent, perplexes.

Estelle – Eh ben on est mal barrés, hein…

Antoine – Elle va lui raccrocher au nez, c’est évident. Et après, il nous foutra la paix, avec sa pièce à la noix…

Estelle – Je ne sais pas… Je le sens mal… J’ai l’impression d’être tombée dans un traquenard…On ferait mieux de se barrer pendant qu’il est au téléphone…

Estelle se lève déjà.

Antoine – Attends, on ne peut pas lui faire ça. Dans son état… Et puis qu’est-ce que tu veux qui nous arrive…? Si par miracle, elle acceptait, le temps que tout ça s’organise… On jouera la montre…

Silence.

Antoine (se souvenant) – Brigitte Paradis…

Un temps.

Estelle – C’était un thon, non ?

Nicolas revient, la mine soucieuse. Les deux autres se réjouissent déjà.

Estelle – Alors ?

Nicolas – Elle monte dans un taxi, et elle arrive.

Têtes des deux autres.

Estelle – Elle a accepté de venir ? Comme ça ?

Antoine – Mais qu’est-ce que tu lui as raconté ?

Nicolas – Je lui ai dit que Estelle se mariait avec toi, qu’elle enterrait sa vie de jeune fille, et que ça lui ferait plaisir de la revoir…

Estelle (horrifiée) – T’as pas fait ça ?

Nicolas – Désolé, c’est tout ce qui m’est venu à l’esprit…

Antoine – Brigitte « Paradis »… La bien nommée… (À Nicolas avec un geste suggestif) Tu te souviens de cette paire qu’elle avait…

Nicolas est partagé entre la révolte devant la vulgarité d’Antoine en présence de Estelle… et le souvenir ému des roberts de Brigitte.

Nicolas – Et dire qu’aucun de nous deux ne se l’est faite, à l’époque…

Le sourire d’Antoine se fige un peu.

Antoine – Eh oui… Allez, avoue… Ta dernière volonté, ce ne serait pas de sauter Brigitte Paradis, plutôt…?

Estelle est consternée par la balourdise d’Antoine.

Nicolas – Ce n’est pas pour me vanter, mais je crois que j’étais en pole position… Si seulement elle n’avait pas disparu à deux mois de la première.

Estelle – La terminale, tu veux dire. On allait passer le bac…

Nicolas – La première de ma pièce…

Estelle – Ah, oui, la pièce… J’avais oublié… Et tu lui en as parlé, de ta pièce ? En plus de mon mariage…

Nicolas – Ben, non… Je n’ai pas osé…

Estelle (ironique) – Oui, je comprends… Tandis que mon enterrement de vie de jeune fille…

Antoine (toujours rêveur) – Brigitte Paradis…

Estelle – Oui, bon, ça va… Tu ne vas pas répéter ça toute la soirée…

Antoine – Elle est peut-être devenue énorme, hein ? Elle était déjà un peu boulotte à l’époque…

Nicolas – Boulotte…? Elle était bien en chair, c’est tout…

Estelle – Elle n’avait pas des lunettes ?

Nicolas, embarrassé, sort d’un carton une photo agrandie et encadrée.

Nicolas – Tenez, j’ai retrouvé une photo d’elle, par hasard, en faisant mes cartons…

Nicolas regarde un instant la photo, ému, avant de la tendre à Antoine qui la prend, un peu inquiet.

Antoine (regardant la photo) – Ah, oui, quand même… Je ne me souvenais pas que c’était à ce point-là…

Antoine tend la photo à Estelle, qui la regarde avec des yeux effarés.

Estelle – Non, mais vous vous rendez compte…? S’il elle était déjà comme ça il y a dix ans… Maintenant, elle a peut-être de la cellulite, des varices et des double-foyer…

Antoine (se marrant, à Antoine) – Ça expliquerait son empressement à se précipiter dans ce traquenard tendu par un jeune et beau garçon en pleine santé comme toi…

Estelle fait un signe à Antoine pour le ramener à plus de décence.

Antoine – Excuse-moi, Nicolas, j’avais oublié, pour ta maladie…

Nicolas récupère la photo encadrée de Brigitte.

Nicolas – Ce n’est pas grave…

On sonne à la porte.

Antoine – Déjà ?

Nicolas reste sans bouger, comme tétanisé, la photo de Brigitte à la main.

Estelle – Bon ben va ouvrir…!

Nicolas – J’y vais…

Nicolas planque à nouveau la photo dans le tiroir, et va ouvrir la porte.

Nicolas – Oui…? Ah, oui, merci…

Nicolas revient, la mine soucieuse, avec un papier officiel entre les mains, qu’il pose quelque part.

Estelle – Quelque chose de grave ?

Nicolas – Non, non… Un avis d’expulsion…

Antoine – Ah, quand même…

Nicolas – L’immeuble est complètement fissuré… C’est pour ça que je dois déménager…

Têtes des deux autres, qui regardent les cartons.

Estelle (inquiète) – Mais fissuré, euh…?

Nicolas – Ce n’est plus réparable… Ça risque de s’écrouler à tout moment… Surtout avec le métro qui passe en dessous… Vous ne sentez pas les vibrations, toutes les trois minutes ?

Un métro passe. Silence…

Nicolas – Je me suis toujours demandé pourquoi elle était partie comme ça, sans prévenir personne, un mois avant le bac…

Silence embarrassé des deux autres.

Nicolas – Prenez des cacahuètes…

Estelle (pour changer de sujet) – Et toi, ton bac, tu ne l’as jamais repassé…?

Nicolas – Non… Après je me suis attaqué au permis de conduire… Mais je l’ai raté aussi…

Estelle – Mais tu l’as repassé…

Nicolas – Ah oui, évidemment… Tous les ans… Mais au bout de huit fois, j’ai laissé tomber… (Plaisantant) Au moins, le bac, je l’ai raté du premier coup.

Un temps.

Nicolas (soupirant) – Qu’est-ce qu’on a pu s’emmerder, dans cette putain de boîte à bac, vous vous souvenez ?

Estelle – Saint-Sulpice… On appelait ça Saint-Supplice…

Antoine – 98 % de réussite au bac, d’accord, mais à quel prix. C’était même pas mixte, à l’époque… Pour éviter qu’on pense à autre chose qu’à nos études…

Nicolas – Ouais… Brigitte et toi, vous étiez les seules filles du bahut. (À Estelle) Ils avaient fait une exception pour toi parce que tu étais la fille du prof de latin et de la prof de grec. Et pour Brigitte parce que c’était la fille du prof d’allemand et de la prof d’anglais…

Antoine – Les profs, on ne devrait pas les laisser se reproduire entre eux. Ça affaiblit la race. Au bout de trois générations, avec la consanguinité, ça peut engendrer des monstres.

Regard furibard de Estelle.

Antoine – Je ne dis pas ça pour toi, chérie, évidemment… Remarquez, pour Brigitte, ça n’avait pas que des inconvénients, hein ? (Se marrant) Vu comment elle était gaulée, dans un lycée mixte, elle aurait sûrement été beaucoup moins sollicitée…

Regard désapprobateur de Nicolas.

Antoine (à Nicolas) – Attends, tu t’imagines, tout seul dans une classe de 30 filles au milieu d’une école qui en accueillerait 300 ? Même avec ton physique ingrat ?

Nicolas – C’est sûr qu’elle n’avait pas beaucoup de concurrence…

Antoine – Et nous pas tellement le choix…

Nicolas – À part Estelle, bien sûr… Mais Estelle, à l’époque, on ne pouvait qu’en rêver, hein…? C’était l’inaccessible étoile…

Estelle – Etre la seule fille pour faire fantasmer toute une école de garçons en plein rut adolescent… Ce n’était pas forcément facile tous les jours, crois-moi…

On sonne à nouveau à la porte.

Nicolas – Cette fois, ça doit être elle…

Antoine – Brigitte Paradis…

Estelle – N’oublie pas qu’elle pèse peut-être cent kilos de plus…

Nicolas va ouvrir.

 

ACTE 2

Nicolas – Brigitte ! Eh ben… Je ne t’aurais pas reconnue…

Antoine et Estelle échangent un regard inquiet.

Brigitte entre dans la pièce. Elle a en effet changé. En mieux… Physique de top model et look de star : talons hauts, minijupe, lunettes noires et air éthéré. Antoine et Estelle en restent bouche bée en l’apercevant à leur tour.

Brigitte (aguicheuse) – Salut…

Antoine (estomaqué) – Brigitte Paradis…

Brigitte traverse la pièce en roulant des hanches comme si elle défilait sur un podium.

Brigitte – C’est bien moi, je t’assure… En chair et en os…

Elle se tourne vers Estelle.

Brigitte – Eh ben félicitations, Estelle…

Antoine – Félicitations…?

Brigitte – Pour votre mariage… (À Estelle) Vous vous mariez, non ?

Estelle – Ah, oui, enfin… Oui, oui, bien sûr…

Antoine – La date n’est pas encore fixée, mais bon…

Nicolas (à Brigitte) – Assieds-toi, je t’en prie… Tu veux une coupe de champagne ? Pour trinquer aux mariés…

Brigitte s’assied en croisant des jambes interminables. Silence. Les deux mecs avalent difficilement leur salive. Du coup, Estelle, reléguée au second rôle, semble un peu jalouse.

Brigitte (ironique) – Arrêtez de tirer la langue comme ça… Si vous aviez soif à ce point-là, il ne fallait pas m’attendre…

Antoine – C’est-à-dire que… Mais qu’est-ce qui t’est arrivé…?

Tête de Brigitte.

Antoine – Enfin, je veux dire… Ça fait vraiment bizarre de se revoir, comme ça… Après tout ce temps… C’est incroyable ce que tu as changé…

Brigitte – Je ne sais pas trop comment je dois le prendre…

Estelle (ironique) – Oh…! En bien, je t’assure…

Brigitte – Ça non plus, je ne sais pas comment je dois le prendre…

Embarras des trois autres.

Brigitte (levant son verre) – Au bon vieux temps, alors ?

Ils trinquent.

Nicolas – Prenez des cacahuètes…

Antoine – Tu habites à Paris depuis longtemps ?

Brigitte – Non… J’ai vécu aux States, ces dernières années…

Estelle – Aux States…?

Brigitte – Oui… En France, c’était vraiment trop difficile de percer dans le show-biz…

Antoine – Dans le show-biz…?

Brigitte – Et puis aux US, ma grande soeur a pu me donner un coup de main…

Nicolas – Ta grande soeur ?

Brigitte – Vous comptez répéter systématiquement le dernier mot que je dis ? C’est une sorte de jeu ? (Un temps) Oui, ma grande soeur. Vanessa.

Estelle – Vanessa ?

Brigitte – Vanessa Paradis !

Stupéfaction des trois autres.

Nicolas – Vanessa Paradis ? C’est ta soeur ?

Brigitte – Ben, oui… Vous savez qu’elle vit aux US… Évidemment, elle connaît beaucoup de monde là-bas. Surtout depuis qu’elle est mariée avec Johnny…

Antoine – Vanessa Paradis s’est marié avec Johnny ?

Brigitte – Johnny Depp ! Vous n’allez jamais chez le coiffeur, ou quoi ?

Mesurant leur stupéfaction.

Brigitte – Vous ne saviez pas que Vanessa était ma soeur ? Ça se voit un peu, pourtant, non ?

Les deux mecs en profitent pour la détailler des pieds à la tête. Le charme plutôt charnu de Brigitte est loin du style lolita de Vanessa, mais bon…

Nicolas – Ah, oui, c’est vrai… Maintenant que tu nous le dis… Il y a un petit air de famille… (Aux deux autres) Vous ne trouvez pas ?

Estelle – Je ne savais pas que Vanessa Paradis avait une soeur…

Brigitte – Ça n’a rien de très extraordinaire, tu sais. Beaucoup de gens ont des soeurs…

Estelle – Non, je veux dire, euh… Je ne savais pas que sa soeur, c’était toi, Brigitte…

Brigitte – Qu’est-ce que tu veux… Malheureusement, être parent avec quelqu’un de célèbre, ce n’est pas forcément une garantie de notoriété… C’est comme pour ma copine Monica… Tout le monde connaît sa soeur, mais elle…

Estelle – Monica…?

Brigitte – Monica Cruz ! La soeur de Pénélope ! Tu vois, qu’est-ce que je disais…? Vous la connaissez à peine… Et pourtant, ça ne l’empêche pas de faire une belle carrière.

Nicolas – Eh, oui, ce n’est pas évident de se faire un prénom dans le show-biz, hein…? Alors vous imaginez un peu, quand on n’a même pas de nom, comme moi…

Brigitte – Moi, je fais surtout du théâtre, alors bien sûr, on est un peu moins exposée… Évidemment, je suis plus connue aux États-Unis qu’en France…

Nicolas – C’est comme pour David Hallyday. Ici, personne ne sait qui c’est, mais aux Etats-unis, c’est une énorme star… Il paraît… Alors comme ça, tu as continué dans le théâtre ?

Brigitte – Ben oui… Je viens de terminer une pièce à Broadway. Plus de mille représentations… C’était génial, mais épuisant… Alors j’ai décidé de rentrer en France, pour me mettre un peu au vert… Et puis je crois que j’avais un peu le mal du pays. (Un temps) J’attends qu’on me fasse des propositions…

Nicolas – Des propositions…?

Brigitte – Pour une nouvelle pièce ! Je vous trouve un peu ramollis du bocal, là… À l’époque, vous étiez plus vifs, non ? (À Antoine et Estelle) Alors comme ça, vous vous mariez ?

Estelle (embarrassée) – Il paraît…

Brigitte – Et vous vouliez que je vienne à la noce avec ma grande soeur, c’est ça ? Vous savez, chanter dans les mariages, ce n’est plus trop son truc, à Vanessa… Et puis elle est très occupée, maintenant…

Nicolas – Surtout depuis qu’elle est maman, hein…?

Antoine – Comment elle s’appelle, ta nièce, déjà ?

Brigitte – Lily Rose…

Estelle – Ah oui, ce n’est pas banal… Elle, au moins, elle n’aura pas de problème à se faire un prénom.

Brigitte – C’est moins courant que Brigitte, c’est sûr… Mais dites-moi, vous ne m’avez pas invitée seulement pour choisir un prénom pour vos futurs enfants, si…?

Estelle – Mes futurs enfants… J’en ai déjà deux.

Brigitte – Ah, oui… Avec qui ?

Estelle – Ben avec Antoine !

Brigitte sourit ironiquement. Moment d’embarras.

Brigitte – Si vous me disiez vraiment pourquoi vous m’avez demandé de venir…?

Antoine – En fait, c’est plutôt une idée de Nicolas…

Antoine et Estelle se tournent vers Nicolas pour l’encourager.

Nicolas – Je… Eh ben maintenant, je ne sais pas si je vais oser t’en parler…

Brigitte – Allez, vas-y… On est entre vieux amis, non…?

Nicolas – Bon… Tu te souviens de cette pièce, qu’on avait failli jouer, l’année du bac ?

Brigitte – Premier Amour…

Nicolas – Je voulais la monter… Enfin, qu’on la remonte ensemble… Évidemment, c’était avant de savoir que tu étais devenue une star…

Brigitte (avec un soupçon, amusée) – Tu es vraiment sûr que tu ne savais pas…?

Nicolas – Je te jure… Pour moi, tu étais toujours la petite Brigitte que j’ai connue il y a dix ans au lycée…

Brigitte – Pourquoi maintenant…?

Nicolas hésite à nouveau.

Estelle (avec un air de circonstance) – Allez, dis-lui…

Nicolas – Cette pièce, c’est un peu mon bébé, et…

Brigitte – Ton bébé… C’est vrai que c’est long, pour monter une pièce, mais là… Dix ans de gestation… Ce ne sera pas un prématuré… Pourquoi tu es si pressé d’accoucher, tout d’un coup ?

Nicolas – Parce que… Je n’en ai plus pour longtemps…

Brigitte – Tu n’en as plus pour longtemps… à finir de l’écrire, tu veux dire ?

En guise de réponse, Nicolas lui sort ses radios. Brigitte les prend et les examine attentivement à la lumière de la lampe.

Nicolas – Tu vois, au milieu, ces deux taches là ?

Brigitte – Oui…

Nicolas – C’est des tumeurs au cerveau…

Brigitte le regarde interloquée.

Nicolas – Je suis atteint d’une maladie incurable, Brigitte… Je vais mourir…

Silence. Brigitte le regarde, interloquée.

Brigitte (très sérieuse) – Passe-moi ta pièce. Je vais la lire…

Nicolas – Maintenant ?

Brigitte – J’ai cru comprendre que c’était urgent, non ?

Nicolas – Oui, oui… Je vais la chercher…

Nicolas va chercher le texte dans la chambre, pendant que Antoine et Estelle gardent un silence embarrassé.

Estelle – Eh oui, on est bien peu de chose…

Antoine – Surtout lui…

Estelle – Remarque, il paraît qu’il ne souffrira pas…

Antoine – Si tu pouvais faire quelque chose pour sa pièce… J’imagine que tu dois connaître beaucoup de monde dans le show-biz… Mais il ne faut pas te sentir obligée, non plus, hein… Par pitié… Je crois que ce n’est pas ce qu’il voudrait… (Un temps). Premier Amour… (Se marrant) Vous vous souvenez de la daube que c’était…?

Nicolas revenant, Antoine reprend immédiatement une mine de circonstance. Nicolas tend la pièce à Brigitte.

Nicolas – Je l’ai complètement réécrite, tu sais… Ça fait dix ans que j’y travaille…

Brigitte – Rassure-toi, je ne mettrai pas dix ans de plus pour la lire…

Elle se lève pour partir.

Brigitte – Bon… Ça m’a fait plaisir de vous revoir… (Les toisant du regard) Je vois qu’au fond, vous, vous n’avez pas tellement changé… Mais là, je ne suis pas sûre que ce soit un compliment… (À Nicolas) Pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin…

Elle s’en va. Les trois autres restent seuls avec leur malaise. Long silence. Un ange est passé. Et ils se demandent s’ils n’ont pas rêvé.

Antoine – Brigitte Paradis… La soeur de Vanessa Paradis… Alors, là…

Nouveau silence.

Estelle – Elle se fout de nous, là, c’est évident…

Nicolas – Pas sûr, hein… Regardez Mitterrand, ils nous avaient bien caché sa fille… Pourquoi Vanessa Paradis ne nous aurait pas caché sa soeur…?

Les deux autres le regardent, cherchant le rapport.

Nicolas (plein d’espoir) – Vous vous rendez compte ? Pour moi, ce serait génial ! Si elle aime la pièce, et qu’elle décide de reprendre le rôle féminin, on n’aura aucun mal à trouver un producteur. Avec une tête d’affiche pareille !

Estelle – Attends, ne t’emballe pas trop vite… Même si elle ne nous a pas raconté des craques, ce n’est quand même que la soeur de Vanessa Paradis…

Nicolas – Tu plaisantes ! Un metteur en scène que je connais vient de monter une pièce avec la petite fille de Michèle Morgan, l’ex-femme de Johnny Hallyday et la fille du Commissaire Navarro, c’est un énorme succès !

Estelle – La fille du Commissaire Navarro ?

Nicolas – Bon, évidemment, il n’y a pas de secret, non plus. L’auteur de la pièce, c’est la fille cachée du beau-frère de Roger Hanin…

Le temps pour les deux autres de décoder.

Antoine – En tout cas, Brigitte, elle a drôlement changé, hein ? C’est la classe, non ?

Estelle – Oui, bon, ça va… Elle n’est pas non plus…

Nicolas – Ah, quand même…

Antoine – Si j’avais su, à l’époque… Ça, on peut dire que la grosse chenille est devenue un beau papillon…

Estelle – Un peu vulgaire, peut-être…

Antoine – Tu ne serais pas un peu jalouse, toi ? Non, franchement, c’est dingue, ce qu’on peut changer en dix ans…

Estelle – Oui… Remarque, vu d’où elle partait, ça ne pouvait que s’améliorer…

Antoine – C’est vrai que quand on part de plus haut, on ne peut que redescendre…

Estelle – C’est pour moi que tu dis ça…

Nicolas juge bon de changer de sujet.

Nicolas – Bon, ben… Puisqu’on est là, on va quand même enterrer ta vie de jeune fille, hein, Estelle…?

Il se lève pour farfouiller dans ses cartons.

Antoine – Euh… Je te rappelle qu’on ne se marie pas vraiment, hein ?

Estelle (pincée) – Merci, c’est très délicat de ta part de le rappeler.

Antoine – C’est mon côté anti-conformiste.

Estelle – Celui qui t’a conduit à retourner enseigner dans le lycée privé catholique où tu as fait toute ta scolarité… après un détour par la Ligue Communiste Révolutionnaire.

Nicolas – On n’a plus de Champagne, mais il doit me rester une ou deux bouteilles de Joyeux Vendangeur, quelque part…

Nicolas revient avec une bouteille du dit breuvage, qu’il sert généreusement.

Antoine – En tout cas, je ne pensais pas voir la soeur de Vanessa Paradis aujourd’hui…

Estelle – Moi non plus…

Ils trinquent.

Antoine – Allez… À ta santé, Nicolas ! (Se rendant compte de sa gaffe). Excuse-moi, j’oublie tout le temps…

Nicolas – Ne t’excuse pas, va… Et puis tu sais, ce n’est peut-être pas si grave que ça…

Estelle – Ah bon…?

Nicolas – Enfin, je veux dire… Un miracle est toujours possible…

Ils trinquent à nouveau.

Estelle – Saint-Sulpice, priez pour nous…

Antoine et Estelle font la grimace.

Antoine – Je ne pensais pas non plus boire du Joyeux Vendangeur, ce soir. Ça existe encore, ce truc… Ça n’a pas été interdit…

Nicolas – Ah ouais, c’est vrai que c’est plutôt une boisson d’hommes…

Estelle – Tu ne devrais peut-être pas boire ça… Dans ton état…

Nicolas – Oh, comme ça au moins, demain matin, je saurai pourquoi j’ai mal à la tête. Et puis il faut bien mourir de quelque chose, hein…?

Silence. Nicolas leur resert à boire. Ils vident leurs verres d’un trait.

Estelle – Quand on avale vite, on n’a pas le temps de sentir le goût…

Un temps, pour méditer cette pensée.

Antoine – Brigitte Paradis… (À Nicolas) Qu’est-ce qu’on a été cons…

Regard intrigué et réprobateur de Estelle.

Antoine – On avait cette fille sous la main… Si j’ose dire… Et dix ans après, on se rend compte qu’on est peut-être passé à côté de quelque chose… Enfin, je veux dire, de quelqu’un…

Estelle – Ouais… Tu n’as pas su voir sa beauté intérieure…

Nicolas – C’est vrai qu’elle ressemble un peu à Vanessa Paradis, en grandissant…

Estelle – Ce qui est sûr c’est que vous, en vieillissant, vous ressemblez de moins en moins à Johnny Depp…

Antoine – Allez, ressers-nous un coup de ton élixir, pour oublier cette cruelle vérité…

Nicolas ouvre la deuxième bouteille, et les ressert. Ils boivent en silence.

Nicolas – On dirait que la deuxième bouteille est meilleure que la première…

Antoine – Ça ne doit pas venir de la même vigne…

Estelle – Tu crois vraiment que c’est fait avec du raisin ?

Silence.

Estelle – C’est incroyable, qu’elle ait continué dans le théâtre…

Nicolas – Pourquoi ? J’ai bien continué, moi aussi…

Estelle – Oui, enfin, je veux dire…

Nicolas – Laisse tomber, je sais…

Antoine – On aurait peut-être dû continuer, nous aussi… Je veux dire Estelle et moi…

Estelle – C’est vrai, on n’était pas si mauvais que ça.

Antoine – Aujourd’hui, on serait peut-être des stars… Même sans avoir de famille dans le show-biz… Regardez Luchini. Ses parents tenaient une quincaillerie…

Estelle – Les parents de Luchini tenaient une quincaillerie ?

Antoine – Tu ne savais pas ?

Estelle – Non… (Pensive) Et puis ta pièce, au fond, elle n’était pas si nulle, hein…?

Antoine – C’est vrai. On voit tellement de conneries au théâtre… Je te jure que ta pièce, ce n’est pas beaucoup plus con… De toute façon, je n’y vais plus, moi, au théâtre… Je ne sais pas où mettre mes genoux… Et en plus, je suis allergique à la poussière…

Un temps.

Estelle – Vous vous souvenez de son père ? Monsieur Paradis ?

Antoine – Le prof d’allemand… Avec sa petite moustache et sa grande mèche… On l’appelait Adolphe… Ah, il nous a fait vivre l’enfer, celui-là… Il voulait sûrement nous faire expier nos turpitudes avec sa fille…

Nicolas (étonné) – Quelles turpitudes ?

Antoine, gêné, ne répond pas.

Estelle – Et sa mère, c’était qui, déjà ?

Antoine – Madame « Paradise » (prononcer à l’anglaise)

Estelle – Ah ouais, c’est vrai… La prof d’anglais… (Ironique) C’est pour ça que sa fille était bonne en langue. Ça lui a permis de faire une carrière internationale…

Antoine – Il faut reconnaître qu’à l’époque, la mère était plutôt mieux gaulée que la fille, hein ? Vous vous souvenez ? Pendant les cours d’anglais, quand elle circulait dans la classe, on passait notre temps allongés par terre, à rattraper les gommes qu’on lançait derrière elle… Histoire de savoir de quelle couleur était sa petite culotte…

Estelle – Comme quoi les jeunes peuvent aussi se donner du mal, à l’école, quand ils sont motivés…

Antoine – Ouais… À la fin, c’était plus des gommes, c’était des miroirs, qu’on lui balançait entre les jambes… Elle a dû nous en confisquer une bonne vingtaine… Elle devait se demander ce que tous ces mecs foutaient avec des miroirs de poche dans leur sac…

Estelle – Tu crois qu’elle était naïve à ce point-là ? Peut-être que ça lui plaisait, au fond… Parce qu’avec son adjudant de mari, elle ne devait pas grimper au rideau tous les jours…

Silence.

Estelle (à Nicolas) – Tu as internet, non ?

Tête étonné de Nicolas.

Estelle – Tu nous as dit que tu avais retrouvé le numéro de téléphone de Brigitte sur internet…

Nicolas – Ben oui, pourquoi…?

Estelle – Je voudrai vérifier quelque chose…

Nicolas – C’est là…

Estelle se connecte. Bruits de connexion bizarres, façon modem à l’ancienne…

Estelle – Une petite recherche sur Gogole…

Ils attendent.

Estelle – Eh ben… Ce n’est pas le haut débit, dis donc… Remarque, vu la tronche de ton ordinateur, ça m’étonne même que tu arrives à te connecter… On dirait une vieille console Atari… C’est un héritage familial ? Tu as trouvé ça où ?

Nicolas – Dans une brocante, pourquoi…?

Estelle – Ah, quand même ! Alors… Vanessa Paradis… Biographie express… Ah, voilà… Vanessa Paradis, née le 22 décembre 1972… À Saint-Mandé, Val de Marne…

Antoine – Putain, c’est à côté d’ici…!

Estelle – Deux ans plus tard, installation à Villiers-sur-Marne…!

Antoine – Là où on a fait nos études à l’école Saint-Sulpice ! C’est peut-être là qu’elle est allée, elle aussi, quelques années avant nous !

Estelle – Bizarre qu’on en ait jamais entendu parler…

Antoine – Peut-être qu’à l’époque, elle n’était pas encore connue…

Nicolas – Lis la suite, pour voir…

Estelle – Ah, ça y est… On a été déconnecté ! Ça m’étonnait, aussi…

Antoine – Bon, ben recommence…

Estelle pianote à nouveau… Les deux autres attendent, tendus. Bruits de connexion encore plus bizarres.

Antoine – Ça ne risque pas d’exploser, au moins ?

Estelle – Ah, ça y est, ça remarche… Alors, « aller à »… J’y suis… Première apparition à sept ans dans l’émission de Jacques Martin l’École des Fans…

Antoine – Elle était déjà connue, alors…

Nicolas – Peut-être pas tant que ça… Moi aussi, je suis déjà passé à la télé…

Antoine – Oui, mais pas dans l’École des Fans…

Estelle (continuant) – Quatre ans plus tard, naissance de sa petite soeur Alison…

Déception des deux autres.

Antoine – Alison…

Estelle (poursuivant) – Les parents de Vanessa n’étaient pas du tout profs… Ils tenaient une miroiterie…

Nicolas – Une miroiterie ?

Estelle – Ils vendaient des miroirs, quoi !

Nicolas – Remarque, avec tous ceux que la mère de Brigitte nous a confisqués, ses parents auraient pu ouvrir un magasin…

Estelle – Ouais… En tout cas, les parents de Vanessa Paradis n’ont jamais été profs… Et la soeur de Vanessa ne s’appelle pas Brigitte.

Ils digèrent tous trois cette information.

Antoine – Mais alors pourquoi elle nous a monté cette baraque…

Estelle – Tu ne t’en doutes pas un peu…?

Air penaud de Antoine… et air intrigué de Nicolas. On sonne à la porte.

Antoine – Si c’est pour la redevance, tu dis qu’on vient de jeter la télé. On préfère aller au théâtre…

Nicolas va ouvrir.

Nicolas – Brigitte…?

Tête des deux autres.

 

ACTE 3

Brigitte revient dans la pièce. Elle a l’air beaucoup moins gaie, et a abandonné son numéro de star précédent. Les trois autres la regardent, attendant qu’elle dise quelque chose.

Brigitte – Je me suis arrêtée au café d’en bas…

Nicolas (anxieux) – Tu as lu ma pièce ?

Brigitte – Je l’ai feuilletée…

Nicolas – Tu trouves ça nul…

Brigitte – Je te dirai ça tout à l’heure. Mais ce n’est pas pour parler de ta pièce que je suis revenue…

Nicolas – Ah bon…?

Antoine a l’air un peu mal à l’aise.

Brigitte – Sers-moi un verre, d’abord…

Nicolas lui sert avec empressement un verre de Joyeux Vendangeur. Silence embarrassé. Brigitte trempe ses lèvres dans le breuvage et fait la grimace.

Brigitte – Eh ben… Vous êtes passés aux drogues dures…

Un temps.

Nicolas – Alors tu n’es pas la soeur de Vanessa Paradis…

Brigitte – Eh ben non… Tu es déçu ?

Nicolas – Soulagé, plutôt…

Brigitte (ironique) – Tu te sens mieux, alors ?

Nicolas, sur le qui vive, ne répond pas. Silence embarrassé.

Estelle – Pourquoi tu es partie si vite, l’année de terminale ? Sans dire au revoir à personne…

Brigitte (ironique) – Je vous ai manqué à ce point ? Je pensais que personne ne se rendrait compte de ma disparition… (Avec un sourire à Nicolas) Sauf Nicolas, peut-être…

Un temps.

Brigitte – Si je suis partie si vite, c’est que j’étais enceinte…

Blanc. Antoine a l’air mal.

Nicolas – Enceinte…?

Brigitte – Quand j’ai annoncé ça à mes parents, mon père m’a foutue dehors. Vous vous souvenez…? Le prof d’allemand… Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait Adolphe… C’était un vrai facho… Alors j’ai d’abord pris le maquis, et puis je suis partie pour Londres… Comme le Général De Gaulle…

Malaise des trois autres.

Estelle – Et tu es restée longtemps, en Angleterre…?

Brigitte – En principe, c’était juste le temps de me faire avorter… Et puis je suis restée plus longtemps que prévu…

Silence embarrassé.

Nicolas – Enceinte… Dire qu’Antoine et moi, on rêvait de coucher avec toi, et que c’est avec un autre que…

Surprise d’Estelle. Nouveau malaise d’Antoine.

Antoine – Euh… Quelqu’un veut des cacahuètes…?

Nicolas – Alors c’était qui ? Je veux dire… le père ?

Brigitte – Je ne suis pas très sûre, en fait, parce que ça se bousculait un peu au portillon, à l’époque, mais… Ça pourrait être Antoine…

Estelle (sidérée) – Antoine…?

Nicolas, sidéré aussi, dirige son regard vers Antoine.

Nicolas – Ah, d’accord… Sympa… Tu aurais pu me prévenir… Tu ne voulais pas me faire de peine, c’est ça ?

Brigitte – Ou alors, il ne voulait pas se coller la honte auprès de ses copains, et se griller avec Estelle… dont il était vraiment amoureux. Moi j’étais une fille facile, puisque j’avais accepté de coucher avec lui…

Antoine – Je ne savais pas que tu étais enceinte, je te jure…

Estelle – Moi non plus… En tout cas pas d’Antoine. J’ai bien fait de venir, finalement… C’est une soirée très instructive… (À Antoine) Alors pendant que tu m’écrivais des poèmes en cours, à la récré, tu te tapais Brigitte dans les toilettes, c’est ça…?

Antoine – Ouais, bon, c’était il y a longtemps…

Estelle – Je te découvre sous un nouveau jour, tu vois. Tu partais de pas très haut, toi aussi, mais tu viens de me prouver que tu pouvais descendre encore plus bas…

Brigitte – Merci, c’est gentil de vous inquiéter de ce que j’ai pu traverser comme épreuve à l’époque…

Estelle – Tu as raison, excuse-moi… Si j’avais su que tu étais enceinte…

Brigitte (ironique) – Ah oui ? Qu’est-ce que tu aurais fait ? Tu aurais organisé une quête, au lycée, pour financer mon voyage à Londres ? Si tu avais su, Estelle, tu aurais fait exactement la même chose qu’Antoine et les autres. Tu aurais tourné la tête de l’autre côté… Brigitte, c’était la petite grosse à lunettes… Je crois même qu’entre vous, vous disiez la grosse truie, non ?

Antoine et Estelle regardent leurs chaussures.

Nicolas – Je te trouvais très jolie, moi…

Brigitte – C’est gentil, Nicolas… Mais pour Antoine et les autres, j’étais la salope qu’on se repassait entre copains… Brigitte, il n’y a que le train qui ne soit pas passé dessus… Ce n’est pas ce que vous disiez, entre vous ?

Antoine (tentant mollement de réagir) – Ça va, on ne t’a pas violée, non plus… Tu étais consentante, non ?

Brigitte (ébranlée) – Qu’est-ce que tu veux… Avec le physique que j’avais à l’époque, je n’aurais même pas eu ma chance dans un lycée mixte… Alors c’est vrai, j’ai bien profité du quasi-monopole. J’ai dépucelé presque tout le lycée…

Nicolas – Sauf moi.

Brigitte est au bord des larmes.

Brigitte – Et vous qui vous preniez pour des petits coqs, dans cette basse-cour catho où j’étais la seule poule. À part la belle et inaccessible Estelle, bien sûr… Oh, je savais bien que c’était à elle que vous pensiez quand vous couchiez avec moi… Il vous arrivait même de m’appeler Estelle en fermant les yeux au moment du plaisir…

Silence embarrassé.

Brigitte – Si tu savais, mon pauvre Antoine… T’étais vraiment pas un bon coup…

Profil bas de Antoine.

Brigitte (à Estelle) – J’espère au moins que tu as pu bénéficier de tout ce que je lui ai appris… (À Antoine) Moi, le plaisir, je l’ai découvert bien après celui que je vous ai donné à tous… D’ailleurs, ce que je cherchais, à dix-sept ans, ce n’était pas le grand amour… C’était juste un peu de tendresse. Celle que je ne trouvais pas à la maison… Juste un peu de tendresse.

Elle se tourne vers Estelle.

Brigitte – Même ton amitié, ça m’aurait suffit… Je t’admirais Estelle. J’aurais voulu être ton amie. Qu’est-ce que j’ai pu t’envier à l’époque… Mais même pour toi, je n’étais pas assez bien comme copine… Alors je mangeais toute la journée, pour compenser… Je mangeais… et je baisais. Boulimique et nymphomane. Le profil idéal quand on est la seule fille moche dans une école de garçon…

Silence.

Brigitte – Enfin, heureusement, je n’ai pas que de mauvais souvenirs. Il me reste ma fille…

Blanc.

Nicolas – Tu as un enfant ?

Brigitte – Ben oui…

Antoine – Je croyais que…

Brigitte – J’ai dit que j’étais allée à Londres pour avorter. Je n’ai pas dit que je l’avais fait…

Estelle – Et donc, tu ne l’as pas fait…

Brigitte confirme par son silence. Antoine mesure toutes les implications de cette information.

Estelle – Antoine est le père de ta fille…?

Brigitte – Disons que c’est une sérieuse possibilité…

Tête consternée d’Antoine. Brigitte savoure la situation. Estelle préfère s’éclipser un moment.

Estelle – Tu peux me dire où se trouve la salle de bain, Nicolas ? Je ne me sens pas très bien…

Nicolas – Euh, ouais… Au fond du couloir…

Antoine est accablé.

Antoine – Des enfants, j’en ai déjà deux qui m’attendent à la maison… Sans parler de Estelle… qui n’a pas trop le sens de l’humour…

Le portable d’Antoine sonne. Il répond.

Antoine – Oui, ma chérie… Non, on est encore chez Nicolas… On échange des souvenirs du bon vieux temps… Non, je ne peux pas te passer maman pour l’instant, mais on ne va pas tarder à rentrer, d’accord…? Bisous, bisous…

Il raccroche. Estelle revient.

Estelle (à Nicolas) – Tu as un iguane empaillé dans ta salle de bain ? Ça m’a fait bizarre, j’avais l’impression qu’il me regardait pendant que… je me lavais les mains.

Nicolas – Ah… Euh… Non, non, il n’est pas empaillé…

Air surpris de Estelle.

Brigitte – Quand Nicolas m’a appelée, en me disant que Estelle enterrait sa vie de jeune fille, je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais… Maintenant, c’est à toi de savoir ce que tu veux faire de cette paternité, Antoine…

Estelle – Mais tu dis que tu n’es même pas sûre de savoir qui est le père ?

Nicolas – Il y a des tests génétiques, maintenant… On peut être fixés rapidement…

Brigitte – Eh, oui… On organise une réunion des anciens élèves de Saint-Sulpice. Vous prenez chacun votre ticket, on procède au tirage, et on saura qui est l’heureux gagnant de la tombola…

Nicolas – Je n’ai jamais eu de chance au jeu, moi… D’ailleurs, cette fois-là, je n’ai même pas pu jouer… Ça ne peut pas être moi le père…

Antoine – Heureusement… La pauvre gamine…

Les autres le regardent.

Antoine – Non, je veux dire, euh… À cause de ta maladie… Ce serait con qu’elle retrouve son père au bout de dix ans, pour qu’il lui annonce qu’elle va bientôt être orpheline…

Silence.

Estelle – Et elle s’appelle comment ?

Brigitte – Antoinette…

Antoine (interloqué) – Alors tu sais qu’elle est de moi ?

Brigitte – Il y avait une chance sur trois à peu près… Et Antoinette, c’est un joli prénom… Vous ne trouvez pas ?

Estelle – Si… D’ailleurs, on a déjà une fille qui s’appelle comme ça…

Antoine – Tu lui as dit…?

Brigitte – Qu’est-ce que j’aurais pu lui dire ? Je t’ai menti… Je ne suis pas la vierge Marie… Je me suis tapé tous les rois mages de Galilée, et je ne sais pas lequel est le père…

Nicolas (décidé) – Je vais l’adopter…

Les trois autres sont pris de court par cette déclaration d’intention.

Nicolas – Moi, j’ai toujours été amoureux de toi, Brigitte. Je t’épouse, et j’adopte Antoinette. Je me lèverai la nuit pour lui donner le biberon…

Estelle – Je te rappelle qu’elle a presque dix ans…

Antoine – Et puis si Antoinette est ma fille, je ne peux pas te laisser l’adopter… Tu es con ou quoi ? Je ne peux pas te laisser adopter ma fille !

Le portable de Estelle sonne, et elle répond.

Estelle – Oui, maman… Ça y est, ils sont couchés…? Si, si Tout va bien… On va rentrer d’ici une heure ou deux… On est à un baptême, là… Ben oui, ils font ça le soir… C’est… C’est un baptême républicain… Bon, écoute, je te rappelle, d’accord… Oui, moi aussi, je t’embrasse… Et tu les mets au lit, ok…

Elle raccroche.

Antoine – Mais je ne sais pas, moi… Tu n’as pas une petite idée, quand même…

Estelle – Elle ressemble à quoi ? Je veux dire à qui…

Brigitte – À moi… Quand j’avais son âge…

Têtes d’Antoine, inquiet.

Brigitte (enfonçant le clou) – Vous vous souvenez ? La petite grosse à lunettes…

Antoine – Écoute, Brigitte, si cette enfant est de moi, je suis prêt à l’assumer, je te jure… Évidemment, avec mon salaire de prof, pour la pension alimentaire, ça ne va pas être évident, mais bon…

Estelle (anéantie) – Antoinette…

Brigitte – Remarque, j’aurais peut-être dû l’appeler Sainte-Sulpice, finalement, ou Saint-Esprit… Ç’aurait été plus prudent… C’est vrai, vous étiez quand même 300 dans ce bahut…

Nicolas – Ah, oui… On est loin de l’immaculée conception…

Silence.

Brigitte – Elle est en bas…

Surprise des trois autres.

Antoine – Pardon…?

Brigitte – Ma fille…! Je lui ai dit d’attendre en bas, à la terrasse du café… Le temps de voir quelle serait la réaction d’Antoine… Elle attend que je lui fasse un signe, par la fenêtre, pour savoir si elle doit monter ou non…

Nicolas – C’est génial !

Les deux autres n’ont pas l’air aussi enthousiastes.

Brigitte (surjouant) – Je suis sûre qu’en la voyant, son père la reconnaîtra. L’instinct paternel, ça ne trompe pas…

Antoine est au bord de l’apoplexie. Nicolas s’approche de la fenêtre.

Nicolas – Je vais lui dire de monter…

Estelle l’arrête.

Estelle – Attends, on est plus à cinq minutes près…!

Antoine – Et puis il faut la ménager, cette gosse… C’est vrai, ça va être un choc, pour elle…

Brigitte (ironique) – Pour elle…?

Antoine – Pour elle… Pour moi… (Inquiet) Et tu crois vraiment que je vais la reconnaître, comme ça…

Brigitte – Souviens-toi… Quand Estelle a accouché, à la maternité. Quand tu as pris ton bébé dans tes bras. Tu n’as pas ressenti quelque chose ? Tu n’aurais pas pu te tromper de bébé, non ?

Antoine (dubitatif) – Ouais mais… À la maternité, ils ont un petit bracelet…

Brigitte – Elle aussi.

Nicolas – Tu lui as laissé son petit bracelet ? Pendant toutes ces années…

Brigitte – Mais non, je veux dire… Elle a une petite gourmette… Avec son nom gravé d’un côté, et de l’autre…

Brigitte, ayant de plus en plus de mal à se retenir de rire, a l’air à court d’imagination. Mais les trois autres attendent la suite avec anxiété.

Estelle – Qu’est-ce qu’il y a, gravé de l’autre côté…

Brigitte feint l’embarras, le temps d’inventer autre chose.

Nicolas – Le nom de son père…? Et son adresse…?

Antoine – Attends, ce n’est pas un chien…

Brigitte – Non… Il y a marqué… (Avec l’accent anglais) « Mon coeur est à papa… ».

Les trois autres la regardent interloqués.

Brigitte – Vous savez, comme dans la chanson de Marylin…

Brigitte se met à chanter en faisant un show sexy façon Marylin Monroe.

Brigitte – My name is… Lolita. And… I’m not supposed to… play with boys !

Mon coeur est à Papa. You know… le propriétaire

Visiblement, Estelle et Antoine, estomaqués, commencent à douter. Brigitte éclate enfin d’un rire libérateur. Elle se tord dans tous les sens, visiblement pour ne pas pisser dans sa culotte. Tête des trois autres. Brigitte reprend un peu son calme.

Brigitte – Ah, non… Vous allez me faire regretter de ne pas l’avoir gardé, ce cadeau souvenir du petit soldat inconnu…

Stupeur des deux garçons.

Antoine – Tu veux dire que… Tu as vraiment avorté ?

Le silence de Brigitte est un aveu.

Nicolas – Alors il n’y a personne en bas… Oh, non… Tu n’as pas fait ça ?

Tête des deux autres.

Brigitte – Vous avez l’air presque déçus ?

Estelle – Pourquoi tu nous as raconté des bobards pareils ?

Brigitte (reprenant tout à fait son sérieux, outrée) – Des bobards ? C’est vous qui me demandez ça ? Pourquoi je n’aurais pas le droit de m’amuser un peu, moi aussi ?

Air étonné de Antoine et Estelle.

Brigitte (sèchement, à Nicolas) – Je peux revoir tes radios…

Nicolas, méfiant, lui repasse les radios.

Brigitte (lui montrant sur la radio) – Ces deux tâches sombres, comme tu dis, ce sont tes fosses nasales… Même un jeune interne très myope ne peut pas prendre tes trous de nez pour des tumeurs au cerveau…

Stupeur de Antoine et Estelle.

Nicolas – C’est gentil de vouloir me rassurer, Brigitte, mais tu n’es pas médecin…

Brigitte – Je suis vétérinaire, Nicolas…

Tête de Nicolas.

Brigitte – Et ce que je vois sur cette radio, c’est une sinusite chronique. C’est à peu près incurable aussi, mais heureusement c’est beaucoup moins grave…

Antoine et Estelle comprennent, et se tournent vers Nicolas.

Estelle – Tu t’es bien foutu de nous, hein ?

Brigitte est d’abord étonnée… puis amusée.

Brigitte (à Antoine et Estelle) – Ne me dites pas que vous n’étiez pas au courant ?

Nicolas – Je suis désolé… C’est le seul moyen que j’ai trouvé pour essayer de vous convaincre de monter cette pièce… C’est tellement vital, pour moi… Oui, on peut presque dire que c’est une question de vie ou de mort… Et puis j’avais tellement envie de revoir Brigitte…

Estelle se lève pour s’en aller. Antoine, lui, se marrerait plutôt. Il rattrape Estelle par le bras.

Antoine – Reste, Estelle… Ça fait dix ans qu’on ne s’est pas vus… Et puis ce n’est pas tous les jours qu’on passe la soirée avec la soeur cachée de Vanessa Paradis…

Estelle renonce à partir.

Nicolas – Alors comme ça, tu es vétérinaire…?

Brigitte – Eh, oui… (Ironique) Pas de chance…

Antoine – Bravo… Il paraît que pour devenir vétérinaire, c’est encore plus difficile que pour devenir médecin…

Brigitte – Oui… D’ailleurs je ne sais pas pourquoi, mais plus je connais les hommes, plus j’aime les animaux…

Nicolas – Moi qui pensais que tu n’avais même pas ton bac, toi non plus…

Brigitte – Je l’ai repassé l’année d’après. Et j’ai même décroché une mention…

Estelle – Et tu n’as pas d’enfant ?

Brigitte – Si, j’ai bien une fille. Mais celle-là, elle n’est pas née par l’opération du Saint-Esprit… Et rassure-toi, Antoine, elle n’a que cinq ans…

Nicolas – Cinq ans ? Mais il faut aller la chercher, alors ?

Les autres le regardent sans comprendre.

Nicolas – On ne peut pas laisser une petite fille de cinq ans toute seule à la terrasse d’un café…

Brigitte – Elle n’est pas au café, Nicolas, ne t’inquiète pas… Elle est avec son père. Son vrai père…

Silence à nouveau embarrassé.

Antoine (philosophe) – Vous vous rendez compte ? Si Marie était partie faire un petit tour à Londres en Eurostar, elle aussi, au lieu de raconter une histoire pareille à son mec… Ça aurait quand même changé pas mal de choses…

Brigitte – Eh oui… La loi sur l’IVG aurait été adoptée plus tôt…

Estelle – Et la chanson de Sheila n’aurait jamais été écrite… (Devant l’incompréhension des autres, fredonnant) Comme les rois mages…

Nicolas (largué) – C’est qui, Marie…? Elle était avec nous en terminale…

Estelle – Laisse tomber… Et dire que tu as passé toute ta scolarité dans une école catholique…

Un temps.

Antoine – Alors tu as cru qu’on était de mèche avec Nicolas ?

Brigitte – Oui, Antoine… J’ai voulu me venger… Je sais, ce n’est pas très charitable, pour quelqu’un comme moi, qui a reçu une éducation chrétienne, mais bon… Ça soulage… Même dix ans après…

Air penaud de Antoine et Estelle.

Estelle – Excuse-nous, Brigitte. Mais tu sais… On est un peu con, quand on a dix-sept ans…

Antoine – Il n’y a pas un poète, qui a dit quelque chose comme ça…?

Brigitte – Vous étiez des petits cons, c’est vrai… Essayez au moins de ne pas devenir des vieux cons…

Brigitte s’apprête à s’en aller.

Brigitte – La grosse truie à lunettes vous salue bien…

Antoine (presque déçu) – En tout cas, tu es une sacrée comédienne, hein ? On y a vraiment cru à tes histoires…

Brigitte lui lance un regard peu amène.

Antoine – Je veux dire, euh… Vanessa… Ensuite Antoinette…

Brigitte se détend un peu et se laisse aller à sourire.

Brigitte – Remarquez, Nicolas n’était pas mal non plus, avec sa maladie incurable… Ou alors, c’est vous qui êtes bon public…

Nicolas (timidement) – Et à propos pour ma pièce, euh…?

Brigitte – Elle est formidable, ta pièce. J’ai lu quelques passages… Je me suis marrée comme une baleine…

Nicolas – C’est supposé être une tragédie…

Brigitte – Bon, en tout cas, je suis d’accord pour la jouer. Si les deux autres sont partants…

Antoine et Estelle sont pris au dépourvu.

Antoine – Pourquoi pas… Hein, Estelle ? On avait envie de se remettre au théâtre, justement… Ce serait notre grand come-back…

Estelle n’a pas vraiment l’air emballée, mais ne dit rien.

Nicolas – Génial ! Et puis cette pièce, ce sera notre bébé à tous les quatre !

Estelle – Écoute, Brigitte… On te demande pardon, voilà, et…

Brigitte ne semble pas vraiment prête à pardonner.

Antoine – Tiens, on est même prêts à être les parrains et marraine de ta fille, si la place n’est pas déjà prise…

Brigitte – C’est bon, allez… Au bout de dix ans, il y a prescription…

L’atmosphère se détend.

Nicolas – Prenez des cacahuètes…

Brigitte en prend.

Antoine – Mais… quand tu as dis que je n’étais pas un bon coup, c’était aussi pour te venger, ou…?

Brigitte sourit, mais ne répond pas.

Nicolas – Alors tu ne m’en veux pas trop, à moi non plus ?

Elle se rapproche de lui.

Brigitte – Tu es le seul qui ait été sincère finalement… Mais il ne faut pas te laisser faire, Nicolas. Faut pas accepter d’être le faire-valoir de ces deux-là… Parce que tu les vaux bien…

Antoine (à Estelle, en aparté) – Ce n’est pas une pub, ça…?

Brigitte (poursuivant) – Il faut que tu aies un peu plus confiance en toi, Nicolas, c’est tout. Tu sais pourquoi tu es le seul du lycée avec qui je n’ai pas couché ?

Nicolas – Je ne suis pas sûr de vouloir le savoir…

Brigitte – Parce que tu étais le seul à être amoureux de moi, dans cette école de 300 garçons qui me sont presque tous passés dessus. Je ne voulais pas te décevoir…

Nicolas – Je ne suis pas sûr que ça me remonte vraiment le moral, hein… Je me sens comme un vieux spermatozoïde abandonné qui serait le seul à avoir raté sa cible…

Brigitte – Ne désespère pas, va… Je suis toujours sur le marché… Je suis divorcée… Et maintenant qu’Antoine est marié…

Antoine – Je ne suis pas encore marié, hein ?

Regard furibard de Estelle.

Nicolas prend le manuscrit de sa pièce à la main.

Nicolas – Et dire que j’avais écrit cette pièce rien que pour te rouler un patin à la fin… Pendant que ce petit salaud…

Antoine – Oh, ça va… Tu veux qu’on reparle de tes radios…?

Brigitte s’approche de Nicolas, comme pour lui parler de son manuscrit qu’il tient toujours à la main.

Brigitte – Écoute Nicolas, je crois que là… 120 pages… Et 10 ans de réécriture… Tu l’as bien mérité.

Elle lui roule un long méga-patin sous le regard ahuri des deux autres.

Un dernier métro passe avec un vacarme effroyable.

Brigitte met fin à l’étreinte, et laisse un Nicolas au bord de l’asphyxie.

Brigitte – Faudra quand même que tu vois un médecin. On dirait que tu as un peu de mal à respirer…

Sur ces mots, Nicolas s’effondre inanimé. Brigitte est surprise. Antoine et Estelle se marrent.

Antoine – Allez, arrête de faire le con, Nicolas…

Estelle s’approche et regarde le corps inanimé de Nicolas en se marrant aussi.

Estelle – En tout cas, il fait vachement bien le mort, hein… Quel talent !

Brigitte se penche sur Nicolas et l’ausculte rapidement, en lui prenant notamment le pouls.

Brigitte – Merde, il est en arrêt cardiaque…

Elle lui fait un massage cardiaque rapide, et se penche sur sa poitrine pour écouter son coeur.

Brigitte – Ça repart, mais il est dans le coma…

Antoine et Estelle commencent à rire jaune, se demandant si c’est du lard ou du cochon.

Estelle – Allez, c’est bon, maintenant… Vous êtes lourds, là…

Brigitte, toujours penchée sur le corps.

Brigitte – Vous savez s’il est allergique à quelque chose ?

Antoine et Estelle réfléchissent.

Antoine – Il nous a dit qu’il était allergique à la pénicilline…

Estelle – Et à l’arachide…

Antoine – Les cacahuètes !

Estelle – Il n’en a pas mangé…

Brigitte – Mais moi si ! Parfois, une goutte d’huile d’arachide suffit à provoquer un choc allergique… Et comme je l’ai embrassé tout de suite après…

Antoine (sidéré) – T’as mis la langue ?

Brigitte, affairée sur le corps, ne répond pas.

Estelle – Le baiser qui tue… J’y crois pas…

Brigitte – Il faut l’emmener d’urgence à l’hôpital…

Elle sort son portable et compose un numéro.

Brigitte – Allô, les pompiers ? Docteur Paradis à l’appareil… Vous pouvez nous envoyer une ambulance au (elle hésite un instant)… 337 rue de Belleville (ou l’adresse du théâtre où se joue la pièce)…

Antoine – Oh, putain ! Lui qui voulait mourir sur scène…

Brigitte – C’est ça… Choc allergique à l’arachide… On vous attend au pied de l’immeuble, ça ira plus vite… Ok…

Brigitte range son portable et examine une dernière fois Nicolas.

Estelle – Je crois que pour notre grand Come Back, c’est râpé…

Brigitte – Allez, prenez-le par les pieds, il faut le descendre jusqu’en bas…

Les deux autres rechignent devant l’ampleur de la tâche.

Estelle – Septième sans ascenseur ! Il avait raison, c’est une tragédie…

Ils essaient avec difficulté de soulever le corps.

Antoine – Oh, nom de dieu, il pèse comme un âne mort…

Estelle (pris d’un dernier doute) – Euh… Vous êtes pas encore en train de nous monter une baraque, là…

On entend au loin une sirène de pompier qui se rapproche.

Ils sortent vers le couloir. Pendant le reste de la scène, une partie du dialogue peut être off depuis les coulisses.

Brigitte – Qu’est-ce qu’il fout là, cet iguane ?

Estelle – Merde, j’ai dû oublier de fermer la porte de la salle de bain en sortant…

Le bruit de sirène atteint son paroxysme, avant de s’arrêter brusquement.

Antoine – Il a l’air de revenir à lui…

Estelle – Mais il est dans le cirage.

Brigitte – On va voir ça… Quel est le nom du président de la République, Nicolas ?

Antoine – Il vaudrait mieux éviter de le traumatiser dès son réveil, non…?

Nicolas ne répond pas.

Brigitte – Tu es où, Nicolas ? Regarde-moi bien dans les yeux, et réponds ! T’es où ?

Nicolas – Au théâtre ?

Estelle – Vous voyez bien, il délire.

Lumière sur la scène vide.

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-12-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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Vendredi 13

Friday the 13th – 13 y Martes – Sexta feira 13 –  Venerdi 13 – Freitag, der 13. – Pátek 13.Vrijdag de 13e – Петък 13  –  تحميل مجاني –  Petak 13.– Пятница 13-е – Jumat Tanggal 13 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

3 ou 4 personnages : 3F, 1H/2F, 2H/1F, 3H ou 4F, 1H/3F, 2H/2F, 3H/1F, 4H

Quand on apprend au cours de la même soirée que son meilleur ami s’est crashé en avion et qu’on a soi-même gagné au loto, comment cacher sa joie devant la veuve potentielle ?

Jérôme et Christelle ont invité à dîner un couple d’amis. Mais Madame arrive seule, effondrée. Elle vient d’apprendre que l’avion qui ramenait son mari à Paris s’est crashé en mer. Suspendu aux nouvelles avec la veuve potentielle pour savoir si son mari fait partie ou non des survivants, le couple apprend qu’il vient de gagner au super tirage du loto de ce vendredi 13. Le mot d’ordre est dès lors « cache ta joie »… Nombreux rebondissements à prévoir au cours de cette soirée mouvementée…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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VENDREDI 13 ADAPTATION QUÉBÉCOISE

 


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OFF BROAWAY ! OFF AVIGNON !

CAPTATION VIDÉO INTÉGRALE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


BANDE ANNONCE

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ayant déjà fait l’objet de plusieurs centaines de montages professionnels ou amateurs, en France et à l’étranger, en français ou en espagnol, Vendredi 13 a notamment été représenté à Paris (Théâtre Montmartre Galabru, Guichet Montparnasse, Blancs Manteaux, Theo Théâtre, Théâtre Le Bout), à Lyon (Nombril du Monde), à Avignon (Théâtre des Vents), à Nice (Théâtre de l’Alphabet), à New York (Producers Club Theater de Broadway), à Los Angeles (Teatro Frida Kahlo)…

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Le mot de l’auteur sur la pièce

Vendredi 13, ça porte bonheur ou ça porte malheur ? Personne ne s’est encore vraiment mis d’accord là dessus. Alors pourquoi pas les deux en même temps ? Pour écrire cette comédie de situation contemporaine, j’ai décidé de faire cohabiter lors d’une même soirée entre amis le bonheur des uns (le gain de la super cagnotte du loto) et le malheur des autres (la disparition probable d’un être cher). Comment à partir de là un couple de multimillionnaires en puissance parviendra-t-il à cacher sa joie devant la veuve potentielle dont ils sont supposés, au nom de l’amitié, partager la peine ? Le meilleur comique résulte souvent du conflit entre le drame et la comédie. Et il n’y a pas de pire fou-rire que celui qui vous prend lors d’un enterrement…

Cette pièce, à ce jour mon plus grand succès, est une comédie de situation basée, comme toute bonne histoire, sur un conflit majeur. Comment dans une même soirée gérer à la fois le plus grand des malheurs qui puisse arriver à un ami, et le plus grand des bonheurs qui puisse vous arriver à vous-même ? Qu’est-ce qui au final l’emportera ? La compassion pour l’autre ou le pure égoïsme ? Cette comédie, comme beaucoup d’autres de mon répertoire, s’amuse de l’hypocrisie sociale. Le supposé souci des autres constitutif des bonnes manières peut-il résister à la perspective de l’enrichissement personnel ? Comme souvent aussi dans mes comédies, l’avidité, cependant, ne sera pas récompensée, et les héros déçus de cette tragicomédie auront peut-être tiré à la fin une certaine leçon de cette expérience… Tout humoriste est aussi un moraliste ! S’il semble afficher un certain cynisme, c’est d’abord parce qu’il regrette que le monde ne soit pas davantage gouverné par des valeurs humanistes.


TEXTE INTÉGRAL VERSION 1H/2F À LIRE OU IMPRIMER

Vendredi 13

Personnages

Jérôme – Christelle – Nathalie – Patrick (optionnel)

 La salle de séjour d’un appartement bobo affichant encore quelques signes de sa splendeur passée. Une peinture avant-gardiste est posée par terre contre le mur du fond. Le reste est déjà dans les cartons. Dans un coin, un sapin de Noël enguirlandé. Personne sur scène. Le téléphone sonne, et on entend le message d’accueil :

Jérôme (voix off) – Bonjour ! Vous êtes bien chez Jérôme et Christelle. Nous sommes momentanément retenus à la Brigade Financière pour une affaire de fraude fiscale, mais vous pouvez nous laisser un message après le bip sonore. Nous vous rappellerons dès la fin de notre garde à vue. Parlez, c’est à vous…

On entend le bip sonore, suivi du message laissé sur le répondeur :

Patrick (voix off) – Ouais, salut, c’est Patrick. Ça va ? Je suis con, tu ne peux pas me répondre… Bon, c’est toujours d’accord pour ce soir, mais…

Entre Jérôme, un sac Leader Price dans une main, un sac Ed dans l’autre, et une baguette sous un bras. Encombré, il ne prend pas la peine de décrocher et se contente d’écouter la suite du message :

Patrick (voix off) – … on arrivera plutôt vers 20H30. Mon avion atterrit à Beauvais. Le temps de sauter dans un bus, de déposer ma valise à la maison, et de repartir en bagnole avec Nathalie… Ah, au fait, merci pour la valise. J’en profiterai pour vous la ramener. Bon ben, à toute ! Et ne vous cassez pas trop la tête, hein ? C’est un dîner entre amis…

Jérôme va poser ses sacs à la cuisine et revient un cubitainer de vin de pays bas de gamme à la main. Il enlève son imper, et sort une carafe à vin d’un placard. Il débouche le cubitainer, place un entonnoir sur le goulot de la carafe, et la remplit. Christelle arrive.

Christelle – Salut ! Ça va ?

Jérôme – Patrick a appelé, ils arriveront un peu en retard.

Christelle – Tant mieux, parce qu’on n’est pas trop en avance…

Elle retire son manteau.

Christelle – On se gèle, non ? Il fait encore plus froid que dehors…

Jérôme – J’ai arrêté le chauffage. On est supposé faire des économies, non ?

Christelle remarque enfin ce qu’il est en train de faire.

Christelle (étonnée) – Qu’est-ce que tu fais ?

Jérôme – Ben tu vois, je mets le vin en carafe. Faut que ça respire un peu, le vin, avant de le boire. C’est meilleur, il paraît.

Christelle – Ce n’était peut-être pas la peine d’investir dans un grand millésime… Parce qu’à choisir, je préférerais qu’on économise sur le vin que sur le chauffage…

Jérôme – C’est un vin de pays. Ne me demande pas de quel pays. Pas de la Communauté Européenne, en tout cas. Un euro vingt-quatre le litre chez Leader Price. Une promo pour les Fêtes de Noël…

Christelle – Alors pourquoi tu le mets en carafe ?

Jérôme (ironique) – C’est le sommelier de chez Leader Price qui m’a conseillé de faire ça. Pour que ce précieux nectar exhale toutes ses nuances de fruits rouges et de vanille. Avec quand même un léger arrière-goût de raisin… (Redevenant sérieux) À ton avis ? Tu préfères qu’on mette directement le cubitainer sur la table ?

Christelle – Ah, d’accord…

Jérôme – Et puis ça ne peut pas lui faire de mal non plus, à cette piquette, de s’oxygéner. Le vin de pays, c’est comme l’eau du robinet. Il vaut mieux que ça décante un peu avant de le boire. Que les gaz toxiques aient le temps de s’évaporer, et les métaux lourds de se déposer au fond…

Christelle – Tu t’es occupé des courses ?

Jérôme – J’ai pris une tourte aux artichauts chez Picard Surgelés, il y aura juste à la faire décongeler.

Christelle – Une tourte aux artichauts ?

Jérôme – C’était en promo aussi… Avec une salade…

Christelle – Bon, je vais préparer l’apéritif.

Christelle commence à sortir des verres.

Christelle – Tu es passé à l’ANPE ?

Jérôme – Ouais…

Christelle – Alors ?

Jérôme – Ils m’ont proposé un stage…

Christelle – Un stage…?

Jérôme – Chez un restaurateur.

Christelle – Ah, tu vois. La baisse de la TVA, ça a quand même des effets positifs sur l’emploi…

Jérôme – Un restaurateur de tableaux…

Christelle – Mais… tu as un diplôme d’ingénieur en informatique !

Jérôme – Il paraît qu’il faut être polyvalent, maintenant…

Christelle – Quand même. Avant d’être licencié, tu étais cadre. Qu’est-ce que tu vas bien pouvoir encadrer chez un restaurateur de tableaux ?

Jérôme – Des tableaux…

Christelle – Et tu y es allé.

Jérôme (parlant du tableau posé contre le mur du fond) – J’en ai profité pour faire évaluer notre toile…

Christelle – Ah, oui… Cette croûte que tu as acheté une fortune il y a dix ans à ton copain des Beaux-Arts…

Jérôme – C’était juste après sa première tentative de suicide… C’était pour le dépanner. Et puis je me suis dit que ça ne pouvait que prendre de la valeur…

Christelle – Si ça pouvait au moins nous permettre de payer le chauffage… Et alors, il te l’a estimé à combien, ce chef d’œuvre, ton restaurateur ?

Jérôme – Une bonne centaine d’euros…

Christelle – Tu l’as acheté 1500 !

Jérôme – Non, mais tu as vu comment la cote de Van Gogh a explosé juste après sa mort ?

Christelle – Il n’y a plus qu’à espérer que ton génie de la peinture réussisse son suicide avant que nous on soit mort de froid… (Soupirant) On ne peut même pas rêver que le cadre prenne de la valeur, il n’y en a pas…

Jérôme – C’est ça le problème, avec la peinture moderne…

Christelle – J’espère au moins que Patrick va nous rembourser les 1000 euros que tu lui as généreusement prêtés. Ça nous permettrait de payer le garde-meuble en attendant le logement social que nous a promis ton cousin du PS à la mairie… Tu lui en as parlé, au fait ?

Jérôme – De notre logement ?

Christelle – De nos 1000 euros ! À Patrick !

Jérôme – Je me demande si c’est vraiment le moment… Ce n’est pas facile pour lui non plus en ce moment. Tu sais que France Télécom vient de le délocaliser dans un centre d’appel à Mulhouse ? Tu te rends compte ? À Mulhouse ! Il était Directeur des Ressources Humaines à La Défense… Et ce n’est pas Nathalie, avec son salaire d’instit à mi-temps…

Christelle – Et moi ? Tu sais, en ce moment, conseillère financière chez Natexis, ce n’est pas vraiment un emploi stable… Aller expliquer aux clients comment bien placer leurs économies quand on travaille dans une banque au bord de la faillite à cause de ses placements hasardeux…

Jérôme – Ok, je lui en parlerai ce soir…

Le téléphone sonne.

Christelle – Ah, ça doit être eux… (Elle décroche le combiné) Allo…? Oui, bonsoir Nathalie, ça va ? Ah, d’accord… Non, non, pas de problème, Nathalie… Ok, on t’attend… À tout de suite, Nathalie… (Elle raccroche le combiné) C’était Nathalie…

Jérôme – Oui, je ne sais pas pourquoi, mais dès que tu as décroché et tu as dit : Bonsoir Nathalie, je me suis tout de suite douté que c’était elle…

Christelle – L’avion de Patrick a du retard, alors elle arrive toute seule en voiture…

Jérôme – Et lui ?

Christelle – Elle lui a laissé un message sur sa boîte vocale pour qu’il nous rejoigne directement ici. Je crois qu’on prendra l’apéro sans lui…

Jérôme – Quelle idée, aussi, de prendre l’avion pour revenir de Mulhouse…

Christelle – Oui… Surtout que ça le fait atterrir à Beauvais. Mais bon, maintenant, avec les low cost, un aller-retour Mulhouse, c’est moins cher qu’un ticket de métro…

Jérôme s’approche d’elle et la prend dans ses bras.

Jérôme – Allez, on va s’en sortir.

Christelle – Bien sûr… Et puis tant qu’on est tous les deux, il ne peut rien nous arriver de grave, non ?

Jérôme – Je préfère boire du vin de pays avec toi, que de déguster de la Veuve Clicquot avec n’importe qui d’autre.

Christelle – La chance va tourner, je le sens. C’est bientôt Noël. Et puis c’est vendredi 13, aujourd’hui, non ?

Jérôme – On va peut-être gagner au loto.

Christelle – On ne joue pas…

Jérôme – J’ai pris un billet au tabac, quand on est allé voir ta mère à Cabourg… J’ai joué mon numéro d’immatriculation aux ASSEDIC…

Christelle – Je me sens tout de suite plus rassurée…

Ils s’embrassent.

Jérôme – Et Nathalie ? Elle est sur la route ?

Christelle – Ça fait un quart d’heure qu’elle tourne en bas pour essayer de trouver une place…

Jérôme – C’est sûr qu’avec une Smart, ce n’est pas très facile de se garer, mais bon… Si elle apprenait à faire les créneaux, ça pourrait l’aider un peu, non…?

Christelle commence à sortir les bouteilles. La sonnette de l’entrée retentit.

Christelle – Tu vois, tu es médisant… Tu vas ouvrir…?

Jérôme va ouvrir.

Jérôme – Salut Nathalie ! Ben qu’est-ce qui t’arrive, tu es toute blanche ? On dirait que tu viens de voir un mort…

Nathalie arrive avec Jérôme. Elle tient une bouteille de champagne à la main et elle a l’air en effet effondrée.

Nathalie (en larmes) – Tu ne crois pas si bien dire…

Christelle approche, affolée.

Christelle – Mais qu’est-ce qui se passe, Nathalie ?

Nathalie – Je m’apprêtais à couper l’autoradio, et à sortir de la voiture… C’était l’heure des informations… (Un temps) L’avion de Patrick s’est crashé en mer…

Jérôme – En mer ?

Christelle – Tu es sûre que c’est son avion ?

Jérôme – Il venait de Mulhouse…

Nathalie – C’était un low cost, avec une correspondance à Londres. Ils ont donné le numéro de vol et le nom de la compagnie. Il n’y a aucun doute. L’avion a disparu au dessus de La Manche…

Nathalie éclate en sanglots. Jérôme et Christelle échangent un regard désemparé, ne sachant pas quoi dire.

Christelle – Écoute, ils vont peut-être le retrouver…

Jérôme – La Manche, ce n’est pas bien grand…

Christelle – Le pilote a peut-être réussi à poser l’avion sur l’eau…

Jérôme – Entre deux pétroliers…

Christelle – Ça s’est déjà vu…

Jérôme – Pas très souvent, mais ça s’est vu…

Nathalie (faiblement) – Vous croyez…?

Christelle – Qu’est-ce qu’ils ont dit, à la radio ? Ils ont dit qu’il n’y avait pas de survivants ?

Nathalie – Ils ne savent pas encore…

Christelle – Eh ben tu vois !

Jérôme – Et puis l’avion, ça reste quand même le moyen de transport le plus sûr au monde ! D’après les statistiques, quand tu prends l’avion, tu n’as qu’une chance sur un million d’y rester. À peu près autant de chances que de gagner au loto, alors tu vois…

Christelle lui lance un regard consterné.

Nathalie (effondrée) – Et il a fallu que ça tombe sur Patrick… Je lui avais dit de ne pas prendre l’avion un vendredi 13…

Jérôme – Bon, en tout cas, c’est que La Manche… Ils retrouveront au moins les boîtes noires…

Nathalie craque à nouveau.

Nathalie – Oh, mon Dieu, mais qu’est-ce que je vais devenir sans lui ? Avec les deux enfants, et le crédit sur la maison…

Jérôme et Christelle échangent un regard impuissant, ne sachant pas trop quoi faire.

Nathalie (pathétique) – Et dire qu’on vous devait encore 1000 euros…

Christelle – Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas le problème !

Nathalie tend à Jérôme sa bouteille de champagne.

Nathalie – Tenez, je vous avais apporté une bouteille de champagne, pour vous remercier. Si j’avais su…

Jérôme – Veuve Clicquot… Et ben, tu ne t’es pas foutue de nous…

Nathalie – C’est un cauchemar… Dites-moi que ce n’est pas vrai !

Jérôme (pris d’un doute) – Ce n’est pas une blague, au moins ?

Christelle lui lance un regard incendiaire.

Christelle – Allez, viens, assieds-toi. On va mettre la télé pour avoir des nouvelles, d’accord ?

Christelle allume la télé. C’est l’heure de la page publicitaire.

Commentateur (voix off) – Vous savez la différence entre ces deux cercueils ? Le prix ! Leclerc, parce que la vie est déjà assez chère…

Christelle change de chaîne précipitamment.

Commentateur (voix off) – Lion, ce n’est vraiment pas votre jour de chance…

Nathalie – Je suis Lion…

Commentateur (voix off) – Évitez les voyages…

Christelle – Mais ce n’est pas toi qui étais dans l’avion…

Commentateur (voix off) – Et si vous ne pouvez pas faire autrement, préférez le train à l’avion…

Nathalie – Patrick est lion aussi…

Christelle – On va mettre la radio, plutôt…

Commentateur (voix off) – … 60 millions d’euros. C’est le montant qu’empochera le gagnant de la super cagnotte du loto en ce vendredi 13. Le tirage dans un instant…

Christelle change de station.

Commentateur (voix off) – On est toujours sans nouvelle du vol 32 bis de la Compagnie Travel Discount Airways en provenance de Mulhouse et à destination de Beauvais via Bruxelles et Londres…

Nathalie – Vous voyez, c’est bien lui…

Commentateur (voix off) – Le pilote aurait émis un signal de détresse juste avant que l’avion ne disparaisse des écrans radar. Nous vous tiendrons bien sûr informés dès que des informations plus précises nous parviendront…

Christelle éteint la radio.

Christelle – Il faut attendre… Il n’y a rien d’autre à faire pour l’instant… Je vais te servir un verre, ça va te remonter le moral.

Jérôme – On ne va quand même pas déboucher le champagne…

Nathalie (apercevant la carafe) – Je vais prendre un verre de vin. Puisqu’il est déjà ouvert…

Christelle – Tu es sûre que tu ne préfères pas autre chose ?

Nathalie – Ça ira, je t’assure…

Jérôme sert un verre de vin et le tend à Nathalie, qui le vide d’un trait. Sous le regard des deux autres un peu inquiets.

Nathalie (à Jérôme) – Tu vois, avec ce qui m’arrive, je n’ai plus le goût à rien… Je n’arrive même plus à apprécier un grand vin…

Jérôme – Ouais…

Nathalie (soudain paniquée) – Oh mon Dieu, ma mère !

Christelle – Elle était dans l’avion, elle aussi ?

Nathalie – Les enfants sont chez elle. S’ils regardent la télé…

Nathalie se précipite sur son portable et compose en hâte un numéro.

Nathalie – Allo, maman ? Oui, je sais, je suis au courant… Les enfants ne sont pas devant la télé, au moins ? Ils sont couchés ? (Soupir de soulagement) Bon, je n’ai vraiment pas envie d’en parler maintenant… Je te rappelle, d’accord… Écoute, garde tes condoléances pour plus tard… Il n’est pas encore mort, non…? Oui, c’est probable, mais ce n’est pas encore sûr, alors si tu permets… Tu l’as toujours détesté, de toute façon… Combien de fois tu m’as répété que ce n’était pas un homme pour moi… Que j’aurais pu trouver mieux… Et puis merde !

Nathalie raccroche, furieuse. Jérôme et Christelle la regardent avec un air un peu gêné et compatissant.

Nathalie – Elle n’a jamais pu supporter Patrick… Je suis sûre qu’au fond, elle est contente…

Christelle – Allez, ne dis pas ça…

Nathalie – Le jour de notre mariage, elle a prétexté que mon père était malade pour ne pas assister à la cérémonie…

Jérôme – Mais ton père était vraiment malade, non ? Il est mort quelques mois après…

Nathalie – Oui, le jour de la naissance de Maxime… Exprès pour m’emmerder…

Christelle – Tu veux que j’aille te chercher un calmant ?

Nathalie – Je suis désolée de vous embêter avec ça… Je ne vais pas vous gâcher la soirée. (Elle se lève pour partir) Je vais m’en aller, ça vaudra mieux…

Christelle – Mais enfin, Nathalie ! On est amis, non ? À quoi ça sert d’avoir des amis si on ne peut pas se reposer sur eux dans des moments comme ça ?

Nathalie (se rasseyant) – Je savais que je pouvais compter sur vous… Et puis j’avoue que je n’ai pas très envie de me retrouver toute seule à la maison, devant le sapin, pendue à la radio en attendant le verdict…

Jérôme – On devrait peut-être écouter s’il y a du nouveau…

Nathalie – Je me demande si j’ai envie de savoir… (Un temps) Vas-y, allume-la…

Christelle – Ok.

Christelle rallume la radio.

Commentateur (voix off) – … Les avions qui survolent la zone ont repéré une grande tache d’hydrocarbure à la surface de l’eau. Mais on ignore encore si elle provient de l’avion de la compagnie Pas Trop Cher Travel Discount Airways qui, je vous le rappelle, s’est abîmé dans la Manche il y a une heure à peine. Nous attendons une liaison avec notre envoyé spécial, présent à bord de l’un des hélicoptères de secours… En attendant, sans transition, les résultats du loto…

Nathalie – Une flaque de kérosène… Ça veut bien dire que l’avion s’est crashé… Comment voulez-vous qu’il puisse y avoir des survivants…?

Jérôme et Christelle ne savent pas trop quoi dire pour lui remonter le moral.

Commentateur (voix off) – … Le numéro qu’il fallait jouer est donc le 1 5 2 7 9 6 et le numéro complémentaire le 10…

Jérôme semble se figer.

Christelle – Si le pilote a réussi à poser son avion sur l’eau, certains passagers ont pu sortir avant que l’appareil coule au fond…

Commentateur (voix off) – L’heureux gagnant empochera donc la coquette somme de 60 millions d’euros. De quoi envisager l’avenir avec…

Christelle éteint la radio.

Jérôme – C’est…

Nathalie – Quoi ?

Jérôme – Non, non, rien…

Christelle – Tu as déjà pris l’avion. Rappelle-toi. Ce que racontent les hôtesses de l’air avant le décollage. Les masques à oxygène qui tombent automatiquement, les gilets de sauvetages sous les sièges, les sorties de secours à chaque extrémité de l’appareil, les toboggans d’évacuation, tout ça… Il y a quand même des procédures en cas de danger… Tout est prévu…

Jérôme sort plus ou moins discrètement de sa poche une carte ASSEDIC et la regarde.

Nathalie – Les hôtesses de l’air… Tu parles… Ça pour les regarder, Patrick les regarde… Quant à écouter ce qu’elles racontent… Tu sais comment sont les hommes…

Jérôme (à Christelle qui ne l’écoute pas) – Oh, putain !

Nathalie – Tiens, Jérôme, par exemple. Tu sais ce qu’elles racontent, toi ?

Jérôme est pris au dépourvu.

Jérôme – Quoi ? Qui ?

Nathalie (à Christelle) – Tu vois… Qu’est-ce que je disais…

Christelle (à Jérôme) – L’hôtesse de l’air, qu’est-ce qu’elle dit, avant le décollage ? En cas de… dépressurisation de l’appareil.

Jérôme (pétant les plombs) – Le… Les parachutes sous les sièges, le tuba qui tombe du plafond, les palmes dans la boîte à gants, tout ça ?

Christelle lance un regard de reproche à Jérôme.

Christelle (à Nathalie) – Et personne ne t’a appelée ?

Nathalie – Patrick est sûrement déjà au fond de La Manche. Comment veux-tu qu’il m’appelle ?

Complètement ailleurs, Jérôme a rallumé la télé.

Commentateur (off) – Je vous rappelle que le numéro gagnant de ce super tirage du vendredi 13 est le 1 5 2 7 9 6. Numéro complémentaire le 10. Pour un montant de 60 millions d’euros…

Jérôme examine à nouveau sa carte ASSEDIC.

Jérôme – Oh, putain…

Christelle éteint la télé.

Christelle – Non, je veux dire… Il y a sûrement une cellule psychologique… Dans ces cas là, ils mettent toujours en place une cellule psychologique… Pour prévenir les proches… Les soutenir… Tout ça…

Jérôme (à Christelle) – Je peux te dire un mot ?

Christelle – Quoi ?

Jérôme – En particulier…

Le portable de Nathalie se met à sonner.

Christelle – Tu vois, ça doit être eux…

Nathalie – Je ne suis pas sûre de vouloir savoir…

Le téléphone continue à sonner.

Christelle – Tu veux que je décroche à ta place ?

Nathalie – Oh, oui, s’il te plaît…

Christelle prend la communication.

Christelle – Allo… Oui… Non… Ah, d’accord… Ah, bon… Non, non… Si, si, on est très contents, bien sûr. Ok, merci…

Christelle repose le téléphone.

Nathalie – Alors ?

Christelle (dans un état second) – C’était ton gynéco… Au sujet de ton analyse de sang…

Nathalie – Et alors ?

Christelle – Ben… Tu es vraiment enceinte…

Nathalie (effondrée) – Oh, mon Dieu…

Christelle – Je te sers un autre verre de vin ?

Nathalie – Oui, merci…

Christelle remplit à nouveau le verre de Nathalie.

Jérôme (à Christelle) – Euh… Il faut absolument que je te dise quelque chose…

Christelle (à Jérôme) – Tu crois vraiment que c’est le moment ?

Jérôme – C’est très important, je t’assure…

Le regard de Nathalie tombe sur le tableau.

Nathalie – Il est vraiment bizarre, ce tableau, vous ne trouvez pas…?

Christelle – Euh… Si, un peu, oui…

Christelle lui donne le verre.

Nathalie – Le type qui a peint ça devait être sacrément dépressif. (À Jérôme) C’est un ami à toi ?

Jérôme – Oui, enfin… C’est un hongrois, je crois.

Nathalie – Ah, oui, ça se voit. (À Jérôme) Il s’est suicidé ?

Christelle – Pas encore, malheureusement…

Nathalie vide son verre d’un trait.

Nathalie (à Christelle) – Tiens, sers m’en un autre…

Christelle – Tu ne devrais peut-être pas trop boire quand même. Dans ton état…

Jérôme (ne sachant pas quoi dire) – Alors comme ça, vous attendez un heureux événement ?

Christelle le fusille du regard.

Jérôme (à Christelle) – Il faut vraiment que je te parle…

Nathalie – Tu as raison, j’ai la tête qui tourne. Je vais aller prendre un peu l’air sur le balcon.

Christelle – Tu veux que je vienne avec toi ?

Nathalie – Merci. J’ai besoin d’être un peu seule…

Christelle – Ok.

Nathalie sort sur le balcon. Jérôme attend impatiemment qu’elle ait disparu.

Jérôme – Tu ne devineras jamais ce qui nous arrive…!

Christelle (ailleurs) – Enceinte… Tu te rends compte ?

Jérôme – Tu es enceinte ? Mais c’est merveilleux ! Tu vois, il y a encore un quart d’heure, j’aurais pris ça comme une catastrophe naturelle. Mais là, je prends tout du bon côté. Et tu sais pourquoi ?

Christelle – Mais ce n’est pas moi qui suis enceinte !

Jérôme – Ah oui, c’est vrai. Autant pour moi…

Christelle – C’est pourtant vrai que vous n’écoutez rien quand on vous parle…

Jérôme – Qui est enceinte, alors ?

Christelle – Nathalie ! Tu te rends compte ? Dans la même journée, elle apprend que son mari a disparu dans un crash aérien, et qu’elle attend un enfant de lui…

Jérôme – Comment tu sais qu’il est de lui ?

Christelle (estomaquée) – Je ne sais pas… L’intuition féminine…? Comme les deux premiers sont de lui, et que Patrick est son mari, c’est le premier nom qui m’est venu à l’esprit. C’est con, hein ?

Jérôme – Bon, de toute façon, ce n’est pas la question… Tu sais quoi ?

Christelle – Quoi ?

Jérôme – On a gagné !

Christelle (regardant vers le balcon) – Oh, mon Dieu !

Jérôme – Ça fait un choc, hein ?

Christelle – Nathalie ! Elle est en train d’enjamber le balcon !

Jérôme se retourne et voit la scène.

Jérôme – Oh, putain ! Elle va nous faire chier longtemps celle-là… Qu’elle saute et qu’on n’en parle plus. On est au premier étage, de toute façon. Elle ne se ferait pas bien mal…

Sans l’écouter, Christelle s’approche de la fenêtre.

Christelle – Je t’en prie, Nathalie ! Ne fais pas ça ! Pense à tes enfants ! C’est Noël, quand même…

Nathalie – Promets-moi que si je saute, tu t’en occuperas. Tu ne les laisseras pas partir à la DASS, hein ?

Christelle – Oui, je te le promets…

Jérôme – Il ne manquait plus que ça…

Christelle – Je veux dire non, ne saute pas ! (À Jérôme) Dis quelque chose, toi !

Jérôme – Pour les enfants, il y a ta mère, non ?

Nathalie – Je préfère encore qu’ils aillent à la DASS.

Christelle – Il faudrait peut-être appeler les pompiers…

Jérôme – C’est bon, il n’y a pas le feu. Je vais la faire descendre de là…

Nathalie – N’approchez pas, ou je saute.

Christelle – Qu’est-ce qu’on fait ?

Jérôme – Attends je reviens…

Christelle – Ne me laisse pas toute seule !

Jérôme disparaît dans le couloir.

Nathalie (pathétique) – Moi aussi, je vais me crasher en bas. Comme un avion sans aile. Je vais aller rejoindre mon Patrick…

Christelle – Tu crois vraiment que c’est ce qu’il voudrait ? Je veux dire, il préférerait sûrement que tu restes en vie pour t’occuper de vos enfants. Et puis imagine qu’il ne soit pas vraiment mort. Il sonne à la porte, et il te trouve écrasée en bas du balcon.

Ce n’est pas la porte qui sonne, mais le portable de Nathalie.

Christelle – Ah, tu vois ? Si ça se trouve, c’est lui… Ben vas-y, décroche…

Nathalie (hésitante) – Oui…?

Christelle (en direction de l’endroit où a disparu Jérôme) – J’espère que ce n’est pas encore sa gynéco. Pour lui annoncer que finalement, c’est des jumeaux…

Nathalie – Oui, je vous écoute… Vous êtes sûrs ? D’accord. Non, non, ne vous inquiétez pas. Ok, merci, je reste à côté du téléphone…

Christelle – Qu’est-ce qui se passe ?

Nathalie – C’était eux… La cellule de soutien psychologique…

Christelle – Et alors ?

Nathalie – Ils ont retrouvé des survivants… Patrick pourrait se trouver parmi eux…

Christelle – Mais c’est génial ! Tu vois ? Imagine que tu aies sauté, dans un moment de désespoir…

Jérôme revient.

Jérôme – Oui, elle se serait au moins foulé la cheville…

Christelle – Allez, descends de là… (À Jérôme) La cellule d’urgence vient de l’appeler. Ils ont retrouvé des survivants…

Jérôme – Je sais…

Christelle – Tu as entendu ?

Jérôme – C’est moi qui l’ai appelée.

Christelle – Quoi ?

Jérôme – Fallait bien trouver un moyen de la faire descendre de là…

Nathalie revient dans la pièce.

Nathalie – Tu as raison… Il faut que j’y croies. Je sens que Patrick est encore vivant. Je le sais…

Christelle lance un regard incendiaire à Jérôme.

Christelle – Ne t’emballe pas trop vite quand même… Et puis comment ils savent que Patrick pourrait être parmi les survivants ?

Nathalie – Ils ont localisé un type accroché à une valise. Et qui hurle : Nathalie, Nathalie…

Christelle fusille à nouveau Jérôme du regard.

Nathalie – Comment ils savent que je m’appelle Nathalie ?

Christelle – Oui, je me le demande…

Jérôme – Bon, je ferme la fenêtre, hein ? Et tu ne la laisses plus approcher de là, d’accord ?

Christelle – Et qu’est-ce qu’on va lui raconter si la vraie cellule d’urgence appelle ?

Jérôme – Il y avait sûrement plusieurs passagers à bord dont la femme s’appelle Nathalie. Sans parler de leurs maîtresses…

Nathalie – J’ai complètement oublié de prendre leur numéro… Je voulais leur demander si je pouvais venir sur place pour participer aux recherches. Je vais appuyer sur la touche « rappeler le dernier correspondant »…

Christelle (sur un ton définitif) – Si j’étais toi, je ne ferais pas ça…

Air étonné de Nathalie.

Christelle – Ils doivent être complètement débordés, tu sais. Dès qu’ils auront des nouvelles plus précises, ils te rappelleront…

Jérôme – Il faut vraiment que je te parle.

Christelle – Vas-y…

Jérôme – En privé…

Christelle – On ne peut pas la laisser toute seule. Imagine que la police appelle pour lui annoncer la mort de Patrick, et qu’elle enjambe encore le balcon ?

Jérôme – Allons sur le balcon !

Christelle – Tu me déçois, Jérôme… Tu me déçois beaucoup… Je te pensais plus proche de tes amis. On parle de Patrick, là ! Ton copain de lycée ! Et de Nathalie, ma meilleure amie ! Ils étaient témoins à notre mariage. On peut bien sacrifier une soirée pour la soutenir dans le malheur qui lui arrive !

Jérôme – On a gagné au loto.

Christelle – Combien ?

Jérôme – 60 millions.

Nathalie – Je prendrais bien un autre verre de vin, finalement. Avec toutes ces émotions…

Christelle (sèchement) – Bon ben tu sais où est la carafe, maintenant, non ! Ou tu préfères qu’on te ramène le cubitainer et une paille ?

Nathalie accuse le coup.

Nathalie – Bon, je crois que je vais vous laisser… Je vous ai assez embêtés comme ça.

Christelle se reprend.

Christelle – Excuse-moi. Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire. (Elle lui ressert un verre de vin) Mais on est tous un peu sur les nerfs, non ? Il faut que tu manges quelque chose, aussi, sinon tu vas être malade… (À Jérôme en aparté pendant que Nathalie vide son verre) Je crois que c’est le moment de lui refourguer ta tourte aux artichauts…

Jérôme sort un instant vers la cuisine.

Christelle – Nous aussi, on était très proches de lui. Alors évidemment, on est bouleversé par la mort de Patrick. (Se reprenant) Je veux dire par la perspective de sa disparition… En même temps, il faut savoir tourner la page, non ? On ne vit qu’une fois.

Jérôme revient avec une part de tourte et la passe à Christelle.

Christelle (tendant la part de tourte à Nathalie) – Il faut savoir profiter des bonnes choses de la vie…

Nathalie prend une bouchée de la tourte.

Nathalie – Ce n’est pas mauvais… Qu’est-ce que c’est ?

Christelle (hypocrite) – C’est Jérôme qui a fait la cuisine. C’est à quoi, déjà…?

Nathalie (la bouche pleine) – Oh, du moment que ce n’est pas de l’artichaut. C’est le seul truc auquel je suis allergique. Je ne sais même plus le goût que ça a, d’ailleurs. La seule fois où j’en ai mangé, c’était chez ma grand-mère en Bretagne. J’ai fini aux urgences…

Les deux autres échangent un regard consterné.

Nathalie – L’avantage, avec l’artichaut, c’est qu’on ne risque pas d’en manger sans s’en apercevoir…

Christelle arrache la part de tourte à Nathalie.

Christelle – Bon, ben tu veux peut-être passer au dessert…?

Nathalie, un peu prise de court, ne semble pas dans son assiette.

Nathalie – Je crois que je vais allez vomir… Tu vois, d’habitude, ça passe très bien. Surtout les bonnes choses comme ça… Ça doit être le stress…

Elle s’éloigne en direction de la salle de bain.

Nathalie partie, Christelle laisse éclater son excitation.

Christelle – Tu es sûr ?

Jérôme (montrant sa carte) – Mon numéro d’ASSEDIC ! Il est sorti ! Ils viennent de l’annoncer à la radio ! Tu n’as pas entendu ? 60 millions, tu te rends compte ? On peut s’acheter un Airbus, avec ça ! Enfin, d’occasion peut-être. Mais en bon état…

Christelle – Mais c’est complètement dingue !

Jérôme sert deux verres de vin et en tend un à Christelle pour trinquer.

Jérôme – Tiens, goûte une dernière fois au vin de pays de chez Leader Price, pour bien te souvenir à quoi ça ressemble. Parce que tu n’es pas prête d’en reboire…

Ils trinquent.

Christelle – C’est dingue… Ce n’est pas une blague, au moins ?

Jérôme – Moi aussi, j’ai du mal à y croire. Mais j’ai vérifié trois fois le numéro. Je te jure, c’est nous ! On a gagné ! La super cagnotte du vendredi 13 !

Nathalie revient.

Christelle – Tu ne devineras jamais ce qu’on vient d’apprendre !

Nathalie – Ils ont rappelé ? C’est bien lui ? Il est vivant ?

Jérôme (embarrassé) – Euh, non… Ils ne sont pas encore sûrs…

Christelle – Mais ils ont repéré une valise qui ressemble beaucoup à la sienne. Une valise Vuitton. Flottant à la surface…

Nathalie – Alors c’est quoi, la bonne nouvelle ?

Christelle – Ben… Ça… (Très excitée voire hystérique) On va pouvoir récupérer la valise !

Jérôme essaie de calmer Christelle d’un geste.

Jérôme – Excuse-la… C’est les nerfs…

Nathalie – Vous avez raison. Cette attente, c’est insupportable… Même s’il est encore vivant, rien que d’imaginer Patrick tout seul, accroché à sa valise, au milieu de La Manche, en plein hiver… Pendant que nous on est tranquillement au chaud ici… J’en ai le sang qui se glace dans les veines… (Un temps) Il ne fait pas très chaud non plus, chez vous, si ? Ou c’est moi…

Jérôme (avec un air entendu) – On va pouvoir remettre le chauffage, maintenant, hein, Christelle ? Je vais le mettre à fond…

Il sort un instant pour remettre la chaudière en route.

Nathalie – Combien de temps on peut tenir, à ton avis, dans les eaux glacées de La Manche, au mois de décembre ?

Christelle – Ça dépend… Il était plutôt du genre frileux, non ?

Nathalie – Oh, mon Dieu…

Jérôme revient.

Jérôme – J’ai mis le thermostat sur 25… (Avec un clin d’œil à Christelle) Comme ça, si on doit partir à l’improviste sous les tropiques, on évitera le choc thermique…

Nathalie – Vous partez en vacances…?

Jérôme – Non, enfin… Pourquoi pas ?

Nathalie – Si j’étais vous, j’éviterais l’avion…

Christelle – Oui, c’est peut-être plus prudent. La loi des séries… Et puis une bonne Thalasso au Sofitel de Quiberon, c’est pas mal non plus… Histoire de repartir d’un bon pied pour une nouvelle vie…

Nathalie – Vous avez bien raison de vouloir en profiter… Vous voyez à quoi ça tient, le destin ? On dîne tranquillement avec des amis un vendredi soir, et sans préavis, on se retrouve veuve…

Christelle – Eh, oui… (Hystérique) Ou multimillionnaire en euros !

Nathalie – Tu penses bien qu’on n’avait pas les moyens de se payer une assurance-vie… C’est bizarre, d’ailleurs, parce qu’il en parlait, justement, ces derniers temps… Pour pouvoir au moins payer les études des enfants, en cas de coup dur… Il devait sentir quelque chose… Un mauvais pressentiment…

Jérôme – Ouais… Ben nous, je peux te dire qu’on ne l’a pas vu venir… Ça nous tombe dessus, comme ça…

Christelle (à Nathalie) – Allez, le pire n’est jamais sûr…

Jérôme – Ça fait un choc… Faut gérer aussi…

Nathalie – Vous en avez une, vous ?

Christelle – Une quoi ?

Nathalie – Une assurance-vie ! Enfin, une assurance-décès…

Jérôme – On a mieux que ça, crois-moi.

Nathalie – Je te jure que s’il s’en sort, après ça, je verrai la vie différemment…

Christelle – Ah, nous aussi, je te promets.

Nathalie – Tous ces petits sacrifices qu’on s’impose tous les jours en se disant qu’on en profitera plus tard… Tu parles… On ferait mieux de vivre au jour le jour, oui… Sans penser au lendemain…

Jérôme – Tu as raison. Moi, demain, j’arrête de travailler.

Nathalie – Je croyais que tu étais au chômage…

Jérôme – Ouais, ben j’arrête de chercher du boulot.

Nathalie – Bon, en même temps, il faut bien gagner sa vie. Et en mettre un peu de côté. Parce que ce n’est pas avec les retraites qu’on aura… Oh, mon Dieu… Je sens que Patrick, lui, il ne va pas coûter cher à sa caisse de retraite…

Christelle – Allez, dis pas ça…

Nathalie – Comment je vais m’en sortir, moi, avec les deux petits…

Christelle – On est là, nous… Hein, Jérôme…? Si tu veux, on peut t’en prendre un, pour te décharger un peu !

Jérôme (pas très emballé) – Oui, enfin…

Nathalie – C’est gentil, mais… On vous doit déjà 1000 euros…

Christelle – Tiens, tu sais quoi ? On vous en fait cadeau, de ces 1000 euros. On n’est plus à ça près, non ? Hein, Jérôme ?

Jérôme – Ouais, ouais, non… Bien sûr… Vous pouvez les garder…

Nathalie (émue) – C’est vraiment un soutien, pour moi, de savoir que je peux compter sur des amis comme vous… Je sais ce que ça représente, 1000 euros, pour vous… Surtout, en ce moment. Avec Jérôme qui n’a pas de travail. Tu vois, si je demandais à ma banque de me les prêter, je ne suis pas sûre qu’elle le fasse. Avec tout le pognon qu’ils se font en spéculant sur notre dos… Et vous… qui n’avez même les moyens de mettre le chauffage en plein mois de décembre… Sauf quand il y a des invités… D’ailleurs, il fait un peu chaud, maintenant, non ? Vous ne trouvez pas ? Je ne voudrais pas que vous fassiez exploser votre facture de fioul pour moi…

Jérôme – Je vais aller baisser un peu…

Jérôme s’absente à nouveau quelques secondes.

Nathalie – Comment je vais annoncer ça aux enfants, moi…

Christelle – Pour l’instant, ils dorment, non ?

Nathalie – Mais ils vont bien se réveiller un jour…

Christelle – Écoute, je ne devrais peut-être pas te dire ça, mais je n’arrive pas à croire qu’il soit mort. Pas ce soir…

Nathalie – Pourquoi, pas ce soir ?

Christelle – Je ne sais pas, c’est… comme ce que tu disais tout à l’heure à propos de ton père. Qui est mort juste le jour de la naissance de ton fils. Exprès pour t’emmerder.

Nathalie – Tu crois que Patrick a décidé de se crasher en avion justement ce soir pour nous gâcher la soirée ?

Jérôme revient.

Christelle (préférant changer de sujet) – Si on remettait la télé, pour avoir confirmation… C’est l’heure des résultats du loto… Je veux dire, il y a les informations, juste après…

Le téléphone de Nathalie sonne, interrompant le mouvement de Christelle vers la télé. Nathalie, figée, hésite à répondre, mais finit par prendre son portable.

Nathalie – Oui…? Oui, elle-même… (À Christelle et Jérôme) C’est eux ! La cellule d’urgence… Oui…? Oui, je vous écoute…

Les deux autres ont l’air très emmerdés.

Nathalie – Mais vous nous aviez dit que… D’accord… Ok… Merci…

Elle raccroche.

Nathalie – Ils ont repéré cinq survivants, accrochés à des débris de l’avion… Peut-être un sixième…

Jérôme – Le numéro complémentaire.

Nathalie – Ils essaient de les repêcher en hélicoptère, mais le temps est très mauvais au dessus de La Manche… Ils ne connaissent pas encore leur identité.

Christelle – Ils te préviendront dès qu’ils auront procédé au tirage… Je veux dire au sauvetage !

Nathalie – Non, vous avez raison… C’est comme une loterie. C’est infernal, cette attente. J’ai l’impression d’avoir joué au loto, et d’attendre pour savoir si j’ai tiré le bon numéro…

Christelle – Et oui… C’est ce que je me suis demandé aussi quand j’ai épousé Jérôme… Je veux dire… Mais ils étaient combien, dans cet avion ?

Nathalie – Je ne sais pas… C’était un petit avion… Paris-Mulhouse…

Jérôme – Mettons une centaine. S’il y a cinq survivants… Ça fait une chance sur vingt. C’est quand même plus sûr que le loto…

Nathalie – Je n’ai jamais eu de chance au jeu…

Christelle – Tu sais ce qu’on dit : Cent pour cent des gagnants ont tenté leur chance…

Nathalie – Oh, mon Dieu… Heureusement que vous êtes là, sinon…

Christelle – Tu ne veux pas aller te reposer un peu dans notre chambre ?

Nathalie – Et si ils rappellent…?

Jérôme – Ça peut durer des heures, tu sais… Avec la tempête… Un sauvetage en mer, comme ça, c’est très délicat… Ils ne sont même pas encore sûrs de pouvoir les repêcher vivants. Dans une eau à deux ou trois degrés, tu imagines…

Nathalie – De toute façon, je n’arriverais jamais à dormir.

Christelle – Je peux te donner un somnifère, si tu veux.

Nathalie – Je ne crois pas que ça suffira. Dans l’état où je suis…

Christelle – Tu peux en prendre deux ou trois. Ils sont très légers…

Nathalie – C’est très gentil, mais je ne vais pas vous prendre votre chambre, en plus…

Christelle – Tu sais, nous non plus, on n’arrivera pas à dormir, alors…

Nathalie – Merci… Franchement, je ne pensais pas que tout ça vous bouleverserait autant que moi… (Regardant son portable) Merde, je l’ai mis sur répondeur. Un réflexe… Je vais voir s’ils ne m’ont pas laissé un message…

Elle s’éloigne un peu pour consulter sa messagerie.

Jérôme (à Christelle) – On ne va jamais pouvoir s’en défaire…

Nathalie – Non, toujours rien…

Christelle – En même temps… ça ne fait que cinq minutes qu’ils ont appelé…

Jérôme – Et puis entre nous, tu sais… Une chance sur vingt… Il vaudrait quand même mieux te préparer au pire, hein ?

Nathalie – Mais tout à l’heure, tu me disais que…

Christelle – On ne voudrait pas non plus te donner de faux espoirs… Hein, Jérôme ?

Jérôme – Il faut reconnaître que là, ça commence à sentir le sapin…

Christelle – Ce que veut dire Jérôme, avec ses mots à lui, c’est que si Patrick est vraiment mort, tu le sauras toujours bien assez tôt… Non, tu ferais mieux d’aller te coucher, je t’assure… Tu veux que je t’appelle un taxi ?

Nathalie – Je suis venue en voiture, avec la Smart.

Christelle – Ah, oui, c’est vrai…

Nathalie – Et je ne sais pas si je suis en état de conduire.

Échange de regards exaspérés entre Jérôme et Christelle.

Nathalie – Mais tu as raison, je vais aller me reposer un peu dans la chambre. Je ne vais pas dormir, mais… Je crois que j’ai besoin d’être un peu seule…

Jérôme – Oui, nous aussi… Je veux dire, oui, bien sûr, on comprend très bien. Hein Christelle ?

Nathalie – J’y vais…

Christelle – Oui…

Nathalie sort sous les regards de circonstance de Jérôme et Christelle qui, dès qu’elle a disparu, laissent éclater leur joie.

Jérôme – Putain ! 60 millions !

Nathalie revient. Jérôme et Christelle se figent.

Nathalie – J’ai oublié mon portable…

Nathalie ressort.

Christelle – Tant que je n’aurais pas vu le billet gagnant, je n’arriverai pas à y croire. Fais voir…

Jérôme – Je vais le chercher… (Il fait un pas pour y aller) Merde, il est dans la chambre… Avec un peu de chance, elle va s’endormir et nous foutre un peu la paix. Ce n’est pas le moment d’aller la réveiller… Et si on se sifflait sa bouteille de Veuve Clicquot, en attendant ? Pour fêter ça…

Christelle – Dans la chambre ? Je n’ai rien vu… Tu ne l’as pas perdu, au moins, ce ticket ? Imagine qu’il soit tombé de la table de nuit par terre… et qu’il ait fini dans l’aspirateur. J’ai changé le sac hier, et j’ai vidé la poubelle ce matin.

Jérôme – T’inquiète… Il est rangé bien à l’abri. (S’apprêtant à déboucher la bouteille de champagne) Je vais essayer de ne pas faire péter le bouchon trop fort… pour pas la réveiller.

Christelle – À l’abri…? Où…?

Jérôme – Dans ma valise. En haut du placard… Dans la pochette intérieure… Je n’ai même pas pensé à l’enlever en revenant de Cabourg… Je ne me souvenais même plus que j’avais joué au loto, t’imagines…

Christelle (décomposée) – Tu veux dire ta valise Vuitton ?

Jérôme – Si, oui… Ma valise, quoi… Ne me dis pas que tu as passé aussi l’aspirateur dans ma valise… (Percevant enfin l’embarras de Christelle) Quoi ?

Christelle – Patrick n’avait pas de valise pour partir à Mulhouse… Alors Nathalie m’a demandé si je pouvais lui en prêter une…

Jérôme laisse échapper le bouchon de champagne qui pète bruyamment.

Jérôme – Tu lui as prêté ma valise ? Tu l’as laissé prendre l’avion pourri de cette compagnie low cost avec ma valise Vuitton ?

Christelle – Bon, pour la valise Vuitton, je te rappelle que c’était une fausse… Une contrefaçon qu’on a achetée à Trieste cet été en revenant du Club Fram de Porto Vecchio ?

Jérôme – Avec notre chèque de 60 millions d’euros dedans ! On avait de quoi racheter la marque qui fabrique les vraies….

Nathalie revient.

Nathalie – J’ai entendu comme une détonation… Ça m’a réveillée… (Voyant la mine défaite des deux autres) Vous en faites une tête… Vous avez des nouvelles, c’est ça ? Elles ne sont pas bonnes, et vous n’osez pas me le dire ?

Jérôme (renfrogné) – Oui, on peut dire ça comme ça…

Nathalie – Oh, mon Dieu…!

Christelle – Non, enfin… Il ne s’agit pas de Patrick…

Jérôme – Un peu quand même…

Christelle – Jérôme ne savait pas que je lui avais prêté sa valise… Alors évidemment, ça lui a fait un choc… Un choc émotionnel, je veux dire… Imaginer son meilleur ami accroché à sa valise au milieu de La Manche… Avec les requins tournant tout autour…

Nathalie – Il y a des requins, dans La Manche ?

Christelle – Je ne sais pas, j’imagine…

Nathalie – Oh, mon Dieu, c’est vrai, la valise… On vous devait déjà 1000 euros qu’on n’est pas prêts de vous rembourser, et en plus vous ne reverrez jamais votre valise Vuitton. Heureusement que c’était une fausse…

Christelle – Il y a encore un espoir, non ? (Regardant Jérôme) Je veux dire qu’on retrouve Patrick… avec la valise.

Jérôme – Tu crois…?

Christelle – Une valise, ça flotte beaucoup mieux qu’un cadavre ! Souviens-toi des images qu’on voit à la télé après un crash aérien. Qu’est-ce qui flotte à la surface ? Les valises !

Jérôme – Si elles ne sont pas trop lourdes, oui…

Christelle (à Nathalie) – Elle était très remplie, sa valise, à Patrick ?

Nathalie – Il n’a passé qu’une nuit à l’hôtel Ibis de Mulhouse, alors il n’a pas emmené grand chose…

Les deux autres reprennent un peu espoir.

Nathalie – À part tous ses catalogues de vente, évidemment. Le papier, ça pèse une tonne. Je n’arrivais même pas à soulever la valise pour la mettre dans le coffre de la voiture quand il est parti. Heureusement qu’elle avait des roulettes. Ce n’est pas si mal fait que ça, ces imitations. Vous avez bien raison. Pourquoi se ruiner à acheter une vraie… Mais pourquoi vous voulez savoir ce qu’il y avait dans cette valise ?

Christelle – Ben… Si elle flotte, Patrick a pu s’accrocher après. Comme à une bouée…

Nathalie – Ouais, ben là, non, hein… Autant s’accrocher à une enclume… Et puis de toute façon, les bagages, c’est en soute, non ? Ça coule à pic avec la carcasse de l’appareil…

Jérôme lance un regard meurtrier à Christelle, anéantie.

Christelle – Des fois, quand ils arrivent à localiser l’épave, ils la remettent à flot. Pour retrouver les boîtes noires, déterminer les causes du crash, et récupérer les valises – je veux dire les corps – pour que pour les familles puissent faire leur travail de deuil…

Jérôme – Tu crois…?

Christelle – Mais, oui ! Je ne sais pas pourquoi, mais je garde espoir. Hein, Nathalie ?

Nathalie – Oui, enfin…

Christelle – On est vendredi 13, non ?

Nathalie – Je n’ai jamais compris si ça portait bonheur ou malheur, le vendredi 13…

Christelle – Et ben tu vois… Un peu les deux !

Jérôme (à Nathalie) – Mais tu es vraiment sûre à cent pour cent qu’il est parti avec ?

Nathalie – Avec la Travel Discount Airways ? Oui, malheureusement… C’est même moi qui lui ai acheté le billet sur internet…

Jérôme (hystérique) – Avec ma valise, putain ! Avec ma putain de valise !

Nathalie est un peu déstabilisée. Christelle fait signe à Jérôme de se calmer.

Nathalie – Bon, je crois que je vais vraiment vous laisser… Je vais aller dormir chez ma mère. Au moins, je serai à côté des enfants quand ils se réveilleront. Et si j’ai des nouvelles, bonnes ou mauvaises, je vous tiens au courant. C’est promis.

Jérôme – 60 millions… 60 millions, putain ! Dites-moi que c’est un cauchemar…

Christelle (à Nathalie) – Oui, c’est peut-être plus raisonnable…

Nathalie – Bon ben je vais vous laisser dormir…

Jérôme – Parce que tu crois vraiment qu’on va pouvoir dormir, maintenant ?

Nathalie – Je vous appellerai demain matin… Vous saurez toujours bien assez tôt… Moi aussi, d’ailleurs. Tu as raison, Christelle. Ça peut durer des heures. Je vais prendre un somnifère en arrivant chez maman…

Jérôme – Ah, non ! On veut savoir, nous ! Tout de suite ! Hein, Christelle ? On ne va pas attendre comme ça comme des cons…

Nathalie – Franchement, ça me touche beaucoup… que tu sois bouleversé à ce point là. Je sais que Patrick était un ami… mais je ne pensais pas que sa disparition t’affecterait comme ça.

Jérôme – Je rallume la télé…

Commentateur (voix off) – Le numéro gagnant est donc le…

Jérôme – Bon, ça va, on a compris…

Nathalie (inquiète, à Christelle) Tu devrais peut-être lui donner un calmant, à lui aussi, non ?

Jérôme zappe sur une autre chaîne.

Commentateur (voix off) – C’est maintenant une certitude : il n’y a aucun survivant suite au crash en mer de l’avion de la Travel Discount Airways. Les quelques individus accrochés à un radeau de fortune, qu’on avait d’abord pris pour des survivants, ne se sont avérés être en fait que des sans papiers qui tentaient de gagner l’Angleterre à la nage. Ils ont bien entendu été immédiatement placés dans le charter qui va les ramener dans leur pays d’origine. Un charter de cette même compagnie, d’ailleurs. Souhaitons-leur au moins bon voyage… Sans transition, on ignore toujours l’identité du gagnant de la super cagnotte du…

Jérôme éteint la télé, effondré.

Jérôme – Oh, putain… Aucun survivant…

Le portable de Nathalie sonne. Elle le prend et regarde le numéro de l’appel entrant.

Nathalie – Si c’est ma mère, je ne réponds pas…

Jérôme – Ma valise Vuitton…

Nathalie – C’est lui…

Christelle – Qui, lui ?

Nathalie – Patrick… C’est le numéro de son portable qui s’affiche…

Christelle – Non…

Jérôme (impressionné) – T’as quoi comme opérateur ?

Christelle – Ben vas-y, réponds !

Nathalie, blême, prend l’appel.

Nathalie – Oui…

Jérôme et Christelle sont suspendus à ses paroles.

Nathalie – Patrick ? Mais tu m’appelles d’où ? Écoute, je t’entends à peine… Comme si tu m’appelais de très très loin…

Jérôme – Tu m’étonnes… Ils ont dit qu’il n’y avait aucun survivant…

Nathalie – Et toi, tu m’entends…? Patrick…? Allo…? Allo…? (Elle se tourne vers les deux autres avec un air dramatique) On a été coupés…

Silence de mort.

Christelle – Tu es vraiment sûre que c’était lui ?

Nathalie – Je ne sais pas… La ligne était très mauvaise…

Jérôme – Tu parles…

Nathalie – En tout cas, l’appel provenait bien de son portable. C’était le bon numéro…

Jérôme – Le bon numéro…

Christelle – Il a peut-être été éjecté de l’appareil… et il a réussi à s’accrocher à quelque chose…

Jérôme – Sa valise…

Christelle – Et il t’appelle avec ce qui lui reste de batterie.

Nathalie – Oh, mon Dieu… Mais ils avaient dit qu’il n’y avait aucun survivant… Je commençais à peine à me faire à cette idée…

Christelle – Un miracle est toujours possible.

Jérôme – Un miracle… Il faudrait encore qu’ils arrivent à le localiser à temps avant que les requins ne le bouffent…

Nathalie – Vous imaginez Patrick, avec cette tempête, tout seul, au milieu de l’Atlantique…

Jérôme – La Manche…

Christelle – Ce n’est pas si grand, La Manche…

Nathalie – En pleine nuit, accroché à ta valise, perdu dans cet océan…

Jérôme – La Manche, je te dis !

Nathalie – Il a pu dériver… Comment ils vont faire pour le retrouver…?

Jérôme – Autant chercher une valise dans une botte de foin…

Nathalie – Je vais essayer de le rappeler… Même s’il n’a plus beaucoup de batterie, il aura peut-être le temps de nous décrire l’endroit où il se trouve. Ça facilitera les recherches…

Christelle – En même temps, s’il est vraiment perdu au milieu du Pacifique…

Jérôme – La Manche, bordel !

Nathalie compose le numéro, et attend avec anxiété.

Nathalie – Ça sonne… Oh, mon Dieu, c’est sa boîte vocale. J’ai l’impression d’entendre une voix d’outre-tombe… Allo, Patrick ? Si tu as ce message, je veux que tu saches combien je t’aime. Et les enfants aussi. Je t’en prie, Patrick. Essaie de tenir le coup. Pour moi. Pour tes enfants. Pour toi aussi, bien sûr. Le temps que les secours parviennent à te localiser. Je t’embrasse très fort, mon chéri…

Jérôme et Christelle se regardent, émus. Mais Nathalie tarde à raccrocher.

Nathalie – Je voulais t’avouer une dernière chose, Patrick. Pour soulager ma conscience. Parce que je n’aurai peut-être plus jamais l’occasion. Ou alors plus le courage. Je t’ai trompé une fois. Juste une petite fois. Mais ça ne comptait pas je t’assure. Et je te promets que l’enfant que je porte est bien de toi. Enfin, j’en suis presque sûre. Je le sens. Mais on fera le test, si tu veux. Oui, parce que j’ai oublié de te dire. Je suis enceinte, Patrick. Tu vas être papa ! Alors tu vois. Il faut que tu tiennes le coup !

Nathalie raccroche, bouleversée. Les deux autres échangent un regard consterné.

Christelle – Si avec ça il n’arrive pas à tenir le coup…

Silence embarrassé.

Jérôme – Le téléphone…

Christelle – Je n’entends rien.

Jérôme – Non, je veux dire le téléphone de Patrick. Avec son portable, ils vont pouvoir le localiser ! Il faut prévenir les sauveteurs tout de suite. Il y a peut-être encore un espoir de retrouver la valise… Je veux dire de retrouver Patrick… C’est quoi, leur numéro ?

Nathalie lui tend son téléphone.

Nathalie – Tiens, le numéro est enregistré là dessus.

Jérôme prend le portable de Nathalie et appuie sur la touche de rappel.

Jérôme – Merde, je n’ai plus de réseau. Je vais essayer sur le balcon…

Jérôme sort.

Nathalie – Je ne sais pas si j’ai bien fait de lui parler de ça maintenant.

Christelle – Tu crois…

Nathalie – C’était il y a trois mois environ. Avec mon dentiste. Dans son cabinet. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ou alors, c’était l’effet de l’anesthésie…

Christelle – Tu n’as qu’à dire ça… Que ce salopard t’a droguée pour abuser de toi…

Nathalie – En même temps, ce n’était qu’une anesthésie locale… Pour une petite carie, tu vois… Et pour le reste, je peux te dire que je l’ai bien senti… Plus qu’avec Patrick, en tout cas… Et toi, tu n’as jamais trompé Jérôme…?

Christelle – Jamais depuis qu’on est marié…

Nathalie – En même temps, vous n’êtes mariés que depuis six mois. Après quinze ans de vie commune…

Christelle – Ouais, ben non…

Le retour de Jérôme dispense très opportunément Christelle de préciser sa pensée.

Jérôme – C’est bon, ils vont faire le nécessaire tout de suite. Et ils nous rappellent dès qu’ils ont du nouveau.

Christelle – J’ai déjà vu faire ça dans une série policière à la télé. C’est très facile de localiser quelqu’un avec son portable. Et en principe, c’est très rapide. Enfin, là, c’est au milieu de l’Atlantique, mais bon…

Jérôme – La Manche.

Nathalie – Oh, mon Dieu. Je ne sais pas si mon cœur va tenir le coup. Avec toutes ces émotions…

Le portable sonne.

Nathalie – Déjà ?

Christelle – Tu vois…

Jérôme – Ben vas-y, décroche !

Nathalie – Allo ? Non, maman, je n’ai pas encore eu confirmation de son décès, désolée… Non, je n’ai pas la nouvelle adresse de la tante Adèle. Mais tu ne crois pas que c’est un peu tôt pour se préoccuper des faire-part…? Bon, il faut que je te laisse, là. Je ne peux pas occuper la ligne. J’attends un appel urgent… C’est ça… Pour les fleurs ? Écoute, fais ce que tu veux, je m’en fous, d’accord ? (Elle raccroche, furieuse) La vie est vraiment mal faite… Pourquoi ce n’était pas ma mère qui était dans cet avion…?

Le téléphone sonne à nouveau. Nathalie prend l’appel, hors d’elle.

Nathalie – Mais tu vas nous foutre la paix, oui…? Ah, excusez-moi, je pensais que c’était quelqu’un d’autre… Oui, oui, bien sûr, je vous écoute… Non, je vous assure, ce n’est pas une plaisanterie… Mon mari était bien à bord de cet avion, et… Bon, d’accord, merci… Vous me rappelez si vous avez du nouveau…?

Elle raccroche, déstabilisée.

Nathalie – C’était eux… Ils ont réussi à localiser le portable de Patrick…

Les deux autres sont pendus à ses paroles.

Christelle – Et alors ?

Nathalie – L’appel provenait de la gare de Mulhouse…

Cette fois, c’est le téléphone fixe de Jérôme et Christelle qui sonne. Christelle décroche, mécaniquement.

Christelle – Allo ? (Anéantie, tendant le combiné vers Nathalie) C’est lui…

Nathalie saisit le combiné.

Nathalie – Patrick ? Mais tu es où ? Tout le monde te cherche au milieu de l’Atlantique…! Non, ce n’est pas vrai…! (Aux deux autres) Il a raté son avion ! Il est dans le Corail Paris-Mulhouse !

Jérôme – Dieu existe…

Nathalie – Mais tu n’es pas au courant ? (Aux deux autres) Il n’est pas au courant… L’avion de la Travel Discount que tu devais prendre s’est crashé au dessus de la Méditerranée… Il n’y a aucun survivant… Dieu soit loué, c’est un miracle…! (Aux deux autres) Il est resté coincé dans les toilettes de l’aéroport de Mulhouse pendant deux heures… Il n’arrivait pas à ouvrir la porte…. Évidemment, le terminal de la compagnie Olow Cost Airways de Mulhouse, ce n’est pas vraiment la classe affaire… Ok… Tu me rappelles dès que tu arrives à la gare de l’Est, d’accord…? Je t’embrasse très fort, mon chéri… (Elle s’apprête à raccrocher mais se ravise) Euh… Patrick…? Tu as eu mon message ? Non, non, ce n’était pas important… Tu peux l’effacer, je t’assure… Maintenant que je sais que tu n’es pas mort…

Nathalie repose son portable.

Nathalie (rayonnante) – Là, je crois qu’on va pouvoir déboucher la Veuve Clicquot !

Léger embarras de Jérôme et Christelle, qui ont déjà débouché la bouteille sans elle. Mais qui cependant sont aux anges.

Christelle – Mais c’est merveilleux ! Hein, Jérôme ?

Jérôme – Toi tu retrouves un mari, et nous…

Christelle – Un ami !

Jérôme – Il arrive à quelle heure à la Gare de l’Est ?

Nathalie – D’ici une heure, à peine… Ce cauchemar va enfin se terminer… Merci… Sans vous, je ne sais pas si j’aurais pu tenir le coup… (Elle fait un mouvement pour partir) Je crois qu’on boira le champagne une autre fois… Je vais aller l’attendre à son arrivée à la gare, et puis on rentrera directement chez nous… Après cette épreuve, vous comprenez qu’on a pas mal de choses à se dire…

Christelle – Oui… Surtout s’il écoute quand même ton message…

Jérôme – Mais il n’en est pas question ! On va fêter ça tous ensemble. Hein, Christelle ?

Nathalie – En même temps, c’est le seul survivant… Je ne sais pas si… J’imagine l’angoisse des autres familles qui ont eu moins de chance que moi…

Jérôme – La vie est une loterie ! Il suffit de tirer le non numéro ! C’est bien triste pour les autres, mais tant pis pour eux. The show must go on ! Non, et puis franchement, tu n’es pas en état de conduire. Énervée comme tu es, tu n’arriveras jamais à garer ta Smart à la Gare de l’Est un vendredi soir. Je vais le rappeler. Je vais lui dire de sauter dans un taxi en arrivant, et de venir directement ici. Avec sa valise…

Nathalie – Un taxi…? Tu sais, je ne suis pas sûre qu’on ait vraiment les moyens…

Jérôme – Mais nous, oui ! Hein, Christelle ?

Christelle – Nous aussi, on a une bonne nouvelle à vous annoncer… Maintenant, on peut bien vous le dire… Vas-y Jérôme…

Tandis que Jérôme s’apprête à parler, le téléphone fixe sonne. Christelle répond.

Christelle – Oui… Ah, Patrick… Justement, on s’apprêtait à te rappeler pour… (Son sourire se fige) Ok, je te la passe… (À Nathalie) C’est Patrick. Il a eu ton message…

Nathalie, décomposée, prend le combiné sans fil et commence à s’éloigner vers le balcon.

Nathalie – Écoute, Patrick, je vais tout t’expliquer, d’accord ? Et puis ne le prends pas comme ça ! Franchement, après ce qui vient de nous arriver, ça devrait te faire relativiser les choses, non ? Je te rappelle que tu es passé à deux doigts de la mort ! L’important, c’est qu’on soit vivants tous les deux ! Tu es un survivant, Patrick !

Elle sort sur le balcon pour terminer sa conversation.

Jérôme – Oh, putain… Il ne manquait plus que ça…

Christelle – C’est sûr que maintenant, ça ne va pas être évident de le faire venir ici sabler le champagne avec nous…

Jérôme – Imagine qu’en apprenant qu’il est cocu, il décide de se jeter dans le canal Saint Martin en arrivant à la Gare de l’Est. Avec ma valise…

Nathalie revient, la mine défaite.

Christelle – Alors…?

Nathalie – Il ne veut pas revenir dormir à la maison… Il parle de divorcer…

Jérôme – Il n’a qu’à venir dormir ici en attendant ! Hein, Christelle ? Comme sa valise est déjà faite…

Nathalie – Ah, la valise, justement… Enfin, ce n’est pas le plus important…

Stupeur des deux autres.

Jérôme – Quoi ?

Nathalie – Ben… Patrick a raté son avion, mais la valise, elle, elle était déjà enregistrée… Malheureusement, vous pouvez faire une croix dessus… Elle est restée dans la soute de l’appareil…

Jérôme – Quel con ! (À Christelle) Non, mais dis-moi que ce n’est pas vrai !

Nathalie – C’est sûr, heureusement que ce n’était pas une vraie, dans un sens… Remarque, tu sais que ce n’est pas bien légal, les contrefaçons… J’ai vu un reportage là-dessus à la télé… Patrick aurait pu avoir des ennuis, à la douane…

Christelle – Pour aller à Mulhouse ?

Nathalie – Quand on passe par Londres…

Jérôme – Si elle ne s’en va pas tout de suite, je vais la tuer…

Nathalie est un peu surprise par la réaction de Jérôme.

Nathalie – Ne t’inquiète pas, je vous en rachèterai une vraie, comme promis… Je vous dois bien ça…

Jérôme – C’est ça ! Avec les 1000 euros que tu nous dois déjà…

Nathalie – Bon, je crois que cette fois, je vais vraiment y aller. Hein, Christelle ? On a tous eu assez d’émotions comme ça pour aujourd’hui…

Christelle pousse prudemment Nathalie vers la porte afin de la mettre à l’abri de la fureur de Jérôme.

Christelle – Allez, ne t’inquiète pas, ça va s’arranger… Tu m’appelles demain, d’accord ?

Nathalie – Ok, je te tiens au courant…

Nathalie s’apprête à franchir la porte, mais se retourne une dernière fois.

Nathalie – Au fait, c’était quoi, cette bonne nouvelle que vous vouliez m’annoncer…?

Christelle la pousse définitivement dehors.

Christelle – Je t’appelle demain…

Nathalie s’en va. Jérôme et Christelle restent seuls. Ils s’effondrent sur le canapé. Silence lourd.

Jérôme – 60 millions d’euros…

Christelle a un mouvement de tendresse vers lui.

Christelle – Allez, ce n’est pas si grave… L’important, c’est d’être en vie, non ? Et d’être tous les deux…

Jérôme se détend un peu.

Jérôme – Tu as raison…

Christelle – Et puis qu’est-ce qu’on aurait bien pu faire avec 60 millions ?

Jérôme – Je me le demande bien…

Christelle – Est-ce que notre couple aurait même résisté à une pareille tempête…

Jérôme – Sans parler de nos amis… Regarde, on a failli se fâcher avec Patrick et Nathalie…

Silence.

Jérôme – Tu crois vraiment que si on avait gagné 60 millions au loto, on aurait divorcé ?

Christelle – Ça peut monter à la tête… Quand tout d’un coup on apprend qu’on va pouvoir satisfaire tous les désirs qu’on réprimait jusque là…

Jérôme – Tu as raison, la frustration, c’est le ciment du couple… Quand je pense qu’on aurait vraiment pu devenir multimillionnaires… Ça fait froid dans le dos…

Christelle – Allez, on va pouvoir passer une soirée tranquille. Tous les deux, devant la télé…

Jérôme – Tu sais ce qui me détendrait vraiment…

Christelle (pleine d’espoir) – Dis toujours… Je suis prête à satisfaire tous tes désirs. En guise de compensation… pour la perte de ta fausse valise Vuitton.

Jérôme – Un reportage animalier… Sur la reproduction des varans, par exemple…

L’enthousiasme de Christelle est un peu douché.

Jérôme – Tu sais que c’est très partouzeur, le varan… La femelle se fait sauter successivement par plusieurs mâles, et les œufs contiennent le patrimoine génétique de tous ses amants… Tu imagines le gosse de Nathalie. La moitié de Patrick, et l’autre moitié de son dentiste…

Christelle (déprimée) – Il reste un peu de vin de pays… Enfin, ce que Nathalie nous a laissé… Tu en veux ? Maintenant, il vaut mieux qu’on s’y habitue…

Elle sert deux verres, pendant que Jérôme allume la télé.

Commentateur (voix off) – … On vient à l’instant de retrouver la trace du vol 32 bis de la Travel Discount Airways, qu’on pensait avoir été victime d’un crash aérien au dessus de La Manche. Le pilote s’était seulement endormi aux commandes de l’appareil. Au lieu de se poser à Londres, il a continué sa route jusqu’en Alaska, où il a été contraint à un atterrissage en catastrophe sur la banquise faute de kérosène.

Jérôme – C’est marrant, tu vois, j’ai l’impression que ça ne me concerne même plus.

Le téléphone sonne. Christelle se lève comme une zombie pour répondre, pendant que Jérôme reste scotché devant la télé.

Commentateur (voix off) – Voici quelques images de l’appareil prises par un avion de reconnaissance de l’armée mexicaine…

Christelle – Oui…?

Commentateur (voix off) – On ignore encore tout du sort des passagers à l’intérieur de la carlingue, mais sur ces images d’une remarquable précision, on aperçoit nettement deux pingouins jouant avec une valise…

Christelle – Non…!

Dans un état second, Christelle raccroche et revient vers Jérôme.

Jérôme – C’était qui…?

Christelle – Le gynécologue de Nathalie… Enfin, le mien… On a le même…

Jérôme – Et alors…?

Christelle – Il a confondu nos deux dossiers… Ce n’est pas elle qui est enceinte, c’est moi !

Jérôme (largué) – Vous avez aussi le même dentiste ?

Christelle (exultant) – Je suis enceinte de toi ! On va avoir un bébé, Jérôme !

Jérôme (pas franchement ravi) – Mais… Je croyais qu’on ne pourrait pas en avoir… Ton gynéco m’avait dit que vu la tronche de mes spermatozoïdes, on n’avait qu’une chance sur un million au tirage !

Christelle – C’est vendredi 13 !

Noir.

Fin

VARIANTE DE FIN POUR UN QUATRIÈME PERSONNAGE (PATRICK)

Jérôme n’a pas le temps de réagir davantage, car on sonne à la porte.

Jérôme – Si c’est encore elle, tu la fais entrer, et cette fois c’est moi qui la balance par la fenêtre…

Christelle va ouvrir malgré tout.

Christelle (surprise) – Ah, salut Patrick…! Tu as fait bon voyage ? Enfin, je veux dire… On ne t’attendait plus…

Patrick (sinistre) – Je ne vous dérange pas ?

Christelle – Mais non, voyons, qu’est-ce que tu vas chercher…

Jérôme – Au point où on en est.

Patrick entre dans la pièce, dans un état second.

Patrick – Ah, Jérôme, tu es là…

Jérôme – Ben oui, tu vois. J’habite ici, en fait…

Patrick – Il est tard, je sais. Mais avec tout ce qui vient de m’arriver…

Jérôme – En même temps… ce n’est pas ton train Corail qui s’est crashé sur la banquise, si ?

Patrick – Non, je parlais de Nathalie. Je suis encore sous le choc.

Christelle – On est vraiment désolé, Patrick… Hein, Jérôme…?

Jérôme – Mmm…

Christelle – Mais assieds-toi, je t’en prie. Tu veux boire quelque chose ?

Jérôme – Arsenic, strychnine…?

Christelle lui sert un verre de vin de pays.

Christelle – Des glaçons…?

Patrick ne répond pas. Il s’assied et vide le verre sans sourciller, sous le regard ébahi des deux autres.

Jérôme – Ah, oui… Ça a vraiment l’air d’aller mal… Il ne réagit même plus au vin de pays…

Patrick – Ça fait dix ans qu’on est mariés, vous vous rendez compte ? Je n’aurais jamais cru Nathalie capable de faire ça…

Christelle – Allez… Tu ne crois pas que tu prends tout ça un peu trop au tragique…?

Jérôme – Il vient d’apprendre qu’il est cocu quand même…

Christelle – J’ai toujours détesté ce mot là…

Patrick – On croit connaître les gens, et puis…

Christelle – Ça peut arriver à tout le monde de faire une erreur…

Jérôme – Quand même… Coucher avec son dentiste…

Patrick – C’était mon dentiste.

Christelle – Et puis l’important, c’est qu’elle a eu le courage de te l’avouer, non ? C’est très courageux de sa part, tu sais…

Jérôme – C’est surtout très con…

Christelle – Ça prouve qu’elle a confiance en toi… Et la confiance, c’est important dans le couple… Hein Jérôme…?

Jérôme – Tu parles, elle croyait qu’il était mort…

Christelle – Allez, tu verras… Ça finira par s’arranger…

Patrick – Je ne sais pas… Je crois qu’il va me falloir un peu de temps…

Jérôme – Combien de temps, à peu près…? Non, parce que comme tu dis, il est déjà tard… J’irais bien mettre la viande dans le torchon, moi…

Christelle – Ce que veut dire Jérôme, avec ses mots à lui, c’est qu’on a tous eu beaucoup d’émotions aujourd’hui… Mais c’est normal que tu aies besoin de prendre un peu de recul… Tu vas dormir ici sur le canapé… Et demain, tu y verras un peu plus clair…

Jérôme – On ne te promet pas que ça ira mieux demain, hein ? Juste que tu y verras un peu plus clair…

Patrick – Merci… Je savais que je pouvais compter sur vous… C’est dans le malheur qu’on reconnaît ses amis…

Jérôme – Oui… C’est ce que ta femme nous a répété pendant toute la soirée…

Christelle – Je vais aller te chercher des draps… Jérôme, tu prends une couverture dans l’armoire…

Jérôme et Christelle disparaissent un instant. Patrick se lève et se dirige vers le balcon. Il s’approche de la balustrade, et se penche un peu. Christelle revient, l’aperçoit, et se fige, croyant visiblement qu’il s’apprête à sauter.

Christelle – Patrick, non !

Patrick se retourne vers elle un peu surpris.

Patrick – Euh… Je regardais juste la vue…

Christelle – Oh, mon Dieu, tu m’as fait peur… J’ai cru que…

Patrick – Je n’avais jamais remarqué qu’en se penchant un peu, on pouvait voir le Flamand Rose de votre balcon…

Christelle (inquiète de son état mental) – Le flamant rose…

Patrick – C’est un bar.

Christelle – Un bar belge ?

Patrick – Oui… Mais surtout un bar gay…

Christelle est un peu décontenancée. Jérôme revient avec la couverture et la jette sur le canapé.

Jérôme – Bon, ben je ne vais pas le border et lui faire la bise, non plus.

Patrick lui lance un regard ambigu.

Christelle – Tu nous promets de ne pas faire de bêtise ?

Patrick – Promis.

Christelle – Ok, alors on va tous aller se coucher. On a eu une dure journée nous aussi…

Le téléphone fixe sonne. Jérôme répond.

Jérôme – Ouais…? Oui, il est là… Ok, je te le passe… (Il tend le combiné à Patrick) C’est Nathalie, elle voudrait te parler…

Patrick prend le combiné à contrecœur.

Patrick – Oui… Écoute… Non… Je ne sais pas… Non… Je te dis ça demain, d’accord… Oui, ben j’ai besoin de réfléchir pendant quelques jours, tu peux comprendre ça, non…?

Jérôme (inquiet) – Quelques jours…?

Patrick – C’est ça, on se rappelle…

Il raccroche.

Christelle – Je suis sûr que votre couple saura résister à cette épreuve… et qu’il en ressortira encore plus fort !

Patrick – Moi aussi, j’ai couché avec le dentiste…

Christelle (après un moment d’hésitation) – Eh ben tu vois, ce n’est pas si grave…

Jérôme la regarde avec stupéfaction.

Christelle (à Patrick) – Et puis je ne t’ai pas dit ! (À Jérôme) On lui dit ?

Jérôme – Quoi ?

Christelle – C’est moi qui suis enceinte, Patrick !

Jérôme – Ah, oui, c’est vrai.

Christelle – Ce n’est pas une bonne nouvelle, ça ?

Jérôme – Pour toi, la bonne nouvelle, c’est que ta femme n’est pas enceinte de ton amant.

Christelle – Non, après tout ce qui vient de nous arriver aujourd’hui, à nous aussi… On en parlait justement tout à l’heure avec Jérôme. L’important, c’est de rester unis, quoi qu’il arrive… De surmonter les difficultés… Ensemble… Alors l’argent, dans le couple, ce n’est pas le plus important !

Patrick – L’argent ?

Christelle (à Jérôme) – On lui raconte aussi ? (Jérôme ne répond pas, accablé) Figure-toi que dans la valise que je t’ai prêtée pour partir à Mulhouse…

Patrick – La fausse valise Vuitton…

Christelle – Il y avait un billet de loto…

Patrick (distraitement) – Ah, oui, un billet de loto…

Christelle – On a appris ce soir en regardant la télé qu’on avait joué le bon numéro…

Patrick – Combien ?

Jérôme – 60 millions.

Patrick – Ah, oui quand même…

Christelle – Autant te dire qu’on ne reverra jamais ce billet de loto…

Jérôme – À moins que le pingouin qui a récupéré ma valise aille le présenter lui-même au PMU pour toucher le gros lot.

Christelle – Tu vois ? On vient de perdre 60 millions au loto, mais on gagne un bébé qu’on n’espérait plus !

Jérôme – Tu sais ce qu’on dit : Malheureux au jeu, heureux en amour…

Patrick – Je suis vraiment désolé… Je veux dire pour les 60 millions… C’est un peu de ma faute…

Jérôme (menaçant) – Un peu…?

Christelle – Je crois que cette fois, on ferait mieux d’aller se coucher. Tu viens, Jérôme…?

Christelle entraîne Jérôme vers la chambre. Patrick reste seul. Il va sur le balcon et réfléchit un instant. Puis il prend son portable et compose un numéro.

Patrick – Allo…? Non, je ne suis pas mort… Désolé de vous décevoir encore une fois, belle-maman… Vous pouvez me passer Nathalie ? Merci… (Après un instant) Nathalie ? C’est Patrick… Écoute, j’ai bien réfléchi et… Oui, déjà, qu’est-ce que tu veux… D’habitude, tu me reproches de ne pas réfléchir assez vite… Alors je préfère te l’annoncer tout de suite… Je ne pourrais jamais te pardonner d’avoir couché avec mon dentiste… Je vais demander le divorce, Nathalie… Oui, je sais, je ne suis qu’un pauvre type… Oui, je sais, ta mère te l’avait déjà dit… Ok, mon dentiste t’enverra demain les papiers du divorce… Oui, mon avocat, ce n’est pas ça que j’ai dit ? C’est ça, va te faire foutre aussi… Bonne nuit, Nathalie.

Patrick raccroche, réfléchit, puis sort de la poche de sa chemise le billet de loto et le regarde.

Patrick – 60 millions… Christelle a raison… On n’est même pas encore demain matin, et j’y vois déjà beaucoup beaucoup plus clair… (Réalisant vraiment) 60 millions d’euros ! (Sa main tremble, le billet lui échappe des mains et tombe sur le rebord du balcon) Merde… C’est pas vrai… Oh, putain…

Il commence à enjamber fébrilement la rambarde du balcon. Soudain il glisse, pousse un cri, perd l’équilibre, et se fige dans une position de début de chute.

On entend alors comme dans un rêve un dialogue enregistré sur une bande son :

Nathalie – Qu’est-ce qu’on peut faire contre le destin…

Christelle – Rien…

Jérôme – C’est quand même incroyable…

Nathalie – Il n’y a que lui qui n’était pas à bord de l’avion, et finalement, Patrick sera la seule victime du crash de la Pas trop Cher Travel Discount Airways…

Christelle – Tu as appelé les pompiers…?

Jérôme – Ils devraient être là d’une minute à l’autre.

Jérôme – Tu crois vraiment qu’il a voulu se suicider ?

Christelle – On ne tombe pas d’un balcon comme ça…

Jérôme – Si seulement c’était lui qui avait peint mon tableau… Je pourrais encore espérer qu’il prenne de la valeur.

On entend le bruit d’une sirène d’ambulance qui s’approche.

Nathalie – Les voilà… Ils vont enfin pouvoir nous dire si Patrick est vraiment mort…

Jérôme – Il a l’air très mort, non ?

Nathalie – Un miracle est toujours possible…

Christelle – On est vendredi 13 !

Noir. Fin

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-04-8

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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Y a-t-il un pilote dans la salle ?

Is there a pilot in the audience ? – Zona de Turbulencias – Há um piloto a bordo ? 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

1 homme et 1 femme, ou 2 hommes, ou 2 femmes

Lorsque la rédactrice en chef d’un magazine à sensation rencontre un thanatopracteur détenant un scoop sensationnel, elle peut espérer un tirage record. Les choses se corsent lorsque cette rencontre fortuite a lieu dans un avion Paris-Tokyo : douze heures de vol en huis clos sans aucun moyen de communiquer avec l’extérieur ! Détenir le scoop du siècle et ne pas pouvoir le publier… Un véritable supplice japonais ! Une comédie de boulevard qui se termine en fable sur les travers de notre société.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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VIDÉO DU SPECTACLE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

NNN

 


Le mot de l’auteur sur la pièce

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE À LIRE OU IMPRIMER

Y a-t-il un pilote dans la salle ?


PROLOGUE (facultatif)

Le noir (et donc le silence) se fait, comme si le spectacle allait commencer. Mais il ne se passe rien pendant un temps, assez long pour que le malaise s’installe. La lumière se rallume dans un coin de la salle où un spectateur et une spectatrice qui ne se connaissent pas sont assis l’un à côté de l’autre. L’homme compulse nerveusement l’Officiel des Spectacles. Il regarde sa montre. La femme puise dans un grand pot de pop-corn. Elle grignote de façon compulsive et peu discrète.

LuiExcusez-moi, vous savez ce qui se passe… ?

Elle (avec un geste d’ignorance) – On attend les comédiens…

Lui – Jusqu’à maintenant, il n’y avait que les spectateurs qui arrivaient en retard au théâtre. Si les acteurs s’y mettent aussi…

Silence.

Elle (inquiète) – Je peux voir votre Officiel. Au cas où la représentation serait annulée…

Il lui tend son Officiel. Elle ne sait pas comment le saisir avec son pot géant de pop-corn entre les mains.

Elle (lui tendant son pot de pop-corn) – Vous en voulez ?

Il hésite, puis accepte, pour la débarrasser. Elle feuillette l’Officiel mais semble s’y perdre. Il mange un pop-corn et fait la moue.

Elle (renonçant) – Excusez-moi, j’ai l’habitude de Pariscope

Lui (avec un air dégoûté) – Je n’aime pas trop le pop-corn non plus…

Elle lui rend son Officiel et récupère son pop-corn.

Elle – De toute façon, c’est foutu pour une séance de cinoche… Tant pis, je préfère attendre.

Lui – J’espère que ça vaut le coup…

Elle (inquiète) – Les critiques sont mauvaises ?

Lui (regardant derrière lui) – Il n’y a pas grand monde dans la salle…

Elle – Remarquez, les critiques, ça ne veut rien dire, hein… Des fois au théâtre, on voit de ces trucs. Encensés par Télérama. Ça dure des heures. Personne n’ose dire qu’il s’emmerde de peur de passer pour un con. Après, on vous dira : la preuve que c’est une pièce profonde, vous n’avez rien compris.

Lui – Avec la comédie au moins, les gens simples ont parfois de bonnes surprises. Même quand les critiques ont trouvé ça sinistre… c’est très dur de faire rire un critique.

Elle – Vous êtes critique ?

LuiPas vous ?

Elle – Comédienne…

Lui – Ah, oui…

Elle – À part les comédiens et les critiques, plus personne ne va au théâtre. Un spectateur sur deux est un acteur. On finira par ne plus savoir où est la scène…

Lui – Vous connaissez la pièce ?

Elle – Non… Mais j’ai une amie qui joue dedans. Je viens la voir… pour lui faire plaisir.

Lui – C’est une actrice connue ?

ElleElle fait surtout du théâtre…

Lui – Dans ce cas… (Un temps, soupçonneux) Vous êtes vraiment comédienne ?

Elle (inquiète) – Vous trouvez que je joue mal ?

Lui – Non, non… Vous jouez très bien.

Elle – Comédienne le soir et… gardienne de musée pendant la journée.

Lui – Vu la modernité du répertoire, c’est un peu le même métier…

Silence.

Elle – Je n’ai plus de pop-corn.

Lui (soupirant) – On sera peut-être morts de faim avant le début de la pièce.

Elle – Oui, on dirait qu’ils nous ont oubliés…

Lui – Dans quelques années, une femme de ménage retrouvera nos deux squelettes l’un à côté de l’autre, la main dans la main.

Elle – La main dans la main… ?

Lui – En voyant venir la fin, on s’abandonnera peut-être à un élan de tendresse. On est un peu comme deux naufragés sur une île déserte, hein ? On n’a pas tellement le choix…

Elle – Vous croyez qu’ils vont nous rembourser ?

Lui (étonné) – Vous avez payé ?

Elle – Non…

Lui – Dans ce cas…

Ils se lèvent pour partir.

Lui – On pourra toujours revenir un autre jour…

Elle – La pièce ne sera sans doute plus à l’affiche. Vu son immense succès…

Lui – On ira en voir une autre.

Elle – C’est une invitation… ?

Lui (sortant un carton) – Pour deux personnes.

ElleJ’espère que cette fois ça commencera à l’heure… C’est quoi cette pièce… ?

Lui (lisant le carton) – Y a-t-il un pilote dans la salle…

Ils échangent un regard dubitatif.

Elle – Ça a l’air un peu débile, non ?

Lui – N’oubliez pas de rallumer votre portable…

Elle – Ah tiens, c’est vrai, j’avais encore oublié de l’éteindre.

Ils s’en vont. Il pose la main sur son épaule, elle a un mouvement de recul, sans toutefois se dégager.

Noir dans la salle.

ACTE 1

Elle et lui sont assis côte à côte dans un avion en classe affaires. On ne recherchera pas forcément le réalisme dans le décor, en assumant pleinement la convention théâtrale. Le rideau séparant la salle de la scène figure celui qui sépare la classe affaires de la classe tourisme. Elle, genre businesswoman, somnole, des écouteurs à l’oreille. Lui, plutôt beauf, est bien réveillé et sirote une coupe de champagne.

Lui – Vous savez à quelle altitude on est, là ?

Elle ôte ses écouteurs, un peu surprise.

Elle – Euh… Non… Et je ne suis pas sûre de vouloir le savoir.

Lui – Le pilote vient juste de le dire !

Elle (surprise) – Désolée, je n’ai pas écouté… J’essayais de dormir un peu…

Lui – À votre avis ?

Elle – Je dirais…huit mille.

Lui – Dix mille mètres ! Vous vous rendez compte ? Dix kilomètres !

Elle – Oui, j’avais compris… Dix mille mètres…

Lui – La distance entre le centre de Paris et Gennevilliers, mais à la verticale !

Elle – Vous habitez Gennevilliers

Lui – Comment vous savez ça ?

Elle – Une intuition…

Lui – Vous allez rire, mais c’est la première fois que je prends l’avion.

Elle – Hun, hun…

Lui – J’ai gagné un concours… Un voyage pour deux personnes à Tokyo !

Elle – Pour un baptême de l’air, vous avez touché le gros lot. C’est juste aux antipodes. J’espère que vous n’avez pas d’appréhension en avion, comme moi…

Lui – Bon, je n’ai rien fait d’extraordinaire. C’était un tirage au sort…

Elle – Ah, oui…

Lui – En première classe, vous vous rendez compte ? Du coup, je ne sais même pas à quoi ça ressemble en deuxième classe…

Elle – Eh, oui…

Il fait un geste du menton en direction de la salle.

Lui – Vous savez comment c’est, vous, là-bas ?

Elle – Au Japon ?

Lui – En deuxième classe !

Elle – Ah ! Euh…

Lui – J’imagine qu’eux, ils n’ont pas droit au champagne.

Elle – Certainement pas, non… Et on ne leur donne sûrement pas d’eau non plus…

Lui – Mince ! Et comme on nous prend tout ce qui est liquide avant d’embarquer au cas où ce serait des explosifs… Vous vous rendez compte ? Douze heures à rester assis comme ça sans rien boire !

Elle – Assis ? Vous rigolez ! Ils n’ont pas assez de sièges pour s’asseoir tous en même temps, là-dedans… Non, la plupart voyagent debout, comme dans le métro… Agrippés à la barre pour les plus chanceux. Et ils s’assoient à tour de rôle…

Lui – Non ?

Elle – C’est pour ça que les hôtesses les laissent dans le noir derrière le rideau… Pour nous épargner ce spectacle affligeant… Mais on devine qu’ils sont là, malgré tout… Tout à l’heure, je crois avoir entendu un bébé pleurer… De soif, sans doute…

Lui – Mais c’est épouvantable !

Un temps pendant lequel elle le regarde, étonnée par sa crédulité.

Elle – Non, mais je plaisante, là…

Lui – Ah, d’accord…

Elle – La classe tourisme, ce n’est pas si différent que ça de la classe affaires, vous savez. Les sièges sont peut-être un peu moins larges, et encore. Et le champagne est en supplément, c’est tout.

Lui – Mais alors pourquoi vous voyagez en première classe, vous ?

Elle – Pourquoi ?

Lui – Vous n’avez même pas pris de champagne !

Elle – C’est vrai, c’est idiot. Disons qu’habituellement, en première classe, comme vous dites, on est un peu plus tranquille…

Lui – Vous voulez dire qu’habituellement, on n’y croise pas des gens comme moi…

ElleDésolée, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire… C’est mon assistante qui s’occupe de mes billets d’avion. J’imagine qu’elle n’a jamais eu l’idée de me prendre une place en deuxième classe, pour changer un peu…

Lui – Non, non, c’est moi… Je ne sais pas pourquoi… J’imaginais que c’était comme sur le Titanic…

Elle – Le Titanic ?

Lui – Vous avez vu le film ?

Elle – Oui, comme tout le monde… Disons que j’évite de trop y repenser quand je prends l’avion pour aller à Tokyo.

Lui – Alors vous allez à Tokyo, vous aussi ?

Elle – C’est un vol sans escale, je crois que tout le monde y va, non ? À moins qu’une partie de l’avion aille directement à Bangkok ou à Singapour… La classe tourisme, peut-être…

Lui – C’est vrai, je suis bête… On n’est pas dans le TGV, où des fois il y a une partie du train qui… Remarquez, je dis ça, je n’en sais rien, je n’ai jamais pris le TGV non plus…

Elle – Vous n’êtes pas un grand voyageur, si je comprends bien… Mais vous avez déjà pris un train normal, quand même ? Ou, je ne sais pas moi, le RER ?

Lui – Ah, oui, quand même ! Le RER, je le prends tous les matins. À Gennevilliers, justement. Pour aller au boulot.

Elle – Et… où est-ce que vous vouliez en venir avec le Titanic ? À part finir de me rassurer, bien sûr.

Lui – Vous vous souvenez, sur le Titanic, lui, il voyageait en troisième classe ! Et elle en première ! Et visiblement, à l’époque, il y avait une sacrée différence de standing ! D’après ce qu’on voit dans le film en tout cas.

Elle – C’est sûrement pour ça qu’ils ont supprimé la troisième classe dans les avions. Et la deuxième classe dans le métro !

Lui – La démocratisation des transports…

Elle – On pourrait presque dire la fin de la lutte des classes.

Lui – C’est marrant, maintenant que j’y pense, lui aussi il avait gagné son billet au jeu…

ElleLui ?

Lui – Di Caprio ! C’est en jouant aux cartes qu’il gagne son billet pour l’Amérique ! Et c’est comme ça que sur le bateau, il rencontre Kate Winslet, juste au moment où elle allait se suicider !

Elle – Le prolétaire arriviste et la milliardaire dépressive. Une autre façon de mettre fin à la lutte des classes…

Lui – Le début d’une grande histoire d’amour, en tout cas…

Elle – Grande… qui se termine plutôt mal, quand même.

Lui – Ah, oui ? Leur histoire d’amour se termine mal ?

Elle – On a beau ne pas se souvenir de tous les détails du film… Une histoire d’amour qui commence sur le Titanic peut difficilement se terminer bien, si…?

Lui – Ça fait deux heures qu’on est partis. On ne va pas tarder à survoler la Sibérie, non ?

Elle – Mmm…

Lui – Dix kilomètres à la verticale… Vous avez bien écouté, les consignes de sécurité, tout à l’heure ? Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris…

Elle – De toute façon, en cas de chute en piqué sur la Sibérie, vous savez… Je ne sais pas si c’est en se mettant une bouée autour de la taille qu’on s’en sortirait…

Lui – Vous êtes sûre que vous ne voulez pas de champagne ? Allez savoir, c’est peut-être la dernière fois qu’on en boit…

Elle – Non, merci.

Lui – Ce n’est pas trop tard, vous savez ? Je crois qu’en appuyant sur ce bouton, là, on peut faire venir l’hôtesse de l’air…

Elle – J’ai pris un petit relaxant avant d’embarquer. Je préfère autant ne pas faire de mélange…

Lui – C’est bien la première fois que je pourrais faire apparaître une jolie femme devant moi, prête à accéder gratuitement à tous mes désirs, juste en appuyant sur un bouton. J’avoue que je suis assez tenté. Je suis peut-être déjà au paradis…

Elle – Les temps changent, vous savez… Maintenant qu’il y a aussi des femmes comme passagères en classe affaires. Et parfois, c’est un steward qui vient lorsque vous appuyez sur le bouton…

Lui – Tant qu’il nous apporte du champagne.

Elle – Désolée, mais je ne peux vraiment pas vous accompagner. Il faut que j’aie les idées claires en arrivant à Tokyo. Et avec le Xanax en plus du décalage horaire, ce n’est déjà pas gagné…

Lui – Ah, oui, le décalage horaire ! Ça aussi, c’est nouveau pour moi… Le plus loin que j’étais allé jusqu’ici, c’est à La Bourboule, en voyage de noces, alors évidemment… Je ne me souviens plus. À Tokyo, c’est dix heures de plus ou dix heures de moins ?

Elle – De plus.

Lui – Donc c’est comme si on perdait dix heures de notre vie ! C’est dingue, si on y pense !

Elle – Euh, oui…

Lui – Mais alors où est-ce qu’on les passe, ces dix heures ? Dans la Quatrième Dimension !

Elle – La Quatrième Dimension… ?

Lui – Cette vieille série américaine, vous savez ? En noir et blanc…

Il fredonne la musique de la Quatrième Dimension.

Lui – Tin lin lin lin, tin lin lin lin, tin lin lin lin…

Elle commence à être un peu inquiète.

Elle – Oui, oui, je vois…

Lui – Bon, eh bien il y a un épisode qui se passe dans un avion…

Elle – Après le Titanic, la Quatrième Dimension… Vous avez vraiment décidé de me faire flipper…

Lui – Pardon… Je ne vous raconterai pas ce qui se passait dans cet épisode, c’est promis… Mais je peux vous dire que c’était très flippant, en effet…

Elle – Mais dites-moi, vous m’avez bien dit que vous aviez gagné un voyage à Tokyo pour deux personnes ?

Lui – Oui.

Elle – Qu’est-ce que vous avez fait de votre femme ? Elle voyage debout en deuxième classe ? Ou elle a déjà disparu dans la Quatrième Dimension ?

Lui – Ma femme est décédée.

Elle – Je suis vraiment dessalée… Je veux dire désolée…

Lui – En fait, c’était ma femme qui s’était inscrite à ce concours… Elle est morte juste après la proclamation des résultats…

Elle – L’émotion, sans doute…?

Lui – On ne sait pas exactement.

Elle – Vous n’êtes pas obligé de me raconter…

LuiElle était magasinière chez un grossiste en surgelés… Quand on l’a appelée sur son portable pour lui dire qu’elle avait gagné, elle était en train de ranger des palettes de steaks hachés dans la chambre froide. C’était un vendredi soir. Ses collègues ne se sont rendu compte de rien. Elle a dû avoir un malaise…

Elle – C’est épouvantable…

Lui – Moi j’étais parti chez ma mère à Clermont-Ferrand. J’y vais deux fois par mois. Je ne me suis pas inquiété non plus. Quand on l’a retrouvée le lundi matin, elle était dure comme de la pierre. Toujours avec son portable à la main… J’ai même envisagé de la conserver comme ça en attendant qu’on puisse la ranimer un jour.

Elle – Quand la médecine aurait fait des progrès…

Lui – Mais… ma femme était de corpulence assez forte. Notre congélateur n’aurait pas été assez grand. Et puis il aurait quand même fallu faire quelques démarches administratives pour que je puisse la garder comme ça chez nous. Je suis un peu du métier, mais bon. Je n’aime pas trop ramener du travail à la maison…

Elle – Vous travaillez dans l’électroménager ?

Lui – Et puis je me suis dit que ce n’était pas forcément un service à lui rendre. Vous avez vu Hibernatus ?

Elle – Ah, oui, ce film… avec Louis De Funès ?

Lui – Vous imaginez que notre avion s’écrase dans le nord de la Sibérie, qu’on soit pris dans la glace, et qu’on nous décongèle dans deux ou trois cents ans ?

Elle – Pas bien, non… Je crois que je vais prendre un autre Xanax…

Passablement flippée, elle avale un cachet.

Lui – Et c’est comme ça que je me suis retrouvé en première classe.

Elle – Comme ça ?

Lui – Ben, du coup je partais tout seul, forcément. Vous pensez bien qu’en si peu de temps, trouver quelqu’un pour remplacer ma femme… Alors au lieu de deux billets de seconde, ils m’ont proposé un billet de première.

Elle – Vous ne me faites pas marcher, au moins ? Comme moi tout à l’heure avec la deuxième classe ?

Lui – Je ne plaisanterais pas avec ça, croyez-moi… C’était quand même ma femme…

Elle – Excusez-moi, mais comme vous n’avez pas l’air très…

Lui – Très affecté…? Écoutez, je vais vous faire une confidence  : ma femme et moi, on était déjà un peu en froid, depuis quelques années… On ne peut pas dire que c’était quelqu’un de très… chaleureux. C’est curieux que je dise ça vu qu’elle a fini congelée entre deux piles de steaks surgelés, non ? Vous croyez que la mort de chacun a un sens ? Je veux dire… par rapport à la façon dont il a vécu ?

Elle – Je ne sais pas…

Lui – Bref, je suis navré pour elle qu’elle soit morte, évidemment, mais… je ne peux pas dire que je suis effondré, je l’avoue. Alors pourquoi faire semblant, hein ?

Elle – La vie continue.

Lui – Et puis ce baptême de l’air, ça me change un peu les idées. Même si c’est vrai qu’au départ, c’est avec elle que je devais partir à Tokyo…

Elle – Surtout que c’est elle qui l’avait gagné, ce voyage.

Lui – Oui.

Elle – Et… c’était quoi, ce concours ?

Lui – Oh, une case à cocher dans un magazine. Il fallait juste renvoyer le coupon de participation au tirage au sort. Et il a fallu que ça tombe sur elle…

Elle – Un magazine, vous dites ?

Lui – Un magazine à sensation, oui.

Elle – Quel magazine ?

Il lui montre la couverture du magazine posé par terre à ses pieds.

Lui – Tenez, celui que vous lisez, justement !

Elle – Ah…

Lui – Ne me dites pas que vous aussi, vous avez gagné un voyage à Tokyo, et que votre mari a eu une crise cardiaque en l’apprenant !

Elle – Euh… Non…

Lui – Non, parce que là, on pourrait vraiment parler d’un signe du destin. La preuve qu’on était faits pour se rencontrer…

Elle – En fait, c’est… C’est moi qui l’ai organisé, ce concours. Enfin, mon journal…

Lui – Votre journal…?

ElleSensationnelle… C’est moi la rédactrice en chef…

Lui – Non ? C’est incroyable ! Sensationnelle, c’est vous ? Mais c’est… sensationnel.

Elle – Je suis vraiment désolée pour votre femme… Du coup, je me sens un peu responsable…

Lui – C’est vrai que sans ce concours, c’est peut-être ma femme qui serait là assise à mes côtés. (Entreprenant) Au lieu de vous…

Elle (sur la défensive) – Oui, enfin… D’un autre côté, sans ce concours, vous n’auriez jamais pris cet avion pour Tokyo…

Lui – Vous avez raison… Et même si ma femme n’était pas restée pétrifiée en apprenant qu’elle avait gagné, c’est derrière ce rideau qu’on serait assis tous les deux elle et moi. En deuxième classe ! Au lieu de ça, je suis assis là à côté de vous en première !

Elle – Disons que c’est le destin, alors…

Lui – N’empêche, c’est un drôle de hasard, non ?

Elle – Drôle, je ne sais pas si c’est le mot, mais…

Lui – Et qu’est-ce que vous allez faire au Japon, alors ? Puisque vous n’êtes pas en vacances !

ElleSensationnelle va créer une édition japonaise du magazine. Je vais à Tokyo pour le lancement du premier numéro. C’est très important pour nous. On a beaucoup misé sur ce projet. C’est aussi pour ça que je suis si nerveuse…

Lui (prenant le magazine en main) Sensationnelle… Alors comme ça, vous vous occupez des potins du monde et de la beauté des femmes.

Elle – Oui, c’est à peu près la ligne éditoriale de notre magazine, en effet.

Lui – Remarquez, on fait un peu le même métier, tous les deux…

Elle – Ah, oui ? Vous vous occupez aussi de la beauté des femmes et des potins du monde ? Qu’est-ce que vous faites ? Vous êtes coiffeur ?

Lui – Entre autres, oui… Les femmes, je les manucure, je les maquille, je les coiffe… Mais seulement lorsqu’elles sont mortes…

Elle – Pardon ?

Lui – Je suis thanatopracteur.

Elle – Tiens donc…

Lui – Ça c’est pour la beauté des femmes. Enfin, souvent, il s’agit surtout de leur redonner figure humaine… Et pour ce qui est des potins du monde, eh bien croyez-moi, en cas de décès d’une célébrité, je suis souvent au courant avant la presse…

Elle – Intéressant…

Lui – Forcément, quand quelqu’un meurt, célèbre ou pas, après la police, c’est nous qui arrivons les premiers sur les lieux… On sait quand, où, comment, avec qui…

Elle – Ah, oui… Je n’avais jamais pensé à contacter des croque-morts comme informateurs pour un magazine people féminin, mais j’avoue que c’est tentant… Vous me laisserez votre carte…

Lui – Mais attention, on est tenus au secret professionnel ! Comme les médecins, les curés ou les prostituées.

Elle – Bien sûr… Mais vous savez qu’en tant que journalistes, nous avons le droit de ne pas divulguer nos sources.

Lui – C’est quand même incroyable qu’on soit assis l’un à côté de l’autre dans cet avion, non ? Vous croyez au destin ?

Elle – Le destin… C’est le nom que les gens superstitieux donnent au hasard, non ?

Lui – C’est beau, ce que vous dites… Ça ressemble à un proverbe japonais…

Elle – Oui… Il arrive que sous Xanax, j’en invente quelques-uns…

Lui – J’ai bien envie de téléphoner à ma mère pour lui dire à côté de qui je suis assis en ce moment. C’est une lectrice très fidèle de Sensationnelle, vous savez… Ça ne vous dérange pas de lui dire deux mots ? Sinon, elle ne va jamais me croire…

Il sort son portable.

Elle – J’en serais ravie… Mais je crains que vous ne deviez attendre d’être arrivé à Tokyo pour appeler votre maman.

Lui – Et pourquoi ça ?

Elle – Mais parce que le portable ne passe pas en avion !

Lui – Ah, bon… ? Alors là… Je ne savais pas… C’est vraiment la Quatrième Dimension…

Il range son portable.

Elle – Douze heures sans pouvoir passer un appel ou envoyer un SMS… Pour certaines, croyez-moi, c’est pire que douze heures sans manger et sans boire…

Lui – Eh oui… Surtout pour la rédactrice en chef d’un magazine à sensation, j’imagine… Alors si vous appreniez quelque chose de sensationnel, là, tout de suite, vous ne pourriez le dire à personne ?

Elle – Quelque chose de sensationnel… ?

Lui – Un scoop, comme on dit dans votre métier.

Elle – En même temps, je ne vois pas trop quel genre de scoop on pourrait apprendre dans un avion totalement coupé du monde.

Lui – Ah… Allez savoir…

Elle – À part si le pilote nous annonce qu’on vient de perdre un réacteur, et qu’on est sur le point de se crasher au milieu de la Sibérie, évidemment.

Lui (mystérieux) – Hun, hun…

Elle – Et encore, il faudrait qu’il y ait au moins une ou deux célébrités à bord pour que ça puisse intéresser les lecteurs et les lectrices de Sensationnelle.

Lui – Qui vous dit qu’il n’y en a pas ?

Elle – Vous m’intriguez…

Lui – Et si moi, je vous racontais quelque chose que personne ne sait encore…

Elle – Vous ?

Lui – Je vous l’ai dit… Il y a certaines choses qu’un croque-mort est parmi les premiers à savoir…

Elle – Dites toujours…

Lui – Vous me promettez qu’il n’y a aucun moyen pour vous de faire sortir ce scoop de cet avion tant qu’il ne s’est pas posé à Tokyo ?

Elle – Malheureusement… Même si c’est le scoop du siècle…

Lui – Croyez-moi, c’est du lourd… Quelque chose que les médias n’apprendront que dans une douzaine d’heures.

Elle – J’avoue que vous êtes parvenu à exciter ma curiosité… Je vous écoute…

Lui – Tenez-vous bien : Mireille Mathieu n’est plus de ce monde.

Elle – Mireille Mathieu ?

Lui – Mireille Mathieu.

Elle – C’est ça, votre scoop ?

Lui – Mireille Mathieu !

ElleElle ne chante plus depuis au moins trente ans.

Lui – En France, oui.

Elle – Ben oui, en France.

LuiElle a quand même chanté Place de la Concorde le jour de l’élection de Sarkozy.

Elle – La mort de Mireille Mathieu… Si on fait la couverture de Sensationnelle là-dessus, c’est sûr que nos lecteurs vont être très surpris. Les plus jeunes se demanderont qui est mort, et les plus vieux se diront : « Ah bon, je croyais qu’elle était déjà morte ».

Lui – Attendez, vous savez ce que représente Mireille Mathieu au Japon ?

Elle – Quoi ?

Lui – C’est tout simplement la célébrité française la plus connue des Japonais. Ils lui vouent un véritable culte. Mireille Mathieu, pour les Japonais, c’est comme, je ne sais pas moi… Kim Jong-il pour les Nord-Coréens.

Elle – Peut-être parce qu’elle lui ressemble un peu… C’est vrai qu’avec la mèche et les lunettes de soleil, elle lui ressemble un peu…

Lui – Vous ne vous rendez pas compte ! Lorsque les Japonais vont apprendre la disparition de Mireille Mathieu, ils vont décréter trois jours de deuil national !

Elle réfléchit et semble prendre conscience de l’importance de la nouvelle.

Elle – C’est vrai qu’elle est très populaire là-bas… Beaucoup plus qu’en France, en tout cas.

Lui – Mireille Mathieu ! C’est la seule chose que la France a réussi à exporter au Japon ! Vous imaginez le scoop pour le lancement de la version japonaise de votre magazine Sensationnelle !

Elle – Vous avez raison… Ce serait un truc énorme… Un coup de pub extraordinaire… Et totalement gratuit… Un véritable scoop… Un scoop japonais, en tout cas.

Lui – Un scoop planétaire, vous voulez dire. Parce qu’elle est aussi très populaire en Russie. Même en Sibérie !

Elle – Et vous êtes sûr qu’elle est morte ?

Lui – J’ai fait sa toilette moi-même, avant de l’incinérer. Croyez-moi, je suis bien placé pour savoir qu’elle est vraiment morte.

Elle – Et pourquoi est-ce qu’on cacherait son décès, alors ?

Lui – Quelques heures seulement. C’est très courant, vous savez. Le temps que la famille puisse faire son deuil tranquillement. Et organiser les obsèques en évitant les débordements. Savoir si on l’enterre au Panthéon ou…

Elle – Ou… ?

Lui – Ça, c’est le deuxième scoop.

Elle – Mireille Mathieu va être enterrée au Panthéon, à côté de Jean Moulin ?

Lui – Justement non. Pour remercier le public japonais de sa fidélité sans faille pendant toutes ces années, où le public français l’avait déjà enterrée, elle a expressément demandé dans son testament à ce que ses cendres soient dispersées au dessus du Mont Fukushima.

Elle – Vous voulez dire du Mont Fujiyama, j’imagine… Alors on va transférer ses cendres au Japon ?

Lui – Et c’est là que j’en arrive au troisième et dernier scoop…

Elle – Ah, parce que ce n’est pas fini… ?

Lui – Je vous conseille de boucler votre ceinture de sécurité pour ne pas sauter au plafond, parce que c’est du lourd… Du super lourd…

Elle – Quoi  encore?

LuiElle est à bord de cet avion !

Elle – Qui ?

Lui – Mireille Mathieu !

Elle – Je croyais qu’elle était morte ! Faut que j’arrête le Xanax, moi…

Lui – Ses cendres !

ElleNon… ?

Lui – C’est sûrement aussi pour empêcher ses fans français de s’opposer à ce transfert que son impresario a décidé de garder le secret jusqu’à l’arrivée de l’urne au Japon.

Elle – L’urne ? Quelle urne ?

Lui – Non mais vous le faites exprès ou quoi ? L’urne contenant les cendres de Mireille Mathieu ! Si son Fan Club avait su qu’on allait transférer ses cendres au Japon, il y aurait sûrement eu des débordements ! J’imagine déjà les plus enragés, couchés en travers sur la piste pour empêcher l’avion de décoller…

Elle – Je vois… Comme ces trains qui transportent des déchets nucléaires, et qui sont bloqués par les écolos…

Lui – Mireille Mathieu, ça fait quand même partie du patrimoine national ! C’est un monument historique ! En ruine, peut-être, mais un monument historique !

Elle – Bien sûr…

Lui – En revanche, vous imaginez les scènes d’hystérie collective à l’aéroport de Tokyo si les Japonais savaient qu’elle était à bord de cet avion ?

Elle – Vous n’êtes pas en train de vous foutre de moi ?

Lui – Ses cendres sont dans la soute de cet appareil, je vous dis ! Juste là, sous nos pieds !

Elle – Sous nos pieds…?

Lui – Sur la tête de ma femme !

ElleParce que le corps de votre femme est aussi dans la soute ?

Lui – Mais non… Je veux dire, je vous le jure sur la tête de ma femme !

Elle – Et comment vous avez appris qu’elle était à bord de cet avion ?

Lui – Ça en revanche, c’est tout à fait par hasard. J’ignorais complètement qu’elle prenait le même avion que moi. Mais quand j’ai enregistré mes bagages, j’ai reconnu son impresario juste devant moi. Et surtout, j’ai reconnu le paquet !

Elle – Le paquet ?

Lui – L’urne ! Je l’ai emballée moi même. Vous pensez bien que c’est assez fragile. Et pas question de prendre ça en bagage accompagné…

Elle – Ils vont la faire tourner sur le tapis roulant à l’arrivée comme une vulgaire valise ?

LuiElle a beau voyager incognito, je pense qu’ils prennent des dispositions spéciales…

Elle – Je vois… Comme quand on transporte un organe à transplanter d’urgence, par exemple, dans une petite glacière. Un cœur ou un rein…

Lui – Oui, enfin, là, c’est des cendres… C’est pas des tranches de foie ou des steaks hachés surgelés…

Elle semble digérer peu à peu toute la portée de ces informations.

Elle – Ah, oui, c’est un sacré scoop, en effet.

Lui – C’est sûr que pour le premier numéro de votre magazine au Japon, ça cartonnerait… 130 millions d’habitants, vous vous rendez compte ? Deux fois plus qu’en France…

Elle – Ce serait un numéro collector, c’est sûr. Un truc qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’un magazine. Alors sortir un scoop pareil dès le premier numéro de Sensationnelle au Japon…

Lui – Malheureusement, pas de téléphone, pas de scoop… Vous n’avez aucun moyen de transmettre l’info à votre rédaction… Pas avant notre arrivée à Tokyo, dans une dizaine d’heures…

Elle – À ce moment-là, le magazine sera déjà imprimé. Ils sont en plein bouclage à l’heure qu’il est. C’est maintenant qu’il faudrait que je puisse les joindre… Dans dix heures, il sera trop tard !

Lui – Et puis dans une dizaine d’heures, ce ne sera probablement plus un scoop…

Elle – Vous croyez…?

Lui – Vous pensez bien qu’on ne peut quand même pas garder un truc comme ça secret pendant très longtemps…

Elle semble complètement déprimée.

Elle – Il doit bien y avoir un moyen…

Lui – En même temps, si je vous ai dit ça, c’est parce que j’étais sûr que ça ne sortirait pas d’ici… Je vous l’ai dit, je suis lié par le secret professionnel. Je risque mon boulot, moi…

Elle – Mmm…

Lui (se levant) – Bon, vous m’excuserez, mais il faut que je passe aux toilettes.

Elle (ailleurs) – Hun, hun…

Lui (désignant le fond de la salle) – Je vais aller à celles qui sont au fond là-bas, comme ça je pourrais voir au passage à quoi ça ressemble la deuxième classe…

Il se lève.

Elle – Quel est le crétin qui a décidé qu’on ne pourrait pas téléphoner en avion, surtout sur les vols long-courriers ?

Lui – Au théâtre non plus, on n’a pas le droit de téléphoner. Et parfois ça dure aussi pendant des heures…

Il traverse la salle en observant au passage les rangées de spectateurs avec un air curieux et un peu narquois. Suit une adresse au public qui peut être partiellement modifiée ou complétée par une improvisation en fonction de l’inspiration du comédien et des réactions de la salle.

Lui – Tout le monde a réussi à s’asseoir, finalement… (À un spectateur) Ça va, vous n’êtes pas trop serrés ? (À un autre) Ne vous dérangez pas, je ne fais que passer. Je vais aux toilettes. (À un troisième) Vous avez le droit de les utiliser, vous, ou bien…? (À un quatrième) J’espère que vous avez pris vos précautions avant d’embarquer… (À un cinquième) Ah, il faudra penser à rattacher votre ceinture, vous. Non, non, pas la ceinture de sécurité, votre ceinture quoi… (À un sixième) Ah, vous c’est la braguette…

Il sort.

Elle (avec une tête de folle) – Mireille Mathieu… Mais c’est dément ! (Elle avale un autre cachet) Je crois que ce n’était pas le bon jour pour arrêter les antidépresseurs…

Noir.

ACTE 2

La lumière revient, tandis qu’une voix d’hôtesse se fait entendre dans un haut parleur.

Hôtesse (avec une extrême amabilité) – Nous allons bientôt traverser une zone de turbulences. Tous les passagers sont invités à regagner leurs sièges, à boucler leurs ceintures de sécurité, et à rester assis jusqu’à l’extinction du signal lumineux. Merci pour votre compréhension.

Il retraverse la salle, feignant de tanguer un peu. Il tient à la main une coupe de champagne, avec laquelle il nargue les spectateurs.

Hôtesse (sèchement) – Eh, vous là-bas, vous comprenez le français ? Vous retournez à votre place et vous la bouclez, d’accord !

Il presse le pas et, titubant encore en raison des mouvements supposés de l’appareil, il renverse un peu du précieux liquide sur un des spectateurs.

Hôtesse (à nouveau aimable) – Ah… Excusez-moi Monsieur, je n’avais pas vu que vous étiez un passager de la classe affaires…

Il revient s’asseoir à côté d’elle.

Lui – Vous avez raison, ce n’est pas très différent de la première classe. Mais alors un monde ! Ils sont tous serrés comme des sardines, là-dedans. Les fauteuils sont tout petits et il n’y a pas moyen d’allonger les jambes.

Elle – Hun, hun…

Lui – Tenez, je vous ai quand même rapporté une coupe de champagne. Enfin, ce que j’ai pu en sauver. Je vous avoue que c’était surtout pour le plaisir de traverser toute la deuxième classe avec une coupe de champagne à la main.

Ailleurs, elle saisit machinalement la coupe de champagne qu’il lui tend.

Elle – Merci…

Lui – Vous pensez toujours à ce que je vous ai dit, c’est ça… J’aurais mieux fait de ne pas vous en parler…

Elle – Il y a beaucoup de magazines comme le mien qui paieraient cher pour avoir un scoop comme ça avant tous les autres, vous savez ?

Lui – Et moi qui vous ai donné l’info gratuitement…

Elle (hystérique) – Mais si je ne peux pas la publier, ça ne vaut rien ! (Se calmant) C’est la pire torture qu’on peut infliger à la directrice d’un journal à sensation ! Lui donner un scoop sensationnel qu’elle est dans l’incapacité de publier…

Lui – Oui, j’imagine… Un véritable supplice japonais… (Elle lui lance un regard incendiaire) Vous devriez essayer de dormir un peu…

Elle (à nouveau hystérique) – Parce que vous croyez que maintenant, je vais réussir à dormir ? (Se calmant) Il doit bien y avoir un moyen…

Lui – À part vous faire larguer en parachute au-dessus de la Sibérie… en espérant atterrir sur le toit d’une cabine téléphonique. Parce que je ne suis pas sûr que la couverture réseau soit excellente dans ce genre de contrées désertiques.

Elle – Vous croyez que le pilote serait d’accord pour ouvrir la porte de l’appareil en plein vol ?

Lui – Vous avez déjà sauté en parachute ?

Elle – Ça ne doit pas être très compliqué…

Lui – Je ne suis même pas sûr qu’il y ait des parachutes à bord… C’est idiot, d’ailleurs, parce que c’est vrai que dans un avion, au-dessus de la Sibérie, ce serait plus utile en cas d’avarie que des bouées de sauvetage…

Elle – Et si l’avion faisait une escale quand même ?

Lui – À moins d’une situation d’urgence, ça ne va pas être facile de convaincre le pilote de poser son appareil à Irkoutzk ou à Novossibirsk.

Elle – Je pensais plutôt… à un détournement.

Lui – Détourner un avion et forcer le pilote à se poser, seulement pour passer un coup de fil ? C’est peut-être un peu excessif,  non ?

Elle – Vous trouvez aussi…

Lui – Et puis avec quoi vous comptez menacer le pilote ? Avec la petite cuillère en plastique que vous a donné l’hôtesse tout à l’heure pour tourner votre café ?

Elle réfléchit.

Elle – Vous vous souvenez de ce barbu qui avait planqué une bombe dans ses chaussures ?

Lui – Oui…

Elle – Je pourrais dire au steward que j’ai une bombe dans ma culotte et que je suis prête à la faire exploser si l’avion ne se pose pas immédiatement.

Lui – Ouais… mais vous n’êtes pas barbue. Pourquoi la rédactrice en chef de Sensationnelle détournerait un avion pour se poser en Sibérie ?

Elle – Je ne sais pas, moi… Pour demander l’asile politique…

Lui – L’asile politique ?

Elle – L’asile fiscal ?

Lui – Même si on vous croyait… Vous seriez immédiatement arrêtée dès votre descente de l’avion, avant même d’avoir pu passer un coup de fil à votre avocat…

Elle – C’est pas faux…

Lui – Ah, le signal lumineux vient s’éteindre !

Elle – Et si c’était vous, le terroriste ?

Lui – Pardon ?

Elle – C’est vous qu’on arrête, et comme ça, je peux appeler ma rédaction  tranquillement !

Lui – Eh, oh ! Je n’ai pas envie de passer les vingt prochaines années de ma vie au goulag ou à Guantanamo, moi ! Seulement pour que vous puissiez faire votre une de demain sur la disparition de la plus grande chanteuse japonaise de tous les temps.

Elle – C’est pourtant vrai qu’elle a un petit air japonais, non ?

Lui – Physiquement, vous voulez dire ?

Elle – La coupe de cheveux, la couleur anthracite, les yeux bridés… Ça c’est sûrement à force de se faire tirer, mais bon…

Lui – Se faire tirer…?

Elle – Les liftings ! Ça tire la peau…

Hôtesse  (enjôleuse) – Monsieur Jacques Dumortier est invité à se présenter auprès de l’une de nos hôtesses pour la prestation de son choix.

Lui (excité) – C’est moi ! Je vais devoir vous abandonner à nouveau un instant. Ça fait partie du voyage que j’ai gagné…

Elle – Vous avez gagné le droit de vous taper une hôtesse ?

Lui – Malheureusement, je suis seulement invité à faire un tour dans la cabine de pilotage…

ElleElle a parlé de la prestation de votre choix… 

Lui – Je pouvais choisir entre tenir un moment le manche du pilote ou une cartouche de pipes détaxées. Mais comme j’ai arrêté de fumer…

Elle – Ah, d’accord…

Lui – C’est vous qui l’avez organisé, ce concours ! Vous ne vous souvenez pas ?

Elle – Nom de Dieu, le pilote !

Lui – Quoi…?

ElleLui, il peut communiquer avec le sol !

Lui – Ah, oui, évidemment.

Elle – Il pourrait faire passer un message à la tour de contrôle.

Lui – Quel genre de message ? Allô Papa Tango Charlie ! Attention ! Mireille Mathieu est morte ! Je répète, Mireille Mathieu est morte !

Elle – Pourquoi pas ?

Lui – Si elle n’est pas morte dans l’avion… Ça risque de ne pas trop intéresser la tour de contrôle…

Elle – Vous avez raison… (Elle réfléchit) Bon, alors on dit au pilote qu’on a besoin de joindre d’urgence notre famille à Tokyo… et on en profite pour faire passer l’info à mon journal.

Lui – Notre famille ?

Elle – Je me fais passer pour votre sœur.

Lui – Je n’ai pas de sœur.

Elle – Ils ne sont pas censés le savoir, si ?

Lui – Admettons… Mais notre famille… À Tokyo ? Ni vous ni moi on a tellement le type asiatique.

Elle – Je ne sais pas, moi… On leur explique qu’on a été adoptés ensemble à la naissance par un couple de Japonais.

Lui – Comment ça, à la naissance ? Il est quand même évident qu’on n’est pas jumeaux…

Elle – Et alors ?

Lui – Alors on n’a pas pu être adoptés ensemble à la naissance !

Elle – Bon, dans ce cas. Vous y allez seul, et vous leur dites que vous avez absolument besoin de joindre tout de suite votre femme !

Lui – Alors là, ma femme, ils savent bien qu’elle est morte : c’est pour ça qu’ils m’ont surclassé en première !

Elle – Non mais vous le faites exprès, ou quoi ? Peu importe le baratin qu’on leur raconte, on va bien trouver quelque chose !

Lui – Je vous écoute.

Elle – Ils vous ont dit que vous aviez droit à la prestation de votre choix ! Je vous donne le numéro à appeler de ma part à Tokyo. Vous faites comme si vous appeliez votre mère pour lui faire un petit coucou depuis la cabine de pilotage, et puis voilà…

Lui – Ma mère habite Clermont Ferrand.

Elle – J’ai trouvé ! On va donner dans le mélodrame…

Lui – Vous me faites peur.

Elle – Vous leur dites que votre mère a un cancer en phase terminale, et qu’elle est allée au Japon se faire soigner par le meilleur spécialiste. Vous alliez la voir, mais l’opération a dû être avancée parce que son état s’est brusquement aggravé.

Lui – Ma pauvre maman…

Elle – C’est parfait, vous avez raison, il faut absolument les apitoyer… Donc vous avez peur que votre mère ne sorte pas vivante du bloc opératoire, et vous voulez absolument lui dire un dernier adieu, au cas où.

Lui – Oh mon Dieu…

Elle – Je vous rappelle que c’est juste une histoire.

Lui – Vous avez raison.

Elle – Et au téléphone, vous en profitez pour glisser aussi discrètement que possible dans la conversation que Mireille Mathieu est morte.

Lui – Alors ça… Ça ne va pas être évident à placer dans la conversation. Ma mère déteste Mireille Mathieu. Presqu’autant qu’elle détestait ma femme…

Elle – Mais ce n’est pas votre mère, que vous aurez au bout du fil, c’est la rédactrice en chef de la version japonaise de Sensationnelle !

Lui – Ah, oui, c’est vrai…

Elle – Vous croyez que vous pouvez vous en sortir ?

Lui – Combien ?

Elle – Pardon ?

Lui – Vous m’avez dit que n’importe quel magazine serait prêt à payer une fortune pour avoir cette info avant les autres…

Elle – C’était quand je pensais qu’il n’y avait aucun moyen de transmettre ce scoop au magazine…

Lui – Alors ?

Elle – Mille ? (Il n’a pas l’air satisfait) Dix mille ?

Lui – Il s’agit de la réussite ou de l’échec du lancement de votre magazine au Japon.

Elle – OK, j’irai jusqu’à cinquante mille, mais pas plus.

Lui – Pour ce prix là, je suis prêt à poser moi-même cet avion sur le toit d’une cabine téléphonique.

Elle prépare le chèque, mais elle est soudain prise d’un doute avant de lui donner.

Elle – Et comment je saurai que vous avez vraiment transmis le message ? Si je ne peux pas venir avec vous dans la cabine de pilotage…

Lui – Je peux être très persuasif, quand je veux, croyez-moi… C’est à prendre ou à laisser.

Elle lui donne le chèque. Puis elle griffonne quelque chose sur une carte de visite avant de la lui tendre aussi.

Elle – Vous appelez ce numéro de ma part, et vous dites à la personne que vous aurez au bout du fil de préparer d’urgence la nécro de Mireille Mathieu. Elle comprendra.

Lui (philosophe) – C’est triste, mais après tout, nous allons tous mourir un jour, pas vrai ? (Elle lui lance un regard impatient) J’y vais…

Il repart, cette fois vers les coulisses. Elle l’interpelle avant sa sortie.

Elle (à voix basse) – Et pas un mot aux passagers de deuxième classe, hein ?

Dans un état second, passablement survoltée, elle vide cul sec la coupe de champagne pour faire passer un autre cachet.

Elle (au public) – Vous avez bien éteint vos portables, au moins ? Non parce que c’est une question de sécurité ! Ça peut être très dangereux, vous savez. Ça perturbe la régie… On risque une coupure de réseau ! Et je ne vous raconte pas les conséquences d’une panne à l’altitude où on est. Parce que ça vole haut, là. Très haut ! Si ça disjoncte, on va tous péter les plombs…

Noir.

ACTE 3

Elle somnole, son magazine sur les genoux, et se réveille quand des bruits confus se font entendre dans le haut parleur. Des bruits de lutte sourde, des coups, des cris étouffés, suivis d’un crachouillis de micro, puis le silence. L’autre revient, les vêtements en désordre et passablement ébouriffé.

Elle – Ne me dites pas que finalement, vous vous êtes quand même tapé l’hôtesse de l’air sans son consentement ?

Lui – Non, non, c’est pas ça, malheureusement…

Elle – Le pilote n’a pas voulu vous laisser téléphoner ?

Lui – Si, si… J’ai appelé ma mère à Clermont-Ferrand pour lui faire un petit coucou depuis la cabine de pilotage, comme convenu…

Elle – À Clermont-Ferrand ?

Lui – Et je lui ai bien dit que Mireille Mathieu était morte. Rassurez-vous, elle était en train de regarder les nouvelles sur France 3 et personne n’est encore au courant…

Elle – Non, mais dites moi que c’est pas vrai ! Dites-moi que je rêve ! C’est un cauchemar !

Lui – C’est après que je me suis rendu compte que je n’avais pas appelé le bon numéro…

Elle – Et alors ?

Lui – J’ai demandé au pilote si je pouvais passer un autre appel… Il m’a dit que c’était une cabine de pilotage, pas une cabine téléphonique. C’est à partir de là que ça a un peu dégénéré.

Elle – Dégénéré ?

Lui – Il a mal parlé de maman…

Une hôtesse fait une nouvelle annonce.

Hôtesse – Mesdames et Messieurs, votre attention s’il vous plaît. Le pilote et le copilote ont eu… un petit malaise. Mais ne vous inquiétez pas, on va certainement réussir à en ranimer un avant d’avoir perdu trop d’altitude. S’il y a un médecin dans la salle, il est prié de se manifester sans tarder auprès de nos hôtesses. (Un temps) S’il y a un pilote dans la salle, il est prié de se manifester aussi. D’urgence…

Elle – Oh, mon Dieu !

Lui – J’ai peut-être eu la main un peu lourde… Mais c’est de votre faute aussi. Cinquante mille euros, c’est une somme… Ça m’est un peu monté à la tête, forcément. Avec ça, j’aurais pu acheter un énorme congélateur…

Elle – Un congélateur…?

Lui – Pour maman… Au cas où elle serait vraiment atteinte d’un cancer incurable, comme vous dites.

Elle – Ah oui…

Lui – Je la décongèlerai quand on aura trouvé un remède définitif contre la mort. Il paraît qu’on vient de tester sur les rats une nouvelle enzyme ! Vous saviez que certaines méduses sont immortelles ?

Elle le regarde interloquée, quand le haut-parleur redonne de la voix.

HôtesseMesdames et Messieurs, en l’absence de pilotes opérationnels pour le moment, je vais tenter moi-même un atterrissage d’urgence à Novossibirsk. Mais je vous préviens, accrochez-vous, parce que je ne sais déjà pas faire un créneau avec ma Fiat Uno… (Pour elle-même) C’est où la pédale de frein…? Ah, non, celle-là ça doit être l’embrayage… Je confonds tout le temps… Au moins, j’ai le manche du pilote bien en main… Gloups… Ah, non, c’est pas ça non plus…

Elle (hystérique) – Un atterrissage d’urgence ! Mais c’est génial ! Je vais enfin pouvoir appeler ma rédaction à Tokyo !

Lui – Je crois que là, c’est le moment ou jamais de mettre nos bouées de sauvetage.

Ils sortent des bouées en forme de canard et les passent autour de leur taille. Bruit d’un avion qui part en piqué.

Noir.

ACTE 4

Premières notes du générique de la Quatrième Dimension. La lumière se fait sur un décor apocalyptique. Désordre général. Sièges renversés. Tenues chamboulées. Fumée si possible. La voix de l’hôtesse se fait à nouveau entendre dans le haut parleur.

Hôtesse (sirupeuse) – Le vol 714 en provenance de Paris et à destination de Tokyo vient d’atterrir… quelque part. Le metteur en scène et son équipage vous souhaitent un bon séjour. Nous espérons que vous avez passé un excellent voyage, et prions pour vous revoir bientôt à nouveau en vie sur nos lignes.

Ils reprennent connaissance peu à peu.

Lui – Vous croyez qu’on est morts ?

Elle essaie de téléphoner avec son portable.

Elle – En tout cas, il n’y a pas de réseau…

Lui – On est peut-être dans la Quatrième Dimension…

Elle – Ou alors on a fait un cauchemar, tout simplement, et on n’est pas encore complètement réveillés…

Elle repère quelque chose dans le désordre ambiant et le prend dans ses mains. C’est l’urne contenant les cendres de Mireille Mathieu, avec sa photo dessus. Ils échangent un regard perplexe.

Lui – C’est désert, mais ça ne ressemble pas tellement à la Sibérie.

Elle – Vous croyez qu’on est les seuls survivants ?

Lui – Malheureusement, je ne crois pas…

Il lui fait un signe discret pour qu’elle regarde du côté du public.

Elle (à voix basse) – C’est qui tous ces gens, là-bas, dans le noir ?

Lui – C’est pas ceux de la classe touriste ?

Elle – La classe touriste ?

Lui – Ceux de la deuxième classe !

Elle – On dirait qu’ils nous regardent…

Lui – Ils ne bougent pas…

Elle – Vous croyez qu’ils sont morts, eux aussi ?

Lui – Ou alors ils dorment.

Elle – Comme ça arrive, parfois, au théâtre…

Lui – Je crois qu’il vaudrait mieux éviter de les réveiller.

Elle – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Lui – Surtout pas de gestes brusques… On reste calmes… Et on se dirige doucement vers la sortie…

Elle – Quelle sortie ? Cour ? Jardin ?

Lui J’aurais une préférence pour la sortie de secours…

Elle (très perturbée) – Je crois que j’ai encore besoin d’un petit relaxant avant… (Elle fouille dans son sac) Oh, mon Dieu, on m’a volé tous mes cachets !

Lui (emphatique) Quand on est au théâtre et qu’on a la chance d’avoir des cachets, mieux vaut ne pas les laisser traîner n’importe où…

Elle – Le producteur est un escroc. Il a dû nous refiler un somnifère dans le champagne avant de se barrer avec la caisse…

Lui – Quelle histoire ! Vous croyez qu’on parlera de nous dans la presse ?

Elle – Il faudrait encore qu’il y ait un journaliste dans la salle.

Elle – J’espère au moins qu’il y a encore une hôtesse en régie.

Lui – Pour quoi faire ?

Elle – Pour tirer le rideau entre la première et la deuxième classe !

Ils battent prudemment en retraite vers les coulisses.

Hôtesse – Pourvu que ça ne disjoncte pas encore !

Noir.

Hôtesse – Et merde ! Ça a disjoncté

Éventuellement premières mesures d’une chanson de Mireille Mathieu ou de Piaf de préférence en japonais. Rideau si possible.

ACTE 5

La lumière revient sur scène et/ou le rideau s’ouvre à nouveau, comme pour le salut des comédiens. Mais on découvre une mise en scène similaire à celle du premier acte : deux sièges côte à côte, qui pourraient aussi bien être ceux d’un théâtre. Il est assoupi à côté de la même femme que précédemment, mais qui a troqué son ensemble tailleur de businesswoman contre une tenue beaucoup plus banale. Au choix du metteur en scène et selon la dimension et les possibilités de la salle, elle et lui pourront aussi dans cet épilogue être assis parmi les spectateurs, comme au début du spectacle. Elle le secoue un peu pour le réveiller.

Elle – Michel… Eh Michel… (Comme il ne réagit pas, elle le secoue plus violemment) Michel !

Il se réveille en sursaut, comme s’il sortait d’un cauchemar.

Lui (paniqué) – Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ?

Elle – Ben c’est fini !

Lui – On est morts ?

Elle – Ah… Je ne crois pas, non. (Plus bas) Ou alors c’est que l’expression mourir d’ennui n’est pas une simple métaphore.

Lui – Mais on est où ?

Elle Où on est…? On est au théâtre ! Et il faut qu’on s’en aille là, tu vois, parce la pièce est finie. Je ne te demande pas si ça t’a plu…

Il regarde sa femme, revenant peu à peu à la réalité.

Lui – Monique ! C’est toi ?

Elle – Ben oui, c’est moi… Ta femme… Qui veux-tu que ce soit ?

Lui – C’est dingue.

Elle – Quoi ?

Lui – J’ai rêvé que tu étais morte.

Elle – Ça fait toujours plaisir…

Lui – On avait gagné un concours. Un voyage à Tokyo pour deux personnes. Comme tu étais morte, on m’avait surclassé en première, et je voyageais à côté de la rédactrice en chef d’un magazine féminin !

Elle – Ah ouais…

Lui – Et au lieu de ça, je me réveille à côté de toi au théâtre…

Elle – Ben tu vois… Le rêve est terminé… Bon on y va ?

Elle se lève.

Lui – Attends, ce n’est pas fini. Ça me revient maintenant… Mireille Mathieu était morte aussi !

Elle – Mireille Mathieu ?

Lui – Rassure-moi, elle n’est pas morte, au moins ?

Elle – Je ne sais pas… C’est vrai qu’on n’entend plus beaucoup parler d’elle… Bon, tu viens ?

Il se lève, encore un peu secoué.

Lui – Mais qu’est-ce qu’on fout au théâtre ? On n’y va jamais, au théâtre !

Elle – Tu commences vraiment à m’inquiéter… Tu te rappelles quand même qu’on bosse ensemble chez Viandard Surgelés ?

Lui – Ah oui, c’est vrai, merde… C’est la femme du patron qui joue dans la pièce. C’est lui qui nous a invités.

Elle – C’est le genre d’invitation qu’on ne peut pas vraiment refuser… Il faut dire que s’il n’avait pas invité tous ses employés, le boss, il n’y aurait sûrement pas grand monde dans la salle.

Lui – C’était si mauvais que ça ?

Elle – En tout cas, il faut qu’on se dépêche, il doit déjà nous attendre à la sortie pour savoir ce qu’on a pensé du spectacle.

Lui – C’est un cauchemar… Mais tu n’aurais pas pu me réveiller, toi aussi ?

Elle – Je ne savais pas que tu dormais, moi !

Lui – Et ça parle de quoi, cette pièce, en gros ?

Elle – En gros ?

Lui – Tu me dis à peu près de quoi ça parle, et puis… On improvisera !

Elle – Ben, c’est assez difficile à résumer.

Lui – Ouais ?

Elle – L’intrigue est un peu compliquée, tu vois… Je dirais même assez confuse…

Lui – Vas-y toujours…

Elle – Écoute, je vais te faire une confidence… Je me demande si moi aussi, je n’ai pas piqué un petit roupillon entre la fin du premier acte et le début du cinquième…

Lui – Non ?

Elle – Ou alors c’est que la pièce était vraiment très courte…

Lui – Putain… Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir leur dire ?

Elle – Comme tu dis… On improvisera… Bon, il faut y aller. On ne va pas les faire attendre, en plus.

Lui – C’est un cauchemar, je te dis… On va sûrement se réveiller…

Elles se dirigent vers la sortie.

Noir.

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-24-6

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