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Les amis

Ils sont assis à une table, et prennent un café. Silence embarrassé.

Fred – Je ne savais pas qu’il était malade… Enfin… malade du cœur, je veux dire.

Max – Moi non plus.

Fred – Bien sûr. Sinon tu me l’aurais dit…

Un temps.

Max – Il n’en avait parlé à personne. Pas même à sa femme, apparemment.

Fred – Ça ne m’étonne pas. Vincent… il avait un tempérament de vainqueur. Tout lui réussissait.

Max – Le plus gros salaire, la plus grosse voiture… La plus belle femme…

Fred – Ce qu’il aimait, c’était qu’on l’admire. Il n’aurait pas supporté qu’on le plaigne.

Max – Mais il est mort quand même.

Fred – On ne peut pas gagner à tous les coups.

Max – Non… Je dirais même qu’à la fin, on est sûr de perdre. Tous. Même ceux qui ont… un tempérament de vainqueur.

Un temps.

Fred – Et toi, ça va ?

Max – Ça va.

Fred – Alors tu n’as pas quitté la région.

Max – Non. Je n’ai même pas quitté le lycée, tu vois. Puisque j’y suis devenu prof. J’y resterai sans doute jusqu’à l’âge de la retraite. Je ne dois pas avoir un tempérament de vainqueur, comme tu dis.

Fred – Je parlais de Vincent. Toujours aussi susceptible…

Un temps.

Max – Et toi ?

Fred – Ça va.

Max – Toujours dans l’immobilier ?

Fred – Toujours. Mais j’ai pas mal voyagé.

Max – Aux États-Unis ?

Fred – Aux États-Unis. En Asie. Maintenant j’habite dans le Sud.

Max – Le Sud de la France…?

Fred – Lyon.

Max – Marié ?

Fred – Marié. Et divorcé. Et toi ?

Max – Divorcé. Et remarié.

Un temps.

Fred – Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus ?

Max – Je ne sais pas… Longtemps.

Fred – C’est dommage.

Max – Mmm…

Fred – On était très proches, pourtant. On était amis.

Max – Oui.

Fred – On l’est encore, non ?

Max – Bien sûr…

Fred – Mais on ne se voit plus.

Max – Tu l’as dit, tu habites dans le Sud.

Fred – Lyon, ce n’est pas le bout du monde.

Max – Non. Ce n’est même pas vraiment le Sud.

Fred – Je ne sais pas. Ça commence où, le Sud ?

Max – Exactement, je ne sais pas. Je dirais Montélimar.

Fred – Pourtant Lyon, ce n’est pas le Nord. Ce n’est pas le Centre, non plus. L’Est ?

Max – Pas vraiment.

Fred – Pas l’Ouest, en tout cas.

Max – Lyon est un défi lancé à tous les géographes dont je suis. Ce n’est pas une localisation, c’est une destination. La preuve, la Gare de Lyon est à Paris.

Fred – Tu as raison. Lyon est au milieu de nulle part. On y arrive par l’autoroute, et on la traverse par un tunnel. C’est sûrement pour ça que j’y habite. J’ai toujours eu du mal à me fixer quelque part…

Max – Moi je n’ai jamais réussi à bouger, tu vois. C’est sûrement pour ça que je suis devenu prof de géo. Pour voyager sans bouger de chez moi.

Un temps.

Fred – Le 13 avril 2010.

Max – Pardon ?

Fred – La dernière fois qu’on s’est vus, c’était le 13 avril 2010.

Max – Quelle mémoire…

Fred – C’était l’anniversaire de Vincent. Il avait organisé une grosse fête dans sa maison de campagne en Normandie.

Max – Ah oui, peut-être. En tout cas, ce n’était pas à son mariage. Tu n’étais pas là.

Fred – J’étais loin… À San Francisco, je crois. Je n’ai pas pu faire le voyage… C’est un reproche ?

Max – Non. Une constatation.

Fred – Je n’ai jamais trop aimé les cérémonies.

Max – Tu es quand même venu à son enterrement.

Fred – Oui… (Un temps) Qu’est-ce qui s’est passé ce soir-là, pour qu’on ne se soit jamais revu après ?

Max – On se revoit aujourd’hui.

Fred – Oui… Plus de dix ans après. Et il a fallu que Vincent meurt…

Max – On ne se voyait déjà plus beaucoup avant cette fête en Normandie, non ? C’est la vie. On a pris des directions différentes. Et nos chemins ne se sont plus croisés…

Un temps.

Fred – Alors tu ne m’as jamais pardonné ?

Max – Pardonné quoi ?

Fred – Tu le sais très bien.

Max – Je t’assure que non.

Fred – Et tu ne me pardonneras jamais.

Max – Mais quoi ?

Fred – D’être sorti avec Cécile ! Le jour de l’anniversaire de Vincent.

Max – Pourquoi je t’en voudrais ?

Fred – Parce que tu étais amoureux d’elle, j’imagine.

Max – N’importe quoi.

Fred – Tu n’étais pas amoureux d’elle ?

Max – Si peut-être un peu…

Fred – Tu avais toujours été amoureux d’elle. Moi j’arrive ce soir-là, je ne l’avais pas vue depuis… et elle me tombe dans les bras.

Max – Je ne sortais pas avec elle. Ce n’est pas comme si elle m’avait trompé avec mon meilleur ami.

Fred – Donc tu t’en souviens. Et tu m’en as voulu.

Max – Oui.

Fred – C’est elle qui est venue vers moi.

Max – Bien sûr. Et tu t’es laissé faire, comme d’habitude.

Fred – Je ne l’ai jamais revue après. Et elle n’a pas cherché à me revoir

Max – Pourquoi tu me racontes ça ? C’est moins grave si c’est un coup d’un soir, c’est ça ?

Fred – Finalement, quelques mois après, c’est avec Vincent qu’elle sortait. Et tu ne lui en as jamais voulu, à lui.

Max – Lui, il s’est mariée avec elle.

Un temps.

Fred – Tu continuais à les voir ?

Max – Oui. De temps en temps. La ville n’est pas bien grande, tu sais.

Fred – Mais nous, on ne se voit plus.

Max – C’est compliqué de rester ami avec quelqu’un qui habite à cinq cents bornes de chez toi, mais c’est encore plus compliqué de rester fâché avec un pote qui habite juste en face.

Un temps.

Fred – Alors c’est moi le méchant, c’est ça ?

Max – Je n’ai pas dit ça.

Fred – Tu viendras à mon enterrement, au moins ?

Max – Tu dis n’importe quoi. Et puis je mourrai peut-être avant toi.

Fred – J’étais bourré, ce soir-là. Comme tout le monde. C’est elle qui est venue me chercher. Je me suis laissé faire, comme tu dis. Elle avait envie de se faire un mec. Je ne sais pas pourquoi, c’est moi qu’elle a choisi.

Max – Parce qu’elle savait que pour toi, ça n’avait pas d’importance, probablement. Que tu ne chercherais même pas à la revoir après.

Fred – Sûrement, oui.

Max – C’est sans doute pour ça que toutes les filles te tombent dans les bras.

Fred – Oui. Et que je ne peux en garder aucune.

Max – C’est vrai, j’étais jaloux. Jaloux de ton succès. Moi je suis celui avec qui on pourrait se marier. Du coup je leur fais peur. J’enviais ta légèreté…

Fred – Et moi j’enviais ta rigueur.

Max – Tu veux dire ma rigidité, j’imagine.

Fred – Je pensais que toi, tu ferais quelque chose de ta vie. Je veux dire quelque chose qui a du sens.

Max – Mais finalement, on n’aura rien fait d’important, tu vois. Ni les uns ni les autres.

Fred – En tout cas, aucun de nous trois ne sera devenu une star du rock, comme on en rêvait tous à l’époque, quand on écumait ensemble les salles des fêtes de la région avec ce groupe…

Max – Les Rebelles…

Un temps.

Fred – Alors c’est ça… C’est à cause de Cécile…

Max – Non.

Fred – Ne me dis pas que c’est à cause de ce dernier concert qu’on a fait ensemble ? Et que j’ai complètement foiré parce qu’il manquait une corde à ma guitare…

Max – Tu crois vraiment que c’est à cause d’une fille, Fred ? Ou d’une histoire de corde cassée ? Qu’il suffirait que je te pardonne pour qu’on soit de nouveau amis, comme on l’était il y a des années ?

Fred – Je ne sais pas.

Max – C’est vrai, si tu avais assuré un peu plus pendant ce concert, on en aurait peut-être faits quelques-uns de plus. Mais je ne suis pas con. Je sais bien que ce groupe, ce n’était pas fait pour durer. On ne serait jamais devenus des musiciens professionnels. Alors quant à devenir célèbres…

Fred – Alors pourquoi ?

Max – Tu ne comprends pas, Fred. On n’est pas fâchés. On s’est perdu de vue, c’est tout. Et dans un sens c’est bien plus grave. Loin des yeux loin du cœur, tu connais la formule ? On ne fait plus rien ensemble. On n’a plus rien à partager. C’est pour ça qu’on n’est plus vraiment amis. L’amitié, ça ne meurt pas un jour précis. Comme Vincent. On s’éloigne peu à peu. Et on ne se revoit pas, parce que quand on se revoit, ça nous rappelle notre jeunesse. Toutes les promesses qu’on s’était faites entre nous, toutes les promesses qu’on s’était faites à nous-mêmes, et qu’on n’a pas tenues.

Fred – Alors c’est quoi, l’amitié, à ton avis ?

Max – Je ne sais pas… C’est quand l’opinion de quelqu’un compte pour toi. Quand on se marre ensemble. Quand on a des projets en commun. C’est quoi, nos projets ? De prendre un autre café ensemble dans un an ou dans dix ans, à l’occasion d’un autre enterrement ? On n’a plus de rêves en commun, Fred. Et je ne suis pas sûr d’en avoir encore, des rêves. Quand on se voit, on ne parle que du bon vieux temps. C’est pour ça qu’on ne se voit plus. Parce que ça me déprime. Pas toi ?

Fred – Excuse-moi…

Max – De quoi ?

Fred – De ne pas avoir été là. D’avoir déserté. Déserté notre amitié.

Max – Tu n’y es pour rien. Moi non plus. C’est la vie. Quels projets on pourrait bien avoir encore ensemble ?

Fred – Je ne sais pas.

Max – À l’époque on rêvait d’aller enregistrer un disque en Angleterre. De faire un concert au Golf Drouot.

Fred – Dans ce cas, moi j’ai réalisé mon rêve. J’y joue tous les samedis, au golf. Avec mes collègues de travail.

Max – Désolé, je ne sais pas jouer au golf, et je ne suis pas sûr d’avoir envie de m’y mettre.

Un temps.

Fred – De toute façon, le Golf Drouot, même à notre époque, ça n’existait déjà plus.

Max – Eh ben tu vois, même à l’époque, on était déjà has been.

Fred – On pourrait se mettre à la randonnée… Avec des bâtons de ski, tu sais ? C’est plus de notre âge que le rock, non ?

Max – Tu habites à Lyon, moi en banlieue parisienne.

Fred – On pourrait randonner du côté de Dijon. Faire chacun la moitié du chemin. Maintenant, avec le TGV…

Max – Même quand on habitait encore à deux rues l’un de l’autre, on s’était déjà éloignés. Et quand tu es parti… Je ne te le reproche pas, évidemment. Tu avais de nouvelles choses à vivre. Moi aussi, d’ailleurs. Ce n’était pas les mêmes…

Fred – Et puis il fallait bien trouver un vrai métier pour gagner sa vie. On ne peut pas rester éternellement bloqués sur des rêves impossibles à réaliser. Tu as raison. On se doutait bien, même à l’époque, qu’on ne deviendrait jamais des stars…

Max – En tout cas, maintenant, on en est sûrs.

Fred – Et c’est pour ça, à ton avis, qu’on n’est plus amis ? Parce qu’on n’a pas pu réaliser nos rêves d’ados.

Max – Non. Pas seulement pour ça. Des rêves, on aurait pu en trouver d’autres. On aurait même pu rire ensemble de nos échecs.

Fred – Alors pourquoi ?

Max – Quand on était vraiment amis, on se voyait tous les jours, on a même habité ensemble pendant quelque temps, on partait en vacances ensemble.

Fred – On dirait que tu parles d’un vieux couple.

Max – C’était un peu ça, non ? Le sexe en moins. Rassure-toi, ça ne m’a jamais tenté. Mais oui. L’amour, l’amitié… C’est un peu pareil. Et ça supporte mal le réchauffé.

Fred – Et puis tu t’es marié. Moi aussi…

Max – Nos femmes sont devenues nos meilleures amies. Le sexe en plus. Et même après nous avoir quittés, nos femmes restent souvent nos amies les plus fidèles. On était amis parce qu’on n’avait pas de femme, Fred. L’amitié, c’est un truc de célibataires.

Fred – Donc on ne se reverra plus.

Max – Je ne sais pas. Parfois c’est encore plus triste de se voir que de ne pas se voir.

Fred – Et tu n’as plus d’amis ?

Max – Partager un barbecue une fois par mois, et une location de vacances une fois par an, est-ce que c’est vraiment être amis.

Fred – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Max – Je n’ai pas dit que c’était de ta faute. Je voudrais seulement arriver à faire la paix avec moi-même, tu comprends ? Le moi-même avec qui autrefois tu étais ami.

Fred – Et si on remontait un groupe de rock ?

Max – Ce serait pathétique…

Un temps.

Fred – Tu es sûr que tout ça a vraiment existé ?

Max – Quoi ?

Fred – Ce que tu décris, là. Notre amitié, telle que tu en parlais tout à l’heure.

Max – Je ne sais pas. Non ?

Fred – On était sans arrêt jaloux l’un de l’autre. On était prêts à toutes les trahisons juste pour être sur le devant de la scène, juste pour avoir une fille, quitte à la piquer à son meilleur copain. En fait, on se détestait.

Max – Oui… Mais on se marrait bien. Et au moins on était vivants. Depuis combien de temps tu ne t’es pas vraiment marré ?

Fred – Depuis longtemps, je crois. Aussi longtemps que toi, j’imagine.

Max – Voilà. On ne se marre plus ensemble. Et je ne suis pas sûr qu’on se marre beaucoup en général. Ce qui s’appelle se marrer, tu vois ? À en attraper mal au ventre. Tu te souviens de nos rigolades ? Finalement, c’est peut-être ça, l’amitié. C’est ça notre paradis perdu. Le rire…

Un temps.

Fred – Je vais revenir vivre à Paris.

Max – Pas à cause de notre discussion, quand même ?

Fred – J’y pensais depuis quelque temps déjà. Parce que Lyon, entre nous…

Max – C’est toi qui vois…

Fred – On pourra toujours faire de la rando dans le Bois de Vincennes…

Max – C’est vrai que c’est tentant. Je vais y réfléchir.

Fred – Il va falloir que j’y aille. Mon train est dans un quart d’heure.

Max – OK. Tu as mon numéro.

Ils se lèvent, hésitent, et se font une chaleureuse accolade. Fred s’apprête à partir.

Fred – Sinon, pour mon déménagement… je pourrai compter sur toi ?

Max – Les amis, c’est fait pour ça, non ?

Noir

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Urgence

Vincent est là. Il n’a pas l’air bien. Cécile arrive, un peu affolée.

Cécile – Ça y est, j’ai réussi à les avoir.

Vincent – Alors ?

Cécile – Ils envoient une ambulance. Ça va ?

Vincent – Je ne sens plus mon bras…

Cécile – Ça va aller. Ils seront là dans quelques minutes. Enfin j’espère…

Vincent – Un infarctus, à mon âge… Décidément… Il n’y a que pour ça que j’aurais été précoce…

Cécile – Ne dis pas de bêtise. Et puis ce n’est peut-être pas une crise cardiaque. Mais bon, il vaut mieux ne pas prendre de risque.

Vincent – Je suis vraiment désolé pour toi… Devenir veuve le jour de son anniversaire de mariage, ce serait vraiment un comble…

Cécile – Ne plaisante pas avec ça. On va tout faire pour que tu t’en sortes.

Vincent – Bien sûr… (Un temps) Mais si par malheur je ne m’en sortais pas, il faut que je te dise quelque chose.

Cécile – Je t’en prie. Je sais mieux que toi où sont tous les papiers, c’est moi qui les range. Si tu te reposais, plutôt.

Vincent – Je ne parlais pas des papiers, mais… le temps que l’ambulance arrive, on peut parler, non ?

Cécile – Bien sûr… Mais si c’est pour m’avouer que tu m’as trompé avec ma meilleure amie, réfléchis bien. Si tu sors de l’hôpital dans deux heures, demain tu pourrais regretter de m’avoir fait ce genre de confidences…

Vincent – Je ne t’ai jamais trompée, Cécile.

Cécile – Alors je t’écoute…

Vincent – D’abord, il faut que tu saches que je t’aime.

Cécile – Je le sais, Vincent. Tu me le dis tous les jours.

Vincent – Et tu me réponds que tu m’aimes aussi.

Cécile – Parce que c’est vrai.

Vincent – Mais tu ne fais que me répondre… Tu ne me le dis jamais en premier.

Cécile – Je t’aime, Vincent. Comment tu peux en douter ?

Vincent – Je sais, mais…

Cécile – Quoi ?

Vincent – Je me suis toujours demandé si j’étais vraiment l’homme de ta vie.

Cécile – L’homme de ma vie ?

Vincent – C’est un peu ridicule, mais… j’ai toujours pensé qu’au fond… tu étais encore amoureuse de Fred.

Cécile – Fred ?

Vincent – Le week-end où j’avais fêté mon anniversaire, en Normandie, tu étais sortie avec lui.

Cécile – C’était il y a très longtemps, Vincent. Toi et moi, on ne sortait pas encore ensemble.

Vincent – Bien sûr. Je ne te reproche pas de m’avoir trompé. D’ailleurs, je ne te reproche rien.

Cécile – Je ne l’ai jamais revu après ce fameux week-end. Il n’est même pas venu à notre mariage. Comment tu peux dire ça ?

Vincent – Justement. Peut-être que si tu l’avais revu…

Cécile – Tu te fais du mal inutilement, Vincent… Tu crois vraiment que c’est le moment ?

Vincent – Je n’ai jamais osé te parler de ça. Et je n’en aurai peut-être plus l’occasion.

Cécile – Mon histoire avec Fred, ça n’a duré qu’une soirée. J’avais un peu bu. C’est une histoire sans importance. J’ai connu quelques hommes avant toi, tu sais ?

Vincent – Mais Fred, c’était mon meilleur ami.

Cécile – Dis-moi plutôt comment tu te sens ?

Vincent – Mal.

Cécile – Il me semble entendre l’ambulance.

Vincent – C’est une sirène de police. Les ambulances ne font pas ce bruit-là.

Cécile – Ils ne vont plus tarder, maintenant…

Vincent – Alors ?

Cécile – Alors quoi ?

Vincent – J’étais là aussi, ce soir-là. Je t’ai fait la cour. Mais c’est avec Vincent que tu es sortie.

Cécile – Oui.

Vincent – Pourquoi ?

Cécile – Vincent partait le lendemain aux États-Unis. Il quittait la France pour longtemps. Pour toujours peut-être.

Vincent – Et c’est pour ça que tu es sortie avec lui.

Cécile – Je savais que je ne le reverrai pas. Avant longtemps en tout cas. Oui, j’étais peut-être amoureuse de lui. Mais je ne l’aimais pas. C’est toi que j’aime. Et c’est toi que j’ai épousé.

Vincent – J’aurais aimé que tu sois amoureuse de moi à l’époque.

Cécile – Je le suis aujourd’hui. Et je ne te laisserai pas partir.

Vincent – Je ne partirai pas, je te le promets.

Cécile – Je t’ai choisi Vincent. Est-ce qu’on aurait pu vivre une autre vie, toi ou moi ? Je ne crois pas. Tous les rêves d’adolescents ne sont pas faits pour devenir des réalités.

Vincent – Mon rêve, c’était toi. Et tu l’as réalisé.

Moment d’émotion.

Cécile – À mon tour de te poser une question. J’ai besoin de savoir.

Vincent – Oui…

Cécile – Tu savais que tu étais malade du cœur ?

Un temps.

Vincent – Oui.

Cécile – Mais tu ne m’en as pas parlé…

Vincent – Tu m’aurais épousé si tu l’avais su ?

Cécile – C’est une drôle de question.

Vincent – Pardon… J’avais peur que… Je ne voulais pas que tu me vois comme ça.

Cécile – Comme ça ?

Vincent – Je ne voulais pas que tu aies pitié de moi.

Elle lui serre la main.

Cécile – J’entends encore une sirène.

Vincent – Cette fois c’est bien une ambulance.

Cécile – Je vais leur ouvrir. Ça va aller, je te le promets…

Vincent – Bien sûr… Ça va aller…

Noir

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Taxi

Alice est là, semblant attendre quelque chose. Tom arrive. Il se met à attendre aussi. Il la regarde à la dérobée. Elle évite son regard.

Tom – Excusez-moi, vous attendez un taxi ?

Alice – Oui…

Tom – Non mais rassurez-vous, ce n’est pas… juste pour engager la conversation.

Alice – La conversation ?

Tom – Je veux dire, ce n’est pas pour vous draguer. Je vous demandais vraiment si vous attendiez un taxi.

Alice – D’accord…

Tom – Vous auriez très bien pu attendre autre chose.

Alice – Qu’est-ce qu’on peut bien attendre à une station de taxis ? Un bus ?

Tom – Donc vous attendez un taxi…

Alice – Et…?

Tom – Et comme vous étiez la première, le prochain taxi sera pour vous, voilà. D’où le sens de ma question. Je sais maintenant que je devrai attendre le suivant.

Alice – Désolée pour vous.

Tom – Non, non, ne vous excusez pas… Ce n’est pas grave.

Alice – Je n’étais pas en train de m’excuser.

Un temps.

Tom – Je suis pris d’un doute, tout d’un coup…

Alice – Encore ?

Tom – Vous êtes sûr que c’est bien une station de taxis ?

Alice – Il y a un panneau. C’est marqué taxi.

Tom – Ouais, mais ça ne veut rien dire.

Alice – Ah non ?

Tom – Dans un trou pareil… Ce n’est pas certain qu’il y ait une station de taxis.

Alice – Pourquoi ce serait marqué taxi, alors ?

Tom – C’est peut-être juste un lieu de rendez-vous.

Alice – Un lieu de rendez-vous ?

Tom – Non, je veux dire, un point de rencontre. Dans les petites gares de campagne, c’est souvent comme ça.

Alice – Ce n’est pas vraiment une petite gare de campagne…

Tom – Les petites villes de province, si vous préférez. Les gens commandent un taxi, la veille, pour aller à l’hôpital, ou je ne sais où, et le lendemain, le taxi les attend à cet endroit. À une heure précise. Devant le panneau marqué taxi.

Alice – Ah oui…?

Tom – Vous avez commandé un taxi, vous ?

Alice – Non.

Tom – Il n’y a plus qu’à espérer que ce soit une vrai station de taxis…

Silence un peu plus long, le temps que le doute s’installe

Alice – Alors vous croyez qu’on attend pour rien ?

Tom – Je ne sais pas…

Un temps.

Alice – Et si on appelait une compagnie de taxis ?

Tom – Ça, c’est seulement à Paris. Dans quelques grands villes de province, peut-être. Certainement pas ici…

Alice – Bon… alors on va attendre.

Un temps.

Tom – Vous avez l’heure, s’il vous plaît. (Alice lui lance un regard étonné) Non, mais je ne dis pas ça pour…

Alice – Engager la conversation…?

Tom – Je n’ai pas de montre… (Alice remarque la montre à son poignet) Enfin si, j’en ai une mais… la pile est morte.

Alice – Pourquoi vous continuez à la mettre, alors ?

Tom – Je ne sais pas… Il faut croire que je m’étais attaché…

Alice – D’accord…

Tom – Non, je déconne. La pile vient de me lâcher. Là, tout à l’heure.

Alice – Pas de bol.

Tom – Et donc ?

Alice – Donc ?

Tom – Vous avez l’heure ?

Alice – Ah pardon… (Elle regarde sa montre.) Il est presque minuit…

Tom – Minuit…

Alice – Oui… Il y a peu de chance que quelqu’un ait commandé un taxi pour aller à l’hôpital à cette heure-ci.

Tom – À moins d’une urgence… Mais en cas d’infarctus ou d’AVC, on ne commande pas le taxi la veille au soir, si ?

Alice – Non… probablement pas.

Tom – Après, je ne sais pas… C’est peut-être vraiment une station de taxis…

Alice – On va attendre encore un peu.

Tom – Enfin, même si c’est une station de taxis, ça ne veut pas forcément dire qu’un taxi va vraiment venir. Un dimanche soir, à minuit, dans cette ville de merde…

Alice – Vous n’êtes pas du genre optimiste, vous, hein ? Je ne sais pas si j’ai bien fait d’accepter d’engager la conversation, finalement.

Tom – Désolé… Non, mais je peux être très drôle parfois, vous savez ?

Alice – Plutôt sans le faire exprès, j’imagine.

Tom – Je peux vous demander où vous allez ?

Alice – Pourquoi faire ?

Tom – Ah non, mais je ne dis pas ça pour…

Alice – Pour me draguer.

Tom – C’est juste que… ce serait déjà miraculeux qu’un seul taxi arrive dans moins d’une heure, alors un deuxième… Je me disais que si on va plus ou moins dans la même direction, on pourrait partager. Je veux dire, prendre le même taxi.

Alice – Oui, je ne sais pas…

Tom – Vous allez par où ?

Alice (montrant une direction) – Je vais par là…

Tom (un peu décontenancé) – Ah oui…

Alice – Et vous ?

Tom – Moi aussi… Plus ou moins…

Alice – Il faudrait déjà qu’un taxi arrive.

Tom – Je vous assure que je ne dis pas ça pour vous draguer, mais…

Alice – Si vous arrêtiez de commencer toutes vos phrases par «  je ne dis pas ça pour vous draguer  », je vous assure que ce serait un peu plus crédible.

Tom – Excusez-moi…

Un temps.

Alice – Bon ben allez-y, maintenant.

Tom – Non, non, c’est juste que… j’ai l’impression de vous avoir déjà vue quelque part.

Alice reste un instant décontenancée.

Alice – Attendez… Vous avez l’heure ? J’ai l’impression de vous avoir déjà vue quelque part ? Vous habitez chez vos parents, c’est presque déjà fait aussi. C’est quoi la prochaine question ? Vous n’auriez pas du feu s’il vous plaît ? C’est bon là, on a déjà engagé la conversation.

Tom – OK.

Alice – Si vous avez des choses intéressantes à me dire, vous pouvez y aller, je vous écoute. Ne vous fatiguez pas avec les préliminaires, parce que je vous assure, les préliminaires, ce n’est pas votre truc…

Tom – Excusez-moi, c’est juste que… j’avais vraiment l’impression de vous avoir déjà vue quelque part.

Alice – Pardon, je suis un peu sur les nerfs…

Un temps. Il sort une cigarette, et cherche dans ses poches quelque chose pour l’allumer. En vain.

Tom – Du coup, je n’ose pas vous demander si vous avez du feu…

Alice – Je n’en ai pas. Je ne fume pas.

Il range sa cigarette.

Tom – Tant pis… Enfin, je veux dire tant pis pour moi… Tant mieux pour vous si vous ne fumez pas.

Alice – Oui.

Un temps.

Tom – J’attends le taxi…

Alice – Oui, j’avais compris.

Tom – Non, c’est… C’est le titre d’une chanson que j’avais écrite il y a très longtemps.

Alice – Vous écrivez des chansons ?

Tom – Oui… Enfin non, plus maintenant, mais… Pourquoi, je n’ai pas la tête de quelqu’un qui écrit des chansons ?

Alice – Je ne sais pas. Je ne connais personne qui écrit des chansons. Enfin pas personnellement. Et ça parlait de quoi, cette chanson ?

Tom – C’est l’histoire d’un type qui… qui attend le taxi.

Alice – Oui, d’après le titre, je m’en doutais un peu. C’est tout ?

Tom – C’était il y a longtemps. Je ne me souviens plus très bien. La première phrase c’était… il est près de minuit sous les néons blafards, et depuis plus d’une heure seul devant cette gare… Et le refrain, c’était j’attends le taxi, taxi, taxi…

Alice – J’attends le taxi, taxi, taxi…?

Tom – Oui. C’est ce dont je me souviens…

Alice – D’accord… Et il a fini par arriver, votre taxi ?

Tom – Non… Vous voyez… je l’attends toujours…

Alice – Ce n’est pas très encourageant.

Tom – Enfin, cette histoire de taxi, c’était symbolique, évidemment. Le type qui attend le taxi… qui l’emmènera quelque part. C’était un peu moi quand j’étais plus jeune, vous voyez. Moi ou quelqu’un d’autre. À dix-huit ans, on attend tous que quelque chose se passe, non ? Que la vie nous prenne dans ses bras. Que quelqu’un vienne…

Alice – Je vois. Et dans votre cas, donc, personne n’est venu.

Tom – Non… Enfin si… Depuis, j’ai pris pas mal de taxis évidemment. Mais pas celui qui m’aurait emmené là où je voulais vraiment aller.

Alice – Et vous vouliez aller où, exactement ?

Tom – Je ne sais pas…

Alice – Oui, ben moi pour l’instant, j’aimerais bien rentrer chez moi.

Tom – Donc, vous n’habitez pas chez vos parents.

Alice – Non. Pourquoi ? Vous habitez chez vos parents, vous ?

Tom – Non… Enfin ça dépend.

Alice – Ça dépend ?

Tom – Ça dépend des jours.

Alice – D’accord…

Un temps.

Tom – Ça y est, ça me revient maintenant !

Alice – Quoi ?

Tom – Où on s’est déjà vus.

Alice – Et alors ?

Tom – Vous aussi, vous étiez à cette fête, chez Vincent, ce soir.

Alice – Oui, en effet… Désolée, je ne me souviens pas de vous.

Tom – Je vous ai invitée à danser. Vous avez refusé d’ailleurs…

Alice – Ça ne vous a pas beaucoup marqué, vous ne vous souveniez plus de moi, tout à l’heure…

Tom – Là-bas, il y avait une lumière d’ambiance, vous aviez l’air plus… Là avec les néons…

Alice – Merci.

Tom – Non mais vous êtes très jolie aussi.

Alice – Et là, vous êtes sûr que vous n’êtes pas en train de me draguer ?

Tom – Là, peut-être un peu, oui.

Alice – J’avais prévu de rentrer avec une copine qui a une voiture, mais elle s’est trouvé un mec là-bas, alors du coup…

Tom – Ah oui, pas de bol. Enfin, je veux dire, pour vous.

Alice – Je pensais que je pourrais trouver un taxi. Et vous ?

Tom – En fait… je n’étais pas vraiment invité à cette fête. Enfin, si mais… J’étais invité par une copine qui au dernier moment n’a pas pu venir, et donc…

Alice – Donc, vous ne connaissiez personne.

Tom – Du coup, je me voyais mal rester dormir là-bas.

Alice – Cette délicatesse vous honore.

Tom – J’étais venu en train. Mais j’ai raté le dernier. Le prochain est à 7H32 demain matin, j’ai vérifié.

Alice – Et en attendant, la gare est fermée.

Tom – Je ne sais pas si ça vaut le coup d’attendre.

Alice – Pour le taxi, vous voulez dire ?

Tom – Il faut se rendre à l’évidence, aucun taxi ne viendra ici ce soir.

Alice – J’habite à trente kilomètres, je ne peux pas rentrer à pied.

Tom – À part le train de 7H32, je ne vois pas.

Alice (regardant sa montre) – Il n’est même pas encore minuit et demie. On ne va pas attendre ici pendant sept heures !

Tom – Surtout qu’il ne fait pas très chaud.

Alice – On pourrait retourner là-bas, évidemment, mais…

Tom – À cette fête, vous voulez dire ?

Alice – Chez Vincent, oui.

Tom – Honnêtement, je ne suis pas sûr de vouloir y retourner.

Alice – Ah oui ?

Tom – En fait, c’est Vincent qui m’a viré.

Alice – Viré ? Pourquoi ça ?

Tom – Une sombre histoire d’argent qui aurait disparu dans un sac. Comme j’étais le seul que personne ne connaissait, évidemment, j’étais le coupable idéal. Je vous jure que ce n’est pas moi.

Alice – Je sais.

Tom – Merci. Donc, je n’ai pas une tête à voler dans les sacs des invitées à des soirées où je ne suis pas invité ?

Alice – Si. En fait, vous auriez un peu cette tête-là.

Tom – Alors comment vous savez que ce n’est pas moi qui ait volé cet argent ?

Alice – Parce que cet argent, c’est le mien. Je croyais qu’il avait disparu. J’en ai parlé à ma copine, Cécile, qui en a parlé à Vincent. Mais je viens de retrouver mon fric dans la doublure de mon sac.

Tom – D’accord. Alors en somme, c’est grâce à vous si on m’a jeté dehors comme un voleur.

Alice – Je ne savais pas que ma copine en parlerait à Vincent. Et que ça ferait toute une histoire. C’est un peu pour ça que je suis partie, d’ailleurs. J’étais très mal à l’aise…

Tom – Et moi donc.

Alice – Je suis vraiment désolée.

Tom – Ouais.

Alice – Tenez, si un taxi finit par arriver, je vous invite à le prendre avec moi. Je vous déposerai, et c’est moi qui paierai la course.

Tom – Vous ne prenez pas beaucoup de risques. Jamais aucun taxi ne viendra ici ce soir.

Alice – Alors qu’est-ce que je peux faire pour que vous me pardonniez ? Même si tout ça, ce n’est pas vraiment de ma faute…

Tom – Crier au voleur parce que vous ne retrouvez pas votre argent… et laisser accuser un innocent.

Alice – Bon, ce n’est pas l’affaire Dreyfus, non plus. Je n’ai accusé personne, c’est ma copine qui…

Tom – J’ai vu la haine dans leurs regards, je vous assure. Ils auraient pu me lyncher…

Alice – Vous êtes sûr que vous n’en faites pas un peu trop, là ?

Tom – OK, il y a une chose que vous pourriez faire pour que je vous pardonne.

Alice – Dites toujours…

Tom – Accordez-moi cette danse.

Alice – Pardon ?

Tom – Tout à l’heure, je vous ai invitée à danser, et vous avez refusé. Accordez-moi cette danse.

Alice – Ici ? À une station de taxis ?

Tom – On n’a rien de très urgent à faire, non ?

Alice – Il n’y a même pas de musique !

Tom – J’en ai, sur mon téléphone portable. Vous me devez bien ça, non ?

Alice hésite.

Alice – OK, mais on ne parle que de danser, on est bien d’accord.

Tom – D’accord.

Il sort son portable, met un slow très classique, pose le téléphone par terre et il ouvre les bras.

Alice – Vous êtes toujours prêt à dégainer un slow, comme ça, dès que vous rencontrez une fille à une station de taxis ?

Tom – Si vous préférez un autre morceau…

Alice – Allons-y. Après tout qu’est-ce que je risque, puisque vous n’essayez absolument pas de me draguer…

Elle accepte qu’il l’enlace et ils se mettent à danser.

Noir

Taxi Lire la suite »

Avenir

Cécile et Alice sont assises et prennent un café.

Alice – Tu vas en Normandie pour l’anniversaire de Vincent ?

Cécile – Oui. Je peux t’emmener, si tu veux. Ma mère me prête sa voiture.

Alice – Super. (Un temps) Max m’a dit qu’il y serait, je crois.

Cécile – OK… (Un temps) Mais pourquoi tu me dis ça ?

Alice – Quoi ?

Cécile – Pour Max.

Alice – J’ai dit comme ça…

Cécile – Allez… J’ai entendu…comme un petit sous-entendu dans ta voix.

Alice – Pas du tout.

Cécile – On sera une centaine à cette fête. Pourquoi tu me parles de Max ?

Alice – Je ne sais pas… Max et toi…

Cécile – N’importe quoi. Qui est-ce qui t’a dit ça ?

Alice – Personne. Mais tout le monde sait qu’il est amoureux de toi, non ?

Cécile – Tout le monde ?

Alice – Sauf toi, apparemment. Il ne te plaît pas ?

Cécile – C’est lui qui t’a demandé de m’en parler ?

Alice – Pas du tout, je t’assure… (Un temps) Enfin, si, un peu…

Cécile – D’accord… Je pensais qu’on avait passé l’âge.

Alice – Eh ben pas lui, tu vois. (Un temps) Alors ?

Cécile – Je l’aime bien mais… c’est juste un copain.

Alice – Je vois.

Cécile – Oui, évidemment, j’ai bien remarqué que…

Alice – Quoi ?

Cécile – Qu’il me regardait bizarrement.

Alice – Il est plutôt mignon, non ?

Cécile – Mais il est tellement sérieux. Si je couche avec lui un soir, j’ai l’impression que le lendemain matin, il va m’apporter mon petit déjeuner au lit et me demander en mariage. Et qu’un mois après on sera en train de commander des meubles à la CAMIF.

Alice – Et…

Cécile – Je n’arrive à me projeter là-dedans.

Alice – Je comprends.

Cécile – Et puis franchement, un type qui n’a même pas le courage de te demander en face si tu veux sortir avec lui.

Alice – Il avait peur de prendre une veste, j’imagine.

Un temps.

Cécile – Et toi ?

Alice – Moi ?

Cécile – Il te plaît, Max ?

Alice – Je ne sais pas… Pourquoi pas…

Cécile – D’accord…

Alice – Non mais j’ai juste dit… pourquoi pas.

Cécile – Et lui il t’envoie me parler à sa place…

Alice – Il faut croire que tu l’impressionnes.

Cécile – Malheureusement, ce n’est pas réciproque. Vous vous voyez souvent ?

Alice – On révise le CAPES ensemble, parfois.

Cécile – Je vois… Je lui dis que tu as envie de sortir avec lui ?

Alice – Ce serait assez drôle…

Cécile – Oui.

Alice – Mais un peu cruel.

Cécile – Il l’a un peu cherché, non ?

Elles rient.

Alice – Et toi, qu’est-ce que tu fais l’année prochaine ?

Cécile – Je ne sais pas… Je ne sais déjà pas ce que je vais faire cet été.

Alice – Tu ne vas pas arrêter la fac, quand même ? Comme Fred…

Cécile – Fred ?

Alice – Il part aux États-Unis à la fin du mois.

Cécile – Ah oui… Il part pour longtemps ?

Alice – Je ne sais pas.

Cécile – C’est un drôle de type, Fred.

Alice – Plus drôle que Max, en tout cas.

Cécile – Non, je veux dire… il est toujours en train de déconner, mais…

Alice – Quoi ?

Cécile – Je ne sais s’il est aussi gai qu’il veut le faire croire.

Alice – Tu crois qu’il est gay ?

Cécile – Mais non… Enfin, je n’en sais rien. Tu crois qu’il est gay ?

Alice – Je ne sais pas… Tu n’as qu’à essayer, tu verras bien…

Cécile – En tout cas, il a bien raison de se barrer d’ici.

Alice – Ouais… Tu es déjà allé aux États-Unis, toi ?

Cécile – Je crois que le plus loin où je suis allée, dans ma vie, c’est l’Ardèche.

Alice – Non ? Tu n’as jamais pris l’avion ?

Cécile – Si… pour aller en Ardèche.

Alice – Tu déconnes ?

Cécile – Non, je t’assure. Et toi ? Tu as beaucoup voyagé ?

Alice – En tout cas, j’ai beaucoup déménagé. Jusqu’à l’âge de dix ans. Mon père était militaire. Mais déménager, ce n’est pas vraiment voyager, tu sais. J’ai vécu en Allemagne, et dans plusieurs pays d’Afrique. Je ne sais même plus lesquels. Pour moi, déménager, c’était surtout quitter mes copines. Quand j’arrivais quelque part, je savais qu’il ne fallait pas que je m’attache. Parce que six mois après, ou deux ans maxi, je partirais. Et je ne les reverrais plus jamais.

Cécile – Et après ?

Alice – Après mon père est mort, et on n’a plus déménagé. C’est terrible à dire, mais je crois que la mort de mon père, ça a été pour moi un soulagement… La possibilité, enfin, de pouvoir me fixer quelque part (Elle a l’air au bord des larmes) Tu ne vas pas déménager, toi ?

Cécile – Mais non, rassure-toi… Je reste là.

Cécile pose sa main sur celle d’Alice pour la rassurer.

Noir

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Départ

Vincent et Fred sont assis à une table et prennent un café.

Vincent – Génial… Et donc tu pars dans trois semaines ?

Fred – Le premier mai, oui. Le jour de la fête du travail, moi je me barre en vacances pour an. Ou plus, on verra bien…

Vincent – Ce ne sera pas tout à fait des vacances, si ?

Fred – Quand j’aurai besoin de fric, je travaillerai un peu comme cuistot ou comme serveur. C’est très facile, là-bas. Il y a du boulot pour tout le monde. Et les Français sont très appréciés. Surtout dans la restauration. Sans parler des gonzesses, évidemment…

Vincent – Le mythe du French lover… Petit veinard… Tu vas t’éclater.

Fred – Tu n’as qu’à venir avec moi.

Vincent – Je ne peux pas, malheureusement. Je commence mon année de stage en septembre dans une banque à Paris. Et si je ne veux pas me taper trois heures de transport par jour, il faut que je bosse cet été pour me payer une chambre de bonne.

Fred – Ah ouais.

Vincent – C’est nettement moins glamour.

Fred – C’est sûr…

Vincent – Tu en as parlé à Max ?

Fred – Ouais. Je l’ai vu hier.

Vincent – Ça va ?

Fred – Tu le connais… Avec Max, ça ne va jamais vraiment.

Vincent – Il passe son CAPES dans deux mois, il est un peu sur les nerfs.

Fred – On ne se voit presque plus.

Vincent – Il bosse beaucoup, je crois.

Fred – Ou alors il m’en veut. Je ne sais pas pourquoi.

Vincent – Je crois qu’il nous en veut à tous les deux d’avoir arrêté le groupe. Et maintenant, toi tu t’en vas. Alors Les Rebelles, c’est fini ?

Fred – C’était déjà fini, non ?

Vincent – Il faut se rendre à l’évidence, on ne serait jamais devenus des stars.

Fred – Pas des stars du rock, en tout cas…

Vincent – De toute façon, j’ai revendu ma batterie pour payer la caution de ma chambre de bonne.

Fred – Et moi ma guitare pour acheter mon billet d’avion.

Un temps.

Vincent – Les Rebelles, quel nom à la con. Je ne sais plus qui avait trouvé ça à l’époque.

Fred – C’est moi.

Vincent – Ah oui, c’est vrai…

Fred – Quand j’étais interne au lycée, dans ma boîte de curés, c’était une vraie prison. On ne pouvait franchir les grilles de l’école que le week-end. Et encore, si on n’était pas collés. Et évidemment, ce n’était pas mixte.

Max – Oh putain…

Fred – Tu imagines un peu ? À l’âge où on ne pensait qu’à se débarrasser de notre pucelage, toute la semaine entre mecs, de jour comme de nuit. Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas devenir homo.

Max – Et tu n’as pas essayé de t’évader ?

Fred – Un jour, j’ai organisé une grève pour protester contre nos conditions de détention. Tout le monde avait l’air partant. Mais au final, sur quatre cents élèves, on n’était que trois à refuser de rentrer en classe.

Vincent – Les Rebelles…

Fred – Il y avait un type dans ma classe qui se disait communiste. Le genre très bon élève, tu vois, mais très engagé politiquement. Je lui ai demandé pourquoi il refusait de participer à notre mouvement de protestation. Tu sais ce qu’il m’a répondu ?

Vincent – Non.

Fred – Il m’a dit : C’est une rébellion, pas une révolution…

Vincent – Ah ouais…

Fred – Je ne sais pas où il en est aujourd’hui avec sa révolution. Moi j’essaie de rester un rebelle.

Vincent – Et comment ça s’est terminé votre rébellion ?

Fred – J’espérais me faire virer, mais non. Même pas. On s’est fait coller pendant quatre week-ends de suite.

Vincent – Ah oui, je m’en souviens. On ne t’avait pas vu pendant un bon bout de temps.

Fred – Je me suis juré qu’après le bac, je ne laisserai plus personne m’enfermer quelque part. Et surtout pas dans un bureau…

Vincent – Ouais.

Fred – Ça ne te fait pas flipper, toi, la perpective de finir ta vie dans une banque ?

Vincent – Qu’est-ce que tu veux… Je ne suis pas aussi beau que toi, moi. Si je veux trouver des gonzesses, je ne peux pas compter que sur mon physique. Alors il faut que je me fasse un max de fric…

Fred – Je vais en profiter pendant que je suis encore jeune et beau, alors… Après… je miserai tout sur l’humour.

Silence.

Vincent – Tu viendras quand même en Normandie pour mon anniversaire ? C’est dans quinze jours.

Fred – Évidemment.

Silence.

Vincent – Tu es sûr que ça va ?

Fred – Nickel.

Vincent – C’est ce que tu voulais, non ? Partir d’ici. Découvrir le monde.

Fred – Ouais… Dans trois semaines, à moi l’Amérique ! Je vous enverrai des cartes postales, c’est promis.

Vincent – Et puis on se reverra.

Fred – Bien sûr…

Ils échangent un regard qui en dit long.

Noir

Départ Lire la suite »

Désaccord

Max est là avec une guitare basse qu’il est en train d’accorder. Vincent arrive avec une guitare.

Max – Tu as jeté un coup d’œil dans la salle ?

FredOuais…

Max – C’est plein à craquer, tu te rends compte ! Il y en a même qui essaient d’entrer par la sortie de secours, il paraît.

Fred – Ah ouais ?

Max – Tu ne vas pas le croire, il y a une nana qui m’a demandé un autographe…

Fred – Tu lui as laissé ton numéro ?

Max – Même pas…

Fred – Elle n’était pas terrible…?

Max – Elle avait quatorze ans…

Fred – D’accord…

Max – Non mais tu entends ça ?

Fred (la tête ailleurs) – Quoi ?

Max – Ils s’impatientent. Ils sont déjà en train d’applaudir. Notre public nous réclame !

Fred – Ah ouais…

Max – Fred ? Je sens qu’il se passe quelque chose, là. Tu verras, mon vieux. Dans quelques années, quand on sortira notre troisième album, et qu’on fera notre premier Olympia, on se souviendra de ce concert, et on se dira que c’est là où tout a commencé.

Vincent a l’air de chercher quelque chose.

Fred (préoccupé) – Ouais…

Max – Ça va ? Tu n’es pas trop défoncé, au moins ?

Fred – Non, non… Enfin si, mais…

Max – Qu’est-ce qui se passe ?

Fred – J’ai cassé une corde.

Max – Tu as largement le temps de la changer. Et puis si on se fait attendre un peu… Ça fera monter la pression.

Fred – Le problème c’est que… je n’ai pas la corde de rechange.

Max – Tu n’as pas de cordes de rechange ?

Fred – J’en ai, mais… pas celle-là.

Max – Comment ça pas celle-là ?

Fred – La corde de si. Je n’ai pas la corde de si.

Max – C’est une blague ?

Fred – Non…

Max – Putain Vincent…

Fred – Tu n’en aurais pas une, toi ?

Max – Si. J’ai deux jeux de cordes de rechange pour ma basse. Pourtant les cordes de basse, ça ne casse pas souvent, tu vois.

Fred – Désolé…

Max – Il n’y a pas un magasin de musique, dans le coin ?

Fred – On est dimanche.

Max – Putain… Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Fred – Ben… je ne jouerai pas avec cette corde-là, voilà.

Max – Super…

Fred – Il m’en reste quand même cinq.

Max – Si tu n’en casses pas une autre d’ici là…

Fred – Qu’est-ce que tu veux ? C’est mon côté destroy. Jimi Hendrix cassait bien sa guitare sur scène…

Max – Ouais, mais lui il attendait la fin du concert. Et je suis sûr que lui, il avait toujours un jeu de cordes de rechange. Pourquoi tu n’as pas de cordes de rechange ?

Fred – Je n’avais pas de thune.

Max – C’est ça… Mais pour acheter de la beuh, là tu as toujours des thunes.

Fred avance vers lui, menaçant.

Fred – Eh, oh, tu te prends pour ma mère, ou quoi ?

Max – C’est toi qui me prends pour ta mère, Fred. Alors c’est moi qui devrais avoir des cordes de rechange pour ta gratte de merde, c’est ça ? J’en ai ras le bol de jouer avec une bande de loosers.

Fred – Personne ne te retient, Max. Tu fais chier tout le monde. Nous on est là pour s’éclater, pas pour entendre tes leçons de morale…

Fred s’en va. Vincent arrive.

Vincent – Tu as vu le monde qu’il y a dans la salle ?

Max – Ouais.

Vincent – Depuis qu’on a une chanteuse, on a beaucoup plus de succès, tu as remarqué ?

Max – Elle chante faux.

Vincent – Apparemment, les mecs ne viennent pas seulement pour l’écouter… Il faut dire que… Il y a un problème ?

Max – Fred a pété une corde.

Vincent – Et alors…?

Max – Il n’a pas de corde de rechange.

Vincent – Ah merde… (Il sort un joint, l’allume, tire une bouffée et le tend à Max) Tu en veux ? C’est du Libanais…

Max – Non merci, je préfère rester lucide…

Vincent (hilare) – Lucide ?

Max – Alors toi aussi, tu es défoncé.

Vincent – Complètement. Bon, on y va ? Je crois que notre public nous réclame…

Max – Putain, Vincent, tu ne comprends pas ! Fred joue déjà comme un manche avec six cordes, alors avec cinq. Le public va nous massacrer…

Vincent – Le public ? Ne t’inquiète pas. C’est nos potes ! Et ils sont encore plus défoncés que nous…

Noir

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Entrée des artistes

Il est debout, les bras croisés, devant une porte imaginaire. Elle arrive.

Cécile – Excusez-moi, c’est bien ici, l’entrée des artistes ?

Tom – Affirmatif.

Cécile – Donc c’est bien par là qu’ils vont sortir.

Tom – Qui ça ?

Cécile – Les membres du groupe ! Les Rebelles !

Tom – Ah, je ne crois pas, non.

Cécile – Vous venez de me dire que c’était là.

Tom – Je vous ai dit que c’était l’entrée des artistes.

Cécile – Et alors ?

Tom – Je ne vous ai pas dit que c’était la sortie des artistes.

Cécile – Parce qu’il y a aussi une sortie des artistes ?

Tom – Ça je n’en sais rien, mademoiselle. Moi on m’a dit de surveiller cette porte, je la surveille, c’est tout…

Cécile – Mais regardez, à côté du panneau « entrée des artistes », c’est aussi marqué « sortie de secours ».

Tom – Ah oui…

Cécile – Ça veut dire qu’ils peuvent aussi sortir par là.

Tom – S’il y a un incendie, oui.

Cécile – Vous pensez qu’ils ne sortiront par là que s’il y a un incendie ?

Tom – Un incendie ou…

Cécile – S’il y a une sortie de secours… il y a peut-être aussi une entrée de secours.

Tom – Pourquoi faire ?

Cécile – Je ne sais pas… Au cas où il y aurait un incendie dehors.

Tom – Peut-être.

Cécile – Donc vous ne savez pas par où ils vont sortir ?

Tom – Non.

Cécile – Vous n’êtes pas au courant de grand chose. Pour un vigile…

Tom – Je ne fais que mon boulot.

Cécile – Et c’est quoi votre boulot ?

Tom – De surveiller l’entrée des artistes.

Cécile – Pour ?

Tom – Pour que personne ne rentre.

Cécile – Sauf les artistes, donc.

Tom – Sauf les artistes.

Cécile – Bon, mais moi, je ne veux pas entrer. Je veux juste leur demander un autographe quand ils vont sortir.

Tom – Pour sortir, il faudrait déjà qu’ils soient rentrés.

Cécile – Ah parce qu’ils ne sont pas encore entrés ?

Tom – Non.

Cécile – Vous auriez pu me le dire avant.

Tom– Vous ne me l’avez pas demandé.

Cécile – D’accord…

Tom – Du coup, vous pourrez toujours leur demander quand ils vont rentrer.

Cécile – Leur demander quoi ?

Tom – Leur demander par où ils vont sortir.

Cécile – Ce serait plus simple que je leur demande un autographe directement quand ils vont entrer, non ?

Tom – Ça c’est vous qui voyez.

Cécile – Et si vous me laissiez entrer ?

Tom – Pour quoi faire ?

Cécile – Pour les attendre à l’intérieur. J’ai l’impression qu’il va pleuvoir…

Tom – Ah, ça, ça ne va pas être possible, mademoiselle. À moins que…

Cécile – À moins que…?

Tom – À moins que vous ne me laissiez votre numéro de téléphone.

Cécile – Vous ne manquez pas de culot, vous…

Tom – Non, mais je vous fais marcher.

Cécile – Quoi ?

Tom – Évidemment qu’ils sont déjà là, le concert commence dans un quart d’heure.

Cécile – D’accord… Vous êtes un comique, vous. Pour un vigile…

Tom – C’est sûrement parce que je ne suis pas vigile.

Cécile – Vous êtes qui, alors ?

Tom – Je viens pour le concert, comme vous. J’étais sorti fumer un pétard en attendant que ça commence. C’est un groupe du quartier, vous savez. Ce n’est pas les Rolling Stones. Vous croyez vraiment qu’ils ont les moyens de se payer un vigile ?

Cécile – Je ne sais pas…

Tom – En tout cas, ils ont déjà une fan. D’ailleurs, vous êtes la seule. Ça va leur faire plaisir.

Cécile – Je vous faisais marcher moi aussi. En fait, si je cherchais l’entrée des artistes, c’était pour pouvoir entrer sans payer. Comme je vous ai pris pour un vigile…

Tom – Je vois…

Cécile – Vous croyez que c’est possible de rentrer par là ?

Tom – Sûrement. J’ai bien réussi à sortir.

Cécile – Bon, ben j’y vais alors…

Tom – Mais je ne comprends toujours pas pourquoi vous tenez absolument à entrer par la sortie de secours.

Cécile – Je vous l’ai dit. Pour ne pas payer.

Tom – Payer ? Le concert est gratuit. Vous croyez vraiment que quelqu’un accepterait de payer pour écouter Les Rebelles ?

Elle semble interloquée.

Cécile – Vous avez raison, j’ai dû confondre avec un autre groupe…

Tom – Laissez-moi votre numéro. Quand il y aura un groupe qui vaut vraiment le coup, je vous appellerai…

Cécile – Bien sûr…

Il allume un joint et lui tend.

Tom – Vous en voulez ? C’est du Libanais.

Elle prend le joint, tire une bouffée, et fait la grimace.

Cécile – Ça vient du Liban, ça ?

Tom – En tout cas, le type qui me l’a vendu était Libanais. Enfin c’est ce qu’il m’a dit…

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Les Rebelles

The Rebels –  Los Rebeldes (español) – Os Rebeldes (portugués)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

6 personnages : 4 hommes et 2 femmes

À l’âge adulte, nos vies ne sont pas toujours telles qu’on les avait rêvées à vingt ans. À l’inverse, le souvenir idéalisé de nos vingt ans est souvent assez éloigné de la réalité de notre jeunesse. Entre nos vies rêvées et notre vie tout court vient se nicher la nostalgie de tous les possibles. Reste l’éternelle question : aurait-on vraiment pu vivre une autre vie, ou bien tout cela était-il écrit à l’avance ? Cette comédie douce amère brosse par petites touches le portrait tragi-comique de quelques personnages aux destins contrariés.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Les fantômes

Il regarde dans un télescope dirigé vers la salle. Le personnage peut être un enfant, ou un adulte jouant un enfant. Elle est sa mère ou son professeur.

Elle – Tu vois cette étoile vers laquelle j’ai dirigé le télescope ?

Lui – Oui.

Elle – Autour de cette étoile tournent des planètes.

Lui – Oui, je les vois.

Elle – L’une de ces planètes est habitable, et elle est habitée.

Lui – Je la vois.

Elle – Les habitants s’appellent les hommes.

Lui – Je les vois.

Elle – Et ils ont réussi à rendre leur planète inhabitable.

Lui – Et alors ?

Elle – Alors ils sont tous morts.

Lui – Mais pourtant je les vois.

Elle – Parce que cette planète est située à des millions d’années-lumière de la nôtre. En réalité, ils sont déjà tous morts.

Lui – Alors ceux que je vois ne sont que des fantômes.

Elle – Oui. Le dernier est mort il y a 100.000 ans.

Lui – C’est marrant.

Elle – Oui.

Lui – Mais alors comment tu sais qu’ils sont morts ? Puisque l’image de leur fin du monde ne nous est pas encore parvenue…

Elle – La téléportation quantique est immédiate. Elle n’est pas soumise aux règles de l’espace-temps. Nous avons téléporté une sonde sur place il y a un mois. Aucune trace de vie à la surface.

Lui – Un suicide collectif… Mais pourquoi est-ce qu’ils ont fait ça ?

Elle – On ne sait pas.

Lui – On ne sait pas ?

Elle – Non. Pourtant on a fait des tas de découvertes scientifiques extraordinaires. Mais ça on n’a pas encore réussi à comprendre. Cela fait partie des mystères de l’univers qui nous restent encore à élucider.

Lui – Les fantômes d’une humanité disparue, sur une Terre dont ils ont fait un désert… Je vais les observer encore un peu, pour essayer de comprendre…

Noir

Brèves du temps qui passe

Les fantômes Lire la suite »

Le bac avec mention

Ils sont debout face au public.

Elle – Alors ça y est, on a le bac.

Lui – Oui… Mention Corona Virus.

Elle – Nos grands-parents ont eu le bac Mai 68, nous on aura le bac COVID-19.

Lui – À l’époque on avait donné le bac à tout le monde parce qu’il y avait trop de gens dans la rue pour réclamer plus de démocratie, aujourd’hui, avec le confinement, on ne peut même plus descendre dans la rue pour protester contre l’état d’urgence.

Elle – Sans parler de la montée des dictatures en Europe. Avant la chute du mur, la Hongrie était considérée comme le pays le plus démocratique du bloc soviétique, aujourd’hui c’est le pays le plus fasciste du bloc européen.

Lui – Comme quoi Einstein avait raison : tout est relatif. Ce ne sont pas les Hongrois qui ont changé, c’est le monde qui les entoure.

Elle – L’histoire nous montre qu’en Europe, la Hongrie a toujours joué le rôle de thermomètre. Quand la Hongrie a la fièvre, c’est que l’Europe va mal.

Lui – Et si j’osais, je dirais même que cette fois, ce thermomètre, on l’a vraiment dans le cul.

Elle – Oui…

Lui – Il ne faut pas oublier les leçons de l’Histoire.

Elle – Oublier l’histoire, c’est être condamné à la revivre.

Lui – On dirait un sujet du bac philo.

Elle – Heureusement qu’on n’aura pas à le passer.

Lui – Remarque, finalement, on est quand même assez calés en histoire.

Elle – On a le bac, après tout.

Lui – Je me demande quel genre de bac auront nos petits-enfants.

Elle – En tout cas, il vaudra mieux avoir le bac mention Louis-le-Grand que le bac mention Noisy-le-Grand.

Lui – On est dans la merde, je te dis.

Elle – Qu’est-ce qu’on peut y faire ?

Lui – Je ne sais pas. La révolution, ça ne marche pas. Le réformisme non plus.

Elle – Après chaque crise, on nous promet que plus rien ne pourra être comme avant.

Lui – Dans un sens ils ont raison. C’est encore pire après.

Elle – Qu’est-ce qui nous reste alors ?

Lui – L’amour. (Sans conviction) Tu veux sortir avec moi ?

Elle – C’est la pire déclaration que je n’ai jamais entendue.

Lui – En plus on ne peut même pas sortir. On est toujours confinés.

Noir

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