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Miracle au Couvent de Sainte Marie-Jeanne

Miracle at Saint Mary Juana Abbey – Milagro en el Convento de Santa María-Juana  –  Milagre no Convento de Santa María-Joana – Miracolo nel Convento di Santa Maria Giovanna

Comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 14 personnages

14 personnages : 2H/12F, 3H/11F, 4H/10F, 5H/9F, 6H/8F, 7H/7F, 8H/6F
13 personnages : 2H/11F, 3H/10F, 4H/9F, 5H/8F, 6H/7F, 7H/6F
12 personnages : 2H/10F, 3H/9F, 4H/8F, 5H/7F, 6H/6F
11 personnages : 2H/9F, 3H/8F, 4H/7F, 5H/6F
10 personnages : 2H/8F, 3H/7F, 4H/6F, 5H/5F

À la boutique du couvent dont les ventes financent les bonnes œuvres des Sœurs, le célèbre Élixir de Sainte Marie-Jeanne aux nombreuses vertus ne fait plus recette. Jusqu’au jour où une Sœur a l’idée d’ajouter une herbe mystérieuse à la préparation. Le succès du nouveau cordial est stupéfiant. Le dernier miracle de Marie-Jeanne ?


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Marie-Chantal – Alors… Comme vous pouvez le constater, notre gamme de produits est très variée. Nos articles phares restent cependant les cierges, à l’image de Sainte Marie-Jeanne, et notre célèbre élixir de jouvence, fabriqué comme vous le savez avec des herbes locales.

 

 

 

Jean-Bernard – D’un autre côté, la toxicité de cette liqueur n’est pas encore prouvée.

Marie-Chantal – Alors si ça peut leur faire du bien.

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Nos Pires Amis

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

Pour 2 hommes et 2 femmes

Les amis, c’est parfois plus facile de s’en faire que de s’en défaire

Vincent et Juliette partent depuis toujours en vacances avec Patrick et Christelle. Mais ils aspirent maintenant à des relations plus haut de gamme susceptibles de servir leurs nouvelles ambitions professionnelles. Cherchant un prétexte pour se défaire de ces amis devenus encombrants, ils vont se prendre au piège de leurs propres mensonges. Il n’est pas si facile de se débarrasser de ses meilleurs amis…


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Nos Pires Amis

Les amis, c’est parfois plus facile de s’en faire que de s’en défaire

4 PERSONNAGES

Vincent

Juliette

Patrick

Christelle

Intérieur petit bourgeois moderne. Vincent achève de mettre en place une cave à vin électrique, avant de se plonger dans la lecture de la notice d’utilisation. Juliette arrive depuis l’extérieur et s’annonce avant d’entrer.

Juliette – C’est toi ?

Vincent – Oui.

Juliette – C’est moi !

Vincent – Dans ce cas, je pense que c’est bien nous…

Elle entre et pose un sac de courses dans un coin.

Vincent – Quelqu’un d’autre a les clés d’ici à part toi et moi ?

Elle ôte son imper, et dépose le courrier sur la table basse.

Juliette – On ne sait jamais. Ça pourrait être un voleur.

Vincent – Tu as raison… Ou même un terroriste… Bonsoir ma chérie.

Juliette – Bonsoir mon cœur.

Ils échangent un baiser rapide.

Vincent – Tu as passé une bonne journée ?

Juliette – J’ai travaillé sur mon nouveau scénario.

Vincent – Ah oui… Ça parle de quoi, déjà ?

Juliette aperçoit la cave à vin.

Juliette – C’est l’histoire d’une femme qui découvre que son mari est en réalité un extra-terrestre.

Vincent – Tiens donc… Et comment elle s’en aperçoit ?

Juliette – Elle se rend compte qu’il a bricolé le moteur de leur frigo et qu’il l’a transformé en module spatio-temporel pour tenter de regagner sa planète d’origine.

Vincent (la tête ailleurs) – Intéressant… Et ça se termine comment ?

Juliette – Je ne sais pas encore… Par un divorce, j’imagine…

Vincent – Super…

Juliette – Non, mais je te fais marcher, c’était pour vérifier que tu m’écoutais vraiment.

Vincent – Dommage, ça me plaisait bien, cette histoire…

Juliette – Je suis juste sortie faire quelques courses pour ce soir… Ils arrivent à quelle heure ?

Vincent (plongé dans sa notice) – Qui ?

Juliette – Les Envahisseurs ! Patrick et Christelle…

Vincent – Ah oui, c’est vrai… Patrick m’a appelé. Il passe prendre Christelle au salon et ils arrivent.

Juliette – Au salon ?

Vincent – Au salon de coiffure ! C’est nocturne ce soir, elle termine à 21 heures…

Juliette s’approche et regarde la cave à vin.

Juliette – Qu’est-ce que c’est que ça ? On a déjà un frigo, non ? Ne me dis pas qu’il est tombé en panne…

Vincent (fièrement) – Ce n’est pas un frigo, c’est une cave à vin.

Juliette – Une cave à vin ?

Vincent – C’est un peu comme un frigo. Mais c’est pour maintenir le vin à température constante.

Juliette – Pour…?

Vincent – Pour qu’il vieillisse dans de bonnes conditions…

Juliette – En général, nos bouteilles, on ne leur laisse pas tellement le temps de vieillir…

Vincent – …et pour que le vin soit à la bonne température quand on le boit.

Juliette – En même temps, on n’a pas de très grandes bouteilles, non plus…

Vincent – Raison de plus pour que le vin soit à la bonne température !

Juliette – Et ça t’a coûté combien, ce frigo à vin ?

Vincent – Pas très cher. C’est un client pour qui on bosse à l’agence…

Juliette – Combien ?

Vincent – Trois ou quatre cents euros, je ne sais plus.

Juliette – Trois cents ou quatre cents ?

Vincent – 399.

Juliette – Eh ben… Avec ça, on aurait pu s’acheter pas mal de bonnes bouteilles.

Vincent – Qu’on n’aurait pas pu boire à la bonne température…

Juliette – Ok, mais… On a déjà une cave, non ? Je veux dire une vraie cave. Au lieu d’y entasser nos vieux ordinateurs à température constante, on pourrait y stocker du vin.

Vincent – Ouais… J’y ai pensé.

Juliette – Ah oui quand même… Tu me rassures…

Vincent – Malheureusement, j’ai vérifié, la cave n’est pas à la bonne température.

Juliette – Sans blague ?

Vincent – Elle est un peu trop chaude. Ça doit être à cause de la chaudière.

Juliette – On n’a qu’à mettre la chaudière au milieu du salon ! Comme ça on pourra mettre le vin à la cave ! (Vincent lui lance un regard perplexe) Je plaisante.

Vincent – Et puis ce sera plus pratique d’avoir les bouteilles sous la main…

Juliette – Si tu le dis… (Elle regarde le courrier) Tiens, j’ai reçu mes résultats d’analyse…

Vincent (plongé dans le mode d’emploi) – Ah ouais…?

Juliette ouvre l’enveloppe et lit.

Juliette – Ouh la la, c’est compliqué… Alors… Normal, normal, normal… Ouf… Tous les résultats sont normaux.

Vincent (ailleurs) – Tant mieux…

Juliette – Aucune trace de cancer. Tu ne seras pas encore veuf tout de suite.

Vincent – La température…

Juliette – Non, je n’ai pas de température non plus, je te remercie…

Vincent – Je ne sais pas sur quelle température je dois la régler… Pour garder le vin, c’est plutôt 12 degrés… Mais pour le boire c’est plutôt 18…

Juliette – Bon, je vais mettre la table…

Vincent – Enfin, pour le vin rouge, parce que pour le blanc… C’est du blanc ou du rouge, qu’il amène, Patrick ?

Juliette – Tu n’as qu’à lui demander…

Vincent – Tu as raison, je lui envoie un SMS.

Il pianote sur son portable, et envoie le SMS. Le portable se met aussitôt à sonner.

Vincent – Eh ben, il est rapide… (Vincent prend l’appel) Ouais… (N’ayant pas l’air de savoir qui c’est) Stéphane…? (Se reprenant tout à coup, beaucoup plus concerné) Stéphane ! Non, non, bien sûr… C’est juste que j’attendais un autre appel de… Non, non, pas de problème… Bien sûr, on peut se tutoyer… Mais pas du tout, vous… Tu ne me déranges pas… On attend des amis, là, ils ne sont pas encore arrivés… Ouais… Ouais… Ah ouais… Ah ben oui, bien sûr… Ah ben non, au contraire… Ah ben si, tu penses bien… Ok… Ok… D’accord, on en parle lundi, Stéphane… Merci de me faire confiance, tu ne seras pas déçu, tu verras… Bonne soirée à toi, Stéphane…

Il raccroche, aux anges.

Vincent – C’était Stéphane…

Juliette – Stéphane…?

Vincent – Mon nouveau patron.

Juliette – Je ne savais pas qu’il s’appelait Stéphane.

Vincent – Je t’avoue que moi non plus. Quand il a racheté la boîte, il a commencé par virer dix personnes. Jusqu’à maintenant, pour moi, c’était Monsieur Zimmerman.

Juliette – Et maintenant vous vous tutoyez ?

Vincent – Attends, ce n’est pas fini… Il me confie le Web Marketing d’un nouveau client. Tiens, celui qui fabrique ces caves à vin, justement.

Juliette – Non ?

Vincent – Si tout se passe, bien, il m’a laissé entendre que je serai bientôt promu Responsable de Budget.

Juliette – Génial !

Vincent – Et en attendant, il me passe en CDI !

Juliette – Mais c’est merveilleux !

Ils s’enlacent.

Juliette – Je suis fière de toi, mon cœur.

Vincent – Merci…

Juliette prend un air plus sérieux.

Juliette – Écoute, je voulais attendre un peu avant de te l’annoncer, pour être vraiment sûre, mais moi aussi j’ai une grande nouvelle à t’annoncer.

Vincent – Tu n’es pas enceinte au moins ?

Juliette – Non, rassure-toi…

Vincent – Raconte !

Juliette – J’ai reçu un mail, tout à l’heure. Une maison de prod à qui j’avais envoyé mon premier scénario.

Vincent – Et alors ?

Juliette – Ils sont intéressés. Ils parlent de me signer une option !

Vincent – Une option ?

Juliette – Un précontrat, si tu préfères.

Vincent – Combien ?

Juliette – Comment ça, combien ?

Vincent – Le contrat, combien ?

Juliette – Non, mais pour l’instant, il n’y a pas d’argent. C’est juste une option, avec une clause d’exclusivité. Pour je n’aille pas proposer le sujet à quelqu’un d’autre, tu comprends ?

Vincent – Ah oui…

Juliette – Mais ça veut dire que le scénario les intéresse ! C’est un petit producteur indépendant. À Marseille. Évidemment, s’ils décident de tourner le film…

Vincent – Waou… Mais c’est super ! Moi bientôt Responsable de Budget, toi qui vends ton premier scénario…

Juliette – Tu as raison… Je ne sais pas pourquoi… mais je crois qu’on est sur une pente ascendante, là.

Vincent – Moi aussi… J’ai l’impression qu’on est en train de passer un cap.

Le portable de Vincent signale l’arrivée d’un SMS. Il jette un regard vers l’écran.

Vincent – Christelle… Ils amènent du rouge…

Juliette sort une bouteille de champagne de son sac.

Juliette – Et si tu réglais ta cave à vin sur champagne ! On pourrait fêter ta promo et la signature de mon premier contrat ?

Vincent – Avec Patrick et Christelle ?

Juliette – Tu as raison, il vaut mieux qu’on fête ça en amoureux…

Il prend la bouteille.

Vincent – De toutes façons, il n’est pas à la bonne température. On boira ça tous les deux quand on sera tranquilles. En attendant, je vais la mettre au frigo. Le champagne, c’est meilleur quand c’est bien frais.

Il sort avec la bouteille de champagne. Elle recommence à mettre la table.

Juliette – Et cette histoire de bateau, c’en est où ?

Vincent revient sans la bouteille.

Vincent – Ça y est, Patrick en a trouvé un. Une occase, sur le Bon Coin. Une affaire, apparemment…

Juliette – Comme la cave à vin… Combien ?

Vincent – Je ne sais pas encore exactement. Il nous dira ça tout à l’heure… Le seul problème, c’est que pour l’instant, il est à quai à Saint-Brieuc. Il va falloir qu’on trouve une remorque…

Juliette – Une remorque ?

Vincent – Pour l’amener jusqu’à Concarneau.

Juliette – Je pensais qu’un bateau… Pour aller de Saint-Brieuc à Concarneau…

Vincent – Attends, ça fait presque tout le tour de la Bretagne. Ce n’est qu’un petit voilier… Et nous, pour l’instant, on est des marins d’eau douce. Je ne suis pas encore prêt pour la Route du Rhum, moi…

Juliette soupire.

Juliette – Super… Une année de plus en Bretagne, alors… Avec Patrick et Christelle…

Un temps.

Vincent – C’est vrai que moi aussi, j’aimerais bien changer de temps en temps. Mais la Bretagne, ça a quand même certains avantages…

Juliette – Déjà, on ne se ruine pas en crème solaire…

Vincent – Sans compter qu’on n’a pas de location à payer.

Juliette – Ouais…

Vincent – Tu imagines combien ça nous coûterait si on devait louer une villa à Concarneau ?

Juliette – Bon, en même temps, ce n’est pas vraiment une villa… Moi j’appellerais plutôt ça un cabanon, pas toi ?

Vincent – C’était la maison de sa grand-mère…

Juliette – Oui… Et ils n’ont jamais fait de travaux depuis qu’ils en ont hérité…

Un temps.

Vincent – Concarneau… C’est quand même là où on s’est connus… Tu avais seize ans quand je t’ai rencontrée, avec Patrick, dans cette boîte, tu te souviens…

Juliette – En fait, je n’en avais que quinze. Mais le videur était le cousin de ma copine…

Il la prend un instant dans ses bras.

Vincent – Et c’est moi que tu as choisi…

Juliette – Oui… Tu y tiens vraiment, à ce voilier ?

Vincent – C’est surtout une idée de Patrick. Ça a l’air de lui faire tellement plaisir…

Juliette – Si c’est pour faire plaisir à Patrick, alors…

Vincent – Ils ne nous ont jamais rien demandé financièrement, pour la maison… C’est une façon de participer aux frais des vacances.

Juliette – Et moi, qu’est-ce que je ferai pendant que vous serez sur votre voilier ? Je parlerai chiffons avec Christelle ?

Vincent – Tu t’ennuies tellement, avec elle ?

Juliette – Ils sont très gentils, tous les deux, mais il faut bien reconnaître que…

Vincent – Ils sont un peu beaufs.

Juliette – On est presque des amis d’enfance, c’est vrai, mais qu’est-ce que tu veux ? On n’a pas évolué dans le même sens. À la longue, ça finit par se voir un peu… Lui maître nageur, elle coiffeuse… On a de moins en moins de choses à se dire… De quoi vous parlez, quand vous êtes tous les deux, avec Patrick ?

Vincent (embarrassé) – Ben…

Juliette – Moi si je veux discuter avec une coiffeuse, je vais chez le coiffeur. Personne ne part en vacances avec sa coiffeuse.

Vincent – Tu as raison, ces gens ne nous tirent pas vers le haut.

Juliette – C’est triste à dire, mais quand on est dans une montgolfière et qu’on veut s’envoler, il faut savoir lâcher du lest.

Vincent – Une montgolfière ?

Juliette – Un bateau, si tu préfères. Quand on veut passer un cap, et que le bateau est surchargé, il faut avoir le courage de sacrifier quelques poids morts pour continuer sa route et découvrir de nouveaux continents.

Vincent – C’est clair… Mais qu’est-ce que tu veux dire par là, exactement ?

Juliette – Les copains d’abord, c’est bien gentil. Mais quand on a l’impression que le bateau est en train de s’enfoncer, les copains, il faut savoir les jeter par dessus bord pour rester à flots. Et moi, Patrick et Christelle, et ben j’en ai jusque là, figure-toi.

Le portable de Christelle sonne et elle prend l’appel.

Juliette (très aimablement) – Oui, Christelle ? D’accord… Non, non, pas de problème, on vous attend… Ah oui ? On a hâte de savoir de quoi il s’agit… À tout à l’heure Christelle… (Elle repose son portable) Ils sont un peu en retard, mais ils arrivent. Et ils ont une bonne nouvelle à nous annoncer.

Vincent – Super…

Juliette – Une bonne nouvelle…

Vincent – À ton avis ? Qu’est-ce que c’est pour eux, une bonne nouvelle ?

Juliette – Ils ont dû changer la machine à laver en Bretagne.

Vincent – Ou installer des toilettes à l’intérieur de la maison.

Juliette – Là, il ne faut pas trop rêver quand même…

Ils restent un instant songeurs.

Vincent – Je t’ai dit que Stéphane avait une villa à Saint Rémy ?

Juliette – Saint Rémy les Chevreuse ?

Vincent – Saint Rémy de Provence ! Une résidence secondaire, si tu préfères. Avec piscine et tout…

Juliette – Non ?

Vincent – Juste à côté de celle de Michel Drucker. C’est très bobo, la Provence, tu sais. La côte d’Azur, c’est fini. C’est trop populo. L’été, ils sont tous là-bas. En Provence.

Juliette – Il t’a invité ?

Vincent – Pas directement… Mais il a dit devant moi que c’était l’endroit idéal pour se retrouver entre amis l’été. Maintenant qu’on se tutoie et qu’il m’appelle par mon prénom…

Juliette – Évidemment, si on n’est pas disponibles, il ne nous le proposera même pas…. Il sait qu’on passe tous les étés en Bretagne ?

Vincent – En tout cas, je ne m’en suis pas vanté…

Juliette – Saint Rémy de Provence… C’est sûr que ça fait plus rêver que Concarneau…

Vincent – Pour ton scénario, ce serait bien. Tout le showbiz est là-bas au mois d’août. Les gens de la télé, du cinéma…

Juliette – Ils ne sont pas à Concarneau, en tout cas, ça c’est sûr…

Un temps.

Vincent – Il n’y a pas un festival de films à Concarneau ? Le Festival de Concarneau, ça me dit quelque chose…

Juliette – Locarno. Le Festival de Locarno.

Vincent – Ah oui, c’est ça, tu as raison… Ça m’étonnait aussi…

Juliette – Locarno, c’est en Italie, sur le Lac Majeur. Tu penses bien que s’il y avait un festival à Concarneau, ce ne serait pas un festival de cinéma. Je ne sais pas moi. Le Festival de la Morue, peut-être… Ou du Bigorneau…

Vincent – Malheureusement, pour l’instant, à moins d’un miracle, ce sera encore la Bretagne…

Juliette – Et avec l’achat en commun de ce voilier, on en prend pour perpète.

Vincent – Ouais…

Juliette – On ne pourrait pas trouver un moyen de se défiler ?

Vincent – Ce sont des amis, quand même… Qu’est-ce qu’on pourrait bien leur dire ? On devait partir avec vous en Bretagne comme tous les ans, mais on a décidé que vous n’étiez pas assez bien pour nous ? Ils vont se vexer…

Juliette – Présenté comme ça, ils ne comprendraient pas, c’est sûr…

Vincent – Il faudrait trouver un moyen de se décommander… sans les froisser.

Juliette – Ouais, mais ça ne va pas être évident. Ça fait des années qu’on part en vacances ensemble. Et Patrick qui se lance dans l’achat d’un voilier avec toi… Une excuse bidon, ça ne va pas suffire.

Vincent – Il faudrait trouver un truc imparable… Le genre de choses qui coupe court à toute discussion…

Juliette – Bon, en attendant, je vais m’occuper de la cuisine pour ce petit dîner entre amis…

Vincent – Qu’est-ce que tu as fait de bon ?

Juliette – Moi rien, mais Picard nous a concocté… (Elle regarde sur le paquet) Tronçons de cabillaud gratinés avec un écrasé de pomme de terre…

Vincent – Ça l’air bon…

Juliette – C’est du poisson pané avec de la purée…

Elle sort. Vincent se replonge dans le mode d’emploi de sa cave à vin. La sonnette de la porte retentit. Il va ouvrir.

Vincent (off) – Salut Christelle ! Et ben alors ? Qu’est-ce que tu as fait de Patrick ?

Il revient avec Christelle, habillée de façon plutôt voyante et avec un certain mauvais goût. Elle porte un couffin et un sac.

Christelle – Il est en train de chercher une place. C’est de plus en plus difficile de se garer dans votre quartier. Comme on a la petite, je lui ai demandé de me déposer d’abord…

Vincent – Super… Mais tu ne m’avais pas dit que tu venais avec Sabrina…

Christelle – C’est la fille de la voisine qui devait la garder, mais elle a les oreillons…

Vincent – La fille de la voisine a les oreillons ?

Christelle – Non, Sabrina…

Vincent qui s’apprêtait à dispenser une caresse de bienvenue à l’enfant a un mouvement de recul.

Vincent – Les oreillons…?

Christelle – Enfin là, elle dort, heureusement… Je lui ai donné une cuillerée de sirop…

Vincent – Pour les oreillons…

Christelle – Pour la faire dormir ! Avec un peu de chance, elle nous foutra un peu la paix pendant le dîner. Depuis ce matin, elle n’arrête pas de pleurer…

Vincent – Bon… Tu peux la mettre dans la cave, si tu veux.

Christelle – La cave ?

Vincent – Je veux dire dans la chambre. Tu peux la mettre dans la chambre.

Christelle – Tu es sûr que ça va ?

Vincent – Et… ce n’est pas trop contagieux ?

Christelle – Un peu, si… Mais tu as déjà eu les oreillons, non ?

Vincent – Je ne sais pas…

Christelle – Je suis désolée, j’ai complètement oublié de te demander… Non parce que les oreillons, pour les hommes…

Vincent – Quoi ?

Christelle – Des fois ça peut provoquer des complications.

Vincent – Quels genres de complications ?

Christelle – Des problèmes de stérilité, par exemple.

Il affiche un air inquiet. Elle éclate d’un rire sonore.

Christelle – Non mais il n’y a pas de raison que tu chopes les oreillons… Tu les as sûrement déjà eu quand tu étais petit…

Vincent – Oui, sûrement…

Christelle – Je vais attendre un peu avant de la mettre dans la chambre… Je préfère être sûre qu’elle ne va pas se réveiller… Juliette n’est pas là ?

Elle retire son manteau qu’elle pose sur le canapé.

Vincent – Si… Si, si… Elle… Elle est dans la cuisine…

Christelle – Je te trouve bizarre depuis tout à l’heure… Il y a un problème ?

Vincent – Non… Non, non… Enfin…

Christelle – Quoi ?

Vincent hésite un moment avant de se lancer.

Vincent – Écoute, je ne voulais pas t’en parler mais… Juliette non plus, elle ne va pas très bien.

Christelle – Tu me fais peur… Ce n’est pas grave, au moins ? Ça ne va pas l’empêcher de partir en vacances avec nous ?

Vincent prend la lettre du laboratoire, sur la table basse.

Vincent – Elle vient d’apprendre qu’elle avait un cancer…

Christelle – Un cancer ? Oh, mon Dieu… Juliette, un cancer…

Vincent – Non, mais elle ne va pas mourir. Ce n’est pas un cancer grave.

Christelle – Pas grave ?

Vincent – Enfin si, mais…

Christelle – Elle est venue se faire coiffer au salon il y a à peine une semaine… Elle ne m’en a pas parlé du tout… Elle avait l’air en pleine forme…

Vincent – On a reçu les résultats du labo aujourd’hui.

Christelle – Oh merde… Mais c’est un cancer de quoi ?

Vincent – Je ne sais pas encore… Je veux dire, on ne sait pas encore exactement, mais… Du pied, je crois.

Christelle – Un cancer du pied ?

Vincent – Enfin, euh… C’est… une sorte de cor au pied, mais potentiellement cancéreux, si tu veux…

Christelle – Ah merde…

Vincent – Évidemment, ça remet en cause tous nos projets. Notamment nos projets de vacances…

Christelle – Je ne sais pas quoi dire…

Vincent – Surtout, tu ne lui en parles pas… À moins que ce soit elle qui décide de t’en parler la première…

Christelle – Bien sûr… Tu connais ma discrétion… Si je devais répéter tout ce que j’entends dans mon salon de coiffure, tu sais… Mais vous savez que vous pouvez compter sur nous tous les deux… Si vous avez besoin de quoi que ce soit…

Vincent – Merci.

Christelle – On est amis, non ? Si on ne peut pas compter sur ses amis quand on traverse ce genre d’épreuves…

Vincent – Oui, bien sûr… Mais on ne voudrait pas non plus…

Christelle – Et puis le cancer, au moins, ce n’est pas comme les oreillons, ce n’est pas contagieux.

Vincent – Je t’aide à amener tout ça dans la chambre ?

Vincent et Christelle sortent. Juliette revient pour apporter ce qu’il faut pour prendre l’apéritif. La sonnette de la porte retentit à nouveau. Elle sort un instant pour ouvrir.

Juliette – Ah ! Bonsoir Patrick.

Patrick – Salut ma poule. Tu as l’air surprise. C’était bien ce soir, non ?

Juliette – Mais oui, bien sûr, entre…

Elle revient avec Patrick, look plutôt beauf, une bouteille à la main.

Juliette – Christelle n’est pas avec toi ?

Patrick – Son manteau est là, ils doivent être dans la chambre en train de coucher la petite. Enfin, j’espère que c’est bien ça qu’ils sont en train de faire. Parce que je n’aime pas trop arriver chez un pote et le trouver dans sa chambre avec ma femme…

Il rit un peu bruyamment.

Juliette – Vous êtes venus avec le bébé ?

Patrick – Figure-toi qu’elle a la rougeole. Heureusement que tu n’es pas enceinte…

Juliette – Ah oui…

Patrick – Eh, tu nous l’aurais dit au moins, si tu étais enceinte ?

Juliette – Vous auriez été les premiers à le savoir…

Patrick – Non parce que la rougeole, pour les femmes enceintes, il paraît que… D’ailleurs, je crois que c’est plutôt les oreillons… Tiens j’ai apporté une bouteille de pif.

Il lui tend la bouteille. Elle la prend et jette un regard à l’étiquette.

Juliette – Côtes de Provence… Merci. C’est du rouge ou du blanc ?

Patrick – C’est du rosé. Tu peux le mettre au frigo, ça se boit bien frais.

Juliette – C’est Vincent qui va être content.

Patrick – Pourquoi ça ?

Juliette – Il t’expliquera… Au fait, je voulais te demander, pour le bateau…

Patrick – Vincent t’a dit ? Ça y est, je l’ai trouvé notre voilier !

Juliette – Oui, il m’a dit ça, mais…

Patrick – Tu sais comment il s’appelle ?

Juliette – Qui ?

Patrick – Le bateau ! Notre bateau ! Tu sais comment il s’appelle ?

Juliette – Non…

Patrick – Les Copains d’Abord ! Ce n’est pas un signe, ça ?

Juliette – Si, bien sûr, mais je voulais juste…

Patrick – Le problème, c’est qu’il faut que je trouve la remorque…

Juliette – Mais tu l’as déjà payé, ce bateau ?

Patrick – Je viens d’envoyer le chèque. Justement, c’est un peu pour ça qu’on vient aussi, parce que ce n’est quand même pas donné. Si j’avais pu, j’aurais avancé l’argent, tu penses bien, mais là… Si Vincent pouvait me faire un chèque de la moitié, je t’avoue que ça m’arrangerait…

Juliette – Et c’est justement ça qui va être compliqué…

Patrick – Comment ça, compliqué… J’en avais parlé avec lui et…

Juliette – Quand ?

Patrick – Pas plus tard qu’hier.

Juliette – Eh ben tu ne vas pas le croire mais… Vincent vient d’apprendre aujourd’hui qu’il était licencié…

Patrick – Licencié ? Ah merde…

Juliette – Il était en CDD et…

Patrick – Pourtant il m’avait dit que ça marchait très bien… et que son patron était très content de lui.

Juliette – Donc pour le bateau, évidemment, ça risque d’être un peu difficile…

Patrick – Non, mais attends, ce n’est pas le problème. Pour le bateau, on va s’arranger. Si je dois le payer tout seul… Et il me remboursera quand il pourra.

Juliette – Ce n’est pas seulement le bateau, malheureusement. C’est les vacances…

Patrick – Les vacances ?

Juliette – La Bretagne… Tu comprends… On ne va pas avoir les moyens de…

Patrick – Mais ça ne vous coûte rien ! On vous invite ! Et puis ce n’est pas parce qu’on est chômeur qu’on n’a pas le droit de prendre des vacances !

Juliette – Non mais… il faut que Vincent reste là, pour… Pour chercher un autre boulot, tu vois…

Patrick – Il en trouvera un après les vacances.

Juliette – Non, franchement… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée… Il a tellement hâte de retrouver un job… Ce ne serait pas vraiment des vacances, pour lui, tu comprends… Et puis… Au cas où il y ait un contrôle de Pôle Emploi…

Patrick – Ah, oui c’est vrai… Pôle Emploi… Ah merde…

Vincent revient avec Christelle.

Vincent – Salut Patrick, ça va ?

Patrick – Ben oui, moi ça va… Et toi mon pauvre vieux ?

Vincent (un peu surpris) – Ça peut aller…

Ils se font la bise.

Christelle – Bonjour Juliette, comment ça va ? Enfin, je veux dire… Le boulot…

Juliette – Ça va, ça va…

Elles se font la bise.

Christelle – Tu as réussi à trouver une place ?

Patrick – Je me suis garé sur la place livraison de Pôle Emploi. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de livraison un vendredi soir. Excuse-moi, Vincent, je ne dis pas ça pour toi…

Vincent (avisant la bouteille sur la table) – Ah, tu as apporté du vin ?

Patrick – Ben oui, tu m’as même envoyé un SMS pour savoir si c’était du rouge ou du blanc. C’est Christelle qui t’a répondu, moi je conduisais. En fait, c’est du rosé.

Vincent – Ah merde, du rosé…

Patrick – Vous n’aimez pas le rosé ?

Christelle – Enfin Patrick, tout le monde aime le rosé !

Patrick – Non, c’est juste que… Je ne sais pas trop à quelle température ça se boit…

Juliette – Vincent a acheté une cave à vin…

Patrick aperçoit l’engin.

Patrick – Ah oui, tiens, une cave à vin, dis donc… Merde…

Juliette – Mais dans le salon, ça va nous encombrer, non ? Et si on mettait ça dans la cave ?

Vincent – Dans la cave ?

Juliette – C’est une cave à vin, non ?

Vincent – Oui, remarque pourquoi pas…

Juliette – Le rosé, je vais le mettre dans le frigo.

Patrick – Le rosé, c’est meilleur quand c’est frais… Tu veux un coup de main pour transporter ça ?

Vincent – Ok… Mais je vais d’abord voir où je peux la mettre…

Patrick – Je viens avec toi… Alors comment ça marche, cette cave à vin ?

Vincent – Écoute, je suis encore en phase de rodage, là, mais…

Ils sortent.

Christelle – Je suis vraiment désolée pour ce qui vous arrive…

Juliette – Ce qui nous arrive ?

Christelle – Vincent m’a dit pour la mauvaise nouvelle…

Juliette – Ah oui…

Christelle – Je lui avais promis d’attendre que tu m’en parles, mais bon… On est amies, non ?

Juliette – Oui.

Christelle – À quoi ça sert d’avoir des amis si on ne peut pas compter sur eux dans des moments pareils ?

Juliette – Bien sûr.

Christelle lui prend les mains.

Christelle – Et puis tu vas t’en sortir, hein ?

Juliette – Moi ?

Christelle – J’ai plusieurs clientes au salon qui sont passées par là… En général, les femmes n’aiment pas beaucoup parler de ça. Mais tu sais, un salon de coiffure, c’est un peu comme un confessionnal.

Juliette – Ah oui…?

Christelle – Alors dis-moi, parce que Vincent n’a pas été très clair. C’est quel type de…

Juliette – De…?

Christelle – Ça te gêne d’en parler, je comprends… Mais je suis sûre que ça te ferait du bien de te confier à une amie…

Vincent et Patrick reviennent. Elles s’interrompent.

Vincent – Non mais on va la laisser ici pour l’instant. Il faut que je fasse un peu de rangement dans la cave d’abord…

Patrick – Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Vous en faites une tête ? On dirait que quelqu’un est mort…

Christelle (à Vincent) – Tu ne lui as pas dit ?

Patrick – Si, Christelle m’en a parlé, mais bon… Ce n’est pas si grave que ça, quand même. Il n’y a pas mort d’homme…

Christelle – Comment ça pas grave ? Évidemment, ils vont s’en sortir. Maintenant, on a fait beaucoup de progrès, mais bon… De là à dire que ce n’est pas grave…

Patrick – Moi j’ai confiance dans mon Vincent. Il a toujours su rebondir. Il va retrouver du boulot.

Christelle – Du boulot ? Vincent ?

Juliette (à Vincent) – Excuse-moi, mais j’ai préféré leur dire, pour ton licenciement…

Vincent – Ah oui…

Christelle – Ah parce que… En plus de ça, Vincent a perdu son boulot ?

Patrick – En plus de quoi ?

Patrick et Juliette échangent un regard perplexe.

Christelle (à Vincent) – Je suis désolée, j’avais promis de ne pas en parler…

Patrick – Parler de quoi ?

Christelle – Juliette a un cancer.

Juliette lance un regard effaré à Vincent. Christelle se met à pleurer. Patrick la console. Vincent et Juliette semblent très emmerdés.

Patrick – Ah merde… Ah non… Un cancer ? Dites-moi que ce n’est pas vrai…

Vincent – Non, mais ne vous inquiétez pas. Tout va bien se passer. C’est juste que pour les vacances…

Patrick – Mais c’est un cancer de quoi ?

Juliette – C’est… un cancer de… Un cancer du pancréas.

Christelle – Vincent m’avait dit que c’était un cancer du pied… Ne me dis pas que c’est déjà en train de se généraliser…

Juliette – On est en train de faire des examens complémentaires….

Vincent – Il paraît qu’en médecine chinoise, le pancréas et le pied, c’est très lié.

Christelle – Écoute, au salon, je coiffe la femme d’un grand spécialiste du cancer. Le Professeur Bismuth. Normalement, pour avoir un rendez-vous avec lui, c’est plus compliqué que d’avoir un rendez-vous chez le coiffeur, crois-moi. Mais Marie-Agnès, sa femme, m’a dit que si j’avais besoin, un jour, elle mettrait mon dossier sur le dessus de la pile. Je vais lui en parler…

Juliette – Non mais ce n’est peut-être pas la peine de la déranger, tu sais…

Christelle – Attends, tu plaisantes ? Mais enfin Juliette ! on est amis, oui ou non ?

Juliette – Si bien sûr, mais…

Christelle – Ce type-là, à l’hôpital, on le considère comme un Dieu. Il paraît qu’il fait des miracles…

Patrick – Et puis pour ton boulot, Vincent… Je vais y penser… Tu sais à la piscine, je vois passer pas mal de monde, moi aussi.

Vincent – Je ne sais pas si… En tout cas, merci…

Patrick – En attendant, pas question de vous laisser abattre. On va tous en Bretagne cet été.

Christelle – L’air marin, ça vous fera du bien à tous les deux.

Patrick – Et pour le bateau, ne t’inquiète pas. On va s’arranger… En ce moment, ce n’est pas très facile pour nous non plus, mais bon… Je peux toujours prendre un petit crédit en plus.

Vincent – Je ne sais pas quoi te dire…

Patrick – Attends, tu sais comment il s’appelle le bateau ?

Vincent – Non ?

Patrick – Dis-lui, toi, Christelle.

Christelle – Amis pour la Vie.

Patrick – En fait, c’est les Copains d’Abord, mais bon… Alors tu vois, bien… Vous n’êtes pas tout seuls !

Christelle – Je crois que le bébé s’est réveillé… Tu peux m’aider, Patrick ? Je suis tellement chamboulée, je ne sais pas si je vais réussir à m’en sortir…

Patrick et Christelle sortent.

Juliette – Un cancer du pied ? Tu n’as pas trouvé mieux ?

Vincent – J’ai improvisé… C’est la première chose qui m’est passé par la tête…

Juliette – Ça fait toujours plaisir…

Vincent – Remarque, le coup de mon licenciement, ce n’est pas mal non plus…

Juliette – Tu trouves ?

Vincent – On peut toujours guérir d’un cancer, mais moi ? Qu’est-ce que je vais leur dire après les vacances ? Qu’ils m’ont réembauché ?

Juliette – C’est clair qu’on aurait mieux fait de se concerter un peu avant. L’improvisation, ce n’est jamais très bon…

Vincent – C’est sûr… Maintenant, je ne sais pas trop comment on va s’en sortir…

Juliette – Tu as raison, iIs ne vont jamais nous lâcher. C’est vrai qu’ils sont très gentils, mais bon… Ils sont surtout très collants…

Vincent – Des vrais sparadraps… Tu crois en être débarrassé, et tu te rends compte qu’ils te collent encore aux basques…

Juliette – Ils ne sont pas Bretons pour rien…

Vincent – Il faudrait trouver autre chose. Taper plus fort.

Juliette – Tu me fais peur…

Patrick et Christelle reviennent.

Christelle – On l’a changée, elle vient juste de se rendormir.

Patrick – Avec un peu de chance, on va pouvoir passer une bonne soirée. Enfin je veux dire… Compte tenu des circonstances.

Le portable de Patrick sonne et il prend l’appel.

Patrick – Ouais ? Ah oui, salut Marco. Ouais, ouais, ouais… Super ! Eh ben merci, je te revaudrai ça, mon pote. Ok, je suis avec Vincent là justement. D’accord, je te rappelle. (Il range son portable) C’était mon pote Marco. Son beauf peut nous prêter sa remorque pour transporter le bateau. Tu as une boule, toi ?

Vincent – Une boule ?

Patrick – Sur ta bagnole ! Pour accrocher la remorque…

Vincent – Ah oui… Enfin, non…

Patrick – Ce n’est pas grave. J’en mettrai une sur la mienne. Alors ça y est, mon ami ! On l’a notre voilier !

Christelle – Je crois que ces vacances en Bretagne vont nous faire le plus grand bien à tous.

Le portable de Vincent sonne et il prend l’appel.

Vincent – Ah Stéphane… Non, non, pas du tout… (Aux autres) Excusez-moi une minute…

Il sort.

Juliette – C’est Stéphane, son patron.

Patrick – Son patron ? Celui qui l’a foutu à la porte ?

Juliette – Eh oui…

Christelle – Et il continue à l’appeler Stéphane ?

Patrick – Il a toujours été trop gentil, Vincent, c’est ça son problème, et il y en a qui abusent…

Christelle – Trop bon, trop con.

Juliette – Ils sont en train de négocier les conditions de départ…

Patrick – Je croyais qu’il était en CDD. Il ne doit pas y avoir grand chose à négocier, non ?

Juliette – Je ne sais pas…

Christelle – Non mais dans quel monde on vit, je te jure… Vivement les vacances…

Juliette – Écoutez, pour les vacances, ça va vraiment être compliqué.

Christelle – Il ne faut pas vous laisser abattre, Juliette. Crois-moi, avec ce qui vous arrive, ça vous fera du bien à tous les deux.

Juliette – Justement, c’est… C’est de partir tous les deux… C’est ça qui ne va pas être possible…

Patrick – Et pourquoi ça ?

Juliette – Eh bien parce que… on va divorcer.

Christelle – Quoi ?

Patrick – Ce n’est pas possible…

Christelle – Dis-moi que ce n’est pas vrai…

Patrick – Pas vous…

Christelle – Pas maintenant. Avec ce que vous êtes en train de traverser tous les deux en ce moment.

Patrick – Vous devriez vous serrer les coudes, au contraire !

Juliette – En fait, c’est… C’est un truc auquel on pensait déjà depuis un certain temps. Je veux dire… Bien avant d’apprendre cette avalanche de mauvaises nouvelles. Et là on s’est dit que vraiment… Ce mariage… Ça ne nous portait pas chance, quoi…

Cette fois c’est Patrick qui se met à pleurer. Christelle le console. Vincent revient.

Vincent – Qu’est-ce qui se passe ?

Juliette – Je viens de leur dire… Pour notre divorce…

Vincent – Ah oui… Tu as bien fait…

Vincent paraît cependant un peu estomaqué.

Patrick – Je suis vraiment désolé, ce n’est pas mon genre de chialer comme ça devant tout le monde. Mais pour nous, vous étiez un modèle. Vincent et Juliette, c’était… Je ne sais pas, moi…

Christelle – Vincent et Juliette.

Patrick – Voilà. Quand on avait dit Vincent et Juliette, et ben…

Christelle – Il n’y avait plus rien à ajouter.

Patrick – C’était Vincent et Juliette, quoi.

Christelle – Et vous avez bien réfléchi ?

Vincent – On va laisser passer l’été. Prendre le temps d’y penser, chacun de son côté.

Juliette – Séparément.

Vincent – Alors vous comprenez bien que pour les vacances…

Juliette – On ne peut pas les passer ensemble en Bretagne.

Christelle – Je comprends, bien sûr….

Patrick – En tout cas, pas question qu’on choisisse entre vous deux, hein Christelle ?

Christelle – Évidemment.

Patrick – Vous restez tous les deux des amis. Et vous serez toujours les bienvenus chez nous.

Christelle – Et pour la Bretagne, et ben… Vous n’aurez qu’à venir à tour de rôle !

Patrick – Ah ben oui, tiens… Comme ça on pourra quand même profiter du bateau !

Christelle – Et puis comme ça, ça vous fait partir moins longtemps chacun… Avec les problèmes que vous avez…

Patrick – Vincent pourrait prendre la première quinzaine du mois d’août, et Juliette la deuxième…

Juliette – C’est gentil, mais je ne sais pas si… Qu’est-ce que tu en dis, toi, Vincent ?

Vincent – Je ne sais pas quoi dire…

Christelle – Eh ben ne dites rien…

Patrick – Mais quand même, ça m’en fout un coup…

Christelle – Oui, moi aussi.

Patrick et Christelle se mettent à pleurer tous les deux en même temps. Vincent et Juliette sont totalement démunis.

Christelle – Dire qu’on était témoins tous les deux à votre mariage, et que maintenant…

Juliette – Je vais aller m’occuper un peu de la cuisine. On ne va pas se laisser abattre, non plus… Vincent, tu leur sers un apéritif ?

Juliette sort.

Christelle – Écoute, Vincent, je t’ai toujours soutenu, mais là… Tu ne peux pas lui faire ça ! Pas avec ce qu’elle est en train de traverser en ce moment.

Vincent – Écoute, c’est elle qui…

Christelle – D’accord, Juliette n’a pas toujours été… exemplaire. Mais elle t’aime, et c’est ça qui compte.

Vincent – Comment ça, pas exemplaire ?

Christelle – Non, je veux dire… Tout le monde a ses défauts. Elle aussi. Mais souviens-toi, quand tu t’es fait opérer des amygdales ? Elle allait te voir tous les jours à l’hôpital…

Vincent – C’était les hémorroïdes…

Patrick – Oui, et ben elle, ce qu’elle a, c’est beaucoup plus grave que les hémorroïdes, crois-moi.

Christelle – Ok, la médecine a fait des progrès, mais on ne sait jamais.

Patrick – Aussi bien, dans trois ou six mois, tu seras veuf. Alors pourquoi se précipiter.

Christelle lance un regard interloqué à Patrick.

Christelle – Je ne l’aurais pas formulé comme ça, mais je pense aussi que ce divorce… Ce n’est vraiment pas la priorité, non ?

Juliette revient.

Juliette – Ce sera prêt dans cinq minutes. Vincent, tu veux bien t’occuper du vin. Je vais leur servir à boire, puisque tu ne l’as pas fait…

Vincent sort.

Patrick – Écoute, Christelle, je crois que vous êtes en train de faire la plus grosse connerie de votre vie.

Juliette – Tu crois ?

Patrick – Ok, Vincent a pu faire un petit accroc de temps en temps au contrat de mariage…

Juliette – Ah bon ? Tu sais quelque chose ?

Patrick – Pas spécialement… Mais c’est un homme, pas vrai ? Moi aussi, à la piscine, parfois… J’ai des tentations…

Christelle – Ah oui ?

Patrick – Quoi qu’il en soit, Vincent t’adore, c’est évident.

Juliette – Je sais mais…

Christelle – Mais quoi ?

Juliette – J’ai rencontré quelqu’un, voilà !

Christelle – Toi ? Tu as rencontré quelqu’un ?

Juliette – Quoi ? C’est si incroyable que ça ?

Christelle – Non, pas du tout, mais…

Juliette – Vincent ne voulait pas d’enfant. Et moi et bien… Je n’ai plus vingt ans, non plus.

Patrick – Comment ça, pas d’enfant ? En tout cas, Vincent ne m’a jamais dit à moi qu’il ne voulait pas d’enfant. Mais tu sais comment sont les hommes. Moi non plus, si Christelle n’avait pas un peu insisté.

Christelle – Un peu insisté ?

Patrick – Je veux seulement dire que d’avoir des mômes, ce n’est pas un besoin aussi impérieux pour nous. Mais une fois qu’ils sont là, on les adore, évidemment.

On entend des pleurs de bébé.

Christelle – Je suis contente d’apprendre que je t’ai forcé la main… Tu ne veux pas aller porter plainte pour viol, aussi ?

Patrick – J’essaie seulement d’arranger les choses, Christelle ! Je ne sais pas, moi… Peut-être que Vincent pensait que ce n’était pas le bon moment… Et entre nous, il n’avait peut-être pas tout à fait tort…

Christelle – À cause du cancer de Juliette ? Pas le bon moment ? Mais c’est monstrueux, ce que tu dis !

Patrick – À cause du licenciement de Vincent ! Mais je suis sûr qu’au fond de lui, il veut des enfants avec toi.

Juliette – Je t’assure que non, Patrick… D’ailleurs, ce n’est pas seulement qu’il ne veut pas… Il ne peut pas…

Christelle – Tu veux dire que… Vincent ne peut pas avoir d’enfants ?

Juliette – Non, bien sûr, mais… Il ne peut pas en avoir avec moi…

Patrick – Et pourquoi ça ?

Juliette – Parce que… Parce qu’il vient de m’avouer qu’il est homosexuel.

Blanc.

Christelle – Non…?

Vincent revient avec un tablier de style plutôt féminin autour de la table.

Vincent – On va peut-être passer directement à table, non ?

Christelle – Tu veux que je t’aide ?

Vincent – Mais non, restez assis. Juliette va m’aider…

Vincent et Juliette sortent.

Christelle – Ah oui, je comprends mieux, maintenant…

Patrick – Ah bon ?

Christelle – Pour le divorce. Je comprends que Juliette ait eu envie d’aller voir ailleurs…

Patrick – Ah oui…

Christelle – Franchement, j’ai l’impression de les découvrir, ce soir, tous les deux… Alors que ça fait des années qu’on se connaît…

Patrick – C’est incroyable… On croit connaître les gens, et puis…

Christelle – Et toi tu n’avais rien remarqué ?

Patrick – Remarqué quoi ?

Christelle – Qu’il était homo !

Patrick – Comment voulais-tu que je remarque un truc pareil ?

Christelle – Je ne sais pas… Vous passez beaucoup de temps ensemble tous les deux… Surtout pendant les vacances…

Patrick – Et alors ?

Christelle – Quand vous partez pendant des heures au large. En pédalo…

Patrick – Non mais ça ne va pas, non ?

Christelle – C’est vrai que je lui ai toujours trouvé un petit côté efféminé, mais bon…

Patrick – Efféminé ? Moi je n’avais rien remarqué. Mais maintenant que je le sais, c’est vrai que partir tout seul faire de la voile avec lui…

Christelle – Maintenant que tu sais qu’il est voile et vapeur…

Patrick – Ah les pauvres… Tu te rends compte ?

Christelle – Un licenciement, un cancer, un divorce. Et maintenant un coming out…

Patrick – La loi des séries… Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille…

Christelle – Je me demande si le fait d’apprendre que Vincent est homo, ça ne me perturbe pas encore plus que le cancer de Juliette.

Patrick – Eh oui… Quand on a un cancer, on arrive encore à guérir parfois. Mais quand on est homo…

Patrick fait tomber une pile de papier.

Patrick – Tiens, voilà ses résultats d’analyses, justement…

Christelle – Fais voir.

Patrick – Quand même…

Christelle – Si je dois en parler à la femme du Professeur Bismuth…

Patrick – Tu as raison.

Patrick lui tend le papier et elle le parcourt rapidement.

Christelle – Je ne comprends pas.

Patrick – C’est normal, le jargon des médecins, on n’y comprend jamais rien. C’est à croire qu’ils le font exprès.

Christelle – Non, je veux dire…

Patrick – C’est si grave que ça ?

Christelle – Ils disent que tout est normal !

Patrick – Normal ?

Christelle – C’est écrit là noir sur blanc ! Elle n’a rien du tout !

Patrick – Ce n’est pas possible… Fais voir…

Christelle – Tiens regarde !

Elle lui tend la feuille qu’il parcourt rapidement.

Patrick – Mais enfin… Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le téléphone fixe sonne. Au bout de deux sonneries, on entend le message laissé par le correspondant.

Stéphane – Oui, c’est Stéphane, dis donc, pour rédiger ton CDI, il me faudrait quelques renseignements complémentaires. Rappelle-moi quand tu peux… Et pour Saint Rémy, c’est dommage, mais bon. Comme tu m’as dit que tu passais le mois d’août en Bretagne… Ce sera pour l’année prochaine, peut-être…

Patrick et Christelle échangent un regard atterré.

Patrick – Ils se sont bien foutus de nous… Mais pourquoi ? On n’est pas le premier avril, non ?

Christelle – Pourquoi ? Je ne sais pas… Il faut croire qu’on n’est pas assez bien pour eux…

Patrick – Quoi ?

Christelle – Ils veulent se débarrasser de nous, voilà ! Ils ne veulent plus partir avec nous en vacances, ils n’ont pas le courage de nous le dire en face, et c’est tout ce qu’ils ont trouvé.

Patrick – Non ? Ce n’est pas possible… Et le bateau ?

Christelle – Ils s’en foutent, de ton bateau ! Tu ne comprends pas ?

Un temps.

Patrick – Si, je commence à comprendre… Ça m’a pris un peu de temps… Mais je crois que là, ça commence à remonter jusqu’au cerveau…

Christelle – C’est vraiment minable… Le cancer, le licenciement, le divorce, tout ça c’était du baratin.

Patrick – Alors Vincent n’est pas homo non plus ?

Christelle – Ils nous ont menés en bateau, je te dis.

Patrick – Eh ben tu vois, je suis très déçu…

Vincent et Juliette reviennent avec un plat et autres victuailles qu’ils posent sur la table.

Juliette – Et voilà… On va pouvoir passer à table…

Ils prennent place en silence. Le malaise est palpable.

Vincent – Il ne faut pas que ça vous coupe l’appétit, non plus.

Vincent remplit les verres.

Vincent – Allez, santé ! Enfin, je veux dire…

Ils boivent.

Juliette – Il n’est pas mauvais…

Vincent – Oui, il est exactement à la bonne température.

Juliette – Ça va ? Vous ne dites rien…

Patrick – C’est… C’est qu’on est encore sous le choc…

Christelle – Oui, on est vraiment désolés, Vincent. Si on avait su…

Vincent – Pour… mon licenciement, tu veux dire.

Christelle – Oui, aussi, mais surtout…

Patrick – Si on avait su que tu étais homo.

Vincent (accusant le coup) – Ah oui…

Christelle – Juliette nous a tout raconté.

Patrick – Je sais, je ne suis pas le dernier à faire des plaisanteries douteuses là dessus. Mais tu sais bien que dans mon fondement… Je veux au fond de moi-même… Enfin… Je ne suis pas comme ça, quoi…

Vincent – Tu veux dire… Tu n’es pas homo…

Patrick – Je ne suis pas homophobe !

Vincent lance un regard perplexe à Juliette.

Vincent – Bien sûr…

Christelle – Quoi qu’il en soit… Homo ou pas, tu resteras toujours notre ami, Vincent.

Patrick – Parce que nous, on ne juge pas nos amis sur des détails comme ça, hein Christelle ? Pour nous, ce qui importe, en amitié, c’est la fidélité, tu vois…

Juliette – Bien sûr…

Christelle – De savoir qu’on peut compter sur ses amis en cas de problème, c’est ça qui est important.

Patrick – Le reste… Et puis entre amis, on doit pouvoir tout se dire, pas vrai ? On n’a pas besoin de se mentir…

Vincent – C’est sûr.

Christelle – Alors nous, on t’accepte comme tu es, Vincent.

Patrick – Et si tu veux continuer à partager avec moi de bons moments sur ce voilier, comme on le faisait avant sur notre pédalo… Enfin, je veux dire… Et bien moi je suis partant.

Vincent – Merci, je… Je suis vraiment très touché… Mais je ne sais pas si…

Juliette – Mais mangez, je vous en prie ! Ça va refroidir…

Ils commencent à manger en silence.

Juliette – Et c’était quoi, votre surprise, à vous ?

Christelle – Quelle surprise ?

Juliette – Tu m’avais parlé d’une surprise au téléphone…

Patrick – Ah, oui, ça…

Christelle – Oh, maintenant, ça n’a plus beaucoup d’importance.

Patrick – On leur dit quand même ?

Christelle – C’est toi qui vois…

Patrick – On a presque honte de vous le dire. Avec ce qui vous arrive…

Christelle le regarde, étonnée.

Juliette – Dites toujours.

Patrick – Christelle avait comme cliente une vieille dame au salon.

Christelle – Elle venait se faire coiffer tous les samedis matin à l’ouverture.

Patrick – Quelqu’un de très seule. Pas de famille. Juste un caniche…

Christelle – Madeleine.

Vincent – Tu parles d’un nom, pour un caniche…

Patrick – Non, c’est la dame qui s’appelait Madeleine.

Juliette – Bien sûr…

Christelle – Je m’en occupais bien de Madeleine. Elle voulait toujours que ce soit moi qui la coiffe. Je lui faisais la conversation. J’écoutais ses petites histoires. Je lui racontais les miennes. Elle m’aimait beaucoup. Elle avait toujours dit qu’elle ne m’oublierait pas quand elle mourrait. Je pensais que c’était des mots.

Patrick – Ou qu’elle nous laisserait une bricole, un bijou, quelques centaines d’euros…

Christelle – Elle est décédée il y a un mois. Sans héritier. Son notaire nous a appelés hier.

Patrick – Elle a désigné Christelle comme légataire universelle.

Christelle lance un regard étonné à Patrick, mais ne laisse rien paraître aux deux autres de sa surprise.

Juliette – C’est incroyable, cette histoire !

Vincent – Combien ?

Christelle – On ne sait pas encore exactement, mais le notaire a parlé d’une villa à Monaco. Avec piscine, et tout.

Patrick – On a un peu l’impression d’avoir gagné au loto… Tu te rends compte, pour un maître nageur, hériter d’une piscine ?

Vincent – Eh oui, c’est… C’est comme… un mineur qui hériterait d’une mine. Je veux dire une mine d’or, bien sûr…

Juliette – C’est dingue ! Mais vous n’avez pas l’air contents ? Moi, je ne sais pas… Si un truc comme ça m’arrivait…

Christelle – Maintenant qu’on sait le malheur qui vous frappe… Ça gâche un peu la fête…

Patrick – Et puis on préfère ne pas s’emballer trop vite… On attend d’avoir tous les détails.

Christelle – Non mais vous nous imaginez milliardaires ? Nous ?

Patrick – Patrick et Christelle, propriétaires d’une villa à Monaco !

Christelle – À Monaco, vous vous rendez compte ? Non seulement on serait riches, mais on ne paierait plus d’impôts.

Patrick – Non, il doit y avoir une couille quelque part.

Vincent – Comment ça une couille ?

Patrick – Des fois, il y a des successions…

Vincent – Quoi ?

Patrick – Parfois il y a des dettes, aussi… Tu crois devenir riche, et résultat, tu te retrouves avec un tas de créanciers au cul.

Christelle – Il faut bien réfléchir avant d’accepter ce genre de trucs.

Juliette – Rassurez-moi… Vous n’avez pas refusé, au moins ?

Christelle – On a demandé l’état exact de la succession.

Patrick – Sous bénéfice d’inventaire, ils appellent ça. Le notaire doit nous rappeler.

Christelle – Mais quand même, si jamais c’était vraiment vrai… Quel dommage que vous ne puissiez pas en profiter avec nous…

Juliette – Et oui…

Vincent – Mais vous ne mangez rien ! Allez-y !

Christelle – C’est très bon, mais toutes ces émotions… Ça nous a coupé l’appétit, tu vois…

Patrick – Vous permettez qu’on aille fumer une cigarette sur le balcon ?

Juliette – Non mais vous pouvez fumer ici.

Christelle – On ne va pas en plus te faire respirer notre fumée cancérigène…

Patrick et Christelle sortent. Embarras de Vincent et Juliette.

Juliette – C’est incroyable, cette histoire d’héritage…

Vincent – Ouais… Que ça leur arrive à eux…

Juliette – Patrick et Christelle.

Vincent – Ouais… J’ai un peu de mal à les imaginer tous les deux dans une villa à Monaco.

Juliette – C’est un peu comme ces gens qui gagnent au loto, et qui deviennent milliardaires du jour au lendemain. Quand on est pas préparés…

Vincent – C’est curieux, moi si ça m’arrivait… Je me sens tout à fait capable de faire face.

Juliette – Oui, moi aussi…

Vincent – Comme quoi le hasard fait bien mal les choses…

Silence.

Juliette – Remarque, c’est vrai qu’ils sont très gentils…

Vincent – Tu as vu leur réaction quand on leur a annoncé que tu avais un cancer et que j’étais licencié ?

Juliette – Sans parler de notre divorce…

Vincent – Et de mon homosexualité… Tu vois, moi qui pensais que Patrick était un horrible homophobe… Eh ben non, il était prêt à m’accepter comme je suis.

Juliette – Attends, je te rappelle que tu n’es pas vraiment homo, non ? Ou c’est moi qui ai raté un épisode.

Patrick et Christelle reviennent, le sourire aux lèvres.

Patrick – En fait on n’a pas fait que fumer…

Vincent – Ah non ?

Christelle – On en a profité pour passer quelques coups de fils, et on a de bonnes nouvelles à vous annoncer.

Juliette – Ah oui ?

Christelle – Ça y est, tu as rendez-vous avec le Professeur Bismuth la semaine prochaine. Jeudi à 10 heures.

Juliette – Je ne sais pas quoi te dire…

Patrick – Moi j’ai téléphoné à mon directeur à la piscine.

Vincent – À la piscine ?

Patrick – Si vraiment on hérite de la vieille, je ferai maître nageur seulement pour mes amis dans ma propre piscine, à Monaco.

Christelle – Adieu la Bretagne !

Patrick – Donc si ça t’intéresse de me remplacer.

Vincent – Te remplacer ?

Patrick – Ils vont forcément avoir besoin d’un autre maître nageur à la piscine.

Vincent – Mais je ne sais pas si…

Patrick – Maître nageur, ce n’est pas la mer à boire. Tu sais nager ?

Vincent – Oui…

Patrick – Et ben c’est bon ! T’es embauché !

Vincent – Je ne sais pas quoi dire…

Christelle – Eh ben ne dites rien !

Patrick – On est amis, non ?

Christelle – Si on était dans votre situation, vous feriez la même chose pour nous, pas vrai ?

Vincent – Si bien sûr…

On entend le bébé pleurer.

Christelle – Excusez-moi un instant.

Patrick – Je t’accompagne.

Patrick et Christelle sortent. Vincent et Juliette échangent un regard embarrassé.

Vincent – Je me demande si tous ces mensonges, c’était une si bonne idée que ça…

Juliette – Oui, je ne sais pas comment on va s’en sortir.

Silence.

Vincent – Tout ce qu’ils font pour nous… Je commence à culpabiliser…

Juliette – C’est vrai que… Je n’aurais pas imaginé ça d’eux…

Vincent – Des amis comme ça, on n’est pas prêts d’en retrouver.

Juliette – Tu veux dire… des amis avec une villa à Monaco…

Vincent – Aussi, oui…

Silence.

Christelle – Tu crois qu’on peut encore rattraper le coup ?

Vincent – Ça ne va pas être évident.

Christelle – Ouais…

Vincent – Il faudrait juste que d’ici à la fin de la soirée, tu guérisses de ton cancer, que je retrouve du boulot, qu’on se redécide à vivre ensemble…

Juliette – Et que tu changes d’orientation sexuelle.

Patrick et Christelle reviennent, hilare.

Patrick – Ça y est, cette fois c’est sûr !

Vincent – Pour mon poste de maître nageur, tu veux dire !

Patrick – Le notaire vient de nous appeler. Tout est clean. Pas un centime de dettes à la banque.

Christelle – C’est même tout le contraire… Les comptes de Madeleine sont pleins à craquer ! Ça déborde de partout !

Patrick – Et tu sais quoi ? On hérite aussi d’un yacht qui mouille actuellement dans le port de Monaco !

Christelle – Crois-moi Juliette, quand j’ai entendu ça. Il n’y a pas que le yacht qui mouillait…

Patrick – Adieu le petit rafiot du bon coin… Et celui-là, crois-moi, on n’aura pas besoin de remorque pour le transporter. Il est livré avec tout l’équipage !

Vincent – Non…

Patrick – Et tu sais comment il s’appelle ?

Vincent – Les Copains d’Abord ?

Patrick – Non, celui-là, il s’appelle Les Copains d’Avant…

Juliette – Mais c’est génial…

Vincent – Oui, on est vraiment contents pour vous.

Les sourires de Patrick et Christelle se figent soudain.

Patrick – Pardon… Sous le coup de la joie… On avait oublié un instant le malheur qui vous frappe…

Christelle – Quel dommage que vous ne puissiez pas profiter de tout ça avec nous…

Vincent – Eh oui…

Patrick – Avec votre divorce.

Juliette – Eh non…

Vincent et Juliette échangent un regard, puis c’est Vincent qui se lance.

Vincent – Non mais en fait, nous aussi on a bien réfléchi à ce que vous nous avez dit tout à l’heure.

Juliette – Il faut bien écouter les conseils des amis, non ?

Vincent – C’est vous qui avez raison. On ne divorce plus.

Patrick – Comment ça ? Je croyais que tu étais homo…

Vincent – Ça non plus, je ne suis plus très sûr…

Patrick – Ah bon…

Christelle – Mais alors du coup… Vous seriez disponibles cet été ? Ah non, je suis bête, évidemment… Avec ton cancer du pied…

Patrick – C’était pas le foie, plutôt ?

Juliette – Le pancréas.

Christelle – C’est ça, le pancréas. Ce n’est pas le meilleur, il paraît…

Vincent – Parfois, on en guérit.

Christelle – Ok, le Professeur Bismuth fait des miracles, mais il faut être réaliste, quand même.

Patrick – On ne voudrait pas vous donner de faux espoirs, non plus.

Christelle – Non, pour les vacances à Monaco, on va plutôt demander à François et Catherine, hein Patrick ?

Juliette – Ou alors on attend un peu pour voir s’il n’y aurait pas une erreur de diagnostic… On ne sait jamais…

Patrick – Eh ben… C’est fou, ça… On dirait que maintenant, ils regrettent de ne pas pouvoir partir en vacances avec leurs vieux amis, hein Christelle ?

Christelle – Peut-être parce que maintenant, on est milliardaires et qu’on a une villa à Monaco ?

Patrick – C’est sûr que c’est autre chose que de partir avec deux beaufs dans leur bicoque à Concarneau…

Vincent et Juliette échangent un regard paniqué.

Vincent – Non mais pas du tout…

Juliette – C’est juste que…

Christelle – Ne vous fatiguez pas, on sait pour ton soi-disant cancer et toi ton licenciement…

Patrick – C’est juste sur le fait de savoir si Vincent n’est pas vraiment un enculé qu’on n’est pas encore sûr.

Vincent – Enfin, je vous jure que…

Juliette – Mais pas du tout, enfin… C’est un épouvantable malentendu…

Christelle – On est tombés par hasard sur tes résultats médicaux.

Patrick – Et ton patron vient de laisser un message à propos de ton CDI… Il faudra que tu le rappelles, d’ailleurs…

Christelle – Vous vous êtes bien foutus de nous, hein ?

Patrick – Alors on n’est pas assez bien pour vous, c’est ça ?

Christelle – Enfin ça, c’était avant. Avant qu’on touche le gros lot !

Vincent – On est vraiment désolés…

Christelle – Allez viens, mon Patrick, on s’en va.

Juliette – Non mais vous n’allez pas partir comme ça !

Patrick – Tu vas chercher la petite ?

Christelle s’apprête à sortir.

Vincent – Ok… Ok, c’est vrai, on a déconné.

Juliette – On n’en pouvait plus, de la Bretagne. Ça peut se comprendre…

Vincent – Vous êtes nés là-bas, vous, mais nous, on n’est pas bretons !

Vincent – Quand on rentre à la fin du mois d’août, on est tellement blancs que les gens pensent qu’on prend nos vacances en septembre.

Juliette – Au début, on cherchait juste un prétexte pour se décommander.

Vincent – Sans vous vexer, parce que vous êtes de vrais amis.

Juliette – Après, les choses se sont enchaînées…

Vincent – Et c’est vrai que ça a un peu dérapé.

Juliette – Ça doit être cette histoire de bateau. On a eu peur de s’engager pour des années.

Vincent – Je n’osais pas vous le dire, mais personnellement, rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir.

Patrick – Merci…

Vincent – Mais non, ce que je veux dire, c’est que… En bateau, j’ai le mal de mer, voilà.

Patrick (ironique) – Et tu crois que sur un yacht de trente mètres tu aurais moins le mal de mer, c’est ça ?

Juliette – Mais on s’en fout de ce yacht, je vous assure !

Vincent – Ce qu’on ne veut pas, c’est vous perdre comme amis, vous comprenez ?

Juliette – Et puis un yacht, ça doit beaucoup moins bouger qu’un petit voilier, non ? Je veux dire, pour le mal de mer…

Christelle – On est très déçus… Je pensais qu’on était de vrais amis. Des amis pour la vie.

Patrick – Les copains d’abord… Tu parles…

Christelle – Est-ce qu’on n’a pas toujours été là pour vous, nous, quand vous aviez des problèmes…

Juliette – Si bien sûr mais…

Un temps.

Vincent – Nous aussi.

Patrick – Quoi ?

Juliette – C’est vrai, nous aussi on vous a toujours soutenus.

Vincent – Tiens, quand ça n’allait pas si fort dans votre couple, par exemple.

Juliette – Quand Christelle a eu envie d’aller voir ailleurs avec son collègue du salon de coiffure. Avant de se rende compte qu’il était homo lui aussi.

Vincent – Pourquoi lui aussi ?

Patrick – C’est quoi, cette histoire ?

Christelle – Merci, Juliette, tu es vraiment une bonne copine.

Patrick – Non mais c’est quoi, cette histoire ?

Christelle – Ne t’inquiète pas, je t’expliquerai… Tu ne vois pas qu’ils espèrent s’en sortir en essayant de foutre la merde dans notre couple…

Juliette – Je suis désolée… Je ne voulais vraiment pas…

Christelle – Toujours là pour nous aider, mon cul… Vous étiez surtout là pour passer des vacances gratuites en Bretagne, oui.

Patrick – Pourquoi ils seraient allés voir ailleurs ? On ne vous a jamais demandé de participer aux frais d’entretien de la maison, pas vrai ?

Juliette – Pour les courses, on faisait quand même moitié moitié…

Christelle – Et maintenant, tout d’un coup, ils se rendent compte qu’on bronze très peu en Bretagne.

Patrick – On leur a peut-être proposé mieux ailleurs, va savoir…

Christelle – À Saint Rémy lès Chevreuse…

Patrick – C’est Saint Rémy de Provence, plutôt.

Juliette – Non, mais pas du tout.

Patrick – Ou alors c’est quand je t’ai demandé de payer la moitié du bateau que tu as changé d’avis…

Vincent – Je t’assure que non, c’est juste que…

Patrick – Allez viens Christelle, il vaut mieux qu’on s’en aille… Sinon je risque de lui foutre mon poing sur la gueule, à cet enculé.

Vincent – Je t’en prie… Évitons au moins les dérapages homophobes.

Juliette – Asseyez-vous, je vous en supplie. On ne va pas se quitter comme ça, sur un malentendu. Tiens, j’avais justement mis une bouteille de champagne au frais, spécialement pour vous…

Juliette s’empresse d’aller chercher le champagne.

Vincent – On ne va pas le laisser perdre, ce champagne… Allez ! En souvenir de tous les bons moments qu’on a passés ensemble. Après, si vous voulez, vous partirez.

Patrick et Christelle se rasseyent à contrecœur. Juliette revient avec la bouteille. Vincent sort des flûtes. Silence. Il ouvre la bouteille et remplit les verres.

Patrick – Ok, on va le boire votre mousseux. Mais ça ne nous empêchera pas de vous dire ce qu’on pense de vous ?

Christelle – C’est vrai, pour qui vous vous prenez ?

Patrick – Vous vous croyez vraiment supérieurs à nous ?

Christelle – Parce que vous avez… une cave à vin ?

Patrick (ironique) – Une cave à vin…

Vincent – Oui, bon, ça va…

Christelle – Parce que Vincent travaille dans l’informatique ?

Vincent – Le web marketing

Patrick – Et que Juliette se prend pour un écrivain ?

Juliette – Écrire, c’est toute ma vie, vous comprenez… Et pour réussir dans ce business, il faut rencontrer du monde… C’est pour ça que j’ai eu envie de… Enfin… De changer un peu d’atmosphère…

Christelle – De changer d’atmosphère… Parce que nous, on t’empêche de respirer, peut-être ?

Juliette – Excusez-moi, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…

Vincent – Pour moi aussi, mon métier, c’est important. J’ai de l’ambition, je l’avoue… Et c’est vrai que… ça m’a peut-être fait oublier un instant où étaient les vraies valeurs… Comme l’amitié… Hein, Juliette ?

Patrick – Tu as toujours été jaloux de moi, c’est ça la vérité.

Vincent – Moi, jaloux de toi ? Il ne faut pas exagérer, non plus… Pourquoi j’aurais été jaloux de toi ? Je veux dire avant que vous ne touchiez cet héritage ?

Patrick – Ah oui, c’est vrai… Comment est-ce que… le grand Vincent, à qui on vient juste de proposer un CDI dans sa boîte de marketing téléphonique, pourrait bien être jaloux d’un simple maître nageur ?

Vincent – C’est du web marketing, en fait… Mais bon, c’est vrai, pourquoi je serais jaloux de toi ?

Patrick – Je ne sais pas moi… Parce que je suis sorti avec ta femme avant toi ?

Vincent – Quoi ?

Juliette baisse la tête, mais ne dément pas.

Patrick – Tu n’étais pas au courant ?

Christelle – Moi non plus…

Juliette – Non, mais c’était juste une histoire d’un soir.

Vincent – Quel soir ?

Juliette – Dans cette fameuse boîte où on est sortis ensemble pour la première fois.

Vincent – On s’était rencontrés l’après-midi même. C’est moi qui t’avais donné rendez-vous là-bas !

Juliette – Oui, bon… Patrick est arrivé le premier. Je n’avais pas encore de lentilles de contact à cette époque-là. Je n’avais pas mis mes lunettes et…

Vincent – Et alors ?

Juliette – Il faisait noir, dans cette boîte. Vous vous ressembliez un peu. Je l’ai pris pour toi…

Vincent – Tu trouves qu’on se ressemble ?

Juliette – À l’époque, vous vous ressembliez. Et puis je n’avais pas mes lunettes, je te dis… J’étais déjà un peu bourrée. Mais dès que tu es arrivé, je me suis rendu compte de mon erreur…

Vincent – Merci… Ça me touche beaucoup.

Juliette – C’est quand même avec toi que je me suis mariée, non ?

Vincent – Oui… J’espère que tu avais mis tes lentilles le jour où tu m’as dit oui…

Christelle – Alors comme ça, tu es sortie avec Juliette ?

Patrick – Je ne te connaissais pas encore !

Juliette – C’est juste un quiprocu, je t’assure. Je veux dire un quiproquo…

Vincent – Je connaissais les femmes qui trompent leur mec, mais celles qui se trompent de mec…

Juliette – Non mais attends, c’était avant que je sorte avec toi !

Vincent – C’était le même soir… Tu es sortie avec deux mecs dans la même soirée !

Juliette – Mais je croyais que c’était toi ! Le mec que j’avais rencontré l’après-midi même, dont j’étais tombé tout de suite amoureuse. Évidemment, quand Patrick s’est mis à me parler, après, je me suis vite rendu compte que lui, il n’était pas bac plus cinq.

Christelle – Après ? Après quoi ?

Juliette – C’est seulement en sortant de sa voiture, quand je t’ai aperçu sur le parking, que j’ai compris mon erreur…

Vincent – En sortant de sa voiture ? Ah d’accord… Et dire que moi, j’ai dû attendre un mois avant que tu m’accordes tes faveurs…

Juliette – Non mais vas-y, traite-moi de salope, aussi !

Juliette se met à pleurer.

Patrick – Excuse-moi, je ne voulais pas…

Christelle – Il vaudrait peut-être mieux qu’on s’en aille…

Juliette – Finissez au moins votre poison… Je veux dire votre poisson…

Ils se remettent à table et mangent en silence.

Vincent – Tronçon de cabillaud gratinés et son écrasé de pommes de terre.

Juliette – C’est du poisson pané avec de la purée.

Christelle – En tout cas, c’est très bon.

Patrick – Et ça se marie très bien avec le champagne.

Vincent – Je vous ressers…

Ambiance glaciale. Vincent emplit à nouveau les flûtes, et lève la sienne.

Vincent – À votre nouvelle fortune ! Vous l’avez bien mérité…

Patrick – Mérité, il ne faut pas exagérer… C’est juste un héritage qui nous tombe dessus par miracle…

Juliette – Je ne crois pas aux miracles, c’est que vous avez dû faire quelque chose de bien pour le mériter. Cette vieille dame qui vous a couché sur son testament, elle a bien su voir que Christelle, c’était juste quelqu’un de bien, comme dit la chanson…

Silence.

Patrick – Ouais… Mais maintenant qu’on est milliardaires, comment on va savoir que vous êtes vraiment des amis, et pas seulement des pique-assiettes ?

Christelle – Je vais voir si tout va bien à côté…

Elle sort. Ils continuent à manger. Le portable de Patrick sonne. Il répond.

Patrick – Ouais…? Ouais… Ah, ouais… Non ? Ce n’est pas vrai ? D’accord… Merci de nous avoir appelés…

Christelle revient. Patrick range son portable.

Christelle – Elle dort… Qu’est-ce qui se passe ?

Patrick (effondré) – Il y a eu un glissement de terrain, à Concarneau.

Christelle – Et alors ?

Patrick – La maison… Elle a été engloutie par la mer.

Vincent – C’est une blague ?

Patrick – Non…

Christelle – Oh mon Dieu…

Patrick – Les vacances sont à l’eau…

Juliette – C’est le cas de le dire…

Elle rit nerveusement. Patrick et Christelle la fusillent du regard.

Vincent – Mais maintenant, avec cet héritage qui vous tombe dessus… Ça a moins d’importance, cette vieille bicoque à Concarneau, non ?

Patrick – Cette vieille bicoque ? C’est la maison de ma grand-mère…

Juliette – Non, mais enfin… Il n’y avait même pas les toilettes à l’intérieur de la maison… Maintenant que vous êtes propriétaires d’une villa avec piscine à Monaco…

Vincent – J’imagine que là-bas, il y a les wc à l’intérieur…

Patrick et Christelle semblent pourtant effondrés.

Christelle – À Monaco…

Patrick – Ne me dites pas que vous avez vraiment cru à une connerie pareille…

Juliette – Quoi ?

Patrick – Nous aussi on vous a mené en bateau !

Christelle – On n’est pas scénaristes, mais tu vois, nous aussi on sait inventer des histoires…

Vincent – Donc vous n’êtes plus milliardaires ? Enfin, je veux dire… Vous ne l’avez jamais été.

Christelle – Eh ben non, tu vois, on est restés des prolos…

Patrick – Et maintenant, en plus, on n’a nulle part où aller en vacances avec la petite cet été.

Juliette – Alors ta cliente, au salon, elle n’est pas morte ?

Christelle – Si…

Patrick – Et c’est vrai aussi qu’elle ne nous a pas oubliés sur son testament.

Christelle – Elle nous lègue son caniche…

Patrick – Rien qu’en toilettage, il doit coûter plus cher que sa défunte maîtresse en coiffeur.

Christelle – Et dire qu’on n’avait même pas encore fini de payer les travaux.

Juliette – Quels travaux ?

Christelle – Ah on ne vous a pas dit ? On a fait installer les toilettes à l’intérieur de la maison.

Patrick – Et maintenant tout ça a été engouffré dans l’océan. Comme si Dieu avait tiré la chasse…

Vincent – C’est vrai que c’était assez près de la mer, mais je n’aurais jamais pensé.

Patrick – Avec le réchauffement climatique…

Vincent – Mais vous êtes assurés, non ?

Christelle – On n’avait pas réglé la facture. Pour pouvoir payer le bateau…

On entend des pleurs de bébé.

Christelle – Je m’en occupe…

Patrick – Je vais t’aider.

Ils sortent.

Juliette – Au moins, ça règle définitivement le problème des vacances en Bretagne…

Vincent – Oui parce qu’avec ce marmot qui n’arrête pas de brailler, tu imagines les nuits qu’on aurait passées là-bas.

Juliette – Ça n’aurait pas été des vacances, c’est clair.

Vincent – Mais bon… Si seulement ce glissement de terrain était arrivé trois heures plus tôt, on se serait épargné tout ça…

Juliette – Non, mais on ne peut pas les laisser tomber…

Vincent – Tu crois ? Pourtant je t’avoue que cette idée m’avait traversé l’esprit un instant. (Elle lui lance un regard de reproche) Mais tu as raison, ce sont nos meilleurs amis…

Les deux autres reviennent.

Christelle – Elle s’est rendormie…

Patrick – Je ne sais pas comment on va faire…

Christelle – Pour commencer, on va faire une croix sur les vacances.

Patrick – Mais ça ne règle pas notre déficit à la banque. J’avais déjà fait un petit crédit pour payer ma part du bateau…

Vincent – Un crédit ? Non ?

Patrick – Tu penses bien que si j’avais eu de quoi le payer tout seul, je ne t’aurai jamais demandé de participer…

Juliette – Et pour le bateau, tu ne peux pas annuler ?

Patrick – J’ai déjà fait le chèque. Le type était pressé, il avait un autre client. Je lui ai juste demandé d’attendre quelques jours avant de l’encaisser. Le temps que Vincent me verse sa part.

Christelle – Vous vous rendez compte ? On se retrouve avec un bateau mais plus de maison en Bretagne pour en profiter !

Patrick – Je pourrai toujours faire du voilier tout seul sur la Seine. Parce que j’imagine que maintenant, toi, ça ne t’intéresse plus de me rembourser la moitié.

Vincent – Mais enfin Patrick, pour qui tu me prends ?

Patrick – Quoi ?

Vincent – On est amis, oui ou non ?

Patrick – Je t’avoue que je ne sais plus très bien…

Vincent – C’est combien, le bateau ?

Christelle – 6.000 euros.

Juliette – Ah oui, quand même…

Patrick – Ça faisait 3.000 euros chacun…

Vincent sort son chéquier et remplit un chèque.

Vincent – Tiens, voilà un chèque de 6.000 euros. Je te demande juste d’attendre lundi pour l’encaisser. Le temps que je puisse vider mon livret A pour créditer mon compte. Ce n’est presque plus rémunéré, le Livret A, de toute façon.

Patrick – Tu vas acheter tout seul un bateau sur lequel tu ne pourras jamais naviguer ?

Christelle – Mais pourquoi ?

Vincent – Comment il s’appelle, ce bateau ?

Patrick – Les Copains d’Abord…

Vincent – Eh ben alors !

Juliette – Et puis merde, on le fera naviguer quand même, ce voilier. Il y a bien des gîtes à louer pour pas trop cher du côté de Concarneau, non ?

Patrick – Un gîte ? Mais on n’aura jamais les moyens de payer notre part de la location !

Juliette – Ça fait des années que vous nous invitez dans votre… splendide villa avec vue sur la mer à Concarneau !

Patrick – Maintenant, c’est plutôt vue sous la mer, mais bon…

Juliette – Cette année, c’est nous qui vous invitons !

Christelle – Mais vous êtes fous ! Vous allez vous ruiner !

Vincent – Je vais commencer par revendre ma cave à vin… Tu as raison, ce n’est pas vraiment de l’ordre de l’indispensable…
Patrick – Non mais je te les rembourserai, ces trois mille euros. Même si je dois vendre un de mes reins.

Christelle – Ouais, enfin, avec tout le pastis que tu t’enfiles, je ne sais pas ce qu’ils peuvent encore valoir, tes rognons… Il faut voir les choses en face. On n’est pas vraiment sûr de pouvoir vous le rendre un jour, votre pognon…

Juliette – Ne t’inquiète pas. Les histoires d’argent, entre amis… Ce n’est pas ça qui compte vraiment, non ?

Patrick – Alors là, on ne sait pas quoi dire…

Vincent – Eh ben ne dis rien.

Les deux autres se marrent.

Vincent – Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore ?

Christelle – Non, mais attend, c’est une blague aussi.

Juliette – Quoi ?

Patrick – La maison de Concarneau ! Elle n’a rien !

Têtes abruties des deux autres.

Christelle – Vous avez l’air presque déçus ?

Vincent – Non, pas du tout, mais…

Juliette – Pourquoi nous avoir monté un baratin pareil ?

Patrick – C’est vous qui dites ça ?

Christelle – On voulait seulement vérifier si vous étiez de vrais amis ou pas.

Patrick – Et maintenant, on est fixés.

Patrick embrasse Vincent, et Christelle Juliette.

Christelle – Maintenant, on sait qu’on peut vraiment compter sur vous.

Patrick – Et si demain vous en avez marre de la Bretagne, vous nous le dites, tout simplement, d’accord ?

Christelle – Plutôt que d’aller vous inventer des cancers, des licenciements, des divorces…

Juliette – Non mais pas du tout !

Vincent – On part tous ensemble en Bretagne cet été, comme prévu !

Patrick – Et pour le bateau ?

Juliette – Il s’appelle comment, ce bateau, déjà ?

Christelle – Les Copains d’Abord.

Vincent – Alors on le garde, non ?

Pleurs de bébé.

Christelle – Bon, je crois qu’on ferait mieux d’y aller maintenant. On a tous eu assez d’émotions pour ce soir… Je vais chercher le bébé.

Elle va prendre le couffin.

Juliette – Mais alors c’était quoi, la surprise, en vrai ?

Patrick – Ah, oui, la surprise… Ça y est, on a décidé de la date du baptême, pour Sabrina.

Christelle revient avec le couffin.

Christelle – On pensait faire ça en Bretagne, cet été…

Juliette – Super…

Patrick – Et on avait pensé à vous pour être le parrain et la marraine…

Vincent – Non ?

Christelle – Vous êtes nos meilleurs amis, non ?

Patrick – C’est pour ça qu’on était aussi déçus…

Christelle – Alors ?

Vincent – Alors quoi ?

Patrick – Vous acceptez ?

Vincent – Mais bien sûr ! Hein Juliette ?

Juliette – Rien ne pouvait nous faire plus plaisir.

Patrick et Christelle écrasent une larme.

Christelle – Vous ne pouvez pas imaginer la joie que ça nous fait.

Patrick – Allez, il vaut mieux qu’on s’en aille maintenant, sinon on risquerait de se mettre à pleurer…

Le bébé se met à pleurer. Christelle prend le bébé dans le couffin et le met dans les bras de Vincent, plutôt embarrassé.

Christelle – Tu es son parrain, maintenant…

Vincent – Tu es sûr que ce n’est pas trop contagieux, quand même…

Ils sourient tous avec un air idiot. Christelle remet le bébé dans le couffin. Ils s’embrassent. Patrick et Christelle s’en vont. Vincent et Juliette restent seuls.

Juliette – Tiens on va finir le champagne…

Ils remplissent les flûtes et trinquent.

Vincent – La bonne nouvelle, c’est que je ne suis pas licencié, et que tu n’as pas de cancer.

Juliette – Et surtout que tu n’es pas homo et qu’on ne va pas divorcer…

Vincent – La mauvaise nouvelle c’est qu’on n’échappera pas au mois d’août à Concarneau avec ces deux abrutis.

Juliette – Et ce marmot qui n’arrête pas de brailler jour et nuit…

Vincent – Sans compter que maintenant, en plus, on est parrain et marraine…

Juliette – Oui, on fait presque partie de la famille…

Vincent – Autant dire qu’on n’est pas près de s’en débarrasser…

Juliette – Les amis, parfois, c’est plus facile de s’en faire que de s’en défaire…

Ils lèvent leurs verres pour trinquer une dernière fois.

Vincent – Bon ben alors…

Juliette – À l’amitié !

Ils boivent. Un temps.

Vincent – Il mériterait d’être un peu plus frais, non ?

Noir

 

 Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre,

Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies

régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez

sont librement téléchargeables sur :

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives

au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2015

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-65-9

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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ΚΑΦΕΝΕΙΟΝ «ΤΟ ΤΕΡΜΑ»

Traduction grecque de Christina Mania


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ΚΑΦΕΝΕΙΟΝ «ΤΟ ΤΕΡΜΑ»

Jean- Pierre Martinez

Traduction grecque de Christina Mania

Μετάφραση/απόδοση   Χριστίνα Μανιά

17 πρόσωπα

Χαρίλαος : ιδιοκτήτης
Φρόσω:   η γυναίκα του
Ερασμία: η υπάλληλος
Ζήσης: νεκροθάφτης
Ευθύμης: νεκροθάφτης
Ζωή: η κόρη του θανούντος
Νεφέλη: εγγονή του θανόντος
Αιμίλιος: καθηγητής φιλοσοφίας
Ιωσήφ: υδραυλικός
Κίτσα: γυναίκα του θανούντος/ με ελαφριά άνοια
Γρηγόρης: ταχυδρόμος
Κωφάλλαλη ζητιάνα
Μαρία: Κοπέλα αλλοπαρμένη
Ιουλία: πελάτισσα στο καφέ
Σοφία: πελάτισσα στο καφέ
Αργύρης: πελάτης στο καφέ
Άννα: πελάτισσα και συνάδελφος του Αργύρη
Θανάσης: ο μακαρίτης

Βρισκόμαστε σε ένα καφέ-μπαρ με μία μεγάλη μπάρα στη μέση. Δεξιά αριστερά έχει τραπέζια. Πάνω από τη μπάρα ψηλά έχει μία ταμπέλα που γράφει ΚΑΦΕΝΕΙΟ «ΤΟ ΤΕΡΜΑ»

Ο Χαρίλαος είναι πίσω από την μπάρα και προσπαθεί να λύσει σταυρόλεξα. Η γυναίκα του η Φρόσω πηγαίνει συνεχώς από πάνω του και τον εκνευρίζει. Η Ερασμία η υπάλληλος σφουγγαρίζει ενώ η Μαρία η αλλοπαρμένη κοπέλα κάθεται σε ένα τραπέζι.

Η Φρόσω πάει πάνω από το κεφάλι του Χαρίλαου και διαβάζει δυνατά

Φρόσω: Θέλει το κοινό του….αρχίζει από Θ.

Ερασμία: Θέατρο.

Φρόσω: Αχ μπράβο… Γράψτο Χαρίλαε τι το κοιτάς;

Χαρίλαος: Δεν είναι θέατρο ( εκνευρισμένος)

Ερασμία ( πηγαίνει κι αυτή από πάνω του τώρα): Ε πως δεν είναι θέατρο; Είστε σίγουρος;

Χαρίλαος: Το θέατρο είναι έξι γράμματα εδώ θέλει πέντε. Θα με παρατήσετε τώρα;

Μπαίνει ο ταχυδρόμος.

Φρόσω: Είπαμε γράμματα και κατά φωνή. Τι καλά μας φέρνεις Γρηγόρη;

Γρηγόρης: Καλημέρα Φρόσω. Ούτε υπουργείο να ήσασταν βρε παιδί μου τόση αλληλογραφία. ( Της δίνει έναν πάκο με γράμματα)

Φρόσω: Υπουργείο … ( ειρωνικά) Ορίστε κι ο υπουργός από εκεί τρομάρα μας( δείχνει τον Χαρίλαο) ΔΕΗ, νερό, τηλέφωνο, έλεος πια όλα μαζί έρχονται… Ένα ουζάκι όπως πάντα;

Γρηγόρης: Ε όχι και ούζο πρωί πρωί. Πιάσε ένα τσίπουρο.

Φρόσω: Ορίστε.

Το πίνει μονοκοπανιά. Κι αυτή τον κοιτάζει έκπληκτη.

Γρηγόρης: Να σε ρωτήσω κάτι κάποια κυρία Καστρινού την ξέρεις;

Φρόσω: Καστρινού;

(βγάζει ένα συστημένο)

Γρηγόρης: Μάλιστα κυρία Καστρινού. Μένει στο 13. Στο διπλανό κτίριο.

Φρόσω: Α ναι..

Γρηγόρης: Δεν βρήκα όμως το όνομά της στο κουδούνι.

Φρόσω: Δεν μου κάνει εντύπωση…

Γρηγόρης: Σε ποιον όροφο μένει;

Φρόσω: Πριν έμενε στον έβδομο, τώρα πολύ πιο ψηλά…

Γρηγόρης: Δηλαδή σε ποιον όροφο;

Φρόσω: Σε κανέναν. Πέθανε πριν από δεκαπέντε μέρες.

Γρηγόρης: Όχι ρε γαμώτο… ( κοιτάζει τα χαρτιά του) δηλαδή κάτι σαν μετακόμιση…

Φρόσω: Θα μπορούσες να το πεις κι έτσι….Στη λεωφόρο Αναπαύσεως.

Γρηγόρης: Το λέω γιατί έχω ένα συστημένο για εκείνην…

Φρόσω: Α…μάλιστα…

Γρηγόρης: Τι να κάνω τώρα;

Φρόσω: Κι εγώ που να ξέρω;

Γρηγόρης: Μήπως έτυχε να σου αφήσει κάποια διεύθυνση;

Φρόσω: Αφού σου είπα πως πέθανε.

Γρηγόρης: Α..ναι…τι πρόβλημα κι αυτό τώρα…Και εμένα ποιος θα μου υπογράψει το συστημένο;

Φρόσω: Τι να σου πω…

Γρηγόρης: Άρα δεν θα ξανάρθει…

Φρόσω: Το βρίσκω λίγο απίθανο…

Γρηγόρης: Καθόλου δεν με εξυπηρετεί αυτό.

Φρόσω: Έτσι είναι Γρηγόρη μου σε όλες τις δουλειές, ξέρεις. Πάντα υπάρχουν κάποιοι σπαστικοί τύποι που το μόνο που θέλουν είναι να σου κάνουν τη ζωή δύσκολη.

Γρηγόρης: Τι να κάνω τώρα; Μήπως θα μπορούσες να υπογράψεις εσύ στη θέση της;

Φρόσω: Εγώ;

Γρηγόρης: Έλα καλέ, μία μικρή εξυπηρέτηση μεταξύ γειτόνων. Κι έτσι δεν θα χρειαστεί να ξανάρθω.

Φρόσω: Γιατί να ξανάρθεις;

Γρηγόρης: Για να της παραδώσω το συστημένο.

Φρόσω: Αφού σου λέω πέθανε. Καπούτ. Γιόκ. Τι δεν καταλαβαίνεις; Κι αν υπάρχει ένα τουλάχιστον πλεονέκτημα στο να είσαι μακαρίτης είναι ότι δεν λαμβάνεις πλέον καθόλου αλληλογραφία.

Γρηγόρης: Μάλιστα.

Φρόσω: Άσε ένα ειδοποιητήριο.

Γρηγόρης: Λες;

Φρόσω: Τι είναι τέλος πάντων αυτό το συστημένο; Ειδοποίηση από την εφορία; Από το ΊΚΑ από τράπεζα;

Γρηγόρης ( κοιτάζει τον φάκελο): Είναι από τον ΟΠΑΠ

Φρόσω: τον ΟΠΑΠ;

Γρηγόρης: Άρα θα είναι καλά νέα.

Φρόσω: Νομίζεις ότι εκεί που είναι, της κάνουν διαφορά τα κακά από τα καλά νέα;

Γρηγόρης: Ναι αλλά, ο ΟΠΑΠ….

Φρόσω: Για να δω… Πράγματι είναι από τον ΟΠΑΠ

Γρηγόρης: Έπαιζε λόττο;

Φρόσω: Δεν ξέρω… Την πετύχαινα που και που εδώ απ’ έξω… είχε κι ένα μικρό σκυλάκι…

Γρηγόρης: Και τι έπαθε;

Φρόσω: Τα κακάρωσε είπαμε

Γρηγόρης: Και το σκυλάκι;

Φρόσω: Όχι καλέ, αυτή.

Γρηγόρης: Και το σκυλί τι απέγινε;

Φρόσω: Που θες να ξέρω άνθρωπέ μου.

Γρηγόρης: Είναι θλιβερό αυτό. Ένα μικρό σκυλάκι να είναι τώρα ολομόναχο…Δεν καταλαβαίνω όλους αυτούς τους ανθρώπους που παίρνουν ένα ζώο και μετά το παρατάνε.

Φρόσω: Λες να έχει κερδίσει κάνα μεγάλο ποσό;

Γρηγόρης: Αν έχει κερδίσει δεν πρέπει να αργήσει να εμφανιστεί γιατί υπάρχει και μία προθεσμία ξέρεις. Αν κάποιος δεν πάει να πάρει την επιταγή του πριν να λήξει η προθεσμία τα χάνει όλα. Και το ποσό ξαναμπαίνει στο παιχνίδι…

Φρόσω: Πω τι κρίμα…

Γρηγόρης: Τι κάνουμε λοιπόν;

Φρόσω: Κάνουμε;

Γρηγόρης: Αφού είπες πως είναι κρίμα.

Φρόσω: Καλά με έπεισες θα υπογράψω.

Γρηγόρης: Κι έτσι δεν θα χρειαστεί να ξανάρθω.

Παίρνει τον φάκελο και τον ανοίγει.

Γρηγόρης: Λοιπόν;

Φρόσω: Είναι μία επιστολή απόλυσης.

Γρηγόρης: Δηλαδή δεν είναι επιταγή;

Φρόσω: Δούλευε στον ΟΠΑΠ. Της στέλνουν τη λήξη του συμβολαίου.

Γρηγόρης: Έλα ρε γαμώτο…Όχι μόνο δεν κέρδισε το λόττο αλλά έχασε και τη δουλειά της. Δεν είναι καθόλου αστείο. Άντε να βρεις δουλειά στις μέρες μας…

Φρόσω: Κυρίως αν είσαι πτώμα.

Γρηγόρης: Και βεβαίως δεν κερδίζουν ποτέ άνθρωποι σαν κι εμάς το λόττο ε; Άνθρωποι που έχουν πραγματικά ανάγκη.

Φρόσω: Όχι..

Γρηγόρης: Χθες διάβασα στην εφημερίδα ένα άρθρο για έναν τύπο που κέρδισε 8 εκατομμύρια στο λαχείο και λέει πως δεν έχει αλλάξει τίποτα στη ζωή του και ζει όπως πριν. Μα είναι δυνατόν;

Φρόσω: Τι να…

Γρηγόρης: Άκου λέει να μην αλλάξει τίποτα στη ζωή του. Είναι άδικο. Κάποιοι άνθρωποι δεν θα έπρεπε να κερδίζουν τίποτα και ποτέ.

Φρόσω: Έτσι όπως…

Γρηγόρης: Λοιπόν δεν έχω καιρό για κουβέντες, πρέπει να συνεχίσω τη γύρα μου.

Φρόσω: Κι αυτό τι να το κάνω;

Γρηγόρης: ( καθώς φεύγει πάλι σέρνοντας) Ότι θες. Αρκεί το ξεφορτώθηκα εγώ….

Μπαίνει ο Αιμίλιος καθηγητής φιλοσοφίας με μία τσάντα και βιβλία.

Χαρίλαος: Βρε καλώς τον κύριο Αιμίλιο.

Αιμίλιος: Χαίρετε…έναν καφέ παρακαλώ.

Χαρίλαος: Ένα τσιπουράκι αντ’ αυτού;

Αιμίλιος: Αντ’ αυτού ποιανού;

Χαρίλαος: ( με το μπουκάλι στο χέρι): Αντί του καφέ. Σας βλέπω λίγο νευρικό κύριε Αιμίλιε . Ο καφές δεν ενδείκνυται ενώ το τσιπουράκι βοηθάει να χαλαρώσεις .

Αιμίλιος: Όχι ευχαριστώ….Πρέπει να παραδώσω μάθημα σε λίγη ώρα.

Χαρίλαος: Και λοιπόν; Θα σας κάνουν αλκοτέστ οι μαθητές σας;

Αιμίλιος: Τώρα που το λέτε…. Γιατί όχι;

Ο Χαρίλαος σερβίρει τον Αιμίλιο και επι τη ευκαιρία βάζει και στον εαυτό του. Η Μαρία που κάθεται τόση ώρα σε ένα τραπέζι σηκώνεται να φύγει περνάει δίπλα από τον Αιμίλιο τον κοιτάζει χαμογελάει και πάει κοντά του.

Μαρία: Με θυμάσαι;

Αιμίλιος: Όχι

Μαρία: Έχουν περάσει κάποια χρόνια βέβαια αλλά ..

Αιμίλιος: τώρα που σας βλέπω καλύτερα ίσως…

Μαρία (παρεξηγημένη): Ίσως;

Αιμίλιος: Δηλαδή ναι, τώρα μου ήρθε. Τι κάνεις;

Μαρία: Μια χαρά εσύ; Τι κάνεις εδώ;

Αιμίλιος: Τίποτα το σπουδαίο.

Μαρία: Δηλαδή άλλαξα τόσο πολύ;

Αιμίλιος: Μα γιατί το λες αυτό;

Μαρία: Γιατί πριν από λίγο έδειξες πως δεν με γνώρισες.

Αιμίλιος: Σου ζητάω συγγνώμη απλώς δεν περίμενα να σε δω εδώ.

Μαρία: Πάντως εσύ δεν άλλαξες καθόλου.

Αιμίλιος ( κολακευμένος): Σε ευχαριστώ πολύ.

Μαρία: Λοιπόν πως πας;

Αιμίλιος: Τα ίδια και τα ίδια…

Μαρία: Πολυλογάς όπως πάντα…( γελάει) Είσαι καιρό εδώ;

Αιμίλιος: Μπα πριν από λίγο ήρθα.

Μαρία : Πρέπει να φύγω, αλλά χάρηκα πάρα πολύ που σε ξαναείδα.

Αιμίλιος: Κι εγώ πολύ.

Μαρία: Ελπίζω να τα ξαναπούμε.

Αιμίλιος: Να μη χαθούμε.

Μαρία: Να φιληθούμε όπως παλιά;

Αιμίλιος: Γιατί όχι;

Ορμάει και τον φιλάει στο στόμα σε ένα κινηματογραφικό φιλί. Αυτός μένει κόκκαλο.

Μαρία: Τα ξαναλέμε σύντομα Πέτρο μου.

Αιμίλιος στην αρχή χαμένος : Ναι τα λέμε…. ( αφού μείνει μόνος) Πέτρο;

Ο Χαρίλαος ξαναβάζει δύο τσίπουρα ένα σε αυτόν κι ένα στον Αιμίλιο. Δύο γυναίκες μπαίνουν

Ιουλία: Ένα ντεκαφεϊνέ με μία ζάχαρη όπως συνήθως.

Σοφία: Εγώ θα πάρω έναν καπουτσίνο και ξαναρχίζω από αύριο τη δίαιτά μου.

Ιουλία : Πότε την ξεκίνησες;

Σοφία: Χθες…( βλέπει κάτι άνδρες να περνάνε απ’ έξω κι αρχίζει να βάφεται.)

Χαρίλαος : ( διαβάζοντας εφημερίδα) Το γραφείο μετανάστευσης θα δώσει άδεια εργασίας σε έναν αριθμό νεαρών μεταναστών. Εδώ που τα λέμε οι μετανάστες είναι σα τα πιτμπουλ. Επειδή υπάρχουν κάποια σκατένια την πληρώνει όλη η ράτσα. ( Πίνει λίγο από το τσίπουρο ) Περίεργη γεύση έχει αυτό το τσίπουρο δεν βρίσκετε;

Αιμίλιος: Η αλήθεια είναι πως δεν είναι και πολύ δυνατό…

( Πάει να βάλει το μπουκάλι στο ράφι και βλέπει πως είναι σχεδόν άδειο)

Χαρίλαος: Δεν είναι δυνατόν! Μέχρι χθες ήταν σχεδόν γεμάτο. Δεν το ήπια εγώ όλο αυτό.

( Παίρνει έναν μαρκαδόρο και μαρκάρει πάνω στην ετικέτα τη στάθμη.)

Ιουλία: Πιστεύεις στο Θεό;

Σοφία: Ανάλογα τη μέρα. Αλλά βλέποντας αυτούς τους πυροσβέστες που κάθονται εδώ απ’έξω νομίζω ότι υπάρχει Θεός.

Ιουλία: ( ανήσυχη) Τι έχει αρπάξει πουθενά φωτιά;

Σοφία: Μόνο φωτιά; Φωτιά και λάβρα. Έξω κάθονται χριστιανή μου… Απέναντί μας. Καλά δεν τους είδες;

Ιουλία: Όχι δεν βλέπω τίποτα…

Σοφία: Είναι κάτι κούκλοι, με κάτι σώματα…Τι μανάρια είναι αυτά καλέ;

Ιουλία: Που το ξέρεις ότι είναι πυροσβέστες;

Σοφία: Καλά ολόκληρο πυροσβεστικό όχημα παρκαρισμένο δεν το βλέπεις;

Ιουλία: Νομίζω ότι πρέπει να πάρω καινούριους φακούς επαφής.

Σοφία: Θέλεις φακούς για να δεις ολόκληρο φορτηγό;

Ιουλία: Έχω την εντύπωση πως δεν βλέπω πολύ καλά αυτή τη στιγμή. Ακόμη κι εσένα σε βλέπω θολή.

Σοφία: Εγώ πάλι που βλέπω τζάμι, σου λέω ότι πραγματικά χάνεις.

Ιουλία: Όντως. Αυτή τη στιγμή έχω χάσει την όρασή μου.

Σοφία: Καλά είδες μαύρισμα; Μου φαίνονται όμως λίγο κουρασμένοι

Ιουλία: Κι εγώ κουράστηκα να βλέπω έτσι θολά.

Σοφία: Ίσως να έρχονται από κάποια αποστολή. ( με πομπώδες ύφος) Γενναίοι πολεμιστές, μέσα στην κάπνα έχοντας την αίσθηση της ολοκλήρωσης και του καθήκοντος. Βάζουν τη ζωή τους σε δεύτερη μοίρα.

Ιουλία: Λες να ξέχασα να τους βάλω;

Σοφία: Τους φαντάζομαι με τους τεράστιους πυροσβεστικούς σωλήνες τους να παλεύουν όλη νύχτα με τις φλόγες…

Ιουλία: Για να τσεκάρω μισό λεπτό ( βάζει το δάχτυλο μέσα στο μάτι της)

Σοφία: Ούτε μια ματιά δεν μας έχουν ρίξει. Είναι απίστευτο, λες και μόλις παντρευτούμε δεν μας βλέπουν και τόσο καλά και μετά από καμιά δυο εγκυμοσύνες γινόμαστε πλέον εντελώς αόρατες.

Ιουλία: Κι όμως…. ( ψάχνοντας ακόμη με το δάχτυλο)

Σοφία: Τι θλίψη! Φεύγουν…

Ιουλία: Δεν είναι δυνατόν

Σοφία: Μα ναι σου λέω, κοίτα εκεί.

Ιουλία: Έχω βάλει και τους δύο στο ίδιο μάτι.

Κοιτάζονται

Σοφία : Μα τι γίνεται αυτός ο καφές κόκκαλα έχει;

Χαρίλαος με τους καφέδες : Καλά δεν πήραμε και φωτιά….

Ο Αιμίλιος πίνει ακόμη ένα τσίπουρο και πνίγεται την ώρα που βλέπει να μπαίνουν μέσα ντυμένες στα μαύρα η Ζωή και η κόρη της η Νεφέλη. Η Νεφέλη κι ο Αιμίλιος κοιτάζονται με νόημα φευγαλέα. Η Ζωή δεν παίρνει χαμπάρι. Ο Αιμίλιος χώνεται πίσω από μια εφημερίδα. Οι δύο γυναίκες κάθονται

Ζωή: Τι φρίκη εδώ μέσα

Νεφέλη: Είναι κάπως πιο λαϊκό

Ζωή: Είναι εντελώς παρακμιακό

Νεφέλη: Είναι το μόνο καφενείο απέναντι από το νεκροταφείο, μην περιμένεις να σφύζει από ζωή.

Φρόσω: Τι θα πάρετε κυρίες μου;

Ζωή: Ένα τσάι με….( κοιτάζει αηδιασμένη γύρω της) ένα τσάι σκέτο.

Νεφέλη: Μία λεμονάδα.

Ζωή: Καφενείο το Τέρμα. Αυτό είναι όνομα για καφενείο απέναντι από γήπεδο όχι απέναντι από νεκροταφείο.

Νεφέλη: Ενώ αν το έλεγαν Καφενείο ο Μακαρίτης θα σου έκανε καλύτερα.

Ζωή: ( αναστενάζοντας) Δεν ήταν σκωληκοειδίτιδα τελικά…

Νεφέλη: Σκωληκοειδίτιδα στα 75 του! Να μπερδεύεις μία κίρρωση του ήπατος με σκωληκοειδίτιδα δεν σε κάνει και βασιλιά της διάγνωσης…

Ζωή: Την πρακτική του έκανε κι αυτός ο καημένος ο γιατρουδάκος. Τι να κάνει; Παίρνουν και τρεις κι εξήντα. Πάντως έτσι κι αλλιώς δεν υπήρχε σωτηρία Δεν μπορώ να πιστέψω πως ο παππούς σου πέθανε.

Νεφέλη: Να σου θυμίσω ότι πριν γίνει παππούς μού ήταν πατέρας σου.

Ζωή: Ναι αλλά η αλήθεια είναι πως πάντα δυσκολευόμουν τόσο πολύ να επικοινωνήσω μαζί του.

Νεφέλη: Τώρα λύθηκε το ζήτημα μια και καλή.

Ζωή: Έχω μία φίλη που έκανε 15 χρόνια ψυχανάλυση για να μπορέσει να βελτιώσει την επικοινωνία και τη σχέση διαλόγου με τον πατέρα της. Δεκαπέντε ολόκληρα χρόνια το φαντάζεσαι;

Νεφέλη: Και;

Ζωή: Στα 15 χρόνια ο πατέρας της πέθανε.

( Η Νεφέλη και ο Αιμίλιος ρίχνουν κλεφτές ματιές)

Νεφέλη: Η γιαγιά;

Ζωή: Εδώ ξέχναγε πως ήταν παντρεμένη, άντε να της εξηγήσουμε τώρα πως είναι χήρα….Δεν είναι και πολύ ευχάριστο όλο αυτό.

Νεφέλη: Ναι η αλήθεια είναι πως σπάνια βρίσκει κανείς ευχάριστη κηδεία.. Το ήξερες εσύ πως ο παππούς είχε κλείσει συμφωνία με γραφείο τελετών;

Ζωή: Όχι

Νεφέλη: Είναι κάπως. Δεν μπορώ να με φανταστώ να διαλέγω το φέρετρο από πεύκο ή οξιά ή δεν ξέρω τι άλλο και να επιλέγω το χρώμα της εσωτερικής επένδυσης Μπρρρρρρ ( ανατριχιάζει)

Ζωή: Παρόλα αυτά είναι πρακτικό. Δεν χρειάζεται τρέξουν οι άλλοι για τίποτα.

Νεφέλη : ( ειρωνικά) Κι ούτε να πληρώσουν τίποτα.

( Η Ζωή βγάζει ένα καθρεφτάκι και κοιτάζεται)

Ζωή: Παναγία μου! Αν με συναντούσα στον δρόμο δεν θα με αναγνώριζα! Πηγαίνω να βαφτώ λιγάκι γιατί σε λίγο θα νομίζουν όλοι πως εγώ είμαι το πτώμα…

Η Ζωή πηγαίνοντας προς την τουαλέτα πέφτει πάνω στον Αιμίλιο που προσπαθεί ανεπιτυχώς να κρυφτεί πίσω από ένα βιβλίο του Καντ.

Ζωή: Αιμίλιε; Η Ζωή είμαι! Θυμάσαι; Ήμασταν μαζί στο λύκειο.

Αιμίλιος: ( κάνει τον ενθουσιασμένο) Α Ζωή!

Ζωή: Τι γίνεσαι βρε παιδί;

Αιμίλιος: Παραμένω ακόμη στο λύκειο. ( τον κοιτάζει περίεργα) Ως καθηγητής εννοείται (χαζογελάνε) Κι εσύ;

Ζωή: Εγώ παντρεύτηκα… και μετά χώρισα…

Χαρίλαος πίσω από την μπάρα διαβάζοντας την εφημερίδα : Κάποιες φορές ένα καλό διαζύγιο είναι καλύτερο από έναν κακό γάμο…

( Τον κοιτάζει άγρια)

Ζωή: Γράφεις ακόμη θεατρικά;

Αιμίλιος: Τώρα γράφω κυρίως βιβλία.

Ζωή: Α θέλω οπωσδήποτε ένα με αφιέρωση.

Αιμίλιος ( αμήχανα) : Ναι γιατί όχι.

Ζωή: Κατά τα άλλα; Είσαι παντρεμένος; Έχεις παιδιά;

Αιμίλιος: Όχι είμαι μόνος.

Ζωή: Τι αστείο. Η κόρη μου θα πρέπει να έχει την ηλικία των μαθητών σου…Νάτη εδώ είναι!

Αιμίλιος: Η Νεφέλη! Κοίτα σύμπτωση. Είναι μαθήτριά μου. Δεν ήξερα ότι ήταν κόρη σου…

Ζωή: Έχει το επίθετο του πατέρα της. Εξάλλου είναι το μόνο που μας άφησε πριν την κάνει. Είσαι γυμναστής έτσι δεν είναι; Μου έχει πάρει τα αφτιά για τον γυμναστή τους.

Αιμίλιος ( τα χάνει) : Όχι…είμαι φιλόλογος και καθηγητής φιλοσοφίας…

Ζωή: Α μάλιστα. Η αλήθεια είναι πως έχεις πιο πολύ την κοψιά του φιλολόγου… Για πες δεν φαίνεται να υπάρχει μεγάλος έρωτας ανάμεσα στην κόρη μου και τους κλάσσικούς έ; Τι θα γίνει θα μπει στο πανεπιστήμιο φέτος; Τρία χρόνια το παλεύει. Αναρωτιέμαι μήπως έχει επιλέξει λάθος κατεύθυνση. Ήταν πάντα πιο πολύ των θετικών επιστημών. Και μεταξύ μας τώρα όλα αυτά τα θεωρητικά δεν οδηγούν και πουθενά.

Αιμίλιος: Να δηλαδή.

Ζωή: Εγώ πάντως να δεν καταφέρει τίποτα ούτε φέτος θα τη γράψω σε μία ιδιωτική σχολή να κάνει business. Έχω βρει μία πολύ καλή. Είναι ακριβή αλλά τι να κάνουμε. Εξάλλου πλέον στο πανεπιστήμιο μπαίνει κι η κουτσή Μαρία.

Νεφέλη: Μαμά:

Ζωή: Ε μα! Δεν είναι εύκολο για μία γυναίκα να μεγαλώνει μόνη της ένα παιδί. Εξάλλου όπως έχει πει και κάποιος για την ανατροφή των παιδιών: « Κάντε ότι θέλετε έτσι κι αλλιώς λάθος θα είναι.»

Αιμίλιος: Ο Φρόιντ….

Ζωή: Για να το λες…Λοιπόν συγνώμη λίγο

( Πηγαίνει βιαστική προς την τουαλέτα)

Νεφέλη: Δεν ήξερα πως γνωρίζατε τη μητέρα μου.

Αιμίλιος: Ούτε εγώ..

Νεφέλη: Πρέπει οπωσδήποτε να τα πούμε απόψε…για αυτό σας είπα να έρθετε εδώ. Να βρεθούμε στο σπίτι σας;

Αιμίλιος: Άκου Νεφέλη, αυτό πρέπει να σταματήσει. Είναι πάθος. Ε… Λάθος.

Νεφέλη: Λάθος;

Αιμίλιος: Σε λίγο καιρό θα δώσεις εξετάσεις. Θα μπεις στο πανεπιστήμιο και θα φύγεις. Εγώ θα μείνω ξανά στην τρίτη Λυκείου όπως πάντα.

Νεφέλη: Εξετάσεις; Δύο χρόνια τα πάω σκατά επίτηδες για να είμαι στην τάξη σου. Αλλά τώρα ξαφνικά σε βολεύει να περάσω ε; Να με ξεφορτωθείς ώστε την επόμενη χρονιά να βρεις άλλη πιτσιρίκα για να της κάνεις ιδιαίτερα μαθήματα…

( Της κάνει νόημα ικετευτικά να μιλάει πιο σιγά)

Αιμίλιος: Θα μπορούσα να είμαι πατέρας σου!

Νεφέλη: Ακριβώς. Για αυτό θα σου κάνω μήνυση για αποπλάνηση ανηλίκου.

Αιμίλιος: Μα είσαι είκοσι ενός.

Νεφέλη: Καλά λοιπόν για σεξουαλική παρενόχληση.

Αιμίλιος: Σε παρακαλώ ηρέμισε λίγο. Για το καλό σου το λέω.

Νεφέλη: ( ειρωνικά) Το καλό μου….Είσαι ένα ανθρωπάκι.

( Η Ζωή βγαίνει από την τουαλέτα.)

Ζωή: Τα λέτε; Λοιπόν πρέπει να φύγουμε. Έχω μια κηδεία στα σκαριά. Πέρνα καμιά μέρα από το σπίτι να τα πούμε. ( παιχνιδιάρικα στο αφτί του όλο νόημα) Να θυμηθούμε ίσως και τα παλιά…. Πάμε Νεφέλη; Και να σου πω , μην μου την κουράζεις πολύ….

( Μάνα και κόρη φεύγουν. Ο Αιμίλιος έχει μείνει σαν χαμένος. Ο Χαρίλαος που δεν έχει χάσει λέξη του βάζει λίγο τσίπουρο.

Χαρίλαος: Οι κίνδυνοι του επαγγέλματος….

Αιμίλιος: Μπορώ να βασιστώ στη διακριτικότητά σας; Εδώ παίζεται η δουλειά μου…

Χαρίλαος: Ο καφετζής είναι όπως ο πνευματικός. Ακούει τα πάντα αλλά δεν λέει λέξη.

( Ξαναμπαίνει η Νεφέλη και βάζει κάτι στο χέρι του Αιμίλιου)

Νεφέλη: Ορίστε! Είναι οι πρώτες πετυχημένες εξετάσεις της ζωής μου. Κι αυτή τη φορά χάρη σε εσένα. Σου χαρίζω το δίπλωμα ως αναμνηστικό!

( Φεύγει κι ο Αιμίλιος βλέπει στα χέρια του ένα τεστ εγκυμοσύνης το κο και μετά το πετάει πανικόβλητος πάνω στην μπάρα και φεύγει να κυνηγήσει τη Νεφέλη)

Χαρίλαος: οι δύο γραμμές είναι δίδυμα

( Μπαίνει η Ερασμία από την κουζίνα με ένα περιοδικό. Σιγουρεύεται πως δεν την βλέπουν τα δύο αφεντικά της και βάζει και πίνει δύο τσίπουρα απανωτά. Μετά γεμίζει το μπουκάλι με νερό. Την ώρα που γυρίζει ο Χαρίλαος να την κοιτάξει με καχυποψία ανοίγει το περιοδικό Κυνηγός και Φύση…

Φρόσω: Σκέφτεσαι να ξεκινήσεις το κυνήγι τώρα;

Ερασμία: Όχι! Είναι για τις αγγελίες…

( την κοιτάνε και οι δύο περίεργα)

Ερασμία: Τις αισθηματικές αγγελίες.

Χαρίλαος : Κατάλαβα αντί για μπεκάτσες, κυνήγι ανδρών…

Φρόσω: Και λοιπόν;

Ερασμία: Είναι όπως τα αυτοκίνητα προτού αγοράσεις θέλεις να κάνεις κάποιο test drive.

Φρόσω: Και τι έγινες βρήκες κάνα καλό μοντέλο;

Ερασμία: Δυστυχώς στην ηλικία μου με βλέπω για μεταχειρισμένο. Αρκεί να είναι σε καλή κατάσταση.

( Χτυπάει ένα κινητό)

Ερασμία : Το δικό μου πρέπει να είναι. Μου πήρε ένα τατς ο γιος μου για τα Χριστούγεννα. Πρέπει να βαδίζουμε με την εποχή μας…. Πως στο διάολο ανοίγει αυτό όμως;;;

( την κοιτάνε άναυδοι να πατάει όλα τα κουμπιά μαζί )

Ερασμία ( απαντάει και βάζει σέξι παθιάρικη φωνή) : Εμπρός…ναι η ίδια…Ω καλημέρα….Ναι ναι…. Πάνω από σαράντα…ναι

( βλέπει ότι την ακούει ο Χαρίλαος και πάει πιο πέρα)

Ερασμία: Δηλαδή πιο κάπου στη μέση…λίγο πιο κοντά στα πενήντα από τα σαράντα…Ναι έπεσα τυχαία στην αγγελία σας στο Κυνηγός και Φύση….Όχι δεν κυνηγάω…. Το ξεφύλλισα στην κομμώτριά μου… όχι ούτε αυτή κυνηγάει….Ναι διαζευγμένη…..Κι εσείς…..Από τι πέθανε;…..Αν τι κρίμα. Πόσο θα υπέφερε…..Ναι ναι συμφωνώ απολύτως……Κι εγώ σε αυτές τις περιπτώσεις είμαι υπέρ της ευθανασίας…..Μία ένεση και τέλος τα βάσανα…

( Οι άλλοι δύο έχουν μείνει)

Ερασμία: Ναι καταλαβαίνω….μεγάλο κενό…..Όχι εγώ δεν έχω κάποιο ζώο….Έχω έναν γιο όμως 17 χρονών….Μην νομίζετε βρωμίζει εξίσου το σπίτι….Σας αρέσουν τα παιδιά; …..Ε τώρα σε αυτή την ηλικία….Λίγο δύσκολο….Κοιτάξτε επειδή δεν μπορώ να μιλήσω αυτή τη στιγμή θέλετε να περάσετε από το Καφενείο Το Τέρμα; Όχι δεν είναι απέναντι από κάποιο γήπεδο…Απέναντι από το νεκροταφείο. ….Ναι μάλιστα….Τα λέμε αργότερα…

Η Ερασμία το κλείνει. Ο Χαρίλαος ελέγχει τη γραμμή στο μπουκάλι με το τσίπουρο και πίνει και λίγο.

Ερασμία: Καλέ τον κυρ Θανάση τον έχετε δει καθόλου αυτές τις μέρες;

Χαρίλαος: Τρεις μέρες τώρα δεν έχει έρθει να παίξει το λόττο του….θα πρέπει να είναι άρρωστος.

Ερασμία: Αφού κάθε φορά παίζει τα νούμερα του ΑΜΚΑ του θα ήταν κρίμα να το χάσει επειδή δεν έπαιξε.

( Χαρίλαος διαβάζει ξανά την εφημερίδα, βλέπει κάτι και τινάζεται)

Χαρίλαος: Μιλώντας για λόττο, το είδατε αυτό;

Φρόσω/ Ερασμία μαζί: Ποιο;

Χαρίλαος: Το τζακ ποτ που κέρδισε είχε παιχτεί εδώ.

Ερασμία: Πλάκα κάνετε

Χαρίλαος: Κοιτάξτε 10 εκατομμύρια.

Ερασμία: Ευρώ;

Χαρίλαος: Εμ τι ρούβλια; Φαντάζεστε πόσα χρήματα είναι;

Φρόσω: Θα είναι σίγουρα κάποιος που γνωρίζουμε…

Ερασμία: Μπορεί να είναι ελεύθερος…

Φρόσω: Που να ξέρουμε . Πολλοί προτιμούν να παραμείνουν ανώνυμοι

Ερασμία ( Κοιτάζοντας τον Χαρίλαο που πίνει ξανά τσίπουρο): Ναι όπως οι αλκοολικοί. Λοιπόν πηγαίνω για ψώνια στο σούπερ μάρκετ

( Έχει ήδη βγει όταν αρχίζει πάλι να χτυπάει το κινητό της)

Χαρίλαος: Γαμώτο ξέχασε το μαραφέτι της …( το σηκώνει) Εμπρός…όχι δεν είμαι η Ερασμία…Είμαι ο Χαρίλαος…Ποιος τη ζητεί; ο Ιωσήφ;….Ποια αγγελία;….Κυνηγός…..α ναι….ναι…μισό λεπτό….όχι δεν ενδιαφέρομαι για την αγγελία….δεν είναι δικό μου το κινητό….δεν είναι πλάκα….μισό λεπτό να σας εξηγήσω….το έκλεισε ο μαλάκας!

Χαρίλαος: Ιωσήφ; Δεν φαντάζομαι να είναι από καμιά θρησκευτική αίρεση;

( Μπαίνουν ο Αργύρης κι Άννα)

Αργύρης: Χαίρετε δύο καφέδες ( κάθονται)

Αργύρης: Ξέρεις νομίζω ότι τα αφεντικό μου θέλει να με διώξει.

Άννα: Έλα…

Αργύρης: Όταν διασταυρωνόμαστε πλέον στον διάδρομο δεν μου λέει πια καλημέρα. Παλιά τρώγαμε μαζί το μεσημέρι μια φορά την εβδομάδα.

Άννα: Δεν σημαίνει κάτι αυτό …ίσως να πήζει στη δουλειά.

Αργύρης: Δεν ξέρω….Έχει αρχίσει πάλι να μου μιλάει ψυχρά και στον πληθυντικό από εκεί που μου μιλούσε στον ενικό και κάναμε πλάκες.

Άννα: Δεν σημαίνει κάτι αυτό…Μπορεί και να σημαίνει ότι σε σέβεται και σε παίρνει στα σοβαρά.

Αργύρης: Ναι αλλά μόλις μου πήρε έναν μεγάλο λογαριασμό που είχα και τον έδωσε στον τύπο που μόλις προσέλαβε

Άννα: Δεν σημαίνει κάτι αυτό….Μπορεί να μην θέλει να σε κουράζει. Γι αυτό προσέλαβε κι άλλον για να μην πήζεις.

Αργύρης: Ναι αλλά τώρα δεν πήζω καθόλου. Για την ακρίβεια εδώ και μία εβδομάδα δεν έχω καθόλου δουλειά. Μου πήραν όλες τις αρμοδιότητες

Άννα: Δεν σημαίνει κάτι αυτό….Μπορεί να θέλει να είσαι εντελώς ελεύθερος για το επόμενο μεγάλο project.

Αργύρης: Δεν είμαι σίγουρος. Είχα ένα μεγάλο γραφείο στον τελευταίο όροφο δίπλα στο δικό του και τώρα είμαι στο ισόγειο σε μία τρύπα. Και έδωσε το γραφείο μου στον καινούριο.

Άννα: Δεν σημαίνει κάτι αυτό…Τουλάχιστον τώρα δεν το έχεις όλη μέρα πάνω από το κεφάλι σου. Μπορείς έτσι να είσαι όλη μέρα στο Ίντερνετ και να παίζεις παιχνίδια.

Αργύρης: Αυτό είναι αλήθεια αλλά τώρα μου έκοψαν και το Ίντερνετ.

Άννα: Δεν σημαίνει τίποτα αυτό…μπορεί να είναι και βλάβη.

( Ο Χαρίλαος τα ακούει τόση ώρα κι έχει αρχίσει να φορτώνει.)

Αργύρης : Το χειρότερο είναι πως αναρωτιέμαι αν τα έχει με τη γυναίκα μου.

Άννα: Όχι!!

Αργύρης: Δεν ξέρω, χθες το απόγευμα τους είδα να βγαίνουν από το ίδιο ξενοδοχείο….Θα μου πεις δεν σημαίνει τίποτα αλλ…

Άννα: Τώρα αυτό μπορεί να είναι κι ένα σημάδι…. (

( Βγαίνουν)

( Μπαίνουν δύο νεκροθάφτες, με μαύρο κουστούμι και μαύρα γυαλιά ηλίου)

Χαρίλαος: Να κι Blues Brothers ! Πως πάνε οι δουλειές;

Ζήσης: Τι να πω. Οι παραδόσεις χάνονται. Τώρα πλέον καθυστερούν ακόμη και στις κηδείες. Περιμένοντας θα πιούμε στα όρθια ένα ποτηράκι. Αλλά πρέπει να ρίχνω και κάνα βλέφαρο στην νεκροφόρα.

Ευθύμης: Φαντάζεσαι να μας την κλέψουν με το φέρετρο και όλα μέσα. Δεν είναι απίθανο. Γίνονται τόσα στις μέρες μας. Δεν ακούσατε για αυτούς που περνούσαν λαθραία τσιγάρα μέσα σε νεκροφόρες;

Χαρίλαος : Μην σου κάνει εντύπωση σε λίγο καιρό με όλα αυτά τα θανατερά που γράφουν πάνω στα πακέτα, θα γίνεται και η νόμιμη μεταφορά των τσιγάρων με νεκροφόρες. Λοιπόν τι σας δίνω τα συνηθισμένα; Μία μπύρα και άσπρο κρασί;

Ζήσης: Δεν αλλάζουμε τις καλές συνήθειες. Είδες χθες τον αγώνα;

Χαρίλαος: Μην αρχίσουμε τώρα τη συζήτηση. Το δεύτερο γκολ δεν ήταν…

Ζήσης: Τι δεν ήταν;;;

Χαρίλαος: Ήταν οφσάιντ…

Ζήσης: Οφσάιντ;

( Μπαίνει η Ερασμία)

Χαρίλαος: Δεν ήταν οφσάιντ το δεύτερο;

Ερασμία: ( με φανατισμό φιλάθλου) Άμα είναι πουλημένος ο αλήτης ο διαιτητής. Αν τα παίρνει το παλιοτόμαρο. Που να μην σώσει… τι να λέμε….( φεύγει προς τα μέσα)

Την κοιτάνε έκπληκτοι

Ο Χαρίλαος τους ξανασερβίρει

Ευθύμης: Όπα. Φτάνει. Αρκετοί είναι οι νεκροί στους δρόμους.

Ζήσης: Οι δικοί μας πελάτες στην κατάσταση που είναι δεν μπορούν να πάθουν τίποτα πια. Αν και…θυμήσου τον περασμένο μήνα την κυρία Καστρινού…

Χαρίλαος: Ποια; ( Πετάγεται και η Φρόσω)

Ζήσης: Που ο άνδρας της είχε το ψιλικατζίδικο λίγο παρακάτω. Ε αυτή πέθανε από καρδιακή προσβολή.

Φρόσω: Ναι το ξέρω είχα και μια συστημένη επιστολή να της δώσω.

Ζήσης: Λοιπόν πήγαμε την κυρία Καστρινού για καύση στην Βουλγαρία. Αλλά ο κόπανος ο άνδρας της δεν μας είχε πει ότι η γυναίκα του είχε βηματοδότη. Κι έτσι στη μέση της διαδικασίας Μπουμ! Η μπαταρία λιθίου εξερράγη, από τη ζέστη κι η πόρτα του φούρνου πετάχτηκε πάνω στον τοίχο!

Ευθύμης: Ευτυχώς δεν τραυματίστηκε κανείς.

Ζήσης: Αλλά δεν μπορώ να σου περιγράψω την όλη κατάσταση, της οικογένειας, και βεβαίως της κυρίας Καστρινού.

Χαρίλαος : Έχει και το δικό σας επάγγελμα τους κινδύνους του.

Ζήσης: Μια χαρά πελάτισσά σου ήταν Καστρινού έτσι δεν είναι;

Χαρίλαος: Η αλήθεια είναι πως το έτσουζε αρκετά.

Ευθύμης: Μήπως τελικά δεν έφταιγε μόνο η μπαταρία λιθίου για την έκρηξη….

Χαρίλαος: Πάντως μου κάνει εντύπωση που δεν έχω δει τον κυρ Θανάση. Σήμερα είναι η μέρα που παίζει πάντα….

Ζήσης: Τον κυρ Θανάση; Είναι παρκαρισμένος απέναντι σε ένα πολυτελές αυτοκίνητο.

Χαρίλαος: ( ενθουσιασμένος) Έλα ! Αυτός κέρδισε το τζακ ποτ;

Ζήσης: Όπως το πάρει κανείς. Αυτός είναι μέσα στη νεκροφόρα.

Χαρίλαος: Πλάκα κάνεις;

Ευθύμης: Κίρρωση του ήπατος.

Χαρίλαος: Δεν μπορώ να το πιστέψω….Καημένος κυρ Θανάσης….Τον είχα δει πριν από τρεις μέρες. Είχε παίξει το λόττο του όπως συνήθως… Και σκέψου ότι θα μπορούσε να κερδίσει. Εδώ παίχτηκε το δελτίο που κέρδισε!

Ερασμία ( Βγαίνοντας από την κουζίνα μαζί με τη Φρόσω) : Μπορεί να είναι αυτός…

Χαρίλαος: Τι πράγμα;

Ερασμία: Ο νικητής! Δεν έχει ακόμη εμφανιστεί. Ε αυτός έχει έναν καλό λόγο να μην έχει εμφανιστεί….

Χαρίλαος : Δεν είναι δύσκολο να το μάθουμε αυτός έπαιζε πάντα το ΑΜΚΑ του. Τα νούμερα που κέρδισαν είναι 23, 11, 19, 30, 16, 5. Ποιο είναι όμως το ΆΜΚΑ του κυρ Θανάση;

( ανασηκώνουν όλοι τους ώμους)

Ερασμία: Θα ήταν όμως πολύ κωλόφαρδος:

Ζήσης: Ε τώρα δεν το λες και κωλοφαρδία αυτό που του συνέβη.

Χαρίλαος: Οι κληρονόμοι θα ήταν πολύ κωλόφαρδοι. Γιατί δεν νομίζω να τους έχει αφήσει και σπουδαία πράγματα.

Φρόσω: Εκτός από άδεια μπουκάλια..

Ευθύμης: Τι θα έκανες εσύ Χαρίλαε αν κέρδιζες το Λόττο;

Χαρίλαος: Θα κερνούσα όλο το μαγαζί.

Ερασμία: Εγώ θα πήγαινα ταξίδι στο διάστημα ( την κοιτάζουν όλοι έκπληκτοι)
Τι με κοιτάτε έτσι; Δεν έχετε ακούσει πως πλέον οι εκατομμυριούχοι μπορούν να κάνουν βόλτα στο διάστημα;

Ζήσης: Άντε κέρασέ μας έναν γύρο για να το γιορτάσουμε.

Χαρίλαος : Τι να γιορτάσουμε;

Μπαίνει μία κωφάλαλη ζητιάνα που πουλάει κάτι αγαλματάκια. Ακουμπάει 5 μικροσκοπικούς νάνους πάνω στον πάγκο. Ακουμπάει επίσης κι ένα χαρτί. Η Ερασμία και η Φρόσω σκύβουν να διαβάσουν

Χαρίλαος : Τι λέει;

Φρόσω: Δεν λέει είναι κωφάλαλη.

Χαρίλαος: Τι γράφει τέλος πάντων;

Ερασμία: Πως πουλάει διακοσμητικά κήπου κι αν πάρουμε τα έξι, το έβδομο είναι δωρεάν.

Ζήσης: Μα τι είναι;

Ευθύμης: Δεν είναι οι επτά νάνοι;

Ερασμία: Εδώ είναι μόνο πέντε!

Χαρίλαος: Κι επίσης είναι πάρα πολύ μικρά για τον κήπο. Θα πρέπει κανείς να ξυρίσει το γκαζόν για να τα βλέπει

Ευθύμης: ( ψυχοπονιάρικα) : Κι αν παίρναμε από δύο ο καθένας;

Χαρίλαος: Και τι να κάνουμε με δύο νάνους ο καθένας;

Ερασμία: Και κυρίως που είναι μόνο πέντε…που είναι μονός αριθμός

Ζήσης: Γιατί αν ήταν επτά;

Φρόσω: ( φωνάζοντας δυνατά) Όχι ευχαριστούμε δεν θα πάρουμε

Ερασμία: Μην φωνάζεις δεν ακούει.

Φρόσω: Δεν φωνάζω απλώς μιλάω καθαρά για να διαβάσει τα χείλη μου…

Η ζητιάνα βγαίνοντας : Εσύ διάβασε τα δικά μου. Άι χέσου….

Φρόσω: Κοίτα που πήγαμε και να τη λυπηθούμε.

Ερασμία: Όλο αυτό μου θυμίζει μία ιστορία.

Χαρίλαος: Τη Χιονάτη;

Ερασμία: Όχι ένα μυθιστόρημα που μόλις τελείωσα. ( βγάζει ένα τύπου άρλεκιν από την τσάντα της και το ακουμπάει στον πάγκο)

Ερασμία: Ο τίτλος είναι « Μία γυναίκα είναι μια γυναίκα» Εκτυλίσσεται στη Φλόριντα. Είναι η ιστορία μιας εκατομμυριούχας κωφάλαλης γυναίκας που ερωτεύεται έναν Γάλλο ιεροσπουδαστή που είναι σε αποστολή στο Μαϊάμι. Κι είναι εγκλωβισμένη γιατί δεν μπορεί να του εξομολογηθεί τον έρωτά της.

Ευθύμης ( ο μόνος άνδρας που δείχνει ενδιαφέρον) Επειδή προορίζεται για παπάς;

Ερασμία: Και για αυτό αλλά κυρίως γιατί είναι μουγκή. Κι αυτός από την πλευρά του είναι επίσης ερωτευμένος αλλά δεν μπορεί να την κάνει να το καταλάβει…

Ευθύμης: Επειδή είναι ντροπαλός;

Ερασμία: Και για αυτό αλλά κυρίως επειδή είναι κουφή.

Φρόσω: Καλά δεν μπορεί να διαβάσει τα χείλη της;

Ερασμία: Μπορεί…αλλά το πρόβλημα είναι πως αυτός μιλάει Γαλλικά κι αυτή δεν μπορεί να καταλάβει γιατί είναι Αμερικάνα….

Ευθύμης: Α μάλιστα….

Ερασμία: Έτσι αυτός μαθαίνει κρυφά την γλώσσα των κωφαλάλων;

Φρόσω: Στα Αγγλικά;

Ερασμία ( δεν της δίνει σημασία): κι έτσι την ημέρα του Αγίου Βαλεντίνου της εξομολογείται τον έρωτά του.

Ευθύμης ( όλο αγωνία): Και λοιπόν;

Ερασμία: Αυτή από τη συγκίνηση ξαναβρίσκει την ακοή και την ομιλία

Χαρίλαος: Τζάμπα η νοηματική δηλαδή.

Ερασμία: Όχι βέβαια. Γιατί αποφασίζουν αν ανοίξουν ένα σχολείο για κωφάλαλους.

Ευθύμης: Και παντρεύονται;

Ερασμία: Εννοείται.

Φρόσω: Μα νόμιζα πως πήγαινε για παπάς.

Ερασμία: Από καθολικός γίνεται προτεστάντης για να μπορέσουν να παντρευτούν.
( οι γυναίκες κι ο Ευθύμης αναστενάζουν από το ρομαντικό του θέματος )

Ερασμία: Λοιπόν καλά όλα αυτά αλλά εγώ έχω δουλειά στην κουζίνα…

Χαρίλαος: Καλά που το θυμήθηκες.

( φεύγει για μέσα )

Ο Χαρίλαος διαβάζει πάλι εφημερίδα και οι δύο νεκροθάφτες συνεχίζουν να πίνουν.

Ζήσης: Σας είπα τι με ρώτησε η κόρη μου σήμερα που την πήγαινα στο σχολείο με τη νεκροφόρα;

Χαρίλαος: Την πας στο σχολείο με τη νεκροφόρα;

Ζήσης: Γιατί όχι; Είναι το επαγγελματικό μου αυτοκίνητο. Τι νεκροφόρα, τι φορτηγό με κατεψυγμένα. Λοιπόν ξέρεις τι με ρώτησε;

Χαρίλαος: Όχι

Ζήσης: Που πάμε όταν πεθάνουμε;

Χαρίλαος: Και τι της απάντησες;

Ζήσης: Τι νομίζεις;

Χαρίλαος: Δεν ξέρω.

Ζήσης: Ακριβώς αυτό.

Χαρίλαος: Ποιο;

Ζήσης: Δεν ξέρω.

Χαρίλαος: Και;

Ζήσης: Μου είπε: Μα μπαμπά όταν πεθαίνουμε πάμε στο νεκροταφείο.

Χαρίλαος: Θα πρέπει να εξεπλάγη που με τη δουλειά που κάνεις δεν το ξέρεις ακόμη.

Ευθύμης: ( με φιλοσοφική διάθεση) : Που πάμε όταν πεθαίνουμε…Εδώ δεν ξέρουμε που πάμε όσο ζούμε…

Ο Χαρίλαος αδειάζει το μπουκάλι στο ποτήρι του Ευθύμη.

Χαρίλαος: Άντε θα σε καλοπαντρέψουμε. Πάω να φέρω κι άλλο από το υπόγειο.

Ευθύμης: ( διαβάζει την εφημερίδα) Πολύνεκρο δυστύχημα. Τη βίασε ο πεθερός της την ημέρα του γάμου της κι αυτή έπεσε στις ράγες του τρένου προκαλώντας τον εκτροχιασμό του…

Ζήσης: Θα έχουμε δουλειά πάλι.

( βγαίνει η Ερασμία και σκουπίζει τον πάγκο)

Ζήσης: Τι κάνει ο γιος σου;

Ερασμία: Μια χαρά. Τον έχει στείλει η σχολή του για πρακτική

Ζήσης: Α μπα; Που;

Ερασμία: Στα Μακντόναλντς στο Ακρωτήρι Κανάβεραλ.

Ευθύμης: Νομίζω ότι το λένε Κένεντι πια.

Ερασμία: Τέλος πάντων εκεί που φεύγουν οι πύραυλοι.

Ζήσης: Τέλος πάντων και τι κάνει εκεί; Είναι στο τμήμα του μάρκετινγκ;

Ερασμία: Όχι είναι στο ταμείο.

Ζήσης: Στο ταμείο.

Ερασμία: Είναι η αμερικάνικη φιλοσοφία αυτή. Πρέπει να ξεκινάς από τα χαμηλά.

Ευθύμης: Στα Μακντόναλντς;

Ερασμία: Ναι αλλά στο Κανάβεραλ. Δεν παίρνουν όποιον κι όποιον να σερβίρει χάμπουργκερ στους κοσμοναύτες.

Χαρίλαος: Όχι ρε γαμώτο ( επιστρέφει) Έχω ένα μέτρο νερό στο υπόγειο.

Ευθύμης: Νερό!!

Φρόσω: Πρέπει να κλείσουμε την παροχή.

Ερασμία: Κι εγώ πως θα κάνω τη λάντζα;

Χαρίλαςο: Το κρασί ξεχάστε το.

Ζήσης: Δεν πειράζει δώσε μας ότι έχεις εδώ. Ο καλός ο μύλος όλα τα αλέθει.

( τους σερβίρει από ένα άλλο μπουκάλι)

Χαρίλαος: Θα πρέπει να τα έπαιξε η αποχέτευση. Πάντως κάτω γίνεται της κακομοίρας. Το μόνο που βλέπεις είναι να επιπλέουν άδεια μπουκάλια.

Ευθύμης: Τουλάχιστον να ήταν γεμάτα.

Ζήσης: Μα γιατί κρατάτε τα άδεια;

Ευθύμης: ( αναπολώντας) Θυμάμαι όταν ήμουν μικρός μάζευα μπουκάλια για να τα πάω στο μπακάλικο και να πάρω μερικά ψιλά. Ωραία χρόνια τότε. Είσαι παιδί, ούτε έννοιες, ούτε τίποτα. Τι όμορφα χρόνια

Ερασμία: Ναι ωραία όλα αυτά τα ρομαντικά αλλά εγώ πως θα κάνω τη λάντζα;

Χαρίλαος: Καλά θα φωνάξω τον υδραυλικό.

( Ψάχνει στον κατάλογο)

Ζήσης: Πάντως έχει αργήσει πολύ να ξεκινήσει η κηδεία. Τι θα γίνει θα ξημερώσουμε εδώ πέρα; Έχουμε και δουλειές;

( ο Ευθύμης διαβάζει εφημερίδα) Ευθύμης: Οι Έλληνες κάνουν σεξ δύο φορές την εβδομάδα. Κουλό είναι αυτό.

( Ο Χαρίλαος παίρνει τηλέφωνο)

Φρόσω : Τι γίνεται με τον υδραυλικό;

Χαρίλαος: Δεν απαντάει.

Ερασμία: Πάω τότε στον φούρνο.

Ευθύμης: ( στην Ερασμία): Το ξέρατε εσείς ότι οι Έλληνες κάνουν σεξ δύο φορές την εβδομάδα;

Ερασμία: Κι οι Ελληνίδες;

Ευθύμης: Δεν λέει.

Φρόσω: Για δοκίμασε στο κινητό του.

Ερασμία: Άκου δύο φορές την εβδομάδα ούτε στον ύπνο τους.

Ευθύμης: Κατά μέσο όρο.

Χαρίλαος: Τι θα γίνει τώρα; Εδώ ο κόσμος καίγεται θα το βουλώσετε; Ναι όχι…δεν το έλεγα σε εσάς…Ναι η γραμμή είναι χάλια…δεν σας ακούω καλά….α είστε στο αυτοκίνητο….Κοιτάξτε έχει πλημμυρίσει το υπόγειό μου…. Είναι μεγάλη ανάγκη. Στο Καφενείο των φιλάθλων….όχι απέναντι από το γήπεδο….Απέναντι από το νεκροταφείο….Ναι…Εμπρός….Εμπρός…..Με ακούτε;

( Ακούγονται φρένα στο δρόμο και μετά ο ήχος τρακαρίσματος)

Ζήσης: Αν είναι δυνατόν

Χαρίλαος: κόπηκε η γραμμή

Ευθύμης: πρώτη φορά βλέπω ιπτάμενο φέρετρο.

( Οι νεκροθάφτες βγαίνουν τρέχοντας κι ο Χαρίλαος με τη Φρόσω κοιτάζουν από το τζάμι)

Χαρίλαος: Κοίτα πως έγινε η νεκροφόρα. Καημένε κυρ Θανάση, ευτυχώς που ήσουν ήδη μακαρίτης.

( Μπαίνει ο Ιωσήφ κρατώντας μία ηλικιωμένη γυναίκα από το μπράτσο)

Κίτσα: Καλά δεν βλέπετε που πάτε;

Ιωσήφ: Εσείς πεταχτήκατε έτσι. ( στον Χαρίλαο και τη Φρόσω) Είστε μάρτυρες. Διέσχισε τον δρόμο σαν την τρελή.

Κίτσα: Με πατάει με το αυτοκίνητο και με λέει και τρελή. Ωραίοι τρόποι.

Φρόσω: Καθίστε πέντε λεπτά να συνέλθετε.

Ιωσήφ: Δεν της δίνετε να πιει κάτι να στανιάρει;

( Της δίνει λίγο από το τσίπουρο και η γριά το πίνει μονορούφι)

Κίτσα: Σαν νερό είναι αυτό εδώ.

( Της ξαναβάζουν και το πίνει πάλι μονορούφι.)

Κίτσα: Νιώθω ακόμη αδύναμη

Χαρίλαος: Α όχι άλλο φτάνει.

Ιωσήφ: Αυτή δεν έχει πάθει τίποτα. Αντιθέτως το αυτοκίνητό μου είναι…

Κίτσα: Παραλίγο να τα κακαρώσω κι αυτός ασχολείται με τα σιδερικά…

Ιωσήφ: Ναι κυρά μου γιατί πριν να γίνει σιδερικά ήταν ένα ολοκαίνουριο φορτηγάκι. Και τώρα πρέπει να κάνουμε δήλωση. Που είναι οι νεκροθάφτες;

Φρόσω: Λοιπόν πως πάει γιαγιούλα;

Κίτσα: Που είναι η γιαγιούλα;

Φρόσω: Πρέπει να ειδοποιήσουμε την οικογένειά της. Να έρθουν να την πάρουν. ( στην Κίτσα) Θέλετε να καλέσουμε τα παιδιά σας;

Κίτσα: Τα παιδιά; Δεν είμαι σίγουρη ότι έχω.

Φρόσω: Δεν είστε σίγουρη;

Κίτσα: Νομίζω ότι είχα αλλά δεν ξέρω τι τα έκανα.

Ιωσήφ: Να πάρω τηλέφωνο τον ασφαλιστή.

Φρόσω: Πως σας λένε;

Κίτσα: Κι εσάς τι σας νοιάζει; Αστυνομία είστε;

Ιωσήφ: Δεν απαντάνε. Μα που είναι κι αυτά τα κοράκια να συνεννοηθούμε;

Φρόσω: Είστε παντρεμένη;

Κίτσα: Μάλλον, αφού πήγαινα να βρω τον άνδρα μου όταν αυτός ο βλάκας έπεσε πάνω μου.

Ιωσήφ: Θα πω καμιά κουβέντα τώρα

Χαρίλαος: Που είναι ο άνδρας σας;

Κίτσα: Πέθανε

Φρόσω: Παναγία μου! Στο τρακάρισμα;

Κίτσα: Ποιο τρακάρισμα;

Ιωσήφ: Δεν υπήρχε κανένας άλλος μαζί της. Λοιπόν αφού δεν έχει τίποτα να την κάνω εγώ..

Χαρίλαος: Δεν είστε καλά. Μας την κουβαλήσατε εδώ αφού την χτυπήσατε με το αυτοκίνητο και τώρα θέλετε να την παρατήσετε εδώ; Εγώ έχω ήδη προβλήματα με τα νερά στο υπόγειο. Αυτή μου έλειπε τώρα. Τι το περάσαμε εδώ πέρα, μπάστε σκύλοι αλέστε….

Ιωσήφ: Ωραία και τι κάνουμε τώρα;

Φρόσω: Τι γράφει ο τάφος του άνδρα σας;

Κίτσα: Νομίζω «Αναπαύσου εν ειρήνη»

Χαρίλαος: Δεν λέμε αυτό. Τι όνομα γράφει;

Κίτσα: Και που να ξέρω.

Χαρίλαος: Πρέπει να είναι από το σοκ. Ας περιμένουμε λίγο και θα συνέλθει. Για σκεφθείτε λίγο από τι γράμμα αρχίζει το όνομα του άνδρα σας;

Κίτσα: Να σας πω από τι αρχίζει το δικό σας; Από Μ και τελειώνει σε κας.

Χαρίλαος: Θα της πω καμιά κουβέντα τώρα.

Φρόσω: Τα έχει λίγο χαμένα θα έλεγα.

Χαρίλαος: Λίγο;

Ιωσήφ: Μήπως το έχει σκάσει από κάποιο ίδρυμα;

( όλη αυτή την ώρα η γριά κάνει γκριμάτσες)

Ιωσήφ: Μήπως είναι γκόλ;

Χαρίλαος: Γκόλ;

Ιωσήφ: Ε με τα τσίπουρα που της δώσατε.

Χαρίλαος: Α τώρα φταίω κι εγώ από πάνω! Μήπως θέλετε να φωνάξουμε τους μπάτσους;

Ιωσήφ: Ας μην τους ενοχλήσουμε τώρα. Ας την αφήσουμε λιγάκι και θα συνέλθει. Πάω να δω αν παίρνει μπρος το φορτηγάκι μου αλλιώς θα πρέπει να φωνάξουμε γερανό.

( Μπαίνουν οι νεκροθάφτες με το φέρετρο)

Φρόσω: Τι κάνετε;

Ζήσης: Τον κακομοίρη τον κυρ Θανάση δεν θα τον αφήναμε με το φέρετρο στη μέση του δρόμου.

Κίτσα: Ποιος Θανάσης;.

( Ακουμπάνε το φέρετρο στο μπαρ)

Ζήσης: ( παίρνοντας το κινητό που έχει ξεχάσει η Ερασμία) Μπορώ να πάρω μισό λεπτό στο γραφείο τελετών;

Χαρίλαος Και δεν παίρνεις, της Ερασμίας είναι.

Κίτσα: ( αναρωτιέται μόνη της )Θανάσης; Θανάσης

Ζήσης: Δεν απαντάνε το κέρατό μου. Θα έχουν πάει για φαγητό.

Ευθύμης: Πρέπει όμως να πάμε να του φέρουμε άλλο καπάκι γιατί αυτό διαλύθηκε.

Ζήση: Είναι μέσα στο συμβόλαιο.

Χαρίλαος: Εδώ πρέπει να γίνει αυτό;

Ζήσης: Έτσι δεν θα χρειαστεί να αναβληθεί η κηδεία. Η οικογένεια είναι στο ανθοπωλείο. Δεν θα μας πάρει πάνω από ένα τέταρτο.

Ευθυμης:…Ίσα μέχρι να πάμε και να φέρουμε ένα καπάκι. Είμαι σίγουρος ότι θα ήταν χαρούμενος να περάσει τις τελευταίες του στιγμές εδώ μαζί σας. ..Που να τον βάλουμε για να μην είναι μέσα στη μέση.

Χαρίλαος: Το υπόγειο είναι πλημμυρισμένο άρα μόνο στην κουζίνα….

( Παίρνουν το φέρετρο και το πάνε στην κουζίνα, ο Χαρίλαος τους ακολουθεί απελπισμένος)

Κίτσα: Λες να είναι ο άνδρας μου αυτός;

( Χτυπάει το τηλέφωνο της Ερασμίας. Δεν είναι κανείς εκεί οπότε το σηκώνει η Κίτσα)

Κίτσα: Παρακαλώ….Αν μπορείτε να με λέτε Ερασμία;….Και γιατί όχι….αν σας κάνει κέφι….Όχι μάλλον χήρα θα έλεγα….Πέσατε πάνω στην ώρα….Νομίζω ότι είναι να τον θάψουμε σε λίγο…..Ναι προς το παρόν είναι στην κουζίνα….Εμπρός….Εμπρός….Τι αγενής το έκλεισε… ( πηγαίνει με το κινητό προς την κουζίνα)

( Επιστρέφουν από την κουζίνα τα κοράκια με τον Χαρίλαο και από την είσοδο μπαίνουν η Ζωή και η Νεφέλη)

Ζωή: Μα τι συνέβη στον μπαμπά;

Ζήσης: Ένα τροχαίο.

Νεφέλη: Μα εγώ νόμιζα πως ήταν κίρρωση του ήπατος

Ζήσης: Μισό λεπτό να σας εξηγήσω

( Παίρνουν μαζί με τον Ευθύμη τη Ζωή και βγαίνουν προς τα έξω να της εξηγήσουν ενώ ο Αιμίλιος μπαίνει φουριόζος ψάχνοντας τη Νεφέλη)

Αιμίλιος: Το είπες ήδη στη μητέρα σου;

Νεφέλη: Όπως βλέπεις εδώ προσπαθούμε να θάψουμε τον παππού μου. Νομίζεις πως είναι η κατάλληλη στιγμή να της πω πως είμαι έγκυος από τον καθηγητή μου και πρώην συμμαθητή της και πρώην τι άλλο…

Φρόσω: ( που τα έχει ακούσει) Έτσι είναι η ζωή άλλοι φεύγουν κι άλλοι έρχονται.

Αιμίλιος: Πολύ φιλοσοφία έχει πέσει σε αυτό το καφενείο.

Φρόσω: Έτσι είναι οι καφετζήδες είναι σαν τους φιλοσόφους. Ακούνε πολλά και λένε λίγα και καλά.

( Παίρνει την Νεφέλη παράμερα απελπισμένος)

Αιμίλιος: Μα πως έγινε αυτό;

Νεφέλη: Θες να σου κάνω μήπως και διάγραμμα;

Αιμίλιος: Συγγνώμη απλώς …εγώ…

Νεφέλη: Τα έχεις παίξει εντελώς…σε λυπάμαι κακομοίρη μου. Πλάκα σου έκανα.

Αιμίλιος: Τι πλάκα; Πως πλάκα;…

Νεφέλη: Το τεστ βρε χαζέ ήταν αρνητικό.

Αιμίλιος: ( Το βγάζει από την τσέπη του εκείνη την ώρα περνάει ο Χαρίλαος και το κοιτάζει κι αυτός.

Χαρίλαος: Α ναι, θα έπρεπε να έχει μία γραμμή…

( Ο Αιμίλιος του ρίχνει ένα βλέμμα κι ο Χαρίλαος το βουλώνει και φεύγει πίσω από το μπαρ

Νεφέλη: Ήθελα να δω πόσο με αγαπάς…..Κατάλαβα μια χαρά…Πάνω να βρω τη μαμά..( φεύγει)

Αιμίλιος: Νομίζω πως χρειάζομαι ένα τσίπουρο

( Τον σερβίρουν)

Αιμίλιος: Περίεργη γεύση έχει το τσίπουρό σας. Σαν νερωμένο.

( Ο Αιμίλιος πηγαίνει προς την τουαλέτα, ενώ βγαίνει από την κουζίνα η Κίτσα)

Κίτσα: Εγώ δεν κρατούσα ένα τηλέφωνο πριν από λίγο;

Ιωσήφ: Δεν θα καταφέρουμε ποτέ να κάνουμε τη δήλωση. Που πήγαν πάλι οι νεκροθάφτες. Έχω κι έναν θερμοσίφωνα να τοποθετήσω.

Χαρίλαος: Είστε υδραυλικός;

Ιωσήφ: Μάλιστα

Χαρίλαος: Πως σας λένε;

Ιωσήφ: Ιωσήφ.

Χαρίλαος: Εσάς περίμενα, σαν το Μεσσία.

Ιωσήφ: ( κάνοντας πλάκα) Ε αντί για τον ίδιο ήρθε ο πατέρας του. ( γελάει με το αστείο του). Λοιπόν το πρόβλημα έχετε;

Χαρίλαος: Πρέπει να τα έπαιξαν οι σωληνώσεις. Μιλάμε για βιβλική καταστροφή.

Ιωσήφ: ( ρίχνει μια ματιά από τη σκάλα προς το υπόγειο): Χριστός κι Απόστολος.

Φρόσω ( που βγαίνει εκείνη την ώρα από μέσα): Θα μπορέσετε να το φτιάξετε;

Ιωσήφ: Πως περπατώντας πάνω στο νερό; Άλλος τα έκανε αυτά; ( γελάκι, αυτή τον κοιτάζει έκπληκτη)

Χαρίλαος: Και τώρα τι κάνουμε;

Ιωσήφ: Φωνάξτε την πυροσβεστική. Ή Αλλιώς μπορείτε να περιμένετε μέχρι να εξατμιστεί.

Φρόσω: Ναι αλλά εγώ δεν έχω νερό τώρα..

Ιωσήφ: Καλέ τι λέτε το υπόγειό σας είναι τίγκα. ( γελάκι αλλά βλέπει τον Χαρίλαο που έχει φουντώσει και μαζεύεται και το αλλάζει) Θα διακόψω την παροχή μόνο στο υπόγειο για να έχετε νερό εδώ.

( Πηγαίνει πίσω από το μπαρ για να κάνει δουλειά)

Χαρίλαος: Όλα σε εμένα τυχαίνουν

Ιωσήφ: Όλοι το ίδιο λένε.

( Βγαίνει από την τουαλέτα που έχει ρίξει νερό στο πρόσωπό του)

Αιμίλιος: Ή εγώ δεν είμαι καλά ή υπάρχει ένα πτώμα στην κουζίνα…

Χαρίλαος: ( που κοιτάζει τι κάνει ο υδραυλικός) Μην ανησυχείτε είναι περαστικό…

( Ο υδραυλικός βγαίνει πίσω από το μπαρ)

Χαρίλαος: Τελειώσατε κιόλας;

Ιωσήφ: Ναι. Μπορείτε να χρησιμοποιήσετε τη βρύση. Πάρτε με τηλέφωνο όταν δεν θα έχει πια νερό το υπόγειο.

Χαρίλαος: Τι σας χρωστάω

Ιωσήφ: 100 ευρώ

Χαρίλαος: 100 ευρώ για 5 λεπτά εργασίας;

Ιωσήφ: Είναι βάση τιμοκαταλόγου. Θέλετε να σας τον δείξω;

Χαρίλαος: Τώρα τι να τον κάνω; Πριν έπρεπε να τον δω.

Φρόσω: Και σκέψου πως ένας γιατρός σπουδάζει 10 χρόνια για να πάρει 50 ευρώ.

Ιωσήφ: Την επόμενη φορά που θα πλημμυρίσετε φωνάξτε Ωριλά….Λοιπόν πρέπει να την κάνω. Σας αφήνω την κάρτα μου. Όταν επιστρέψουν τα κοράκια ας με πάρουν για να κάνουμε τη δήλωση.

Ερασμία: ( επιστρέφει από τον φούρνο) : Εντάξει η βλάβη;

Χαρίλαος: Νερό έχουμε πάντως.

Ερασμία: Άντε γιατί έχουν μείνει πίσω οι δουλειές μου με όλα αυτά. ( Πηγαίνει προς την κουζίνα κι ακούγεται ένα ουρλιαχτό)

Χαρίλαος : Αμάν ξέχασα να της πω για τον κυρ Θανάση. ( πηγαίνει μέσα να την βρει)

Κίτσα: Ποιος Θανάσης;

( Βγαίνουν από την κουζίνα και τη κρατάει για να την στηρίξει)

Χαρίλαος : Είπαν κάνα τεταρτάκι, δεν θα αργήσουν να επιστρέψουν να τον πάρουν. Κάθισε λίγο εδώ.

( Πηγαίνοντας προς το μπαρ βλέπει τα κλειδιά του Ιωσήφ)

Χαρίλαος: Ξέχασε τα κλειδιά του το καθίκι.

Ερασμία: Ποιος;

Χαρίλαος: Αυτός ο αρχικλέφτης ο υδραυλικός. Ας φωνάξει κλειδαρά τώρα να δει τη γλύκα.

Ερασμία: Αναρωτιέμαι που μπορεί να είναι….

Χαρίλαος: Σου είπα τα ξέχασε στο μπαρ.

Ερασμία: Όχι δεν καταλάβατε. Τι μπορεί να έκανε με το δελτίο του λόττο;

Φρόσω: Με το τζακ ποτ;

Ερασμία: Μπορεί να το έχει ακόμη πάνω του…

(Κοιτάζουν προς την κουζίνα. Και η Κίτσα.)

Ιωσήφ: Δεν ξέρω τι έκανα με τα κλειδιά μου. Μήπως τα είδατε κατά τύχη;

Χαρίλαος: Α δεν ξέρω… Τι κλειδιά ήταν;

Ιωσήφ: Του φορτηγού, του σπιτιού του…γενικά όλα.

Χαρίλαος: Θέλετε να φωνάξω έναν κλειδαρά; Θα πληρώσετε βάσει τιμοκαταλόγου.

Ιωσήφ: Ας ψάξουμε λίγο μπας και τα βρούμε…

Χαρίλαος Μήπως είναι αυτά;

Ιωσήφ: Ναι μπράβο.

( Κάνει ότι πάει να του τα πετάξει και πέφτουν δήθεν τυχαία στο υπόγειο.)

Χαρίλαος: Τι ατυχία έπεσαν μέσα στο υπόγειο. Τώρα θα πρέπει να περιμένουμε να εξατμιστεί το νερό.

Ιωσήφ: Κάτι μπορεί να γίνει. Θα φέρω μία αντλία από το φορτηγό.

Χαρίλαος: Είδατε άμα θέλετε…Ακόμη κι ο Ιωσήφ κάνει θαύματα.

( Καθώς βγαίνει ο Ιωσήφ)

Χαρίλαος: Φαντάζομαι πως είναι μέσα στην τιμή έτσι δεν είναι; Αλλιώς αφήστε το νερό να εξατμιστεί μόνο του.

Ιωσήφ: Μα και βέβαια είναι στην τιμή ( βγαίνει βρίζοντας, ενώ ο Χαρίλαος βάζει τα κλειδιά που τελικά δεν είχαν πέσει στην τσέπη του.)

Χαρίλαος: Θα το κάνεις λαμπίκο, καθίκι, μέχρι να βρεις τα κλειδιά σου.

( Η Κίτσα πηγαίνει προς την κουζίνα)

Χαρίλαος: Ψάχνετε κάτι;

Κίτσα: Θέλω ένα σκρατς

( Της το δίνει)

Χαρίλαος: Κάνει 1 ευρώ

( Η Κίτσα πέφτει πάνω στον Αιμίλιο όλο χαμόγελο)

Κίτσα: Δεν είναι δυνατόν! Με θυμάσαι;

Αιμίλιος: Όχι…

Κίτσα: Ούτε κι εγώ…

Χαρίλαος: τι θα γίνει θα το πάρετε το σκρατς ή όχι;

Κίτσα (στον Αιμίλιο) : Μπορείς να μου δανείσεις ένα ευρό καλό μου παιδί. Δεν ξέρω τι έκανα το πορτοφόλι μου.

(Ο Αιμιλιος πληρώνει, κι έρχεται η Ερασμία και ψάχνει στον πάγκο του μπαρ)

Χαρίλαος: Εσύ τι ψάχνεις τώρα;

Ερασμία: Το κινητό μου….Μήπως το είδατε πουθενά;

Χαρίλαος: Εδώ πάνω ήταν πριν από πέντε λεπτά. Που στο διάολο εξαφανίστηκε.

(Η Κίτσα εκμεταλλεύεται το γεγονός ότι όλοι είναι απασχολημένοι και πηγαίνει προς την κουζίνα.

Χαρίλαος: Α κάποιος σε πήρε νωρίτερα…

Ερασμία: Και του απαντήσατε εσείς;

Χαρίλαος: Ε, ναι

Ερασμία: Και λοιπόν;

Χαρίλαος: Ήταν κάποιος …Ιωακείμ….Μωυσής….

Ερασμία: Ιωσήφ.

Χαρίλαος: Άι γειά σου.

Ερασμία: Και τι είπε;

Χαρίλαος: η αλήθεια είναι…πως …δηλαδή….να εξεπλάγη κάπως που το σήκωσα εγώ ….και…Τέλος πάντων είπε ότι δεν θα μπορέσει να έρθει στο ραντεβού.

Ερασμία: Τι να σας πω τώρα

(Τον κοιτάζει έξαλλη κι αρχίζει να διαβάζει το βιβλίο της)

Χαρίλαος: Εγώ φταίω που για να εξυπηρετήσω απάντησα κιόλας.

(Μπαίνουν η Ζωή και η Νεφέλη με ένα μικρό λουλούδινο στεφάνι. Ο Αιμίλιος προσπαθεί να τραβήξει την προσοχή της Νεφέλης που τον αγνοεί.

Ζωή: Είναι απίστευτο. Ακόμη κι οι νεκροί παθαίνουν τροχαία στις μέρες μας…Βάζω στοίχημα ότι μιλούσε στο τηλέφωνο.

Νεφέλη ( αφηρημένη): Ο παππούς;

Ζωή: Ο υδραυλικός που τράκαρε τη νεκροφόρα

(Κάθονται και η Νεφέλη κοιτάζει το στεφάνι) Νεφέλη: Καλό σου ταξίδι παλικάρι μου; Δεν είναι κάπως υπερβολικό αυτό για τον παππού;

Ζωή: Είχα ξεχάσει να παραγγείλω κι αυτό το είχαν ήδη έτοιμο. Μια χαρά είναι. (αναστενάζει) Λοιπόν σε προειδοποιώ όταν πεθάνω θέλω να με θάψετε με το κινητό μου.

Νεφέλη: Ορίστε;

Ζωή: Σε περίπτωση που δεν είμαι πραγματικά πεθαμένη. Τόσα ακούμε. Είναι ο φόβος μου να με θάψουν ζωντανή…Α πα πα πα. Εσένα δεν σε τρομάζει αυτό;

Νεφέλη: Δε το έχω σκεφτεί ποτέ.

(Η Ζωή βλέπει τον Αιμίλιο που προσπαθεί να φύγει διακριτικά κάνοντας σινιάλο στη Νεφέλη να τον πάρει τηλέφωνο.)

Ζωή: Για πες μας Αιμίλιε εσύ που είσαι της φιλοσοφικής. Νομίζεις ότι υπάρχει ζωή πριν τον θάνατο;

Αιμίλιο;: Μετά εννοείς.

Ζωή: Και πριν και μετά. Το ίδιο είναι…

Αιμίλιος: Αναρωτιέμαι αν το θέλουμε να υπάρχει… Γιατί δεν ξέρουμε τι μας περιμένει κι από εκεί. Γιατί όπως γράφω στο τελευταίο μου μυθιστόρημα « Μπορεί να είσαι κωφάλαλη αλλά τουλάχιστον ζεις. Όταν πεθάνεις μπορεί να είναι ακόμη χειρότερα…»

( Ακούγοντας αυτή τη φράση η Ερασμία πετάγεται πάνω με έκπληξη)

Ερασμία: Μα αυτή είναι μία φράση από το « Μία γυναίκα είναι μία γυναίκα». Αυτό το φωνάζει ο Μισέλ στη Σαμάνθα την στιγμή που αυτή ετοιμάζεται να πηδήξει στον γκρεμό για να αυτοκτονήσει. Εσείς είστε η Καλλιρόη Φωκά ;

Αιμίλιος: Ναι…κάποιες φορές. Μην το φωνάζετε. Θα προτιμούσα να μην ακουστεί πολύ.

Ερασμία: Καταβρόχθισα το βιβλίο σας σε μία νύχτα. Όπως κι όλα τα άλλα εξάλλου. Τώρα το ξαναδιάβαζα για να το εμπεδώσω. Μπορείτε να μου το υπογράψετε;

Αιμίλιος: Βεβαίως γιατί όχι.

Ερασμία (πανευτυχής) Σας ευχαριστώ. Τα μυθιστορήματά σας θα έπρεπε να τα δίνει δωρεάν ο ΕΟΠΥΥ αντί για αντικαταθλιπτικά χάπια….

Αιμίλιος: Προσπαθώ να δώσω στις γυναίκες το κομμάτι του ρομαντισμού που δεν βρίσκουν στην καθημερινή τους ζωή.

Φρόσω( κοιτάζοντας το σέξι εξώφυλλο) : Πράγματι

Αιμίλιος: Αρχικά δοκίμασα να γράψω τραγωδίες αλλά δεν πουλάνε. Εδώ μετά βίας παίζονται οι αρχαίες, θα παιχτούν οι δικές μου;

Ερασμία: Καλέ τι τραγωδίες και πράσινα άλογα. Αυτά εδώ είναι βιβλία. Βγαλμένα από τη ζωή. Γεμάτα έρωτα και δράματα και δάκρυα.

Αιμίλιος: ( στη Φρόσω): Να τολμήσω να σας δώσω ένα αντίτυπο;

Φρόσω: Γιατί όχι. Εξάλλου όπως λέτε « Μία γυναίκα είναι μία γυναίκα.»

Αιμίλιος ( της δίνει ένα και το υπογράφει): Λοιπόν πρέπει να φύγω. Οι μαθητές μου με περιμένουν…

Νεφέλη: Στο καλό Καλλιρόη…

( Ο Αιμίλιος φεύγει με πεσμένα φτερά. Η Φρόσω ξαναρχίζει το σταυρόλεξο. Η Κίτσα βγαίνει από την κουζίνα,

Φρόσω: Θέλει το κοινό του…. Από Θ…

Κίτσα: Θέαμα!

( Γυρίζουν και την κοιτάζουν όλοι άναυδοι)

Φρόσω: Θέαμα…πέντε γράμματα… απίστευτο

Ζωή: Μαμά τι κάνεις εδώ;

Κίτσα: Ήρθα για την κηδεία. ( στον Χαρίλαο) Ποια είναι αυτή;

Χαρίλαος : Η μητέρα σας είναι; Δεν ξέραμε πια τι να την κάνουμε; ( χαμηλόφωνα) Το έχει χάσει έ;

Ζωή: Ας πούμε πως έχει επιλεκτική μνήμη…Θυμάται απέξω το ΑΜΚΑ του άνδρα της..

Κίτσα: 23, 11, 19, 30, 16,5.

Ζωή : Αλλά τις περισσότερες φορές ξεχνάει πως έχει άνδρα. Εδώ που τα λέμε τώρα πλέον δεν έχει, οπότε καλύτερα…

Χαρίλαος: Ποιο είναι το ΑΜΚΑ του άνδρα σας;

Κίτσα: 23,11,19,30,16,5

Χαρίλαος ( κοιτάζοντας τα νούμερα): Κέρδισε. Ρε τον κυρ Θανάση.

( Εκείνη τη στιγμή ξαναμπαίνει η Μαρία η αλλοπαρμένη κοπέλλα κρατώντας ένα μπλοκ ζωγραφικής. Βλέπει τη Ζωή και πηγαίνει προς το μέρος της.

Μαρία: Με θυμάσαι;

Ζωή ( δοκιμάζει την τύχη της για να μην την απογοητεύσει): Ελένη;

Μαρία: Μαρία

Ζωή: Βέβαια Μαρία:

Μαρία: Μόλις σε είδα είπα αμέσως αυτή κάπου την ξέρω και ξαφνικά μου ήρθε. Κάτι στην έκφρασή σου…

Ζωή: Είναι απίστευτό, πόσα χρόνια έχουν περάσει;

Μαρία: Άσε τι να τα λέμε τώρα; Δεν με γνώρισες όμως έ;

Ζωή: Ναι δηλαδή.. όχι αμέσως αλλά τώρα θυμήθηκα τα πάντα… το πηγούνι…τα μάτια… τη μύτη…

Μαρία: Ε ναι..

Ζωή: Είπα Ελένη γιατί μού θύμισε μία φίλη της μαμάς μου. ( καταλαβαίνοντας την γκάφα της) Δεν έχεις όμως αλλάξει καθόλου. Αναλλοίωτη στον χρόνο ε…

Μαρία: Ε μετά από τόσα χρόνια…

Ζωή: Όχι θέλω να πω…. Σε αναγνωρίζει κανείς αμέσως…Άμα ξέρει ότι είσαι εσύ….Λοιπόν μένεις εδώ κοντά;

Μαρία: Ναι πάντα στο ίδιο μέρος…Εσύ ; Μένεις εδώ κοντά;

Ζωή: Όχι. Εγώ ήρθα για την κηδεία του πατέρα μου…

Χαρίλαος : Για να δούμε θα γίνει ποτέ….( τον κοιτάζει έντονα)

Ζωή: Τι να πεις στην ηλικία μας….Για πες μου είσαι παντρεμένη;

Μαρία: Έχω τέσσερα παιδιά…

Ζωή: Α μπράβο. Εγώ έχω μία κόρη.

(Δεν έχουν τι να πουν. Κοιτάζει το ντοσιέ στο χέρι της και πιάνεται από αυτό)

Ζωή: Ζωγραφίζεις ακόμη;

Μαρία: Ε ναι θες να δεις;

Ζωή: Δεν έχω πολύ χρόνο αλλά στα πεταχτά…

( Της δείχνει τα σκίτσα της που είναι φρίκη)

Ζωή: Α μάλιστα είναι…( δεν ξέρει τι να πει)

Μαρία: Πρέπει να βελτιώσω την τεχνική μου βέβαια…

Ζωή: Όχι είναι μια χαρά…. Αυτό το άλογο είναι υπέροχο

Μαρία: Είναι η γάτα μου…

Ζωή: Μα βέβαια είναι ξεκάθαρο…να τα αφτιά… το μουστάκι…Είναι αφηρημένη τέχνη ε;

Μαρία: Όχι. Προσπαθώ να είναι όσο πιο ρεαλιστική γίνεται.

Ζωή: Εγώ ξέρεις δεν το έχω και πολύ με τη ζωγραφική. Δεν καταλαβαίνω και πολλά πράγματα.

Μαρία: Το ξέρεις πως ήμουν ερωτευμένη μαζί σου όταν ήμασταν στο σχολείο;

Ζωή: Ορίστε;

Μαρία: Δεν τόλμησα ποτέ να στο πω τότε. Τι παράξενο. Μου κάνει καλό όμως που στο λέω τώρα.

Ζωή: Ναι.. δηλαδή…

Μαρία: Πρέπει να φύγω. Έχω ραντεβού σε μία γκαλερί να δείξω τα σχέδιά μου. Αν κάνω έκθεση θα σε φωνάξω.

Ζωή: Ναι…αν…

Μαρία: Να σε φιλήσω όπως παλιά;

Ζωή: ( αμήχανα) γιατί όχι;

Μαρία: ( τη φιλάει και φεύγει προς τα έξω. Και στην έξοδο της φωνάζει)

Μαρία: Ξέρεις προσπάθησα να σε βρω τόσες φορές στο Facebook αλλά Χριστίνα Παπαδοπούλου βρωμάει το τόπος… που να σε βρω…. Φιλιά

Ζωή: Χριστίνα Παπαδοπούλου;

( Μπαίνουν οι νεκροθάφτες με το καπάκι)

Ευθύμης: Να μαστε κι εμείς.

Ζωή: Καιρός ήταν.

Ζήσης: Μην ανησυχείτε όλα θα διορθωθούν στο πιτς φυτίλι.

Χαρίλαος : Να σας πως κάτι προτού βάλετε το καπάκι.

( Τους μιλάει χαμηλόφωνα)

Ζήσης: Είναι κάπως λεπτή η θέση μας.

Ευθύμης: Είναι που δεν έχουμε δικαίωμα να ψάξουμε στις τσέπες….

Χαρίλαος: Να ρωτήσετε τους δικούς του. Είναι μεγάλο το ποσό βρε αδελφέ…

Ζωή: Τι γίνεται πάλι;

Ζήσης: Είναι λεπτό το ζήτημα…

Νεφέλη: Έχουμε ξεπεράσει τις λεπτότητες εδώ και ώρες…

( Της εξηγούν)

Ζωή: Όχι, δεν βρήκαμε τίποτα.

( Συνεχίζουν να εξηγούν και η Κίτσα που κρυφακούει πηγαίνει προς την κουζίνα)

Νεφέλη: Δεν είναι δυνατόν.

Ζωή: Το τζακ ποτ;

Ζήσης: 10 εκατομμύρια ευρώ. Δεν κοστίζει τίποτα να το ελέγξουμε τώρα;

Ευθύμης: Μετά θα είναι κάπως δύσκολο.

( οι γυναίκες δέχονται και τα κοράκια πάνε στην κουζίνα. )

Νεφέλη: Το ήξερες εσύ ότι ο παππούς έπαιζε λόττο;

Ζωή: Εγώ δεν ήξερα τον παππού καλά καλά θα ήξερα τι έκανε;

(Βγαίνουν και φέρνουν το φέρετρο που το ακουμπάνε πάνω στο μπαρ)

Ζωή ( όλο ενθουσιασμό) Λοιπόν;

(Η κόρη της την κοιτάζει αυστηρά ότι θα έπρεπε να δείχνει πιο σεβασμό στη θέα του φέρετρου

Ζωή: ( με πένθιμο ύφος) Λοιπόν;

(Της κάνουν νόημα πως δεν βρήκαν τίποτα)

Ζωή: Ψάξατε καλά;

(Ο Ζήσης βγάζει ένα δελτίο από την τσέπη του.)

Ζήσης: Πλάκα σας έκανα!

Ζωή( χοροπηδώντας) Το τζακ ποτ; Ζήτω! ( Συνειδητοποιώντας πάλι τις συνθήκες παίρνει πένθιμο ύφος προς τον Χαρίλαο) Δεν έχω παίξει ποτέ λόττο. Τι πρέπει να κάνω για να πάρω τα χρήματα;

Χαρίλαος : Για ένα τέτοιο ποσό πρέπει να πάτε στα κεντρικά του ΟΠΑΠ. Δεν νομίζω να φαντάζεστε ότι έχω στο ταμείο να σας πληρώσω….Μπορώ να δω το δελτίο; Όπως και να το κάνεις εδώ συμπληρώθηκε.

(Του το δίνει τελετουργικά)

Ζωή: Καημένε πατέρα!! Και παραλίγο να μην κάνω αποδοχή κληρονομιάς.

Χαρίλαος: Αν είναι δυνατόν.

Ζωή: Τι συμβαίνει;

Χαρίλαος αυτό δεν είναι δελτίο του λόττο!

Ζωή: Ορίστε;

Χαρίλαος: Είναι ένα σκρατς.

Νεφέλη: Ε και;

Χαρίλαος : Δεν είναι το τζακ ποτ. Αλλά μια στιγμή κάτι κερδίζει κι αυτό.

(Περιμένουν όλοι με αγωνία)

Ζωή: Λοιπόν;

Χαρίλαος: Ένα ευρώ.

Ζωή: Σωθήκαμε! Ήταν πολύ ωραίο για να είναι αληθινό.

Χαρίλαος: Και τότε που είναι το δελτίο του λόττο που έπαιξε. Γιατί το θυμάμαι ότι το έπαιξε.

Ερασμία: Λέτε να του το έκλεψαν;

( Όλοι κοιτάζουν αρχικά τα κοράκια και μετά γυρίζουν προς την Κίτσα που έχει πάει σε μια γωνιά. Τη πλησιάζει ο Χαρίλαος._

Χαρίλαος: Τι έχετε στο χέρι σας; ( παλεύουν) Δεν το αφήνει με τίποτα η καρακάξα…

( Καταφέρνει να της το πάρει η Φρόσω)

Ζωή: Λοιπόν;

Χαρίλαος: Είναι δελτίο του λόττο. ( το κοιτάζει) Όχι ρε γαμώτο

Ζωή: Τι έγινε πάλι;

Χαρίλαος: δεν είναι το ΑΜΚΑ του!

Κίτσα : 23, 11, 19, 30, 16,5.

Νεφέλη: Ορίστε;

Χαρίλαος: Προφανώς εκείνη τη μέρα ο βλάκας έπαιξε άλλα νούμερα.

Νεφέλη: Ε και;

Φρόσω: δεν είναι λοιπόν αυτός που κέρδισε.

Νεφέλη: Καιρός ήταν να τελειώσει αυτή η κωμωδία.

Ερασμία : Και τι νούμερα έπαιξε αφού δεν έπαιξε το ΆΜΚΑ του

Κίτσα: 23, 11, 19, 30, 16,5.

Φρόσω: Αυτά εδώ ( της δείχνει το δελτίο)

Ερασμία: Καλέ αυτό είναι το κινητό μου. Θα πρέπει να το είδε στις αγγελίες του περιοδικού…. Αν τον μπαγάσα….Παρεμπιπτόντως που είναι το κινητό μου;

Χαρίλαος: Δεν το βρήκα. Πάρε από το σταθερό να χτυπήσει να το βρούμε.

( Το τηλέφωνο χτυπάει μέσα στο φέρετρο)

Φρόσω: Μα τι δουλειά έχει εκεί μέσα;

Ερασμία: Και πως θα πάρω εγώ το κινητό μου; Το χρειάζομαι. Περιμένω σημαντικά τηλεφωνήματα.

( Το τηλέφωνο αρχίζει να χτυπάει ξανά)

Ερασμία: το βλέπετε;

Χαρίλαος : ( στου νεκροθάφτες) Έχει βάλει μία αγγελία για γαμπρό στο Κυνηγός και Φύση… και δεν έχει σταματήσει να χτυπάει.

Ευθύμης: Κυνηγάτε; Δεν λυπάστε τα κακόμοιρα τα ζωάκια;

Ζήσης: ( ζοχαδιασμένος) Τι θα γίνει με αυτό το φέρετρο; Άνοιξε κλείσε άνοιξε κλείσε….

( Ανοίγουν το καπάκι και βγάζουν το τηλέφωνο που συνεχίζει να χτυπάει. Το παίρνει η Ερασμία και απαντάει με σέξι φωνή)

Ερασμία: Παρακαλώ;…

(Βλέπει ότι όλοι την κοιτάζουν και απομακρύνεται για να μιλήσει. Οι νεκροθάφτες κλείνουν το καπάκι)

Χαρίλαος: Και τότε ποιος είναι ο κερδισμένος;

(Ανεβαίνει από το υπόγειο ο Ιωσήφ ουρλιάζοντας και χοροπηδώντας)

Ιωσήφ: Δεν είναι δυνατόν. Κέρδισα… Κέρδισα το λόττο. Τώρα άκουσα τα νούμερα στο ραδιόφωνο…Και μάλιστα το είχα παίξει εδώ προχθές….

Χαρίλαος : Κοίτα τον κωλόφαρδο.

Ερασμία: Συγχαρητήρια…Το όνομά σας;

Ιωσήφ: Ιωσήφ.

Ερασμία: Ιωσήφ; Εσάς περιμένω σαν τον Μεσσία..

Ιωσήφ: Κι εσείς;…. Εδώ είμαι…. Λοιπόν κερνάω το μαγαζί.

(Χτυπάει το κινητό της Ερασμίας πάλι. Το κλείνει χωρίς να απαντήσει)

Ερασμία: Τέλος. Η περίοδος του κυνηγιού έκλεισε.

(Χτυπάει το τηλέφωνο)

Φρόσω: Καφενείο Το τέρμα σας ακούω….

Φρόσω: (σε όλους) είναι ο παπάς. Ρωτάει αν η κηδεία είναι για σήμερα ή για αύριο;

Ζήσης: Για σήμερα είναι αλλά δεν βιαζόμαστε. Πες του να έρθει να πιει μαζί μας ένα ποτηράκι.

Ιωσήφ: (δείχνει το φέρετρο) Αυτός ποιος είναι;

Χαρίλαος : ο κυρ Θανάσης. Μεγάλη ιστορία. Μα τι έκανα τα κλειδιά σας;

(Κοιτάζει το φέρετρο. Και μετά τον Ζήση)

Ζήσης: Ε όχι!!!

Χαρίλαος : Τι να σε κεράσω;;;

Ευθύμης: ο κακόμοιρος ο κυρ Θανάσης δεν έχει καμία τύχη. ( κοπανάει το φέρετρο) ούτε να τσουγκρίσει μαζί μας δεν μπορεί.

(Βγάζουν το καπάκι για να πάρουν τα κλειδιά και ανασηκώνεται ο κυρ Θανάσης. Εκεί που όλοι πίνουν και τσουγκρίζουν και γελάνε μένουν κόκκαλο)

Κυρ Θανάσης: Και μετά σου λένε αιώνια ανάπαυση. Ούτε στην άλλη ζωή δεν βρίσκει κανείς ησυχία τελικά.

Ζήσης: ( τείνει ένα ποτήρι προς το μέρος του) : Έλα ένα τελευταίο στην Υγειά μας.

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ΚΑΦΕΝΕΙΟΝ «ΤΟ ΤΕΡΜΑ» Lire la suite »

De toutes les couleurs

Comédie à sketchs de Jean-Pierre Martinez

30 personnages (hommes ou femmes)

Vous en verrez de toutes les couleurs…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

De toutes les couleurs

En couleurs

Votez Blanc

La vie en rose

Carte bleue

Peau rouge

Oser le jaune

Vert ciel

Orange trop mûre

Violettes

Noir c’est noir

Matière grise

La chambre mauve

Noir corbeau

Bien doré

Tout est clair

En noir et blanc


 1 – En couleurs

Un personnage attend. Un autre arrive avec un bébé emmailloté.

Un – Félicitation ! C’est une fille.

Deux – C’est merveilleux.

Elle prend l’enfant.

Un – Et vous allez l’appeler comment ?

Deux – J’ai hésité entre Clémentine et Prune, et puis finalement, je me suis décidée pour Violette.

Un – Violette… C’est… C’est très joli.

Deux – C’était le nom de ma grand-mère…

Un – Ah, oui… (Il ouvre un dossier) Bon… Et bien je crois que tout est en ordre.

Deux – Alors je peux le ramener à la maison ?

Un – Mais bien sûr, il est à vous. (Il sort un papier du dossier et lui tend) Tenez, voici le certificat de garantie.

Deux – Merci…

Un – Si vous avez le moindre souci, n’hésitez pas à nous le rapporter. Notre service après vente est réputé dans le monde entier. En cas de problème bien improbable, rassurez-vous, nous pourrons procéder à un échange standard.

Deux – J’espère bien que nous n’en n’arriverons pas là… Je crois que je commence déjà à m’attacher à celui-ci…

Un – Bien sûr, bien sûr… (Il jette un dernier regard au dossier) Mais… je vois que vous n’avez pas choisi l’option « vision en couleurs »… C’est un oubli de votre part, ou bien…?

Deux – Vision en couleurs ?

Un – Et bien oui… Pour que votre enfant puisse percevoir le monde avec toutes les merveilleuses couleurs dont Dieu l’a pourvu…

Deux – Je… Je suis vraiment désolée… Je ne savais pas que c’était en option…

Un – Ce n’est pas une cécité absolue… Je veux dire, ce n’est pas une nécessité absolue, mais évidemment, c’est un plus très appréciable. Nous vous proposons différents niveaux de qualité, en fonction du nombre de pixels. Selon le prix de l’abonnement, bien sûr…

Deux – Ah parce que c’est un abonnement…

Un – Hélas, en ce bas monde, rien n’est vraiment définitif, n’est-ce pas ? Mais je vous assure que la version premium est absolument fantastique.

Deux – Du temps de ma mère, la couleur n’était pas en option…

Un – Autrefois, en effet, le modèle de base était équipé de la vision en couleurs. Malheureusement, comme vous le savez, la crise est passée par là…

Deux – Oui… Aujourd’hui, tout se paie.

Un – Fort heureusement, la 3D fait encore partie des équipements d’origine.

Deux – La 3D ?

Un – Pour ce qui est de la couleur, iI est encore temps de réparer cet oubli. Un petit retour à la maternité, un coup de bistouri électronique, deux injections transgéniques, et nos techniciens médicaux permettront à cette merveilleuse enfant de voir la vie en couleurs…

Deux – Malheureusement, je crains que ce ne soit impossible pour l’instant. Nous n’avions pas prévu ça dans notre budget, et…

Un – Je comprends… Hélas, tous les bébés qui naissent aujourd’hui n’ont pas la chance d’avoir des parents fortunés.

Deux – Et avec ces complémentaires santé qui ne remboursent plus rien.

Un – Allons ce n’est pas si grave… Cet enfant se contentera de voir le monde en noir et blanc pour l’instant, voilà tout… Et quand vous aurez pu faire quelques économies… Sachez que cette option peut être ajoutée à n’importe quel moment de sa vie. Un Noël, un anniversaire, une bar-mitsva… Voilà un cadeau tout trouvé pour votre chère Violette !

Deux – Très bien, je vais y réfléchir.

Elle s’apprête à partir avec le bébé.

Un – N’oubliez pas non plus que si vous le souhaitez, notre service financier peut vous proposer un petit crédit sur quinze ou vingt ans…

Noir

2 – Voter blanc

Deux personnages regardent une affiche imaginaire.

Un – Blanc… Drôle de nom…

Deux – Ça inspire confiance. Blanc… Ça fait penser à une marque de lessive…

Un – Mais quand on se présente aux élections… Votez Blanc… Comme slogan pour se faire élire, y a mieux…

Deux – En même temps, comme il n’a pas de programme très défini…

Un – Tu crois qu’il peut être élu…

Deux – Il incarne parfaitement les aspirations de la majorité silencieuse. Il mobilisera les abstentionnistes. Et puis il a la tête de Monsieur Toutlemonde. Les gens se reconnaissent en lui. Ça les rassure.

Un – Mais qu’est-ce qu’il va faire, s’il arrive au pouvoir ?

Deux – Ah, ça, il a clairement annoncé la couleur. Rien ! Et il a juré que cette fois, les promesses électorales seront tenues.

Un – Mais alors pourquoi il se présente, exactement ?

Deux – Pour faire triompher ses idées !

Un – Ses idées…?

Deux – Il milite depuis des années pour que le vote blanc soit reconnu comme un vote à part entière… Comme il n’a pas obtenu satisfaction, il a décidé de se présenter lui-même… C’est vrai que c’est assez courageux. Au moins, il va au bout de sa démarche…

Un – Et toi, qu’est-ce que t’en penses ?

Deux – Je suis partagé…

Un – Tu vas t’abstenir ?

Deux – C’est ce que je fais depuis des années, mais là… Ce serait une façon de cautionner ses idées… Non, je suis encore indécis…

Un – Je suis un peu du même avis que toi… Aujourd’hui, quand on a des vraies convictions… C’est difficile de pas être récupéré…

Noir

3 – La vie en rose

Un personnage arrive et se plante devant un autre qui est déjà là.

Un – Docteur, je n’en peux plus. Il faut absolument que vous m’aidiez.

Deux – Je vous écoute…

Un – Eh bien voilà… Je ne sais pas comment vous dire ça… Depuis quelque temps déjà… Je vois la vie en rose.

Deux – Ah… Ce n’est pas banal, en effet. D’habitude, les gens viennent plutôt me consulter parce qu’ils voient tout en noir.

Un – Non mais dans mon cas, Docteur, ce n’est pas seulement une façon de parler, je vous assure. Je vois vraiment tout en rose.

Deux – Voyez-vous ça…

Un – Ma maison est rose, ma voiture est rose, ma femme est rose, mon chien est rose…

Deux – D’accord… Mais dites-moi, Monsieur…

Un – Moineau… Oui, je sais, c’est cocasse… Je veux dire à cause de Piaf.

Deux – Piaf ?

Un – Vous savez bien… La Vie en Rose…

Deux – Ah oui, bien sûr… Et… vous avez un lien de parenté avec…

Un – Aucun. Vous pensez que ça pourrait avoir un rapport ?

Deux – Mon Dieu, ça dépend… Vous pensez que ça pourrait avoir un rapport ?

Un – Non, mais moi, Docteur, ce n’est pas seulement quand elle me prend dans ses bras, et qu’elle me parle tout bas, que je vois la vie en rose. C’est permanent, vous comprenez ?

Deux – Je comprends… Et… Vous prenez des médicaments en ce moment, Monsieur Moineau ?

Un – Non… Aucun…

Deux – Pardon de vous demander ça, mais… Pas de substances hallucinogènes ?

Un – Rien, je vous assure… Pour plus de sécurité, j’ai même arrêté le vin. Surtout le rosé, évidemment… Mais rien n’y fait.

Deux – C’est curieux, en effet… Et donc… Ça vous gêne.

Un – Évidemment, que ça me gêne ! C’est très handicapant, vous ne vous rendez pas compte ! Ça peut même dangereux ! Tenez, par exemple : je suis en voiture, j’arrive à un feu tricolore. Pour moi tous les feux sont roses ! Alors qu’est-ce que je fais ? Je m’arrête, et je me fais klaxonner ? Je passe, et je me fais verbaliser ?

Deux – Je vois…

Un – Vous m’imaginez en train d’expliquer aux flics : Excusez-moi, je suis passé au rose ?

Deux – Je comprends…

Un – Et puis voir la vie en rose, ça va cinq minutes… Mais au bout d’un moment, c’est très monotone…

Deux – Et ce qui est monotone peut vite devenir très déprimant.

Un – Vous, quand vous allez au cinéma, c’est pour voir un film en couleur, non ? Moi je ne vois que du rose.

Deux – Vous avez essayé les films en noir et blanc ?

Un – Oui… Pour moi, c’est du rose clair et du rose foncé.

Deux – Je vois… Et avec des lunettes noires ?

Un – Du rose à travers des lunettes noires.

Deux – Je vois…

Un – Vous pourriez arrêter de dire je vois ? Ça m’énerve, vous voyez ?

Deux – Pardon…

Un – Je vois bien que vous ne voyez rien du tout !

Deux – La médecine n’a pas encore réponse à tout, malheureusement. Et je dois reconnaître en effet que… Il doit s’agir d’une maladie orpheline…

Un – Une maladie orpheline ?

Deux – Une de ces maladies génétiques dont personne n’a rien à branler parce qu’elle n’affecte qu’une ou deux personnes dans le monde.

Un – Merci de me remonter le moral, Docteur, ça m’aide beaucoup.

Deux – Allez, il ne faut pas voir tout en noir… Pardon, je veux dire… Vous avez déjà pensé au suicide ?

Un – Vous croyez que c’est la seule solution qui me reste ?

Deux – Excusez-moi, ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, mais… Si vous avez des idées noires… Je peux vous prescrire un antidépresseur.

Un – Mouais… Et un arrêt maladie ?

Deux – Vous pensez que…

Un – Un peu de repos, ça n’a jamais fait de mal à personne, pas vrai ?

Deux – Vous avez l’impression d’être surmené ?

Un – Maintenant que vous me le dites, Docteur, c’est vrai que… Je suis à la limite du burn out.

Deux – Je vois… Et à votre avis, il vous faudrait combien ? Je veux dire pour ne plus voir la vie en rose…

Un – Je ne sais pas, moi… Une semaine, vous pensez que c’est suffisant ?

Deux – Mon Dieu, dans votre cas…

Un – Bon, puisque vous insistez, disons un mois, ce sera plus prudent.

Deux (rédigeant l’arrêt de travail) – Va pour quatre semaines, alors.

Un – Ce n’est pas que ça m’amuse, mais… Je pense que ça va me faire du bien, vous ne croyez pas ?

Deux – Revenez me voir en rentrant de vacances, et on verra bien si votre état s’est amélioré.

Un – Je vous enverrai une carte postale, c’est promis.

Deux – Et pour les antidépresseurs, qu’est-ce qu’on fait ? Vous savez, on peut très bien voir la vie en rose et avoir des idées noires.

Un – Merci, mais je crois que je vais essayer de m’en passer. Il paraît que la France est le pays au monde qui consomme le plus d’antidépresseurs. Je ne voudrais pas contribuer à creuser un peu plus le déficit de la Sécu.

Deux – Ce civisme vous honore, cher Monsieur. (Il lui tend son arrêt de travail, mais le laisse tomber par terre) Pardon… (Il ramasse la feuille et se relève). Bon, alors… Bonnes vacances, Monsieur Moineau.

Un – Merci beaucoup Docteur. Rien que de vous avoir parlé, il me semble que ça va déjà mieux.

Le médecin hésite à nouveau à lui tendre l’ordonnance, que l’autre a hâte de saisir.

Deux – Vous ne voyez plus la vie en rose ?

Un – Si… Mais maintenant, au moins, je sais pourquoi…

Deux – Une dernière petite question, Monsieur Moineau… Vous partez où, en vacances ?

Un – Toulouse. Je suis né là-bas. J’ai été muté à Paris, mais je n’arrive pas à m’y faire. Je suis comme les oiseaux migrateurs : l’hiver, il faut que je m’envole vers le Sud.

Deux – Toulouse…

Le médecin reprend l’ordonnance.

Un – Il y a un problème ?

Deux – Toulouse, la ville rose… (Il déchire l’ordonnance). Je suis vraiment désolé, Monsieur Moineau, mais franchement, dans votre cas, ça me semble tout à fait contre-indiqué…

Noir.

4 – Carte bleue

Une femme fait les cent pas, habillée en bleu (notamment les bas). Sa tenue un peu provocante et ses allées et venues peuvent faire penser à une prostituée en train de faire le trottoir. Un homme arrive, en costume. Il hésite un peu puis s’approche d’elle.

Un – Bonsoir… Excusez-moi de vous demandez ça mais… Vous prenez la carte bleue ?

Deux – Non, je ne prends que l’American Express.

Un – Ah… Je suis désolé, je n’ai plus du tout de liquide… Vous ne savez pas où il y a un distributeur, dans le coin ?

Deux – Un distributeur de quoi ?

Un – Un distributeur de liquide… Enfin, je veux dire, d’argent liquide… Un distributeur de billets, quoi…

Deux – Au coin de la rue, là-bas. Il y a un Crédit Mutuel.

Un – Merci, je… Ça tombe bien, je suis au Crédit Mutuel… Je vais y aller…

Deux – Vous faites comme vous voulez…

Un – Très bien… Mais je suis pris d’un horrible doute, tout d’un coup. Vous êtes bien Emmanuelle.

Deux – Euh… Oui… Vous imaginez bien que ce n’est pas mon vrai nom, mais…

Un – Parfait. Donc, vous êtes bien celle que j’avais commandée… Je veux dire, celle que j’ai eue au téléphone… Ok, ne bougez pas, je reviens tout de suite…

Il s’éloigne. Elle continue à faire les cent pas. Son portable sonne, et elle répond.

Deux – Oui ? Alors qu’est-ce que tu fous ? Tu n’as pas trouvé de place pour te garer ? Ok… Non, je suis devant la maison, là. Je trouve pas mes clefs, figure-toi. J’ai dû les laisser dans la boîte à gants. Oui, oui, ça va… Enfin… Je viens de me faire aborder par un type. C’est vrai que je ne suis pas dans une tenue à me balader toute seule dans la rue, mais tu vas rire : il m’a pris pour une pute… Non, non, ne t’inquiète pas, pas agressif du tout. Très poli même. La bonne nouvelle, c’est qu’apparemment, j’ai plutôt l’air d’une pute de luxe. Il m’a demandé si je prenais la carte bleue… Je ne sais pas, plutôt le genre homme d’affaires… Il a dû commander une escorte pour la soirée. Une certaine Emmanuelle, à ce qui paraît… Je ne voulais pas le décevoir, je n’ai pas eu le courage de lui avouer que mon vrai nom, c’était Rolande (Le type revient) Bon, excuse-moi, le voilà qui revient justement, il faut que je te laisse. Mais non, ne t’inquiète pas, il faut bien rigoler un peu… Enfin, ne tarde pas trop quand même…

Elle range son portable.

Un – Je suis vraiment désolé… Le distributeur est en panne…

Deux – Vous n’avez vraiment pas de chance, vous, ce soir…

Un – Non…

Deux – Malheureusement, dans mon métier, vous imaginez un peu si on se mettait à faire crédit à nos clients…

Un – Je comprends… Mais c’est très ennuyeux…

Deux – Oui… J’imagine que c’était une urgence ?

Un – D’habitude, je fais appel à des professionnels, ils prennent la carte bleue, mais là… Je me suis dit que j’allais essayer.

Deux – Donc, vous avez tout de suite vu que j’étais une occasionnelle.

Un – Pardon, je n’ai pas dit ça pour être désobligeant. Je ne remets pas du tout en cause vos compétences.

Deux – Non, non, ne vous excusez pas… Je prends plutôt ça pour un compliment, vous savez.

Un – Et qu’est-ce que vous faites d’autre dans la vie ? Puisque ce n’est pas votre vrai métier ?

Deux – Là, vous devenez indiscret…

Un – Excusez-moi, vous avez raison. C’est juste que d’habitude… Enfin, je veux dire… Je n’ai pas l’habitude de tomber sur des filles comme vous…

Deux – Vraiment ?

Son portable sonne.

Un – Excusez-moi… Oui ? Comment ça, Emmanuelle ? Mais je suis avec elle justement… Ah… Non, il doit y avoir un malentendu… Ok, je vous attends…

Deux – Un problème ?

Un – Non, non, je… J’avais commandé un Uber, et… La fille m’avait dit qu’elle s’appelait Emmanuelle et qu’elle serait en bleu.

Deux – Elle devait parler de la carrosserie…

Un – La carrosserie ?

Deux – La carrosserie de la voiture… Du taxi…

Un – Bien sûr… Écoutez, je suis vraiment confus… Ça doit être un horrible quiproquo. Encore que dans ce cas, horrible n’est pas vraiment le terme le plus approprié…

Deux – Vous ne m’auriez pas pris pour une pute, par hasard ?

Un – Mais enfin pas du tout ! D’ailleurs, c’est vous qui…

Deux – Vous insinuez que c’est moi qui me prends pour une pute ?

Un – Je ne dis pas ça, mais… Avouez que…

Elle regarde en direction d’une silhouette qui approche dans la nuit.

Deux – Très bien, vous allez pouvoir en discuter avec mon mari. Le voilà, justement…

Un – Mais enfin… (Il regarde en direction de la personne qui arrive). D’ailleurs, ce n’est pas votre mari, c’est une femme. Ça doit être mon Uber. Emmanuelle ? (On suppose que la femme passe sans s’arrêter) Non, apparemment elle ne s’appelle pas Emmanuelle…

Deux – Décidément, vous fantasmez beaucoup sur les chauffeurs de taxi… Et puis vous oubliez un détail…

Un – Quoi encore ?

Deux – Vous n’avez pas de liquide…

Un – Ah oui, c’est vrai…

Deux – La prochaine fois, faites plutôt appel à une professionnelle. Une qui prend la carte bleue…

Noir

5 – Peau rouge

Un – Vous vous rendez compte ? Si ces gueux avaient réussi à prendre la Bastille en 1789…

Deux – Oui, Monsieur le Comte. Aujourd’hui, la Bastille ne serait plus qu’une station de métro, le drapeau français serait probablement tricolore…

Un – Et au lieu de ce bon Roi François III, ce serait un manant qui présiderait aux destinées de la France.

Deux – J’ose à peine imaginer dans quel état serait notre royaume aujourd’hui.

Un – Grâce à Dieu, cette révolution n’aura été qu’une révolte.

Deux – Une jacquerie de plus, Monsieur le Comte.

Un – Tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit… Pensez à quelles folies une telle maxime aurait pu nous conduire ! En théorie, on aurait pu imaginer qu’un Noir devienne chef de l’État !

Deux – Pas en France, Monsieur le Comte. Il ne faut pas exagérer. Mais c’est vrai que ça fait froid dans le dos. Voulez-vous que je monte un peu le chauffage ?

Un – Allez plutôt me chercher mes pantoufles.

Deux – Bien Monsieur le Comte.

Il lui apporte ses chaussons.

Un – Merci, mon brave.

L’autre lui tend un journal.

Deux – Voulez-vous jeter un coup d’œil à la presse ?

Un – Le Connard Enchaîné… C’est un nouveau journal ?

Deux – Oui, semble-t-il.

Un – Par les temps qui courent, il ne va sans doute pas manquer de lecteurs…

Deux – Si Monsieur le Comte préfère, je peux lui faire la lecture à haute voix ?

Un – Non, merci. D’ailleurs, je ne veux même plus savoir ce qu’il y a dans les journaux. À quoi bon ? Je ne comprends rien à toutes ces guerres. Pourquoi envoyer nos armées se battre à l’autre bout du monde contre ces barbares, alors que nous avons les Anglais sous la main ?

Deux – L’Angleterre n’est plus un royaume, mais grâce à Dieu, c’est encore une île.

Un – Vous avez raison. Heureusement qu’on ne les a pas laissés creuser ce tunnel sous La Manche. Je suis sûr qu’aujourd’hui, les Anglais auraient envahi la Normandie et que chacun d’eux y posséderait une résidence secondaire.

Deux – Depuis que l’Angleterre est devenue une République, il n’y a plus aucun gentleman dans ce pays.

Un – C’est évident. Ils leur ont tous coupé la tête !

Deux – Comment faire confiance à des gens qui mangent leurs petits pois avec de la menthe ?

Un – En vérité, les choses sont très simples, cher ami. L’école catholique nous apprend que le monde est divisé en quatre races : blanche, noire, jaune et rouge. Et il est évident que si Dieu a fait une race blanche, c’est pour qu’elle domine les trois autres. Sinon, pourquoi le blanc serait-il la couleur de la royauté ?

Deux – C’est tout à fait limpide, Monsieur le Comte.

Un – Vous par exemple, vous faites partie de la race rouge. Vous n’auriez pas l’idée de contester cette évidence.

Deux – Bien sûr que non, Monsieur le Comte.

Un – C’est un de mes aïeux qui a ramené votre grand-mère d’Amérique d’un de ses voyages chez les Peaux Rouges au siècle dernier. Évidemment, il ne savait pas qu’elle était enceinte, sinon vous pensez bien qu’il l’aurait laissée là-bas…

Deux – À moins que ce soit votre aïeul qui l’ait engrossée sur le bateau du retour. Les traversées sont parfois longues et ennuyeuses…

Un – Ce n’est malheureusement pas complètement impossible, mon brave. Ce qui expliquerait que vous ne soyez pas si rouge que ça, et un peu plus éveillé que la moyenne des gens de votre espèce.

Deux – Monsieur le Comte a toujours une explication pour tout. Je lui apporte ses pilules ?

Un – Quelle pilule ?

Deux – Vos pilules pour la mémoire, Monsieur le Comte.

Un – Des pilules pour la mémoire ? Tiens donc, c’est curieux, j’avais oublié que je devais en prendre.

Deux – C’est pour cela que Monsieur le Comte m’a engagé.

Un – Pour quoi donc, mon brave ?

Deux – Pour lui rappeler de prendre ses pilules.

Un – On ne m’ôtera pas de l’idée que vous êtes bien un peau rouge. Mais ça ne fait rien, je vous garde quand même. C’est si difficile de trouver un valet aujourd’hui.

Deux – Monsieur le Comte est trop bon. (Il lui tend ses pilules) Un, deux, trois… Et voilà : le compte est bon.

L’autre regarde les pilules.

Un – Je dois vraiment avaler tout ça ?

Deux – Je le crains, Monsieur le Comte. Regardez : Bleu, blanc, rouge…

L’autre prend ses pilules une par une.

Un – Je ne sais pas pourquoi, mais c’est toujours la rouge qui a le plus de mal à passer…

Noir

6 – Oser le jaune

Un – Jaune ?

Deux – Jaune.

Un – Et pourquoi jaune ?

Deux – Pourquoi pas jaune ?

Un – Je ne sais pas, mais tout de même. Jaune, c’est un peu…

Deux – Un peu quoi ?

Un – Mais quand vous dites jaune, c’est vraiment jaune ou bien…?

Deux – Jaune, jaune. Il n’y a qu’un jaune, non ?

Un – Non, jaune ça me fait penser à…

Deux – À quoi ?

Un – Je ne sais pas, à…

Deux – Et voilà ! Jaune, c’est jaune.

Un – Jaune, vous croyez…?

Deux – Jaune, j’en suis sûr.

Un – Oui, jaune, j’entends bien, mais…

Deux – Vous allez voir, le jaune, c’est…

Un – Jaune, il faut oser, quand même…

Deux – Eh bien justement : osons le jaune !

Un – Jaune, d’accord, mais… Est-ce que les gens sont prêts pour ça ?

Deux – Les gens ne sont jamais prêts pour le jaune.

Un – Jaune ou pas jaune…

Deux – Telle est la question.

Un – Et si, à la place du jaune, on essayait…

L’autre le fusille du regard.

Un – Jaune, pourquoi pas ? Mais alors un jaune…

Deux – Jaune.

Un –         Ok. Jaune.

Noir

7 – Vert ciel

Un – Tu as vu le ciel est complètement dégagé.

Deux – Oui. On voit des millions d’étoiles.

Un – Et on vient encore d’en découvrir une nouvelle. (Un temps) Tu sais comment ils nous appellent ?

Deux – Qui ?

Un – Là, du côté de la Voie Lactée. Ceux qui tournent autour de cette nouvelle étoile qu’on vient de découvrir, justement. Le Soleil.

Deux – Ah, oui, cette peuplade primitive dont ils ont parlé hier aux infos. Les Terriens. Et alors, comment ils nous appellent ?

Un – Les petits hommes verts.

Deux – Pourquoi petit ?

Un – Va savoir…

Deux – Et ils connaissent notre existence ?

Un – Tu vas rire, mais ils se croient seuls dans l’univers.

Deux – Non ?

Un – Je t’assure.

Deux – Mais comment ils peuvent nous appeler les petits hommes verts, s’ils pensent qu’on existe pas ?

Un – C’est dans leurs films de science fiction. Ce qu’ils appellent des extra-terrestres, c’est toujours des petits hommes verts. Mais sinon, dans la réalité, ils sont persuadés d’être seuls au monde.

Deux – C’est dingue…

Un – Attends… Ce n’est pas seulement qu’ils pensent être les seules créatures intelligentes dans l’univers. Ils en sont encore à se demander si un simple microbe peut avoir le droit d’exister en dehors de leur propre planète.

Deux – Eh ben… Je ne sais pas qui a mis ces cons en orbite autour du Soleil, mais ils n’ont pas fini de tourner…

Un – J’ai lu un article, là dessus. La plupart des Terriens pensent que c’est un Dieu qui les a créés, là, tout seuls, dans cette petite planète de ce petit système solaire dans cette petite galaxie.

Deux – C’est quoi, un Dieu ?

Un – Un genre de super-héros, qui pour le coup, évidemment, n’existe pas en dehors de leurs contes pour enfants.

Deux – Alors ils croient en l’existence d’un Créateur dont ils n’ont aucune raison objective de penser qu’il pourrait exister, mais ils refusent de croire que d’autres créatures pourraient peupler l’univers ?

Un – Ce sont des primitifs, je te dis, obsédés par l’idée de trouver une causalité première. Plutôt que d’admettre une bonne fois pour toute que l’univers a toujours été là, sous une forme ou une autre, ils en sont toujours à inventer des religions pour expliquer son origine.

Deux – Et comment ils expliquent l’origine de leur Dieu ?

Un – Ils ne l’expliquent pas. Ils appellent ça le mystère de la Foi.

Deux – Donc ils expliquent l’inexplicable par un autre mystère…

Un – C’est à peine croyable, d’être aussi cons. Tu as raison. Ils n’ont pas fini de tourner…

Deux – Quoique… On est sûr qu’ils existent encore, les Terriens ?

Un – Le signal vient quand même d’assez loin… Quelques milliers d’années lumière… Aux dernières nouvelles, ils avaient déjà réussi à faire de leur planète une poubelle. Sans parler du fait qu’ils passent leur temps à s’entretuer.

Deux – Pas sûr que des cons pareils aient réussi à survivre un millénaire de plus.

Un temps.

Un – En tout cas, c’est une nuit magnifique. Pas un seul nuage. Tu as vu ? Le ciel est tout vert.

Deux – Oui, il va faire beau demain.

Noir

8 – Orange bien mûre

Deux personnages. Le premier s’approche du deuxième.

Un – Vous savez pourquoi je vous arrête.

Deux – Non…

Un – Vous êtes passé à l’orange.

Deux – À l’orange, vous êtes sûr ?

Un – Vous ne reconnaissez pas être passé à l’orange ?

Deux – À l’orange, peut-être, mais reconnaissez entre nous que les feux tricolores sont très mal faits.

Un – Pardon ?

Deux – On a beau passer au vert, il y a bien un moment où le feu passe du vert à l’orange. Alors évidemment, parfois, pendant qu’on est en train de passer au vert, le feu, lui passe à l’orange.

Un – C’est ça… En somme, ce n’est pas vous qui êtes passé à l’orange, c’est le feu. C’est peut-être lui que je devrais verbaliser, qu’est-ce que vous en pensez ?

Deux – Ça c’est vous qui voyez…

Un – Admettons, vous passez au vert, et pendant ce temps-là, le feu passe à l’orange. Le problème, c’est que vous, lorsque vous êtes passé à l’orange, l’orange était bien mûre…

Deux – Écoutez, ça ne tient pas debout !

Un – Et pourquoi ça ?

Deux – Mais enfin, une orange, même bien mûre, ça reste toujours orange. Vous avez déjà vu des oranges rouges, vous ?

Un – Ma foi…

Deux – Une orange, ça passe du vert, quand elle n’est pas encore mûre, à l’orange, quand elle arrive à maturité. C’est la raison pour laquelle on appelle ça une orange.

Un – Vous ne seriez pas en train de vous foutre de ma poire, par hasard ?

Deux – Pas du tout ! Je vous ferais d’ailleurs remarquer qu’une poire, c’est jaune, pas orange. Et que cette amende, ça va être pour ma pomme.

Un – Vos papiers…

L’autre lui tend ses papiers.

Un – Vous êtes née à Orange…

Deux – Vous n’allez pas me verbaliser pour ça ?

Un – Vous vous appelez Clémentine…

Deux – Oui, je l’avoue.

Un – Et vous êtes grossiste en fruits et légumes.

Deux – C’est une circonstance aggravante, j’en ai bien conscience.

Un – Aggravante ? Donc vous reconnaissez les faits ?

L’autre réfléchit une seconde.

Deux – D’accord, j’avais un peu trop la pêche, je suis passée à l’orange. Laissez-moi au moins repartir avec la banane…

Noir

9 – Violettes

Deux personnages. L’un s’approche de l’autre avec un petit bouquet.

Un – Voilà, en témoignage de mon amour, je t’offre ce modeste bouquet…

Deux – Ah oui… Modeste, tu peux le dire…

Un – Tu connais la chanson : L’amour est un bouquet de violettes.

Deux – Non, d’accord, mais… Tu l’as trouvé où, ce bouquet ?

Un – Et bien… Je l’ai cueilli dans la forêt… C’est la saison des violettes.

Deux – La saison des violettes ? D’accord… Donc en fait, tu ne l’as pas acheté, ce bouquet. Tu l’as ramassé dans la forêt…

Un – Oui, enfin…

Deux – Donc, il ne t’a rien coûté, en fait.

Un – Il m’a coûté deux heures d’embouteillage pour revenir de la forêt de Rambouillet.

Deux – Ouais, bon, on ne va pas jouer sur les mots. Il ne t’a rien coûté.

Un – Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a aucune valeur.

Deux – Ah oui ?

Un – Je pourrais le revendre.

Deux – Le revendre ? Ça se vend, les bouquets de violettes ?

Un – En tout cas, quand c’est la saison, il y a toujours des Roumains qui en vendent près des bouches de métro.

Deux – Et combien tu crois pouvoir en tirer, de ton bouquet de violettes ?

Un – Je ne sais pas… Eux ils les vendent deux euros…

Deux – Tu a l’air vachement au courant des prix, dis donc. Tu ne l’aurais pas acheté à des Roumains, ton bouquet de violettes ?

Un – Qu’est-ce que ça change ? Ça vient toujours de la forêt !

Deux – Deux euros ?

Un – En fait, c’était des bouquets tout petits. J’en ai acheté deux. Pour que la botte soit plus grosse.

Deux – La botte ? Non mais tu aurais dû m’offrir une botte de radis, plutôt. Au moins, j’aurais pu les bouffer !

Un – Certes, mais… L’amour n’est pas une botte de radis… En tout cas ce n’est pas ce que dit la chanson.

Deux – Putain, un bouquet de violettes. Achetés deux euros à des Roms.

Un – En tout, ça fait quatre euros…

Deux – À des Roms !

Un – Je me suis dis qu’en même temps, je ferais une bonne action…

Deux – Tu ne t’es pas dit plutôt que tu économiserais le prix d’un vrai bouquet, acheté chez un vrai fleuriste hors de prix ?

Un – Oui, peut-être un peu, aussi… Je me suis dis qu’avec la différence, je pourrais t’inviter dans un bon resto…

Deux – Un bon resto ? C’est quoi, un bon resto pour toi ? La dernière fois que tu m’as invité au resto, c’était chez Burger King !

Un – Eh, oh ! Ça va bien, maintenant ! Tu sais que je pourrais aussi l’offrir à quelqu’un d’autre, ce bouquet de violettes ! Quelqu’un qui saurait davantage en apprécier le prix…

Deux – Deux euros.

Un – Quatre !

Deux – Le prix d’une grande portion de frites chez Burger King.

Un – Non mais tu ne penses qu’à bouffer, ma parole !

Deux – Ah ouais ? Bon, ben tu sais ce que j’en fais, de ton bouquet de violettes ?

Il arrache le bouquet des mains de l’autre, et se met à manger les violettes en les prenant une par une comme dans un cornet de frites.

Deux – Tu en veux ?

Un – C’est bon ?

Deux – C’est mangeable.

Il lui tend le bouquet et l’autre prend quelques violettes qu’il porte à sa bouche.

Un – Merci.

Deux – De rien.

Ils mastiquent tous les deux. Noir

10 – Noir c’est noir

Deux personnages. Le premier essaie un vêtement noir.

Un – Je ne sais plus comment je dois m’habiller…

Deux – C’est si important que ça ?

Un – C’est curieux. J’ai souvent imaginé ce moment. Quel âge j’aurais à cette époque-là. Quels sentiments ça provoquerait en moi. Quelles phrases définitives je prononcerais pour célébrer ça.

Deux – Je te soupçonne d’en avoir préparé quelques-unes pour ne pas être pris au dépourvu.

Un – Et voilà. Maintenant qu’on y est, c’est le matériel qui prend le dessus sur les questions existentielles… Qu’est-ce que je vais mettre ?

Deux – Est-ce qu’il va pleuvoir ?

Un – Est-ce qu’ils seront tous venus ?

Deux – Qu’est-ce que je vais bien pouvoir leur dire ?

Un – Je pensais que d’en être débarrassé, je serais immédiatement quelqu’un d’autre. Comme par magie. Et puis non. La vie continue…

Deux – Les morts, c’est comme les étoiles. Ils continuent aussi à briller par leur absence.

Un – Alors toi aussi tu as préparé quelques phrases inoubliables.

Deux – Si tu crois qu’Armstrong a improvisé en posant le pied sur la Lune. Lui aussi, il avait préparé son texte.

Un – Ça s’entendait un peu, d’ailleurs.

Deux – Il était meilleur astronaute que comédien… (Se pinçant le nez pour imiter la voix retransmise à l’époque) One small step for man…

Un – Je pensais que sa mort, ça nous permettrait de nous libérer d’une certaine forme de pesanteur.

Deux – On n’en est pas encore à flotter dans l’espace, mais je me sens quand même un peu plus léger.

Un – On devrait faire la fête, la veille des enterrements. On enterre bien sa vie de garçon. Pourquoi est-ce qu’on n’enterrerait pas sa vie d’enfant ?

Deux – Tu crois qu’on cesse d’être un enfant le jour où on perd ses parents ?

Un – Il n’y a que les enfants pour croire qu’un jour ils cesseront d’être un enfant. Tu vas y aller comme ça ?

Deux – Pourquoi pas ? Je suis comme d’habitude.

Un – Justement, l’idée c’est de ne pas s’habiller comme d’habitude. Les vêtements de deuil, c’est comme les habits du dimanche ou les costumes de scène. Il faut être un peu mal à l’aise dedans. Ça aide à tenir son rôle…

Deux – Je porte des chaussures un peu trop petites pour moi… Après avoir marché de l’église jusqu’au cimetière, elles me feront horriblement mal aux pieds. Méfie-toi, je pourrais même avoir l’air encore plus triste que toi.

Un – Et si on n’y allait pas, tout simplement ?

Deux – Sérieux ?

Un – On va voir un bon film à la place… Une comédie, de préférence…

Deux – Le dernier cinéma qu’il y avait dans le coin, il a fermé il y a plus de dix ans. Tu te souviens ? Le Tahiti…

Un – On va se taper une bonne bière au Café de la Gare. Ne me dis pas qu’il a fermé lui aussi ?

Deux – On ne le fera pas.

Un – Non. Pourquoi ?

Deux – Malgré tout, on aura trop peur de rater quelque chose de fondamental.

Un – Ou de commettre un sacrilège impardonnable, que le Bon Dieu, s’il existe, nous ferait payer cher tôt ou tard.

Deux – Le cimetière buissonnier… C’est comme de passer sous échelle. On ne croit pas vraiment que ça porte malheur, mais en même temps, qu’est-ce que ça coûte de faire un petit détour ?

Un – Ils seront tous là, tu verras.

Deux – Tous ?

Un – Tous ceux qu’on ne voit qu’aux funérailles.

Deux – On se demande ce qu’ils font entre deux décès.

Un – À chaque enterrement, ils ont pris dix ans de plus.

Deux – On se dit que la prochaine fois, c’est peut-être nous qu’ils enterreront.

Un (sortant un autre vêtement) – Et si je mettais ça ?

Deux – C’est noir aussi…

Un – Il me semblait que c’était un peu moins noir…

Deux – Noir, c’est noir. Bon… On y va ?

Un – Allons-y..

Ils sortent.

Noir

11 – Matière grise

Le premier s’approche du second, avec un balai dans une main et une radiographie dans l’autre.

Un – Professeur, préparez-vous pour le Prix Nobel de physique. Notre laboratoire vient enfin d’identifier la fameuse matière noire, dont serait composée une bonne partie de notre univers.

Deux – Sans blague…

Un – Cette matière noire serait en réalité de la matière grise.

Deux – De la matière grise ?

Un – Le cerveau de Dieu, en quelque sorte. Dont nous ne serions nous-mêmes que quelques neurones. Depuis des milliers d’années, l’homme essaie de penser l’univers. Nous découvrons aujourd’hui que c’est l’univers qui nous pense.

Deux – Parfois, je me demande s’il ne nous a pas un peu oublié… Et cette matière grise, vous avez réussi à la visualiser ? Parce que vous savez, moi, je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

Un – Mais parfaitement, professeur. Tenez, regardez.

Il lui tend une radio ressemblant à celle d’un cerveau.

Deux – En effet, c’est stupéfiant. On distingue nettement les deux hémisphères…

Un – C’est le plus étonnant dans cette découverte, professeur. La photographie que vient de nous fournir notre appareil d’imagerie synthétique est sur ce point d’une aveuglante clarté : l’univers a la forme d’un crâne.

Deux – Oui… C’est tout à fait curieux… Un crâne, en effet. Je crois même reconnaître le mien…

Un – Ça veut dire que… Professeur, je vous ai toujours considéré comme un Dieu… Depuis que vous m’avez invité à venir travailler ici dans votre laboratoire…

Deux – Hélas, cher ami, je crains que votre Prix Nobel ne soit remis à l’année prochaine. Ceci est la radio de mon cerveau. J’ai rendez-vous dans deux heures à l’hôpital, et je la cherche partout depuis ce matin.

Un – Professeur, n’oublions pas que les grandes découvertes sont parfois le fruit de ce genre d’accidents domestiques.

Deux – Je vous rejoins sur ce point : pensez à Newton et à sa fameuse pomme.

Un – Cette légère déconvenue ne doit pas donc pas nous détourner d’une théorie qui j’en suis sûr va révolutionner l’histoire de l’astrophysique : non seulement l’univers nous comprend, mais nous comprenons l’univers. Il nous contient, mais nous le contenons aussi. J’y retourne…

Deux – Pensez quand même à vous reposer un peu, cher ami. Après tout, ce n’est qu’un stage au service entretien.

Un (s’apprêtant à sortir) – Bien sûr, professeur. Mais vous savez, quand on est motivé…

Deux – Et merci de me laisser mes radios, je vais sans doute en avoir encore besoin…

Un – J’y retourne.

Il sort. L’autre regarde à nouveau la radio.

Deux – Après tout, ce n’est pas si con que ça…

Noir

12 – La chambre mauve

L’Inspecteur Ramirez (tenue négligée façon Columbo) arrive à la réception d’un palace. Il s’approche du réceptionniste qui le regarde arriver avec un air hautain.

Réceptionniste – Si vous cherchez un endroit pour passer la nuit, mon brave, je vous conseillerais plutôt…

Inspecteur – Inspecteur Ramirez… Vous m’avez appelé au sujet d’un vol de bijoux.

Réceptionniste – Ah, oui… Pardon, Inspecteur… En effet, c’est Monsieur le Directeur qui vous a téléphoné. La chambre d’une de nos clientes a été visitée cet après-midi, et on lui a dérobé un collier estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Inspecteur (dans ses pensées) – Je vois…

Réceptionniste – Et… que voyez-vous, exactement ?

Inspecteur – À l’évidence, le voleur fait partie du personnel de l’hôtel… ou de sa clientèle.

Réceptionniste – Qu’est-ce qui vous permet de dire cela, Inspecteur Sanchez ?

Inspecteur – Ramirez.

Réceptionniste – Pardon ?

Inspecteur – Inspecteur Ramirez, c’est mon nom.

Réceptionniste – Et… qu’est-ce qui vous fait penser que le coupable pourrait être quelqu’un de l’hôtel ?

Inspecteur – Il y a un vigile à la porte. Même en lui montrant ma carte de police, j’ai eu du mal à le convaincre de me laisser entrer…

Réceptionniste (ironique) – C’est vrai. Vous êtes ici dans une zone de non droit, Inspecteur, et nous avons nos guetteurs, nous aussi. De nos jours, même pour la police, il est aussi difficile d’entrer dans le hall d’un palace, que dans celui d’un HLM de banlieue.

Inspecteur – Il est donc peu probable qu’un inconnu ait pu s’introduire dans cet hôtel sans être immédiatement repéré. La serrure de cette chambre a-t-elle été forcée ?

Réceptionniste – Non, je ne crois pas…

Inspecteur – Dans ce cas, cela fait de vous le principal témoin dans cette affaire, mon brave. Pour ne pas dire le suspect numéro un.

Réceptionniste – Mais enfin, Inspecteur…

Inspecteur – Vous êtes le concierge de cet hôtel. Vous avez les clefs de toutes les chambres. Vous auriez parfaitement pu pénétrer dans l’une d’elles pour vous servir.

Réceptionniste – Moi…? Me servir…?

Inspecteur – Et puis… vous étiez bien placé pour connaître les allées et venues des clients. Vous auriez pu agir sans avoir peur d’être dérangé…

Réceptionniste – Je vous assure, Inspecteur, que jamais…

Inspecteur – Vous avez les clefs de toutes les chambres, oui ou non ?

Réceptionniste – Évidemment ! Cela fait partie de mes attributions ! Lorsqu’un client quitte momentanément l’hôtel, il laisse sa clef à la réception. Je l’accroche immédiatement au tableau jusqu’à son retour, et c’est tout…

L’inspecteur observe avec curiosité le tableau arc-en-ciel situé derrière le réceptionniste.

Inspecteur – Pourquoi un arc-en-ciel ? C’est un hôtel gay friendly ?

Réceptionniste – Chaque chambre de cet hôtel porte le nom d’une couleur. Il y a la chambre bleue, la chambre jaune, la chambre rose, la chambre verte, la chambre…

Inspecteur – Oui, bon, ça va, je crois que j’ai compris le principe…

Réceptionniste – La clef de chaque chambre est identifiée par un porte-clefs de la couleur correspondante. Et chaque porte-clefs trouve naturellement sa place sur ce tableau multicolore. C’est dans la chambre mauve que le vol a eu lieu. Mais je vous jure, Inspecteur, que..

L’Inspecteur hoche la tête d’un air dubitatif.

Inspecteur – Dans ce cas… vous paraît-il possible que quelqu’un d’autre que vous, un client de l’hôtel par exemple, ait pu… emprunter cette clef à votre insu, et la remettre à sa place après avoir commis son forfait ?

Réceptionniste (embarrassé) – Pour la tranquillité de nos hôtes, j’aimerais vous répondre que non, Inspecteur. Mais l’honnêteté m’oblige à vous avouer que ce n’est pas totalement à exclure.

Inspecteur – Voyez-vous ça…

Réceptionniste – Il peut m’arriver de m’absenter quelques instants de la réception pour régler un problème quelconque…

Inspecteur – Et cet après-midi, vous avez eu beaucoup de problèmes à régler ?

Réceptionniste – Vers seize heures, j’ai quitté mon poste une minute ou deux pour fumer une cigarette dehors. Puis une autre fois vers dix-sept heures pour aller aux toilettes…

Inspecteur – Deux abandons de poste dans la même journée, donc… (Air mortifié du réceptionniste) Et vous avez remarqué quelque chose de particulier ?

Réceptionniste – Je n’ai rien vu la première fois. Mais la deuxième, lorsque je suis revenu, j’ai remarqué que la clef de la chambre mauve était accrochée à la place de celle de la chambre marron. Je n’y ai pas prêté attention sur le coup, même si je ne commets jamais ce genre d’erreur moi-même.

Inspecteur – Et quelle conclusion avez-vous tirée de cet incident ?

Réceptionniste – Aucune ! J’ai remis la clef à sa place, et c’est tout. Mais c’est vrai qu’après ce qui s’est passé… Oui, il est possible que quelqu’un ait emprunté la clef de la chambre mauve dans le laps de temps où je me suis absenté…

Inspecteur – Je vois… Un membre du personnel, peut-être ?

Réceptionniste – Le vol a eu lieu en milieu d’après-midi, cela met les femmes de ménage hors de cause, puisqu’elles n’ont accès aux chambres que jusqu’à quatorze heures.

Inspecteur – Bien… Reste donc à interroger les clients de l’hôtel. En commençant par la victime. La locataire de la chambre mauve…

Réceptionniste – Ah, vous avez de la chance, Inspecteur… Justement, la voici… C’est la veuve d’un riche armateur suisse.

Inspecteur – Je ne savais pas qu’il y avait des armateurs dans ce pays. En tout cas, à ma connaissance, il n’y a pas la mer en Suisse…

Réceptionniste – Il y a aussi plus de banques que d’habitants dans la confédération helvétique, et pourtant ces gens-là ne fabriquent à peu près rien.

Inspecteur – Il s’agit peut-être de cargos fictifs naviguant sous pavillon de complaisance…

Réceptionniste – Vous lui poserez la question vous-même, Inspecteur…

Inspecteur – Bonjour chère madame… Mes hommages du soir… Je suis ici pour enquêter sur le vol dont vous avez été la victime. Auriez-vous l’amabilité de répondre à quelques questions ?

Veuve – En tant que citoyenne helvétique, la collaboration avec la police est pour moi une seconde nature. Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voudrez tant que cela ne touche pas au secret bancaire. Car pour cela, je serai muette comme un coffre-fort. (Elle sort un chocolat de son sac qu’elle lui tend) Un chocolat, Inspecteur ? Ils sont à la liqueur…

Inspecteur – Jamais pendant le service, merci… Alors… À quelle heure avez-vous quitté votre chambre, cet après-midi ?

Veuve – Voyons… J’ai quitté l’hôtel vers quatorze heures trente pour rendre visite à une amie qui n’a pas trop le moral.

Inspecteur – Son mari l’a quittée, peut-être…

Veuve – Oui, on peut dire ça comme ça. Il vient d’être incarcéré pour abus de biens sociaux. Il comptait sur son immunité de parlementaire pour échapper à la justice, mais malheureusement, il n’a pas été réélu…

Inspecteur – Les électeurs sont tellement versatiles, vous savez… On ne peut plus se fier à personne. Vous en avez fait l’expérience à vos dépens, malheureusement…

Veuve – En tout cas, je suis certaine que mon collier se trouvait encore dans son tiroir quand je suis partie. J’avais hésité à le mettre pour sortir avant d’y renoncer.

Inspecteur – Il est tout de même bien imprudent de votre part de ne pas avoir placé un bijou de cette valeur dans le coffre de l’hôtel.

Veuve – J’en conviens, Inspecteur. Mais que voulez-vous ? (Avec un regard accusateur vers le réceptionniste) Je pensais que dans un établissement de cette catégorie… D’autres questions ?

Inspecteur – Non… Enfin si… Pouvez-vous me confirmer qu’il n’y a pas la mer en Suisse ?

Veuve – Monsieur l’Inspecteur, nous avons mieux que la mer… Nous avons le Lac de Genève !

Inspecteur – Merci, ce sera tout pour le moment. (La veuve s’en va) Visiblement, la disparition de son collier ne la bouleverse pas plus que ça…

Réceptionniste – L’étendue de sa fortune lui permet de relativiser cette perte. Et son assureur la remboursera sans doute, en dépit de sa négligence. Quand je pense que moi, pour un simple dégât des eaux, j’ai dû me battre avec ma compagnie d’assurance pour… Mais excusez, je m’égare.

Inspecteur – Bon, je vais donc devoir interroger tous les autres pensionnaires de cet hôtel…

Réceptionniste – Pour ne pas nuire à la réputation de notre établissement, je vous serais reconnaissant d’éviter à nos clients l’humiliation d’une convocation au commissariat. À moins, bien sûr, de soupçons très fondés concernant l’un d’entre eux.

Un homme passe devant la réception. L’inspecteur jette un regard vers ses chaussettes, de couleurs différentes.

Inspecteur – Rassurez-vous, ce ne sera peut-être pas nécessaire. (Interpellant l’homme) Monsieur ?

Client – Oui…?

Inspecteur – Inspecteur Martinez…

Réceptionniste – Je croyais que c’était Ramirez…

Inspecteur – Vous permettez que je vous pose quelques questions ?

L’homme s’approche, prudemment.

Inspecteur – Je peux voir vos mains ?

Réceptionniste – Ne me dites pas que vous êtes aussi cartomancienne…

Le client, surpris, tend ses mains. L’inspecteur lui passe immédiatement les menottes.

Client – Mais enfin, Inspecteur !

Réceptionniste – Heureusement que je vous avais demandé d’être diplomate…

L’Inspecteur fouille dans la poche de l’homme et en sort un collier, sous le regard stupéfait du réceptionniste.

Client – Comment avez-vous deviné que c’était moi ?

Inspecteur – Sur le tableau de la réception, le voleur avait remis la clef de la chambre mauve à la place de celle de la chambre marron. (Au réceptionniste) Pourquoi, à votre avis ?

Réceptionniste – Parce qu’il était pressé, peut-être…

Inspecteur – Peut-être aussi parce qu’il était daltonien !

Client – Mais alors, comment avez-vous su que j’étais daltonien ?

Inspecteur – Dès que vous êtes passé devant moi, cher ami… Et que j’ai aperçu vos chaussettes.

Client – Mes chaussettes ?

Inspecteur – Elles ne sont pas de la même couleur !

Réceptionniste – Alors là, bravo Inspecteur. Quand je vous ai vu arriver tout à l’heure, je me suis dit que vous étiez un peu demeuré… Je dois reconnaître que j’étais loin de la vérité.

Noir

13 – Bien doré

Charles, assis dans un fauteuil, lit L’Humanité, une pipe éteinte à la bouche. Il porte un pull marin et une casquette. Rosalie, ébouriffée et les vêtements en désordre, arrive depuis l’extérieur, un sac à la main.

Rosalie – C’était moins une… J’ai eu la dernière.

Charles – La dernière ?

Rosalie – La galette des rois, à la boulangerie ! Il n’en restait plus qu’une…

Charles – Ah oui… La galette… Mais dis-donc, elle a l’air énorme.

Rosalie – Je n’avais pas le choix. C’est une galette pour douze.

Charles – Pour douze ? On n’est que trois… Et encore, si Fred ne nous fait pas faux bond, comme l’année dernière…

Rosalie – C’était la dernière, je te dis ! J’ai dû me battre pour l’avoir !

Charles – Oui, bon, ne t’énerve pas…

Rosalie – Je ne m’énerve pas, je t’explique.

Charles – On pourra toujours en congeler la moitié pour l’année prochaine…

Rosalie – Quoi ?

Charles – Si personne n’a la fève cette année… Comme pour le loto. S’il n’y a pas de gagnant, on remet la somme en jeu pour le prochain tirage.

Rosalie – Non mais ça ne va pas, non ?

Charles – Bon, alors on se tapera six parts de galette chacun.

Rosalie – Il a téléphoné pour dire qu’il ne venait pas ?

Charles – Non.

Rosalie – Eh ben tu vois.

Charles – Il faudrait que je finisse de corriger mes copies avant qu’il arrive, alors…

Rosalie – Tu vas travailler ? On est samedi…

Charles – Tu me forces déjà à célébrer l’Épiphanie, tu ne vas pas en plus m’obliger à respecter le shabbat ! Je suis un hussard de la République, moi ! Un croisé de la laïcité…

Rosalie – N’importe quoi…

Charles – Tu avoueras que pour une instit’ communiste, ce n’est pas très orthodoxe, cette histoire de galette.

Rosalie – Ah oui ? Et pourquoi ça ?

Charles – L’Épiphanie, les Rois Mages… C’est une tradition catholique !

Rosalie – Mais pas du tout ! C’est juste une tradition païenne que les catholiques ont essayé de récupérer. Comme beaucoup d’autres, d’ailleurs.

Charles – Une tradition païenne…?

Rosalie – Évidemment ! Avant d’être une célébration de la Nativité, c’était une célébration de la fécondité, tout simplement.

Charles – Je vois… D’où l’expression « mettre le petit Jésus dans la crèche », j’imagine…

Rosalie – Là tu confonds Noël et l’Épiphanie.

Charles – On fourre aussi les galettes.

Rosalie – Celle-là est à la pâte d’amande…

Charles – Il n’empêche que si on appelle ça le Jour des Rois… On ne m’enlèvera pas de l’idée que ce n’est pas très républicain.

Rosalie – Bon… En attendant, il va ranger son journal, le Capitaine Haddock.

Charles – J’essayais plutôt de ressembler à Staline, mais bon…

Rosalie – Ça fait cinq ans que tu as arrêté de fumer, tu pourrais peut-être arrêter la pipe, maintenant. Même éteinte…

Charles – C’est mon vapoteur à moi. Au moins, je n’émets aucun gaz à effet de serre.

Rosalie – Ça c’est toi qui le dis.

Il plie son journal et se lève.

Charles – Je te dis qu’il ne va pas venir.

Rosalie – Pourquoi il ne viendrait pas ?

Charles – Tirer les rois avec ses vieux parents, un samedi. Tu ne crois pas qu’il a mieux à tirer, à son âge ?

Rosalie – Tu exagères. C’est notre petit garçon, tout de même.

Charles – Notre petit garçon… Il a grandi, tu sais…

Rosalie – Pour moi, ce sera toujours un bébé…

Charles – Je crois quand même qu’il serait temps de retirer les peluches qu’il y a sur son lit.

Rosalie – Tu crois ? (Un temps) Parfois, je me demande si on aurait dû l’avoir aussi tard…

Charles – Tu trouves qu’il n’a pas l’air normal ?

Rosalie – Il est comédien… Et toujours pas marié… Je ne sais pas… Tu crois qu’il pourrait être un peu…

Charles – Un peu quoi ?

On sonne à la porte.

Rosalie – Ah… Tu vois bien qu’il est venu !

Fred arrive. Il porte un costume ridicule et un masque (genre super-héros de série Z). Il embrasse sa mère.

Rosalie – On commençait à s’inquiéter.

Il embrasse son père.

Fred – Pourquoi ça ?

Charles – Ta mère a acheté une galette pour douze.

Rosalie – Je vais la mettre au four, ce sera meilleur.

Fred – Ça ne sera pas trop long ? Je n’ai pas beaucoup de temps…

Rosalie – Tu es toujours pressé… Mais non, ça ne prendra qu’une minute.

Fred – Avec un micro-onde, peut-être, mais avec ton vieux four à gaz…

Rosalie sort avec la galette.

Charles – Alors comme ça, tu travailles dans le coin ?

Fred – J’ai un tournage à trois blocs d’ici. Je suis venu entre deux prises.

Charles – Et qu’est-ce que c’est ? Un film d’auteur ?

Fred – Un épisode de Plus Bête la Vie.

CharlesPlus Bête la Vie ? Tiens, je ne connaissais pas.

Fred – Une série. C’est le pilote.

Charles – Et tu joues un rôle important ?

Fred – Je fais la doublure du comédien principal. Pour les cascades…

Charles – Ce n’est pas un film de boules, au moins ?

Fred – Papa… Je suis cascadeur !

Charles – Il y a aussi des cascades au lit…

Rosalie revient.

Rosalie – Ce sera prêt dans cinq minutes. De quoi vous parlez ?

Charles – De cinéma…

Le portable de Fred sonne et il répond.

Fred – Oui ? Bon… Non, non… Ok, j’arrive tout de suite… (Il range son portable) Désolé, je dois partir…

Rosalie – Mais pourquoi ?

Fred – Le comédien dont je fais la doublure… Il est agoraphobe… Du coup ils ont besoin de moi pour la scène dans le métro…

Rosalie – Mais… la galette est chaude !

Fred – Désolé… Ce sera pour l’année prochaine… The show must go on…

Il sort précipitamment.

Rosalie – Comédien…

Charles – Il n’est pas comédien, il est cascadeur.

Rosalie – Cascadeur… C’est encore pire que comédien, non ?

Charles – Belmondo, il faisait ses cascades lui-même.

Rosalie – Et quand il prenait le métro, c’était debout sur le toit.

Charles – Bon… On n’a plus qu’à se taper la galette.

Rosalie – Une galette pour douze…

Charles – Et nous, on n’a pas de doublures.

Rosalie – On va commencer avec une part chacun. Et le premier qui a la fève, on arrête, d’accord ?

Charles – Si on n’est pas mort avant d’une indigestion.

Rosalie – Avec un peu de chance, on va tomber sur la fève tout de suite… Laissons faire le hasard.

Charles – J’ai l’impression qu’on va jouer à la roulette russe…

Rosalie – Je vais chercher les munitions.

Elle sort.

Charles – Elle a raison à propos de Fred… Je me demande s’il ne serait pas un peu… con.

Elle arrive avec la galette.

Rosalie – Un peu quoi ?

Charles – Non, je disais… Oui, elle a l’air bien fourrée.

Rosalie – On ouvre une bouteille de cidre, pour faire passer tout ça ?

Charles – Allez, soyons fous !

Noir

14 – Tout est clair

Maria fait face à l’Inspecteur Ramirez.

Maria – Ça m’apprendra à être honnête ! J’aurais mieux fait de le mettre à la poubelle, ce portefeuille.

Ramirez – Donc, vous maintenez l’avoir trouvé par terre, derrière une banquette, sur votre lieu de travail ?

Maria – Évidemment, puisque c’est la vérité !

Ramirez – Pourtant, quand mes collègues vous ont interpellée sur la voie publique pour un contrôle de routine, c’est bien dans votre sac qu’ils ont trouvé ce portefeuille. Plus de trois jours après que son propriétaire ait signalé sa disparition…

Maria – J’ai préféré le garder quelque temps, au cas où quelqu’un viendrait le réclamer à la boîte. Mais j’allais justement le porter au commissariat !

Ramirez – Bien sûr…

Maria – Ce que c’est que les préjugés… Vos collègues non plus, ils n’ont rien voulu savoir. Il paraît que je suis défavorablement connue des services de police…

Ramirez – Reconnaissez que ça, ce n’est faux…

Maria – Défavorablement, peut-être… Mais pas comme pickpocket !

Ramirez – En ouvrant ce portefeuille, vous auriez facilement pu identifier son propriétaire et lui téléphoner. Il y avait une carte de visite à l’intérieur.

Maria – Eh, je ne suis pas de la police, moi ! C’est personnel, un portefeuille. C’est comme un sac à main. Et puis je vous fais remarquer que je n’ai pas non plus touché à l’argent liquide. Il ne manque pas un euro. Vous n’avez qu’à lui demander, à ce type, s’il manque de l’argent dans son portefeuille !

Ramirez – On lui demandera ensemble, à ce brave homme. Parce que nous, on l’a appelé, figurez-vous. Il sera là d’une minute à l’autre.

Maria pousse un soupir de soulagement.

Maria – Eh ben voilà ! Il sera tellement content d’avoir retrouvé ses papiers. Vous verrez qu’il me remerciera. Allez savoir, peut-être même qu’il me donnera une petite récompense…

Ramirez – Ne vous réjouissez pas trop vite quand même… Il a porté plainte…

Maria – Porté plainte ? Mais pourquoi ?

Ramirez – Pour un vol à l’arraché.

Maria – Il dit que c’est moi qui lui ai arraché son larfeuille ?

Ramirez – Vous ou une autre, on verra bien. Ça sert à ça une confrontation…

Maria – Dans ce cas, pas de souci. Il ne peut pas me reconnaître, puisque je ne l’ai pas volé, son portefeuille !

Ramirez – Si vous le dites…

Maria – Vous verrez… Il dira que ce n’est pas moi, et il me fera des excuses. Vous aussi, j’espère…

L’inspecteur lui lance un regard qui en dit long. Son téléphone sonne, il répond.

Ramirez – Oui Sanchez… Ok, envoyez-les moi… (Se tournant vers Maria) L’heure de vérité…

Entre un homme d’un certain âge, très digne, accompagné de sa femme, plus revêche. Ramirez se lève pour les accueillir.

Ramirez – Entrez, je vous en prie.

Homme (embarrassé) – Merci, Inspecteur…

Femme (apercevant Maria) – Alors c’est elle…

Maria – Oui, c’est moi qui ai retrouvé le portefeuille de votre mari. Bonjour Monsieur…

Homme (timidement) – Madame…

Maria (à Ramirez) – Ça se voit tout de suite que ce n’est pas le genre d’homme à envoyer une innocente en prison.

Ramirez – Alors Monsieur Delamare… Vous reconnaissez cette femme ?

L’homme hésite, de plus en plus embarrassé.

Homme – C’est-à-dire que…

Maria – Moi, en tout cas, j’ai l’impression de vous avoir déjà avoir vu quelque part. À mon travail, peut-être. Mais je vois défiler tellement de monde…

Femme – Eh ben, vas-y, dis-le que c’est elle !

Le brave homme semble très mal à l’aise.

Ramirez – Monsieur, je vous écoute… C’est cette femme qui vous a volé votre portefeuille, oui ou non ?

Homme – Je… Je ne me souviens plus très bien… Il faisait noir…

Ramirez – Noir ? Vous avez déclaré que le vol avait eu lieu en plein après-midi ! À ma connaissance, on n’a signalé aucune éclipse dans la région ces jours-ci…

Homme – Non, non, bien sûr… J’ai dit noir… C’est plutôt moi qui… J’ai un blanc. Je veux dire que tout cela s’est passé si vite. Quoi qu’il en soit, cette personne n’est pas mon agresseur, Inspecteur…

L’inspecteur ne semble pas convaincu par cette affirmation.

Ramirez – Vous êtes sûr ?

Homme – Absolument.

Maria – Ah ! Vous voyez bien !

Ramirez – Je vous rappelle, Monsieur Delamare, que vous avez porté plainte contre X.

Maria – Contre X ?

Ramirez – Si cette déposition a pour seul but de permettre à cette femme d’éviter des ennuis avec la justice, il s’agirait d’un faux témoignage.

L’homme jette un regard inquiet vers son épouse, et se décide à parler.

Homme – Écoutez, c’est avant, que j’ai menti. (Sa femme le fusille du regard, mais il poursuit malgré tout) On ne m’a pas volé ce portefeuille. En fait… Je l’ai perdu…

L’inspecteur prend le temps de digérer cette information, avant de répondre d’un ton sévère.

Ramirez – Dans ce cas, cela s’appelle une dénonciation frauduleuse. C’est très grave, vous savez ? Vous pourriez être poursuivi… Pourquoi ce mensonge ?

Le respectable vieillard est un peu perdu.

Homme – Quand j’ai raconté à mon épouse que j’avais perdu mon portefeuille, elle m’a conseillé de le déclarer volé. C’était plus simple, pour le remboursement par l’assurance, vous comprenez ?

Femme (embarrassée) – Je pensais que la personne qui trouverait le portefeuille le garderait pour elle…

Ramirez – C’est en effet ce qui arrive le plus souvent…

Femme (à nouveau agressive) – Et puis je croyais que la police avait mieux à faire que de s’occuper d’un petit vol comme ça… Avec tout ce qu’on voit en ce moment…

Ramirez – Malheureusement pour vous, il reste quand même des gens honnêtes. Et la police fait parfois bien son travail… (L’homme, penaud, regarde ses chaussures) Bon… Je vous épargnerai les poursuites judiciaires pour cette fois…

Femme – Merci Monsieur l’Inspecteur…

Homme – Toutes nos excuses, Inspecteur, vraiment…

Maria – Ça alors.. Et moi ? Personne ne me présente ses excuses ?

L’inspecteur se penche sur la déclaration de vol.

Ramirez – Mais il y a une dernière chose qui m’intrigue, Monsieur Delamare… Vous avez déclaré que ce vol imaginaire avait eu lieu dans la rue, à Vincennes.

Homme – C’est là où nous habitons, ma femme et moi…

Ramirez – Pourtant, cette dame a retrouvé votre portefeuille, absolument intact, sous une banquette de l’établissement où elle travaille, dans le neuvième arrondissement de Paris. Il n’est pas arrivé là par hasard, tout de même…

Homme – Je… Je ne sais pas, Inspecteur.

Ramirez – Aviez-vous des raisons de mentir aussi sur l’endroit où vous avez perdu ce portefeuille ?

L’épouse revêche jette un regard étonné vers son mari, attendant elle aussi une explication.

Maria – Ah mais oui, ça y est… Je me souviens où je l’ai vu, ce vieux vicieux. Au boulot !

La femme se tourne vers Maria.

Femme – Au boulot ? Auriez-vous l’obligeance de me dire, chère Madame, dans quel genre d’établissement vous exercez vos talents ?

Maria – Ben, je suis strip-teaseuse ! Dans un cabaret à Pigalle !

La femme jette un regard assassin à son mari.

Ramirez – Je crois que maintenant, tout est clair…

Noir

15 – En noir et blanc

Deux personnages regardent le ciel (en fond de salle). Le deuxième devra être ou paraître plus âgé que le premier.

Un – Je n’ai jamais rien vu de pareil, qu’est-ce que c’est ?

Deux – On appelle ça un arc-en-ciel…

Un – Un arc-en-ciel ?

Deux – C’est un phénomène assez rare, qui se produit parfois quand le soleil revient très rapidement après la pluie. De plus en plus rare aujourd’hui. On ne voit presque plus jamais le soleil…

Un – C’est magnifique. Toutes ces nuances de blanc, de gris, de noir.

Deux – Oui… Autrefois, c’était encore beaucoup plus beau.

Un – Plus beau ?

Deux – C’était en couleurs.

Un – En couleurs ? Tu veux dire, comme au cinéma, quand on loue des lunettes pour voir le film en couleurs et en 3D.

Deux – Voilà. Du temps de mon arrière-grand-mère, c’était le cinéma qui était en noir et blanc et en 2D. La vie avait du relief et elle était en couleurs. Maintenant, c’est l’inverse.

Un – Non ? J’ai du mal à imaginer ça… Alors à cette époque, le monde entier était colorisé ? Mais qu’est-ce qui s’est passé ?

Deux – Ça s’est fait petit à petit. Personne n’a rien vu venir. Ils ont commencé par nous faire payer l’eau qu’on boit. Puis ils nous ont fait payer l’air qu’on respire. Maintenant il faut aussi se payer le cinéma pour voir la vie en couleurs.

Un – Un arc-en-ciel en couleurs ? Dans la vraie réalité ?

Deux – Ça paraît incroyable.

Un – Et il y a encore des gens qui la voient en couleurs, la vie ?

Deux – Certains privilégiés, oui. Mais ce n’est pas donné à tout le monde, et c’est hors de prix…

Un – Alors il faudrait pouvoir revenir en arrière.

Deux – Oui… Il faudrait pouvoir rembobiner. Pour savoir où on a commencé à se faire embobiner… Savoir où et quand tout ça a commencé à merder…

Noir

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables

sur son site :

www.comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 978-2-37705-069-7

Ouvrage téléchargeable gratuitement

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Flagrant Délire

In flagrante delirium (english)Flagrante delirio (español) – Flagrante delirio (portugués)  – Flagrante Delirio (iraliano)  – Die Wahn-Wache

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

6 personnages 

6H, 1H/5F, 2H/4F, 3H/3F, 4H/2F, 5H/1F, 6F

Le Commissaire Navarrin prend sa retraite ce soir. Mais la dernière journée de ce flic à la réputation aussi légendaire que douteuse s’annonce plus mouvementée que prévu, quand on lui confie une ultime affaire des plus embrouillées. Un cadavre dans un sauna et une histoire de plagiat, le tout semblant déboucher sur un scandale d’État… À moins que tout cela ne soit finalement que du théâtre ! Plus l’enquête avance, en effet, plus cette quête de vérité tend à démontrer que tout est faux dans cette histoire abracadabrantesque. Mentir vrai, on le sait, est le propre de l’art dramatique… comme celui de la politique. Cette parodie hilarante des séries télévisées policières tourne en dérision tous les travers de notre société, souvent basée sur l’hypocrisie, l’imposture et parfois même l’escroquerie…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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INTERVIEW en français et en anglais du dramaturge Jean-Pierre Martinez à propos de la création de sa pièce FLAGRANT DÉLIRE à Melbourne (Australie) par le Melbourne French Theatre Inc

Interview of Jean-Pierre Martinez about the creation of its play FLAGRANT DÉLIRE in Melbourne (Australia) by the Melbourne French Theatre Inc

DU LIEN ÉTROIT ENTRE TRAGÉDIE ET COMÉDIE

Les pièces de Jean-Pierre Martinez convoquent souvent la dimension tragi-comique de situations quotidiennes telles que le chômage, les dîners entre amis ou en famille, les urgences hospitalières ou les enterrements. Nous avons interrogé l’auteur à ce propos à l’occasion de la création de sa comédie Flagrant Délire à Melbourne.

Le titre de la pièce lui-même, Flagrant Délire, intrigue. Il annonce une comédie pleine de rebondissements. En tant que dramaturge, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un tel texte ?

J’attache toujours beaucoup d’importance au choix du titre. Ici, il s’agit d’un jeu de mot autour de l’expression “Flagrant délit”, terme judiciaire signifiant “pris sur le fait” (in flagrante delicto), “délit” étant remplacé par “délire” pour induire une dimension absurde à la Ionesco. Quant à cette pièce, c’est d’abord une parodie des séries télévisées policières (plus particulièrement françaises). J’ai travaillé comme scénariste pour la télévision pendant une dizaine d’années. Je connais donc bien cet univers. Cette comédie est un pastiche de la série “Navarro”, très connue en France (c’est pourquoi le personnage principal s’appelle Navarin). Il faut bien le reconnaître, les séries télévisées françaises sont le plus souvent très mauvaises, et c’est de pire en pire. Mais la série Navarro, à l’époque (il y a une trentaine d’années), était une assez bonne série, car les personnages étaient bien caractérisés et les comédiens très attachants, tandis que les histoires étaient très ancrées dans le contexte spécifiquement français de cette époque-là. Ce qui hélas n’est plus le cas de la plupart des séries françaises aujourd’hui.

Dans cette pièce, on passe en permanence de la tragédie la plus noire à la comédie la plus échevelée…

Pour moi, tragédie et comédie sont indissociablement liées. Les histoires sont les mêmes. C’est le point de vue qui change. Une histoire d’adultère, par exemple, mais aussi de crime, peut être traitée comme un drame ou comme une comédie. L’humour est un certain regard sur la vie, y compris et surtout dans ce qu’elle a de tragique. L’humour est une façon de se protéger en dédramatisant la tragédie, faute de pouvoir l’éviter. Pour moi, il n’y a pas de bonne comédie qui ne repose au départ sur une situation dramatique. C’est en tout cas le parti pris de presque toutes mes pièces.

Dans chacune des répliques de ce texte, ce qui est dit n’est pas à prendre “au pied de la lettre”. Le propre de l’humour est-il de jouer sur les ambiguïtés du langage ?

Le comique repose entre autres sur l’ironie, qui consiste à dire une chose pour exprimer son contraire. Le comique s’appuie aussi beaucoup sur le non-dit, les sous-entendus, et donc les silences existants entre les répliques. Dans l’écriture comique, le sous-texte est aussi important que le texte.
Par ailleurs, ce qui est essentiel au théâtre, il me semble, c’est le personnage. Texte et sous-texte doivent donc concourir à caractériser les personnages pour les rendre empathiques.

Les personnages de cette comédie se caractérisent d’abord par leurs outrances et leur indignité. Pourquoi ?

S’agissant d’une parodie, il était bien sûr indispensable que les personnages soient caractérisés par leur incompétence et leur immoralité. Ce qui est une autre façon de les rendre sympathiques, car si le public aime la tragédie pour ses héros, il adore aussi la comédie pour ses anti-héros.

D’un ton apparemment léger, cette comédie aborde cependant discrètement des thèmes plus sérieux (la corruption, notamment). Est-ce un trait caractéristique de toutes vos pièces ?

On en revient encore et toujours à l’essence même de ce qui est pour moi la comédie l’humour (surtout ce qu’on appelle l’humour noir) consiste à rire des situations tragiques pour ne pas avoir à en pleurer. Le monde ne changera jamais vraiment, car l’Homme conservera toujours ses travers, dont se moquaient déjà Molière (même si c’est à Shakespeare que je rends discrètement hommage à la fin de cette pièce). On dit que l’humour est la politesse du désespoir. En effet, par le biais de la comédie, et au prétexte de divertir, j’exprime dans mes pièces le désespoir que m’inspire le monde et l’Homme dans leur incapacité à s’améliorer.

La pièce sera présentée pour la première fois en Australie, en français avec des sous-titre en anglais. Je crois d’ailleurs savoir que vous avez directement échangé avec notre producteur Michel Bula à ce sujet. Que vous inspire cette première ?

Je dis souvent que pour moi, écrire une pièce et mettre librement le texte à disposition sur mon site internet, c’est comme pour un naufragé lancer une bouteille à la mer en espérant que quelqu’un la trouvera et répondra à cet appel au secours. Ces bouteilles que je lance régulièrement à la mer, tous les jours, dans le monde entier, des gens très différents les trouvent, lisent le texte qui est à l’intérieur, et m’écrivent. Des gens avec qui parfois j’entre en conversation directe, comme ce fut le cas pour Michel. Nous ne nous connaissions évidemment pas. Nous nous sommes rencontrés à travers ce texte. Et nous avons échangé en vidéo pendant plus d’une heure. Je ne savais rien de lui, mais il en savait déjà beaucoup sur moi à travers mes textes. C’est aussi (et peut-être surtout) pour susciter ce genre de rencontres inattendues que j’écris. Alors vous imaginez bien que de porter la langue et la culture française jusqu’à ce qui pour nous est l’autre bout du monde, c’est à la fois un immense plaisir et un honneur pour moi

The inextricable link between tragedy and comedy:
An interview with playwright Jean-Pierre Martinez.

Martinez’s plays typically focus on the tragi-comedy of everyday situations such as unemployment, awkward dinner parties, visits from in-laws, funerals or hospital emergency rooms. We chatted about the upcoming production, Flagrant Delirium, in anticipation of its debut premiere south of the equator.

The title itself, Flagrant Délire, is a state of conspicuous confusion, the perfect label for a case full of so many twists. As a playwright, what attracted you to write such a text?
It’s always important to choose the right title. In this case, it’s a pun on the expression “Flagrant délit”, a judicial term meaning “caught in the act” (in flagrante delicto), “délit” being replaced by “délire” to induce an absurd dimension à la Ionesco. As for this play, ifs first and foremost a parody of TV detective shows (particularly French ones). I worked as a television scriptwriter for ten years. So, I know this world well. This comedy is a pastiche of the series “Navarro”, which is very well known in France (that’s why the main character is called Navarin). Let’s face it, French TV series are usually very bad, and getting worse all the time. But the series Navarro, at the time (some thirty years ago), was pretty good, because the characters were well characterized and the actors very engaging, while the stories were very much rooted in the specifically French context of the time. Unfortunately, this is no longer the case for most French series today.

Flickering between tragedy and comedy, does the text stand firmly in one State or the other?
For me, tragedy and comedy are inextricably linked. The stories are the same. It’s the point of view that changes. A story about adultery, for example, but also about a crime, can be treated as a drama or a comedy. Humour is a way of looking at life, including and especially in its tragic aspects. Humour is a way of protecting ourselves by playing down tragedy because we can’t avoid it. As far as I’m concerned, there’s no such thing as a good comedy that doesn’t start with a dramatic situation. In any case, that’s the approach taken in almost all my plays.

Comic relief and sharp wit balance each other out on every page. Was this deceptive nature of writing intentional to reveal any particularities?
Comedy is based, among other things, on irony, which consists of saying one thing to express its opposite. Comedy also relies heavily on the unspoken, the implied, and therefore the silences between lines. In comedy writing, the subtext is as important as the text. What’s essential in theatre, it seems to me, is the character.
Text and subtext must therefore work together to characterise the characters and make them empathetic.

What was it about the police station and the hilarious relationships between the incompetence of comic detectives that fits these themes so mil?
Being a parody, it was of course essential that the characters be characterised by their incompetence and immorality. This is another way of making them sympathetic because if audiences love tragedy for its heroes, they also love comedy for its anti-heroes.

Enlightening in its own right, the text accomplishes an attractive level of depth that becomes equally cathartic and profound in its ending. Was this accessibility important to you and your other works?
Here we come back again and again to the very essence of what comedy is for me: humour (especially what we call black humour) consists of laughing at tragic situations so as not to have to cry about them. The world will never really change, because Man will always retain his shortcomings, which Molière was already making fun of (even if it’s Shakespeare I’m discreetly paying tribute to at the end of this piece). They say that humour is the politeness of despair. Indeed, through comedy, and on the pretext of entertainment, I express in my plays the despair I feel for the world and for Man in his inability to improve.

Does the presentation for the first time in Australia to English and French-speaking audiences excite you? I understand our producer Michel bas been in correspondence with you regarding its translation. The production will be elaborately executed with French-speaking actors and English surtitles projected above the stage.
I often say that for me, writing a play and making the text freely available on my website is like a castaway throwing a bottle into the sea in the hope that someone will find it and respond to the call for help. These bottles that I regularly throw into the sea, every day, all over the world, very different people find them, read the text inside, and write to me. People with whom I sometimes enter direct conversation, as was the case with Michel. We didn’t know each other. We met through this text. And we video-chatted for over an hour. I knew nothing about him, but he already knew a lot about me through my texts. It’s also (and perhaps above ail) to bring about these kinds of unexpected encounters that I write. So, you can imagine that bringing the French language and culture to what for us is the other end of the world is both a great pleasure and an honour for me.


TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Flagrant Délire

 

Commissaire Navarrin (homme ou femme)

Inspecteur Bordeli (homme ou femme)

Commissaire Ramirez (homme ou femme)

Divisionnaire Delatruffe (homme ou femme)

Baron de Casteljarnac (homme ou femme travestie)

Baronne de Casteljarnac (femme ou homme travesti)

Acte 1

Un bureau vieillot dans un commissariat à l’ancienne. Mobilier sommaire et désuet. L’inspecteur Bordeli ronfle, affalé sur sa table, derrière une bouteille de whisky. Le commissaire Navarrin arrive. Sans même un regard vers Bordeli, il ôte son imperméable, qu’il dépose sur un porte manteau. Il s’installe à l’autre bureau et commence à lire un magazine pour les retraités du type Pleine Vie ou Notre Temps, titrant sur un sujet déprimant (Retraite et dépression, ou encore Conventions-Obsèques : les bonnes affaires). Visiblement peu habitué à ce genre de lecture, il affiche un air sceptique. Le téléphone fixe d’un autre âge qui trône sur son bureau se met à sonner. Bordeli sort lentement de sa torpeur. Navarrin décroche.

Navarrin – Navarrin, j’écoute… Bonjour Monsieur… Non, le Commissaire Ramirez nous a quitté, malheureusement…

La Commissaire Divisionnaire Delatruffe entre dans le bureau avec une couronne portant l’inscription « À notre regretté collègue et ami ».

Navarrin (avec un regard vers la couronne) – Oui, définitivement, on peut dire ça comme ça… Non, il ne m’a pas parlé de cette affaire avant son départ… C’est ça, il n’a pas dû avoir le temps… Pas de problème, vous pouvez passer quand voulez.

Navarrin raccroche. Delatruffe pose la couronne contre le bureau de Navarrin.

Delatruffe – Bonjour Navarrin.

Bordeli – Madame la Divisionnaire…

Delatruffe lance un regard réprobateur vers Bordeli qui émerge lentement.

Delatruffe – Inspecteur…

Navarrin (lisant) – « À notre regretté collègue et ami ». Mais vous êtes folle, Delatruffe, il ne fallait pas… Après tout, je pars seulement à la retraite…

Bordeli se lève et fait quelques pas incertains.

Delatruffe – Enfin, Navarrin… C’est pour l’Inspecteur Ramirez… L’enterrement a eu lieu ce matin… Il fallait bien faire un geste…

Navarrin – Ah oui, bien sûr, Ramirez… Ce matin ? Et vous avez ramené la couronne ?

Bordeli s’approche de la couronne et pose la main dessus.

Bordeli – C’est des fausses, non ?

Navarrin – Ah oui, dites donc, c’est bien imité…

Delatruffe – L’avantage, avec les fleurs artificielles, c’est qu’elles sont éternelles. Comme nos regrets. On peut donc s’en servir plusieurs fois…

Navarrin – Bien sûr… Et comme il n’y a pas de nom sur la couronne… C’est pratique…

Delatruffe – Comme vous le savez, le budget de la police a encore été amputé cette année pour tenter de réduire le déficit abyssal de la France…

Navarrin – Des fausses couronnes mortuaires… Il est temps je quitte la police. Bientôt, on nous équipera avec de faux pistolets et de faux gilets pare-balles.

Bordeli (marmonnant) – Tant qu’on me laisse boire du vrai whisky…

Bordeli tente d’escamoter sa bouteille. Delatruffe lui lance un regard agacé, mais préfère ne pas relever.

Delatruffe – Alors, commissaire, c’est votre dernière journée ! Et cette retraite, ça se prépare ?

Navarrin (montrant son magazine) – J’essaie de me documenter un peu en lisant la presse spécialisée. Pour l’instant, ça me donne plutôt envie de me suicider.

Delatruffe – Allons, Navarrin ! Vous êtes encore jeune. Vous auriez pu rester quelques années de plus avec nous. Qu’est-ce qui vous oblige à partir, si vous craignez tellement de vous ennuyer ?

Navarrin – Il ne faut pas lasser son public, Delatruffe… (Ironique) Je préfère partir au sommet de ma gloire…

Son téléphone sonne à nouveau.

Navarrin – Navarrin, j’écoute ! Oui, Monsieur le Directeur… Très bien, Monsieur le Directeur… Au revoir, Monsieur le Directeur… (Il raccroche) C’était Monsieur le Directeur…

Delatruffe – Pour vous féliciter personnellement avant cette retraite bien méritée, j’imagine.

Navarrin – Il voulait surtout s’assurer que je ne serai plus là demain matin… et que je n’emmène avec moi aucun dossier compromettant.

Bordeli – Compromettant pour qui ?

Navarrin – Vous aviez autre chose à me dire, Madame la Divisionnaire ? Une dernière affaire à me confier, peut-être ?

Delatruffe – Ma foi non, Navarrin… La journée s’annonce plutôt calme. Vous aurez tout le temps de faire vos cartons tranquillement.

Navarrin se lève et prend la couronne.

Navarrin – Je vais commencer par remettre ces fleurs dans la réserve. En attendant l’occasion de leur faire prendre l’air encore une fois.

Bordeli – Oui, parce que là, on pourrait croire que c’est vous qu’on enterre…

Navarrin sort avec la couronne.

Delatruffe – C’est à quelle heure son pot de départ ?

Bordeli – Dix-huit heures… Après la fin du service.

Delatruffe – Très bien… Vous ne lui avez rien dit, au moins ? Il faut que ce soit une surprise…

Bordeli – En principe, il ne se doute de rien. Mais peut-on vraiment cacher quelque chose à un grand flic comme lui ?

Delatruffe – Sans alcool, le pot, hein ? Vous connaissez les nouvelles consignes…

Bordeli – Rassurez-vous, Madame la Divisionnaire. Je ne bois jamais en dehors des heures de service… On a remplacé le vrai Champagne par du Champomy.

Delatruffe – C’est tout aussi bon… et c’est beaucoup moins cher. Mais où est-ce que vous avez planqué les bouteilles pour qu’il ne les voit pas ? Pas dans la réserve, j’espère.

Bordeli – Je les ai mises au frais. À un endroit où il n’est pas près de les trouver.

Delatruffe – Où ça ?

Bordeli – Dans la chambre froide, à la morgue.

Delatruffe – Il fallait y penser, en effet… Bon, je vous laisse travailler. Et puisque vous n’avez pas l’air débordé, vous non plus, si vous pouviez me ranger un peu tout ce bordel, Bordeli…

Bordeli – Oui Madame la Divisionnaire.

Delatruffe – Le Procureur sera là, ce soir, pour le pot de départ de Navarrin. Je ne voudrais pas qu’il ait une mauvaise impression…

Bordeli – Bien Madame la Divisionnaire.

Delatruffe s’en va.

Bordeli – J’ai l’impression d’entendre ma mère quand elle me disait de ranger ma chambre…

Conchita Ramirez arrive, et jette un regard vers Bordeli, en train de s’envoyer une rasade de whisky pour se mettre en train.

Bordeli – Décidément, il n’y a pas moyen d’être tranquille cinq minutes.

Conchita – Pardon de vous interrompre en plein travail…

Bordeli – La prochaine fois, mon petit, il faudra vous annoncer au planton, à l’entrée. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

Conchita – Je suis le Commissaire Ramirez.

Bordeli – Si vous êtes le Commissaire Ramirez, moi je suis Sœur Emmanuelle.

Conchita – Désolée, ma sœur, je vous avais pris pour un flic.

Bordeli – Le Commissaire Ramirez, on l’a enterré ce matin.

Conchita – Oui… D’ailleurs, je ne vous ai pas vu à l’église.

Navarrin revient, avec la couronne.

Navarrin – Il n’y a plus de place dans la réserve… Ça ira mieux quand j’aurai vidé mes affaires… Je vais la foutre là en attendant…

Il pose la couronne par terre contre le fond de scène, et jette un regard en direction de Conchita.

Navarrin – Mademoiselle… Je peux faire quelque chose pour vous ?

Conchita – Vous allez rire, Commissaire. Cette jeune personne prétend être le Commissaire Ramirez.

Navarrin – Tiens donc… Jusqu’à maintenant, je ne croyais pas à la réincarnation. Mais si c’est vrai, on ne perd pas au change, n’est-ce pas Bordeli ? Parce que la dernière fois qu’on l’a vu, le Commissaire Ramirez, il avait beaucoup moins de sex-appeal que vous, croyez-moi.

Bordeli – Entre nous, on l’appelait Quasimodo…

Delatruffe revient.

Delatruffe – Ah, Commissaire, vous êtes déjà là ? Messieurs, je vous présente le Commissaire Conchita Ramirez. C’est la fille de notre regretté collègue, à qui nous avons rendu les honneurs ce matin avant de le mettre en terre.

Navarrin – Non ?

Bordeli – Maintenant que vous le dites… C’est vrai qu’il y a comme un air de famille…

Navarrin tend la main à Conchita pour la saluer.

Navarrin – Commissaire Navarrin. Toutes mes condoléances… Je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu assister à la cérémonie, mais c’est mon dernier jour dans la maison, et…

Delatruffe – Justement, Commissaire… J’avais oublié de vous le dire, c’est Mademoiselle Ramirez qui occupera votre bureau désormais. Ce bureau que vous partagiez déjà avec son père…

Navarrin – Si c’est une affaire de famille, alors…

Delatruffe – Réduction des effectifs. Remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ou au cimetière. Vous connaissez la chanson…

Navarrin – Donc, Mademoiselle Ramirez nous remplacera tous les deux…

Delatruffe – Je suis sûre que cette jeune femme fraîchement diplômée est tout à fait qualifiée pour remplacer deux policiers d’expérience. Même si évidemment, on ne remplace pas le Commissaire Navarrin…

Navarrin – Comme dit le poète… la femme est l’avenir de l’homme.

Conchita – Merci pour cet accueil chaleureux…

Delatruffe – Je vous l’enlève cinq minutes, j’ai quelques papiers à lui faire signer pour sa nouvelle affectation chez nous. Ensuite, Navarrin, vous serez gentil de mettre Mademoiselle au courant des affaires en cours…

Navarrin – Mais avec plaisir, Madame la Divisionnaire.

Conchita – Merci pour la couronne, ça m’a beaucoup touchée.

Bordeli s’efforce d’escamoter la couronne en se mettant devant.

Delatruffe – Votre père était un grand flic, il est mort au service de la France… Vous me suivez ?

Delatruffe sort avec Conchita.

Bordeli – Au service de la France… Il est mort au restaurant pendant sa pause déjeuner en avalant une moule de travers…

Navarrin – La question, c’est qu’est-ce que cette pétasse vient foutre ici ? Un flic, ce n’est pas comme un notaire. On ne se refile pas la charge de père en fils…

Bordeli (avec emphase) – La fille veut peut-être reprendre le flambeau que son père a laissé tomber dans sa chute…

Navarrin – Méfiez-vous, Bordeli, le whisky vous rend théâtral. Mais vous avez raison. Mort au service de la France… À ce compte-là, si vous mourrez demain d’une cirrhose du foie, on vous donnera la Légion d’Honneur à titre posthume pour votre contribution majeure à la TVA sur l’alcool.

Bordeli – Je ne suis pas sûr, patron. C’est du whisky de contrebande. Un stock récupéré lors d’une saisie à la frontière espagnole.

Navarrin (ironique) – Si les Espagnols se mettent à fabriquer du whisky, Bordeli, ce n’est pas seulement que la mondialisation est en marche. C’est que la fin du monde est proche, croyez-moi.

Bordeli – Vous avez raison, patron. Moi aussi depuis quelques temps, je perçois des signes avant-coureurs d’une apocalypse imminente. Tenez, par exemple, c’est vrai que ce n’est pas commun, de mourir en avalant une moule de travers. Je dirais même plus, c’est bizarre.

Navarrin – Bizarre ? Qu’est-ce que vous insinuez par là, Bordeli ? Vous n’allez pas donner vous aussi dans la théorie du complot. Vous avez une raison de soupçonner la confrérie des ostréiculteurs d’en vouloir à la police ?

Bordeli – Conchyliculteurs, patron. Ostréiculteurs, c’est plutôt les huîtres.

Navarrin – Bon. Je vous écoute…

Bordeli – Voilà le scénario que je vois : la fille n’a jamais cru à la thèse de l’accident… et c’est pour éclaircir cette affaire qu’elle se fait affecter dans le même commissariat que son père, le jour-même de son enterrement.

Navarrin – Qu’est-ce qui vous fait croire ça, Bordeli ?

Bordeli – Je ne sais pas… J’ai déjà vu ça dans une série policière.

Navarrin – Je vous l’ai déjà dit, Bordeli. Vous regardez trop la télé. Au fait, j’espère que vous ne m’avez pas organisé un pot de départ surprise. Je vous préviens, j’ai horreur des surprises. Et il n’y a rien qui ressemble plus à un enterrement qu’un pot de départ…

Bordeli – Rassurez-vous, Commissaire. Vos dernières volontés seront respectées. Vous partirez sans fleur ni couronne…

Ramirez revient.

Navarrin – Ah, Commissaire Ramirez… Justement, nous évoquions la mémoire de votre défunt père.

Bordeli – Et les circonstances héroïques de sa mort.

Navarrin lui lance un regard réprobateur.

Conchita – Je ne vois que deux bureaux… Où est-ce que je m’installe ?

Navarrin – Pour aujourd’hui, nous devrons partager le mien. Mais demain, il sera tout à vous, rassurez-vous.

Bordeli – Évidemment, il y a un peu de ménage à faire, Conchita…

Conchita – Si vous permettez, Inspecteur, je préfère que vous m’appeliez Commissaire Ramirez.

Bordeli – Bien sûr, Commissaire.

Elle s’approche du bureau de Navarrin.

Conchita – Vous n’avez pas d’ordinateur ?

Navarrin – Qu’est-ce que vous voulez ? Je suis un flic à l’ancienne… Quand j’ai commencé ma carrière, les nouvelles technologies, c’était la calculette électronique et le Minitel Rose.

Conchita – Je vois…

Navarrin – Je pars ce soir. Ça ne vaut plus la peine de changer mes méthodes de travail maintenant…

Conchita – Je demanderai à Latruffe de me trouver un ordinateur de bureau.

Bordeli – Le nom exact de Madame la Divisionnaire, c’est Delatruffe. Elle tient beaucoup à sa particule.

Navarrin – Vous voulez un café ?

Bordeli – À moins que Mademoiselle ne préfère un thé… (Elle le fusille du regard) Je veux dire, le Commissaire Ramirez.

Conchita – Un café, c’est parfait.

Navarrin s’approche d’une vieille machine à café et la sert dans un mug au design ridicule, qu’il lui tend comme le Saint Sacrement.

Navarrin – Tenez, c’était la tasse de votre père… Je pense qu’il aurait été fier de vous la transmettre lui-même s’il en avait eu le temps.

Conchita – Merci… J’essaierai d’en être digne.

Navarrin – Bordeli, un café ?

Bordeli – Oui, volontiers. Avec une sucrette et un nuage de lait, je vous prie…

Navarrin sert aussi Bordeli. Ils prennent tous une gorgée de café et font la grimace.

Navarrin – Si vous voulez mon avis, Ramirez, une vraie réforme de la police, ce serait d’équiper tous les commissariats d’une machine à expresso.

Bordeli verse une larme de whisky dans son café. Ce qui n’échappe pas à Conchita.

Conchita – Oui… Et pourquoi pas d’alcootests…

Silence embarrassé. Ils finissent leur café. La baronne Margarita de Casteljarnac entre dans la pièce.

Margarita – Commissaire Navarrin ?

Navarrin – Jusqu’à ce soir, oui.

Margarita – Commissaire, je viens vous signaler la mort de mon mari.

Bordeli – On dirait que les affaires reprennent…

Navarrin – Mais je vous en prie, asseyez-vous.

Margarita s’assied.

Navarrin – Si vous commenciez par me dire qui vous êtes, chère Madame.

Navarrin fait signe à Bordeli d’approcher pour l’assister.

Bordeli – Nom, prénom, âge, qualités… Si vous en avez.

Navarrin lui lance un regard désapprobateur, pendant que Margarita le fusille des yeux.

Navarrin – À défaut de qualités, votre profession nous suffira.

Margarita – Baronne Margarita de Casteljarnac. La cinquième du nom.

Navarrin remarque que Ramirez piaffe d’intervenir.

Navarrin – Mais je vous en prie, Commissaire, si vous voulez vous joindre à nous…

Conchita (se présentant à Margarita) – Conchita Ramirez, Commissaire de la République. La cinquième du nom…

Bordeli – Âge, qualité… ou profession ?

Margarita – Mon âge ne vous regarde pas, et j’ai en effet la prétention de faire partie des gens de qualité, qui par définition n’ont pas nécessité d’avoir une profession.

Navarrin – Très bien… Pouvez-vous au moins nous dire le nom de votre défunt mari ?

Margarita – Bernard-Henri de Casteljarnac.

Bordeli – Profession ?

Margarita – Ne me dites pas que vous n’avez jamais entendu ce nom auparavant…

Navarrin – Vous savez, dans notre métier, on voit passer tellement de monde…

Bordeli – Alors s’il n’avait pas de casier judiciaire…

Margarita – Les de Casteljarnac n’ont pas de casier judiciaire, Monsieur, ils n’ont que des quartiers de noblesse. J’en ai cinq en ce qui me concerne.

Bordeli – Cinq quartiers ? C’est possible, ça, patron ?

Navarrin – J’imagine que c’est comme le quatre-quarts, Bordeli, mais avec un quart en plus.

Conchita – Si nous revenions à notre affaire, Chère Madame… Où avez-vous trouvé votre mari ?

Margarita – Vous voulez dire après sa mort, je pense ?

Conchita – Euh… oui.

Margarita – Au sous-sol de notre hôtel particulier, à l’espace fitness…

Bordeli – Cool..

Calotta – Dans le sauna.

Navarrin – Dans le sauna ?

Margarita – Un horrible accident, Commissaire…

Conchita – Et vous êtes sûre qu’il est mort ?

Margarita – Hier soir, je ne m’étais pas rendu compte de sa disparition. Sa Jaguar n’était pas dans le garage. Je pensais qu’il était sorti. Ce n’est que ce matin…

Conchita – Ce matin ?

Margarita – Ça fait maintenant une douzaine d’heures qu’il est dans le sauna.

Bordeli – Donc, vous êtes sûre qu’il est mort.

Margarita – C’est difficile à dire. À travers le hublot, on ne voit que de la buée. Et quelques traces d’ongles sur la vitre. Mais je pense que personne ne résiste à ça. Surtout que mon mari avait le cœur fragile.

Conchita – Et vous n’avez pas essayé de le sortir de là ?

Margarita – Apparemment, la porte du sauna est coincée. Elle a dû gonfler avec la chaleur… Plutôt que d’appeler un dépanneur, j’ai préféré prévenir la police.

Navarrin – Vous avez bien fait, chère Madame… L’Inspecteur Bordeli va vous emmener dans le bureau d’à côté pour prendre votre déposition. Et nous allons envoyer quelqu’un à votre domicile pour constater les faits…

Margarita – Merci Commissaire.

Bordeli – Madame la Baronne, si vous voulez bien vous donner la peine…

Bordeli sort avec Margarita.

Navarrin – Une baronne… Il ne manquait plus que ça…

Conchita – Qu’est-ce que vous pensez de cette affaire, Commissaire ?

Navarrin – Cette affaire ? Quelle affaire ? A priori, il ne s’agit que d’un accident domestique, non ?

Conchita – Je ne sais pas… Je trouve ça louche, cette histoire de sauna.

Navarrin – C’est vrai que ce n’est pas banal, mais bon. Mourir d’une crise cardiaque dans un sauna ou en avalant une moule de travers dans un restaurant… (Conchita lui lance un regard noir) Excusez-moi, je ne voulais pas réveiller en vous de douloureux souvenirs…

Conchita – Dans les deux cas, je ne crois pas à la thèse de l’accident.

Navarrin – Je comprends que vous soyez un peu sur les nerfs aujourd’hui, mais la douleur vous égare. Il ne faut pas voir le mal partout, Ramirez.

Conchita – Ah oui ? Je pensais pourtant que c’était notre métier de soupçonner tout le monde…

Navarrin – Alors pour vous, tout innocent est un coupable qui s’ignore ?

Conchita – Un type qui se retrouve enfermé dans un sauna pendant toute une nuit, vous ne trouvez pas ça bizarre, vous ?

Navarrin – Remarquez, vous avez raison… Le sauna était fermé de l’intérieur… C’est vrai que ça ferait un bon titre pour une comédie policière…

Delatruffe arrive, préoccupée.

Delatruffe – Je viens de saluer la Baronne de Casteljarnac, qui est en train de faire sa déposition au sujet de la mort de son mari…

Navarrin – Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ? Un vieux qui meurt d’une crise cardiaque dans un sauna ! Ce n’est pas l’Affaire Dreyfus, tout de même !

Delatruffe – Vous ne vous rendez pas compte, Navarrin. On marche sur des œufs ! Bernard-Henri de Casteljarnac, ce n’est pas n’importe qui !

Navarrin – Ah oui ? Et c’est qui, exactement ?

Delatruffe – Vous n’avez jamais entendu parler de Bernard-Henri de Casteljarnac ?

Navarrin – Ça me dit vaguement quelque chose… Mais il est célèbre pour quoi, au juste ?

Delatruffe – Je ne sais plus très bien. Mais en tout cas, on le voit souvent à la télé.

Conchita – C’est sûrement pour ça qu’il est très connu.

Navarrin – De mon temps, on passait à la télé parce qu’on était connu, maintenant on est connu parce qu’on passe à la télé…

Delatruffe – J’ai essayé de joindre le Procureur Canadair pour le mettre au courant et lui demander ses instructions, mais son portable ne répond pas.

Conchita – Le Procureur Canadair ? C’est son vrai nom ?

Navarrin – En tout cas, c’est un nom prédestiné. Dès qu’une affaire embarrassante se présente, c’est lui qu’on envoie pour éteindre l’incendie.

Delatruffe – Quoi qu’il en soit, Navarin, je vous demande de traiter cette affaire avec la plus grande discrétion.

Navarrin – Et moi qui espérais finir ma carrière sur un coup d’éclat…

Delatruffe – Pas de zèle, Navarrin. C’est votre dernier jour. J’ai parlé de vous à Monsieur le Procureur pour la rosette, et il doit en toucher un mot au Ministre…

Conchita – Si vous permettez, Madame la Divisionnaire, j’aimerais assister le Commissaire Navarrin dans cette enquête.

Delatruffe – Excellente idée, Ramirez. Vous n’y voyez pas d’inconvénient, Navarrin ? Ce sera l’occasion de lui mettre le pied à l’étrier…

Navarrin – Vous voulez dire que ce sera l’occasion pour elle de me fliquer et de vous faire un rapport…

Delatruffe – Aussi, oui… Nous avons affaire à des people, Navarrin. Des célébrités.

Navarrin – Oui, j’avais compris. Des gens connus, quoi. Pas des justiciables ordinaires.

Bordeli (sentencieux) – Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir…

Delatruffe – Je connais trop vos méthodes parfois un peu cavalières, Commissaire. Sans parler de Bordeli. Je pense que Mademoiselle Ramirez sera plus à même de traiter cette affaire avec la délicatesse qui convient.

Conchita – Dans ce cas, je vais me rendre tout de suite sur les lieux, Madame la Divisionnaire.

Delatruffe – Je compte sur vous pour agir avec la plus grande circonspection, Ramirez.

Conchita sort.

Navarrin – Alors comme ça, vous me débarquez d’un dossier sensible. À quelques heures de la retraite ?

Delatruffe – Mais pas du tout, Navarrin ! Vous pensez bien… J’ai juste dit ça pour la mettre en confiance.

Navarrin – Je plaisante, Delatruffe. Je m’en fiche complètement de cette histoire. Et si je peux aider un peu cette pauvre fille à surmonter l’épreuve qu’elle traverse.

Delatruffe – Je crois que la mort de son père l’a sérieusement secouée. D’ailleurs je compte sur vous pour l’encadrer sur sa première mission. Vous croyez qu’on peut lui faire confiance ?

Navarrin – Bon sang ne saurait mentir…

Delatruffe – Je ne sais pas si ça doit me rassurer… Son père est mort en avalant une moule de travers…

Delatruffe sort. Navarrin soupire. Et commence à mettre le contenu de ses tiroirs dans un carton.

Noir.

Acte 2

Navarrin continue de ranger ses affaires dans son carton. Bordeli revient.

Navarrin – Qu’est-ce qu’on peut accumuler comme bordel en trente ans de carrière, Bordeli… (Il montre quelque chose emballé dans un film transparent). Tenez, dans le tiroir du bas, tout au fond, j’ai même retrouvé un kilo de cannabis que j’avais complètement oublié.

Bordeli – Heureusement que vous avez fait le ménage avant Conchita. Elle aurait encore trouvé quelque chose à redire contre nos méthodes de travail.

Navarrin – Je me demande ce que votre successeur trouvera dans les tiroirs de votre bureau lorsque vous partirez à la retraite, Bordeli.

Bordeli – Des bouteilles vides, principalement. Vous me connaissez, patron. Moi je ne touche pas à la drogue.

Bordeli s’enfile une nouvelle rasade. Navarrin renifle le paquet.

Navarrin – Je ne sais pas si il est encore bon.

Bordeli – Il n’y a pas une date de péremption sur l’emballage ?

Navarrin regarde machinalement.

Navarrin – Je vais quand même le garder en souvenir…

Il met le paquet dans son carton.

Bordeli – Quand on est à la retraite, on a toujours autour de soi un ou deux amis cancéreux, pour qui un peu de cannabis thérapeutique peut être d’un grand réconfort. Quand on peut faire plaisir…

Navarrin – Merci de votre soutien, Bordeli. Ça me va droit au cœur.

Bordeli – Je vous regretterai, Navarrin. Je ne pensais pas vous dire ça un jour, mais depuis que je sais qui va vous remplacer.

Navarrin – Oui, on dirait que Conchita vous a déjà dans le nez.

Bordeli – Je crois que je ne lui ai pas fait bonne impression, patron. Je ne sais pas pourquoi…

Navarrin – Pour le pot ce soir, en tout cas, bravo. Ça m’a pris un bon moment avant de trouver où vous aviez caché les bouteilles ?

Bordeli – Comment vous avez deviné ?

Navarrin – C’est simple. Je me suis demandé où moi je les aurais cachées.

Bordeli – Et vous êtes allé directement à la morgue. Décidément, vous êtes un grand flic, patron.

Navarrin – Oui. Je viens de vous faire avouer où vous aviez planqué le Champagne, alors que je n’en avais pas la moindre idée.

Bordeli – Pour ce qui est du Champagne, vous risquez d’être déçu.

Navarrin – C’est du mousseux ?

Bordeli – Pire.

Navarrin – Pas du Kir, quand même ? Je sais que le budget de la police est à la baisse, mais je pensais pas que Delatruffe m’infligerait une telle humiliation…

Bordeli – En tout cas, je ne vous ai rien dit. Devant Delatruffe, essayez de jouer la surprise.

Navarrin – Un grand flic est avant tout un bon comédien. Qu’est-ce que vous avez fait de la baronne ?

Bordeli – Je lui ai asséné quelques coups de Bottin Mondain sur la tronche pour la faire avouer, mais elle n’a rien voulu me dire.

Navarrin – Lui faire avouer quoi ?

Bordeli – Je ne sais pas. Je ne lui ai pas posé de questions. Je comptais un peu sur des aveux spontanés.

Navarrin – Sacré Bordeli. Vous ne l’avez pas mise en garde en vue, au moins. Vous savez qu’on ne peut rien faire sans l’autorisation du procureur.

Bordeli – Elle est en train de prendre le thé avec Delatruffe.

Navarrin – La douceur, ça a parfois du bon aussi. Le nombre de petites vieilles à qui j’ai fait avouer l’euthanasie de leur mari, rien qu’en leur proposant une infusion de marijuana et un spéculoos.

Conchita revient.

Navarrin – Alors, Commissaire ? Ce petit sauna ? Ça s’est bien passé ?

Conchita – Je viens de rapatrier le corps à la morgue pour une autopsie.

Navarrin – Le légiste nous dira quelle est la cause exacte du décès.

Conchita – C’est quoi toutes ces bouteilles de Champomy dans la chambre froide ?

Navarrin – Eh bien vous voyez, Bordeli. L’enquête avance. Je sais déjà ce qu’on boira pour mon pot de départ surprise. Putain, du Champomy…

Delatruffe arrive.

Delatruffe – Ne parlez pas trop fort, la veuve est juste à côté, dans mon bureau… Alors c’est vrai ? Bernard-Henri de Casteljarnac est bien mort ?

Conchita – Si ça n’est pas vraiment la mort, ça lui ressemble. Son corps gisait au milieu d’une flaque de sueur. Je dirai qu’il a perdu au moins cinq litres.

Delatruffe – Vous voulez dire de sang, j’imagine ?

Conchita – Non, non, de sueur. Aucun être humain normalement constitué ne peut survivre après avoir perdu autant d’eau…

Bordeli – C’est vrai, je ne m’étais jamais posé la question… Le sang, on sait à peu près. C’est environ cinq litres par personne. Mais combien de litres d’eau peut bien contenir un corps humain ?

Navarrin – L’homme est constitué à 60% d’eau. Ça doit faire une cinquantaine de litres.

Bordeli – Cinquante litres ?

Navarrin – Dans votre cas, beaucoup moins, Bordeli, rassurez-vous… D’ailleurs, vu les quantités d’alcool que vous vous enfilez, je conseillerai au légiste de ne pas fumer en faisant votre autopsie.

Delatruffe – Mais qu’est-ce qui lui a pris, au baron ? Tout le monde sait qu’il ne faut pas rester plus d’une demi-heure dans un sauna.

Conchita – Selon mes premières constations, il est resté coincé à l’intérieur. J’ai dû forcer la porte pour le sortir de là.

Bordeli – Quelle mort affreuse. Plus jamais de ma vie je ne rentrerai dans un sauna.

Navarrin – Que ça ne vous empêche pas de prendre une douche de temps en temps. À ma connaissance, personne ne s’est jamais noyé en restant coincé dans une cabine de douche.

Delatruffe – Donc on s’oriente sur la piste d’un accident… Tant qu’à faire, je vous avoue que je préfère ça.

Conchita – Malheureusement, ce n’est pas si simple que ça, Madame la Divisionnaire…

Delatruffe – Quoi encore ?

Conchita – Apparemment, le baron avait pris des somnifères.

Delatruffe – Vous pensez à un suicide ?

Conchita – La porte était enduite de colle forte pour empêcher son ouverture.

Bordeli – Je vois le scénario, patron : le type avale des somnifères et colle la porte du sauna derrière lui pour être sûr de ne pas pouvoir revenir en arrière…

Navarrin – Se suicider en s’enfermant volontairement dans un sauna ? En trente ans de carrière, je n’ai jamais vu ça…

Bordeli – Vous avez trouvé un tube de colle dans les poches de la victime ?

Conchita – Non.

Navarrin – Alors il y a quelque chose qui ne colle pas dans votre scénario, Bordeli.

Conchita – À moins qu’il ne s’agisse d’un meurtre.

Delatruffe – Oh non… Un suicide… Maintenant un meurtre… Vous avez vraiment décidé de me pourrir la journée… Je vous avoue que je préférais nettement la thèse de l’accident domestique.

Bordeli – Comment savez vous que le baron avait pris des somnifères ? L’autopsie n’a pas encore eu lieu…

Conchita – J’ai retrouvé un tube vide dans la poche de son smoking.

Navarrin – Son smoking ?

Conchita – Ah oui, j’avais oublié de vous préciser ce détail. La victime portait un smoking.

Bordeli – Mettre un smoking pour aller au sauna, c’est vrai que ce n’est pas banal.

Navarrin – J’imagine que même chez ces gens-là, sur la porte des saunas, il n’y a pas marqué « tenue correcte exigée »…

Bordeli – S’il s’agit d’un suicide, il voulait peut-être finir en beauté. C’est vrai que pour un cadavre, un smoking, c’est quand même plus seyant qu’un peignoir de bain.

Delatruffe – Enfin, Bordeli, les cadavres ne portent pas de smoking !

Bordeli – Ça aussi, ça ferait un beau titre de roman policier.

Navarrin – Mais ça ne fait pas beaucoup avancer notre enquête.

Conchita – Ou alors, ça confirme l’hypothèse du meurtre. L’assassin lui fait discrètement ingurgiter un somnifère avec ses moules, et il laisse le tube vide dans la poche du cadavre pour faire croire à un suicide.

Bordeli – Des moules ?

Conchita – Oui, des moules. C’est ce qui me fait penser à un lien possible avec une autre affaire…

Delatruffe – On a retrouvé des moules frites dans l’estomac de la victime ?

Conchita montre un papier.

Conchita – Il avait une note de restaurant dans la poche : La Moule en Folie. J’ai fait une petite recherche. C’est un restaurant situé juste à côté d’un théâtre, pas très loin d’ici.

Delatruffe montre la couverture de L’Officiel des Spectacles, ou un magazine de ce genre.

Delatruffe – Un théâtre qui donne justement en ce moment une pièce dont Bernard-Henri de Casteljarnac est l’auteur…

Navarrin – Je ne vous connaissais pas cette passion pour le théâtre, Delatruffe…

Delatruffe – C’est la baronne qui vient de me dire ça. Elle m’a même proposé deux invitations…

Navarrin – Je dois reconnaître que cette affaire est plus compliquée qu’elle ne paraissait l’être à première vue…

Delatruffe – Je vais essayer à nouveau de joindre le procureur pour lui demander quoi faire…

Delatruffe sort.

Bordeli – Non mais vous imaginez ? Un espace fitness dans son sous-sol…

Navarrin – Moi qui pensais que les privilèges avaient été abolis en 1789…

Conchita – Vous avez pu tirer quelque chose de la baronne ?

Bordeli – Elle est muette comme une tombe.

Conchita – Bon… Je vais voir où en est le légiste.

Bordeli – Vous avez raison, les morts sont souvent plus bavards que les vivants.

Navarrin – On dit muet comme une tombe, Ramirez, mais croyez-en mon expérience : les cadavres ont souvent beaucoup plus de choses à nous dire que les vivants.

Bordeli – Et ils mentent beaucoup plus rarement.

Navarrin – Un mort ne vous décevra jamais, Ramirez.

Conchita – Merci pour ces précieuses informations, qui j’en suis sûre vont beaucoup faire avancer cette enquête.

Conchita sort.

Navarrin – Il me semble avoir décelé une pointe d’ironie dans cette dernière remarque.

Bordeli – Un petit remontant, Commissaire ?

Navarrin – Ma foi, ce n’est pas de refus. Maintenant que je sais que ce soir on est condamné à boire du Champomy…

Bordeli – Autant arriver déjà bourré à ce pot de départ, pas vrai ?

Ils se tapent chacun une bonne tasse de whisky. Franck Masquelier arrive dans le bureau. Il porte une perruque et une fausse moustache assez peu discrètes. Bref, il est évidemment grimé, et le fait que les deux policiers ne s’en rendent pas compte doit provoquer un effet comique.

Franck – Bonjour messieurs. Je me présente, Franck Masquelier, auteur de théâtre.

Bordeli – Putain, un auteur de théâtre… Décidément, c’est la journée…

Navarrin – Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, cher Monsieur ?

Franck – J’ai porté plainte il y a quelques jours contre Bernard-Henri de Casteljarnac.

Navarrin – Tiens donc. Et pour quel motif ?

Franck – Il a plagié une de mes œuvres. Flagrant délire. La pièce est à l’affiche depuis un mois dans un théâtre pas très loin d’ici.

Navarrin – Flagrant Délire ? Jamais entendu parler…

Bordeli – Mais si patron, toute la presse en parle. C’est un énorme bide.

Navarrin – Pourquoi toute la presse en parle, si c’est un bide.

Franck – C’est que Bernard-Henri de Casteljarnac est quelqu’un de très en vue. Même lorsqu’il fait un four, c’est un événement.

Navarrin – Bon… Et qu’est-ce qui vous amène au juste ?

Franck – J’avais déjà parlé de cette affaire au Commissaire Ramirez, mais je n’ai plus de nouvelles.

Navarrin – C’est normal, il est mort…

Franck – Le Baron de Casteljarnac est mort ?

Navarrin – Non, le Commissaire !

Franck – Ah, vous me rassurez…

Bordeli – Enfin, le baron aussi, il est mort, mais bon…

Navarrin – Pour l’instant, la nouvelle est classée confidentiel défense…

Franck – Mais ce n’est pas possible… Casteljarnac est mort ?

Bordeli – Ça a l’air de vous bouleverser… Vous n’avez pourtant pas de raison de le regretter, si ?

Franck – Non, bien sûr, mais…

Conchita revient.

Navarrin – Monsieur Masquelier, je vous présente le Commissaire Ramirez.

Franck – Je croyais qu’il était mort ?

Navarrin – C’est sa fille…

Franck – Toutes mes condoléances, Mademoiselle… Et il est mort comment ?

Bordeli – Ça aussi c’est classé confidentiel défense.

Franck – Non, je parlais du baron…

Conchita – Nous n’avons pas encore de certitude.

Navarrin – Monsieur Masquelier est auteur dramatique. Il semblerait que Casteljarnac ait plagié une de ses pièces.

Conchita – Une pièce de théâtre ?

Franck – Flagrant Délire. C’est votre père qui était chargé de l’enquête.

Conchita – Vraiment ?

Franck lui tend un livre et un DVD.

Franck – Tenez, voilà un exemplaire de ma pièce, publiée aux Éditions Millefeuilles, et un enregistrement vidéo du spectacle de Casteljarnac. Afin que vous constatiez vous-même qu’il s’agit bien de la même pièce.

Margarita revient.

Margarita – Où est mon mari ?

Franck a l’air très surpris et embarrassé de la voir.

Franck – Bon, je vais vous laisser…

Navarrin – C’est ça… On va regarder tout ça et on vous tient au courant s’il y a du nouveau.

Franck – Merci… Je me sauve… Je suis garé sur une place handicapé…

Franck s’en va.

Conchita – Malheureusement, votre mari est bien mort, Madame.

Margarita – Oui, je sais, Latruffe vient de me le dire. Je voulais juste avoir confirmation de visu.

Navarrin – Je crains que Monsieur le Baron ne soit pas visible pour l’instant, chère Madame.

Conchita – Il est à la morgue. Ils sont en train de…

Navarrin – Nous ne manquerons pas de vous faire reconnaître le corps dès qu’ils lui auront redonné forme humaine…

Margarita – Bon, mais ça ne va pas prendre toute la journée, j’espère, parce que je n’ai pas que ça à faire, moi. Je veux dire, il faut que je m’occupe des obsèques, tout ça.

Conchita – Bien sûr…

Margarita – Et puis il faut que je le vois une dernière fois, pour m’assurer qu’il est bien mort. Que je puisse faire mon deuil, vous comprenez…

Conchita – Nous comprenons très bien, je vous assure…

Navarrin – Bordeli, veuillez raccompagner la baronne jusqu’au bureau de Madame la Divisionnaire.

Margarita – Ça va, mon brave, je connais le chemin… En revanche, si vous pouviez me trouver un thé convenable, dans cette maison…

Navarrin – Demandez à l’accueil, le planton est un grand spécialiste du thé.

Elle sort.

Bordeli – Elle n’a pas l’air très bouleversée par la mort de son mari…

Conchita – Alors, qu’est-ce que je vous avais dit ?

Navarrin – Quoi ?

Conchita – Vous voyez bien que ces deux affaires sont liées !

Navarrin – Quelles affaires ?

Conchita – Masquelier et Casteljarnac ! Sans parler de la mort de mon père…

Bordeli – Voilà comment je vois le scénario, patron. Masquelier porte plainte contre Casteljarnac pour plagiat. Ramirez père n’ayant pas réglé l’affaire, Masquelier fait justice lui-même en enfermant son plagiaire dans un sauna jusqu’à ce que mort s’en suive.

Conchita – Et pourquoi cet étrange mode opératoire, à votre avis ?

Bordeli – Mourir de chaud dans un sauna, quand on vient de faire un four… Il doit y avoir une dimension symbolique qui nous échappe…

Navarrin – Vous auriez dû écrire des pièces de théâtre, Bordeli. Mais il y a quand même quelque chose qui ne colle pas dans votre histoire. Pourquoi Masquelier serait-il venu au commissariat juste après avoir tué Casteljarnac ?

Conchita – Pour noyer le poisson, probablement. En jouant les innocents. Quand on ne veut pas passer pour le coupable, on se fait passer pour la victime.

Navarrin donne le livre et le DVD à Bordeli.

Navarrin – Vous n’avez qu’à jeter un coup d’œil à tout ça, Bordeli. Puisque vous êtes un spécialiste du scénario. Et on en reparle après, d’accord ?

Bordeli – Ok, patron.

Conchita – Moi je vais me renseigner un peu sur Casteljarnac… Ce type ne me semble pas très clair…

Elle sort un ordinateur portable et commence à pianoter dessus. Delatruffe arrive.

Delatruffe – Alors, où en est-on ?

Navarrin – Ça avance, Delatruffe, ça avance. On est à fond sur l’enquête. À moins que le Procureur Canadair vous ait déjà demandé de l’enterrer avec la victime ?

Delatruffe – Je n’arrive toujours pas à le joindre.

Navarrin (ironique) – Il est peut-être en vacances… Demandez son rapatriement d’urgence en hélicoptère. La République est en danger, Delatruffe…

Delatruffe – Vous ne croyez pas si bien dire, Navarrin. Je suis très embêté. Bernard-Henri de Casteljarnac était pressenti pour remplacer l’actuel Ministre de la Culture.

Navarrin – Notre Ministre de la Culture est démissionnaire ?

Delatruffe – Ça doit rester entre nous, mais on vient de découvrir qu’il était analphabète.

Navarrin – Je croyais qu’il avait fait Sciences Po ?

Delatruffe – Apparemment, c’était de faux diplômes. En réalité, il n’a jamais fait d’études. Il était atteint de phobie scolaire, à ce qu’il dit. On va le forcer à démissionner avant que le scandale éclate.

Conchita lève le nez de son écran.

Conchita – Dans ce cas, on peut se réjouir que ce ne soit pas Casteljarnac qui le remplace…

Delatruffe – Que voulez-vous dire, Ramirez ?

Conchita – Je soupçonne le baron d’être un escroc professionnel.

Delatruffe – Un escroc ?

Conchita – Pour commencer, il n’est pas plus baron que moi marquise.

Navarrin – Vous n’êtes pas marquise ? Je veux dire… Le Baron de Casteljarnac n’est pas baron ?

Conchita – Ce n’est même pas son vrai nom.

Delatruffe – Mais enfin, c’est impossible ! C’est un ami personnel du Procureur Canadair. Il était témoin à son mariage.

Conchita – Il a pris le nom de sa femme quand il s’est marié avec elle. Quant à son titre de noblesse… En réalité, il n’était que le mari de la baronne.

Delatruffe – Bon, aujourd’hui, ce n’est pas interdit de prendre le nom de sa femme. Qu’est-ce qui vous permet de le traiter d’escroc ?

Conchita – Il doit de l’argent à tout le monde. Il est impliqué dans une douzaine de procès.

Delatruffe – S’il n’a jamais été condamné…

Conchita – Uniquement parce qu’il a fait appel de toutes ses condamnations… Abus de faiblesse, fausses factures, fraude fiscale.

Navarrin – Et maintenant plagiat…

Conchita – Il a entourloupé la terre entière sous divers pseudonymes.

Navarrin jette un regard vers l’écran de l’ordinateur.

Navarrin – Bernard-Henri… Regardez, c’est écrit là ! Il a même réussi à se faire passer pour un philosophe…

Conchita – Ce type est un menteur ! Un illusionniste ! Il vendrait sa mère rien que pour passer au 20 heures à la télé !

Delatruffe – C’est sans doute pour toutes ses qualités qu’on envisageait de le nommer Ministre…

Bordeli lève la tête.

Bordeli – Oui, c’est bien la même pièce, patron. C’est exactement la même histoire.

Navarrin – Et ça parle de quoi ?

Bordeli – Une affaire policière assez embrouillée. Qui ressemble beaucoup à celle qu’on est en train de traiter en ce moment.

Navarrin – C’est-à-dire ?

Bordeli – Un type qu’on retrouve mort dans un sauna… et un flic qui meurt en avalant une moule de travers…

Conchita – Bingo !

Delatruffe – Vous me faites peur, Ramirez…

Conchita – Le type qui vient de sortir d’ici ne peut pas être le meurtrier du baron.

Navarrin – Et pourquoi ça ?

Conchita – Parce que Masquelier et Casteljarnac sont la même personne !

Navarrin – Quoi ?

Navarrin – Comment avez-vous découvert ça ?

Bordeli – Reconnaissance faciale ? Empreintes génétiques ?

Navarrin – Interpol ?

Conchita – Wikipédia. Regardez, c’est marqué là. Franck Masquelier. C’était le nom de Casteljarnac avant qu’il prenne le nom de sa femme en se mariant.

Bordeli – Masquelier, c’est le nom de jeune fille de Bernard-Henri ?

Delatruffe – C’est qui, Masquelier ?

Navarrin – Un auteur qui accusait le baron d’avoir plagié une de ses œuvres.

Delatruffe – Et iI a porté plainte contre lui-même ?

Navarrin – Le comble de l’escroc… Porter plainte contre lui-même pour obtenir des dommages et intérêts…

Conchita regarde à nouveau l’écran de son ordinateur.

Conchita – Quant à la prétendue Baronne de Casteljarnac, c’est une ancienne star du porno. Elle a fait fortune en produisant des films X à l’époque du Minitel Rose.

Navarrin – Je savais bien que son visage me disait quelque chose…

Bordeli – Une baronne qui joue dans des films X… Si on ne peut même plus compter sur la noblesse, de nos jours, pour préserver l’ordre moral.

Conchita – Baronne… Mon cul… Elle a acquis son titre en même temps qu’un château en ruine, acheté en viager à un aveugle mort prématurément dans des circonstances suspectes.

Un temps.

Delatruffe – Mais… puisque Franck Masquelier et Bernard-Henri de Casteljarnac sont la même personne…

Navarrin – C’est que le baron est toujours vivant. Masquelier vient de sortir d’ici !

Bordeli – Alors qui est le macchabée qu’on a retrouvé en smoking dans le sauna ?

Noir

Acte 3

Navarrin et Bordeli arrivent et retirent leurs imperméables.

Navarrin – Ça fait partie des rares choses qui me manqueront à partir de demain, Bordeli.

Bordeli – Nos déjeuners en amoureux, patron ?

Navarrin – Mes tickets-restaurant.

Bordeli – Vous pourrez toujours vous faire livrer vos repas à domicile par la mairie.

Navarrin – Je ne connaissais pas ce petit restaurant, c’est vraiment sympa. Comment ça s’appelle, déjà ?

Bordeli – La Moule en Folie.

Navarrin – C’est ça. En tout cas, on y mange très bien.

Bordeli – Les moules frites, c’est toujours bon.

Navarrin – À condition que les moules soient bien fraîches, Bordeli.

Bordeli – Et à condition de ne pas les avaler de travers…

Navarrin – C’est vrai, j’avais oublié. C’est là que Ramirez est mort étouffé.

Bordeli – Heureusement, qu’on ne s’en pas souvenu, ça nous aurait coupé l’appétit.

Navarrin – Considérons ce repas à La Moule en Folie comme une sorte de pèlerinage involontaire.

Bordeli – Notre dernier hommage à un collègue qui nous était si cher. Comme on a oublié d’aller à son enterrement…

Le téléphone de Navarrin se met à sonner.

Navarrin – Navarrin, j’écoute ? Oui, Madame la Divisionnaire. Très bien Madame la Divisionnaire. (Il raccroche) Delatruffe arrive pour l’identification du corps…

Bordeli – Qu’est-ce que vous en pensez, patron ?

Navarrin – Ce que j’en pense ? Personnellement, Bordeli, après un bon repas, je préfère aller voir une belle fille qu’un macchabée. Je crains que ce triste spectacle ne favorise pas ma digestion. J’espère que les moules sont bien accrochées.

Bordeli – Non, je voulais dire, qu’est-ce que vous pensez de cette affaire ?

Navarrin – Ah, oui… L’affaire… Eh bien vous aviez raison, Bordeli. Cette histoire devient un vrai feuilleton. Un mélodrame digne du Boulevard du Crime…

Bordeli – Quand vous serez à la retraite, vous pourrez toujours en faire une pièce de théâtre.

Navarrin – Attendons de voir la fin pour savoir si ça vaut le coup de l’écrire…

Un temps.

Bordeli – Je peux vous confier quelque chose, patron ?

Navarrin – Quoi ?

Bordeli – C’est un peu embarrassant… Je ne sais pas comment vous dire ça, mais… Parfois, j’ai l’impression qu’on nous observe.

Navarrin – On ? Qui ça, on ?

Bordeli se dirige vers le bord de scène.

Bordeli – Je ne sais pas… Des gens qu’on ne connaît pas, là, dans le noir. Comme à travers la vitre sans tain d’une salle d’interrogatoire…

Navarrin – Ah oui…

Bordeli – Ils ont payé leur place, enfin pour certains d’entre eux, et ils attendent de nous qu’on leur raconte une histoire dont nous mêmes on ne connaît pas la fin.

Navarrin – Il faut arrêter le whisky, Bordeli. Vous devenez complètement paranoïaque…

Bordeli – Vous n’avez jamais remarqué que cette pièce n’avait que trois murs ?

Navarrin – Quelle pièce ?

Bordeli – Celle dans laquelle on joue ! Je veux dire, celle dans laquelle on se trouve.

Navarrin – Vous m’inquiétez vraiment, Bordeli. Quand vous aurez l’impression d’être poursuivi par des hannetons géants, prévenez-moi, j’appellerai l’hôpital pour qu’on vienne vous chercher.

Bordeli – Aucun risque, patron, le delirium tremens ne guette que les alcooliques qui arrêtent de boire.

Navarrin – Dans ce cas, me voilà rassuré…

Delatruffe arrive accompagnée de Margarita.

Delatruffe – Je sais que ça va être un moment difficile, Madame la Baronne. Personnellement, je n’ai jamais supporté de voir un mort…

Margarita – Dans votre métier, ça ne doit pas être évident…

Delatruffe – Je vais quand même devoir vous demander d’identifier le corps de votre mari.

Margarita – Hélas, il n’y a guère de place pour le doute… Mais j’imagine que c’est obligatoire.

Delatruffe – En général, ce n’est qu’une simple formalité, en effet…

Margarita – En général ?

Conchita arrive en roulant un charriot sur lequel repose sous un drap blanc le corps d’un homme très grand dont les pieds dépassent du drap. Il porte des mocassins à glands.

Margarita – C’est une blague ?

Delatruffe – Comment ça une blague ?

Margarita – Ce n’est pas mon mari !

Navarrin – La douleur vous égare, chère Madame, c’est bien compréhensible. Mais attendez au moins d’avoir vu son visage…

Margarita – Mais enfin, mon mari n’était pas si grand ! Et puis surtout…

Conchita – Quoi ?

Margarita – Je n’aurais jamais épousé un homme qui porte des mocassins à glands !

Bordeli (sentencieux) – Il ne faut pas confondre les mocassins à glands et les glands à mocassins…

Conchita – Je vais malgré tout vous demander de jeter un coup d’œil à son visage.

Conchita soulève un coin du drap. Margarita s’approche, jette un coup d’œil, et reste pétrifiée.

Margarita – Oh, mon Dieu !

Delatruffe – C’est bien votre mari ?

Margarita – Non, justement.

Conchita – Pourtant vous avez l’air bouleversée.

Bordeli – On dirait qu’elle regrette déjà de ne pas être veuve.

Navarrin – Vous connaissez cet homme ?

Margarita – Non, enfin… Non, non, je vous assure… Je n’ai jamais vu ce type de ma vie.

Delatruffe – Bon, Bordeli, débarrassez nous de ça. Quelle horreur… Je ne sais pas s’il puait déjà autant des pieds de son vivant…

Bordeli part avec le charriot.

Margarita – Je crois que je vais me trouver mal…

Delatruffe – Je vous avoue que moi aussi, ça m’a soulevé le cœur. Je vais vous donner un petit remontant.

Elle ouvre un tiroir du bureau de Bordeli, prend la bouteille de whisky et en verse une tasse qu’elle tend à Margarita.

Navarrin – En principe, l’alcool est strictement interdit dans les commissariats, mais on en garde toujours une bouteille dans un tiroir pour ce genre d’occasions…

Margarita s’enfile le whisky cul sec. Delatruffe se sert aussi une tasse et en fait de même.

Margarita – Ah oui, il n’est pas mauvais. J’en reprendrais bien une tasse…

Delatruffe la ressert. Et elle vide à nouveau le verre. Bordeli revient.

Bordeli – J’ai remis la viande au frigo, patron… Entre les deux caisses de Champomy… (Il voit la baronne s’enfiler son whisky). Ne vous gênez pas, servez-vous…

Delatruffe – Venez jusqu’à mon bureau, je vais prendre moi-même votre déposition… Puisque la victime n’est pas votre mari, la bonne nouvelle, c’est que vous n’êtes pas veuve.

Margarita – Si vous le dites…

Delatruffe sort avec Margarita. Bordeli constate que la bouteille est presque vide.

Bordeli – Vous avez vu ça, patron ? Un whisky espagnol de douze ans d’âge !

Conchita – Je suis sûre qu’elle connaît la victime.

Navarrin – Reste à savoir qui est ce macchabée…

Conchita – Et ce qu’il faisait en smoking dans le sauna de la baronne…

Masquelier revient, avec une mallette à la main.

Franck – Pardonnez-moi de vous déranger à nouveau…

Navarrin – Tiens, un revenant…

Franck (embarrassé) – C’est à propos de la mort du Baron de Casteljarnac.

Conchita – Justement, sa veuve se trouve juste à côté. On va l’appeler, vous pourrez lui présenter vous-même vos condoléances…

Bordeli – À moins que Monsieur ne soit venu lui aussi pour reconnaître le corps ?

Franck – D’accord, j’avoue. Je suis le mari de la baronne…

Navarrin – Donc vous n’êtes pas mort.

Franck – Apparemment non.

Conchita – Et pourquoi avoir porté plainte contre vous-même pour plagiat ?

Franck – Pour faire un peu de publicité autour de la pièce !

Conchita – De la publicité ?

Franck – La pièce est un four… Une affaire de plagiat, ça fait toujours vendre… On se dit que si la pièce a été plagiée, c’est qu’elle mérite de l’être. Donc que c’est une bonne pièce.

Bordeli – C’est un peu tordu, comme raisonnement, mais ça se tient.

Navarrin – Qu’est-ce qui nous dit que vous n’êtes pas encore en train de mentir.

Delatruffe – Oui, qu’est-ce qui nous prouve que vous êtes vraiment le Baron de Casteljarnac ?

Franck retire sa fausse moustache et sa perruque.

Franck – Ce sont les grands auteurs qu’on plagie. Bernard-Henri, lui, personne n’a jamais eu l’idée de plagier une de ses pièces…

Delatruffe arrive avec Margarita.

Delatruffe – Je raccompagne Madame la Baronne jusqu’à sa voiture…

Margarita aperçoit Masquelier.

Margarita – Ciel, mon mari !

Franck – Margarita, ma chérie !

Margarita – Mais enfin, comment est-ce possible ?

Franck – C’est bien moi, Margarita. Je ne suis pas un fantôme.

Margarita – Oh, mon Dieu, je crois que je vais m’évanouir.

La baronne fait mine de défaillir. Son mari se précipite pour la prendre dans ses bras.

Bordeli – J’en ai les larmes aux yeux.

Navarrin – Oui, on y croirait presque…

Delatruffe – On va les laisser seuls un moment tous les deux pour cette émouvante scène de retrouvailles…

Ils sortent. Margarita reprend aussitôt ses esprits.

Margarita – Alors, comment tu me trouves ?

Franck – Bien, très bien.

Margarita – C’est tout ?

Franck – Non, je t’assure, tu es une excellente comédienne.

Margarita – C’est un rôle de composition, évidemment. Je n’avais encore jamais joué une baronne.

Franck – Oui, enfin, justement…

Margarita – Quoi ?

Franck – Je me demande si tu n’en fais pas un peu trop, quand même.

Margarita – Tu trouves ?

Franck – Ciel mon mari… Ce n’est pas dans le texte…

Margarita – Bon, d’accord. J’essaierai d’intérioriser un peu plus.

Franck – Et toi, comment tu trouves la pièce ?

Margarita – Bien, très bien…

Franck – Je perçois comme une petite réserve.

Margarita – Non, c’est original, c’est…

Franck – Mais…?

Margarita – Ce n’est pas très réaliste, non ?

Franck – Pourquoi ça ?

Margarita – Cet imbécile qui meurt enfermé dans un sauna parce que quelqu’un a collé la porte avec de la Super Glue…

Franck – Au moins, ça ne s’est jamais fait.

Margarita – Ouais… On se demande pourquoi… Mais je ne suis pas sûre d’avoir tout compris. Finalement, c’est moi qui l’ai tué, ce type, oui ou non ?

Franck – Attends la fin, tu verras bien.

Margarita – Tu es sûr de la connaître, la fin ?

Franck – Mais oui, ne t’inquiète pas. Bon on y retourne ?

Margarita – Ok…

Navarrin, Conchita et Bordeli reviennent.

Navarrin – Ramenez Madame la Baronne à côté, Bordeli. Je crois qu’on a encore quelques petites choses à se dire… Mais je voudrais d’abord parler à son mari…

Bordeli emmène Margarita.

Margarita – Eh, bas les pattes !

Bordeli – Je viens de revoir votre filmographie sur You Tube. Vous faisiez moins de manières à l’époque. C’est quoi, déjà, le film qui a lancé votre carrière d’actrice ?

Conchita (ailleurs) – La Moule en Folie…

Bordeli – Ah vous êtes cinéphile, vous aussi ?

Conchita – Je parle de ce restaurant de fruits de mer à côté du théâtre. Tous ceux qui sont mêlés de près ou de loin à cette affaire sont amateurs de moules frites. Vous ne trouvez pas ça bizarre, Navarrin ?

Navarrin somnole derrière son bureau, et se réveille en entendant son nom.

Navarrin – Navarrin, j’écoute ?

Conchita lui lance un regard consterné. Bordeli et Margarita sortent.

Conchita – Alors… À nous deux, Casteljarnac ?

Navarrin – À moins que vous ne préfériez qu’on vous appelle par votre nom de jeune fille ?

Conchita – Si vous nous disiez qui est le macchabée en smoking qu’on a retrouvé dans votre sauna ?

Franck – Je l’ignore complètement, je vous le jure.

Navarrin – C’est ça, faites l’innocent…

Conchita – C’était l’amant de votre femme ?

Franck – Vous savez, c’est le genre de choses que les maris sont les derniers à savoir…

Navarrin – Le mari cocu qui veut se débarrasser de l’amant de sa femme. Un grand classique des pièces de boulevard.

Franck – Je vous ai dit tout ce que je savais… J’avoue être un escroc, mais je ne suis pas un assassin.

Delatruffe revient suivie de Bordeli.

Delatruffe – Monsieur le Baron, c’est vraiment vous ?

Franck – Pour vous servir, Chère Madame…

Delatruffe – Je ne suis pas encore allé voir votre pièce, mais on m’en a dit le plus grand bien.

Franck – Vraiment ?

Delatruffe – Madame la Baronne a eu l’amabilité de me donner deux invitations, et…

Navarrin – Quand vous en aurez fini avec vos mondanités, on pourra continuer cet interrogatoire ?

Delatruffe – Mais je vous en prie, Commissaire.

Conchita – Qu’est-ce que vous transportez dans cette mallette ?

Franck – Rien d’important, je vous assure.

Navarrin (montrant sa carte) – Police, ouvrez.

Masquelier s’exécute à regret. Conchita examine le contenu de la mallette et en fait l’inventaire.

Conchita – Fausses cartes d’identité, fausses cartes de crédit, fausses cartes Vitale…

Navarrin – Il y a même une fausse carte d’intermittent du spectacle.

Franck – Ah non, celle-là elle est vraie, je vous jure.

Delatruffe – C’est dingue… Il y a même de faux diplômes…

Franck – Faute de savoir vraiment créer des personnages au théâtre, j’en crée dans la vie… Ce n’est pas un crime.

Navarrin – Faux et usages de faux ? En tout cas, c’est un délit.

Bordeli – Sauf en temps de guerre, et quand on est du bon côté. Mais ça, on ne le sait que quand la guerre est fini. Et ça dépend surtout de qui a gagné la guerre…

Conchita sort un carnet.

Franck – C’est la liste de vos clients ?

Franck acquiesce en silence.

Conchita – Un vrai Bottin Mondain…

Franck – J’essaie de rendre service à des amis dans le besoin…

Conchita – Regardez ça Navarrin. Des ministres, des juges, des procureurs… Il y a même des flics…

Navarrin – Sans blague ?

Conchita – Non… Je n’en crois mes yeux…

Delatruffe – Quoi encore ?

Conchita – Tenez-vous bien… Canadair fait partie de la liste.

Delatruffe – Le Procureur Canadair ?

Conchita – C’est ce faussaire qui lui a délivré ses faux diplômes de droit !

Bordeli – Remarquez, quand on voit à quel point les amphis de droit sont surchargés, surtout en première année. On se demande si cet escroc ne devrait pas recevoir les palmes académiques.

Delatruffe est anéantie.

Delatruffe – Canadair, un imposteur…

Navarrin – C’est vrai que ça fait rêver… Cinq ou six années d’études supérieures validées d’un simple trait de plume.

Bordeli – Moi, j’aurais bien aimé être pilote de ligne, mais les études étaient trop longues. Si j’avais eu la chance de rencontrer ce type à l’époque, je ne serais peut-être pas un flic alcoolique aujourd’hui…

Conchita – Non, vous seriez un pilote de ligne alcoolique.

Delatruffe – Un faux procureur… C’est incroyable… Mais où va-t-on ?

Navarrin – Ouais…

Conchita – Non mais vous vous rendez compte ? Il y a trente ans que Canadair exerce sans diplôme en toute illégalité.

Franck – Bon, ce n’est pas comme si il était chirurgien ou gynécologue non plus…

Navarrin – Pas étonnant que Canadair ait passé sa vie à étouffer certaines affaires concernant ses amis…

Conchita – Bordeli, emmenez-le.

Bordeli sort avec Masquelier.

Delatruffe (affolée) – Cette affaire devient vraiment très délicate… Je devais justement déjeuner avec le procureur mais je n’ai pas de nouvelles.

Conchita – Déjeuner avec Canadair ?

Delatruffe – Dans un restaurant de moules frites…

Conchita – La Moule en Folie, j’imagine…

Delatruffe – Comment le savez-vous ?

Conchita – Et si c’était Canadair qui avait tenté d’assassiner Masquelier pour le faire taire.

Navarrin – Ça se tient. Masquelier est un escroc. Il fait chanter le Procureur. Ce dernier décide de le supprimer.

Conchita – Et il se trompe sur la personne.

Bordeli revient avec le cadavre sur le charriot.

Navarrin – Vous pouvez arrêter de jouer avec ce charriot, Bordeli ? Ça devient agaçant…

Bordeli – Ce n’est pas Canadair le coupable, patron.

Delatruffe – Je préférerais autant, mais comment pouvez-vous en être aussi sûr ?

Bordeli – Parce que c’est lui la victime. (Il soulève un coin du drap) Le cadavre en smoking dans le sauna, c’est Canadair…

Delatruffe – Oh mon Dieu, Monsieur le Procureur !

Ils s’approchent tous du charriot pour constater l’évidence.

Noir

Acte 4

Ambiance d’interrogatoire. Margarita est sur la sellette face à Navarrin et Conchita. Navarrin soulève à nouveau un coin du drap qui recouvre le cadavre sur le charriot.

Navarrin – Vous maintenez que vous ne connaissez pas cet homme ?

Margarita – Ne vous gênez pas. Traitez-moi de menteuse !

Conchita – Comment expliquez-vous qu’on ait retrouvé son cadavre, en smoking, dans votre sauna ?

Margarita – Il y a des morts stupides, vous savez. J’ai même entendu parler de quelqu’un qui était mort en avalant une moule de travers.

Conchita sort de ses gonds.

Conchita – Je vais me la faire…

Margarita – Je vous préviens, je connais personnellement le Ministre de la Culture.

Conchita – Parce que c’est votre escroc de mari qui lui a délivré son faux certificat d’études ?

Navarrin – Calmez-vous, Ramirez. Laissez-moi faire… Madame la Baronne, est-ce que par hasard vous connaîtriez un bon ophtalmo qui ne vous fasse pas attendre six mois avant de vous donner un rendez-vous ?

Margarita – Oui. Il y en a un très bien juste en face de chez moi. Je vous donnerai le numéro de téléphone, si vous voulez. Vous n’aurez qu’à l’appeler de ma part.

Navarrin – Ce serait très aimable à vous, Margarita…

Conchita – Quel est le rapport avec notre enquête, Commissaire ?

Navarrin – Aucun. C’est juste une technique pour la mettre en confiance. Et puis je voudrais me faire refaire une paire de lunettes pendant que j’ai encore une mutuelle…

Margarita – C’est vrai que les lunettes, c’est très mal remboursé…

Conchita semble ulcérée.

Conchita – Madame de Casteljarnac, est-ce que vous trompez votre mari ?

Margarita – Ma chère, ce n’est pas une question à poser à une femme du monde.

Conchita – Je vous rappelle que vous avez fait fortune en tournant dans des films X.

Margarita – Dans ce cas, si j’ai trompé mon mari, c’était sous X.

Conchita – Vous me permettrez donc d’être plus directe : l’homme qu’on a retrouvé dans votre sauna était-il votre amant ?

Margarita – Je ne dirai plus un mot avant l’arrivée de mon avocat.

Navarrin – Et voilà, je vous l’avais dit : maintenant, vous l’avez braquée…

Conchita (à Margarita) – Très bien, vous attendrez votre avocat dans le bureau d’à côté…

Margarita se drape dans sa dignité offensée. Bordeli arrive avec la couronne mortuaire, qu’il pose sur la dépouille du procureur.

Margarita – Vous aurez de mes nouvelles, croyez-moi. Vous ne savez pas à qui vous parlez.

Conchita – Ça, on est au moins d’accord là-dessus… Vous prétendez faire partie de la noblesse de robe, mais dans les films où vous apparaissez, vous n’en portez pas souvent…

Margarita sort avec un air théâtral, en oubliant son sac à main.

Bordeli – C’est vrai que ce couple diabolique est assez difficile à cerner… Il semblerait que chacun d’eux tienne à la fois du Docteur Mabuse et de Mister Hyde.

Conchita jette un regard vers la couronne mortuaire.

Conchita – Qu’est-ce que vous foutez avec ça ?

Bordeli – Je pensais que ce serait bien de rendre un dernier hommage à notre regretté collègue et ami… (Sentencieux) Vous savez, Ramirez, il y a deux sortes de justiciables : ceux qui connaissent bien la loi, et ceux qui connaissent bien le juge. Tous ceux qui connaissaient bien Canadair vont le regretter, croyez-moi.

Navarrin – Bordeli, au lieu de philosopher, allez donc remettre le Procureur au frais. Il est comme la justice en France, il commence à sentir un peu.

Bordeli – Bien, patron.

Bordeli emporte le charriot. Delatruffe revient.

Delatruffe – J’ai prévenu Monsieur le Directeur. Il est extrêmement préoccupé, évidemment. Il nous demande de rester très discrets sur cette affaire.

Navarrin – Moi je suis surtout inquiet pour ma rosette. J’espère qu’avant de mourir, Canadair a eu le temps d’en toucher un mot au Ministre…

Delatruffe – Vous avez pu tirer quelque chose de la baronne ?

Navarrin – On n’a même pas réussi à lui faire avouer son âge.

Delatruffe – Elle a beau dire que le procureur n’était pas son amant… Canadair a la réputation d’être un chaud lapin. Même moi, si j’avais voulu…

Navarrin – Mais tout le monde sait que vous ne couchez pas pour réussir, Madame la Divisionnaire. Vous ne seriez jamais arrivée comme ça au poste que vous occupez aujourd’hui…

Bordeli revient.

Bordeli – Canadair… Toujours prêt à décoller pour éteindre les feux de l’amour.

Navarrin – Un autre sens caché de ce nom prédestiné, sans doute.

Conchita – Ça ne nous dit pas ce qu’il foutait en smoking dans le sauna de la Baronne.

Bordeli – Les amants se planquent souvent dans les placards, pourquoi pas dans un sauna…

Navarrin – Ce qui ne colle toujours pas, c’est cette histoire de Super Glue… Depuis le début, j’ai un peu de mal avec ça, pas vous ?

Masquelier revient.

Franck – Si je peux me permettre, je reconnais que ce n’est pas la meilleure idée que j’ai eue.

Navarrin – Et alors ?

Franck – Si on disait plutôt que la porte du sauna avait été condamnée depuis l’extérieur avec un marteau et des clous ?

Bordeli – Personnellement, je préfère cette idée. Qu’est-ce que vous en pensez, patron ?

Navarrin – Oui, bon. Si vous voulez… Madame la Divisionnaire ?

Mais Delatruffe est plongée dans la mallette de Masquelier.

Delatruffe – Oh mon Dieu… Masquelier a aussi fait le faux diplôme de l’ENA du Président de la République. Regardez la photo de promo ! Promotion France Télévision… C’est une promotion qui n’existe pas !

Bordeli s’approche pour regarder la photo.

Bordeli – Ah oui, dites donc… Et il y a du beau monde, là dessus. On dirait la photo du gouvernement au grand complet sur le perron de l’Elysée.

Conchita – Et aucun de ces gens n’a le certificat d’études…

Navarrin – Là on peut dire que ça devient vraiment une affaire d’état…

Navarrin prend le sac de la baronne et se retourne un instant, apparemment pour en examiner le contenu.

Conchita – Voilà le scénario que je vois : Pour protéger le Président de la République, le Ministre de l’Intérieur commandite l’assassinat du faussaire, mais se trompe de cible. C’est le procureur, amant de la baronne, qui était planqué dans le sauna en pensant que c’était un placard.

Delatruffe – Un crime d’État qui se termine en bavure policière… Je n’aime pas du tout ce scénario, Ramirez.

Bordeli – Ou alors, c’est la baronne qui voulait se débarrasser de son mari. Et c’est son amant, planqué dans le sauna, qu’elle assassine par erreur…

Delatruffe – Bravo, Bordeli ! Je préfère de beaucoup cette version !

Navarrin repose le sac et revient vers eux.

Navarrin – Ça permet de transformer une affaire d’état en simple fait divers. Le Président reste en place. Le Ministre de l’Intérieur garde son poste. Et moi je récupère ma Légion d’Honneur.

Delatruffe – Pas de vagues, et tout est bien qui finit bien !

Conchita – Vous voulez faire porter le chapeau à la veuve ?

Delatruffe – Il faut bien avouer que ça arrangerait tout le monde…

Conchita – Sauf elle, peut-être. Si elle est innocente…

Navarrin – Un crime passionnel, ça se plaide bien… Elle pourra toujours plaider la folie passagère.

Delatruffe – Je vous fais confiance pour obtenir de la baronne des aveux complets et circonstanciés, Navarrin… Je préfère ne pas assister à ça, mais vous avez carte blanche.

Navarrin saisit le sac de Margarita et fait mine de le fouiller.

Navarrin – Je crois que la force ne sera pas nécessaire, Madame la Divisionnaire. Regardez ce que j’ai trouvé dans son sac à main.

Il sort du sac un tube de colle forte.

Conchita – L’arme du crime ! Un tube de colle Super Glue !

Bordeli – On n’avait pas dit finalement que la porte du sauna avait été…

Navarrin sort du sac un marteau et des clous.

Navarrin – Et aussi… un marteau et des clous !

Delatruffe – Incroyable et parfait ! Alors ce serait vraiment elle l’assassin ? Mais c’est merveilleux !

Navarrin (en aparté à Delatruffe) – C’est moi qui ai discrètement placé ces pièces à conviction dans son sac.

Delatruffe – Vous voyez, Ramirez, les bonnes vieilles méthodes ont quand même du bon… Prenez en de la graine. On vous regrettera, Navarrin ! Des flics comme vous, on n’en fait plus…

Le téléphone sonne. Bordeli décroche.

Bordeli – Oui ? Non ? Ce n’est pas vrai ?

Il raccroche.

Delatruffe – Quoi encore ?

Navarrin – C’était la morgue. Apparemment, le mort n’était pas tout à fait mort. Il vient de ressusciter !

Delatruffe – Oh mon Dieu !

Navarrin – Canadair est vivant ?

Delatruffe – C’est un miracle !

Conchita – Je vous rappelle que ce type est un imposteur !

Delatruffe – Ne soyez pas si rigide, Conchita ! Jésus aussi à son époque était considéré comme un imposteur…

Musique d’église. Éclairage surnaturel. Delatruffe tombe à genoux et se signe.

Noir

Acte 5

Bordeli ramène le présumé cadavre sur le charriot, cette fois équipé d’un goutte-à-goutte.

Delatruffe – Mais comment est-ce possible ? Il vient de passer une douzaine d’heures à la morgue !

Conchita – Le médecin légiste aussi travaille avec de faux diplômes. En fait, c’est un intermittent du spectacle…

Navarrin – Vous allez voir que tout à l’heure, on va découvrir que nous sommes tous des comédiens…

Bordeli jette un coup d’œil au corps.

Delatruffe – Il n’a pas l’air très en forme, quand même…

Navarrin – Toute la nuit dans un sauna à 90°, et on le passe directement au frigo de la morgue à moins 20, forcément ça lui a fait un chaud et froid…

Bordeli – D’un autre côté, c’est sûrement le choc thermique qui l’a ressuscité.

Delatruffe – Et le goutte à goutte, là, c’est quoi ?

Bordeli – Canadair a perdu toute son eau. Il a laissé cinq litres de sueur dans le sauna. On est en train de le réhydrater…

Margarita et Franck reviennent.

Delatruffe – Ah, Madame la Baronne… Monsieur le Baron…

Franck – On peut savoir ce qui se passe, ici ?

Margarita – Mon avocat n’est pas encore arrivé ?

Navarrin – Nous venons de le renvoyer. Vous n’en n’aurez plus besoin.

Margarita – Quoi ? Vous ne manquez pas de culot !

Navarrin – Ne nous énervons pas. Vous allez voir, tout va rentrer dans l’ordre.

Delatruffe – Oui, enfin, bref… J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous deux…

Franck – Dites toujours.

Delatruffe – L’amant de votre femme est toujours vivant…

Franck – Quel amant ?

Margarita – Et la bonne nouvelle, c’est quoi ?

Delatruffe – Vous ne serez donc pas poursuivie pour tentative de meurtre sur votre mari…

Franck – Margarita ? Tu as essayé de me tuer ?

Margarita – C’est un malentendu, chéri. Je t’expliquerai…

Delatruffe – Je vous présente donc toutes nos excuses, et je vous propose de classer définitivement cette affaire, à laquelle de toute façon personne ne comprend rien depuis le début.

Franck – Alors nous sommes libres ?

Navarrin – Tout ça n’aura été finalement qu’une mauvaise pièce de boulevard…

Delatruffe – Qui cependant risquait de mettre en péril les fondements même de nos institutions républicaines.

Conchita – Pas si vite, Madame la Divisionnaire… Restent à élucider les circonstances de la disparition du Commissaire Ramirez !

Delatruffe – Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il n’est pas tout simplement mort bêtement, comme il a vécu ?

Conchita – Mon père enquêtait sur cette affaire, et il est mort dans un restaurant qui s’appelle La Moule en Folie, juste à côté du théâtre où l’on joue cette fameuse pièce intitulée Flagrant Délire. Ça ne peut pas être une simple coïncidence.

Navarrin – Trouvez-moi l’adresse de ce théâtre, Bordeli, on vérifiera.

Delatruffe – Mais pour l’instant, Conchita, oublions tout ça. Place à la fête ! Nous arrosons le départ à la retraite du Commissaire Navarrin !

Navarrin – Allez, Bordeli, faites péter le Champomy…

Bordeli sort quelques bouteilles de Champomy de dessous le drap qui recouvre le corps sur le charriot. Delatruffe aide à remplir les verres.

Delatruffe – Une petite coupette, Madame la Baronne ?

Margarita – Volontiers. Mais je vous en prie, appelez-moi Margarita.

Delatruffe propose à boire à Franck.

Delatruffe – Monsieur le Baron… Une coupe de faux champagne ?

Franck – Merci, chère amie… Je ferai semblant de la boire…

Le téléphone sonne. Navarrin décroche.

Navarrin – Navarrin, j’écoute…

Bordeli – Ça me manquera de ne plus entendre ça…

Navarin – Oui, Monsieur le Ministre… Bien Monsieur le Ministre… Merci Monsieur le Ministre… (Il raccroche). Chers amis, je vous annonce que je recevrai demain la Légion d’Honneur, de la main même du Ministre de l’Intérieur, pour services rendus à la Nation.

Delatruffe – Félicitation, Navarrin. Une raison de plus pour nous réjouir de la façon dont se termine cette enquête.

Conchita – Le Ministre de l’Intérieur… C’est cet escroc qui lui a fabriqué ses faux diplômes !

Delatruffe – Ramirez… Si vous voulez faire carrière dans la police, il va falloir apprendre à être un peu plus accommodante…

Franck – Si on commençait par exclure tous les menteurs, Mademoiselle, on n’arriverait plus à former un gouvernement en France !

Navarrin – Comprenez bien une chose, Ramirez : la justice n’est pas faite pour protéger les innocents, mais pour empêcher que les coupables ne soient injustement persécutés.

Delatruffe – Et puis il n’y a pas mort d’homme ! Heureusement, dans cette histoire, il n’y a que l’affaire qu’on va enterrer. Pas vrai, Ramirez ? La vie continue…

Ramirez – Mon père est mort, lui…

Bordeli – Entre nous, Conchita, vous verrez qu’il n’y a pas que des inconvénients à être orphelin.

Navarrin – Surtout quand on fait partie des orphelins de la police. Pour commencer, je crois qu’ils ont une très bonne mutuelle.

Delatruffe lève son verre pour porter un toast.

Delatruffe – Le Commissaire Ramirez est mort ! Vive le Commissaire Ramirez !

Navarrin – Ce bureau est à vous, Ramirez. Votre père aurait été fier de vous voir siéger ici.

Bordeli – À la place du mort.

Delatruffe – Un dernier conseil, Conchita : oubliez l’idée de faire le ménage dans ce commissariat.

Navarrin – Et bienvenue dans la police ! Vous perdez un père, mais vous entrez dans une grande famille.

Ils trinquent.

Delatruffe – Encore une affaire de résolue, Navarrin. Votre dernière affaire.

Bordeli – Et cette histoire de plagiat, patron ? On classe sans suite ?

Navarrin – Tous les auteurs sont des faussaires, Bordeli… Vous voyez, ils en arrivent même parfois à se plagier eux-mêmes.

Bordeli – Mais eux au moins, ils ne prétendent pas nous gouverner.

Conchita – Commissaire ?

Navarrin – Navarrin, j’écoute !

Conchita – J’ai vérifié l’adresse du théâtre où se joue Flagrant Délire. C’est la même que celle de ce commissariat où nous nous trouvons…

Delatruffe – Vous voulez dire que… c’est nous qui jouons cette pièce en ce moment même ?

Franck – Comme dit Shakespeare : le monde est un théâtre, et nous en sommes les acteurs…

Margarita – Portons un toast à notre maître à tous !

Ils lèvent leurs verres.

Tous – À Shakespeare !

Noir

 

 

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre,

Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies

régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez

sont librement téléchargeables sur :

http://comediatheque.net

Ce texte est protégé par les lois relatives

au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2015

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-65-9

Ouvrage téléchargeable gratuitement

 

Flagrant Délire Lire la suite »

Île déserte et bateau

Si au théâtre au moins, “l’enfer c’est les autres”, rien de pire (et de plus drôle) qu’une île déserte quand elle est habitée… par des gens qui s’y rencontrent pour la première fois, et qui sont contraints d’y vivre ensemble dans l’attente d’un improbable sauvetage. C’est notamment l’histoire de Robinson et de Vendredi. Plus généralement, la Terre elle-même, longtemps inhabitée, n’est-elle pas une île déserte perdue au milieu de l’univers, sur laquelle quelques hommes sont venus s’échouer en s’obligeant à vivre ensemble en attendant qu’un messie vienne les sauver ?

Le bateau en perdition (devenu Radeau de la Méduse) est une variante de l’île déserte pour les naufragés que le destin force à cohabiter dans une inconfortable promiscuité propice à tous les conflits.

Le jardin d’Eden, version mythique de l’île déserte, peut également constituer le lieu d’un huis clos à deux. Ce petit paradis carcéral est alors la métaphore d’un cocon conjugal étouffant et mortifère. Tout cela sur le mode de l’humour, bien sûr !


Au répertoire de La Comédiathèque

Jardin d’Eden

ALBAN ET ÈVE

Île déserte

LES NAUFRAGÉS DU COSTA MUCHO

Bateau

IL ÉTAIT UN PETIT NAVIRE

 

Île déserte et bateau Lire la suite »

Les Naufragés du Costa Mucho

The Costa Mucho Castaways – Los Náufragos del Costa Mucho –  Os náufragos do Costa Mucho 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

Un homme et une femme

Elle et lui sont dans le même bateau. Elle et lui tombent à l’eau. Qu’est-ce qui reste ? Quand la vie est un naufrage. Et l’au-delà un paradis fiscal…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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Cet ouvrage peut être commandé en impression à la demande sur le site The Book Edition, avec des réductions sur quantité (5% à partir de 4 exemplaires et 10% à partir de 12 exemplaires), livraison dans un délai d’une semaine environ.


TEXTE INTÉGRAL

Les Naufragés du Costa Mucho

Elle et lui sont dans le même bateau.
Elle et lui tombent à l’eau. Qu’est-ce qui reste ?
La vie est un naufrage. L’au-delà un paradis fiscal. 

2 PERSONNAGES 

Patrick et Nathalie

 Les deux personnages peuvent être interprétés par les mêmes comédiens tout au long de la pièce ou par plusieurs comédiens successivement (ce qui accentuera la dimension comique, onirique et symbolique). La distribution peut donc être variable en nombre et sexe.

Jour 1

Bruit de vagues et de mouettes. À mesure que le bruitage s’estompe, la lumière se fait progressivement sur un îlot. Quelques rochers en fond de scène (avec accès aux coulisses de part et d’autre). Un peu de sable. Deux palmiers malingres. Une bouée de sauvetage marquée Costa Mucho accrochée au tronc d’un des deux palmiers. Quelques objets sont épars sur le rivage (côté scène, la salle figurant l’océan). Ces accessoires, dissimulés derrière des rochers ou enfouis dans le sable, ne deviendront visibles que lorsque les personnages les trouveront. Un homme et une femme en tenues estivales gisent inconscients sur le sol, lui style beauf et elle plus sophistiquée. La sonnerie d’un portable retentit. L’homme se réveille. La sonnerie s’arrête. Il regarde autour de lui, semblant ne pas savoir où il est. Il se lève et fait le tour de l’île, disparaissant un instant (sortant à jardin et rentrant à cour). Toujours aussi désorienté, il aperçoit le portable par terre et le ramasse. Il l’observe un instant avec curiosité puis compose un numéro.

Patrick – Oui Christelle, c’est moi. Écoute… Je viens de me réveiller, là, et… Je ne comprends pas… Je suis sur une sorte de plage… Je ne sais pas si… On avait une escale de prévue ou bien… Mais toi, tu es où ? Bon, rappelle-moi dès que tu as ce message…

Il repose le téléphone, et aperçoit la femme, toujours allongée, comme si elle dormait. Il la regarde, intrigué.

 

Patrick – Excusez-moi, je… (Comme la femme ne bouge pas, il hausse le ton) Oh, est-ce que vous m’entendez ? (Elle ne réagit toujours pas, il la secoue en hurlant presque) Eh, réveillez-vous ! (Aucune réaction) Ma parole, elle est ivre morte… (Pris d’un doute) Ou alors, elle est vraiment morte…

 

Il jette un nouveau regard étonné autour de lui. Puis il refait le tour de l’île, disparaissant derrière le rocher. Pendant ce temps, la femme reprend conscience et se lève, dans un état second. L’homme revient et tombe nez à nez avec elle. Il sursaute.

 

Patrick – Oh putain ! Vous m’avez fait peur…

Nathalie – Merci.

Patrick – Vous n’auriez pas vu ma femme, par hasard ?

Nathalie – Votre femme ?

Patrick – Oui, ma femme. Christelle.

La femme à son tour regarde autour d’elle.

Nathalie – Mais on est où, là ?

Patrick – Sur une île, apparemment. Enfin, un îlot, plutôt.

Nathalie – Une île ?

Patrick – Oui. Une île déserte.

Nathalie – Et vous avez vu quelqu’un ?

Patrick – Je vous dis que c’est une île déserte ! À part vous, je n’ai vu personne…

Nathalie – Et qu’est-ce qu’on fait là ?

Patrick – Je comptais un peu sur vous pour me le dire…

Le femme dévisage l’homme un instant.

Nathalie – Mais je vous reconnais, vous…

Patrick – Ah oui ?

Nathalie – Vous aussi, vous étiez sur le Costa Mucho !

Patrick – Je faisais une croisière avec ma femme, pour fêter notre anniversaire de mariage. Enfin, c’était surtout une idée de Christelle, parce que moi, les croisières…

Nathalie – Christelle ! C’est ça, je me souviens… Une grosse, avec un chemisier orange. On était assises juste en face, hier, à la soirée du capitaine.

Patrick – Le thème c’était Halloween, mais elle trouvait que les citrouilles, ça ne l’avantageait pas… Alors elle a eu l’idée de s’habiller en orange…

Nathalie – C’est ça, oui… Le capitaine m’a invitée à danser… Et après, je ne me souviens plus de rien…

Patrick – C’est bizarre, moi non plus…

Nathalie – Comment on est arrivé là ?

Patrick – Aucune idée.. Où est le bateau ?

Nathalie – Il est peut-être de l’autre côté.

Patrick – De l’autre côté ?

Nathalie – De l’autre côté de l’île !

Patrick – J’ai déjà fait le tour deux fois. Et croyez-moi, ça ne prend que le temps de le dire.

Nathalie – Vous pensez qu’on a fait naufrage ?

Patrick – Un naufrage ?

Nathalie – Pourquoi on nous aurait abandonnés volontairement tous les deux sur cet îlot ?

Patrick – Je n’en sais rien.

Nathalie – C’est peut-être un jeu… (Il lui lance un regard perplexe) Une animation. Pour distraire les passagers pendant la traversée.

Patrick – Comme l’Île de la Tentation, vous voulez dire ?

Elle le regarde un peu inquiète.

Nathalie – Vous êtes vraiment sûr qu’on est sur une île ?

Patrick – Un bout de rocher entouré d’eau de partout… Comment vous appelez ça, vous ?

Nathalie – Je ne sais pas… C’est peut-être une île seulement à marée haute…

Patrick – Comment ça, à marée haute ?

Nathalie – Comme le Mont-Saint-Michel.

Patrick – Ça ne ressemble pas du tout au Mont-Saint-Michel…

Nathalie – Ça m’est arrivé une fois, du côté de Saint-Malo.

Patrick – Tout à l’heure, c’était le Mont-Saint-Michel…

Nathalie – Ça revient au même. On était allées voir le tombeau de Chateaubriand, avec maman.

Patrick – Au Mont-Saint-Michel ?

Nathalie – À Saint-Malo ! Les Mémoires d’Outre-tombe, vous connaissez quand même ?

Il lui lance un regard agacé.

Patrick – Vous êtes prof, vous, non ?

Nathalie – Professeur de français, oui. Comment vous savez ça ?

Patrick – Je ne sais pas, une intuition…

Nathalie – Bref, on y était allées à pied, avec maman. C’était une belle promenade. On a fait quelques photos du tombeau de ce grand homme, on s’est promenées un peu. Quand on a voulu rentrer, on s’est rendu compte qu’on était entourées d’eau de partout.

Patrick (la tête ailleurs) – Sans blague…?

Nathalie – On avait oublié la marée ! Il a fallu attendre quatre heures avant de pouvoir retourner sur le continent. Quatre heures, vous vous rendez compte ?

Patrick – Quatre heures ?

Nathalie – Le temps que la mer redescende, et qu’on puisse regagner la côte à pied !

Patrick – Ah oui…

Nathalie – Le pire c’est qu’on reprenait le train le soir même pour rentrer à Paris. Le temps de passer à l’hôtel récupérer les bagages… Quand on est arrivées sur le quai, le chef de gare avait déjà sifflé le départ.

Patrick (ironique) – Quelle aventure…

Nathalie – J’espère qu’on ne va pas devoir attendre quatre heures sur cette île.

Patrick – Pourquoi, vous avez un train à prendre ?

Nathalie – Non, je ne crois pas…

Patrick (énervé) – Un tombeau… Putain, vous allez nous porter la poisse, oui…

Nathalie – Pourquoi vous dites ça ?

Patrick – C’est cet îlot qui sera notre tombeau si personne ne vient nous chercher !

Nathalie – Je vous dis, c’est peut-être qu’à marée haute…

Patrick – Vous commencez à me gonfler avec votre marée !

Nathalie – C’est juste une hypothèse…

Patrick – Oui, ben c’est une hypothèse à la con ! Et puis qu’est-ce qui vous dit qu’on est à marée haute, d’abord ?

Nathalie – Je ne sais pas… J’essaie d’être un peu optimiste…

Patrick – Optimiste ? Ouais… Parce que si on était à marée basse, plutôt… Dans quatre heures, on n’aura plus qu’à monter chacun en haut d’un cocotier…

Nathalie – Ils n’ont pas l’air bien gros…

Patrick – Et puis vous voyez une côte à proximité, vous ?

Nathalie – Non…

Patrick – Si on était sur un îlot, comme le Mont-Saint-Michel, on verrait la côte.

Nathalie – Oui, évidemment…

Patrick – Chateaubriand… Je m’en enfilerais bien un, moi, de Chateaubriand. Bien saignant… Parce que je commence à avoir les crocs… Si encore on avait fait naufrage après le dîner…

Elle le regarde soudain avec suspicion.

Nathalie – Ce n’est pas un coup monté, au moins ?

Patrick – Un coup monté ?

Nathalie – Le coup de la panne, on me l’a déjà fait, mais le coup du naufrage… Je ne me sens pas dans mon état normal… Vous m’avez fait boire, c’est ça ? Vous m’avez droguée !

Patrick – Non mais ça ne va pas bien, non ?

Nathalie – Oui, oh, je connais les hommes…

Patrick – Ça ne se voit pas tellement, si je peux me permettre… D’ailleurs, je ne suis pas sûr que j’aurais été très intéressé, figurez-vous.

Nathalie – Oui, bon, ça va… Ce n’est pas la peine d’être désobligeant, non plus.

Patrick – Et puis je vous rappelle que je suis marié ! Au fait, c’est vrai, ça… Elle est où Christelle ?

La femme se fige soudain.

Nathalie – Maman !

Patrick – Ah non ! Vous n’allez pas appeler votre mère, maintenant !

Nathalie – Maman, elle aussi elle était sur le Costa Mucho !

Patrick – Ah oui…? Ah merde…

Nathalie – Oh mon Dieu ! Vous croyez qu’ils sont tous morts ?

Patrick (ailleurs) – Tous ?

Nathalie – Tous les autres passagers ! Ceux qui étaient avec nous sur le paquebot !

Patrick – Je ne sais rien… Je ne comprends pas…

Un temps.

Nathalie – On est peut-être en Grèce.

Patrick – En Grèce ? Pourquoi en Grèce ? Il y a cinq minutes vous misiez sur le Mont-Saint-Michel.

Nathalie – C’était une croisière en Méditerranée, non ?

Patrick – La Grèce, c’est quand même plus grand que ça.

Nathalie – Il y a beaucoup d’îles, en Grèce. Certaines sont sûrement toutes petites.

Patrick – Remarquez, c’est tellement le foutoir, ici… Ça pourrait être la Grèce…

Nathalie – J’y suis allée il y a quelques années, avec maman… Mais je ne reconnais pas du tout.

Patrick – En tout cas, si on est en Grèce, il faut abandonner tout espoir de regagner la côte à pied à marée basse.

Nathalie – Pourquoi ça ?

Patrick – Mais parce qu’il n’y a pas de marées en Méditerranée.

Nathalie – Ah oui, c’est vrai.

Patrick – Ben oui. Je ne connais peut-être pas… Chateaubriand, mais au moins je sais qu’il n’y a pas de marées en Méditerranée.

Nathalie – Enfin, il y en a, mais… elles sont de très faibles amplitudes.

Patrick – C’est ça… De très faibles amplitudes…

Nathalie – Ben oui.

Patrick – Un naufrage… Je rêve… Avec le pognon que ça m’a coûté, cette putain de croisière sur le Costa Mucho…

Nathalie – Vous êtes vraiment obligé de placer au moins une fois le mot putain dans chacune de vos phrases ?

Complètement déboussolé, il n’entend même pas cette remarque.

Patrick – Oh putain… Qu’est-ce que vous disiez ?

Nathalie – Non rien, je… Je me demandais si…

Patrick – C’est quand même flippant, non ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Nathalie – Je ne sais pas… Le Titanic, c’était à cause d’un iceberg.

Patrick – Les icebergs, c’est très rare, en Méditerranée.

Nathalie – Surtout en été…

Patrick – Non, c’est peut-être un récif…

Nathalie – Un récif ? Il y a des récifs, en pleine mer ? Au beau milieu de la Méditerranée ?

Patrick – Il y a bien des îlots ! Comme celui sur lequel on vient de s’échouer.

Nathalie regarde la mer, côté salle.

Nathalie – Vous vous rendez compte ? Si ça se trouve, le bateau est juste là, sous nos pieds, par quelques mètres de fond. Avec tous ses passagers à bord…

Patrick – Vous croyez qu’on est les seuls survivants ?

Nathalie – Je ne sais pas.

Patrick – Ça devait être un récif comme celui-là, mais sans palmiers pour signaler sa présence.

Nathalie – Mais pour les récifs, il y a des cartes. Des cartes maritimes. C’est comme quand on voyage en voiture, il y a des cartes pour vous indiquer où sont les montagnes, et les routes pour les traverser. Sans risquer de s’écraser dessus…

Patrick – Des cartes… Encore faut-il les regarder, les cartes ! Et savoir les lire… Rien qu’à voir la gueule du capitaine… On aurait dû se méfier.

Nathalie – Pourquoi ça ?

Patrick – Il ressemblait plus à un danseur de tango qu’à un vieux loup de mer, voilà pourquoi !

Nathalie – D’accord, il ne portait pas de pull marin, il n’avait pas la barbe, et il ne fumait pas la pipe… Mais tout de même, pour être capitaine d’un paquebot comme le Costa Mucho… Il faut faire des études.

Patrick – Tu parles… Maintenant, n’importe quel crétin peut conduire un pétrolier ! Il était argentin, c’est ça ?

Nathalie – Italien.

Patrick – En tout cas, avant de devenir capitaine, il avait sûrement pris plus de cours de danse de salon que de pilotage en mer.

Nathalie – Vous avez l’air d’en connaître un rayon, dites-moi… Et vous faites quoi, comme métier, vous ?

Patrick – Je suis chauffeur routier.

Nathalie – Ah oui… J’imagine que ça fait de vous un grand spécialiste de la navigation maritime.

Patrick – J’essaie de comprendre ce qu’on fout là, c’est tout.

Un temps.

Nathalie – Tout de même, il avait de la classe… Dans son uniforme blanc, avec sa casquette à visière… Et croyez-moi, il dansait très bien le tango !

Patrick – La fameuse soirée du capitaine… Il faut bien que la croisière s’amuse… Surtout ces dames…

Nathalie – Il faut reconnaître qu’il avait plutôt belle allure.

Patrick – N’empêche que c’est sûrement à cause de ce gigolo si on est échoués ici.

Nathalie (chantant et esquissant un pas de danse) – Besame, besame mucho… Je m’en souviens, c’est ce que jouait l’orchestre juste avant que le bateau coule.

Patrick – Vous vous souvenez du naufrage ?

Nathalie – Non… Je me rappelle seulement que j’étais dans les bras du capitaine. C’est lui qui me faisait danser, justement. J’en ai encore le coeur qui chavire…

Patrick – Besame… Ça on peut dire qu’ils nous ont bien baisés, oui.

Nathalie – Je vous en prie, ce n’est pas la peine d’être vulgaire !

Patrick (chantant lui aussi) – Cuestame, cuestame mucho… Si au lieu de faire danser ces dames au bal du capitaine, ce vieux maquereau était resté à son poste pour tenir le manche…

Nathalie – Quel manche ?

Patrick – Oui enfin… Le gouvernail, si vous préférez.

Nathalie – Oui, parce que le manche…

Patrick – Il n’empêche que si on a fait naufrage, c’est bien parce que ce crétin s’y est pris comme un manche !

Nathalie – Qu’on le veuille ou non… Le capitaine est le seul maître à bord après Dieu.

Patrick ramasse une casquette de marin, sur le sol.

Patrick – Eh ben il semblerait que Dieu est mort…

Il met la casquette. Elle le regarde, consternée.

 

Nathalie – Non…

Patrick – Au moins, il m’a laissé sa casquette. Parce qu’avec cette chaleur…

Nathalie – Mais c’est affreux… Vous croyez que maman est morte aussi ?

Patrick – Je ne sais pas… Elle savait nager ?

Nathalie – Non…

Patrick – Dans ce cas, à moins d’un miracle…

Nathalie – Et votre femme, elle savait nager ?

Patrick – Dans une piscine, oui… De toutes façons, en cas de naufrage, vous savez… Passées quelques heures, ça ne change pas grand chose.

Nathalie – Alors à cette heure-ci, vous êtes probablement veuf.

Patrick – Ouais… Et vous orpheline.

Nathalie – C’est tout l’effet que ça vous fait ?

Patrick – Le pire n’est jamais sûr… Le meilleur non plus, d’ailleurs… Tant qu’on n’a pas reçu les faire-part…

Nathalie – Et puis ça vous dérangerait de retirer cette casquette ?

Patrick – Pourquoi ça ?

Nathalie – Je ne sais pas… Je trouve ça indécent… Si ce pauvre homme a coulé avec son bateau.

Patrick – Très bien… Si vous préférez que j’attrape une insolation…

Il retire sa casquette à regret.

Nathalie – Oh mon Dieu… Dire que c’est moi qui ait invité ma mère à faire cette croisière… C’était son cadeau d’anniversaire, pour ses 60 ans…

Nathalie semble au bord des larmes.

Patrick – Ah non, vous n’allez pas vous mettre à chialer… Et puis je vous dis, on n’en sait rien… Peut-être que c’est nous qui sommes tombés du bateau.

Nathalie reprend espoir.

Nathalie – Ou alors, ils sont sur un autre îlot, comme celui-là.

Patrick – Ou à trente dans un petit canot pneumatique, genre boat people.

Nathalie – C’est affreux. Rien que d’y penser… J’en ai des crampes d’estomac.

Patrick – Oui, moi aussi… Mais moi c’est plutôt parce que je n’ai rien becqueté depuis hier soir.

Silence.

Nathalie – Pourquoi est-ce qu’il a fallu que ça tombe sur nous ?

Patrick semble apercevoir quelque chose par terre.

 

Patrick – Je ne sais pas.

 

Il se penche et ramasse discrètement quelque chose par terre sous un des deux palmiers.

 

Nathalie – Vous croyez au destin, vous ?

Patrick – Le destin ?

Malheureusement, son geste n’échappe pas à l’attention de Nathalie.

Nathalie – Qu’est-ce que c’est ?

Patrick – Un Bounty.

Nathalie – Alors c’est tout ce qu’on a pour survivre en attendant les secours ? Un Bounty pour deux.

Patrick – Pour deux ?

Nathalie – On partage, non ?

Patrick – C’est moi qui l’ai trouvé, ce Bounty… (Elle le fusille du regard) Ok, on partage…

Nathalie – Il vaudrait peut-être mieux le garder pour quand on aura vraiment faim.

Patrick – Mais j’ai vraiment faim !

Il déballe le Bounty, le coupe en deux, lui donne la moitié et mange la sienne.

 

Patrick – Oh putain, c’est bon…

Elle l’observe avec un air offusqué, puis se résigne à manger sa moitié.

Nathalie – Si on nous retrouve, on nous appellera les rescapés du Bounty.

Il lui lance un regard d’incompréhension.

Nathalie – Ah, vous ne connaissez pas non plus ?

Patrick – Quoi ?

Nathalie – Le film ! Les Rescapés du Bounty !

Patrick – Un film ?

Nathalie – Si on doit passer beaucoup de temps ensemble sur cette île, je me demande de quoi on va bien pouvoir parler…

Patrick – Je ne vous oblige pas à parler.

Elle reste silencieuse un instant en mâchant son Bounty.

Patrick – D’ailleurs, le film, ce n’est pas Les Rescapés du Bounty, c’est Les Révoltés du Bounty…

Nathalie – Alors vous allez quand même au cinéma de temps en temps…

Patrick – Ouais… Ils font naufrage, et ils finissent par se bouffer entre eux.

Nathalie – Là vous confondez avec le Radeau de la Méduse…

Il lui lance un regard agacé, mais ne répond pas.

Nathalie – C’est assez brumeux, tout de même…

Patrick – Quoi, cette histoire ?

Nathalie – Le temps ! Il y a du brouillard, non ?

Patrick – Même dans le brouillard, maintenant, on peut éviter les récifs. Il y a des radars.

Nathalie – Non, je veux dire, s’il y avait une côte, là, pas très loin, on ne la verrait pas forcément.

Patrick – Je ne sais pas… J’ai perdu mes lunettes dans le naufrage…

Nathalie – Ah vous aussi…

Patrick – Ce n’est peut-être pas la brume, alors, si on ne voit pas bien…

Un temps.

Nathalie – Je vais aller faire le tour de l’île, pour me faire une idée par moi-même.

Patrick – Ok.

Nathalie – Vous ne venez pas avec moi ?

Patrick – Même sans vos lunettes, vous ne risquez pas de vous perdre. Pourquoi je viendrais avec vous ?

Nathalie – Pour me tenir compagnie…

Patrick – Tout à l’heure, vous trouviez que je manquais de conversation… Vous avez la trouille, c’est ça ?

Nathalie – Mais pas du tout !

Patrick – Ouais… Vous avez quand même besoin de moi, mais vous ne voulez pas l’admettre.

Nathalie – Très bien, restez ici, j’y vais…

Nathalie disparaît derrière le rocher.

 

Patrick – Restez ici… Où voulez-vous que j’aille, de toutes façons…

 

Un temps. Il aperçoit à nouveau quelque chose par terre. Il ramasse un autre Bounty, vérifie qu’elle n’est pas là, et le mange. Nathalie revient avec une valise.

Patrick – Vous partez en voyage ?

Nathalie – Très drôle.

Patrick – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Nathalie – Une valise.

Patrick – Oui, merci. Même sans mes lunettes, je vois bien que ce n’est pas ma femme.

Nathalie – J’ai trouvé ça de l’autre côté, sur le rivage. Vous n’aviez rien vu, tout à l’heure ?

Patrick – Peut-être qu’elle vient de s’échouer. En tout cas, ce n’est pas ma valise. J’imagine que ce n’est pas la vôtre non plus.

Nathalie – Non, malheureusement… Qu’est-ce qu’on fait ?

Patrick – Comment ça, qu’est-ce qu’on fait ?

Nathalie – On l’ouvre ou pas ?

Patrick – Pourquoi on ne l’ouvrirait pas ?

Nathalie – Elle n’est pas à nous cette valise.

Patrick – Et alors ?

Nathalie – Moi je n’aimerais pas qu’un inconnu fouille dans ma valise.

Patrick – La personne à qui appartient cette valise est sans doute en train de se faire bouffer par les poissons à l’heure qu’il est, alors bon…

Nathalie – Vous croyez ?

Patrick – Il n’y a sûrement que des fringues et une brosse à dents, mais on ne sait jamais.

Nathalie – Une brosse à dents et quelques vêtements de rechange, je ne serais pas contre.

Patrick – Ouais… Ben moi, je préférerais quelque chose à bouffer.

Nathalie – Vous ne pensez qu’à manger, vous ?

Patrick – Bon sang, allez-y, ouvrez-la, cette putain de valise ! Qu’on en finisse !

Nathalie – D’accord… (Elle va pour ouvrir la valise mais se ravise) Pourquoi moi ?

Patrick – Pourquoi pas ?

Nathalie – Je ne sais pas… C’est quand vous avez dit… qu’on en finisse.

Patrick – Et alors ?

Nathalie – C’est peut-être une valise piégée.

Patrick – Tout à l’heure vous m’accusiez de vous avoir kidnappée pour vous faire subir les derniers outrages… Maintenant une valise piégée… Vous êtes du genre parano, vous…

Nathalie – Je me méfie du genre humain en général, et des hommes en particulier, c’est tout.

Patrick – Ok, vous avez raison. Je comprends tout, maintenant. Des terroristes nous ont abandonnés sur cette île déserte avec une valise pour qu’on se fasse sauter le caisson en l’ouvrant. Sans risquer de causer des dégâts collatéraux…

Nathalie – Et pourquoi pas ?

Patrick – C’est un peu tordu, non ?

Nathalie – Ces gens-là sont souvent assez tordus.

Patrick – Tout de même.

Nathalie – Eh ben allez-y. Ouvrez-la, vous !

Patrick – Pas de problème.

Il s’apprête à ouvrir la valise, avec malgré tout une petite appréhension. Mais la serrure résiste.

 

Nathalie – Alors ?

Patrick – C’est fermé à clef.

Nathalie – Faites voir.

Elle sort une épingle de ses cheveux, la tord, et crochète la serrure sous le regard étonné de Patrick. La valise s’ouvre.

Nathalie – Et voilà.

Patrick – On dirait que vous avez fait ça toute votre vie…

Nathalie – C’est maman qui m’a appris à faire ça.

Patrick – Tiens donc ? C’est marrant, votre mère, je la voyais plutôt en train de tricoter que de crocheter des serrures…

Nathalie – On peut faire des tas de choses avec des aiguilles à tricoter… J’en ai toujours une sur moi…

Il la regarde avec un air un peu inquiet.

Patrick – Et alors, qu’est-ce qu’il y a dans cette valise ?

Nathalie regarde à l’intérieur.

Nathalie – Vous n’allez pas le croire.

Patrick – Quoi ?

Il s’approche et regarde à l’intérieur de la valise.

Patrick – Non…

Nathalie – Une valise pleine de billets de banque !

Patrick – C’est dingue…

Nathalie – Il y a de quoi rembourser la dette de la Grèce.

Patrick – Ce n’est pas la première idée qui me serait venue à l’esprit, mais c’est vrai que ça fait un sacré paquet de fric.

Nathalie – Ça doit venir du bateau.

Patrick – Qui peut bien partir en croisière avec une valise remplie de billets de banque ?

Nathalie – Surtout qu’on était en formule tout compris.

Patrick – Sauf la boutique duty free.

Nathalie – Je ne vois pas quelqu’un emmener une valise pleine de billets de 500 euros juste pour dévaliser la boutique duty free…

Patrick – Bon… On partage ?

Nathalie – C’est moi qui l’ai trouvée…

Patrick – Je vous ai donné la moitié de mon Bounty.

Nathalie – De toute façon, qu’est-ce qu’on peut faire de tout cet argent sur une île déserte ? Vous voyez une boutique duty free, dans les parages ?

Patrick – Oui, remarquez, ce n’est pas faux…

Nathalie – Sur une île déserte, les billets de 500 euros… Ça ne vaut pas plus que des billets de Monopoly.

Patrick – Ouais… Il aurait mieux valu que celle valoche soit pleine de charcuterie.

Nathalie – Une valise remplie de cochonnaille… Comme dans La Traversée de Paris. C’est sûr que cette île, on ne mettrait pas toute la nuit pour la traverser…

Patrick – Quoi ?

Nathalie – La Traversée de Paris… Avec Bourvil et Gabin… Ça ne vous dit rien non plus ?

Patrick – Si on doit passer le restant de nos jours ensemble sur cet îlot, il va falloir arrêter avec vos citations à la con, hein ? On n’est pas à l’école, ici !

Nathalie – Ok. Excusez-moi…

Silence.

Nathalie – C’est peut-être de l’argent sale.

Patrick – Évidemment que c’est de l’argent sale ! Qu’est-ce que vous croyiez ? Que c’était de l’argent de poche ?

Nathalie – J’imagine le scénario…

Patrick – Vous allez trop au cinéma, vous…

Nathalie – Ces billets étaient destinés à payer une livraison de drogue. Et l’échange devait avoir lieu sur le paquebot…

Patrick – C’est vrai qu’un bateau de croisière pour les seniors, c’est un lieu d’échange plutôt discret pour des trafiquants de cocaïne.

Nathalie – Pour les seniors ? Je vous remercie.

Patrick – Je parlais pour votre mère. Il faut avouer que la moyenne d’âge sur ce bateau était quand même assez élevée, non ? Et tous ces retraités, ils n’avaient pas des tronches à sniffer de la coke.

Nathalie – Oh mon Dieu ! Et si ces trafiquants veulent récupérer leur valise ?

Patrick – Non mais ça ne tient pas debout, votre histoire. Des trafiquants de drogue sur un bateau de croisière…

Nathalie – Vous avez une meilleure explication ?

Patrick – Je ne sais pas, moi… Un vieux rentier qui voulait planquer ses économies dans un paradis fiscal en profitant d’une escale.

 

Elle referme la valise.

 

Patrick – Qu’est-ce que vous faites ?

Nathalie – Cet argent ne nous appartient pas. On le rendra à son légitime propriétaire si on arrive un jour à repartir d’ici.

Patrick – Mais si tous les passagers sont morts, et le propriétaire avec !

Nathalie – On la dépose aux Objets Trouvés, et si dans un an et un jour, personne n’est venu la réclamer, cette valise pleine de billets est à nous.

Patrick – C’est une blague ?

Nathalie – Qu’est-ce que vous proposez ? Qu’on monte tous les deux à califourchon sur cette valise, et qu’on rame jusqu’en Grèce en utilisant des liasses de billets de 500 en guise de pagaie ?

Patrick – Les secours finiront peut-être par nous repérer…

Nathalie – C’est ça… Et si on nous retrouve un jour ? Vous nous imaginez monter dans l’hélicoptère de la gendarmerie avec une valise pleine de billets de banque ?

Patrick – Je ne sais pas, moi… On peut enterrer la valise. Et on revient la chercher après…

Nathalie – Enterrer ?

Patrick – Comme dans l’île au Trésor ! Vous voyez que moi aussi, j’ai lu des livres, dans ma jeunesse…

Nathalie – Je vous rappelle que c’est votre femme que vous allez devoir enterrer, si les requins ne l’ont pas bouffée avant. Et moi ma mère…

Patrick – Votre mère, votre mère…

Nathalie – Quoi, ma mère ?

Patrick – J’ai l’impression qu’elle vous étouffait un peu, votre mère, non ?

Nathalie – Ah oui ? Vous ne la connaissez même pas !

Patrick – Admettez qu’à votre âge, partir en croisière avec sa mère…

Nathalie – Et quel âge vous me donnez ?

Patrick – J’ai pour principe de ne jamais me prononcer sur ce genre de questions. Mais quels que soient nos âges respectifs, si on ne nous retrouve pas bientôt, je crois qu’on ne sera jamais vieux.

Nathalie a un mouvement d’abattement.

Nathalie – Combien de temps vous croyez qu’on peut tenir comme ça ?

Patrick – Je ne sais pas…

Nathalie – On peut se passer de manger pendant plusieurs jours… Un petit régime de temps en temps…

Patrick – C’est ça… On n’a qu’à dire qu’on commence le ramadan aujourd’hui…

Nathalie – Je vous en prie… Je déteste les plaisanteries xénophobes.

Patrick – En dernier recours, l’un d’entre nous pourra bouffer l’autre pour tenir un peu plus longtemps…

Nathalie – Vous plaisantez, là ou bien…?

Il laisse planer le doute.

Patrick – En tout cas, on ne peut pas se passer de boire plus d’une journée ou deux. Surtout avec cette chaleur. Je me taperais bien une bonne bière, moi.

Nathalie – Il faudrait qu’on puisse alerter les secours. Vous avez un téléphone portable ?

Patrick – Il y en a un là. Je pensais que c’était le vôtre.

Il prend le téléphone.

Patrick – Pas de réseau.

Nathalie – On pourrait allumer un feu de détresse, pour signaler notre présence ?

Patrick (ironique) – Super… Vous avez des allumettes ? Je vais chercher le bois…

Nathalie – Donnez-moi ce téléphone. Il y a peut-être plus de réseau de l’autre côté.

Elle disparaît derrière le rocher. Il aperçoit quelque chose par terre, dépassant du sable, et le ramasse. C’est une canette de bière. Il l’ouvre et boit. Elle revient avec un parasol plié. Il planque sa canette à la hâte.

 

Patrick – Alors ?

Nathalie – Pas de réseau non plus par là-bas. Mais j’ai trouvé un parasol. Il y a deux transats, aussi. Ce sont les courants qui ont dû déposer ça sur l’île.

Il sort. Elle déplie le parasol et le pose. Il revient avec deux transats, qu’il installe. Ils s’asseyent sous le parasol.

 

Patrick – On aurait presque l’impression d’être en vacances…

 

Nathalie – Si seulement on avait quelque chose à boire…

Il boit une gorgée de la canette. Elle lui jette un regard étonné et envieux.

Patrick – Regardez dans le sable, là.

Elle fouille dans le sable et trouve une canette de Coca. Elle se rassied et boit sa canette.

Patrick – Apparemment, sur le Costa Mucho, en cas de naufrage aussi, c’est la formule tout compris.

Nathalie – Tout ça est de plus en plus bizarre.

Patrick – Non, tu crois ?

Nathalie (offusquée) – Alors on se tutoie, maintenant ?

Patrick – Si on doit finir nos jours ensemble sur cette île déserte, je pense qu’on finira par atteindre un certain niveau d’intimité.

Nathalie – Un certain niveau d’intimité ? Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Patrick – On n’aura pas trop le choix, voilà.

Nathalie – C’est très galant, ce que vous dites.

Patrick – C’est un fait. On n’est que deux. On n’aura pas le choix. Comme Adam et Eve…

Nathalie – Le choix ? On dirait que vous considérez l’amour comme un magasin plus ou moins bien achalandé.

Patrick – Oui, oh, ça va… Moi au moins, j’étais en croisière sur Le Costa Mucho avec ma femme. Pas avec ma mère…

Nathalie – C’est ça… Essayez, pour voir… Je vous apprendrai ce qu’on peut faire avec des aiguilles à tricoter…

Le téléphone portable se met à sonner. Ils restent tous les deux figés de surprise.

Patrick – Eh ben répondez !

Elle se précipite sur le téléphone et prend l’appel.

Nathalie – Oui… ? La valise… Ah non, je suis désolée, je… Je n’écoutais pas la radio… Non, non, ce n’est pas grave… Oui, merci, vous aussi…

Elle reste figée un instant, le portable à la main. Patrick affiche un air consterné.

Patrick – Qu’est-ce qu’ils vous ont demandé ?

Nathalie – Ils m’ont demandé… si je connaissais le montant de la valise.

Patrick – La valise ?

Nathalie – Oui… La valise.

Patrick – Quelle valise ?

Nathalie – Cette valise-là, j’imagine. Pas la valise RTL. Encore que… Maintenant que j’y pense, j’ai un doute…

Patrick – C’est RTL qui vous appelle, vous êtes en direct avec des millions d’auditeurs et vous n’en profitez pas pour leur signaler qu’on a fait naufrage ?

Nathalie – Je suis désolée, j’étais un peu surprise. Je n’y ai pas du tout pensé.

Patrick – Donnez-moi ce téléphone ! Je vais les rappeler…

Il prend le téléphone et appuie sur la touche rappel.

Patrick – Et merde, plus de réseau…

Nathalie – C’est dingue quand même… Si c’était vraiment la radio… Vous vous rendez compte ? Pour un peu on gagnait la valise RTL…

Patrick – Mais on l’a déjà, cette putain de valise ! Si vous voulez savoir combien elle contient, vous n’avez qu’à compter les billets !

Nathalie – C’est vrai vous avez raison… D’habitude, ils demandent le montant avant d’envoyer la valise ? C’est bizarre, non ?

Patrick – C’est tout ce que vous trouvez bizarre, vous ?

Ils restent tous les deux prostrés un moment.

Patrick – Vous savez quoi ?

Nathalie – Quoi ?

Patrick – Je me demande si ma femme ne me trompe pas.

Nathalie – Pourquoi vous dites ça ?

Patrick – Je ne sais pas, je la trouve un peu distante, en ce moment.

Nathalie – Non, je veux dire, pourquoi vous me dites ça, là, maintenant ? À moi.

Patrick – Je ne sais pas, je… À qui voulez-vous que je le dise ? Vous voyez quelqu’un d’autre sur cette île avec qui je pourrais parler de ça ?

Nathalie – Mais je m’en fous, moi, si votre femme vous trompe ou pas. Non mais vous vous rendez compte de la situation dans laquelle on est ? Alors que vous soyez cocu ou pas… Vous croyez vraiment que c’est le problème, là, tout de suite ?

Patrick – Si on ne peut plus parler de rien…

Un temps.

Nathalie – Et puis c’est votre femme qui devrait être jalouse, non ? De vous savoir tout seul sur une île déserte avec une charmante jeune femme !

Patrick – Bon d’accord, alors je vous écoute. De quoi vous voulez qu’on parle ?

Nathalie – Je ne sais pas moi… Il faudrait s’organiser un peu.

Patrick – S’organiser ?

Nathalie – Pour survivre. En autonomie complète. Vous avez lu Naufragé Volontaire, d’Alain Bombard ?

Patrick – Vous n’allez pas recommencer…

Nathalie – Pardon… Vous savez pêcher ?

Patrick – Avec une canne à pêche, oui.

Nathalie – Apparemment, les courants ramènent pas mal de choses par ici. On peut toujours espérer qu’ils nous apportent une canne à pêche dernier modèle.

Patrick – Ou mieux, qu’une boîte de sardines à l’huile ou de maquereaux au vin blanc vienne s’échouer de temps en temps sur notre plage privée.

Un temps.

Nathalie – Notre plage privée… C’est vrai, après tout. Quand on y songe. Cette île est à nous.

Patrick – À nous ?

Nathalie – Si elle ne figurait sur aucune carte, dans les eaux internationales.

Patrick – Ah oui ?

Nathalie – Juridiquement, je pense qu’on pourrait déclarer notre indépendance et fonder un état.

Patrick – C’est petit pour un pays, non ?

Nathalie – C’est assez grand pour un paradis fiscal.

Patrick – Remarquez, ce n’est pas con… (Désignant la valise) Et on a déjà la mise de fonds de départ.

Nathalie – Si on nous demande de rendre cet argent, on dira qu’on n’a signé aucun accord d’extradition.

Patrick – Si ça se trouve, tout ce fric, c’est celui que les passagers ont payé pour cette croisière hors de prix sur ce putain de rafiot qui a fait naufrage.

Nathalie – Vous avez raison… Finalement, ça n’est que justice si tout ça nous revient…

Un temps.

Patrick – J’ai l’impression qu’on s’enfonce, là…

Nathalie – C’est clair. Si on reste ici trop longtemps, on finira par devenir fous.

Patrick – Non, je veux dire, on s’enfonce vraiment.

Nathalie – Vous êtes sûr ?

Patrick – Je ne sais pas… J’ai l’impression que tout à l’heure, la plage était plus grande…

Nathalie – Ça doit être le réchauffement climatique.

Patrick – Ou la marée… C’est vrai, même en Méditerranée, il y a une petite marée.

Nathalie – On voit de moins en moins, non ?

Patrick – La nuit va bien finir par tomber.

Nathalie – Comment on s’organise pour dormir ?

Patrick – Vous y tenez, à votre organisation…

Nathalie – Vous prenez quel côté ?

Patrick – On n’a pas de lit !

Nathalie – Quel côté de l’île !

Patrick – Il vaut mieux qu’on reste groupés, non ?

Nathalie – Groupés ? Qu’est-ce que vous entendez par là, exactement ?

Patrick – Groupés… Je veux dire solidaires…

Nathalie – Ok…

Patrick (lui mettant une main sur l’épaule) – Allez, je crois qu’on est partis sur un mauvais pied, tous les deux… Puisqu’on est coincés ici pour un moment, autant prendre les choses du bon côté, non ?

Nathalie (réticente) – Bon, on ne va pas se coucher tout de suite, non plus. Vous avez envie de dormir, vous ?

Patrick – Vous avez raison, admirons le coucher de soleil…

Il s’assied près d’elle.

Nathalie – Vous me draguez, là ?

Patrick – Mais pas du tout !

Nathalie – Désolée, je croyais.

Patrick – Il ne faut pas croire à ce qu’on voit, ça ressemble trop à ce qu’on espère.

Nathalie – Alors vous aussi, vous succombez au démon de la citation.

Patrick – Je ne savais pas que c’était une citation…

Nathalie – Ce qu’on espère ? Ma parole, vous vous prenez pour un Don Juan !

Patrick – Et vous ? Pour une femme fatale, peut-être ?

Nathalie – Ok… On a dit qu’il fallait rester groupés… D’ailleurs, je ne connais même pas votre prénom.

Patrick – Patrick.

Nathalie – Patrick ? Ah oui, ça… Ça vous va bien.

Patrick – Merci… Et vous ?

Nathalie – Nathalie. Je sais, ça me va bien aussi…

Patrick – Je n’ai rien d’un Don Juan, je sais bien.

Nathalie – Ne vous dévalorisez pas non plus. Vous n’êtes pas si mal que ça.

Patrick – Vous trouvez ?

Nathalie – Ne vous emballez pas non plus…

Patrick – Vous en revanche… Vous avez tout d’une femme fatale…

Nathalie – Ah oui ?

Patrick – À deux sur une île aussi petite… Il était fatal qu’on se rencontre.

Nathalie (pour couper court) – Bon, moi je dors. Peut-être qu’on se réveillera demain, et que ce cauchemar sera terminé…

Patrick – Vous croyez ?

Nathalie – Vous avez quelque chose de mieux à proposer ?

Ils s’étendent sur le sable et s’endorment. Le portable se met à sonner. Ils ne l’entendent pas. Bruit de foule dans un espace clos allant en s’intensifiant. Puis le bruit s’estompe à mesure que la lumière baisse.

 

Jour 2

La lumière revient progressivement. Patrick et Nathalie se réveillent. Les deux personnages peuvent être interprétés par les mêmes comédiens ou par d’autres (ce qui accentuera la dimension universelle, onirique et symbolique de la pièce). Ils se regardent, et jettent un coup d’oeil autour d’eux.

Patrick – Apparemment, ce n’était pas un cauchemar.

Nathalie – Ou alors, c’est que le cauchemar continue…

Un temps.

Nathalie – C’était quoi, vos rêves, à vous, quand vous étiez enfant ?

Patrick – Mes rêves ?

Nathalie – Qu’est-ce que vous rêviez de faire comme métier, par exemple ?

Patrick – Je rêvais de conduire un camion.

Nathalie – Alors en somme, vous êtes un homme comblé…

Patrick – Vous trouvez que je n’ai pas mis la barre assez haut, c’est ça ?

Nathalie – C’est peut-être vous qui avez raison. C’est sympa, de conduire un camion ?

Patrick – Pourquoi ? Vous envisagez de passer votre permis poids lourd ?

Nathalie – Excusez-moi, je ne voulais pas vous blesser. Et puis vous savez, prof de banlieue, aujourd’hui… On a parfois l’impression de conduire par des chemins caillouteux un camion bourré de nitroglycérine…

Patrick – Le Salaire de la Peur…

Nathalie – Ça vous plaît ? Je veux dire, par rapport à l’idée que vous vous en faisiez quand vous étiez gosse…

Patrick – Au moins, je n’ai pas de patron. En tout cas, je ne suis pas obligé de le supporter toute la journée. Sur la route, on est tout seul. On est peinard. On ne pense à rien.

Nathalie – Vous voyagez beaucoup ?

Patrick – Je fais l’international.

Nathalie – Alors vous devez connaître pas de mal de pays. Plus que moi en tout cas. Parce qu’à part la Grèce…

Patrick – Oui. Ça je connais pas mal de pays. Les stations service, surtout…

Elle ramasse quelque chose par terre.

Nathalie – Vous voulez la moitié d’un Bounty ?

Patrick – Où est-ce que vous avez trouvé ça ?

Nathalie – Sous le cocotier, là.

Patrick regarde du côté de son palmier à lui.

Patrick – Il y en a un sous le mien aussi…

Il le ramasse. Ils mangent chacun leur Bounty avec un air pensif.

Nathalie – Comment ils sont arrivés là, ces Bounty ?

Patrick – Le Père Noël, peut-être. Comme il n’y a pas de sapin, il a déposé ça sous un palmier.

Nathalie – Ou alors, ils sont tombés de l’arbre.

Patrick – Deux cocotiers transgéniques qui produiraient directement des Bounty à la noix de coco…

Nathalie – Allez savoir ? Il y a de moins en moins de choses qui m’étonnent, depuis quelque temps.

Ils finissent leurs Bounty.

Nathalie – Vous avez bien dormi ?

Patrick – Comme une souche. Pas vous ?

Nathalie – J’ai eu un peu de mal à trouver le sommeil..

Patrick – Il fallait compter les moutons.

Nathalie – À défaut de moutons, j’ai compté l’argent qu’il y avait dans la valise.

Patrick – Ah oui ?

Nathalie – Comme ça, s’ils nous rappellent, on pourra leur donner le montant exact.

Patrick – Mais puisqu’on a déjà la valise !

Nathalie – Oui mais là, elle sera vraiment à nous. Officiellement.

Patrick – Dans mon camion, j’écoute souvent RTL.

Nathalie – Les routiers sont sympas…

Patrick – Je connaissais toujours le montant de la valise, au centime près. Une fois, ils m’ont appelé. Je venais de prendre une auto-stoppeuse. J’avais coupé la radio…

Nathalie – J’espère au moins que ça valait le coup… Je veux dire, avec l’auto-stoppeuse.

Patrick – Elle s’appelait Christelle. Six mois après, on était mariés.

Nathalie – Eh ben… Ce n’est pas banal, comme façon de rencontrer sa femme…

Patrick – Vous trouvez ?

Nathalie – C’est très romantique… Mais d’après ce qu’on voit dans les films, ce n’est pas l’idée qu’on se fait de la rencontre entre un camionneur et une auto-stoppeuse…

Patrick – Je ne sais pas quel genre de films vous regardez.

Un temps.

Nathalie – Moi quand j’étais petite, j’étais une princesse. C’est ce que me disait ma mère, en tout cas. Quand je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas trop de débouchés, je me suis rabattue sur le métier de prof.

Patrick – Ah oui, c’est… Ce n’est pas tout à fait pareil…

Nathalie – C’est la meilleure façon que j’ai trouvé de ne pas quitter l’école.

 

Il regarde par terre.

 

Patrick – Tiens, qu’est-ce que c’est que ça, encore ?

Nathalie – Une bouteille… Malheureusement, elle est vide…

Patrick ramasse la bouteille.

Patrick – Ah, pas tout à fait. Regardez, il y a un papier à l’intérieur.

Nathalie (s’approchant) – Pas possible… Vous croyez que c’est un message ?

Patrick – Un message pour nous vous voulez dire ?

Nathalie – Mais c’est nous qui devrions lancer des bouteilles à la mer. Pour appeler au secours. On n’est pas supposés recevoir du courrier.

Il prend la bouteille et en extrait le papier.

Alors – Alors ?

Patrick (lisant) – « Je m’appelle Nathalie, et je suis en dernière année de maternelle à l’École Jules Ferry de Fontenay-aux-Roses dans les Hauts de Seine. Si vous trouvez ce message, merci de me le renvoyer à l’adresse ci-dessous ». Je vous épargne l’adresse…

Nathalie – 13 rue des Peupliers.

Patrick – Comment vous le savez ?

Nathalie – C’est moi qui ai écrit ce message, je m’en souviens maintenant. J’avais six ans.

Patrick – Non ? Mais c’est incroyable !

Nathalie – J’espérais qu’un prince charmant trouverait un jour cet appel au secours, qu’il m’enverrait sa photo et qu’on finirait par se marier.

Patrick – Vous deviez déjà être sacrément désespérée…

Nathalie – Merci de me le rappeler.

Patrick – Excusez-moi, ce n’est pas ce que je voulais dire.

Nathalie – Non, vous avez raison. À mon âge, partir en croisière avec sa mère… Malheureusement, pendant toutes ces années, personne n’a trouvé cette bouteille que j’avais lancée à la mer. Et aujourd’hui, c’est retour à l’envoyeur…

Patrick – Pas exactement…

Nathalie – Comment ça ?

Patrick – C’est moi qui l’ai trouvée, cette bouteille.

Nathalie – Sans vouloir vous froisser, vous ne correspondez pas tout à fait à l’idée que je me faisais à l’époque du Prince Charmant.

Patrick – Je m’en doute…

Nathalie – Surtout, mon Prince Charmant, je ne l’imaginais pas déjà marié. Avec Christelle…

Un temps.

Patrick – En fait, juste avant cette fameuse soirée du capitaine, ma femme venait de m’annoncer qu’elle voulait divorcer.

Nathalie – Après vous avoir emmené en croisière pour fêter votre anniversaire de mariage ?

Patrick – Elle voulait qu’on finisse notre histoire en beauté. C’est ce qu’elle m’a dit en tout cas.

Nathalie – Peut-être qu’elle avait flashé sur le capitaine…

Patrick – J’ai d’abord cru que c’était une blague. Mais quand je me suis réveillé ici, je me suis demandé si ce n’était pas elle qui m’avait poussé par dessus bord.

Nathalie – Je suis vraiment désolée. Mais vous savez ce qu’on dit. Une de perdue, dix de retrouvée…

Il regarde autour de lui.

Patrick – Dix ? Vous êtes sûre ?

Nathalie – Enfin, je voulais dire… Vous en retrouverez sûrement une autre…

Patrick lui lance un regard amusé.

Patrick – Oui… Une peut-être…

La lumière baisse progressivement.

 

Nathalie – Vous pensez que ma mère aussi aurait pu me pousser par dessus bord ?

Patrick – Allez savoir ? Elle avait peut-être flashé sur le capitaine, elle aussi…

Noir.

Un beau jour

La lumière revient progressivement. Une banderole est tendue entre les deux palmiers : République Autonome de Costa Poco. Les comédiens peuvent être les mêmes que précédemment, ou à nouveau avoir changé.

Patrick – Je crois que ça va encore être une belle journée.

Nathalie – Oui, une de plus…

Patrick – Vous avez bronzé, non ?

Nathalie – Vous aussi. Ça vous va très bien…

Patrick – Merci.

Il tourne les yeux vers la banderole.

Patrick – Sans mes lunettes, je n’arrive pas bien à lire ce que vous avez écrit sur cette banderole. C’est un appel au secours ?

Nathalie – Plutôt une déclaration d’indépendance.

Patrick (plisse les yeux) – République Autonome de Costa Poco. Ah oui, c’est…

Nathalie – Fini les bouteilles à la mer… J’ai décidé d’opter résolument pour l’optimisme.

Patrick – Très bien… (Un temps) République ? Vous croyez ?

Nathalie – Vous préférez royaume ?

Patrick – Ça supposerait que vous soyez ma reine…

Nathalie – Va pour république.

Patrick – On est à la fois les seuls candidats et les seuls électeurs, ça ne va pas être évident de dégager une majorité.

Nathalie – À moins que je n’arrive à vous convaincre de voter pour moi…

Patrick – Vous êtes déjà l’élue de mon coeur… Si en plus vous réclamez un plébiscite… La dictature n’est pas loin…

Nathalie – D’accord, on exercera le pouvoir par alternance.

Patrick – Et si on n’arrive pas à s’entendre sur un programme commun ?

Nathalie – On pourra toujours faire sécession.

Patrick – Il faudra trouver de nouveaux noms pour nos deux pays.

Nathalie – Costa Poco du Nord et Costa Poco du Sud ?

Un temps.

Patrick – Vous croyez qu’on est en train de devenir fous ?

Nathalie – C’est peut-être le début de la sagesse.

Patrick – Décidément… Vous êtes vraiment très optimiste.

Nathalie – On n’a qu’à considérer qu’on est en vacances…

Patrick – En vacances ?

Nathalie – On n’est pas bien, ici ? Certains payent des fortunes pour acheter une île comme ça et y passer le restant de leur vie.

Patrick – Remarquez, c’est vrai, on n’est pas si mal, finalement.

Nathalie – La mer, la plage…

Patrick – Les Bounty qui tombent directement des arbres…

Nathalie – La météo au beau fixe.

Patrick – Plus besoin de bosser.

Nathalie – De l’argent à ne plus savoir qu’en faire.

Patrick – C’est le cas de le dire… On ne peut rien acheter avec…

Nathalie – Pas d’impôts.

Patrick – Pas de taxes.

Nathalie – C’est le paradis.

Un temps.

Patrick – Vous croyez qu’on est déjà morts ?

Nathalie – Allez savoir…

Patrick – Je ne pensais pas qu’après ma mort, je finirais dans un paradis fiscal…

Un temps.

Patrick – C’est curieux, j’ai tendance à oublier ce qui s’est passé avant.

Nathalie – Avant quoi ?

Patrick – Avant ce qui nous est arrivé.

Nathalie – Qu’est-ce qui nous est arrivé ?

Patrick – La vie est un naufrage.

Nathalie – Ce n’est peut-être pas plus mal après tout, qu’on oublie un peu le passé.

Patrick – Je crois que j’étais marié. Avec une femme.

Nathalie – Vous faites bien de le préciser.

Patrick – Mais je ne me souviens plus de son nom.

Nathalie – Christelle.

Patrick – C’est ça. Vous vous souvenez ?

Nathalie – Christelle. C’est un nom qui ne s’oublie pas.

Patrick – Et vous, vous n’aviez pas une mère ?

Nathalie – Tout le monde a une mère, non ?

Patrick – Oui, je suppose…

Nathalie – Vous revoulez un Bounty ?

Patrick – Oui, volontiers.

Ils mangent chacun leur Bounty.

 

Nathalie – J’ai recompté l’argent qu’il y a dans la valise.

Patrick – Et alors ?

Nathalie – Il y a un billet de 500 en plus tous les jours.

Patrick – Tiens donc…

Nathalie – Vous croyez que ce sont les intérêts ?

Patrick – C’est le principe de la valise. Tant que personne n’a trouvé le montant exact.

Nathalie – En tous cas, ils n’ont jamais rappelé.

Silence.

Patrick – Vous ne voulez vraiment pas qu’on se tutoie ?

Nathalie – Je ne sais pas… Sur une île aussi petite… Garder une certaine distance… C’est une question de salubrité publique, non ?

Patrick – Vous avez raison. On n’est que deux. Chacun de nous doit garder une part de mystère.

Nathalie – Vous voyez ? Vous aussi vous devenez philosophe.

Patrick – Et puis ce vouvoiement entre nous, Christelle, c’est tellement…

Nathalie – Je ne m’appelais pas Nathalie, avant ?

Patrick – Ça m’étonnerait.

Nathalie – Pourquoi ?

Patrick – Nathalie, c’est un prénom qu’on n’oublie pas.

Un temps.

Nathalie – Je ne sais plus très bien… On est en vacances ?

Patrick – À la retraite ?

Nathalie – À la retraite ? On est si vieux que ça ?

Patrick – Ça fait déjà un moment qu’on est là.

Nathalie – On a quel âge ?

Patrick – En tout cas, vous ne les faites pas.

Nathalie – Merci.

Patrick – Vous savez ce que je pense ?

Nathalie – On n’a pas dit qu’on devait garder chacun une part de mystère ?

Patrick – On était faits pour se rencontrer.

Nathalie – En tout cas, on n’en rencontrera plus d’autres.

Patrick – On ne se quittera jamais.

Nathalie – Si on se quittait, on ne saurait pas où aller.

Patrick – Dans ce cas, il ne nous reste plus qu’une chose à faire.

Nathalie – Vous me faites un peu peur, Patrick…

Il remet sa casquette de capitaine, et lui tend la main. Musique : Besame mucho.

Patrick – Danser !

Nathalie – C’est un ordre ?

Patrick – Le capitaine est le seul maître à bord après Dieu…

Elle hésite un instant puis prend sa main.

Nathalie – Après moi, vous voulez dire.

Ils commencent à danser un tango endiablé.

 

Nathalie – Je ne vous savais pas si bon danseur, Capitaine. Vous me faites chavirer…

 

La danse s’arrête brusquement tandis qu’il penche sa cavalière en arrière.

 

Nathalie – Demain c’est moi qui conduis !

Noir.

 

Fin.

 

 

 

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre,

Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies

régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez

sont librement téléchargeables sur :

http://comediatheque.net

 

Ce texte est protégé par les lois relatives

au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Septembre 2015

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-65-9

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

Les Naufragés du Costa Mucho Lire la suite »

Héritages à tous les étages

Neighbours’ DayEl infierno son los vecinosUma herança pesada 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

14 personnages très variable en sexe

3H/11F, 4H/10F, 5H/9F, 6H/8F, 7H/7F, 8H/6F, 9H/5F…

Antoine vient d’hériter d’une vieille tante dont il ignorait l’existence un superbe appartement dans les beaux quartiers de Paris. Il vient faire le tour du propriétaire avec son amie Chloé. Mais les secrets de famille, c’est comme les cadavres, ça finit toujours par remonter à la surface…


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Héritages à tous les étages


14 PERSONNAGES

Antoine, directeur littéraire

Chloé, professeur d’anglais

Madame Sanchez, concierge

Madame Cassenoix, syndic

Docteur Brisemiche, médecin

Maître Fouinard, avocat

Sam, prostituée ou travesti

Colonel Gonfland, officier de cavalerie

Père Dessaint, curé défroqué

Mme Durand de la Cour, baronne

Madame Zarbi, psychanalyste

Angela, artiste peintre

Un salon avec une baie vitrée qu’on imagine donner sur les toits de Paris, côté salle. Le côté jardin est supposé ouvrir sur une terrasse, et le côté cour sur un couloir conduisant à une entrée. Les meubles et la décoration sont vieillots ou kitch. En fond de scène, dans un cadre monumental, un tableau d’avant-guerre représentant un militaire jeune, avec des faux airs du Maréchal Pétain.

Antoine (off) – Attends un peu, je retire l’alarme. Si je ne le fais pas dans les trente secondes, on va réveiller tout l’immeuble et on sera embarqués par les flics comme des voleurs… Merde, c’est quoi le code, déjà… Ah oui, 14-18…

Chloé arrive. Depuis le seuil, elle jette un regard sur l’ensemble et pousse une exclamation entre admiration et effarement.

Chloé – Ouah !

Elle s’avance dans la pièce et Antoine arrive à son tour.

Antoine – Je t’avais prévenue, il y a un peu de rafraichissement à prévoir…

Chloé – Tu parles comme un agent immobilier. Je te rappelle que tu es le propriétaire.

Antoine – J’ai encore un peu de mal à réaliser… Mais attends de voir ça…

Il l’accompagne jusqu’au devant de scène pour contempler la vue par la baie vitrée. Cette fois, l’exclamation de Chloé est franchement émerveillée.

Chloé – Ouah !

Antoine – Tu verras. De la terrasse, en se penchant un peu, on aperçoit même la Tour Eiffel.

Chloé – Ah oui, ça va nous changer… De chez nous, sans avoir à se pencher, on voit le cimetière de La Garenne-Colombes.

Antoine s’approche et l’enlace.

Antoine – Alors ? Tu consens à passer ta première nuit avec moi dans notre nouvelle demeure ?

Chloé – C’est vrai que tout ça est très excitant… Mais je vais attendre d’avoir vu le lit de ton arrière-grand-mère avant de te donner une réponse définitive.

Antoine – Ce n’est pas mon arrière-grand-mère, c’est ma grand-tante Germaine.

Chloé – Ta tante germaine ? Je pensais qu’il n’y avait que les cousins qui pouvaient être germains…

Antoine – Ah non, Germaine c’est son prénom. C’était la sœur aînée de ma grand-mère.

Chloé – La mère de ton père ?

Antoine – De ma mère. Enfin, à ce qu’il paraît…

Chloé fait le tour de la pièce.

Chloé – Et tu ne l’as jamais rencontrée ?

Antoine – Je ne savais même pas que ma grand-mère avait une sœur.

Chloé – C’est dingue…

Antoine – Quoi ?

Chloé – Que tes parents ne t’aient jamais parlé de cette tante Germaine…

Antoine – Ouais…

Chloé – Et aujourd’hui, tu hérites de son appartement.

Antoine – Apparemment, elle n’avait pas d’enfants. Et comme mes parents sont morts aussi. Le notaire a dit que j’étais son seul héritier…

Chloé – C’est triste quand même… Tu te rends compte ? Pendant toutes ces années, elle vivait là. À deux stations de métro de la maison d’édition pour laquelle tu bosses. Et tu apprends son existence par un faire-part…

Antoine – Un faire-part ? Même pas… Quand j’ai reçu la lettre du notaire, l’enterrement avait déjà eu lieu.

Chloé prend une photo dans un cadre, trônant sur un guéridon.

Chloé – C’est elle ?

Antoine – Ouais, j’imagine…

Chloé – Elle était belle… quand elle était jeune.

Antoine – Ouais.

Chloé – C’est tout ce que ça te fait ?

Antoine – Quoi ?

Chloé – Je ne sais pas moi… Elle n’est plus là, et tu ne la connaîtras jamais… Il ne te reste plus qu’une photo…

Antoine – Et l’appartement.

Chloé – Ça ne te fait rien de savoir qu’elle est morte, la tante Germaine ?

Antoine – Ah si. Si, ça me fait quelque chose, je t’assure.

Chloé – Quoi ?

Antoine – Franchement ? J’ai l’impression d’avoir gagné au loto.

Chloé repose la photo.

Chloé – C’est clair… On ne va pas non plus regretter notre deux pièces à La Garenne-Colombes.

Antoine – Non mais tu te rends compte ? Fini le RER. Je pourrai aller bosser à pied !

Chloé – Et moi en vélo. J’ai juste la Seine à traverser pour aller au lycée.

Antoine – Pas de loyer à payer. En plein centre de Paris. Un appartement avec terrasse, au dernier étage avec ascenseur, dans un bel immeuble haussmannien.

Chloé – Ça y est, tu recommences à parler comme un agent immobilier.

Antoine – Il y a même un parking !

Chloé – On n’a pas de voiture…

Antoine – Tu rigoles ! Tu sais combien ça se loue, un parking, dans un quartier comme ça ?

Chloé – Non. Combien ?

Antoine – Je ne sais pas exactement, mais… au moins la moitié de mon salaire actuel, sûrement.

Chloé – Tu n’as qu’à louer le parking et passer à mi-temps. Tu pourras commencer à écrire ton premier roman. Tu ne vas pas publier toute ta vie les bouquins des autres.

Antoine – Il faudrait d’abord que je trouve un sujet…

Chloé – Tiens, tu pourrais écrire l’histoire de cette mystérieuse grand-mère.

Antoine – C’est ma grand-tante.

Chloé – Une femme qui était presque centenaire, qui devait avoir dans les vingt ans pendant la dernière guerre. Il y a sûrement de quoi écrire un roman.

Chloé jette un nouveau regard sur la pièce.

Antoine – C’est vrai que l’atmosphère est chargée…

Chloé – Oui… Je dirais même oppressante. On dirait que le fantôme de Germaine hante encore cet appartement.

Antoine – Il faudra peut-être le faire désenvoûter avant d’emménager.

Chloé – Tu crois ?

Antoine – On commencera par se débarrasser de toutes ces vieilleries, et on refera les peintures.

Chloé – Il faut avouer que c’est assez sombre.

Antoine s’approche à nouveau de la baie vitrée.

Antoine – Ouais… Mais regarde un peu cette vue ! Ces milliers de toits qui s’étendent devant nous.

Chloé – Et derrière chacune de ces fenêtres, des hommes et des femmes, avec chacun leur histoire. Chacun leur destin.

Antoine – C’est vrai que c’est très romanesque.

Chloé – Paris…

Antoine – La plus belle ville du monde…

Chloé – Et la plus romantique.

Antoine – Des milliers d’appartements comme celui-là. Des millions de gens. Des milliards d’histoires en train de s’écrire.

Chloé – Oui… Tu imagines ? En ce moment même, certains sont en train de faire une demande en mariage.

Antoine – D’autres sont en pleine scène de rupture.

Chloé – Des bébés sont en train de naître, un peu partout.

Antoine – Et des vieux sont en train de calancher, comme la tante Germaine.

Chloé – Certains sont en train de faire la vaisselle.

Antoine – Et d’autres sont en train de faire l’amour…

Ils commencent à s’enlacer. Ils sont interrompus par la sonnerie de la porte.

Chloé – Qui ça peut bien être ?

Antoine – Je ne sais pas… Je ne connais personne dans cet immeuble…

Chloé – Le fantôme de la tante Germaine ?

Antoine – J’y vais…

Chloé – Tu veux que je vienne avec toi ?

Antoine – Ça ira. Mais si je ne suis pas revenu dans cinq minutes, tu appelles un exorciste, d’accord ?

Antoine sort. Chloé examine le tableau, intriguée.

Antoine (off) – Ah oui… Non, non, pas du tout… Mais je vous en prie, entrez…

Antoine revient, suivi par Madame Cassenoix.

Cassenoix – Je ne voudrais pas vous déranger. C’est Madame Sanchez, la concierge, qui m’a dit qu’elle vous avait vu monter avec votre dame. (Apercevant Chloé) Enfin, je ne sais pas si c’est votre épouse… Bonjour Mademoiselle.

Chloé – Bonjour Madame.

Antoine – Chloé, je te présente Madame Cassenoix, une voisine, qui est aussi la syndic de l’immeuble.

Cassenoix (avec un air de circonstance) – Cher Monsieur, au nom de tous les copropriétaires de cet immeuble que j’ai l’honneur de représenter, je vous prie d’accepter nos plus sincères condoléances.

Antoine – Merci, mais vous savez…

Cassenoix – Votre tante était un être exceptionnel. Une femme de caractère, il faut bien le dire. Mais tout à fait charmante. Les résidents de l’immeuble étaient très attachés à Germaine.

Antoine – Je suis très heureux de l’apprendre, vraiment.

Cassenoix – Pour nous tous, Germaine, c’était beaucoup plus qu’une voisine, vous savez. On se rendait de petits services. On lui faisait ses courses à l’occasion. On s’occupait de ses démarches administratives au besoin…

Chloé – Vraiment ?

Cassenoix – Bref, nous faisions tout notre possible pour qu’elle se sente moins seule. Elle recevait très peu de visites, comme vous le savez. Nous l’entourions tous les jours de notre affection. Et elle nous le rendait bien, croyez-moi.

Antoine – Ah oui, c’est… C’est bien…

Cassenoix – En fait, ses voisins, pour Germaine, c’était un peu une famille. D’ailleurs, je ne savais pas qu’elle en avait une autre… En tout cas, elle ne m’en avait jamais parlé.

Antoine – Ça ne m’étonne pas… En fait, je connaissais très peu ma tante Germaine…

Cassenoix – Ah oui… D’ailleurs, je ne me souviens pas vous avoir aperçu à l’enterrement…

Antoine – Pour tout vous dire je…

Chloé, agacée par cet interrogatoire, intervient.

Chloé – Mais j’imagine que vous n’êtes pas seulement venue pour bavarder, et nous ne voudrions pas vous retenir trop longtemps. Vous aviez peut-être… quelque chose à nous demander ? Entre voisins. Un tire-bouchon, du gros sel, des allumettes…?

Antoine – Un casse-noix…?

Cassenoix – Ah, pour le tire-bouchon, vous n’êtes pas tombé loin… Enfin, c’est un peu embarrassant… Vu les circonstances…

Chloé – Dites toujours.

Cassenoix (toussotant) – Excusez-moi, j’ai un chat dans la gorge.

Antoine – Vous voulez boire quelque chose ?

Chloé lance à Antoine un regard réprobateur.

Chloé – Je ne sais pas si on a quelque chose à vous offrir.

Cassenoix – Juste un verre d’eau, ça ira, merci.

Chloé – Je ne sais même pas où est le frigo…

Cassenoix – Ne vous embêtez pas, de l’eau du robinet, ça fera l’affaire. Elle est de très bonne qualité dans le quartier, vous verrez. Alors pourquoi s’embêter à charrier des packs d’eau minérale. Surtout quand on habite au dernier étage, comme vous. Même avec l’ascenseur. (Antoine et Chloé attendent qu’elle en vienne au fait.) Le robinet se trouve dans la cuisine. La deuxième porte à gauche dans le couloir. Vous trouverez des verres dans le placard juste au-dessus.

Chloé sort, un peu froissée.

Cassenoix – Alors voilà… C’est aujourd’hui la Fête des Voisins, et depuis que cette fête existe, votre tante a toujours insisté pour qu’elle soit organisée chez elle.

Antoine – Tiens donc…

Cassenoix – Une tradition, en quelque sorte. À cause de la grande terrasse et de la vue sur Paris, sans doute.

Antoine – Sans doute…

Cassenoix – Il faut bien dire que cet appartement est le plus beau de l’immeuble. Et puis comme Germaine était toute seule, ça lui faisait un peu de compagnie.

Antoine – Hélas, elle est morte, n’est-ce pas…

Cassenoix – Bien sûr… Mais elle aurait sûrement été très heureuse de nous voir tous là ce soir, réunis une dernière fois…

Antoine – C’est-à-dire que… Nous n’avions pas prévu.

Cassenoix – Pour ça ne vous inquiétez pas, on s’occupera de tout. Comme d’habitude. Enfin, je veux dire, comme nous le faisions avec votre tante Germaine.

Chloé revient avec un verre d’eau qu’elle tend à Madame Cassenoix.

Cassenoix – Merci beaucoup.

Chloé – Je vous en prie…

Cassenoix pose le verre sans le boire.

Cassenoix – Comme je le disais à votre mari…

Chloé – Nous ne sommes pas encore mariés, si c’est cela que vous vouliez savoir.

Antoine intervient pour faire baisser la tension.

Antoine – Madame Cassenoix est venue nous inviter à la Fête des Voisins.

Chloé – Ah oui ? C’est… C’est très aimable de sa part. (Étonnée) Mais quand ?

Cassenoix – Eh bien… Mais aujourd’hui !

Antoine – Enfin… l’idée c’est que ça se passe chez nous…

Chloé – Chez nous ? Comment ça chez nous ? Tu veux dire ici ?

Cassenoix – Disons que… Ce sera une sorte de… pot de départ.

Antoine – Nous, on vient à peine d’arriver.

Cassenoix – Je veux dire un pot d’adieu. Pour Germaine. Comme vous n’avez pas pu assister à l’enterrement…

Antoine – Bien sûr…

Cassenoix – Bon, alors puisque vous êtes d’accord, c’est entendu. Je ne sais pas comment vous remercier, vraiment.

Antoine et Chloé, pris de court, échangent un regard embarrassé.

Antoine – Mais… de rien, je vous en prie.

Cassenoix – Et donc vous… Vous avez le projet de venir vous installer dans cet appartement ?

Antoine – Euh… Oui… Enfin…

Cassenoix – Eh bien comme ça, vous ferez connaissance avec tous vos nouveaux voisins… Ça fera d’une pierre deux coups.

Antoine – Oui, pourquoi pas…

Cassenoix – Bon, allez, je me sauve. J’ai encore quelques préparatifs à terminer… Pour cette petite réception, je veux dire… Alors à tout à l’heure ?

Antoine – À tout à l’heure…

Antoine s’apprête à la suivre.

Antoine – Je vous raccompagne.

Cassenoix – Ne vous dérangez pas, je connais le chemin.

Antoine – Très bien…

Cassenoix s’en va. Antoine et Chloé se regardent, interloqués.

Antoine – J’ai l’impression qu’elle nous a un peu forcé la main, non ?

Chloé – Tu crois ? Il faut dire que tu ne t’es pas beaucoup défendu…

Antoine – Tu m’as laissé tout seul avec elle !

Chloé – C’est toi qui m’a envoyé lui chercher un verre d’eau à la cuisine ! Un verre qu’elle n’a même pas bu, d’ailleurs…

Antoine – On n’habite même pas encore l’immeuble, on ne va pas déjà se fâcher avec tous les voisins…

Chloé – De là à se laisser envahir dès le premier jour.

Antoine – Tu as raison… Elle nous a bien embobinés avec sa Fête des Voisins.

Chloé – Ouais… D’autant que la Fête des Voisins, normalement, c’est en juin…

Antoine – Non ?

Chloé – Je pensais que tu le savais !

Antoine – Comment veux-tu que je le sache ?

Chloé – Tout le monde sait que la Fête des Voisins, ce n’est pas fin décembre. Fin décembre, c’est Noël  ! Ça tu es au courant, quand même ?

Antoine – C’est dingue… Pourquoi ils font la Fête des Voisins au mois de décembre ?

Chloé – Une autre tradition, sans doute… Comme celle de fêter ça chez nous… Ça commence bien…

Antoine – Bon… Voyons le bon côté des choses… Ça nous permettra de faire connaissance avec tous nos voisins en une seule fois.

Chloé – Il n’y avait pas urgence, non plus. On vient à peine d’arriver.

Antoine – Qu’est-ce que tu veux ? Maintenant, on est copropriétaires. Ça implique aussi certaines contraintes…

Chloé – Tu es copropriétaire.

Antoine – Quoi qu’il en soit, on aura affaire à eux à l’avenir pour la gestion de l’immeuble. Et c’est Madame Cassenoix le syndic. Je ne pouvais pas la rembarrer comme ça.

Chloé – Madame Cassenoix… Un nom prédestiné…

Antoine – Ça nous évitera d’avoir à pendre la crémaillère. Elle a dit qu’ils s’occupaient de tout.

Chloé – C’est vrai qu’ils ont l’air d’avoir une fâcheuse tendance à s’occuper de tout, y compris de ce qui ne les regarde pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je la sens mal, cette copropriété.

Antoine – On verra bien… S’ils ne sont pas sympas, on ne les réinvitera pas.

Chloé – C’est eux qui se sont invités !

Antoine (la prenant dans ses bras) – Allez… On ne va pas se disputer pour si peu.

Chloé – Tu as raison… L’essentiel, c’est qu’on soit enfin chez nous.

Antoine – Si on continuait notre tour du propriétaire ?

Chloé (se tournant vers le tableau) – C’est qui, celui-là ? Ton grand-oncle ? Le mari de Germaine ?

Antoine – Aucune idée…

Ils regardent tous les deux le tableau.

Chloé – Il a des faux airs du Maréchal Pétain, non, avec sa moustache ?

Antoine – Tous les militaires se ressemblent… Et la moustache était très à la mode à l’époque. Mais il paraît un peu jeune, non ?

Chloé – Même Pétain a été jeune…

Antoine – C’est vrai… On a du mal à imaginer que tous les dictateurs ne sont pas nés avec une moustache. Que Pétain a été un jeune homme imberbe, Staline un ado boutonneux et Hitler un bébé joufflu.

Chloé – En tout cas, ce n’est sûrement pas une toile de maître… contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant le cadre.

Antoine – Dommage… Ça m’aurait aidé à payer les frais de succession.

Chloé – Les frais de succession ?

Antoine – Cet appartement ne va quand même pas être gratuit. Avec ce degré de parenté éloignée, le taux d’imposition est assez élevé. Et comme Germaine n’a rien laissé à la banque en plus de ce bien immobilier…

Chloé – Et ces impôts, ça va chercher dans les combien ?

Antoine – Le notaire ne m’a pas encore donné les chiffres exacts. Au pire, je prendrai un crédit. C’est tout de même mieux que de payer un loyer.

Chloé  – Je ne sais pas pourquoi, mais je commence à me demander si tout ça va vraiment être aussi simple qu’on le pensait…

Antoine – Je te montre la terrasse ?

Chloé (avec un sous-entendu) – Et si tu me montrais la chambre, d’abord ?

Antoine – OK…

Il lui prend la main et s’apprête à l’entraîner vers le couloir. Ils sont coupés dans leur élan par la sonnette qui retentit à nouveau.

Chloé – Encore ?

Antoine – On n’a qu’à laisser sonner. On n’est pas obligés d’ouvrir.

Chloé – Tu viens d’inviter tout l’immeuble pour la Fête des Voisins ! On ne peut pas les laisser dehors…

Antoine – Tu crois que c’est déjà eux ?

Chloé – Qui ça pourrait être à ton avis ? Le Père Noël ?

Antoine – J’y vais…

Chloé – Laisse… Cette fois, je m’en occupe.

Antoine (un peu inquiet) – Tu essaies de rester aimable, quand même.

Chloé – Je vais jouer la maîtresse de maison idéale, je te promets.

Antoine – OK.

Chloé sort. Antoine reste là et soupire. Il examine à son tour le tableau, intrigué. Le téléphone fixe, un modèle d’un autre âge, sonne. Antoine hésite, puis répond.

Antoine – Allô… Oui, c’est bien ici… Non, je suis son petit-neveu… La Fête des Voisins ? Euh, oui, c’est bien ici… Enfin… Bon, d’accord, alors à tout de suite…

Il raccroche. Chloé revient suivie de Madame Cassenoix, qui porte une bassine de sangria, et de Madame Brisemiche, qui porte une tarte.

Cassenoix – Et voilà la sangria !

Brisemiche – Bonjour, bonjour ! Moi, j’ai fait une flamiche aux oignons !

Cassenoix – Ah, l’année dernière, c’était une flamiche aux poireaux, non ?

Brisemiche – Je me suis dit que ça changerait. Et pour tout vous dire, je n’avais pas de poireaux sous la main. J’espère que vous aimez les oignons !

Cassenoix – Mais enfin, Docteur ! Tout le monde aime les oignons ! Et puis c’est très bon pour la santé, les oignons. Moi, j’en mets partout.

Brisemiche – J’espère que vous n’en n’avez pas mis dans la sangria.

Elle rient toutes les deux stupidement, sous les regards atterrés d’Antoine et de Chloé.

Cassenoix – Mais voyons, je manque à tous mes devoirs ! Je vous présente le Docteur Brisemiche, qui a son cabinet juste en dessous. Avouez que c’est pratique d’avoir un médecin dans l’immeuble. On a un dentiste, aussi, mais il est actuellement décédé. Je veux dire, il a pris sa retraite le mois dernier, et son remplaçant n’est pas encore arrivé.

Brisemiche – Madame, Monsieur… Enchantée.

Antoine – Docteur…

Brisemiche – Je vous en prie, appelez-moi Anne-Marie. Mais… je ne suis pas sûre d’avoir retenu vos prénoms…

Chloé – Chloé.

Antoine – Et moi c’est Antoine.

Brisemiche – Si vous voulez bien débarrasser cette table, ma petite Chloé. On va installer le buffet ici.

Chloé, machinalement, ôte le vase chinois qui trône sur la table.

Cassenoix – Antoine, si cela ne vous dérange pas, il doit y avoir une nappe dans le petit meuble, là. Ce sera quand même plus convenable…

Antoine ouvre le meuble, mais ne semble pas trouver.

Brisemiche – Tout en bas.

Antoine sort la nappe et l’étend sur la table. Cassenoix y pose la bassine de sangria, et Brisemiche la tarte.

Cassenoix – Voilà. Les invités viendront se servir au salon. D’ailleurs, je ne sais pas ce qu’ils font… Mais si vous voulez profiter de la terrasse en attendant.

Antoine – Très bien…

Brisemiche – Après tout, vous êtes ici chez vous.

Chloé – Merci de nous le rappeler…

On sonne à nouveau.

Brisemiche – Ah, vous voyez, vous étiez médisante. Pour une fois, ils sont à l’heure.

Cassenoix – J’y vais… Mais après, je vais laisser la porte ouverte, parce que sinon, on ne va pas en finir…

Elle sort. Échange de sourires un peu embarrassés.

Brisemiche – C’est moi qui ai assisté votre tante pendant ses derniers instants…

Antoine – Ah oui. Malheureusement, je n’ai pas eu le plaisir de… Enfin, je veux dire…

Chloé – Et… elle est morte de quoi, exactement.

Brisemiche – Mon Dieu, vous savez… Passé 90 ans… Faut-il vraiment mourir de quelque chose en particulier ? En tout cas, je peux vous assurer qu’elle n’a pas souffert.

Monsieur et Madame Crampon arrivent, l’un avec un taboulé et l’autre une salade d’endives. Suivis de Cassenoix.

Mr Crampon – Bonjour tout le monde… Vous m’excuserez de ne pas vous serrer la main, mais je suis un peu encombré… Où est-ce que je peux poser ça ?

Mme Crampon – Tu vois bien que le buffet est là ! Comme d’habitude…

Monsieur Crampon pose son plat et Madame Crampon en fait de même. Ils se retournent vers Antoine et Chloé.

Mr Crampon – Jacques Crampon, courtier en assurances. Et voici Josiane, mon épouse.

Mme Crampon – Vous c’est Antoine et Chloé, je crois.

Chloé – Oui… Les nouvelles vont vite, je vois.

Mr Crampon – Avant de venir travailler dans cet immeuble comme concierge, Madame Sanchez travaillait en Allemagne de l’Est pour la Stasi.

Mme Crampon – Je pensais qu’elle était portugaise…

Mr Crampon – Je plaisante, Josiane ! Je plaisante !

Mme Crampon – J’ai fait un taboulé et une salade d’endives.

Mr Crampon – J’espère que vous aimez les endives.

Mme Crampon – Pourquoi tu dis ça ?

Mr Crampon – Moi, personnellement, je déteste les endives.

Mme Crampon – Oui, c’est pour ça que j’ai fait aussi un taboulé. Mais les endives c’est très bon. Et puis c’est la saison. Vous aimez les endives, Antoine ?

Antoine – Oui, enfin…

Mr Crampon – Je ne savais même pas qu’il y avait une saison pour les endives… Je pensais que les endives, c’était toute l’année…

Mme Crampon– Ce sont des endives au Roquefort. C’est excellent, vous verrez. Et c’est très bon pour la santé. N’est-ce pas Docteur ?

Brisemiche – En tout cas, dans toute ma carrière, je n’ai encore rencontré personne qui soit mort après avoir mangé des endives au Roquefort.

Mr Crampon – C’est qu’aucun de vos patients n’avaient encore goûté celles de ma femme.

Madame Crampon le fusille du regard.

Mr Crampon– Mais enfin, Josiane, je plaisante ! On est là pour passer un bon moment ensemble, pas vrai ? Entre voisins !

Chloé – Oui… Et ça m’a l’air bien parti…

Le téléphone fixe sonne. Avant même qu’Antoine n’ait le temps de réagir, Cassenoix décroche, machinalement.

Cassenoix – Allô oui ? Ah c’est vous, mon Père… Oui, oui, je comprends… Non, non, pas de problème, on vous attend… D’accord, à tout de suite.

Elle raccroche sous le regard médusé de Chloé et d’Antoine.

Cassenoix – C’était le Père Dessaint. Il va nous rejoindre, mais il a été retenu par une urgence. Une extrême-onction.

Chloé – Le Père Dessaint ?

Cassenoix – Oui, je sais, c’est un nom prédestiné. Le Père Dessaint est en effet un saint homme.

Mr Crampon – Il habite au rez-de-chaussée. Depuis que son presbytère a été revendu par l’évêché à un couple d’homosexuels pour en faire des chambres d’hôtes gay friendly…

Brisemiche – Il paraît que l’Église est en crise, elle aussi… Elle est obligée de vendre les bijoux de famille.

Cassenoix – Vous ne croyez pas si bien dire… Hélas, aujourd’hui, nous avons parfois l’impression de vivre au royaume de Sodome.

Blanc.

Brisemiche – Je vous sers quelque chose, histoire de nous mettre en train ?

Mr Crampon – Allez ! Que la fête commence…

Cassenoix – Sangria ?

Mme Crampon – Sangria.

Cassenoix – Très bien… Alors Sangria pour tout le monde !

Mr Crampon – Et au moins, pour la sangria, il n’y a pas besoin de tire-bouchon !

Tous éclatent de rire, sauf Antoine et Chloé.

Brisemiche – C’est une blague entre nous, parce que Germaine ne savait jamais ce qu’elle avait fait de son tire-bouchon.

Ils rient tous à nouveau. Antoine et Chloé se forcent à sourire, mais échangent un regard un peu inquiet.

Cassenoix – Dans les derniers temps, votre pauvre tante perdait un peu la tête, vous savez…

Brisemiche – À près de cent ans, c’est tout à fait normal de ne plus avoir une aussi bonne mémoire… Sinon, pour son âge, elle était encore très en forme, croyez-moi…

Chloé – En somme, elle est morte en bonne santé, n’est-ce pas Docteur ?

Moment d’embarras, dissipé par l’arrivée du Père Dessaint, accompagné de la Baronne Durand de la Cour.

Dessaint – Bonjour tout le monde ! Et bienvenue aux nouveaux arrivants !

Mr Crampon – Ah, voilà Monsieur Tuc.

Antoine – Monsieur Tuc, bonjour.

Tous les voisins se marrent à nouveau.

Brisemiche – Ils sont impayables…

Cassenoix – Non, c’est une autre blague entre nous, parce que tous les ans, systématiquement, il arrive à la Fête des Voisins avec un paquet de Tuc.

Dessaint – Et les voici ! Pourquoi déroger à la tradition ?

Il sort un paquet de Tuc qu’il pose sur le buffet, avant de serrer la main d’Antoine et de Chloé.

Dessaint – Je suis le Père Dessaint. Et voici la Baronne Durand de la Cour.

Mme Crampon – Qui conformément à la tradition aussi, n’a rien amené, j’imagine…

Baronne – Il y a toujours trop, de toutes façons. Et chacun doit repartir avec les restes. Autant manger directement les restes !

Nouvel éclat de rire.

Cassenoix – Je sens qu’on va bien s’amuser !

Dessaint – Sans oublier que cette année, la Fête des Voisins a pour nous tous une résonance toute particulière…

Cassenoix – C’est vrai, excusez-moi. J’avais oublié un instant que cette pauvre Germaine nous avait quittés.

Dessaint – Oui, c’est émouvant d’être tous rassemblés chez elle ce soir. J’ai l’impression à tout moment qu’elle va entrer par cette porte pour nous gratifier de ce succulent gâteau aux noix, dont elle tenait tant à garder la recette secrète…

Mme Crampon – Votre tante était très cachotière…

Antoine – Ce n’est pas moi qui pourrais dire le contraire. Toute sa vie, elle a réussi à me cacher sa propre existence.

Dessaint – J’ai eu le privilège d’administrer les derniers sacrements à votre tante avant que Dieu ne la rappelle à lui. Soyez au moins assuré qu’elle ne nous a pas quittés sans le secours de la religion.

Antoine – Ah oui, c’est… C’est tout à fait rassurant en effet.

Chloé – J’en conclus que Germaine était très croyante…

Dessaint – Croyante ? Je dirais même militante.

Cassenoix – Quand ils ont fait passer la loi sur le mariage pour tous, croyez-moi, ce n’était pas la dernière à protester dans la rue. Elle avait une sainte horreur des homosexuels !

Chloé – Vraiment ?

Consternation d’Antoine et Chloé.

Brisemiche – Eh oui… C’était le bon temps…

Mme Crampon – L’occasion de se retrouver tous ensemble autour de valeurs communes.

Cassenoix – Et surtout le prétexte d’un joyeux pique-nique sur les pelouses du Trocadéro, arrosé de cet excellent vin de messe. N’est-ce pas mon Père ?

Dessaint – Je pense que Germaine aurait souhaité que cette année encore nous célébrions dans la joie ce moment de convivialité et de partage. (Il lève son verre.) À la mémoire de cette femme exceptionnelle !

Ils lèvent leurs verres et boivent. L’arrivée d’Angela, look gothique, jette un froid.

Cassenoix – Ah, chers amis, voici Angela.

Angela – Salut vieux débris. Il y a quelque chose à boire ? Je suis en manque…

Cassenoix – Angela est artiste peintre, et elle a son atelier au rez-de-chaussée.

Brisemiche – Madame Crampon, voulez-vous avoir l’amabilité de servir un verre de sang à Mademoiselle Angela ?

Mme Crampon – Vous voulez dire un verre de sangria, sans doute.

Brisemiche – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Madame Crampon sert un verre qu’elle tend à Angela, qui le vide d’un trait sous le regard réprobateur des autres voisins.

Angela – Ah… J’avais soif…

Chloé – Et vous peignez quel genre de tableaux ? Abstrait ? Figuratif ?

Angela – En ce moment, je suis dans ma période rouge.

Antoine – Ah très bien… Comme Picasso, alors. Enfin je veux dire, sa période bleue.

Angela – Ah non, je voulais juste dire qu’en ce moment, je carbure au gros rouge. Sinon, je peins très peu.

Rires forcés.

Cassenoix – Vous savez comment sont les artistes…

Dessaint – Et si nous passions sur la terrasse ?

Mr Crampon – Volontiers…

Ils sortent, laissant Antoine et Chloé seuls avec Angela.

Angela – Ne vous inquiétez pas, contrairement aux apparences, je ne suis pas un vampire. Les suceurs de sang, ce serait plutôt eux…

Chloé – Vraiment ?

Angela – Vous savez comment est morte votre grand-mère ?

Antoine – C’était ma grand-tante… Elle était très âgée. À vrai dire, je ne me suis pas posé la question.

Angela – Germaine était en pleine forme, croyez-moi. Elle aurait fait une centenaire.

Chloé – Je crois déceler derrière ce conditionnel une once de soupçon…

Antoine – Quelqu’un avait-il des raisons d’en vouloir à ma tante ?

Angela esquive la réponse par un sourire mystérieux.

Angela – Vous aimez ce tableau ?

Antoine – Mon Dieu… C’est très pompier, non ?

Angela – C’est moi qui l’ai peint.

Chloé – Non mais il est très bien ce tableau, je lui trouve même quelque chose de…

Angela – Ne vous fatiguez pas. C’était juste une commande de Germaine.

Antoine – Vraiment ?

Chloé – C’est son fiancé de l’époque ?

Angela – En tout cas, pour le réaliser, elle m’a fourni une photo du Maréchal Pétain. À l’époque où il n’était encore que Colonel…

La baronne revient.

Baronne – Ne vous occupez pas de moi.

La baronne remplit son sac de différentes victuailles présentes sur le buffet. Avant de se servir un verre qu’elle porte à ses lèvres, avec un air de dégoût.

Baronne – De la sangria… C’est d’une vulgarité…

La baronne repart.

Chloé – Elle est vraiment baronne ?

Angela – En fait, on ne sait pas trop si elle porte un nom à particule, ou si on l’appelle Durand de La Cour seulement parce qu’elle s’appelle Durand et qu’elle habite au fond de la cour…

Blanc.

Chloé – Vous savez quelque chose à propos de la mort de Germaine qu’on devrait savoir ?

Antoine – Je pensais qu’elle était morte d’une crise cardiaque ou quelque chose comme ça.

Angela – Je n’ai aucune certitude, mais apparemment, tout le monde n’est pas d’accord sur les circonstances et les causes de sa mort…

Chloé – Et quels sont les différents scénarios ?

Angela – D’après la concierge, on l’aurait retrouvée dans la cour.

Antoine – Je pensais qu’elle était morte chez elle, dans son lit.

Angela – Sept étages…

Chloé – L’ascenseur était peut-être en panne… Si elle a pris l’escalier, à son âge… Vous croyez que le cœur aurait pu lâcher ?

Angela – Vu l’état du corps quand on l’a retrouvée, elle ne semble avoir pris ni l’escalier, ni l’ascenseur pour descendre depuis son appartement jusque dans la cour.

Antoine – Ah oui…

Angela – D’après Madame Sanchez, ce n’était pas beau à voir. Vous ne l’auriez pas reconnue.

Antoine – D’autant que je ne l’ai jamais vue.

Chloé (songeuse) – Une chute ? Depuis la terrasse…

Antoine – La rambarde est quand même assez haute. À moins de l’enjamber volontairement.

Angela – Ou que quelqu’un vous aide à passer par-dessus…

Chloé – Un meurtre ? C’est une accusation très grave…

Antoine – Mais je ne comprends pas… Le Docteur Brisemiche m’a dit que c’était elle qui avait accompagné ma tante dans ses derniers instants…

Angela – En tout cas, c’est elle qui a signé le certificat de décès. Ce qui explique sans doute qu’il n’y ait pas eu d’enquête. À plus de 90 ans, de toute façon, ça n’intéresse plus la police…

Chloé – Mais c’est monstrueux…

Angela – Je vais prendre un peu l’air sur la terrasse moi aussi… Mais si on me retrouve dans la cour, vous saurez que ce n’est pas un suicide…

Elle sort. Antoine et Chloé échangent un regard atterré.

Antoine – Je commence à me demander si cet héritage est une si bonne affaire que ça…

Chloé – Peut-être que c’est elle qui affabule.

Antoine – Qui ?

Chloé – Cette Angela ! Elle a quand même l’air pas très nette…

Antoine – Disons qu’elle tranche sur les autres.

Chloé – Mais comme les autres ne sont pas très nets non plus… Tu crois vraiment qu’ils auraient pu assassiner la tante Germaine ?

Antoine – Pourquoi ils auraient fait ça ? Ils avaient l’air de bien l’aimer.

Chloé – En tout cas, c’est ce qu’ils disent… Quant à ce curé, c’est curieux, sa tête me dit quelque chose…

Sam, prostituée éventuellement travesti, arrive derrière eux sans qu’ils s’en aperçoivent.

Sam – Bonjour.

Ils sursautent.

Chloé – Vous m’avez fait peur…

Sam – Désolée… C’était ouvert, alors je suis rentrée. La Fête des Voisins, c’est bien ici, n’est-ce pas ?

Antoine – Oui, enfin…

Sam – Vous êtes sans doute Antoine et Chloé.

Chloé – Et vous êtes ?

Sam – Sam. Je viens d’emménager dans l’appartement du premier étage. Oui, je sais, je crains de faire un peu tache dans l’immeuble. Ici, c’est surtout des professions libérales, apparemment.

Antoine – J’en déduis que vous n’êtes ni avocate ni médecin…

Sam – Et pourtant, je suis au forfait, moi aussi. Pour ce qui est de la fiscalité, je veux dire…

Monsieur Crampon revient avec Cassenoix et Dessaint.

Cassenoix – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Sam – Je suis la nouvelle locataire du dessous.

Cassenoix – L’appartement du dessous ?

Sam fait la bise à Crampon.

Sam – Ça va, chéri ?

Mr Crampon (troublé) – Heureusement que ma femme n’est pas là…

Cassenoix – L’appartement du dessous est inoccupé depuis des années…

Sam – Eh bien maintenant, il ne l’est plus. J’ai appris par la concierge que vous célébriez la Fête des Voisins. Alors comme je suis nouvelle, moi aussi, je me suis dit que ce serait l’occasion de…

Mr Crampon – Mais vous avez fort bien fait !

Madame Crampon arrive à son tour.

Mme Crampon – C’est quoi, ça ?

Mr Crampon – Chère Madame, je vous présente ma femme, Jeanine.

Mme Crampon – Je m’appelle Josiane.

Mr Crampon – C’est vrai, excusez-moi. Jeanine c’est ma secrétaire. Je confonds tout le temps…

Sam – Bonjour Josiane, enchantée. Vous permettez que je vous appelle Josiane ?

Mme Crampon – Madame… Vous permettez que je vous appelle Madame ?

Sam – Mais je vous en prie, appelez-moi Sam.

Mme Crampon – Et Sam, c’est le diminutif de…

Sam – Non, non… Sam tout court.

Mme Crampon – Sam tout court… Je vois… Vous préférez garder votre part de mystère…

Mr Crampon – En tout cas, on compte sur vous pour mettre un peu d’ambiance. Parce que pour l’instant, c’est mortel… (Avisant Antoine et Chloé) Excusez-moi, je ne disais pas ça pour Germaine… C’est vrai que sa disparition nous a tous bouleversés…

Mme Crampon – Oui, ça fait quelque chose de se retrouver ici, au milieu de ses meubles et de ses bibelots. D’ailleurs, je ne sais pas si c’est le moment, mais Germaine m’avait toujours dit qu’à sa mort, elle me laisserait cette petite commode…

Chloé – Vraiment ?

Mr Crampon – En tant qu’assureur, j’ai l’habitude d’expertiser les meubles anciens et autres antiquités, et je peux vous dire que cette commode n’a qu’une valeur sentimentale…

Antoine – Nous avions de toute façon l’intention de changer un peu la déco avant d’emménager, alors pourquoi pas ?

Chloé – Et si c’était les dernières volontés de Germaine…

La Baronne revient.

Baronne – Oui… Et puis elle n’est plus là pour dire le contraire, pas vrai ? D’ailleurs, il semble que la Tante Germaine voyait venir sa fin, parce qu’à moi, elle m’avait promis ce vase chinois…

Mme Crampon – À vous ? Elle vous connaissait à peine…

Baronne – On n’a pas toujours besoin de connaître les gens depuis longtemps pour se faire une idée sur leur compte…

Madame Sanchez, la concierge, arrive.

Sanchez – Le vase chinois ? C’est à moi qu’elle voulait le donner !

Mr Crampon – Voici Madame Sanchez, notre concierge.

Sanchez – Non mais pour qui elle se prend, celle-là ?

Baronne – Vous mettez en doute ma parole ?

Sanchez – Pas la peine de prendre vos grands airs avec moi. Les Sanchez sont concierges dans cet immeuble depuis trois générations.

Baronne – Concierge depuis trois générations… Tu parles de quartiers de noblesse… Si vous retourniez dans votre loge, plutôt ?

Sanchez – Parce que Madame la Baronne habite un château, peut-être ? Vous n’habitez que le rez-de-chaussée… (Ironique) Madame Durand… de la cour.

Baronne – En tous cas, ce vase est à moi. C’est la vieille qui m’en a fait cadeau. Elle appréciait beaucoup ma conversation, figurez-vous.

La baronne s’empare du vase.

Sanchez – Il est à moi, je vous dis ! Germaine me l’avait promis. J’ai fait le ménage chez elle pendant trente ans, et je n’ai jamais rien cassé.

La concierge tente d’arracher le vase à la baronne.

Dessaint – Mesdames, je vous en prie… Un peu de retenue…

Baronne – Lâche ça, salope !

Dessaint – Enfin, Madame la Baronne, à vous de donner l’exemple. Saint Martin n’a-t-il pas donné la moitié de son manteau à un pauvre ?

Baronne – Il est con, celui-là ! C’est un vase ! Comment voulez-vous que je lui donne la moitié d’un vase ?

Le vase finit par tomber par terre, sous le regard atterré de Chloé et d’Antoine. La tension retombe aussitôt.

Dessaint – Et voilà…

Sanchez – Je suis vraiment désolée…

Baronne – Non, c’est de ma faute, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Mr Crampon (à Chloé et Antoine) – Excusez-nous… Tout le monde est un peu nerveux…

Mme Crampon – L’émotion, sans doute. Nous avons tous un peu de mal à faire le deuil de l’héritage de Germaine.

Cassenoix – Vous voulez dire le deuil de Germaine, sans doute…

Mr Crampon – Comme je vous l’ai dit, tout ce bric-à-brac n’a aucune valeur marchande. Ce sont juste des souvenirs…

Cassenoix – Et les souvenirs, ça n’a pas de prix, n’est-ce pas ?

Dessaint – Souvenons-nous du vase de Soissons.

Sam – Allons prendre un peu l’air sur la terrasse, ça nous fera du bien…

Ils sortent en laissant seuls Antoine et Chloé.

Chloé – Ce sont des fous dangereux, je te dis…

Antoine – C’est vrai qu’à un moment donné, j’ai vraiment cru qu’elles allaient s’entretuer.

Chloé – Tout ça pour un vase…

Antoine – On fera l’inventaire de ce musée des horreurs, et on verra… Mais après tout, s’ils pouvaient tous emporter quelque chose…

Chloé – Ça nous éviterait de mettre le tout à la décharge.

Antoine – C’est vrai, c’est une idée. On pourrait proposer à chacun de repartir avec un objet de son choix. En souvenir de notre chère disparue…

Chloé – Dans ce cas, il vaudrait mieux tirer les lots au sort, pour éviter une émeute…

Antoine – Tu crois que la vieille a fait exprès de promettre ce vase à deux personnes différentes ?

Chloé – Pourquoi elle aurait fait ça ?

Madame Zarbi arrive.

Zarbi – Beaucoup de gens aiment partir en se disant qu’ils laissent un gros merdier derrière eux… Que ce soit un pot de chambre à se partager en deux ou la Palestine. Au Moyen-Orient, ça fait 5 000 ans que ça dure. J’imagine que pour nos chers aînés, c’est une façon d’accéder à l’immortalité. En continuant à être présents parmi nous après leur disparition, à travers la somme d’emmerdements qu’ils nous laissent en partant… Au moins, comme ça, ils sont sûrs qu’on ne les oubliera pas tout de suite… Madame Zarbi, psychothérapeute. Je suis votre voisine du cinquième…

Chloé – Psychanalyste ? Mais je vous en prie, entrez. Plus on est de fous, plus on rit…

Antoine – J’en conclus que vous connaissiez bien la Tante Germaine. C’était une de vos patientes ?

Zarbi – Si c’était le cas, je ne pourrais pas vous le dire. Secret professionnel. Mais non. Germaine appartenait à une génération qui préférait confier ses secrets dans un confessionnal plutôt que sur un divan.

Antoine – Il est vrai que cela coûte beaucoup moins cher.

Zarbi – Et c’est beaucoup moins douloureux. Chez moi, on ne s’en sort pas avec deux Notre Père…

Chloé – Eh oui… Quand on va voir un psy, le but c’est plutôt d’arriver à tuer le sien…

Zarbi – Avez-vous réussi à tuer le vôtre ?

Embarras de Chloé.

Antoine – Donc, quoi qu’il en soit, vous connaissiez Germaine ?

Zarbi – Je l’observais, de loin… Simple déformation professionnelle…

Chloé – Puisque ce n’était pas une de vos patientes, vous pouvez nous en parler un peu.

Zarbi – Oh… Ce ne sont que des rumeurs… que votre tante semblait prendre plaisir colporter elle-même.

Antoine – Quel genre de rumeurs ?

Zarbi – D’après cette légende urbaine, votre tante avait chez elle un trésor caché.

Chloé – Un trésor ?

Zarbi – Si l’on en croit la concierge, le défunt mari de Germaine avait amassé une fortune en faisant du marché noir pendant la guerre. Avec la bénédiction des Allemands.

Antoine – D’où le besoin de cacher cet argent sale après la Libération…

Zarbi – Elle aurait acquis cet appartement pendant cette période trouble, sans que l’on sache très bien ce que sont devenus les anciens propriétaires, arrêtés du jour au lendemain par la Gestapo sur dénonciation…

Chloé – Vraiment…?

Antoine – Donc on ne sait pas exactement ce qu’était ce trésor, ni évidemment où il serait dissimulé.

Zarbi – À moins que tout cela ne soit qu’un mythe, bien sûr…

Chloé – Mais vous dites que cette légende était entretenue par Germaine elle-même. Pourquoi aurait-elle éprouvé le besoin de se faire passer pour une collabo ?

Zarbi – Qui sait ? Elle trouvait peut-être intérêt à faire courir le bruit qu’elle possédait une fortune cachée, dont elle pourrait éventuellement faire profiter après sa mort tous ceux qui se seraient montrés aimables avec elle de son vivant…

Chloé – Je vois…

Zarbi – Je vais rejoindre les autres sur la terrasse… J’imagine que c’est là où ça se passe, comme tous les ans…

Zarbi sort.

Chloé – Décidément, ta tante Germaine me semble de plus en plus sympathique…

Antoine – Et son héritage de plus en plus sulfureux.

Chloé – Pas étonnant que le reste de la famille ait rompu avec elle.

Antoine – Et s’ils étaient tous venus pour mettre la main sur le trésor de la vieille ?

Chloé – C’est pour ça qu’ils veulent tous partir avec quelque chose.

Antoine – Va savoir, il y avait peut-être quelque chose de caché dans ce vase…

Chloé – On s’en serait rendu compte, non ?

Antoine – La commode a peut-être un double-fond…

Chloé – À moins qu’un chef d’œuvre ne se cache sous la croûte de cet infâme tableau.

Antoine – Ou alors l’un d’entre eux a déjà trouvé le trésor…

Chloé – Et ils ont décidé de se débarrasser de la vieille après ça pour se partager le butin.

Antoine – Mais alors pourquoi seraient-ils là aujourd’hui ?

Chloé – Ils n’ont pas encore réussi à mettre la main sur l’appartement…

Antoine – On les gêne dans leurs plans, c’est sûr.

Un temps.

Chloé – Ils vont peut-être nous dénoncer à la police, nous aussi.

Antoine – Mais on n’a rien à se reprocher.

Chloé – Et les Juifs que ta tante a dénoncés, tu crois qu’ils avaient quelque chose à se reprocher ?

Antoine – Tu crois qu’ils étaient juifs ?

Chloé – C’est probable.

Antoine – Quoi qu’il en soit, on n’est plus gouvernés par des nazis ! Et puis on n’est pas juifs.

Chloé – Parle pour toi.

Antoine – Tu es juive ?

Chloé – Pourquoi, ça te dérange ?

Antoine – Pas du tout, je ne savais pas, c’est tout.

Chloé – Disons que j’ai… des origines juives.

Antoine – Comment ça, des origines ? On a tous des origines juives, non ? Je veux dire, avant d’être catholiques, on était tous juifs. Comme Jésus-Christ.

Chloé – Alors pour toi, tous les Gaulois étaient juifs.

Antoine – Mais non… Je veux dire… Alors comme ça, tu as des origines juives ? Je ne savais pas…

Chloé – Oui, enfin… Il y a une semaine, tu ne savais pas non plus que tu avais des origines antisémites…

Antoine – Non mais tu délires ! Je ne suis pas responsable de ce que ma tante a fait pendant la dernière guerre. Je n’étais même pas né !

Chloé – Bon, en tout cas, de savoir que ta tante Germaine a dénoncé des Juifs pendant la guerre pour s’approprier leur appartement. Et que nous, on pourrait vivre dans cet appartement après en avoir hérité… Ça, ça me dérange, tu vois.

Blanc.

Antoine – Je crois surtout qu’on nage en plein délire, là…

Chloé – Tu as raison. Ce n’est que la Fête des Voisins, après tout.

Antoine – Ou alors ils ont mis quelque chose dans la sangria…

Chloé – Allons faire un tour sur la terrasse pour voir ce qu’ils complotent.

Antoine – Tu crois ?

Chloé – On est chez nous, non ?

Antoine – Si tu le dis…

Ils sortent. Sam arrive et se met à fouiller la pièce. Sanchez revient et la surprend.

Sanchez – Eh bien ne vous gênez pas…

Sam – Ah, Madame Sanchez… Vous vous méprenez, je vous assure. Je ne suis pas celle que vous croyez…

Sanchez – Ça, je m’en doutais un peu, vous voyez…

Sam – À vous je peux bien le dire… Vous êtes presque du métier…

Sanchez – Quel métier ? Ne vous gênez pas, traitez-moi de pute, aussi  !

Sam lui met sous le nez une carte de police.

Sam – Inspecteur Ramirez.

Sanchez – Inspecteur ?

Sam met un doigt sur ses lèvres pour lui signifier que cette information doit rester secrète.

Sam – Je suis ici… undercover.

Sanchez – Under quoi ?

Sam – Déguisée ! Infiltrée ! Sous une fausse identité, si vous préférez.

Sanchez – Ah oui…

Sam – Nous avons de bonnes raisons de soupçonner que la vieille… Comment s’appelait-elle déjà ?

Sanchez – Germaine.

Sam – C’est ça… Nous pensons que Germaine n’est pas morte de mort naturelle…

Sanchez – Ah oui ?

Sam – Il pourrait s’agir d’un meurtre, mais nous n’avons pas de preuve… Je suis là pour enquêter.

Sanchez – Ah bon…

Sam – Vous n’êtes pas très bavarde, pour une concierge, dites-moi…

Sanchez – Non…

Sam – Et à part ça vous savez quelque chose ?

Sanchez – Ben non…

Sam – Je sens que vous allez m’être d’une aide précieuse. Vous connaissez les circonstances exactes de la mort de Germaine ?

Sanchez – C’était un accident, non ?

Sam – Allez savoir… Quand c’est un des meurtriers potentiels qui délivre le certificat de décès, et un autre l’extrême onction dans la foulée…

Sanchez – Ah oui…

Sam – Et à propos de ce trésor que la vieille aurait caché chez elle, j’imagine que vous ne savez rien non plus…

Sanchez – Non.

Sam – Bon… Allons nous mélanger un peu sur la terrasse, sinon on va finir par attirer l’attention. Et si de votre côté vous apprenez quelque chose d’intéressant, vous venez aussitôt me faire un rapport, d’accord ?

Sanchez – Très bien…

Sam – Considérez désormais que vous êtes mon adjointe, Sanchez…

Elles sortent. Arrive le Colonel Gonfland accompagné de Maître Fouinart, avocat.

Fouinart – Personne…

Gonfland – Mais le buffet est bien là, comme tous les ans…

Fouinart – Ils doivent être sur la terrasse…

Gonfland – Profitons-en pour nous servir un verre.

Fouinart – Sangria ?

Gonfland – Volontiers…

Fouinart – De toute façon, je ne vois rien d’autre…

Ils trinquent et boivent.

Gonfland – La sangria de la mère Cassenoix est toujours aussi imbuvable.

Fouinart – Oui, comme tous les ans…

Ils re-boivent une gorgée.

Gonfland – Je me demande quand même si ce putain de moine ne saurait pas quelque chose.

Fouinart – Le Père Dessaint ? Vous croyez ?

Gonfland – C’était le confesseur de la vieille, non ?

Fouinart – Vous pensez que ce Tartuffe pourrait essayer de nous doubler ?

Gonfland – Comment faire confiance à un curé ?

Fouinart – Surtout un curé défroqué…

Gonfland – Pourquoi est-ce que son évêque l’a contraint à quitter l’Église, au fait ? Il prétend que c’est lui qui a démissionné, mais je n’y crois pas trop.

Fouinart – Vous savez, pour que l’Église se résigne à se séparer d’un curé, avec la crise actuelle des vocations… Il faut vraiment qu’il ait fait quelque chose de très grave.

Gonfland – C’est clair. On ne les vire pas pour une simple affaire de pédophilie.

Fouinart – Peut-être parce qu’il voulait continuer à dire la messe en latin, ou quelque chose de ce genre.

Gonfland – Mais vous êtes son avocat, vous devez bien savoir quelque chose.

Fouinart – Ah… Secret professionnel…

Gonfland – Eh, oh, pas à moi…

Fouinart – Je n’étais que son avocat, pas son confesseur.

Gonfland – En tout cas, je suis sûr qu’il sait où elle a planqué le magot. Je vais le confesser, moi, vous allez voir…

Fouinart – N’y allez pas trop fort quand même. On a déjà la mort de la vieille sur les bras…

Gonfland – Ne vous inquiétez pas, je saurai faire preuve de psychologie. En tout cas, ça ne laissera pas de traces…

Fouinart – Qui d’autre pourrait savoir quelque chose à propos de l’argent de la vieille ?

Gonfland – L’assureur ?

Fouinart – Ça m’étonnerait. Germaine avait de bonnes raisons de ne pas lui faire confiance.

Gonfland – Vous savez pourquoi il a fait de la prison, au fait ?

Fouinart – Il encaissait les primes de ses clients, dont il était supposé assurer les biens, mais l’argent allait directement dans sa poche…

Gonfland – En somme, c’est un type dans mon genre. Lui aussi, il est dans la cavalerie.

Fouinart – Il s’est fait pincer après un incendie. Son client espérait être remboursé, et il s’est rendu compte qu’il n’était pas assuré.

Gonfland – Ah oui, c’est ballot.

Fouinart – Le pire c’est que le type avait mis le feu lui-même à sa maison de campagne, parce qu’il n’arrivait pas à la revendre… Il espérait faire une bonne affaire en touchant l’assurance…

Gonfland – Quel con… Mais vous semblez bien connaître le dossier…

Fouinart – Oui… Le con, c’était moi…

Gonfland – Je vois… En tout cas, on n’a plus beaucoup de temps… Quand ces deux crétins habiteront ici à plein temps, ce sera beaucoup plus difficile pour fouiller l’appartement.

Gonfland se met à ouvrir quelques tiroirs et à fouiner un peu partout. Fouinart l’imite. Monsieur Crampon revient, avec Dessaint.

Mr Crampon – Vous cherchez quelque chose ?

Fouinart – La même chose que vous, probablement…

Gonfland – Vous étiez son assureur, vous avez dû faire un inventaire de ses biens, non ?

Mr Crampon – Il faut croire que si elle avait vraiment un trésor, elle a préféré ne pas l’inclure dans l’inventaire…

Gonfland – Et vous mon Père ? Vous étiez son confesseur  !

Dessaint – Hélas, mon fils, Germaine ne me disait pas tout… Et quand bien même, je vous rappelle que je suis tenu au secret de la confession…

Mr Crampon – Tant que vous n’essayez pas de nous faire un enfant dans le dos…

Fouinart et Crampon se mettent à chercher partout.

Dessaint – Restons confiants, mes enfants. La Bible ne dit-elle pas : Cherche et tu trouveras, demande et il te sera donné, frappe et on t’ouvrira…

Mr Crampon – Et en plus, il se fout de nous !

Gonfland s’approche de Dessaint avec un air menaçant.

Gonfland – Vous êtes sûr de ne pas avoir quelque chose à nous confesser, mon Père ? Confiez-vous à moi, et je vous donnerai l’absolution. Mais si vous préférez le martyr, je délivre aussi les derniers sacrements…

Antoine et Chloé reviennent et les aperçoivent. Gonfland relâche le curé qu’il avait saisi par le col, et les deux autres, pris en faute, cessent aussitôt leurs recherches.

Fouinart – Ah, chers amis… Nous nous apprêtions à vous rejoindre, justement… Je me présente, Maître Fouinart, avocat au barreau.

Gonfland – Inutile de préciser lequel. Tous ses clients finissent derrière les barreaux…

Fouinart – Et voici le Colonel Gonfland.

Gonfland – Chers voisins…

Antoine – Vous… avez perdu quelque chose ?

Fouinart – Euh… Oui… Le Colonel ne sait plus ce qu’il a fait de son téléphone portable.

Chloé – Eh bien vous n’avez qu’à l’appeler.

Fouinart – Pourquoi l’appellerais-je ? Puisqu’il est à côté de moi…

Chloé – Pour savoir où se trouve son téléphone.

Fouinart – Ah oui, bien sûr, mais… Je ne suis pas sûr d’avoir son numéro…

Antoine – Eh bien vous n’avez qu’à lui demander. Puisqu’il est à côté de vous, justement.

Fouinart – Bien sûr, mais… Ah voilà, je crois que je l’ai…

Il appuie sur une touche de son portable. Celui de Gonfland sonne aussitôt dans sa poche.

Gonfland – C’est idiot, je le cherche toujours partout, et il est dans ma poche…

Fouinart – Bon, eh bien… maintenant que les présentations sont faites…

Moment d’embarras.

Gonfland – Vous m’accompagnez sur la terrasse, mon Père ? J’ai une petite question à vous poser. Un cas de conscience, en quelque sorte…

Dessaint (méfiant) – Si je peux vous éclairer, mon fils…

Ils sortent.

Fouinart – Je vais mettre un peu de musique…

Il met de la musique. On entend des cris. Fouinart met la musique plus fort.

Fouinart – J’adore ce passage. C’est Chopin, n’est-ce pas ?

Chloé – C’est Wagner.

Fouinart – Voilà, je l’avais sur le bout de la langue… (Bruits de lutte) Je vais voir ce qu’ils font… Le colonel a un tempérament un peu sanguin. Lorsqu’il parle théologie avec le Père Dessaint, il a tendance à s’enflammer un peu…

Il sort. Chloé baisse la musique.

Chloé – C’est curieux, il a vraiment une tête qui me dit quelque chose, ce curé.

Antoine – Où est-ce que tu aurais bien pu rencontrer un curé ?

Chloé – J’ai quand même fait ma première communion…

Antoine – Tu m’as dit tout à l’heure que tu étais juive !

Chloé – Je n’ai pas dit que j’étais juive ! Disons que… C’est un peu plus compliqué que ça.

Zarbi revient et se sert de la sangria.

Chloé – Vous le connaissez bien, vous, le Père Dessaint ?

Zarbi – Les curés entreprennent très rarement une psychanalyse. C’est fort dommage, d’ailleurs. Ce sont pourtant ceux qui en auraient le plus besoin.

Chloé – J’ai l’impression de le connaître, mais je n’arrive pas à me souvenir dans quelles circonstances j’aurais bien pu le rencontrer…

Zarbi – Il y a parfois des choses dont on préfère ne pas se rappeler. On appelle ça le refoulement.

Antoine – C’est vrai… C’est comme à propos de la Tante Germaine. Je ne savais pas que j’avais une tante, et pourtant, quand j’ai appris son existence, ça ne m’a pas vraiment surpris. Il faut croire que j’en avais quand même entendu parler, quand j’étais enfant.

Zarbi – Les secrets de famille… C’est comme les cadavres qu’on jette à l’eau avec un boulet autour du pied. Avec le temps, et la putréfaction aidant, ça finit toujours par remonter à la surface.

Antoine – La Tante Germaine…

Zarbi – Bannie pour collusion avec la Germanie.

Blanc.

Chloé – Quand j’étais adolescente, tout le monde se moquait de moi parce que j’avais déjà une forte poitrine. Je ne sais pas pourquoi ça me revient comme ça, maintenant.

Zarbi – Le Père Dessaint… Ça devrait vous mettre la puce à l’oreille…

Nouveau blanc. Trouble de Chloé.

Chloé – Ça y est, je me souviens maintenant… La première communion… Le catéchisme… C’était lui !

Antoine – Lui ?

Chloé – Je voulais passer ma première communion, comme toutes mes copines. Pour être comme elles. J’ai fait toutes mes études dans une école catholique…

Antoine – Tu ne m’avais jamais parlé de ça non plus. Tu ne jures que par l’école publique !

Zarbi – Il faut vous faire une raison, mon pauvre ami. Les femmes ne vous disent pas tout. Pas même votre sainte mère. D’ailleurs, elle vous avait caché l’existence de la tante germanophile.

Chloé – Le curé savait que j’avais des origines juives. Il m’a dit qu’il pouvait fermer les yeux… à condition que je ferme aussi les miens.

Elle sort précipitamment. Fouinart revient et remonte le son.

Fouinart – J’adore ce passage…

La baronne revient.

Baronne – On ne s’entend plus, ici.

Zarbi – Au contraire, on s’entend de mieux en mieux, je vous assure.

Fouinart – Ne dit-on pas que la musique adoucit les meurtres ? Je veux dire les mœurs…

Gonfland revient aussi.

Gonfland – Madame la Baronne, mes hommages. M’accorderez-vous cette danse ?

Baronne – Désolée, Colonel, mais en dessous de Général de Brigade, je n’inscris personne sur mon carnet de bal. Alors un colonel. À moins qu’il soit très jeune…

Gonfland – En même temps, Baronne, c’est le grade le moins élevé chez les sang bleu, non ?

Baronne – Et puis à moins d’être militaire, on ne danse pas sur du Wagner…

Fouinart – Puisque personne ne danse, je vais baisser un peu la musique…

Il baisse la musique.

Gonfland – Et si nous allions féliciter Madame Cassenoix pour sa sangria…

Zarbi – Oui, d’ailleurs, il faudra qu’elle nous donne la recette.

Fouinart – Vous savez qu’elle a toujours refusé de nous en livrer le secret.

Gonfland – Cher Maître, vous oubliez que j’ai fait la guerre d’Algérie. Je saurai comment la faire parler.

Fouinart – Il est impayable…

Fouinart et Gonfland sortent. Chloé revient.

Antoine – Ça va ? Tu es toute pâle…

Chloé – Oui, oui… Ça va mieux… Ça ne devrait pas, mais ça va mieux… Enfin, je veux dire… C’est vrai que ça soulage…

Antoine n’a pas l’air de comprendre.

Zarbi – Je crois qu’elle a enfin tué le Père.

Zarbi sort.

Antoine – C’est des malades, je te dis…

Chloé – Et je commence à me demander si leur folie n’est pas contagieuse…

Antoine (ailleurs) – Ah oui…?

Chloé – Je crois que je me suis un peu laissée emporter tout à l’heure, avec le Père Dessaint… Il a encore essayé de me toucher la poitrine, alors je l’ai repoussé un peu violemment…

Antoine – N’empêche qu’il y a bien un trésor dans cette maison. Tu as vu ? Ils étaient tous en train de fouiner partout…

Chloé – On n’a qu’à chercher nous aussi…

Antoine – Mais par où commencer ?

Chloé – En tout cas, il faudra tous les fouiller avant qu’ils ne s’en aillent…

Antoine – Il y a dix minutes, on voulait les laisser partir chacun avec quelque chose, pour débarrasser…

Chloé – Il n’en est plus question. (Un peu hystérique) Il est à nous, ce trésor, et on va le trouver !

Ils se mettent à fouiller. Madame Sanchez, la concierge, revient. Ils s’interrompent en voyant qu’elle les observe.

Antoine – Ah, Madame Sanchez…

Chloé – Vous êtes la concierge, n’est-ce pas ?

Sanchez – Je cherche cette dame, là. Sam… Vous ne l’avez pas vue, par hasard ?

Chloé – Pas vue…

Antoine – Alors comme ça, c’est vous la concierge…

Sanchez – Hun, Hun…

Chloé – Donc, c’est à vous que nous donnerons des étrennes tous les ans au mois de janvier.

Antoine – J’espère que ma tante se montrait généreuse avec vous…

Sanchez – Germaine… On ne peut pas dire, non. Je faisais pourtant le ménage chez elle toutes les semaines. Jamais un pourboire en trente ans.

Antoine – Je crains malheureusement que nous n’ayons pas les moyens de continuer à vous employer pour faire le ménage.

Chloé – Nous ne possédons pas de trésor caché, nous. Comme la tante Germaine…

Sanchez – Non, ça, Germaine n’était pas très généreuse…

Antoine – Pourtant, elle avait l’air très appréciée dans l’immeuble…

Sanchez – C’est sûr… Elle avait fait miroiter à tout le monde qu’elle ne nous oublierait pas sur son testament.

Antoine – Son testament ? Ma tante avait rédigé un testament ?

Sanchez se sert un verre de sangria.

Sanchez – En tout cas, personne n’a rien retrouvé après sa mort… Mais allez savoir… Il finira peut-être par remonter un jour à la surface, lui aussi… Excusez-moi, il faut absolument que je parle au commissaire… Je veux dire à cette pute.

Sanchez sort.

Antoine – Un testament… Tu te rends compte, ça changerait tout !

Chloé – Pourquoi ça ?

Antoine – Je ne suis que l’arrière petit-neveu ! Si j’hérite de cet appartement, c’est parce qu’on n’a pas retrouvé de testament qui désignerait spécifiquement quelqu’un d’autre comme légataire.

Chloé – Mais puisque tu es la seule famille qui lui reste.

Antoine – Je ne suis qu’un héritier par défaut ! Si elle a fait un testament, elle a très bien pu léguer son appartement à quelqu’un d’autre ! À ses voisins, par exemple.

Chloé – Je vois… Donc, si on en retrouvait ce document…

Antoine – On n’aurait plus qu’à retourner à La Garenne-Colombes.

Chloé – Alors tu crois que c’est ça qu’ils cherchent : le testament.

Antoine – En tout cas, si ce papier existe, il serait bon de mettre la main dessus avant eux.

Chloé – On ne peut pas les mettre dehors maintenant…

Antoine – Où est-ce qu’elle aurait bien pu le planquer, ce putain de testament ?

Chloé – Allons voir dans sa chambre…

Ils sortent. Sam revient et se remet à fouiller la pièce. Elle est interrompue par l’arrivée de Sanchez.

Sanchez – Ah, Commissaire, je vous cherchais. Il semblerait que le Père Dessaint ait lui aussi été victime d’un accident domestique… Je viens de voir son corps écrasé en bas dans la cour.

Sam – Décidément, cette rambarde a l’air dangereuse. Il faudrait veiller à la faire réparer, Madame Sanchez. J’en toucherai un mot au syndic.

Sanchez – Je vous dis que quelqu’un est mort, et c’est tout ce que ça vous inspire ?

Sam – Vous avez raison, je vais aller jeter un coup d’œil.

Ils sortent. Madame Cassenoix revient avec Maître Fouinart et le Colonel Gonfland.

Cassenoix – Vous manquez vraiment de doigté, Colonel. On n’avait pas besoin d’un deuxième cadavre sur les bras.

Fouinart – Ça va finir par sembler louche, c’est sûr…

Gonfland – Mais ce n’est pas moi, je vous jure ! Je l’ai juste un peu secoué. Avant de le laisser en compagnie de la maîtresse de maison.

Cassenoix – Bon, quoi qu’il en soit, arrangez-vous pour faire disparaître le corps. Vous n’avez qu’à le mettre à la cave pour l’instant. On verra après…

Gonfland – Je m’en occupe…

Fouinart – Un curé… Personne ne s’inquiétera de sa disparition… Plus personne ne va à la messe…

Gonfland – Surtout les messes en latin.

Cassenoix – Bon, eh bien allez-y, Colonel, qu’est-ce que vous attendez ?

Gonfland – J’y vais…

Gonfland sort.

Fouinart – Et dire que le curé était peut-être le seul à savoir où se trouve le testament de Germaine…

Cassenoix – Vous êtes sûr qu’il existe, au moins ?

Fouinart – C’est moi-même qui lui ai suggéré d’en rédiger un. Elle m’a juré qu’elle l’avait fait.

Cassenoix – Pourtant aucun document n’a été déposé chez son notaire.

Fouinart – Elle a pu faire un testament olographe.

Cassenoix – Olographe ?

Fouinart – Une déclaration manuscrite, sur papier libre. Qu’elle aura caché quelque part chez elle. C’est tout aussi légal. À condition de le retrouver…

Cassenoix – Ça sert à quoi de faire un testament, si c’est pour le planquer et que personne ne le trouve ?

Fouinart – Allez savoir ? Elle avait peut-être peur que ce document tombe entre les mains de personnes mal intentionnées…

Cassenoix – Il doit être bien être quelque part, ce foutu papier…

Fouinart – Évidemment, un testament remettrait en cause l’héritage de ce neveu éloigné.

Cassenoix – À condition que cette vieille folle ait testé en notre faveur, bien sûr.

Fouinart – Tiens, ils sont passés où, d’ailleurs, ces deux crétins ?

Madame Sanchez arrive.

Fouinart – C’est vous qui faisiez le ménage chez Germaine, vous ne sauriez pas où elle rangeait ses papiers importants ?

Sanchez – Qu’est-ce que vous croyez ? Ce n’est pas parce qu’on est femme de ménage qu’on fouille partout…

Zarbi arrive. Suivie de Gonfland.

Cassenoix – Et vous Madame Zarbi ? Vous avez une idée ?

Zarbi – Je suis psychanalyste, pas médium.

Fouinart – Tout de même, vous connaissez les mystères de l’âme humaine…

Zarbi – Vous avez lu La Lettre d’Edgar Poe ?

Cassenoix – Je ne savais même pas qu’il nous avait écrit une lettre. C’est un nouveau locataire ?

Zarbi – Lorsqu’on veut cacher quelque chose, c’est parfois plus simple de le mettre bien en évidence, là où ceux qui cherchent ne pensent pas à regarder…

Elle repart.

Gonfland – Je déteste ses airs mystérieux et son côté donneur de leçon.

Cassenoix – Bien en évidence… Elle a peut-être raison. Qu’est-ce qui est le plus en évidence, ici ?

Ils regardent tous autour d’eux, perplexes, sans s’arrêter sur le tableau qui trône pourtant au centre de la pièce. Ils se mettent tous à fouiner. Madame Crampon arrive.

Mme Crampon – Je crois que j’ai trouvé quelque chose.

Tous les autres la regardent. Elle brandit une perruque.

Cassenoix – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Mme Crampon – Une perruque.

Gonfland – Et alors ?

Cassenoix – Vous allez nous dire que finalement, Germaine était un travesti ?

Sanchez – Ça doit être un souvenir.

Fouinart – Un souvenir ?

Sanchez – La perruque qu’elle a dû mettre à la libération après avoir été tondue…

Sanchez met la perruque. Antoine et Chloé reviennent.

Antoine – Qu’est-ce que vous faites avec ça ?

Cassenoix – Quoi ? On n’a pas le droit de s’amuser ?

Gonfland – C’est vrai, ça. Ça finit par être agaçant. Vous nous surveillez ou quoi ?

Chloé – Nous, on vous surveille ?

Antoine – On est chez nous, non ?

Fouinart – Pour l’instant, oui…

Chloé – Pour l’instant ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Gonfland – Vous le savez très bien. Vous n’avez aucune légitimité à être ici. Vous ne connaissiez même pas Germaine.

Antoine – Peut-être, mais les liens du sang, ça existe. Et la loi, c’est la loi. Que cela vous plaise ou non, c’est moi qui hérite de cet appartement.

Sanchez – On ne vous a même pas vu à l’enterrement de Germaine !

Chloé – Et vous ? Vous ne vous occupiez d’elle que dans l’espoir d’être couchés sur son testament !

Cassenoix – Votre tante détestait les gauchistes. Elle n’aurait jamais légué tous ses biens à des gens comme vous.

Antoine – Vous, vous commencez vraiment à nous casser les noix…

Gonfland – Ne manquez pas de respect à Madame Cassenoix, jeune impertinent. Vous voulez finir comme votre tante ?

Antoine – Alors c’est vrai, c’est vous qui avez assassiné Germaine ?

Fouinart – Allons, Colonel, reprenez votre sang froid… Vous savez bien que la tante Germaine est morte accidentellement…

Brisemiche arrive, suivie de Sam.

Chloé – Je croyais que c’était une crise cardiaque. N’est-ce pas, Docteur ?

Brisemiche – À vrai dire, on ne sait pas très bien…

Antoine – C’est pourtant vous qui avez émis le certificat de décès, non ?

Brisemiche – La médecine légale n’est pas une science exacte, vous savez…

Chloé – Tout de même, vous devez bien savoir si elle est morte d’un arrêt du cœur, d’une chute depuis le septième étage, d’une balle dans le dos…

Antoine – D’une absorption massive de barbituriques ou des suites d’une strangulation…

Mme Crampon – En fait, c’est un peu tout ça à la fois…

Un ange passe.

Sanchez (en aparté à Sam) – Qu’est-ce que vous attendez pour les arrêter ?

Sam – J’attends d’avoir plus de preuves… Croyez-moi, laissez faire la police…

Sam repart, suivie de Sanchez.

Fouinart – Je crois que Madame Crampon a un peu abusé de cette excellente sangria. Et si son mari l’emmenait prendre un peu l’air sur la terrasse.

Mr Crampon – Allez viens, chérie…

Mme Crampon – Tout de même, je tiens encore debout…

Monsieur Crampon sort en emmenant sa femme. Zarbi revient et se sert un verre de sangria.

Fouinart – Je crois que nous avons tous un peu trop fait honneur à ce délicieux élixir que nous a concocté Madame Cassenoix.

Brisemiche – Oui, d’ailleurs, vous devez toujours me donner le secret de votre recette…

Zarbi – Le secret de la sangria, comme d’une bonne réunion de famille, c’est de laisser bien mariner tout ça dans son jus pendant un certain temps.

Elle repart d’un pas mal assuré, passablement bourrée.

Fouinart – Bref, je crois que nous devons tous reprendre un peu nos esprits. Nous sommes seulement là pour célébrer la Fête des Voisins, et la mémoire de notre chère disparue.

Mr Crampon – Oui, très chère…

Brisemiche – Et… Qu’est-ce que vous faites, dans la vie, mon petit Antoine ?

Antoine – Je travaille pour une maison d’édition. Je suis directeur de collection. J’édite des guides de voyage…

Cassenoix – Des guides de voyage, voyez-vous ça… Mais c’est passionnant…

Fouinart – Donc, vous êtes un grand voyageur.

Antoine – On peut écrire des romans policiers sans être un flic ou un voyou, vous savez.

Chloé – Malheureusement, aujourd’hui, on peut même écrire des romans sans être romancier…

Brisemiche – Et vous Mademoiselle ?

Chloé – Je suis professeur d’anglais.

Cassenoix (ailleurs) – Ah, c’est bien ça…

Brisemiche – Et j’imagine que pour être professeur d’anglais, il faut quand même parler anglais.

Chloé – Oui… Encore que, on a tellement de mal à trouver des professeurs, aujourd’hui. Peut-être que bientôt, ce ne sera plus obligatoire.

Cassenoix – C’est comme les médecins. Il n’y en a plus ! On est obligé d’en faire venir de l’étranger. Figurez-vous que le mien est noir…

Fouinart – Non ?

Brisemiche – Et c’est pareil pour les curés. Avec la crise des vocations… Vous allez voir que d’ici peu, il ne sera plus nécessaire de croire en Dieu pour dire la messe.

Fouinart – Ou même d’être catholique. Ne dit-on pas qu’on va transformer nos églises en synagogues ?

Brisemiche – Il me semble que c’était plutôt des mosquées, non ?

Fouinart – Oui, enfin, ça revient au même.

Monsieur Crampon revient.

Mr Crampon – Je vous ressers un peu de sangria ?

Cassenoix – Allez…

L’atmosphère est un peu lourde.

Antoine – Non merci…

Chloé – Moi non plus, je crois que j’ai assez bu.

Antoine – D’ailleurs, il commence à être un peu tard, non ?

Cassenoix – Allons, un petit dernier. Pour la route…

Mr Crampon – On ne va pas se quitter comme ça, on vient à peine de faire connaissance…

Cassenoix donne un verre de sangria à Antoine et Chloé, qui se forcent à boire encore un peu.

Brisemiche – Elle est bonne, n’est-ce pas ?

Chloé – Oui… Je crois que je vais aller vomir…

Antoine – Je t’accompagne.

Ils s’apprêtent à sortir précipitamment.

Cassenoix – Vous savez où se trouvent les toilettes ?

Brisemiche – Au fond du couloir en face.

Antoine et Chloé sortent.

Fouinart – C’est vraiment infect. Mais qu’est-ce que vous mettez là-dedans ?

Mr Crampon – Vous ne cherchez pas à nous empoisonner nous aussi, afin de garder l’héritage pour vous toute seule ?

Brisemiche – Allons, voyons… Vous savez bien que pour Germaine, c’était un regrettable accident.

Fouinart – Tout au plus un homicide involontaire, au regard de la loi.

Cassenoix – On pourrait presque dire un accident domestique suivi d’une erreur médicale.

Mr Crampon – Il n’empêche, si on ne retrouve pas ce testament, on ne touchera rien.

Cassenoix – Elle nous a bien baladé, la vieille.

Brisemiche – Est-ce qu’il existe, au moins, ce testament ?

Sanchez – On a cherché partout.

Fouinart – Et si c’était eux qui l’avaient trouvé avant nous ?

Brisemiche – Eux ?

Fouinart – Ces deux fouille-merde !

Cassenoix – Et qu’ils l’avaient fait disparaître ?

Brisemiche – C’est dans leur intérêt, non ?

Gonfland – On n’a qu’à les interroger.

Brisemiche – Mais sans violence inutile, alors.

Gonfland – On va attendre qu’ils reviennent.

Cassenoix – On a déjà cherché partout ici…

Mr Crampon – Profitons-en pendant qu’ils sont dans la salle de bain pour fouiller le reste de l’appartement…

Cassenoix – Vous voyez qu’elle a du bon ma sangria.

Ils sortent. Antoine et Chloé reviennent.

Antoine – Tu crois qu’ils se sont barrés ?

Chloé – Ça m’étonnerait… Tant qu’ils n’ont pas trouvé ce testament…

Antoine – Où est-ce que la vieille a bien pu planquer ça ?

Chloé – Dans un coffre ?

Antoine – Dans les films, souvent, les coffres, c’est derrière les tableaux…

Ils se mettent à deux pour décrocher le tableau.

Antoine – Putain, c’est lourd…

Ils posent le tableau contre un meuble.

Chloé – Pas de coffre derrière le tableau.

Antoine semble voir quelque chose derrière le tableau.

Antoine – En revanche, regarde…

Ils retournent le tableau et voient que le dos de la toile est couvert par un texte.

Chloé – Le testament de la tante Germaine…

Comme effrayés, ils retournent le tableau pour ne plus voir le dos.

Antoine – Ça fait un drôle d’effet, quand même.

Chloé – Oui… On dirait un message laissé par un fantôme.

Antoine – Qu’est-ce qu’on fait ?

Chloé – On pourrait faire comme si on n’avait rien trouvé.

Antoine – Ou même le détruire, pour plus de sécurité, et faire comme si ce testament n’avait jamais existé…

Chloé – Peut-être qu’elle te lègue quand même l’appartement, finalement… Toi tu ne connaissais pas son existence, mais elle elle savait qu’elle avait un petit-neveu, non ?

Antoine – Ça arrangerait tout, mais bon… Il ne faut pas rêver, tout de même…

Chloé – On ne sait jamais. Autant regarder ce qu’il y a dedans avant de décider si on le détruit.

Antoine – C’est vrai que ça nous éviterait un cas de conscience plutôt délicat à résoudre…

Chloé – Si on peut récupérer cet appartement haussmannien sans avoir à bafouer les volontés d’une vieille antisémite.

Antoine – Tu as raison… Il sera toujours temps de m’arranger avec ma conscience si ce testament me dépossède de mon héritage légitime.

Chloé – Un héritage accumulé en spoliant mes ancêtres israélites après les avoir fait déporter.

Antoine – D’un autre côté, ça te permettrait de récupérer tout ça.

Chloé – En somme, ce serait une œuvre de justice, tu veux dire… Un juste retour des choses…

Antoine – C’est un peu jésuite, mais bon… Ça se tient…

Chloé – Et puis c’est quand même un bel appartement…

Antoine – OK. Je regarde, essaie de les retenir un moment par là-bas…

Chloé part vers le couloir. Antoine retourne à nouveau le tableau et lit ce qui est écrit au dos.

Antoine – La salope…

Il remet le tableau en place. Chloé revient, suivie de Monsieur Crampon.

Mr Crampon (un peu pressant) – Alors comme ça, nous allons être voisins…

Chloé – Oui… Enfin peut-être… Mais… j’ai croisé Sam tout à l’heure, et je crois qu’elle voulait vous dire deux mots en privé…

Mr Crampon – En privé ?

Chloé – Je ne voudrais pas m’avancer, mais je crois que vous lui avez fait une grosse impression. Elle est sur la terrasse.

Mr Crampon – J’y vais…

Monsieur Crampon sort.

Chloé – Alors ?

Antoine – Les voisins n’héritent que des meubles et des bibelots.

Chloé – Et l’appartement ?

Antoine – Elle le lègue à des associations.

Chloé – Une façon de se racheter une virginité avant le grand départ, pour compenser ses turpitudes passées avec le Maréchal Pétain.

Antoine (embarrassé) – Ouais, enfin…

Chloé – Quelles associations ?

Antoine – Il faut que je relise ce passage, j’ai juste eu le temps de voir ça dans les grandes lignes…

Chloé – Bon… En tout cas, on n’a plus trop le temps. Il faut se décider.

Antoine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Antoine hésite.

Chloé – C’est quand même les dernières volontés de la tante Germaine.

Antoine – Sans compter que ça ne va pas être évident d’escamoter ce tableau…

Chloé – Et si jamais quelqu’un a l’idée un jour de regarder derrière…

Antoine – Alors on laisse tomber ? On leur dit qu’on a retrouvé le testament de Germaine ?

Chloé – Tu nous imagines vivre dans cet appartement ? Entourés de ces voisins psychopathes, qui ont peut-être assassiné ta tante après l’avoir torturée pour lui extorquer son l’héritage.

Antoine – On pourrait être les prochains sur la liste…

Moment de flottement.

Chloé – Et puis il n’est pas si terrible que ça, cet appartement.

Antoine – N’exagère pas, il faut que ça reste crédible…

Chloé – Putain, un appartement en plein centre de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Antoine – Bon, d’un autre côté, on aurait dû payer pas mal de frais de succession.

Chloé – Tu as raison, mieux vaut laisser tomber.

Antoine – Allons quand même voir une dernière fois la Tour Eiffel…

Chloé – On va se faire du mal là…

Antoine – On peut encore changer d’avis.

Ils sortent. Cassenoix revient accompagnée de tous les autres voisins, sauf Sam et la baronne.

Cassenoix – Rien…

Mr Crampon – Elle s’est bien foutue de nous, la charogne.

Brisemiche – Je crois qu’il va falloir se faire une raison. Nous ne percevrons jamais la juste récompense de toutes ces années d’abnégation au service d’une ingrate.

Gonfland – Ouais. On a fumé la vieille pour rien.

Antoine et Chloé reviennent également.

Fouinart – Et bien entendu, vous allez nous dire que vous non plus, vous n’avez rien trouvé ?

Antoine – C’est-à-dire que…

À la surprise d’Antoine, Chloé joue les innocentes.

Chloé – Trouvé quoi ?

Mais le tableau, mal raccroché, se casse la figure. Ils voient tous ce qui est écrit au dos..

Fouinart – Le testament de Germaine…

Brisemiche – Dieu soit loué…

Mr Crampon – Comme quoi il ne faut jamais désespérer de son prochain.

Cassenoix – Au dos d’un tableau ?

Mme Crampon – Est-ce que c’est valable ?

Fouinart – La loi précise que le testament doit être écrit à la main, mais elle ne précise pas sur quel support. Une fois on en a même validé un rédigé avec du sang sur le côté d’une machine à laver.

Sanchez – Et alors ? Qu’est-ce que ça dit ?

Fouinart – Je vais vous en faire la lecture…

Il sort ses lunettes, et se racle la gorge. Antoine et Chloé échangent un regard résigné.

Fouinart – Ceci est mon testament authentique, écrit de ma main, et qui annule tous les autres…

Sam – Bon, on pourrait peut-être sauter les préliminaires…

Fouinart – Je lègue l’appartement dont je suis propriétaire à Paris, pour moitié à la Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme, et pour l’autre moitié à l’Association pour la Réhabilitation de la Mémoire du Maréchal Pétain.

Zarbi – C’est ce qui s’appelle couper la poire en deux.

Mr Crampon – S’ils décident de partager les locaux, la cohabitation ne va pas être facile…

Déception générale.

Brisemiche – C’est tout ?

Fouinart – Le tableau revient au syndic, Madame Cassenoix, en tant que représentante de la copropriété. Il devra être placé dans le hall de l’immeuble, afin que tous puissent en profiter.

Cassenoix – Génial…

Fouinart – Suit une liste exhaustive des autres objets sans valeur se trouvant dans cet appartement, jusqu’à la dernière petite cuillère, légués nommément à chacun d’entre nous. Le vase chinois revient en indivision à la baronne et à la concierge.

Chloé – Finalement, c’était une comique, la tante Germaine.

Cassenoix considère le tableau.

Angela – Pour que tous puissent en profiter… Cette croûte… Et en plus, elle se paie notre tête, cette vieille bique.

Antoine – Je vous en prie, vous parlez de ma tante, tout de même…

Fouinart – Qui par ce testament, vous déshérite.

Mme Crampon – La salope…

Sanchez – On ne va pas mettre ça dans l’entrée.

Cassenoix – Remarquez, ça pourrait faire fuir les voleurs.

Mr Crampon – Bon. Je crois qu’on n’a plus rien à faire ici.

Antoine – Et le testament, qu’est-ce qu’on en fait ?

Brisemiche – Faites-en ce que vous voulez, de toute façon, dans un cas comme dans l’autre, nous on n’hérite de rien.

Mme Crampon – Sauf de tout ce bric-à-brac sans valeur.

Mr Crampon – Vous n’avez qu’à le brûler, ce testament. Comme ça l’appartement vous reviendra de plein droit.

Brisemiche – Vous ou d’autres, comme voisins, qu’est-ce que ça change.

Cassenoix – Et puis vous êtes un peu de la famille, déjà.

Fouinart – Oui, on est appelés à se revoir…

Ils s’apprêtent tous à sortir.

Mme Crampon – Merci pour cette charmante soirée, vraiment…

Cassenoix – Et encore une fois, toutes nos condoléances…

Ils sortent tous les uns après les autres en passant devant Antoine et Chloé pour leur serrer la main ou les embrasser avec un air de circonstance, comme à un enterrement. Antoine et Chloé soupirent lorsque le dernier est sorti.

Antoine – Retour à la case départ.

Chloé – Pas tout à fait… Il faut encore qu’on décide ce qu’on fait de ce testament.

Antoine – Trop tard pour le faire disparaître, il y a trop de témoins. Ils nous tiendraient par les couilles…

Chloé – Alors ?

Antoine – Je ne sais pas…

Chloé – En tout cas, je n’ai plus du tout envie de dormir ici cette nuit…

Antoine – Non, moi non plus… Qu’est-ce qu’on fait du tableau. Je veux dire du testament…

Chloé – On ne peut pas l’emmener. C’est trop lourd.

Antoine – Prenons la nuit pour réfléchir, et on verra demain.

Chloé – On va rentrer dans notre banlieue, à La Garenne-Colombes. On n’a pas la vue sur la Tour Eiffel, mais au moins c’est chez nous.

Antoine – Ouais, décidément, c’était trop beau.

Chloé – Tu pourras toujours en faire un roman.

Antoine – Ou une pièce de théâtre…

Chloé – Si c’est un best-seller, on pourra quand même s’acheter un appartement avec tes droits d’auteur…

Antoine raccroche le tableau et y jette un dernier regard.

Antoine – Tu avais raison, c’était bien le Maréchal Pétain.

Chloé – Quand il n’était encore que lieutenant…

Antoine – Je remets l’alarme en partant ?

Chloé – Pour ce qu’il y a à voler ici…

Antoine – Je la remets.

Ils s’en vont.

Noir.

Le rayon lumineux d’une lampe de poche, explorant les lieux. Puis un deuxième. Les rayons se croisent. L’un des deux personnages actionne un interrupteur et la lumière revient. On découvre deux personnes, habillées en Père Noël.

Sam – Ah, bataille…

Baronne – Qu’est-ce qu’on fait ?

Sam – On ne va pas appeler la police…

Elles retirent leurs barbes. C’est Sam et la baronne.

Baronne – J’en déduis que vous n’êtes pas vraiment policier…

Sam – Pas plus que vous n’êtes vraiment baronne…

Baronne – En fait, vous êtes un type dans mon genre.

Sam – Quel genre ?

Baronne – Du genre à changer plus souvent d’identité que de slip.

Sam – Mais qui vous a dit que j’étais policier ? Enfin que j’étais supposée l’être…

Baronne – Quand on veut garder un secret, mieux vaut éviter de se confier à une concierge. (Avec un regard sur le déguisement de la baronne) C’est curieux qu’on ait eu la même idée.

Sam – Un Père Noël, en cette saison, ça attire moins l’attention. Surtout la nuit…

Baronne – Je dirais même que ça inspire confiance.

Sam – J’imagine que vous non plus, vous n’êtes pas venue déposer des cadeaux au pied du sapin ?

Baronne – Non… Alors on partage ?

Sam – S’il y a quelque chose à partager…

Elles inspectent l’appartement.

Baronne – Le butin a l’air plutôt maigre.

Sam – J’avais pourtant de bons renseignements. Vous aussi, j’imagine…

Baronne – On disait que la vieille avait de l’argent chez elle. Mais apparemment, c’était juste une rumeur…

Sam – Un coffre-fort ?

Ils regardent derrière le tableau.

Baronne – Rien derrière le tableau.

Sam – Et le tableau ?

Ils l’examinent.

Baronne – Une croûte.

Sam – Tous ces efforts pour rien.

Baronne – Moi qui comptais là dessus pour redorer mon blason.

Sam – Et moi pour me dorer la pilule. Sous les tropiques…

Baronne – Hélas, le Père Noël n’existe pas.

Sam – Allez on s’en va.

Baronne – Je vais rester encore un peu… Mieux vaut ne pas partir en même temps.

Sam – Vous avez raison… Deux Pères Noël ensemble, ça attire davantage l’attention.

Baronne – Oui… On se demande lequel est le vrai.

Sam s’en va. La baronne attend qu’elle se soit éloignée et gratte le cadre avec son ongle. Sam revient, méfiante, et la voit faire.

Sam – C’est ce que je me disais aussi, à la réflexion… Tout de même, le cadre est très lourd, pas vrai ?

Baronne – C’est de l’or massif.

Sam – Vous le saviez ?

Baronne – Je prenais le thé avec elle de temps en temps. Un jour, j’ai versé une petite pilule dans son Earl Grey. Sous ecstasy, c’était une femme charmante.

Elles regardent le tableau.

Sam – Un beau cadeau de Noël.

Baronne – Oui. Même partagé en deux…

Sam – Et on ne sera pas trop de deux pour l’emporter.

Baronne – Je crois que finalement, on peut dire merci à la tante Germaine.

Sam – Et maintenant, à nous de faire mentir le célèbre adage…

Baronne – Quel adage ?

Sam – Bien mal acquis ne profite jamais.

Baronne – Oh… Je ne suis pas superstitieuse.

Elles décrochent le tableau. Une sonnerie d’alarme se met à retentir. Elles se regardent, consternées.

Sam – C’était vraiment une salope…

Noir

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédiathèque – ISBN 979-10-90908-67-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Antoine – Ça arrangerait tout, mais bon… Il ne faut pas rêver, tout de même…

Chloé – On ne sait jamais. Autant regarder ce qu’il y a dedans avant de décider si on le détruit.

A

 

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Manoir, château ou couvent

Au moins depuis Molière, la bourgeoisie (Le Bourgeois Gentilhomme), la noblesse (La Comtesse d’Escarbagnas) et le clergé (Le Tartuffe), ont toujours été de très bons clients pour la comédie. Et cela n’a pas changé…

Le château est souvent le cadre des aventures d’une vraie ou fausse noblesse désargentée, dont la principale préoccupation est de redorer son blason sans trop déchoir. Mais le château peut aussi avoir déjà été racheté par des nouveaux riches, qui sont alors en quête de la respectabilité nécessaire pour faire vraiment partie du grand monde.

Le couvent, pour sa part, constitue une micro-société parallèle, plus ou moins coupée du monde et relativement autonome. Un monde très fermé fonctionnant sur des règles très strictes, inspirées par un modèle utopique. La moindre intrusion dans ce microcosme idéaliste d’un élément de réalité triviale pourra constituer un ressort de comédie.


Au répertoire de La Comédiathèque

Manoir ou château

APERO TRAGIQUE A BEAUCON-LES-DEUX-CHATEAUX

COUP DE FOUDRE A CASTELJARNAC

ÉCHECS AUX ROIS

Couvent

MIRACLE AU COUVENT DE SAINTE MARIE-JEANNE

 

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Théâtre ou studio télé

On ne se moque bien que de soi-même. Les gens de théâtre, et notamment les auteurs, sont donc les mieux placés pour dénoncer de façon humoristique leurs propres travers et ceux de tous les professionnels de la profession (comédiens, metteurs en scène, producteurs, critiques, jurys…). Le monde du spectacle (comme celui de l’art en général, d’ailleurs) est en effet un terrain très favorable pour le développement des nombreuses petites manies ou grands défauts qui font le charme de la comédie humaine : orgueil,  vanité, aveuglement, hypocrisie,  jalousie, arrivisme, corruption…

Le théâtre dans le théâtre… et désormais aussi la télé dans le théâtre, peuvent donc constituer le décor d’un comique de la parodie. Auteur de théâtre ayant en outre longtemps travaillé comme scénariste pour la télévision, Jean-Pierre Martinez connaît bien ces deux univers.


Au répertoire de La Comédiathèque

Théâtre 

REVERS DE DÉCORS

PILE OU FACE

Y A-T-IL UN AUTEUR DANS LA SALLE ?

Y A-T-IL UN CRITIQUE DANS LA SALLE

Studio télé

SUR UN PLATEAU

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