Argent

Héritages à tous les étages

Neighbours’ DayEl infierno son los vecinosUma herança pesada 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

14 personnages très variable en sexe

3H/11F, 4H/10F, 5H/9F, 6H/8F, 7H/7F, 8H/6F, 9H/5F…

Antoine vient d’hériter d’une vieille tante dont il ignorait l’existence un superbe appartement dans les beaux quartiers de Paris. Il vient faire le tour du propriétaire avec son amie Chloé. Mais les secrets de famille, c’est comme les cadavres, ça finit toujours par remonter à la surface…


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LIRE LE TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Héritages à tous les étages


14 PERSONNAGES

Antoine, directeur littéraire

Chloé, professeur d’anglais

Madame Sanchez, concierge

Madame Cassenoix, syndic

Docteur Brisemiche, médecin

Maître Fouinard, avocat

Sam, prostituée ou travesti

Colonel Gonfland, officier de cavalerie

Père Dessaint, curé défroqué

Mme Durand de la Cour, baronne

Madame Zarbi, psychanalyste

Angela, artiste peintre

Un salon avec une baie vitrée qu’on imagine donner sur les toits de Paris, côté salle. Le côté jardin est supposé ouvrir sur une terrasse, et le côté cour sur un couloir conduisant à une entrée. Les meubles et la décoration sont vieillots ou kitch. En fond de scène, dans un cadre monumental, un tableau d’avant-guerre représentant un militaire jeune, avec des faux airs du Maréchal Pétain.

Antoine (off) – Attends un peu, je retire l’alarme. Si je ne le fais pas dans les trente secondes, on va réveiller tout l’immeuble et on sera embarqués par les flics comme des voleurs… Merde, c’est quoi le code, déjà… Ah oui, 14-18…

Chloé arrive. Depuis le seuil, elle jette un regard sur l’ensemble et pousse une exclamation entre admiration et effarement.

Chloé – Ouah !

Elle s’avance dans la pièce et Antoine arrive à son tour.

Antoine – Je t’avais prévenue, il y a un peu de rafraichissement à prévoir…

Chloé – Tu parles comme un agent immobilier. Je te rappelle que tu es le propriétaire.

Antoine – J’ai encore un peu de mal à réaliser… Mais attends de voir ça…

Il l’accompagne jusqu’au devant de scène pour contempler la vue par la baie vitrée. Cette fois, l’exclamation de Chloé est franchement émerveillée.

Chloé – Ouah !

Antoine – Tu verras. De la terrasse, en se penchant un peu, on aperçoit même la Tour Eiffel.

Chloé – Ah oui, ça va nous changer… De chez nous, sans avoir à se pencher, on voit le cimetière de La Garenne-Colombes.

Antoine s’approche et l’enlace.

Antoine – Alors ? Tu consens à passer ta première nuit avec moi dans notre nouvelle demeure ?

Chloé – C’est vrai que tout ça est très excitant… Mais je vais attendre d’avoir vu le lit de ton arrière-grand-mère avant de te donner une réponse définitive.

Antoine – Ce n’est pas mon arrière-grand-mère, c’est ma grand-tante Germaine.

Chloé – Ta tante germaine ? Je pensais qu’il n’y avait que les cousins qui pouvaient être germains…

Antoine – Ah non, Germaine c’est son prénom. C’était la sœur aînée de ma grand-mère.

Chloé – La mère de ton père ?

Antoine – De ma mère. Enfin, à ce qu’il paraît…

Chloé fait le tour de la pièce.

Chloé – Et tu ne l’as jamais rencontrée ?

Antoine – Je ne savais même pas que ma grand-mère avait une sœur.

Chloé – C’est dingue…

Antoine – Quoi ?

Chloé – Que tes parents ne t’aient jamais parlé de cette tante Germaine…

Antoine – Ouais…

Chloé – Et aujourd’hui, tu hérites de son appartement.

Antoine – Apparemment, elle n’avait pas d’enfants. Et comme mes parents sont morts aussi. Le notaire a dit que j’étais son seul héritier…

Chloé – C’est triste quand même… Tu te rends compte ? Pendant toutes ces années, elle vivait là. À deux stations de métro de la maison d’édition pour laquelle tu bosses. Et tu apprends son existence par un faire-part…

Antoine – Un faire-part ? Même pas… Quand j’ai reçu la lettre du notaire, l’enterrement avait déjà eu lieu.

Chloé prend une photo dans un cadre, trônant sur un guéridon.

Chloé – C’est elle ?

Antoine – Ouais, j’imagine…

Chloé – Elle était belle… quand elle était jeune.

Antoine – Ouais.

Chloé – C’est tout ce que ça te fait ?

Antoine – Quoi ?

Chloé – Je ne sais pas moi… Elle n’est plus là, et tu ne la connaîtras jamais… Il ne te reste plus qu’une photo…

Antoine – Et l’appartement.

Chloé – Ça ne te fait rien de savoir qu’elle est morte, la tante Germaine ?

Antoine – Ah si. Si, ça me fait quelque chose, je t’assure.

Chloé – Quoi ?

Antoine – Franchement ? J’ai l’impression d’avoir gagné au loto.

Chloé repose la photo.

Chloé – C’est clair… On ne va pas non plus regretter notre deux pièces à La Garenne-Colombes.

Antoine – Non mais tu te rends compte ? Fini le RER. Je pourrai aller bosser à pied !

Chloé – Et moi en vélo. J’ai juste la Seine à traverser pour aller au lycée.

Antoine – Pas de loyer à payer. En plein centre de Paris. Un appartement avec terrasse, au dernier étage avec ascenseur, dans un bel immeuble haussmannien.

Chloé – Ça y est, tu recommences à parler comme un agent immobilier.

Antoine – Il y a même un parking !

Chloé – On n’a pas de voiture…

Antoine – Tu rigoles ! Tu sais combien ça se loue, un parking, dans un quartier comme ça ?

Chloé – Non. Combien ?

Antoine – Je ne sais pas exactement, mais… au moins la moitié de mon salaire actuel, sûrement.

Chloé – Tu n’as qu’à louer le parking et passer à mi-temps. Tu pourras commencer à écrire ton premier roman. Tu ne vas pas publier toute ta vie les bouquins des autres.

Antoine – Il faudrait d’abord que je trouve un sujet…

Chloé – Tiens, tu pourrais écrire l’histoire de cette mystérieuse grand-mère.

Antoine – C’est ma grand-tante.

Chloé – Une femme qui était presque centenaire, qui devait avoir dans les vingt ans pendant la dernière guerre. Il y a sûrement de quoi écrire un roman.

Chloé jette un nouveau regard sur la pièce.

Antoine – C’est vrai que l’atmosphère est chargée…

Chloé – Oui… Je dirais même oppressante. On dirait que le fantôme de Germaine hante encore cet appartement.

Antoine – Il faudra peut-être le faire désenvoûter avant d’emménager.

Chloé – Tu crois ?

Antoine – On commencera par se débarrasser de toutes ces vieilleries, et on refera les peintures.

Chloé – Il faut avouer que c’est assez sombre.

Antoine s’approche à nouveau de la baie vitrée.

Antoine – Ouais… Mais regarde un peu cette vue ! Ces milliers de toits qui s’étendent devant nous.

Chloé – Et derrière chacune de ces fenêtres, des hommes et des femmes, avec chacun leur histoire. Chacun leur destin.

Antoine – C’est vrai que c’est très romanesque.

Chloé – Paris…

Antoine – La plus belle ville du monde…

Chloé – Et la plus romantique.

Antoine – Des milliers d’appartements comme celui-là. Des millions de gens. Des milliards d’histoires en train de s’écrire.

Chloé – Oui… Tu imagines ? En ce moment même, certains sont en train de faire une demande en mariage.

Antoine – D’autres sont en pleine scène de rupture.

Chloé – Des bébés sont en train de naître, un peu partout.

Antoine – Et des vieux sont en train de calancher, comme la tante Germaine.

Chloé – Certains sont en train de faire la vaisselle.

Antoine – Et d’autres sont en train de faire l’amour…

Ils commencent à s’enlacer. Ils sont interrompus par la sonnerie de la porte.

Chloé – Qui ça peut bien être ?

Antoine – Je ne sais pas… Je ne connais personne dans cet immeuble…

Chloé – Le fantôme de la tante Germaine ?

Antoine – J’y vais…

Chloé – Tu veux que je vienne avec toi ?

Antoine – Ça ira. Mais si je ne suis pas revenu dans cinq minutes, tu appelles un exorciste, d’accord ?

Antoine sort. Chloé examine le tableau, intriguée.

Antoine (off) – Ah oui… Non, non, pas du tout… Mais je vous en prie, entrez…

Antoine revient, suivi par Madame Cassenoix.

Cassenoix – Je ne voudrais pas vous déranger. C’est Madame Sanchez, la concierge, qui m’a dit qu’elle vous avait vu monter avec votre dame. (Apercevant Chloé) Enfin, je ne sais pas si c’est votre épouse… Bonjour Mademoiselle.

Chloé – Bonjour Madame.

Antoine – Chloé, je te présente Madame Cassenoix, une voisine, qui est aussi la syndic de l’immeuble.

Cassenoix (avec un air de circonstance) – Cher Monsieur, au nom de tous les copropriétaires de cet immeuble que j’ai l’honneur de représenter, je vous prie d’accepter nos plus sincères condoléances.

Antoine – Merci, mais vous savez…

Cassenoix – Votre tante était un être exceptionnel. Une femme de caractère, il faut bien le dire. Mais tout à fait charmante. Les résidents de l’immeuble étaient très attachés à Germaine.

Antoine – Je suis très heureux de l’apprendre, vraiment.

Cassenoix – Pour nous tous, Germaine, c’était beaucoup plus qu’une voisine, vous savez. On se rendait de petits services. On lui faisait ses courses à l’occasion. On s’occupait de ses démarches administratives au besoin…

Chloé – Vraiment ?

Cassenoix – Bref, nous faisions tout notre possible pour qu’elle se sente moins seule. Elle recevait très peu de visites, comme vous le savez. Nous l’entourions tous les jours de notre affection. Et elle nous le rendait bien, croyez-moi.

Antoine – Ah oui, c’est… C’est bien…

Cassenoix – En fait, ses voisins, pour Germaine, c’était un peu une famille. D’ailleurs, je ne savais pas qu’elle en avait une autre… En tout cas, elle ne m’en avait jamais parlé.

Antoine – Ça ne m’étonne pas… En fait, je connaissais très peu ma tante Germaine…

Cassenoix – Ah oui… D’ailleurs, je ne me souviens pas vous avoir aperçu à l’enterrement…

Antoine – Pour tout vous dire je…

Chloé, agacée par cet interrogatoire, intervient.

Chloé – Mais j’imagine que vous n’êtes pas seulement venue pour bavarder, et nous ne voudrions pas vous retenir trop longtemps. Vous aviez peut-être… quelque chose à nous demander ? Entre voisins. Un tire-bouchon, du gros sel, des allumettes…?

Antoine – Un casse-noix…?

Cassenoix – Ah, pour le tire-bouchon, vous n’êtes pas tombé loin… Enfin, c’est un peu embarrassant… Vu les circonstances…

Chloé – Dites toujours.

Cassenoix (toussotant) – Excusez-moi, j’ai un chat dans la gorge.

Antoine – Vous voulez boire quelque chose ?

Chloé lance à Antoine un regard réprobateur.

Chloé – Je ne sais pas si on a quelque chose à vous offrir.

Cassenoix – Juste un verre d’eau, ça ira, merci.

Chloé – Je ne sais même pas où est le frigo…

Cassenoix – Ne vous embêtez pas, de l’eau du robinet, ça fera l’affaire. Elle est de très bonne qualité dans le quartier, vous verrez. Alors pourquoi s’embêter à charrier des packs d’eau minérale. Surtout quand on habite au dernier étage, comme vous. Même avec l’ascenseur. (Antoine et Chloé attendent qu’elle en vienne au fait.) Le robinet se trouve dans la cuisine. La deuxième porte à gauche dans le couloir. Vous trouverez des verres dans le placard juste au-dessus.

Chloé sort, un peu froissée.

Cassenoix – Alors voilà… C’est aujourd’hui la Fête des Voisins, et depuis que cette fête existe, votre tante a toujours insisté pour qu’elle soit organisée chez elle.

Antoine – Tiens donc…

Cassenoix – Une tradition, en quelque sorte. À cause de la grande terrasse et de la vue sur Paris, sans doute.

Antoine – Sans doute…

Cassenoix – Il faut bien dire que cet appartement est le plus beau de l’immeuble. Et puis comme Germaine était toute seule, ça lui faisait un peu de compagnie.

Antoine – Hélas, elle est morte, n’est-ce pas…

Cassenoix – Bien sûr… Mais elle aurait sûrement été très heureuse de nous voir tous là ce soir, réunis une dernière fois…

Antoine – C’est-à-dire que… Nous n’avions pas prévu.

Cassenoix – Pour ça ne vous inquiétez pas, on s’occupera de tout. Comme d’habitude. Enfin, je veux dire, comme nous le faisions avec votre tante Germaine.

Chloé revient avec un verre d’eau qu’elle tend à Madame Cassenoix.

Cassenoix – Merci beaucoup.

Chloé – Je vous en prie…

Cassenoix pose le verre sans le boire.

Cassenoix – Comme je le disais à votre mari…

Chloé – Nous ne sommes pas encore mariés, si c’est cela que vous vouliez savoir.

Antoine intervient pour faire baisser la tension.

Antoine – Madame Cassenoix est venue nous inviter à la Fête des Voisins.

Chloé – Ah oui ? C’est… C’est très aimable de sa part. (Étonnée) Mais quand ?

Cassenoix – Eh bien… Mais aujourd’hui !

Antoine – Enfin… l’idée c’est que ça se passe chez nous…

Chloé – Chez nous ? Comment ça chez nous ? Tu veux dire ici ?

Cassenoix – Disons que… Ce sera une sorte de… pot de départ.

Antoine – Nous, on vient à peine d’arriver.

Cassenoix – Je veux dire un pot d’adieu. Pour Germaine. Comme vous n’avez pas pu assister à l’enterrement…

Antoine – Bien sûr…

Cassenoix – Bon, alors puisque vous êtes d’accord, c’est entendu. Je ne sais pas comment vous remercier, vraiment.

Antoine et Chloé, pris de court, échangent un regard embarrassé.

Antoine – Mais… de rien, je vous en prie.

Cassenoix – Et donc vous… Vous avez le projet de venir vous installer dans cet appartement ?

Antoine – Euh… Oui… Enfin…

Cassenoix – Eh bien comme ça, vous ferez connaissance avec tous vos nouveaux voisins… Ça fera d’une pierre deux coups.

Antoine – Oui, pourquoi pas…

Cassenoix – Bon, allez, je me sauve. J’ai encore quelques préparatifs à terminer… Pour cette petite réception, je veux dire… Alors à tout à l’heure ?

Antoine – À tout à l’heure…

Antoine s’apprête à la suivre.

Antoine – Je vous raccompagne.

Cassenoix – Ne vous dérangez pas, je connais le chemin.

Antoine – Très bien…

Cassenoix s’en va. Antoine et Chloé se regardent, interloqués.

Antoine – J’ai l’impression qu’elle nous a un peu forcé la main, non ?

Chloé – Tu crois ? Il faut dire que tu ne t’es pas beaucoup défendu…

Antoine – Tu m’as laissé tout seul avec elle !

Chloé – C’est toi qui m’a envoyé lui chercher un verre d’eau à la cuisine ! Un verre qu’elle n’a même pas bu, d’ailleurs…

Antoine – On n’habite même pas encore l’immeuble, on ne va pas déjà se fâcher avec tous les voisins…

Chloé – De là à se laisser envahir dès le premier jour.

Antoine – Tu as raison… Elle nous a bien embobinés avec sa Fête des Voisins.

Chloé – Ouais… D’autant que la Fête des Voisins, normalement, c’est en juin…

Antoine – Non ?

Chloé – Je pensais que tu le savais !

Antoine – Comment veux-tu que je le sache ?

Chloé – Tout le monde sait que la Fête des Voisins, ce n’est pas fin décembre. Fin décembre, c’est Noël  ! Ça tu es au courant, quand même ?

Antoine – C’est dingue… Pourquoi ils font la Fête des Voisins au mois de décembre ?

Chloé – Une autre tradition, sans doute… Comme celle de fêter ça chez nous… Ça commence bien…

Antoine – Bon… Voyons le bon côté des choses… Ça nous permettra de faire connaissance avec tous nos voisins en une seule fois.

Chloé – Il n’y avait pas urgence, non plus. On vient à peine d’arriver.

Antoine – Qu’est-ce que tu veux ? Maintenant, on est copropriétaires. Ça implique aussi certaines contraintes…

Chloé – Tu es copropriétaire.

Antoine – Quoi qu’il en soit, on aura affaire à eux à l’avenir pour la gestion de l’immeuble. Et c’est Madame Cassenoix le syndic. Je ne pouvais pas la rembarrer comme ça.

Chloé – Madame Cassenoix… Un nom prédestiné…

Antoine – Ça nous évitera d’avoir à pendre la crémaillère. Elle a dit qu’ils s’occupaient de tout.

Chloé – C’est vrai qu’ils ont l’air d’avoir une fâcheuse tendance à s’occuper de tout, y compris de ce qui ne les regarde pas. Je ne sais pas pourquoi, mais je la sens mal, cette copropriété.

Antoine – On verra bien… S’ils ne sont pas sympas, on ne les réinvitera pas.

Chloé – C’est eux qui se sont invités !

Antoine (la prenant dans ses bras) – Allez… On ne va pas se disputer pour si peu.

Chloé – Tu as raison… L’essentiel, c’est qu’on soit enfin chez nous.

Antoine – Si on continuait notre tour du propriétaire ?

Chloé (se tournant vers le tableau) – C’est qui, celui-là ? Ton grand-oncle ? Le mari de Germaine ?

Antoine – Aucune idée…

Ils regardent tous les deux le tableau.

Chloé – Il a des faux airs du Maréchal Pétain, non, avec sa moustache ?

Antoine – Tous les militaires se ressemblent… Et la moustache était très à la mode à l’époque. Mais il paraît un peu jeune, non ?

Chloé – Même Pétain a été jeune…

Antoine – C’est vrai… On a du mal à imaginer que tous les dictateurs ne sont pas nés avec une moustache. Que Pétain a été un jeune homme imberbe, Staline un ado boutonneux et Hitler un bébé joufflu.

Chloé – En tout cas, ce n’est sûrement pas une toile de maître… contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant le cadre.

Antoine – Dommage… Ça m’aurait aidé à payer les frais de succession.

Chloé – Les frais de succession ?

Antoine – Cet appartement ne va quand même pas être gratuit. Avec ce degré de parenté éloignée, le taux d’imposition est assez élevé. Et comme Germaine n’a rien laissé à la banque en plus de ce bien immobilier…

Chloé – Et ces impôts, ça va chercher dans les combien ?

Antoine – Le notaire ne m’a pas encore donné les chiffres exacts. Au pire, je prendrai un crédit. C’est tout de même mieux que de payer un loyer.

Chloé  – Je ne sais pas pourquoi, mais je commence à me demander si tout ça va vraiment être aussi simple qu’on le pensait…

Antoine – Je te montre la terrasse ?

Chloé (avec un sous-entendu) – Et si tu me montrais la chambre, d’abord ?

Antoine – OK…

Il lui prend la main et s’apprête à l’entraîner vers le couloir. Ils sont coupés dans leur élan par la sonnette qui retentit à nouveau.

Chloé – Encore ?

Antoine – On n’a qu’à laisser sonner. On n’est pas obligés d’ouvrir.

Chloé – Tu viens d’inviter tout l’immeuble pour la Fête des Voisins ! On ne peut pas les laisser dehors…

Antoine – Tu crois que c’est déjà eux ?

Chloé – Qui ça pourrait être à ton avis ? Le Père Noël ?

Antoine – J’y vais…

Chloé – Laisse… Cette fois, je m’en occupe.

Antoine (un peu inquiet) – Tu essaies de rester aimable, quand même.

Chloé – Je vais jouer la maîtresse de maison idéale, je te promets.

Antoine – OK.

Chloé sort. Antoine reste là et soupire. Il examine à son tour le tableau, intrigué. Le téléphone fixe, un modèle d’un autre âge, sonne. Antoine hésite, puis répond.

Antoine – Allô… Oui, c’est bien ici… Non, je suis son petit-neveu… La Fête des Voisins ? Euh, oui, c’est bien ici… Enfin… Bon, d’accord, alors à tout de suite…

Il raccroche. Chloé revient suivie de Madame Cassenoix, qui porte une bassine de sangria, et de Madame Brisemiche, qui porte une tarte.

Cassenoix – Et voilà la sangria !

Brisemiche – Bonjour, bonjour ! Moi, j’ai fait une flamiche aux oignons !

Cassenoix – Ah, l’année dernière, c’était une flamiche aux poireaux, non ?

Brisemiche – Je me suis dit que ça changerait. Et pour tout vous dire, je n’avais pas de poireaux sous la main. J’espère que vous aimez les oignons !

Cassenoix – Mais enfin, Docteur ! Tout le monde aime les oignons ! Et puis c’est très bon pour la santé, les oignons. Moi, j’en mets partout.

Brisemiche – J’espère que vous n’en n’avez pas mis dans la sangria.

Elle rient toutes les deux stupidement, sous les regards atterrés d’Antoine et de Chloé.

Cassenoix – Mais voyons, je manque à tous mes devoirs ! Je vous présente le Docteur Brisemiche, qui a son cabinet juste en dessous. Avouez que c’est pratique d’avoir un médecin dans l’immeuble. On a un dentiste, aussi, mais il est actuellement décédé. Je veux dire, il a pris sa retraite le mois dernier, et son remplaçant n’est pas encore arrivé.

Brisemiche – Madame, Monsieur… Enchantée.

Antoine – Docteur…

Brisemiche – Je vous en prie, appelez-moi Anne-Marie. Mais… je ne suis pas sûre d’avoir retenu vos prénoms…

Chloé – Chloé.

Antoine – Et moi c’est Antoine.

Brisemiche – Si vous voulez bien débarrasser cette table, ma petite Chloé. On va installer le buffet ici.

Chloé, machinalement, ôte le vase chinois qui trône sur la table.

Cassenoix – Antoine, si cela ne vous dérange pas, il doit y avoir une nappe dans le petit meuble, là. Ce sera quand même plus convenable…

Antoine ouvre le meuble, mais ne semble pas trouver.

Brisemiche – Tout en bas.

Antoine sort la nappe et l’étend sur la table. Cassenoix y pose la bassine de sangria, et Brisemiche la tarte.

Cassenoix – Voilà. Les invités viendront se servir au salon. D’ailleurs, je ne sais pas ce qu’ils font… Mais si vous voulez profiter de la terrasse en attendant.

Antoine – Très bien…

Brisemiche – Après tout, vous êtes ici chez vous.

Chloé – Merci de nous le rappeler…

On sonne à nouveau.

Brisemiche – Ah, vous voyez, vous étiez médisante. Pour une fois, ils sont à l’heure.

Cassenoix – J’y vais… Mais après, je vais laisser la porte ouverte, parce que sinon, on ne va pas en finir…

Elle sort. Échange de sourires un peu embarrassés.

Brisemiche – C’est moi qui ai assisté votre tante pendant ses derniers instants…

Antoine – Ah oui. Malheureusement, je n’ai pas eu le plaisir de… Enfin, je veux dire…

Chloé – Et… elle est morte de quoi, exactement.

Brisemiche – Mon Dieu, vous savez… Passé 90 ans… Faut-il vraiment mourir de quelque chose en particulier ? En tout cas, je peux vous assurer qu’elle n’a pas souffert.

Monsieur et Madame Crampon arrivent, l’un avec un taboulé et l’autre une salade d’endives. Suivis de Cassenoix.

Mr Crampon – Bonjour tout le monde… Vous m’excuserez de ne pas vous serrer la main, mais je suis un peu encombré… Où est-ce que je peux poser ça ?

Mme Crampon – Tu vois bien que le buffet est là ! Comme d’habitude…

Monsieur Crampon pose son plat et Madame Crampon en fait de même. Ils se retournent vers Antoine et Chloé.

Mr Crampon – Jacques Crampon, courtier en assurances. Et voici Josiane, mon épouse.

Mme Crampon – Vous c’est Antoine et Chloé, je crois.

Chloé – Oui… Les nouvelles vont vite, je vois.

Mr Crampon – Avant de venir travailler dans cet immeuble comme concierge, Madame Sanchez travaillait en Allemagne de l’Est pour la Stasi.

Mme Crampon – Je pensais qu’elle était portugaise…

Mr Crampon – Je plaisante, Josiane ! Je plaisante !

Mme Crampon – J’ai fait un taboulé et une salade d’endives.

Mr Crampon – J’espère que vous aimez les endives.

Mme Crampon – Pourquoi tu dis ça ?

Mr Crampon – Moi, personnellement, je déteste les endives.

Mme Crampon – Oui, c’est pour ça que j’ai fait aussi un taboulé. Mais les endives c’est très bon. Et puis c’est la saison. Vous aimez les endives, Antoine ?

Antoine – Oui, enfin…

Mr Crampon – Je ne savais même pas qu’il y avait une saison pour les endives… Je pensais que les endives, c’était toute l’année…

Mme Crampon– Ce sont des endives au Roquefort. C’est excellent, vous verrez. Et c’est très bon pour la santé. N’est-ce pas Docteur ?

Brisemiche – En tout cas, dans toute ma carrière, je n’ai encore rencontré personne qui soit mort après avoir mangé des endives au Roquefort.

Mr Crampon – C’est qu’aucun de vos patients n’avaient encore goûté celles de ma femme.

Madame Crampon le fusille du regard.

Mr Crampon– Mais enfin, Josiane, je plaisante ! On est là pour passer un bon moment ensemble, pas vrai ? Entre voisins !

Chloé – Oui… Et ça m’a l’air bien parti…

Le téléphone fixe sonne. Avant même qu’Antoine n’ait le temps de réagir, Cassenoix décroche, machinalement.

Cassenoix – Allô oui ? Ah c’est vous, mon Père… Oui, oui, je comprends… Non, non, pas de problème, on vous attend… D’accord, à tout de suite.

Elle raccroche sous le regard médusé de Chloé et d’Antoine.

Cassenoix – C’était le Père Dessaint. Il va nous rejoindre, mais il a été retenu par une urgence. Une extrême-onction.

Chloé – Le Père Dessaint ?

Cassenoix – Oui, je sais, c’est un nom prédestiné. Le Père Dessaint est en effet un saint homme.

Mr Crampon – Il habite au rez-de-chaussée. Depuis que son presbytère a été revendu par l’évêché à un couple d’homosexuels pour en faire des chambres d’hôtes gay friendly…

Brisemiche – Il paraît que l’Église est en crise, elle aussi… Elle est obligée de vendre les bijoux de famille.

Cassenoix – Vous ne croyez pas si bien dire… Hélas, aujourd’hui, nous avons parfois l’impression de vivre au royaume de Sodome.

Blanc.

Brisemiche – Je vous sers quelque chose, histoire de nous mettre en train ?

Mr Crampon – Allez ! Que la fête commence…

Cassenoix – Sangria ?

Mme Crampon – Sangria.

Cassenoix – Très bien… Alors Sangria pour tout le monde !

Mr Crampon – Et au moins, pour la sangria, il n’y a pas besoin de tire-bouchon !

Tous éclatent de rire, sauf Antoine et Chloé.

Brisemiche – C’est une blague entre nous, parce que Germaine ne savait jamais ce qu’elle avait fait de son tire-bouchon.

Ils rient tous à nouveau. Antoine et Chloé se forcent à sourire, mais échangent un regard un peu inquiet.

Cassenoix – Dans les derniers temps, votre pauvre tante perdait un peu la tête, vous savez…

Brisemiche – À près de cent ans, c’est tout à fait normal de ne plus avoir une aussi bonne mémoire… Sinon, pour son âge, elle était encore très en forme, croyez-moi…

Chloé – En somme, elle est morte en bonne santé, n’est-ce pas Docteur ?

Moment d’embarras, dissipé par l’arrivée du Père Dessaint, accompagné de la Baronne Durand de la Cour.

Dessaint – Bonjour tout le monde ! Et bienvenue aux nouveaux arrivants !

Mr Crampon – Ah, voilà Monsieur Tuc.

Antoine – Monsieur Tuc, bonjour.

Tous les voisins se marrent à nouveau.

Brisemiche – Ils sont impayables…

Cassenoix – Non, c’est une autre blague entre nous, parce que tous les ans, systématiquement, il arrive à la Fête des Voisins avec un paquet de Tuc.

Dessaint – Et les voici ! Pourquoi déroger à la tradition ?

Il sort un paquet de Tuc qu’il pose sur le buffet, avant de serrer la main d’Antoine et de Chloé.

Dessaint – Je suis le Père Dessaint. Et voici la Baronne Durand de la Cour.

Mme Crampon – Qui conformément à la tradition aussi, n’a rien amené, j’imagine…

Baronne – Il y a toujours trop, de toutes façons. Et chacun doit repartir avec les restes. Autant manger directement les restes !

Nouvel éclat de rire.

Cassenoix – Je sens qu’on va bien s’amuser !

Dessaint – Sans oublier que cette année, la Fête des Voisins a pour nous tous une résonance toute particulière…

Cassenoix – C’est vrai, excusez-moi. J’avais oublié un instant que cette pauvre Germaine nous avait quittés.

Dessaint – Oui, c’est émouvant d’être tous rassemblés chez elle ce soir. J’ai l’impression à tout moment qu’elle va entrer par cette porte pour nous gratifier de ce succulent gâteau aux noix, dont elle tenait tant à garder la recette secrète…

Mme Crampon – Votre tante était très cachotière…

Antoine – Ce n’est pas moi qui pourrais dire le contraire. Toute sa vie, elle a réussi à me cacher sa propre existence.

Dessaint – J’ai eu le privilège d’administrer les derniers sacrements à votre tante avant que Dieu ne la rappelle à lui. Soyez au moins assuré qu’elle ne nous a pas quittés sans le secours de la religion.

Antoine – Ah oui, c’est… C’est tout à fait rassurant en effet.

Chloé – J’en conclus que Germaine était très croyante…

Dessaint – Croyante ? Je dirais même militante.

Cassenoix – Quand ils ont fait passer la loi sur le mariage pour tous, croyez-moi, ce n’était pas la dernière à protester dans la rue. Elle avait une sainte horreur des homosexuels !

Chloé – Vraiment ?

Consternation d’Antoine et Chloé.

Brisemiche – Eh oui… C’était le bon temps…

Mme Crampon – L’occasion de se retrouver tous ensemble autour de valeurs communes.

Cassenoix – Et surtout le prétexte d’un joyeux pique-nique sur les pelouses du Trocadéro, arrosé de cet excellent vin de messe. N’est-ce pas mon Père ?

Dessaint – Je pense que Germaine aurait souhaité que cette année encore nous célébrions dans la joie ce moment de convivialité et de partage. (Il lève son verre.) À la mémoire de cette femme exceptionnelle !

Ils lèvent leurs verres et boivent. L’arrivée d’Angela, look gothique, jette un froid.

Cassenoix – Ah, chers amis, voici Angela.

Angela – Salut vieux débris. Il y a quelque chose à boire ? Je suis en manque…

Cassenoix – Angela est artiste peintre, et elle a son atelier au rez-de-chaussée.

Brisemiche – Madame Crampon, voulez-vous avoir l’amabilité de servir un verre de sang à Mademoiselle Angela ?

Mme Crampon – Vous voulez dire un verre de sangria, sans doute.

Brisemiche – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Madame Crampon sert un verre qu’elle tend à Angela, qui le vide d’un trait sous le regard réprobateur des autres voisins.

Angela – Ah… J’avais soif…

Chloé – Et vous peignez quel genre de tableaux ? Abstrait ? Figuratif ?

Angela – En ce moment, je suis dans ma période rouge.

Antoine – Ah très bien… Comme Picasso, alors. Enfin je veux dire, sa période bleue.

Angela – Ah non, je voulais juste dire qu’en ce moment, je carbure au gros rouge. Sinon, je peins très peu.

Rires forcés.

Cassenoix – Vous savez comment sont les artistes…

Dessaint – Et si nous passions sur la terrasse ?

Mr Crampon – Volontiers…

Ils sortent, laissant Antoine et Chloé seuls avec Angela.

Angela – Ne vous inquiétez pas, contrairement aux apparences, je ne suis pas un vampire. Les suceurs de sang, ce serait plutôt eux…

Chloé – Vraiment ?

Angela – Vous savez comment est morte votre grand-mère ?

Antoine – C’était ma grand-tante… Elle était très âgée. À vrai dire, je ne me suis pas posé la question.

Angela – Germaine était en pleine forme, croyez-moi. Elle aurait fait une centenaire.

Chloé – Je crois déceler derrière ce conditionnel une once de soupçon…

Antoine – Quelqu’un avait-il des raisons d’en vouloir à ma tante ?

Angela esquive la réponse par un sourire mystérieux.

Angela – Vous aimez ce tableau ?

Antoine – Mon Dieu… C’est très pompier, non ?

Angela – C’est moi qui l’ai peint.

Chloé – Non mais il est très bien ce tableau, je lui trouve même quelque chose de…

Angela – Ne vous fatiguez pas. C’était juste une commande de Germaine.

Antoine – Vraiment ?

Chloé – C’est son fiancé de l’époque ?

Angela – En tout cas, pour le réaliser, elle m’a fourni une photo du Maréchal Pétain. À l’époque où il n’était encore que Colonel…

La baronne revient.

Baronne – Ne vous occupez pas de moi.

La baronne remplit son sac de différentes victuailles présentes sur le buffet. Avant de se servir un verre qu’elle porte à ses lèvres, avec un air de dégoût.

Baronne – De la sangria… C’est d’une vulgarité…

La baronne repart.

Chloé – Elle est vraiment baronne ?

Angela – En fait, on ne sait pas trop si elle porte un nom à particule, ou si on l’appelle Durand de La Cour seulement parce qu’elle s’appelle Durand et qu’elle habite au fond de la cour…

Blanc.

Chloé – Vous savez quelque chose à propos de la mort de Germaine qu’on devrait savoir ?

Antoine – Je pensais qu’elle était morte d’une crise cardiaque ou quelque chose comme ça.

Angela – Je n’ai aucune certitude, mais apparemment, tout le monde n’est pas d’accord sur les circonstances et les causes de sa mort…

Chloé – Et quels sont les différents scénarios ?

Angela – D’après la concierge, on l’aurait retrouvée dans la cour.

Antoine – Je pensais qu’elle était morte chez elle, dans son lit.

Angela – Sept étages…

Chloé – L’ascenseur était peut-être en panne… Si elle a pris l’escalier, à son âge… Vous croyez que le cœur aurait pu lâcher ?

Angela – Vu l’état du corps quand on l’a retrouvée, elle ne semble avoir pris ni l’escalier, ni l’ascenseur pour descendre depuis son appartement jusque dans la cour.

Antoine – Ah oui…

Angela – D’après Madame Sanchez, ce n’était pas beau à voir. Vous ne l’auriez pas reconnue.

Antoine – D’autant que je ne l’ai jamais vue.

Chloé (songeuse) – Une chute ? Depuis la terrasse…

Antoine – La rambarde est quand même assez haute. À moins de l’enjamber volontairement.

Angela – Ou que quelqu’un vous aide à passer par-dessus…

Chloé – Un meurtre ? C’est une accusation très grave…

Antoine – Mais je ne comprends pas… Le Docteur Brisemiche m’a dit que c’était elle qui avait accompagné ma tante dans ses derniers instants…

Angela – En tout cas, c’est elle qui a signé le certificat de décès. Ce qui explique sans doute qu’il n’y ait pas eu d’enquête. À plus de 90 ans, de toute façon, ça n’intéresse plus la police…

Chloé – Mais c’est monstrueux…

Angela – Je vais prendre un peu l’air sur la terrasse moi aussi… Mais si on me retrouve dans la cour, vous saurez que ce n’est pas un suicide…

Elle sort. Antoine et Chloé échangent un regard atterré.

Antoine – Je commence à me demander si cet héritage est une si bonne affaire que ça…

Chloé – Peut-être que c’est elle qui affabule.

Antoine – Qui ?

Chloé – Cette Angela ! Elle a quand même l’air pas très nette…

Antoine – Disons qu’elle tranche sur les autres.

Chloé – Mais comme les autres ne sont pas très nets non plus… Tu crois vraiment qu’ils auraient pu assassiner la tante Germaine ?

Antoine – Pourquoi ils auraient fait ça ? Ils avaient l’air de bien l’aimer.

Chloé – En tout cas, c’est ce qu’ils disent… Quant à ce curé, c’est curieux, sa tête me dit quelque chose…

Sam, prostituée éventuellement travesti, arrive derrière eux sans qu’ils s’en aperçoivent.

Sam – Bonjour.

Ils sursautent.

Chloé – Vous m’avez fait peur…

Sam – Désolée… C’était ouvert, alors je suis rentrée. La Fête des Voisins, c’est bien ici, n’est-ce pas ?

Antoine – Oui, enfin…

Sam – Vous êtes sans doute Antoine et Chloé.

Chloé – Et vous êtes ?

Sam – Sam. Je viens d’emménager dans l’appartement du premier étage. Oui, je sais, je crains de faire un peu tache dans l’immeuble. Ici, c’est surtout des professions libérales, apparemment.

Antoine – J’en déduis que vous n’êtes ni avocate ni médecin…

Sam – Et pourtant, je suis au forfait, moi aussi. Pour ce qui est de la fiscalité, je veux dire…

Monsieur Crampon revient avec Cassenoix et Dessaint.

Cassenoix – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Sam – Je suis la nouvelle locataire du dessous.

Cassenoix – L’appartement du dessous ?

Sam fait la bise à Crampon.

Sam – Ça va, chéri ?

Mr Crampon (troublé) – Heureusement que ma femme n’est pas là…

Cassenoix – L’appartement du dessous est inoccupé depuis des années…

Sam – Eh bien maintenant, il ne l’est plus. J’ai appris par la concierge que vous célébriez la Fête des Voisins. Alors comme je suis nouvelle, moi aussi, je me suis dit que ce serait l’occasion de…

Mr Crampon – Mais vous avez fort bien fait !

Madame Crampon arrive à son tour.

Mme Crampon – C’est quoi, ça ?

Mr Crampon – Chère Madame, je vous présente ma femme, Jeanine.

Mme Crampon – Je m’appelle Josiane.

Mr Crampon – C’est vrai, excusez-moi. Jeanine c’est ma secrétaire. Je confonds tout le temps…

Sam – Bonjour Josiane, enchantée. Vous permettez que je vous appelle Josiane ?

Mme Crampon – Madame… Vous permettez que je vous appelle Madame ?

Sam – Mais je vous en prie, appelez-moi Sam.

Mme Crampon – Et Sam, c’est le diminutif de…

Sam – Non, non… Sam tout court.

Mme Crampon – Sam tout court… Je vois… Vous préférez garder votre part de mystère…

Mr Crampon – En tout cas, on compte sur vous pour mettre un peu d’ambiance. Parce que pour l’instant, c’est mortel… (Avisant Antoine et Chloé) Excusez-moi, je ne disais pas ça pour Germaine… C’est vrai que sa disparition nous a tous bouleversés…

Mme Crampon – Oui, ça fait quelque chose de se retrouver ici, au milieu de ses meubles et de ses bibelots. D’ailleurs, je ne sais pas si c’est le moment, mais Germaine m’avait toujours dit qu’à sa mort, elle me laisserait cette petite commode…

Chloé – Vraiment ?

Mr Crampon – En tant qu’assureur, j’ai l’habitude d’expertiser les meubles anciens et autres antiquités, et je peux vous dire que cette commode n’a qu’une valeur sentimentale…

Antoine – Nous avions de toute façon l’intention de changer un peu la déco avant d’emménager, alors pourquoi pas ?

Chloé – Et si c’était les dernières volontés de Germaine…

La Baronne revient.

Baronne – Oui… Et puis elle n’est plus là pour dire le contraire, pas vrai ? D’ailleurs, il semble que la Tante Germaine voyait venir sa fin, parce qu’à moi, elle m’avait promis ce vase chinois…

Mme Crampon – À vous ? Elle vous connaissait à peine…

Baronne – On n’a pas toujours besoin de connaître les gens depuis longtemps pour se faire une idée sur leur compte…

Madame Sanchez, la concierge, arrive.

Sanchez – Le vase chinois ? C’est à moi qu’elle voulait le donner !

Mr Crampon – Voici Madame Sanchez, notre concierge.

Sanchez – Non mais pour qui elle se prend, celle-là ?

Baronne – Vous mettez en doute ma parole ?

Sanchez – Pas la peine de prendre vos grands airs avec moi. Les Sanchez sont concierges dans cet immeuble depuis trois générations.

Baronne – Concierge depuis trois générations… Tu parles de quartiers de noblesse… Si vous retourniez dans votre loge, plutôt ?

Sanchez – Parce que Madame la Baronne habite un château, peut-être ? Vous n’habitez que le rez-de-chaussée… (Ironique) Madame Durand… de la cour.

Baronne – En tous cas, ce vase est à moi. C’est la vieille qui m’en a fait cadeau. Elle appréciait beaucoup ma conversation, figurez-vous.

La baronne s’empare du vase.

Sanchez – Il est à moi, je vous dis ! Germaine me l’avait promis. J’ai fait le ménage chez elle pendant trente ans, et je n’ai jamais rien cassé.

La concierge tente d’arracher le vase à la baronne.

Dessaint – Mesdames, je vous en prie… Un peu de retenue…

Baronne – Lâche ça, salope !

Dessaint – Enfin, Madame la Baronne, à vous de donner l’exemple. Saint Martin n’a-t-il pas donné la moitié de son manteau à un pauvre ?

Baronne – Il est con, celui-là ! C’est un vase ! Comment voulez-vous que je lui donne la moitié d’un vase ?

Le vase finit par tomber par terre, sous le regard atterré de Chloé et d’Antoine. La tension retombe aussitôt.

Dessaint – Et voilà…

Sanchez – Je suis vraiment désolée…

Baronne – Non, c’est de ma faute, je ne sais pas ce qui m’a pris.

Mr Crampon (à Chloé et Antoine) – Excusez-nous… Tout le monde est un peu nerveux…

Mme Crampon – L’émotion, sans doute. Nous avons tous un peu de mal à faire le deuil de l’héritage de Germaine.

Cassenoix – Vous voulez dire le deuil de Germaine, sans doute…

Mr Crampon – Comme je vous l’ai dit, tout ce bric-à-brac n’a aucune valeur marchande. Ce sont juste des souvenirs…

Cassenoix – Et les souvenirs, ça n’a pas de prix, n’est-ce pas ?

Dessaint – Souvenons-nous du vase de Soissons.

Sam – Allons prendre un peu l’air sur la terrasse, ça nous fera du bien…

Ils sortent en laissant seuls Antoine et Chloé.

Chloé – Ce sont des fous dangereux, je te dis…

Antoine – C’est vrai qu’à un moment donné, j’ai vraiment cru qu’elles allaient s’entretuer.

Chloé – Tout ça pour un vase…

Antoine – On fera l’inventaire de ce musée des horreurs, et on verra… Mais après tout, s’ils pouvaient tous emporter quelque chose…

Chloé – Ça nous éviterait de mettre le tout à la décharge.

Antoine – C’est vrai, c’est une idée. On pourrait proposer à chacun de repartir avec un objet de son choix. En souvenir de notre chère disparue…

Chloé – Dans ce cas, il vaudrait mieux tirer les lots au sort, pour éviter une émeute…

Antoine – Tu crois que la vieille a fait exprès de promettre ce vase à deux personnes différentes ?

Chloé – Pourquoi elle aurait fait ça ?

Madame Zarbi arrive.

Zarbi – Beaucoup de gens aiment partir en se disant qu’ils laissent un gros merdier derrière eux… Que ce soit un pot de chambre à se partager en deux ou la Palestine. Au Moyen-Orient, ça fait 5 000 ans que ça dure. J’imagine que pour nos chers aînés, c’est une façon d’accéder à l’immortalité. En continuant à être présents parmi nous après leur disparition, à travers la somme d’emmerdements qu’ils nous laissent en partant… Au moins, comme ça, ils sont sûrs qu’on ne les oubliera pas tout de suite… Madame Zarbi, psychothérapeute. Je suis votre voisine du cinquième…

Chloé – Psychanalyste ? Mais je vous en prie, entrez. Plus on est de fous, plus on rit…

Antoine – J’en conclus que vous connaissiez bien la Tante Germaine. C’était une de vos patientes ?

Zarbi – Si c’était le cas, je ne pourrais pas vous le dire. Secret professionnel. Mais non. Germaine appartenait à une génération qui préférait confier ses secrets dans un confessionnal plutôt que sur un divan.

Antoine – Il est vrai que cela coûte beaucoup moins cher.

Zarbi – Et c’est beaucoup moins douloureux. Chez moi, on ne s’en sort pas avec deux Notre Père…

Chloé – Eh oui… Quand on va voir un psy, le but c’est plutôt d’arriver à tuer le sien…

Zarbi – Avez-vous réussi à tuer le vôtre ?

Embarras de Chloé.

Antoine – Donc, quoi qu’il en soit, vous connaissiez Germaine ?

Zarbi – Je l’observais, de loin… Simple déformation professionnelle…

Chloé – Puisque ce n’était pas une de vos patientes, vous pouvez nous en parler un peu.

Zarbi – Oh… Ce ne sont que des rumeurs… que votre tante semblait prendre plaisir colporter elle-même.

Antoine – Quel genre de rumeurs ?

Zarbi – D’après cette légende urbaine, votre tante avait chez elle un trésor caché.

Chloé – Un trésor ?

Zarbi – Si l’on en croit la concierge, le défunt mari de Germaine avait amassé une fortune en faisant du marché noir pendant la guerre. Avec la bénédiction des Allemands.

Antoine – D’où le besoin de cacher cet argent sale après la Libération…

Zarbi – Elle aurait acquis cet appartement pendant cette période trouble, sans que l’on sache très bien ce que sont devenus les anciens propriétaires, arrêtés du jour au lendemain par la Gestapo sur dénonciation…

Chloé – Vraiment…?

Antoine – Donc on ne sait pas exactement ce qu’était ce trésor, ni évidemment où il serait dissimulé.

Zarbi – À moins que tout cela ne soit qu’un mythe, bien sûr…

Chloé – Mais vous dites que cette légende était entretenue par Germaine elle-même. Pourquoi aurait-elle éprouvé le besoin de se faire passer pour une collabo ?

Zarbi – Qui sait ? Elle trouvait peut-être intérêt à faire courir le bruit qu’elle possédait une fortune cachée, dont elle pourrait éventuellement faire profiter après sa mort tous ceux qui se seraient montrés aimables avec elle de son vivant…

Chloé – Je vois…

Zarbi – Je vais rejoindre les autres sur la terrasse… J’imagine que c’est là où ça se passe, comme tous les ans…

Zarbi sort.

Chloé – Décidément, ta tante Germaine me semble de plus en plus sympathique…

Antoine – Et son héritage de plus en plus sulfureux.

Chloé – Pas étonnant que le reste de la famille ait rompu avec elle.

Antoine – Et s’ils étaient tous venus pour mettre la main sur le trésor de la vieille ?

Chloé – C’est pour ça qu’ils veulent tous partir avec quelque chose.

Antoine – Va savoir, il y avait peut-être quelque chose de caché dans ce vase…

Chloé – On s’en serait rendu compte, non ?

Antoine – La commode a peut-être un double-fond…

Chloé – À moins qu’un chef d’œuvre ne se cache sous la croûte de cet infâme tableau.

Antoine – Ou alors l’un d’entre eux a déjà trouvé le trésor…

Chloé – Et ils ont décidé de se débarrasser de la vieille après ça pour se partager le butin.

Antoine – Mais alors pourquoi seraient-ils là aujourd’hui ?

Chloé – Ils n’ont pas encore réussi à mettre la main sur l’appartement…

Antoine – On les gêne dans leurs plans, c’est sûr.

Un temps.

Chloé – Ils vont peut-être nous dénoncer à la police, nous aussi.

Antoine – Mais on n’a rien à se reprocher.

Chloé – Et les Juifs que ta tante a dénoncés, tu crois qu’ils avaient quelque chose à se reprocher ?

Antoine – Tu crois qu’ils étaient juifs ?

Chloé – C’est probable.

Antoine – Quoi qu’il en soit, on n’est plus gouvernés par des nazis ! Et puis on n’est pas juifs.

Chloé – Parle pour toi.

Antoine – Tu es juive ?

Chloé – Pourquoi, ça te dérange ?

Antoine – Pas du tout, je ne savais pas, c’est tout.

Chloé – Disons que j’ai… des origines juives.

Antoine – Comment ça, des origines ? On a tous des origines juives, non ? Je veux dire, avant d’être catholiques, on était tous juifs. Comme Jésus-Christ.

Chloé – Alors pour toi, tous les Gaulois étaient juifs.

Antoine – Mais non… Je veux dire… Alors comme ça, tu as des origines juives ? Je ne savais pas…

Chloé – Oui, enfin… Il y a une semaine, tu ne savais pas non plus que tu avais des origines antisémites…

Antoine – Non mais tu délires ! Je ne suis pas responsable de ce que ma tante a fait pendant la dernière guerre. Je n’étais même pas né !

Chloé – Bon, en tout cas, de savoir que ta tante Germaine a dénoncé des Juifs pendant la guerre pour s’approprier leur appartement. Et que nous, on pourrait vivre dans cet appartement après en avoir hérité… Ça, ça me dérange, tu vois.

Blanc.

Antoine – Je crois surtout qu’on nage en plein délire, là…

Chloé – Tu as raison. Ce n’est que la Fête des Voisins, après tout.

Antoine – Ou alors ils ont mis quelque chose dans la sangria…

Chloé – Allons faire un tour sur la terrasse pour voir ce qu’ils complotent.

Antoine – Tu crois ?

Chloé – On est chez nous, non ?

Antoine – Si tu le dis…

Ils sortent. Sam arrive et se met à fouiller la pièce. Sanchez revient et la surprend.

Sanchez – Eh bien ne vous gênez pas…

Sam – Ah, Madame Sanchez… Vous vous méprenez, je vous assure. Je ne suis pas celle que vous croyez…

Sanchez – Ça, je m’en doutais un peu, vous voyez…

Sam – À vous je peux bien le dire… Vous êtes presque du métier…

Sanchez – Quel métier ? Ne vous gênez pas, traitez-moi de pute, aussi  !

Sam lui met sous le nez une carte de police.

Sam – Inspecteur Ramirez.

Sanchez – Inspecteur ?

Sam met un doigt sur ses lèvres pour lui signifier que cette information doit rester secrète.

Sam – Je suis ici… undercover.

Sanchez – Under quoi ?

Sam – Déguisée ! Infiltrée ! Sous une fausse identité, si vous préférez.

Sanchez – Ah oui…

Sam – Nous avons de bonnes raisons de soupçonner que la vieille… Comment s’appelait-elle déjà ?

Sanchez – Germaine.

Sam – C’est ça… Nous pensons que Germaine n’est pas morte de mort naturelle…

Sanchez – Ah oui ?

Sam – Il pourrait s’agir d’un meurtre, mais nous n’avons pas de preuve… Je suis là pour enquêter.

Sanchez – Ah bon…

Sam – Vous n’êtes pas très bavarde, pour une concierge, dites-moi…

Sanchez – Non…

Sam – Et à part ça vous savez quelque chose ?

Sanchez – Ben non…

Sam – Je sens que vous allez m’être d’une aide précieuse. Vous connaissez les circonstances exactes de la mort de Germaine ?

Sanchez – C’était un accident, non ?

Sam – Allez savoir… Quand c’est un des meurtriers potentiels qui délivre le certificat de décès, et un autre l’extrême onction dans la foulée…

Sanchez – Ah oui…

Sam – Et à propos de ce trésor que la vieille aurait caché chez elle, j’imagine que vous ne savez rien non plus…

Sanchez – Non.

Sam – Bon… Allons nous mélanger un peu sur la terrasse, sinon on va finir par attirer l’attention. Et si de votre côté vous apprenez quelque chose d’intéressant, vous venez aussitôt me faire un rapport, d’accord ?

Sanchez – Très bien…

Sam – Considérez désormais que vous êtes mon adjointe, Sanchez…

Elles sortent. Arrive le Colonel Gonfland accompagné de Maître Fouinart, avocat.

Fouinart – Personne…

Gonfland – Mais le buffet est bien là, comme tous les ans…

Fouinart – Ils doivent être sur la terrasse…

Gonfland – Profitons-en pour nous servir un verre.

Fouinart – Sangria ?

Gonfland – Volontiers…

Fouinart – De toute façon, je ne vois rien d’autre…

Ils trinquent et boivent.

Gonfland – La sangria de la mère Cassenoix est toujours aussi imbuvable.

Fouinart – Oui, comme tous les ans…

Ils re-boivent une gorgée.

Gonfland – Je me demande quand même si ce putain de moine ne saurait pas quelque chose.

Fouinart – Le Père Dessaint ? Vous croyez ?

Gonfland – C’était le confesseur de la vieille, non ?

Fouinart – Vous pensez que ce Tartuffe pourrait essayer de nous doubler ?

Gonfland – Comment faire confiance à un curé ?

Fouinart – Surtout un curé défroqué…

Gonfland – Pourquoi est-ce que son évêque l’a contraint à quitter l’Église, au fait ? Il prétend que c’est lui qui a démissionné, mais je n’y crois pas trop.

Fouinart – Vous savez, pour que l’Église se résigne à se séparer d’un curé, avec la crise actuelle des vocations… Il faut vraiment qu’il ait fait quelque chose de très grave.

Gonfland – C’est clair. On ne les vire pas pour une simple affaire de pédophilie.

Fouinart – Peut-être parce qu’il voulait continuer à dire la messe en latin, ou quelque chose de ce genre.

Gonfland – Mais vous êtes son avocat, vous devez bien savoir quelque chose.

Fouinart – Ah… Secret professionnel…

Gonfland – Eh, oh, pas à moi…

Fouinart – Je n’étais que son avocat, pas son confesseur.

Gonfland – En tout cas, je suis sûr qu’il sait où elle a planqué le magot. Je vais le confesser, moi, vous allez voir…

Fouinart – N’y allez pas trop fort quand même. On a déjà la mort de la vieille sur les bras…

Gonfland – Ne vous inquiétez pas, je saurai faire preuve de psychologie. En tout cas, ça ne laissera pas de traces…

Fouinart – Qui d’autre pourrait savoir quelque chose à propos de l’argent de la vieille ?

Gonfland – L’assureur ?

Fouinart – Ça m’étonnerait. Germaine avait de bonnes raisons de ne pas lui faire confiance.

Gonfland – Vous savez pourquoi il a fait de la prison, au fait ?

Fouinart – Il encaissait les primes de ses clients, dont il était supposé assurer les biens, mais l’argent allait directement dans sa poche…

Gonfland – En somme, c’est un type dans mon genre. Lui aussi, il est dans la cavalerie.

Fouinart – Il s’est fait pincer après un incendie. Son client espérait être remboursé, et il s’est rendu compte qu’il n’était pas assuré.

Gonfland – Ah oui, c’est ballot.

Fouinart – Le pire c’est que le type avait mis le feu lui-même à sa maison de campagne, parce qu’il n’arrivait pas à la revendre… Il espérait faire une bonne affaire en touchant l’assurance…

Gonfland – Quel con… Mais vous semblez bien connaître le dossier…

Fouinart – Oui… Le con, c’était moi…

Gonfland – Je vois… En tout cas, on n’a plus beaucoup de temps… Quand ces deux crétins habiteront ici à plein temps, ce sera beaucoup plus difficile pour fouiller l’appartement.

Gonfland se met à ouvrir quelques tiroirs et à fouiner un peu partout. Fouinart l’imite. Monsieur Crampon revient, avec Dessaint.

Mr Crampon – Vous cherchez quelque chose ?

Fouinart – La même chose que vous, probablement…

Gonfland – Vous étiez son assureur, vous avez dû faire un inventaire de ses biens, non ?

Mr Crampon – Il faut croire que si elle avait vraiment un trésor, elle a préféré ne pas l’inclure dans l’inventaire…

Gonfland – Et vous mon Père ? Vous étiez son confesseur  !

Dessaint – Hélas, mon fils, Germaine ne me disait pas tout… Et quand bien même, je vous rappelle que je suis tenu au secret de la confession…

Mr Crampon – Tant que vous n’essayez pas de nous faire un enfant dans le dos…

Fouinart et Crampon se mettent à chercher partout.

Dessaint – Restons confiants, mes enfants. La Bible ne dit-elle pas : Cherche et tu trouveras, demande et il te sera donné, frappe et on t’ouvrira…

Mr Crampon – Et en plus, il se fout de nous !

Gonfland s’approche de Dessaint avec un air menaçant.

Gonfland – Vous êtes sûr de ne pas avoir quelque chose à nous confesser, mon Père ? Confiez-vous à moi, et je vous donnerai l’absolution. Mais si vous préférez le martyr, je délivre aussi les derniers sacrements…

Antoine et Chloé reviennent et les aperçoivent. Gonfland relâche le curé qu’il avait saisi par le col, et les deux autres, pris en faute, cessent aussitôt leurs recherches.

Fouinart – Ah, chers amis… Nous nous apprêtions à vous rejoindre, justement… Je me présente, Maître Fouinart, avocat au barreau.

Gonfland – Inutile de préciser lequel. Tous ses clients finissent derrière les barreaux…

Fouinart – Et voici le Colonel Gonfland.

Gonfland – Chers voisins…

Antoine – Vous… avez perdu quelque chose ?

Fouinart – Euh… Oui… Le Colonel ne sait plus ce qu’il a fait de son téléphone portable.

Chloé – Eh bien vous n’avez qu’à l’appeler.

Fouinart – Pourquoi l’appellerais-je ? Puisqu’il est à côté de moi…

Chloé – Pour savoir où se trouve son téléphone.

Fouinart – Ah oui, bien sûr, mais… Je ne suis pas sûr d’avoir son numéro…

Antoine – Eh bien vous n’avez qu’à lui demander. Puisqu’il est à côté de vous, justement.

Fouinart – Bien sûr, mais… Ah voilà, je crois que je l’ai…

Il appuie sur une touche de son portable. Celui de Gonfland sonne aussitôt dans sa poche.

Gonfland – C’est idiot, je le cherche toujours partout, et il est dans ma poche…

Fouinart – Bon, eh bien… maintenant que les présentations sont faites…

Moment d’embarras.

Gonfland – Vous m’accompagnez sur la terrasse, mon Père ? J’ai une petite question à vous poser. Un cas de conscience, en quelque sorte…

Dessaint (méfiant) – Si je peux vous éclairer, mon fils…

Ils sortent.

Fouinart – Je vais mettre un peu de musique…

Il met de la musique. On entend des cris. Fouinart met la musique plus fort.

Fouinart – J’adore ce passage. C’est Chopin, n’est-ce pas ?

Chloé – C’est Wagner.

Fouinart – Voilà, je l’avais sur le bout de la langue… (Bruits de lutte) Je vais voir ce qu’ils font… Le colonel a un tempérament un peu sanguin. Lorsqu’il parle théologie avec le Père Dessaint, il a tendance à s’enflammer un peu…

Il sort. Chloé baisse la musique.

Chloé – C’est curieux, il a vraiment une tête qui me dit quelque chose, ce curé.

Antoine – Où est-ce que tu aurais bien pu rencontrer un curé ?

Chloé – J’ai quand même fait ma première communion…

Antoine – Tu m’as dit tout à l’heure que tu étais juive !

Chloé – Je n’ai pas dit que j’étais juive ! Disons que… C’est un peu plus compliqué que ça.

Zarbi revient et se sert de la sangria.

Chloé – Vous le connaissez bien, vous, le Père Dessaint ?

Zarbi – Les curés entreprennent très rarement une psychanalyse. C’est fort dommage, d’ailleurs. Ce sont pourtant ceux qui en auraient le plus besoin.

Chloé – J’ai l’impression de le connaître, mais je n’arrive pas à me souvenir dans quelles circonstances j’aurais bien pu le rencontrer…

Zarbi – Il y a parfois des choses dont on préfère ne pas se rappeler. On appelle ça le refoulement.

Antoine – C’est vrai… C’est comme à propos de la Tante Germaine. Je ne savais pas que j’avais une tante, et pourtant, quand j’ai appris son existence, ça ne m’a pas vraiment surpris. Il faut croire que j’en avais quand même entendu parler, quand j’étais enfant.

Zarbi – Les secrets de famille… C’est comme les cadavres qu’on jette à l’eau avec un boulet autour du pied. Avec le temps, et la putréfaction aidant, ça finit toujours par remonter à la surface.

Antoine – La Tante Germaine…

Zarbi – Bannie pour collusion avec la Germanie.

Blanc.

Chloé – Quand j’étais adolescente, tout le monde se moquait de moi parce que j’avais déjà une forte poitrine. Je ne sais pas pourquoi ça me revient comme ça, maintenant.

Zarbi – Le Père Dessaint… Ça devrait vous mettre la puce à l’oreille…

Nouveau blanc. Trouble de Chloé.

Chloé – Ça y est, je me souviens maintenant… La première communion… Le catéchisme… C’était lui !

Antoine – Lui ?

Chloé – Je voulais passer ma première communion, comme toutes mes copines. Pour être comme elles. J’ai fait toutes mes études dans une école catholique…

Antoine – Tu ne m’avais jamais parlé de ça non plus. Tu ne jures que par l’école publique !

Zarbi – Il faut vous faire une raison, mon pauvre ami. Les femmes ne vous disent pas tout. Pas même votre sainte mère. D’ailleurs, elle vous avait caché l’existence de la tante germanophile.

Chloé – Le curé savait que j’avais des origines juives. Il m’a dit qu’il pouvait fermer les yeux… à condition que je ferme aussi les miens.

Elle sort précipitamment. Fouinart revient et remonte le son.

Fouinart – J’adore ce passage…

La baronne revient.

Baronne – On ne s’entend plus, ici.

Zarbi – Au contraire, on s’entend de mieux en mieux, je vous assure.

Fouinart – Ne dit-on pas que la musique adoucit les meurtres ? Je veux dire les mœurs…

Gonfland revient aussi.

Gonfland – Madame la Baronne, mes hommages. M’accorderez-vous cette danse ?

Baronne – Désolée, Colonel, mais en dessous de Général de Brigade, je n’inscris personne sur mon carnet de bal. Alors un colonel. À moins qu’il soit très jeune…

Gonfland – En même temps, Baronne, c’est le grade le moins élevé chez les sang bleu, non ?

Baronne – Et puis à moins d’être militaire, on ne danse pas sur du Wagner…

Fouinart – Puisque personne ne danse, je vais baisser un peu la musique…

Il baisse la musique.

Gonfland – Et si nous allions féliciter Madame Cassenoix pour sa sangria…

Zarbi – Oui, d’ailleurs, il faudra qu’elle nous donne la recette.

Fouinart – Vous savez qu’elle a toujours refusé de nous en livrer le secret.

Gonfland – Cher Maître, vous oubliez que j’ai fait la guerre d’Algérie. Je saurai comment la faire parler.

Fouinart – Il est impayable…

Fouinart et Gonfland sortent. Chloé revient.

Antoine – Ça va ? Tu es toute pâle…

Chloé – Oui, oui… Ça va mieux… Ça ne devrait pas, mais ça va mieux… Enfin, je veux dire… C’est vrai que ça soulage…

Antoine n’a pas l’air de comprendre.

Zarbi – Je crois qu’elle a enfin tué le Père.

Zarbi sort.

Antoine – C’est des malades, je te dis…

Chloé – Et je commence à me demander si leur folie n’est pas contagieuse…

Antoine (ailleurs) – Ah oui…?

Chloé – Je crois que je me suis un peu laissée emporter tout à l’heure, avec le Père Dessaint… Il a encore essayé de me toucher la poitrine, alors je l’ai repoussé un peu violemment…

Antoine – N’empêche qu’il y a bien un trésor dans cette maison. Tu as vu ? Ils étaient tous en train de fouiner partout…

Chloé – On n’a qu’à chercher nous aussi…

Antoine – Mais par où commencer ?

Chloé – En tout cas, il faudra tous les fouiller avant qu’ils ne s’en aillent…

Antoine – Il y a dix minutes, on voulait les laisser partir chacun avec quelque chose, pour débarrasser…

Chloé – Il n’en est plus question. (Un peu hystérique) Il est à nous, ce trésor, et on va le trouver !

Ils se mettent à fouiller. Madame Sanchez, la concierge, revient. Ils s’interrompent en voyant qu’elle les observe.

Antoine – Ah, Madame Sanchez…

Chloé – Vous êtes la concierge, n’est-ce pas ?

Sanchez – Je cherche cette dame, là. Sam… Vous ne l’avez pas vue, par hasard ?

Chloé – Pas vue…

Antoine – Alors comme ça, c’est vous la concierge…

Sanchez – Hun, Hun…

Chloé – Donc, c’est à vous que nous donnerons des étrennes tous les ans au mois de janvier.

Antoine – J’espère que ma tante se montrait généreuse avec vous…

Sanchez – Germaine… On ne peut pas dire, non. Je faisais pourtant le ménage chez elle toutes les semaines. Jamais un pourboire en trente ans.

Antoine – Je crains malheureusement que nous n’ayons pas les moyens de continuer à vous employer pour faire le ménage.

Chloé – Nous ne possédons pas de trésor caché, nous. Comme la tante Germaine…

Sanchez – Non, ça, Germaine n’était pas très généreuse…

Antoine – Pourtant, elle avait l’air très appréciée dans l’immeuble…

Sanchez – C’est sûr… Elle avait fait miroiter à tout le monde qu’elle ne nous oublierait pas sur son testament.

Antoine – Son testament ? Ma tante avait rédigé un testament ?

Sanchez se sert un verre de sangria.

Sanchez – En tout cas, personne n’a rien retrouvé après sa mort… Mais allez savoir… Il finira peut-être par remonter un jour à la surface, lui aussi… Excusez-moi, il faut absolument que je parle au commissaire… Je veux dire à cette pute.

Sanchez sort.

Antoine – Un testament… Tu te rends compte, ça changerait tout !

Chloé – Pourquoi ça ?

Antoine – Je ne suis que l’arrière petit-neveu ! Si j’hérite de cet appartement, c’est parce qu’on n’a pas retrouvé de testament qui désignerait spécifiquement quelqu’un d’autre comme légataire.

Chloé – Mais puisque tu es la seule famille qui lui reste.

Antoine – Je ne suis qu’un héritier par défaut ! Si elle a fait un testament, elle a très bien pu léguer son appartement à quelqu’un d’autre ! À ses voisins, par exemple.

Chloé – Je vois… Donc, si on en retrouvait ce document…

Antoine – On n’aurait plus qu’à retourner à La Garenne-Colombes.

Chloé – Alors tu crois que c’est ça qu’ils cherchent : le testament.

Antoine – En tout cas, si ce papier existe, il serait bon de mettre la main dessus avant eux.

Chloé – On ne peut pas les mettre dehors maintenant…

Antoine – Où est-ce qu’elle aurait bien pu le planquer, ce putain de testament ?

Chloé – Allons voir dans sa chambre…

Ils sortent. Sam revient et se remet à fouiller la pièce. Elle est interrompue par l’arrivée de Sanchez.

Sanchez – Ah, Commissaire, je vous cherchais. Il semblerait que le Père Dessaint ait lui aussi été victime d’un accident domestique… Je viens de voir son corps écrasé en bas dans la cour.

Sam – Décidément, cette rambarde a l’air dangereuse. Il faudrait veiller à la faire réparer, Madame Sanchez. J’en toucherai un mot au syndic.

Sanchez – Je vous dis que quelqu’un est mort, et c’est tout ce que ça vous inspire ?

Sam – Vous avez raison, je vais aller jeter un coup d’œil.

Ils sortent. Madame Cassenoix revient avec Maître Fouinart et le Colonel Gonfland.

Cassenoix – Vous manquez vraiment de doigté, Colonel. On n’avait pas besoin d’un deuxième cadavre sur les bras.

Fouinart – Ça va finir par sembler louche, c’est sûr…

Gonfland – Mais ce n’est pas moi, je vous jure ! Je l’ai juste un peu secoué. Avant de le laisser en compagnie de la maîtresse de maison.

Cassenoix – Bon, quoi qu’il en soit, arrangez-vous pour faire disparaître le corps. Vous n’avez qu’à le mettre à la cave pour l’instant. On verra après…

Gonfland – Je m’en occupe…

Fouinart – Un curé… Personne ne s’inquiétera de sa disparition… Plus personne ne va à la messe…

Gonfland – Surtout les messes en latin.

Cassenoix – Bon, eh bien allez-y, Colonel, qu’est-ce que vous attendez ?

Gonfland – J’y vais…

Gonfland sort.

Fouinart – Et dire que le curé était peut-être le seul à savoir où se trouve le testament de Germaine…

Cassenoix – Vous êtes sûr qu’il existe, au moins ?

Fouinart – C’est moi-même qui lui ai suggéré d’en rédiger un. Elle m’a juré qu’elle l’avait fait.

Cassenoix – Pourtant aucun document n’a été déposé chez son notaire.

Fouinart – Elle a pu faire un testament olographe.

Cassenoix – Olographe ?

Fouinart – Une déclaration manuscrite, sur papier libre. Qu’elle aura caché quelque part chez elle. C’est tout aussi légal. À condition de le retrouver…

Cassenoix – Ça sert à quoi de faire un testament, si c’est pour le planquer et que personne ne le trouve ?

Fouinart – Allez savoir ? Elle avait peut-être peur que ce document tombe entre les mains de personnes mal intentionnées…

Cassenoix – Il doit être bien être quelque part, ce foutu papier…

Fouinart – Évidemment, un testament remettrait en cause l’héritage de ce neveu éloigné.

Cassenoix – À condition que cette vieille folle ait testé en notre faveur, bien sûr.

Fouinart – Tiens, ils sont passés où, d’ailleurs, ces deux crétins ?

Madame Sanchez arrive.

Fouinart – C’est vous qui faisiez le ménage chez Germaine, vous ne sauriez pas où elle rangeait ses papiers importants ?

Sanchez – Qu’est-ce que vous croyez ? Ce n’est pas parce qu’on est femme de ménage qu’on fouille partout…

Zarbi arrive. Suivie de Gonfland.

Cassenoix – Et vous Madame Zarbi ? Vous avez une idée ?

Zarbi – Je suis psychanalyste, pas médium.

Fouinart – Tout de même, vous connaissez les mystères de l’âme humaine…

Zarbi – Vous avez lu La Lettre d’Edgar Poe ?

Cassenoix – Je ne savais même pas qu’il nous avait écrit une lettre. C’est un nouveau locataire ?

Zarbi – Lorsqu’on veut cacher quelque chose, c’est parfois plus simple de le mettre bien en évidence, là où ceux qui cherchent ne pensent pas à regarder…

Elle repart.

Gonfland – Je déteste ses airs mystérieux et son côté donneur de leçon.

Cassenoix – Bien en évidence… Elle a peut-être raison. Qu’est-ce qui est le plus en évidence, ici ?

Ils regardent tous autour d’eux, perplexes, sans s’arrêter sur le tableau qui trône pourtant au centre de la pièce. Ils se mettent tous à fouiner. Madame Crampon arrive.

Mme Crampon – Je crois que j’ai trouvé quelque chose.

Tous les autres la regardent. Elle brandit une perruque.

Cassenoix – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Mme Crampon – Une perruque.

Gonfland – Et alors ?

Cassenoix – Vous allez nous dire que finalement, Germaine était un travesti ?

Sanchez – Ça doit être un souvenir.

Fouinart – Un souvenir ?

Sanchez – La perruque qu’elle a dû mettre à la libération après avoir été tondue…

Sanchez met la perruque. Antoine et Chloé reviennent.

Antoine – Qu’est-ce que vous faites avec ça ?

Cassenoix – Quoi ? On n’a pas le droit de s’amuser ?

Gonfland – C’est vrai, ça. Ça finit par être agaçant. Vous nous surveillez ou quoi ?

Chloé – Nous, on vous surveille ?

Antoine – On est chez nous, non ?

Fouinart – Pour l’instant, oui…

Chloé – Pour l’instant ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Gonfland – Vous le savez très bien. Vous n’avez aucune légitimité à être ici. Vous ne connaissiez même pas Germaine.

Antoine – Peut-être, mais les liens du sang, ça existe. Et la loi, c’est la loi. Que cela vous plaise ou non, c’est moi qui hérite de cet appartement.

Sanchez – On ne vous a même pas vu à l’enterrement de Germaine !

Chloé – Et vous ? Vous ne vous occupiez d’elle que dans l’espoir d’être couchés sur son testament !

Cassenoix – Votre tante détestait les gauchistes. Elle n’aurait jamais légué tous ses biens à des gens comme vous.

Antoine – Vous, vous commencez vraiment à nous casser les noix…

Gonfland – Ne manquez pas de respect à Madame Cassenoix, jeune impertinent. Vous voulez finir comme votre tante ?

Antoine – Alors c’est vrai, c’est vous qui avez assassiné Germaine ?

Fouinart – Allons, Colonel, reprenez votre sang froid… Vous savez bien que la tante Germaine est morte accidentellement…

Brisemiche arrive, suivie de Sam.

Chloé – Je croyais que c’était une crise cardiaque. N’est-ce pas, Docteur ?

Brisemiche – À vrai dire, on ne sait pas très bien…

Antoine – C’est pourtant vous qui avez émis le certificat de décès, non ?

Brisemiche – La médecine légale n’est pas une science exacte, vous savez…

Chloé – Tout de même, vous devez bien savoir si elle est morte d’un arrêt du cœur, d’une chute depuis le septième étage, d’une balle dans le dos…

Antoine – D’une absorption massive de barbituriques ou des suites d’une strangulation…

Mme Crampon – En fait, c’est un peu tout ça à la fois…

Un ange passe.

Sanchez (en aparté à Sam) – Qu’est-ce que vous attendez pour les arrêter ?

Sam – J’attends d’avoir plus de preuves… Croyez-moi, laissez faire la police…

Sam repart, suivie de Sanchez.

Fouinart – Je crois que Madame Crampon a un peu abusé de cette excellente sangria. Et si son mari l’emmenait prendre un peu l’air sur la terrasse.

Mr Crampon – Allez viens, chérie…

Mme Crampon – Tout de même, je tiens encore debout…

Monsieur Crampon sort en emmenant sa femme. Zarbi revient et se sert un verre de sangria.

Fouinart – Je crois que nous avons tous un peu trop fait honneur à ce délicieux élixir que nous a concocté Madame Cassenoix.

Brisemiche – Oui, d’ailleurs, vous devez toujours me donner le secret de votre recette…

Zarbi – Le secret de la sangria, comme d’une bonne réunion de famille, c’est de laisser bien mariner tout ça dans son jus pendant un certain temps.

Elle repart d’un pas mal assuré, passablement bourrée.

Fouinart – Bref, je crois que nous devons tous reprendre un peu nos esprits. Nous sommes seulement là pour célébrer la Fête des Voisins, et la mémoire de notre chère disparue.

Mr Crampon – Oui, très chère…

Brisemiche – Et… Qu’est-ce que vous faites, dans la vie, mon petit Antoine ?

Antoine – Je travaille pour une maison d’édition. Je suis directeur de collection. J’édite des guides de voyage…

Cassenoix – Des guides de voyage, voyez-vous ça… Mais c’est passionnant…

Fouinart – Donc, vous êtes un grand voyageur.

Antoine – On peut écrire des romans policiers sans être un flic ou un voyou, vous savez.

Chloé – Malheureusement, aujourd’hui, on peut même écrire des romans sans être romancier…

Brisemiche – Et vous Mademoiselle ?

Chloé – Je suis professeur d’anglais.

Cassenoix (ailleurs) – Ah, c’est bien ça…

Brisemiche – Et j’imagine que pour être professeur d’anglais, il faut quand même parler anglais.

Chloé – Oui… Encore que, on a tellement de mal à trouver des professeurs, aujourd’hui. Peut-être que bientôt, ce ne sera plus obligatoire.

Cassenoix – C’est comme les médecins. Il n’y en a plus ! On est obligé d’en faire venir de l’étranger. Figurez-vous que le mien est noir…

Fouinart – Non ?

Brisemiche – Et c’est pareil pour les curés. Avec la crise des vocations… Vous allez voir que d’ici peu, il ne sera plus nécessaire de croire en Dieu pour dire la messe.

Fouinart – Ou même d’être catholique. Ne dit-on pas qu’on va transformer nos églises en synagogues ?

Brisemiche – Il me semble que c’était plutôt des mosquées, non ?

Fouinart – Oui, enfin, ça revient au même.

Monsieur Crampon revient.

Mr Crampon – Je vous ressers un peu de sangria ?

Cassenoix – Allez…

L’atmosphère est un peu lourde.

Antoine – Non merci…

Chloé – Moi non plus, je crois que j’ai assez bu.

Antoine – D’ailleurs, il commence à être un peu tard, non ?

Cassenoix – Allons, un petit dernier. Pour la route…

Mr Crampon – On ne va pas se quitter comme ça, on vient à peine de faire connaissance…

Cassenoix donne un verre de sangria à Antoine et Chloé, qui se forcent à boire encore un peu.

Brisemiche – Elle est bonne, n’est-ce pas ?

Chloé – Oui… Je crois que je vais aller vomir…

Antoine – Je t’accompagne.

Ils s’apprêtent à sortir précipitamment.

Cassenoix – Vous savez où se trouvent les toilettes ?

Brisemiche – Au fond du couloir en face.

Antoine et Chloé sortent.

Fouinart – C’est vraiment infect. Mais qu’est-ce que vous mettez là-dedans ?

Mr Crampon – Vous ne cherchez pas à nous empoisonner nous aussi, afin de garder l’héritage pour vous toute seule ?

Brisemiche – Allons, voyons… Vous savez bien que pour Germaine, c’était un regrettable accident.

Fouinart – Tout au plus un homicide involontaire, au regard de la loi.

Cassenoix – On pourrait presque dire un accident domestique suivi d’une erreur médicale.

Mr Crampon – Il n’empêche, si on ne retrouve pas ce testament, on ne touchera rien.

Cassenoix – Elle nous a bien baladé, la vieille.

Brisemiche – Est-ce qu’il existe, au moins, ce testament ?

Sanchez – On a cherché partout.

Fouinart – Et si c’était eux qui l’avaient trouvé avant nous ?

Brisemiche – Eux ?

Fouinart – Ces deux fouille-merde !

Cassenoix – Et qu’ils l’avaient fait disparaître ?

Brisemiche – C’est dans leur intérêt, non ?

Gonfland – On n’a qu’à les interroger.

Brisemiche – Mais sans violence inutile, alors.

Gonfland – On va attendre qu’ils reviennent.

Cassenoix – On a déjà cherché partout ici…

Mr Crampon – Profitons-en pendant qu’ils sont dans la salle de bain pour fouiller le reste de l’appartement…

Cassenoix – Vous voyez qu’elle a du bon ma sangria.

Ils sortent. Antoine et Chloé reviennent.

Antoine – Tu crois qu’ils se sont barrés ?

Chloé – Ça m’étonnerait… Tant qu’ils n’ont pas trouvé ce testament…

Antoine – Où est-ce que la vieille a bien pu planquer ça ?

Chloé – Dans un coffre ?

Antoine – Dans les films, souvent, les coffres, c’est derrière les tableaux…

Ils se mettent à deux pour décrocher le tableau.

Antoine – Putain, c’est lourd…

Ils posent le tableau contre un meuble.

Chloé – Pas de coffre derrière le tableau.

Antoine semble voir quelque chose derrière le tableau.

Antoine – En revanche, regarde…

Ils retournent le tableau et voient que le dos de la toile est couvert par un texte.

Chloé – Le testament de la tante Germaine…

Comme effrayés, ils retournent le tableau pour ne plus voir le dos.

Antoine – Ça fait un drôle d’effet, quand même.

Chloé – Oui… On dirait un message laissé par un fantôme.

Antoine – Qu’est-ce qu’on fait ?

Chloé – On pourrait faire comme si on n’avait rien trouvé.

Antoine – Ou même le détruire, pour plus de sécurité, et faire comme si ce testament n’avait jamais existé…

Chloé – Peut-être qu’elle te lègue quand même l’appartement, finalement… Toi tu ne connaissais pas son existence, mais elle elle savait qu’elle avait un petit-neveu, non ?

Antoine – Ça arrangerait tout, mais bon… Il ne faut pas rêver, tout de même…

Chloé – On ne sait jamais. Autant regarder ce qu’il y a dedans avant de décider si on le détruit.

Antoine – C’est vrai que ça nous éviterait un cas de conscience plutôt délicat à résoudre…

Chloé – Si on peut récupérer cet appartement haussmannien sans avoir à bafouer les volontés d’une vieille antisémite.

Antoine – Tu as raison… Il sera toujours temps de m’arranger avec ma conscience si ce testament me dépossède de mon héritage légitime.

Chloé – Un héritage accumulé en spoliant mes ancêtres israélites après les avoir fait déporter.

Antoine – D’un autre côté, ça te permettrait de récupérer tout ça.

Chloé – En somme, ce serait une œuvre de justice, tu veux dire… Un juste retour des choses…

Antoine – C’est un peu jésuite, mais bon… Ça se tient…

Chloé – Et puis c’est quand même un bel appartement…

Antoine – OK. Je regarde, essaie de les retenir un moment par là-bas…

Chloé part vers le couloir. Antoine retourne à nouveau le tableau et lit ce qui est écrit au dos.

Antoine – La salope…

Il remet le tableau en place. Chloé revient, suivie de Monsieur Crampon.

Mr Crampon (un peu pressant) – Alors comme ça, nous allons être voisins…

Chloé – Oui… Enfin peut-être… Mais… j’ai croisé Sam tout à l’heure, et je crois qu’elle voulait vous dire deux mots en privé…

Mr Crampon – En privé ?

Chloé – Je ne voudrais pas m’avancer, mais je crois que vous lui avez fait une grosse impression. Elle est sur la terrasse.

Mr Crampon – J’y vais…

Monsieur Crampon sort.

Chloé – Alors ?

Antoine – Les voisins n’héritent que des meubles et des bibelots.

Chloé – Et l’appartement ?

Antoine – Elle le lègue à des associations.

Chloé – Une façon de se racheter une virginité avant le grand départ, pour compenser ses turpitudes passées avec le Maréchal Pétain.

Antoine (embarrassé) – Ouais, enfin…

Chloé – Quelles associations ?

Antoine – Il faut que je relise ce passage, j’ai juste eu le temps de voir ça dans les grandes lignes…

Chloé – Bon… En tout cas, on n’a plus trop le temps. Il faut se décider.

Antoine – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Antoine hésite.

Chloé – C’est quand même les dernières volontés de la tante Germaine.

Antoine – Sans compter que ça ne va pas être évident d’escamoter ce tableau…

Chloé – Et si jamais quelqu’un a l’idée un jour de regarder derrière…

Antoine – Alors on laisse tomber ? On leur dit qu’on a retrouvé le testament de Germaine ?

Chloé – Tu nous imagines vivre dans cet appartement ? Entourés de ces voisins psychopathes, qui ont peut-être assassiné ta tante après l’avoir torturée pour lui extorquer son l’héritage.

Antoine – On pourrait être les prochains sur la liste…

Moment de flottement.

Chloé – Et puis il n’est pas si terrible que ça, cet appartement.

Antoine – N’exagère pas, il faut que ça reste crédible…

Chloé – Putain, un appartement en plein centre de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Antoine – Bon, d’un autre côté, on aurait dû payer pas mal de frais de succession.

Chloé – Tu as raison, mieux vaut laisser tomber.

Antoine – Allons quand même voir une dernière fois la Tour Eiffel…

Chloé – On va se faire du mal là…

Antoine – On peut encore changer d’avis.

Ils sortent. Cassenoix revient accompagnée de tous les autres voisins, sauf Sam et la baronne.

Cassenoix – Rien…

Mr Crampon – Elle s’est bien foutue de nous, la charogne.

Brisemiche – Je crois qu’il va falloir se faire une raison. Nous ne percevrons jamais la juste récompense de toutes ces années d’abnégation au service d’une ingrate.

Gonfland – Ouais. On a fumé la vieille pour rien.

Antoine et Chloé reviennent également.

Fouinart – Et bien entendu, vous allez nous dire que vous non plus, vous n’avez rien trouvé ?

Antoine – C’est-à-dire que…

À la surprise d’Antoine, Chloé joue les innocentes.

Chloé – Trouvé quoi ?

Mais le tableau, mal raccroché, se casse la figure. Ils voient tous ce qui est écrit au dos..

Fouinart – Le testament de Germaine…

Brisemiche – Dieu soit loué…

Mr Crampon – Comme quoi il ne faut jamais désespérer de son prochain.

Cassenoix – Au dos d’un tableau ?

Mme Crampon – Est-ce que c’est valable ?

Fouinart – La loi précise que le testament doit être écrit à la main, mais elle ne précise pas sur quel support. Une fois on en a même validé un rédigé avec du sang sur le côté d’une machine à laver.

Sanchez – Et alors ? Qu’est-ce que ça dit ?

Fouinart – Je vais vous en faire la lecture…

Il sort ses lunettes, et se racle la gorge. Antoine et Chloé échangent un regard résigné.

Fouinart – Ceci est mon testament authentique, écrit de ma main, et qui annule tous les autres…

Sam – Bon, on pourrait peut-être sauter les préliminaires…

Fouinart – Je lègue l’appartement dont je suis propriétaire à Paris, pour moitié à la Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme, et pour l’autre moitié à l’Association pour la Réhabilitation de la Mémoire du Maréchal Pétain.

Zarbi – C’est ce qui s’appelle couper la poire en deux.

Mr Crampon – S’ils décident de partager les locaux, la cohabitation ne va pas être facile…

Déception générale.

Brisemiche – C’est tout ?

Fouinart – Le tableau revient au syndic, Madame Cassenoix, en tant que représentante de la copropriété. Il devra être placé dans le hall de l’immeuble, afin que tous puissent en profiter.

Cassenoix – Génial…

Fouinart – Suit une liste exhaustive des autres objets sans valeur se trouvant dans cet appartement, jusqu’à la dernière petite cuillère, légués nommément à chacun d’entre nous. Le vase chinois revient en indivision à la baronne et à la concierge.

Chloé – Finalement, c’était une comique, la tante Germaine.

Cassenoix considère le tableau.

Angela – Pour que tous puissent en profiter… Cette croûte… Et en plus, elle se paie notre tête, cette vieille bique.

Antoine – Je vous en prie, vous parlez de ma tante, tout de même…

Fouinart – Qui par ce testament, vous déshérite.

Mme Crampon – La salope…

Sanchez – On ne va pas mettre ça dans l’entrée.

Cassenoix – Remarquez, ça pourrait faire fuir les voleurs.

Mr Crampon – Bon. Je crois qu’on n’a plus rien à faire ici.

Antoine – Et le testament, qu’est-ce qu’on en fait ?

Brisemiche – Faites-en ce que vous voulez, de toute façon, dans un cas comme dans l’autre, nous on n’hérite de rien.

Mme Crampon – Sauf de tout ce bric-à-brac sans valeur.

Mr Crampon – Vous n’avez qu’à le brûler, ce testament. Comme ça l’appartement vous reviendra de plein droit.

Brisemiche – Vous ou d’autres, comme voisins, qu’est-ce que ça change.

Cassenoix – Et puis vous êtes un peu de la famille, déjà.

Fouinart – Oui, on est appelés à se revoir…

Ils s’apprêtent tous à sortir.

Mme Crampon – Merci pour cette charmante soirée, vraiment…

Cassenoix – Et encore une fois, toutes nos condoléances…

Ils sortent tous les uns après les autres en passant devant Antoine et Chloé pour leur serrer la main ou les embrasser avec un air de circonstance, comme à un enterrement. Antoine et Chloé soupirent lorsque le dernier est sorti.

Antoine – Retour à la case départ.

Chloé – Pas tout à fait… Il faut encore qu’on décide ce qu’on fait de ce testament.

Antoine – Trop tard pour le faire disparaître, il y a trop de témoins. Ils nous tiendraient par les couilles…

Chloé – Alors ?

Antoine – Je ne sais pas…

Chloé – En tout cas, je n’ai plus du tout envie de dormir ici cette nuit…

Antoine – Non, moi non plus… Qu’est-ce qu’on fait du tableau. Je veux dire du testament…

Chloé – On ne peut pas l’emmener. C’est trop lourd.

Antoine – Prenons la nuit pour réfléchir, et on verra demain.

Chloé – On va rentrer dans notre banlieue, à La Garenne-Colombes. On n’a pas la vue sur la Tour Eiffel, mais au moins c’est chez nous.

Antoine – Ouais, décidément, c’était trop beau.

Chloé – Tu pourras toujours en faire un roman.

Antoine – Ou une pièce de théâtre…

Chloé – Si c’est un best-seller, on pourra quand même s’acheter un appartement avec tes droits d’auteur…

Antoine raccroche le tableau et y jette un dernier regard.

Antoine – Tu avais raison, c’était bien le Maréchal Pétain.

Chloé – Quand il n’était encore que lieutenant…

Antoine – Je remets l’alarme en partant ?

Chloé – Pour ce qu’il y a à voler ici…

Antoine – Je la remets.

Ils s’en vont.

Noir.

Le rayon lumineux d’une lampe de poche, explorant les lieux. Puis un deuxième. Les rayons se croisent. L’un des deux personnages actionne un interrupteur et la lumière revient. On découvre deux personnes, habillées en Père Noël.

Sam – Ah, bataille…

Baronne – Qu’est-ce qu’on fait ?

Sam – On ne va pas appeler la police…

Elles retirent leurs barbes. C’est Sam et la baronne.

Baronne – J’en déduis que vous n’êtes pas vraiment policier…

Sam – Pas plus que vous n’êtes vraiment baronne…

Baronne – En fait, vous êtes un type dans mon genre.

Sam – Quel genre ?

Baronne – Du genre à changer plus souvent d’identité que de slip.

Sam – Mais qui vous a dit que j’étais policier ? Enfin que j’étais supposée l’être…

Baronne – Quand on veut garder un secret, mieux vaut éviter de se confier à une concierge. (Avec un regard sur le déguisement de la baronne) C’est curieux qu’on ait eu la même idée.

Sam – Un Père Noël, en cette saison, ça attire moins l’attention. Surtout la nuit…

Baronne – Je dirais même que ça inspire confiance.

Sam – J’imagine que vous non plus, vous n’êtes pas venue déposer des cadeaux au pied du sapin ?

Baronne – Non… Alors on partage ?

Sam – S’il y a quelque chose à partager…

Elles inspectent l’appartement.

Baronne – Le butin a l’air plutôt maigre.

Sam – J’avais pourtant de bons renseignements. Vous aussi, j’imagine…

Baronne – On disait que la vieille avait de l’argent chez elle. Mais apparemment, c’était juste une rumeur…

Sam – Un coffre-fort ?

Ils regardent derrière le tableau.

Baronne – Rien derrière le tableau.

Sam – Et le tableau ?

Ils l’examinent.

Baronne – Une croûte.

Sam – Tous ces efforts pour rien.

Baronne – Moi qui comptais là dessus pour redorer mon blason.

Sam – Et moi pour me dorer la pilule. Sous les tropiques…

Baronne – Hélas, le Père Noël n’existe pas.

Sam – Allez on s’en va.

Baronne – Je vais rester encore un peu… Mieux vaut ne pas partir en même temps.

Sam – Vous avez raison… Deux Pères Noël ensemble, ça attire davantage l’attention.

Baronne – Oui… On se demande lequel est le vrai.

Sam s’en va. La baronne attend qu’elle se soit éloignée et gratte le cadre avec son ongle. Sam revient, méfiante, et la voit faire.

Sam – C’est ce que je me disais aussi, à la réflexion… Tout de même, le cadre est très lourd, pas vrai ?

Baronne – C’est de l’or massif.

Sam – Vous le saviez ?

Baronne – Je prenais le thé avec elle de temps en temps. Un jour, j’ai versé une petite pilule dans son Earl Grey. Sous ecstasy, c’était une femme charmante.

Elles regardent le tableau.

Sam – Un beau cadeau de Noël.

Baronne – Oui. Même partagé en deux…

Sam – Et on ne sera pas trop de deux pour l’emporter.

Baronne – Je crois que finalement, on peut dire merci à la tante Germaine.

Sam – Et maintenant, à nous de faire mentir le célèbre adage…

Baronne – Quel adage ?

Sam – Bien mal acquis ne profite jamais.

Baronne – Oh… Je ne suis pas superstitieuse.

Elles décrochent le tableau. Une sonnerie d’alarme se met à retentir. Elles se regardent, consternées.

Sam – C’était vraiment une salope…

Noir

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Novembre 2011

© La Comédiathèque – ISBN 979-10-90908-67-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement

Antoine – Ça arrangerait tout, mais bon… Il ne faut pas rêver, tout de même…

Chloé – On ne sait jamais. Autant regarder ce qu’il y a dedans avant de décider si on le détruit.

A

 

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Manoir, château ou couvent

Au moins depuis Molière, la bourgeoisie (Le Bourgeois Gentilhomme), la noblesse (La Comtesse d’Escarbagnas) et le clergé (Le Tartuffe), ont toujours été de très bons clients pour la comédie. Et cela n’a pas changé…

Le château est souvent le cadre des aventures d’une vraie ou fausse noblesse désargentée, dont la principale préoccupation est de redorer son blason sans trop déchoir. Mais le château peut aussi avoir déjà été racheté par des nouveaux riches, qui sont alors en quête de la respectabilité nécessaire pour faire vraiment partie du grand monde.

Le couvent, pour sa part, constitue une micro-société parallèle, plus ou moins coupée du monde et relativement autonome. Un monde très fermé fonctionnant sur des règles très strictes, inspirées par un modèle utopique. La moindre intrusion dans ce microcosme idéaliste d’un élément de réalité triviale pourra constituer un ressort de comédie.


Au répertoire de La Comédiathèque

Manoir ou château

APERO TRAGIQUE A BEAUCON-LES-DEUX-CHATEAUX

COUP DE FOUDRE A CASTELJARNAC

ÉCHECS AUX ROIS

Couvent

MIRACLE AU COUVENT DE SAINTE MARIE-JEANNE

 

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Maison ou appartement

Le petit chez soi (ou le grand chez les autres) est le décor le plus courant de la comédie (notamment la comédie de boulevard). Il constitue le cadre d’une comédie de l’intime, celle qui met en jeu l’hypocrisie des relations matrimoniales (cf. adultère), familiales (cf. héritage), amicales ou plus généralement sociales (cf. arrivisme).

***

Au répertoire de La Comédiathèque

Maison ou appartement

STRIP POKER

DES BEAUX-PARENTS PRESQUE PARFAITS

ELLE ET LUI, MONOLOGUE INTERACTIF

ERREUR DES POMPES FUNEBRES EN VOTRE FAVEUR

GAY FRIENDLY

LE COUCOU

LE GENDRE IDEAL

LES COPAINS D’AVANT … ET LEURS COPINES

MENAGE A TROIS

STRIP POKER

UN MARIAGE SUR DEUX

VENDREDI 13

DU PASTAGA DANS LE CHAMPAGNE

LES COPINES D’AVANT ET LES COPAINS D’APRÈS

UNE SOIREE D’ENFER

UN OS DANS LES DAHLIAS

NOS PIRES AMIS

LA MAISON DE NOS RÊVES

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L’Hôpital Était Presque Parfait

L’Hôpital Était Presque Parfait
(ou Série Blanche, Humour Noir )

Comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 personnages : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir. 

Téléchargez L’hôpital était presque parfait 

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Série Blanche et Humour Noir

ou « L’Hôpital Était Presque Parfait »

White Coats Dark Humour – Batas blancas y humor negro (español)Batas brancas e humor negro (português)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

10 à 13 comédiens et/ou comédiennes

10 : 8H/2F, 7H/3F, 6H/4F, 5H/5F, 4H/6F, 3H/7F, 2H/8F, 1H/9F, 10F
11 : 8H/3F, 7H/4F, 6H/5F, 5H/6F, 4H/7F, 3H/8F, 2H/9F, 1H/10F, 11F
12 : 8H/4F, 7H/5F, 6H/6F, 5H/7F, 4H/8F, 3H/9F, 2H/10F, 1H/11F, 12F
13 : 8H/5F, 7H/6F, 6H/7F, 5H/8F, 4H/9F, 3H/10F, 2H/11F, 1H/12F, 13F

L’hôpital était presque parfait… Le crime aussi. Une comédie policière teintée d’humour noir.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Série Blanche et Humour Noir

L’hôpital était presque parfait…

Personnages :

Le docteur : Gunter
Les 2 infirmières : Sœur Emmanuelle et Barbara
Les 3 patients (ou patientes) : Thelma, Louis(e), Berthe (ou Bertrand)
Les 5 visiteurs (ou visiteuses) : Jack, Sandy, Fred, Angela (ou Angelo), Alex
Les 2 policiers (ou policières) : Commissaire Ramirez et Adjoint Sanchez
Patients, visiteurs et policiers peuvent indifféremment être masculins ou féminins.

Le petit salon de réception de l’hôpital, destiné à recevoir les visiteurs. Sœur Emmanuelle, brune à la beauté discrète en tenue d’infirmière religieuse, décore en chantonnant un sapin de Noël malingre posé dans un coin sur une table. Devant le sapin, sur la table, est installée une crèche. Derrière Emmanuelle arrive Gunter, beau médecin genre play boy, blouse blanche et stéthoscope autour du cou. Ambiance Série Blanche Harlequin.

Gunter – Bonjour Sœur Emmanuelle, tout va bien ?

Emmanuelle sursaute, surprise et un peu troublée.

Emmanuelle – Bonjour Docteur Müller. Vous m’avez fait peur…

Gunter – Je suis vraiment désolé. Mais appelez-moi Gunter…

Emmanuelle – Et pourquoi cela, Docteur Müller ?

Gunter – Mais parce que c’est mon prénom, Emmanuelle !

Emmanuelle – Bien sûr… Mais si vous permettez, je continuerai à vous appeler Docteur Müller. Cela me semble plus convenable. Et je préférerais que vous m’appeliez Sœur Emmanuelle…

Gunter – Comme vous voudrez, ma sœur… Ah, mais vous avez fait des merveilles avec ce sapin ! Il est vraiment magnifique…

Emmanuelle considère avec satisfaction l’arbre de Noël en fin de vie que quelques guirlandes en mauvais état ont du mal à égayer un peu.

Emmanuelle – Nos patients ont bien besoin d’un peu de réconfort, en cette période de fête où ils ne sont pas tous entourés de l’amour de leur famille…

Gunter – Bien sûr…

Emmanuelle – À ce symbole laïc qu’est le sapin de Noël, je me suis permis d’ajouter une crèche. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient, Docteur ?

Gunter – Cela fait aussi partie de la magie de Noël ! Même les grands magasins du Boulevard Haussman ont une crèche, pourquoi pas notre hôpital ? Après tout, nous aussi nous sommes une entreprise commerciale !

Emmanuelle – Il est important que tous nos patients qui n’ont pas de famille sachent qu’ils peuvent compter malgré tout sur l’amour de notre Seigneur…

Gunter – C’est clair…

Emmanuelle se penche vers la crèche pour installer les figurines dedans.

Emmanuelle – Voulez-vous m’aider à mettre le petit Jésus dans la crèche ?

Gunter – Euh… oui.

Gunter s’approche d’Emmanuelle pour lui donner un coup de main et ils se frôlent.

Emmanuelle – Tenez, voilà le bœuf et l’âne… Bien dans le fond…

Gunter – Parfait.

Emmanuelle – Et voilà la Sainte Vierge.

Arrive Barbara, aussi blonde qu’Emmanuelle est brune, et vêtue d’une blouse mettant ses charmes beaucoup plus en avant.

Barbara (ironique) – J’imagine que ce n’est pas de moi dont vous parliez, ma sœur…

Gunter – Ah, Barbara, je vous cherchais, justement…

Barbara – Ce n’est pas dans une crèche que vous me trouverez…

Gunter – Voilà, ma sœur… J’ai réussi à les caser tous, mais j’ai eu du mal…

Barbara – Ce n’est pas toujours facile de trouver une place en crèche…

Gunter – Bonjour Barbara. J’allais commencer ma visite. Vous me suivez ?

Barbara – Comme les Rois Mages suivaient l’Étoile du Berger, Gunter. Vous le savez bien, où vous irez, j’irai…

Gunter – Je vous laisse Emmanuelle… Je veux dire Sœur Emmanuelle…

Barbara lance à Emmanuelle un regard jaloux. Emmanuelle, embarrassée, juge préférable de s’éclipser.

Emmanuelle – J’ai à faire, moi aussi…

Emmanuelle sort.

Gunter – On y va, Barbarella ? Je veux dire Barbara…

Gunter et Barbara sortent. Poussée par Angela, habillée de façon gothique, Louise arrive assise dans un fauteuil roulant surplombé par une poche de perfusion.

Angela – Alors Joyeux Noël, Tante Louise !

Louise – Merci, Angela… Je ne sais pas si je verrai le prochain…

Angela – Allez, ne dis pas ça… (Elle sort de son sac une bouteille de Champagne et deux coupes). Tiens, j’ai amené de quoi trinquer pour célébrer ça…

Louise – Oh, mais c’est de la folie…

Angela ouvre la bouteille et emplit les coupes. Puis elle sort un paquet de biscuit de son sac.

Angela – Je t’ai aussi apporté des langues de chat, je sais que tu aimes bien…

Louise – Tu es vraiment un ange, Angela, mais avec mon estomac. Enfin ce qui m’en reste… J’aurais préféré des biscuits à la cuillère…

Angela – Tu n’auras qu’à les tremper dans ton champagne pour les ramollir. Tiens, voilà ton cadeau…

Angela tend à Louise une enveloppe.

Louise – Merci ! Qu’est-ce que c’est ?

Angela – Surprise !

Louise – Une enveloppe… Ce n’est pas de l’argent, au moins… C’est bien la seule chose dont je ne manque pas… À mon âge, ce qui me manque, c’est plutôt le temps pour le dépenser…

Angela – Eh oui… (Plus bas) Comme quoi la vie est mal faite… Moi du temps, je n’ai que ça…

Louise, qui n’a pas entendu, entreprend avec difficulté d’ouvrir le paquet. Pendant ce temps, Angela verse le contenu d’une petite fiole dans la coupe de sa tante. Louise parvient enfin à extraire de l’enveloppe un papier.

Louise – Qu’est-ce que c’est que ?

Angela – Un abonnement d’un an au magazine Pleine Vie !

Louise – Un an ! Je ne sais pas si j’en profiterai jusqu’au bout…

Angela (à mi-voix) – Oui, je ne suis pas sûre non plus.

Louise – Comment ?

Angela sort de son sac un exemplaire du magazine qu’elle tend à Louise.

Angela – Tiens, voilà le premier numéro… Ça te fera de la lecture…

Louise – Merci Angela !

Angela – Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir aussi, ma tante…

Elles se font la bise.

Angela – Alors on trinque ?

Louise – Je ne sais pas si c’est très raisonnable ?

Angela – Allez, un petit verre pour Noël, ça ne peut pas faire de mal !

Louise – Oh, mais tu m’en as mis beaucoup trop…

Angela – Mais non !

Louise – Tu peux me passer mon châle, s’il te plaît ?

Angela se retourne pour prendre le châle sur un fauteuil. Louise en profite pour intervertir les verres afin d’avoir celui qui est le moins rempli.

Angela – Tiens le voilà…

Louise – Merci, c’est gentil… Heureusement que tu es là, toi au moins… Sinon personne ne viendrait me voir…

Angela – Mais c’est normal, je suis ta nièce… (Grand sourire) Alors Tata, tu as réfléchi à ce qu’on s’était dit la dernière fois ?

Louise – Quoi ?

Angela – Au sujet de ton testament, tu sais… Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de tout laisser à l’Abbé Pierre…

Louise – Ce n’est pas l’Abbé Pierre, c’est le Docteur Müller ! Enfin sa fondation ! Une fondation qui s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents…

Angela – Oh tu sais, maintenant, tout le monde a sa fondation, même les tueurs en série… Et puis moi aussi, je serai un peu orpheline quand tu ne seras plus là…

Louise – Toi tu as tes parents, tout de même. Ils ne sont pas dans le besoin, ils sont dentistes tous les deux… Et puis tu sais bien que ta mère a toujours eu une dent contre moi… D’ailleurs, elle ne vient jamais me voir…

Angela – Mais moi je suis là !

Louise – C’est pour ça que j’avais d’abord rédigé ce premier testament en ta faveur… Il est dans le tiroir de ma table de nuit… Mais le Docteur Müller m’a convaincue de… Et puis je sais bien que si tu viens me voir, ce n’est pas pour mon argent…

Angela – Bien sûr…

Louise – Tu as une famille, toi. Tu peux faire des études. Et être dentiste, comme tes parents. Tandis que ces pauvres orphelins. Si ce bon Docteur Müller n’avait pas les moyens de s’occuper d’eux…

Angela – Écoute, fais ce que tu voudras… Après tout c’est ton argent ! Mais ce nouveau testament, tu l’as déjà rédigé ?

Louise – Pas encore… Je vais m’en occuper tout à l’heure…

Sourire d’Angela.

Angela – Parfait… Allez, à ta santé !

Elles boivent.

Louise – Il est bien frais…

Angela – Oui, c’est du bon…

Louise jette un regard à l’étiquette en plissant les yeux.

Louise – La Veuve Tricot… Tiens, je ne la connaissais pas, celle-là…

Angela – Une langue de chat, pour faire passer tout ça ?

Louise – Merci, je les goûterai peut-être tout à l’heure quand tu seras partie…

Angela – C’est ça… En lisant Pleine Vie… Bon, je vais te laisser, Tata… Tu dois sûrement être un peu fatiguée…

Louise – Ça va… Tu ne veux pas faire un Cluedo avant de partir ?

Angela – Désolée, mais je n’ai vraiment pas le temps… Je reviendrai pour te souhaiter la bonne année…

Elles se font la bise.

Louise – Allez, amuse-toi bien… Et merci d’être passée voir ta vieille tante pour Noël… Ah, au fait, moi aussi j’ai un cadeau pour toi ! Tiens, il est sous la table là…

Angela prend le paquet, l’ouvre et en sort un truc en laine.

Angela – Qu’est-ce que c’est ?

Louise – Ben c’est une écharpe ! Je l’avais tricoté pour une amie, mais elle est morte avant de pouvoir la porter. Elle te plaît ?

Angela – Beaucoup… Allez, à bientôt Tata… Et Joyeux Noël !

Angela s’en va.

Louise – Drôle de look, quand même… À chaque fois qu’elle vient me voir, j’ai l’impression d’être déjà en enfer… (Soupir) Alors, voyons voir ça…

Louise ouvre Pleine Vie et se met à le feuilleter tout en trempant une langue de chat dans son champagne. Elle plisse les yeux.

Louise – Qu’est-ce que j’en ai encore fait de mes lunettes, moi…? J’ai dû les laisser dans ma chambre…

Louise repart dans sa chaise roulante. Sœur Emmanuelle arrive, tenant Berthe par le bras. Elle l’aide à s’installer dans le fauteuil.

Emmanuelle – Tenez, installez-vous un peu ici, Berthe. Ce n’est pas bon de rester toute la journée allongée…

Berthe – Oh, vous savez, le Boulevard des Allongés, ce sera ma prochaine adresse, alors…

Emmanuelle – Et bien raison de plus, vous avez bien le temps. Vous voulez faire un scrabble, pour vous dégourdir un peu ?

Berthe – Me dégourdir quoi ?

Emmanuelle – Les méninges !

Berthe – D’accord…

Emmanuelle dispose le jeu.

Emmanuelle – Tenez, voilà vos lettres… Vous commencez ?

Berthe – Oh vous savez, je ne sais pas si je vais y arriver, je n’ai plus toute ma tête…

Emmanuelle – Essayez toujours…

Berthe – Bon, je vais faire ça alors… (Berthe aligne toutes ses lettres sur le plateau) OXYDIEZ du verbe oxyder. Alors, 35 avec le x qui compte double 45 multiplié par 2 égale 90 plus 50 qui font 120…

Emmanuelle – Eh ben… Vos neurones, au moins, elles ne sont pas encore trop oxydées…

Un couple débarque, Sandy et Jack, fille et gendre de Berthe.

Emmanuelle – Ah, je crois que vous avez de la visite, Berthe… Je vous laisse en famille… Messieurs Dames…

Sandy (à Emmanuelle) – Bonjour ma sœur…

Berthe – C’est votre sœur ?

Emmanuelle (avec indulgence) – Non Berthe, c’est votre fille…

Emmanuelle échange un sourire avec Sandy et sort.

Sandy – Alors maman, comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Oh, tu sais, à mon âge…

Jack – Bonjour belle-maman…

Berthe – C’est qui celui-là ?

Sandy – Mais enfin, maman, c’est Jack, mon mari !

Berthe – Tu es mariée ? Depuis quand ?

Sandy – Ça va faire une vingtaine d’années.

Berthe – Tu aurais au moins pu m’envoyer un faire-part…

Sandy – Mais tu as assisté à notre mariage, maman ! (Elle sort une photo de son portefeuille) Tiens regarde, c’est toi là, sur la photo, à la sortie de la mairie.

Berthe – Ah, oui… Et celui qui te tient par le bras, là, avec son costume trop grand, c’est qui ?

Jack – C’est moi, belle maman. Jack, votre gendre !

Berthe le regarde.

Berthe – Ouh là… Qu’est-ce qu’il a vieilli ! Ça ne m’étonne pas que je ne l’ai pas reconnu…

Jack – Eh oui, on vieillit tous…

Sandy tend à sa mère une boîte.

Sandy – Tiens je t’ai apporté une boîte de pâtes de fruits.

Berthe – Merci… Ce n’est pas trop dur au moins ? Parce qu’avec mes dents…

Jack – Ce sont des pâtes de fruits, belle-maman… C’est tout mou…

Berthe (en aparté à Sandy) – Pourquoi est-ce qu’il m’appelle belle-maman ?

Jack préfère changer de sujet..

Jack – Alors Berthe, on a bien dormi, cette nuit ?

Berthe – J’ai fait un rêve bizarre…

Jack – Ah oui ? Quoi donc ?

Berthe – Oh, ça n’a plus grande importance, maintenant…

Sandy – Dis toujours… (Plus bas) Ça nous fera au moins un sujet de conversation…

Berthe – J’ai rêvé de ces lingots que ma mère m’avait offerts pour Noël juste avant de mourir…

Sandy et Jack, sidérés, échangent un regard.

Sandy – Des lingots ?

Jack – Vous voulez dire des lingots d’or, belle-maman ?

Berthe – Comment ?

Sandy – Ta mère t’a donné des lingots ? Tu ne nous avais jamais parlé de ça avant !

Berthe – Ça ne vous regardait pas… Et puis comme je ne savais plus du tout ce que j’en avais fait… C’est cette nuit, seulement, que ça m’est revenu…

Jack – Et alors ?

Berthe – Vous savez comment c’est, les rêves, dès qu’on se réveille, on en oublie la moitié.

Sandy – Et de quelle moitié tu te souviens ?

Berthe – Je me souviens de la boîte… Et de tous les lingots à l’intérieur.

Sandy – Tous les lingots ? Parce qu’en plus, il y en avait beaucoup ?

Jack – Et cette boîte, vous ne vous souvenez plus où vous l’avez cachée ?

Berthe – Cachée ?

Jack – Faites un effort, belle maman !

Sandy – Tu les as peut-être enterrés quelque part dans le jardin ?

Berthe – Quoi donc ?

Jack (pétant les plombs) – Les lingots, putain ! Les putains de lingots !

Berthe – Ah, ça, j’ai complètement oublié…

Sandy – Essaie de te souvenir…

Berthe – Oui, je me souviens bien de la boîte. (Désignant la boîte de pâtes de fruits) Un peu plus grosse que celle-là, quand même.

Le Docteur Müller repasse par là. Sandy et Jack paraissent embarrassés par l’arrivée de ce témoin gênant.

Gunter – Bonjour Berthe, alors comment ça va aujourd’hui ?

Berthe – Bonjour Docteur.

Gunter – Ah, mais je vois qu’on est allé chez le coiffeur pour le réveillon ! Ça vous va très bien…

Berthe – Flatteur…

Gunter – Messieurs Dames… Tout va bien ?

Jack – Bonjour Docteur Müller…

Sandy – Oui, oui, tout va bien. Hein, maman ? (Plus bas) Elle perd de plus en plus la mémoire, mais à part ça, ça va…

Gunter – Votre mère est solide, croyez-moi. Elle nous enterrera tous ! N’est-ce pas Berthe ?

Jack – Et pour la mémoire, vous n’avez pas quelque chose de…

Sandy – Même si l’effet n’était que passager.

Gunter – Pour la mémoire, voyons voir, j’essaie de me souvenir… Si, je prends moi-même quelque chose de très efficace, mais… Je n’arrive pas du tout à me rappeler le nom de ce médicament… (Sandy et Jack le regardent interloqués) Je plaisante, bien sûr… Ici, il faut bien rigoler un peu, vous savez, sinon… On aurait vite fait de se suicider. Non, malheureusement, pour les pertes de mémoire, il n’existe aujourd’hui aucun remède…

Jack – Je vois… Il s’agit sans doute d’une maladie dégénérative…

Dans sa chaise roulante, Berthe s’assoupit lentement.

Gunter – Et voilà ! Une longue maladie dégénérative dont hélas nous souffrons tous dès notre naissance…

Jack – Et qui s’appelle ?

Gunter – La vie, cher Monsieur ! La vie ! Une maladie génétique dont l’issue est toujours fatale à plus ou moins longue échéance. (Le bip du Docteur retentit) Et bien chers amis, le devoir m’appelle. Je vous souhaite un Joyeux Noël !

Sandy secoue un peu sa mère pour la réveiller.

Sandy – Réveille-toi, on va aller faire un petit tour dans le parc…

Jack – L’air frais, ça va peut-être lui rafraîchir la mémoire…

Sandy – Allez, maman ! Lève-toi et marche !

Sandy, Jack et Berthe sortent. Louise revient en chaise roulante et se remet à lire Pleine Vie. Thelma arrive, marchant avec difficulté, agrippée d’une main au portique à roulettes de sa perfusion, et tenant de l’autre un ordinateur portable.

Thelma – Alors Louise, vous n’êtes pas encore morte ?

Louise – Sacrée Thelma, toujours le mot pour rire… Quand vous ne serez plus là, on va s’ennuyer…

Thelma – Avec un peu de chance, vous partirez avant moi… Qu’est-ce que vous lisez ?

Louise – Pleine Vie. C’est un cadeau de ma petite nièce…

Thelma – Au moins, elle a le sens de l’humour… Et c’est intéressant ?

Louise – Oui, mais qu’est-ce qu’il y a comme pubs… Sonotones, fauteuils monte-escalier, conventions obsèques…

Thelma – Ça a l’air sympa…

Thelma s’assied dans un fauteuil, et ouvre le capot de son ordinateur portable.

Louise – Il y a le wifi, ici ?

Thelma – Ça capte mieux du côté de la chambre mortuaire, mais là c’est occupé.

Louise – Ah, oui ? Par qui ?

Thelma – Je croyais que c’était vous, mais apparemment non…

Thelma allume son ordinateur.

Louise – C’est peut-être Berthe…

Thelma – Vous croyez ?

Louise – C’est toujours les meilleurs qui partent les premiers…

Thelma – Je préfère être une peau de vache… Ça conserve…

Louise – Pauvre Berthe… Pourtant, elle n’avait pas l’air si mal en point… Je n’aurais pas parié que ce serait elle qui nous quitterait en premier.

Thelma – Moi oui…

Louise – Pardon ?

Thelma – J’avais parié sur elle.

Louise – Non ?

Thelma – Cinquante euros… Puisque ce n’est pas vous, dans la chambre mortuaire, ça me laisse encore une chance…

Louise – Tant que vous ne pariez pas que je serai la prochaine sur la liste…

Thelma examine le dossier médical suspendu au fauteuil roulant de Louise.

Thelma – Voyons voir… Ah oui, quand même… Sans vouloir vous flatter, vous avez plutôt un bon dossier…

Louise lui lance un regard inquiet.

Louise – Vous trouvez ?

Thelma se met à pianoter sur son clavier

Thelma – Ça va… J’ai deux barres…

Louise – Deux barres ?

Thelma – Pour le wifi !

Louise – Ah, oui…

Thelma continue de pianoter sur son ordinateur. Louise se remet à sa lecture.

Thelma – Ouah ! Il est pas mal, celui-là ! Regardez ça !

Thelma tourne un instant l’écran vers Louise.

Louise – Vous êtes sur quel genre de site ?

Thelma – Un site de rencontre… Mon pseudo, c’est Thelma…

Louise – Thelma, ce n’est pas votre vrai nom ?

Thelma – Mon vrai nom, c’est Henriette… Mais pour rencontrer quelqu’un sur le net, Henriette, ce n’est pas un prénom facile.

Louise – Vous croyez vraiment que dans notre état, on peut encore rencontrer quelqu’un ?

Thelma – À part quelqu’un qui soit chargé de nous administrer les derniers sacrements, de constater le décès ou de procéder à l’autopsie, vous voulez dire ? On peut toujours rêver… Mais là, je dois dire que j’ai un coup de cœur…

Louise – Avec la tension que vous avez… Un coup de cœur, ça tourne vite à la crise cardiaque..

Thelma se remet à pianoter.

Thelma – J’hésite…

Louise – Dans l’état où on est, il vaut mieux ne pas hésiter trop longtemps.

Thelma – Allez, je tente ma chance…

Louise – Je ne voudrais pas vous décourager, mais quand il va voir votre photo…

Thelma lui montre à nouveau l’écran.

Thelma – Tenez, la voilà, ma photo…

Louise – Mais… c’est Sœur Emmanuelle !

Thelma – Elle n’est pas super sexy, mais c’est tout ce que j’avais sous la main… Je l’ai prise avec mon portable hier en lui disant que je voulais avoir une photo d’elle sur ma page d’accueil…

Louise – J’espère qu’elle ne surfe pas sur le net, elle aussi…

Thelma – Une religieuse… En tout cas, elle ne doit pas fréquenter des sites de rencontre… Et puis comme ça au moins, ça fait plus crédible…

Louise – Quoi ?

Thelma – La photo ! Il ne faut pas exagérer, non plus, les hommes savent bien que quand on a le physique d’une femme de footballeur, on n’a pas besoin d’aller sur ce genre de site pour avoir le ballon…

Louise – Remarquez, vous avez raison… Ce petit air niais et un peu naïf, il y en a que ça peut attendrir…

Thelma – On lui donnerait le bon Dieu sans confession…

Louise – Ah, quand on parle du loup…

Sœur Emmanuelle arrive. Thelma ferme précipitamment le capot de son ordinateur.

Thelma – Bonjour ma sœur !

Emmanuelle – Thelma et Louise ! Toujours inséparables, alors ! Comment ça va, aujourd’hui ?

Louise – Comme dit le Docteur Müller, la vie est une longue maladie dégénérative…

Thelma – Disons que nous on serait plutôt au stade terminal…

Emmanuelle – Ici ou ailleurs, nous ne sommes que de passage sur terre… Et le Seigneur nous attend tous en son paradis.

Thelma – Vous vous rendez compte, ma sœur ? Avec nous, c’est la première génération internet qui va arriver là-haut… Vous croyez qu’il y a du réseau, au paradis ?

Emmanuelle – Si c’est le paradis, il y a sûrement du wifi…

Thelma – C’est sûrement pour ça que ça capte déjà mieux du côté de la chambre mortuaire…

Emmanuelle – Est-ce que je peux faire quelque chose pour votre bien être, Mesdames ?

Thelma – Le haschich n’est toujours pas admis dans cet établissement même à usage thérapeutique ?

Emmanuelle – Je crains que non…

Thelma – Alors tant pis.

Emmanuelle – Bien, alors je repasserai tout à l’heure pour votre cours de gym… Bonne journée, Mesdames.

Louise – Bonne journée à vous, ma sœur.

Thelma – Et encore merci pour la photo… Je l’ai mise aussitôt sur ma… page d’accueil.

Emmanuelle – Si cela peut vous être d’un petit réconfort…

Thelma – Croyez-moi, ma sœur, grâce à vous, plusieurs de mes prières ont déjà été exaucées…

Emmanuelle sort. Louise range sa revue et commence à rouler son fauteuil pour partir.

Louise – Allez, ce n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais il faut que j’aille faire mes devoirs…

Thelma – Vos devoirs ? Vous avez repris des cours ?

Louise – Non, mais c’est pour ne pas être prise de court, justement. Je dois rédiger mon testament…

Thelma – C’est vous qui avez raison, Louise, à nôtre âge, c’est plus facile de coucher quelqu’un sur son testament que dans son lit… Et qui est l’heureux élu ?

Louise – Je ne me suis jamais très bien entendu avec ma famille… Alors je me demande si je ne vais pas tout léguer au Docteur Müller… Il est tellement gentil…

Thelma – Et plutôt bel homme…

Louise – À tout à l’heure, Thelma.

Thelma rouvre le capot de son ordinateur.

Thelma – Adieu, Louise.

Louise sort. Thelma se remet à pianoter sur son ordinateur. Arrive un jeune homme, façon rappeur.

Alex – Salut Mémé, ça roule ?

Thelma ferme à nouveau le capot de son ordinateur.

Thelma – Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Mémé.

Ils se font la bise.

Alex – Qu’est-ce que tu mates sur ton ordi ?

Thelma – Rien de spécial, pourquoi ?

Alex – Tu fermes la page quand j’arrive, c’est chelou.

Thelma – Tu es passé à la pharmacie pour mon ordonnance ?

Alex – T’inquiètes, j’ai ça là…

Il ouvre une poche de son blouson et tend à Thelma un petit truc dans une feuille d’aluminium.

Thelma – Ce n’est pas un générique au moins ?

Alex – Je me fournis directement chez un herboriste afghan… (Comme Thelma s’apprête à prendre la chose, il l’en empêche) Pas si vite ! Je ne fais pas le tiers payant.

Thelma lui tend un billet de cinquante.

Thelma – Tiens, je les ai honnêtement gagnés.

Alex – Ah ouais, comment ?

Thelma – J’ai gagné un pari.

Thelma range son petit paquet en aluminium et sort un joint qu’elle allume.

Alex – Tu as parié sur quoi ?

Thelma – Tu ne le croirais pas…

Thelma tire sur le joint.

Alex – Tu penses qu’un jour ils vont légaliser la beuh, Mémé ?

Thelma – Pour les vieux, peut-être. En soins palliatifs.

Alex – C’est relou.

Thelma – Et tes parents, comment ça va ?

Alex – Ça roule. Tu fais tourner ?

Thelma – Eh, je suis ta grand-mère quand même ! Je ne vais pas te pousser à te droguer.

Alex – Parce que toi, tu me donnes le bon exemple, peut-être ?

Thelma – Moi c’est différent, c’est pour soulager mes douleurs…

Alex – C’est ça, ouais…

Thelma est surprise par le retour de Sœur Emmanuelle. Elle refile le joint à Alex qui fait de son mieux pour le planquer.

Emmanuelle – Ah bonjour Alex ! C’est gentil de venir rendre visite à votre grand-mère.

Alex – Oui, je… Bonjour ma sœur…

Emmanuelle – Ça sent l’eucalyptus ici, non ? C’est vous qui fumez des cigarettes à l’eucalyptus, Thelma ?

Thelma – C’est à dire que…

Emmanuelle – Vous savez que c’est strictement interdit de fumer dans l’enceinte de l’établissement, même si ce sont des cigarettes pour dégager les bronches… Allez, je vous laisse en famille. Au revoir Alex…

Alex – Au revoir ma sœur…

Thelma – Allez on s’arrache.

Alex – Où est-ce qu’on peut-être tranquille ?

Thelma – Suis-moi, tu verras. Et en plus, c’est un endroit où on capte très bien le wifi…

Alex – Cool…

Ils sortent, mais Thelma oublie son ordinateur portable. Gunter, le médecin, repasse en compagnie de Barbara.

Gunter – Bon, et bien cela ne va pas trop mal, ce matin, n’est-ce pas Barbara ?

Barbara – Tous nos patients répondent à l’appel. Ça n’arrive déjà pas si souvent que ça. Cela tiendrait presque du miracle…

Gunter – C’est curieux, j’avais pourtant cru apercevoir quelqu’un dans la chambre mortuaire…

Barbara – Un oubli, peut-être… Il y a aussi des morts que personne ne vient réclamer…

Gunter – Je vais m’occuper de ça…

Barbara (provocante) – Vous ne voulez pas vous occuper de moi, plutôt ?

Gunter – C’est à dire que… On ne peut pas laisser un corps abandonné, comme ça…

Barbara – Un corps abandonné… Vous en avez un devant vous, Docteur Müller… Êtes-vous aveugle à ce point ?

Gunter aperçoit l’ordinateur et saisit le prétexte pour se dégager.

Gunter – Mais que vois-je ?

Barbara – Quoi ?

Gunter – Un ordinateur à la pomme…

Barbara (déçue) – Cruel, je vous lancerai bien cette pomme à la figure…

Gunter – An Apple a day, keep the doctor away…

Barbara – Vous parlez anglais, Gunter ? Je pensais que vous étiez allemand…

Gunter – Mon grand-père a émigré en Argentine à la fin de la guerre, mais j’ai été élevé dans un collège anglais en Suisse.

Barbara – Je vois…

Gunter – Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le genre de chose à laisser traîner… C’est à vous ?

Barbara – Non…

Gunter – Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de voleurs ici, mais bon…

Le regard de Barbara est attiré par l’image sur l’écran.

Barbara – Ah oui, comme vous dites… C’est d’autant moins à laisser traîner quand on surfe sur ce genre de site…

Gunter – Quel genre de site ?

Barbara – Un site de rencontre !

Gunter – Ce ne sont quand même pas nos patients qui…

Barbara – Mais… c’est la photo de Sœur Emmanuelle !

Gunter – Vous plaisantez…

Barbara – Si ce n’est pas elle, cela lui ressemble beaucoup…

Gunter – Faites voir…

Barbara – Elle se fait appeler Thelma.

Gunter – Non ?

Barbara – C’est clair que quand on s’appelle Sœur Emmanuelle, sur ce genre de site, il vaut mieux prendre un pseudo pour ne pas risquer de tomber sur des pervers…

Sœur Emmanuelle arrive. Gunter et Barbara, stupéfaits, la regardent avec d’autres yeux.

Emmanuelle – Tout va bien ?

Gunter – Très bien…

Barbara – Très, très bien…

Emmanuelle – Parfait…

Barbara – Vous êtes sûre que vous n’oubliez rien, ma sœur ?

Emmanuelle – Je ne vois pas, non ? Alors à plus tard…

Sœur Emmanuelle continue son chemin, un peu gênée par le regard insistant des deux autres, et elle sort.

Gunter – Je n’aurais jamais cru ça d’elle… Elle a l’air tellement…

Barbara – Eh oui… On croit connaître les femmes…

Gunter – Elle n’a pas repris son ordinateur…

Barbara – Elle n’a pas osé… Cette Sainte Nitouche…

Gunter – C’est vrai que ç’aurait été un peu gênant.

Barbara – Tu m’étonnes…

Gunter – On va le laisser ici, elle viendra le reprendre discrètement…

Barbara s’apprête à sortir.

Barbara – Vous venez ?

Gunter – Oui, oui, je vous rejoins tout de suite…

Barbara sort. Gunter hésite un instant, puis se met à pianoter fébrilement sur l’ordinateur. Thelma revient. Gunter s’éclipse.

Thelma – Ouah… C’est de la bonne… (Elle aperçoit l’ordinateur) Ah, il me semblait bien aussi que je l’avais oublié là…

Berthe revient accompagnée de Sandy et Jack.

Thelma – Berthe ? Je croyais que vous étiez décédée !

Berthe – Et bien non, vous voyez…

Thelma – Encore cinquante euros de perdu… Mais alors c’est qui dans la chambre mortuaire ?

Le regard de Thelma est attiré par l’écran de l’ordinateur.

Thelma – Tiens, une nouvelle proposition… Décidément, je suis très sollicitée… (Elle pianote sur le clavier et regarde l’écran) Non, le Docteur Müller…

Thelma sort tout en regardant son écran. Arrive Fred, la deuxième fille (ou le deuxième fils) de Berthe.

Fred – Bonjour maman… (Plus froidement) Sandy… Jack…

Berthe (à Sandy) – Tiens voilà ta mère.

Sandy – C’est toi ma mère. Elle c’est ma sœur…

Berthe – Tu es sûre ? Elle a l’air tellement vieille…

Jack – On va vous laisser, hein, Sandy ?

Fred – Je ne vous chasse pas, j’espère…

Sandy – On allait partir.

Sandy embrasse Berthe.

Fred – Tiens, je t’ai amené des pâtes de fruits…

Berthe – Ah, merci… Ce n’est pas ta sœur qui m’en aurait apportées… Elle ne m’apporte jamais rien…

Sandy – On t’en a apporté une boîte, maman, elle est là…

Jack – À la prochaine, Berthe…

Jack et Sandy sortent, après avoir échangé un regard hostile avec Fred. Fred lui tend la boîte qu’elle a apportée.

Fred – Prends donc une pâte de fruits…

Berthe – Merci… (Elle prend une pâte de fruits et la mange) Elles sont moins bonnes que celles de ta sœur…

Fred – Alors, maman, tu as réfléchi à ce que je t’ai demandé la dernière fois ?

Berthe – Quoi ?

Fred – Au sujet de cette boîte contenant des lingots, que tu aurais caché quelque part dans la maison…

Berthe – Ah, ça…

Fred – Tu te souviens de ce que tu en as fait ?

Berthe – Oui.

Fred – Et alors ?

Berthe – Alors quoi ?

Fred – Qu’est-ce que tu en as fait ?

Berthe – Ben je l’ai mise dans le grenier, je crois.

Fred – Non ?

Berthe – Si, mais je viens de le dire à ta sœur…

Fred – La salope…

Fred sort en trombe. Louise arrive.

Louise – Vous voulez un chocolat ? C’est le Docteur Müller qui me les a offerts parce que je viens de lui léguer toute ma fortune…

Berthe – C’est vraiment très gentil de sa part… Qu’est-ce que c’est comme chocolat ?

Louise – Des lingots.

Berthe – Ah oui, je vais en prendre un. Ça me rappellera ma jeunesse. Ma mère m’en offrait souvent quand j’étais petite. Je me souviens, j’ai encore toutes les boîtes dans le grenier…

Thelma arrive à son tour. Par derrière, elle coupe avec une pince à linge le tuyau du goutte à goutte de Louise. Berthe la voit. Tout en affichant un sourire hilare, Thelma lui fait signe d’un geste de se taire.

Thelma – Je ne devrais pas, je sais, mais je trouve ça tellement marrant…

Berthe commence à tourner de l’œil. Sœur Emmanuelle revient, dans une tenue de gymnastique très voyante, avec un gros lecteur de CD sur l’épaule façon rappeur des rues. Comme une collégienne prise en faute, Thelma retire discrètement la pince à linge et Louise recouvre ses esprits.

Emmanuelle – Allons Mesdames, il faut bouger un peu ! C’est l’heure de votre cours de gymnastique.

Thelma – Oh, non, pas la gym…

Sœur Emmanuelle appuie sur la touche du lecteur et lance une bande son entraînante façon step.

Emmanuelle – Allons, tous avec moi !

Emmanuelle, un peu exaltée, se met à faire des mouvements de step de façon assez spectaculaire, que les patientes mal en point imitent mollement.

Emmanuelle – Allez, un peu plus d’entrain !

Thelma coupe à nouveau avec la pince à linge la perfusion de Louise, qui recommence à tourner de l’œil.

Berthe – Sœur Emmanuelle… On dirait que Louise a un peu forcé…

Emmanuelle – Bon, d’accord, on va peut-être arrêter là pour aujourd’hui, alors…

Thelma retire la pince à linge la perfusion de Louise, qui recouvre peu à peu ses esprits.

Thelma – On s’en sort bien…

Emmanuelle – Ça va mieux, Berthe ?

Berthe – Ça va… J’ai dû faire un petit malaise…

Les trois patientes sortent. Gunter arrive et découvre la tenue plutôt moulante et flashy de Sœur Emmanuelle, en train d’éteindre son lecteur de CD pour partir.

Gunter – Et bien… Décidément, je vous découvre sous un autre jour, Emmanuelle…

Emmanuelle – C’est une tenue de gymnastique… Vous trouvez que c’est un peu trop…?

Gunter – Je ne pensais pas que sous votre blouse blanche se cachait un tel feu d’artifice… Vous avez bien reçu mon message ?

Emmanuelle – Quel message ?

Le bip de Gunter se fait entendre.

Gunter – Excusez-moi, on m’a bipé… Mais nous reprendrons cette conversation tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Gunter s’en va. Barbara arrive.

Barbara – Alors, Sœur Emmanuelle, on mouille le maillot ?

Emmanuelle – Je sais, je ne devrais pas trop les surmener, mais en même temps…

Barbara – Vous devriez surtout être un peu plus discrète…

Emmanuelle – Discrète ?

Barbara – Nous nous comprenons, n’est-ce pas… Mais je vous préviens, pour ce qui est de Gunter, c’est chasse gardée !

Sœur Emmanuelle sort. Gunter revient catastrophé, en poussant un chariot devant lui sur lequel est allongé un corps recouvert d’un drap blanc.

Gunter – Je viens de découvrir un cadavre dans la salle mortuaire !

Barbara – Ça n’a rien de très extraordinaire, non ? En moyenne, on en dénombre deux ou trois tous les matins…

Gunter – Non mais là ce n’est pas un de nos patients. J’en suis même à me demander si c’est vraiment un être humain. On dirait un zombie. Regardez…

Gunter lève un coin du drap et on reconnaît Angela, la gothique. Louise revient en chaise roulante et aperçoit le cadavre.

Louise – Angela !

Barbara – Vous la connaissez ?

Louise – C’est ma nièce, elle est venue me voir tout à l’heure !

Barbara – Où est-ce que vous l’avez trouvée, Docteur ?

Gunter – Dans la chambre mortuaire, je vous dis !

Barbara – Astucieux, pour dissimuler un cadavre. C’est le dernier endroit on penserait à regarder…

Gunter recouvre à nouveau le corps avec le drap.

Gunter – Vous pensez qu’il pourrait s’agir d’un meurtre ?

Barbara – Allez savoir… Oh, mon Dieu ! Le criminel se trouve peut-être encore parmi nous ! Il faut prévenir la police !

Gunter – C’est fait, je viens d’appeler le commissariat… D’ailleurs les voilà…

Le (ou la) commissaire arrive, avec son adjoint (ou adjointe).

Commissaire – Commissaire Ramirez, et voici mon adjoint Sanchez… J’espère que personne n’a touché à rien.

Gunter – J’ai seulement transporté le corps jusqu’ici sur ce chariot à roulettes…

Commissaire – Très bien, cela nous évitera un changement de décor inutile. (Soulevant le drap pour jeter un coup d’œil) Ouh là… Ce n’est pas beau à voir… Le producteur n’a pas lésiné sur les effets spéciaux…

Adjoint – Ah oui, cette bave verte qui lui sort de la bouche… On se croirait dans l’Exorciste…

Commissaire – Le décès remonte à combien de temps, Docteur ?

Gunter – Je n’en ai aucune idée. Je ne suis pas médecin légiste…

Adjoint – Ne vous inquiétez pas, ça viendra sûrement…

Commissaire (apercevant Louise) – Ça va Mémé, la soupe est bonne, ici ? J’espère que pour Noël, on améliore un peu l’ordinaire à la cantine ? Vous avez eu droit à une bûche glacée au moins ?

Barbara – C’est la tante de la victime, Commissaire. Elle doit être sous le choc…

Commissaire – Ah, très bien… Donc nous connaissons déjà l’identité du cadavre… Ça nous fera gagner du temps. Sanchez, soyez gentil, roulez-moi ce chariot de viande froide un peu plus loin, j’ai l’impression que ça commence déjà à cocoter un peu…

Louise – Pauvre petite… Elle est venue me voir il y a à peine une heure, vous vous rendez compte ?

Commissaire – Donc c’est encore tout frais… Remarquez, peut-être qu’elle sentait déjà mauvais de son vivant…

Louise – Vous êtes sûrs qu’elle est morte, au moins ?

Sanchez s’apprête à rouler le cadavre dans les coulisses.

Adjoint – Ou alors, c’est bien imité… La dernière fois que j’ai vu quelqu’un baver comme ça, c’était un pauvre type mordu par sa belle-mère atteinte de la rage…

Commissaire – Allons, Sanchez, je vous prie de respecter le deuil de cette pauvre femme qui vient de perdre sa nièce dans des conditions particulièrement atroces.

Sanchez – Pardon, Commissaire. Autant pour moi…

Sanchez sort avec le corps sur le chariot à roulettes.

Commissaire – Donc, chère Madame, votre nièce est la dernière personne à vous avoir vue vivante…

Louise – Ce ne serait pas plutôt le contraire, Commissaire ? Je ne suis pas encore tout à fait morte…

Commissaire – N’essayez pas de m’embrouiller, je connais mon métier… Ce n’est pas vous qui l’avez tuée, au moins ? Ça ça nous ferait gagner encore plus de temps…

Louise – C’est une animation, pour le réveillon de Noël, Docteur Müller ? Un Cluedo en live ? Monsieur est comédien ?

Gunter – Je crains que non, ma chère Berthe… Ou alors c’est un très mauvais comédien…

Le commissaire prend Gunter à part.

Commissaire – Remarquez, Docteur, ce n’est pas une si mauvaise idée que ça…

Gunter – Quoi ?

Commissaire – Et si vous faisiez croire à vos patients qu’il s’agit d’un jeu de rôles ? Ce serait moins traumatisant pour eux, non ? D’un point de vue psychologique…

Gunter – Enfin… Je pense quand même que Louise se rendra compte à un moment donné que sa nièce est vraiment morte.

Commissaire – Pensez-vous… Dans l’état où elle est ! Dans un quart d’heure elle aura même oublié qu’elle avait une nièce… Enfin, c’est vous qui voyez. Mais c’est important, la psychologie, vous savez…

Adjoint – Voilà, commissaire, c’est fait.

Commissaire – Très bien. Et qu’est-ce que vous avez fait du corps ? Que je sache où vous l’avez fourré si je veux mettre la main dessus un peu plus tard ?

Adjoint – Je l’ai mise dans la chambre froide.

Commissaire – Ah, vous avez une chambre froide ? Très bien, c’est pratique. Nous aussi on a ça à l’institut médico-légal…

Barbara – Oui, enfin, nous c’est dans les cuisines…

Adjoint – Je me disais aussi… Pourquoi est-ce que qu’ils stockent autant de carcasses d’animaux dans une morgue ?

Commissaire – Bon, on essayera de faire l’autopsie avant que la victime soit complètement congelée, sinon il va falloir y aller au pic à glace…

Adjoint – Ou au micro-onde…

Commissaire – Et donc, vous ne savez pas du tout de comment elle a été assassinée ?

Barbara – Comment le saurions-nous, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi… Vous êtes médecins, vous avez l’habitude de tuer des gens, non ? Je blague…

Adjoint – Qui a bien pu faire ça ?

Commissaire (lui posant la main sur l’épaule) – Nous sommes ici pour le découvrir, Sanchez…

Adjoint – Vous avez un plan, Commissaire ?

Commissaire – Virez-moi tout ce petit monde d’ici, sauf la vioque. On va l’interroger tout de suite, et après elle pourra aller déjeuner. Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. Nous savons que les personnes âgées ont l’habitude de déjeuner tôt…

Barbara (à mi-voix) – On la nourrit par perfusion, Commissaire, nous avons dû lui enlever l’estomac la semaine dernière…

Commissaire – Eh bien comme, au moins, elle n’a plus de problème de digestion… Allez, tout le monde dehors, on vous appellera par votre numéro quand ce sera votre tour, comme aux ASSEDIC.

Gunter et Barbara sortent.

Commissaire – Sanchez, pendant que j’interroge Madame, vous allez me perquisitionner cette taule de la cave au grenier. Et vous mandatez quelqu’un d’ici comme médecin légiste pour procéder à l’autopsie. On ne va pas y passer les fêtes, non plus…

Adjoint – Bien Commissaire.

Sanchez sort.

Commissaire – Alors Mémé ? Vous ne voulez pas avouer tout de suite ? Ça soulagerait votre conscience, et moi je pourrais réveillonner ce soir en famille.

Louise – Je lui avais fait cadeau d’une écharpe en laine. C’est avec ça qu’elle s’est pendue ?

Commissaire – Ça ressemble plutôt à un empoisonnement, si j’en crois la couleur de la bave qui lui sort de la bouche… Vous avez mangé quelque chose ensemble, quand elle vous a rendu visite ?

Louise – On a mangé des langues de chat…

Commissaire – Apparemment, ça ne lui a pas réussi… Pauvres bêtes… Des chats noirs, je parie… Mais c’était quoi, un repas de Noël ou un rite satanique ?

Louise – Enfin ce n’était pas des vraies langues de chat… Elles venaient de chez Auchan. Et puis on a bu un peu de Champagne…

Commissaire – Eh ben, on ne se refuse rien ! Si vous croyez qu’avec ma retraite, moi, j’aurai de quoi me payer du Champagne…

Louise – Nous aussi, on a cotisé ! Et puis ce n’est pas Noël tous les jours… Et dans l’état où je suis, je ne suis même pas sûre de fêter le prochain…

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez… Moi, Noël, ça m’a toujours foutu un peu le bourdon… Déjà, quand j’étais petit…

Louise – Bon, ça va, vous n’allez pas me raconter votre enfance malheureuse, non plus…

Commissaire – Bien… Est-ce que vous diriez que vous aviez des relations conflictuelles avec votre nièce, chère Madame ?

Louise – Oh… Elle venait me voir dans l’espoir de toucher l’héritage, mais bon… Quand on n’a plus que quelques mois à vivre, et qu’on a quelques millions sur son compte, vous savez, ça devient difficile de croire aux visites désintéressées…

Commissaire – Ça pourrait expliquer qu’elle ait voulu abréger vos souffrances, mais pas l’inverse… Et vous l’avez effectivement couchée sur votre testament pour la remercier de son dévouement ?

Louise – Tu parles d’un dévouement…

Commissaire – Reconnaissez que d’aller voir des mourants à l’hosto, ce n’est quand même pas une partie de plaisir ! Sans parler des frais : fleurs, confiseries, magazines… Ça mérite bien une petite compensation, non ?

Louise – J’ai tout légué au Docteur Müller.

Commissaire – Et vous avez bien raison… Ce Docteur Müller m’a l’air d’être un Saint Homme…

Sanchez revient.

Adjoint – Commissaire, on vient d’identifier le véhicule de la victime. Une voiture noire de couleur grise, garée dans le parking de l’hôpital sur une place handicapé…

Commissaire – Et quelles conclusions en tirez-vous, Sanchez ?

Adjoint – Eh bien… La victime n’était pas handicapée…

Commissaire – Ça c’est l’autopsie qui nous le dira… À propos, vous avez mis quelqu’un là dessus.

Adjoint – Oui, Commissaire… Le Docteur Müller s’en occupe…

Sanchez reste là.

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – Je me disais que… On tenait peut-être le mobile du crime…

Commissaire – Quel mobile ?

Adjoint – Un handicapé qui aurait voulu se venger qu’on lui ait pris sa place de parking ?

Commissaire – Bravo Sanchez, nous ne manquerons pas d’exploiter cette piste. En attendant, vous me débarrassez de la vieille, et vous m’envoyez le témoin suivant…

Adjoint – Quel témoin, Commissaire ?

Commissaire – Je ne sais pas, moi ! Celui qui vous tombera sous la main… (Sanchez embarque Louise). Ces jeunes, il faut tout leur expliquer…

Le commissaire examine les lieux. Il ramasse par terre une fiole, et essaie vainement de lire l’étiquette. Sanchez revient avec Sœur Emmanuelle.

Commissaire – Qu’est-ce que vous lisez là dessus, Sanchez, je ne sais pas ce que j’ai fait de mes lunettes…

Adjoint – Poison, Commissaire… Vous pensez que cela pourrait avoir quelque chose à voir avec cette affaire d’empoisonnement ?

Commissaire – Franchement, ça m’étonnerait… Mais on va quand même envoyer ça au labo pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un produit toxique…

Adjoint – Bien Commissaire…

Sanchez prend la fiole et repart.

Commissaire – Alors, ma sœur, à nous… Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir religieuse. Une belle fille comme vous…

Emmanuelle – Je suis mariée avec Notre Seigneur… Je consacre ma vie à aider les autres…

Commissaire – Dans ce cas, nous faisons un peu le même métier.

Emmanuelle – Par d’autre voies, tout de même…

Commissaire – Les voies du Seigneur sont impénétrables… Auriez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel dans le coin, ces temps-ci…

Emmanuelle – Par exemple ?

Commissaire – Vous même, vous ne pratiqueriez pas la sorcellerie : messes noires, sacrifices humains, exorcismes ?

Emmanuelle – Non, Commissaire.

Commissaire – Une petite euthanasie de temps en temps, peut-être…?

Emmanuelle – C’est tout à fait contraire aux principes de ma religion, Commissaire.

Commissaire – Tiens donc ? Je l’ignorais. Il faudra que je relise le Coran, un de ces jours…

Emmanuelle – Et puis ce n’est pas un de nos patients en fin de vie qui est décédé, mais une jeune femme qui venait rendre visite à l’un d’entre eux…

Commissaire – On croit abréger les souffrances d’un mourant et on cueille une jeune vie dans la fleur de l’âge. Personne n’est à l’abri d’une erreur médicale…

Emmanuelle – Je suis infirmière diplômée…

Commissaire – Allons ma sœur… Ne me dites que ce n’est jamais arrivé ici qu’un patient vienne pour se faire enlever les hémorroïdes et reparte avec une jambe en moins…

Emmanuelle – Vous avez d’autres questions à me poser, Commissaire ? Mes malades ont besoin de moi…

Commissaire – Ce sera tout pour l’instant, mais je vous demanderais de rester à la disposition de la police jusqu’à nouvel ordre.

Emmanuelle – C’est à dire ?

Commissaire – On va essayer d’éviter le bracelet électronique pour l’instant, mais si vous aviez prévu un petit voyage dans un pays n’ayant pas d’accord d’extradition avec la France, comme Les Bahamas ou les Îles Caïman, je vous demanderais de le reporter…

Emmanuelle – J’avais juste prévu un pèlerinage à Lourdes pour le Nouvel An…

Commissaire – C’est dans l’espace Schengen ?

Emmanuelle – C’est en France, en tout cas…

Commissaire – Très bien, on vous fera un ausweis pour aller saluer Bernadette Soubirous…

Emmanuelle – Merci Commissaire.

Commissaire – Allez dans la paix du Seigneur, belle enfant.

Emmanuelle sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors, cette perquisition, qu’est-ce que ça donne, Sanchez ?

Adjoint – La routine, Commissaire… Un peu de marijuana, des armes de poing, du liquide sous les matelas… J’ai même trouvé de la morphine…

Commissaire – De la morphine… Où va-t-on ? Dans un hôpital, vous vous rendez compte ? Mais quand vous dites du liquide sous les matelas…?

Adjoint – Je parle de cash, Commissaire : Euros, Francs Suisse, Lires Italiennes… J’ai même trouvé quelques Pesetas…

Commissaire – Ah, les pesetas ! C’était le bon temps, n’est-ce pas, Sanchez ? La Costa Brava à un prix encore abordable, les gardes civils avec leurs drôles de tricornes, le Général Franco à la télé avec ses lunettes de soleil… Quel orateur, tout de même ! Ça ne nous rajeunit pas, Sanchez…

Adjoint – Mais ce qui m’inquiète, Commissaire, c’est plutôt ça…

Il sort et revient avec dans les bras une pile de boîtes.

Commissaire – Qu’est-ce que c’est que ça, Sanchez ? Vous croyez que c’est le moment de faire vos courses de Noël ? On a une enquête à résoudre, bon sang !

Adjoint – Des pâtes de fruits, Commissaire. Vingt-quatre boîtes exactement…

Commissaire – Je vois le topo… Et vous avez trouvé ça où ?

Adjoint – Sous le lit d’une patiente. La dénommée Berthe. Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas un pseudo… Plus personne ne s’appelle Berthe, de nos jours…

Commissaire – Je suis de votre avis, Sanchez… Là je crois qu’on tient une piste sérieuse. Vous m’envoyez ça au labo aussi… Ça ne risque pas d’exploser, au moins ?

Adjoint – En tout cas la plupart de ces produits ont dépassé la date limite de consommation.

Commissaire – Et cette Berthe, vous l’avez interrogée ?

Adjoint – Une vrai tête de mule, je n’ai rien pu en tirer… Je me suis dit que vous, vous sauriez davantage y faire… Tout le monde connaît vos qualités de psychologue lorsqu’il s’agit d’interroger les témoins les plus retors… Je vous l’ai amenée…

Commissaire – Vous avez bien fait, Sanchez… Introduisez Madame…

Sanchez sort un instant et revient avec Berthe.

Commissaire – Asseyez-vous là, Berthe, je vous en prie…

Sanchez repart. D’entrée, le commissaire flanque une baffe à Berthe.

Berthe – Mais ça ne va pas, non ?

Commissaire – Je préférais les bottins, mais de nos jours, avec internet, c’est devenu très difficile à trouver… Alors, vous allez parler ?

Berthe – Vous ne m’avez même pas encore posé de questions !

Commissaire – C’est ça… Et ces pâtes de fruits, bien sûr, vous allez me dire que c’était pour votre consommation personnelle ?

Berthe – Tout le monde s’entête à m’amener des pâtes de fruits, Commissaire… J’ai horreur de ça… Vous aimez ça vous, les pâtes de fruits…

Commissaire – Ma foi… (Il en prend une et la goûte) Oui, ce n’est pas si mauvais que ça…

Berthe – Ce que j’aime, moi, c’est les lingots… Ma mère m’en donnait quand j’étais petite. Vous aimez les lingots, Commissaire…

Commissaire – Les lingots ?

Fred, la fille de Berthe, arrive.

Fred – Ah, maman… Pardonnez-moi de faire irruption, Monsieur le Commissaire, mais il fallait que je vous parle… (Elle le prend à part et s’adresse à lui à mi-voix) Vous êtes parvenu à lui faire cracher le morceau ?

Commissaire – À propos de quoi, chère Madame…

Fred – Les lingots ! Elle vous a dit où elle les avait planqués, oui ou non ?

Commissaire – Pas encore, mais ça ne saurait tarder. Faites confiance à la police…

Fred – N’hésitez pas à employer des méthodes un peu… musclées. Je pensais que c’était ma sœur qui les avait trouvés, mais elle m’assure que non…

Commissaire – Vraiment ?

Fred – Je vous laisse faire votre travail… Vous me tenez au courant ?

Commissaire – Je n’y manquerais pas, chère Madame.

Fred sort.

Commissaire – Quelle cupidité, tout de même… S’entredéchirer comme ça en famille… Tout ça pour des chocolats…

Sanchez revient.

Adjoint – J’ai pris la liberté d’interroger moi-même quelques témoins, Commissaire, et toutes les déclarations concordent : on mange très mal dans cet établissement…

Berthe – Ah, oui, ça je vous le confirme ! C’est infect !

Adjoint – J’ai même trouvé de la viande avariée dans le frigo.

Commissaire – En plus de notre cadavre, vous voulez dire ? Je rigole…

Adjoint – J’y retourne et je vous préviens s’il y a du nouveau…

Commissaire – Bon, débarrassez-moi de cette sorcière, et amenez-moi la Poupée Barbie.

Adjoint – Barbara, l’infirmière ?

Commissaire – C’est ça…

Sanchez sort avec Berthe. Barbara arrive.

Commissaire – Ah, chère Madame… Asseyez-vous, je vous en prie…

Barbara – Vous pouvez m’appeler Barbara. (Barbara s’assied en face de lui en croisant les jambes, ce qui déstabilise évidemment son interlocuteur). Vous aviez une question à me poser, Commissaire ?

Commissaire – Euh… oui. Mais bizarrement, là tout de suite, ça ne me revient pas…

Barbara – J’ai tout mon temps…

Commissaire – Ah si, voilà… Avez-vous des raisons de soupçonner votre patron, le Docteur Müller, de se livrer sur ses patients à des essais médicaux prohibés ?

Barbara – Comme les médecins nazis, vous voulez dire ?

Commissaire – Il a un nom à consonance germanique… et il est médecin. Reconnaissez que c’est une hypothèse à ne pas négliger… Même si ça n’est qu’une hypothèse…

Barbara – Le Docteur Müller ? Je ne crois pas Commissaire. D’ailleurs Gunter est Suisse…

Commissaire – Il y avait aussi des nazis en Suisse… En Suisse Allemande, en tout cas…

Barbara – C’est une page de l’histoire que j’ignorais complètement, Commissaire…

Commissaire – Admettons… Mais le Docteur Müller pourrait aussi administrer à ses patients à leur insu du maïs transgénique pour voir s’ils développent des tumeurs ? On connaît bien les liens parfois incestueux que le corps médical entretient avec les laboratoires pharmaceutiques…

Barbara – Il est vrai que presque tous nos patients ont déjà des tumeurs… Mais cela ne cadre guère avec le personnage, Monsieur le Commissaire… Le Docteur Müller est un médecin tout à fait désintéressé. Vous avez entendu parler de sa fondation au profit des orphelins qui n’ont pas de parents ?

Commissaire – Oublions ça, chère amie… Il s’agissait d’un simple interrogatoire de routine et je ne vous retiendrai pas plus longtemps… (Barbara se lève et s’apprête à sortir) Ah Barbara, une dernière petite question…

Barbara – Oui Inspecteur Colombo…

Commissaire – Surtout après avoir mangé des plats épicés, comme du couscous ou du chorizo, j’ai de terribles démangeaisons… à un endroit que la bienséance m’empêche de nommer dans une pièce de théâtre… Vous sauriez de quoi il peut s’agir ?

Barbara – De votre postérieur, j’imagine…

Commissaire – Non, je veux dire, de quelle maladie… Vous pensez que c’est grave ?

Barbara – Simple petit problème d’hémorroïdes probablement… Je vais vous arranger un rendez-vous avec le Docteur Müller pour après les fêtes. En attendant, évitez les excès…

Commissaire – Merci, Barbara, je me sens déjà soulagé…

Barbara sort. Sanchez revient.

Commissaire – Alors Sanchez, que donnent vos investigations ?

Adjoint – Cet hôpital est un vrai foutoir, Commissaire : trafic de stupéfiants, paris clandestins, abus de faiblesse, blanchiment d’argent, call girls recrutées sur le net…

Commissaire – Et l’autopsie ?

Adjoint – De ce côté-là, on a pas mal avancé aussi. L’autopsie révèle que la victime avait absorbé des langues de chat en grande quantité.

Commissaire – Pas de pâtes de fruits, vous êtes sûr ?

Adjoint – Uniquement des langues de chat, dont la date limite de consommation était dépassée de plus d’une semaine… J’ai retrouvé l’emballage dans une poubelle.

Commissaire – Bravo Sanchez ! C’est sûrement la raison du décès… Les langues de chat pas fraîches, ça ne pardonne pas. Reste à savoir s’il s’agit d’un empoisonnement ou d’une simple intoxication accidentelle…

Adjoint – Il y a autre chose Commissaire…

Commissaire – Quoi encore ?

Adjoint – L’autopsie a révélé que la victime n’était pas vraiment morte avant l’autopsie…

Commissaire – Et alors ?

Adjoint – Ben… Le Docteur Müller a essayé de tout remettre à peu près en place…

Commissaire – La victime a été découverte dans une chambre mortuaire… C’est sûrement ça qui a induit les médecins en erreur. Comme quoi, Sanchez, il faut toujours se méfier des conclusions hâtives…

Adjoint – Une dernière chose, Commissaire… J’ai procédé à l’examen des ordinateurs…

Commissaire – Et ?

Adjoint – Bingo ! Je viens d’arrêter un type qui avait rendez-vous avec un membre du personnel de cet hôpital rencontré sur Internet…

Commissaire – Introduisez, Sanchez, introduisez…

Sanchez introduit Gunter et Emmanuelle.

Commissaire – Vous, Docteur Müller ? Et vous ma sœur ?

Gunter – Je peux tout vous expliquer Commissaire…

Commissaire – Confessez-vous à moi, Docteur…

Gunter – Je suis secrètement amoureux de Sœur Emmanuelle depuis son arrivée dans notre établissement. Lorsque j’ai appris par hasard qu’elle s’était inscrite sur un site de rencontre, j’ai pris un pseudo et je lui ai proposé un rendez-vous… Elle a accepté sans savoir qui j’étais… (Se tournant vers Emmanuelle) Emmanuelle, j’espère que vous n’êtes pas trop déçue…

Emmanuelle – Mais cela ne peut être qu’une machination du Diable, Commissaire ! Je ne fréquente pas de sites de rencontre, je vous l’assure !

Commissaire – Allons, ma sœur, inutile de jouer les vierges effarouchées… Vous savez, on a tous un jour où l’autre surfé sur ce genre de sites…

Sanchez arrive.

Adjoint – Je vous amène la victime, Commissaire… Croyez-moi, c’est une véritable résurrection… J’ai assisté moi-même à l’autopsie, il y avait des organes aux quatre coins de la pièce…

Commissaire (à Gunter) – Bravo ! Le Docteur Frankenstein n’aurait pas fait mieux…

Arrive Angela plus zombie que jamais, et la bave colorée au coin de la bouche.

Gunter – J’ai fait ce que j’ai pu, mais si vous voulez l’interroger, je vous conseille de ne pas trop traîner…

Commissaire – Vous avez raison… Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’interroger la victime d’un meurtre…

Angela (voix d’outre-tombe) – Allez tous brûler en enfer !

Emmanuelle sursaute.

Emmanuelle – C’est l’Antéchrist, et le Seigneur m’a désignée pour l’affronter. (Elle ouvre sa blouse sous laquelle elle a sa tenue fluo de gymnastique, et se met en position de karaté avant d’esquisser quelques mouvements d’intimidation). Vade retro Satanas !

Emmanuelle décoche un coup fatal à Angela. Sanchez se penche vers le corps.

Adjoint – Cette fois, je crois qu’elle est vraiment morte, Commissaire…

Emmanuelle – Les Forces du Bien ont triomphé des Forces du Mal… Maintenant, vous pouvez faire de moi ce que vous voudrez…

Commissaire – Ne me tentez ma sœur… Mais pour ce qui est du cadavre que vous venez d’assassiner, on en restera à la version officielle… On dira que la victime était déjà morte avant l’autopsie…

Adjoint – Nous ne sommes pas des monstres, tout de même. On ne va pas mettre en prison une religieuse.

Commissaire – Surtout une religieuse qui vient de rencontrer le grand amour grâce à internet…

Barbara arrive, furieuse, suivie de Thelma.

Thelma – Mais puisque je vous dis que Thelma, c’est moi !

Barbara (à Emmanuelle) – Salope. Je t’avais dit de ne pas t’approcher de Gunter !

Barbara se jette sur Emmanuelle et elles se crêpent le chignon.

Adjoint – Vous ne croyez pas qu’on devrait les séparer, Commissaire ?

Commissaire (fasciné) – Attendez encore un peu…

Berthe et Louise arrivent.

Thelma – Je parie sur la brune et vous ?

Berthe – Cinquante euros sur la blonde…

Fred, Jack et Sandy arrivent, en pleine rixe eux aussi.

Fred – Qu’est-ce que tu as fait des lingots, morue ?

Sandy – Attends, je vais t’étrangler, garce !

Jack – Ne vous inquiétez pas Commissaire, c’est juste un petit différend familial…

Jack se joint à la rixe.

Commissaire – Je crois que nous pouvons considérer cette affaire comme résolue, Sanchez. Nous représentons ici les forces de l’ordre, et je crois qu’on peut dire que l’ordre est rétabli.

Adjoint – Bravo Commissaire. Encore une enquête rondement menée. Beau travail…

Commissaire – Merci Sanchez. Vous réveillonnez en famille, ce soir ?

Adjoint – Hélas, Commissaire, je suis un orphelin de la police. Je n’ai plus de famille.

Commissaire – Vous ne savez pas la chance que vous avez, Sanchez…

Adjoint – Mon père est mort en service. Je peux vous l’avouer maintenant, il servait sous vos ordres, et il en était fier… C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à rejoindre votre unité, Commissaire.

Commissaire – Ce que vous me dites me bouleverse, Sanchez. Je vous considère comme un fils, vous le savez, et je ne vous laisserai pas tomber un jour comme celui-là.

Adjoint – Je savais que je pouvais compter sur vous, Commissaire…

Commissaire – Tenez, voici le Docteur Müller. Avec sa Fondation, financée par de généreux donateurs en fin de vie comme Berthe, il s’occupe des orphelins qui n’ont pas de parents, comme vous. Il a sûrement une solution pour que vous ne restiez pas seul un soir de réveillon. N’est-ce pas, Docteur ?

Adjoint – Merci Commissaire.

Commissaire – Je vous abandonne, Sanchez… On m’attend à la maison. Et c’est moi qui suis chargé de fourrer la dinde… Joyeux Noël à tous !

Le commissaire sort tandis que la moitié de ceux qui restent continuent à se battre, et les autres à les regarder. Sirènes d’ambulance et de police mêlées…

Noir. Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2013

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-42-0

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Diagnostic réservé

Critical but stable – Pronóstico Reservado –  Prognóstico reservado –  Prognosi Riservata –  OPATRNĚ S DIAGNÓZOU 

Comédie de Jean-Pierre Martinez

5 ou 6 personnages (hommes et/ou femmes)

Patrick est dans un coma profond suite à un accident de Velib. Ses proches depuis longtemps perdus de vue sont appelés à son chevet pour décider de son sort afin d’éviter tout acharnement thérapeutique. Mais cette décision collégiale est d’autant plus difficile à prendre que le patient s’avère ne pas être exactement celui qu’on croyait et qu’il est détenteur d’un secret qui pourrait rapporter gros…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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LE MOT DE L’AUTEUR SUR LA PIÈCE

Pour espérer faire la meilleure des comédies, il faut prendre pour sujet le pire des drames… Il y a un sujet de société qui revient régulièrement sur le tapis (ou en l’occurrence sur le billard), c’est celui de l’euthanasie. Je me suis donné comme défi, avec cette pièce, de faire rire en prenant comme point de départ un homme qui est dans un coma profond. À partir de là, bien sûr, il faut trouver le biais pour produire du comique avec une situation aussi tragique. Quand quelqu’un est dans le coma, ses proches sont consultés pour savoir s’il faut ou non maintenir le patient artificiellement en vie. Dans cette comédie, ce sont le frère et la soeur qui sont convoqués par le médecin. Mais ces proches supposés n’étaient en fait plus en relation avec cette victime collatérale depuis longtemps. Ils ne savent donc pas trop quoi décider. D’autant qu’ils s’en foutent un peu, et qu’ils ont d’autres soucis en tête. Par là-dessus arrive la présumée compagne du patient dans le coma et, par elle, on va en apprendre un peu plus sur les circonstances de l’accident qui a conduit le patient à l’hôpital. Ces éléments nouveaux, distillés au goutte à goutte, vont très cyniquement faire pencher les proches tantôt vers le maintien en vie du patient, tantôt vers la décision de précipiter sa fin. La vie est une farce. Et quand quelqu’un meurt ou qu’il est sur le point de mourir, il semble que cet événement cristallise tous les éléments de cette tragi-comédie, à travers l’hypocrisie sociale à laquelle nous sommes tous contraints de nous conformer en des moments aussi solennels. La société, en effet, nous oblige à respecter voire à sacraliser la mort. Le problème c’est que tous les vivants, à l’exception des papes, ne deviennent pas automatiquement des saints du simple fait de leur passage de vie à trépas. D’autant plus que quand les gens meurent, ils laissent souvent de l’argent derrière eux. Parfois aussi de l’argent sale… Cet aspect tragi-comique de la vie fait qu’il est parfois difficile de garder son sérieux devant la perspective de la mort. Les meilleurs fous rires sont ceux qu’on peut avoir à un enterrement. Ou encore au théâtre. J’espère avoir écrit une comédie à mourir de rire…


LIRE LE TEXTE INTÉGRAL

Diagnostic Réservé

6 personnages (masculins ou féminins) :

Alban(e) : le frère (ou la sœur) de Patrick
Louise : la sœur (ou le frère) de Patrick
Josiane : la compagne de Patrick
Docteur Mahler : le (ou la) médecin
Lajoie : l’infirmière (ou l’infirmier)
Sanchez : le commissaire

Une chambre d’hôpital. Sur un lit à roulettes repose le corps d’un patient en position inclinée, relié à un goutte à goutte ainsi qu’à de multiples appareillages électriques. Son visage est couvert d’un drap. Ce rôle n’étant que de figuration, le patient sera un mannequin. Le Docteur Mahler (homme ou femme) et Mademoiselle (ou éventuellement Monsieur) Lajoie, son infirmière (ou infirmier) entrent, tous deux en blouses blanches.

Mahler – Il fait une chaleur, dans ces hôpitaux. Ça donne envie d’ouvrir une clinique privée rien que pour avoir la clim.

Lajoie – Et après on s’étonne que les microbes prolifèrent.

Mahler – On nous rebat les oreilles avec le déficit de la Sécurité Sociale. Si on commençait déjà par arrêter le chauffage en été dans les hôpitaux publics, on réduirait déjà notre facture de fioul.

Lajoie – Et on ralentirait aussi la propagation des maladies nosocomiales, (prononcer Malheur) Docteur Mahler.

Mahler – D’ailleurs, je me demande si je ne couve pas un petit staphylocoque doré, moi. À moins qu’il ne s’agisse d’une maladie tropicale. En tout cas vous, Mademoiselle Lajoie, vous avez une mine resplendissante.

Lajoie – Merci Docteur. C’est la carotène. Je ne suis pas trop orange au moins ?

Mahler – Mais non, mon lapin. Alors, qu’est-ce qu’on a aujourd’hui ?

Elle lui tend un dossier médical.

Lajoie – Patrick Mariani, quarante ans. Le patient est dans un coma profond suite à un accident de Velib.

Le médecin jette un regard au dossier.

Mahler – Le port du casque, en vélo, ça devrait être obligatoire.

Lajoie – Dans le cas présent, la victime portait bien un casque. Malheureusement, cela n’a pas suffit. Il a percuté un bus de plein fouet.

L’infirmière relève le drap et on découvre que la tête du patient est couverte d’un casque intégral.

Mahler – Mais ici, il ne risque plus rien, à part tomber de son lit. Pourquoi ne lui a-t-on pas retiré son casque ?

Lajoie – C’est tellement en vrac là-dedans… On n’a pas osé lui enlever de crainte que le cerveau ne se répande sur l’oreiller.

Mahler – J’en conclus qu’il y a peu de chance pour qu’il se réveille prochainement…

Lajoie – Arrêt respiratoire ayant probablement entraîné un manque d’oxygénation du cerveau.

Le médecin regarde à nouveau le dossier.

Mahler – Je vois… Encéphalogramme plat. Mort cérébrale apparente. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux abréger ses souffrances tout de suite ?

Lajoie – C’est vrai que ça libérerait un lit, mais…

Mahler – Vous avez raison, il vaudrait mieux consulter les proches avant. La famille a été prévenue ?

Lajoie – Oui, ils ne devraient pas tarder.

Mahler – Parfait.

Lajoie – Pas d’autres recommandations au sujet de ce patient, Docteur ?

Mahler – Laissez-moi réfléchir… Veillez à laisser la visière du casque bien fermée pour éviter que les mouches ne puissent entrer à l’intérieur.

Lajoie – Vous êtes impayable, Docteur Mahler…

Mahler – Impayable, c’est le mot ! C’est pourquoi je vais bientôt opter pour la médecine à deux vitesses, ma chère. Le public n’a plus les moyens de rémunérer mon talent à sa juste valeur… Ça vous dirait de me suivre dans ma nouvelle clinique, si j’avais besoin d’une bonne infirmière en chef ?

Lajoie – Je vous suivrais jusqu’au bout du monde, Docteur Mahler… Même dans un dispensaire gratuit au fin fond de l’Afrique. Alors pourquoi pas dans une clinique bien climatisée à Neuilly ?

Mahler – Je sens que nous allons faire de grandes choses ensemble, Mademoiselle Lajoie… Il ne me reste plus qu’à trouver quelques généreux donateurs pour rassembler les fonds nécessaires à la réalisation de mon projet !

Lajoie – J’ai peut-être une idée à ce sujet…

Mahler – Vraiment ? Vous êtes merveilleuse, Mademoiselle Lajoie.

Elle replace le drap sur le casque intégral.

Mahler – Mais pourquoi est-ce que vous lui couvrez la tête avec ce drap ? Tout à l’heure, j’ai cru qu’il était déjà mort…

Lajoie – Parfois, il ouvre les yeux. Ça doit être nerveux. C’est pour le protéger de la lumière…

Mahler – C’est vrai que ces néons, c’est très agressif… Dans notre clinique, je ferai installer une lumière d’ambiance. C’est beaucoup plus agréable.

Lajoie – Surtout pour ces pauvres gens en fin de vie.

Mahler – Rassurez-vous, ma clinique n’accueillera que des patients solvables et en parfaite santé. Je pense plutôt me recycler dans la chirurgie esthétique…

Lajoie – Les gens riches aussi ont le droit qu’on s’occupe un peu de leurs petits défauts… Moi même, je sais bien que je ne suis pas tout à fait parfaite. Qu’est-ce que vous pensez de ma poitrine, Docteur ?

Ils commencent à partir.

Mahler – Le plus grand bien, Mademoiselle Lajoie. Le plus grand bien. Mais si vous le souhaitez, je regarderai cela de plus près tout à l’heure, n’est-ce pas ? Patient suivant ?

Lajoie – Un SDF que le Samu Social a retrouvé dans la rue cette nuit en coma éthylique. Lui non plus, il n’y a guère de chances pour qu’il se réveille maintenant.

Mahler – Avec la chaleur qu’il fait ici, il ne faudrait pas le garder trop longtemps, sinon ça ne va pas tarder à sentir… Il ne reste pas une petite place dans le congélateur à la cuisine ? Au moins, lui, il serait au frais…

Lajoie – Vous allez me faire mourir de rire, Docteur ! Avec vous, au moins, on ne s’ennuie pas…

Mahler – Avec le métier qu’on fait, il faut bien rigoler un peu…

Ils quittent la chambre.

Aussitôt après, Alban (ou éventuellement Albane selon les besoins de la distribution), un homme (ou une femme) au look bobo, entre dans la pièce, téléphone portable vissé sur l’oreille.

Alban – Écoute, je ne sais pas du tout. Je viens juste d’arriver à l’hôpital, mais je me suis trompé de chambre. Je suis tombé sur un pauvre type en hypothermie qui ne sentait pas très bon. Mais là ça y est, je suis devant lui…

Il aperçoit le patient sur son lit.

Alban – Et il n’a pas l’air d’aller très bien non plus, dis donc… Il y a des fils et des tuyaux partout… On dirait un transformateur électrique. Remarque, je ne suis encore complètement sûr que c’est lui. Il y a un drap qui recouvre son visage… Oui, tu as raison, souvent ce n’est pas très bon signe… Enfin, le médecin ne va pas tarder à passer, j’en saurai un peu plus…

Louise, look bcbg, arrive à son tour.

Alban – Excuse-moi, je vais devoir te laisser. Ma sœur vient d’arriver. D’accord, je t’appelle quand j’ai du nouveau, mais ne m’attends pas pour déjeuner… Moi aussi, je t’embrasse…

Il range son portable et fait la bise à sa sœur.

Louise – Bonjour Alban.

Alban – Bonjour Louise.

Elle aperçoit le patient sur son lit recouvert d’un drap.

Louise – Oh mon Dieu ! Ne me dis pas que j’arrive trop tard… Il est mort ?

Alban – Je pense que s’il était mort, ils auraient débranché tout ça.

Louise – Tu es sûr que c’est lui, au moins ? J’ai commencé par me tromper de chambre…

Alban – Ah toi aussi ? Il faut dire qu’entre la chambre 13 et la 13 bis…

Louise – Espérons que ça lui portera chance quand même…

Alban – Quoi ?

Louise – Le numéro 13 !

Il regarde la feuille de soin accroché au pied du lit.

Alban – Patrick Mariani. Oui, c’est bien ça.

Louise – On pourrait peut-être lui enlever ce drap qu’il a sur la tête, non ?

Alban – C’est vrai que ça ressemble un peu à un suaire, mais bon… Je ne sais pas si…

Louise – Tu as raison. Il vaut mieux ne toucher à rien avant que la police arrive.

Alban – Tu veux dire le médecin…

Louise – Je l’ai croisé dans le couloir, il m’a dit qu’il venait tout de suite.

Alban – Quelle histoire… Ça fait tellement longtemps que je n’avais pas de ses nouvelles… Le retrouver aujourd’hui comme ça… Dans cet état… Et toi, ça va ?

Louise – Oui, oui, ça peut aller…

Silence embarrassé.

Alban – Tu habites toujours à Fontenay-sous-Bois ?

Louise – Je n’ai jamais habité à Fontenay-sous-Bois.

Alban – Sans blague ?

Louise – C’est Fontenay-aux-Roses

Alban – Ah oui, bien sûr…

Nouveau silence embarrassé.

Louise – Et toi, toujours dans la publicité ?

Alban – Je suis dans la finance.

Louise – Ah oui, c’est vrai…

Alban – Et Patrick, tu avais de ses nouvelles ?

Louise – Pas plus que toi… La dernière fois que je l’ai vu, c’est à l’enterrement de papa. Auquel tu n’es pas venu, si ma mémoire est bonne.

Alban – Un empêchement de dernière minute. Mais il faut bien reconnaître que dans la famille… on n’a jamais trop eu le sens de la famille.

Louise – C’est terrible… Décidément. Il n’aura jamais eu de chance.

Alban – Non… Pauvre Patrick… Déjà avec son prénom…

Louise – Quoi ?

Alban – Tu n’as jamais trouvé ça curieux qu’il s’appelle Patrick ?

Louise – Plein de gens s’appellent Patrick.

Alban – Pas des gens de notre milieu. Et pas des gens de son âge.

Louise – C’est vrai… Et à ma connaissance, on n’a aucun grand-père ou aucun oncle qui s’appelle Patrick.

Alban – Je ne sais pas… Il a peut-être été adopté…

Louise – Remarque, ça expliquerait pas mal de choses…

Alban – C’est vrai que ça a toujours été le vilain petit canard…

Louise – Oui… On ne peut pas dire qu’il nous ressemble beaucoup.

Alban – Il a un petit côté asiatique, non ?

Louise – Asiatique, tu crois ?

Alban – Non mais léger, hein.

Louise – Tu crois qu’il aurait été adopté, et qu’on lui aurait laissé son prénom d’origine ?

Alban – En même temps, des Chinois qui s’appellent Patrick…

Louise – Ah oui…

Un temps.

Alban – L’avantage, si finalement on n’était pas vraiment de la même famille, c’est que s’il avait besoin d’un rein, on ne serait pas compatible…

Louise – Oui…

Alban – Ah, tiens… Voilà le médecin, justement… (En aparté) Et vu son nom à lui, ça m’étonnerait qu’il soit porteur de bonnes nouvelles…

Le médecin et l’infirmière entrent avec une mine de circonstances.

Mahler (prononcé Malheur) – Docteur Mahler. Et voici mon infirmière, Mademoiselle Lajoie.

Louise – Bonjour Docteur.

Alban – Mademoiselle…

Louise – Nous sommes venus dès que l’hôpital nous a prévenus.

Mahler – Vous êtes ses frère et sœur, je crois ?

Alban – Oui, enfin…

Mahler – Je suis vraiment désolé pour votre frère.

Louise – Alors c’est si grave que ça ?

Mahler – Je ne vous cacherai pas que son état est extrêmement préoccupant, et que le pronostic vital est engagé.

Louise – Vous pensez qu’il y a encore un espoir ?

Mahler – Monsieur Mariani a subi un traumatisme très violent à la tête. Hélas, la boîte crânienne est gravement endommagée. Il se trouve actuellement plongé dans un coma profond, et il est maintenu en vie artificiellement. Nous allons poursuivre les examens, mais il est à craindre qu’il soit d’ores et déjà en état de mort cérébral.

Alban – C’est un légume, quoi…

Mahler – J’ai fait 14 années d’études supérieures. Je me devais de développer un peu en employant ce jargon médical pour justifier mon salaire astronomique. Mais oui, on peut résumer ça comme ça.

Louise – Donc il n’y a aucune chance qu’il sorte un jour du coma ?

Mahler prend la radio que Lajoie vient de sortir d’un dossier, et leur montre.

Mahler – Voici une radio du crâne de Monsieur Mariani. Comme vous pouvez le constater, les lésions sont nombreuses et les fractures multiples.

Alban et Louise font mine de regarder et d’y comprendre quelque chose.

Louise – Ah oui, en effet, ce n’est pas beau à voir.

Alban – Pourtant, le crâne a l’air en bon état… La courbe est parfaite…

Mahler – Non, ça ce n’est pas le crâne. C’est son casque.

Louise – Son casque ?

Lajoie – La boîte crânienne est tellement endommagée que nous avons préféré lui laisser son casque pour l’instant afin de maintenir le cerveau en place.

Mahler – Enfin ce qu’il en reste…

Alban – Vous voulez dire que sans ça…

Mahler – Imaginez un tas de spaghettis contenu dans une passoire fêlée, le tout contenu dans un casserole. Disons que nous avons jugé plus prudent de laisser la casserole sous la passoire pour éviter que les spaghettis ne se répandent dans l’évier.

Alban – Ah oui, je comprends beaucoup mieux comme ça…

Mahler range ses radios.

Mahler – Je suis vraiment désolé de vous demander ça aussi brutalement, mais… À votre connaissance, Monsieur Mariani avait-il émis des souhaits particuliers pour ce qui est de la marche à suivre dans l’hypothèse où, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, il en viendrait à être maintenu artificiellement en vie ?

Louise – Je ne sais pas… Nous n’avions jamais eu l’occasion d’aborder ce sujet ensemble… Il faut dire qu’on ne se voyait pas très souvent… (À Alban) Il t’en avait parlé à toi ?

Alban – Non… La dernière fois que je l’ai vu, c’était à ton mariage. J’imagine que les circonstances n’étaient pas très favorables pour aborder ce genre de sujet. Encore que… Au moment de la danse des canards, qui peut affirmer sans mentir n’avoir jamais songé au suicide assisté…

Mahler – Je ne vous presse pas, bien sûr. Mais il faudra que vous y pensiez pour ce qui est de votre frère.

Lajoie – Et le cas échéant, il y aura aussi un choix à faire en ce qui concerne un éventuel don d’organe.

Alban – Un don d’organe ? Ah non, mais… Il faut vous préciser, Docteur… Nous avons de bonnes raisons de supposer que Patrick n’est que notre frère adoptif… Nous ne sommes donc probablement pas compatibles pour un don d’organe…

Lajoie – Je crois que le Docteur Mahler pensait plutôt au fait de donner les organes de Patrick…

Alban – Les organes de… Bien sûr… C’est évident… Et personnellement, j’y suis tout à fait favorable. Si cela peut sauver une vie…

Mahler – Quoi qu’il en soit, évidemment, il faudra aussi prendre l’avis de Madame Mariani. Elle vient de nous appeler, et elle ne devrait pas tarder à arriver.

Louise – Madame Mariani…

Lajoie – Son épouse. Votre belle-sœur.

Alban – Bien sûr…

Mahler – Je vous laisse avec votre frère… Vous pouvez lui parler, évidemment, mais je ne peux pas vous garantir qu’il soit en mesure de vous entendre…

Alban – Merci Docteur.

Mahler – Je reste à votre entière disposition… Et en cas de besoin, vous pouvez aussi sonner. Une infirmière viendra… Ou le cas échéant un prêtre…

Le médecin et l’infirmière sortent. Alban et Louise jettent un regard vers le patient.

Louise – Tu savais qu’il était marié ?

Alban – Non…

Louise – Il aurait au moins pu nous envoyer un faire-part. Je ne sais pas si je serai allée à son mariage, mais bon… Ça se fait, non ?

Alban – C’est curieux, je ne l’imagine pas marié.

Louise – Ouais… Je serai curieux de savoir à quoi ressemble sa femme…

Alban – D’après ce que dit le médecin, on ne devrait pas tarder à le savoir…

Justement Josiane, l’épouse présumée de Patrick, arrive. Le personnage peut être incarné par une femme au look et à l’attitude peu féminine, ou encore par un homme travesti en femme.

Josiane – Oh mon Dieu ! Patrick !

Alban et Louise échangent un regard intrigué.

Josiane – Ne me dites pas que j’arrive trop tard ?

Alban – Rassurez-vous, il est encore en vie. Enfin si on peut dire…

Josiane – Josiane. Je suis la compagne de Patrick. Mais qui êtes-vous ?

Alban – Je suis son frère…

Louise – Et moi sa sœur…

Josiane – C’est curieux… Il ne m’avait jamais parlé de vous…

Alban – Il ne nous avait pas dit non plus qu’il était marié…

Josiane – C’était un garçon très discret. Enfin, je veux dire… C’est toujours un garçon très discret.

Alban – C’est sûr que dans l’état où il est, pour la discrétion.

Josiane – Le médecin vous a dit s’il y avait encore un espoir ?

Louise – Il ne nous a guère rassuré, à vrai dire… Croyez bien que nous sommes aussi désolés que vous… Vous aviez des enfants ?

Josiane – Pas encore, hélas… J’aurais au moins pu garder un souvenir de lui…

Louise – Bien sûr.

Josiane – Mais ils vont essayer de le soigner, quand même ?

Alban – Je crois qu’ils nous ont surtout fait venir pour savoir si on était d’accord pour abréger ses souffrances…

Josiane – Abréger ses souffrances ?

Louise – Patrick est malheureusement plongé dans un coma profond suite à son accident.

Josiane – Son accident ? Mais qu’est-ce qui s’est passé, au juste ?

Alban – C’est vrai, ça… Qu’est-ce qui lui est arrivé, au fait ?

Louise – On a oublié de demander…

Alban – Un accident de la route, peut-être.

Josiane – Patrick n’avait pas son permis.

Alban – Quoi qu’il en soit, j’ai l’impression que le Docteur Mahler n’attend plus que notre feu vert pour le débrancher…

Josiane – Le débrancher ? On dirait que vous parlez d’un grille-pain. C’est votre frère, tout de même…

Louise – Pour tout vous dire, cela fait des années qu’on ne se voyait plus…

Alban – Je me demande même pourquoi on nous a fait venir.

Louise – Certes, nous sommes sa seule famille à part vous, mais prendre une décision pareille…

Alban – Moi je ne suis pas croyant, alors l’euthanasie, je n’ai rien contre. C’est le mot qui n’est pas très vendeur. Surtout la deuxième moitié.

Josiane – La deuxième moitié ?

Alban – Nazi !

Louise – C’est vrai que les Allemands ne nous ont pas laissé un bon souvenir de l’euthanasie…

Alban – Ce qui nuit beaucoup à l’image de cette pratique pourtant bien utile dans des cas comme celui-ci.

Louise – Il vaudrait peut-être mieux que ce soit vous qui preniez la décision. C’est vrai, vous le connaissiez mieux que nous, au fond…

Josiane se met à sangloter de façon assez peu convaincante.

Josiane – Non, je ne suis pas prête à… le débrancher comme vous dites… Pas pour l’instant en tout cas…

Louise – Nous respectons tout à fait votre décision, croyez-le. N’est-ce pas Alban ?

Alban – Évidemment… (Il jette un regard à sa montre) D’ailleurs, je ne vais pas tarder à vous laisser… Puisqu’on ne peut rien faire pour l’instant…

Louise – Moi aussi… J’ai un dîner ce soir et…

Alban – Je ne pense pas que dans l’état où il est, de toute façon, notre présence fasse une grande différence…

Josiane – Je vais rester auprès de lui, si vous le permettez…

Louise – Mais bien sûr… Vous êtes sa femme après tout…

Alban et Louise s’apprêtent à décamper mais l’infirmière revient.

Lajoie – Ah, vous devez être Madame Mariani, je présume…

Josiane – Oui… Vous pouvez me donner quelques précisions sur l’état dans lequel se trouve Patrick ?

Lajoie – Nous attendons les derniers résultats d’analyses, mais je ne vous cacherais pas que nous ne sommes pas très optimistes.

Josiane – Son état empire ?

Lajoie – Non, on ne peut vraiment pas dire ça. Disons que son état est stationnaire.

Josiane – Dans ce cas, il y a peut-être encore un espoir.

Lajoie – Malheureusement, chère Madame, stationnaire dans le cas présent ne signifie rien de bon.

Alban – L’état d’un légume aussi peut être stationnaire.

Lajoie – Monsieur Mariani se trouve en effet dans un état végétatif. Et il y a hélas peu de chances pour qu’il en sorte un jour.

Josiane – Vous êtes sûre ?

Lajoie – Malheureusement, je crois qu’il faudrait aussi que vous envisagiez ce qui vous paraît le mieux pour lui.

Louise – Vous croyez qu’il souffre ?

Lajoie – C’est difficile à dire, mais… vous conviendrez que survivre dans ces conditions… ce n’est pas une vie.

Louise – Madame a raison, Josiane. Je comprends votre douleur, mais on ne peut pas le laisser comme ça…

Lajoie – Il y a un moment où il faut faire son deuil. Le départ d’un être cher, c’est une épreuve que le Seigneur nous envoie, bien sûr. Mais quand le moment est venu, autant ne pas retarder l’échéance et affronter les choses en face. Il y a des tas de paperasses à remplir. Et puis il y a la succession, évidemment. Mieux vaut ne pas laisser traîner tout ça inutilement.

Alban – La succession ?

Louise – C’est vrai, la succession, on avait oublié ça…

Alban – Et les héritiers, c’est qui ?

Lajoie – Eh bien au premier chef… (À Josiane) C’est vous sa femme, non ?

Josiane – Oui, enfin…

Lajoie – Si votre mari venait à décéder, c’est vous qui hériterez, bien sûr… D’ailleurs, en tant qu’épouse du patient, j’aurais quelques papiers à vous faire signer dès maintenant…

Josiane – C’est à dire que… En fait, on n’était pas encore mariés…

Lajoie – Ah… Et vous n’aviez pas d’enfants non plus ?

Josiane – Non…

Lajoie – Dans ce cas, ce sont ses frère et sœur qui hériteront… Mais je me doute que ce n’est pas votre principal souci en ce moment…

Alban (rêveur) – Non, bien sûr…

Lajoie – Je vous laisse réfléchir à tout ça en famille…

L’infirmière s’en va.

Josiane – Je crois que j’ai besoin de me rafraîchir un peu…

Josiane sort vers la salle de bain.

Alban – Alors ce serait nous, les héritiers…

Louise – On était sa seule famille, alors s’il n’est pas marié…

Alban – C’est dingue…

Louise – Oui…

Alban – Tu crois qu’il avait beaucoup de fric ?

Louise – Ça m’étonnerait, mais bon… Va savoir… On ne l’avait pas vu depuis des années…

Alban – Je ne sais même pas ce qu’il faisait comme métier, Patrick.

Louise – Je ne sais pas pourquoi, mais je l’imagine plutôt au chômage, pas toi ?

Alban – Si… Et même en fin de droit, non ?

Louise – Certainement pas redevable de l’ISF, en tout cas.

Alban – Il faudrait demander à sa femme… Enfin à Josiane… Elle doit bien savoir, elle…

Josiane revient.

Louise – Ça va mieux ?

Josiane semble chercher quelque chose. 

Josiane – Ça va… Vous savez où ils ont rangé ses affaires ?

Louise – Ses affaires ?

Josiane – Il n’avait pas une valise, en arrivant ici ?

Alban – S’il a été hospitalisé à la suite d’un accident, je ne pense pas qu’il ait eu le temps de faire sa valise…

Louise – Comme dans le cas d’un accouchement…

Alban – Pourquoi voulez-vous savoir s’il a une valise ? Je ne crois pas qu’il en ait beaucoup besoin en ce moment…

Josiane – Non, bien sûr… Excusez-moi, c’est les nerfs…

Alban – Et sinon… vous qui viviez avec lui, vous pourriez nous donner un peu de ses nouvelles ? Je veux dire, comme on ne l’avait pas vu depuis très longtemps…

Louise – Oui, comment ça marchait pour lui ?

Josiane – Comment ça marchait ?

Louise – Les affaires… Il avait un métier ?

Josiane (ailleurs) – Un métier ? Patrick ?

Alban – Je me disais aussi…

Josiane semble préoccupée par autre chose.

Josiane – Je vais quand même demander à l’infirmière s’ils ont rangé sa valise quelque part…

Elle sort.

Alban – Elle a l’air passablement perturbée, non ?

Louise – On le serait à moins.

Alban – En tout cas, apparemment, il n’avait pas fait fortune… Alors question succession…

Louise – Il n’a peut-être pas fait fortune… mais il y a trois ans, quand notre mère est morte, il a quand même touché sa part de l’héritage de nos parents.

Alban – Merde, c’est vrai, tu as raison…

Louise – Ça nous permettrait de récupérer ça… Je veux dire, c’est normal que ça nous revienne. Après tout, pourquoi est-ce que ça sortirait de la famille ?

Alban – Surtout que Patrick n’était peut-être même pas vraiment de la famille. Si nos parents l’ont adopté en Chine. Ou même dans le Treizième arrondissement.

Louise – Je t’avoue que moi, en ce moment, ça m’arrangerait assez, une petite rentrée d’argent. On vient d’acheter une maison en Provence, juste à côté de celles de Charles Aznavour…

Alban – Non ? Ah oui, c’est très beau la Provence.

Louise – Le problème c’est qu’il y a pas mal de travaux avant que ça ressemble à la maison de Charles Aznavour, tu vois. Pour l’instant, ça ressemblerait plutôt à un moulin en ruines…

Alban – C’est sûr que là, il est comme un légume…

Louise – Ce serait un geste de compassion, en somme.

Ils restent pensifs un instant.

Alban – Et s’il avait déjà tout claqué ?

Louise – Tu crois ?

Alban – C’est Patrick, quand même…

Josiane revient.

Josiane – Non, apparemment, il n’avait pas de valise…

Louise – Mais sinon, ça allait ? Il n’avait de problèmes financiers au moins ?

Josiane – Des problèmes financiers ?

Alban – Je crois qu’il avait récemment touché un petit héritage. J’espère qu’il l’a géré en bon père de famille…

Josiane – En père de famille ? Je vous ai dit qu’on n’avait pas d’enfants.

Louise – Ah oui, c’est vrai…

L’infirmière revient.

Lajoie – Alors ? Vous avez pu débattre en famille de ce qui serait le mieux pour la fin de vie de l’être aimé ?

Alban – C’est à dire que…

Louise – Nous n’avons pas encore pris notre décision.

Alban – Et nous ne sommes pas forcément tous d’accord…

Louise – Madame n’est pas encore tout à fait prête à ce que…

Josiane semble toujours chercher quelque chose.

Josiane – Donc, il n’avait pas de valise en arrivant ici, nous sommes bien d’accord ?

Elle regarde même sous le lit.

Lajoie – Ceci dit, si Monsieur Mariani n’était pas marié, c’est à ses frère et sœur qu’il revient de décider de ce qui est le mieux pour lui.

Alban – En fait… nous aimerions avoir encore quelques informations supplémentaires.

Lajoie – Vous voulez dire… sur son état médical, j’imagine. Et bien comme je vous le disais tout à l’heure…

Alban – Nous pensions aussi à l’aspect financier.

Lajoie – Ne vous inquiétez pas pour ça. L’euthanasie n’est pas encore remboursée par la Sécurité Sociale, mais nous considérerons cet acte médical comme un geste de charité chrétienne entièrement désintéressé. Maintenant, si vous tenez absolument à faire un don, le Docteur Mahler a le projet de créer une fondation à Neuilly pour…

Louise – Nous pensions plutôt à l’aspect successoral…

Lajoie – La succession, je vois… Et c’est bien normal.

Alban – Vous savez si Monsieur Mariani était à l’aise financièrement ?

Lajoie – En tout cas, il était suffisamment à l’aise pour se payer un abonnement Velib… Mais il faudrait plutôt demander cela à sa dernière compagne…

Josiane a la tête ailleurs, mais réagit en entendant qu’on parle d’elle.

Josiane – Pardon ?

Lajoie – Maintenant, il faut que vous sachiez qu’en acceptant l’héritage de votre frère, vous acceptez aussi de prendre en charge ses dettes éventuelles. Notamment ses frais d’hospitalisation…

Louise – Sans blague ?

Alban et Louise considèrent un instant le malade et tout le dispositif médical qui l’entoure.

Alban – Ça doit coûter un max ces soins intensifs, non ?

Lajoie – Ah oui, une fortune. En principe, c’est assez bien remboursé. Mais quand on n’a pas une bonne mutuelle…

Louise – Et Patrick, il a une bonne mutuelle ?

Lajoie – Il faudra que je vois cela avec la comptabilité… Mais en cas de doute, vous pouvez toujours refuser l’héritage, et vous désister au profit de la fondation du Docteur Mahler…

Alban – Ah, oui, évidemment…

Lajoie – En tout cas, pour ce qui est de son maintien en vie, je vous conseille quand même de bien peser le pour et le contre… Car bien sûr s’il restait des années dans le coma, ça ne fera qu’augmenter la facture…

Louise – Dans ce cas, il faudrait peut-être songer à abréger rapidement ses souffrances. Qu’est-ce que tu en penses, Alban ?

Lajoie – Je vous laisse réfléchir encore un peu…

Elle sort.

Louise (à Josiane) – Qu’est-ce que vous en pensez, vous ?

Josiane – Il y a encore une petite chance qu’il sorte du coma, non ?

Alban – Après tout, si on refuse l’héritage, qu’il reste en vie ou pas…

Louise – Oui, on ne va peut-être pas précipiter sa fin. Ce n’est pas très chrétien…

Alban – Il faudra que je demande à mon avocat, mais même si on refuse l’héritage, je me demande si les frais d’hospitalisation ne restent pas à la charge de la famille. Ils appellent ça le devoir d’assistance.

Louise – Le devoir d’assistance ? Mais on le connaît à peine, Patrick !

Il s’approche du patient.

Alban – Vous croyez qu’il nous entend ?

Josiane – Allez savoir…

Louise – Et pour ce qui est de donner ses organes, qu’est-ce que vous en pensez ?

Alban – Donner ses organes ?

Louise – Quoi ? Tu veux les vendre ?

Alban – Je ne sais pas… On pourrait en tirer combien ?

Louise – Ça pourrait peut-être rembourser les frais d’hospitalisation… Je déconne. C’est les nerfs.

Alban – Tu es sûre qu’il ne nous entend pas ?

Louise (à Josiane) – Vous savez quelle position il avait en ce qui concerne les dons d’organes ?

Josiane – Non…

Moment de flottement.

Louise (à Josiane) – Et ça vous dirait d’épouser Patrick, avant qu’on le débranche ?

Alban – Et avant qu’on lui retire ses organes, bien sûr.

Louise – Comme ça vous pourriez porter son nom. Ça vous ferait un souvenir.

Alban – À défaut d’enfants.

Louise – Oui, je pense qu’il ne serait pas raisonnable d’aller jusqu’à l’insémination post mortem.

Alban – Maintenant, je ne sais pas si on peut épouser quelqu’un dans le coma… Il faudrait aussi que je pose la question à mon avocat…

Josiane – C’est ça, oui… Je vous vois venir avec vos gros sabots… Tout à l’heure, je ne faisais pas partie de la famille. Et maintenant vous voulez que je l’épouse pour que ce soit moi qui règle la facture de l’hosto…

Louise – Il ne faut pas voir les choses comme ça, voyons…

Le Docteur Mahler arrive.

Mahler – Alors ? Tout va bien, ici ? Enfin je veux dire… Compte tenu des circonstances. On vous a proposé un café ? Une viennoiserie ?

Louise – Ah Docteur ! Justement, nous aurions bien besoin de vos conseils…

Mahler – Mais je vous en prie. Nous sommes là pour vous aider.

Alban – C’est au sujet de la mutuelle de Patrick.

Mahler – Hélas, votre frère n’avait pas de mutuelle. Et sans vouloir vous affoler, il n’était plus couvert non plus par la Sécurité Sociale depuis plus de six mois. Mais je ne voudrais pas vous inquiéter avec ça pour l’instant…

Louise – Je vous rassure, nous sommes déjà passablement inquiets…

Mahler – Je comprends… Voir son frère… ou son compagnon dans un état pareil… C’est très difficile à vivre, je le sais.

Josiane – Mais vous pensez qu’il y a encore une chance pour qu’il puisse reparler un jour ?

Mahler – Reparler ? Mon Dieu… Un miracle est toujours possible. Mais pour les miracles, je le crains, il faudra vous adresser plus haut. Les miracles, c’est moins sûr que l’euthanasie, mais contrairement aux soins intensifs, c’est pris en charge à cent pour cent par l’Église…

Louise – Merci pour ces paroles réconfortantes, Docteur…

Mahler – Ah j’oubliais, un policier vient de se présenter à l’accueil.

Josiane – Un policier ?

Mahler – Je lui ai dit que le patient n’était pas en état de répondre à ses questions, mais il souhaiterait entendre les proches. Je lui ai dit de monter… En tout cas, si vous changez d’avis pour le café et les viennoiseries, n’hésitez pas à sonner le room service…

Le médecin s’en va.

Alban – Un policier ? Pourquoi un policier ?

Louise – Ils font peut-être une enquête pour établir les circonstances exactes de l’accident, c’est normal…

Alban – C’est vrai. On ne sait toujours pas comment c’est arrivé, cet accident.

Louise – L’infirmière a parlé d’un abonnement Velib…

Alban – Alors vous non plus, vous savez comment ça s’est passé ?

Josiane – C’est à dire que… Enfin non, pas exactement.

Louise – Ce policier nous en dira sûrement plus.

Alban (voyant le malaise de Josiane) – Vous n’avez pas envie de savoir ?

Josiane – Écoutez, je n’ai pas le temps de vous expliquer, mais s’il vous plaît, ne parlez pas de moi à la police, d’accord ?

Alban – Et pourquoi ça ?

Josiane – Je… Je ne suis pas la femme de Patrick… Je veux dire, je n’étais pas vraiment sa compagne non plus.

Louise – Ah bon ? Mais alors vous êtes qui ?

Josiane – Disons que… nous étions en affaires, voilà.

Alban – En affaires ? Quelles genres d’affaires ?

Louise – Le genre d’affaires dont la police ne doit pas être au courant, apparemment…

On frappe à la porte.

Josiane – Je vous expliquerai tout à l’heure. Je vais me planquer dans la salle de bain en attendant que le flic soit parti…

Le commissaire Sanchez (homme ou femme) arrive.

Sanchez – Commissaire Sanchez. (S’épongeant le front) Il fait une chaleur ici, non ? Vous devez être la famille, j’imagine…

Alban – Son frère et sa sœur, oui.

Sanchez – J’enquête sur l’affaire dans laquelle votre frère est impliqué.

Louise – L’affaire ? C’est un accident de Velib, non ? Ce n’est quand même pas le naufrage du Costa Concordia…

Sanchez – C’est un peu plus compliqué que ça, en fait…

Alban – Vraiment ?

Sanchez – Je pensais que vous étiez déjà au courant… Votre frère est dans le coma à la suite d’un braquage.

Louise – Un braquage ?

Sanchez – Le braquage du Crédit Mutuel près duquel il habitait.

Alban – Je vois. Patrick a toujours eu l’esprit mutualiste.

Louise – Surtout lorsqu’il s’agissait de nous taper de l’argent.

Alban – Il passait par là en vélo, et il a pris une balle perdue, c’est ça ?

Louise – Quelque part, ça ne m’étonne pas.

Alban – Notre frère n’a jamais eu de chance…

Sanchez – En fait, ça ne s’est pas passé exactement comme ça… Votre frère a bien été impliqué dans une affaire de braquage mais… c’était lui le braqueur.

Sidération des deux autres.

Louise – Patrick ? Il a braqué Le Crédit Mutuel ?

Sanchez – Oui. Enfin, avec un complice.

Alban – Un braquage… Ça ne lui ressemble pas…

Louise – Un braquage en Velib ? Avec un casque intégral sur la tête ?

Alban – Ah oui remarquez ça, ça lui ressemblerait davantage…

Sanchez – Vous saviez quelque chose de ses activités illicites ?

Louise – Ça fait des années qu’on ne le voyait plus…

Alban – En Velib… Il devrait avoir les circonstances atténuantes, non ? Somme toute Patrick vient d’inventer le braquage écolo…

Louise – Donc ce n’est pas un accident de la route ?

Sanchez – Oui et non… Votre frère a heurté un bus de plein fouet après une course poursuite avec la police dans les rues de Paris.

Alban – Une course poursuite ? Il était en Velib ! Et les policiers ? Ils étaient en rollers ?

Sanchez – Ce n’est pas une plaisanterie Monsieur Mariani. Nous parlons d’une attaque à main armée.

Louise – Nous en sommes bien conscients, Monsieur l’Inspecteur. D’ailleurs je vous rappelle que notre frère est entre la vie et la mort…

Sanchez – J’en suis désolé, croyez-le bien… Surtout que sans cet accident, il aurait pu nous donner le nom de sa complice…

Alban – Sa complice ? Donc c’est une femme…

Sanchez leur met une feuille sous les yeux.

Sanchez – Voici son portrait robot. Ce visage vous dit quelque chose ?

Alban – Malheureusement, je n’ai pas sur moi mes lunettes pour voir de près… (Il fait semblant d’avoir des difficultés à lire) Vous savez ce que c’est, quand on devient presbyte…

Sanchez (à Louise) – Et vous ?

Louise – Qui ? Moi ? Alors là, vous savez… Il n’y a pas moins physionomiste que moi… Les gens, je les confonds tous. C’est bien simple. Vous m’emmèneriez dans un club échangiste, je serais fichu de coucher avec mon mari parce que je ne l’aurais pas reconnu…

Sanchez – Je vois…

Alban – Vous avez bien de la chance…

Sanchez s’approche du lit.

Sanchez – Je me suis entretenu tout à l’heure avec le médecin… D’après lui, il y a peu de chances que le suspect sorte du coma dans un avenir prévisible.

Alban – S’il en sort, c’est pour aller en prison… Ça ne risque pas de le motiver beaucoup pour sa résurrection.

Louise – Qu’est-ce qu’il risque au juste ?

Sanchez – S’il nous donnait le nom de sa complice et qu’il rendait le butin, les juges seraient peut-être enclin à la clémence, mais bon…

Alban – Combien ?

Sanchez – L’arme était factice, mais sur le papier, c’est le même tarif. En théorie, ça va chercher dans les vingt ans.

Alban – Non, je voulais le butin… Combien ?

Sanchez – Trois millions.

Alban – Trois millions d’euros ?

Louise – Ah oui, quand même…

Alban – Moi qui pensais que Patrick n’avait aucune ambition… Il remonterait presque dans mon estime…

Louise – Et vous dites qu’on n’a pas retrouvé ces trois millions d’euros ?

Sanchez – Des témoins ont confirmé que c’est bien votre frère qui avait la mallette après le braquage au Crédit Mutuel… Mais quand on l’a retrouvé après son accident, la mallette n’était plus là…

Alban – Comment ça s’est passé, exactement ?

Sanchez – Les deux complices se sont enfuis chacun de leur côté après le braquage pour brouiller les pistes. Elle, on a perdu sa trace. Votre frère, on a fini par le localiser du côté de la Gare Saint Lazare.

Louise – Le relocaliser…

Sanchez – Un type en Velib avec un casque intégral, c’est quand même assez visible…

Alban – Apparemment pas assez pour le chauffeur de bus qui lui est passé dessus…

Sanchez – En tout cas, avant son accident, il a eu le temps de se débarrasser de la valise.

Louise – La valise…

Sanchez – Vous savez quelque chose à propos de cette valise ?

Louise – Non, non, rien…

Sanchez – Quoi qu’il en soit, sachez que votre frère est sous mandat d’arrestation. En principe, je devrais rester ici faire le planton au cas où il se réveille, mais…

Alban – Dans l’état où il est, il ne risque pas de s’échapper…

Sanchez – Et puis pour tout vous dire, je déteste les hôpitaux… Ça me déprime.

Alban – Oui… Et il paraît que c’est bourré de microbes résistants à tous les antibiotiques.

Louise – Vous connaissez le proverbe : L’hôpital, on sait quand on y entre, on ne sait jamais si on en sortira vivant.

Alban – Même quand on vient seulement pour rendre visite à un malade… ou même à une femme qui vient d’accoucher. Personnellement, rien que pour çà, j’ai refusé d’assister à la naissance de mes trois enfants.

Sanchez – Non ?

Louise – C’est clair qu’en termes de microbes et de virus, l’hôpital, c’est un véritable bouillon de culture.

Alban – Le service des maladies tropicales est juste à côté. Le Docteur Mahler me racontait que la semaine dernière, ils ont même eu un cas de Malaria.

Louise – Il n’a pas dit la fièvre Ébola ?

Alban – Ah oui, peut-être…

Sanchez – Il vous a dit ça ?

Louise – Gardez-le pour, mais à mon avis, cet hôpital devrait déjà être en quarantaine. Il paraît que les infirmières tombent comme des mouches…

Sanchez semble maintenant pressé de partir.

Sanchez – Bon, dans ce cas, je vais vous laisser… Je reviendrai prendre des nouvelles de temps en temps…

Alban – Merci de votre sollicitude, Inspecteur.

Alban lui tend une main qu’il ne peut pas refuser de serrer.

Sanchez – Vous permettez que je me lave les mains avant de partir ?

Louise – Où ça ?

Sanchez – Dans la salle de bain !

Consternation des deux autres.

Alban – C’est à dire que…

Sanchez – Il y a un problème ?

Louise – Non, non, aucun problème…

Sanchez entre dans la salle de bain. Les deux autres échangent un regard inquiet.

Alban – On n’aura qu’à dire qu’elle a menacé de nous tuer si on parlait d’elle…

Louise – Avec son arme factice ?

Alban – On n’était pas supposé savoir !

Sanchez revient.

Sanchez – J’ai vraiment très chaud depuis que je suis arrivé ici. J’espère que je n’ai pas déjà attrapé une saloperie… En tout cas, vous me prévenez si votre frère se réveille, d’accord ?

Louise – Nous n’y manquerons pas, Inspecteur…

Sanchez s’en va.

Louise – Comment elle a fait ?

Alban – Elle s’est peut-être planquée derrière le rideau de douche. J’ai vu faire ça dans un film d’horreur…

Alban – En tout cas, je crois que côté héritage, on peut oublier. Si Patrick en était à braquer Le Crédit Mutuel en Velib, c’est que la période ne devait pas être très faste.

Louise – Reste le butin du braquage…

Alban – Ah oui… La valise…

Louise – Voilà pourquoi Josiane refuse de débrancher Patrick avant qu’il lui ait dit ce qu’il avait fait du fric…

Alban – Je comprends maintenant pourquoi elle tenait absolument à savoir si Patrick avait des bagages en arrivant ici…

Josiane revient.

Josiane – Heureusement, la salle de bain communique avec la chambre d’à côté.

Alban – Le patient qui l’occupe n’a pas été surpris de vous voir ?

Josiane – Il est dans le coma, lui aussi…

Louise – Ah oui, la 13 bis…

Josiane – Ok, j’ai tout entendu…

Louise – Alors ?

Josiane – D’accord, la complice c’est moi.

Alban – Sans blague… D’ailleurs, votre portrait robot est d’une ressemblance saisissante.

Louise – On va avoir du mal à expliquer à l’inspecteur qu’on ne vous ait pas reconnue s’il apprend qu’on vous a rencontrée ici…

Josiane – Alors merci pour votre discrétion…

Alban – Il n’empêche qu’on pourrait avoir de gros ennuis…

Louise – Et qu’est-ce qu’on gagne ?

Josiane – D’accord, si vous m’aidez à remettre la main sur ce fric on partage. Ça fait un million chacun…

Louise – On partage en trois ?

Alban – Et qu’est-ce qu’on fait de Patrick ?

Josiane – Dans l’état où il est de toute façon…

Louise – Justement. Ça ne va pas être facile de lui faire dire ce qu’il a fait du magot.

Josiane – Il se confiera peut-être plus facilement à sa famille.

Alban – Et ensuite ?

Josiane – Si on arrive à lui faire cracher le morceau, on peut toujours le débrancher après. Plutôt que de le laisser vivre comme un légume. Et puis trois millions divisés en quatre… Vous conviendrez que ça ne fait pas un compte rond…

Alban – Sans compter que ça lui éviterait de vous dénoncer à la police, pas vrai ?

Josiane – J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas très liés. Vous ça vous évitera de payer ses frais médicaux pendant des années…

Louise – J’aimerais être vraiment sûre qu’il ne nous entend pas…

Alban – Tu crois qu’il pourrait simuler ?

Josiane – Simuler un coma profond ? C’est possible ?

Louise – Il avait quand même des dispositions naturelles, non ? Tu te souviens quand on était gamins ? Parfois il avait le sommeil tellement profond… Le matin on se demandait s’il n’était pas dans le coma.

Ils s’approchent tous les trois du lit.

Josiane – Peut-être que ce salopard veut garder le fric pour lui tout seul…

Louise – Patrick, tu nous entends ?

Alban – Avec le casque intégral, ce n’est pas très commode.

Louise – Le médecin a dit que si on lui enlevait, le cerveau risquait de se répandre sur l’oreiller…

Josiane – On n’a qu’à simplement ouvrir la visière.

Elle ouvre la visière.

Alban – Patrick, c’est moi ton frère, Alban…

Josiane le secoue un peu rudement.

Josiane – Patrick ? Mais putain, tu vas parler ! Où est-ce que tu as foutu l’oseille ?

Louise – Doucement, vous allez le tuer !

Alban – Il a ouvert la bouche…

Josiane – Merde, c’est vrai.

Louise – On dirait qu’il veut nous dire quelque chose…

Alban – C’est peut-être nerveux…

Josiane – Regardez, on croirait… Il a quelque chose dans la bouche !

Louise – Ah oui, en effet…

Josiane met sa main dans la fente du casque.

Josiane – Mais crache, bon sang !

Alban – Doucement quand même.

Josiane – Ah le salaud, il m’a mordu…

Alban – J’espère pour vous qu’il n’est pas contagieux…

Louise – Et alors, qu’est-ce que c’est ?

Josiane sort de la bouche de Patrick une clef qu’elle brandit.

Josiane – Oh putain ! Une clef !

Louise – Une clef ?

Josiane – Ça ressemble à une clef de consigne… Il a peut-être eu le temps de planquer la mallette dans une consigne de gare…

Louise – Et il a essayé d’avaler la clef en voyant qu’il allait être rattrapé par la police.

Alban – Les gares, ce n’est pas ça qui manque à Paris…

Josiane – Le flic a dit qu’il avait eu son accident près de la Gare Saint Lazare.

Alban – C’est dingue… On se croirait dans un film policier.

Louise – Ou dans une pièce de théâtre…

Josiane – Moi je ne peux pas y aller. Les flics me recherchent, et ils ont mon portrait robot.

Alban – Très ressemblant, d’ailleurs.

Josiane (à Louise) – Vous n’avez qu’à y aller, vous.

Louise – Moi ?

Josiane – Avec votre look de bourgeoise coincée, vous passerez plus inaperçue.

Louise – Merci bien… Et si je me fais arrêter ?

Alban – On parle de trois millions d’euros, là… Pense à tous les travaux que tu pourrais faire au noir dans ta maison en Provence.

Louise – Et pourquoi on n’y va pas tous les deux ?

Josiane – C’est ça, pour que vous partiez avec l’oseille. Pas question. (Elle sort un flingue et le braque sur eux) Lui il reste ici.

Louise – Ouais oh ça va, pas à nous… Le flic a dit que c’était une arme factice.

Josiane – Ok, mais n’essayez pas de m’embrouiller, hein ?

Alban – Et puis il faut bien que l’un de nous reste au chevet de Patrick. Sinon, ça paraîtrait bizarre.

Louise – Je ne sais pas trop, quand même… Vous ne pensez pas que ce serait mieux de prévenir la police ?

Josiane – Pour que j’aille en taule ?

Alban – Et puis il n’y a peut-être rien dans cette consigne. Si on trouve quelque chose, il sera toujours de temps de savoir ce qu’on en fait.

Louise – En attendant, ça s’appelle du recel…

Alban – Pense à tout ce que tu pourrais faire avec un million d’euros.

Louis – Ouais…

Alban – Tu pourrais faire de ton moulin en ruine un château ! Avec une piscine encore plus grande que celle de Charles Aznavour !

Louise – J’y vais.

Elle sort. Les deux autres échangent un regard embarrassé.

Le portable de Alban sonne, il répond. Josiane s’approche du patient.

Alban – Oui… Non, je suis toujours à l’hôpital là… C’est à dire que… Disons que c’est un peu plus compliqué que prévu… Écoute, à toute chose malheur est bon, ça pourrait aussi être une bonne nouvelle, finalement… Patrick ? Ah, non, lui il est toujours dans le coma… Écoute, je te raconterai… Je ne peux pas te parler, là… Non, non, ne m’attends pas pour dîner… Ok, moi aussi…

Josiane – On dirait qu’il respire mieux, depuis qu’on lui a retiré cette clef de la gorge, non ?

Alban – On lui a peut-être sauvé la vie…

Josiane – Ne nous emballons pas, quand même.

Alban – Il faudrait prévenir le médecin, non ?

Josiane – Pour que les flics le mettent en taule ?

Justement, l’infirmière fait une brève apparition.

Lajoie – Tout va bien ?

Josiane – Disons que… c’est stationnaire.

Lajoie – N’hésitez pas à sonner si vous avez besoin de moi.

Elle repart.

Alban – Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?

Josiane – Pour l’instant on attend.

Ils s’installent chacun sur une chaise et commencent à somnoler. On suppose qu’ils s’assoupissent pendant un moment. Ellipse qui peut être suggérée par un changement de lumière. Le portable de Alban sonne à nouveau. Il se réveille en sursaut. Josiane continue à dormir.

Alban – Ah Louise… Alors ça y est, tu as trouvé la consigne ? Une mallette ! Oh putain… Non, tu as raison, il vaut mieux ne pas l’ouvrir dans le métro, c’est bourré de pickpockets. Alors si la valoche est pleine de billets de banque… Josiane ? Non, elle roupille, là… Écoute, je ne sais pas si… Je ne peux filer à l’anglaise, comme ça, sans rien lui dire ? On a passé un deal avec elle, quand même… Ok, voler une voleuse, ce n’est pas vraiment voler, mais…

Josiane se réveille et entend la fin de la conversation. Alban s’en rend compte et change de ton.

Alban – Je crois qu’il vaut mieux que tu rappliques ici, et on verra ça tous ensemble, d’accord ? Ok, à tout de suite…

Il range son portable. Josiane lui lance un regard méfiant.

Josiane – Vous ne cherchez pas à me doubler, au moins ?

Alban – Mais pas du tout ! Louise a la mallette ! Elle arrive…

Le médecin revient.

Mahler – Quel touchant tableau de famille… Patrick a vraiment de la chance d’avoir des proches aussi aimants pour le veiller comme ça… Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, vous savez…

Alban – Oui, je… Mais après tout, on ne meurt qu’une fois, n’est-ce pas ?

Le médecin examine un peu les appareils entourant le patient.

Mahler – Hélas, je ne vois guère d’évolution. L’encéphalogramme est toujours plat.

Alban – Remarquez, je ne suis pas sûr qu’avant son accident son encéphalogramme avait beaucoup plus de reliefs, mais bon… Je plaisante.

Mahler – Vous avez raison. Ça aide à dédramatiser. Et puis comme je dis toujours à mes patients en soins palliatifs : Nous ne sommes que de passage sur terre…

Alban – Comme vous savez trouver les mots qui apaisent, Docteur Mahler. Ça doit sûrement beaucoup leur remonter le moral, en effet…

Mahler – C’est un métier… Presque un sacerdoce… Vous savez où me trouver si vous avez besoin de moi…

Josiane – Merci Docteur…

Le médecin s’apprête à sortir. Louise revient avec une mallette et tombe nez à nez avec lui. Moment de flottement.

Mahler – Ah, vous êtes allé lui chercher quelques affaires. C’est très gentil. Je ne suis pas sûr que dans son état… Mais je vous laisse en famille.

Le médecin sort. Louise pose la mallette sur le lit au pied du patient. Ils la regardent, fascinés.

Alban – Alors ? Tu as regardé ce qu’il y avait dedans…

Louise – Je préférais l’ouvrir ici, c’est plus prudent, non ?

Josiane – Vous avez bien fait.

Louise – Et puis il y a un code…

Alban – Un code ? Ce con de Patrick… Il devait avoir peur des voleurs…

Louise – Comment on va faire ?

Josiane – Rassurez-vous, je connais le code.

Josiane prend la mallette et marque le code.

Alban – 007 ? Quelle imagination…

Josiane ouvre la mallette. La déception se lit sur les visages. Louise fait l’inventaire du contenu de la mallette.

Louise – Quelques fringues… Un maillot de bain…

Alban – Et une méthode Assimil pour apprendre le Wallon…

Josiane – Ce salopard a essayé de me doubler. Il voulait sûrement partir en Belgique avec le fric.

Louise – De la Gare Saint Lazare ?

Josiane – En tout cas, le fric n’est pas là…

Alban (à Louise) – Ce n’est pas toi qui essaie de nous doubler, au moins ?

Louise – Moi ? Mais puisque je t’ai dit que je n’avais pas le code !

Josiane – Allons, voyons, restons calmes… C’est votre sœur, tout de même… Et nous sommes presque une famille…

Louise s’approche du patient.

Louise – Il a ouvert les yeux !

Alban – Tout espoir n’est pas perdu.

Louise – Pour retrouver le fric, tu veux dire ?

Alban – Aussi, oui…

Josiane – C’est peut-être nerveux…

Louise – Patrick, tu nous entends ?

Alban – Il a cligné des yeux !

Louise – C’est peut-être pour dire oui…

Alban – Ah oui, tu as raison. C’est comme ça qu’on fait pour parler au gens qui sont dans le coma. J’ai vu ça dans un film. Une fois pour oui, deux fois pour non. Ou l’inverse, je ne sais plus…

Louise – Patrick ? Écoute-moi bien et essaie de répondre à cette question par oui ou par non : Est-ce que tu t’appelles Patrick ?

Alban – C’est con, comme question…

Louise – C’est juste pour savoir si il a compris le code.

Alban – Il a cligné des yeux ou pas ?

Josiane – C’est vrai qu’à travers le casque, c’est pas très pratique. On pourrait essayer de lui enlever…

Louise – Vous voulez l’achever, c’est ça ?

Josiane – Mais pas du tout !

Alban – Et puis ça pourrait être très salissant…

L’infirmière arrive dans la chambre. Josiane rabat brusquement la visière du casque.

Lajoie – Je voulais juste vous prévenir que l’Inspecteur Sanchez est en bas. Il sera là dans un instant…

Louise – Très bien, merci de nous avoir prévenu Mademoiselle Lajoie…

L’infirmière s’en va.

Alban – Je crois qu’il vaut mieux aller vous planquer.

Josiane – Oui, je vais prendre la mallette, pour qu’il ne la voit pas.

Louise – On va la mettre sous le lit, plutôt.

Elle prend la mallette et la glisse sous le lit. Josiane semble dépitée.

Louise – Bon ben allez !

Josiane sort se planquer dans la salle de bain.

Sanchez arrive. Il peut être couvert de plaques rouges ou de boutons.

Alban – Inspecteur Sanchez, comment allez-vous ?

Sanchez – Pas très bien, à vrai dire… J’ai toujours des bouffées de chaleur…

Louise – Mais je vous prie, asseyez-vous Sanchez…

Sanchez – En fait je suis revenu pour consulter le Docteur Mahler… Vous ne l’auriez pas aperçu, par hasard ?

Alban – Il doit être dans les parages. Vous devriez demander à Mademoiselle Lajoie, ils ont l’air très liés.

Louise – D’où tu tiens qu’ils sont très liés ?

Alban – Je ne sais pas… L’intuition masculine… Et puis en arrivant, je me suis trompé de porte, et j’ai cru voir le Docteur Mahler besogner Mademoiselle Lajoie dans la chambre 13 bis.

Louise – Quelle honte… Heureusement que le patient qui occupe cette chambre est lui aussi dans le coma…

Sanchez – Et votre frère, comment ça évolue ?

Louise – À vrai dire, ça n’évolue pas dans le bon sens.

Alban – Je crois que si ça continue, on va être obligé de le faire piquer…

Louise – Et de votre côté, cette enquête, ça avance ?

Sanchez – C’est clair qu’on est loin de Bonny and Clyde. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que votre frère avait le QI d’une huître. Il semble se confirmer que c’est la complice qui a tout organisé. C’est elle le cerveau de la bande.

Alban – Le cerveau ? Oui. Ça ne m’étonne pas beaucoup, remarquez.

Louise – Son cerveau à lui, même avant son accident…

Sanchez – Cette garce l’a envoyé au feu en espérant récupérer le butin juste après. Malheureusement pour elle… et pour votre frère, les choses ont mal tourné.

Alban – Je vois…

Louise – Décidément, il n’aura jamais eu de chance.

Alban – Autre chose ?

Sanchez – Des témoins auraient vu Patrick déposer une mallette dans une consigne Gare Saint Lazare. On a fouillé. Mais on n’a rien trouvé de ce côté là…

Louise – Saint Lazare… Espérons que cela lui portera bonheur…

Sanchez – Pardon ?

Louise – Saint Lazare ! Ressuscité d’entre les morts par Jésus Christ, Notre Seigneur !

Sanchez – Bien sûr… Bon et bien je vais essayer de trouver ce médecin de malheur… (S’épongeant avec son mouchoir) Parce que j’ai de plus en plus chaud, moi… Je vous tiens au courant si j’ai du nouveau…

Alban – Merci Inspecteur… Et surtout, prenez soin de vous…

Sanchez sort. L’infirmière arrive.

Lajoie – Je ne voudrais pas vous brusquer, mais il va falloir prendre une décision au sujet de votre frère… Nous venons de recevoir une demande pour un foie. Cela pourrait sauver une vie…

Louise – Très bien… Je vous promets que nous allons vous donner une réponse positive. Laissez nous seulement lui faire un dernier adieu en famille…

Lajoie – Mais bien sûr…

Elle sort.

Louise, pétant les plombs, secoue Patrick pour le réveiller.

Louise – Mais bon sang, Patrick, réveille-toi ! Tu veux vraiment finir avec un poumon en moins ?

Les deux autres la regardent un peu inquiets.

Alban – Elle a dit le foie, je crois bien, non ?

Josiane – Bon, je vais vous laisser en famille… Et puis autant que je file avant que ce flic revienne…

Alban – Peut-être qu’il fait le mort pour ne pas aller en prison ?

Louise – Et pour garder le magot pour lui tout seul !

Josiane – Vous permettez que j’emmène la mallette ? Pour vous, ce n’est rien, et pour moi, elle a une valeur sentimentale…

Alban – Une valeur sentimentale ?

Josiane – Cette mallette, c’est… C’est un cadeau de Patrick…

Louise – Depuis le début, vous vous intéressez à cette mallette.

Alban – Oui, avant même qu’on en retrouve la clef.

Louise – Donc vous saviez que l’argent était dedans…

Josiane – Mais vous avez bien vu qu’il ne l’est plus !

Louise – Est-ce qu’on a bien regardé, au moins…

Louise tente de saisir la mallette. Josiane résiste. Elle tire chacune de leur côté et la mallette se casse en deux morceaux. Alban s’approche.

Alban – Il y a un double fond…

Louise – Le fric est dedans.

Alban – Vous le saviez, et vous avez voulu nous rouler !

Josiane – Ok, je le savais… Et alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

Louise – On partage, comme prévu !

Josiane – Pourquoi est-ce que je partagerais avec vous ?

Alban – Pour éviter qu’on vous dénonce à la police, par exemple. Et que vous sortiez de cet hôpital pour aller croupir pendant vingt ans à La Santé.

Josiane – Bon d’accord…

Alban sort quelques billets de la mallette.

Alban – Trois millions d’euros.

Louise – J’ai l’impression d’avoir gagné au loto…

Josiane – Je vous rappelle quand même que c’est de l’argent sale.

Alban – Sale mais en petites coupures usagées.

Louise – Pour payer mes travaux au noir dans ma villa en Provence, ce sera parfait…

L’infirmière revient avec un piqûre. Josiane remet en hâte le fric dans la mallette.

Lajoie – Voilà, la piqûre est prête…

Alban – La piqûre ?

Louise – Mon Dieu, Patrick ! C’est notre frère quand même…

Lajoie (avec un air inquiétant) – Ne vous inquiétez pas. Personne ne s’est jamais plaint de mes piqûres…

Noir.

Josiane – Qu’est-ce qui se passe ?

Lajoie – Une panne d’électricité. Je ne comprends pas, le système de secours aurait dû prendre la relève aussitôt… Je vais voir ce qui se passe…

Alban – Oui, je crois que c’est plus prudent. Parce que dans l’obscurité… Il ne s’agirait pas que vous vous trompiez de patient pour la piqûre…

L’infirmière sort.

Louise – En tout cas, on ne va pas tarder à savoir s’il avait vraiment besoin de tous ces appareils électriques pour rester en vie…

Alban – Moi je ne reste pas là dans le noir avec un mort-vivant, ça me fout les jetons.

Louise – Moi aussi.

Josiane – Allons-nous en…

Ils sortent.

On entend un message d’attente genre les Quatre Saisons de Vivaldi. Ellipse.

La lumière revient. Alban, Louise et Josiane reviennent. L’infirmière aussi.

Lajoie (bouleversée) – Oh mon Dieu ! Le circuit de secours aussi est tombé en panne. Normalement, cela ne devrait jamais arriver… Maintenant, c’est résolu, mais…

Alban – Quoi ?

Lajoie – Votre frère était maintenu en vie grâce à plusieurs appareils… qui bien entendu fonctionnent tous à l’aide du courant électrique…

Louise – Et ?

Lajoie – Et bien je crains fort que la question de l’euthanasie ne se pose plus vraiment.

Josiane – Il est mort ?

Lajoie – On ne peut pas vraiment dire qu’il était encore très vivant, mais là… Je crains en effet qu’il ne soit complètement mort. Je vais quand même vérifier…

Elle s’approche du patient et l’ausculte rapidement.

Lajoie – Oui, c’est fini… Cela ne s’est pas passé exactement comme nous le prévoyions, mais après tout, c’est aussi bien comme ça, non ? Je vous laisse. Le médecin passera vous voir dans un instant…

Elle sort. Les autres sont interloqués.

Louise – C’est terrible…

Alban – C’était notre frère, malgré tout…

Josiane s’approche du lit.

Josiane – Je crois que maintenant, on peut lui retirer son casque.

Alban – Je ne sais pas si c’est très prudent… On va en mettre partout…

Louise – On ne pourra quand même pas l’enterrer avec un casque intégral…

Josiane – Je vais au moins ouvrir la visière… Pour qu’on puisse lui faire un dernier adieu…

Elle ouvre la visière.

Alban – Tu te souvenais qu’il avait les yeux verts ?

Louise – Ce serait bien le seul de la famille…

Alban – Ce qui tendrait aussi à prouver qu’il n’est peut-être pas vraiment de la famille…

Josiane s’approche et regarde à son tour.

Josiane – Non !

Alban – Quoi encore ?

Josiane – Ce n’est pas Patrick !

Louise – Ce n’est pas Patrick ? Mais tout à l’heure, c’était Patrick.

Alban s’approche.

Alban – Ouais ben là ce n’est plus Patrick.

Louise – Mais alors c’est qui ?

Josiane – Ce type ressemble beaucoup au mort-vivant que j’ai vu dans la chambre d’à côté tout à l’heure.

Alban – Ah oui, en effet, je l’ai aperçu aussi en arrivant. C’est bien lui !

Louise – Il n’est quand même pas venu ici tout seul…

Josiane – Alors où est Patrick ?

Alban regarde sous le lit.

Alban – Il n’y a pas que Patrick qui a disparu…

Louise – La mallette ! Elle n’est plus là !

Sanchez arrive.

Sanchez – Le Docteur Mahler a décidé de me garder en observation pour un check up… C’est vous qui aviez raison : L’hôpital, on sait quand on y entre…

Sanchez tombe nez à nez avec Josiane.

Sanchez – C’est curieux, vous ressemblez beaucoup à quelqu’un dont j’ai le portrait dans ma poche…

Josiane – C’est vous qui m’avez donné aux flics ? Et qui avez planqué l’oseille ?

Louise – Mais pas du tout !

Alban – Je vous assure qu’on ne sait absolument pas de quoi elle parle.

Sanchez (soupçonneux) – Vous m’aviez dit tout à l’heure que vous ne la connaissiez pas.

Louise – Mais on ne la connaît absolument pas. C’est la première fois qu’on la voit. Hein Alban ? D’ailleurs c’est qui ?

Alban – Nous sommes un peu bouleversés, Inspecteur, vous pouvez le comprendre.

Louise – Et je vous demanderais de respecter notre douleur.

Alban – Notre frère vient de mourir.

Sanchez – Lui au moins, il n’ira pas en prison. Mais celle-là, je l’embarque. Ok, en ce qui vous concerne, on verra ça plus tard. Je vous demanderais de passer au poste pour faire une déposition. Pour l’instant, je vous présente toutes mes condoléances.

Louise – Merci, Inspecteur.

Sanchez (à Josiane) – Quant à vous, comme on dit dans les séries policières américaines, vous avez le droit de garder le silence, mais tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous…

Sanchez passe les menottes à Josiane, et s’en va avec elle.

Alban – C’est à n’y rien comprendre.

Louise – Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?

Alban – Tu crois qu’il aurait pu faire semblant d’être dans le coma pendant tout ce temps ?

Louise – Et il aurait profité de la panne d’électricité pour mettre le cadavre du SDF à sa place, pour qu’on croit qu’il était mort et qu’on l’oublie ?

Alban – Ça expliquerait que ses yeux aient changé de couleur…

Louise – Ça expliquerait surtout que le fric ait disparu…

Alban – Finalement, il n’était peut-être pas si con que ça, Patrick.

Louise – Oui, c’est ça qui m’étonne un peu, d’ailleurs.

Alban – Il avait les yeux de quelle couleur, exactement ?

Louise n’a pas l’air de savoir.

Louise – Il était roux, je crois… Je ne vois pas un roux avec les yeux verts…

Alban – Patrick était roux ?

Louise – Non…?

Le médecin arrive.

Mahler – Je suis vraiment désolé pour ce qui s’est passé. Et je tiens à vous présenter au nom de l’hôpital, toutes nos excuses . Et bien sûr toutes nos condoléances.

Louise – Merci…

Mahler – Comme une aide au départ était de toute façon envisagée dans le cas de votre frère, j’espère que vous ne porterez pas plainte contre l’hôpital pour ce petit désagrément… qui après tout vous a épargné d’avoir à prendre une décision bien douloureuse…

Alban – Rassurez-vous. On a déjà assez de soucis comme ça…

Mahler – Considérons que c’est le destin… Pour ne pas dire la main de Dieu…

Alban – N’exagérons pas. Ce n’est quand même pas la main de Dieu qui a coupé le compteur électrique de l’hôpital, non ?

Mahler – Celle de la CGT, plutôt… Je crois qu’il s’agit d’une grève sauvage à EDF…

Alban – En contrepartie de notre mansuétude, Docteur Mahler, vous conviendrez avec nous qu’un geste commercial serait le bienvenu…

Mahler – Un geste commercial ?

Alban – Pour ce qui est des frais d’hospitalisation de notre cher défunt. Reconnaissez que si on s’en tenait à la formule satisfait ou remboursé…

Mahler – Bien entendu. C’est offert par la maison, cela va sans dire.

Louise – Nous vous demandons aussi, si c’est possible, d’épargner à notre frère une autopsie. Je crois qu’il a déjà assez souffert comme ça, non ?

Mahler – Bien sûr. Merci pour votre compréhension, et revenez quand vous voulez. Vous êtes ici chez vous.

Le médecin s’en va, soulagé. Ils tournent tous les deux le regard vers le lit.

Louise – Enfin, pour lui au moins tout est bien qui finit bien.

Alban – Mais puisque ce n’est pas lui !

Louise – Justement ! Ça veut dire qu’il n’est pas mort !

Alban – Tu as raison. Mais comme la police le croit mort, on lui foutra la paix.

Louise – Et avec ses trois millions, il y a peu de chance qu’on le revoit bientôt.

Alban – C’est dommage, je commençais presque à le trouver sympathique…

Moment de flottement. On pourra éventuellement passer ici en bande son un extrait de la chanson de Maxime Le forestier : Toi le frère que je n’ai jamais eu, sais-tu si tu avais vécu ce que nous aurions fait ensemble…

Louise – En tout cas, il nous a bien roulé dans la farine, ce frère qu’on n’a jamais eu.

Alban – Et oui… Comme dirait l’autre : C’est quand la mer se retire qu’on voit les gens qui se baignent à poil.

Louise – Michel Audiard ?

Alban – Warren Buffet.

Louise – Un nouveau philosophe…

Alban – Un milliardaire américain qui a fait fortune en spéculant en bourse… Mais les rois de la finance ne sont-ils pas les philosophes du 21ème siècle ?

Louise – Tout de même. Faire ça à ses frère et sœur. Quelle ingratitude…

Alban – Ce type n’a jamais eu le sens de la famille, je te dis.

Ils commencent à s’en aller.

Alban – C’est où exactement ta maison en Provence, à côté de celle de Charles Aznavour ?

Louise – À Beaucon-Les-Deux-Châteaux.

Alban – Tiens, c’est marrant, je ne connais pas…

Ils sortent.

Le médecin et l’infirmière reviennent. Elle pousse un petit chariot médical recouvert d’un linge blanc.

Lajoie – Ça y est, ils sont partis.

Mahler – Ce n’est pas trop tôt… Je peux voir le bébé ?

L’infirmière ôte le linge qui recouvre le chariot et apparaît la mallette pleine de billets.

Lajoie – Je crois que cette fois, on va pouvoir l’ouvrir notre clinique privée, Mademoiselle Lajoie !

Mahler – Je crois qu’à présent, vous pouvez m’appeler Joséphine…

Mahler l’embrasse.

Mahler – Joséphine, vous êtes mon ange gardien ! Alors comme ça, vous saviez depuis le début qu’il n’était pas dans le coma ?

Lajoie – J’ai passé un deal avec Patrick dès qu’on l’a admis ici. On validait le diagnostic du coma pour lui éviter d’aller en taule. Et en échange on partageait le magot en trois.

Mahler – Le coup du casque intégral, c’était une idée de génie. Moi-même, j’ai bien failli m’y laisser prendre, au début…

Ils rient.

Lajoie – Mais aller à la gare, c’était vraiment trop risqué. Il valait mieux se faire livrer le cash à domicile !

Mahler – En leur mettant la clef de la consigne sous le nez…

Lajoie – Ou plutôt bien en évidence sur la langue de Patrick !

Mahler – Et lui, qu’est-ce qu’on en fait, maintenant ? Je veux dire le vrai Patrick, celui qui est dans la chambre d’à côté…

Lajoie – Quand il sera d’aplomb, et que la police l’aura un peu oublier, on pourra toujours lui donner un poste de jardinier dans notre nouvelle clinique de chirurgie esthétique à Neuilly.

Mahler – Après lui avoir refait le visage à l’œil, bien sûr…

Lajoie – Ce sera notre premier patient ! Vous pourrez vous faire un peu la main sur lui…

Mahler – Vous avez raison. Après tout, on lui a quand même promis qu’il serait actionnaire minoritaire…

Ils rient.

Mahler – Et votre idée de la fausse panne de courant, alors là ! Non, vraiment, vous auriez dû écrire des romans policiers !

Lajoie – Ou des pièces de théâtre !

Mahler – Je vous le disais, on va faire de grandes choses ensemble, Mademoiselle Lajoie.

Lajoie – Joséphine, je vous en prie…

Ils s’embrassent. Noir.

Mahler – Mais là, ce n’est plus la peine, pour les pannes d’électricité, non ? Vous êtes sûre que vous n’en faites pas un peu trop ?

Lajoie – Je crains que cette fois, Docteur Mahler, ce soit une vraie panne.

Mahler – Et ce pauvre Patrick qui était encore sous assistance respiratoire…

Lajoie – Oui… Pour peu que le courant ne revienne pas tout de suite… Je crois que finalement, on n’aura pas à partager avec lui…

Mahler – Dans ce cas-là, il n’y a plus qu’à attendre…

Ils s’embrassent à nouveau. On entend Les Quatre Saisons de Vivaldi.

Ils sortent.

Lumière.

Pour un happy end, on peut voir Patrick avec son casque intégral sur la tête (joué par exemple par le comédien qui incarnait Alban) faire une apparition dans la chambre en provenance de la salle de bain avant de s’enfuir vers le couloir.

Fin.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Février 2014

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-54-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

 

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Crise et Châtiment

Crisis and Punishment  –  Crisis y Castigo – Crise e Castigo  –  KRISE A TREST

Comédie de Jean-Pierre Martinez

Distributions possibles :

à 4 : 1 homme/3 femmes ou 2 hommes/2 femmes
à 5 : 1 homme/4 femmes ou  2 hommes/3 femmes
à 6 : 1 homme/5 femmes ou 2 hommes/4 femmes
à 7 : 1 homme/6 femmes ou 2 hommes/5 femmes

Un comédien au chômage, recruté par une banque en faillite, découvre qu’il a été engagé pour faire office de bouc émissaire. Mais le cauchemar ne fait que commencer…


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Crise et Châtiment

PERSONNAGES :

Jérôme : Le comédien
Claude : La gérante (ou le gérant)
Dominique : L’assistante (ou l’assistant)
Marie : La femme du comédien
Bernadette : La première cliente
Madeleine : La deuxième cliente

Les personnages de Marie, Bernadette et/ou Madeleine peuvent ou non être interprétés par la même comédienne.

Un bureau d’aspect sobre mais imposant : une grande table sur laquelle trône seulement un téléphone faisant aussi office d’interphone, muni d’un voyant vert et un autre rouge, un fauteuil directorial à roulettes rembourré et pivotant, un guéridon sur lequel est posé une sorte de thermos en aluminium, surplombé par le portrait d’un homme dans un cadre. Dominique, l’assistante, caricature de la secrétaire maniérée et dévouée, entre dans la pièce, un dossier à la main, suivie par Jérôme, visiblement mal à l’aise dans le costume étriqué, assorti d’une cravate défraîchie, supposé le faire passer pour un cadre.

Dominique – Par ici, je vous en prie… Voici votre bureau, cher Monsieur.

Jérôme (épaté) – Mon bureau ? Vous êtes sûre ?

Dominique – C’est un peu austère, je sais. Mais si vous souhaitez égayer un peu tout ça en accrochant quelques tableaux contre les murs.

Jérôme – Pourquoi pas…

Dominique – En revanche, je vous déconseille tout ce qui est pots de fleurs ou vase.

Jérôme – Ah, oui…

Dominique – Bref, tout ce que quelqu’un pourrait avoir envie de vous jeter à la figure.

Jérôme (surpris) – Bien sûr…

Dominique – Évidemment, pas question non plus de laisser traîner un coupe-papier sur le bureau, ou même une agrafeuse.

Jérôme – Ma femme aussi déteste que je laisse traîner mes affaires…

Dominique – Enfin tout ce qui pourrait être utilisé comme une arme de poing.

Jérôme lui lance un regard inquiet.

Dominique – Madame Claude vous expliquera.

Jérôme – Madame Claude…?

Dominique – La chef de service. C’est elle qui vous a recruté. Elle n’est pas là pour le moment, mais elle ne devrait pas tarder à arriver…

Jérôme – Très bien… Mais votre activité, c’est…

Dominique – Gestion de patrimoine.

Jérôme – Tout à fait…

Dominique – Disons que nous aidons les gens riches à le devenir davantage.

Jérôme – Noble mission… Et ça marche ?

Dominique – Pas à tous les coups, malheureusement… C’est un peu pour ça que vous êtes là, n’est-ce pas ?

Jérôme – Ah, oui ? Je ne sais pas trop, en fait. C’est l’ANPE qui m’envoie… Mais… vous êtes sûre qu’il ne s’agit pas d’une erreur ?

Dominique – Une erreur ? Quelle drôle d’idée… Et pourquoi ça ?

Jérôme – Disons que je n’ai pas l’impression de correspondre vraiment à…

Dominique – Aucune erreur, rassurez-vous, Monsieur Charpentier.

Jérôme – Carpentier…

Dominique – J’ai ici votre dossier, et votre profil correspond parfaitement à ce que Madame Claude attend de la personne destinée à occuper ce poste…

Jérôme – Mon profil… Je ne savais même pas que j’en avais un… Il faut dire que d’habitude, il n’intéresse pas beaucoup les employeurs potentiels…

L’assistante ouvre le dossier et y jette un coup d’œil.

Dominique – Voyons voir… Vous êtes comédien, au chômage depuis environ deux ans…

Jérôme – Presque trois, en fait…

Dominique – Le psychologue de l‘ANPE vous décrit comme apathique, résigné, avec une tendance à la culpabilisation et à la dévalorisation de soi…

Jérôme – Et c’est le profil que vous recherchez pour ce poste ?

Elle préfère visiblement ne pas répondre.

Dominique – Je vous remettrai vos tickets restaurants tout à l’heure, n’est-ce pas. Vous désirez un café, Monsieur Charpentier ?

Jérôme – Merci, mais j’ai toujours peur que ça m’empêche de dormir… Enfin, je veux dire… que ça m’empêche de dormir la nuit.

Dominique – Très bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à côté. Vous avez juste à appuyer sur le bouton de l’interphone.

Jérôme – Ah, parce qu’il y a un… Comme dans les vieux films en noir et blanc, alors…

Elle lui montre la touche sur le téléphone.

Dominique – Et bien là, c’est en couleurs, vous voyez… C’est le bouton vert.

Jérôme – Parfait…

Dominique – N’appuyez sur le bouton rouge qu’en cas d’extrême urgence.

Jérôme essaie de plaisanter pour détendre un peu l’atmosphère.

Jérôme – Je vois… Le signal d’alarme…

Dominique – Tout à fait… Mais attention, c’est comme dans le TGV. Tout abus sera sévèrement puni…

Il ne sait pas trop si elle plaisante ou pas.

Dominique – Je vous laisse vous installer.

Jérôme – Merci…

Elle sort. Il jette un regard circulaire sur le bureau, ne sachant pas très bien quoi faire. Il se plante devant le portrait de l’homme au dessus du guéridon et le contemple avec perplexité. Il regarde ensuite ce qu’il prend pour un thermos, le prend en main en main, et hésite.

Jérôme – Je ferai peut-être bien de prendre un café quand même, ça va me réveiller un peu… (Il regarde à nouveau autour de lui) Il n’y a pas de tasse… (Il dévisse le bouchon) C’est peut-être le bouchon qui sert de tasse… (Il verse le contenu du supposé thermos dans le bouchon, mais c’est de la cendre qui en sort) Merde, c’est quoi, ça…?

Dominique entre de nouveau dans le bureau. Il essaie de remettre le bouchon en place à la hâte, mais ce faisant renverse la cendre qu’il contenait. La cendre forme un petit nuage qu’il tente de dissiper en agitant sa main. Dominique lui lance un regard réprobateur. Il a l’air d’un enfant pris en faute.

Jérôme – Désolé, je… Mais c’est quoi ce machin ? La lampe d’Aladin ? J’ai cru qu’un génie allait en sortir, et me demander de faire trois vœux.

Dominique – Croyez-moi, il n’y a aucun génie là-dedans. Mais je vous recommande quand même de ne pas y toucher… (Avec un regard inquiétant) Madame Claude n’aimerait pas ça… (Affichant à nouveau un sourire de commande, elle lui tend un carnet) Voici vos chèques déjeuner…

Jérôme – Merci…

Dominique (s’en allant) – À propos, Madame Claude a appelé, elle sera un peu en retard.

Jérôme – Très bien.

Dominique sort. De plus en plus embarrassé, Jérôme fait le tour du bureau, et tente de s’asseoir sur le siège. Surpris par sa profondeur, il se reprend pour adopter un maintien plus digne. Il pose les coudes sur le bureau, et essaie de prendre une pose directoriale. Il décroche le combiné du téléphone pour se donner une contenance. Il essaie de déplacer le téléphone mais se rend compte qu’il est fixé sur le bureau. À cours d’imagination, il bâille, et opte pour une position plus confortable en posant les pieds sur le bureau. Au bout d’un moment, il se met à somnoler. Il est réveillé en sursaut par la sonnerie agressive du téléphone. Surpris, il se casse la figure de son fauteuil. Il se relève et parvient à décrocher.

Jérôme – Oui…? Non, non… Si, si, passez-la moi, merci… Allo, chérie ? Oui, oui, tout va très bien, ne t’inquiète pas… (Essayant de plaisanter) En tout cas, je ne me suis pas encore fait virer… Il faut dire que je n’ai pas encore vu la chef de service… Et bien, je n’ai pas encore vraiment commencé à travailler, en fait… Ce que je dois faire ? Écoute, je t’avoue que je n’ai pas pensé à le demander… J’imagine que Madame Claude me l’expliquera… Oui, c’est le nom de la taulière… Je ne sais pas si c’est son nom ou son prénom… D’accord, je t’appelle dès que j’en sais un peu plus… Mais oui, ne t’énerve pas ! Je te rappelle, d’accord. Bisous.

Il raccroche, hésite un moment, et appuie sur la touche interphone verte.

Jérôme – Dominique ? C’est Jérôme… Oui, le Jérôme qui est dans le bureau à côté du vôtre… Très bien, excusez-moi, je saurai que ce n’est pas la peine de m’annoncer quand j’utilise l’interphone… Je voulais juste vous demander, euh… Je prendrai bien un café, finalement, si cela ne vous dérange pas trop… Combien de sucres ? Et bien… disons trois, si ce n’est pas abuser. Merci beaucoup, Dominique…

La seconde d’après, Dominique arrive avec son café.

Jérôme – Et ben… Le service est rapide… Vous êtes plus efficace que le génie enfermé dans ce thermos…

Dominique le regarde un peu de travers avant de déposer son café sur le bureau, en affichant à nouveau un air avenant.

Dominique – Vous désirez autre chose ?

Jérôme – Non, merci, ça ira… (Elle s’apprête à s’en aller) Enfin, si… (Elle se retourne vers lui) Je peux vous poser une question ?

Dominique – Je vous en prie…

Jérôme – C’est quoi, mon travail, au juste ?

Dominique – Votre travail ?

Jérôme – Qu’est-ce que je suis supposé faire ?

Dominique – Faire ?

Jérôme – Je ne vais quand même pas être payé à ne rien faire ? Non pas que cela me scandaliserait plus que ça, mais bon…

Dominique – Vous êtes là pour rendre service, Monsieur Charpentier.

Jérôme – Quel genre de services ?

Dominique – Disons que cela relève du Service Après Vente.

Jérôme – Je ne savais pas que dans un département de gestion de patrimoine…

Dominique – Madame Claude vous expliquera tout ça mieux que moi.

Jérôme – Bon…

Dominique – Autre chose que vous aimeriez savoir, monsieur Charpentier ?

Jérôme – Euh, non… Enfin, si… C’est qui, ce type, au dessus du thermos ?

Dominique – Le thermos ?

Jérôme – Sur la photo !

Dominique – Ah… Lui…

Jérôme – C’est l’employé du mois ?

Dominique – C’est votre prédécesseur.

Jérôme – Et il est où maintenant ?

Dominique – Dans le thermos.

Jérôme – Pardon ?

Dominique – C’est une urne funéraire.

Jérôme – Ah, d’accord… Ah, oui, c’est… Et il est mort de quoi, ce brave homme ? Pour que vous lui rendiez un culte domestique, comme ça…

Dominique – Il est mort dans l’exercice de ses fonctions.

Jérôme – Ses fonctions ?

Dominique – Celles qui sont appelées à devenir les vôtres.

Jérôme – Le Service Après Vente.

Dominique – C’est cela.

Jérôme – Un accident du travail ?

Dominique – On peut appeler ça comme ça. Autre chose ?

Jérôme (abasourdi) – Ça ira pour l’instant, je crois…

Dominique sort. Jérôme se plante devant le portait qu’il examine avec un regard nouveau et plutôt inquiet. Il saisit ensuite l’urne avec délicatesse.

Jérôme – Donc ce n’était pas du marc de café…

Le gros bouton rouge se met à clignoter, et une sonnerie de système d’alarme se met à retentir. Jérôme, paniqué, n’a même pas le temps de décrocher. Une femme, genre executive woman, arrive en trombe dans le bureau, tandis que la sonnerie cesse.

Claude – Alors c’est vous.

Jérôme – Oui, enfin… Moi ?

Elle lui flanque une baffe d’entrée .

Claude – Tenez, voilà pour commencer.

Jérôme (sidéré) – Bonjour Madame…

Claude – Soit vous êtes un escroc, soit vous êtes un incapable. Alors ?

Jérôme – Alors quoi ?

Claude – Vous êtes malhonnête ou incompétent ?

Jérôme – Je… Je ne sais pas… Il faut vraiment que je choisisse…?

Claude – C’est tout ce que vous trouvez à me dire ?

Jérôme – C’est à dire que…

Claude – Vous en voulez une autre ?

Jérôme – Euh, non… Pas si on peut éviter…

Claude – Vous savez combien ça va me coûter, tout ça ?

Jérôme – Je suis vraiment désolé…

Claude – Il est désolé… Non, mais vous vous foutez de moi !

Jérôme – Je vous assure que…

Claude – Et évidemment, vous allez me dire que vous n’y êtes pour rien.

Jérôme – Je n’irai pas jusque là, mais…

Claude – C’est la faute à pas de chance, c’est ça ?

Jérôme – C’est vrai que… Mais de quoi est-ce que vous me parlez, exactement ?

Claude – Bien sûr, faites l’innocent…

Jérôme – Excusez-moi.

Claude – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Jérôme – Je ne sais pas…

Claude – Vous avez une solution à me proposer ?

Jérôme – Aucune…

Claude – Vous êtes vraiment un pauvre type.

Jérôme – Oui, c’est ce que me dit souvent ma femme…

Claude – Mais évidemment, ça ne vous empêche pas de dormir, tout ça, hein ?

Jérôme – Je peux vous proposer un café ?

Claude – Ben voyons… Mais vous ne réussirez pas à m’amadouer.

Jérôme – Loin de moi l’idée de..

Claude – Et vous ne l’emporterez pas au paradis, croyez-moi.

Jérôme – Je vous le promets…

Claude (changeant de ton) – C’est curieux, cette expression, vous ne trouvez pas ?

Jérôme – Quelle expression ?

Claude – Vous ne l’emporterez pas au paradis… Quand on va au paradis, de toute façon, qu’est-ce qu’on pourrait bien avoir envie d’emporter, puisque c’est le paradis.

Jérôme – Oui… J’imagine qu’il y a déjà tout ce qu’il faut sur place…

Claude (se reprenant) – Mais n’essayez pas de détourner la conversation !

Jérôme – Pardonnez-moi, je…

Claude – Vous êtes un crétin.

Jérôme – C’est à dire que… Je débute et…

Claude – Vous voulez dire que vous débutez dans la crétinerie ?

Jérôme – Oui, en quelque sorte…

Claude – Et bien je vous prédis une grande carrière !

Jérôme – Merci…

Claude – Nous nous reverrons, cher Monsieur… Et plus tôt que vous ne le pensez…

Jérôme – Avec plaisir, chère Madame…

Claude – Et vous vous payez ma tête, en plus ?

Claude hésite, comme si elle cherchait quelque chose. Elle se dirige vers le portrait, le décroche, l’écrase sur la tête de Jérôme, et ressort comme une furie. Jérôme reste là ahuri, avec le cadre du portait sur les épaules. Dominique revient alors, comme si de rien n’était, pour reprendre la tasse à café vide.

Dominique – Tout va bien, Jérôme ?

Jérôme – Euh, oui, merci…

Dominique – Une autre tasse de café ?

Jérôme – Merci, ça ira…

Dominique lui lance un regard et voit le cadre autour de ses épaules.

Dominique – Vous permettez ? (Elle s’approche et ôte le cadre, qu’elle raccroche à son emplacement habituel) Ne vous inquiétez pas, on le remplacera. Nous avons l’habitude.

Jérôme – L’habitude ? Mais… c’était qui, cette folle ?

Dominique – Ah, ça… Eh bien c’était… votre premier rendez-vous.

Jérôme – Mon premier rendez-vous ?

Dominique – Madame Claude vous expliquera…

Jérôme – Ah, non, ça suffit ! Votre Madame Claude ne m’expliquera rien du tout ! Je ne suis pas là pour me faire tabasser, moi !

Dominique – Mais… si bien sûr.

Jérôme – Pardon ?

Dominique – C’est pour ça que vous êtes là, Monsieur Charpentier. Comme votre prédécesseur.

Jérôme – Pour me faire insulter et recevoir des gifles ?

Dominique – Ce sont les risques du métier…

Jérôme – Quel métier ?

Dominique – Celui pour lequel vous percevrez un salaire !

Jérôme – Et si je ne suis pas d’accord ?

Dominique – On ne va quand même pas vous payer à rien faire, Monsieur Charpentier. Il faut être raisonnable… Je vous rappelle que vous n’avez aucune compétence. Vous êtes comédien…

Jérôme – Très bien… Dans ce cas, je démissionne… (Il s’apprête à s’en aller) Je ne resterai pas une minute de plus dans cet asile de fous…

Dominique – Je vous en prie, attendez au moins le retour de Madame Claude. (Elle se tourne vers la porte) Ah, tiens, justement la voilà…

Madame Claude, la cliente qui a giflé précédemment Jérôme, arrive. Stupéfaction de ce dernier en la reconnaissant.

Jérôme – Madame Claude, c’est vous ?

Claude (très aimablement) – Enchantée, cher Monsieur.

Dominique – Je vous laisse…

Jérôme – Je ne comprends rien… C’est un cauchemar…

Claude – Pardonnez-moi de vous avoir joué cette petite comédie, mais il s’agissait en réalité d’un dernier test en conditions réelles. Avant votre baptême du feu…

Jérôme – Mon baptême du…

Claude – Considérez ça comme un entretien d’embauche ! Entretien que vous avez parfaitement réussi, d’ailleurs. Bravo, Monsieur Charpentier !

Jérôme – Merci, mais… vous pourriez m’expliquer en quoi consiste mon job, à la fin. Votre assistante n’a rien voulu me dire…

Claude – En fait, c’est très simple. Vous allez tout de suite comprendre. Car je sais que vous êtes quelqu’un d’intelligent, Monsieur Charpentier, même si vous avez une tête d’abruti et aucun diplôme pour prouver que vous n’en êtes pas un.

Jérôme – J’ai quand même fait le Cours Florent en auditeur libre…

Claude – Et croyez-moi, ça peut beaucoup vous aider dans vos nouvelles fonctions… Comme vous le savez, nous sommes un département de gestion de grosses fortunes.

Jérôme – Oui…

Claude – C’est à dire que nous nous occupons de faire fructifier l’épargne de nos riches clientes, en leur vendant toutes sortes de produits financiers plus ou moins frais.

Jérôme – Seulement des clientes ?

Claude – Si je vous disais le pourcentage de la richesse nationale qui en France est détenu par des veuves, vous seriez surpris. Vous avez entendu parler des fonds de pension ?

Jérôme – Vaguement…

Claude – Les fonds de pension, c’est l’argent des retraites, et figurez-vous que la plupart des retraités de par le monde sont des veuves.

Jérôme – Je vois…

Jérôme – Alors vous voyez aussi pourquoi nous soignons particulièrement notre clientèle féminine.

Jérôme – Bien sûr…

Claude – D’autant que les femmes ont aussi l’énorme avantage pour nous de ne strictement rien comprendre aux placements financiers que nous leur proposons.

Jérôme – Je ne suis pas sûr moi-même de…

Claude – Ne vous inquiétez pas. Je vous avoue que je n’y comprends pas grand chose non plus. D’ailleurs, personne n’y comprend plus rien depuis longtemps… En tout cas depuis la mort de mon mari…

Jérôme – Vous êtes veuve ?

Elle fait un geste en direction du portrait accroché contre le mur.

Claude – Hélas… Mon cher époux nous a quitté il y a quelques temps déjà…

Jérôme – Ah, parce que c’est votre…

Claude regarde en direction du cadre et constate les dégâts.

Claude – Mais qu’est-ce qui lui est arrivé ?

Jérôme – J’allais vous poser la même question…

Claude – Ah, oui, c’est vrai… Je me suis un peu laissée emporter, tout à l’heure… Mais vous savez ce que c’est… Vous êtes comédien… Quand on est complètement investi dans son personnage… Bref, notre cliente type, c’est la veuve de Carpentras, comme on dit dans notre jargon.

Jérôme – Très bien…

Claude – Mais à la bourse, c’est comme au casino : il n’y a que la banque qui gagne toujours sur le long terme. Le client, lui, ne peut pas gagner à tous les coups. C’est ça que la veuve de Carpentras a du mal à comprendre. Vous me suivez ?

Jérôme – J’essaie.

Claude – Et puis on a beau dire, cher Monsieur, mais tout de même : pour les riches aussi, c’est la crise.

Jérôme – Bien sûr…

Claude – Et quand les riches sont moins riches, c’est leur banque qui s’appauvrit.

Jérôme – Cela va de soi.

Claude – Entre nous, nous sommes au bord de la faillite…

Jérôme – Ah, bon ?

Claude – Évidemment, le contribuable viendra encore une fois à notre secours, alors pour nous ce n’est pas si grave que ça, mais bon… On en a vu d’autres, pas vrai ?

Jérôme – Si vous le dites…

Claude – Mais la veuve de Carpentras, elle, elle ne reverra jamais son pognon. Alors on peut comprendre qu’elle ait besoin de se défouler un peu.

Jérôme – C’est bien normal.

Claude – De passer ses nerfs sur quelqu’un en particulier.

Jérôme – Hun, hun…

Claude – Et c’est là où vous intervenez…

Jérôme – Moi ?

Claude – Considérez que vous êtes une sorte de sparing partner pour millionnaires ruinés qui éprouvent momentanément l’irrépressible besoin de boxer quelqu’un.

Jérôme – J’ai plutôt l’impression d’être un punching-ball…

Claude – Allons, Jérôme ! Un grand garçon comme vous ! Ce ne sont que de faibles femmes, après tout !

Jérôme – Non vraiment, je ne pense pas être l’homme de la situation…

Claude – Je vous rappelle que vous avez signé un contrat, Monsieur Charpentier…

Jérôme – Et pourquoi est-ce que vous ne les recevez pas vous-mêmes, ces clientes que vous avez ruinées ?

Claude – Mais parce qu’en tant que directrice de cette filiale, je représente la continuité de l’institution financière. Je suis responsable de tout, mais comme un ministre de la santé ou un ministre du culte, je ne peux être coupable de rien, sauf à compromettre gravement la crédibilité de tous ceux qui sont au dessus de moi. Il en va de la survie même de cette société, Monsieur Charpentier. Que dis-je ? De la société toute entière ! Le Très Haut ne saurait être tenu pour coupable de quoi que ce soit. C’est à celui qui est tout en bas de l’échelle de payer pour tous les autres. Et le plus bas que nous ayons pu trouver sur l’échelle des hominidés, Jérôme, mais à qui néanmoins on puisse passer un costume sans avoir à rallonger les bras, c’est vous ! Un comédien au chômage !

Jérôme – Et votre mari ?

Claude – Mon mari avait une belle tête d’abruti, un peu comme la vôtre.

Jérôme – Je vois…

Claude – Allez au moins au bout de votre période d’essai, vous prendrez votre décision après…

Jérôme fait un signe en direction du portrait.

Jérôme – Si je suis encore vivant…

Claude – Pensez à votre salaire, et à la situation de l’emploi dans notre pays… Pour les pauvres aussi, c’est la crise, Jérôme. Pensez à votre femme. À vos enfants.

Jérôme – Je n’ai pas d’enfants.

Claude – Pensez à votre femme. À la tête qu’elle fera si vous revenez ce soir à la maison pour lui annoncer que vous vous êtes encore fait renvoyer de votre job dès le premier jour…

Jérôme – Vous ne me laissez pas tellement le choix…

Claude – Je suis certaine que vous êtes fait pour ce poste, Monsieur Charpentier. Et croyez-moi, j’ai vu défiler pas mal de candidats. Vous avez touché le fond, Jérôme. Là où vous en êtes, vous ne pouvez que remonter. On vous a déjà dit que vous aviez une tête à claques ?

Jérôme – Oui, ma femme me le dit souvent. Mais je ne suis pas sûr que dans sa bouche, ce soit un compliment…

Dominique arrive.

Dominique – Le rendez-vous de Monsieur vient d’arriver… Je la fais patienter ?

Claude – Allez, faites encore un petit essai. Vous verrez. Je suis sûre que cela finira par vous plaire.

Jérôme – Ce n’est pas encore un test, au moins ?

Dominique – Ah, non, croyez-moi, celle-là, c’est une vraie cliente. Et elle n’a pas l’air contente du tout…

Claude – Bonne chance, Jérôme… Et souvenez-vous : vous êtes coupable de tout, mais vous n’êtes pas responsable de rien…

Claude sort. Dominique se dirige vers le guéridon, retourne le « thermos » comme pour le remettre dans le bon sens. Elle décroche le cadre, et sort avec. Le bouton rouge se met à nouveau à clignoter et l’alarme à retentir. Bernadette, style grande bourgeoise BCBG, arrive en trombe.

Bernadette – Espèce de salaud ! Vous m’avez ruinée !

Jérôme – Asseyez-vous, je vous en prie…

Bernadette regarde autour d’elle, surprise.

Bernadette – Il n’y a pas de chaise !

Jérôme – C’est vrai… Vous faites bien de me le faire remarquer.

Bernadette – Et s’il y en avait une, je vous la briserais sur le crâne.

Jérôme – Ça doit être pour ça qu’il n’y en a pas…

Bernadette – Mais vous ne payez rien pour attendre…

Elle sort de son sac à main Vuitton un revolver qu’elle braque sur Jérôme.

Bernadette – Si vous croyez en Dieu, c’est le moment de faire une dernière prière.

Jérôme – Je crois que c’est surtout le moment où jamais d’appuyer sur le bouton rouge…

D’une main tremblante, il appuie sur la touche rouge du téléphone.

Bernadette – Vous faites moins le malin, maintenant, hein ?

Jérôme – Attention, je vous en conjure… Ça part tout seul, ces engins-là…

Bernadette – Parfait, je n’aurais qu’à dire ça ! Le coup est parti tout seul, Monsieur le juge !

Jérôme – Mais… qu’est-ce que vous attendez de moi ?

Bernadette – Je veux que vous me rendiez mon argent.

Jérôme – Ça malheureusement, ce n’est pas en mon pouvoir, Chère Madame. Je vous le promets… Je suis coupable de tout, mais je ne suis pas responsable de rien.

Bernadette – Très bien, alors c’est ma mort que vous aurez sur la conscience.

Elle retourne l’arme contre elle et la braque sur sa tempe. Il panique.

Jérôme – Je vous en prie, ne faites pas ça… Ce n’est que de l’argent, après tout.

Bernadette – Trois millions d’euros.

Jérôme – Ah, oui, quand même…

Bernadette – Il me reste à peine de quoi vivre !

Jérôme – Combien ?

Bernadette se relâche un peu.

Bernadette – Environ dix millions.

Jérôme – Ah, oui, quand même…

Bernadette – Oh, avec dix millions, maintenant, on ne va pas très loin, vous savez…

Jérôme – J’imagine…

Claude arrive. Surprise, Bernadette a un geste de recul et braque à nouveau le revolver sur sa tempe.

Bernadette – Pas un geste ou je me fais sauter la cervelle !

Claude – En tant que chef de service, chère Madame, je tiens d’abord à vous assurer de toute notre solidarité.

Bernadette – Y compris financière ?

Claude – Psychologique, plutôt. Écoutez Geneviève, vous permettez que je vous appelle Geneviève ?

Bernadette – Si vous voulez, mais je m’appelle Bernadette.

Claude – Vous venez de perdre trois millions d’euros, alors naturellement, vous êtes en état de choc.

Bernadette – C’est vrai…

Claude – En réalité, vous êtes à peu près dans le même état de perturbation mentale qu’un smicard qui viendrait de gagner au loto.

Bernadette – Vous vous foutez de moi !

Claude – Laissez-moi terminer ! Dans le même état, mais à l’envers : vous, vous devez accepter l’idée que vous n’êtes plus aussi riche que vous l’avez été.

Jérôme – Il lui reste quand même dix millions d’euros…

Bernadette – Vous on ne vous a rien demandé ! D’ailleurs tout ça c’est à cause de votre totale incompétence en matière de placements financiers ! Osez dire le contraire ?

Jérôme – Je… Non…

Bernadette – Vous voyez ? Il le reconnaît lui-même. C’est un imbécile !

Claude – J’y viens, chère Madame. Nous avons tout à fait conscience des insuffisances de cet être flasque et visqueux, qui a malheureusement abusé de notre confiance comme de la vôtre.

Bernadette – Couille molle.

Claude – Et même si malheureusement, pour des raisons légales assez obscures, nous ne pouvons pas le mettre à la porte, nous veillerons à ce qu’il soit sévèrement sanctionné.

Bernadette – Ah, oui ? Et comment ?

Claude – Nous envisageons tout d’abord des châtiments corporels. Vous ne trouvez pas que ce type a une tête à claques.

Bernadette – Si…

Claude, par surprise, flanque une claque à Jérôme, qui en reste éberlué.

Claude (à Bernadette) – Allez-y, ne vous gênez pas, vous non plus… Vous verrez, ça va vous soulager…

Bernadette – Vous croyez ?

Claude – Faites-moi confiance, chère Madame.

Bernadette flanque aussi une gifle à Jérôme.

Claude – Alors ?

Bernadette – C’est vrai que ça fait du bien…

Jérôme – Oui, ben moi, ça ne me fait pas du bien !

Claude – Je me demande même s’il n’est pas possédé par le démon de la finance…

Claude sort un crucifix de sa poche et le dirige vers Jérôme.

Claude – Jérôme Kerviel, sort de ce corps immédiatement ! (À Bernadette) Ça marche à tous les coups, mais l’effet n’est pas toujours visible immédiatement…

Bernadette – Vous ne pensez pas qu’on devrait le brûler, pour plus de sécurité ? Comme on brûlait autrefois les sorciers…

Claude – En tout cas, à terme, on pourrait envisager l’incinération…

Le portable de Bernadette sonne, et elle répond.

Bernadette – Oui ? Ah, oui, excusez-moi… Non, non, je serai chez vous dans une petite demi-heure… Merci, à tout à l’heure… (Rangeant son portable) Excusez-moi, c’était mon coiffeur… J’avais oublié que j’avais rendez-vous ce matin… J’étais tellement contrariée…

Claude – Et ça se comprend…

Bernadette – Il faut que j’y aille… Vous savez ce que c’est ? Le temps que ça prend pour obtenir un rendez-vous chez un coiffeur digne de ce nom… Et je marie ma fille demain… Et dire que mon mari ne pourra pas voir ça.

Jérôme – Et pourquoi ça ?

Bernadette – Mais parce qu’il est mort ! (À Jérôme) Vous, vous ne payez rien pour attendre… (À Claude) Merci, vous aviez raison, ça m’a un peu soulagée…

Claude – Mais, je reste à votre service, Chère Madame.

La cliente s’en va.

Claude – Ça s’est plutôt bien passé, non ? Pour un baptême du feu… Bravo, vous vous en êtes très bien tiré.

Jérôme (se frottant la joue) – Ah, vous trouvez ?

Claude – Enfin, vous vous en êtes tiré… Quand elles sont suicidaires, comme ça, il faut absolument canaliser leurs tendances autodestructrices pour les transformer en une agressivité positive qui puisse se tourner vers autrui…

Jérôme – Et autrui, c’est moi…

Claude – Je suis très contente de vous, Jérôme. Si vous continuez comme ça, dans trois mois vous passez en CDI.

Jérôme – Je ne sais pas trop… Non mais vous avez vu ? Elle a failli me tuer !

Claude – Mais elle ne l’a pas fait.

Jérôme – Elle m’a quand même collé une baffe ! Et vous aussi !

Claude – Je vais être franche avec vous, Monsieur Charpentier.

Jérôme – Carpentier.

Claude – Avec votre tête de looser et votre CV qui ressemble au menu de Noël des restos du cœur, qu’est-ce que vous pouvez espérer faire dans la vie ?

Jérôme – Pas grand chose, je sais…

Claude – J’imagine que dans les précédents postes que vous avez occupés, on a dû souvent vous remonter les bretzels injustement, non ?

Jérôme – Les précédents postes que j’ai occupés…

Claude – Avec la tête à claques que vous avez, j’imagine qu’au cours de vos études, vos profs ont dû vous coller pas mal de torgnoles, non ?

Jérôme – Mes études…

Claude – Et bien ici, au moins, vous serez payé pour cela. Et vous jouirez en secret de la plus grande considération de la part de votre hiérarchie.

Jérôme – Je risque ma peau, quand même !

Claude – C’est pour cela que vous serez considéré comme un héros, Jérôme ! Que dis-je ? Presqu’une divinité ! Je parie qu’avec votre tête de faux cul, vous avez aussi été enfant de chœur, je me trompe ?

Jérôme – Non…

Claude – Alors souvenez-vous ! Je suis l’agneau de Dieu qui prend sur lui les péchés du monde ! En prenant sur vous l’ensemble des fautes de notre société, vous serez notre Jésus Christ, Jérôme. Vous en avez déjà les initiales. C’est un signe tout de même !

Jérôme – Les initiales ?

Claude – JC ! Jérôme Charpentier !

Jérôme – Carpentier.

Claude – Oui, bon, pour les initiales, ça ne change rien, non ?

Jérôme – Non…

Claude – En vérité, je vous le dis, Monsieur Charpentier, vous étiez prédestiné pour occuper ce poste de bouc émissaire. Alors bienvenu parmi nous !

Elle sort. Jérôme s’effondre dans son fauteuil, anéanti. Bernadette revient alors, suivie par Claude. Jérôme se lève, par réflexe.

Bernadette – Une dernière chose…

Jérôme – Je vous en prie…

Bernadette – Vous êtes vraiment une couille molle.

Bernadette lui flanque une autre gifle.

Claude – Et bien allez-y, Jérôme, tendez l’autre joue !

Jérôme, dans un état second, s’exécute. Bernadette lui flanque une autre gifle.

Bernadette – C’est vrai que ça fait du bien…

Claude – N’est-ce pas ? Vous pouvez aussi lui mettre un bon coup de pied aux fesses, si ça vous chante.

Bernadette – Vraiment ?

Claude – Jérôme ?

Jérôme (se tournant) – Oui ?

Bernadette en profite pour lui mettre un coup de pied aux fesses.

Bernadette – Ah, oui, ça soulage…

Claude – Au revoir chère Madame, je ne vous raccompagne pas. Vous connaissez le chemin ? Vous revenez quand vous voulez. Vous êtes ici chez vous !

Bernadette s’en va.

Claude – Elle vous adore déjà…

Jérôme – Vous pensez qu’elle reviendra souvent ?

Claude – Vous me rappelez mon mari, Jérôme. Qui sait ? Je finirai peut-être par vous épouser.

Jérôme – Mais je suis déjà marié…

Claude – En tout cas, félicitation. Je suis très contente de vous. Vous êtes déjà devenu un véritable paillasson.

Jérôme – Merci.

Claude – Vous verrez, vous finirez par y prendre goût.

Jérôme – Tout de même… Des baffes, passe encore, mais un coup de revolver… Je suis peut-être un carpette… mais je n’ai pas envie de me faire trouer le paillasson.

Claude – Il arrive aussi aux inspecteurs du travail de se faire plomber d’un coup de chevrotine, et pourtant, il y a encore des candidats… C’est la crise, Jérôme ! Là, au moins, ce ne sont que de petits calibres. Des armes pouvant tenir dans un sac à main Vuitton…

Jérôme – Ça se voit que n’êtes pas à ma place…

Claude – Vous êtes drôle, Jérôme… Évidemment, puisque je vous paie pour être à la mienne… Écoutez, vous m’êtes sympathique, alors voilà ce que je vous propose : une prime pour chaque paire de gifles, et un bonus pour chaque blessure par balle. Ça vous va ?

Jérôme – Je préférerais un gilet pare-balle.

Claude – Allons, Monsieur Charpentier… Les plus grands funambules travaillent sans filet. C’est ce qui fait la grandeur de leur métier. Vous êtes un artiste, Jérôme !

Claude sort. Le téléphone sonne.

Jérôme – Ah, oui, chérie, c’est toi… Ah, oui, tu trouves que j’ai une voix bizarre ? Si, si, tout va bien… Écoute, c’est une sorte de… C’est un peu difficile à expliquer… Je viens de recevoir ma première cliente… Écoute, plutôt bien… D’après ma chef de service, en tout cas… Eh bien oui, pourquoi pas… je viens de toucher mes tickets-restaurants, justement… D’accord, à tout à l’heure… (Il raccroche) Je n’en reviens pas d’avoir dit que ça se passait plutôt bien…

Dominique, vêtue cette fois d’une blouse blanche, façon infirmière. Elle tient un verre à la main, qu’elle pose sur le bureau.

Dominique – Alors, Jérôme ? Rien de cassé ?

Jérôme – Non, je ne crois pas…

Dominique – Je vais quand même vous ausculter, n’est-ce pas ? Simple examen de routine, ne vous inquiétez pas. Levez-vous je vous prie.

Il se lève. Elle procède sur lui à un examen sommaire, à l’aide des quelques instruments médicaux qu’elle porte autour du cou ou dans ses poches de blouse.

Dominique – Ouvrez la bouche et tirez la langue, s’il vous plaît… Merci… Penchez-vous un peu en avant, et dites trente trois millions… Parfait… Et bien je crois que vous êtes encore bon pour le service… Bravo… (Elle lui tend un cachet et le verre d’eau) Tenez, avalez ça quand même, ça vous fera du bien…

Jérôme – Ce n’est pas du poison, au moins.

Dominique – Allons, voyons… Pourquoi voudrais-je vous empoisonner ?

Il avale le cachet sans broncher.

Jérôme (avec un geste du côté du guéridon) – Et lui, il est mort de quoi ?

Dominique – Lui ?

Jérôme – Le type dans le thermos.

Dominique – Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il y a quelqu’un d’enfermé dans ce thermos ?

Jérôme – C’est vous qui me l’avez dit tout à l’heure !

Dominique – Je vous ai dit qu’il y avait quelqu’un enfermé dans ce thermos ?

Jérôme – Mais ce n’est PAS un thermos !

Dominique – Alors pourquoi dites-vous qu’il y a quelqu’un d’enfermé dedans ?

Elle prend le verre vide, se dirige vers le thermos, et le remplit de café à la stupéfaction de Jérôme.

Dominique – Un petit café, pour faire passer le goût du médicament ?

Jérôme – Non, merci…

Dominique – Bon, et bien c’est moi qui le bois, alors. (Elle vide le verre). Vous voyez, ça n’est pas du poison non plus… Mais c’est vrai qu’il n’est plus très chaud…

Jérôme reste stupéfait, commençant à douter de sa raison. Marie arrive dans le bureau, genre assez quelconque et pas très élégante. Le personnage de Marie peut être interprété par la même comédienne que celle qui interprète Bernadette.

Dominique – Ah, vous avez une nouvelle visite… (En aparté) Et elle n’a pas l’air de bonne humeur…

Jérôme – C’est ma femme.

Dominique – Très bien, je vous la laisse… Je veux dire : je vous laisse…

Dominique sort. Marie la regarde partir avec un air méfiant.

Marie – Tu as une assistante pour toi tout seul ?

Jérôme – C’est dingue, non ?

Marie – Et un bureau individuel ?

Jérôme – Pas mal, hein ?

Marie – Alors ? Tu vois que j’ai bien fait de te faire abandonner le théâtre pour trouver enfin un vrai boulot !

Jérôme – Oui…

Marie – Alors, comment ça se passe ?

Jérôme – Écoute… je ne sais pas très bien quoi te dire, en fait.

Marie – Ils ne vont pas te garder, c’est ça ?

Jérôme – Non, c’est moi… Je ne suis pas sûr de vouloir rester…

Marie – Non, mais tu plaisantes ?

Jérôme – Tu ne vas pas me croire, mais… ils me tapent.

Marie – Ils te tapent ? Mais moi aussi, Jérôme, mon patron me tape.

Jérôme – Ah, bon ?

Marie – Mes collègues me tapent. Mes clients me tapent. Tout le monde me tape ! Mais bon, il faut bien gagner sa vie !

Jérôme – Ah, non, mais moi, quand je dis qu’ils me tapent, je veux dire… qu’ils me tapent vraiment, tu comprends ?

Marie – Ils te tapent vraiment ?

Jérôme – Ils me filent des baffes !

Marie – Ah, oui…

Jérôme – Des coups de pieds au cul !

Marie – Alors c’est tout ce que tu as trouvé ?

Jérôme – Pour ?

Marie – Pour essayer de te défiler encore une fois !

Jérôme – Mais pas du tout !

Marie – Je te préviens, Jérôme, c’est ta dernière chance. Si tu n’es pas capable de garder ce poste, cette fois, je te quitte.

Jérôme – Ne t’énerve pas, chérie, je disais ça… C’était juste pour parler… Mais oui, bien sûr, je vais le garder, ce boulot…

Marie – Très bien… Tu m’as promis ?

Jérôme – Sur la tête de… Tiens, de mon prédécesseur…

Marie – Bon, alors je te laisse… Il faut que je file…

Jérôme – Tu ne déjeunes pas avec moi ? Je t’ai dit, j’ai des tickets restaurant !

Marie – Désolée, mais ce sera pour une autre fois. J’avais complètement oublié que je devais déjà déjeuner avec ma mère.

Jérôme – Ah, oui ?

Marie – C’est lundi, Jérôme… Tous les lundis, je déjeune avec ma mère…

Jérôme – Bien sûr… Excuse-moi de ne pas y avoir pensé…

Marie – Allez, bon courage…

Jérôme – Toi aussi…

Elle s’en va, mais se ravise.

Marie – Ah, au fait… Tu pourrais me passer tes tickets-restaurants, puisque tu ne vas pas t’en servir ?

Jérôme – Bien sûr, ma chérie, tiens les voilà.

Jérôme lui tend son carnet de tickets.

Marie – Merci. Bon et bien j’y vais. Alors à ce soir ?

Jérôme – Oui.

Marie – Et bon appétit quand même.

Dominique revient avec une pile de lettres.

Dominique – Elle n’a pas l’air commode, Madame Charpentier…

Jérôme – Il faut savoir la prendre…

Dominique – Tenez, voici votre courrier.

Elle dépose les lettres sur son bureau.

Jérôme – Parce que j’ai aussi du courrier ?

Dominique – Bien sûr !

Il jette un regard sur les enveloppes.

Jérôme – Qu’est-ce que c’est ?

Dominique – Des lettres d’insultes, principalement. De menaces, bien sûr… Quelques enveloppes piégées, mais c’est très rare. Et puis vous n’êtes pas obligé de les ouvrir, hein ? Voulez-vous que je vous en débarrasse tout de suite?

Jérôme – Oui, je vous remercie…

Dominique – Très bien Monsieur Charpentier… Si vous permettez, j’en ouvrirai quand même une ou deux avant de les confier à notre service de déminage. Il y en a parfois qui sont assez amusantes. Je ne devrais pas, mais je ne résiste jamais à la tentation d’en lire quelques unes…

Dominique reprend les lettres et s’en va. Jérôme s’effondre sur son fauteuil et tente de souffler un peu. On entend un bruit d’explosion.

Jérôme – La curiosité est un vilain défaut…

Mais Jérôme n’a guère le temps de soupirer. Le voyant rouge se met à nouveau à clignoter et la sonnerie d’alarme à retentir. Madeleine, genre riche parvenue un peu vulgaire, entre dans le bureau. Le personnage de Madeleine peut être interprété par la même comédienne que celle qui interprète Bernadette et/ou Marie.

Madeleine (sèchement) – Bonjour Monsieur.

Jérôme – Bonjour Madame. Vous voulez me gifler tout de suite, ou vous préférez m’insulter un peu avant ?

Madeleine (surprise) – J’avoue que c’est tentant, avec la tête à claques que vous avez, mais…

Jérôme – Ne vous gênez surtout pas. Je l’ai bien mérité, je vous assure.

Madeleine – Non, vraiment, je…

Jérôme – Donnez-moi au moins un bon coup de pied dans les tibias ! Il faut bien que je justifie mon salaire !

Madeleine – Écoutez, je ne comprends pas… Grâce à vos conseils avisés, j’ai multiplié mon capital par trois en deux ans.

Elle lui tend la main et il a un geste de recul, comme si elle s’apprêtait à lui flanquer une gifle.

Madeleine – Madeleine.

Il se reprend et lui serre la main.

Jérôme – Badeleine ?

Madeleine – Vous êtes enrhumé ?

Jérôme – Non, pourquoi ?

Madeleine – Vous avez dit Bas de Laine.

Jérôme – J’ai peut-être la joue un peu enflée…

Madeleine – Bref, je venais vous remercier, au contraire, et…

Jérôme – Me remercier ?

Madeleine – Tenez, d’ailleurs je vous ai apporté des bonbons…

Elle sort de son sac une boîte de bonbons qu’elle lui tend. Il semble très surpris, avant de péter les plombs. Il envoie valser la boite et son contenu.

Jérôme – Mais je n’en veux pas de vos bonbons !

Madeleine – Excusez-moi, si j’avais su, je vous aurais apporté des chocolats. Vous aimez le chocolat ?

Jérôme – Vous me faites perdre mon temps, vous comprenez ?

Madeleine – Des fleurs, alors ?

Jérôme – Vous croyez vraiment que je n’ai que cela à faire ?

Madeleine – Non, bien sûr, mais…

Jérôme – Et puis vous vous rendez compte de ce que vous dites ?

Madeleine – Quoi ?

Jérôme – Vous êtes trois fois plus riche qu’avant ! Et qu’est-ce que vous avez fait pour ça ?

Madeleine – Rien…

Jérôme – Et vous n’avez pas honte ?

Madeleine – Non…

Jérôme – Venez un peu par ici !

Elle s’exécute. Il la prend sur ses genoux et lui donne une fessée.

Jérôme – Vous n’avez pas honte ?

Madeleine – Si, ça commence à venir…

Jérôme – Et maintenant, fichez-moi le camp !

Madeleine – Très bien, Monsieur Charpentier…

Madeleine s’en va, toute penaude. Dominique arrive, en trombe, le visage noirci par l’explosion d’une enveloppe piégée.

Jérôme – Quoi encore ?

Dominique – Je suis vraiment désolée pour ce quiproquo. Il s’agit d’une erreur, évidemment. Mais d’habitude, il n’y a que les clientes insatisfaites qui demandent un rendez-vous. Et puis comme vous le voyez, j’étais encore en état de choc…

Claude arrive. Dominique s’éclipse.

Jérôme – Je suis vraiment confus. J’ai cru que… Je me suis peut-être un peu laissé emporter…

Claude – En effet… (Émoustillée) Je ne savais pas que sous ces airs de chien battu se cachait un véritable pitbull…

Jérôme – Vous n’allez pas me licencier pour faute au moins ? Ma femme tient beaucoup à ce que je conserve ce poste.

Claude – Vous licencier ? Mais pas du tout, voyons ! D’ailleurs la cliente avait l’air ravie de ce petit entretien avec vous… Elle envisage même de nous confier le restant de ses économies.

Jérôme – Ah, oui ?

Claude – Je me demande si je ne vais pas élargir le périmètre de vos compétences, Jérôme.

Jérôme – Mes compétences…

Claude – Mais auparavant, bien sûr, il faudrait que je vous fasse passer un autre petit test, afin de vérifier que vous avez bien la poigne nécessaire.

Elle commence à se déshabiller.

Claude (folle de son corps) – Moi aussi je gagne de l’argent en dormant, Jérôme… Je mérite une bonne punition…

Elle appuie sur le bouton rouge qui se met à clignoter, et la sonnette d’alarme se déclenche.

Noir.

Lumière.

Claude se rhabille, tandis que Jérôme remet lui aussi un peu d’ordre dans sa tenue. Dominique arrive avec un nouveau portrait qu’elle accroche au mur à la place de l’ancien. Il s’agit d’un Christ en croix. Jérôme s’approche du portrait et le regarde.

Jérôme – Mais c’est moi, là !

Dominique – Vous êtes l’employé du mois, Jérôme.

Claude – Alors, heureux ?

Dominique – Votre femme va être fier de vous, Monsieur Charpentier.

Il reste un instant déconcerté.

Claude – Ça c’était la bonne nouvelle, Jérôme…

Jérôme – Parce qu’il y a une mauvaise nouvelle ?

Claude – Nous l’apprenons à l’instant. Notre banque vient d’être déclarée en faillite.

Dominique – Les veuves en ruines se pressent contre les grilles de l’agence.

Claude – Il va falloir trouver rapidement quelque chose pour les calmer…

Jérôme – Je vois… Beaucoup de travail pour moi en perspective…

Dominique – Je crains que cette fois, cela ne suffise pas, hélas.

Claude – Il va falloir frapper un grand coup.

Dominique – Faire un geste symbolique.

Claude – C’est la survie même de notre système bancaire qui est en jeu, Jérôme.

Jérôme – Dites-moi que c’est un cauchemar…

Claude (à Dominique) – Allez chercher le marteau et la faucille…

Dominique – Vous voulez dire le marteau et les clous.

Claude – Ce n’est pas ce que j’ai dit ?

Dominique sort.

Claude – Il va falloir être courageux, Jérôme.

Le voyant rouge se met à clignoter et la sonnerie d’alarme à retentir.

Noir.

Lumière.

Jérôme dort, renversé dans son fauteuil. Le téléphone sonne, et il se réveille en sursaut. Il décroche.

Jérôme – Oui…? Ah, Dominique ? Oui, oui, d’accord… Non, non, ça va… Je me suis endormi un moment, et j’ai fait un cauchemar…

Il se lève, encore dans le cirage, et se dirige vers le guéridon. Il prend le thermos.

Jérôme – J’ai besoin d’un bon café, moi…

Il dévisse le thermos et va pour se servir un café dans le bouchon. Mais c’est une fumée blanche qui semble en sortir et qui enveloppe la scène, baignée d’une lumière irréelle, tandis que résonne une voix off qui peut être celle de Claude.

Claude – Vous avez le droit de faire un vœu, Monsieur Charpentier…

Jérôme – Moi, c’est Carpentier, en fait…

Claude – Autant pour moi…

Jérôme – Et d’habitude, c’est trois vœux, non ?

Claude – C’est la crise, Monsieur Carpentier.

Jérôme – Un seul vœu… Bon, alors disons… Je peux avoir un café ?

Noir.

Lumière.

Jérôme dort, renversé dans son fauteuil. Marie arrive dans son bureau et l’aperçoit.

Marie – Jérôme ?

Jérôme – Marie ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Marie – J’ai demandé à ton assistante de m’annoncer, mais comme tu ne répondais pas…

Jérôme – Excuse-moi, j’ai dû m’assoupir un instant…

Marie – Tu te souviens qu’on devait déjeuner ensemble ?

Jérôme – Oui, oui, bien sûr… Je suis prêt… On y va ?

Marie – Ok. Tu es sûr que ça va ?

Jérôme – Oui, oui, ça va. La routine…

Marie – Bon…

Ils s’apprêtent à sortir.

Jérôme – J’ai juste fait un cauchemar incroyable… Tu ne peux pas savoir…

Marie – Ah, oui ?

Jérôme – Tu vas rire, mais j’ai rêvé que tu étais ma femme.

Marie – Mais Jérôme… Je suis ta femme…

Jérôme – Ah… Dans ce cas je crois que ce cauchemar n’est pas encore tout à fait terminé…

Ils sortent.

Noir.

 

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Juin 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-37-6

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Les Touristes

Die Touristen – TURISTÉ

Comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes / 2 femmes

Deux touristes débarquent à la villa qu’ils ont louée pour les vacances dans un pays du Maghreb en promo après sa récente révolution. Mais la maison est déjà occupée par un autre couple…


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TEXTE INTÉGRAL

Les Touristes

Personnages : MauriceDelphinePatrickBrigitte 

Acte 1

La terrasse d’une villa quelque part en Afrique du Nord. Une table de jardin. Quelques chaises. Deux transats. Maurice et Delphine, un couple de bobos parisiens, arrivent, fourbus. Maurice tire derrière lui une valise à roulettes Vuitton.

Delphine – Ce n’est pas trop tôt… Vingt minutes de l’aéroport, tu parles !

Maurice – En hélicoptère, peut-être…

Delphine – Pas avec une de ces bétaillères qu’on appelle ici un autobus, en tout cas… Je t’avais dit qu’on aurait dû prendre un taxi !

Maurice – Reconnais que c’était quand même assez typique…

Delphine – Quoi ? De voyager au milieu de tous ces animaux ? J’ai l’impression de sentir la chèvre, non ?

Maurice – Je ne sens rien…

Delphine – Ils auraient au moins pu nous prévenir que c’était un omnibus… Deux heures pour venir jusqu’ici…

Maurice pose la valise et admire le paysage.

Maurice – On est arrivé, c’est le principal ! Et la vue est magnifique. Regarde !

Delphine regarde à son tour et esquisse un sourire, avant de se rembrunir.

Delphine – Où est la mer ? Sur le site, c’était marqué terrasse avec vue sur la mer !

Maurice cherche désespérément, et trouve enfin.

Maurice – Ah, si, là-bas…

Delphine – Je ne vois rien… Où ça ?

Maurice – Mais si ! Tout à fait à gauche. Entre les deux chameaux…

Delphine – Ah, oui… En se penchant un peu, avec de bonnes jumelles…

Maurice (avec un geste tendre) – Allez… L’important, c’est qu’on soit ici… Ensemble… Pour notre deuxième lune de miel…

Delphine (se radoucissant un peu) – Tu as raison… Dix ans de mariage, tu te rends compte ? Si c’était à refaire, tu le referais ?

Maurice – Les yeux fermés !

Delphine – Et les yeux ouverts ?

Maurice – Tu vas voir, je suis sûr qu’on sera très bien ici… En tout cas, ce sera toujours plus confortable que le terminal low cost de l’Aéroport de Beauvais…

Delphine – Onze heures de retard… à se nourrir de sandwichs avariés. C’est vraiment du racket. Ils te refilent une intoxication alimentaire avant d’embarquer, et dans l’avion, même pour vomir, les sacs en papier sont en supplément.

Maurice – Vois le bon côté des choses : au moins, on est déjà vaccinés contre la turista…

Delphine – Et dire qu’on a dû entasser toutes nos affaires dans une seule valise pour éviter de payer un bagage supplémentaire…

Maurice – Comme ça on voyage plus léger ! Je suis sûr qu’autrement, on aurait emmené des tas de trucs inutiles.

Delphine – Inutiles ? Sache qu’une femme n’emmène jamais rien d’inutile dans ses bagages. Tu confonds l’inutile avec le superflu, qui est absolument indispensable au bonheur de toute femme. Surtout pendant les vacances.

Maurice – Et puis Les Seychelles, avec Air France et en hôtel club, franchement… C’est un peu cliché, non… ?

Delphine – C’est là où on a passé notre première lune de miel !

Maurice – Justement ! À l’époque, Les Seychelles, c’était encore l’aventure. Maintenant, c’est tellement surfait…

Delphine – Pour notre anniversaire de mariage, ça ne m’aurait pas dérangée de faire dans le conventionnel.

Maurice – Et puis là, au moins, on soutient les mouvements de libération dans le Maghreb… Tu as vu tous ces panneaux électoraux fleurir un peu partout ? Ce vent de démocratie qui souffle sur le pays ?

Delphine – Oui, enfin… Passer ses vacances dans une villa avec piscine pour relancer le tourisme après la révolution… J’espère que tu ne te prends pas pour Che Guevara, quand même…

Maurice – N’empêche que si tout le monde optait pour des vacances solidaires…

Delphine – Ce n’est pas une démocratie, Les Seychelles ?

Maurice – Je ne sais même pas si c’est un pays…

Delphine – À qui ça appartiendrait, alors ?

Maurice – À un tour operator ?

Ils jettent un coup d’œil autour d’eux.

Delphine – Bon… Qu’est-ce qu’on fait ? On attend que quelqu’un arrive ?

Maurice – C’est ouvert, regarde.

Delphine – Je pensais que le propriétaire serait là sur la terrasse pour nous accueillir, en costume folklorique, assis sur un tapis d’orient, avec du thé à la menthe… Où est passé le légendaire sens de l’hospitalité dans les pays arabes ? Je te dis, la révolution, ça n’a pas que du bon. Les vieilles coutumes se perdent…

Maurice – Ça prouve au moins qu’il n’y a pas de problème de sécurité. À Paris, si on laissait notre porte ouverte comme ça… On ne retrouverait même pas la porte…

Delphine – Bon, ben on va aller voir à quoi ça ressemble à l’intérieur alors… Je ne rêve que d’une chose, c’est de prendre une douche et de changer de vêtements…

Maurice – Moi aussi.

Ils entrent dans la maison en tirant leur valise… Aussitôt après, un autre couple arrive sur la terrasse, plutôt beauf, celui-là. Patrick est vêtu d’un short et un teeshirt publicitaire. Brigitte, sexy tendance vulgaire, est habillée d’un paréo assez voyant. Ils reviennent de la piscine. Patrick porte un parasol replié ainsi qu’une radio et Brigitte une glacière.

Patrick – Heureusement qu’on avait emmené le parasol et la glacière, parce que ça tape au bord de la piscine… Je me rincerais bien la glotte, moi. Tu n’as pas soif, bébé ?

Brigitte – Je boirais la mer et ses poissons…

Ils s’installent dans les transats. Brigitte allonge la main vers la glacière qu’elle a posée à côté d’elle.

Brigitte – Qu’est-ce que tu veux, Patou ?

Patrick – Une petite mousse, tiens, ça me fera du bien…

Elle lui passe une cannette, et se sert un Coca Light.

Brigitte – C’est la dernière, il faudra en racheter.

Patrick – Déjà…

Brigitte – Tu en as bu combien, depuis ce matin ?

Patrick – Quand on aime, on ne compte pas… Tu crois qu’on trouve de la bière, ici ?

Brigitte – De la bière sans alcool, peut-être.

Patrick – Non ?

Brigitte – C’est des musulmans.

Patrick – Je me demande si on n’aurait pas mieux fait de repartir sur la Costa Brava…

Brigitte – Oh, la Costa Brava… C’est devenu très snob, non ?

Patrick – Tu trouves ?

Brigitte – Et puis c’est vrai que cette année, avec ce qui est arrivé, on n’aurait pas eu le cœur à retourner là-bas, non ?

Patrick – Ni les moyens… C’est plus cher qu’en France maintenant !

Brigitte – Surtout depuis le passage à l’euro.

Patrick – Sans parler de la sécurité… L’année dernière, on nous a forcé la portière de la voiture… Avec Franco, il n’y avait pas tous ces problèmes là.

Brigitte – Non, c’est vrai que jusque là, je n’étais pas très fan du Maghreb. Mais faut reconnaître qu’à ce prix là…

Patrick – Et puis ici, ce n’est pas vraiment des Arabes, non ?

Brigitte – Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ?

Patrick – Je ne sais pas… Des Bédouins…

Brigitte – Des Bédouins ? (Un temps) Et les Bédouins, ce n’est pas des Arabes ?

Patrick – Je ne crois pas…

Ils boivent une gorgée de leurs cannettes respectives en réfléchissant à cette grave question.

Brigitte – Les Bédouins, ce n’est pas ceux qui vivent dans le désert ?

Patrick – Pourquoi ?

Brigitte – Ben ici, on n’est pas dans le désert ! On est au bord de la mer.

Patrick – Sur des chameaux, tu veux dire ? Ça c’est les Touaregs, non ?

Brigitte – Et les Touaregs non plus, ce n’est pas des Arabes ?

Patrick – Va savoir.

Brigitte – Mais ils sont musulmans ?

Patrick – Qui ?

Brigitte – Les Bédouins !

Patrick – Ah ben, oui, quand même. Enfin je crois… On est dans le désert, mais au bord de la mer. Regarde, il y a un chameau là-bas ! Le vaisseau du désert, comme disent les gens d’ici.

Brigitte (bâillant) – Ah, bon ? Je ne suis pas encore remise du voyage, moi.

Patrick – Ça ne fait qu’une heure qu’on est arrivés.

Brigitte – Ça doit être le décalage horaire.

Patrick – Il n’y a qu’une heure de décalage ! Et encore, seulement l’été…

Brigitte – Ouais ben quand on n’est pas habitué…

Patrick – C’est vrai qu’il est déjà midi, et je n’ai même pas encore la dalle…

Brigitte – Tu as raison. Avec la Costa Brava, on n’avait pas ce problème de jet lag.

Patrick – Bon, ben en attendant que l’appétit vienne en mangeant, je ferais bien un petit somme, moi. Qu’est-ce que tu en penses ?

Brigitte – On va se gêner ! On est en vacances, non !

Ils commencent à s’assoupir… Maurice et Delphine reviennent sur la terrasse, et ne voient pas tout de suite Patrick et Brigitte, endormis dans les transats.

Maurice – Alors ? Pas mal, non ?

Delphine – Un peu rustique, mais ça ira.

Maurice – Si tu songes que ces gens se relèvent à peine d’une dictature d’un demi-siècle…

Delphine – Pourquoi un demi-siècle ? C’était une démocratie, il y a cinquante ans, ici ?

Maurice – Une royauté, je crois… Non ?

Delphine – Et c’est qui, exactement, ce candidat, pour ces premières élections démocratiques ?

Maurice – Lequel ?

Delphine – Il y en a plusieurs ?

Maurice – Ah ben oui, quand même…

Delphine – Celui dont on voit la tête sur toutes les affiches !

Maurice – Ah, le favori… C’est l’ancien ministre de la justice…

Delphine – Le ministre de la justice du dictateur qu’ils viennent de renverser ?

Maurice – C’est ce que j’ai lu dans la presse…

Delphine – Et ça ne t’a pas étonné… ?

Maurice – Quoi ?

Delphine – Que les dictateurs aient aussi un ministère de la justice ?

Maurice – En fait, ces pauvres gens n’ont jamais connu la démocratie. Évidemment, il va leur falloir un peu de temps pour l’apprécier à sa juste valeur.

Delphine – Eh oui… La démocratie à la française, c’est comme le vin d’appellation ou le parfum de luxe, ça demande quand même une certaine culture…

Maurice – Il faut que le palais soit éduqué.

Delphine – Et l’odorat. Tu es sûr que je ne sens pas un peu la chèvre ?

Maurice – Pas plus que ça…

Delphine – Il fait une chaleur… Tu as raison, finalement, soutenir la révolution sans la clim, ça commence vraiment à devenir héroïque.

Maurice – En tout cas, tu as vu ? Ils ont même mis des boissons au frais dans le frigo ! Toi qui doutais de leur sens de l’hospitalité…

Patrick émet alors un ronflement. Maurice et Delphine aperçoivent enfin l’autre couple, toujours assoupi.

Delphine – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Maurice – Ça doit être les propriétaires…

Delphine – Ils n’ont pas vraiment le type arabe.

Maurice – C’est peut-être des Kabyles…

Delphine – Ils ont surtout l’air un peu débiles.

Delphine – Vous parlez français ?

Patrick et Brigitte, que la conversation des deux autres vient de sortir de leur torpeur, reprennent leurs esprits. Maurice et Delphine les regardent avec effarement.

Patrick – Ah, on piquait un petit roupillon… C’est vous, les tauliers ?

Delphine – Les tauliers…

Maurice – Ça veut dire les patrons.

Delphine – Oui, merci, j’ai déjà vu un film de Michel Audiard. Mais je ne pensais pas que les gens du peuple parlaient encore comme ça aujourd’hui. (À Patrick) Qu’est-ce que vous faites là, mon brave, si vous n’êtes pas le propriétaire ? Vous êtes venu tondre la pelouse ?

Brigitte – Ben on habite ici !

Brigitte – Enfin pour les vacances…

Maurice – Comment ça ? Mais c’est nous qui avons loué cette villa !

Patrick – Ah, nous aussi, je vous assure.

Maurice – J’ai compris… Ces messieurs dames sont les précédents locataires… Vous êtes sur le départ, c’est ça ?

Brigitte – Mais pas du tout ! On est arrivés il y a une heure !

Patrick – On est là pour une semaine. Et vous ?

Maurice – Nous aussi…

Delphine – C’est un cauchemar, Maurice, fait quelque chose…

Maurice – Ça doit être un malentendu. Le propriétaire va arriver, et il va arranger ça. Vous l’avez vu, le propriétaire ?

Patrick – Ben non, et vous ?

Maurice – Pas encore.

Brigitte – On est arrivé il y a une heure en taxi.

Delphine – Tu vois ! Si on avait pris un taxi, on serait arrivés les premiers…

Patrick – Comme c’était ouvert, on est entrés.

Brigitte – On n’a même pas encore ouvert les valises.

Delphine – Et bien comme ça, vous serez plus vite repartis !

Patrick – On a juste eu le temps de piquer une tête à poil dans la piscine.

Brigitte – On ne pensait pas avoir de la compagnie…

Delphine (parlant de Patrick) – Sa tête me dit quelque chose…

Maurice (embarrassé) – Moi aussi… On a dû les apercevoir dans l’avion.

Delphine – C’est peut-être des squatteurs…

Maurice – Bon, je vais appeler le propriétaire.

Maurice dégaine son Smartphone sous le regard attentif des trois autres.

Maurice – Il n’y a pas de réseau…

Patrick – Ça doit être ça qu’on appelle le téléphone arabe.

Brigitte – Bon ben il finira bien par rappliquer.

Patrick – Il n’y a pas mort d’homme, c’est clair.

Brigitte – La maison est grande ! (À Patrick) Tu vois, toi qui avais peur de t’ennuyer…

Patrick – D’habitude, on part toujours avec des amis, mais là, ils n’étaient pas disponibles…

Brigitte – Ils sont morts tous les deux dans un accident de voiture il y a deux mois…

Patrick – Ça nous en a foutu un coup, évidemment.

Brigitte – Depuis le temps qu’on passait nos vacances ensemble.

Patrick – Ils avaient un petit appartement sur la Costa Brava.

Brigitte – Ils nous invitaient tous les ans au mois d’août.

Patrick – Il a fallu qu’on trouve autre chose d’urgence.

Brigitte – Au mois d’août, vous pensez bien…

Patrick – Alors on s’est rabattus sur le Maghreb.

Brigitte – Comme c’était en promo…

Patrick – Finalement, c’est un peu la même chose que la Costa Brava, non ?

Brigitte – Au lieu de manger de la paella, on mangera du couscous, et puis voilà.

Patrick – Ah ben nous, la compagnie, ça ne nous dérange pas. Hein Brigitte ?

Delphine (en aparté à Maurice) – Tu ne nous aurais pas arrangé un plan à quatre avec des prolos, pour notre anniversaire de mariage, histoire de ranimer la flamme ? Parce que tu sais que je n’aime pas beaucoup les surprises…

Patrick – Et ben on va prendre l’apéro en attendant, pas vrai ? Bébé, tu vas nous chercher les olives ?

Brigitte entre dans la villa.

Patrick – Il ne me reste plus de bière. Un petit pastaga, ça vous dit ?

Delphine – Un quoi ?

Maurice – Un pastis…

Patrick – Avec cette cagna, un petit pastaga bien frais… J’ai du sirop de menthe. Un perroquet, pour la petite dame ?

Delphine (en aparté à Maurice) – C’est un cauchemar… Je ne comprends même pas ce qu’il me dit finalement…

Patrick fait le service. Brigitte revient avec les olives. Patrick lève son verre.

Patrick – Santé !

Brigitte – Allez-y prenez des olives…

Patrick – Vous connaissez déjà le pays ?

Delphine – Comment est-ce qu’ils ont bien pu louer deux fois la même villa ?

Maurice – Alors ça…

Delphine – Vous avez le contrat de location ?

Patrick – Ah, oui, tenez… (Il tend à Delphine le contrat de location) Monsieur et Madame Martin… C’est marqué là…

Delphine – Monsieur et Madame Martin !

Patrick – Mais vous pouvez m’appeler Patrick…

Brigitte – Et moi, c’est Brigitte.

Maurice – Nous avons le même patronyme…

Patrick – Le quoi… ?

Delphine – Nous nous appelons aussi Martin ! Ça doit venir de cette homonymie…

Brigitte – Ah, oui ?

Patrick – C’est marrant, ça…

Brigitte – Remarquez, vous savez ce qu’on dit ? Il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin !

Patrick – C’est ce que me répétait toujours mon prof au collège… On n’était deux à s’appeler comme ça dans la classe. Mais alors l’autre, c’était un sacré fayot, hein ! Une tronche genre premier de la classe, voyez ? Toujours les meilleures notes. Ce n’était pas vous, au moins ? Vous lui ressemblez un peu.

Maurice – Ah, je ne crois pas non…

Patrick – Hein, bébé, qu’il ressemble un peu à Momo ? Tu l’as connu, toi, Momo !

Brigitte – Non…

Patrick – Mais si ! On était à l’école ensemble ! Au collège Gagarine. Gagarine ! Le prof me disait toujours : quand on mettra les cons en orbite, tu n’as pas fini de tourner !

Delphine – Ça c’est du Michel Audiard.

Brigitte – Vous avez raison, Delphine. Ça doit être à cause de cette homophobie…

Delphine – Pardon ?

Brigitte (à Maurice) – Ils ont du croire que mon mari et vous, c’était un seul et même couple…

Patrick – Eh, oui… On porte le même nom… Allez savoir, on est peut-être cousins.

Brigitte – Remarquez, la maison est grande. Et si on est presque en famille. Pourquoi on ne passerait pas les vacances ensemble ?

Delphine – Ensemble ?

Patrick – On partage le loyer !

Brigitte – Et pour la bouffe, on fait une cagnotte.

Patrick – Comme avec nos amis.

Maurice – Vos amis ?

Brigitte – Ceux qui sont morts décédés !

Patrick – Qu’est-ce que vous en dites ?

Brigitte – C’est déjà tellement bon marché… Alors divisé par deux…

Patrick – À ce prix-là, ça coûte moins cher de venir ici que de rester chez soi regarder la télé, c’est clair.

Brigitte – Si encore il y avait des trucs bien à la télé !

Delphine (à Maurice) – Eh ben voilà… Toi qui voulais faire des économies… Ben dis quelque chose…

Maurice – Dans l’immédiat, de toute façon, il n’y a pas tellement d’autre solution…

Delphine – Merci, c’est tout à fait ce que j’attendais que tu dises… Mais je ne sais pas, moi, il y a bien des hôtels, dans le coin ?

Patrick – Ouh la… Il n’y a pas grand chose, hein… D’après ce qu’on a vu depuis le taxi en venant jusqu’ici. C’est la brousse. Ou plutôt le désert.

Brigitte – À part quelques tentes de Bédouins…

Patrick – Et la petite dame, elle s’appelle comment ?

Maurice – Martin, je vous l’ai dit ! C’est ma femme. On s’appelle tous les deux Martin.

Delphine (en aparté à Maurice) – Ils sont demeurés, ce n’est pas possible…

Patrick – Non, je veux dire votre petit nom ! Pas votre… patronyme.

Delphine – Delphine. Je m’appelle Delphine.

Patrick – C’est clair… Et lui alors, c’est Maurice. Tiens, c’est marrant ça. Momo ! Comme mon pote au collège ! Mais alors lui, ce n’était pas Maurice, hein ?

Brigitte – Je vous ressers un apéro ?

Maurice – Merci, ça ira…

Patrick – Et tu es dans quoi, Momo ?

Maurice – Euh, je suis journaliste…

Patrick – Le Parisien ? France Soir ?

Maurice – Golf Magazine International.

Patrick – Ah, d’accord… Grand reporter, alors… (À Delphine) Et Madame ?

Delphine – Je suis peintre.

Brigitte – Peintre ? Ah, ce n’est pas commun comme métier pour une femme.

Patrick (à Brigitte) – Toi qui voulais refaire ta cuisine, il faudra que tu lui demandes un devis !

Delphine – Euh… Non, je… Je ne peins pas des cuisines…

Brigitte – Ah, bon ? Et qu’est-ce que vous peignez, alors ?

Delphine – Des vaches, principalement.

Brigitte – Des vaches ?

Delphine – Des veaux aussi, parfois.

Maurice – Ma femme est artiste peintre.

Delphine – Peintre animalier.

Patrick – Ah, d’accord… Et vous vous êtes spécialisée dans les bovins ?

Brigitte – Ah ben ce n’est pas de chance, parce que par ici… À part les chameaux.

Delphine – On est en vacances…

Brigitte – Ah, c’est marrant, ça. Je n’avais encore jamais rencontré un artiste peintre. Et vous pourriez faire mon portrait ?

Patrick – Madame te dit qu’elle ne peint que des vaches…

Delphine – Et vous, Patrick ?

Patrick – Je suis dans le surgelé.

Delphine – Ah, d’accord… D’où le teeshirt…

Maurice – Et vous, Brigitte, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

Brigitte – Moi ? Pour l’instant, je travaille dans un salon de massage.

Maurice (émoustillé) – Un salon de massage… ?

Patrick – Chérie… Je t’ai déjà dit que le terme exact était kinésithérapeute…

Brigitte – Salon de massage, c’est plus simple non ?

Patrick – Ma femme est secrétaire médicale…

Brigitte – Je suis sûre qu’on va se découvrir des tas de choses en commun.

Delphine – À part notre nom, vous voulez dire ?

Patrick – Bon, Bébé, tu vas préparer la soupe ? Je commence à avoir les crocs, moi…

Brigitte – Vous allez manger avec nous ?

Patrick – Je ne sais pas si…

Delphine – Tout ça va être très vite réglé… On ne va pas commencer à prendre des habitudes…

Brigitte – Je prends le premier tour de vaisselle…

Delphine – Vraiment, c’est très gentil, mais on va trouver un petit restaurant dans le coin…

Maurice – C’est notre anniversaire de mariage aujourd’hui…

Patrick – Ah ben dans ce cas… On ne va pas tenir la chandelle, hein, Brigitte ?

Ils sortent.

Delphine – Tu avais vraiment besoin de leur dire que c’était notre anniversaire de mariage ?

Maurice – C’est tout ce qui m’est venu à l’esprit pour décliner leur invitation…

Delphine – Je te jure… On aurait mieux fait d’aller aux Seychelles… Préparer la prochaine révolution…

Maurice essaie à nouveau de téléphoner.

Maurice – Toujours pas de réseau…

Delphine – Dis-moi que c’est un cauchemar et que je vais me réveiller…

Maurice – Autant prendre ça du bon côté…

Delphine – Quel bon côté ?

Maurice – Autrement, on n’aurait jamais passé la soirée avec des gens de Clichy-sous-Bois…

Delphine – On était venu pour faire connaissance avec les autochtones d’ici, pas ceux du 9-3… Comment tu sais qu’ils sont de Clichy-sous-Bois ?

Maurice – Je ne sais pas, j’ai dit ça comme ça.

Delphine – Bon, qu’est-ce qu’on fait ?

Maurice – À part attendre…

Delphine – Ah, non, pas question que je passe une nuit dans cette baraque avec ces deux abrutis ! Tu sais ce que c’est ton problème, Maurice ? Tu es un mou !

Maurice – Tu as une solution ?

Delphine – Je ne sais pas moi ! Regarde dans la valise si on a le numéro de l’agence à Paris !

Il ramène la valise et essaie de l’ouvrir avec une clef.

Maurice – Je n’arrive pas à l’ouvrir.

Delphine – Fais voir…

Elle essaie à son tour sans résultat.

Maurice – On dirait que ce n’est pas la bonne clef.

Delphine (horrifiée) – C’est la bonne clef… mais ce n’est pas la bonne valise !

Maurice – Quoi ? Mais c’est notre valise Vuitton !

Delphine – Celle-là est une vraie.

Maurice – La nôtre n’était pas une vraie ?

Delphine – On a dû se tromper en prenant notre valise sur le tapis roulant à l’aéroport…

Maurice – Se tromper ? Comment on a pu se tromper ?

Delphine – C’est toi qui as pris la valise ! C’était trop lourd pour moi ! Tu n’as pas vu que celle-là était une vraie ?

Maurice – Je ne savais pas que la nôtre était une fausse !

Delphine – Et puis j’avais mis un ruban rouge autour de la poignée pour qu’on la reconnaisse…

Maurice – Tout le monde met un ruban rouge autour de la poignée pour reconnaître sa valise !

Delphine – On n’a plus rien !

Maurice – Plus rien ?

Delphine – Plus que les vêtements sales qu’on a sur le dos…

Maurice – Il nous reste nos passeports, heureusement… Nos cartes bleues Visa… Nos travellers chèques… (Elle lui lance un regard qui en dit long) Non ?

Delphine – Après avoir passé la douane, j’ai glissé la pochette qui contenait tous nos papiers dans un compartiment extérieur de la valise…

Maurice – Tu plaisantes !

Delphine – Tu m’avais dit qu’il n’y avait aucun problème de sécurité dans ce pays… Les bons côtés de cinquante ans de dictature… Qu’on pouvait même y laisser les portes ouvertes…

Maurice – Et alors ?

Delphine – Ben nos papiers ne sont pas dans la poche extérieure de cette valise là !

Maurice – Dans ce cas, ça veut dire que j’aurais pris la bonne valise sur le tapis volant…

Delphine – Le tapis volant… ?

Maurice – Et que l’échange a eu lieu après, dans le hall de l’aéroport. Quand je t’ai laissée toute seule avec les bagages pendant que je m’occupais de trouver un taxi…

Delphine – Ça va être de ma faute, maintenant !

Maurice – Dis-moi la vérité, Delphine. Est-ce que tu as laissé cette valise sans surveillance ne serait-ce qu’un instant.

Delphine – Non, je t’assure ! Enfin… Je suis juste allée faire un tour aux toilettes… Une urgence… Évidemment, je n’ai pas pu entrer dans la cabine avec la valise…

Maurice – Ah, d’accord…

Patrick et Brigitte reviennent pour mettre la table, avec deux boîtes de conserve sur deux assiettes.

Patrick – Ben vous en faites une tête ?

Maurice – Ce n’est pas notre valise.

Delphine – On nous a volé la nôtre.

Brigitte – C’est curieux, on nous avait dit qu’il n’y avait aucun problème de sécurité, ici.

Delphine – Avec tous nos travellers chèques dedans…

Brigitte – Des travellers chèques…

Patrick – Ça existe encore ?

Delphine – On n’a plus un centime…

Maurice – On n’a même plus de quoi manger…

Brigitte – Eh bien maintenant, vous n’avez plus le choix !

Delphine – Plus le choix ?

Patrick – Pour notre invitation à casser la graine ! La graine de couscous ! Allez, bébé, tu mets deux couverts de plus ?

Delphine – Qu’est-ce que c’est ?

Patrick – Du couscous.

Maurice – En boîte ?

Brigitte revient avec deux assiettes et deux boîtes de plus.

Brigitte – On nous a dit que dans ce pays, il valait mieux se méfier des produits frais…

Patrick – À cause de la turista, vous comprenez…

Brigitte – Notre toubib nous a prévenus avant de partir… Que des conserves…

Maurice – Du couscous en boîte… Ah, oui, quand même…

Patrick – En boîte, oui, mais c’est de la fabrication locale…

Delphine – On trouve du couscous en boîte, dans ce pays ? C’est vraiment la révolution…

Brigitte – Ah, dans ce pays, je ne sais pas… On a trouvé ça à Auchan, là-bas chez nous, à Clichy-sous-Bois…

Delphine – Tu avais raison, dis donc, ils sont de Clichy-sous-Bois.

Patrick – Et attention… c’est du couscous équitable !

Maurice et Delphine en restent bouche bée.

Brigitte – Fabriqué par des femmes dans une conserverie respectant les droits de l’homme.

Delphine – Votre façon à vous de soutenir le printemps arabe…

Patrick (à Maurice) – C’est marrant, quand même, ta tronche de cake me dit vraiment quelque chose…

Delphine – En attendant, nous n’avons plus rien à nous mettre.

Patrick – Même pas un maillot de bain pour aller à la piscine.

Brigitte – Je vous en prêterai un, si vous voulez ! Enfin, je ne suis pas sûre d’en avoir un deuxième en fait… On a préféré ne pas trop se charger… Comme on a déjà emmené toutes nos provisions pour la semaine…

Delphine – Génial… Un maillot de bain pour deux… On se baignera à tour de rôle… (À Maurice) Ou alors tous à poil dans la piscine avec nos nouveaux amis… Hein, Maurice ?

Brigitte – Vous voulez que je vous prête une robe ?

Delphine – Je ne suis pas sûre qu’on fasse exactement la même taille… Mais on va essayer d’ouvrir cette valise. On trouvera peut-être de quoi se changer dedans…

Brigitte – Bon ben on vous attend pour manger le couscous alors…

Noir.

Maurice et Delphine reviennent, habillés à l’oriental (djellaba et babouches pour lui, et tenue de danseuse du ventre pour elle). Patrick et Brigitte sont évidemment surpris.

Brigitte – On n’a pas dit que c’était une soirée costumée !

Patrick – Au Club Med, c’est les animateurs qui fournissent les panoplies. Là, on n’a rien prévu…

Delphine – On n’a pas réussi à ouvrir la valise, mais on a trouvé ça dans un placard…

Patrick – Et vous dites que vous n’avez plus de passeport ? Déguisés comme ça, ils ne vous laisseront jamais rentrer à Paris. Ou alors en boat people !

Brigitte – Ah, non, mais ça vous va super bien !

Patrick – Et si tu nous faisais un petit numéro de danse du ventre à la fin du repas, Delphine, hein ?

Delphine (pincée) – Alors on se tutoie, maintenant… ?

Brigitte – Je vous sers ?

Brigitte fait le service en plaçant une boîte de couscous dans chaque assiette.

Delphine – Au moins, les parts aussi sont équitables…

Maurice – Ça n’a pas l’air si mauvais que ça.

Brigitte – L’appétit est le meilleur des condiments. C’est ce que disait toujours ma mère.

Ils mangent.

Patrick – Un petit coup de rouquin ?

Air ahuri de Delphine.

Maurice – Monsieur te propose du vin.

Delphine – Tu aurais dû faire interprète dans le 9-3 au lieu de grand reporter à Golf Magazine…

Patrick – Alors dis-moi, Momo, tu dois en voir du pays, avec ton job ?

Maurice – Oh, vous savez, il n’y a rien qui ressemble plus à un terrain de golf qu’un autre terrain de golf. Il n’y a que le nombre de trous qui varie parfois…

Brigitte – C’est marrant ça… Et qu’est-ce qui vous a donné l’idée de devenir journaliste à Golf Magazine ?

Patrick – Vous êtes passionné de golf ?

Maurice – Le père de ma femme est le patron du journal.

Patrick – Ah, d’accord…

Delphine – Vous vous intéressez au golf ?

Brigitte – Patrick, ce serait plutôt le foot ! Hein, Patou ?

Delphine – J’imagine que vous ne vous n’êtes pas très passionnés non plus par la peinture animalière… (En aparté à Maurice) Ça ne va pas être évident de tenir jusqu’aux loukoums…

Patrick remplit les verres.

Brigitte – C’est incroyable, cette histoire de valise…

Patrick – Remarquez, moi, si on m’avait échangé la mienne contre une autre, je ne suis pas sûr que j’aurais perdu au change.

Brigitte – Et qu’est-ce qu’il y a dans celle que vous avez récupérée ?

Maurice – Je vous dis, on n’a pas réussi à l’ouvrir.

Patrick – On verra ça tout à l’heure…

Brigitte (enjoué ) – Aucune serrure ne résiste à Patrick. Hein, Patou ?

Patrick – Ça la fait rire parce qu’on s’est connu dans un club de rencontre…

Brigitte – Chaque fille avait un cadenas, enfin vous voyez ce que je veux dire…

Patrick – Et chaque mec avait une clef. Le but du jeu, c’était de trouver la bonne serrure.

Brigitte – Patrick n’avait pas la bonne clef, mais il a quand même réussi à ouvrir ma serrure. Il est très bricoleur, vous savez.

Maurice est un peu embarrassé. Delphine préfère poursuivre le cours de ses pensées.

Delphine – En même temps, je ne suis pas sûre que ce soit très correct de fouiller dans la valise de quelqu’un qu’on ne connaît pas…

Brigitte – Bon ben on va pouvoir passer au dessert.

Brigitte se lève.

Brigitte – Non, non, restez assis… Tu peux m’aider à débarrasser, chéri ?

Patrick et Brigitte sortent.

Delphine – Et si c’était eux ?

Maurice – Quoi ?

Delphine – La valise ! C’est peut-être eux qui nous ont piqué notre valise !

Maurice – Mais il n’y a rien de précieux, dans notre valise Vuitton. Et en plus c’est une fausse ! Pourquoi il nous l’aurait échangée contre une vraie ?

Delphine – Je ne sais pas moi… Pour nous faire une blague !

Maurice – Tu les crois vraiment capable d’une blague aussi sophistiquée ?

Delphine – Je vais aller voir discrètement si notre valise n’est pas dans leur chambre.

Maurice – Je ne sais pas si c’est une bonne idée… ?

Patrick et Brigitte reviennent, et croisent Delphine qui sort.

Brigitte – Où est-ce que vous allez ? On va manger les loukoums !

Delphine – Je vais juste… me rafraîchir un peu.

Patrick (hilare) – Alors, Momo, salam alikoum, mon frère ! On dit que les Arabes ont du mal à s’intégrer chez nous, mais alors vous, pour l’intégration, champion ! Vous n’avez plus qu’à apprendre la langue du pays…

Maurice tente de faire bonne figure.

Brigitte – Arrête de le taquiner.

Patrick – Il faut bien se marrer un peu, non ? On est en vacances ! C’est marrant quand même… C’est le portrait craché de Momo.

Brigitte – Quel Momo ?

Patrick – Mon pote au Collège Gagarine ! Mohamed !

Brigitte – Mohamed Martin ?

Patrick – Sa mère était arabe, et son père français. Son daron lui a refilé son nom, mais c’est sa reum qui a choisi le prénom.

Brigitte – Eh oui, la mixité, ce n’est toujours facile à gérer.

Patrick – Mohamed Martin ! On l’avait surnommé Ali Baba, parce que sa mère l’envoyait au collège en djellaba. Tout le monde le charriait avec ça… Quand il se foutait en boule, il se mettait à bégayer. Tu es sûr que tu n’as jamais habité Clichy-sous-Bois ?

Maurice (bégayant) – Non, non… Je… Je ne crois pas… pas..

Patrick – Momo ?

Maurice – C’est à dire que… Ma femme n’est pas au courant… On s’est rencontré à Sciences Po… Au lycée, j’ai décroché une bourse…

Patrick – Et tu t’appelles Maurice, maintenant ?

Maurice – J’ai demandé à changer de prénom… Mais je préférerais que tout ça reste entre nous, d’accord.

Patrick – Ok…

Delphine revient.

Delphine – Et voilà…

Brigitte – Tu m’aides à débarrasser, chéri ? Je vais préparer un peu de thé à la menthe…

Maurice – Alors ?

Delphine – Nos affaires ne sont pas dans leur chambre… Ils ont deux valises. L’une contient leurs fringues, et l’autre est pleine de boîtes de couscous…

Maurice – Ce n’était pas mauvais d’ailleurs… pour du couscous en boîte.

Delphine – C’est louche, non ?

Maurice – Quoi ?

Delphine – Une valise pleine de boîtes de couscous… C’est peut-être des trafiquants ?

Maurice – Des trafiquants de couscous en boîte ?

Delphine – Et si ces boîtes contenaient autre chose…

Maurice – Comme quoi ?

Delphine – Je ne sais pas, moi… De la drogue…

Maurice – Qui pourrait être assez con pour introduire dans un pays du Maghreb de la drogue planquée dans des boîtes de couscous équitable… ?

Leurs regards se tournent en même temps vers Patrick et Brigitte qui viennent de revenir.

Patrick – Ça y est, la vaisselle est faite !

Delphine – Eh, oui… L’avantage avec les conserves, c’est que la vaisselle est vite faite.

Brigitte – La prochaine fois, c’est votre tour !

Patrick – Mais ça ne règle pas votre problème de valoche, tout ça.

Maurice – Pour l’instant, je ne vois pas ce qu’on peut faire…

Delphine – Quand elle va découvrir son erreur, la personne qui a pris notre valise va sûrement nous contacter…

Patrick – Il y avait votre adresse, sur la valise ?

Maurice – Notre adresse en France, oui.

Brigitte – Ça ne va pas vous avancer beaucoup si le type renvoie votre valise en France…

Patrick – Et sur la valise que vous avez, il y a une adresse ? Un numéro de téléphone ?

Maurice ramène la valise.

Maurice – Non…

Delphine – Peut-être à l’intérieur ?

Maurice – On n’a pas la clef pour l’ouvrir.

Patrick – Ça ce n’est pas un problème, hein, Ali Baba ! (Il crochète la valise avec une fourchette). Suzanne, ouvre-toi ! Et voilà !

La valise s’ouvre enfin. Consternation générale.

Maurice – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Patrick – Ben ça ressemble à des billets de banque…

Brigitte – Vous qui aviez peur de ne pas avoir assez d’argent pour votre séjour…

Delphine – Ce n’est pas des euros, en tout cas.

Patrick – C’est une écriture bizarre.

Delphine – On dirait du cyrillique.

Patrick – Du quoi ?

Maurice – Ça doit être des roubles…

Delphine – Oh, mon Dieu…

Brigitte – Qui peut bien partir en vacances au Maghreb avec une valise pleine de roubles ?

Delphine – La mafia russe.

Maurice – Ça doit être de l’argent sale.

Patrick – D’où l’échange de valise…

Delphine – Quoi ?

Patrick – J’ai vu ça dans un film. On s’est servi de vous comme de mules !

Delphine – Des mules ?

Brigitte – Il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin…

Patrick – Pour passer la douane…

Maurice – Vous croyez ?

Delphine – Mais alors qu’est-ce qu’on va faire ? Oh, mon Dieu ! Il faut absolument se débarrasser de cet argent !

Patrick – Ah, ouais, mais le blème, c’est que ces coco-là vont sûrement vouloir récupérer leur oseille… En général, ils n’ont pas tellement le sens de l’humour…

Delphine referme précipitamment la valise.

Delphine – Vous avez raison ! Il vaut mieux faire comme si on n’avait jamais ouvert cette valise, et qu’on n’était au courant de rien.

Maurice – Et si le type qui nous a loué la maison était dans le coup ?

Patrick – C’est vrai que ça commence à être zarbi qu’on ne l’ai pas encore vu, le proprio.

Delphine – Il fait peut-être parti de Al Qaida au Maghreb Islamique…

Patrick – Qu’est-ce qu’il foutrait avec une valise pleine de roubles ?

Delphine – Ils sont peut-être financés par les Tchétchènes ? Les Tchétchènes aussi, ils sont musulmans…

Brigitte – Oh , mon Dieu ! Si on avait su qu’il y avait des Tchétchènes dans le coin, on ne serait jamais venus… Tu m’avais dit qu’il n’y avait que des Bédouins !

Patrick – Calme-toi, chérie, c’est seulement une possibilité. (À Delphine) Vous pensez vraiment qu’ils pourraient venir cette nuit, et nous égorger tous comme des moutons ?

Brigitte (en larmes) – Et dire qu’on était venus ici pour passer des petites vacances tranquilles… C’est toi qui avais raison, Patou, on aurait mieux fait de retourner sur la Costa Brava !

Silence.

Delphine (à Maurice) – Et qu’est-ce qui nous dit que ce n’est pas eux ?

Brigitte – Nous ?

Delphine – On débarque ici, ils y sont déjà. Et comme par hasard, ils portent le même nom que nous ! On ne les connaît pas, après tout ! C’est peut-être eux qui sont chargés de récupérer la valise ! C’est peut-être eux qui vont nous égorger pendant la nuit !

Maurice – Ce sont des compatriotes, tout de même…

Delphine – Des compatriotes ? Ils habitent le 9-3 ! C’est plein de mosquées, par là-bas !

Maurice – Tu y es déjà allée ?

Delphine – On me l’a raconté…

Patrick – Oh, la petite dame, faudrait se calmer, là !

Brigitte – On les invite à manger le couscous, et voilà qu’ils nous traitent d’islamistes…

Patrick – C’est vous qui nous avez foutus dans cette merde !

Brigitte – On n’avait rien demandé, nous !

Patrick – Vous débarquez chez nous, comme ça, avec vos grands airs.

Brigitte – Et voilà que c’est la Guerre du Golfe !

Delphine – Chez vous ? Mais c’est chez nous, ici ! Hein, Maurice ? Enfin dis quelque chose, toi !

Maurice – Oui, enfin… Ce n’est pas le moment de s’énerver… Il faut rester solidaires…

Patrick – Ouais ben moi, je dis : démerden Sie sich ! C’est à vous qu’on a refourgué cette valoche, non ? On n’a rien à voir là dedans, nous. Je vais mettre la viande dans le torchon, moi. Tu viens bébé ? Non mais sans blague !

Patrick et Brigitte sortent. Maurice et Delphine restent là, passablement désemparés.

Delphine – Je crois qu’il vaudrait mieux instaurer un tour de garde pendant la nuit…

Noir

Maurice et Delphine, qui ont visiblement passé la nuit sur la terrasse, se réveillent avec l’appel à la prière du muezzin.

Delphine – On est toujours vivants… ?

Maurice – Je crois.

Delphine – Et la valise est toujours là… ?

Maurice – Oui…

Nouvel appel du muezzin.

Delphine – Qu’est-ce que c’est que ça ?

Maurice – L’appel à la prière…

Un temps.

Delphine – Et si c’était un don du ciel…

Maurice – Un don du ciel ?

Delphine – Après tout, si personne n’a réclamé cet argent dans un an et un jour…

Maurice – Tu crois ?

Delphine – On n’aura qu’à dire qu’on a gagné au loto…

Un temps.

Maurice – C’est quoi le cours du rouble… ?

Delphine – Je ne sais pas, mais quand on en a une pleine valise… On a sûrement de quoi voir venir…

Maurice – Il faudrait encore pouvoir ramener tous ces roubles en France…

Delphine – On pourrait utiliser les boîtes de couscous vide…

Maurice saisit une boîte vide oubliée dans un coin et l’examine.

Maurice – La date de péremption est dépassée… Ça devait être en promo. C’est pour ça qu’ils en ont acheté tout un stock…

Delphine – Ce n’est pas banal, cette histoire.

Maurice – Non…

Delphine – Et si c’était un coup monté ?

Maurice – Un coup monté ?

Delphine – Genre camera cachée, tu vois. Le genre d’émission où on piège des people en leur montant des histoires pas possibles.

Maurice – Mais on n’est pas des people…

Delphine – Il faudrait vérifier s’il n’y a pas une caméra (Elle se met à chercher). Ou des gens planqués quelque part qui nous observent en se fendant la pipe.

Elle scrute l’obscurité du côté du public, sans rien voir.

Maurice – Ça voudrait dire que Patrick et Brigitte sont des comédiens…

Delphine – Et pourquoi pas ?

Maurice – Crois-moi, j’ai de bonnes raisons de penser que ce n’est pas le cas…

Les beaufs arrivent, lui en pyjama et elle en robe de chambre.

Delphine – Tu as raison… Même d’excellents comédiens n’arriveraient pas à faire un numéro de beaufs aussi crédible…

Brigitte – Bien dormi ?

Delphine – Pas vraiment en fait.

Brigitte a l’air de pousser Patrick à dire quelque chose.

Patrick – Bon, excusez-moi pour hier soir, hein, je me suis un peu emporté.

Brigitte – Mon mari est un peu soupe au lait…

Maurice – Ce n’est rien, ce n’est pas grave, je vous assure…

Delphine – Je crois que je vais aller me rafraîchir un peu…

Maurice – Moi aussi…

Brigitte – J’ai fait du café. On vous attend pour le petit déjeuner ?

Maurice et Patrick esquissent un sourire et sortent.

Patrick – Ils ont laissé leur valise ici…

Brigitte – Ce n’est pas très prudent…

Un temps.

Patrick – Dommage qu’ils soient les seuls à profiter de ce magot, quand même…

Brigitte – C’est sûr…

Patrick – Pourquoi on n’aurait pas droit à notre part, nous aussi ?

Brigitte – C’est vrai qu’on en aurait plus besoin qu’eux…

Patrick – C’est comme le loto… C’est toujours ceux qui n’en ont pas besoin qui gagnent.

Brigitte – Les vieux, les riches…

Patrick – Ou ceux qui sont trop pauvres pour savoir même comment en profiter…

Brigitte – Qui dépensent tout et qui finissent encore plus pauvres qu’ils n’étaient déjà…

Patrick – Moi, je saurais bien quoi en faire de tout ce pognon, crois-moi…

Brigitte – Oui, mais cette valise est à eux…

Patrick – À eux ? Tu rigoles ! Si c’est nous qu’on avait pris pour des mules…

Brigitte – Tu as raison… Il n’y a pas qu’un âne qui s’appelle Martin…

Patrick – Il doit sûrement y avoir moyen de…

Brigitte – Quoi… ?

Maurice et Delphine reviennent.

Brigitte – Un peu de café ?

Maurice – On a bien réfléchi. On va prévenir la police, et ils vont s’en occuper. C’est plus prudent.

Patrick – Si j’étais vous, je ne ferai pas ça…

Delphine – Pourquoi ?

Patrick – Dans ce genre de pays, la police, vous savez…

Delphine – C’est vrai qu’il y a quelques semaines, dans le coin, la police torturait encore les opposants au régime…

Patrick – Alors vous imaginez s’ils débarquent et qu’ils vous trouvent ici sapés comme Ben Laden avec votre valoche pleine de roubles… C’est vous qu’ils vont prendre pour des membres d’Al Qaida…

Maurice – Vous croyez… ?

Patrick – Au mieux, vous risquez de croupir en taule pendant des années avant que quelqu’un veuille bien s’occuper de votre cas.

Brigitte – Un cas quand même assez embrouillé… Même moi, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris…

Delphine – On n’a qu’à brûler tout ça ! Puisque c’est de l’argent sale…

Patrick – Mais si ces salopards viennent réclamer leur fric ?

Delphine – Pour l’instant, personne n’est venu.

Patrick – Ils attendent peut-être un moment plus propice.

Brigitte – C’est peut-être le ramadan.

Maurice – Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Patrick – Attendez encore un peu, pour voir si le propriétaire rapplique ?

Maurice – Le propriétaire de la maison ?

Patrick – Le propriétaire de l’argent !

Brigitte – La mafia tchétchène !

Maurice – Vous avez peut-être raison… Qu’est-ce que tu en penses, Delphine ?

Delphine (perplexe) – Franchement, je ne sais plus trop quoi penser…

Brigitte – Bon, je vais refaire un peu de café.

Patrick – Laisse, je vais y aller…

Brigitte – Tu es sûr que tu vas y arriver ?

Patrick – Mais oui ! Tu es en vacances, après tout. Repose-toi un peu…

Patrick s’éclipse. Les trois autres restent là, plongés dans leurs pensées. Le téléphone de Brigitte sonne.

Brigitte – Allo ? (Étonnée) Oui, je vous la passe… (À Delphine) C’est pour vous. Un type avec un accent belge… Je ne sais pas du tout qui c’est…

Delphine – Oui ? (Son visage se décompose et les deux autres la regardent d’un air inquiet) D’accord… Non, non… Très bien… Nous agirons conformément à vos instructions…

Elle rend son portable à Brigitte, le visage défait. Maurice et Brigitte lui lancent un regard interrogateur.

Delphine – C’était eux…

Patrick revient.

Patrick – Je ne trouve pas les filtres, bébé… (Voyant la tête des autres) Qu’est-ce qui se passe ?

Delphine – Un type au téléphone avec un accent bizarre. Il dit qu’il a notre valise…

Maurice – Et alors ?

Delphine – Il propose un échange…

Brigitte – Un échange d’otages ?

Delphine – Un échange de valises !

Patrick – Comment ça ?

Delphine – Il faut déposer la valise sur la terrasse, rentrer à l’intérieur de la maison, et le type viendra pour remplacer la vraie valise par la fausse.

Brigitte – Une fausse valise ?

Delphine – La nôtre.

Maurice – On se croirait dans un mauvais film d’espionnage…

Delphine – Il a insisté sur le fait qu’il ne fallait pas de témoins.

Maurice – Mais pourquoi il a appelé sur le portable de Brigitte ?

Brigitte – Ce n’est pas la première fois qu’on nous confond… Ça doit être encore à cause de cette homophobie…

Patrick – Je pense qu’il vaut mieux faire ce qu’ils disent… Ces types là ne rigolent pas…

Delphine – Pas de témoins…

Brigitte – Ils vont peut-être tous nous tuer de toute façon. Après avoir récupéré la valise. Tout ça à cause de vous !

Maurice – Eh, on n’avait rien demandé, nous !

Brigitte – On ne reverra peut-être plus jamais Clichy-sous-Bois…

Patrick – Ne t’inquiète pas, bébé. Si on fait exactement ce qu’ils nous demandent, je suis sûr que ça se passera bien.

Brigitte se précipite sur la bouteille de rouge.

Brigitte – Je crois que j’ai besoin d’un petit remontant.

Maurice l’imite en se servant à boire elle aussi.

Maurice – Moi aussi…

Noir.

Dans la pénombre, un homme en djellaba capuche relevée vient récupérer la valise avec précaution. Brigitte débarque par derrière et l’assomme avec le parasol. L’homme s’écroule. La lumière revient.

Brigitte – Venez vite ! Je l’ai eu !

Maurice et Delphine arrivent à leur tour. L’homme est inconscient. Brigitte lui enlève sa capuche.

Brigitte – Patrick !

Delphine – Tu vois ? Qu’est-ce que je t’avais dit ? C’était eux !

Maurice – Mais alors pourquoi sa femme l’aurait assommé ?

Patrick – Ok… J’ai juste voulu récupérer le pognon…

Brigitte – Mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?

Patrick – J’avais peur que tu ne sois pas d’accord…

Brigitte – Mais enfin, Patou… Je ne t’ai pas fait trop mal au moins ?

Delphine – L’enfoiré.

Brigitte – Eh, surveille ton langage, pouffiasse. Tu parles de mon homme, là !

Maurice – Et comment on aurait fait, nous, si le type qui a téléphoné était vraiment venu récupérer son fric ?

Patrick – C’est moi qui ai téléphoné.

Delphine – Ah, d’accord…

Delphine – Il mériterait que tu lui donnes une bonne correction, hein Maurice ?

Patrick – Essaye toujours, Momo.

Maurice – On est entre gens civilisés, non ? Et nous sommes dans un pays qui vient à peine de reconquérir la démocratie. On ne va pas se laisser aller à la violence…

Patrick – Ok, n’empêche qu’on veut notre part du trésor.

Delphine – Quelle part ?

Patrick – La moitié. Ou alors je déballe tout. Hein, « Ali Baba » ?

Delphine – Déballez quoi ?

Maurice – Je t’expliquerai… Bon… Alors on fait un partage équitable…

Brigitte – C’est ça. Comme pour le couscous.

Maurice ouvre la valise et ils examinent de plus près les billets.

Brigitte – Mais ce n’est pas du cyrillique, c’est du grec.

Patrick – C’est des drachmes !

Delphine – Comment vous savez ça ?

Patrick – On est allés passer des vacances en Grèce juste avant le passage à l’euro. Je me souviens très bien à quoi ressemblaient les billets. Regardez, il y a même l’Acropole dessinée dessus !

Delphine – Vous voulez dire le Parthénon, sans doute…

Brigitte – Qu’est-ce que des mafiosos russes peuvent bien faire ici avec une valise pleine de drachmes…

Patrick – C’est peut-être des faux billets ?

Delphine – Qui serait assez con pour fabriquer des faux drachmes dix ans après le passage à l’euro, et en remplir une pleine valise avant de partir pour le Maghreb ?

Maurice – Vous avez bien une pleine valise de couscous en boîte périmé !

Delphine – Ils sont peut-être encore échangeables.

Brigitte – Non, plus depuis le premier janvier 2012 .

Maurice – Comment vous savez ça ?

Brigitte – On avait retrouvé un billet dans une valise, et on s’était renseigné…

Delphine – Ouais, ben là, on en a une pleine valise…

Patrick – Et dire qu’on a failli s’entretuer…

Soupir général.

Brigitte – Tout ça pour quoi ?

Patrick – Pour du fric !

Patrick remplit les verres.

Patrick – Allez, c’est ma tournée ! Ça va nous remettre de nos émotions.

Ils trinquent.

Brigitte – Comme ma mère me disait toujours : l’argent ne fait pas le bonheur.

Delphine – Pas les drachmes, en tout cas. Surtout lorsqu’ils ne sont plus échangeables…

Maurice – Personne ne viendra réclamer cet argent, c’est évident.

Brigitte – Tout est bien qui finit bien, comme disait ma mère.

Un temps.

Delphine – Bon, je vais appeler le consulat au sujet de la perte de notre valise, on verra bien ce qu’ils nous proposent.

Maurice – Ils nous feront des papiers provisoires pour rentrer en France.

Delphine – Et ils nous avanceront un peu d’argent.

Brigitte – Sinon, on vous en prêtera.

Patrick – Entre Français, à l’étranger, il faut bien se serrer un peu les coudes. Tiens Momo, je vais commencer par te refiler des fringues, tu ne peux pas rester déguisé comme ça… et moi non plus.

Brigitte sort pour téléphoner, suivie de Patrick et Maurice qui vont se changer.

Brigitte – Bon ben je vais faire un peu de rangement moi.

Brigitte cherche une fréquence sur la radio.

Speaker – Les inquiétudes se précisent quant à la sortie de la Grèce de la zone euro, une réunion…

Brigitte change de station et on entend de la musique orientale. Elle fait un peu de rangement. Patrick et Maurice reviennent. Patrick a remis sa tenue précédente, et Maurice a adopté une tenue similaire à celle de Patrick, genre très beauf.

Brigitte – Ah, ça vous va très bien.

Patrick – Encore un petit coup de rouquin.

Maurice – Allez !

Patrick remplit les verres.

Maurice – Reste à savoir ce qu’on fait pour la maison…

Patrick – Maintenant qu’on a appris à se connaître et à s’apprécier… Pourquoi on ne passerait pas les vacances ensemble, hein Momo ? Après tout, on est des amis d’enfance, non ?

Delphine revient.

Delphine – Ça y est. Je leur ai laissé notre adresse… (Delphine remarque la tenue de Maurice). Tu t’es changé ?

Brigitte – Ça change, non ? Il fait plus jeune, comme ça, vous ne trouvez pas ?

Sous l’effet de l’alcool, Maurice semble sérieusement désinhibé.

Maurice – Patrick et Brigitte nous proposent de passer les vacances ensemble, qu’est-ce que tu en penses, chérie…

Delphine (en aparté) – Écoute, Maurice… On a sûrement beaucoup à apprendre à la fréquentation des gens de Fontenay-sous-Bois, mais bon…

Maurice – Clichy-sous-Bois.

Delphine – Oui, bon, c’est pareil, non ?

Maurice – Non, ce n’est pas pareil, Delphine ! Fontenay-sous-Bois, c’est dans le 9-4. Clichy-sous-Bois, c’est dans le 9-3.

Delphine – Comment tu sais ça, toi ?

Maurice – J’y étais au collège. Au Collège Gagarine. Avec Patrick. Momo, c’est moi, Delphine ! Et si ça ne te plaît pas c’est pareil.

Delphine – Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?

Brigitte – Alors ça, pour un coming out !

Maurice – J’en ai marre de mentir. Depuis que je t’ai rencontrée, j’ai tout fait pour correspondre à l’image que tu attendais de moi. À l’image que tes parents attendaient de moi ! Mais là j’en ai marre.

Delphine – Mais tu délires !

Maurice – J’ai même changé de prénom pour toi !

Delphine – Tu ne t’appelles pas Maurice ?

Maurice – Je suis venu ici pour retrouver mes racines ! Pour renouer avec mes ancêtres !

Delphine – Il est saoul, c’est ça. Mais enfin, Maurice, tes ancêtres, ce sont les Gaulois !

Maurice – J’ai du sang bédouin dans les veines, Delphine ? Je suis un homme du désert, moi ! Un nomade ! Je ne supporte plus les terrains de golf, tu comprends ?

Brigitte – C’est quoi, déjà, la différence entre un bédouin et un musulman ?

Delphine – Ne l’écoutez pas, il est complètement saoul.

Maurice – Au fond de moi, je sais bien que je suis fait pour vivre sous la tente, au milieu des sables ! Pas dans un duplex du seizième arrondissement.

Delphine – Parfait ! S’il n’y a que cela, la prochaine fois, on partira camper dans Les Landes !

Maurice – Je suis un Touareg, Delphine ! Et tu as fait de moi… un touriste !

Brigitte, passablement bourrée elle aussi, croit bon d’intervenir pour détendre l’atmosphère.

Brigitte – Et si on faisait un barbecue à midi ?

Patrick – Tu vois bien que ce n’est pas le moment, bébé… Je te jure, de temps en temps, tu manques vraiment de psychologie, tu sais ?

Brigitte – De psychologie ? C’est ça, traite-moi de conne aussi !

Patrick – Mais enfin, qu’est-ce qui t’arrive, bébé ?

Brigitte – Je ne suis pas ton bébé, d’abord ! Et si tu étais vraiment un homme, tu commencerais par m’en faire un !

Patrick en reste estomaqué.

Maurice – Il ne manque plus que les saucisses.

Delphine – Pardon ?

Maurice – Pour le barbecue !

Delphine – On n’a même pas de papier pour l’allumer.

Maurice (pétant les plombs) – On a les drachmes ! On les putains de drachmes ! On ne va pas les garder pour jouer au Monopoly !

Maurice se met à déchirer les billets et à les lancer sur le barbecue.

Patrick – On a aussi amené des merguez.

Noir.

Maurice, Delphine, Patrick et Brigitte reviennent tous les quatre de la piscine.

Patrick – Ah, ça rafraîchit !

Maurice – Oui, ça remet les idées en place…

Delphine – Et l’estomac… Elles étaient un peu grasses, ces merguez, non ?

Maurice – Je ne savais même pas que ça existait, des merguez en conserve.

Delphine – Il faut reconnaître que la piscine est magnifique.

Brigitte – Bon ben nous on va se changer, tu viens Delphine ? Je vais te passer de quoi t’habiller, quand même. Je vois tout à fait ce qui pourrait être ton style…

Les deux femmes sortent.

Patrick – Mais comment tu as fait pour cacher à ta femme que tu étais musulman, Momo ? D’après ce que j’ai vu, tu es toujours circoncis, non ?

Maurice – Je lui ai dit que j’étais juif non pratiquant… Mais je fais quand même le jeun pour Kippour une fois par an.

Patrick – Ah, oui, quand même…

Un temps.

Patrick – Un petit digestif ?

Maurice – Allez !

Patrick sort une bouteille de la glacière et remplit deux verres. Ils trinquent.

Maurice – Excellent ! Qu’est-ce que c’est ?

Patrick – De l’ouzo. On en a tout un stock à la maison. Un peu de musique ?

Patrick allume une radio. Après avoir cherché un moment une fréquence audible, il se décide pour une station. Musique arabe. Au bout d’un moment, Brigitte et Delphine reviennent. Delphine est désormais habillée dans le même style sexy vulgaire que Brigitte.

Patrick – Ah, ça vous va super bien !

Delphine – Vous trouvez ? Qu’est-ce que tu en penses, chéri ?

Maurice est un peu décontenancé. La musique s’arrête.

Speaker – Nous interrompons ce programme musical pour un flash spécial d’information.

Speaker – La nouvelle vient de tomber à l’instant. Elle a pris tous les analystes économiques de court. Le drachme est redevenu depuis ce matin la monnaie officielle de la Grèce, après sa sortie de l’euro. Nous vous tiendrons bien sûr informés de toutes les conséquences de cette décision. Mais s’il vous reste quelques drachmes oubliés dans un tiroir ou une valise, c’est le moment de les ressortir…

Maurice – On a brûlé tous les nôtres pour allumer le barbecue…

Speaker – Et maintenant, un peu de musique classique, en ce jour de deuil pour l’Europe…

Tous les regards se portent sur le barbecue encore fumant. Le portable de Delphine se met à sonner. Maurice coupe la radio.

Delphine – Oui… ? D’accord… Très bien…

Elle range son portable. Les trois autres sont pendus à ses lèvres.

Delphine – Un type du consulat va venir en personne nous remettre notre passeport provisoire…

Maurice – Et… ?

Delphine – Et récupérer la valise Vuitton. Ils la cherchent partout depuis ce matin…

Maurice – Le consulat ?

Delphine – C’est la valise d’un membre du Quai d’Orsay qui passe ses vacances ici.

Maurice – Ici ? Pas parce que c’est en promo, quand même ?

Delphine – Il est invité dans son palais par l’ex-Ministre de la Justice du dictateur déchu. Il est venu soutenir sa candidature à la présidentielle…

Patrick – Avec une valise pleine de drachmes ?

Delphine – Après tout, ce sont les Grecs qui ont inventé la démocratie.

Maurice – Mais c’est la France qui a inventé Vuitton.

Delphine – Et le financement occulte des campagnes électorales, qui fait tout le charme de la démocratie à la française.

Maurice – Ils ont dit autre chose ?

Delphine – Ils ont bien précisé de ne surtout pas ouvrir la valise. C’est une Vuitton diplomatique.

On entend le bruit d’une sirène de police au loin.

Maurice – Là, je crois qu’on est mal…

Patrick – On n’a même pas une bagnole pour se faire la malle.

Maurice – À part enfourcher ces chameaux qu’on voit là-bas et disparaître dans le désert.

Delphine – Toi qui voulais réveiller le Touareg qui sommeille en toi.

Maurice – La dernière fois que je suis monté sur un chameau, j’avais huit ans. C’était au Parc Astérix…

Patrick – Et moi à la Mer de Sable.

Le portable de Brigitte sonne. Elle répond.

Brigitte – Allo, oui… ? (Elle met sa main devant l’écouteur) C’est le propriétaire de la maison. Il demande si nos vacances se passent bien. Qu’est-ce que je lui dis ?

On entend un bruit de sirène de police proche.

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-13-0

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Gay Friendly

Gay friendly (english) – Gay Friendly (español)Gay Friendly (português)

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

4 hommes

3 hommes et 1 femme
2 hommes et 2 femmes
1 homme – 3 femmes
4  femmes

Trouver dans le métro un sac plein de billets de banque, ça peut aider pour offrir à son fils un beau mariage gay. Mais bien mal acquis ne profite jamais… 


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE

Gay Friendly

Un sac plein de billets de banque, ça peut aider pour offrir à son fils un beau mariage gay. Mais bien mal acquis ne profite jamais…

Personnages :

Gaby : femme (ou homme)
Alex : femme (ou homme)
Sam : homme
Vic : femme

Gaby et Alex peuvent être des femmes ou des hommes, mais s’agissant d’un couple gay ils doivent être du même sexe.

Les distributions possibles pour cette version sont 1H/3F ou 3H/1F
Autres versions disponibles : 4 hommes ou 2H/2F ou 4 femmes.

Sur le canapé, Gaby feuillette un catalogue de voyage en sirotant un cocktail. À côté une télévision, dont on ne voit pas l’écran, est allumée avec le son coupé. Gaby s’arrête sur une page du catalogue avec un large sourire.

Gaby – La Californie ? Las Vegas ! Le Caesar Palace… (Son sourire se fige) Cinq mille euros pour une semaine ! Pour se ruiner, en tout cas, l’avion c’est plus rapide que le casino…

Son regard est soudain attiré par l’écran de télévision. Gaby appuie sur la télécommande pour remettre le son.

Présentateur – Les numéros qu’il fallait jouer pour empocher le Jackpot de l’Euromillion étaient donc le 5, le 9, le 12, le 17 et le 24. Pour les étoiles le 6 et le 11. L’heureux gagnant emportera la modique somme de 50 millions d’euros…

Gaby coupe à nouveau le son.

Gaby – Je me demande pourquoi je continue à jouer…

Son portable sonne. Gaby répond.

Gaby – Sam, mon chéri, comment vas-tu ? C’est ton jour de lessive, c’est ça ? Malheureusement, tu ne viens nous voir que quand il ne te reste plus aucun caleçon à te mettre… Mais oui, j’exagère, évidemment… C’est mon côté mère juive… Alors, tu as retrouvé du boulot ? Quelque chose à m’annoncer ? (Avec l’accent pied noir) Popopo, dis… Ne me dis pas que tu te maries, quand même ! (Reprenant sa voix normale) En quelque sorte ? Là tu en as trop dit ou pas assez… Bon, bon, d’accord, si tu préfères nous faire la surprise… Ok, à tout à l’heure… Moi aussi je t’embrasse.

Gaby range son portable et soupire.

Gaby – En quelque sorte… Comment est-ce qu’on peut se marier en quelque sorte ?

Alex arrive avec à la main un sac Vuitton et le pose discrètement dans un coin avant d’aller déposer un baiser sur la bouche de Gaby.

Alex (avisant le cocktail) – Eh ben, on ne se refuse rien…

Gaby – Ça ne coûte pas cher, et ça me donne l’illusion d’être en vacances à l’autre bout du monde… Je t’en prépare un aussi ?

Alex – Tout à l’heure peut-être…

Gaby – Tu as passé une bonne journée, mon amour ?

Alex – Une journée assez… riche. Je vais te raconter ça.

Gaby – Et bien moi, j’ai trouvé où nous pourrions aller en voyage de noces.

Alex – J’en conclus que tu as décidé de me demander ma main. Je te rappelle que je n’ai pas encore dit oui…

Gaby – Allez… Je ne sais pas si tu es au courant, Alex, mais maintenant c’est possible…

Alex – Ce n’est pas parce que c’est possible qu’on doit le faire…

Gaby – C’est un droit !

Alex – Mais personne n’a dit que c’était une obligation !

Gaby – On s’est battu pendant des années pour obtenir ça !

Alex – Si c’est un acte militant, alors… On nage en plein romantisme ! On a déjà parlé de ça, Gaby… Moi, le mariage gay… Excuse-moi, mais je trouve ça un peu ridicule…

Gaby – Ridicule ?

Alex – Tiens, qui serait en blanc, par exemple ?

Gaby – Moi, évidemment !

Alex – À ton âge… Ce n’est pas un tout petit peu midinette, non ?

Gaby – Merci pour mon âge, c’est très délicat de ta part…

Alex – Excuse-moi…

Gaby – Et puis on peut très bien être gay et midinette, tu sais…

Alex – Partir en lune de miel, en plus…

Gaby – J’ai toujours rêvé d’aller dans un de ces casinos à Las Vegas, avec des rangées de machines à sous à perte de vue… Je sens qu’il y en a une qui m’attend quelque part avec le Jackpot…

Alex – Le Jackpot…

Gaby (soupirant) – Malheureusement, pour Las Vegas, je ne sais pas si on a les moyens en ce moment… Surtout si notre fils, au chômage, a décidé de convoler lui aussi…

Alex – Pardon ?

Gaby – Sam vient d’appeler. Il doit passer tout à l’heure. Il m’a dit qu’il allait se marier… en quelque sorte.

Alex – Tu vois bien ? On ne va pas se marier en même temps que lui !

Gaby – Pourquoi pas ?

Alex – Un double mariage, ce serait encore plus ridicule, enfin ! (Un temps) Attends, qu’est-ce que tu entends par se marier… en quelque sorte ?

Gaby – C’est ce qu’il a dit…

Alex – Et à ton avis, qu’est-ce qu’on doit comprendre par là ?

Gaby – Peut-être qu’il est gay…

Alex – Tu crois ?

Gaby – Les chiens ne font pas des chats.

Alex – Surtout quand c’est deux mâles ou deux femelles…

Gaby – On ne l’a jamais vu avec une fille.

Alex – On ne l’a jamais vu avec un garçon non plus.

Gaby – Peut-être qu’il n’osait pas nous les présenter.

Alex – Quand on a été élevé par des parents gays, je ne pense pas qu’un coming out soit franchement quelque chose d’insurmontable, non ?

Gaby – Ou alors, c’est l’inverse… Il est hétéro, et il n’a jamais osé nous l’avouer, par peur de nous décevoir…

Alex – Nous décevoir ? Mais tu délires…

Gaby – Quand on a des parents homos, ce n’est peut-être pas si évident que ça de leur annoncer qu’on est hétéro, va savoir…

Alex – Tu crois qu’on aurait pu le traumatiser à ce point, ce pauvre enfant ? Je me demande si ce n’est pas le pape qui a raison, finalement. On ne devrait pas nous laisser élever des enfants…

Gaby – Et moi, je commence à me demander si on ne peut pas être à la fois homo et homophobe… Tu étais déjà contre le mariage gay, alors maintenant tu es aussi contre l’adoption !

Alex – Je ne suis pas contre le mariage gay, je suis contre le mariage tout court ! J’ai le droit de trouver ça ringard, non !

Gaby se met à humer l’air avec un air soupçonneux.

Gaby – Ça sent bizarre, ici, depuis ton arrivée…

Alex – Tu trouves ?

Gaby – Une odeur d’eau de toilette de mauvais goût… (Reniflant à nouveau) Je dirais même une eau de toilette… (Dramatique) Tu me quittes pour une personne du sexe opposé !

Alex – Mais non ! Qu’est-ce que tu vas chercher…

Gaby – Tu as quelque chose à me cacher, Alex… Je te connais… Qu’est-ce qui se passe ?

Alex (après une hésitation) – Il se pourrait qu’on ait quand même les moyens de partir à Las Vegas, voilà.

Le visage de Gaby s’illumine d’un sourire.

Gaby – On a touché le Jackpot de l’Euromillion ? (Son sourire se fige) Mais c’est impossible, je viens d’écouter les résultats à la télé… On a encore perdu !

Alex – C’est un peu plus compliqué que ça…

Gaby – Dis toujours…

Alex va chercher le sac Vuitton et le pose sur la table basse.

Gaby – Alors c’est ce sac qui empeste l’eau de Cologne ! Mais qu’est-ce que tu transportes là dedans ?

Alex – J’ai trouvé ça dans le métro…

Gaby – Un sac Vuitton ? Super… Mais je croyais que tu trouvais ça vulgaire…

Alex – Tout dépend de ce qu’il y a dedans…

Gaby – Et alors ?

Alex – Regarde…

Gaby ouvre le sac, y plonge la main et en ressort une liasse de billets.

Gaby – Ne me dis pas que c’est des vrais…

Alex – Moi non plus, je n’y ai pas cru au début… J’ai même pensé que c’était pour un vidéo gag… Que le sac était relié à une alarme qui allait se déclencher dès que j’aurais saisi la poignée… Ou attaché à un élastique… Ou à un seau d’eau disposé au dessus de ma tête. Mais non…

Gaby – Et il y a combien de liasses, comme ça ?

Alex – Je n’ai pas eu le temps de compter… Mais ce qui est sûr, c’est que le sac en est plein.

Gaby – Et tu as trouvé ça dans le métro ? (Avec un air soupçonneux) Mais quand tu dis trouvé… Tu ne l’as pas volé, au moins ?

Alex – Le sac était posé à côté de moi sur la banquette… Je pensais qu’il appartenait à une des deux fausses blondes assises en face de moi… Je trouvais même ça assez grossier de monopoliser une place assise pour un sac… Même un sac Vuitton… La rame était bondée… Mais non, les deux blondasses sont descendues à la station d’après, et le sac est resté sur la banquette.

Gaby – Et alors ?

Alex – Comme une petite vieille voulait s’asseoir, machinalement, j’ai pris le sac et je l’ai mis sur mes genoux…

Gaby – Machinalement…

Alex – Bref… Au moment de descendre, comme personne ne me réclamait le sac, je suis descendu(e) avec… Sur le quai, je me suis dit que j’allais regarder dedans pour voir s’il y avait une adresse ou un numéro de téléphone pour contacter la propriétaire.

Gaby – Et ?

Alex – Les seuls numéros qu’il y a là dedans, crois-moi, ce sont les numéros de série des billets…

Gaby – C’est dingue… Mais qu’est-ce que tu comptes faire avec ça ?

Alex – Je ne sais pas… Pour l’instant, j’ai l’impression d’avoir gagné au loto… Laisse-moi savourer un peu…

Gaby – Oui, enfin… Cet argent appartient bien à quelqu’un…

Alex – Il n’y a aucune adresse, je te dis ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Qu’on passe une petite annonce dans Libé : Trouvé sac Vuitton plein de billets de banque, merci à sa propriétaire de contacter ce numéro pour récupérer le tout… Le téléphone n’a pas fini de sonner…

Gaby – Il reste la police…

Alex – Évidemment, j’y ai bien pensé aussi… Mais tu avoueras que ça fait mal au cœur, non ?

Gaby – Enfin Alex, on ne peut quand même pas garder cet argent… Il n’est pas à nous !

Alex – Et qu’est-ce qui nous garantit que la police retrouvera la véritable propriétaire du sac ? Peut-être qu’elle n’osera même pas se manifester !

Gaby – Pour récupérer un sac bourré de fric ?

Alex – Si c’est de l’argent qu’elle dissimulait au fisc, par exemple, et qu’elle s’apprêtait à emmener en Suisse.

Gaby – En métro ?

Alex – Je ne sais pas… Qu’est-ce que tu proposes, toi ?

Gaby – C’est vrai que ça fait rêver, mais on ne peut pas garder cet argent. A fortiori si c’est de l’argent sale !

Alex – L’argent, c’est toujours un peu sale, tu sais… N’importe quel psychanalyste te le dira… Et puis celui-là sent plutôt bon, non ?

Gaby – Quand on dit que l’argent n’a pas d’odeur… C’est vrai que ce parfum-là est plutôt entêtant…

Alex – Ça mérite d’y réfléchir cinq minutes, non ?

Gaby – Et si c’était des faux billets quand même… Tu te rends compte ? On se ferait pincer dès qu’on essaierait de les refourguer…

Alex – En tout cas, il faut se décider vite… Si on ne prévient pas la police maintenant, on pourrait être accusé de recel.

Gaby – Une chose est sûre, c’est que ce fric n’a pas été déposé devant toi dans le métro par un bienfaiteur anonyme…

Alex – Et pourquoi pas après tout ? Par Joséphine Ange Gardien, va savoir… Pour qu’on puisse offrir à notre fils un beau mariage gay…

Gaby – Malheureusement, comme tu dis, on a passé l’âge de croire aux miracles… Et je ne sais pas si les anges sont très favorables au mariage gay.

Alex – Va savoir… Maintenant, il y a peut-être un paradis gay friendly…

Bruit de sonnette.

Gaby – Oh mon Dieu, ça doit être Sam…

Alex – Je remballe ça pour l’instant, et on en reparle après, d’accord ?

Alex remet la liasse dans le sac, et le referme. Gaby s’apprête à aller ouvrir.

Gaby – J’ai hâte de savoir si c’est un garçon ou une fille…

Alex – Sa copine est déjà enceinte ?

Gaby – Mais non ! De savoir si Sam va nous présenter un garçon ou une fille !

Alex – Ah oui, c’est vrai… Excuse-moi, j’ai un peu la tête ailleurs…

Alex met le sac dans un coin de la pièce. Sam arrive, lui aussi un sac à la main, suivi de Gaby.

Sam – Bonjour papa, bonjour maman.

Gaby – Ah, c’est très fin…

Sam fait la bise à Alex.

Alex – Bonjour Sam.

Sam – Ça va ?

Gaby – Ben, oui, pourquoi ?

Sam – Je ne sais pas, vous avez l’air bizarres…

Alex et Gaby échangent un regard embarrassé.

Alex (pour changer de sujet) – Et ben alors, tu es tout seul !

Sam – Euh, oui…

Gaby prend le sac de Sam.

Gaby – Donne-moi ton linge sale, va, je vais m’en occuper.

Alex – On l’a vraiment mal élevé, Gaby ! Tu n’as pas honte, à ton âge, de ramener encore ton linge à laver à tes parents ?

Sam – Ça me fait au moins une occasion de passer vous voir régulièrement.

Gaby – C’est gentil…

Alex – Tu veux qu’on t’offre une machine à laver pour ton anniversaire ?

Gaby – Sinon tu pourras l’inscrire sur ta liste de mariage…

Sam – Ma liste de mariage ?

Alex – Alors ? Où est l’heureuse élue ?

Gaby – Ou devrais-je dire l’heureux élu ?

La prononciation ne faisant aucune différence, Alex lance à Gaby un regard consterné.

Sam – C’est à dire que…

Alex – Décidément… Tu fais durer le suspens…

Sam – À propos de quoi…?

Alex – Gaby craignait que…

Gaby – Laisse tomber, c’est complètement ridicule…

Alex – Et puis l’important c’est que tu sois heureux, pas vrai ?

Sam – Je vois… Donc vous vous doutiez déjà de quelque chose…

Gaby – Quand tu m’as dit que tu allais te marier… en quelque sorte.

Sam – Oui, c’est… C’est une sorte d’union, en effet. Mais dans le célibat…

Alex – Pardon…?

Sam – Mais je pensais que vous aviez compris…

Gaby – Une union dans le célibat ?

Alex – On dirait une définition de mots croisés.

Gaby – Tu veux dire un PACS, c’est ça ? Non mais rassure-toi, ça ne nous dérange pas du tout…

Sam – Tant mieux.

Gaby – Alors ?

Sam – Alors oui, je vous l’annonce solennellement : J’ai décidé de devenir prêtre.

Stupeur des parents.

Gaby – Tu peux répéter ça ?

Sam – J‘y ai mûrement réfléchi, mais ma décision est prise. J’entre au petit séminaire.

Gaby – Dis-moi que c’est une blague…

Sam – Je savais que vous réagiriez comme ça, mais ma foi est inébranlable. Et la foi peut soulever des montagnes…

Alex – Ta foi ? Mais la dernière messe à laquelle tu as assisté c’est la Fête de l’Huma !

Sam – Les voies du Seigneur sont impénétrables… Il est vrai que ma conversion est soudaine et tardive, mais elle est sincère. J’ai eu une révélation…

Gaby – Une révélation ?

Alex – Tu as vu la vierge ?

Gaby – Tu te souviens, quand il était petit, il a eu sa période mystique.

Alex – C’est vrai… Il entendait des voix… Comme Jeanne d’Arc…

Gaby – Je me demande si je n’aurais pas préféré qu’il soit gay, finalement…

Alex – Attends un peu… Curé et gay, ce n’est pas forcément incompatible..

Sam – Bon, ce n’est pas comme si je vous annonçais que j’avais un cancer, non plus.

Gaby – Ça au moins, parfois ça peut se soigner.

Alex – Alors je vais devoir t’appeler mon père ?

Gaby – Curé… C’est pour nous punir, c’est ça ?

Sam – Enfin, on ne devient pas prêtre pour punir ses parents, mais pour se mettre au service du Très Haut.

Gaby – Eh oui…

Alex – Qu’est-ce qu’on peut répondre à ça ?

Gaby – Au moins, il pourra nous marier à l’église.

Alex – Je te rappelle que l’Église est contre le mariage gay…

Gaby – Il fera peut-être une exception pour nous, hein Sam ? Un mariage à l’église, ça a quand même plus d’allure, non ?

Sam – Ça sent la cocotte, ici, non ? Vous avez renversé un flacon d’eau de Cologne ?

Gaby – Ah oui, c’est vrai, j’avais presque oublié ça…

Sam – Oublié quoi ?

Alex – Au moins, si on se laissait aller à commettre un gros péché, on aurait quelqu’un de confiance à qui se confesser…

Gaby – Mais je ne sais pas, moi… Tu ne veux pas être pasteur, plutôt ? Au moins tu pourrais te marier.

Alex – Pasteur mormon, tiens… Tu pourrais même avoir plusieurs femmes…

Gaby – Enfin, tu pourrais avoir une vie sexuelle normale, quoi…

Alex – Autant que faire se peut pour un pasteur mormon.

Gaby – Il paraît même qu’en Amérique, il y a des pasteurs gays.

Alex – Bon, on n’est pas en Amérique, non plus…

Sam – C’est tentant, bien sûr… Mais je reste fidèle à l’Église Catholique et Romaine.

Alex – Essayons de voir les choses positivement. Sam était demandeur d’emploi… Curé, c’est un job en CDI, non ? C’est comme pour le CAPES, il paraît même qu’il n’y a pas assez de candidats. Il faut dire qu’enseignant, c’est devenu un véritable sacerdoce. Finalement, c’est Sam qui a raison. De nos jours, il vaut mieux être curé de campagne que prof de banlieue. Tu ne comptes t’installer où ?

Sam – J’irai où Dieu m’appellera…

Alex – Si j’étais toi, prêtre ouvrier, j’éviterai, quand même. Avec tous les plans sociaux dans l’industrie en ce moment. Mais bon. Avec la crise des vocations, je ne crois pas que Dieu soit en position de licencier en ce moment…

Gaby, totalement dépassé(e), cherche un dérivatif.

Gaby – Je vais mettre ton linge sale par là-bas, et me passer un peu d’eau sur le visage…

L’air abattu, Gaby part avec le sac de linge sale.

Alex – Et à part ça, ça baigne ?

Sam – Ça va…

Alex – Je vais aller nous chercher quelque chose à boire, je crois qu’on a tous besoin d’un petit remontant. Qu’est-ce que je te sers ? Whisky, Ricard, Porto… Désolé, je crois qu’on est en rupture sur le vin de messe…

Sam – Ce que vous avez, ça ira… Je vais prier un peu pour le salut de votre âme en attendant…

Alex – Bien sûr…

Alex sort. Le portable de Sam sonne et il répond. Sans que Sam l’aperçoive, Gaby revient pour prendre le sac Vuitton discrètement. Mais Gaby, s’apprêtant à partir, entend le début de la conversation et reste pour écouter la suite.

Sam – Oui ? Oui, oui, j’y suis déjà, tu as l’adresse ? Ok, je t’attends… (Il se marre) Non, non, c’est juste que… Écoute, tu ne vas pas le croire, mais je leur ai raconté que je rentrais dans les ordres et… Je ne sais pas, ça m’est venu comme ça, pour déconner… Ouais ! C’est dingue, non ? Ça me fout presque les jetons que mes parents me croient capable de devenir curé… Tu te rends compte ? Mais quelle image ils peuvent bien avoir de moi ?

Alex revient aussi avec des bouteilles et des verres, et écoute également.

Sam – Non, je te jure, c’était à mourir de rire… Tu aurais dû voir leurs têtes… Je ne sais pas, il y a une ambiance pas ordinaire ici aujourd’hui… Sinon comment on peut gober un truc pareil… J’espère que ce n’est pas un problème d’argent… Je me demande si c’est vraiment le bon jour pour…

Il se retourne et aperçoit Alex et Gaby qui l’observent avec un air réprobateur.

Sam – Ok, je t’attends, à tout de suite…

Sam range son téléphone.

Gaby – Tu t’es bien foutu de nous, hein ? Tu n’as pas honte ?

Sam – Désolé, mais je n’ai pas résisté à la tentation… Vous aviez tellement l’air de tenir à ce que j’ai un heureux événement à vous annoncer…

Alex – Tu veux nous faire avoir une crise cardiaque, c’est ça ? Pour hériter plus vite !

Sam se marre.

Sam – Non mais c’est incroyable ! Vous ne marchiez pas, vous courriez !

Gaby – Et donc, ton amie arrive bientôt ?

Sam – Oui, je viens de l’avoir au téléphone.

Alex – Mais quand tu dis ton amie, tu veux dire…

Gaby – Ton ami ou… ton amie ?

On entend le bruit de la sonnette.

Sam – J’y vais…

Alex – On va enfin savoir…

L’amie arrive, habillée en motard, jean et cuir, et la tête recouverte d’un casque, si bien qu’on ne peut pas encore savoir si c’est un garçon ou fille. Elle a une bouteille de champagne à la main qu’elle tend à Sam.

Sam – Je vous présente Vic, la personne qui… habite avec moi.

Gaby – Et Vic, c’est pour…

Vic retire son casque.

Gaby – Victoire, c’est une fille !

Alex sert la main de Vic et grimace.

Alex – Quelle poigne… (À Sam) Toi qui est tellement douillet…

Sam – Vic est ceinture noire de judo…

Gaby – Que Dieu me parfume, mon fils n’est pas gay…

Sam et Vic échangent un regard embarrassé.

Alex – Ce n’est pas une tare, tu sais… Des fois, je me demande si tu n’es pas plus homophobe que moi…

Vic – Enchantée de faire enfin votre connaissance.

Gaby – Enfin ? Si je comprends bien Sam, il y a longtemps que tu nous la caches alors…

Vic (embarrassée) – C’est à dire que…

Sam – En tout cas, réjouissez-vous, bientôt vous n’aurez plus à laver mon linge sale.

Alex (à Vic) – Alors c’est vous qui allez vous coller à la lessive ? Je ne vous félicite pas, mademoiselle, ce n’est pas franchement un progrès pour la cause féministe…

Gaby – Ne vous laissez pas faire, Vic. On lui a donné de très mauvaises habitudes, vous savez…

Sam – Je voulais plutôt dire que nous allions acheter une machine… Et même plusieurs.

Alex – Plusieurs ?

Sam – Je vous raconterai ça tout à l’heure…

Gaby – Mais je vous en prie, Vic, asseyez-vous. Vous êtes ici chez vous.

Sam tend la bouteille à Gaby.

Sam – Vic ne voulait pas arriver les mains vides…

Alex – Super ? Après tout, on a des tas de choses à fêter…

Sam – Ah bon ? Vous aussi ?

Gaby – Et bien… Nous aussi, nous allons nous marier. N’est-ce pas Alex ?

Vic – Vous aussi ?

Sam – Vous marier… Vous voulez dire… ensemble ?

Alex – Très drôle…

Vic – Enfin nous, nous sommes juste colocataires et associés.

Alex – Tu vois ? Qu’est-ce que je te disais ? Eux aussi, ils trouvent que le mariage, c’est ringard ! Ils préfèrent le concubinage…

Gaby – Concubinage… Rien qu’avec le mot, j’ai toujours eu un peu de mal…

Alex – C’est vrai que ça évoque davantage une feuille d’impôt qu’une lettre d’amour, mais bon…

Gaby – Si tu t’occupais de nos invités, plutôt…

Alex (à Vic) – Mettez-vous à l’aise, mademoiselle. Voulez-vous que je prenne votre vestiaire ?

Vic – Merci, ça ira…

Gaby – J’espère que vous avez trouvé facilement pour venir chez nous.

Vic – Oui, oui… Je suis un peu en retard, désolée, mais il y a plein de flics en bas…

Sam – Ah, oui, la rue est complètement bloquée…

Gaby – Tiens donc ?

Sam aperçoit le sac.

Sam – C’est à qui, ce sac Vuitton ? Je croyais que vous trouviez ça vulgaire ? Attention, je crois que vous vous embourgeoisez… Alors si en plus vous vous mariez…

Gaby – On lui dit ?

Sam – Me dire quoi ?

Alex (avec inquiétude) – Et c’est quoi, tous ces flics, en bas ?

Vic – Un cambriolage dans un hôtel particulier du Marais, je crois. Chez la veuve d’un riche milliardaire…

Alex – Sans blague…

Sam – Un riche milliardaire, vous dites ? Je ne savais pas qu’il y avait des milliardaires pauvres… Enfin, c’est la crise…

Vic – Les voleurs se sont enfuis en métro, il paraît.

Gaby – En métro ?

Sam – En tout cas, ils ont fermé la station Saint Paul…

Vic – Heureusement que je suis venue en moto.

Gaby (à Alex) – Saint Paul, c’est là où tu descends, non ?

Alex – J’ai dû passer juste avant…

Gaby tente de pousser du pied le sac Vuitton derrière le canapé.

Sam – Qu’est-ce que vous vouliez me dire, au fait ?

Alex – Je ne sais plus… Ça n’avait sans doute aucune importance… Ça me reviendra peut-être tout à l’heure…

Vic s’assied sur le canapé derrière lequel est planqué le sac.

Vic – Ça sent bon, chez vous…

Sam – Oui, on se croirait chez Sephora. Ça vient d’où cette odeur ?

Alex et Gaby échangent un regard embarrassé.

Alex – Alors, on le débouche ce champagne ou pas ?

Sam – Ah oui, c’est vrai…

Vic – Je ne sais pas s’il est très frais.

Gaby – Je vais aller chercher des coupes.

Sam – Laissez, on va s’en occuper… Vic, tu me donnes un coup de main ?

Sam et Vic sortent.

Alex – La bonne nouvelle, c’est que ce sont de vrais billets…

Gaby – La mauvaise c’est qu’il s’agit bien de billets volés…

Alex – Il faut vraiment planquer ça quelque part en attendant de décider quoi faire…

Gaby – Je crois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage, Alex. Regarde-nous ! On est déjà dans le mensonge et la dissimulation… Même avec notre propre fils…

Alex – S’il ne nous avait pas amené cette motarde, encore, on aurait pu réunir un conseil de famille pour en parler, mais là… On ne la connaît pas, cette Vic, après tout ! On ne sait même pas si c’est vraiment une femme…

Gaby – Tu as raison. Et on ne sait pas ce qu’elle fait. Elle pourrait aussi bien être gardien de la paix ou inspecteur des impôts…

Alex – Gardien de la paix ? Tu as de ces expressions, parfois…

Gaby – Quoi ?

Alex – C’est très désuet, comme mot. Ça doit dater de l’époque où on appelait les blacks des hommes de couleur et les gays des invertis… Je ne sais même pas si ça existe encore, les gardiens de la paix…

Gaby – Tu peux parler, toi, avec ton concubinage ! Je te rappelle que maintenant, on dit union libre ! C’est quoi un gardien de la paix, pour toi ?

Alex – Je ne sais pas, moi… Un casque bleu…

Sam et Vic reviennent les mains vides.

Sam – Vous n’êtes pas encore en train de vous disputer au moins ? Désolé, je n’ai pas trouvé les coupes…

Gaby – Ah, oui, j’ai fait du rangement dans les placards il y a quelques jours… Je les ai mises autre part…

Alex – Cette manie de changer sans arrêt les choses de place… Tu vois, après on ne retrouve plus rien….

Gaby – Ne bougez pas, j’y vais…

Sam fait quelques pas et butte dans le sac Vuitton.

Sam – En tout cas, ce sac, vous feriez mieux de le ranger, il est un peu dans le passage. J’ai failli me casser la figure… (Il prend le sac à la main) Ça pèse une tonne… Vous partez en voyage ?

Gaby – On ne sait pas encore…

Sam – Mais il est à qui, ce sac, au fait ?

Alex et Gaby échangent un regard embarrassé.

Gaby – On ne sait pas encore…

Sam – Comment ça vous ne savez pas encore ?

Alex tente de faire diversion.

Gaby – Vous allez bien grignoter quelque chose avec le champagne…

Vic – Pourquoi pas ?

Sam – Si vous avez des biscuits à la cuillère ou des langues de chat…

Gaby – Désolé, on n’a que des cacahuètes et des Tucs.

Sam – Ça va moins bien avec le champagne, mais bon…

Gaby sort.

Alex (pour dire quelque chose) – Et qu’est-ce que vous faites, dans la vie, mademoiselle ?

Vic – Je suis livreur de pizzas.

Alex – Ah, c’est bien ça…

Silence.

Vic – Je sais, quand on dit qu’on est livreur de pizzas, c’est toujours suivi d’un blanc dans la conversation… Mais c’est provisoire, je vous rassure… Dès que nous aurons lancé notre affaire avec Sam…

Alex jette un regard inquiet vers Sam qui tient toujours le sac Vuitton à la main.

Alex (ailleurs) – Ne vous inquiétez pas… Nous sommes très tolérants à l’égard de toutes les minorités… De toute façon, il est évident que vous n’avez pas un look de gardien de la paix ou d’inspecteur des impôts. Je vais donner un coup de main à Gaby.

Alex sort. Sam pose le sac dans un coin.

Sam – Alors que tu penses de mes parents ?

Alex – Je ne sais pas. Je les trouve un peu… bizarres.

Sam – Bizarres… Tu veux dire gay ?

Vic – L’air d’avoir quelque chose à cacher, plutôt ?

Sam – Mmm… On dirait qu’un truc les chiffonne…

Vic – C’est peut-être ton coming out hétéro. Tes parents sont contrariés que tu ne sois pas gay…

Sam – Tu sais ce que c’est, les parents espèrent toujours que leur progéniture perpétuera les traditions familiales.

Gaby revient pour déposer quelques amuse-gueules sur la table.

Gaby – Tout va bien, les tourtaux ? Je veux dire les tourtereaux ?

Sam – Ça baigne…

Gaby – Je retourne aider Alex…

Gaby repart.

Vic – J’ai quand même l’impression d’être tombée dans un traquenard… Tu m’avais dit que tu voulais me présenter tes parents pour leur parler de notre projet. Tu ne m’as pas dit que tu allais me présenter comme… ta fiancée.

Sam – Je n’ai rien dit, moi !

Vic – Tu n’as rien dit pour les détromper non plus !

Sam – Ça avait l’air de leur faire tellement plaisir… Et puis après tout, si on est en couple, ça présente mieux pour leur taper du fric, non ? Ça leur inspirera confiance…

Vic – Tu as raison, ils n’auront qu’à déposer le chèque de caution dans la corbeille de mariage… Non mais tu te rends compte que ça risque de poser problème, quand même…

Sam – Pourquoi ça ?

Vic – Mais parce qu’on est gay tous les deux !

Sam – Eh oui… On est des gays de deuxième génération… Tu vois, on a pourtant tout fait pour s’intégrer, et on est encore victime de discrimination…

Alex arrive avec un seau à champagne et met la bouteille dedans. Gaby suit avec les coupes.

Alex – On va le mettre à rafraîchir pendant cinq minutes.

Gaby – Prenez des cacahuètes et des Tucs en attendant.

Vic – Merci.

Silence un peu embarrassé. Ils mangent tous des cacahuètes et des Tucs. Vic fait un signe à Sam pour qu’il se lance.

Sam – Donc, si je suis venu avec Vic, en fait, c’est pour… vous parler du projet que nous avons en commun…

Gaby – De votre projet… de mariage, tu veux dire ?

Vic lance à Sam un regard incendiaire.

Sam – D’association, plutôt… Voilà, je… Nous avons en tête un projet très innovant…

Alex – Une start up ?

Vic – Mieux que ça…

Sam – Une chaîne de laveries !

Gaby – Des laveries ?

Vic – Enfin, une ou deux pour commencer…

Sam – On verra après si ça marche…

Alex – Hun, hun…

Gaby – Ah, oui, c’est… C’est original comme idée…

Alex – Pour quelqu’un qui amène son linge sale à laver toutes les semaines chez ses parents.

Sam – C’est justement ça qui m’a inspiré ce concept, figure-toi.

Gaby – Quel concept ?

Sam – La lessive et le lien familial !

Vic – L’idée, en fait, c’est de réenchanter la lessive. De réinjecter dans la laverie toute la charge symbolique et émotionnelle dont était chargé autrefois le lavoir.

Sam – Comme lieu de rencontre et de socialisation.

Vic – Les lavomatics sont devenus des lieux complètement anonymes et impersonnels.

Sam – Nous, ce qu’on voudrait, c’est en faire des lieux de rencontres.

Un temps.

Alex – C’est encore une blague, c’est ça ?

Gaby – Comme quand tu nous as annoncé que tu voulais devenir curé.

Sam – Mais pas du tout ! C’est très sérieux.

Vic – Même si en effet, ce n’est pas sans rapport avec l’idée de resacraliser l’endroit où on lave son linge sale. En famille, en quelque sorte…

Vic – Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on viendrait dans nos lavomatics comme autrefois on allait à l’église, pour se retrouver et communier ensemble, mais il y a un peu de ça.

Alex – Bien sûr…

Sam – Et puis entre nous, une laverie, c’est génial. Ça tourne tout seul ! Tu as juste à passer une fois par semaine pour relever les compteurs…

Alex – Comme pour les putes ou les machines à sous… Là, je comprends mieux la métaphore… C’est vrai que patron de laverie, c’est le job idéal ! Mieux que curé, en tout cas. C’est un peu comme maquereau, quoi…

Sam – Sauf que c’est tout à fait légal !

Un temps.

Gaby – Mais des laveries, il y en a déjà beaucoup, non ?

Sam – C’est là où intervient notre concept original de laverie gay friendly.

Vic – Pour surfer sur la vague du communautarisme, segmenter le marché, et exploiter une niche encore inexploitée…

Sam – Après, éventuellement, c’est un concept qui peut se décliner.

Vic – Laverie bio, laverie écolo…

Alex – Laverie casher, laverie halal…

Gaby – Et c’est en livrant des pizzas que vous est venue cette idée géniale ?

Vic – J’ai aussi un BTS d’action commerciale…

Alex – Ah, voilà…

Sam – Vous savez quelle proportion de couples gays se sont rencontrés au lavomatic ?

Alex – Non…

Sam – Moi non plus, mais sûrement beaucoup.

Vic – En tout cas, c’est là où nous nous sommes rencontrés Sam et moi !

Moment de flottement.

Sam – Bref, vous l’avez compris, notre concept, ce n’est pas une simple laverie. C’est un véritable club de rencontre.

Vic – Une sorte de speed dating, le temps d’une machine.

Sam – Le temps d’une machine ! Ça pourrait même être le nom de cette nouvelle enseigne.

Alex et Gaby échangent un regard consterné.

Gaby – Très bien, on est ravi pour vous…

Alex – Et nous vous souhaitons beaucoup de succès…

Gaby – Mais… en quoi est-ce que cela nous concerne très directement ?

Sam – Et bien… Vous n’allez pas le croire, mais bizarrement, notre banquier n’est pas très chaud pour financer ce projet prometteur…

Vic – Vous savez que les banques sont très frileuses en ce moment.

Alex – C’est la crise…

Gaby – On n’encourage pas assez l’esprit d’entreprise dans notre pays, c’est clair.

Sam – Donc… Nous avons pensé à vous mettre dans le coup aussi…

Vic – Vous faire profiter de cette opportunité exceptionnelle.

Sam – Comme associés minoritaires…

Vic – Une caution morale et financière, en quelque sorte…

Sam – Je sais que vous n’avez pas beaucoup d’économies, mais…

L’attention de Gaby est attirée par l’écran de la télé.

Gaby – On dirait qu’ils reparlent de ce cambriolage…

Alex – Remets le son, vite !

Gaby – Vous permettez ?

Gaby remet le son, au grand étonnement de Sam et Vic.

Speaker – Après avoir forcé le coffre de cet hôtel particulier du Marais, les braqueurs se seraient enfuis dans le métro avec leur butin dans un ou peut-être deux sacs Vuitton. Butin récupéré à la station Saint Paul par une complice, comme semblent le montrer les caméras de surveillance… Peu d’indices pour l’instant si ce n’est un flacon d’eau de toilette cassé retrouvé sur le lieu du cambriolage…

Alex coupe à nouveau le son.

Alex – On ne va pas regarder la télé alors qu’on a des invités, quand même.

Gaby – Vous pensez que la police va les retrouver ?

Vic – Ça dépendra des éléments qu’ils ont, j’imagine… Un signalement, par exemple…

Sam – C’est sûr que pour financer notre projet, le contenu du coffre d’une vieille milliardaire, ça arrangerait bien nos affaires…

Vic – C’est clair…

Sam – Tiens, un sac Vuitton comme celui-là par exemple, bourré de billets de banque…

Vic – Même la moitié, ça nous suffirait…

Alex et Gaby fixent le sac avec un air inquiet.

Sam – Alors, qu’est-ce que vous pensez de notre idée ?

Gaby – Quelle idée ?

Sam – Notre idée de laveries gay friendly ! Il faut faire vite, vous savez ? Avant que quelqu’un d’autre nous pique le concept…

Mais Gaby et Alex ont visiblement la tête ailleurs.

Alex – Ah oui, bien sûr…

Sam – Alors ?

Gaby – Pourquoi pas, hein Alex ? Au moins, ce serait pour la bonne cause…

Alex – Il faut voir… Justement, nous venons d’avoir une rentrée d’argent inattendue…

Vic observe le comportement étrange de Gaby et Alex.

Vic – Une rentrée d’argent ? Vous avez gagné au loto ?

Alex – Peut-être…

Sam – Comment ça, peut-être ?

Gaby – On attend le tirage.

Sam – Ah oui, c’est un peu mince comme garantie bancaire…

Gaby – Alors on le boit, ce champagne ?

Alex s’apprête à déboucher la bouteille.

Alex – Allez, on trinque.

Gaby – À tous nos projets !

Au moment où retentit la détonation du bouchon, la scène est soudain plongée dans le noir.

Charlie – Merde, une panne d’électricité !

Sam – Ou alors, tu as dégommé l’ampoule avec le bouchon de champagne.

Charlie – C’est le compteur qui est trop faible. Dès qu’on met à la fois le four et le grille-pain, ça disjoncte.

Sam – Il faudrait rappuyer sur le bouton. Vous avez des bougies ?

Gaby – Je ne sais plus où je les ai mises… Ah, si je me souviens…

Gaby farfouille dans le noir, et finit par allumer une bougie.

Gaby – Le compteur est dans la cuisine…

Alex – Restez là, j’y vais…

Sam – Vic, tu es toujours là ?

Vic – Où veux-tu que je sois…

Gaby – Il a toujours eu peur du noir.

Sam – N’importe quoi…

Vic – Ça me rappelle un film d’horreur que j’ai vu sur Canal il n’y a pas très longtemps… Ça démarre par une panne d’électricité, justement et…

Sam – Excuse-moi, mais je ne suis pas sûr de vouloir connaître la suite…

La lumière revient.

Sam – Ah !

Gaby – Tu vois mon chéri, il ne t’est rien arrivé…

Sam – Oh ça va…

Alex revient et souffle la bougie.

Alex – Allez, cette fois, on trinque.

Alex remplit les coupes. Ils boivent.

Sam – Donc, vous seriez d’accord pour investir un peu d’argent dans cette affaire ? C’est cool…

Gaby – Je ne sais pas… Alex ?

Alex – Oui, bien sûr… Pourquoi ne pas placer une partie de nos… économies dans un projet familial innovant.

Sam – J’ai toujours pensé que vous aviez une âme de business angels…

Vic – En tout cas vous êtes des anges…

Alex – La preuve, comme eux, on a du mal à nous ranger dans un genre bien déterminé…

Gaby – Qu’est-ce que tu en penses Alex ? Il faudrait qu’on puisse en discuter un peu avant de nous décider.

Sam échange avec Vic un regard entendu.

Sam – Je vais aller fumer une cigarette sur le balcon…

Vic – Je t’accompagne…

Alex – Par ici, je vais vous donner un cendrier…

Ils sortent.

Gaby – Ouf ! On va enfin pouvoir planquer le magot. Où est-ce que je vais bien pouvoir mettre ça…

Gaby s’approche du sac.

Alex (off) – Où est-ce que tu as mis les cendriers ?

Gaby – Dans le placard de l’entrée !

Gaby regarde dans le sac et son visage se fige.

Gaby – Ce n’est pas vrai ! Le fric a disparu… (Gaby commence à chercher partout) Ce n’est pas possible…

Alex revient.

Alex – Quoi ?

Gaby se met à retourner les coussins du canapé.

Gaby (hurlant) – Le sac Vuitton ! Il est vide ! Quelqu’un a profité de la panne pour nous piquer l’oseille !

Alex ne peut pas répondre, car Sam et Vic reviennent à leur tour.

Sam – J’ai entendu crier… Qu’est-ce qui se passe ?

Gaby – Rien, j’ai… J’ai perdu la télécommande, voilà !

Vic saisit la télécommande restée bien en vue et la tend à Gaby avec un air ironique.

Vic – Tenez, la voici…

Sam – Rien ne lui échappe…

Gaby (soupçonneuse) – Je vois ça…

Ils se rasseyent autour de la table.

Alex – Encore un peu de champagne ?

Vic – Volontiers…

Sam – Donc, pour notre projet, vous seriez partant ? C’est génial !

Gaby – C’est à dire que… Nous ne savons pas encore avec certitude si nous pourrons disposer ou non de cet argent et…

Sam – Mais tout à l’heure, vous disiez que…

Alex – Et puis tu ne sais même pas te servir d’une machine à laver ! Reconnais que passer sans transition à une chaîne de laveries…

Gaby – Pourquoi ne pas vous faire sponsoriser par une grande marque de lessive, plutôt ?

Sam – Une marque de lessive ? Laquelle ?

Alex – Omo…

Sam – Ah, ok… Je vois…

Gaby – Désolée, mais… On s’est un peu emballé…

Sam (froissé) – Ça ne fait rien, on va se débrouiller autrement… Hein Vic ?

Vic semble aussi surprise par ce revirement.

Vic – Vous avez quelque chose à nous dire, peut-être ?

Sam – Vous avez des problèmes en ce moment ?

Alex – Pas du tout, qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

Vic saisit la télécommande et remet le son de la télé.

Vic – Ah, on dirait qu’ils reparlent de ce cambriolage… (Ironique) Comme j’ai remarqué que cela vous passionnait.

Speaker – Voici le portrait-robot de la personne qui se serait enfuie avec le butin dans le métro, portrait réalisé à partir des images des caméras de télésurveillance.

Sam – C’est drôle, on dirait Alex…

Vic – Oui, c’est frappant.

Gaby coupe à nouveau le son.

Gaby – Allez, on ne va pas passer la soirée devant la télé…

Vic – C’est marrant, ça me rappelle le scénario d’un film que j’ai vu récemment…

Gaby – Encore ? Vous êtes vraiment une cinéphile, dites-moi…

Vic – C’est quelqu’un qui trouve une valise pleine de fric dans le métro…

Alex – Ah oui ?

Gaby – Et comment ça se termine ?

Vic – En prison… Parce que tous les billets étaient numérotés…

Alex – Ah, oui c’est con…

Vic – Oui…

Sam se lève, sentant que l’ambiance commence à être tendue.

Sam – Allez, on ne va pas vous déranger plus longtemps.

Gaby se plante devant Vic, avec agressivité.

Gaby – Mais vous n’allez pas partir comme ça !

Vic toise Gaby, qui finit par s’écarter.

Vic – Non, on va débarrasser d’abord…

Alex – Mais non, laissez…

Sam – Je vais t’aider.

Sam et Vic sortent avec les coupes.

Gaby – On est dans la merde…

Alex – Ne t’inquiète pas, tout va rentrer dans les ordres… Je veux dire dans l’ordre…

Gaby – Mais où est le fric ? C’est sûrement cette salope qui nous l’a piqué. Et en plus, elle se fout de nous !

Alex – C’est moi qui ai pris l’argent, et je l’ai mis en lieu sûr…

Gaby – Toi ?

Alex – Après avoir tout branché dans la cuisine pour faire sauter les plombs.

Gaby – Où est-ce que tu as mis l’oseille ?

Alex – Là où même un flic ne penserait pas à chercher, rassure-toi…

Gaby – Dans le micro-onde ?

Alex – Dans la machine à laver.

Gaby – Mais ça ne va pas ! J’aurais pu la faire partir !

Alex – Personne n’aura l’idée de regarder là. Et certainement pas Sam.

Sam revient, suivi de Vic, le sac de linge sale à la main.

Sam – Vous allez être fiers de moi.

Gaby – Ah oui ?

Sam – J’ai réussi à mettre la machine en route !

Alex – Non ?

Sam – Enfin Vic m’a un peu aidé… Mais c’est vrai que si on doit lancer une chaîne de laveries, il faut bien que je commence à mettre un peu la main à la pâte…

Consternation de Gaby et Alex.

Gaby – Quel programme ?

Vic – Cycle long. Linge très sale.

Alex et Gaby sortent en catastrophe.

Sam – Je ne sais pas ce qui leur arrive…

Vic – Moi oui… (Sam lui lance un regard étonné) Le fric de ce cambriolage qui a eu lieu à côté… Il est ici…

Sam (incrédule) – Tu accuses mes parents d’avoir fait un casse ?

Vic – Les cambrioleurs ont sûrement dû abandonner leur butin dans le métro, et Alex est tombé dessus par hasard.

Sam – Non ?

Vic – Tu n’as pas reconnu Alex sur le portrait-robot à la télé ?

Sam digère cette information.

Sam – Trouvé, tu dis ? Mais alors ce n’est pas comme si c’était un vol…

Vic – Tu crois ça toi ? Ça s’appelle du recel, figure-toi.

Sam – Moi, j’appelle ça un coup de bol.

Vic – Fais le guet…

Sam – Le gay ?

Vic – Regarde si quelqu’un vient.

Sam – Ah d’accord…

Vic renifle l’air.

Sam – Avec toi, plus besoin de chiens policiers… Mais tu as des preuves de ce que tu avances, à part ton flair de berger allemand ?

Vic s’approche en reniflant du sac Vuitton.

Vic – C’est le sac qui a servi à transporter le butin.

Sam – Bravo, Rantanplan. (Sam ouvre le sac). Mais le sac est vide !

Vic montre le contenu du sac de linge sale.

Vic – J’ai sorti ça de la machine avant de la mettre en route…

Sam – Non…

Vic – Avant, les gens planquaient leur oseille dans une lessiveuse…

Sam – On n’arrête pas le progrès.

Retour de Alex.

Alex – Un petit problème avec la machine à laver…

Vic – C’est de ma faute ?

Alex – Pas du tout… Mais quand il y a trop de liquide, ça déborde…

Sam – Trop de liquide…

Alex – C’est une vieille machine…

Alex repart aider Gaby.

Sam – On garde tout ou on partage ?

Vic – Mais c’est du vol, je te dis ! On risque de gros ennuis…

Sam – En même temps, si on le prend, c’est à mes parents que j’évite de gros ennuis.

Vic – Il y a des flics partout en bas… C’est ça qui m’inquiète…

Sam – Remets le son, ils en parlent à la télé…

Vic appuie sur la télécommande.

Speaker – La police vient d’arrêter les coupables du cambriolage dans cet hôtel particulier du Marais. Et le butin a été retrouvé, caché dans un sac Vuitton : des lingots d’or, quelques diamants et autres bijoux. Ainsi que quelques boîtes de pastilles Ricola, le célèbre bonbon suisse… Gageons que la milliardaire a dû tousser un peu en apprenant qu’on avait retrouvé cette partie de sa fortune un instant occultée…

Vic coupe le son.

Sam – Mais alors c’est quoi, ce fric qu’Alex ont trouvé dans le métro ?

Vic – Je ne sais pas, moi… Il y avait peut-être deux sacs… Pour vider le coffre d’une milliardaire, il faut croire qu’un seul sac, ça ne suffit pas… Mais c’est vrai que ça réduit la pression…

Sam – C’est à dire ?

Vic – Si cet argent n’est pas légal ou n’est pas supposé exister pour le fisc, personne n’ira porter plainte pour récupérer le deuxième sac… Ni les propriétaires, ni les voleurs non plus.

Sam prend une liasse et la regarde.

Sam – C’est vraiment des billets numérotés ?

Vic – Non, des petites coupures usagées…

Sam – Si personne ne vient le réclamer dans un an et un jour… On n’a qu’à se dire qu’on a gagné le jackpot !

Vic – Ou que c’est un redressement fiscal et que c’est nous les percepteurs.

Sam – Une sorte d’impôt sur la fortune, quoi…

Vic – Après tout, nous aussi, on le vaut bien !

Bruits bizarres en provenance de l’autre côté, comme si on tapait avec un marteau sur quelque chose de métallique. Retour de Gaby.

Gaby – C’est presque réglé… Mais croyez-moi, c’est difficile d’arrêter une machine quand elle est lancée…

Gaby repart.

Vic – Reste à savoir comment blanchir cet argent ?

Sam – On va monter une chaîne de laveries !

Vic – Blanchir de l’argent en achetant des blanchisseries ?

Sam – C’est ce que faisait Al Capone pendant la prohibition… C’est même de là où vient l’expression blanchiment d’argent

Vic – Al Capone ? Mais je croyais que tu étais communiste… Tu vas à la Fête de l’Huma tous les ans !

Sam – Est-ce qu’un aveugle qui retrouve la vue continue à aller à Lourdes chaque année ? Si tu y tiens, on pourra un don à une œuvre de charité.

Vic – Les orphelins de la police ?

Sam – Tu m’as bien dit que tu n’avais plus tes parents, non ?

Vic – Oui.

Sam – Et ben tu vois ! Même pas besoin de faire un don !

Vic – Et tes parents à toi ?

Sam regarde le catalogue de voyage.

Sam – Ils auraient sûrement tout perdu à Las Vegas de toute façon…

Vic – Tu as raison. Mieux vaut investir dans des machines à laver que dans des machines à sous…

Sam – Barrons-nous tout de suite pour éviter la fouille au corps.

Vic – Ok.

Sam – Allez, ça me fait mal au cœur. On leur laisse quand même un pourboire.

Vic – Bon, mais juste une liasse alors…

Vic jette une liasse dans le sac.

Vic – Pour le personnel, comme on dit au casino…

Sam – On ne peut pas partir comme ça sans dire au revoir… Je vais quand même leur mettre un petit mot…

Sam griffonne quelque chose sur un papier qu’il pose sur la table et ils sortent. Gaby et Alex reviennent, catastrophé(e)s avec le linge qu’elles étendent sur un fil.

Alex – Je ne comprends pas, cet argent n’a pas pu fondre complètement à la machine et partir dans les canalisations…

Gaby – Va savoir… On appelle ça de l’argent liquide… Et puis tu sais ce qu’on dit : Bien mal acquis ne profite jamais…

Alex – Où ils sont passés…?

Gaby – Les billets ?

Alex – Sam et sa motarde !

Gaby – Je ne sais pas…

Alex – Ils sont partis comme des voleurs…

Gaby – Ça m’en fiche un coup qu’il se marie quand même… Il ne viendra plus laver son linge sale en famille…

Alex – Il nous reste le sac Vuitton. (Alex regarde dans le sac et son visage s’illumine) J’ai oublié une liasse dedans !

Gaby – On a au moins de quoi s’acheter deux billets d’avion pour Las Vegas. À nous les machines à sous ! Je sens que la chance est en train de tourner…

Alex – Il y a un mot sur la table… (Alex prend le mot et lit) Je suis gay. C’est signé Sam…

On entend une sirène de police et Gaby lance un regard inquiet à Alex.

Gaby – Tu crois que ça existe, les prisons gay friendly ?

Noir.

Alex – Merde, les plombs ont encore sauté…

Le bruit de la sirène se fait plus fort. Avant de s’arrêter d’un coup. Fin

Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre, Jean-Pierre Martinez a écrit une vingtaine de comédies régulièrement montées en France et à l’étranger.

Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez sont librement téléchargeables sur :

www.comediatheque.com

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle.

Toute contrefaçon est passible d’une condamnation

allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison

Paris – Octobre 2012

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-41-3

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

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Le Coucou

A cuckoo’s nest   –  El Cuco –  O Cuco 

Une comédie de Jean-Pierre Martinez

2 hommes et 2 femmes OU 1 homme et 3 femmes

À la veille de Noël, le retour imprévu d’un grand père qu’on croyait mort bouleverse la routine d’une famille d’apparence ordinaire. Une comédie loufoque et cruelle sur le lien familial. Allez directement en enfer… ou tirez une carte chance.


Ce texte est offert gracieusement à la lecture. Avant toute exploitation publique, professionnelle ou amateur, vous devez obtenir l’autorisation de la SACD.


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TEXTE INTÉGRAL

Le Coucou

Personnages : William – Judith – Fausto – Nina

Acte 1

Un salon ouvrant sur un balcon ou une terrasse. Quelques décorations de Noël mais pas de sapin. Judith, quarante à cinquante ans, assise dans un fauteuil, lit un journal qui titre sur l’éruption d’un volcan islandais perturbant gravement le trafic aérien. Pendant ce temps William, son mari, sensiblement le même âge, prend soin d’une plante dans une jardinière. Il l’arrose, la vaporise, la taille… Au bout d’un moment, à court d’imagination, il soupire et s’installe dans un autre fauteuil aux côtés de Judith. Ils restent silencieux un instant. Un grand coucou à l’ancienne en forme de pendule de parquet, situé entre eux, chante trois fois.

William – Le coucou chante toujours trois fois…

Judith – Il est quelle heure ?

William – Je ne sais pas. Pas trois heures, en tout cas.

Judith – Il faudrait le faire réparer.

William – Ou s’en débarrasser. C’est quand les encombrants ?

Judith – C’est la seule chose qui te vient de ta famille.

William – Oui ben c’est encore trop encombrant…

Un temps.

William – C’est incroyable, ce temps, pour un mois de décembre.

Judith – C’est l’été indien.

William – Noël au balcon…

Judith – En tout cas, heureusement qu’on n’avait pas prévu de partir en vacances aujourd’hui. Tu as lu ça ? Tous les aéroports sont bloqués.

William – On se croirait revenu au temps des caravelles. Pour qu’un avion décolle, maintenant, il faut attendre que les vents soient favorables.

Judith – Tout ça à cause d’un volcan dont on ne peut même pas prononcer le nom.

William – Comme celui du diable…

Judith – Pardon ?

William – Le diable non plus, on ne peut pas prononcer son nom ! Ça prouve bien qu’il y a quelque chose de diabolique dans cette histoire.

Judith – Bon, ce n’est pas la fin du monde, non plus.

William – Je me demande si ce ne sont pas les millénaristes qui ont raison. Et si l’apocalypse était vraiment pour le 25 décembre de cette année ?

Judith – Parce qu’un volcan est entré en éruption ?

William – Pour les dinosaures aussi, ça a commencé comme ça !

Judith – Il ne faudrait jamais réveiller un volcan qui dort…

Judith replonge dans son journal.

William – Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Judith – En attendant la fin du monde ?

William – Quand le petit oiseau aura quitté son nid…

Judith – Il y a un nid ? Où ça ?

William – C’est une métaphore ! Je parle de Nina, notre fille ! Quand elle sera vraiment partie, et nous aura laissés tout seuls dans cette maison avec une chambre en trop.

Judith – Elle ne part pas pour toujours. Et elle ne va qu’à Paris. Elle reviendra.

William – Oui, en transit.

Judith – Je préfère ne pas y penser. Pas tout de suite…

William – Ça fait plus de vingt ans que nos journées sont rythmées par elle. Que notre vie tourne autour d’elle. Qu’est-ce qu’elle a mangé ? Qu’est-ce qu’elle va manger ? Qu’est-ce qu’elle a fait ? Qu’est-ce qu’elle va faire ? Il va falloir s’habituer à l’idée que maintenant, notre fille unique sait manger et aller aux toilettes toute seule.

Judith – Il faudra trouver d’autres repères, se créer de nouvelles habitudes.

William – Comment on faisait avant ?

Judith – Je ne sais plus.

William – Il va falloir réapprendre.

Judith – Mais ce ne sera plus jamais comme avant.

William – Alors il va falloir réinventer.

Judith remarque la jardinière.

Judith – Tu fais des plantations ?

William – Juste un ou deux plans de cannabis, pour notre consommation personnelle.

Judith – Non ?

William – On a dit qu’on devait changer nos repères, non ? Un petit pétard de temps en temps, ça devrait au moins nous aider à nous défaire de nos anciens repères. (Elle le regarde interloquée) Je déconne, c’est des tomates cerises. J’ai trouvé ça chez le fleuriste.

Judith – Chez le fleuriste ? C’est très délicat de ta part, mais il ne fallait pas. J’espère que tu ne t’es pas ruiné, au moins…

William – Dix euros. J’y allais pour acheter un sapin de Noël. Mais il paraît que ça peut avoir un rendement incroyable, les tomates cerises. Plus que l’épicéa en tout cas. Tu as vu le prix des tomates cerises ? C’est presqu’aussi cher que le cannabis.

Judith – Et en plus c’est légal…

William – Si je fais vraiment partie de la charrette de licenciement, à la banque, je pourrais toujours faire dealer de tomates cerises.

Judith – Mmm…

William – Bon, pour l’instant je n’ai encore rien récolté, mais je l’ai acheté il y a une heure.

Judith – Oui, et on est quand même au mois de décembre.

Ils restent tous les deux silencieux un instant.

William – Tu vois, je ne sais même plus si je le redoute ou si je l’espère, ce licenciement.

Judith – Ça pourrait être l’occasion d’évoluer…

William – Ou le début de la fin, comme pour les dinosaures. Eux, ils n’ont pas réussi à évoluer…

Judith – On a de quoi voir venir. Tu toucherais une indemnité. Et puis je travaille, moi.

William – Je sais. C’est ça qui me déprime. Il y a vingt ans, on n’avait rien, et on n’avait peur de rien. Surtout pas de l’avenir. Aujourd’hui on a une maison, deux voitures, une assurance vie chacun… On a tout, et on a peur de tout. Même des volcans. On est devenu des dinosaures, je te dis…

Un temps.

Judith – Tu aurais enfin le temps d’écrire ton roman. Tu en parles depuis des années. Comment ça s’appelait, déjà ?

William – « Mémoires d’un amnésique ».

Judith – C’est un bon titre.

William – Malheureusement, depuis le temps, il a été déjà été pris.

Judith – Tu pourrais appeler ça « Mémoires d’un dinosaure »…

William – C’est déjà pris aussi. Tous les bons titres sont déjà pris. Tu te rends compte ? Si seulement j’étais né cent ans plus tôt, j’aurais pu intituler mon bouquin À la Recherche du Temps Perdu ou Voyage au Bout de la Nuit. Avec des titres pareils, évidemment, j’aurais fait un carton.

Judith – C’est à vous dégoûter d’écrire…

William – En attendant, je ferais mieux de ne pas lâcher l’idée de la culture en terrasse. Au cas où mon indemnité de licenciement ne soit pas à la hauteur de nos espérances.

Judith – Ça t’inquiète tant que ça ?

William – Pourquoi tu crois que j’ai acheté une plante vivrière plutôt qu’un plan de cannabis ?

Judith – Parce qu’ils ne vendent pas de plan de cannabis chez le fleuriste ?

On entend un bruit pénible de flûte parsemé de nombreuses fausses notes.

William – Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est atroce ! Comment veux-tu que je puisse écrire le prochain Goncourt dans ces conditions ?

Judith – La fille de la voisine… Nina aussi apprenait à jouer de la flûte quand elle était au collège. Tu ne te souviens pas ?

William – C’est vrai. C’est incroyable. Hier encore, on lui apprenait à jouer du pipeau, et aujourd’hui elle est avocate. Remarque, c’est un peu pareil…

Judith – Quoi ?

William – Un avocat aussi, ça joue du pipeau.

Judith – Ah, oui… Pour éviter qu’on mette ses clients au violon.

William – Excellent. En tout cas, si un jour on découvre des plantations illicites sur notre terrasse, on pourra toujours l’appeler dès notre première heure de garde à vue. C’est quand même rassurant, non ?

Judith (regardant la plante avec suspicion) – Tu me jures que c’est bien un plan de tomates cerises ?

Nina arrive en tirant une valise à roulettes. C’est une jeune fille d’une vingtaine d’années au look assez sportif.

William – Alors ça y est, tu t’en vas ? Tu vas nous laisser tout seuls ici, comme deux vieux croûtons… On va enfin être un peu tranquille.

Nina – Moi aussi.

William – On parlait de toi, justement. Je disais à ta mère que si un jour on découvre un cadavre enterré dans notre jardin, tu pourras toujours nous éviter d’avoir des ennuis avec la police.

Nina – Tu crois ?

William – C’est quand même nous qui avons payé tes études !

Judith – Tu ne veux vraiment pas qu’on t’accompagne à Paris ?

Nina – Ce n’est pas la peine, maman, je t’assure. Josiane passe me prendre en voiture.

William – Josiane ? C’est qui, ça, Josiane ?

Judith – La… collègue de Nina avec qui elle va partager son appartement, tu sais bien.

William – Non… On ne me dit rien… Et elle a quel âge cette Josiane ?

Nina – Qu’est-ce que ça peut faire ? T’es de la police ?

William – Les gens ont encore le droit d’appeler leur fille Josiane ? Ça n’a pas été interdit ?

Judith – Les loyers sont tellement chers, à Paris… Tu es sûre que tu n’as rien oublié ?

Nina – Si j’ai oublié quelque chose, je reviendrai. Je ne pars pas au bout du monde.

William – Oui, enfin… Ramené à l’échelle de Paris, le Quinzième Arrondissement, c’est quand même ce qui se rapproche le plus du bout du monde.

Nina (à Judith) – Je te laisse mes clefs ? Pour la femme de ménage…

William – C’est ça, laisse tes clefs à la réception en partant. Tu as pris quelque chose dans le minibar ?

Judith – Je te jure, tu devrais écrire ton bouquin. Si tu couchais par écrit toutes les bêtises que tu racontes, ça pourrait faire plusieurs volumes…

Le téléphone sonne à l’intérieur de la maison.

William – J‘y vais. Je préfère ne pas assister à vos adieux déchirants.

William sort.

Nina – Il a l’air complètement déprimé…

Judith sourit.

Judith – Sa petite fille quitte la maison. Ça lui file un coup de vieux, forcément…

Nina – Je ne pars pas pour toujours !

Judith (au bord des larmes) – Oui, c’est ce que je lui ai dit… C’est vrai ?

Nina – Évidemment !

Nina prend sa mère dans ses bras pour la réconforter. Séquence émotion. Puis elles desserrent leur étreinte. Nina tend à sa mère un morceau de papier.

Nina – Tiens, je t’ai noté l’adresse et le code de l’immeuble. Tu viens quand tu veux !

Judith – Merci… (Judith range le papier dans un tiroir et en sort un revolver) Ah, au fait… Je l’ai trouvé sous ton lit en faisant les poussières. Tu ne devrais quand même pas laisser traîner ça…

Nina – Désolée, c’était pour que papa ne le voit pas. Je suis supposée ne jamais m’en séparer, même à la maison.

Judith – Tu embrasseras Josiane de ma part…

Nina – Ok.

Judith – Il faudra quand même bien que tu le dises un jour à ton père…

Nina – Quoi ?

Judith – Que c’est le concours pour entrer dans la police que tu as réussi, pas celui pour entrer dans la magistrature ! Pourquoi tu ne lui as pas dit ?

Nina – J’avais peur qu’il soit déçu… C’était sa dernière chance de me voir en robe au moins une fois dans sa vie…

Judith – Gendarme, c’est bien aussi.

Nina – Policier, maman…

Nina s’approche pour prendre le revolver mais s’arrête devant le plan de tomates cerises.

Nina – C’est quoi ça ?

Judith – Les plantations de ton père. Des tomates cerises…

Nina (pas convaincue) – Ah, oui…

William revient alors avec un combiné sans fil à la main. Judith glisse rapidement le revolver sous le canapé. William tend le combiné à Nina.

William (à Nina) – Pour toi. Josiane…

Nina – Merci… (Nina repart avec le combiné). Allô… Oui Josiane…

William – Elle a une drôle de voix, non ?

Judith – Qui ?

William – Cette Josiane !

Judith – Quel genre de voix ?

William – Je ne sais pas… Pas très féminine.

Judith – Elle n’est pas hôtesse de l’air, tu sais.

William – Oui, ça je m’en serais douté… La question, c’est : qu’est-ce qu’on peut faire dans la vie quand on s’appelle Josiane ? C’est quand même un sacré handicap pour décrocher un emploi. Qu’est-ce qu’elle fait dans la vie ?

Judith – C’est… une collègue de Nina, je te dis. Elles font leur stage ensemble.

William – Leur stage d’avocat ? Dans quel cabinet ?

Judith – Je ne sais plus… Zelder et Carvani, je crois…

William – Ah, oui… Ça me dit vaguement quelque chose.

On entend brièvement depuis la rue une sirène de police. Nina revient.

Nina – Josiane m’attend en bas. Il va falloir que j’y aille…

Judith – Tu viens toujours dîner pour Noël ?

Nina – Mais oui ! Je t’ai dit. J’amène la dinde.

William – Tu peux même amener Josiane, si tu veux.

Nina – Ah oui ? Bon… Mais pourquoi j’amènerais Josiane ? On n’est pas mariées, non plus.

William – Tu peux tout me dire, tu sais… Je suis ton père… Je t’aimerais quand même…

Nina – Tout ?

William – Presque tout.

Nina – Même si la dinde s’avérait être un poulet ?

William ne comprend visiblement pas l’allusion.

Judith – Allez, vas-y, file.

William – Oui, c’est ça, dépêche-toi… On a hâte que tu sois partie… Depuis le temps qu’on rêvait d’avoir une chambre d’amis…(Nina lui fait la bise). Il ne nous reste plus qu’à trouver des amis. Mais maintenant qu’on n’a plus d’enfant à charge, on va avoir le temps de s’en faire…

Nina s’apprête à s’en aller avec sa valise à roulettes.

Judith – Tu m’appelles en arrivant ?

Nina – Ne t’inquiète pas.

Nina s’en va. Ils restent un temps assis sur le canapé, silencieux.

William – Et voilà… Ça y est… On est des vieux cons.

Judith – Tu étais déjà un vieux con avant ça.

Silence.

William – Tu veux faire un Monopoly ?

Judith – À deux, ce n’est pas très drôle. Mais on pourra faire une partie à Noël, comme tous les ans. Avec Josiane…

Silence.

William – Qu’est-ce qu’on va faire de sa chambre ?

Judith – C’est une obsession ! Il n’y a pas d’urgence…

William – On pourrait la laisser en l’état et en faire un mausolée ? On y brûlerait de l’encens de temps en temps.

Judith – Tu veux qu’on fasse un petit voyage ? Il me reste plein de RTT à prendre. Et puis dans les pompes funèbres, passée la période des fêtes, c’est plutôt la morte saison…

William – Mmm…

Judith – Va savoir pourquoi, les gens préfèrent mourir entre Noël et le Jour de l’An.

William – Ce qu’il nous faudrait, c’est des vacances définitives.

Judith – Tu me fais peur…

William – Si je suis licencié, tu pourrais arrêter de travailler, toi aussi.

Judith – Je ne sais pas si on peut vraiment se le permettre… Il faut quand même payer la maison de retraite de ta mère… À moins de gagner au loto… Et puis qu’est-ce que je ferai, moi ?

William – Je ne sais pas… Tu pourrais enfin faire ce que tu veux ! Tu n’as jamais eu envie de faire autre chose ?

Judith – Tu sais ce qui me tenterait bien… Ça fait un moment que j’y pense…

William – Non.

Judith – Ouvrir des chambres d’hôtes…

William – Pourquoi pas ! On a déjà une chambre qui vient de se libérer…

Judith – Pas ici ! À la campagne !

William (horrifié) – À la campagne !

La sonnette de l’entrée retentit.

Judith – Tu vois… Je t’avais dit qu’elle reviendrait… Elle a sûrement oublié quelque chose…

Judith va ouvrir. William tend le bras, attrape le journal et l’ouvre.

William (lisant) – Évasion à la prison de La Santé… Le détenu parvient à s’échapper en braquant sur ses gardiens un revolver factice… C’est curieux, pourquoi ce visage me dit quelque chose… ?

Judith revient.

Judith – Ce n’est pas Nina…

William – Qui c’est ?

Judith – Un type d’un certain âge habillé d’une drôle de façon…

William – Avec une barbe blanche et un costume rouge ? Je me disais aussi. C’est qui cet abruti qui a garé son traîneau juste en bas sur une place handicapé…

Judith – Cet abruti-là prétend être ton père.

William – Mon père ?

Judith – Je croyais qu’il était mort !

William – Moi aussi…

Judith – C’est ce que tu m’avais dit ! Il n’est pas mort ?

William – Pour moi, il était mort… Je ne l’ai pas revu depuis vingt ans.

Judith – Et qu’est-ce qui te faisait penser qu’il était mort ?

William – Un jour, j’ai trouvé des ossements, chez ma mère, en bêchant le jardin.

Judith – Ton fameux penchant pour l’agriculture…

William – J’ai pensé que c’était elle qui l’avait enterré là.

Judith – Ah oui, c’est… C’est aussi la première chose qui me serait venue à l’esprit. Et tu ne lui as pas demandé ?

William – À qui ?

Judith – À ta mère !

William – Au début, je n’ai pas osé. Ce n’est pas le genre de question qu’on pose facilement à sa mère. Elle m’avait seulement dit qu’il était parti pour un long voyage…

Judith – Et après ? Tu ne t’es pas demandé pourquoi vingt ans après il n’était pas encore revenu ?

William – Si, mais… Depuis que maman est dans cette maison de retraite… Tu sais bien qu’elle ne se souvient plus de rien. Même si la police la passait à tabac, elle serait incapable de leur dire son propre nom…

Judith – Bon ben on ne peut pas le laisser à la porte…

William – Pourquoi ?

Judith – C’est ton père quand même…

Judith repart, laissant William désemparé.

William – Mais alors c’était qui, ces ossements, dans le jardin ?

Noir.

Acte 2

Judith revient avec un homme entre soixante et soixante dix ans, de belle prestance, portant des vêtements démodés et un peu voyants, avec un paquet cadeau à la main.

Judith – C’est vraiment gentil de passer nous faire une petite visite. Mais je ne connais même pas votre prénom…

Fausto – Fausto. Je m’appelle Fausto, chère Madame. Mais vous pouvez m’appeler… Fausto.

William – Je ne me souvenais pas qu’il s’appelait Fausto…

Moment de flottement.

Judith – Eh ben, William, tu ne dis pas bonjour à ton père ?

William – Si, si, je… Papa ? Quel bon vent t’amène ?

Fausto – Plutôt un vent contraire, à vrai dire.

William – Tiens donc… C’est curieux, mais c’est l’inverse qui m’aurait étonné…

Fausto – Je devais prendre un avion à Roissy, mais à cause de ce nuage volcanique…

William (à Judith) – Quand je te disais qu’il y avait quelque chose de diabolique dans cette histoire de volcan… Les entrailles de la terre se mettent à cracher le feu, et voilà Fausto qui débarque…

Judith – Donc, vous êtes en transit…

Fausto – Je me suis dit que j’allais en profiter pour passer voir mon fils… Et faire enfin la connaissance de ma belle fille… et de mon petit fils.

Judith – C’est une fille…

Fausto – Ah…

Judith – Et puis vous tombez mal…

William – Elle vient de quitter définitivement la maison… Ce n’est vraiment pas de chance, tu serais passé seulement dix ans plus tôt, tu aurais pu la croiser…

Judith perçoit le malaise et tente de meubler.

Judith – Mais je vous en prie, asseyez-vous !

Fausto lui tend le paquet cadeau.

Fausto – Tenez, j’ai apporté ça pour la petite.

Judith (prenant le cadeau) – Ah, merci ! Je lui donnerai dès que je la verrai. Vous n’avez pas de bagages ?

William – Je les ai laissés… à la consigne de l’aéroport.

Judith – Vous voulez boire quelque chose ?

Fausto – Je ne voudrais pas vous déranger…

Judith – Pensez-vous ! Qu’est-ce que je peux vous proposer… Nous prenons très rarement l’apéritif.

William – On reçoit très peu de visite… Comme on n’a peu d’amis et pas de famille proche.

Judith – Du vin de pruneaux, ça vous tente ? On a ramené ça de nos vacances cet été du côté d’Agen. On n’a pas encore eu l’occasion de le déboucher…

Fausto – Du vin de pruneaux, parfait.

William – C’est bon pour le transit.

Judith pose le paquet cadeau dans un coin et sort. Silence embarrassé.

Fausto – Alors fiston, comment va ?

William – Très bien, merci.

Fausto – Tu n’es pas content de revoir ton vieux père ?

William – Si, si, mais… Tu fais éruption, comme ça… Laisse-moi le temps de m’habituer… La dernière fois que je t’ai vu, je venais de passer le bac.

Fausto – Et tu l’as eu ?

William – Je te remercie de te soucier de ma scolarité secondaire, mais… tu étais où, au fait, ces vingt dernières années ?

Fausto – Pas très loin d’ici, en réalité. Quelques kilomètres à peine à vol d’oiseau.

William – Ah, oui… Ça explique tout à fait que tu ne sois jamais venu me voir avant. Remarque, tu n’es pas un oiseau, après tout.

Fausto – Les oiseaux aussi, il arrive qu’on les mette en cage…

Judith revient avec sur un plateau une bouteille de vin de pruneaux et trois verres.

Judith – Voilà, voilà… Ça va nous rafraîchir…

Judith fait le service.

Fausto – Merci.

Judith – Vous vous rendez compte ? Prendre l’apéritif la fenêtre ouverte en plein mois de décembre !

Fausto – Noël au balcon…

Judith – Oui, c’est ce que me disait mon mari… Alors comme ça, vous êtes le papa de William.

Fausto – Techniquement, oui…

Judith – J’imagine que vous n’habitez pas en France…

Fausto – Je n’ai… pas vraiment de port d’attache.

William – Tant qu’on a La Santé…

Judith trempe les lèvres dans son verre.

Judith – C’est un peu tiède, non ? Je vais chercher des glaçons, ce sera meilleur…

Judith repart.

William – Alors comme ça ils t’ont libéré ? Pas pour bonne conduite, j’imagine ?

Fausto – Pas exactement…

William – Tu t’es évadé ?

Fausto – C’est un peu plus compliqué que ça.

William – Je trouve ça déjà assez compliqué, moi…

Fausto – Disons que j’ai bénéficié… d’un concours de circonstances.

William – Tiens donc ?

Fausto – Je m’apprêtais à quitter le territoire, mais à cause de ce volcan…

William – Alors tu t’es souvenu que tu avais un fils.

Fausto – Dans ma situation… Il vaut mieux que je ne dorme pas à l’hôtel ce soir. Tout naturellement, j’ai pensé à toi…

William – Tout naturellement ?

Fausto – Tu ne dénoncerais pas ton propre père à la police ?

William – Ça dépend… Il y a une récompense ?

Judith revient avec un seau à glaçons.

Judith – Et voilà les glaçons !

Avec une pince, elle met des glaçons dans les verres.

Fausto – Merci pour votre hospitalité…

Judith – À propos, vous savez où dormir ce soir ? Si votre avion ne peut pas décoller avant demain…

William lui lance un regard incendiaire.

Fausto – Je vais me débrouiller.

William – Et puis on n’a pas trop de place pour l’accueillir…

Judith – Il y a la chambre de Nina. Toi qui rêvais d’avoir une chambre d’ami…

William – Mais… ce n’est pas un ami.

Judith – Encore un peu de vin de pruneaux ?

On entend alors une sonnerie, et Fausto sort de sa poche un téléphone portable dont la grande taille témoigne de l’ancienneté. Fausto déplie l’antenne télescopique, et prend l’appel.

Fausto – Allô…? (Aux deux autres) Excusez-moi… Allô…

Fausto s’éloigne vers l’intérieur de la maison.

William – Qu’est-ce qui t’a pris de lui proposer la chambre de Nina ?

Judith – C’est ton père, non ?

William – Je ne le connais pas, ce type !

Judith – Tu n’es pas sûr que c’est lui ?

William – Ça fait vingt ans que je ne l’ai pas vu ! Mais je ne me souviens pas qu’il ressemblait à ça.

Judith – En vingt ans, on change évidemment. Tu ne serais pas en train de perdre la mémoire, comme ta mère, au moins ?

William – Tu trouves qu’il me ressemble ?

Judith – Si tu n’es pas sûr que c’est lui, on peut lui demander ses papiers…

William – Ce que j’aimerais, surtout, c’est pouvoir le fouiller.

Judith – Pour quoi faire ?

William – Pour voir s’il n’a pas une arme sur lui !

Judith – Ah, oui…

William – Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir là dedans…? On entend comme un tic tac, non ?

Judith – Tu crois que ton père serait venu se faire exploser chez nous avec un colis piégé après vingt ans d’absence ?

William – Alors qu’est-ce que c’est ?

Judith – C’est le coucou !

William – Le coucou… Tu veux dire mon père ? Lui aussi, je crois qu’il a tendance à venir pondre ses œufs dans le nid des autres…

Fausto revient avec un sourire un peu figé sur les lèvres.

Fausto – Ça me gêne un peu, mais je crois que je vais devoir accepter votre aimable invitation, finalement… Un ami m’avait proposé de m’accueillir, mais il vient de se décommander.

Judith – Pas de problème. Vous êtes ici chez vous. En attendant que le vent tourne…

Fausto – Le vent…

Judith – Le nuage radioactif… Je veux dire volcanique…

Fausto – Ah, oui, bien sûr.

Judith – Au moins, celui-là, on n’a pas essayé de nous faire croire qu’il s’est arrêté à la frontière…

Fausto – Les nuages, c’est comme les oiseaux, ils ne connaissent pas les frontières.

William – Même celles de l’espace Schengen…

On entend la sonnette de l’entrée. Fausto se fige.

Fausto – Vous attendez quelqu’un ?

Judith – Non… Je vais voir…

Judith sort.

Fausto – Il y a moyen de sortir par la terrasse ?

William – Oui. Ça donne sur le jardin.

Fausto – Ah…?

William – Tu peux toujours essayer de sauter. Mais on est au troisième…

Fausto – Ah…

Judith arrive avec Nina.

William – Ah, c’est toi… Fausto craignait que ce soit la police…

Judith – Nina avait oublié… son portable. C’est tellement petit maintenant, on ne sait jamais où on les a fourrés… Le vôtre, au moins, vous ne risquez pas de le perdre ! Fausto, je vous présente Nina, ma fille… Nina, voici…

William (l’interrompant) – Fausto, un SDF qu’on vient de ramasser dans la rue… Il avait un panneau « j’ai faim » autour du cou, alors on l’a invité à prendre l’apéritif…

Judith est prise de court par ce mensonge, et Nina est évidemment étonnée.

Nina – Enchantée…

Judith – Fausto va dormir ici cette nuit.

Nina – Eh ben… Votre chambre d’ami ne sera pas restée longtemps inoccupée…

Judith – Tu prendras bien un peu de vin de pruneaux avec nous ?

Nina – Pourquoi pas…

William – Tu es sûre que ça ne va pas te retarder ? Josiane va s’inquiéter…

Nina – Je ne suis pas à cinq minutes.

William – Je vais faire le service. (À Judith) Si tu allais montrer sa chambre à notre ami en attendant ? (À Fausto) C’est la suite familiale, vous verrez c’est très calme.

Fausto – Très bien…

Judith – Vous me suivez ?

Judith sort avec Fausto.

Fausto – Mademoiselle…

William sert un verre à Nina. Nina lance un regard intrigué vers son père, qui semble mal à l’aise.

William – Tu ne bois pas ton apéritif ?

Nina – C’est qui ce type ?

William – Je te dis : un clochard. Il ne savait pas où dormir cette nuit, alors comme on avait une chambre de libre…

Nina – Ce n’est pas trop ton genre, la charité chrétienne, non… ?

William – C’est Noël, quand même !

Nina – Tu dis toujours que Noël, tu n’en as rien à faire.

William – Eh ben justement, j’ai décidé de redonner du sens à cette fête qui n’est devenue au fil du temps qu’une célébration indécente de la société de consommation. Tu sais qu’auparavant, à Noël, on mettait un couvert de plus pour n’importe quel inconnu qui viendrait frapper à la porte ?

Nina – Comme le Père Noël…

William – C’était le « couvert du pauvre ». On disait qu’il était destiné à l’âme des morts de la famille, qui était conviée à la fête.

Nina (sceptique) – Hun, hun…

William – Tiens, d’ailleurs, la preuve que c’est un brave type, il a apporté un cadeau pour toi…

Nina jette un regard vers le paquet.

Nina – Pour moi ? Il me connaît ?

William – Il faut croire qu’il a entendu parler de toi.

Nina ouvre le paquet, et en sort un revolver qu’elle prend en main.

Nina – Un revolver… Très bien… Tu le remercieras de ma part…

William – Quand tu étais petite, tu jouais toujours aux gendarmes et aux voleurs… Tu te souviens ? Aucune de tes copines ne voulait jouer avec toi…

Nina – Mmm…

Pour se donner une contenance, Nina jette un regard au journal.

William – Un jour, tu avais même enfermé la femme de ménage dans un placard du sous-sol parce que tu l’accusais de t’avoir volé des bonbons. On ne l’a retrouvée que le lendemain matin…

L’attention de Nina semble soudain attirée par un article.

Nina – Un SDF… Sa photo est dans le journal ! Vous n’avez pas vu ?

William – Non…

Nina – Il s’est échappé ce matin de La Santé ! Je savais bien que sa tête me disait quelque chose… J’ai dû voir l’avis de recherche au bureau…

William – Il a déjà un avocat ?

Nina – Ce type est dangereux, je te dis !

Fausto revient avec Judith. Machinalement Nina braque l’arme vers Fausto, qui a une réaction de recul.

Fausto – Je suis désolé, si j’avais su, j’aurais pris une poupée…

William – Ah, oui, ça aurait été beaucoup plus adapté pour une fille. Surtout une fille de son âge.

Fausto – Rassurez-vous, c’est un faux.

Nina – Remarquablement imité…

William prend le jouet des mains de Nina et l’examine.

William – Un gardien de prison s’y tromperait sûrement si on lui braquait ça sous le nez… (William joue avec le revolver en le faisant tourner maladroitement autour de son doigt à la façon d’un cow-boy, le revolver lui échappe des mains et il est projeté derrière le canapé) Désolé, je manque d’entraînement…

William se penche et par mégarde, au lieu du jouet, ramasse le vrai revolver caché là précédemment par Judith.

Judith – Oh, mon Dieu…

William (à Nina) – Mais tu t’y connais tant que ça, en armes ?

Nina – C’est à dire que… Dans mon métier…

William – Ma fille est avocate.

Fausto – Ah, très bien… Un avocat dans la famille, ça peut toujours rendre service…

Judith (à Nina) – Je me demande si ce ne serait pas le bon moment pour ton coming out…

William – J’en étais sûr !

Nina – Ce n’est pas du tout ce que tu crois, je t’assure. Mais je t’en prie, pose cette arme sans faire de geste brusque…

Pour plaisanter, William vise son présumé père avec le revolver qu’il croit factice.

William – J’ai toujours rêvé de faire ça… Il faudra que j’en parle à mon psy.

Nina – Non !

William appuie accidentellement sur la gâchette et est surpris lui-même par le bruit du coup de feu.

William – Le coup est parti tout seul… La gâchette est vraiment sensible. Et quel réalisme ! J’ai même senti le mouvement de recul, dis donc. Je ne sais pas comment ils arrivent à faire ça.

Son père reste un instant de marbre, puis s’effondre.

Judith – Oh mon Dieu, tu viens de tuer ton père.

William – Oui, c’est ce que je disais… J’ai toujours rêvé de faire ça…

Nina – Son père ?

Judith – Ton grand-père…

Nina – Je croyais que pépé était mort !

Judith – Eh bien maintenant, il l’est…

Nina – Je crois que je vais dire à Josiane de ne pas m’attendre…

Noir.

Acte 3

Consternation de Judith et Nina devant le corps de Fausto étendu par terre. William semble étonné.

William – Mais c’est un faux ! Vous voyez bien qu’il fait semblant, pour nous faire rire. Hein, papa ?

Nina – C’est mon arme de service.

William – Ton arme de service ?

Nina – Je suis flic, papa, pas avocate…

William – Flic ?

Judith ramasse le revolver en jouet.

Judith – Le faux, c’est celui-là.

William – Oups… Je crois que ma psy appellerait ça un acte manqué.

Nina – Pour un acte manqué, c’est plutôt réussi…

Judith – Oh mon Dieu, qu’est-ce qu’on va faire !

William – On pourrait l’enterrer dans le jardin.

Judith – C’est une tradition familiale ?

Nina – Mais on ne peut pas faire ça ! Ce n’est pas légal !

Judith – Écoute, ma chérie, je crois que ce n’est vraiment pas le moment d’être psychorigide.

Nina – Psychorigide ?

William – C’est un homicide involontaire…

Judith – Et puis tu l’as dit toi-même : il s’agit de ton arme de service ! Je t’avais dit de ne pas la laisser traîner n’importe où…

William – Il est en fuite, personne ne s’inquiéterait de sa disparition.

Judith – On dirait qu’il bouge encore…

William – Ce serait quand même plus humain de l’achever avant de l’enterrer, non ?

Nina examine Fausto en lui ouvrant la chemise.

Nina – La balle a ripé sur sa médaille. Il est seulement sonné par le choc…

William – Une médaille ?

Nina – En acier, apparemment.

William – Il a dû graver ça dans sa cellule pour s’occuper.

Nina – À l’effigie de Benoît XVI…

Judith – Oh, mon Dieu, c’est un miracle !

William – Encore un ou deux comme ça, et le souverain pontife pourra être béatifié. Mais je ne savais pas que mon père était aussi pieux…

Judith – Les italiens, tu sais, même les mafiosos…

William – Je ne savais pas non plus qu’il était italien.

Fausto reprend ses esprits.

Fausto – Qu’est-ce qui s’est passé ?

Judith – Juste un petit malaise, papy… Ça doit être l’émotion… Ces retrouvailles familiales, évidemment, ça doit vous secouer un peu…

Nina – Reste qu’il s’est évadé de prison.

Judith – On ne peut quand même pas le livrer à la police.

Nina – La police c’est moi !

Fausto – Je croyais qu’elle était avocate ?

William – Moi aussi… C’est marrant, hier encore, ça m’aurait contrarié, mais là je suis presque soulagé.

Nina – Ah oui ?

William – Ça va considérablement simplifier ces retrouvailles familiales.

Judith – Qu’est-ce qu’on va faire de lui…

Nina – Vol à main armé, recel, maintenant évasion… On n’a jamais retrouvé le butin de son dernier holdup…

William – Tiens donc…

Judith – Mais c’est ton grand-père, malgré tout.

William – On ne choisit pas sa famille… (À Fausto) Bon, si tu me disais pourquoi tu es venu, au juste ?

Un temps.

Fausto – Je suis passé voir ta mère avant de venir ici.

William – Et alors ?

Fausto – Elle ne se souvenait plus de moi. Je crois qu’elle n’a plus toute sa tête.

William – Moi aussi, je t’avais oublié. Et pourtant, j’ai toute ma tête. Oublier quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis vingt ans, c’est normal, tu sais…

Fausto – Le problème, c’est que… j’aurais bien voulu qu’elle se souvienne d’une chose en particulier.

William – Raconte-moi ça…

Fausto – C’est elle qui a planqué le butin de mon dernier holdup.

William – Et elle ne se souvient plus de l’endroit où elle l’a caché, c’est ça ?

Fausto – Tu n’aurais pas une idée, toi ?

William – Moi ?

Fausto – Elle aurait pu t’en parler.

William – Même quand elle avait toute sa tête, ma mère n’était pas du genre bavarde. Elle ne m’avait même pas dit que mon père était en prison et pas enterré dans le jardin…

Nina – Dans le jardin ?

Le coucou chante trois fois.

Judith – Et maintenant, elle est comme ce vieux coucou. Le disque est rayé.

Nina – Non, mais je rêve… Il s’agit du produit d’un vol à main armée, là !

Judith – Combien ?

Fausto – Douze millions.

Judith – Douze millions !

William – Ah, oui, quand même…

Judith – Ça permet de faire des projets.

Fausto – On pourrait partager.

Judith – Une donation, en quelque sorte…

William – Pour solde de tous comptes.

Judith – Et il vient d’où, ce fric ?

Fausto – La Société Générale.

Nina – On parle d’un casse, hein ? Pas d’un retrait en espèce…

Judith (à William) – Tu pourrais considérer ça comme une indemnité de départ ?

Nina – Il faudrait encore qu’on retrouve l’argent…

William – Ça ne va pas être simple. Quand on a mis maman dans cette institution spécialisée, on a dû vendre sa maison pour payer une partie de la note… Je nous vois mal demander aux nouveaux propriétaires si on peut faire des trous dans leur jardin…

Judith – Au fait, si ce n’était pas ton père, c’était qui, les ossements, dans le jardin ?

Nina – Les ossements ? Quels ossements ?

Fausto – Le jardinier est tombé sur le magot en voulant planter des bambous. Juste après il est tombé d’un cerisier.

William – Un accident domestique, en quelque sorte.

Nina – Ce n’est vraiment pas de chance.

Fausto – Comme il travaillait au noir, et qu’il n’avait pas de famille, ta mère a préféré s’occuper elle-même de ses funérailles. Elle l’a enterré au pied du cerisier, dans la plus stricte intimité…

William – C’est tellement triste de ne pas pouvoir compter sur une famille aimante, même le jour de son enterrement…

Judith – Ça c’est bien vrai… Je travaille aux pompes funèbres, et croyez-moi, parfois ce serait plus gai d’être enterré dans son jardin.

William – Surtout pour un jardinier.

Fausto – C’est juste après que ta mère a décidé de planquer les biftons ailleurs, mais je ne sais pas où…

Judith – Où est-ce que cette vieille folle aurait bien pu planquer l’oseille…

Fausto (à Nina) – Tu n’as pas la moindre idée de l’endroit où ta grand-mère aurait pu cacher cet argent ?

Nina – Non… Mais même si je le savais, ce n’est pas à vous que je le dirais !

Judith – Réfléchissons un peu. Qu’est-ce qu’elle aurait pu faire de cette fortune… ?

William – Elle a peut-être ouvert un compte secret en Suisse ?

Nina – Tu vois mémé ouvrir un compte en Suisse ?

William – Et puis il faudrait encore connaître la banque et le numéro de compte…

Judith – Elle aurait pu aussi le planquer ici.

William – Elle a quand même passé quelques mois avec nous avant que Judith insiste pour qu’on la place en institution…

Judith – Moi ?

William – Ben oui…

Judith – C’est la meilleure ! C’est toi qui disais que tu ne la supportais plus !

Fausto – On n’a qu’à fouiller la maison…

William – Ce n’est pas si grand… Si il y avait de l’argent caché ici, je pense qu’on s’en serait rendu compte.

Judith – À moins que quelqu’un l’ait trouvé et ait décidé de le garder pour lui… ou pour elle.

Nina, se sentant visée, sort de ses gonds.

Nina – C’est pour moi que tu dis ça.

Judith – Mais non, je pensais… à la femme de ménage, par exemple. Tu te souviens, quand tu étais petite, elle te volait déjà tes bonbons…

Fausto – Elle l’a peut-être emporté avec elle dans sa maison de retraite.

William – En partant de chez elle, elle n’a voulu emporter que ce vieux coucou qui nous casse les burnes toute la journée.

Judith – Sans parler de la nuit…

William – Vous pensez bien qu’à la maison de retraite, ils n’en ont pas voulu. Alors ta grand-mère nous l’a refilé.

Nina – Peut-être pour s’assurer que toutes les heures, vous auriez une pensée émue pour elle…

William – Si ça ne tenait qu’à moi, ça fait longtemps qu’on aurait refourgué cette vieillerie à l’Abbé Pierre.

Nina – C’est tout ce qui te reste de ta famille ! Enfin, je veux dire, à part ton père et ta mère…

Le coucou chante à nouveau trois fois.

Fausto (regardant sa montre) – Quelle heure il est ?

William – Quand les infirmiers sont venus pour emmener maman, il était trois heures. Et depuis qu’elle est partie, le coucou sonne toujours trois fois. Pour nous faire culpabiliser, sûrement.

Judith – Nom de Dieu, le coucou !

Nina – Quoi ?

Judith – Et si elle avait planqué le fric dedans ?

Ils se tournent tous vers le coucou.

William – Ça ne coûte rien de vérifier…

Pendant que Judith fouille l’intérieur de la pendule, Fausto lance un regard à Nina.

Fausto – Et tu te plais dans la police ?

William et Judith continuent leurs recherches.

William – Je ne trouve rien, et toi ?

Judith – Non… Ah, si… !

Elle sort un sac poubelle qu’elle ouvre sous le regard attentif des trois autres.

Judith – Un sac plein de billets…

William – C’est sûrement ça qui bloquait le mécanisme sur trois heures.

Nina – Combien déjà ?

Fausto – Dans les 12 millions de francs.

William – Des francs ? (William examine les billets). Oh, putain, c’est des francs !

Fausto – Ben oui… C’était il y a vingt ans…

Stupéfaction générale.

William – Qu’est-ce que tu veux qu’on foute avec des francs ?

Judith sort son Smartphone et pianote sur Google.

Judith – Cinq billets restent échangeables jusqu’au 17 février : les 500F Pierre et Marie Curie , les 200F Gustave Eiffel, les 100F Cézanne, les 50F Saint-Exupéry, et les 20F Debussy.

William (à Fausto) – Ton penchant pour les arts et les sciences.

Judith – Ça nous laisse deux mois…

Nina – Non, mais vous croyez vraiment qu’à la Banque de France, ils vous changeraient vos Cézanne et vos Debussy sans poser de questions ?

Fausto – Il y a toujours moyen de s’arranger… Il suffit de connaître les bonnes personnes… Évidemment, il y aura une commission…

Fausto examine les billets.

Fausto – Il n’y a que 6 millions ! Où est passée l’autre moitié ?

Fausto leur lance un regard suspicieux.

Nina – C’est ça, traite nous de voleurs, papy…

Fausto – Qu’est-ce qu’elle a fait du reste…

William – Elle l’a peut-être dépensé.

Judith – Alors qu’on se saigne aux quatre veines pour payer sa maison de retraite…

William – Ça fait combien en euros ?

Nina – Un million à peu près.

William – Si on oublie les billets qui ne sont plus échangeables, ça ne doit plus faire grand chose.

Judith – Qu’est-ce qu’on fait ?

William – On partage ?

Nina – Mais c’est de l’argent volé !

Judith – C’est l’argent d’une banque, c’est eux les voleurs !

Fausto – Maintenant, c’est vrai que divisé en quatre… On n’irait pas bien loin avec ça… Surtout moi…

Judith – On pourrait investir le tout dans des chambres d’hôtes à la campagne et s’en occuper tous ensemble ! La famille serait enfin réunie !

Aucun enthousiasme des trois autres.

Fausto – Ou alors on joue le tout au poker, et que le meilleur gagne…

William – Au poker ? Tu parles ! Il a dû passer les vingt dernières années de sa vie à jouer aux cartes avec ses codétenus. Autant jouer au scrabble avec un académicien !

Nina – Dans ce cas, un jeu de hasard.

Fausto – La roulette russe ?

William – Papy plaisante…

Judith – On n’a qu’à jouer ça au Monopoly !

Stupéfaction des trois autres.

Noir.

 

Acte 4

 

Ils ont entamé une partie de Monopoly endiablé, dans une ambiance de casino.

Judith – C’est la première fois que je joue au Monopoly avec des vrais billets…

Nina lance les dés.

Nina – Tu parles… Des francs dont on n’est même pas sûr de pouvoir les échanger à la banque…

Nina – Cinq. Chance. (Elle tire une carte) Vous avez gagné le deuxième prix de beauté. 500 francs…

William lance les dés.

William – Sept. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept… Paradis, j’achète !

Fausto lance les dés.

Fausto – Trois. Un deux, trois… Caisse de Communauté. Vous êtes libéré de prison. Cette carte peut être conservée jusqu’à ce qu’elle soit utilisée ou revendue. Je conserve…

Judith lance les dés.

Judith – Huit. Belleville. C’est chez moi. Je mets un gîte et trois chambres d’hôtes…

Nina lance les dés.

Nina – Deux. Un, deux. Allez en prison… C’est ce qui va finir par nous arriver à tous, moi je vous le dis…

William lance les dés. On entend une sirène de police au loin.

William – Quatre. Un, deux, trois, quatre… Chance. La Société Générale vous offre 3.000 francs pour votre installation. C’est la banque où je travaille qui a offert ce Monopoly à Nina quand on lui a ouvert son premier compte…

Fausto lance les dés.

Fausto – Onze. Pigalle ! J’achète ! Je mets deux hôtels de passe et trois maisons closes !

Fausto s’apprête à se servir directement dans la caisse. Nina réagit aussitôt en braquant son revolver vers lui.

Nina – Touche pas au grisbi, pépé ! C’est moi qui surveille la banque !

Fausto braque à son tour un revolver dans la direction de Nina.

Nina – C’est moi qui ai le vrai, je te conseille de laisser tomber…

Fausto cède et baisse son arme.

Fausto – Ça me fait de la peine que ma propre petite fille me soupçonne de malhonnêteté.

On sonne à la porte. Ils se figent tous.

Judith – Qui ça peut bien être à cette heure-ci ?

Nina – Vous n’avez pas entendu la sirène de police ?

William – Je crois que la partie est terminée…

Nina – Pas si vite… On n’arrête pas une partie de Monopoly comme ça… Je vais voir… (Nina se lève). Papa, fais gaffe à la banque ?

William – Ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude.

Ils attendent un instant en se regardant les uns les autres avec suspicion.

Judith – Encore un peu de vin de pruneaux ?

Nina revient.

William – Alors ?

Nina – C’était les collègues… Pour savoir si par hasard, le fugitif ne se serait pas réfugié chez son fils…

Fausto – Et alors ?

Nina – Je leur ai montré ma carte de police…

Fausto (soulagé) – Bon sang ne saurait mentir… Maintenant, tu fais vraiment partie de la famille.

Nina – La partie continue…

Judith lance les dés.

Judith – Douze. Champs Élysées…

William – C’est à moi ! Avec un hôtel, 150.000 francs.

Judith – Et voilà… Je suis ruinée… (À William) Mais après tout, on est mariés sous le régime de la communauté, non ?

Nina lance les dés.

Nina – Sept. Payez une amende de 100 francs ou tirez une carte chance. Je tire une carte chance. (Elle tire une carte et blêmit) Rendez-vous Rue de la Paix…

William – C’est à moi aussi ! Avec un hôtel, 200.000 !

Nina – Je suis ruinée aussi…

William (à Fausto) – À nous deux, maintenant…

William lance les dés.

William – Prison, simple visite…

Fausto lance les dés.

Fausto – Allez directement à la Gare de Lyon. C’est bien ce que je pense faire en sortant d’ici. Ce sera moins surveillé que les aéroports…

William lance les dès.

William – Parking gratuit…

Fausto lance les dés.

Fausto – Neuf… Rue de la Paix.

William – C’est chez moi ! 200.000 francs !

Fausto – Je dépose le bilan…

Judith – À la fin, c’est toujours la banque qui gagne…

Fausto fait alors un geste rapide pour s’emparer du revolver de Nina, avec lequel il menace les autres.

Fausto – Désolé, mais je n’ai vraiment pas le choix…

Les trois autres lèvent les mains en l’air.

Fausto – Ceci est un holdup. Ne faites pas de gestes brusques et tout se passera bien. Par ici la monnaie…

Noir.

 

 

Acte 5

De part et d’autre du coucou, William et Judith, assis dans leurs fauteuils, se repassent un joint. Sur la table basse, deux verres et une bouteille. Le coucou chante trois fois.

William – Le coucou chante toujours trois fois…

Judith – Mmm…

William – Je croyais qu’il marchait, maintenant.

Judith – Il marche.

William – Quelle heure il est ?

Judith – Trois heures.

William – Ah, d’accord…

Silence.

William – Je ne sais pas s’il ira très loin avec ses Cézanne et ses Debussy.

Judith – Jusqu’à la frontière italienne, peut-être.

William – J’espère au moins qu’il nous enverra une carte postale…

Judith – Mmmm.

William – Et tes parents à toi, ça va ? Ça fait un moment qu’on ne les a pas vus… Ils ne sont pas morts, au moins ?

Judith – Non, non.

William – Ça leur fait quel âge, maintenant.

Judith – Je ne sais plus… Ils sont tellement vieux… Je commence à me demander si je ne mourrai pas de vieillesse avant eux…

William – On n’a pas de chance quand même…

Judith – Pourquoi tu dis ça ?

William – On aurait pu espérer que le destin nous donne un petit coup de pouce…

Judith – Allez, ne sois pas si pessimiste… Il faut voir la bouteille à moitié pleine… (Elle saisit la bouteille et remplit les deux verres). On n’a jamais gagné au loto, mais on n’a jamais eu de maladies graves non plus.

William – Mmm… Jamais un contrôle fiscal…

Judith – On n’a même jamais été tiré au sort pour être juré dans une cours d’assises.

William – Tu as raison. On n’est pas né sous une bonne étoile, mais pas sous une mauvaise non plus.

Judith – On a dû naître sous un ciel sans étoile.

William – Personne n’a dû s’apercevoir qu’on était né.

Judith – Et quand on ne sera plus là, personne ne s’en apercevra non plus.

William – On est comme des passagers clandestins sur ce vaisseau fantôme qu’on appelle là Terre…

Ils continuent à boire et à fumer en silence.

Judith – Si ça continue, on va pouvoir dîner sur la terrasse.

William – Nina vient réveillonner avec nous ?

Judith – Bien sûr.

William – Elle amène la dinde, finalement ?

Judith – Oui. Mais je crois qu’elle a renoncé à faire poulet.

William – Tant mieux.

Judith – Dommage que ton père n’ait pas pu rester, on aurait passé une soirée en famille.

William – Il est arrivé comme le Père Noël, mais c’est lui qui repart avec les cadeaux.

Judith – Ça ne fait rien, on va passer un petit réveillon tranquille.

William – Je ne pourrais plus jamais jouer au Monopoly de ma vie.

Judith – Tu as raison. Après une partie comme ça, toutes les autres ne pourraient être que décevantes…

Silence.

Judith – Et si on les ouvrait quand même, ces chambres d’hôtes ?

William – Je viens d’apprendre que mon poste avait été supprimé à la banque… On ne peut plus compter sur mon héritage… Et on a toujours ma mère sur les bras… Alors je veux bien ne pas regarder seulement la bouteille à moitié vide, mais bon…

Judith – J’ai trouvé la bouteille à moitié pleine.

William – Pardon ?

Judith – J’ai découvert ce que ta mère avait fait de l’autre partie du butin.

William – Quoi ?

Judith – Le coucou.

William – Le coucou ?

Judith – Les contrepoids sont en or massif… Et avec la crise financière, le prix du métal jaune a quadruplé ces dernières années…

William – Non !

Judith – Quand elle avait encore toute sa tête, ta mère a dû convertir la moitié de ses nouveaux francs en métal précieux, au cas où.

William – Les valeurs refuge, il n’y a que ça de vrai. Avec la famille, bien sûr…

Judith – Alors ?

William – Quoi ?

Judith – Ces chambres d’hôtes ?

William – Pourquoi pas. À la campagne, je m’emmerderai tellement. Je serai bien obligé d’écrire mon bouquin…

Silence.

Judith – Tu es vraiment sûr que ce type était ton père ?

William – En tout cas, il a bien connu ma mère… Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours pensé que j’étais le fils du jardinier…

Judith – Ta mère couchait avec le jardinier ?

William – Ça contribuerait à expliquer le mystérieux accident domestique dont il a été victime…

Judith – Sans parler de ton penchant pour l’agriculture.

William – Et puis si mon père, c’est le jardinier, au moins je sais où le trouver. Dans le jardin.

Judith – Oui… Mais pas dans le nôtre…

Silence.

Judith – Il reste encore un peu de tes plans de tomates cerises.

William – Non. On a tout fumé.

Judith – Quand on sera à la campagne, il faudra que t’en replantes.

Le coucou se met à chanter sans discontinuer en émettant des sons complètement inédits.

Noir.

Ce texte est protégé par les lois relatives au droit de propriété intellectuelle. Toute contrefaçon est passible d’une condamnation allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison.

Paris – Novembre 2011

© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-18-5

Ouvrage téléchargeable gratuitement.

 

 

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