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Assurance crevaison

Un personnage est là. Un autre arrive, avec une valise.

Deux – Bonjour, j’ai réservé en ligne une voiture de location…

Il tend à l’autre un papier, que ce dernier examine rapidement.

Un – Très bien… Je peux voir votre permis de conduire  ?

L’autre lui tend son permis.

Deux – Voilà…

Un – C’est un permis de bateau.

Deux – Ah oui, pardon.

Il reprend le premier document et lui en tend un autre.

Un – Alors… Donc, vous désirez louer… un corbillard, c’est bien ça ?

Deux – Oui, c’est ça.

Un – D’accord… Et c’est pour combien de temps ?

Deux – Une journée, ça suffira.

Un – C’est pour accompagner un proche jusqu’à sa dernière demeure, j’imagine ?

Deux – Oui, si on veut…

Un – Si on veut ?

Deux – En fait, c’est pour moi.

Un – D’accord… Et… c’est pour aller de…

Deux – De chez moi, jusqu’au cimetière. Comme j’ai choisi un cercueil en kit, je me suis dit qu’un corbillard de location, que je conduirais moi-même…

Un – Bien sûr…

Deux – J’ai hésité à prendre un Uber, et puis…

Un – OK. Donc j’imagine que vous n’êtes pas intéressé par l’option kilométrage illimité ?

Deux – Je ne pense pas que ce soit nécessaire.

Un – Je vois que vous n’avez pas souscrit non plus l’option Assistance Sérénité…

Deux – Je… Non… Qu’est-ce que c’est ?

Un – Eh bien… En cas de panne, on prend tout en charge, et au besoin, on vous fournit gracieusement un véhicule de courtoisie. Enfin… un corbillard de courtoisie.

Deux – Je… Je ne sais pas… Il n’y a que cinq kilomètres… Le risque est quand même assez limité…

Un – Ah, vous savez, par définition, les pannes… Ça peut être un accident aussi.

Deux – Un accident ? En conduisant moi-même le corbillard pour aller à mon propre enterrement ?

Un – Ce ne serait vraiment pas de chance, je vous l’accorde…

Deux – À moins que ce ne soit un accident mortel, évidemment.

Un – Ça peut aussi être une simple crevaison…

Deux – Une crevaison ?

Un – Ce n’est pas obligatoire, mais ce serait plus prudent.

Deux – Ne me dites pas que la roue de secours aussi est en option  ?

Un – Non, bien sûr… Enfin je ne pense pas… Bon, c’est vous qui voyez…

Deux – Je crois que je vais prendre le risque.

Un – Dans ce cas, voici les clefs.

Le deuxième prend les clefs qu’il lui tend.

Deux – Très bien.

Un – Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter bon voyage.

Deux – Merci.

Un – Et… soyez prudent sur la route.

L’autre sort avec sa valise.

Noir

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Le grand saut

Le premier, qui peut être un malade ou une personne âgée, est en bord de scène, comme s’il était prêt à sauter. Il porte une valise. Le deuxième, qui peut être un curé ou un infirmier, lui tient la main, tout en le poussant doucement en avant.

Deux – Alors, prêt pour le grand saut ?

Un – Oui, enfin…

Deux – Si vous n’êtes pas encore prêt, vous me le dites.

Un – Si, si. Je suis prêt, mais…

Deux – Non parce que sinon… On a le temps, quand même… On n’est pas aux pièces.

Un – Combien de temps ?

Deux – Combien ? Je ne sais pas, moi… On a bien cinq minutes…

Un – Cinq minutes ?

Deux – On a le temps, mais… on n’a pas toute la vie, non plus.

Un – Mettez-vous à ma place.

Deux – Je préfère autant pas, non. Mais vous verrez, vous ne sentirez rien. Et après vous vous sentirez beaucoup mieux…

Un – Je verrai ?

Deux – Pardon ?

Un – Vous avez dit « vous verrez ».

Deux – Ah, oui… Euh, non, c’est vrai, vous ne verrez probablement rien non plus…

Un – Alors pourquoi vous dites « vous verrez »  ?

Deux – C’est juste une façon de parler  ! Vous savez, ce n’est pas évident de décrire… Enfin d’expliquer…

Un – En fait, vous n’en savez rien.

Deux – Non…

Le premier hésite toujours à sauter.

Un – Vous croyez qu’il y a quelque chose au fond ? (L’autre affiche un air dubitatif) Vous croyez qu’il y a un fond…?

Deux – Vous pensez qu’il pourrait ne pas y avoir de fond ?

Un – Alors c’est vous qui me posez des questions, maintenant ? Je croyais que vous étiez là pour me rassurer… me donner toutes les explications nécessaires.

Deux – Oui, mais… Vous n’avez pas tort. En réalité, je n’en sais pas plus que vous. Et dans un sens, vous saurez avant moi…

Un – Mais je ne pourrai pas remonter pour vous le dire.

Deux – En même temps… Je ne suis pas sûr de vouloir le savoir avant…

Un – Un puits sans fond…

Deux – C’est possible ?

Un – D’après Newton et sa loi de la gravitation universelle, l’univers passe son temps à se casser la gueule sur lui-même. L’existence est une chute permanente. Un effondrement perpétuel. Nous passons notre vie à tomber. Je tombe donc je suis…

Deux – Naître est un saut dans l’inconnu.

Un – Un saut dans le vide, en tout cas…

Deux – Les chats ont bien sept vies, paraît-il. Et ils finissent toujours par retomber sur leurs pattes.

Un – Quel rapport  ?

Deux – Aucun… Mais quand il faut y aller…

Un – Vous voulez sauter à ma place ?

Deux – Un jour ou l’autre, je devrais bien m’y résoudre moi aussi. Mais enfin… je ne suis pas pressé…

Un – La philosophie en général et la religion en particulier ne devraient pas être une alternative obscurantiste à la science, mais une façon de la devancer par des intuitions à vérifier ou à invalider. Les croyants devraient être des éclaireurs. Pas ceux qui éteignent les lumières en partant.

Deux – C’est vrai… Vous êtes prêt, maintenant ?

Un – D’ailleurs, à l’origine, chez les Grecs, il n’y avait pas de frontière entre science et philosophie. Les philosophes étaient aussi mathématiciens. Ou l’inverse.

Deux – Tiens donc… Je l’ignorais…

Un – « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ». C’était inscrit au fronton de l’Académie.

Deux – L’Académie Française  ?

Un – L’école fondée par Platon  !

Deux – Ah oui…

Un – C’est après que tout ça s’est cassé la gueule.

Deux – La loi de la gravitation, sans doute. Vous y allez tout seul, ou vous préférez que je vous pousse  ?

Un – J’y vais, j’y vais… J’ai l’impression que je me prépare pour sauter en parachute.

Deux – Oui… Mais vous n’avez pas de parachute…

Un – Ou pour sauter à l’élastique.

Deux – Mais il n’y a pas d’élastique.

Un – Ou de sauter du tabouret pour me pendre.

Deux – Mais il n’y a pas de corde non plus. Vous allez juste sauter et vous écraser en bas.

Un – Dans ce cas, je préfère autant qu’il n’y ait pas de fond. Pourquoi je dois absolument sauter, au fait  ?

Deux – Vous vous souvenez, quand vous étiez enfant, et que vous arriviez en haut du toboggan après avoir monté la dernière marche du petit escalier ?

Un – Et alors  ?

Deux – Quand on est arrivé en haut, il faut y aller. Pour laisser la place à ceux qui poussent derrière.

Un – D’accord… Vous croyez qu’il y a un escalier pour remonter  ?

Deux – Ça mon vieux… C’est là où finit la science… et où commence la croyance.

Il pousse l’autre du bord du gouffre, représenté par le bord de scène, dans le vide.

Noir

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Tout le portrait de son fils

Un personnage est là. Un autre arrive. Le premier ne lui prête pas attention, jusqu’à ce que l’autre se mette à le dévisager, d’abord à la dérobée, puis ostensiblement.

Un – On se connaît ?

Deux (lui tendant la main) – Antoine !

Un – Antoine ? Mais je ne m’appelle pas Antoine…

Deux – Antoine ! C’est moi, Antoine ! On a fait du théâtre ensemble.

Un – Du théâtre ?

Deux – Tu ne fais pas de théâtre ?

Un – Si… Enfin, j’en ai fait… Mais c’était il y a très longtemps. Et pas pendant très longtemps.

Deux – À Clichy-sous-Bois.

Un – Oui…

Deux – À la Maison des Associations.

Un – Oui, c’est ça…

Deux – On a travaillé une scène de Molière ensemble. « Le petit chat est mort. »

Un – Le petit chat est mort  ?

Deux – Je faisais le chat.

Un – Non ?

Deux – Mais non, je déconne. Je faisais Agnès.

Un – Agnès ?

Deux – Le prof était un peu spécial…

Un – C’est sûrement pour ça que je ne suis pas resté plus longtemps. Je ne me souviens pas avoir joué cette scène.

Deux – Mais si  ! L’École des femmes !

Un – En tout cas, toi, ça t’a marqué.

Deux – Mais tu te souviens de moi, quand même  ?

Un – Si, si, bien sûr… Mais… Eh ben…

Deux – Ça ne nous rajeunit pas…

Un – Tu n’as pas changé.

Deux – Moi ? Non, ça va… (Changeant de visage) Mais alors toi…

Un – Moi ?

Deux – J’ai failli ne pas te reconnaître.

Un – C’était il y a quelques années.

Deux – Quand même. C’est dingue.

Un – Quoi  ?

Deux – Ce que tu as vieilli.

Un – Merci…

Deux – Non, mais on change un peu, évidemment, avec le temps. Même moi, j’ai un peu mûri. Mais alors toi…

Un – Moi  ?

Deux – Oh putain… Tu as pris un sacré coup de vieux.

Un – Bon… Mais tu vas t’en remettre, quand même.

Deux – Oui, oui, pardon… C’est juste que… ça me fait bizarre de te voir comme ça.

Un – Je vois.

Deux – Et alors moi, tu trouves que je n’ai pas changé.

Un – Excuse-moi, mais… tu es vraiment sûr qu’on a fait du théâtre ensemble ?

Deux – Certain. Je suis très physionomiste. Sinon, tu penses bien… Je ne t’aurais jamais reconnu. Tu as tellement vieilli…

Un – À Clichy-sous-Bois, donc  ?

Deux – Ben oui… Le petit chat est mort…

Un – D’accord… Ça me revient, maintenant.

Deux – Quoi  ?

Un – J’étais allé à ce cours juste pour voir, parce que mon fils y était inscrit.

Deux – Ton fils ?

Un – Frédéric. C’est sûrement avec lui que tu as joué cette scène.

Deux – Frédéric, ce n’est pas toi  ?

Un – C’est mon fils. Il a le même âge que toi. Moi je suis resté au cours pendant deux semaines. Le temps de me rendre compte que le théâtre, ce n’était pas fait pour moi. Et puis faire du théâtre avec son fils… Après je suis parti…

Deux – C’est sûrement à ce moment que je suis arrivé. J’étais sur liste d’attente… Comme une place se libérait…

Un – Oui… Et tu as joué cette scène avec Frédéric, mon fils. C’est vrai qu’on se ressemble pas mal. Enfin, c’est ce que tout le monde dit…

Deux – Je me disais bien aussi. Comment il a pu vieillir à ce point en cinq ans. Mais alors tu as quel âge, en fait  ?

Un – Disons que… je pourrais être ton père.

Deux – Eh ben… Franchement, tu ne les fais pas…

Noir

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Bagage suspect

Sur la scène, une valise. Un personnage arrive. Il jette un regard sur la valise, puis se met à attendre, peut-être le bus, le tram ou le métro. Un autre personnage arrive. Il salue l’autre.

Deux – Bonjour…

Un – Bonjour.

Le deuxième se met à attendre aussi.

Deux – Vous attendez depuis longtemps ?

Un – Une dizaine de minutes.

Deux – Ils ne sont pas encore en grève, au moins ?

Un – Je ne crois pas.

Deux – Ou alors c’est un incident voyageur, comme ils disent…

Un – Peut-être.

Deux – Un incident… En fait, ça veut dire un accident. Enfin un suicide, plutôt. Quelqu’un qui s’est jeté sous le…

Un – Ah oui…

Deux – C’est pour éviter de traumatiser les gens… Au lieu de dire que le type s’est fait couper en deux, on appelle ça un incident voyageur. Aujourd’hui, on n’ose même plus appeler les choses par leur nom… Un aveugle, on doit dire un non-voyant, un clochard un sans domicile fixe, un poivrot un dépendant à l’alcool… Autrefois…

Un – Je ne vais pas très loin, je vais y aller à pied.

Il commence à s’éloigner.

Deux – Monsieur !

Un – Oui ?

Deux – Vous oubliez votre valise.

Un – Ma valise ? Ah, oui. Non, mais elle n’est pas à moi, cette valise.

Deux – Elle n’est pas à vous ?

Un – Non. Je pensais qu’elle était à vous.

Deux – Mais pas du tout. D’ailleurs, elle était déjà là quand je suis arrivé.

Un – C’est vrai… Je pensais que vous vous étiez éloigné un instant. Pour aller… Donc, elle n’est pas à vous.

Deux – Non. (Suspicieux) Et vous êtes sûr qu’elle n’est pas à vous ?

Un – Mais enfin, j’en suis certain ! Pourquoi vous aurais-je dit que cette valise n’était pas à moi si elle l’était ?

Deux – Ça… Il y a toujours des gens qui abandonnent leur valise n’importe où. On ne sait pas pourquoi. Vous n’avez jamais pris le TGV à la Gare de Lyon  ?

Un – Non…

Deux – Une fois sur deux, le départ est retardé parce que quelqu’un a abandonné sa valise dans un wagon, et qu’il faut attendre les démineurs.

Un – Abandonné ou oublié  ?

Deux – Allez savoir…

Un – On n’abandonne pas sa valise comme on abandonne son chien, tout de même.

Deux – En tout cas, le temps que la brigade cinéphile arrive…

Un – La brigade cinéphile  ?

Deux – Les spécialistes du déminage  ! Avec leurs chiens renifleurs.

Un – Je vois… Vous voulez dire cynophile, j’imagine… Parce que je n’ai jamais vu de chiens dans un cinéma.

Deux – Sauf des chiens d’aveugles, peut-être.

Un – Qu’est-ce qu’un aveugle ferait dans un cinéma  ?

Deux – C’est vrai… Encore que, maintenant, avec l’audio-description.

Un – Je n’ai jamais vu non plus de cinéphiles renifler des explosifs. Enfin, je crois qu’on s’égare un peu, là…

Deux – Alors qu’est-ce qu’on fait  ?

Un – Que voulez-vous qu’on fasse  ?

Deux – On ne peut pas partir comme ça, en abandonnant cette valise.

Un – Mais puisque ce n’est pas notre valise  ! On ne peut pas vraiment dire qu’on l’abandonne…

Deux – Maintenant qu’on sait que c’est une valise abandonnée… On a une responsabilité.

Un – Une responsabilité ?

Deux – On parle quand même d’un bagage abandonné !

Un – Je n’ai pas que ça à faire, moi… Et puis c’est vous qui avez remarqué qu’elle était abandonné, cette valise…

Deux – Mais c’est vous qui l’avez vue le premier ! Et vous vous apprêtiez à partir comme ça, en l’abandonnant ici !

Un – Mais puisque je vous dis qu’elle n’est pas à moi, cette valise ! On ne peut pas abandonner une valise abandonnée ! On la laisse où elle est, et puis c’est tout.

Deux – Alors vous, si vous trouvez un enfant abandonné, vous le laissez où il est ! Au prétexte que cet enfant n’est pas à vous  !

Un – Mais enfin… Une valise, ce n’est pas un enfant !

Deux – Peut-être, mais c’est beaucoup plus dangereux.

Un – Dangereux ?

Deux – Si la valise est bourrée d’explosifs, et qu’elle a été volontairement abandonnée là par son propriétaire.

Un – En même temps, d’un point de vue strictement statistique, il est très rare que les valises abandonnées dans les trains contiennent vraiment des explosifs.

Deux – Oui… mais ça peut arriver.

Un – Alors vous croyez qu’il faut prévenir la police ?

Deux – Il me semble que c’est notre devoir.

Un troisième personnage arrive, semblant chercher quelque chose. Il aperçoit la valise.

Trois – Ah  ! Ma valise  ! Je me disais bien que j’avais dû l’oublier là avant de monter dans le…

Il prend la valise et s’en va.

Un – Bon… En tout cas, nous, nous avons fait notre devoir.

Deux – Oui…

Un – Je vais y aller à pied.

Deux – Oui, moi aussi.

Ils partent chacun de leur côté.

Noir

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À Dieu ou à rien

Deux personnages, face au public. Ils ne se regardent pas. Le premier porte une valise.

Un – Bon… Les meilleures choses ont une fin.

Deux – Oui… Il n’y a de bonne compagnie qui ne se quitte.

Un – Donc, je vais vous laisser…

Deux – C’est ça.

Un – Alors… au revoir.

Deux – Oui.

Un – Enfin quand je dis au revoir…

Deux – Oui, il y a peu de chances qu’on se revoit.

Un – Ou alors, si on se revoit…

Deux – Alors adieu, plutôt.

Un – C’est ça… Adieu.

Deux – Voilà, voilà…

Un – Enfin adieu…

Deux – Quoi ?

Un – Vous y croyez, vous ?

Deux – À quoi ?

Un – À Dieu !

Deux – Ah ! Euh… Non, pas vraiment.

Un – Alors adieu… Ce n’est pas vraiment le bon mot non plus.

Deux – Non.

Un – Alors qu’est-ce qu’on dit quand on ne croit pas en Dieu  ?

Deux – Je ne sais pas…

Un – Vous croyez en quoi, vous ?

Deux – Je ne sais pas… À rien.

Un – Alors on pourrait dire… Arien.

Deux – Arien ?

Un – Au lieu de adieu, on pourrait dire arien.

Deux – Oui, on pourrait…

Un – Mais dans ce cas-là, est-ce que ça vaut encore le coup de dire quelque chose ?

Deux – C’est vrai…

Un temps.

Un – Bon, alors je vais y aller. Sans rien dire.

Deux – Ça servirait à quoi, de toute façon  ?

Le premier commence à partir, mais se ravise.

Un – On peut quand même s’embrasser  ?

Deux – Si vous voulez…

Ils s’embrassent. Le premier part avec sa valise.

Deux – Arien…

Noir

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Septième ciel

Un personnage est là. L’autre arrive avec une valise.

Deux – Bonjour, je viens pour… Enfin, vous savez…

L’autre n’a pas l’air de savoir.

Un – Ah, oui, le suicide assisté ! Non, c’est parce que… Vous allez rire, mais on fait aussi le don de sperme. (L’autre ne rit pas) Pardon, à voir votre tête, j’aurais dû deviner que vous ne veniez pas pour…

Deux – Non…

Un – Et puis pour un don de sperme, on ne vient pas avec une valise.

Deux – Non.

L’autre lui tend un papier.

Un – Voilà, il faut remplir le formulaire. Attendez, je vérifie que je n’ai pas confondu avec l’autre… Non, je ne me suis pas trompé, c’est bien celui-là… Alors nom, adresse, téléphone…

Deux – Téléphone  ?

Un – Bon, vous n’êtes pas obligé de le mettre… C’est sûr qu’on ne risque pas de vous téléphoner après… Enfin bref… Numéro de sécurité sociale, personne à prévenir en cas de non décès…

Deux – En cas de non décès, vous êtes sûr  ?

Un – En principe, c’est fiable à cent pour cent, mais vous savez… La perfection n’est pas de ce monde. Vous avez apporté le chèque et une photo d’identité ?

Deux – Voilà… (Il lui tend les documents en question) La photo n’est pas très récente, mais bon…

L’autre regarde la photo.

Un – Ah oui, en effet… Mais vous aviez quel âge ?

Deux – Six mois.

Un – Après tout, ils n’ont pas précisé « photo récente ». Vous avez été parrainé  ?

Deux – Pardon  ?

Un – Si vous avez été parrainé par quelqu’un qui a déjà eu recours à nos services, la moitié des frais sera reversée à sa famille, vous ne le saviez pas ?

Deux – Non.

Un – Dommage, vous auriez pu vous-même en faire bénéficier vos proches. Vous n’avez personne dans votre entourage qui a des tendances suicidaires ?

Deux – Je ne sais pas…

Un – De toute façon, il est un peu tard. Ce sera pour la prochaine fois… Enfin, je veux dire… Bon, il faut aussi faire le petit test…

L’autre lui tend un autre formulaire.

Deux – Ne me dites qu’il faut avoir un QI supérieur à la moyenne pour avoir le droit à une aide au suicide  ?

Un – Non, rassurez-vous. Tout le monde a le droit de mettre fin à ses jours. Même les imbéciles. C’est juste pour vérifier que vous êtes bien en possession de toutes vos capacités intellectuelles, et que vous savez donc exactement ce que vous êtes en train de faire.

Deux – Bon…

Un – Il suffit de cocher les bonnes cases. Vous verrez, ce n’est vraiment pas sorcier. En tout cas, on n’a encore jamais recalé personne jusqu’à maintenant.

Il regarde le test et commence à cocher les bonnes réponses.

Deux – Ah oui, en effet… Combien font 1 plus 1 ? Quelle est la couleur du cheval blanc d’Henri IV ? Y a-t-il une vie après la mort ?

Un – Vous avez le droit à un joker.

Deux – Dans ce cas, pour la dernière, je reviendrai vous donner la réponse dans quelque temps.

Un – Ah, je vous préviens, on n’a pas encore prévu de service après-vente !

Il lui rend le test complété.

Deux – C’est tout pour l’aspect formalité ?

Un – Presque… Vous avez rédigé une lettre de démotivation ?

Deux – Non…

Un – Je plaisante, rassurez-vous.

Deux – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Un – Tout est en ordre. Je vais vous annoncer…

Deux – M’annoncer  ? Vous voulez dire… là-haut ?

Un – Oui, si vous voulez… C’est au septième…

Deux – Le septième ciel ?

Un – Le septième étage ! Le service chargé de…

Deux – Ah oui, pardon.

Il prend son téléphone.

Un – Oui, Christelle, ton rendez-vous est arrivé… D’accord, je lui dis de patienter… (Il repose le téléphone) On est un peu en retard sur notre planning. L’hiver, pour nous, c’est la haute saison… Et puis cette année, avec la météo… C’est tellement déprimant…

Deux – J’ai tout mon temps…

Un – Pas moi, malheureusement… J’ai une grosse journée… Mais je vais d’abord me traîner jusqu’à la machine à café. Je n’ai pas eu le temps d’en prendre un ce matin. Mon réveil n’a pas sonné. Je vous en ramène un ?

Deux – Un quoi ?

Un – Un café !

Deux – Oui, pourquoi pas…

Un – Ne vous inquiétez pas. Si vous n’êtes plus là quand je reviendrai, je le boirai à votre santé… Je veux dire à votre place.

Deux – Merci pour tout.

Un – Mais de rien.

Deux – Si, si, j’insiste. Vous êtes la dernière personne que j’aurai vue avant le grand saut. Du coup, je n’aurai rien à regretter.

Un – Merci. Et… n’oubliez pas votre valise.

Noir

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Deuxième chance

Le premier personnage est là, en bord de scène, une valise à la main, un peu penché en avant et regardant en bas. Le deuxième arrive, précipitamment.

Deux – Vous n’allez pas me sauter ?

Un – Euh… Non… Pas si je peux éviter…

Deux – Pardon, je voulais dire… vous n’allez pas sauter ?

Un – Ah… Euh… Non… Pas si je peux éviter…

Deux – Tant pis… Enfin, je veux dire tant mieux !

Silence embarrassé.

Un – J’ai l’air désespéré à ce point ?

Deux – Je ne sais pas… Et moi ?

Un – Oui, un peu… Vous avez l’air de sortir de…

Deux – Je sors de chez mon dentiste.

Un – Et ça s’est mal passé.

Deux – Si on veut… Il m’a posé un lapin.

Un – Vous sortez avec votre dentiste ?

Deux – Non, je veux dire… Il a annulé le rendez-vous.

Un – D’accord… Et pourquoi ça ?

Deux – Il avait mal aux dents.

Un – Ah oui ? Remarquez, c’est vrai. Je me suis toujours demandé où allaient les dentistes quand ils avaient mal aux dents.

Deux – Et les coiffeurs pour se faire couper les cheveux ?

Un – Vous savez ce qu’on dit… Ce sont toujours les cordonniers les plus mal chaussés.

Deux – Du coup, j’ai toujours mal aux dents… Et vous ?

Un – Non, moi les dents ça va… Je dirais même que pour l’instant, les dents, c’est à peu près tout ce qui va chez moi.

Deux – Alors c’est pour ça que vous envisagiez de…

Un – De…?

Deux – Eh bien de… sauter.

Un – Mon projet n’était pas aussi abouti que ça… En fait, je voulais juste vérifier que si je sautais, c’était bien assez haut pour que j’ai une chance raisonnable d’y rester. Parce que si c’est pour finir seulement estropié…

Deux – Vous imaginez ? Vous êtes déprimé, vous vous suicidez, et finalement, vous en sortez paraplégique.

Un – De quoi être encore plus déprimé.

Deux – C’est sûr.

Un – C’est pour ça que je préférais vérifier.

Deux – Vous étiez en repérage, en somme.

Un – Voilà.

Deux – Et ?

Un – Quoi ?

Deux – C’est assez haut ?

Un – Je ne sais pas… Qu’est-ce que vous en pensez ?

Deux – Je n’ai pas bien l’habitude…

Il s’approche et regarde.

Un – Faites attention quand même…

Deux – Vous avez raison, ce serait trop bête.

Un – Alors ?

Deux – Ce n’est pas très haut… En sautant la tête la première, peut-être…

Un – Et puis c’est du gazon.

Deux – Si c’était du ciment, au moins.

Un – Le gazon, c’est assez meuble. Surtout quand il a beaucoup plu.

Deux – C’est vrai que ces derniers temps, on n’a pas été très gâtés côté météo.

Un – Non. C’est vraiment déprimant.

Deux – En tout cas, vous avez intérêt à ne pas vous rater. Parce que sinon, vous n’aurez pas de deuxième chance.

Un – Pardon  ?

Deux – Quand on se tire une balle, si on se rate avec la première, on peut toujours se rattraper avec la deuxième. Il suffit d’appuyer à nouveau sur la gâchette. Mais quand on saute dans le vide…

Un – C’est sûr.

Deux – Vous vous voyez remonter les escaliers avec une jambe cassée et une fracture du crâne pour vous jeter une deuxième fois dans le vide.

Un – Non…

Deux – Je sais que le ridicule ne tue pas, mais bon… Il y a des limites…

Un – Oui, je préférerais tout de même mourir dans la dignité.

Deux – Bon, je vais devoir vous laisser. Excusez-moi, mais j’ai vraiment trop mal aux dents.

Un – En tout cas, merci pour vos conseils.

Deux – Mais de rien. Vous savez où il y a une pharmacie de garde dans le coin ? C’est pour mon mal de dent…

Un – Oui, je crois que… Je vais venir avec vous… Je vais essayer les médicaments, plutôt…

Deux – Vous avez raison… L’avantage, avec les médicaments, c’est que si on se rate…

Un – On a toujours droit à une deuxième chance…

Ils sortent ensemble.

Noir

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Rester de glace

Deux personnages assis l’un à côté de l’autre. Le deuxième a une valise sur les genoux.

Un – Vous étiez déjà venu ?

Deux – Oui, mais il y a très longtemps. Et vous ?

Un – Non, moi c’est la première fois. Qu’est-ce que vous aviez vu  ?

Deux – Ouh là… Je ne me souviens plus très bien… C’était avec… Comment il s’appelle déjà… C’est un acteur très connu…

Un – Ah oui…

Deux – Il est mort, je crois.

Un – Ah, il est mort  ?

Deux – Je crois.

Un – C’est bien dommage. Et il est mort de quoi  ?

Deux – Oh, vous savez… Il n’était déjà plus très jeune. Et puis il était très malade…

Un – Tout de même, c’est triste pour la famille. Il avait une famille ?

Deux – Oui, j’imagine. Comme tout le monde.

Un – Enfin… Et donc il… il était très connu…

Deux – Ah oui, quand même… On le voyait beaucoup au cinéma. Enfin, après c’était surtout à la télé. Finalement, c’était plutôt au théâtre. Et sur la fin, on ne le voyait plus du tout.

Un – Du tout ?

Deux – Il était un peu tombé dans l’oubli, comme on dit.

Un – Ça arrive, malheureusement.

Deux – Oui, tout le monde l’avait oublié. Même moi, vous voyez.

Un – C’est la vie.

Deux – Oui…

Un – À notre âge, on ne sait même plus si ce sont les gens célèbres qui tombent dans l’oubli, ou si c’est nous qui perdons la mémoire…

Un temps.

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire «  en mode avion  » ?

Un – Quoi  ?

Deux – L’ouvreuse, tout à l’heure, elle a dit d’éteindre son téléphone portable, complètement. «  Même en mode avion  ».

Un – Ah oui, c’est vrai.

Deux – Qu’est-ce que ça veut dire ?

Un – Je ne sais pas… Je ne prends jamais l’avion. Et vous ?

Deux – Moi non plus. D’ailleurs, je n’ai pas de téléphone portable.

Un – Moi non plus.

Deux – Comme ça, on ne risque pas d’oublier de l’éteindre.

Un temps.

Un – Et vous êtes venu avec votre valise  ?

Deux – Je ne m’en sépare jamais. Depuis que…

Un – Depuis quoi  ?

Deux – Je l’avais oubliée dans le train. Les démineurs sont venus. Je suis arrivé juste à temps. Ils s’apprêtaient à la faire exploser !

Un – Non ?

Deux – La peur que j’ai eue… Vous imaginez un peu si je la laisse chez moi, que les chiens de leur brigade cinéphile viennent la renifler jusque sur mon palier, et que les démineurs enfoncent la porte pour la faire exploser ?

Un – Vous avez raison, il vaut mieux la garder avec vous… (Un temps) C’est vrai qu’elle a une drôle d’odeur, cette valise…

Deux – Vous trouvez ?

Un – Ça ne devrait pas tarder à commencer, non ?

Deux – Oui, c’est vrai…

Un – Ça fait déjà un moment qu’ils nous ont demandé d’éteindre nos téléphones portables.

Deux – Ou alors, ça a déjà commencé.

Un – Comment ça pourrait avoir déjà commencé  ? Il ne se passe rien.

Deux – Vous savez, avec le théâtre moderne…

Un – Vous croyez que c’est du théâtre moderne  ?

Deux – Je ne sais pas… Comme c’est offert par la mairie…

Un – C’est pour ça que je suis venu, moi aussi. Je ne savais pas que c’était du théâtre moderne.

Deux – Vous croyez qu’il y a un entracte ?

Un – Ça existe encore, les entractes ?

Deux – Je ne sais pas… Ça dépend de la longueur de la pièce, j’imagine.

Un – Vous croyez que c’est une pièce assez longue pour avoir un entracte ?

Deux – En tout cas, ce n’était pas marqué sur le programme.

Un – Ça fait déjà un moment que ça dure, non ?

Deux – En tout cas, ça fait déjà un moment qu’on attend que ça commence.

Un – On ne se serait pas endormi des fois ?

Deux – Tous les deux en même temps ? Je ne crois pas, quand même.

Un – C’est peut-être déjà l’entracte…

Deux – Ou alors c’est déjà fini.

Un – Ça ne peut pas être déjà fini alors que ça n’a pas encore commencé !

Deux – Avec le théâtre moderne, vous savez…

Un – Alors qu’est-ce qu’on fait  ?

Deux – On va attendre encore un peu… Ce serait trop bête…

Un – Vous avez raison.

Un temps.

Deux – Si au moins les ouvreuses nous proposaient des esquimaux.

Un – Ce n’est pas plutôt au cinéma, les esquimaux ?

Deux – Ah, je ne sais pas…

Un – Moi non plus.

Deux – Même au cinéma, de nos jours, je ne suis pas sûr que les ouvreuses proposent encore des esquimaux.

Un – Alors au théâtre, vous pensez bien…

Deux – C’est dommage. Je suis sûr qu’il y aurait plus de monde au théâtre si les ouvreuses proposaient des esquimaux.

Un – Ça… Sûrement…

Deux – On va attendre encore un peu…

Un – Et puis si ça ne commence toujours pas, on ira prendre une glace.

Deux – On va se gêner ! On aurait mieux fait d’y aller directement…

Un – Vous vous rendez compte la glace qu’on aurait pu se payer pour le prix du billet.

Deux – Enfin, c’est offert par la mairie.

Un – Oui… La mairie… Elle aurait mieux fait de nous offrir des glaces…

Deux – Bon, allez, ça va comme ça.

Ils se lèvent.

Un – Allez, on se fait la malle.

Deux – On va aller se taper une paire de glaces.

Un – Une paire ?

Deux – Deux boules !

Un – Ah oui… N’oubliez pas votre valise…

Deux – Vous avez raison… Ils seraient fichus de nous envoyer les démineurs.

Ils sortent.

Noir

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Excès de bagages

Un personnage est là. Un autre arrive.

Un – Bonjour, je voudrais acheter une valise, s’il vous plaît.

Deux – Bien Monsieur… Et c’est une valise pour partir où ?

Un – Pour partir où ? Qu’est-ce que ça change ?

Deux – Ah mais ça change tout !

Un – Une valise, c’est une valise, non ?

Deux – Détrompez-vous, cher Monsieur ! Il y a toutes sortes de valises. La valise pour partir en voyage, par exemple, n’a rien à voir avec la valise pour quitter son domicile après une séparation, ou pour quitter son pays et partir en exil ?

Un – En exil  ?

Deux – Je suis bien d’accord avec vous… Il y a aussi différentes sortes d’exils. L’exil fiscal n’a évidemment que très peu de rapports avec l’exil économique ou l’exil politique.

Un – Bon… Disons que c’est une valise pour partir en voyage, alors.

Deux – Voyage d’agrément ou voyage d’affaires ?

Un – D’agrément.

Deux – Seul ou accompagné ?

Un – Mais enfin, ça ne vous regarde pas !

Deux – Je vous demande pardon, mais si c’est une valise pour deux personnes, ça change pas mal de choses quant à la taille de la valise. Surtout si vous partagez votre valise avec une femme… Dans ce cas, je vous conseillerais plutôt une malle.

Un – Il n’y aura que mes affaires dans cette valise. Ma femme m’a quitté. Je viens de divorcer…

Deux – Je suis vraiment désolé que votre épouse se soit fait la malle sans vous…

Un – Merci…

Deux – Pour combien de temps, ce voyage ?

Un – Une semaine.

Deux – La destination ?

Un – J’ai l’impression d’être déjà à la douane…

Deux – Pour voyager en Afrique, vous aurez besoin d’une valise beaucoup plus robuste et beaucoup moins salissante que pour voyager en Suisse.

Un – En Suisse ?

Deux – Vous allez en Suisse ?

Un – Je n’ai pas dit ça !

Deux – Non parce que si c’est pour transporter des liquidités, il vous faudra une valise plus sécurisée que pour de simples caleçons et quelques paires de chaussettes.

Un – Vous délirez ! Qui vous a dit que j’allais en Suisse pour planquer mes économies ?

Deux – C’est une simple supposition…

Un – Je vais en Corse, pour marier ma fille, si vous voulez tout savoir.

Deux – Mariage civil ? Religieux ?

Un – Religieux.

Deux – Quelle religion ?

Un – Mais enfin, quel rapport avec la valise ?

Deux – Aucun. Cette fois, c’était juste par curiosité. Excusez-moi.

Un – D’accord…

Deux – Donc nous disions la Corse, pour une semaine, en solo, voyage de noces… Enfin, je veux dire, voyage en vue d’une noce… Vous ferez la traversée en avion ou en bateau  ?

Un – Ça change quelque chose, pour la valise ?

Deux – Disons que pour une croisière un peu chic, je ne vous recommanderai pas le même style de valise que pour un simple voyage en avion. À moins que vous ne voyagiez en classe affaire, évidemment.

Un – Je pars en avion. Classe touriste.

Deux – Bagage accompagné ou en soute ?

Un – En soute. Ce sera tout ?

Deux – Oui… Ça me suffira pour l’instant… et je crois que j’ai ce qu’il vous faut.

Il sort.

Un – Je n’y croyais plus…

L’autre revient avec une valise tout à fait ordinaire.

Deux – C’est pour me proposer cette valise que vous m’avez posé autant de questions ?

Un – Nous cherchons à satisfaire au mieux les besoins de nos clients.

Deux – Et qu’est-ce qu’elle a de spécial, cette valise ? Je veux dire quelque chose qui convienne particulièrement à un voyage en Corse pour marier sa fille ?

Un – Rien de particulier. S’agissant d’un voyage aussi banal, une banale valise fera l’affaire.

Deux – Mais pourquoi celle-ci en particulier ?

Un – Parce que c’est le seul modèle qui nous reste.

Deux – Le seul ? C’est une blague ! Mais alors pourquoi m’avoir posé autant de questions ?

Un – Je voulais vérifier que vous n’étiez pas un client spécial… Mais visiblement non…

Deux – Spécial ? Vous voulez dire… le genre qui part en croisière sur le Titanic et qui a besoin d’une valise insubmersible ?

Un – Bon, vous la prenez ou pas, cette valise ? Parce que je n’ai pas toute la journée, non plus.

Deux – Vous avez de la chance, je n’ai pas le temps de passer dans un autre magasin. Je la prends.

Un – Très bien. Vous réglez par chèque ou en espèce ?

Deux – Par chèque.

Un – Quelle banque ?

Noir

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Pas le Pérou

Un personnage est là. Un autre arrive avec une valise.

Un – Alors ça y est, cette fois c’est le départ ?

Deux – Et oui…

Un – Vous ne voulez vraiment pas rester encore un peu ?

Deux – J’aimerais bien, mais je ne peux vraiment pas…

Un – Quel dommage… C’est trop court. Mais vous reviendrez nous voir !

Deux – Bien sûr…

Un – Ça vous a plu, au moins ?

Deux – Mais oui, je vous assure  ! Beaucoup…

Un – Tant mieux, tant mieux… Ce n’est pas le Pérou, mais bon…

Deux – Non.

Un – Comment ça, non ?

Deux – Je dis… non, ce n’est pas le Pérou.

Un – Vous trouvez qu’ici, ce n’est pas le Pérou ?

Deux – Ben… Non, puisque c’est la France…

Un – La France… Ah, ça oui… La France ! Vous aimez la France ?

Deux – Absolument, oui.

Un – Et le Pérou, vous connaissez ?

Deux – Oui… J’y suis allé l’année dernière.

Un – Ah oui ? Mais qu’est-ce que vous êtes allé faire là-bas ?

Deux – On nous rebat tellement les oreilles avec le Pérou.

Un – Vous trouvez ?

Deux – Ce n’est pas le Pérou par-ci, ce n’est pas le Pérou par-là. J’ai voulu vérifier.

Un – Vérifier quoi ?

Deux – Vérifier si le Pérou, c’était vraiment le Pérou, comme on dit.

Un – Ah oui, bien sûr.

Deux – Même vous tout à l’heure vous disiez que la France, ce n’est pas le Pérou.

Un – C’est un fait.

Deux – Oui… Mais vous aviez l’air de dire que le Pérou, c’est quand même mieux que la France.

Un – C’est une façon de parler.

Deux – Tout de même…

Un – Et alors ?

Deux – Alors quoi ?

Un – Le Pérou, c’est comment ?

Deux – Eh bien… Franchement ?

Un – Franchement…

Deux – Ça ne vaut pas la France.

Un – Eh bien voilà, c’est ce que je disais ! Le Pérou, ce n’est pas la France.

Deux – Vous disiez le contraire…

Un – Le contraire ?

Deux – La France, ce n’est pas le Pérou.

Un – C’est pareil, non ? La France, ce n’est pas le Pérou, et le Pérou, ce n’est pas la France.

Deux – Vous avez raison.

Un – La France, c’est la France, et le Pérou, c’est le Pérou.

Deux – Voilà.

Un – Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes.

Deux – Sauf que les torchons, ce n’est pas pareil que les serviettes.

Un – Évidemment. Les torchons, c’est les torchons, et les serviettes, c’est les serviettes.

Deux – La serviette, c’est la France, et le torchon, c’est le Pérou.

Un temps.

Un – Il va peut-être falloir y aller, maintenant, non ?

Deux – Vous avez raison. Sinon, je vais rater mon avion.

Un – Vous venez d’où, déjà ?

Deux – De Slovaquie.

Un – Ah oui… Là on peut vraiment dire que ce n’est pas le Pérou.

Deux – Non…

Un – Alors bon voyage !

Deux – Merci !

Noir

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